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Les menus de la Grande Guerre

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22 juin 2017

Depuis 2013, la bibliothèque municipale de Dijon a enrichi sa collection gourmande de nombreux livres de cuisine et de menus datant de la Grande Guerre ou ayant un lien avec elle. Ils sont désormais numérisés et disponibles dans Gallica. Le blog vous propose donc pour ce troisième article de vous plonger dans deux ensembles particulièrement représentatifs de la première guerre du fait de leur important volume.

Menu du 27 juin 1917, Bibliothèque municipale de Dijon, M IV 916.

Le premier est un album constitué après la guerre par le colonel Alfred de Colbert-Turgis avec plus de 170 menus réalisés au sein du 11e régiment de Cuirassiers par son secrétaire d'état-major, un certain Margerie, illustrateur de formation et dont la fonction pendant la guerre était de tenir à jour les cartes des tranchées. La majorité des menus concerne des repas pris entre août 1916 et février 1917 alors que les soldats tiennent le secteur des Marquises en Champagne puis stationnent à l'arrière du front avant de rejoindre le secteur des Arrieux en Lorraine et de passer dans un secteur plus calme, dans le Doubs, en janvier 1917. 
L'originalité de l'ensemble vient des illustrations qui proposent un point de vue humoristique sur la guerre, sous deux angles complémentaires.

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Menu du 31 juillet 1916, Bibliothèque municipale de Dijon, M IV 966

Une grande partie des menus caricature les soldats allemands sous une forme stéréotypée, un homme à la barbe rousse, au gros nez rouge et portant un casque à pointe, toujours en mauvaise posture : qu'il reçoive un bouchon de champagne dans le nez, qu'il soit mordu par un chien, qu'un autre chien lève la patte sur sa gamelle, qu'un miroir lui renvoie l'image d'un cochon, qu'il soit mis en joue, qu'une Marianne court-vêtue lui offre un obus ou qu'un rat vole son repas, il a toujours l'air d'un pauvre bougre pas très malin, aux chaussures trouées et à l'uniforme rapiécé qu'on renverra facilement en "Bochie" comme le menu du déjeuner du 20 septembre 1916 le suggère. Ce style fanfaron ou ironique, avec soi et avec l'autre, réduisant l'ennemi à portion congrue, niant l'aspect destructeur de la guerre, écrivant une histoire parallèle, revient fréquemment sur les menus français de cette époque, comme si l'esprit gaulois servait d'exutoire à l'angoisse du temps pour dissimuler ou exorciser la réalité.

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Menu du 7 août 1916, Bibliothèque municipale de Dijon, M IV-937.

D'autres scènes représentent des moments de la vie quotidienne des poilus, comme la corvée d'eau, le port du masque à gaz, le cafard ou l'attente des permissions. Plusieurs menus évoquent l'alimentation des soldats, la figure du chef cuistot et les restrictions qui s'imposent, comme sur ce menu du 7 août 1916, où la cuisine apparaît sommaire, vétuste et assez sale pour attirer les rats.

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Menu du 25 novembre 1915, Bibliothèque municipale de Dijon M IV-894.

L'autre série est constituée d'un grand nombre de menus dont 81 sont conservés à la bibliothèque municipale de Dijon. Réalisés entre janvier 1915 et mars 1916 dans un contexte inconnu si ce n'est que les repas ont été pris à Arras, les caractéristiques de leurs illustrations laisseront perplexe celui.celle qui les consulte. Plus de la moitié des menus sont ornés d'une figure féminine, parfois une femme élégante mais aussi, pour la moitié d'entre eux, une femme en déshabillé, voire, rarement, nue, ou encore une femme dont la jupe est retroussée par le vent ou par une chute.

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Menu du 6 décembre 1915, Bibliothèque municipale de Dijon M IV-911

Quelques – rares – images font directement allusion à l'absence des hommes français, comme sur ce menu dont la légende est "L'ennui : l'ami est à la guerre", ou à la présence des hommes allemands (Arras est sur le front) comme sur ce menu où une femme est à genoux, lève les mains et dit "Kamerad Nicht Kapout" à la manière d'un soldat qui se rend : est-ce une allusion à la prostitution générée par la guerre, à l’espionnage ou plus largement à la légèreté des femmes dont le mari est au front, cliché très répandu pendant la guerre ?

Le grand nombre des menus laisse penser qu'un particulier n'est pas le producteur. La simplicité des mets couplée à une liste complète de plats roboratifs pourraient conduire à attribuer ces documents à un lieu de restauration collective de petite taille, comme une pension ou une maison close par exemple ?

Mais tout cela n'est que spéculations : avis aux Gallicanautes et aux chercheu.rs.ses !

Pour aller plus loin :

 

Caroline Poulain, en charge du patrimoine à la bibliothèque municipale de Dijon

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