~estioles portant la becquée à leurs petits. Des vignes s'étayaient à flanc de côteau) dont les terres croulantes étaient soutenues par des murots de pierres sèches, Il faisait bon y cueillir des escargots, par les jours de pluie. Tout ça sentait bon la Lorraine.
Une immense douceur çnvaliissait le vieux brisquard à la vue du pays. C'était comme une joie dc vivre, dont la caresse insinuante coulait par tous ses membres, délassait ses muscles, allégeait son corps. Il la respirait, cette joie, avec l'odeur forte des sainfoins et des colzas en fleurs, ondulant de chaque côté de la route. Et il lui prenait des envies folles de gambader, comme un poulain I~,hé dans les prés, de courir devant lui, jusqu'au moment où la fléche du clocher pointerait au fond du val.
Une ferme était posée, à deux pas, au milieu des champs une masure dont le toit de tuile glissait, touchait presque le sol. Une femmc en sortit, et elle se mit à appeler ses poules, leur jetant des poignées d'avoine qu'elle prenait dans son tablier « Petits, cocottes, petits, cocottes J, Les volailles picorant se pressaient i ses pieds dans un tournoiement d'ailes battantes. Alors Jean Gérard chancela) il crut entendre sa mère qui avait, elle aussi, ce long chantonnement de la voix, pour rassembler ses poulets. Et son coeur se gonfla de choses inexprimables. IJ"dut s'asseoir, les jambes coupées par l'émotion,
Comme un affamé regarde un pain, il regardait les champs, goulutnent, s'emplissant les yeux. Les blés de mai déjà grands, étaient parcourus d'un frissonnement de chose vivante sous le vent. Les luzernes tressaillaient sur le ventre nu de la terre. Des détails insignifiants pour d'autres yeux, un buisson de prunelles au creux d'un chemin, une charrue abandonnée dans les versaines, un pré enclavé de a lnndres » de bois sec, lui rappelant le temps où il chassait les chevaux devant la charrue, faisaient sourdre en lui une émotion -abondante, Le ciel même ne ressemblait pas au ciel des autres pays. Posé sur les terres comme un cristal vibrant, effleuré de grands souffles, il rayonnait d'un éclat humide à travers les branches des ormes, "embuées d'une brume de bourgeons. Dans la compagnie, on devait s'apercevoir de quelque chose. Des farceurs dévisacreaient Jean Gérard, un Bourguignon trapu et noueux comme un cep l'interpella
Hé, pays, on va têter une fameuse goutte.
Un autre clignait des yeux, et finaud, humait dans le vent une odeur im:tginaire
Dis donc, v'là ta mère qui met la soupe au g crn~uail. J Toute la compagnie s'esclaffa, secouée d'un gros rire, Jean Gérard ne répondait pas, restait tout ro-Iveur, le regard perdu dans le lointain.
Dans une prairie en contre-bas, un ruisseau coulait, rapide, tournoyant, glissant sur des lits d'herbes brillantes. La nappe verte, frétillant au soleil, s'en allait devant lui, semblant lui montrer le chemin. Il coulait li-bis, dans les prés parsemés de saules difformes. Jean Gérard y avait fait de bonnes parties, étant enfant, quand il pêchait des mouloiles, avec une charpagne d'osier qu'il promenait au creux des fosses.