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Adolphe D’Ennery (1811-1899)

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Adolphe D’Ennery est un paradoxe : ce très prolifique dramaturge reste essentiellement présent dans la mémoire collective comme romancier, populaire grâce à son adaptation en prose d’un de ses plus grands succès, Les Deux Orphelines, qui connut également de nombreuses transpositions audiovisuelles.

Quartier du Faubourg du Temple, Paris, 17 juin 1811 : un enfant naturel, Adolphe Philippe, vient au monde. Il ne sera reconnu et légitimé par ses parents que l’année suivante, lors de leur mariage. Issu d’une famille de condition modeste, le petit Adolphe connait une jeunesse sans histoire, au sein d’une fratrie de cinq. Il commence sa vie professionnelle comme clerc de notaire, mais très vite bifurque, devenant d’abord peintre, puis journaliste, et enfin dramaturge. Il rencontre assez tôt le succès, donc la fortune. Dès le début, le jeune Adolphe Philippe prend comme nom de plume celui de sa mère, Dennery. Sous Napoléon III, il obtient par décret impérial de se donner une apparence aristocratique, en écrivant son nom avec une particule, D’Ennery. De santé chancelante il s’installe une partie de l’année sur la côte normande. Il sera d’ailleurs maire de la station balnéaire de Cabourg de 1855 à 1864. Il ne se mariera qu’en 1881, après trente ans de vie commune. Il meurt à Paris le 25 janvier 1899.

Ses premières œuvres datent des années 1830. Adolphe D’Ennery ne s’arrêtera plus : on lui prête entre deux cents et deux cent cinquante œuvres dramatiques. Il fait même parfois des mises en scène, comme en 1851 celle de Mercadet ou Le Faiseur, comédie posthume et alors inédite de Balzac, tout en la réduisant de cinq à trois actes. C’est un auteur qui connait l’art de la construction dramatique et sait placer les scènes au meilleur moment pour en tirer un effet maximal, jouant beaucoup sur les émotions fortes, voire les tableaux larmoyants. Très critiqué pour son style, il ne s’en émeut guère : « D'Ennery, cela de parti pris, ne s'est jamais préoccupé de la forme littéraire. Il parle avant tout la langue hachée du théâtre. Nul ne sait mieux que lui amener une scène émouvante et en tirer tous les effets qu'elle comporte. » explique un critique du temps.
 

Il écrit généralement en collaboration : Anicet Bourgeois, Eugène Cormon, Charles Desnoyers, ou encore Jules Verne. Dans son œuvre prédomine le mélodrame, sa marque de fabrique. Mais il s’attaque à tous les genres : drames (Marie-Jeanne ou la femme du peuple, 1845), opéras comiques (La Rose de Péronne, 1840, musique d’Adolphe Adam en 1840), vaudevilles (Paillasse avec Marc Fournier), ou comédies. Il n’hésite pas non plus à traiter de l’actualité et des faits-divers (La Dame de Saint-Tropez en 1844 ou Le Tremblement de terre de la Martinique en 1840-1841). Il crée également des livrets d’opéras pour les grands compositeurs du temps : Charles Gounod (Le Tribut de Zamora, 1881), Jules Massenet (Le Cid, 1885) ou Daniel Aubert (Le Premier jour de bonheur, 1868).
 

Il adapte également de nombreuses œuvres déjà connues au théâtre de boulevard : Le Roman comique d’après Scarron (1885), Le Marquis de Carabas et la princesse Fanfreluche d’après Perrault (1849). Souvent peu de temps après la sortie du titre original, de façon à surfer sur le succès : Le Juif errant d’Eugène Sue (1844 pour l’original, 1845 pour l’adaptation), Les 7 péchés capitaux (encore un roman d’Eugène Sue paru en 1847, texte de D’Ennery en 1850), La Case de l’Oncle Tom (la traduction de Beecher-Stowe date de 1852, la pièce de D’Ennery de 1854) ou bien Don César de Bazan (d’après Ruy Blas, 1845) ou encore Faust (1858). Ses plus grands succès (en dehors des Deux orphelines), c’est à Jules Verne qu’il les doit. Ils vont tous deux transformer Le Tour du Monde en 80 jours en un somptueux spectacle, des décors grandioses accompagnant une pléthore d’acteurs ; il y a même un éléphant sur scène, ce qui animera longtemps les échos dans les journaux. Ce spectacle de 1874 est un triomphe qui sera joué sans interruption pendant plus d’un an. Mallarmé en fait la critique dans la Dernière Mode : « le Voyage autour du monde, cette féerie, ce drame, cet atlas vivant de géographie, joint à tout le reste les noms populaires de Dennery et du très curieux Jules Verne ». Les deux auteurs récidiveront avec le même succès : Les Enfants de Capitaine Grant (1875), Michel Strogoff (1878), ou Voyage à travers l’impossible (synthèse féérique de plusieurs textes de Verne, 1882).

La même année est jouée pour la première fois au Théâtre de la Porte Saint Martin sa pièce la plus célèbre, les Deux Orphelines. Ce drame en cinq actes et huit tableaux, écrit en collaboration avec Eugène Cormon, connait une réussite sans précédent à Paris, avant de tourner plusieurs années en province. Un célèbre critique du temps, Jules Lemaître, en parle comme d’un « chef d’œuvre du mélodrame », même si la suite est moins dithyrambique : « L’humanité qui s’y agite est extraordinairement simplifiée, comme il sied dans un drame dont la Fatalité, — ou la Providence, — est le premier personnage, invisible et toujours présent. Les bons y sont bons et les méchants y sont méchants avec une imperturbable uniformité et une merveilleuse plénitude. Et, de même, les changements d’âme s’y font tout d’un bloc, comme au coup de sifflet d’un machiniste ». Quant au satiriste Touchatout il est beaucoup plus cinglant : « Il est impossible d’enchevêtrer pendant cinq heures avec plus de clarté les lieux communs du mélodrame ».

En 1887, D’Ennery adapte lui-même sa pièce à la forme romanesque, et publie le roman chez l’éditeur Rouff. C’est un succès colossal, qui redouble celui du mélodrame. Il va connaitre treize rééditions (la dernière datant de 1979), et marquer le roman populaire de son empreinte. Comme toujours dans le roman-feuilleton, l’intrigue est embrouillée et complexifiée à loisir. L’histoire se passe à la fin du règne de Louis XV. Débarquent à Paris deux orphelines qui se croient sœurs, Henriette et sa cadette Louise, qui est aveugle. Dès la sortie de la calèche, Henriette est enlevée par un noble pervers, laissant Louise seule sur le pavé. Et on y trouve bien le style pathétique et grandiloquent du genre :

Seule !... seule ! .. et aveugle !
Elle ne pouvait croire à cet horrible malheur ! […]
Elle appela, en se tordant les bras de désespoir…
Et sa sœur ne répondait pas ! …
Alors l’affolement arriva, désespéré, terrible …
La malheureuse aveugle avançait tendant les mains pour chercher un point d’appui…
Et ses mains ne rencontraient que le vide ! ....

La suite fait connaitre au lecteur une famille de criminels violents, une femme ayant abandonné jadis son bébé et emplie de culpabilité, la rédemption d’une ancienne voleuse qui trouve l’amour en Louisiane, une évasion de la Bastille, des histoires d’amours contrariées, la lutte d’un des protagonistes aux cotés de La Fayette et Washington, le tout se terminant en happy end. Ce roman coche toutes les cases de la littérature populaire du temps : long et emberlificoté, dans un style mélodramatique qui assurait alors le succès (c’est le « roman de la victime »), utilisant les procédés du roman populaire (secret des origines, quête d’identité, expiation et réhabilitation), faisant aussi une peinture des bas-fonds à la Eugène Sue, sans oublier le récit maritime et d’aventures en Amérique. Le style est à l’avenant : nombreux fils narratifs enchevêtrés, retours en arrière, montage parallèle et rôle primordial des coïncidences relançant sans cesse l’action.

 
Le roman donnera également lieu à de très nombreuses adaptations cinématographiques, dont les plus célèbres sont celles de l’américain D. W. Griffith en 1920 (avec Dorothy et Lilian Gish), Maurice Tourneur (1933), l’italien Ricardo Freda (1965) ou la greffe de Jean Rollin à un autre univers (Les Deux orphelines vampires, 1997). C’est un roman qui a marqué l’imaginaire populaire, en France et à l’étranger.

 

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