Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Portrait du fonds Oulipo

1
13 mars 2018

On ne s’attend pas à trouver des traces des oulipiens dans Gallica, qui offre pourtant, avec le fonds Oulipo, l’accès à 30 ans de comptes rendus des réunions de l’Oulipo, de 1960 à 1990. Ces documents sont absolument délicieux à parcourir pour qui aime les travaux des membres de ce groupe atypique.

Dès la fondation de l’Ouvoir de littérature potentielle, le 24 novembre 1960, ses membres ont pris soin de garder les traces de la vie du groupe dans des archives structurées et classées.
Se partagent d’abord le secrétariat Jacques Bens (qui rédige jusqu’en 1963 les comptes rendus de réunion, qu’il a réuni dans un ouvrage publié au Castor Astral en 2003 : L’Oulipo. Genèse de l’oulipo 1960-1963) et François Le Lionnais (convocations et autres courriers). En 1971, Paul Fournel et Marcel Bénabou deviennent conjointement « secrétaire provisoirement définitif » et « secrétaire définitivement provisoire » et organisent une récolte rigoureuse et un classement systématique, dont le noyau était constitué par les dossiers de réunion, classés chronologiquement.

En 2005-2006, le fonds Oulipo, jusqu’alors hébergé chez Marcel Bénabou, est mis en dépôt à la Bibliothèque de l’Arsenal : une collection importante de livres, de périodiques et de boîtes d’archives manuscrites et dactylographiées, constituée par les secrétaires successifs depuis le début de la vie du groupe en 1960. Elle vient rejoindre les fonds d’oulipiens qui y étaient déjà présents : ceux de Georges Perec, Jacques Jouet, Noël Arnaud et Jacques Bens. D’autres fonds ont été ajoutés depuis : celui de François Caradec et plus récemment celui de Paul Fournel. L’Oulipo a fait l’objet d’une exposition rétrospective à la Bibliothèque de l'Arsenal du 18 novembre 2014 au 15 février 2015 présentant de nombreux documents.

En 2015, les comptes rendus de réunion des années 1960-1990 ont été numérisés et mis à disposition sur Gallica : ce Fonds Oulipo compte pas moins de 346 entrées.
 

 

Les comptes rendus des toutes premières réunions sont une mine pour qui souhaite retrouver les débuts et le processus de création du groupe. L’Ouvroir de Littérature Potentielle nait de la rencontre et des échanges amicaux entre Raymond Queneau, écrivain amateur de mathématiques, et son ami et complice François Le Lionnais, mathématicien passionné de littérature. Ce n’est pas un mouvement littéraire, mais un atelier de littérature expérimentale, ce qui explique peut-être sa longévité. Queneau vient de rompre avec un mouvement surréaliste régenté par André Breton et souhaite créer un groupe littéraire qui dure et soit productif. Il le dote à cet effet de structures destinées à décourager toute tentative de prise de pouvoir autoritaire, et à favoriser au contraire collégialité et convivialité.

La réunion fondatrice du groupe, qui ne s’appelle pas encore Oulipo mais Séminaire de Littérature Expérimentale, a eu lieu le 24 novembre 1960 au restaurant Le Vrai Gascon, 82 rue du Bac à Paris. Autour de Raymond Queneau et François Le Lionnais, elle réunit six de leurs amis écrivains, mathématiciens ou peintres : Albert-Marie Schmidt, Jean Queval, Jean Lescure, Jacques Duchateau, Claude Berge et Jacques Bens, comme le stipule la Circulaire du 25 novembre 1960 dûment rédigée par Jacques Bens, secrétaire provisoire.

À la deuxième réunion, le 19 décembre 1960, se joint au groupe Noël Arnaud, Régent de Pataphysique générale, ce qui entraîne une définition de ses relations avec le Collège de Pataphysique et son intégration au sein de la « Sous-Commission des Épiphanies et Ithyphanies, elle-même incluse dans la Commission des Imprévisibles, dont l'un des Présidents est le Transcendant Satrape Raymond Queneau ». Et surtout, ce jour-là, le Séminaire de littérature expérimentale (SLE) devient l’Ouvroir de littérature potentielle (d’abord abrégé en OLiPo) sur une suggestion d’Albert-Marie Schmidt.

À la réunion suivante, le 13 janvier 1961, se joignent Latis, qui complète à 10 la liste définitive des membres fondateurs, et Ross Chambers, premier membre étranger. Sur une suggestion de Latis, l’OLipo devient OuLiPo. Le 17 avril 1961, se dégagent « deux définitions provisoirement péremptoires » de l’Oulipo et des OuLiPiens comme des « Rats qui ont à construire le labyrinthe dont ils se proposent de sortir » :
 

 

Le 5 juin 1961 on échange des considérations sur l’adjectif « oulipien » ; le 19 janvier 1962 le groupe rédige un « Hymne oulipien », le 7 mai 1962 des Statuts de l'OuLiPo et le 24 août 1962 un poème holorime à la gloire de l’Oulipo :

 

Au fil des comptes rendus on retrouve avec plaisir les inventions de contraintes qui ont ensuite donné lieu à tant de réussites : la méthode S + 7 est élaborée le 13 février 1961, illustrée par exemple en juillet 1964, et appliquée (avec en prime de très jolis dessins) par des élèves de 6e en 1975.
 
Mais les comptes rendus laissent également souvent apparaître l’esprit potache (par exemple le 31 octobre 1963) des réunions du groupe, comme lorsque Raymond Queneau se déclare déçu par la petite taille des menhirs ou que l’on s’offusque du fait que le « bas-bout » de la table « réquisitionne toutes les bouteilles de vin de Bordeaux » (5 juin 1961), lorsqu’on décerne des peines de mort pour rire (19 décembre 1961) ou encore lorsqu'on se préoccupe des défaillances (récurrentes) du magnétophone (7 mai 1962).

Les lettres et les petits bristols manuscrits souvent joints aux comptes rendus gardent également la trace des échanges plein d’humour entre les oulipiens, par exemple ce petit mot de Raymond Queneau à François Le Lionnais le 28 octobre 1966 :

 

 

ou cette lettre du 14 novembre 1966 dans laquelle Noël Arnaud s’exclame «cetipaboça ? ».

Les invitations aux reunions du groupe sont aussi l’occasion d’inventer des poèmes (21 juillet 1967) ; elles sont parfois agrémentées de dessins, comme l’ordre du jour de la réunion du 16 mai 1975, rédigé par Georges Perec, ou illustrées par une case de Claire Bretécher, comme la convocation à la réunion du 28 février 1975, envoyée par François Le Lionnais :
 


 

Elles sont également très vite complétées par d’astucieux coupons-réponse à découper qui donnent aussi lieu à des jeux divers, par exemple de Jacques Bens ou Luc Etienne ; les « oulipotes » leur inventent des variantes : « accompagnée » pour la première femme du groupe, Michèle Métail, « de deux personnes » pour Paul Fournel, « espère venir » pour Luc Etienne, malade, « ne viendra pas mais dînera, pourquoi donc s’obstiner à affamer les non-présents ! » pour Michèle Métail encore ; Jacques Queval s’inquiète du menu : « y aura-t-il des huîtres ? » ; tandis que certains y ajoutent des collages facétieux, comme Noël Arnaud en avril 1970 ou François Le Lionnais en février 1978, ou encore recourent comme Jacques Jouet à un autre support après avoir « trop salopé la découpe rituelle » !
 


 

Dans ces dossiers on retrouve aussi bien sûr les traces de tous les événements heureux ou malheureux de la vie du groupe : l’arrivée de nouveaux oulipiens, par exemple. En mars 1966, Jacques Roubaud propose Epsilon chez Gallimard et rencontre Raymond Queneau, qui reconnaît immédiatement en lui un futur oulipien. En novembre 1966, il est le premier membre coopté de l’Oulipo, et envoie le 27 novembre 1966 un petit mot de remerciement manuscrit :
 


 

Il entraine dans son sillage son ami Georges Perec en juin 1967. Italo Calvino et Harry Mathews sont élus comme membres étrangers le 14 février 1973 et le 28 octobre 1975 est cooptée la première oulipienne, Michèle Métail. En octobre 1983 Paul Fournel écrit pour les informer de leur entrée dans le groupe à François Caradec et à Jacques Jouet, qui le remercie de belle façon ; ils sont présents tous deux le 2 décembre 1983.

On signale aussi bien sûr les principales publications oulipiennes, par exemple les Cent mille milliards de poèmes le 26 juin 1961. La convocation à la réunion du 18 avril 1969 (datée du 1er avril 1969) est rédigée sans e (mais en trichant), pour rendre hommage à Georges Perec lors de la parution de La Disparition.
 


 

Plus tristement, les comptes rendus font bien sûr état des disparitions de ceux qui seront désormais « définitivement excusés » aux réunions : on annonce le décès d’Albert-Marie Schmidt le 8 février 1966 (réunion du 25 février 1966), qui a encore des échos dans Charlie Hebdo le 26 mai 1977, et la mort de Latis le 2 septembre 1973, puis de celles de Raymond Queneau le 25 octobre 1976 (réunion du 28 octobre), de Georges Perec le 3 mars 1982 (réunion du 12 mars), de François Le Lionnais le 13 mars 1984 (réunion du 30 mars) et de Luc Etienne le 27 novembre 1984 (lettre du 3 décembre).

Mais ces archives nous racontent aussi la vie quotidienne des oulipiens, à travers les cartes postales qu’ils envoient depuis leurs déplacements ou leurs villégiatures : Venise « hourloupoulipotalement » par Noël Arnaud et Raymond Queneau en 1964, « Pour le prochain Oulipo ce lieu abandonné », carte postale de Jacques Roubaud depuis « Old Capitol building » en 1970, ou encore « je dors. », cri du cœur de Raymond Queneau en vacances, sur une carte postale Vue nocturne du port de Saint-Tropez postée depuis Le Lavandou en mai 1964. Et l’on découvre au détour d’une convocation la raison (très littéraire) d’un accident de bicyclette de Paul Fournel, ou les traces de griffes de félins familiers : « mon chat s’est acharné sur cette page » écrit Georges Perec sur une note concernant les pangrammes.
 


 

Pour en savoir plus

- Le site de l'Ouvroir de littérature potentielle
- Le catalogue de l’exposition Oulipo. La littérature en jeu(x) en 2014
- L’inventaire du fonds Oulipo de la Bibliothèque de l'Arsenal
- Les vidéos (depuis 2007) des Jeudis de l’Oulipo, accueillis par la BnF depuis 2005 (une partie de ces vidéos sont aussi disponibles sur Gallica)
- Des bibliographies sur l'Oulipo. La littérature en jeu(x) (2015) et Georges Perec (2012)

Commentaires

Soumis par vassail michel le 15/03/2018

les oulipiens savent s'amuser des mots, il y a sûrement dans ces milliards d'occasions quelque chose de passionnant comme s'extraire gaiement du formalisme nécessaire, il semble qu'il n'y ait pas d'autre fin à l'atelier mais je me trompe bien sûr.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.