Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1879-02-04
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 04 février 1879 04 février 1879
Description : 1879/02/04 (A9,N2603). 1879/02/04 (A9,N2603).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75626496
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 05/08/2013
Neuvième Aiiiiée. - N. 2603. Prix du Numéro à Paris : 15 Ceiitinies. - Départemeiits : 20 Centimes.. Mardi 4 Février 1879
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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finisseurs d'annonces : MM. LAGRANGE, CERF et C.
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Les Abonnements partent des 1" et 15 de chaque mois
Régisseurs d'annonces : MM. LAGRANGE, CERF et (Ie
6, Place de la Bourse, 6
Élections partielles du 2 Février
RÉSULTATS CONNUS A 3 HEURES DU MATIN
ALPES-MARITIMES
Arrondissement de Puget-Théniers.
BÉCIPON. R. 0.000ÉLU
DÔRDOGNE
Arrondissement de Ribérac. (
(36 communes sur 85)
ACHILTE SIMON. R. 4.049
DE FOURTOU (invalidé) B. 3.692
GERS -
Arrondissement de Condom.
(76 communes sur 87)
PAUL DE CASSAGNAC(invalidé). B. 8.499
Docteur LANNELONGUE. R. 7.860
NIÈVRE -
Arrondissement de Cosne.
(36 communes sur 65).
TH. FLEURY. R. 6.965
DE B0URG01NG (invalidé). B. 682
"Voix perdues. 877
DEUX-SÈVRES
Arrondissement de Bressuire
(46 communes)
CAMILLE JOUFFRAULT. R. 5.78i
DE LA R0CHEJACQUELE1N (Inv.)M. 5.123
HAUTES-PYRÉNÉES
28 circonscription de Tarbes
L'élection de M. DESBONS, républicain, pa-
raît certaine.
MEUSE
Arrondissement de Montmédy
ROYER R. 10.329 ÉLU
HAUTE-LOIRE
Arrondissement æ YssingMux
(37 communes sur 43)
MALARTRE (invalidé) M. 5.578
BINACHON. R. 3.848
DE LAGREVOL. R. 2.408
(Ballottage certain)
TARN
(Résultat partiel).
REILLE (invaudé) M 4.581
BARBET. R 3.776
BULLETIN
Paris, 3 Février i879.
La presse de Berlin et celle de Vienne
font un excellent accueil au nouveau pré-
sident de la République française. « On
pense généralement, dit la Gazette natio-
nale de Berlin, que les relations de l'Al-
lemagne et de la France ne seront nul-
lement troublées par le changement sur-
venu en France. Le renouvellement des
lettres de créance n'est qu'une simple for-
malité. Ce qui peut le mieux faire espérer
un avenir pacifique, c'est la consolidation
de la République. »
Le Nord constate que les parties con-
nues Jusqu'ici du statut organique éla-
boré par la commission internationale
pour la Roumélie orientale témoignent
d'une réelle bonne volonté et d'un sin-
cère désir d'assurer la sécurité et le bien-
être du peuple auquel il doit s'appliquer.
Certaines dispositions en sont libérales,
plus libérales peut-être même, au sens
de la doctrine occidentale, sinon au sens
des particularités nationales de la Bulga-
rie, que le statut élaboré pour la princi-
pauté bulgare elle-même. Mais il aura
aux yeux des populations intéressées un
vice rédhibitoire : c'est, entre autres cho-
ses, la faculté à peu près arbitraire laissée
au gouverneur nommé par la Porte d'ap-
peler les troupes turques, faculté que la
commission n'entoure même pas des res-
trictions, morales tout au moins, sinon
pratiquement bien efficaces, qui avaient
été stipulées par le traité de Berlin. Il n'y
a donc guère lieu de s'étonner que l'œuvre
de la commission provoque chez les habi-
tants plus de défiance que de sympa-
thie.
Les hostilités ont, dit-on, commencé
dans l'Afrique méridionale entre les An-
glais et les Zoulous. La véritable cause de
cette guerre semble être le désir des colons
anglais d'accroître leur territoire aux dé-
pens de leurs voisins. Le gouvernement
de la colonie paraît, d'ailleurs, avoir pris
à cœur de rendre la guerre inévitable en
formulant des réclamations exagérées et
en cherchant à intervenir dans les affaires
intérieures des Zoulous. Il demande à Cet-
tiwayo de réformer l'administration de ses
Etats. Il exige du roi cafre qu'il licencie
son armée, qu'il abroge certaines lois res-
trictives du mariage, qu'il reçoive sur son
territoire un résident anglais et des mis-
sionnaires anglicans, que les Zoulous ont
toujours considérés, à tort ou à raison,
comme des espions déguisés. Dans ces
conditions, il n'était pas permis d'espérer
qu'un accord pût intervenir entre Cet-
tiwayo et le gouvernement colonial.
E. BARBIER.
L'agence Bavas publie la note suivante :
Malgré toutes les Instances faites par M. le
président de la République auprès de M. Du-
faure, l'honorable présldént du conseil ne s'est
pas décidé à conserver ses hautes fonctions.
M. le président de la République a chargé
M. Waddington, ministre des affaires étrangè-
res, de constituer un nouveau cabinet.
Un bien petit sujet a mis les bonapar-
tistes en grande colère. Par un décret du
président de la République (en date du
25 janvier, c'est un des derniers qu'ait
signés M. le maréchal de Mac-Mahon), la
rue de Morny est débaptisée et s'appel-
lera désormais rue Pierre-Charron. Il
paraît que cela fait du bruit dans Chisle-
hurst. Nous ne l'aurions pas cru, tant la
chose, à nos yeux, est simple et natu-
relle. Mais le bonapartisme est aujour-
d'hui dans un tel état de faiblesse qu'il
n'en faut pas davantage pour le cons-
terner.
Nous dirons donc deux mots de ce dé-
cret , puisqu'aussi bien la journée poli-
tique était assez vide hier dimanche, et
qu'à l'heure où nous écrivons nous ne
connaissons pas encore les résultats de
la douzaine d'élections qui ont eu lieu.
Nous l'approuvons fort, ce décret; il est
tout à fait raisonnable. Sans être grands
débaptiseurs de rues, nous regrettons
même que celle-ci n'ait pas été débap-
tisée plus tôt. Puisqu'il est convenu qu'on
fait honneur à d'illustres défunts en ins-
crivant leurs noms sur de petites plaques
bleues à l'angle de nos voies publiques,
il est évident qu'on ne pouvait supporter
sans chagrin qu'un honneur quelconque
fût rendu au nom du public à la mémoire
de M. de Morny. M. le duc de Morny fut
en politique un aventurier de haut vol;
gaîment et froidement, au 2 décembre, il
attaqua la loi, comme un bandit at-
taque la malle-poste. L'empire l'éleva,
l'enrichit, tandis que, sans le coup d'E-
tat, il serait resté confondu dans la foule
des besoigneux avides. Et nous lui de-
vrions des hommages posthumes? C'est
déjà trop qu'il n'ait rien expié !
Le décret qui change le nom de la rue de
Morny est donc un acte de moralité pu-
blique, et Paris félicitera M. le préfet de
la Seine d'avoir ainsi inauguré son admi-
nistration. Il y a plus de six ans, en effet,
que le conseil municipal de Paris récla-
mait en vain cette purification d'une de
nos rues. Naguère encore M. Ferdinand
Duval protestait, en se récriant, que le
maréchal n'y donnerait jamais son con-
sentement. Le maréchal pourtant a signé
le décret sans objection. Quant au nou-
veau nom proposé par M. Hérold, c'est
celui même qu'un vœu du conseil munici-
pal indiquait dès 1872. La ci-devant rue
de Morny est voisine de la rue
Montaigne ; c'est pourquoi l'on a pensé
à l'appeler du nom de Pierre Charron,
ami de Montaigne, et, d'ailleur, enfant
de Paris. Charron, qui mourut voici
bientôt trois cents ans et qui s'illustra
par un beau livre de philosophie morale,
n'est plus guère connu, à la vérité, que
du public lettré qui le lit encore et l'ad-
mire. En 1872, lorsque son nom fut pro-
noncé dans le conseil municipal, un ho-
norable carrossier bonapartiste, témoi-
gnant quelque inquiétude, demanda qui
c'était. — « Rassurez-vous, lui répondit
M. Hérold, alors simple conseiller, ce
charron-là ne vous fera pas concurren-
ce. » Et le conseil de rire. Je ne sais si
M. Binder s'est avisé depuis d'ouvrir le
Traité de la Sagesse. Je crains que non.
Le Traité de la Sagesse abonde pourtant
en belles pages, simples et fortes. Cet
ouvrage est, en vérité, d'une autre haleine
que Monsieur Choufleury. Nous devons
confesser que le pape le mit à l'index,
parce que la philosophie de l'auteur ne
répondait point à renseignement de l'E-
glise. Mais qui de vous n'aimerait mieux
être damné avec Charron que sauvé avec
M. de Morny ?
Eue. LIÉBERT.
Voici le texte du décret qui change le
nom de la rue de Morny :
Le président de la République française,
Sur la proposition du ministre de l'inté-
rieur ;
Vu l'ordonnance du 10 juillet 1816, et la de-
mande du préfet de la Seine ;
Décrète :
Art. 1er. — La rue précédemment dénom-
mée rue de Morny, à Paris, prendra à l'avenir
le nom de rue Pierre-Charron.
Art. 2. — Le ministre de l'intérieur est char-
gé de l'exécution du présent décret.
Fait à Versailles, le 25 janvier 1879.
Signé : Maréchal de MAC MAHON.
----
Un jour de congé
Aujourd'hui lundi nos collégiens sont
en liesse. C'est la République qui leur fait
ce loisir. M. le ministre de l'instruction
publique a eu la bonne pensée de célé-
brer l'heureux avènement de M. Jules
Grévy par un jour de congé accordé à la
jeunesse. La jeunesse l'en remercie et les
mamans lui seront reconnaissantes. De-
main mardi tout ce petit monde se remet-
tra bravement au travail.
Nous ne demandons pas à nos collé-
giens de se mettre à faire de la politique
et de manifester pour la République. Ils
ont pour l'instant autre chose à faire que
d'examiner les diverses formes de gou-
vernement ou de se prononcer pour le
choix d'un ministère. Leur rôle,c'est pré-
sentement de s'instruire, et sans médire
des journaux — nous avons pour cela de
bonnes raisons — nous ne tenons pas à
ce qu'ils les cachent dans leurs pupitres
p lire à la dérobée. Quand, au sor-
tir du collège, ils auront passé par la
discipline du régiment, quand leur vingt
et un ans auront fait d'eux des électeurs
et des citoyens, ce sera alors leur devoir
de se mêler des affaires publiques, et de
prendre une petite part, aussi intelli-
gemment que possible, du gouvernement
du pays par le pays. Qu'ils nous laissent
ce soin jusque-là : leur tour viendra bien
assez tôt. Nous ferons notre possible
pour leur livrer une France paisible et
prospère et leur épargner des épreuves
que nous avons subies et dont nous leur
souhaitons de ne pas connaître l'amer-
tume. En attendant, il nous plaît que le
jour où la patrie est enfin joyeuse, ils
aient leur part de cette joie, et que cette
date du 30 janvier, dont ils comprendront
plus tard toute l'importance, reste gravée
dans leurs esprits.
Pour vous, nos jeunes amis, aimez bien
la France, c'est tout ce que nous vous
demandons à cette heure. Si vous l'aimez,
tous les devoirs vous seront aisés dans la
vie, et vous ne serez pas embarrassés un
jour au milieu des compétitions des par-
tis ou des hommes, pour savoir de quel
côté seront ses véritables amis. Aimez et
étudiez sa belle langue, la plus belle
qui* ait été parlée depuis celle des Athé-
niens, cette langue française si nette,
si précise, si vive et si claire, qui
enseigne si bien à penser juste, qui dé-
masque si vite une erreur ou un sophisme,
qui a l'horreur de la déclamation et de
l'excès, cette langue qui a fait lentement
le génie de notre race, que l'on a tant de
fois essayé de gâter sans y jamais réussir,
et qui demeure par excellence la langue
de la science et du bon goût, c'est-à-dire
du bon sens. Etudiez aussi l'histoire de
notre France, car vous ne l'étudierez pas
sans l'aimer, sans comprendre que nulle
autre patrie n'est plus grande ni plus no-
ble que celle-ci. HéJas 1 vos pères ont fait
bien des folies et connu bien des dou-
leurs tragiques; mais il s'est toujours
trouvé en eux un admirable ressort pour
remonter de l'abîme au moment où ils
semblaient en avoir touché le fond, et
toujours aussi leurs folies ont été géné-
reuses. Depuis le temps où ils disaient :
« la France est le soldat de Dieu», j us-
qu'à celui où nous disons : « la France est
le soldat du droit», c'est la même âme
qui s'est transmise de génération en
génération, la même âme fière et vail-
lante. Ce n'est pas à elle seulement, c'est
au monde entier que la France a pensé.
Elle ne s'est point enfermée dans un souci
d'égoïste bien-être ; elle a travaillé pour
l'humanité.
Soyons plus sages que nos pères ne
l'ont souvent été; respectons la liberté
des autres peuples comme nous leur de-
mandons de respecter la nôtre; gardons-
nous des témérités même généreuses ;
mais n'abdiquons point Je noble idéal qui
nous a été légué avec le sol que nous culti-
vons et le sang qui coule dans nos veines.
Nous avons notre intelligence, notre ac-
tivité, l'industrie et le commerce ; l'art,
la littérature, la science : qu'avons-
nous besoin d'un autre objet à no-
tre ambition ? Ces forces ne nous suf-
fisent-elles pas, si nous savons en faire
usage, pour que l'univers soit obligé d'ê-
tre notre tributaire et de s'incliner devant
notre génie national? Répandons partout
la lumière ; convertissons partout les es-
prits aux saintes idées de liberté et de jus-
tice et par l'éloquence de la raison et par
l'exemple de la paix. Nous aurons fait la
France du XXc siècle plus giorieuse qu'elle
ne le fut jamais; nous aurons été les di-
goes fils des croisés du XIIIe siècle, des li-
bres Français du XVIe, des philosophes du
XVHlo
Aimez bien cette France, mes petits
amis; ce qu'elle a fait dans le monde,
nulle autre qu'elle n'y a songé, nulle au-
tre n'était capable de l'accomplir. Le
monde serait cruellement mutilé si, par
la faute de ses derniers enfants, elle ve-
nait à être rayée de la liste des nations.
Une telle patrie vaut vraiment que l'on
vive pour elle et que pour elle on sache
au besoin mourir.
CHARLES BIGOT.
-————
LE MIRACLE'DE LA SALETTE
Savez-vous ce qui m'a le plus étonné
dans cette incroyable histoire d'un pape
revenant sur un vieux miracle et décla-
rant que c'est une mystification?
Ce n'est pas du tout la violence que le
souverain-pontife s'est du faire à lui-mê-
me pour rompre d'une façon aussi écla-
tante et, dans une circonstance aussi dé-
licate, avec tous les conseils d'une sage
politique. Non, j'ai envisagé tout de suite
la question par un autre côté.
-Ah çàl mais, me suis-je écrié, ils y
croyaient donc !
Eh bien, là, vrai, je ne m'imaginais pas
qu'ils y crussent. Je parle, bien entendu,
des chefs du parti. Qu'il se trouvât dans
le clergé quelques fanatiques imbéciles,
qui admissent comme véritables les
ineptes visions du berger Maximin et de
sa commère Mélanie, qui adorassent la
Sainte-Vierge dans. ses manifestations
miraculeuses, qui eussent foi dans la
vertu des eaux de la Salette, je le com-
prenais encore. Les sots, qui sont depuis
Adam, sur cette terre, en majorité, se
fourrent partout, même dans les baraques
de charlatans.
Mais que des prêtres, élevés, par leur
éducation supérieure et par leurs fonc-
tions, au-dessus des préjugés du vulgai-
re, eussent jamais pu donner dans ces
invraisemblables bourdes, non, j'avoue
qu'il m'était impossible de le compren-
dre. J'appliquais à ces messieurs les
beaux vers de Racine :
Ami, peux-tu penser que d'un zèle frivole
Je ma laisse aveugler pour une vaine idole,
Pour un fragile bois que, malgré mon secours,
Les vers sur son autel consument tous les jours?
Né ministre du Dieu qu'en ce temple on adore,
Peut être que Mathan le servirait encore
Si l'amour des grandeurs, la soif de commander,
Avec son joug étroit pouvaient s'accommoder. -
Je comparais nos évêques aux augu-
res de la vieille Rome qui se regardaient
sans rire. *
J'avais tort. Ils sont infiniment moins
spirituels que je ne les avais jugés. Je
m'étais dit bonnement qu'ils exploitaient
la crédulité du bon et naïf populaire,
qu'ils lui recommandaient l'efficacité cu-
rative des eaux de la Salette, mais qu'ils
se gardaient bien d'en boire pour leurs
maladies, que c'étaient, pour me servir
du mot propre, de jolis farceurs.
Avouez, entre nous, que j'avais quel-
que raison de penser ainsi. Mettons-nous
pour un instant au point de vue de ceux j
qui admettent dans les affaires de ce
monde l'intervention du surnaturel, ja-
mais il n'y eut mfracle dont la fausseté *
fut plus clairement démontrée, plus évi-
dente, que celui de la Salette, si ce n'est
peut-être celui de Lourdes.
Cette histoire, qui est bête comme une
oie, a été portée devant les tribunaux,
discutée en ses moindres détails, et le
dernier mot en a été dit par eux. A Gre-
noble même, où elle s'est passée, où
les acteurs en sont connus, on n'au-
rait peut être pas trouvé deux personnes
qui s'y fussent laissé prendre. Tout le
monde savait comment tout ce miracle
avait été arrangé et machiné. Major a
longinquo reverentia, dit Tacite.
Comment supposer que des prélats in-
telligents et instruits, que de fins politi-
ques comme les monsignors italiens eus-
sent (pardon du mot 1), eussent gobé pour
eux-mêmes cette énorme absurdité de la
Sainte-Vierge se dérangeant du ciel pour
annoncer à un petit niais que les pom-
mes de terre étaient malades 1 Je ne leur
aurais jamais fait cette injure.
Il paraît que je me trompais.
Ce brave Pie IX était sincère : sincère
il était dans sa croyance comme il l'a-
vait été dans ses doutes. Car on prétend
qu'il en avait eu longtemps. On lui prêta:
même ce mot : « J'ai rarement vu bêtise
aussi montrueuse que celle du miracle de
la Salette. » Il faut croire qu'il s'était
ravisé; il avait sans doute été illuminé de
clartés surnaturelles, et il avait donné son
visa pontifical à la miraculeuse appari-
tion; il avait octroyé à Dieu permission
de faire miracle en ce lieu.
J'aurais bien voulu savoir ce qu'en
pensait le cardinal Antonelli, qui ne pas-
sait point, lui, pour être un homme à pré-
jugés I Il laissa faire, et pour des raisous
que l'on devine aisément. Il n'y a pas be-
soin,. pour les comprendre, d'être un po-
litique très malin.
L'indignation du nouveau pape, qui,
s'étant aperçu que l'apparition n'a pas
eu lieu, proscrit le culte de la Salette, té-
moigne d'une naïveté que nous n'eussions
jamais soupçonnée chez un souverain ita-
lien, en l'an de grâce 1879.
S'il prend la peine de déclarer faux,
à la face de toute la chrétienté; le mira-
cle de la Salette, c'est qu'il l'a cru vrai
un instant. Eh bien 1 cette dernière hypo-
thèse est si extraordinaire qu'elle me
semble un miracle bien plus étonnant
que n'aurait été celui de la Salette, s'il
avait eu lieu.
Il m'a été donné plus d'une fois de
contempler le visage d'hommes qui par-
laient avec respect du miracle de la Sa-
lette ; je suis encore à chercher les yeux
de celui qui, au fond du cœur y a ajouté
foi. J'excepte, bien entendu, les classes
dévotes, entichées du Sacré-Cœur. Je ne
veux parler que des créatures raisonna-
bles, sans en excepter maître des Houx
et son désabonné. Les idiots ne comptent
pas.
Je confesse que cette déclaration, fort
inattendue, du nouveau pape, me jette
dans un abîme d'étonnements et de per-
plexités.
S'il anathématise le miracle de la Sa-
lette, c'est apparemment qu'il croit à ce-
lui de Lourdes !
Tout cela est bien étrange 1
Ces gens-là n'ont pas le crâne fait
comme nous.
FRANCISQUI SÀROEY.
Feuilleton du XIX SIÈCLE
Du 4 février 1879.
CAUSERIE
DRAMATIQUE
SEeOND THÉATRE FRANÇAIS : Samuel Brohl,
comédie en cinq actes par MM. V. Cherbuliez
et Meilhac. — THÉÂTRE DU LOPÉRA.-COMI-
QUE : Roméo et Juliette, de M. Gounod (re-
prise). — THÉÂTRE-HISTORIQUE : la Tour de
Londres, drame en cinq actes (reprise). -
Petits théâtres et concerts.
En sortant de l'Odéon, où l'on nous a
donné vendredi le Samuel Brohl de MM.
Cherbuliez et Meilhac, j'ai éprouvé une
impression absolument nouvelle pour
moi, depuis vingt ans, hélas 1 que je
suis le théâtre. Je venais d'entendre une
pièce qui, sauf quelques bourrasques, a
été jusqu'au bout sans encombre et que
j'avais écoutée, pour ma part, avec at-
tention et déférence. Je n'en avais pas
perdu un mot. Et cependant, je n'y com-
prenais rien! Etait-ce ma faute, celle des
auteurs ou celle des comediens? En vé-
rité, je crois que ce n'était pas lamienne.
Ce n'est pas que je n'aie parfaitement
saisi l'histoire racontée par MM. Cherbu-
liez et Meilhac. Je me suis très bien retrou-
vé à travers tous les récits qu'on fait au
cours de la pièce, etDieusait s il y en a, et
je ne me suis pas trop embrouillé à travers
la quantité exagérée do dépêches et de
lettres qu'un superbe domestique apporte
sur un plateau. L'anecdote qui sert de
trame à la comédie est d'ailleurs aussi
simple que peu nouvelle. C'est la vieille
histoire d'un aventurier qui s'empare des
papiers d'un gentilhomme, prend son
nom, entre dans sa peau et réussit à se
faire aimer d'une riche héritière qu'il va
épouser quand il est démasqué par une
femme qu'il a aimée autrefois. Depuis
que le théâtre existe, on nous y a racon-
té cette histoire, qui comme celle de
Peau d'Ane, nous fait encore plaisir lors-
qu'elle est bien contée. Dernièrement en-
core et tout près de l'Odéon, au théâtre
de Cluny, l'Abime de Trayas était compo-
sé sur cette donnée, poussée au tragique.
Tout le monde a donc bien compris l'aven-
ture, et même trop bien, car, dès le second
acte, la fin en était prévue de façon cer-
taine. Mais ce qui m'a complètement
échappé, c'est le caractère du héros et
ce que les auteurs avaient voulu faire en
nous montrant leur Samuel Brohl. Au-
jourd'hui encore, je n'y vois goutte.
En rendant compte de Ladislas Bolski,
j'avais exprimé déjà la crainte que le ca-
ractère des héros et des héroïnes de M.
Cherbuliez-ne fût très obscur à la scène
et ne restât trop incertain pour le théâ-
tre. Mais je ne pouvais être bon juge ;
j'avais lu le roman d'où Ladislas Bolski
est tiré, et le hasard faisait que je con-
naissais les modèles dont le romancier
s'est inspiré. Ces notions, antérieures à la
représentation, me permettaient de pren-
dre plaisir au drame. Mes souvenirs l'é-
clairaient, le complétaient, et suppléaient
à ce qui n'était pas assez dit sur les plan-
ches. Mais je n'ai pas 1 xx Samuel Brohl
tout exprès. Et, comme on peut se fier
au talent d'arrangeur de M. Meilhac,
comme on peut être sûr qu'il a tiré du
roman tout ce que le roman comportait
d'effets et de situations, on peut conclure
hardiment aujourd'hui qu'il n'y a pas à
faire fonds sur l'œuvre de M. Cherbuliez
pour y trouver des drames ou des cemé-
dies.
Mais il ne suffit pas de constater ce
fait par l'expérience du public, et ce n'est
pas assez de dresser un bilan où deux
demi-succès ne compensent pas un in-
sucès avéré. Il faut. en chercher les rai-
sons, et ne pis se contenter de celle
qu'on donne, fort à la légèf0 selon moi,
quand on prétend qu'il est décidément
trop difficile do tirer ua drame Of1
une comédie d'un roman. Cela dé-
pend du roman. Car, si j'ai bonne
mémoire, la Hameaux Camélias, le Afar-
quis de Villemer et vingt autres pièces
qui ont eu un énorme succès ont d'abord
fait connaissance avec le public sous
forme de roman. Gardons-nous donc de
conclure du particulier au général, et
contentons-nous de chercher pourquoi
les romans de M. Cherbuliez se tradui-
sent mal sur la scène.
On a dit déjà que ces romans du meilleur
disciple de Mme Sand étaient trop ro-
manesques pour le théâtre, qu'ils étaient
trop faits de fantaisie et d'idéal et que la
scène exigeait plus deréalité. Si c'était là
la seule raison qu'on pût donner de l'in-
succès des tentatives de M. Cherbuliez,
il aurait le droit d'en appeler 1 Trop d'i-
déal ! trop de fantaisie 1 Eh ! le théâtre
en vit autant que de réalité. De Robert
Macaire à Ruy Blas, on compterait par
centaines les types idéalisés et fantaisis-
tes qui ont réussi sur la scène. Il me sem-
ble plutôtque M. Cherbuliez, au milieu de
toutes les fantaisies du détail, de tout rn
romanesque qui fait « la sauce » de son
œuvre, — passez-moi ce vilain mot —
est un observateur sceptique et beau-
coup plus strict qu'on ne le pense de
la nature humaine. Il se plaît à la mon-
trer sans cesse tiraillée entre le bien et le
mal, ne se décidant jamais entre eux
d'une façon complète, s'élançant vers
l'un, retombant vers l'autre, subissant,
avec une sorte de fatalisme amèrement
constaté par l'écrivain, les influences di-
verses de l'heure, de la circonstance et
du milieu, « ondoyante et diverse», com-
me dit le poète. Et, pour que cette con-
ception de l'humanité ait encore plus de
relief, M. Cherbuliez s'est cantonné au
sein d'une race particulière, molle et hé-
roïque entre toutes, pleine de contrastes
mise trop jeune et sans initiation suffi-
sante en possession d'une civilisation
importée, encore sauvage dans le tuf,
exagérément raffinée à la surface. Il vit
au milieu de ces femmes de l'aristocratie
russe qui n'ont pas le sens moral moyen
de nos bourgeoises, apportent en toutes
choses l'estomac d'un joueur, qu'elles ont
à Hambourg et à Monaco, se croient tout
permis et sont capables de fout, et, sans
règle de conduite, comme des cavales
emballées, franchissent les haies fleuries
ou roulent dans la boue des fossés, font
cent lieues pour porterun verre d'eau à
un blessé, et cinquante pour posséder un
homme qu'elles jettent à la porte le len-
demain avec une impudence superbe. A
ces héroïnes, il accouple volontiers ces
émigrés polonais, aussi intrépides devant
le feu de l'ennemi que devant les hontes
de la table d'hôte ; martyrs un jour, avan-
turiers le lendemain, et presque toujours
déclassés ; ayant reçu, avec une tradition
d'héroïsme militaire, le fâcheux héritage
d'illusions et de faiblesses qui sont le ba-
gage de toutes les émigrations ; prêts à
mourir le dimanche, mais enclins toute la
semaine à vous emprunter un louis paya-
ble « fin de la domination russe. »Tout cela
est naturel, vrai, réel; mais ces caractères
ne sont pas dramatiques, parce qu'ils ne
sont pas assez simples. Il faut savoir
trop de choses pour les comprendre. Ces
mélanges de vertus et de faiblesses amu-
sent et passionnent le lecteur qui s'y in-
téresse, parce qu'il s'y retrouve et que
le détail du roman lui donte les échelons
par lesquels monte et desettid le héros.
Mais le spectateur veut être saisi d'une
autre façon. L'optique du théâtre exige
avant tout que les caractères qu'on y fait
mouvoir soient d'une admirable netteté,
qui saute aux yeux, même au prix d'un
grossissement hors nature. Comme pour
la peinture de décors, il n'y a pas place
pour les nuances trop délicates.
Il n'est pas vrai que le théâtre soit la
représentation exacte de la vie. Les pré-
tendus naturalistes ont cherché à nous le
faire croire en poussant à l'extrême l'art
inférieur des décors et des accessoires.
Ils sont impuissants à aller plus loin et
je les défie de se passer d'idéal. La pre-
mière condition d'un caractère au théâ-
tre, c'est donc une netteté, une unité,
une violence, une suite, qui sont rares
dans la vie. Les éléments du caractère
sont fournis par l'observation; mais l'i-
déal intervient pour grouper sur un seul
être humain, qui ne serait jamais parfait
dans le bien ou dans le mal, tous les
trait s recueillis çà et là. Les pièces de
Molière s'appellent VAvarey Vflypocrite,
ou pourraient s'appeler le Jaloux, ye Pé-
dant, etc. Ce n'est pas un avare ou un
hypocrite; c'est l'avare et l'hypocrite ab-
solu, résumant tout ce que l'avarice et
l'hypocrisie peuvent donner dans l'hu-
manité. Une implacable logique, une
clarté parfaite, un grossissement énorme,
voilà les conditions essentielles d'un
caractère au théâtre. Molière n'est sorti
qu'une fois de cette règle de composi-
tion pour Don Juan. Obéissant à un en-
traînement de polémique, il a fait de don
Juan un homme à contradictions flagran-
tes ; malgré mille commentaires explica-
tifs, malgré des beautés accessoires de
premier ordre et ce discours de don Luis,
que Bossuet eût envié, Don Juan reste
une œuvre contestée. La clarté lui fait
défaut, parce que la logique y faiblit.
En dehors de ces caractères-types,
qu'on retrouve aussi bien dans le mélo-
drame du coin que dans les plus nobles
œuvres, logiques et uns, qui compor-
tent toutes les nuances, mais en les fai-
sant toutes tourner et se grouper autour
d'un pivot unique, le théâtre admet en-
core les caractères contrastés. Ce ne sont
pas, à proprement parler, des caractères.
Mais c'est un événement assez ordinaire
de la vie, intéressant et moral, que de voir
un homme changer de conduite, surtout
quand ce changement est motivé par un
incident dramatique. Un jeune homme est
léger, vain, violent, joueur, débauché,
entraîné par les pires passions; mais ses
passions ont eu un résultat funeste. Il a
tué un ami en duel, fait mourir sa mère
de chagrin : il se convertit, il se retourne
— et le public applaudit. Notez que je
prends l'exemple le plus sot, le plus plat :
Mauvaise tête et bon cœur, une œuvre de
Berquin, mais sur le patron de laquelle les
trois quarts du théâtre sont taillés. Cela,
me disait un homme du métier, c'est la
pièce ascendante, qui conduit le héros du
mal au bien, la plus facile à faire, parce
qu'elle flatte l'idéal de la foule. 11 y a aussi
le drame descendant, qui prend I homme
honnête, lui met une passion ou un vice
au cœur, et en tire toutes les consé-
quences les plus dramatiques. C'est Mac-
beth, l'honnête et chevaleresque Mac-
beth, se retournant en un scélérat; quand
il a rencontré la sorcière fatidique, et,
couvert de sang, disant : il faut aller
jusqu'au bout.
Jamais au criminel son crime ne pardonne
a dit M. Hugo. On peut trouver dans ce
vers admirable une règle pour le théâtre.
Mais les drames conçus selon cette
donnée sont plus difficiles que les autres,
parce qu'ils sont tristes et pénibles.
En dehors du caractère-type et de la
comédie ascendante ou descendante — je
laisse de côté le théâtre anecdotique et le
simple tableau de mœurs — je ne vois
pas quel caractère on peut mettre à la
scène. Et revenant à Samuel Brohl, dont
je me suis éloigné par un long détour,
mais auquel je n'ai pas cessé de penser,
je me demande quel est le héros de ce
drame? Il est fait de qualités et de vices,
sans cesse mélangés. Enfant, il est pa-
resseux et voleur, mais plein d'un noble
désir de science; jeune homme, il ac-
cepte auprès d'une femme une situation
dégradante, mais il sait aussi rompre vio-
lemment avec elle : courageux dans la mi-
sère, il est sans force contrelestentatives
de la fortune illicite; amoureux d'une jeune
fille, il est tantôt le plus noble et le plus
sincère des amants, tantôt le plus vil des
coureurs de dots ; au dernier acte eafin,
nous le retrouvons repentant, généreux,
puis retombant dans son rôle d'aventu-
rier et quittant ridiculement la pirtie,
sans tuer personne après avoir promis de
tout massacrer, car cet étrange person-
nage ne fait jamaisrien de ce qu'Hpromet.
Faut-il l'aimer ? à coup sûr non. Le haïr?
Il échappe à la haine par l'inconsitance
Faut-il le plaindre ? Il faudrait alors nous
le montrer luttant. Pour le suivra, il faut
tenir en partie double un livre de ses bons
et de ses mauvais mouvements. Chose fa-
tigante, que le public ne saurait faire. Il
préfère simplement ne pas s'intéresser à.
un personnage sans logique et sans cou-
leur, qui ne va ni du bien au mal ni du
mal au bien et piétine sur place, embar;,
rassé dans ses sentiments bizarrement
, 1il1':';";:;.:;,':<.
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
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Élections partielles du 2 Février
RÉSULTATS CONNUS A 3 HEURES DU MATIN
ALPES-MARITIMES
Arrondissement de Puget-Théniers.
BÉCIPON. R. 0.000ÉLU
DÔRDOGNE
Arrondissement de Ribérac. (
(36 communes sur 85)
ACHILTE SIMON. R. 4.049
DE FOURTOU (invalidé) B. 3.692
GERS -
Arrondissement de Condom.
(76 communes sur 87)
PAUL DE CASSAGNAC(invalidé). B. 8.499
Docteur LANNELONGUE. R. 7.860
NIÈVRE -
Arrondissement de Cosne.
(36 communes sur 65).
TH. FLEURY. R. 6.965
DE B0URG01NG (invalidé). B. 682
"Voix perdues. 877
DEUX-SÈVRES
Arrondissement de Bressuire
(46 communes)
CAMILLE JOUFFRAULT. R. 5.78i
DE LA R0CHEJACQUELE1N (Inv.)M. 5.123
HAUTES-PYRÉNÉES
28 circonscription de Tarbes
L'élection de M. DESBONS, républicain, pa-
raît certaine.
MEUSE
Arrondissement de Montmédy
ROYER R. 10.329 ÉLU
HAUTE-LOIRE
Arrondissement æ YssingMux
(37 communes sur 43)
MALARTRE (invalidé) M. 5.578
BINACHON. R. 3.848
DE LAGREVOL. R. 2.408
(Ballottage certain)
TARN
(Résultat partiel).
REILLE (invaudé) M 4.581
BARBET. R 3.776
BULLETIN
Paris, 3 Février i879.
La presse de Berlin et celle de Vienne
font un excellent accueil au nouveau pré-
sident de la République française. « On
pense généralement, dit la Gazette natio-
nale de Berlin, que les relations de l'Al-
lemagne et de la France ne seront nul-
lement troublées par le changement sur-
venu en France. Le renouvellement des
lettres de créance n'est qu'une simple for-
malité. Ce qui peut le mieux faire espérer
un avenir pacifique, c'est la consolidation
de la République. »
Le Nord constate que les parties con-
nues Jusqu'ici du statut organique éla-
boré par la commission internationale
pour la Roumélie orientale témoignent
d'une réelle bonne volonté et d'un sin-
cère désir d'assurer la sécurité et le bien-
être du peuple auquel il doit s'appliquer.
Certaines dispositions en sont libérales,
plus libérales peut-être même, au sens
de la doctrine occidentale, sinon au sens
des particularités nationales de la Bulga-
rie, que le statut élaboré pour la princi-
pauté bulgare elle-même. Mais il aura
aux yeux des populations intéressées un
vice rédhibitoire : c'est, entre autres cho-
ses, la faculté à peu près arbitraire laissée
au gouverneur nommé par la Porte d'ap-
peler les troupes turques, faculté que la
commission n'entoure même pas des res-
trictions, morales tout au moins, sinon
pratiquement bien efficaces, qui avaient
été stipulées par le traité de Berlin. Il n'y
a donc guère lieu de s'étonner que l'œuvre
de la commission provoque chez les habi-
tants plus de défiance que de sympa-
thie.
Les hostilités ont, dit-on, commencé
dans l'Afrique méridionale entre les An-
glais et les Zoulous. La véritable cause de
cette guerre semble être le désir des colons
anglais d'accroître leur territoire aux dé-
pens de leurs voisins. Le gouvernement
de la colonie paraît, d'ailleurs, avoir pris
à cœur de rendre la guerre inévitable en
formulant des réclamations exagérées et
en cherchant à intervenir dans les affaires
intérieures des Zoulous. Il demande à Cet-
tiwayo de réformer l'administration de ses
Etats. Il exige du roi cafre qu'il licencie
son armée, qu'il abroge certaines lois res-
trictives du mariage, qu'il reçoive sur son
territoire un résident anglais et des mis-
sionnaires anglicans, que les Zoulous ont
toujours considérés, à tort ou à raison,
comme des espions déguisés. Dans ces
conditions, il n'était pas permis d'espérer
qu'un accord pût intervenir entre Cet-
tiwayo et le gouvernement colonial.
E. BARBIER.
L'agence Bavas publie la note suivante :
Malgré toutes les Instances faites par M. le
président de la République auprès de M. Du-
faure, l'honorable présldént du conseil ne s'est
pas décidé à conserver ses hautes fonctions.
M. le président de la République a chargé
M. Waddington, ministre des affaires étrangè-
res, de constituer un nouveau cabinet.
Un bien petit sujet a mis les bonapar-
tistes en grande colère. Par un décret du
président de la République (en date du
25 janvier, c'est un des derniers qu'ait
signés M. le maréchal de Mac-Mahon), la
rue de Morny est débaptisée et s'appel-
lera désormais rue Pierre-Charron. Il
paraît que cela fait du bruit dans Chisle-
hurst. Nous ne l'aurions pas cru, tant la
chose, à nos yeux, est simple et natu-
relle. Mais le bonapartisme est aujour-
d'hui dans un tel état de faiblesse qu'il
n'en faut pas davantage pour le cons-
terner.
Nous dirons donc deux mots de ce dé-
cret , puisqu'aussi bien la journée poli-
tique était assez vide hier dimanche, et
qu'à l'heure où nous écrivons nous ne
connaissons pas encore les résultats de
la douzaine d'élections qui ont eu lieu.
Nous l'approuvons fort, ce décret; il est
tout à fait raisonnable. Sans être grands
débaptiseurs de rues, nous regrettons
même que celle-ci n'ait pas été débap-
tisée plus tôt. Puisqu'il est convenu qu'on
fait honneur à d'illustres défunts en ins-
crivant leurs noms sur de petites plaques
bleues à l'angle de nos voies publiques,
il est évident qu'on ne pouvait supporter
sans chagrin qu'un honneur quelconque
fût rendu au nom du public à la mémoire
de M. de Morny. M. le duc de Morny fut
en politique un aventurier de haut vol;
gaîment et froidement, au 2 décembre, il
attaqua la loi, comme un bandit at-
taque la malle-poste. L'empire l'éleva,
l'enrichit, tandis que, sans le coup d'E-
tat, il serait resté confondu dans la foule
des besoigneux avides. Et nous lui de-
vrions des hommages posthumes? C'est
déjà trop qu'il n'ait rien expié !
Le décret qui change le nom de la rue de
Morny est donc un acte de moralité pu-
blique, et Paris félicitera M. le préfet de
la Seine d'avoir ainsi inauguré son admi-
nistration. Il y a plus de six ans, en effet,
que le conseil municipal de Paris récla-
mait en vain cette purification d'une de
nos rues. Naguère encore M. Ferdinand
Duval protestait, en se récriant, que le
maréchal n'y donnerait jamais son con-
sentement. Le maréchal pourtant a signé
le décret sans objection. Quant au nou-
veau nom proposé par M. Hérold, c'est
celui même qu'un vœu du conseil munici-
pal indiquait dès 1872. La ci-devant rue
de Morny est voisine de la rue
Montaigne ; c'est pourquoi l'on a pensé
à l'appeler du nom de Pierre Charron,
ami de Montaigne, et, d'ailleur, enfant
de Paris. Charron, qui mourut voici
bientôt trois cents ans et qui s'illustra
par un beau livre de philosophie morale,
n'est plus guère connu, à la vérité, que
du public lettré qui le lit encore et l'ad-
mire. En 1872, lorsque son nom fut pro-
noncé dans le conseil municipal, un ho-
norable carrossier bonapartiste, témoi-
gnant quelque inquiétude, demanda qui
c'était. — « Rassurez-vous, lui répondit
M. Hérold, alors simple conseiller, ce
charron-là ne vous fera pas concurren-
ce. » Et le conseil de rire. Je ne sais si
M. Binder s'est avisé depuis d'ouvrir le
Traité de la Sagesse. Je crains que non.
Le Traité de la Sagesse abonde pourtant
en belles pages, simples et fortes. Cet
ouvrage est, en vérité, d'une autre haleine
que Monsieur Choufleury. Nous devons
confesser que le pape le mit à l'index,
parce que la philosophie de l'auteur ne
répondait point à renseignement de l'E-
glise. Mais qui de vous n'aimerait mieux
être damné avec Charron que sauvé avec
M. de Morny ?
Eue. LIÉBERT.
Voici le texte du décret qui change le
nom de la rue de Morny :
Le président de la République française,
Sur la proposition du ministre de l'inté-
rieur ;
Vu l'ordonnance du 10 juillet 1816, et la de-
mande du préfet de la Seine ;
Décrète :
Art. 1er. — La rue précédemment dénom-
mée rue de Morny, à Paris, prendra à l'avenir
le nom de rue Pierre-Charron.
Art. 2. — Le ministre de l'intérieur est char-
gé de l'exécution du présent décret.
Fait à Versailles, le 25 janvier 1879.
Signé : Maréchal de MAC MAHON.
----
Un jour de congé
Aujourd'hui lundi nos collégiens sont
en liesse. C'est la République qui leur fait
ce loisir. M. le ministre de l'instruction
publique a eu la bonne pensée de célé-
brer l'heureux avènement de M. Jules
Grévy par un jour de congé accordé à la
jeunesse. La jeunesse l'en remercie et les
mamans lui seront reconnaissantes. De-
main mardi tout ce petit monde se remet-
tra bravement au travail.
Nous ne demandons pas à nos collé-
giens de se mettre à faire de la politique
et de manifester pour la République. Ils
ont pour l'instant autre chose à faire que
d'examiner les diverses formes de gou-
vernement ou de se prononcer pour le
choix d'un ministère. Leur rôle,c'est pré-
sentement de s'instruire, et sans médire
des journaux — nous avons pour cela de
bonnes raisons — nous ne tenons pas à
ce qu'ils les cachent dans leurs pupitres
p lire à la dérobée. Quand, au sor-
tir du collège, ils auront passé par la
discipline du régiment, quand leur vingt
et un ans auront fait d'eux des électeurs
et des citoyens, ce sera alors leur devoir
de se mêler des affaires publiques, et de
prendre une petite part, aussi intelli-
gemment que possible, du gouvernement
du pays par le pays. Qu'ils nous laissent
ce soin jusque-là : leur tour viendra bien
assez tôt. Nous ferons notre possible
pour leur livrer une France paisible et
prospère et leur épargner des épreuves
que nous avons subies et dont nous leur
souhaitons de ne pas connaître l'amer-
tume. En attendant, il nous plaît que le
jour où la patrie est enfin joyeuse, ils
aient leur part de cette joie, et que cette
date du 30 janvier, dont ils comprendront
plus tard toute l'importance, reste gravée
dans leurs esprits.
Pour vous, nos jeunes amis, aimez bien
la France, c'est tout ce que nous vous
demandons à cette heure. Si vous l'aimez,
tous les devoirs vous seront aisés dans la
vie, et vous ne serez pas embarrassés un
jour au milieu des compétitions des par-
tis ou des hommes, pour savoir de quel
côté seront ses véritables amis. Aimez et
étudiez sa belle langue, la plus belle
qui* ait été parlée depuis celle des Athé-
niens, cette langue française si nette,
si précise, si vive et si claire, qui
enseigne si bien à penser juste, qui dé-
masque si vite une erreur ou un sophisme,
qui a l'horreur de la déclamation et de
l'excès, cette langue qui a fait lentement
le génie de notre race, que l'on a tant de
fois essayé de gâter sans y jamais réussir,
et qui demeure par excellence la langue
de la science et du bon goût, c'est-à-dire
du bon sens. Etudiez aussi l'histoire de
notre France, car vous ne l'étudierez pas
sans l'aimer, sans comprendre que nulle
autre patrie n'est plus grande ni plus no-
ble que celle-ci. HéJas 1 vos pères ont fait
bien des folies et connu bien des dou-
leurs tragiques; mais il s'est toujours
trouvé en eux un admirable ressort pour
remonter de l'abîme au moment où ils
semblaient en avoir touché le fond, et
toujours aussi leurs folies ont été géné-
reuses. Depuis le temps où ils disaient :
« la France est le soldat de Dieu», j us-
qu'à celui où nous disons : « la France est
le soldat du droit», c'est la même âme
qui s'est transmise de génération en
génération, la même âme fière et vail-
lante. Ce n'est pas à elle seulement, c'est
au monde entier que la France a pensé.
Elle ne s'est point enfermée dans un souci
d'égoïste bien-être ; elle a travaillé pour
l'humanité.
Soyons plus sages que nos pères ne
l'ont souvent été; respectons la liberté
des autres peuples comme nous leur de-
mandons de respecter la nôtre; gardons-
nous des témérités même généreuses ;
mais n'abdiquons point Je noble idéal qui
nous a été légué avec le sol que nous culti-
vons et le sang qui coule dans nos veines.
Nous avons notre intelligence, notre ac-
tivité, l'industrie et le commerce ; l'art,
la littérature, la science : qu'avons-
nous besoin d'un autre objet à no-
tre ambition ? Ces forces ne nous suf-
fisent-elles pas, si nous savons en faire
usage, pour que l'univers soit obligé d'ê-
tre notre tributaire et de s'incliner devant
notre génie national? Répandons partout
la lumière ; convertissons partout les es-
prits aux saintes idées de liberté et de jus-
tice et par l'éloquence de la raison et par
l'exemple de la paix. Nous aurons fait la
France du XXc siècle plus giorieuse qu'elle
ne le fut jamais; nous aurons été les di-
goes fils des croisés du XIIIe siècle, des li-
bres Français du XVIe, des philosophes du
XVHlo
Aimez bien cette France, mes petits
amis; ce qu'elle a fait dans le monde,
nulle autre qu'elle n'y a songé, nulle au-
tre n'était capable de l'accomplir. Le
monde serait cruellement mutilé si, par
la faute de ses derniers enfants, elle ve-
nait à être rayée de la liste des nations.
Une telle patrie vaut vraiment que l'on
vive pour elle et que pour elle on sache
au besoin mourir.
CHARLES BIGOT.
-————
LE MIRACLE'DE LA SALETTE
Savez-vous ce qui m'a le plus étonné
dans cette incroyable histoire d'un pape
revenant sur un vieux miracle et décla-
rant que c'est une mystification?
Ce n'est pas du tout la violence que le
souverain-pontife s'est du faire à lui-mê-
me pour rompre d'une façon aussi écla-
tante et, dans une circonstance aussi dé-
licate, avec tous les conseils d'une sage
politique. Non, j'ai envisagé tout de suite
la question par un autre côté.
-Ah çàl mais, me suis-je écrié, ils y
croyaient donc !
Eh bien, là, vrai, je ne m'imaginais pas
qu'ils y crussent. Je parle, bien entendu,
des chefs du parti. Qu'il se trouvât dans
le clergé quelques fanatiques imbéciles,
qui admissent comme véritables les
ineptes visions du berger Maximin et de
sa commère Mélanie, qui adorassent la
Sainte-Vierge dans. ses manifestations
miraculeuses, qui eussent foi dans la
vertu des eaux de la Salette, je le com-
prenais encore. Les sots, qui sont depuis
Adam, sur cette terre, en majorité, se
fourrent partout, même dans les baraques
de charlatans.
Mais que des prêtres, élevés, par leur
éducation supérieure et par leurs fonc-
tions, au-dessus des préjugés du vulgai-
re, eussent jamais pu donner dans ces
invraisemblables bourdes, non, j'avoue
qu'il m'était impossible de le compren-
dre. J'appliquais à ces messieurs les
beaux vers de Racine :
Ami, peux-tu penser que d'un zèle frivole
Je ma laisse aveugler pour une vaine idole,
Pour un fragile bois que, malgré mon secours,
Les vers sur son autel consument tous les jours?
Né ministre du Dieu qu'en ce temple on adore,
Peut être que Mathan le servirait encore
Si l'amour des grandeurs, la soif de commander,
Avec son joug étroit pouvaient s'accommoder. -
Je comparais nos évêques aux augu-
res de la vieille Rome qui se regardaient
sans rire. *
J'avais tort. Ils sont infiniment moins
spirituels que je ne les avais jugés. Je
m'étais dit bonnement qu'ils exploitaient
la crédulité du bon et naïf populaire,
qu'ils lui recommandaient l'efficacité cu-
rative des eaux de la Salette, mais qu'ils
se gardaient bien d'en boire pour leurs
maladies, que c'étaient, pour me servir
du mot propre, de jolis farceurs.
Avouez, entre nous, que j'avais quel-
que raison de penser ainsi. Mettons-nous
pour un instant au point de vue de ceux j
qui admettent dans les affaires de ce
monde l'intervention du surnaturel, ja-
mais il n'y eut mfracle dont la fausseté *
fut plus clairement démontrée, plus évi-
dente, que celui de la Salette, si ce n'est
peut-être celui de Lourdes.
Cette histoire, qui est bête comme une
oie, a été portée devant les tribunaux,
discutée en ses moindres détails, et le
dernier mot en a été dit par eux. A Gre-
noble même, où elle s'est passée, où
les acteurs en sont connus, on n'au-
rait peut être pas trouvé deux personnes
qui s'y fussent laissé prendre. Tout le
monde savait comment tout ce miracle
avait été arrangé et machiné. Major a
longinquo reverentia, dit Tacite.
Comment supposer que des prélats in-
telligents et instruits, que de fins politi-
ques comme les monsignors italiens eus-
sent (pardon du mot 1), eussent gobé pour
eux-mêmes cette énorme absurdité de la
Sainte-Vierge se dérangeant du ciel pour
annoncer à un petit niais que les pom-
mes de terre étaient malades 1 Je ne leur
aurais jamais fait cette injure.
Il paraît que je me trompais.
Ce brave Pie IX était sincère : sincère
il était dans sa croyance comme il l'a-
vait été dans ses doutes. Car on prétend
qu'il en avait eu longtemps. On lui prêta:
même ce mot : « J'ai rarement vu bêtise
aussi montrueuse que celle du miracle de
la Salette. » Il faut croire qu'il s'était
ravisé; il avait sans doute été illuminé de
clartés surnaturelles, et il avait donné son
visa pontifical à la miraculeuse appari-
tion; il avait octroyé à Dieu permission
de faire miracle en ce lieu.
J'aurais bien voulu savoir ce qu'en
pensait le cardinal Antonelli, qui ne pas-
sait point, lui, pour être un homme à pré-
jugés I Il laissa faire, et pour des raisous
que l'on devine aisément. Il n'y a pas be-
soin,. pour les comprendre, d'être un po-
litique très malin.
L'indignation du nouveau pape, qui,
s'étant aperçu que l'apparition n'a pas
eu lieu, proscrit le culte de la Salette, té-
moigne d'une naïveté que nous n'eussions
jamais soupçonnée chez un souverain ita-
lien, en l'an de grâce 1879.
S'il prend la peine de déclarer faux,
à la face de toute la chrétienté; le mira-
cle de la Salette, c'est qu'il l'a cru vrai
un instant. Eh bien 1 cette dernière hypo-
thèse est si extraordinaire qu'elle me
semble un miracle bien plus étonnant
que n'aurait été celui de la Salette, s'il
avait eu lieu.
Il m'a été donné plus d'une fois de
contempler le visage d'hommes qui par-
laient avec respect du miracle de la Sa-
lette ; je suis encore à chercher les yeux
de celui qui, au fond du cœur y a ajouté
foi. J'excepte, bien entendu, les classes
dévotes, entichées du Sacré-Cœur. Je ne
veux parler que des créatures raisonna-
bles, sans en excepter maître des Houx
et son désabonné. Les idiots ne comptent
pas.
Je confesse que cette déclaration, fort
inattendue, du nouveau pape, me jette
dans un abîme d'étonnements et de per-
plexités.
S'il anathématise le miracle de la Sa-
lette, c'est apparemment qu'il croit à ce-
lui de Lourdes !
Tout cela est bien étrange 1
Ces gens-là n'ont pas le crâne fait
comme nous.
FRANCISQUI SÀROEY.
Feuilleton du XIX SIÈCLE
Du 4 février 1879.
CAUSERIE
DRAMATIQUE
SEeOND THÉATRE FRANÇAIS : Samuel Brohl,
comédie en cinq actes par MM. V. Cherbuliez
et Meilhac. — THÉÂTRE DU LOPÉRA.-COMI-
QUE : Roméo et Juliette, de M. Gounod (re-
prise). — THÉÂTRE-HISTORIQUE : la Tour de
Londres, drame en cinq actes (reprise). -
Petits théâtres et concerts.
En sortant de l'Odéon, où l'on nous a
donné vendredi le Samuel Brohl de MM.
Cherbuliez et Meilhac, j'ai éprouvé une
impression absolument nouvelle pour
moi, depuis vingt ans, hélas 1 que je
suis le théâtre. Je venais d'entendre une
pièce qui, sauf quelques bourrasques, a
été jusqu'au bout sans encombre et que
j'avais écoutée, pour ma part, avec at-
tention et déférence. Je n'en avais pas
perdu un mot. Et cependant, je n'y com-
prenais rien! Etait-ce ma faute, celle des
auteurs ou celle des comediens? En vé-
rité, je crois que ce n'était pas lamienne.
Ce n'est pas que je n'aie parfaitement
saisi l'histoire racontée par MM. Cherbu-
liez et Meilhac. Je me suis très bien retrou-
vé à travers tous les récits qu'on fait au
cours de la pièce, etDieusait s il y en a, et
je ne me suis pas trop embrouillé à travers
la quantité exagérée do dépêches et de
lettres qu'un superbe domestique apporte
sur un plateau. L'anecdote qui sert de
trame à la comédie est d'ailleurs aussi
simple que peu nouvelle. C'est la vieille
histoire d'un aventurier qui s'empare des
papiers d'un gentilhomme, prend son
nom, entre dans sa peau et réussit à se
faire aimer d'une riche héritière qu'il va
épouser quand il est démasqué par une
femme qu'il a aimée autrefois. Depuis
que le théâtre existe, on nous y a racon-
té cette histoire, qui comme celle de
Peau d'Ane, nous fait encore plaisir lors-
qu'elle est bien contée. Dernièrement en-
core et tout près de l'Odéon, au théâtre
de Cluny, l'Abime de Trayas était compo-
sé sur cette donnée, poussée au tragique.
Tout le monde a donc bien compris l'aven-
ture, et même trop bien, car, dès le second
acte, la fin en était prévue de façon cer-
taine. Mais ce qui m'a complètement
échappé, c'est le caractère du héros et
ce que les auteurs avaient voulu faire en
nous montrant leur Samuel Brohl. Au-
jourd'hui encore, je n'y vois goutte.
En rendant compte de Ladislas Bolski,
j'avais exprimé déjà la crainte que le ca-
ractère des héros et des héroïnes de M.
Cherbuliez-ne fût très obscur à la scène
et ne restât trop incertain pour le théâ-
tre. Mais je ne pouvais être bon juge ;
j'avais lu le roman d'où Ladislas Bolski
est tiré, et le hasard faisait que je con-
naissais les modèles dont le romancier
s'est inspiré. Ces notions, antérieures à la
représentation, me permettaient de pren-
dre plaisir au drame. Mes souvenirs l'é-
clairaient, le complétaient, et suppléaient
à ce qui n'était pas assez dit sur les plan-
ches. Mais je n'ai pas 1 xx Samuel Brohl
tout exprès. Et, comme on peut se fier
au talent d'arrangeur de M. Meilhac,
comme on peut être sûr qu'il a tiré du
roman tout ce que le roman comportait
d'effets et de situations, on peut conclure
hardiment aujourd'hui qu'il n'y a pas à
faire fonds sur l'œuvre de M. Cherbuliez
pour y trouver des drames ou des cemé-
dies.
Mais il ne suffit pas de constater ce
fait par l'expérience du public, et ce n'est
pas assez de dresser un bilan où deux
demi-succès ne compensent pas un in-
sucès avéré. Il faut. en chercher les rai-
sons, et ne pis se contenter de celle
qu'on donne, fort à la légèf0 selon moi,
quand on prétend qu'il est décidément
trop difficile do tirer ua drame Of1
une comédie d'un roman. Cela dé-
pend du roman. Car, si j'ai bonne
mémoire, la Hameaux Camélias, le Afar-
quis de Villemer et vingt autres pièces
qui ont eu un énorme succès ont d'abord
fait connaissance avec le public sous
forme de roman. Gardons-nous donc de
conclure du particulier au général, et
contentons-nous de chercher pourquoi
les romans de M. Cherbuliez se tradui-
sent mal sur la scène.
On a dit déjà que ces romans du meilleur
disciple de Mme Sand étaient trop ro-
manesques pour le théâtre, qu'ils étaient
trop faits de fantaisie et d'idéal et que la
scène exigeait plus deréalité. Si c'était là
la seule raison qu'on pût donner de l'in-
succès des tentatives de M. Cherbuliez,
il aurait le droit d'en appeler 1 Trop d'i-
déal ! trop de fantaisie 1 Eh ! le théâtre
en vit autant que de réalité. De Robert
Macaire à Ruy Blas, on compterait par
centaines les types idéalisés et fantaisis-
tes qui ont réussi sur la scène. Il me sem-
ble plutôtque M. Cherbuliez, au milieu de
toutes les fantaisies du détail, de tout rn
romanesque qui fait « la sauce » de son
œuvre, — passez-moi ce vilain mot —
est un observateur sceptique et beau-
coup plus strict qu'on ne le pense de
la nature humaine. Il se plaît à la mon-
trer sans cesse tiraillée entre le bien et le
mal, ne se décidant jamais entre eux
d'une façon complète, s'élançant vers
l'un, retombant vers l'autre, subissant,
avec une sorte de fatalisme amèrement
constaté par l'écrivain, les influences di-
verses de l'heure, de la circonstance et
du milieu, « ondoyante et diverse», com-
me dit le poète. Et, pour que cette con-
ception de l'humanité ait encore plus de
relief, M. Cherbuliez s'est cantonné au
sein d'une race particulière, molle et hé-
roïque entre toutes, pleine de contrastes
mise trop jeune et sans initiation suffi-
sante en possession d'une civilisation
importée, encore sauvage dans le tuf,
exagérément raffinée à la surface. Il vit
au milieu de ces femmes de l'aristocratie
russe qui n'ont pas le sens moral moyen
de nos bourgeoises, apportent en toutes
choses l'estomac d'un joueur, qu'elles ont
à Hambourg et à Monaco, se croient tout
permis et sont capables de fout, et, sans
règle de conduite, comme des cavales
emballées, franchissent les haies fleuries
ou roulent dans la boue des fossés, font
cent lieues pour porterun verre d'eau à
un blessé, et cinquante pour posséder un
homme qu'elles jettent à la porte le len-
demain avec une impudence superbe. A
ces héroïnes, il accouple volontiers ces
émigrés polonais, aussi intrépides devant
le feu de l'ennemi que devant les hontes
de la table d'hôte ; martyrs un jour, avan-
turiers le lendemain, et presque toujours
déclassés ; ayant reçu, avec une tradition
d'héroïsme militaire, le fâcheux héritage
d'illusions et de faiblesses qui sont le ba-
gage de toutes les émigrations ; prêts à
mourir le dimanche, mais enclins toute la
semaine à vous emprunter un louis paya-
ble « fin de la domination russe. »Tout cela
est naturel, vrai, réel; mais ces caractères
ne sont pas dramatiques, parce qu'ils ne
sont pas assez simples. Il faut savoir
trop de choses pour les comprendre. Ces
mélanges de vertus et de faiblesses amu-
sent et passionnent le lecteur qui s'y in-
téresse, parce qu'il s'y retrouve et que
le détail du roman lui donte les échelons
par lesquels monte et desettid le héros.
Mais le spectateur veut être saisi d'une
autre façon. L'optique du théâtre exige
avant tout que les caractères qu'on y fait
mouvoir soient d'une admirable netteté,
qui saute aux yeux, même au prix d'un
grossissement hors nature. Comme pour
la peinture de décors, il n'y a pas place
pour les nuances trop délicates.
Il n'est pas vrai que le théâtre soit la
représentation exacte de la vie. Les pré-
tendus naturalistes ont cherché à nous le
faire croire en poussant à l'extrême l'art
inférieur des décors et des accessoires.
Ils sont impuissants à aller plus loin et
je les défie de se passer d'idéal. La pre-
mière condition d'un caractère au théâ-
tre, c'est donc une netteté, une unité,
une violence, une suite, qui sont rares
dans la vie. Les éléments du caractère
sont fournis par l'observation; mais l'i-
déal intervient pour grouper sur un seul
être humain, qui ne serait jamais parfait
dans le bien ou dans le mal, tous les
trait s recueillis çà et là. Les pièces de
Molière s'appellent VAvarey Vflypocrite,
ou pourraient s'appeler le Jaloux, ye Pé-
dant, etc. Ce n'est pas un avare ou un
hypocrite; c'est l'avare et l'hypocrite ab-
solu, résumant tout ce que l'avarice et
l'hypocrisie peuvent donner dans l'hu-
manité. Une implacable logique, une
clarté parfaite, un grossissement énorme,
voilà les conditions essentielles d'un
caractère au théâtre. Molière n'est sorti
qu'une fois de cette règle de composi-
tion pour Don Juan. Obéissant à un en-
traînement de polémique, il a fait de don
Juan un homme à contradictions flagran-
tes ; malgré mille commentaires explica-
tifs, malgré des beautés accessoires de
premier ordre et ce discours de don Luis,
que Bossuet eût envié, Don Juan reste
une œuvre contestée. La clarté lui fait
défaut, parce que la logique y faiblit.
En dehors de ces caractères-types,
qu'on retrouve aussi bien dans le mélo-
drame du coin que dans les plus nobles
œuvres, logiques et uns, qui compor-
tent toutes les nuances, mais en les fai-
sant toutes tourner et se grouper autour
d'un pivot unique, le théâtre admet en-
core les caractères contrastés. Ce ne sont
pas, à proprement parler, des caractères.
Mais c'est un événement assez ordinaire
de la vie, intéressant et moral, que de voir
un homme changer de conduite, surtout
quand ce changement est motivé par un
incident dramatique. Un jeune homme est
léger, vain, violent, joueur, débauché,
entraîné par les pires passions; mais ses
passions ont eu un résultat funeste. Il a
tué un ami en duel, fait mourir sa mère
de chagrin : il se convertit, il se retourne
— et le public applaudit. Notez que je
prends l'exemple le plus sot, le plus plat :
Mauvaise tête et bon cœur, une œuvre de
Berquin, mais sur le patron de laquelle les
trois quarts du théâtre sont taillés. Cela,
me disait un homme du métier, c'est la
pièce ascendante, qui conduit le héros du
mal au bien, la plus facile à faire, parce
qu'elle flatte l'idéal de la foule. 11 y a aussi
le drame descendant, qui prend I homme
honnête, lui met une passion ou un vice
au cœur, et en tire toutes les consé-
quences les plus dramatiques. C'est Mac-
beth, l'honnête et chevaleresque Mac-
beth, se retournant en un scélérat; quand
il a rencontré la sorcière fatidique, et,
couvert de sang, disant : il faut aller
jusqu'au bout.
Jamais au criminel son crime ne pardonne
a dit M. Hugo. On peut trouver dans ce
vers admirable une règle pour le théâtre.
Mais les drames conçus selon cette
donnée sont plus difficiles que les autres,
parce qu'ils sont tristes et pénibles.
En dehors du caractère-type et de la
comédie ascendante ou descendante — je
laisse de côté le théâtre anecdotique et le
simple tableau de mœurs — je ne vois
pas quel caractère on peut mettre à la
scène. Et revenant à Samuel Brohl, dont
je me suis éloigné par un long détour,
mais auquel je n'ai pas cessé de penser,
je me demande quel est le héros de ce
drame? Il est fait de qualités et de vices,
sans cesse mélangés. Enfant, il est pa-
resseux et voleur, mais plein d'un noble
désir de science; jeune homme, il ac-
cepte auprès d'une femme une situation
dégradante, mais il sait aussi rompre vio-
lemment avec elle : courageux dans la mi-
sère, il est sans force contrelestentatives
de la fortune illicite; amoureux d'une jeune
fille, il est tantôt le plus noble et le plus
sincère des amants, tantôt le plus vil des
coureurs de dots ; au dernier acte eafin,
nous le retrouvons repentant, généreux,
puis retombant dans son rôle d'aventu-
rier et quittant ridiculement la pirtie,
sans tuer personne après avoir promis de
tout massacrer, car cet étrange person-
nage ne fait jamaisrien de ce qu'Hpromet.
Faut-il l'aimer ? à coup sûr non. Le haïr?
Il échappe à la haine par l'inconsitance
Faut-il le plaindre ? Il faudrait alors nous
le montrer luttant. Pour le suivra, il faut
tenir en partie double un livre de ses bons
et de ses mauvais mouvements. Chose fa-
tigante, que le public ne saurait faire. Il
préfère simplement ne pas s'intéresser à.
un personnage sans logique et sans cou-
leur, qui ne va ni du bien au mal ni du
mal au bien et piétine sur place, embar;,
rassé dans ses sentiments bizarrement
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