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Moresnet Neutre et autres curiosités cartographiques

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Il y a deux siècles apparaissait un territoire neutre au cœur de l’Europe : Moresnet Neutre. Il vécut un siècle avant de disparaître. Les cartes abondent de cas insolites de ce genre.

Annales des sciences politiques, 16ème année, 1901, p. 627
Cette carte montre la situation postérieure à l’indépendance de la Belgique en 1830/1839.

Suite au congrès de Vienne tenu en 1815, les royaumes des Pays-Bas et de Prusse définissent leur frontière par le traité de limites du 26 juin 1816. Ils ne peuvent se mettre d’accord sur l’attribution à l’un ou l’autre de la riche mine de zinc et de plomb située à Moresnet. Le territoire disputé de 350 hectares n’appartient à aucun des deux pays : c’est un territoire neutre, appelé Moresnet Neutre. L’indépendance de la Belgique en 1830 ne remet pas en cause cet accord. Cette neutralité est violée par l’Allemagne qui occupe le territoire en août 1914 et l’annexe en 1915. La Belgique l’occupe en novembre 1918 avant de se le voir attribuer par le traité de Versailles en juin 1919. Ainsi prend fin Moresnet Neutre. L’Histoire abonde en territoires méconnus aux statuts insolites : zone franche, zone grise, proto-Etat, no man’s land, enclave, condominium

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Isle (sic) de la Conférence et de (sic) ses environs, 17ème siècle
L’île des Faisans ou de la Conférence est un condominium franco-espagnol. Elle est située au milieu de la Bidassoa, rivière marquant la frontière entre la France et l’Espagne. Y eurent lieu plusieurs événements diplomatiques majeurs : libération de François Ier (1526), mariages de Louis XIII (1615) et de Louis XIV (1659), négociations de la paix des Pyrénées (1659). Depuis le traité de Bayonne (1856), l’île change de souveraineté chaque semestre : elle est alternativement française et espagnole.

La particularité du régime de Moresnet a attiré ambitieux et farfelus. En témoigne la proposition, formulée en 1908, de faire de l’espéranto la langue officielle de Moresnet. Au XVIIIème siècle, le duc du Maine profite du caractère souverain de sa principauté de Dombes pour échapper à la censure et soutenir les Jésuites qui publient à Trévoux le Journal de Trévoux et le Dictionnaire de Trévoux. La différence de régime douanier et fiscal encourage la contrebande : alcool à Moresnet, orfèvrerie dans la principauté de Dombes, tabac dans la principauté d’Andorre… Pour renflouer leurs caisses, des princes recourent à des pratiques aussi indélicates que la fausse monnaie émise par les principautés de Sedan, Arches et Château-Regnault, aux dépens de la France. Nombre de paradis fiscaux sont des territoires à statut particulier : les îles Anglo-Normandes sont le dernier fragment du duché de Normandie encore en possession de la reine d’Angleterre ; Monaco est entièrement enserrée dans les Alpes-Maritimes. Ces "paradis" se comptent par dizaines : territoires britanniques d’outre-mer (Bermudes, îles Caïmans), royaumes du Commonwealth (Antigua, Bahamas), île divisée (Chypre), district des Terres australes et antarctiques françaises (îles Kerguelen)…

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Carte militaire de la Province du Roussillon, 1758
L’enclave espagnole de Llivia remonte au traité des Pyrénées (1659). La Cerdagne est divisée entre France et Espagne, mais la ville de Llivia reste à l’Espagne tandis que les villages avoisinants sont cédés à la France. L’enclave fut un centre actif de contrebande.

Des zones contestées offrent l’opportunité de se créer son propre Etat. Pendant deux siècles, le contesté franco-brésilien envenime les relations de la France avec le Portugal puis le Brésil. En effet, le traité d’Utrecht fixe en 1713 les limites de la Guyane française sur des cours d’eau, mais les deux puissances ne s’accordent pas sur l’identité de ces rivières, d’où une zone contestée de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. Un petit groupe de Français décide en 1886 d'y proclamer une République de Counani ou de Guyane indépendante, dotée d’un président à vie, Gros Ier. Elle émet des timbres, ainsi que des actions pour des mines d’or bien hypothétiques. L’aventure échoue et le Brésil annexe le territoire suite à un arbitrage en 1900. Cela n’empêchera pas un autre Français de proclamer en 1904 un État libre de Counani tout aussi peu viable.

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Carte générale de la Guyane représentant les prétentions des deux parties et dressée principalement d’après les cartes annexées aux documents français et brésiliens, 1900

Un cas particulièrement étrange est celui du territoire dont personne ne veut : Bir Tawil. En effet, quand Égypte et Soudan déterminent leur frontière en 1899 et 1902, les deux pays fixent deux tracés différents délimitant deux territoires contestés : Bir Tawil et le triangle d’Halaïb. Celui qui possédera le premier n’aura pas le second. Or la région côtière d’Halaïb est infiniment plus intéressante que la portion de désert de Bir Tawil. Donc personne ne veut de Bir Tawil : c’est une terra nullius.

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Carte de l’Atlantide : d’après Platon et Diodore, Paris ?, 1775

Tous ces conflits frontaliers ne doivent pas pour autant empêcher de rêver, de parcourir le Rivage des Syrtes, de partir à la recherche de l’Île au Trésor ou de l’Île mystérieuse, et pourquoi pas de la presqu’île de la Perfection, de l’empire du Cœur, de la Lune de miel et même du Paradis ? À vos cartes !

Luc Menapace, département Sciences et Techniques

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