[American version]
Illustration de Maurice Leloir pour Manon Lescaut par L'abbé Prévost, Paris, 1885.
BnF, Réserve des Livres rares

Filles du roi, filles "à la cassette" et filles de "mauvaise vie"

 

En 1663, quand le Canada est transformé en province royale, on compte six colons en âge de se marier pour une seule femme blanche. En vue de réduire ce déséquilibre et d'assurer le peuplement de la colonie, Louis XIV subventionne, entre 1663 et 1673, le passage en Nouvelle-France de près de 770 jeunes femmes. Quand les finances le permettent, il leur accorde une dot de 50 livres destinée à faciliter leur mariage et leur établissement.

Ces filles, contrairement à une légende tenace, ne sont pas des prostituées, mais bien souvent des orphelines élevées à l'Hôpital général de Paris. Une fois débarquées au Canada, elles se marient dans les mois qui suivent avec l'un des nombreux prétendants que compte la colonie. Au début des années 1680, Louis XIV cherche à compléter cette politique de " féminisation " en offrant le " présent du roi " - une dot de 50 livres également - à toute candidate autochtone à l'intermariage. En Louisiane, on fait aussi appel aux Filles du roi - ou " filles à la cassette ", comme on les y appelle - à l'époque de la Compagnie d'Occident : 120 jeunes femmes volontaires sont ainsi transportées entre 1719 et 1721.

Il ne faut pas les confondre avec les quelque 200 " femmes de mauvaise vie " déportées sur le Mississippi à la même époque dans le cadre de la politique de bannissement inaugurée par la Régence. La plupart étaient enfermées à la Salpêtrière pour mendicité, vagabondage, prostitution ou crimes - l'une, nommée Marie-Anne Lescau, a d'ailleurs inspiré l'héroïne de l'abbé Prévost, Manon Lescaut.

 

Documents associés :

- Constitués de vingt-cinq lettres, Les Nouveaux Voyages du baron de Lahontan, soldat dans les troupes de la Marine, relatent son expérience canadienne entre 1683 et 1694. Dans la lettre II, l'auteur se fend d'un passage ironique sur les Filles du roi, qu'il qualifie de " filles de moyenne vertu " que " les époux choisissoient… de la manière que le boucher va choisir les moutons au milieu d'un troupeau ". Cette description a été jugée calomnieuse par l'historiographie canadienne-française des XIXe-XXe siècles.

- Gravé par Pierre Dupin (1690-1751) d'après Antoine Watteau, ce Départ pour les îles représente la déportation des " filles de joie " pour l'Amérique, que la légende invite ironiquement en ces termes : " Allons il faut partir sans vous faire prier, Mignones,... ".

- L'édition de 1753 du célèbre roman de l'abbé Prévost, Manon Lescaut (1731), publiée à Paris et à Amsterdam, contient une remarquable série de gravures illustrant les mésaventures du chevalier des Grieux. Les deux dernières représentent la déportation de Manon Lescaut en Louisiane et sa mort sur " une terre sauvage d'Amérique ".