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Titre : Les tristesses et les gloires : poèmes populaires de la grande guerre / Jean Destrains ; préface d'Emile Faguet,...

Auteur : Castaigne, Joseph (Pseud Jean Destrains). Auteur du texte

Éditeur : (Paris)

Date d'édition : 1915

Contributeur : Faguet, Émile (1847-1916). Préfacier

Sujet : Guerre mondiale (1914-1918)

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32089778b

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 156 p. ; in-16

Format : Nombre total de vues : 176

Description : Collection numérique : Documents consacrés à la Première Guerre mondiale

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Description : Poésie

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6519208g

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-YE-9344

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 13/05/2013

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JEAN DESTRAINS

Les Tristesses

et Les Gloires

Poèmes populaires de la Grande Guerre

PRÉFACE D'ÈMILE FA GUE T de l'Académie française

'P .A zis LIBRAIRIE ALPHONSE LEMERRE 23-33, PASSAGE CHOISEUL, 23-33 19 L5





Les Tristesses

et

Les Gloires


Tous droits réservés.


JEN DESTRAINS

Les Tristesses et

Les Gloires Poèmes populaires de la Grande Guerre

PREFACE D'ÉMILE FAGUET de l'Académie française

'P .A 7(15

LIBRAIRIE ALPHONSE LEMERRE 23-33, PASSAGE CHOISEUL, 23-33 1915



PRÉFACE

c:t:-

J'ai lu les vers de M. Jeun Destrains, et j'en ai été profondément ému.

L'inspiration en est élevée et pure. C'est le patriotisme, et non pas le patriotisme intermittent en quelque sorte, et qui se réveille et se surexcite en temps de crise; mais un patriotisme qu'on sent permanent, ancien, hérité, ancestral, profondément enraciné, et qui, s'il s'exprime aujourd'hui, était hier ce qu'il est maintenant, et aussi ardent et passionné dans le silence qu'il l'est à cette heure dans la fougue verbale.

Et ce patriotisme est le véritable, et l'on se sent réconforté à en recevoir l'impulsion puissante, venue de si loin et de si haut.


Les vers de M. Jean Destrains sont de belle qualité et de forte trempé. Ils sont quelquefois un peu prosaïques, ou un peu rudes et âpres ; mais cela même s'ajuste si bien à la nature, au caractère de l'idée et du sentiment, que l'on hésite à dire si c'est une qualité ou un défaut. Et ils sont impétueux, ardents; ils onttoujours le souffle et l'élan; même méditatifs, ils sont toujours lyriques, et toujours ils sonnent éperdument la charge.

Ils plairaient à Déroulède qui, du reste, en avait chaudement approuvé d'autres du même auteur. Ils ont quelque chose de sa manière brusque et mordante.

Ils sont bien, eux aussi, des Chants de soldat.

Je souhaite, sans crainte que mon souhait soit déçu, bonne fortune à ces chants héroïques. Qu'ils aillent ajouter quelque chose à l'élan et à la ténacité des héros français qui sur les champs de bataille défendent, d'une opiniâtreté invincible, la liberté de la France et l'indépendance du monde Il y a quelque chose, a-t-on dit, des vers de Corneille dans la colonne Vendôme. Il y est entré, en effet, plus d'une sorte d'airain. Il entrera de même quelque chose des vers de Jean Destrains dans le trophée qu'on dressera un jour à nos héroïques défenseurs.

EMILE FAGUET.


PROLOGUE

i

LA GLOIRE DES VAINCUS

Aux morts de i8jo-ï8ji.

p

OUR les soldats tombes dans les noires mêlées, Lâches sont les regrets et vainc est la douleur.

Ne venez pas gémir près de leurs mausolées, Frères t Ne pleurez pas ces âmes envolées !

Mais pleins de leur mémoire et fiers de leur valeur, Attachant à leurs noms les lauriers légitimes, Parlons à genoux De ces morts sublimes, Plus vivants que nous 1


Ils ont sans reculer marché sous la mitraille Et sont morts simplement comme ils avaient vécu.

Foudroyés en héros au fort de la bataille, Honte à qui les plaindrait ! Malheur à qui les raille !

Les sombres désespoirs qui courbent le vaincu N'ont pas tenté l'accès de ces cœurs magnanimes.

Parlons à genoux De ces morts sublimes, Plus vivants que nous !

Vaincus des grands combats que redira l'Histoire, Dans les plis du drapeau dormez ensevelis !

La défaite vaillante égale la victoire.

Les morts de Reischoffen dans le ciel de la gloire Peuvent tendre la main aux soldats d'Austerlitz.

Ah! s'il faut au trépas bientôt d'autres victimes, Parlons à genoux De ces morts sublimes, Plus vivants que nous !

- -


II

LA PAIX ARMÉE

D

ANS Le ciel matinal, plein de rayons et d'ailes, Passe un frémissement d'allégresse et d'amour ;

De la maison hôtes fidèles, Les pigeons roucoulants s'ébattent dans la cour.

Au trot, sous son sabot faisant rouler les pierres, Le cheval du fermier descend à l'abreuvoir, Où le babil des lavandières Mousse sans fin, rythmé par les coups de battoir.

La paix virgilienne est sur le paysage ; L'ébrancheur dans les airs lance gaiment ses chants; Plus loin, tous les bruits du village Expirent dans le calme illimité des champs.

Mais soudain un bruit sourd roule dans l'étendue, Suit les plis des vallons et monte les coteaux, Et cette menace entendue Fait dans tous les buissons frissonner les oiseaux.


Au bas du ciel limpide aucun nuage n'erre ; Le grand dôme d'azur pose sur l'horizon.

Ce n'est pas la voix du tonnerre Qui fait trembler le sol, c'est la voix du canon.

C'est la voix du canon, grave, lointaine, immense, Rencontrant dans les bois l'écho qui la redit; Elle finit et recommence, Puis de nouveau retombe et de nouveau grandit.

Un souffle de combat a traversé les plaines ; Et j'évoque la Guerre aux sauvages clameurs, Et les villes de soldats pleines, Et les champs labourés attendant des semeurs.

Des lueurs d'incendie, au ciel noir projetées, De hameaux en hameaux éveillent les tocsins, Et les mères épouvantées Pressent en pâlissant leurs enfants sur leurs seins.

Oh! les soleils couchants sur les champs de bataille, Où les chevaux sanglants ne sentent plus le mors, Et bondissent sous la mitraille, Puis tombent éventrés sur leurs cavaliers morts!


Mais quel noir cauchemar torture ma pensée ?

Evanouissez-vous, funèbres visions !

Sur de molles vapeurs bercée La Paix rit dans les cieux inondés de rayons ;

Et le sourd grondement vient de la fonderie, Où les canons tout neufs que l'on sort du chantier, Fauves gardiens de la Patrie, Pour mieux rugir demain apprennent leur métier.


III

L'UNION DES FEMMES DE FRANCE

s

AINTE ligue du bien, honneur du genre humain !

0 femmes, vous surtout, vous tendez votre main

A ceux que la tombe réclame ; Vous terrassez le mal dans la création : Et c'est pourquoi, par une aimable fiction, La Charité, c'est une femme.

Oui, c'est vous, toujours vous, que viendront implorer Ceux qui souffrent ; c'est vous qui voulez réparer Tous les deuils et tous les désastres; Tous les cris de douleur sont par vous entendus : Si bien que, sur vos fronts, tant de bienfaits rendus Ont fait une couronne, d'astres.

L'auguste Charité ne se lassera pas D'arracher pour un temps l'indigent au trépas.

Tu souffres? Voici le remède.

Toi, tu n'as pas de quoi manger? Voici du pain.

Et, tant qu'elle pourra donner, personne en vain Ne sollicitera son aide.


Calme, malgré l'horreur des sanglots déchirants, Elle viendra s'asseoir au chevet des mourants Que quelque mal affreux torture, Et, leur parlant avec des tendresses de sœur, Elle saura tromper à force de douceur La cruauté de la nature.

Si la terre, en.laquelle on sent le feu frémir, A laissé tout à coup quelque volcan vomir Le torrent débordé des laves, Engloutir les maisons des hommes éperdus, Et dans ses flots épais largement répandus Rouler de tragiques épaves ;

Ou si, saisie ailleurs d'obscurs tressaillements, Terrible, chancelant jusqu'en ses fondements, Elle s'ouvre en brusques fissures, Et fait, dans les cités qui travaillaient en paix, S'écrouler à la fois les tours sur les palais Et les palais sur les masures ;

Si le fleuve a rompu ses digues, et couvert Tout l'immense horizon de son grand linceul vert Si, devant ce déluge en marche,


Les vivants ont dû fuir, laissant tout derrière eux, * Alors, ô Charité ! vers tous ces malheureux Tu voles, colombe de l'Arche ;

Et partout tu parais, souriante, et tu dis Aux pauvres, aux vaincus, aux souffrants, aux petits, A ceux que la misère exile : — Vous ne périrez pas, amis infortunés!

Mon cœur compatissant est généreux : venez, Venez, j'ai pour vous un asile. -

Bonne à tous, c'est d'abord à l'enfant qu'elle ira, Et remportant, fardeau d'aurore, elle voudra Qu'il ignore au moins la misère, Ce doux être étonné que plus rien ne défend, Puisque le sort cruel laisse vivre l'enfant .• Après avoir tué la mère.

Messagère d'amour, ange consolateur, Tu fermes, d'un regard où paraît tout ton cœur, La bouche qui voulait maudire.

Combien désespéraient, que ta grâce a touchés !

Que de fronts éclaircis, ah ! que de pleurs séchés Au doux rayon de ton sourire !


Oui, vous passez ainsi, soignant et guérissant !

Mais si contre le mal sans cesse renaissant Un zèle pieux vous anime, Comme vous détestez cet horrible fléau, La Guerre sacrilège, infâme, où le bourreau Est l'homme, où l'homme est la victime !

Votre plus cher désir, ce serait d'apaiser.

Ah ! travaillez du moins à le réaliser, Et faites la guerre à la Guerre.

Prêchez l'amour! Brisez le glaive qui détruit !

Et puisque obstinément des hommes sort la nuit, Que de vous sorte la lumière !

Mais que dis-je? Ce' rêve est dangereux et vain ; Et si la guerre encore trouble le plan divin,

Il faut étouffer notre plainte.

Laissons flotter les plis orageux des drapeaux !

J'entends des morts crier du fond de leurs tombeaux : — Pour nous venger, la guerre est sainte ! —

0 femmes, ce jour-là, faites que le blessé Ait un autre oreiller qu'un revers de fossé Pour poser sa tète meurtrie ;


S'il meurt, ne plaignez pas ce frère glorieux, Car à sa dernière heure a passé dans ses yeux Toute l'âme de la Patrie;

Et, veillant les mourants, priant pour les défunts, Sans faiblesse, sans pleurs, sans regrets importuns, Partageant nos rêves de gloire, Réveillant, s'il le faut, en nos cœurs abattus Tous les grands souvenirs de nos vieilles vertus,

Envoyez-nous à la victoire,

Tandis que sur nos fronts où l'aube renaîtra, Tandis que sur nos fronts consolés, on verra Le drapeau sacré de la France, Emblème glorieux qui fut un jour terni, Planer éperdument dans l'azur infini, Aile ouverte de l'Espérance !


AUX jlRMES !

I

B

ONNES cloches centenaires, 0 calmes sœurs des tonnerres,

Oui, c'est donc vrai Ce que vous faites entendre : Les Français ont à défendre.

Le sol sacré ?

Voilà, par monts et vallées, Ce que vos larges volées Clament ce soir : La nation pacifique Va bondir, fière et tragique, Au grand devoir.


Qu'un noble espoir nous soutienne !

Hélas! De Berlin et Vienne L'horreur s'abat ; Mille maux fondent ensemble, Et toute la terre tremble De ce sabbat. -

r ••

La Guerre, la Guerre immonde, Va sévir d'un bout du monde A l'autre bout ; C'est l'effroyable indendie Qui, dans sa marche hardie, Détruira tout.

L'inexprimable Épouvante Monte, et de sève vivantes :", Tarit tons lieux; C'est le flamboiement énorme Qui s'accroît et se transforme Et vole aux cieux.

II ,.. v

: .; C: •: * Mais que ces sanglants problèmes, Rendent d'autres que nous blêmes !

Notre regard;


Près de ce creuget .< o.v Entrevoit un.-autre -crible Que le hasard;L ; :

Sans reproche on est sans crainte.

A la criminelle feinte « Le repentir !

Un peuple fait de droiture : Ne sera pas, ù Nature, Deux fois martyr.

Le Destin, c'est la Justice.

Ah! que partout retentisse Le carillon !

Pendant l'orage funeste, Le bon grain s'enfonce et reste Dans le si llon.

Dans cette heure solennelle, La Providence éternelle Prononcera : Le colosse aux pieds d'argile, Moins terrible que fragile, S'écroulera.


La France, c'est la lumière.

Elle est toujours la première A dire : Allons!

Lorsque la ruche innocente Voit sur elle la descente Des vils frelons.

Partout dans le monde on l'aime, Tandis qu'on livre à lui-même Le méchant seul, Qui, dans ses tristes ténèbres, PréDare les plis funèbres De son linceul.

Soldats de Quatre-vingt-onze, Qui portiez d'un bras de bronze Vos coups hardis, Plus heureux, sans peur de chute, Nous n'irons pas à la lutte Un contre dix.

La France républicaine, De son droit forte et certaine, Lance un rayon ;


Et la Nuit devient hagarde, Et, l'œil effaré, regarde La vision.

HI

Ah! l'Imposture se lève?

Vérité, tire ton glaive Bientôt vainqueur !

Protestant contre le Crime, Monte, puissant, unanime, L'immense chœur,

Le chœur des âmes françaises Qui volent vers les fournaises Des noirs combats, Et, frémissant sous l'insulte, Exultent dans le tumulte Du branle-bas,

t En criant : — Chère patrie, France, naguère meurtrie, Voici ton jour!

Fais-toi terrible avalanche Pour l'implacable revanche, 0 notre amour !


Mère si pure et si belle, Chez tes fils pas un rebelle ; Tous sur ton sein Vont, cherchant asile et gloire, Répondre par la victoire Au fier tocsin,

Et, forts de ta cause juste, Prendre dans leur main robuste Ton noble sort, Toi, leur suprême tendresse, Avec joie, avec ivresse, Jusqu'à la mort! -

1er août 1914.


HYMNE A JEANNE D'ARC

E

N vers tout droits, pareils aux tranchants d'une épée, C'est ainsi qu'il faudrait chanter ton épopée.

Pieuse enfant, ton Dieu te conduit par la main ; Domremy, Rouen, sont les termes du chemin.

Sainte incarnation d'une indomptable race, A peine entre les deux tu poses ta cuirasse.

Stratégie et valeur! Les plus fameux guerriers, Passés, présents, futurs, te cèdent leurs lauriers.

Nos fleuves affranchis, de la Meuse à la Loire, Sont grandis par ton nom et coulent pour ta gloire.

Dans ses espoirs, dans ses succès, dans ses douleurs, Ton pays vient t'offrir son encens ou ses pleurs.


En toi, pour toi, par toi vit notre chère France, Dont le drapeau dit : Foi, Courage et Délivrance.

Blanc, c'est ton étendard presque immatériel; Rouge, il est ton sang pur; et son bleu, c'est ton ciel.

Certains que tu nous vois et que tu nous écoutes, Jeanne, nous t'implorons. L'heure est grave entre toutes.

Dans l'éclair des fusils et l'appel des clairons Sois là, veille sur nous. Avec toi, nous vaincrons.

Ton peuple le mérite; exauce sa prière, Vierge libératrice, ô sublime guerrière !


MOBILISATION : LES TRAINS FLEURIS

~O

beaux soldats que la Justice Trouve debout pour ses combats,

Roulez dans le train, chers soldats, Et que rien ne le ralentisse !

Dans la rafale des wagons Un seul cri sort de votre bouche ; Et son écho serait farouche, Si vous n'aviez pas l'air si bons :

— Vive la France ! — Vous vous faites De ces trois mots aux trois couleurs La plus belle gerbe de fleurs, Et le drapeau fleurit vos têtes.


Des fleurs! On vous en a comblés ; Humble ou riche, petite ou grande, Chaque portière a sa guirlande.

Pour la Patrie, allez, roulez !

Vos femmes et vos fiancées, Et vos mères et vos enfants, Vous voyant partir triomphants, A la hâte les ont tressées.

Sauge, glaïeul, hortensia, Héliotrope et marguerite, Pour exalter votre mérite Vous chantent leur alléluia.

Derniers lys et dernières roses!

Comme vous êtes des guerriers, On n'a pas omis les lauriers, Présages des apothéoses.

Entonnant vos pieux refrains, Des fleurs sur la locomotive, Vers la grande fête votive Allez, roulez, ô pèlerins!


Roulez, ô soldats de la France, Dont la lumière est dans vos yeux.

L'air fleurit de vos chants joyeux, Vos cœurs fleurissent d'espérance.

,All,ez avec courage et foi !

Car j'entends une voix profonde Dont la fureur menace et gronde En tête de votre convoi; - t f

Et c'est, palpitante, enflammée, Fendant l'air et rasant le sol, La Victoire qui prend son vol Dans les tourbillons de fumée.


LE MIRACLE DE JEANNE D'ARC

Q

UAND Jeanne eut accompli sa sainte mission Et que jusqu'à la lie elle eut bu le calice,

Près du dernier moment de l'horrible supplice, Elle eut, les yeux au ciel, une inspiration :

— Accordez-moi, mon Dieu, la consolation D'entrevoir cette gràce après le sacrifice.

Dans les temps révolus, que mon vœu s'accomplisse : Plus de haine entre l'une et l'autre nation !

Oui, que soient oubliés les conflits séculaires ; Et que, contre le mal retournant leurs colères, Un jour luttent ensemble et du même côté,

Fraternels, animés d'un bienfaisant génie, Pour le Droit, pour la Paix et pour l'Humanité, Ceux qui m'ont condamnée et ceux qui m'ont bénie! —


ESCADRES ANGLAISES

D

ANS la Manche et la mer du Nord, l'œil qui verrait A cette heure ces blocs flottants, hésiterait

Si ce sont des îlots perdus ou des fantômes, Ou des cités avec leurs clochers et leurs dômes.

De loin, c'est transparent, léger, aérien.

Cela ressemble à tout et ne ressemble à rien, Moins posé que pendu comme on ne sait quel signe Sur l'horizon qui fuit, insaisissable ligne.

Et tant de spectres gris sont effrayants à voir.

Oh! ces monstres d'acier dans les brumes du soir!

On pressent que la main de l'homme et la nature Collaborant, ont fait leur tragique stature.

Cela porte des noms de guerriers, l't c'en est.

Cela vient, part, revient, s'appelle, se connaît.


Cela fume, et cela bouillonne, et cela gronde.

Hautains, pensifs, montant le guet, faisant la ronde, Fiers de leur rôle auguste et providentiel, Fouillant de leurs gros yeux les quatre coins du ciel, Ces êtres colossaux prennent les formes vagues De bons géants courant sur la crête des vagues, Gendarmes de la nuit et de l'immensité.

Le parti de l'Honneur et de la Probité Vous aime, ô justiciers, qu'il sait être de taille A ne pas revenir deux fois à la bataille, Qui gardez dans vos flancs et la poudre et le fer Pour foudroyer le Crime et le rendre à l'enfer, Pour dire : Halte! avec vos sombres batteries Aux provocations comme aux pirateries, Et crier, sans qu'il soit d'un autre ordre besoin : — O bandits de la mer, vous n'irez pas plus loin !


UN COMBATTANT

J

E ne peux pas combattre et pourtant je serai, Sans avoir place, hélas! dans la grande tuerie,

Résolument, avec courage, avec furie, Le défenseur du Juste et le soldat du Vrai.

A mon rang de Français, chaque jour, je saurai Te prouvér que je t'aime avec idolâtrie, Pour ton droit, pour tes deuils, pour ta gloire, ô Patrie 1 Je ne peux pas combattre? Eh bien! je combattrai.

Parmi tous tes enfants que le Devoir enrôle, Cavaliers, fantassins, poètes, ont leur rôle, Et la fanfare vole avec les escadrons.

Canons, tonnez! Partez, fusils! Frappez, cymbales!

Ma voix aura le son de cuivre des clairons,

Et mes vers siffleront dans l'air comme des balles.


LE PETIT FANTASSIN (I) t'- 1 J

i

N

ous partons en forte colonne, Chacun gai comme un troubadour.

La France est la grande patronne.

C'est son drapeau qui nous blasonne : Aussi, voyez comme on rayonne !

Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne!

JI

On marche. Au loin le canon tonne.

C'est la promesse d'un beau jour.

Là-bas, bien sûr, on se tamponne, Car la fumée au ciel floconne.

(1) La Librairie Sociale a publié de cette marche militaire une édition spéciale, avec musique de l'auteur. — G. Delmas, 6; place Saint-Ohristoly, Bordeaux.


Pour se mettre en train, on fredonne : Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne!

III ..r' "-, ', -; J; Nous n'avions provoqué personne. ,, Tant pis pour eux. Chacun son tour; ., Et bravo, si l'on réveillonne - f.

Aux frais du troupeau, qui moutonne,: C'est pour le droit qu'on l'assaisonne.

Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne!

IV

Ont-ils pensé que l'on caponne Pour nettoyer leur basse-cour?

Oh ! la popote sera bonne!

On la surveille, on la mitonne; Et quand elle tarde, on. tisonne.

Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne! )


V

Il faudra qu'ensuite on ramone Pour chauffer de nouveau le four, Et qu'on savonne et badigeonne, Car toute cette chair teutonne N'a pas une odeur folichonne.

Roule, roule, roule, tambour !

Clairon, claironne!

VI

Il en reste encore. On s'abonne!

Ça va bientôt manquer d'humour.

Et pendant qu'on additionne Tous les pâtés que l'on façonne, Pour patienter on mâchonne ; Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne!


VII

Mais voici qui nous aiguillonne : Du côté droit dû carrefour, Un autre flot se débouchonne.

Dans le cœur le sang nous bouillonne.

Attendez, qu'on vous frictionne !

Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne!

VIII

Le canon de près barytonne.

Comme il faut faire bien et court, Avec une verve gasconne De jets de sang on les galonne, Quand ils résistent, on ronchonne ; Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne!


IX

C'est alors qu'on en déboutonne, Pour toi, Patrie, ô grand amour !'. : .* Et, qu'on soit docteur en Sorbonne Ou charcutier à Carcassonne, Avec quel ensemble on entonne : Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne!

X

C'est une charge à la dragonne, Vol de l'aigle sur le vautour.

Sans éperons on éperonne.

Quels profonds sillons on sillonne, En hurlant tant, qu'on s'époumonne : Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne!


XI

Si le pied manque, on se cramponne Pour fouiller le rouge labour.

On reçoit moins que l'on ne donne.

Pourtant la tête vous bourdonne.

Victoire! Ouf! La voilà qui sonne.

Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne!

XII

Ah! le beau mot qui vous fleuronne!

Quelqu'un manque-t-il au retour?

Puisque c'est le Droit qui l'ordonne, Eh bien! sa part est encor bonne, Car au ciel l'attend la couronne!

Roule, roule, roule, tambour!

Clairon, claironne.!


PÈRE ET FILS

0

UVREZ le ban !

Après un soir sanglant et sombre,

Un régiment français qu'avait surpris le nombre Venait, quoique vainqueur, d'être fort maltraité.

On guettait un nouvel assaut. De quel côté?

Il fallait le savoir pour que la résistance S'organisât rapide, irréductible, intense.

Moment grave. Désastre à craindre en cas d'erreur.

Un officier devait partir en éclaireur.

Il allait à la mort, plus même que ses hommes.

— Le danger nous connaît, colonel; tous nous sommes Résolus à marcher et prêts pour tout emploi.

Choisissez-moi, dit l'un. — Moi, dit un autre. - Moi, Dirent-ils tous. — C'est bien, Messieurs, mais je désigne Le premier qui parla. Ce n'est pas le moins digne.

Va, mon sous-lieutenant. — C'était son propre fils.

Tous ses soldats voulaient le suivre. Il en prit dix.


Sept revinrent, montrant d'où viendrait l'estocade; Et le reste périt, pris dans une embuscade.

— Vive la France! — dit l'officier en tombant.

Père et fils, tous les deux sont grands.

Fermez le ban !


UNE FAMILLE

0

ui, c'est le grand devoir ; oui, cette guerre est sainte : Il faut tout accepter sans regret et sans plainte,

Puisque nos combattants, ce sont des justiciers.

Son mari général, ses trois fils officiers, C'est beaucoup à la fois cependant que réclame Ce multiple péril d'un simple cœur de femme.

Que ne risquent-ils pas? Ils sont au premier rang.

Le mépris de la mort, ils l'ont tous dans le sang.

On peut sans la faiblesse avoir l'inquiétude, Quand on sait chaque jour combien leur tâche est rude, Et qu'ils sont des hauts faits tous quatre coutumiers.

N'est-ce pas les meilleurs qui tombent les premiers?

Puis on les aime tous et tous on les préfère.

Mais voilà qu'aujourd'hui, dans une chaude affaire, Le général dictant des ordres de combat,


Un de ses enfants, face à l'ennemi, s'abat. : ,;.' ,.,.

L'état-major s'émeut, car déjà la nouvelle h.

Lui parvient. C'est alors qu'un grand cœur se révèle.

— Général, votre fils est mort. Nous.salirons >.' Sa mémoire. — Messieurs, dit-il, continuons. — ,,'°' r-

Et, stoïque, il reprend le plan de la bataille. i.

Mais la mère? Comment ce soir, bieIl'.qu'il-Je faille, 'C Lui révéler le coup terrible qui l'atteint ?

Le curé du village est lui-même incertain Et n'ose pas troubler la maison familière Où veille en ce moment l'Espérance en prière.

Pauvre femme, ah ! vraiment digne d'un sort meilleur, Que cette nuit du moins lui cache son malheur !

Mais il lui dira tout, demain, après la messe ; Il sera courageux; il s'en fait la promesse.

Sur le hameau qui sort des brumes du matin La cloche a dispersé son appel argentin.

Dans le cœur de jésus trouvant un appui stable, Chaque dimanche ainsi vient à la Sainte Table La vaillante chrétienne, et pour ses chers absents Elle offre son angoisse à Dieu comme un encens.

Sur la grille de fer, voici la nappe blanche Où son recueillement s'agenouille et se penche.


Le prêtre, en descendant de l'autel, l'aperçoit.

Comment se maîtriser? En vain prend-il sur soi D'être fort, puisqu'il faut que bientôt s'accomplisse Après ce sacrifice un autre sacrifice; Son bras est inhabile au geste habituel ; Il tremble. Elle a compris et demande : — Lequel? —

Et devant sa douleur prête à l'Eucharistie :

- C'est Xavier, — dit le prêtre en lui donnant l'hostie.


LA CURE DU RÉSERVISTE

L

E député, frappé d'une balle à la cuisse, , Occupe une chambrette à part, afin qu'il puisse

Se remettre plus tôt et mieux se reposer.

Mais cela fait du bien quelquefois de causer ; Et, tout heureux de voir une figure amie, Malgré sa lassitude il sort de l'accalmie Et m'expose ceci, tandis que ses draps blancs Sont la carte où son doigt me fait suivre des plans :

— Là, c'est entre Namur et Dinant, sur la Meuse, Que, le quinze août, eut lieu cette affaire fameuse Où je fus, paraît-il, d'une blessure atteint.

Bagatelle! Cela chauffa de bon matin, Car six heures sonnaient au clocher de Sommières.

Ma compagnie était l'arme au bras des premières.

Les Allemands tenaient la rive gauche, et nous La droite. Bien placés, nous tirions à enoux,


Et le vol des obus sifflait sur notre tête.

Nos canonniers alors lâchèrent leur tempête.

Eux avançaient toujours. N'étant qu'un contre trois, Nous cherchons par prudence un abri dans les bois De Weillen, attendant un moment plus propice.

Le soir, devait venir Tlteure de la justice. t vv» Pendant que, des hauteurs de Gueux, nous mitraillons Leurs lignes, on les fait avec six bataillons Repasser sur la gauche et fuir dans les prairies; Après quoi, sous l'effort de nos cinq batteries, :r De colline en colline ils vont se replier .:, Sur Dinant, où s'engage un combat régulier.

Hélas! La vieille ville, à son devoir fidèle, •N'a pu sous leur élan sauver sa citadelle, ,;, Et déjà, noir-blanc-rouge; y flotte leur drapeau.

Ah! nous en aurions fait sur l'heure un oripeau, Si ces brigands n'avaient, par une infâme ruse, :.: Car leur cruauté vile à rien ne se refuse, En tête de leurs rangs placé des prisonniers Belges, qu'il-nous faudrait abattre les premiers. ,.

Un mouvement tournant compromet netre attaque : Nous risquons de périr dans l'immonde cloaque, Parce que leur fureur comme un rempart a mis • "!

Entre eux et nous ces bons Dinanais, nos amis.

Nos instants sont comptés. Sans un effort suprême, Nous verrons réussir leur lâche stratagème.


C'est alors qu'un clairon — béni soit ce clairon ! — ; < Au moment de la charge aussitôt interrompt ;..

L'air banal, et soudain sonne la Marseillaise. - l, Électrisés, nous nous ruons dans la fournaise.

L'hymne national partout hurle à la fois.

La basse des fusils, rythme l'essor des voix.

Est-ce que j'ai senti cette balle stupide?

Est-ce qu'elle a rendu ma marche moins rapide ?

Est-ce à cela qu'on.pense? Est-ce qu'on a le temps ?

On bondit, frémissants, égarés, haletants; La poussière, le feu, la fumée et la poudre, On les vomit; on est l'ouragan et la foudre; :.

On en a dans la bouche, on en a dans les yeux ; On est hagard, on est terribles et joyeux.

Moi, plutôt que.de voir ces assassins nos maîtres, J'ai pu faire en chargeant quatre ou cinq kilomètres.

Leurs rangs s'éclaircissaient,. pendant qu'on poursuivait Les uns sur Rochefort, les autres sur Givet, Et que le reste était tombé vers Ch.èv:etQn.e,.

Vous m'en voyez tout fier. Ah! cela vous étonne ?

C'est vrai pourtant : d'avoir vu. la réalité ; D'avoir compris qu'on peut perdre la liberté Et la terre sacrée où nos ancêtres dorment ; D'avoir vu les bandits et les desseins qu'ils forment, Et leurs atrocités après leur trahison,


Oh! j'aurais embrassé le seuil de ma maison!

Arrière l'utopie! Arrière le système!

Je t'aime, ô ma patrie, oui, simplement je t'aime!

De l'épreuve d'un jour je suis sorti grandi.

Car nous cherchions le clair de lune en plein midi; Nous vivions dans le rêve, en niant l'évidence.

J'étais, erreur funeste et coupable imprudence, Germanophile ardent et pacifiste, — tout Ce que je jetterais maintenant à l'égoût.

Et ce n'est pas moi seul, mais tous tant que nous sommes : Nous étions des enfants, et nous serons des hommes.

Le triomphe du Bien sur le Mal, que c'est beau!

Que c'est noble! On le voit au soleil du drapeau!

Nous ne comprenions pas ce grand mot de Victoire, Ni la pure clarté que nous verse la Gloire.

Pour nous être sentis dès ce moment vainqueurs, Depuis. l'hymne divin a chanté dans nos cœurs, Et, nous faisant rougir de ce que nous osâmes, Il a pour l'avenir régénéré nos âmes.

Ne parlons plus jamais du passé! C'est fini.

0 clairon de Dinant, sois à jamais béni! —


L'ENFANT AU PISTOLET

c

'ÉTAIT un beau bébé tout rose Dont le petit bras potelé

S'allongeait d'une vague chose Qui pouvait être un pistolet;

Et, fort de la crosse durable Ajustée à son mirliton, L'enfant, dans un geste adorable, Braquait son engin de carton.

Des Allemands suivaient la route.

Un d'eux, hagard, fait : — Qu'est ceci ? L'enfant dit, fier qu'on le redoute : — Papa, guerre ; et moi, guerre aussi.


— La farce est trop mauvaise, diantre!

Mon vieux, tu ne la feras plus. —

Et d'un coup de pied dans le ventre Il l'envoya sur le talus.

- Feu ! — La balle troua la tête, Alors, poursuivant son chemin :

— Autant de fait; morte la bête, Dit le Saxon, mort le venin ! —


LA PETITE BELGE

L --

L

ES Allemands au village !

Oh ! La foudre vaudrait mieux.

Affamés de brigandage, Ils mettront tout au pillage, Massacrant jeunes et vieux, Ou, dans leur stupide rage, Leur crevant les yeux.

La petite Marguerite Alors point ne se troubla : Sachant que le bois abrite Des soldats français sans gîte, En hâte, elle s'en alla.

— Va petite, va, cours vite : Les Prussiens sont là!


II

Ils entrèrent dans la ferme, Faisant trembler le plancher.

L'enfant dit, habile et ferme : — Tout l'argent que l'on enferme, Je m'en vais vous le chercher.

Vous toucherez un bon terme : Vous pouvez licher!

— Ça, bien sûr, et tout de suite, Fit le chef qui s'attabla.

Et, calmant leur soif maudite, La soupe de la marmite Aux flots de vin se mêla.

- Va, petite, va, cours vite : Les Prussiens sont là !

III

- Quand on sort de la bataille, Protestèrent les soudards, Il faut meilleure ripaille;


Avec un peu de mitraille, Nous obtiendrons plus d'égards; En avant, la valetaille ; Ou gare aux pétards ! —

Elle est perdue. Elle hésite ; Car une voix crie : — Holà ! —

Le danger pourtant l'excite La Mort vous suit ? Ql1 l'évite 1 — Halte! — L'enfant détala.

— Va, petite; va, cours vite : Les Prussiens sont là !

IV

Pour franchir des kilomètres, Malgré tout, il faut du temps.

Contre l'éveil de ces traîtres Qui partout viennent en maîtres, Que peut l'enfant de sept ans ?

Ce sont des ribauds, des reitres, Des orangs-outangs. -


Leur insolence s'irrite.

Un conseil se rassembla : — Vainqueurs, il faut qu'on profite De son éclatant mérite. —

Ainsi le sergent parla.

— Va petite, cours bien vite : Les Prussiens sont là !

V

Dans le bourg à droite, à gauche, Prendre, ce serait trop peu : On vole, on saccage, on fauche; On s'apprête à la débauche, Le tout en façon de jeu.

C'est le Diable qui chevauche Un cheval de feu.

Sûre de la réussite, Au traînard qui l'appela L'enfant répond par la fuite.

Elle échappe, et laisse quitte La balle qui la cingla.

— Va, petite ; cours bien vite : Les Prussiens sont là!


VI

Pourtant, blessée, elle boite.

Un autre casque pointu Surgit; mais toujours adroite, Elle file à gauche, à droite,.

Sortant du chemin battu, Et poursuit la route étroite De l'âpre vertu.

— Faut-il que la dynamite, Qui souvent nous consola D'une faiblesse fortuite, Après nous laisse détruite La famille que voilà ? —

Va petite ; va, cours vite : Les Prussiens sont là!

VII

Comme elle court, effarée, Cheveux au vent, bras tendus!

Mais voici l'heure espérée!

La Justice est assurée :


Ses appels sont entendus, Et de l'immonde marée Les assauts perdus.

— Ces trois sœurs sont une élite !

Moi, je retiens celle-là.

Respect à ma favorite!

Les autres, qu'on les abrite ! —

Le monstre ainsi calcula.

— Va petite; reviens vite : Les Prussiens sont là !

VIII

Les Français bientôt en armes Arrivent, doublant le pas, Vers la maison en alarmes, Vers la détresse et les larmes, Vers la honte et le trépas.

Ah! la vengeance a des charmes Qu'on ne connaît pas !


Oui, formidable et subite, Droit au but elle vola !

La fusillade crépite; On poignarde, on décapite, Et le sang impur coula.

— Ah! bravo, bravo, petite !

Ils ne sont plus là!


UNE SIMPLE FEMME

F

ILLE d'un commandant mort à Villersexel, Elle apprit la douleur dans le cœur maternel.

Gamine de quatre ans, la vie et tous ses charmes Se bornèrent pour elle au spectacle des larmes, Puis au travail, à la décentê pauvreté, École du courage et de la volonté.

Quand on parlait du père absent, dont la figure En uniforme, avec la croix, grandeur nature, Ornait le panneau droit du modeste salon, C'était pour dire : — Il était brave, il était bon ; Sa mémoire toujours nous sera bien chérie. —

Puis, la mère ajoutait : - Ce fut pour la Patrie. L'enfant grandit. Plus tard, elle se maria, Quelque maigre que fût sa dot; mais il y a Pour le mérite vrai qui vaut une fortune, Et Germaine en ce sens certes en avait une,


Parfois de braves gens prêts à placer leur cœur; Et les jeunes époux connurent le bonheur.

Ils eurent deux garçons, leur orgueil et leur joie.

Qu'ils sont charmants! Comme on les suit! Comme on les choie!

Ils sont intelligents ; ils promettent beaucoup ; Ce sont des travailleurs qui tirent à plein cou Sur le collier pesant des sévères études.

L'avenir à se faire est lent. Les temps sont rudes.

S'il arrivait qu'un jour leur père leur manquât !

Justement l'officier part pour Casabianca, Et le voilà blessé gravement. Pauvre père !

Il va mieux. Il écrit : — Espérons. — On espère.

Alerte de nouveau! Grand combat au Maroc.

Le capitaine est mort. Nouvelle affreuse! Choc Terrible à recevoir! Et la femme, meurtrie Et courageuse, a dit : - Fils, c'est pour la Patrie. -

Ses fils ont dit : - Pour elle aussi nous lutterons, 0 mère ! Le Devoir est là. Nous y serons.

Au travail ! — On s'y mit cette fois avec rage, Et c'était vraiment beau de voir foudre l'ouvrage Sous ces deux volontés fougueuses de vingt ans.

L'un entrait à Saint-Cyr dans les tout premiers rangs, Quand l'autre plus àg-,\ fier de son épaulette, Envoyait de l'argent à son frère en cachette,


La pauvre femme ayant peu de rentes pour eux.Ils allaient être heureux, — s'ils pouvaient être heureux !

Quoiqu'ils fussent tous deux exposés dans l'armée, Leur mère était de jour en jour moins alarmée.

La solde avait grandi, moins pourtant que les frais. Puis, dans le monde entier, chacun voulait la paix.

On n'allait plus courir les risques de naguère.

Mais, le lendemain soir, hélas ! c'était la guerre.

Quel désastre! La foudre est lente auprès de lui.

Cette lueur d'enfer sur l'Europe avait lui.

Tes deux fils, réclamant leur place au premier poste, Mère, allaient achever ton sublime holocauste.

Tes deux fils, ton espoir, tes deux fils, ton bonheur, Sont, dans le même jour, tombés au champ d'honneur; Et pour ces morts, aimés jusqu'à l'idolâtrie, Tu n'as dit que ces mots : - Encor pour la Patrie. —

Brisée et n'ayant plus la force de penser, Son cœur français lui dit : — Des blessés à panser T'attendent ; c'est vers eux désormais que t'appelle, O fille, ô femme, ô mère, une tâche encor belle.

On ne discute pas, qnand le Devoir dit : Va ! —

A la frontière, un soir sanglant, elle arriva, Portant sa croix, hélas ! mais aussi la Croix-rouge.

Le dépôt provisoire, installé dans un bouge,


D'Allemands et Français était un vrai charnier Où le premier jeté râlait sous le dernier ; Et sans cesse arrivaient de nouvelles voitures.

En hâte, elle faisait d'habiles ligatures ; Aucun mal n'arrêtait son merveilleux élan.

Elle prit la gangrène en soignant un uhlant, Et, quand elle expira dans une infirmerie, Elle dit simplement : — Toujours pour la Patrie. —


LES DEUX MANIÈRES.

I

L

IEUTENANT, pouvez-vous donner votre parole Que vous n'essaierez pas de vous échapper? — Non !

Je ne suis pas de ceux que la défaite affole, Et saurai vous apprendre à respecter mon nom.

Je subis malgré moi votre dure contrainte, Mais je n'ai qu'un désir : pouvoir m'en arracher, Et je n'attendrai pas longuement, n'ayez crainte!

— C'est bon, dit l'officier, on va vous attacher.

— Alors, j'aurais mieux fait de promettre, dit l'autre.

J'aurais été plus libre à l'abri du serment.

Car j'ai ma conscience et vous avez la vôtre ; Au but par tous moyens, c'est le rêve allemand. -


Ce brutal fanfaron du vice et du parjure Parut un simple drôle au commandant français : — Nous allons voir comment vous tiendrez la gageure.

Savez-vous ce qu'on va vous faire? — Je le sais.

J'ai douze questions à vous poser sur l'heure, Et vous y répondrez devant le peloton.

Tel qui crânait de loin, mis au pied du mur, pleure. Et le chef commença : — Prisonnier, que dit-on ? —

Alors, ô lâcheté! le lieutenant vit trouble.

Ce qu'on voulait savoir, point par point il le dit, Humble, tremblant, piteux; même il en dit le double, Précisant le connu, servant de l'inédit.

Il trahit les secrets, vendit toutes les mèches, Chiffres et noms, avec des preuves à l'appui ; Il dévoila les plans, commenta les dépêches, Autant celles d'hier que celles d'aujourd'hui.

Puis, à l'ignominie ajoutant la prière, Il dit : — Mais tout cela, vous ne le direz pas !

Je vous en fais l'aveu : je suis un triste hère.

Qu'à tout jamais, de grâce, on l'ignore là-bas ! -


Et le commandant dit, écœuré des alarmes De ce parfait goujat, le dernier des derniers : — Vous l'avez entendu, fantassins ! Posez armes!

Cherchons des toits à porcs pour de tels prisonniers.

II

Et dans le même jour et près d'une autre ville, Un enfant de douze ans, à la mort destiné, Restait ferme devant la brutalité vile, Et gardait jusqu'au bout un courage obstiné.

Des Allemands traquaient les Français en Belgique, Et pour les empêcher de rejoindre leur corps, Il fallait les couper, et l'heure était critique, Car, revenant en nombre, ils seraient les plus forts.

Le berger arrêté sur le bord de la route Va-t-il vouloir livrer au barbare vainqueur Les loyaux alliés qu'il a vus sur la route Et qu'il a salués de la main et du cœur ?


— En joue! Et maintenant tiens ta réponse prête !

As-tu vu les Français? Dis-nous ça tout au long.

Gamin, c'est bien compris ? Il y va de ta tête.

- Après ? Je n'ai rien vu, dit le petit Wallon.

■=— Réfléchis. C'est très grave. On est franc à ton âge.

Z/M, deux! Je le répète une dernière fois : As-tu vu des Français traverser le village?

(Jue1 chemin ont-ils pris? — Eh! bon Dieu! dites trois!

Est-ce que vous croyez qu'on a peur, d'aventure ?

J'ai dit, et mille morts n'y sauraient changer rien, Et si dans le berger votre foi n'est pas sûre, Interrogez alors ses moutons et son chien !

— Sa déposition, fit l'autre est véridique ; Mais il n'a pas daigné nous ôter son chapeau.

Pour son indépendance et son air ironique, Envoyez-lui toujours trois balles dans la peau ! —


III

Tandis que cet enfant bravait ainsi ces hommes, Ses frères plus âgés combattaieut pour le Droit ; Car les Belges sont fiers comme ils sont économes, Probes sans vantardise et sans calcul étroit.

Lorsque le Hun farouche envahit leurs frontières, Ils osent se dresser contre son attentat, Déterminés à vaincre en leurs âmes altières, Ou bien à mourir tous pour l'honneur de l'Etat.

Travailleurs assidus, penchés sur la machine, Ardoisiers, marbriers, mineurs ou dentelliers, Ils consentent à tout. sauf à courber l'échine Devant un assassin ou devant des milliers.

Sur l'or mouvant des blés et sur les forêts vertes, Propice aux artisans et funeste aux vainqueurs, Balayant largement les plaines découvertes, L'air de la liberté souffle aussi dans leurs cœurs.


Les calmes laboureurs, sous l'averse stoïques, Puisant la volonté dans le sol nourricier, Deviennent en un jour des soldats héroïques : Ainsi que le fusil, la charrue est d'acier.

Si l'avide étranger qu'enorgueillit le nombre Croit que leur pays neutre est au premier venu, Si le sort les trahit, si l'heure devient sombre, Comme Cincinnatus ils partent le sein nu.

Devant le vol, devant le meurtre et l'incendie, Ils combattent sans fin et restent sans effroi ; La même loyauté superbement hardie Anime au même point les sujets et leur roi.

Vous pensiez qu'ils allaient, à bout d'efforts, se rendre ?

Vous vous trompiez, sabreurs brutaux et méprisants.

Demain comme aujourd'hui, chez eux vous pourrez prendre Des leçons de courage aux enfants de douze ans.


DAMNATION

A

H ! vous croyez qu'on peut, sans qu'un cri retentisse, Accomplir ce nouvel exploit :

Aux yeux de l'Univers outrager la Justice, Mettre au mur, fusiller le Droit !

Parce que vous aviez réduit à la défaite Un grand peuple qu'on trahissait; •.

Parce que vous comptiez, retournant à la fête, Emplir encor votre gousset ; Parce que vous haussez sur vos hautes personnes Des figures de carnaval, Dans vos barbes de suif remâchaot les consonnes De votre.langue de cheval ; Parce que vos soldats, lourds de maintes ribottes, Et bien moins soldats que valets, Ouvrant et refermant le compas de leurs bottes, Marchent droit sous vos pistolets, Et que votre empereur, fier de son répertoire, Sorte d'histrion couronné,


Voit trouble, et se croit fait pour étonner l'histoire, Toujours de lui-même étonné; Parce que votre race, ainsi que la vermine, Pullule on ne sait pas jusqu'où, Et que la porte ouverte aisément achemine Le brigand vers le mauvais coup, Alors vous avez cru qu'agir avec outrance, Que tomber sans crier holà Serait grand, et que la Belgique et que la France.

Etaient mùres pour Attila; Que vous écraseriez leurs troupes effarées De la descente des démons ; Que les débordements'de vos nuires marées Y déposeraient leurs limons?

Vous avez cru qu'on peut manquer à sa parole, Violer les neutralités ; Que c'est impunément qu'on foule et qu'on immole Les citoyens et les cités ; Que l'Europe serait l'inerte auxiliaire De vos infâmes actions; Qu'elle vous laisserait mettre la muselière A ces deux nobles nations ; Que l'on vous livrerait les vierges sous leurs voiles; Que, complices des scélérats, L'impassible soleil et les mornes étoiles Eclaireraient vos attentats ?


II

Oh! oui, vous l'avez cru! Vôtre haine farouche S'acharne contre l'innocent, Et ce que vous voulez c'est, l'écume à la bouche,: Vous vautrer encor dans le sang.

Combattants sans honneur, ni braves, ni bravaches, Risquant à regret votre peau, On vous voit recourir à des ruses d'apaches.

Et déployer notre drapeau ; Comme votre kaiser vous changez de costumes, Mais vous volez ceux de nos morts, Et puis, traîtreusement parés de fausses plumes, Vous nous assommez sans remords; Vous cousez à vos bras, ô honte ! la Croix-Rouge Et poignardez, fiers de ce coup, Un officier blessé, sans que ce brave bouge, Et pendant qu'il vous tend le cou.

Églises et palais, nivelés aux masures.

Et clochers, chefs-d'œuvre de l'art, Reçoivent vos obus aux trajectoires sûres Toujours plus tôt que le rempart.

Sans excuse Louvain, Louvain, cette merveille.

Vient d'avoir ce sort inouï :


Le joyau resplendit, mais l'Allemagne veille, Et le joyau s'évanouit.

A chacun de vos pas, l'Equité crie : Alerte !

Escomptant vos effets brutaux, Comme à Pont-à-Mousson, ruche aux frelons ouverte, Vous bombardez les hôpitaux.

Sitôt que vous entrez dans les bourgs et les villes, Le Hun débridé reparaît : Vous pratiquez, aux yeux de tous, vos choses viles Ainsi qu'au coin d'une forêt.

Que ne faites-vous pas ? Vous brûlez la cervelle A des bébés nus et tremblants, Et vous faites flamber comme de la javelle De vieux prêtres aux cheveux blancs ; Vous sabrez un enfant qui vous fait la grimace Et qui vous a mis aux abois En dressant fièrement devant votre menace L'éclair de son sabre de bois ; Vous allez les abattre en pleine cour d'école Et jouant à saute-mouton : Sur ces petits martyrs vous pointez l'auréole De tout un feu de peloton !

Arrive la grand'mère? On lui casse la tête.

La mère ? On lui tranche les seins.

On est froidement ivre et tragiquement bête.

On fait son métier d'assassins.


On crosse les blessés, on passe par les armes Les infirmiers et brancardiers. Oui, c'est votre méthode, et vous riez des larmes , Et criez vivat aux brasiers.

Vos uhlans de la mort, tas de sinistres drilles, Vont réclamant leurs privautés : Il leur faut'insulter les femmes et les filles Devant leurs parents garottés.

Voleurs de grands chemins, vous passez à Bruxelles -■ Sans combats ni rébellions, Et lui dites, tendant vos larges escarcelles : — La vie, ou deux cents millions !

Vous chargez vos fusils dé balles explosibles Malgré la loi des n'ations, Et vous faites subir à des peuples paisibles'

L'horreur de vos invasions; Ailleurs, et pour longtemps, vous vouez aux détresses D'irresponsables matelots, En lançant l'arsenal de vos mines traîtresses Sur l'indignation des flots ; Vous voulez foudroyer, rompre tout équilibre Et, brisant tout et tout bravant, Ne plus souffrir autour de vous de peuple libre, Ni même de peuple vivant, Comme si, pris de ragé avant que de descendre Dans la nuit promise aux pervers,


Vous juriez de ne rien laisser que boue et cendre Sur l'inhabitable univers.

III

Vous vous précipitez dans la honte éternelle.

De siècle en siècle il sera dit Que votre nation, — A chef bien digne d'elle! Avait à sa tète un bandit.

Le Livre enseignera ce qu'autrefois vous fûtes Par vous et par vos généraux : Des monstres déchaînés, des sauvages, des brutes, Des Vandales et des bourreaux.

L'Histoire prouvera, l'incorruptible Histoire Qu'on ne réduit pas au bâillon, Que vous étiez toujours, en vous en faisant gloire, Huit cents goujats par bataillon.

Tous vos déguisements, toutes vos impostures En lettres de feu s'écriront; Et vos atrocités, les époques futures Les liront et les reliront.

On en fera le compte; on en tient le registre, Qui s'emplit formidablement; On suivra pas à pas le dédale sinistre De ce monstrueux monument;


En ses noirs souterrains, Gomorrhes et Sodomes, Plongera le flambeau vengeur, Pour que devant ce peuple, immonde bourbier d'hommes, Jusqu'au front monte la rougeur.

La Muse aussi viendra, la grande Muse austère; Mais, frémissante devant vous, Elle rejettera sa noble lyre à terre, Et, plus belle dans son courroux, Elle vous saisira, prophétique et sauvage, Sur ses seins de neige étouffés, En vous soufflant la haine et la mort au visage Pour vos exécrables forfaits !

IV

Oh! de tels châtiments seraient faibles encore Pour vous, brigands au crâne étroit : Le Droit vit ! Le Droit parle! A son appel sonore La Force accourt, — et sert le Droit.

Vous ne saviez donc pas que ce n'est point un leurre; Que la Justice a ses tocsins ?

C'est fini. C'est trop tard. Voici qu'a sonné l'heure.

Arrière, assassins, assassins, Assassins! C'en est fait de l'aventure immonde.

Assez, pourvoyeurs du trépas !


Non, voir monter plus haut votre fange, le monde, Le monde ne le voudra pas.

Sentez-vous que la France, indestructible et fière, Se dresse en un sublime effort, Et que, pour repousser vos hordes en arrière, Son bras, même seul, serait fort?

La France, généreuse autant que pacifique.

Et qui jadis put oublier, Entreprend avec fougue une œuvre magnifique, Et c'est de vous sacrifier.

L'héroïque Belgique a sauté sur ses armes Comme la Grèce à Marathon ; Et la grande Angleterre, aux premières alarmes, A leur secours n'a fait qu'un bond ; Et la sainte Russie a franchi vos frontières; Et, pour vous traquer jusqu'au bout, Bien d'autres nations, déployant leur bannières, A leurs côtés seront debout.

Malheur à vous! La mer houleuse des batailles Avec son flux et son reflux, Et les assauts grondants de toutes ses mitrailles, C'est vous qui les aurez voulus; La Guerre formidable et toutes ses colères, Et les cadavres sans, tombeaux, Et les deuils des enfants et les sanglots des mères, Seront votre œuvre, ô noirs corbeaux !


Et c'est pour soutenir ce duel opiniàtre Des justes contre les méchants, Que le pain manque au four, que le feu manque à râtre; Et que les bras manquent aux champs.

V

Après, ô Paix céleste, après viendra ton règne' Par le respect sacré des lois.

Le cœur du Dieu vivant devant tant d'horreurs saigne, Mais c'est pour la dernière fois.

Car on extirpera le mal même en sa cause Par la famine et le canon, Jusqu'à détruire, exemple utile et grandiose, Vos ruines et votre nom.

Lorsqu'un peuple succombe ainsi que la Pologne, l, Il a droit de ressusciter; Mais on doit, quand il fait votre infâme besogne, Pour toujours le décapiter.

Vous êtes à rayer de la carte du monde ; Et flétris, vaincus, effacés, Tant la scélératesse en vous était profonde, Ce ne sera jamais assez.

Ah ! C'était votre but, c'était votre tactique Et c'était votre ordre du jour,


D'être cruels et vils et de mettre en pratique La loi du tigre et du vautour ; Et vous ne vouliez pas avoir au moins pour règles, Dans les conflits des nations, Avec la majesté dédaigneuse des aigles La mansuétude des lions.

Surtout vous méprisez la loi qui veut qu'on aime.

Fraternité! Justice! Amour!

Les voilà cependant, la tactique suprême Et l'éternel ordre du jour !

Mais vous, oh ! la pensée est prise de vertige Au bord de vos iniquités, Tant vous avez commis le mal jusqu'au prodige Dans ce monde que vous quittez.

Oui, vous avez osé l'immense forfaiture, Et vos ennemis triomphants Vous condamnent à mort, et la grande Nature Ne veut plus de vous pour enfants ; Et devant vos fléaux et devant vos désastres Un long cri d'indignation Monte des cœurs humains et redescend des astres : — Damnation! Damnation! -

30 août.


LA JEUNE VEUVE

i

MÈRE, ô mère, quelle détresse !

Chez nous et pour toujours toute vie est éteinte.

De mon cœur sortira sans cesse.

La plainte.

La victoire et la gloire qu'est-ce, Lorsque le plus vaillant si vite sacrifie A leur illusoire promesse Sa vie ?

Comment se peut-il que renaisse Le cœur empli d'amour dont le destin achève, En sa brutalité traîtresse, Le rêve ?


Et que parle-t-on de jeunesse, Quand ses attraits menteurs et ses perfides charmes Soudain sombrent dans la tristesse Des larmes ?

Pour ceux que plus rien n'intéresse Et qui, sans le comprendre, ont place dans ce monde, Souffrir est la seule sagesse Profonde.

II

Le soleil tombe, le jour baisse Et dans les longs adieux du calmant crépuscule Voici que le mal qui m'oppresse Recule.

Tout désespoir serait faiblesse.

Nous sommes les anneaux d'une invisible chaîne.

Tendons les mains à la vieillesse Prochaine.


La nuit vient, l'ombre est plus épaisse Je sens, les yeux au ciel, que ma douleur se voile, Puisque Dieu veut que m'apparaisse L'Étoile;

Et je garderai la noblesse D'aimer jusqu'à la fin, d'aimer dans la souffrance, Malgré le deuil qu'elle me laisse, La France !


UNE GRANDE ATAnLE

1

c

OMBATS homme contre homme et mesquine querelle, Qu'est la guerre de Troie ? Homère est plus grand qu'elle.

Un chef d'armée avec ses légions, c'est peu : L'avalanche, la foudre et le vent et le feu, C'est un pays debout contre un pays, — colère Contre colère, — c'est la lutte populaire.

La voilà de retour. Nous ne la cherchions pas.

C'est alors que se dresse, appelant aux combats Les flots impétueux des citoyens farouches, La Guerre formidable avec ses mille bouches ; C'est alors qu'elle accourt en bonds tumultueux, Défonçant les chemins, bruyant les troncs noueux, Comme si, des soldats aux rochers qu'on entaille, La nature affolée entrait dans la bataille.


Donc, combien de soldats ? De nombreux millions : Des tigres d'un côté, de l'autre des lions.

L'Allemagne a commis l'insigne forfaiture D'ignorer un traité portant sa signature.

Son honneur, c'est cela; le « chiffon de papier » Bon à mettre en morceaux pour le vendre au fripier, C'est cela!

La Belgique est un tas de ruines.

A peine aperçoit-on, dans les vagues bruines Que laisse la fumée après qu'elle a passé, Debout, de loin en loin, un clocher espacé : Mais son peuple est entré saintement dans l'Histoire, Plus beau que la lumière et plus haut que la Gloire, Car les hordes de Huns l'ont trouvé l'arme au bras, Disant : - Au nom du Droit, vous ne passerez pas ! —

Lorsque le mont s'écroule épargne-t-il l'arbuste Et, plus fragile encore, hélas ! le toit du juste ?

De l'arbuste et du toit regardez les débris !

Et voilà les Prussiens en marche sur Paris.

Mais la France est debout. Et la noble Angleterre Apporte aux deux pays son appui salutaire.

Refouler l'Allemand à l'Est, en libérant Le sol que près d'un mois il alla conquérant,


Trois peuples alliés, dignes de la victoire, Pour leur salut présent comme pour leur mémoire Vont tenter avec foi ce décisif effort.

Est-ce que l'ennemi restera le plus fort ?

Ne peut-on espérer, à l'heure où le fauve entre Chez nous, qu'on osera le poursuivre en son antre?

, L'empereur est puissant, perfide, audacieux; Il ne voit rien pour lui de trop grand sous les cieux : Mais les plus arrogants sont-ils toujours les maîtres"?

Non !

Et de là, ce front de sept cent kilomètres, Qui, parti de l'Escaut, arrive au mont Donon, Le moderne combat, illimité, sans nom, Qui d'un réseau mouvant éperdument embrasse Provinces et pays, de la Flandre à l'Alsace; Où des corps colossaux et de partout venus Se sentent soulevés de souffles inconnus, Tandis qu'au loin, là-bas, en Prusse orientale, La Russie à grands pas gagne la capitale De l'empire, à la fois débordant, débordé, Et qui sera demain en plein cœur poignardé, Et que, moins que jamais faite pour être esclave, La Serbie envahit l'Autriche sur la Save.

Qu êtes-vous devenus, conflits des temps anciens, Clairs pour les combattants et les historiens,


Alors que maintenant la mêlée enveloppe Dans ses immenses nœuds la moitié de l'Europe, Vertigineux tableau qui rendrait le regard, S'il pouvait l'embrasser, à tout jamais hagard?

II *

Sur sa ligne nord-est, la France a trois armées, Conduites avec art, solidement formées.

Une, part de la Wœvre et va sur Neufchateau.

Pour prendre l'Allemand comme, dans un étau, L'autre vient de Sedan et traverse l'Ardenne.

La dernière, escomptant une attaque soudaine, Vers la Sambre et la Meuse arrive de Chimay.

Par les Anglais, à Mons, le passage est fermé.

L'ennemi, plus à l'ouest, tente de nous surprendre.

On l'y suit. Pourra-t-on en temps voulu s'y rendre ?

L'Est nous voit reculer depuis déjà deux jours.

Mais quatre corps d'armée y portent du secours.

C'est alors que, durant une demi-semaine, La Guerre dans le nord agrandit son domaine.

Indicible chaos ! Épouvantables chocs !

Nos bataillons serrés sont là comme des rocs, A chaque instant heurtés de vagues formidables, Comme si l'Océan aux forces insondable-


Les projetait. L'écume en rejaillit partout.

Dans les volcans voisins, la lave humaine bout.

Le Belge est avec nous, non moindre en sa furie.

Civilisation, - voici la Barbarie !

Tu vois évoluer ses groupes monstrueux.

Marche! Montre-toi grande, et fais fondre sur eux Baïonnettes, fusils, canons et coulevrines !

Que tes beaux régiments, qui veillent aux collines, Dans leur sombre fureur volent en tourbillons, Effaçant à la fois et forêts et sillons !

Et la tempête gronde, abat, fauche, dévore, S'éloigne, disparaît, revient et roule encore.

Assauts de tous côtés. Ici, des cuirassiers S'élancent dans le bruit et l'éclair des aciers, Leurs crinières flamblant ainsi que des comètes ; Et c'est un cliquetis de sabres, de gourmettes ; Et les brides de cuir se tordent dans les mains ; Et les chevaux, penchés au tournant des chemins, Font que sous leurs sabots la terre est convulsive.

La victoire ? Peut-être. Au moins c'est l'offensive.

En avant ! En avant ! Donnez des éperons !

Ailleurs, impétueux essaims, des escadrons Légers, volent. Souvent, comme une sombre houle,


Une vague de sang passe à travers leur foule.

Mais rien ne les arrête; ils courent sous le vent, Superbes, fous, hagards, lumineux, soulevant Des tourmentes de poudre et des trombes de flammes, Yeux de braise, fureurs d'enfer, tempêtes d'âmes !

Et de tous les côtés, éperdus, aveuglés, Tirent les fantassins, le genou dans les blés, Tandis que, décimés par ces rudes bourrasques, Remontent vers le nord les aigles et les casques.

Terribles assaillants! Sublimes défenseurs!

Français, Belges, Anglais, à ces vils oppresseurs Opposez le canon, l'avion et l'épée !

Le combat, le voilà ! La voilà, l'épopée !

III

Mais l'ennemi revient. Flots mouvants, flots hurlants, Qui déferlez la nuit sur les caps ruisselants, Oh ! seuls vous ressemblez à ces rafales d'hommes !

Des morts et des blessés qui comptera les sommes ?

Je n'en sais rien, nul n'en sait rien. Fermons les yeux, Et sentons-y monter des pleurs silencieux.


Mons, Lessines, Thuin, Chimay, Courtrai, Nivelles, Là partout, le malheur prend des formes nouvelles ; Mais entre tous ces lieux de désastre, c'est toi Qui vois le plus d'horreurs, Charleroy, Charleroy !

Depuis le samedi vingt-deux août, jour funeste, Pris et repris sept fois, qu'est-ce donc qui te reste ?

Les bombes, les obus aux furieux élans, Les assauts des Turcos, les charges des Uhlans Et les canons braqués qu'un rouge éclair allume Ont fait de tes maisons de la cendre qui fume ; Et la ruche ouvrière aux remparts admirés N'est plus que bouts de feu flottants et déchirés.

Est-ce la fin pour nous ? Non. La France est entière, Et les Prussiens n'ont pas entamé sa frontière.

— Descendent-ils ? — Hélas! —On va les couper. - Non.

— Que dit-on ? — La parole est toujours au canon.

Ils ont le nombre, ils ont la force, ils ont la ruse, Et leur perversité sans cesse nous abuse.

Tigres dégénérés, vivant de traquenards, Ils s'abaissent sans honte à des tours de renards.

Oh! ce sont des bandits, cc sont des cannibales.

Tragiques histrions, pour défier nos balles Que nos concitoyens recevraient les premiers, Ils se font un rempart avec leurs prisonniers.


Ils poussent devant eux des enfants et des femmes.

Ils sont lâches, ils sont abjeçts, ils sont infâmes.

C'est par de tels moyens de dégoût et d'effroi Qu'ils ont Tourcoing, Roubaix, Lille, Tournay, Rocroy; Car pour chasser d'ici leurs hordes sacrilèges, Il faudrait recourir à leurs immondes pièges.

Donc, devant cette fange, on va se replier: Se replier n'est pas être vaincu. Lier Son sort à la bataille unique et qui sans cesse Se renouvellerait, ce n'est pas la sagesse.

L'heure ne nous est pas favorable ; le mieux Pour résister, pour être un jour victorieux, C'est d'attendre, d'avoir des masses plus profondes.

Les victoires ne sont durables et fécondes Qu'avec un lendemain assuré : donc plions, Et le moment viendra pour les rebellions; Et ce moment est proche; aujourd'hui nos armées, Malgré tout, ne sont pas gravement entamées : Replions-nous.


IV

LE POÈTE

Hélas! France, résigne-toi!

Accepte ce retard et conserve ta foiDans les hautes vertus qui t'ont faite si grande.

Bien de tes fils sont morts? Fais-en au ciel l'offrande.

Dure et combats, lassant les flots envahisseurs.

IÆre et combats, comptant sur tous tes défenseurs.

Sans rien sacrifier de ta gloire si pure, Espère en l'avenir prochain. Combats et dure!

LA FRANCE

Oui, mais si le succès final n'était certain, Oh! ce recul serait la honte du destin !


BLESSÉS

S

OLDATS de la grande bataille Qu'ils voudraient pouvoir oublier,

Ils ont marche sous la mitraille; Mais ils ont dû se replier.

Il fallut céder sous le nombre Qui triomphait de la valeur.

Jour cruel, reculade sombre, Dont saigne à leur flanc la douleur!

Sous les tempêtes éperdues, Sans pouvoir reformer leurs rangs, Ils ont roulé, têtes perdues, Corps brisés, sanglants, expirants.


Quand la nuit vint et le silence, lis furent, à pleins tombereaux, Conduits en hâte à l'ambulance, Puis, par les trains, aux hôpitaux;

Et ceux dont nous avions naguère Acclamé les brillants départs, Tristes victimes de la guerre, Sont revenus sur des brancards.

On les opéra sur les tables, Et dans la fraîcheur des draps blancs, En longues files lamentables, On mit leurs pauvres corps tremblants.

L'un, écrasé par les poussées De chevaux passant au galop, Eut quatre côtes défoncées ; L'autre est bancal, l'autre est manchot.

Celui-ci, la balle explosible Le prit à la gauche du cou; Celui-là, résistante cible, Fut traversé d'un triple coup.


Fronts fendus, poitrines ouvertes, Torturés d'effroyables maux,

Ils sont là, fiévreux, blancs., inertes, Dans la charpie et les bandeaux.

Les infirmières diligentes, Que chacun d'eux déjà connaît, Sont à la fois partout présentes, Graves sous leur petit bonnet.

Et, vers tant de sollicitude Tournant quelquefois leurs grands yeux, Les blessés, avec gratitude, Disent : — Merci, cela va mieux. —

Et leur regard reprend sa flamme!

Comme tendu vers l'horizon,Impatiemment il réclame Une rapide guérison.

Ils disent : - Ah! qu'on nous remette Sur pieds, à tout prix, sans retard! —

On n'obtient d'eux une risette Qu'en leur parlant de leur départ ;


Car cette guerre sera dure,Tout notre effort devra donner : Et c'est pourquoi le temps vous dure, 0 bons soldats, d'y retourner!


SŒURS EN DEUIL

'N ous vous tresserons des couronnes, Vous qui partiez pour ne pas revenir!

Pour les pleurer tu nous les donnes :

Ils ne sont plus qu'un souvenir, Nos frères, compagnons de nos jeunes années, 0 Dieu ! Voulais-tu nous punir?

A la tristesse condamnées, Sans plus jamais revoir le soleil de leurs yeux, Que deviendront nos destinées ?


Ils étaient forts et glorieux.

Fierté, douceur, ils avaient tout ensemble : Tu les as rappelés aux cieux.

Ah! personne ne leur ressemble; Ils étaient beaux comme est beau ton matin, Quand aux fleurs une perle tremble.

Marchant vers l'idéal certain, Pour la Patrie ils ont tiré l'épée, Où les appelait son destin.

Ils ont, dans la grande épopée, Été les serviteurs résolus du Devoir, Gravissant la route escarpée.

Ah! si nous avions pu les voir!

Nous le savons, leur âme fut heureuse, Et rayonna d'un grand espoir.

La Mort, avide moissonneuse, Ne laisse pas tous les épis jaunir;

Mais la Gloire n'est pas trompeuse.


0 Dieu qui les as fait mourir, Si nous souffrons, Seigneur, tu nous pardonnes.

Nous te prions de les bénir.

our les pleurer tu nous les donnes.

Eux qui partaient pour ne pas revenir, Vois, nous leur tressons des couronnes!


LE GÉNÉRALISSIME

Unus homo nobis cuuctando restituit rem.

(ENNIUS).

u

N" seul homme a sauvé l'État par sa lenteur. Annibal se brisa contre sa patience.

Rome allait succomber par trop de confiance Sans les calculs profonds du Temporisateur.

La France avait besoin à son tour d'un lutteur Qui possédât le calme autant que la science ; Elle doit le succès à ton expérience, Et t'acclame déjà, futur Libérateur!

A l'heure de ton choix, lorsque ta force est prête, Tu fonds sur l'ennemi dans un vol de tempête.

Ton renom sera grand dans la postérité, Car tu sais, ajournant la bataille qui s'offre, Éviter les périls de la témérité ; Et notre Fabius, c'est le général Joffre,


Cl-JEFS D'ÉTATS

c

E sont des chefs d'États, grands sur la haute cime, Poincaré, Georges cinq. Auprès d'Albert premier,

Nicolas deux a droit à l'immortel laurier.

Tous les quatre ont un cœur loyal et magnanime.

Ils ont le nombre ou bien la force maritime; Tel est un citoyen et tel est un guerrier ; Mais chacun a pour lui l'amour d'un peuple entier, Et même zèle ardent pour le Droit les anime.

Pourquoi faut-il, hélas! qu'un autre, hérissa De noirs desseins, se soit en face d'eux dressé, Et qu'il puisse, hideux, abject, maudit, néfaste, Pour l'Univers entier suprême objet d'horreur, Devant tant de beauté présenter contraste Du crachat de la haine au front d'un empereur?


LE PRÉSIDENT

T

u peux lui confier, France, tes destinées.

U est ton fils loyal. Il est le grand Lorrain.

Sun large front, taillé pour le marbre et l'airain, Symbolise ta force et tes vertus innées.

Sa ferme volonté les a disciplinées.

Grâce à lui, quand l'orage accourt des bords du Rhin, Près de tes alliés, ton regard souverain Peut braver hardiment les hordes déchaînées.

Tout ton sang généreux bouillonne dans son cœur.

Partage son espoir! Demain, le Droit vainqueur Poursuivra les bandits cherchant la route oblique, Car en ton Président, à leurs desseins fatal,

Vibre et chante, entramjtlTOji cTïw^de République, Toute la Marseillais9/t^ii8Îsc en" l^jfe^atal.


LA RÉSURRECTION DE LA POLOGNE

O

proclamation qui vaut une victoire !

Hélas! on avait mis ce royaume en lambeaux.

On avait par trois fois, indignant les tombeaux, Agrandi des pays avec son territoire.

Il a longtemps duré, son deuil expiatoire.

Haute étaifsa valeur, ses hommes étaient beaux.

Gloires et citoyens, les longs vols de corbeaux Les croyaient disparus, ô honte de l'Histoire !

Or, voici que soudain tous les siècles passés Se dressent, rejetant leurs suaires glacés.

Pleurs de joie ! 0 soleil ! 0 liberté ravie !

Elle n'avait pas dit son éternel adieu!

Mais, quand un peuple est mort, lui rendre ainsi la vie, Est-ce l'œuvre d'un tsar, ou bien celle d'un Dieu?


VISIONS DE ROME ANTIQUE

v

ICTOR-EMMANUEL, roi courageux et juste, Et digne de siéger sur le trône d'Auguste,

Après avoir longtemps veillé, cherchant à voir Quel était pour son peuple et lui le vrai devoir Dans le rouge chaos de cette heure tragique Eut un rêve : il voyait la France et la Belgique Qui lui tendaient de loin leurs bras ensanglantés; Et, dans un flamboiement de sinistres clartés, Quelque chose surgit, vague figure d'homme, Monstre informe, échappé de l'enfer de Sodome, Vêtu d'acier, botté d'acier, casqué d'acier, Assassin se donnant des airs de justicier; Et tandis qu'il sortait dos profondeurs du songe Avec l'état-major du Vol et du Mensonge, De l'Effroi, du Carnage et de la Lâcheté, Oui, devant tant d'horreurs, le soleil irrité


Se voila brusquement la face dans les nues.

C'est alors que, suivant les longues avenues, Un cortège muet vint vers la Trahison ; Et les morts surgissaient du fond de l'horizon.

Les plus grands, du côté de la Voie Appienne Arrivaient ; ils portaient la couronne de chêne.

Sombrés, majestueux, .ils allaient à pas lents, ■ Et la toge tombait droite sur leurs pieds blancs.

La lune, s'arrêtant pour les voir sous les arbres, Leur donna t la pàleur sépulcrale des marbres.

Or, le silence fut entrecoupé de voix.

Numa dit : — Rien ne vaut que le respect des lois.

Qui n'aime pas le Droit n'aime pas sa Patrie.

Et c'est ce que j'appris de la nymphe Égérie. -

Romulus dit : — L'asile ouvert à maint bandit N'en a jamais reçu d'aussi bandit. J'ai dit.

— Carthage avait ma haine et Berlin la partage ; Il faut détruire aussi la moderne Carthage, — Dit Caton.

Régulus fixa résolument L'homme, et dit :. - Je suis mort fidèle a mon serment.


Pour conserver l'honneur, j'endurai le supplice.

Qui permet l'infamie en devient le complice.

— Traitre fut mon enfant. Je le fis mettre à mort, Dit Scaurus, — et ce prince aura le même sort, Puisqu'il a pour appui la Honte et le Parjure.

— Son nom est Guet-Apens, — ditCursor, — je le jure. —

Et Cincinnatus dit : — Pour vaincre ce méchant,.

Sans hésitation, j'aurais quitté mon champ. —

- Et Virginius dit : — Voyant venir ce drille, Pour la sauver de lui, j'aurais tué ma fille. —

Marius dit : - J'avais écrasé les Teutons.

Les survivants ont eu de pires rejetons.

Que leurs fureurs étaient honnêtement rugies, Auprès de ce torrent de crimes et d'orgies! -

m

César dit : - 0 Brutus, c'est ma peine en enfer De voir ainsi mon nom volé par ce kaiser. — Pompée : - En triomphant autrefois des Pirates, Je n'avais pu prévoir les i-uses scélérates Auxquelles ces forbans ont recouru depuis Et dont l'horreur emplit d'épouvante mes nuits. *—


Nasica, qui reçut la déesse Cybèle, Dit : — Je n'ai jamais vu d'occasion si belle De prouver aux pervers qu'il est de justes Dieux. —

Fabius : — Annibal me cherchait en tous lieux.

C'est en temporisant que j'obtins la victoire.

Ayez la patience et vous aurez la gloire. —

Cicéron dit : O ciel ! Qu'était Catilina Près de cet histrion vertigineux, qui n'a Rien de sacré ni rien d'impossible, et qui mène L'atroce cabestan sur la droiture humaine ?

Les morts et les mourants lui montent aux genoux.

Jusques à quand, Romains ! le regarderons-nous ? —

Germanicus passa, formidable, l'épée Au côté, la serrant avec sa main crispée.

Et Tacite parut, disant : - Jamais Néron Autant que lui ne fut assassin ni larron.

Brûler Rome n'est rien : il ne serait à l'aise Qu'en faisant de l'Europe une immense fournaise.

Je me tais devant lui. Pour décrire les maux Qu'il prépare, la langue hésite, à court de mots. —


Et Juvénal clama : — Courbez-le sous la haine !

S'il cherche à secouer les anneaux de sa chaîne, Ligotez-le, garrottez-le ! S'il bouge encor, Mettez-lui le carcan au lieu du Cordon d'or !

Tous, en hâte, courons droit au monstre ! Féroce, Sans relâche il fusille ou frappe avec la crosse, Étrangle avec la corde et suspend au plancher Les enfants entr'ouverts, effroyable boucher ; La Mort derrière lui souffle pendant qu'il chante Et fait jaillir le feu de sa bouche crachante ; Il écume de rage et frémit de plaisir En souillant à jamais ce qu'il ne peut saisir; Devant lui, sur la mer, une sanglante écume Bouillonne avec le bruit de l'eau qui bat et fume : Écrasez ce brigand par lequel en tout lieu L'épouvante s'abat à la face de Dieu.

Allons, roi! Préparez les canons, les étoupes.

C'est assez de retards. Mobilisez vos troupes ! —

Puis un long cri courut chez les spectres hagards : — Aux armes ! — Une flamme alluma leurs regards ; Et les vieillards, sortis de leurs chaises curules, Frémirent; et de loin, formant leurs manipules, Tous les anciens Romains, chevaliers de l'honneur, D'une seconde mort enviant le bonheur,


Accouraient et poussaient le roi contre cet homme.

Huit siècles se dressaient, toute l'antique Rome, Grave et fière, ignorant la crainte et les reculs ; Et les sombres licteurs précédaient les consuls.

Alors, toujours rêvant, mais de gloire et de guerre, Le roi dit, s'étonnant des doutes de naguère, Et vibrant aux appels lancés de toutes parts :

— O mes nobles aïeux, soyez contents : je pars! -


jtVEC LE SOURIRE

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D

EPUIS qu'il partit, le matin du dix, Que ce sera long, avant qu'on le voie ! —

Rayon de soleil, la lettre du fils A sa pauvre mère apporte la joie :

— Bonjour, chers parents. Par un temps de chien, J'écris avec peine, au bout d'une étape.

On se bat souvent. D'ailleurs, je vais bien.

S'il en meurt beaucoup, plus d'un en réchappe.

Nous sommes ici, puis là, constamment.

Vous citer des noms ? On ne peut les dire ; Mais à la française et très simplement Je fais mon devoir avec le sourire. —


II

Puis, plus rien ! Les jours succèdent aux jours Sans que l'on reçoive aucune nouvelle.

S'il était malade !. A-t-il du secours?

Lui, si délicat! Angoisse cruelle !

Quel sort est le sien? Est-il prisonnier?

A-t-il obtenu dans quelque bataille Place au premier rang plutôt qu'au dernier?

Qu'aura fait de lui l'aveugle mitraille ?

Ah! douter vaut mieux souvent que savoir.

Non, le pauvre enfant ne pouvait écrire; Car il est, héros de l'obscur devoir, Mort à la française avec le sourire.

III

Grâce des vingt ans ! ô jeunesse en fleur !

Lointaine espérance et vastes pensées !

Adieu, le génie! Adieu, la valeur, Vertus et beautés si tôt effacées !


Trésor de douceur, ta famille en deuil Ne sentira plus ta chère caresse.

Mais elle aura mieux : elle aura l'orgueil Que tu préparas contre sa détresse;

Et l'horreur sans nom de ce coup brutal

S'évanouira dans le grand délire ; Car tous les efforts vont au but total : Vaincre à la française, avec le sourire !


CHARGE DE SÉNÉGALAIS

1

LS s'élancent, luisants, noirs, lippus, cirages, Crépus, chéchia rouge au front, yeux blancs, dents blanches,

Hauts, droits, amas mouvant d'épaules et de hanches, Pieds nus, battant le sol de leurs bonds enragés.

Les voici, baïonnette en avant, engagés Dans la mêlée où croule en sombres avalanches Leur fureur; et les corps, tombant comme des branches, Leur ouvrent un chemin dans les rangs ravagés.

Prompte comme l'éclair, l'arme convulsive entre Dans la bouche, le cœur, la poitrine ou le ventre : Coups sourds, rafales, chocs; râles, sanglots et cris!

Et le monstre onduleux à l'innombrable tête En son noir tourbillon ne laisse que débris Sur cette mer sanglante où roula sa tempête.


LES DEUX TAMBOURS

D

ANS une cour de la caserne S'exerce le petit soldat :

Pour bien entraîner au combat Le son qu'il donne est encor terne.

Il va, revient, marquant le pas, , Tantôt en long, tantôt en large : Il s'apprend à sonner la charge Et ne se décourage pas.

Pour battre il n'est guère de taille, Mais il pioche sans se lasser, Car il doit pouvoir remplacer Ceux qui mourront dans la bataille.


La sueur lui coule du front.

Il tape et cogne de plus belle Pour dompter l'instrument rebelle, Tout échec étant un affront.

Chacun à son heure est utile Avec un rôle différent ; Lui, pour bien servir à son rang, Il faut qu'il acquière le style.

Quand on ira sur le terrain, Le fusil et la baïonnette Auront à faire place nette; Mais il sera le boute-en-train.

Ah! dans la bagarre sanglante Où plus d'un se rompra le cou, Quel malheur s'il manquait son coup Et si sa musique était lente!

Déjà son jeu mieux mesuré Tire de la caisse sonore Un ronflement dont il s'honore; 11 marche au succès assuré.


Et bientôt cela sent la poudre.

Le battement donne au métal Qui s'irrite et devient brutal Tous les grondements de la foudre.

Bravo, tambour! Toi comme moi, Par notre note au vent jetée, Nous sommes les fils de Tyrtée Avec son ardeur et sa foi,

Puisque pendant que tu t'escrimes Avec tes bouts de bois jumeaux, Je crève le tambour des mots Sous les baguettes de mes rimes.


LE TRIOMPHE DES ^41 LES

N

ous volons. Mais monter, pointer, faucher l'espace, Plonger en dessinant des chiffres et des nœuds

De reflets, dans le ciel vague et vertigineux, Escalader le dos de l'ouragan qui passe;

Sans voiles, sans hateau, sans mât, remous, ni trace, Navigateurs menus, légers et floconneux, Voguer dans les courants profonds, chanter en eux L'ode du mouvement et l'hymne de la grâce ;

Être les moucherons qui tournent éblouis Dans la limpidité des mondes inouïs, Humilier le vent, lasser l'oiseau de proie,

Planer dans les éthers apaisés et dormants : Rien n'égale pour nous la délirante joie De jeter un obus sur un tas d'Allemands.


LA LÉGENDE DE L'AVIATEUR

G

ARROS et Brin-de- Jonc, oh! vos noms ont des ailes !

A force de sonder les voûtes éternelles

ït d'avoir l'habitude austère des hauteurs, Votre àme se remplit d'azur, aviateurs.

Quand le roseau pensant file à travers l'espace, Un peu plus de lueur révélatrice passe Dans cet atome osant ce vol prodigieux, Et son isolement devient religieux.

Spiritualisée, ascendante, ouvrière D'idéal, l'action ressemble à la prière.

Pieux héros de l'air, contre tous les effrois Votre machine même est un signe de croix.

Dans une de ces nuits que le travail rend brèves, Un d'eux, jeune et charmant, eut le plus beau des rêves.

Il se voyait prenant un triomphal essor Vers l'impalpable éther parsemé de points d'or.


Il y croisa Jésus, pilote des étoiles, Dont les abîmes sont le moteur et les toiles, Qui lui dit, l'entraînant loin de tout horizon :

- Lorsqu'il bénit la paix, mon vicaire eut raison.

De tous les maux, la guerre est l'effroyable somme.

Je pleure, quand je vois couler le sang de l'homme.

Si j'ai versé le mien, c'était pour racheter Celui que mon désir ne pourrait arrêter.

Il est des cas pourtant où je le vois sans plainte Répandre à flots : c'est quand la guerre est belle et sainte.

Exterminer le crime et défendre le droit Contre tous, malgré tout, sans faiblesse, on le doit.

Comme on aime sa mère on aime sa patrie.

C'est souffrir mille morts que de la voir meurtrie.

L'oiseau d'acier voulu par votre âme en tourment Se justifie alors, et n'est plus seulement La navette ajoutant de vains fils aux nuages, Ni l'aigle travesti, moins fort que mes orages : C'est l'ange au glaive ardent, soldat de la vertu, Et je suis fier d'avoir avec lui combattu.

Car moi, l'amour divin qui console et qui crée, J'accours, je m'associe à sa tâche sacrée, Et vous dis, bénissant son vol audacieux :

— C'est ma croix renversée, en marche dans les cieux.


JiUX CHAMPS

p

AR ce terrible coup mortellement blessée, La pauvre femme était près de l'âtre affaissée.

Elle venait de perdre, hélas ! son seul enfant.

Je lui dis — C'est un grand malheur. Le cœur se fend Devant votre infortune. Il en est pourtant d'autres.

Sachons y prendre part sans oublier les nôtres.

C'est la fatalité, C'est la guerre. Songez A tant de gens qui sont dans la douleur plongés.

Que faire? Les Prussiens franchissaient nos frontières.

Ils allaient envahir des provinces entières.

On a marché. Tant pis pour qui bronche en marchant!

Vous aimez votre toit, votre puits, votre champ.

La France, eh bien ! ce sont les champs de tous. Pour elle Chez ses braves enfants la mort est naturelle.


C'est la mère commune. Auriez-vous donc admis, Si vous étiez tombée aux mains des ennemis, Que votre fils restât sans punir cette engeance ?

Lui qui vous aimait tant, ne pas tirer vengeance Du crime qu'on aurait commis contre vous? Non, Jamais !

Il n'est plus là, votre Henri. Mais son nom Sera longtemps de ceux qu'on cite et qu'on honore.

Si c'était à refaire, il le ferait encore.

Sur le front du combat, il est mort en héros.

Vous comprenez ? Il leur a fait payer ses os Un bon prix. Il a fait une excellente affaire.

Quand on livre son blé, n'est-ce pas ? on préfère En tirer tant qu'on peut. Quelquefois on attend.

Eh bien ! Il a vendu sa vie argent comptant.

Le gaillard a voulu gagner la forte somme.

Soit dit sans vous flatter, c'était un habile homme.

Il savait distinguer l'ivraie et le bon grain.

Il n'approuverait pas que l'on eût du chagrin Parce qu'il a voulu trop bien faire les choses.

Puis, voyez-vous, le mal a de profondes causes.

Les peuples quelquefois ont des voisins jaloux, Cruels, lâches, pareils en tout point à ces loups Que l'on redoute tant près de vos bergeries.

Et les pièges sont bons et bonnes les tueries


Contre Les loups affreux et contre les Prussiens.

Dloiï batailles et morts. Dieu reconnaît les siens.

C'est terrible, mais c'est une chose vulgaire.

On part avec retour non certain. C'est la guerre.

Sans doute, il vaudrait mieux que chacun subsistât.

Mais il en tombe. Après ? C'est pour sauver l'État.

On appelle devoir cet élan qui nous porte, Dès qu'il est en danger, à lui prêter main forte.

t c'est bien. Car, sans lui, que deviendrions-nous ?

Vous n'allez pourtant pas vous mettre à deux genoux Devant des étrangers stupides et barbares Qui sont méchants, qui sont haineux, qui sont avares, Qui parlent une langue où vous n'entendez rien, lit pour qui tout Français est au-dessous d'un chien.

Alors, à de tels gens il faut bien qu'on résiste.

Disparaître à vingt ans, c'est vrai, rien n'est plus triste.

Vous pensiez tant partir avant lui ! Mais enfin Il faut savoir céder aux ordres du destin.

On sait trop ce que c'est que le hasard des armes.

Nul n'y peut rien. Dieu l'a voulu. Séchez vos larmes.

Et puis, rappelez-vous quel fier sujet c'était.

On l'aimait au pays, car il le méritait.

Il était courageux comme il était honnête.

Il est parti content, comme on part pour la fête.


Ses lettres vous disaient : - On ne manque de rien.

On se bat tous les jours. Ça chauffe. Tout va bien. Vous l'aviez élevé pour avoir l'âme haute.

Il cherchait le péril. C'est aussi votre faute S'il n'a jamais rien fait de louche ni de bas.

Vous ne le verrez plus, mais ne le pleurez pas.

Soyez digne de lui. Point de douleur amère.

Soyez forte. Il le faut. -

Alors la pauvre mère, Après tous ces discours qu'avec cœur je lui fis, Me dit en sanglotant : — Oui, mais c'était mon fils. —


LA CATHÉDRALE 'DE REIIWS

E

LLE était le musée, elle était le saint lieu, Belle comme la Gloire et comme la Prière,

Châsse d'or recouverte en dentelles de pierre, Hommage le plus grand que l'homme eût fait à Dieu.

Hélas ! A ses splendeurs il nous faut dire adieu.

Cette fille des rois, des siècles héritière; Voit en un jour de deuil périr sa grâce altière Sous le barbare affront dès obus et du feu.

Mais avant de tomber vaine et diminuée, Elle s'élancera ce soir dans la nuée, Emportant jusqu'au ciel nos suprêmes espoirs : Plus haut que ne faisaient sa voûte et ses pilastres, Dans l'effroyable nuit somptueux encensoirs, Ses flammes monteront vers la pitié des astres !

4

20 septembre.


RUINES NATIONALES

A MM. Raymond et Lucien Poincaré.

A

SILES de travail, de paix et de tendresse !

Noms fleuris, Triaucourt, Sampigny, Nubécourt!

Lieux que le ciel meusien éclaire avec amour, Où le souffle des bois apporte sa caresse !

Oui, mais l'âme française a là sa forteresse; Et tel logis désert, plus qu'une haute tour Et plus qu'un campement, offusque dans le bourg L'ennemi qui le vise en sa fureur traîtresse.

Adieu, chers souvenirs du toit familial !

Vos instants sont comptés par ordre impérial, Et la vile mitraille emporte dans sa trombe

Les tombeaux des parents et les maisons des fils, En réservant l'horreur de sa première bombe Pour la chambre où la mère avait son crucifix.

27 septembre.


PASSAGE DE PRISONNIERS

G

RAND émoi dans toute la rue Qu'emplissent d'obscurs mouvements.

On dit : — Ce sont des Allemands, — Et la foule vers eux se rue.

Un peloton de prisonniers Arrive, encadré par la troupe Qui surveille de près leur groupe, Et fait se hâter les derniers.

Harassés, hagards, l'air maussade, Laids tous leurs uniformes verts, Plusieurs, regardant de travers, Affectent encor la bravade.


D'autres sont pensifs, comme ayant La conscience de leurs crimes; Et les spectres de leurs victimes Forment leur cortège effrayant.

Ouvriers des lâches besognes, Venus de Reims ou de Louvain, Ils mêlent les rougeurs du vin Aux rougeurs du sang sur leurs trognes:

Dans leur rêve affreux absorbés, Tristes épaves de ce monde Que souille leur présence immonde, Ils vont, sous la haine courbés.

Le défilé muet s'avance, Et les fantassins, arme au bras, Autour de lui marquent le pas, Gagnés par le sombre silence.

Les passants, en hâte venus Pour railler leur juste supplice, Par des officiers de police Sont sévèrement contenus.


L'autorité veut qu'on se taise Et que la colère qui bout Reste fidèle 'j'ùsqtf'atFboüt; -. _: A la correction française.

Voilà qu'une femme pourtant, Humblement mise, une ouvrière, Franchit la mouvante barrière, A tout obstacle résistant.

Que ne peut un geste énergique ?

La voici donc tout près d'un d'eux Plus que tous les autres hideux, Face grotesquement tragique;

Et dans un mouvement soudain Elle lance, sans qu'il l'esquive, Un énorme jet de salive A la figure du gredin.

Alors, ferme sur la consigne, Le sergent de ville en jurant La sort brutalement du rang : — Ce que vous faites est indigne.


Si votre fils était comme eux Prisonnier en terre étrangère, Voudriez-vous pour sa misère Un traitement aussi honteux?

— Mais vous savez bien, dit la femme, Qu'au crime ils sont habitués.

Mesdeux fils, ils les ont tués De la façon la plus infâme.

Et je les hais, et je le dis ; Et, si j'ai mal fait, qu'on m'arrête !

Mais, je le jure par ma tête, Tous ces gens-là sont des bandits. —

Elle prend ainsi sa revanche.

Alors, devant tant de douleur, Le bon policier sent un pleur Rouler sur sa moustache blanche,

Car les vils descendants des Goths Rendent réelles ces chimères : Ils tirent des crachats des mères, Et des larmes des vieux sergots.

il. f ..-:.


SAINTE FRATERNITÉ

.symbole de cette sainte fraternité de la France et de l'Allemagne, que les rois ne parviendront pas à détruire.

VICTOR HUGO.

E

H bien [ tu te trompais, ô Maître, quand ton âme.

Prenant pour de l'amour un coupable abandon,

Réservait les rois seuls à la rigueur du blâme Et nous inclinait au pardon ;

Et nous tous, trop épris d'illusoire justice, Obstinés à placer chaque faute à son rang, Et qui désapprouvons qu'un peuple entier pâtisse Des caprices de son tyran,

Nous embrassions aussi ton erreur généreuse, Planant dans l'idéal et la sublimité, Tandis que, sous nos pieds, c'est un gouffre que creuse L'effroyable réalité.


Oh ! Dieu m'en est témoin, je n'ai pas voulu croire Que tout, entre eux et nous, fût désormais fini, Et que d'un trait sanglant l'impitoyable Histoire Eût fait de ce peuple un banni.

Malgré l'horreur sans nom de son immense crime, De ce soufflet honteux à la face du Droit, J'ai pensé qu'on saurait se montrer magnanime En raison de ce qu'on lui doit;

Qu'après son châtiment rigoureux, exemplaire, Et quand on l'aurait vu s'excuser et plier, Quelque compassion calmerait la colère, Et que l'on pourrait oublier.

Mais, ce qu'au premier jour on ignorait encore, Tout espoir de clémence est à jamais détruit, Et les chevaux du rêve hennissant vers l'aurore Se sont embourbés dans la nuit.

L'amitié serait lâche et vaine l'indulgence Lorsque sera brisé l'éphémère vainqueur, Et nous n'aurons pour lui, même après la vengeance, Qu'une indéfectible rancœur.


Contre tant de noirceur et tant d'esprit funesté, Même longtemps après que l'on a combattu L'amertume s'accroît, l'indignation reste, Et la haine devient vertu.

0 Maître, ne dis pas que c'est la loi fatale, Quand le prince est méchant, que le pays le soit, Et que bon, mais poussé par une main brutale, Il est contraint de marcher droit.

A bas le faux-fuyant et la plainte hypocrite - ;n Cerveaux sans idéal, ils aiment les combats.

Chaque peuple toujours a le chef qu'il mérite.

Plus de feintes ! Masques à bas !

Leur plus pédant docteur, leur plus confus poète, Sommets de ce génie où manque le rayon, N'ont-ils pas contre nous le bec du gypaëte Et le vol de l'alérion ?

Oui, dans le sol entier le mal a sa racine.

L'empire et l'empereur luttent au même rang.

Ce peuple est généreux ? Son tyran l'assassine?

Qu'il assassine son tyran !


- Ce qu'il a fait naguère, il le refait encore.

Bientôt, s'il le pouvait, dans les temps révolus, Tellement sa fureur jalouse nous abhorre, Il en ferait aulant ou plus..

Il dépasse déjà l'horreur des anciens crimes; Par les monceaux fumants laissés sur son chemin Il provoque à la fois la clameur des abîmes Et le dégoût du genre humain.

De tels maux l'Allemagne entière est responsable, Et si dans l'avenir, repentante, à genoux, Elle nous suppliait, un gouffre infranchissable Serait béant entre elle et nous;

L'Allemagne, ou plutôt son fantôme et son ombre Car son abjection approche de sa fin, Et dans les flots vengeurs son épave qui sombre Réhabilite le destin ;

Car elle a déchaîné la foudre et la tempête, Et tout ce qu'elle fut par elles sera pris; Sur les vagues dressant sinistrement leur tête Rouleront ses honteux débris.


Sainte fraternité! Sur les lèvres des hommes Ce mot, fait de rayons, brille ainsi qu'une fleur; L'amour pour le prochain, petits comme nous sommes, Nous grandit devant le malheur;

Mais le pur sentiment qui nous égale à l'ange Ne peut faire que l'eau se rapproche du feu, Et la fraternité de l'âme et de la fange N'entre pas dans la loi de Dieu.

Quand un peuple s'est mis par ses desseins funèbres Au ban de la nature et de l'humanité, Ah ! n'allons pas jeter vainement aux ténèbres L'appel de la fraternité !


NOËL AUX ARMÉES

RÉPONSE D'UN DE LA-BAS

.- Aux Enfants de France.

J

USQU'A nous, chers enfants, votre offrande est venue.

Un rayon de soleil a traversé la nue.

Petits, vous êtes beaux; petits, vous êtes grands.

Votre grâce sourit dans tout ce que vous faites, Et nous avons les mêmes fêtes Malgré nos destins différents.

0 vous, brillant espoir de la grande Patrie, Vous l'aimez comme nous, douloureuse et meurtrie, Et préparez pour elle un avenir meilleur.

Vous êtes son printemps, son charme et sa parure; Nous portons sa splendide armure, Et nous sommes son bras vengeur.


Oui, le devoir est là; sa voix est la plus forte, Et vers tous les périls chaque instant nous emporte : Nous vivons dans l'horreur et la sublimité, Tout au bonheur de voir notre effort qui progresse; Et nous marchons dans l'allégresse Du dévouement illimité.

Champ d'honneur, ton sillon peut devenir ma tombe.

Sous les coups du destin, le plus valeureux tombe : Les courages voisins n'en sont point abattus, Car sur ton sol, propice aux combattants superbes, Surgit en magnifiques gerbes La sainte moisson des vertus.

Transformés pour le Droit en vivante muraille Qui reçoit sans faiblir la pluie et la mitraille, Nous refoulons la Honte à chacun de nos pas.

Nous sommes les soldats de la France éternelle; Nous sommes couverts de son aile, Et pouvons braver le trépas.

Il le faut, puisque un peuple, horreur de la nature, En osant jusqu'au bout l'immense forfaiture, A souillé d'un crachat le front du genre humain.


Oh! qui voudrait souffrir son insolente rage?

Mais pour laver l'infâme outrage Nous n'avons pas que notre main.

Cinq peuples fraternels, qu'un même espoir anime, Vont jusque dans sa cause exterminer le Crime.

Pour le salut de tous, leur haine le poursuit.

Leurs drapeaux confondus ne font qu'une bannière, Dont l'éblouissante lumière Le fera rentrer dans la nuit.

Quels maux aura voulus son aveugle furie!

Qui sait combien de temps l'implacable tuerie Doit à flots renaissants, malgré la loi de Dieu, De toutes les douleurs accumulant les sommes, Faire jaillir le sang des hommes En éclaboussant le ciel bleu ?

Depuis que ces bandits ont pris le Droit pour cible, Le malheur en tous lieux dépasse le possible : Les mères sont sans fils et les morts sans tombeaux; Par leur pcrversité le monde entier recule, Et les splendeurs du crépuscule N'appartiennent plus qu'aux corbeaux.


Tout l'effort du passé, les siècles de souffrance, Le progrès pas à pas conquis sur l'ignorance, La lente ascension vers l'idéal du bien, Le respect des traités, l'amour de la justice, Ce peuple qu'il faut qu'on maudisse, Ce peuple n'en laisserait rien.

De tous les maux soufferts il est seul responsable.

Il en conservera la honte ineffaçable.

Ses pillages sans nom et ses atrocités, Sur l'insondable nuit sinistres ouvertures, Effroi des époques futures, Dans trois mille ans seront cités.

La Guerre! Ah! savez-vous combien elle est tragique C'était entre la mer et Dixmude, en Belgique.

Les Prussiens avaient pu faire sauter le pont.

Les Belges sans retard avaient ouvert la digue.

On faisait, domptant la fatigue, De sa baïonnette un harpon.

Corps à corps forcené, qu'à peine on imagine!

On se battait, et l'eau montait à la poitrine.

On plongeait quelquefois pour esquiver un coup.


Les combattants serrés s'attaquaieqt à la nage, Et, doublant l'horreur du carnage, .L'un à l'autre tordait le cou.

Un autre jour, c'était auprès d'un cimetière.

Nous étions là depuis une semaine entière, Et presque tête à tête avec les Allemands; Car nous reconquérons, de tranchée en tranchée, La terre de.France arrachée A leurs hideux empiétements.

A des coups souterrains que nous pûmes entendre, Certains que l'ennemi cherchait à nous surprendre, Nous creusâmes aussi dans un dessein pareil.

Quand on se rencontra, de quelles hécatombes Tressaillirent sur nous les tombes Des morts troublés dans leur sommeil!

J'ai vu de tels exploits, sans compter tout le reste.

Oh! le cœur se soulève et la raison proteste, Et condamne à périr ceux qui les ont voulus.

De leur abjection ils seront les victimes, Et ces épouvantables crimes, Enfants, on ne les verra plus.


Mais nous faisons l'histoire : à d'autres de l'écrire !

Je crayonne d'un trait ces vers pour vous instruire.

Point de pupitre ici, ni de plume d'acier.

Le canon, ce matin, grondait comme la foudre; Mais, fût-ce au milieu de la poudre, Je devais vous remercier.

{ i Voyez : il était temps. On reprend l'offensive.

Branle-bas général. J'abrège ma missive,

Chiffon que notre ami pour vous débrouillera.

Adieu, Noël! Bonjour, plaisir! Bonsoir, souffrance!

Vive le drapeau de la France, Qui jusqu'à Berlin volera!


LA FRANCE VICTORIEUSE

l

LA FRANCE ÉTERNELLE

Q

UE disiez-vous, hordes sauvages, Teutons brutaux au crâne étroit,

Qu'impitoyable en ses ravages La Force primerait le Droit,

Et qu'en poussant sur sa souffrance Quelques piétinements nouveaux Vous alliez écraser la France Sous le galop de vos chevaux ?


La voyez-vous désemparée Et prête pour votre mépris, Parce qu'un jour votre marée A débordé jusqu'à Paris? -

Ah ! c'est la petite alouette Au chant léger et gracieux, Et dont se perd la silhouette Dans la limpidité des cieux?

C'est aussi la Victoire ailée, Formidable dans son essor, Qui prend à travers la mêlée Son vol d'aigle sur un fond d'or.

Elle fait la guerre en dentelles, Elle fait la guerre en sabots ; Mais ses atteintes sont mortelles, Et ses soldats sont toujours beaux.

Sous le drapeau, sous l'oriflamme, Sous le lys ou les trois couleurs, Qu'elle entre ou non à Notre-Dame Avec des couronnes de fleurs ;


Qu'aux accents de la Marseillaise, Contre les rois et leur affront Elle bondisse en la fournaise Avec le bonnet rouge au front,

Qu'à Jemmapes et Wattignies, Qu'à Fleurus, Coblenz, Wissembourg, Elle lâche ses Erinnyes Au roulement de son tambour,

C'est toujours la rude ouvrière Au torse ferme, au bras noueux, Qui fait sauter la poudrière Au dos des tyrans tortueux,

Et dans cette lutte où s'acharne Le vol tournoyant des vautours, C'est elle, sur l'Aisne et la Marne, C'est elle encore, elle toujours,

Fille de la louve romaine, Qui fait s'enfuir la trahison, Quand seulement elle promène Ses yeux de feu sur l'horizon !


La France, oh ! surtout, c'est l'Idée !

C'est la mère des précurseurs ; C'est elle qui, par Dieu guidée, > Peut dire aux étoiles : Mes sœurs !

Elle a fait briller sur le monde, Dans l'éclair de la Liberté, Ces mots dont la lueur l'inonde : Égalité, — Fraternité.

Au temps où le hameau servile Tremblait sous l'aile du manoir, Parlant de franchise civile Elle entr'ouvrit le grand espoir.

Au côté de Philippe-Auguste, Pour le Droit elle combattit, Et dès lors elle trouva juste L'appui du pauvre et du petit.

Toujours bonne et compatissante, Elle vole vers le malheur, Afin qu'à son réveil il sente La caresse de sa chaleur.


Elle est debout sur le rivage, Calme regard fixant la nuit, Phare-altier dont pendant l'orage Le feu sauveur sans cesse luit.

Sa lumière est un incendie Qui trace un cercle éblouissant;

Sur l'univers elle irradie Par son passé, par son présent.

L'amour des peuples l'accompagne, Indistinctement déclaré.

Pour la France de Charlemagne Et la France de Poincaré,

Car la France républicaine, Plus française encor qu'autrefois, De son devoir fière et certaine Règne aussi — par les justes lois,

Et sa gloire sereine et pure.

Œuvre des morts et des vivants, Défiant l'envie et l'injure, Est dispersée aux quatre vents.


Elle, la Pensée et l'Épée,

Elle, l'honneur du genre humain, Vous la rêviez déjà frappée

Et râlant au bord du chemin ?

Non ! Plus que jamais elle est forte.

Son pas, qu'on ne peut retenir, Marche droit vers la haute porte De l'incorruptible Avenir,

Et c'est çette France éternelle, Lançant la foudre et les rayons, Qui d'un large coup de son aile Va renverser vos bataillons

Car à l'heure de la révolte En faveur du Droit insulté, La grande semeuse récolte Les fruits du grain qu'elle a jeté.

0 Patrie, aujourd'hui tu lèves, Prête pour des bienfaits nouveaux, Tes épis transformés en glaives, Et tu marches sous cinq drapeaux.


Tant de nations généreuses Qui t'offrent leur bras et leur foi Malgré tous leurs deuils sont heureuses De combattre à côté de toi.

Oui, contre l'horrible rafale Qu'a déchaînée un empereur , Se dresse, gerbe triomphale, Plus puissante que sa fureur,

Faisceau sublime, union sainte, L'effort commun des volontés, Capable de braver sans crainte Tous les assauts déconcertés,

Pour faire une plus belle Europe Qui s'éclaire d'un nouveau jour, Que la douce Paix enveloppe Dans une atmosphère d'amour,

Pour que la Justice y commande, Que l'âme y prenne son essor.

Et que d'une France plus grande Sortent plus de rayons encor.


II

SUR LE FRONT

0 trésor de cendres sacrées, Sol béni, terre des aïeux, Par ton pouvoir mystérieux Combien d'héroïsme tu crées!

Comme est invincible la foi Que dans tes fils chéris tu fondes, Et par quelles fibres profondes Tout leur être s'attache à toi !

Comme ils ont relevé l'outrage Et défendent ta liberté Dans l'accord de leur volonté Et l'anonymat de courage !

Sur le formidable horizon De notre ligne en dents de scie, Luttant pour la suprématie Avec leur cœur et leur raison,


Ils sentent le rythme sublime De leur sang généreux qui bat ; Au cours du farouche combat Un unique espoir les anime.

C'est l'espoir de voir aux affronts Leur mère commune arrachée.

Revers sanglant de la tranchée, Magique niveleur des fronts !

Ici, plus de desseins contraires ; Les esprits sont sains et virils.

Devant les suprêmes périls Tous les Français se trouvent frères.

Soulevé d'un même idéal Pour ajouter à notre histoire Sa plus noble page de gloire, Tout, âges et rangs, est égal.

Et sous la capote de laine Ou sous la cuirasse d'acier, Chez le soldat et l'officier, C'est même amour et même haine.


Que de grandeur ! Que de beauté !

Malgré la pluie et la mitraille, Ils sont là, mouvante muraille De discipline et de fierté.

Ah! pensons à ceux qui s'engouffrent Dans la Mort, ayant tout bravé !

Qu'est chaque mal non éprouvé?

Une dette envers ceux qui souffrent.

Soldats qui travaillez pour nous Et souriez dans les alarmes,Notre admiration, nos larmes, Nos vœux, nos cœurs, tout va vers vous.

Toutes les gloires vous sont dues, Vous la valeur, vous le devoir !

Vers le moment de vous ravoir Toutes nos âmes sont tendues,

Et, malheureux ou triomphants, Vous sentez bien que la Patrie Donne, de leurs douleurs meurtrie, Un baiser à t'lUS ses enfants.


III

DÉLIVRANCE

Ils s'en vont, flot grondant que la Défaite entraîne.

De la Seine à la Marne et de la Marne à l'Aisne, Leurs chemins de naguère, ils les ont repassés.

Nos soldats courageux, fermes, jamais lassés, Les usant, les traquant sans repos et sans somme, Les ont fait remonter lentement vers la Somme Et reculer plus haut à droite de l'Yser, En décimant leurs rangs par la flamme et le fer.

Demain, plus loin toujours, et sans hâte fébrile, On va les rejeter, tous les quinze cent mille.

Acharnés serviteurs de l'empire allemand, Ils ont rempli leur tâche épouvantablement : Ils ont pillé, brûlé, fait des crimes atroces, Mais on a refoulé leurs attaques féroces; De tranchée en tranchée on a, marchant sur eux, Traversé jusqu'au bout leurs desseins ténébreux.

Ce fut sur tout le front une horrible bataille.

Aucune autre jamais n'atteignit cette taille.

Français, Belges, Anglais, du Ciel même alliés, Contre ces noirs démons se sont multipliés,


Tandis que la Russie, avançant ses armées Vers les villes de l'Est de leur nombre alarmées, Déjà non loin de Kulm, de Posen et Breslau Faisait grandir le sourd fracas de son rouleau.

France républicaine, ah ! tu peux être fière!

Tes fils et tes amis t'ont rendu ta frontière; Ils l'ont patiemment reprise pas à pas Dans un mouvement sûr qui ne reculait pas.

Ainsi que la tarière en sa marche inégale Dans le chêne noueux enfonce sa spirale, Quand, sur elle penché, le tenace ouvrier Tord de ses doigts calleux l'irrésistible acier : Il ne s'étonne pas si la matière grince, Ni si chaque pesée amène un progrès mince ; Il ne veut, absorbé dans le labeur constant Où la veine se gonfle et le muscle se tend, Donner le dernier tour qu'à la dernière fibre; Enfin, sur l'autre face il voit la pointe libre Tourner; il savait bien que l'instrument vainqueur Avec le double aubier traverserait le cœur : C'est ainsi que la France a, de sa main crispée, Contre son ennemi manœuvré son épée; Mais l'arbre était géant, dur en était le bois, Et la tarière a dû le travailler trois mois.


Ainsi se prolongea cette immense tuerie.

Le courage a raison de la vaine furie.

Oui, de Paris à Reims et de Lille à Nieuport, Les Prussiens ont senti que se jouait leur sort.

Les voilà préparant leur retraite tragique.

La France les vomit, et bientôt la Belgique.La digue ouverte a fait sur eux bondir la mer, A l'heure où les croiseurs, pointant sur cet enfer, Labourant de boulets son impuissante masse, Redoublaient son courroux et brisaient son audace.

Combats à ciel ouvert et combats souterrains D'heure en heure les ont à la fuite contraints.

Vils assassins du Droit, bourreaux de la Justice, Arrière ! Et que ma voix à jamais vous maudisse !

Il n'a que trop duré, votre effort éperdu; Mais quelqu'un était là qui vous a répondu.

Une haute pensée a, pour la résistance, Choisi l'instant, le lieu, calculé la distance, Jugé tout en premier comme en dernier ressort, Déterminé le nombre et dirigé l'effort.

Intendant, terrassier, stratège, âme d'un monde, Conscience infaillible et science profonde, Souriant sous le poids d'un labeur écrasant, Un et multiple, calme et prompt, partout présent,


Devinant les besoins, précipitant les courses, Comme un magicien faisant jaillir les sources, iàtàciitcur fougueux et froid calculateur , Qui tient en main le sort d'un peuple entier, lutteur Capable, ainsi qu'Atlas sur ses larges épaules, De soulever la terre et d'en tenir les pôles, Esprit au large vol, mais vite ramené Vers l'utile détail mûrement combiné, Tel surgit à nos yeux le Généralissime. D'accès sont grands. Il les dépasse. Il est la cime.

Avec la modestie et la simplicité, Ce chef est le génie, étant la volonté, Et la Gloire en son ciel fait déjà place à l'homme Dont la France s'honore et qu'eût envié Rome.

IV

DEMAIN

Mais il n'est pas dans ton destin De sitôt reposer son glaive, 0 France! Un jour sanglant se lève, Dont nous ne sommes qu'au matin.


La trombe de feu partout gronde.

L'Orient avec l'Occident Se jette en ce foyer ardent, Où brûle la moitié du monde.

Temps sinistres ! Prodigieux Chaos de l'insondable guerre, Qui bouleverse en sa colère L'océan, la terre et les cieux !

C'est l'humanité convulsée Tressaillant en ses profondeurs.

Puissent en jaillir des splendeurs Dont s'éblouira la pensée !

J'ai vu sur un lit d'hôpital Un soldat n'ayant qu'une joue; Il avait roulé dans la boue, Mutilé par un coup brutal.

Lorsque fut fini le carnage, Brisé, mais se ressaisissant, Tl avait pris un bain de sang Dans un grand trou, presque à la nage.


Il en était sorti dispos, Retrempé, rajeuni, capable D'attendre une main secourable 4 Et de grandir dans le repos.

C'est un même bain gigantesque Que le monde entier aura pris,

Et d'où sortiront les esprits Nouveaux, méconnaissables presque.

Comme après trois mille ans germa, Rendue à la lumière amie, Une bonne graine endormie Qu'un sarcophage renferma,

De même les vertus des pères, Trésor longtemps enseveli, Hors des ténèbres de lWbli Surgissent vives et prospères ;

Et, puisque rien ne doit finir, Par la grandeur du sacrifice Que nous offrons à la Justice, Nous travaillons pour l'Avenir.


Ah ! que de corps sans sépulture Dans ces jours de gloire et de deuil !

Ils ont voulu mieux qu'un cercueil : Un souvenir qui toujours dure.

Nous sommes les tombeaux vivants Qui leur sont un pieux asile, Et tant de poussière fertile Ne-sera point jetée au vent.

Des grappes d'âmes abattues Par l'impitoyable trépas La beauté ne se perdra pas : Les autres en seront accrues.

Jeunes hommes, fiers combattants Que le boulet couche dans l'herbe, Toute votre sève superbe Fleurira dans de longs printemps.

Haut les cœurs ! Bonne est la souffrance Pour que les justes soient vainqueurs.

Espérance et Foi! Haut les cœurs, Glorieux soldats de la France!


France, songe aux moissons d'été Qui vibreront dans l'air salubre, Quand aura fui la plus lugubre Des saisons de l'humanité.

Va! Dans l'épouvantable drame Poursuis ton rôle généreux !

Tes ennemis, marche sur eux !

Combats avec toute ta flamme,

Et, dans un élan rédempteur, Brise, malgré ta cicatrice,

LÀir épée exterminatrice Par ton libérat



- 1 ,

TABLEES MACERES f.~-' I i « «

'lY Pages Pr&face. 5 Prologue : La gloire des vaincus. 7 La paix armee.. , , , , , 0 0 9 L'Union des Femmes de France 12 Aux armes! - 17 Hymne à Jeanne d'Arc 2 3 Mobilisation : Les trains fleuris ->■ Le miracle de Jeanne d'Arc. 28 Escadres anglaises. , , , , 0 0 , 29 Un combattant. 31 Le petit fantassin 3 2 Pèreet&ls. 38 Une famille - 4° La cure du réserviste , , , 43 L'enfant aupistolet. 47 La petite Belge. 49 Une simple femme. 56


Pages Les deux manières. , , , , 60 Damnation. , 66 La jeune veuve. , 76 Une grande batai11e. 79 Blessés, , , , , , 88 Sœurs en deuil. , , , 92 Le Généralissime. , , , , , , 95 Chefs d'Etats. 96 Le Président. , , , , , , , , , , , , 97 La résurrection de la Pologne. , , , , , 98 Visions de Rome antique. , 99 Avec le sourire. 105 Charge de Sénégalais 108 Les deux tambours 109 Le triomphe des ailes.. , , , , , , m La légende de l'a viateur.. , , , , : 113 Aux champs. , , , , , , , , , 115 La cathédrale de Reims. II9 Ruines nationales 120 Passage de prisonniers.: , 121 Sainte Fraternité. , , , 125 Noël aux armées 130 La France victorieuse : La France éternelle., , , , , 136 Sur le front. , , 143 Délivrance., 146 Demain. , , , 149





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