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Eugène Chavette (1827-1902)

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19 avril 2018

Eugène Chavette s’est illustré par ses chroniques humoristiques dans divers journaux. Mais il a surtout rencontré un grand succès grâce à des romans caractérisés par leur gaité, comme Aimé de son concierge. Il a également innové dans le domaine du récit policier, qui n’en était alors qu’à ses débuts.

Le Journal des Goncourt porte trace, en date du 2 juin 1861, d’un éloge du style d’Eugène Chavette. Les deux frères, généralement plutôt fielleux envers leurs pairs, écrivent pourtant que Chavette est

« aux écoutes des mots qui ont de la couleur, épiant l’argot du bourgeois et du peuple, créant d’après le vrai le détail sublime de vérité, effrayant d’imprévu tout à la fois et de vraisemblance ».

Eugène Vachette, né le 25 juin 1827, est le fils d’un célèbre restaurateur parisien, Joseph Vachette, dont l’établissement du boulevard Poissonnière était alors très prisé des gens de lettres. Ne voulant pas prendre la suite de son père, il fait ses premières armes de chroniqueur en 1850 dans le journal satirique Le Tintamarre et participe à la rédaction de plusieurs vaudevilles, notamment avec son directeur Commerson. Puis, s’étant fait un nom, il démissionne pour voyager : Chine, Russie, Jérusalem, Tombouctou, Philadelphie, Buenos-Aires. On le retrouve même à La Haye à diriger un théâtre, mais c’est un échec financier. Il retourne donc en France, et prend un pseudonyme, Eugène Chavette, pour collaborer à plusieurs journaux : Le Figaro, Le Nouvel illustré, La Liberté, Le Soleil (qu’il dirigera un temps à partir de 1865), Le Petit Journal, Le Gaulois, etc., avec des nouvelles sarcastiques et des rubriques boulevardières pleines de fantaisie et de gouaille. Une partie sera reprise en volumes dans Les Petites comédies du vice (1874), Les Petits drames de la vertu (1882), Les Bêtises vraies (1882) ou L’Oreille du cocher (1883). Ces récits sont parsemés d’aphorismes, dont plusieurs sont devenus célèbres, par exemple : « La punaise est plus terrible que le remords car ce dernier respecte le sommeil du juste. »

Ces recueils lui procureront une renommée certaine : « Le fond des Petits drames, comme des Petites comédies, ce n'est pas la grivoiserie, c'est la gaîté […] La vanité, l'effronterie, l'avarice, la gourmandise, l'hypocrisie sont les sous-titres des diverses petites comédies. Mais ces vices n'inspirent à Chavette aucune horreur, ils l'amusent par des côtés imprévus », écrit ainsi le Figaro du 18 août 1894. Et La Cloche d'argent (6 mai 1883) pour « l'Oreille du Cocher, titre de convention qui sert de prétexte à toute une série de petits tableaux de mœurs où Chavette use et abuse de la drôlerie à outrance. C'est le meilleur remède contre le spleen et l'humeur noire ». Il commet également en 1867 un guide gastronomique de Paris : Restaurateurs et restaurés. Malheureusement pour lui, il souffre de la goutte, ce qui lui rend douloureuse la position allongée. C’est probablement une des raisons pour lesquelles il s’isole peu à peu dans sa propriété de Montfermeil à partir des années 1880, et ralentit graduellement sa production. Il y meurt le 16 mai 1902.

Eugène Chavette a aussi publié des romans, et d’abord, de façon surprenante, des récits policiers. Il était en effet très intéressé par ce type de narration, et c’est par exemple lui qui est à l’origine de la gloire de Gaboriau, dont il était camarade dans sa jeunesse et qui fut le premier écrivain de romans policiers français. Alors rédacteur en chef du Soleil, il convainc son directeur Moïse Millaud de rééditer dans ce journal L’Affaire Lerouge (déjà publié en feuilleton dans Le Pays en 1865 et passé inaperçu). Ce récit est un énorme succès totalement inattendu, qui lance la carrière de Gaboriau et fait découvrir le « roman judicaire » au public français. Chavette lui-même brode des histoires autour de faits divers célèbres : celui de la bande d’Orgères en 1800 dans Le Saucisson à pattes (1884), l’attentat de la rue Nicaise dirigé contre Bonaparte en 1800 (Le Roi des limiers, 1879), ou l’affaire du Temple de 1838 dans La Bande de la belle Alliette (1882). Il écrit aussi des intrigues originales, comme la remarquable Chambre du crime (1875), ou La Recherche d’un pourquoi (1878). Comme le note un journaliste du temps, Marius Topin (la Presse, 5 juin 1875), Chavette ne cherche pas à approfondir la psychologie des personnages mais à construire une intrigue où l’auteur accumule les obstacles devant l’enquêteur, provoquant un « amoncellement des difficultés qu’il s’est donné à résoudre. C’est là aussi le plaisir du lecteur ». Cela anticipe d’un demi-siècle le principe du roman d’énigme initié par Conan Doyle et développé par Agatha Christie. Mais Chavette y ajoute un humour persistant, et le même Topin ajoute : « Tout cela est raconté avec assez de gravité pour émouvoir le vulgaire, et assez d’ironie pour retenir les plus délicats ».

 Les petits drames de la vertu : pour faire suite aux Petites comédies du vice
par Eugène Chavette ; ill. de Kauffmann et Emile Lévy. E. Flammarion, 1882

Car l’esprit de dérision est sa marque de fabrique. Certains le considèrent comme un successeur de Paul de Kock dans sa description sarcastique du peuple de Paris, les petits bourgeois, les propriétaires modestes, les cuisinières, les concierges, reproduisant leur langage, leurs habitudes, et surtout leurs travers et leurs ridicules. Les titres mêmes de ses ouvrages sont parlants : L'oncle du Monsieur de Madame (1880), Le Procès Pictompin et ses dix-huit audiences, recueillies et mises en ordre par E. Chavette qui passait là par hasard en 1853 (1854 ), La Conquête d'une cuisinière. Seul contre trois belles-mères (1884) ou encore L'Héritage d'un pique-assiette (1874). Ce dernier titre montre bien comment Chavette arrive à mêler adroitement satire, tragique et charge sociale, avec ses personnages immoraux, leur cupidité, leurs manipulations et leurs assassinats, dans un récit burlesque, « bourré d'aventures étonnantes, de crimes mystérieux et de personnages étranges que les romans du même auteur qui l'ont précédé. M. Eugène Chavette nous raconte toutes ses histoires d'un autre monde avec tant d'à-propos et de bonhomie que, franchement, nous n'avons pas le droit de nous en plaindre » (La Bibliographie contemporaine, 1er juin 1874).
 

Restaurateurs et restaurés par Eugène Chavette ; dessins par Cham . A. Le Chevalier, 1867

Son texte le plus connu, Aimé de son concierge (1877), est caractéristique de son auteur. Il possède une unité de lieu, un immeuble, dont le concierge cherche à se débarrasser de la propriétaire, qu’il juge trop bruyante pour sa sérénité. Il va donc manœuvrer pour la faire épouser un de ses locataires. Chavette radioscopie tous les habitants de la maison, leurs manies et leurs routines, avec des personnages excentriques, comme ce militaire qui joue de la flûte pour attirer les femmes, un inventeur d’une pâte censée faire pousser les cheveux mais qui rend chauve, un « méchant » ridicule mais dangereux, etc. Même si d’aucuns font la fine bouche, ils rendent grâce au texte d’être un très bon spectacle. Ainsi le journal La Comédie : « Ce livre, écrit dans un style d'une extrême facilité, visant plus à l'effet qu'à la forme, est un amusant kaléidoscope des locataires d'une maison du quartier du faubourg Montmartre […] L'auteur s'est amusé à cueillir des fleurettes en faisant l'école buissonnière. Mais qu'importe ! Son ouvrage divertit, que faut-il souhaiter de plus ? Le lecteur le plus hypocondriaque est certain de passer de bons moments en le parcourant. Tout est donc pour le mieux puisque tout finit bien et à la satisfaction de tous. »

« M. Chavette aurait en tout cas le droit d'être appelé le dernier fils de Rabelais, car jamais fantaisies plus abracadabrantes ne jaillirent d'un cerveau parisien. »

constate le Dictionnaire universel illustré dirigé par Jules Lermina (1885).

 

 

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