Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1901-09-23
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34520232c
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 23 septembre 1901 23 septembre 1901
Description : 1901/09/23 (Numéro 12264). 1901/09/23 (Numéro 12264).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
Description : Collection numérique : BIPFPIG44 Collection numérique : BIPFPIG44
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
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Lundi 23 Septembre lôôl
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Sdiiiea qnatldifiançT *• 12*264
Lundi 23 Septembre 1901
ÉDITION QUOTIDIENNE
PARIS ÉTRANGER
ET départements (union postale)
Un an,,....... 40 » 51 »
Six mois 21 » 26 50
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l Paris 10 cent.
UN NUMÉRO I Départements 15 —
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ÉDITION SEMI-QUOTIDIENNE
V. PARIS ÉTRANGER
et départements (union postal^
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Six mois...... 10 » 13 »>
Trois mois..... 5 » fi j»0
LE- MONDE
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ANNONCES
MM. LAGRANGE, CERF et C ia , G, place do la Bourse
Chaque deuu nde da ehan^emeQ
d'adresse doit être aecompaguée d.«
50 eentimes ea tiiinbres-poâtei-
PARIS, 22 SEPTEMBRE 1901
@OA£M:A.I£«EB
Paris en pénitence. Eugène, Tavernier.
Les partis politiques
un Colombie XX.
Chronique des mis
sions............. Le Témoin.
Feuilletons : Quin
zaines dramatiques
et artistiques...... Henri Dac.
A travers les revues-
Bulletin. — Démissions démenties. — Le
tsar en France. — Contre l'armée. —
Informations politiques et parlementai
res. — La mort du président Mac Kin«
loy. — La guerre du Transvaal. ■*-
Dépêches de l'étranger. — Lettre pas
torale, de Mgr l'évôque de Tarbes. —
Ohronique. — Les retraites ouvrières. —
Nécrologie. — Echos do partout. —La
question ouvrière. — Chez les socialis
tes. ~ Les anarchistes. — Bulletin bi
bliographique. — Nouvelles dverses. —»
Revue de la Bourse. — Calendrier.
PARIS EH PENITENCE
Expulser des moines et des reli
gieuses est une besogne à laquelle
on prend goût, lorsqu'on a le cœur
fait d'une certaine façon. En train
décidément, échauffé, lancé, M.
Waldeck-Rousseau n'a pas songé à
se retenir; et, ne voulant pas per
dre la moindre occasion de bauscu-
ler quelqu'un, il a un peu expulsé
le tsar. ,
Ces pompes impériales ne satis
faisaient qu'à moitié le chef de no
tre ministère: Evidemment, il les
avait désirées et favorisées ; car M.
Loubet n'aurait pas eu l'aplomb de
régler de lui-même et à lui seul une
pareille manifestation. Peut-être le
président de la République a-t-il,
plus que d'ordinaire, déployé de
l'initiative et de l'activité ; peut-être
a-t-il cédé à la tentation de grossir
son importance ; mais nul doute
que Io président du conseil ne se
soit pas laissé imposer un rôle de
comparse. Voulant bénéficier du
prestige de l'alliance russe, M.
Waldeck-Rousseau a fait, dans la
solennelle conjoncture, ce qui dé
pendait de lui.
Du reste; la cérémonie marchait
parfaitement. A Dunkerque, à Com-
piègne, à Reims, dans la cathédrale
comme sur le champ de manœu
vres, les souvërains étrangers ont
eu l'attitude qui s'accordait avec le
sentiment populaire. L'impératrice
est charmante. Au milieu de nos
soldats, fraternisant avec nos offi
ciers, simple, joyeux, confiant, Ni
colas II a enthousiasmé les troupes
et le public. C'est bien ainsi que la
France veut qu'on se montre à
elle.
Pourtant, M. Waldeck-Rousseau
n'avait pas l'esprit tranquille. Le
conseil municipal de Paris, cette
assemblée en majorité nationaliste,
ambitionnait-de faire au couple
impérial les honneurs de la grande
cité. Notre premier ministre ne se
résignait pas à la pensée que ses
adversaires auraient leur part des
réjouissances patriotiques.
Comme les natures sèches, vul
gaires et mesquines, il est enclin à
a ratfcune. Il ne supporte pas que
l'Hôtel de Ville abrite des élus na
tionalistes; et il a toujours sur le
cœur l'affront cruel que jadis, de
vant des gymnasiarques, lui donna
M. Grébauval, l'ancien président.
Celui-ci, apercevant M. "Waldeck,
quitta brusquement la réunion, en
signe d'hostilité et de répugnance.
Peu importe que M. Grébauval
soit aujourd'hui remplacé M.
Waldeck ne pardonne pas. Il lui
fallait, coûte que coûte, sa revan
che et sa vengeance, dussent les
Parisiens être furieux, dût le cou
ple auguste éprouver une décep
tion et un froissement. N'agacez
pas les pince-sans-rire : souvent,
sous le flegme, leur sang noir char
rie un fiel dont s'énivre leur cerveau.
Toutes les embûches protocolai
res furent disposées pour détour
ner le tsar et la tsarine de visiter
Paris, même dans une simple pro
menade. Quand ils laissaient percer
ce désir, si légitime et si aimable,
de longues figures froides affec
taient l'incompréhension ou l'an
xiété.
L'empereur a jugé qu'il serait
une cause d'embarras pour les
seuls personnages officiels qu'il
eût vus jusqu'alors; et il a. décidé
de partir tout de suite.
Quelle-rencontre aurait pu le gê
ner cependant? Celle de conseil
lers municipaux nationalistes ? On
lui avait bien, en 1896, servi des
socialistes, même des révolution
naires très avancés, même l'extraor
dinaire Lucipia, ancien forçat au
thentique et toujours assassin bre
veté. Malgré 1 inouï de l'aven
ture, l'empereur en avait pris son
parti avec une humeur dont on au
rait dû lui savoir gré. Pour aujour
d'hui, la vraisemblance était qu'il
aurait préféré avoir dans son entou
rage M. Dausset, qui, justement/ a
nettoyé l'Hôtel de Ville de M. Lu
cipia.
Et les Parisiens, qui osèrent ap
plaudir au mouvement nationaliste
né de l'horreur inspirée par Une
politique louche et basse, les Pari
siens, les voilà en pénitence. Ils ne
goûteront pas la joie de se sentir
l'objet d'un© confiance auguste et
gracieuse. Ils ne mordront pas à ce
dessert qui les aurait consolés de
la malsaine nourriture que leur dis
tribue le gouvernement. En péni
tence, les mauvais petits garçons.
C'est d'une rigoureuse sévérité.
Toutefois, dans la circonstance
présente, c'est la sévérité d'un pion
et d'un cuistre. .
Le peuple de Paris aime les au
daces, mais de préférence celles qui
jaillissent; d'une volonté ardente
et généreuse. Il a pu se laisser
entraîner au mal : c'est que
l'excitation alors offrait un carac
tère puissant et d'une certaine iaçon
grandiose. Il lui est arrivé d'am
nistier des crimes avec une terril
ble allégresse : c'est que les crimes
étaient l'œuvre de passions formi-
bles. La sécheresse, la petitesse, la
mesquinerie, la taquinerie ne sont
pas au tout à sa mesure.
Peut-être que Waldeck-Rousseau
a commis une forte sottise. Le pré
sident du conseil a montré, en effet,
ce qu'il y a de bas dans la troupe
ministérielle arrivée au pouvoir par
la porte basse du dreyfusisme, sous
la protection du parti qui avait pour
programme la déchéance et la dis
solution de l'esprit militaire.
M. Waldeck-Rousseau s'expose à
payer très cher un piètre succès.
Ne connaissant que la terminologie
de la procédure et la phraséologie
de la basoche, il n'a pas de Lettre 0 .
S'il était capable de puiser ailleurs
que dans la paperasserie judiciaire
et administrative, il comprendrait i,
la leçon annoncée d'avance à Jules
Pavre piar Louis Veuillot, pendant
le siège de Paris, lorsque le gou
vernement se faisait le complice de
toutes les turpitudes : « Politiqùe-
« ment, vous êtes de pauvres hè-
« res, empêtrés d'un vice d'erïgine
« et particulièrement incapablés de
« reprendre les armes que .vous-
« avez données contre vous, armes
« d'ailleurs que l'orgueil ne reprend
« jamais. Le mauvais pacte a été
« signé : vous en subirez les clau-
« ses. Vous avez mal' commencé,
« mal continué, vous finirez plus
« mal... Vous entendrez ce formi-
« dable cri qui ne telère point de
« réplique, ce cri d'indignation et
« d'inanition morale qu'ont entendu
« tour à tour Louis-Philippe, la
« République et Bonaparte. Allez-
« vous-en 1 Quoi qu'il arrive, quoi
« qu'il en coûte, allez-vous-en ! »
C'estsur ce ton,ou à peu près,que
le bilieux avocat, l'arrogant expul-
seur, le vilain cuistre se verra ro-
mercié.
Eugène T avernier;
WLIBJIH.
La journée d'hier a été le digne cou
ronnement du voyage de Nicolas II et
de l'impératrice de Russie en France.
La revue, magnifique, a donné à notre
allié une forte impression de notre puis
sance militaire et de la solidité de notre
armée, malgré tout ce qui a pu être fait
contre elle. Le toast qu'il a prononcé à
l'issue du banquet qui suivait la revue
et terminait son séjour, en a fourni la
preuve. Cette allocution et celle du pré
sident de la République, empreintes
d'une cordialité émue et chaude, mon
trent bien que les liens qui. nous unis-
sent à la Russie sontplus intimes et plus
serrés que jamais.
Un journal annonçait hier soir les dé
missions de MM. Baudin et Millerand.
Cette information est démentie ce ma
tin.
De l'étranger, peu de nouvelles. Les l
Boers redoublent d'activité. Les voici
qui envahissent le Natal. D'autre part,
le Handelsblad annonce que les mem
bres de la députation boer, MM. Fis
cher, Wessels et Wolmarans, ont eu
hier une longue conférence avec le mi
nistre dès affaires étrangères des Pays-
Bas, baron Melval Van Lynden, prési*
dent du conseil permanent de la cour
d'arbitrage.
On télégraphie de Belgrade que, de
nouveau, une bande de soldats turcs a
voulu faire irruption en Serbie, dans
un but de pillage. Les gardes-frontières
ont tiré sur les envahisseurs qui se sont
enfuis, laissant deux morts.
DÉFISSIONS DÉMENTIES
Le Journal des Débats annonçait
hier que MM. Millerand et Baudin
rendaient leurs portefeuilles, et que
le général André avait été sur le
point d'en faire autant. M. Mille
rand se retirait pour ne pas rompre
définitivement avec les collectivis
tes, qui sont furieux de l'empresse
ment du ministère de Défense-répu
blicaine auprès de « l'autocrate
russe ». On ne disait pas pourquoi
M. Baudin s'en allait ; mais on ne
sait pas non plus pourquoi il est
là. • -
La nouvelle est d'ailleurs démen
tie. Le Matin, organe officieux de
M. Waldeck-Rousseau, publie la
note suivante :
Un journal a annoncé, hier soir, que
plusieurs ministres avaient ou étaient
disposés à donner leur démission pour
des causes se rapportant au voyage du
tsar en France.
; Cette information est complètement
inexacte.
\> Ce démenti n'étonnera point. Ce
n'est pas que les raisons manquent,
surtout à M. Millerand, pour s'en
aller. Mais il y en a une.si bonne qui
lui conseille ae rester : le plaisir et
l'orgueil d'être ministre.
! La République de ce nom, une des plus
importantes de l'Amérique du sud, a été
ravagée pendant deux ans par une
guerre qui entre maintenant dans une
nouvelle phase. De ci, de là, les journaux
européens ont donné, à ce sujet, des nou
velles assez confuses, assez incohéren
tes. Cette guerre présente pourtant un
caractère peu banal. Civile et interna
tionale à la fois, elle a été surtout une
guerre religieuse et a fourni à un parti
catholique l'occasion, salutaire, de ra
jeunir son ardeur dans l'épreuve. Un
fouvernement conservateur a eu -à se
éfendre contre les radicaux révoltés et
soutenus ouvertement par les gouverne
ments, également radicaux, du Vene
zuela, de l'Equateur et du Nicaragua.
Il y aurait intérêt a jeter un regard en
arrière sur l'histoire des partis politiques
de ce pays, depuis quarante ans, puis
à résumer les faits de la présente
guerre.
En 1861, les libéraux renversaient,
par la force des armes, un gouverne
ment catholique. Rien de bien neuf en
cela dans cette Amérique méridionale,
le pays classique des révolutions. Rien
de bien neuf; non plus, dans le prétendu
régime de liberté imposé par les libéraux
à ce pays profondément religieux : nou
velle constitution, ultra-radicale ; gou
vernement athée ; Dieu banni des écoles ;
dans l'enseignement supérieur, le maté
rialisme implanté ; destitutions arbi
traires et autres fleurs de libèrté « libé
rale ». Et cela, vingt cinq ans durant,
jusqu'en 188G.
Pour ces fiers conquérants les élec
tions n'étaient que comédie. Le suffrage
universel sè prêtait si bien à toutes leurs
intrigues! Sans vergogne, ils criaient
haut cet axiome bien libéral : « Un pou
voir conquis à coups d'épée, ne s'enlève
pas à coups de... bulletins électoraux.»
Par tactique et sans souci de» vrais inté
rêts du pays, ils divisèrent la Colombie
en neuf Etats souverains, chacun avec
son président, sa Chambre de. députés,
ses lois. C'était le chaos. Mais qu'im-'
porte !
: N'était-ce pas le décuplement du fonc-
tionarisme au profit des créatures ? N'é
tait-ce. pas, surtout, la garantie d'une do
mination. sans fin ? Pour comble de gâ
chis, les libéraux décrétèrent que le pré
sident de la République ne serait, plus'
élu que pour deux ans. C'était l'agitation
sans trêve. Ainsi retranchés et fortifiés
dans la citadelle du pouvoir, les libéraux
se montrèrent ce qu'ils sont sous toutes
les. latitudes : des sectaires aux gages de
la Loge. Sans doute la constitution ga
rantissait aux Colombiens, d'une façon
absolue, l'exercice de toutes les libertés :
presse, parole, enseignement, culte, as
sociation etc. Mais ces libertés n'étaient
pas faites pour tout le monde. Défense de
se réHnir en communauté pour prier
Dieu ! Religieux et religieuses durent
prendre le chemin de l'exil.
Mais leurs propriétés — et elles étaient
considérables — à qui revenaient elles
de droit ? A l'Etat, sans doute ? — Mieux
que cela. Vente publique est annoncée
de tous les biens détenus et recelés par
les ci-devant religieux et religieuses.
Mais ils ne seront adjugés que contre de
certains petits papiers* dits papiers d'E
tat, et délivrés naturellement aux" seuls
amis, voire à des mandataires dissimu
lées.
Qu'après cela un Journaliste de l'oppo
sition s'avisât de trouver la procédure
mauvaise, on vous l'incarcérait, on sus
pendait son journal, et puis... vive la li
berté I
i Malgré leurs expédients, les hommès
au pouvoir n'avaient pas assez de froma
ges pour y caser toutes leurs créatures.
Il y eut des mécontents et les libéraux se
divisèrent en radicaux et en libéraux in
dépendants. En 1875, deux candidats
étaient en présence pour la présidence
de la République ; deux candidats libé
raux, s'entend. Pour les catholiques, qui
là-bas s'intitulent « conservateurs, » à
quoi bon un candidat : « des coups de
bulletin ne valaient pas des coups d'é
pée!»
Et de oes deux candidats le plus mo
déré ne pouvait paB être l'homme d'un
tel gouvernement. Nunez était pourtant
le plus populaire. Sceptique en philoso
phie, littérateur et poète à ses heures,
Nunez était par-dessus tout un «habile
homme ». Les accommodements qu'il se
permettait dans sa vie privée avec l'aus
térité des mœurs, il les prenait égale
ment en politique avec la rigidité des
principes. Ondoyant, il,sut attacher à sa
fortune les modérés des libéraux et des
conservateurs, flatter les uns, endormir
les autres, puis au moment propice faire
volte-face, toujours au mieux de ses in
térêts politiques et de sa popularité. En
nemi des extrêmes, il prit comme objec
tif de réformer une constitution qui con
sacrait des libertés ou mieux des licences
excessives. En vue de sa candidature,
dès 1875, il travailla à se rapprocher des
conservateurs ; et la majorité de ceux-ci,
d'abord rebelles à cette sorte d'alliance,
se laissèrent peu à peu gagner à la persé
vérante habileté de Nunez. Ainsi prit
naissance le parti « nationaliste ».
Les radicaux se sentaient menacés. A
tout prix, il fallait imposer au pays le
candidat de leur choix. Ils recoururent à
la violence et eurent raison de l'opposi
tion, par le sang versé dans les rues de
Bogota et par la terreur semée dans toute
la République.
: Mais tout ce sang répandu, mais le cy
nique arbitraire, la férocité, même que
déployaient les radicaux, c'était trop
d'excès. Dès l'année suivante, en 1876, la
nation opprimée se souleva, à l'appel des
conservateurs cette fois.
La guerre fut terrible. L'ardeur toute
chevaleresque de cette race espagnole se
révéla, surtout du côté des catholiques.
Ces chrétiens pleins de foi marchaient à
la bataille, l'image du Sacré-Cœur de
Jésus sur la poitrine. Ils méprisaient la
mort, luttant pour leur foi, ils tenaient
pour certain qu'ils allaient au martyre.
Mais ils étaient mal armés. Les radi
caux dans ces révoltes ont appelé sou
vent à leur aide l'appui de l'étranger.
Plus fiers, les conservateurs auraient
rougi d'y penser. Ils furent battus.
Pendant ce temps, que faisait l'habile
Nunez ? Il attendait, suivait les phases
de la lutte ; son hésitation ne fut pas de
longue durée.
Quand, dans une des premières ren
contres, il vit la fortune tourner le dos à
ceux-là mêmes qui avaient pris les
armes contre ses propres adversaires
politiques: ;
•—Jeneprendspointpassagesurunvais-
seau qui coule,»dit-il en parlant des con
servateur! et sans plus de scrupule,
Nunez mit au service des radicaux les
forces du petit Etat de Bolivar qu'il gou-
gernait en ce moment.
Ecrasés par toutes les troupes des li
béraux unis, les conservateurs, soit poli- -
tique, soit faiblesse, ne gardèrent pas
rancune à Nunez. A nouveau, l'habile
homme protesta que, s'il était libéral, il
n'était nullement anti-catholique. La
guerre était finie, et il s'agissait d'élire
un nouveau président.
Trugillo, libéral indépendant, et prin
cipal vainqueur dans la lutte, fut nom
mé. Les radicaux n'avaient osé lui faire
opposition ; mais ils se promettaient bien
de circonvenir Trugillo et d'obtenir au
moins qu'il gouvernât avec les deux
fractions libérales. C'était compter sans
Nunez. Dans cette lutte d'influence, à lui
seul, il déjoua les. intrigues radicales, à
lui seul, il sut dominer Trugillo, si bien
qu'en 1880, celui-ci n'eut plus qu'à don
ner au pays la liberté de voter librement
et Nunez, en personne, prenait les rênes
du gouvernement. Si, du moins, ce poli
ticien de marque eût mis son habileté à
remédier au désarroi des affaires publi
ques ! Il n'en fit rien, et ses deux années
de présidence s'écoulèrent sans aucune
réforme importante.
Pour la période suivante, il fit élire ur
vieillard déjà sur le bord de la tomb«
C'était au congrès, il est vrai, c'est-a-
dire à la Chambre des députés et au Sé
nat réunis, de pourvoir à la présidence
quand venait à manquer le soi-disant élu
du peuple. Mais le congrès, c'était
Nunez.
Autour du président Zaldua reprirent
leur jeu radicaux et indépendants. Cette
fois, les premiers damèrent le pion à
leurs rivaux. Mais la partie allait être à
recommencer. Zaldua mourut etfut rem
placé par Otalora, créature dévouée de
Nunez. Son influence sauve, le grand po
liticien avait assez fait pour le bien de la
patrie. Là-bas, au Nord, en face de la
mer des Antilles, Carthagène dresse ses
vieilles murailles espagnoles. Or, Car
thagène attire Nunez. Carthagène, c'est
l'air natal, c'est le repos. Et puis, il fait
bon, aux heures du plein succès, d'aller
sourire aux bonnes gens du pays, et leur
dire : « C'est moi. »
Nunez B'en fut à Carthagène pour de
là semer par le pays, dans les journaux,
dans les revues, les faciles et élégants
caprices d'une muse qui toujours l'aga
çait. Car, soit dit en passant, si les libé
raux négligèrent trop de développer l'ins
truction populaire, à telle enseigne qu'à
peine 1 pour 100 des enfanÉs fréquen
taient les écoles ; volontiers pourtant les
classes dirigeantes se piquent de littéra
ture. Nos* auteurs français, en particu
lier, y sont fort en honneur.
: Or, pendant que Nunez se reposait sur
son mandataire du souci de son prestige
politique, les radicaux induisaient en
tentation la fidélité d'Otalora, tant et si
bien qu'ils se crurent les maîtres et sei
gneurs du président, et le proposèrent
pour la période suivante à l'élection du
peuple. Otalora, qui pour quelques mois
se laissa tenter fut soudain pris de re
pentir. Il n'osa trahir son bienfaiteur.
Sentant la guerre sourde que faisaient
à son prestige les radicaux, une fois en
core Nunez se retourna vers les" conser
vateurs. Toujours il avait entretenu de
bonnes relations avec ceux des chefs ca
tholiques qu'il trouvait plus|;résignés au
rôle de comparses. Le moment était venu
de ressouder les éléments du parti na
tionaliste. Quelques phrases sonores sur
le respect des convictions religieuses y
suffirent. On alla même jusqu'à parler
de programme sainement progressiste;
de la nécessité de régulariser la situation
financière ; on s'avisa enfin de l'état pré
caire des voies de communication. Les
catholiques étaient gagnés. Nunez fut
élu président. Nous sommes en 1884,
Les radicaux comprirent que leur rè
gne était fini, s'ils n'avaient recours aux
coups d'épée. Dès l'année suivante, ils y
allèrent donc, à nouveau, d'une révolu
tion. Avec l'aide de ses alliés, Nunez en
triompha, et, dès lors, adopta franche
ment une politique conservatrice. Il dé
clara suspendue la Constitution libérale
de 1863. L'Assemblée constituante don
na au pays une loi fondamentale nette
ment conservatrice et libérale, au vrai
sens du mot.
FEUILLETON DE L'UNIVERS
du 23 septembre 1901
QUINZAINES DRAMATIQUES
ET ARTISTIQUES
C'est certainement pour honorerla mé
moire du poète Parodi, dont nous avons
regretté la perte récente, qu.e la Comé
die-Française a repris la Reine Juana,
une de ses meilleures tragédies. Pour
ceux qui se pâment d'aise à l'Etude To-
casson,à.Paris-Cascade ou à VAuberge du
Tohu■ bohu en attendant impatiemment
la première de Bichette, pu les Aventures
mirifiques deDutilleul et deGotonet cette
reprise passera inaperçue. Ou si, par
hasard, ils y vont, ils diront en étouffant
un bâillement : * C'est trop triste!... Ça
n'est pas amusant ! » Aussi, n'est-ce pas
pour ce public frivole que Parodi avait
écrit ea pièce. Il avait l'âme haute et
noble et il espérait que ses auditeurs
comprendraient la hauteur et la noblesse
de ses sentiments. La Reine Juana a été
représentée pour la premiève fois le
€ mai 1893 et je me rappelle encore iea
longs applaudissements qui saluèrent
l'œuvre et le poète. Hier encore, cette
tragédie a produit une vive émotion et
suscité de nombreux bravos. C'est que le
sujet est tragique au possible et traité
avec une puissance, une énergie remar
quables. Les deux principaux person
nages, Charles-Quint et sa mère Jeanne
la Folle, attirent et captivent l'attentiofl,
tellement leurs figures se présentent
avec un relief saisissant.
Chacun sait que Jeanne, fille de Fer
dinand le Catholique et d'Isabelle, avait
épousé en 1496 l'archiduc d'Autriche,
Philippe le Beau, et qu'elle devint reine
àe Castille à la mort de sa mère. Trom
pée par un mari qu'elle adorait, elle
sentit sa raison s'égarer. Lorsqu'il mou
rut, elle devint folle et Ferdinand gou
verna le royaume comme régent jusqu'en
1516, époque à laquelle Charles-Quint
prit le titre de roi. Le poète a supposé
que le jeune prince, sur le conseil de ses
courtisans,a préféré l'ambition à l'amour
filial et fait croire à la folie de sa mère
qu'il a enfermée à Tordésillas,alors qu'il
sait qu'elle n'a point perdu la raison. La
lutte effrayante qui s'établit entre la
reine qui veut garder à tout prix un pou
voir légitime et Charles-Quint, qui ne
rendra la liberté à Ba mère que si elle lui
cède de force la couronne de Castille,
forme toute la doni}£e du drame.
Au premier acte qui se passe ai! Peu
vent de Tortola, des moines parlent,
après la prière du soir, de dona Jua
na, la veuve inconsolable qui promène
partout le padavre du roi Philippe,et se di
sent que le désespoir a d& égarer sa raison.
Tout à coup, Juana conduite par un cour
tisan, un traître le seigneur Mosen Fer
mer qui a empoisonné son mari, entre au
couvent où dpjt venir la retrouver, pour
s'entretenir avec elle, son père dçn i?ercji-
nand, roi d'Aragon. Elle aperçoit l'inqui
siteur Fray Marcos, s'effraye et se retire
dans un oratoire secret. îje pqètp a fait
de ce moine un personnage farouche,
méchant, cruel qui a plutôt quelque chose
de mêto4raifnatique que de vraiment tra
gique. L'acteur qui 1 s représente, M.
Paul Mounet, a encore accentué les traits
yjçlentg de ce fanatique, qui ne rêve que
morts et bûchers. J'ai retrouvé,à entendre
déclamer ce Fray Marcos,mon impression,
première qui était plus encore de l'agace
ment que de l'ennui.Cet inquisiteur est le
seul personnage insupportable de la tra
gédie, mais il l'est singulièrement. Si le
poète vivait encore, on aurait pu lui con
seiller de raccourcir les tirades longues,
déclamatoires et fausses de cet être som
bre et féroce. Il est vrai que nous ne le
verrons plus que dans deux scènes, mais
c'est eneore trop.
Don Ferdinand survient et veut parler à
sa fille, mais elle a disparu. On la cher
che partout. Soudain, des chants funè
bres éclatent dans la nuit, Les portes du
couvent s'ouvrent et l'on aperçoit un cor
tège formé de moines, d'enfants, de gen
tilshommes et d'hommes du peuple qui
portent le cercueil du roi Philippe. Dona
Juana, les mains jointes, suit lè cer
cueil. Puis elle s'avance auprès de son
père et demande à rester seule avec
lui. Don Ferdinand l'&cpjjeille avec une
bonté hypocrite et Bemble la plaindre.
Elle pleure son époux et dit qu'elle
obéira à ses ordres. Il lui a fait jurer
de vivre et de garder le trône de Castille.
Pon Ferdinand l'invite à oruitter ce pou
voir qui la gêne et qui lui pèse, ifl vou
drait joindre la Castille h l'Aragon, car
ce sont les deux fleurons d'un même dia
dème et il croit que cette réunion ferait
le bonheur l'Espagne. Mais Juana re
fuse d'abdiquer. Elle conduira le corps,
de son époux sur les bords du Jénil au
sépulcre de sa mère, mais avant il faut
qu'elle le venge. Alors elle appelle le
peuple et dénonce Mosen Ferrer comme
l'assassin de Philippe. Devant tous elle
l'appelle empoisgnneur, roaig don Ferdi
nand fait défense de l'écouter et ordonne
de l'entraîner à Tordésillas, car, suivant
lui,elle est folle...Cette fin d'acte est sai
sissante et le décor où elle se passe est
superbe. La mise en scène accentue en
core la grandeur de la situation.
Au second acte, à Burgos, danB le pa
lais du nouveau roi, don Carlos, fils de
Juana, qui sera Charles-Quint, don Juan
de Padilla, qui avait été exilé par don
Ferdinand à cause de sa sympathie pour
l'infortune de la reine Juana, a obtenu
son rappel à la cour. Il demande un en
tretien au nouveau roi d'Aragon et, dans-
un langage très hardi, lesupplie .de re
noncer au trône de Çàstille. Le prince
étonné lui répond que c'est l'apanage de
sa famille et qu'il y a droit. Don Jtjan lui
fait observer que sa mère n'est pas
morte. Carlos réplique que la reine in
fortunée a perdu la raison et depuis neuf
ans est reléguée à Tordésillas. Sur ce,
don Juan jure qu'elle n'est pas folle, que
sa sœur qui.vit auprès d'elle et que son
ami, don Arias, fils du gouverneur, l'aiï}r-
méat comme lui, J1 le supplie à ge
noux; '
Ah ! ne persistez pas dans la fatale erreur.
Du crime en vain nié, qui vous frappe d'herreur,
Soyez le vengeur, Sire, et non p$s le complice j.
A tous de mettra un terme à son 'trop long aup*
s ;î; [plies,
A voue de réparer les maux qu'elle a soufferts '
Et de lui rendre enfin, aux yeux de l'univers,
Ramenant du tombeau la martyre à la vie,
Roi jaBte et fils pieux, s$ çqurojin} ravie !
A qea mots prononcés avec une énergie
convaincante, don Carlos appelle seB
courtisans et les interroge. Mosen Fer
rer, plus que tous les autreB, soutienlque
la reine est folle, mais don Juan l'ao-
cupe devoir empoisonné Philippe et con
fond si bien son impudence que Mosen se
tait et se retire chassé par le roi. Celui-
ci seul, dans un monologue vraiment
cornélien, se demande ce qu'il doit faire.
Il se dit que son droit seul est réel et qu'il
n'usurpe rien, que ce sceptre est bien à
lui, qu'il ne peut B'enfermer dans l'étroit
Aragori. Mais si cependant sa mère n 'a
point perdu la raison, le devoir lui com
mande de lui laisser la couronne. Il hé
site entre l'honneur et l'ambition.
Mais alors, je devrais tout ajourner... attendre I
Arracher de mon arc la flècie et le détendra
EtduhABt de ce trône où je ru 'allais aeee»ir
Retomber dqns le rêve et dans l'inerte espoir I
Je devrais à ma mère immoler mon génie !
Enaurai-je la force?... ô Justice infinie
J'ai promis d'observer et de venger tes lois ;
Mais prince eût-il jamais à faire un pareil choix?
Ici le parricide, et là... Quel sacrifice ?
Entré un-monde et ma mère, il faat que je choi
sisse!
L'épreuve est surhumaine et je voudrais pou
voir.,,
Dieul chasse de mon cceur l'inayoua^e espoir
~ui, ttialgré moi, surgit au fond de ma pensée,,,
e voudrais que ma mère, hélas I fut insensée I
fray marcos (apparaissant).
N'allez donc pas la voir !
! DON ÇARLQ3 •
Poui'quei n'irais-js
fray marcos
Demeurez dans Burgos, laissez Tardésillas !
Jeune liomme, du vieillard écoute la parole
N'y va. pas | :■
DON CARtOS
Mais pourquoi ?
fray marcos
; - La reine n'est pas folle!
' Malgré ca perfide conseil, don Carlos
devenu Charles-Quint, ira voir sa mère
en son pakis qui n'est qu'une prison. Il
vient, il l'embrasse, il lui dit qu'il éprou
ve à la retrouver une douceur infinie. II
lui promet la liberté. Il ne doute pas que
les médecins,qui vont la voir sur son or
dre, ne la fassent Bortir de Tordésillas v
. S'il n'est pas venu plus tôt la voir, c'eBt
que l'empire et ses charges accablantes
l'en ont empêché. La reine répond qu'elle
a droit à la pitié, car depuis longtemps
les heures ont fui sans lui apporter une
joie, un sourire. Son époux lui a été en
levé par le poison, et son désespoir a fait
eroire à sa folie. Son père l'a relé
guée en ce triste Tordésillas dont une gar
de sévère défend à tous les abords. Elle
le supplie de l'emmener au plus tôt.
Charles-Quint y consent, mais à la con
dition qu'elle renoncera au lourd fardeau
du trône.
C'est un joyau souvent mortel qn'un diadième !
Viens à Burgos! Viens vivre, oisive comme ici,
Heureuse enfin, sans tâche à remplir, sans souci)
Libre parmi les tiens, irresponsable et calme !
dona juana
Le martyre, enlaçant à mon sceptre la palme,
Me l'a. rend* plus cher. J'y tiens ! Je garderai
Mon titre et le serment à ton père juré.
charles-quint
Ta lias jamais régné, maigri» ton nom de reine I
dona juana
En suis-je moins la vraie et seule souveraine ?
charles-quint
Après treize ans passés loin des vivants, au fond
De cette ombre où tout bruit dans le silence fond,
L'Europe te verrait tout à coup reparaître
Pour régir un Etat que tu ne peux connaître!
Y senges-tnI Régner?. Mais comment? Mais
[pourquoi? -
doka juana
Tu parles sur un ton qui ne convient qu'à moi ?
! ' charles-çuint
Si pourtant il fallait pour la joie du royaume
Lundi 23 Septembre lôôl
DEPOT L^: - '•
Se*#**
Sdiiiea qnatldifiançT *• 12*264
Lundi 23 Septembre 1901
ÉDITION QUOTIDIENNE
PARIS ÉTRANGER
ET départements (union postale)
Un an,,....... 40 » 51 »
Six mois 21 » 26 50
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UN NUMÉRO I Départements 15 —
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LE- MONDE
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L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
ANNONCES
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Chaque deuu nde da ehan^emeQ
d'adresse doit être aecompaguée d.«
50 eentimes ea tiiinbres-poâtei-
PARIS, 22 SEPTEMBRE 1901
@OA£M:A.I£«EB
Paris en pénitence. Eugène, Tavernier.
Les partis politiques
un Colombie XX.
Chronique des mis
sions............. Le Témoin.
Feuilletons : Quin
zaines dramatiques
et artistiques...... Henri Dac.
A travers les revues-
Bulletin. — Démissions démenties. — Le
tsar en France. — Contre l'armée. —
Informations politiques et parlementai
res. — La mort du président Mac Kin«
loy. — La guerre du Transvaal. ■*-
Dépêches de l'étranger. — Lettre pas
torale, de Mgr l'évôque de Tarbes. —
Ohronique. — Les retraites ouvrières. —
Nécrologie. — Echos do partout. —La
question ouvrière. — Chez les socialis
tes. ~ Les anarchistes. — Bulletin bi
bliographique. — Nouvelles dverses. —»
Revue de la Bourse. — Calendrier.
PARIS EH PENITENCE
Expulser des moines et des reli
gieuses est une besogne à laquelle
on prend goût, lorsqu'on a le cœur
fait d'une certaine façon. En train
décidément, échauffé, lancé, M.
Waldeck-Rousseau n'a pas songé à
se retenir; et, ne voulant pas per
dre la moindre occasion de bauscu-
ler quelqu'un, il a un peu expulsé
le tsar. ,
Ces pompes impériales ne satis
faisaient qu'à moitié le chef de no
tre ministère: Evidemment, il les
avait désirées et favorisées ; car M.
Loubet n'aurait pas eu l'aplomb de
régler de lui-même et à lui seul une
pareille manifestation. Peut-être le
président de la République a-t-il,
plus que d'ordinaire, déployé de
l'initiative et de l'activité ; peut-être
a-t-il cédé à la tentation de grossir
son importance ; mais nul doute
que Io président du conseil ne se
soit pas laissé imposer un rôle de
comparse. Voulant bénéficier du
prestige de l'alliance russe, M.
Waldeck-Rousseau a fait, dans la
solennelle conjoncture, ce qui dé
pendait de lui.
Du reste; la cérémonie marchait
parfaitement. A Dunkerque, à Com-
piègne, à Reims, dans la cathédrale
comme sur le champ de manœu
vres, les souvërains étrangers ont
eu l'attitude qui s'accordait avec le
sentiment populaire. L'impératrice
est charmante. Au milieu de nos
soldats, fraternisant avec nos offi
ciers, simple, joyeux, confiant, Ni
colas II a enthousiasmé les troupes
et le public. C'est bien ainsi que la
France veut qu'on se montre à
elle.
Pourtant, M. Waldeck-Rousseau
n'avait pas l'esprit tranquille. Le
conseil municipal de Paris, cette
assemblée en majorité nationaliste,
ambitionnait-de faire au couple
impérial les honneurs de la grande
cité. Notre premier ministre ne se
résignait pas à la pensée que ses
adversaires auraient leur part des
réjouissances patriotiques.
Comme les natures sèches, vul
gaires et mesquines, il est enclin à
a ratfcune. Il ne supporte pas que
l'Hôtel de Ville abrite des élus na
tionalistes; et il a toujours sur le
cœur l'affront cruel que jadis, de
vant des gymnasiarques, lui donna
M. Grébauval, l'ancien président.
Celui-ci, apercevant M. "Waldeck,
quitta brusquement la réunion, en
signe d'hostilité et de répugnance.
Peu importe que M. Grébauval
soit aujourd'hui remplacé M.
Waldeck ne pardonne pas. Il lui
fallait, coûte que coûte, sa revan
che et sa vengeance, dussent les
Parisiens être furieux, dût le cou
ple auguste éprouver une décep
tion et un froissement. N'agacez
pas les pince-sans-rire : souvent,
sous le flegme, leur sang noir char
rie un fiel dont s'énivre leur cerveau.
Toutes les embûches protocolai
res furent disposées pour détour
ner le tsar et la tsarine de visiter
Paris, même dans une simple pro
menade. Quand ils laissaient percer
ce désir, si légitime et si aimable,
de longues figures froides affec
taient l'incompréhension ou l'an
xiété.
L'empereur a jugé qu'il serait
une cause d'embarras pour les
seuls personnages officiels qu'il
eût vus jusqu'alors; et il a. décidé
de partir tout de suite.
Quelle-rencontre aurait pu le gê
ner cependant? Celle de conseil
lers municipaux nationalistes ? On
lui avait bien, en 1896, servi des
socialistes, même des révolution
naires très avancés, même l'extraor
dinaire Lucipia, ancien forçat au
thentique et toujours assassin bre
veté. Malgré 1 inouï de l'aven
ture, l'empereur en avait pris son
parti avec une humeur dont on au
rait dû lui savoir gré. Pour aujour
d'hui, la vraisemblance était qu'il
aurait préféré avoir dans son entou
rage M. Dausset, qui, justement/ a
nettoyé l'Hôtel de Ville de M. Lu
cipia.
Et les Parisiens, qui osèrent ap
plaudir au mouvement nationaliste
né de l'horreur inspirée par Une
politique louche et basse, les Pari
siens, les voilà en pénitence. Ils ne
goûteront pas la joie de se sentir
l'objet d'un© confiance auguste et
gracieuse. Ils ne mordront pas à ce
dessert qui les aurait consolés de
la malsaine nourriture que leur dis
tribue le gouvernement. En péni
tence, les mauvais petits garçons.
C'est d'une rigoureuse sévérité.
Toutefois, dans la circonstance
présente, c'est la sévérité d'un pion
et d'un cuistre. .
Le peuple de Paris aime les au
daces, mais de préférence celles qui
jaillissent; d'une volonté ardente
et généreuse. Il a pu se laisser
entraîner au mal : c'est que
l'excitation alors offrait un carac
tère puissant et d'une certaine iaçon
grandiose. Il lui est arrivé d'am
nistier des crimes avec une terril
ble allégresse : c'est que les crimes
étaient l'œuvre de passions formi-
bles. La sécheresse, la petitesse, la
mesquinerie, la taquinerie ne sont
pas au tout à sa mesure.
Peut-être que Waldeck-Rousseau
a commis une forte sottise. Le pré
sident du conseil a montré, en effet,
ce qu'il y a de bas dans la troupe
ministérielle arrivée au pouvoir par
la porte basse du dreyfusisme, sous
la protection du parti qui avait pour
programme la déchéance et la dis
solution de l'esprit militaire.
M. Waldeck-Rousseau s'expose à
payer très cher un piètre succès.
Ne connaissant que la terminologie
de la procédure et la phraséologie
de la basoche, il n'a pas de Lettre 0 .
S'il était capable de puiser ailleurs
que dans la paperasserie judiciaire
et administrative, il comprendrait i,
la leçon annoncée d'avance à Jules
Pavre piar Louis Veuillot, pendant
le siège de Paris, lorsque le gou
vernement se faisait le complice de
toutes les turpitudes : « Politiqùe-
« ment, vous êtes de pauvres hè-
« res, empêtrés d'un vice d'erïgine
« et particulièrement incapablés de
« reprendre les armes que .vous-
« avez données contre vous, armes
« d'ailleurs que l'orgueil ne reprend
« jamais. Le mauvais pacte a été
« signé : vous en subirez les clau-
« ses. Vous avez mal' commencé,
« mal continué, vous finirez plus
« mal... Vous entendrez ce formi-
« dable cri qui ne telère point de
« réplique, ce cri d'indignation et
« d'inanition morale qu'ont entendu
« tour à tour Louis-Philippe, la
« République et Bonaparte. Allez-
« vous-en 1 Quoi qu'il arrive, quoi
« qu'il en coûte, allez-vous-en ! »
C'estsur ce ton,ou à peu près,que
le bilieux avocat, l'arrogant expul-
seur, le vilain cuistre se verra ro-
mercié.
Eugène T avernier;
WLIBJIH.
La journée d'hier a été le digne cou
ronnement du voyage de Nicolas II et
de l'impératrice de Russie en France.
La revue, magnifique, a donné à notre
allié une forte impression de notre puis
sance militaire et de la solidité de notre
armée, malgré tout ce qui a pu être fait
contre elle. Le toast qu'il a prononcé à
l'issue du banquet qui suivait la revue
et terminait son séjour, en a fourni la
preuve. Cette allocution et celle du pré
sident de la République, empreintes
d'une cordialité émue et chaude, mon
trent bien que les liens qui. nous unis-
sent à la Russie sontplus intimes et plus
serrés que jamais.
Un journal annonçait hier soir les dé
missions de MM. Baudin et Millerand.
Cette information est démentie ce ma
tin.
De l'étranger, peu de nouvelles. Les l
Boers redoublent d'activité. Les voici
qui envahissent le Natal. D'autre part,
le Handelsblad annonce que les mem
bres de la députation boer, MM. Fis
cher, Wessels et Wolmarans, ont eu
hier une longue conférence avec le mi
nistre dès affaires étrangères des Pays-
Bas, baron Melval Van Lynden, prési*
dent du conseil permanent de la cour
d'arbitrage.
On télégraphie de Belgrade que, de
nouveau, une bande de soldats turcs a
voulu faire irruption en Serbie, dans
un but de pillage. Les gardes-frontières
ont tiré sur les envahisseurs qui se sont
enfuis, laissant deux morts.
DÉFISSIONS DÉMENTIES
Le Journal des Débats annonçait
hier que MM. Millerand et Baudin
rendaient leurs portefeuilles, et que
le général André avait été sur le
point d'en faire autant. M. Mille
rand se retirait pour ne pas rompre
définitivement avec les collectivis
tes, qui sont furieux de l'empresse
ment du ministère de Défense-répu
blicaine auprès de « l'autocrate
russe ». On ne disait pas pourquoi
M. Baudin s'en allait ; mais on ne
sait pas non plus pourquoi il est
là. • -
La nouvelle est d'ailleurs démen
tie. Le Matin, organe officieux de
M. Waldeck-Rousseau, publie la
note suivante :
Un journal a annoncé, hier soir, que
plusieurs ministres avaient ou étaient
disposés à donner leur démission pour
des causes se rapportant au voyage du
tsar en France.
; Cette information est complètement
inexacte.
\> Ce démenti n'étonnera point. Ce
n'est pas que les raisons manquent,
surtout à M. Millerand, pour s'en
aller. Mais il y en a une.si bonne qui
lui conseille ae rester : le plaisir et
l'orgueil d'être ministre.
! La République de ce nom, une des plus
importantes de l'Amérique du sud, a été
ravagée pendant deux ans par une
guerre qui entre maintenant dans une
nouvelle phase. De ci, de là, les journaux
européens ont donné, à ce sujet, des nou
velles assez confuses, assez incohéren
tes. Cette guerre présente pourtant un
caractère peu banal. Civile et interna
tionale à la fois, elle a été surtout une
guerre religieuse et a fourni à un parti
catholique l'occasion, salutaire, de ra
jeunir son ardeur dans l'épreuve. Un
fouvernement conservateur a eu -à se
éfendre contre les radicaux révoltés et
soutenus ouvertement par les gouverne
ments, également radicaux, du Vene
zuela, de l'Equateur et du Nicaragua.
Il y aurait intérêt a jeter un regard en
arrière sur l'histoire des partis politiques
de ce pays, depuis quarante ans, puis
à résumer les faits de la présente
guerre.
En 1861, les libéraux renversaient,
par la force des armes, un gouverne
ment catholique. Rien de bien neuf en
cela dans cette Amérique méridionale,
le pays classique des révolutions. Rien
de bien neuf; non plus, dans le prétendu
régime de liberté imposé par les libéraux
à ce pays profondément religieux : nou
velle constitution, ultra-radicale ; gou
vernement athée ; Dieu banni des écoles ;
dans l'enseignement supérieur, le maté
rialisme implanté ; destitutions arbi
traires et autres fleurs de libèrté « libé
rale ». Et cela, vingt cinq ans durant,
jusqu'en 188G.
Pour ces fiers conquérants les élec
tions n'étaient que comédie. Le suffrage
universel sè prêtait si bien à toutes leurs
intrigues! Sans vergogne, ils criaient
haut cet axiome bien libéral : « Un pou
voir conquis à coups d'épée, ne s'enlève
pas à coups de... bulletins électoraux.»
Par tactique et sans souci de» vrais inté
rêts du pays, ils divisèrent la Colombie
en neuf Etats souverains, chacun avec
son président, sa Chambre de. députés,
ses lois. C'était le chaos. Mais qu'im-'
porte !
: N'était-ce pas le décuplement du fonc-
tionarisme au profit des créatures ? N'é
tait-ce. pas, surtout, la garantie d'une do
mination. sans fin ? Pour comble de gâ
chis, les libéraux décrétèrent que le pré
sident de la République ne serait, plus'
élu que pour deux ans. C'était l'agitation
sans trêve. Ainsi retranchés et fortifiés
dans la citadelle du pouvoir, les libéraux
se montrèrent ce qu'ils sont sous toutes
les. latitudes : des sectaires aux gages de
la Loge. Sans doute la constitution ga
rantissait aux Colombiens, d'une façon
absolue, l'exercice de toutes les libertés :
presse, parole, enseignement, culte, as
sociation etc. Mais ces libertés n'étaient
pas faites pour tout le monde. Défense de
se réHnir en communauté pour prier
Dieu ! Religieux et religieuses durent
prendre le chemin de l'exil.
Mais leurs propriétés — et elles étaient
considérables — à qui revenaient elles
de droit ? A l'Etat, sans doute ? — Mieux
que cela. Vente publique est annoncée
de tous les biens détenus et recelés par
les ci-devant religieux et religieuses.
Mais ils ne seront adjugés que contre de
certains petits papiers* dits papiers d'E
tat, et délivrés naturellement aux" seuls
amis, voire à des mandataires dissimu
lées.
Qu'après cela un Journaliste de l'oppo
sition s'avisât de trouver la procédure
mauvaise, on vous l'incarcérait, on sus
pendait son journal, et puis... vive la li
berté I
i Malgré leurs expédients, les hommès
au pouvoir n'avaient pas assez de froma
ges pour y caser toutes leurs créatures.
Il y eut des mécontents et les libéraux se
divisèrent en radicaux et en libéraux in
dépendants. En 1875, deux candidats
étaient en présence pour la présidence
de la République ; deux candidats libé
raux, s'entend. Pour les catholiques, qui
là-bas s'intitulent « conservateurs, » à
quoi bon un candidat : « des coups de
bulletin ne valaient pas des coups d'é
pée!»
Et de oes deux candidats le plus mo
déré ne pouvait paB être l'homme d'un
tel gouvernement. Nunez était pourtant
le plus populaire. Sceptique en philoso
phie, littérateur et poète à ses heures,
Nunez était par-dessus tout un «habile
homme ». Les accommodements qu'il se
permettait dans sa vie privée avec l'aus
térité des mœurs, il les prenait égale
ment en politique avec la rigidité des
principes. Ondoyant, il,sut attacher à sa
fortune les modérés des libéraux et des
conservateurs, flatter les uns, endormir
les autres, puis au moment propice faire
volte-face, toujours au mieux de ses in
térêts politiques et de sa popularité. En
nemi des extrêmes, il prit comme objec
tif de réformer une constitution qui con
sacrait des libertés ou mieux des licences
excessives. En vue de sa candidature,
dès 1875, il travailla à se rapprocher des
conservateurs ; et la majorité de ceux-ci,
d'abord rebelles à cette sorte d'alliance,
se laissèrent peu à peu gagner à la persé
vérante habileté de Nunez. Ainsi prit
naissance le parti « nationaliste ».
Les radicaux se sentaient menacés. A
tout prix, il fallait imposer au pays le
candidat de leur choix. Ils recoururent à
la violence et eurent raison de l'opposi
tion, par le sang versé dans les rues de
Bogota et par la terreur semée dans toute
la République.
: Mais tout ce sang répandu, mais le cy
nique arbitraire, la férocité, même que
déployaient les radicaux, c'était trop
d'excès. Dès l'année suivante, en 1876, la
nation opprimée se souleva, à l'appel des
conservateurs cette fois.
La guerre fut terrible. L'ardeur toute
chevaleresque de cette race espagnole se
révéla, surtout du côté des catholiques.
Ces chrétiens pleins de foi marchaient à
la bataille, l'image du Sacré-Cœur de
Jésus sur la poitrine. Ils méprisaient la
mort, luttant pour leur foi, ils tenaient
pour certain qu'ils allaient au martyre.
Mais ils étaient mal armés. Les radi
caux dans ces révoltes ont appelé sou
vent à leur aide l'appui de l'étranger.
Plus fiers, les conservateurs auraient
rougi d'y penser. Ils furent battus.
Pendant ce temps, que faisait l'habile
Nunez ? Il attendait, suivait les phases
de la lutte ; son hésitation ne fut pas de
longue durée.
Quand, dans une des premières ren
contres, il vit la fortune tourner le dos à
ceux-là mêmes qui avaient pris les
armes contre ses propres adversaires
politiques: ;
•—Jeneprendspointpassagesurunvais-
seau qui coule,»dit-il en parlant des con
servateur! et sans plus de scrupule,
Nunez mit au service des radicaux les
forces du petit Etat de Bolivar qu'il gou-
gernait en ce moment.
Ecrasés par toutes les troupes des li
béraux unis, les conservateurs, soit poli- -
tique, soit faiblesse, ne gardèrent pas
rancune à Nunez. A nouveau, l'habile
homme protesta que, s'il était libéral, il
n'était nullement anti-catholique. La
guerre était finie, et il s'agissait d'élire
un nouveau président.
Trugillo, libéral indépendant, et prin
cipal vainqueur dans la lutte, fut nom
mé. Les radicaux n'avaient osé lui faire
opposition ; mais ils se promettaient bien
de circonvenir Trugillo et d'obtenir au
moins qu'il gouvernât avec les deux
fractions libérales. C'était compter sans
Nunez. Dans cette lutte d'influence, à lui
seul, il déjoua les. intrigues radicales, à
lui seul, il sut dominer Trugillo, si bien
qu'en 1880, celui-ci n'eut plus qu'à don
ner au pays la liberté de voter librement
et Nunez, en personne, prenait les rênes
du gouvernement. Si, du moins, ce poli
ticien de marque eût mis son habileté à
remédier au désarroi des affaires publi
ques ! Il n'en fit rien, et ses deux années
de présidence s'écoulèrent sans aucune
réforme importante.
Pour la période suivante, il fit élire ur
vieillard déjà sur le bord de la tomb«
C'était au congrès, il est vrai, c'est-a-
dire à la Chambre des députés et au Sé
nat réunis, de pourvoir à la présidence
quand venait à manquer le soi-disant élu
du peuple. Mais le congrès, c'était
Nunez.
Autour du président Zaldua reprirent
leur jeu radicaux et indépendants. Cette
fois, les premiers damèrent le pion à
leurs rivaux. Mais la partie allait être à
recommencer. Zaldua mourut etfut rem
placé par Otalora, créature dévouée de
Nunez. Son influence sauve, le grand po
liticien avait assez fait pour le bien de la
patrie. Là-bas, au Nord, en face de la
mer des Antilles, Carthagène dresse ses
vieilles murailles espagnoles. Or, Car
thagène attire Nunez. Carthagène, c'est
l'air natal, c'est le repos. Et puis, il fait
bon, aux heures du plein succès, d'aller
sourire aux bonnes gens du pays, et leur
dire : « C'est moi. »
Nunez B'en fut à Carthagène pour de
là semer par le pays, dans les journaux,
dans les revues, les faciles et élégants
caprices d'une muse qui toujours l'aga
çait. Car, soit dit en passant, si les libé
raux négligèrent trop de développer l'ins
truction populaire, à telle enseigne qu'à
peine 1 pour 100 des enfanÉs fréquen
taient les écoles ; volontiers pourtant les
classes dirigeantes se piquent de littéra
ture. Nos* auteurs français, en particu
lier, y sont fort en honneur.
: Or, pendant que Nunez se reposait sur
son mandataire du souci de son prestige
politique, les radicaux induisaient en
tentation la fidélité d'Otalora, tant et si
bien qu'ils se crurent les maîtres et sei
gneurs du président, et le proposèrent
pour la période suivante à l'élection du
peuple. Otalora, qui pour quelques mois
se laissa tenter fut soudain pris de re
pentir. Il n'osa trahir son bienfaiteur.
Sentant la guerre sourde que faisaient
à son prestige les radicaux, une fois en
core Nunez se retourna vers les" conser
vateurs. Toujours il avait entretenu de
bonnes relations avec ceux des chefs ca
tholiques qu'il trouvait plus|;résignés au
rôle de comparses. Le moment était venu
de ressouder les éléments du parti na
tionaliste. Quelques phrases sonores sur
le respect des convictions religieuses y
suffirent. On alla même jusqu'à parler
de programme sainement progressiste;
de la nécessité de régulariser la situation
financière ; on s'avisa enfin de l'état pré
caire des voies de communication. Les
catholiques étaient gagnés. Nunez fut
élu président. Nous sommes en 1884,
Les radicaux comprirent que leur rè
gne était fini, s'ils n'avaient recours aux
coups d'épée. Dès l'année suivante, ils y
allèrent donc, à nouveau, d'une révolu
tion. Avec l'aide de ses alliés, Nunez en
triompha, et, dès lors, adopta franche
ment une politique conservatrice. Il dé
clara suspendue la Constitution libérale
de 1863. L'Assemblée constituante don
na au pays une loi fondamentale nette
ment conservatrice et libérale, au vrai
sens du mot.
FEUILLETON DE L'UNIVERS
du 23 septembre 1901
QUINZAINES DRAMATIQUES
ET ARTISTIQUES
C'est certainement pour honorerla mé
moire du poète Parodi, dont nous avons
regretté la perte récente, qu.e la Comé
die-Française a repris la Reine Juana,
une de ses meilleures tragédies. Pour
ceux qui se pâment d'aise à l'Etude To-
casson,à.Paris-Cascade ou à VAuberge du
Tohu■ bohu en attendant impatiemment
la première de Bichette, pu les Aventures
mirifiques deDutilleul et deGotonet cette
reprise passera inaperçue. Ou si, par
hasard, ils y vont, ils diront en étouffant
un bâillement : * C'est trop triste!... Ça
n'est pas amusant ! » Aussi, n'est-ce pas
pour ce public frivole que Parodi avait
écrit ea pièce. Il avait l'âme haute et
noble et il espérait que ses auditeurs
comprendraient la hauteur et la noblesse
de ses sentiments. La Reine Juana a été
représentée pour la premiève fois le
€ mai 1893 et je me rappelle encore iea
longs applaudissements qui saluèrent
l'œuvre et le poète. Hier encore, cette
tragédie a produit une vive émotion et
suscité de nombreux bravos. C'est que le
sujet est tragique au possible et traité
avec une puissance, une énergie remar
quables. Les deux principaux person
nages, Charles-Quint et sa mère Jeanne
la Folle, attirent et captivent l'attentiofl,
tellement leurs figures se présentent
avec un relief saisissant.
Chacun sait que Jeanne, fille de Fer
dinand le Catholique et d'Isabelle, avait
épousé en 1496 l'archiduc d'Autriche,
Philippe le Beau, et qu'elle devint reine
àe Castille à la mort de sa mère. Trom
pée par un mari qu'elle adorait, elle
sentit sa raison s'égarer. Lorsqu'il mou
rut, elle devint folle et Ferdinand gou
verna le royaume comme régent jusqu'en
1516, époque à laquelle Charles-Quint
prit le titre de roi. Le poète a supposé
que le jeune prince, sur le conseil de ses
courtisans,a préféré l'ambition à l'amour
filial et fait croire à la folie de sa mère
qu'il a enfermée à Tordésillas,alors qu'il
sait qu'elle n'a point perdu la raison. La
lutte effrayante qui s'établit entre la
reine qui veut garder à tout prix un pou
voir légitime et Charles-Quint, qui ne
rendra la liberté à Ba mère que si elle lui
cède de force la couronne de Castille,
forme toute la doni}£e du drame.
Au premier acte qui se passe ai! Peu
vent de Tortola, des moines parlent,
après la prière du soir, de dona Jua
na, la veuve inconsolable qui promène
partout le padavre du roi Philippe,et se di
sent que le désespoir a d& égarer sa raison.
Tout à coup, Juana conduite par un cour
tisan, un traître le seigneur Mosen Fer
mer qui a empoisonné son mari, entre au
couvent où dpjt venir la retrouver, pour
s'entretenir avec elle, son père dçn i?ercji-
nand, roi d'Aragon. Elle aperçoit l'inqui
siteur Fray Marcos, s'effraye et se retire
dans un oratoire secret. îje pqètp a fait
de ce moine un personnage farouche,
méchant, cruel qui a plutôt quelque chose
de mêto4raifnatique que de vraiment tra
gique. L'acteur qui 1 s représente, M.
Paul Mounet, a encore accentué les traits
yjçlentg de ce fanatique, qui ne rêve que
morts et bûchers. J'ai retrouvé,à entendre
déclamer ce Fray Marcos,mon impression,
première qui était plus encore de l'agace
ment que de l'ennui.Cet inquisiteur est le
seul personnage insupportable de la tra
gédie, mais il l'est singulièrement. Si le
poète vivait encore, on aurait pu lui con
seiller de raccourcir les tirades longues,
déclamatoires et fausses de cet être som
bre et féroce. Il est vrai que nous ne le
verrons plus que dans deux scènes, mais
c'est eneore trop.
Don Ferdinand survient et veut parler à
sa fille, mais elle a disparu. On la cher
che partout. Soudain, des chants funè
bres éclatent dans la nuit, Les portes du
couvent s'ouvrent et l'on aperçoit un cor
tège formé de moines, d'enfants, de gen
tilshommes et d'hommes du peuple qui
portent le cercueil du roi Philippe. Dona
Juana, les mains jointes, suit lè cer
cueil. Puis elle s'avance auprès de son
père et demande à rester seule avec
lui. Don Ferdinand l'&cpjjeille avec une
bonté hypocrite et Bemble la plaindre.
Elle pleure son époux et dit qu'elle
obéira à ses ordres. Il lui a fait jurer
de vivre et de garder le trône de Castille.
Pon Ferdinand l'invite à oruitter ce pou
voir qui la gêne et qui lui pèse, ifl vou
drait joindre la Castille h l'Aragon, car
ce sont les deux fleurons d'un même dia
dème et il croit que cette réunion ferait
le bonheur l'Espagne. Mais Juana re
fuse d'abdiquer. Elle conduira le corps,
de son époux sur les bords du Jénil au
sépulcre de sa mère, mais avant il faut
qu'elle le venge. Alors elle appelle le
peuple et dénonce Mosen Ferrer comme
l'assassin de Philippe. Devant tous elle
l'appelle empoisgnneur, roaig don Ferdi
nand fait défense de l'écouter et ordonne
de l'entraîner à Tordésillas, car, suivant
lui,elle est folle...Cette fin d'acte est sai
sissante et le décor où elle se passe est
superbe. La mise en scène accentue en
core la grandeur de la situation.
Au second acte, à Burgos, danB le pa
lais du nouveau roi, don Carlos, fils de
Juana, qui sera Charles-Quint, don Juan
de Padilla, qui avait été exilé par don
Ferdinand à cause de sa sympathie pour
l'infortune de la reine Juana, a obtenu
son rappel à la cour. Il demande un en
tretien au nouveau roi d'Aragon et, dans-
un langage très hardi, lesupplie .de re
noncer au trône de Çàstille. Le prince
étonné lui répond que c'est l'apanage de
sa famille et qu'il y a droit. Don Jtjan lui
fait observer que sa mère n'est pas
morte. Carlos réplique que la reine in
fortunée a perdu la raison et depuis neuf
ans est reléguée à Tordésillas. Sur ce,
don Juan jure qu'elle n'est pas folle, que
sa sœur qui.vit auprès d'elle et que son
ami, don Arias, fils du gouverneur, l'aiï}r-
méat comme lui, J1 le supplie à ge
noux; '
Ah ! ne persistez pas dans la fatale erreur.
Du crime en vain nié, qui vous frappe d'herreur,
Soyez le vengeur, Sire, et non p$s le complice j.
A tous de mettra un terme à son 'trop long aup*
s ;î; [plies,
A voue de réparer les maux qu'elle a soufferts '
Et de lui rendre enfin, aux yeux de l'univers,
Ramenant du tombeau la martyre à la vie,
Roi jaBte et fils pieux, s$ çqurojin} ravie !
A qea mots prononcés avec une énergie
convaincante, don Carlos appelle seB
courtisans et les interroge. Mosen Fer
rer, plus que tous les autreB, soutienlque
la reine est folle, mais don Juan l'ao-
cupe devoir empoisonné Philippe et con
fond si bien son impudence que Mosen se
tait et se retire chassé par le roi. Celui-
ci seul, dans un monologue vraiment
cornélien, se demande ce qu'il doit faire.
Il se dit que son droit seul est réel et qu'il
n'usurpe rien, que ce sceptre est bien à
lui, qu'il ne peut B'enfermer dans l'étroit
Aragori. Mais si cependant sa mère n 'a
point perdu la raison, le devoir lui com
mande de lui laisser la couronne. Il hé
site entre l'honneur et l'ambition.
Mais alors, je devrais tout ajourner... attendre I
Arracher de mon arc la flècie et le détendra
EtduhABt de ce trône où je ru 'allais aeee»ir
Retomber dqns le rêve et dans l'inerte espoir I
Je devrais à ma mère immoler mon génie !
Enaurai-je la force?... ô Justice infinie
J'ai promis d'observer et de venger tes lois ;
Mais prince eût-il jamais à faire un pareil choix?
Ici le parricide, et là... Quel sacrifice ?
Entré un-monde et ma mère, il faat que je choi
sisse!
L'épreuve est surhumaine et je voudrais pou
voir.,,
Dieul chasse de mon cceur l'inayoua^e espoir
~ui, ttialgré moi, surgit au fond de ma pensée,,,
e voudrais que ma mère, hélas I fut insensée I
fray marcos (apparaissant).
N'allez donc pas la voir !
! DON ÇARLQ3 •
Poui'quei n'irais-js
fray marcos
Demeurez dans Burgos, laissez Tardésillas !
Jeune liomme, du vieillard écoute la parole
N'y va. pas | :■
DON CARtOS
Mais pourquoi ?
fray marcos
; - La reine n'est pas folle!
' Malgré ca perfide conseil, don Carlos
devenu Charles-Quint, ira voir sa mère
en son pakis qui n'est qu'une prison. Il
vient, il l'embrasse, il lui dit qu'il éprou
ve à la retrouver une douceur infinie. II
lui promet la liberté. Il ne doute pas que
les médecins,qui vont la voir sur son or
dre, ne la fassent Bortir de Tordésillas v
. S'il n'est pas venu plus tôt la voir, c'eBt
que l'empire et ses charges accablantes
l'en ont empêché. La reine répond qu'elle
a droit à la pitié, car depuis longtemps
les heures ont fui sans lui apporter une
joie, un sourire. Son époux lui a été en
levé par le poison, et son désespoir a fait
eroire à sa folie. Son père l'a relé
guée en ce triste Tordésillas dont une gar
de sévère défend à tous les abords. Elle
le supplie de l'emmener au plus tôt.
Charles-Quint y consent, mais à la con
dition qu'elle renoncera au lourd fardeau
du trône.
C'est un joyau souvent mortel qn'un diadième !
Viens à Burgos! Viens vivre, oisive comme ici,
Heureuse enfin, sans tâche à remplir, sans souci)
Libre parmi les tiens, irresponsable et calme !
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dona juana
En suis-je moins la vraie et seule souveraine ?
charles-quint
Après treize ans passés loin des vivants, au fond
De cette ombre où tout bruit dans le silence fond,
L'Europe te verrait tout à coup reparaître
Pour régir un Etat que tu ne peux connaître!
Y senges-tnI Régner?. Mais comment? Mais
[pourquoi? -
doka juana
Tu parles sur un ton qui ne convient qu'à moi ?
! ' charles-çuint
Si pourtant il fallait pour la joie du royaume
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