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Titre : L'Afrique : journal de la colonisation française, politique, économique, agricole, commercial, littéraire et scientifique / fondé à Paris par les colons de l'Algérie ; [directeur-gérant responsable : Hte Peut]

Éditeur : au bureaux du journal (Paris)

Date d'édition : 1845-11-12

Contributeur : Peut, Hippolyte (1809-1889). Directeur de publication

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326834694

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb326834694/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 12 novembre 1845

Description : 1845/11/12 (A2,N88)-1845/11/16.

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6366489k

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-3025

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 12/11/2012

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.- Paris, 44 Novembre.

De lu nomlnntlonde M Delarue aux fonctions de directeur des affaires de l'Algérie.

Nous avons souvent fait ressortir la profonde et radicale insuffisance de la direction des affaires de r AIgÓrie pour la conduite des grands intérêts" de ce pays; et si, plus d'une fois, nous nous sommes vu contraint de poursuivre dans M. Vauchelle lui-même les t'aules graves de l'administration dont il était le chef, nous n'avons pas laissé ignorer que, dans notre intime conviction, conviction basée sur l'étude attentive et consciencieuse des faits, un homme, quelle que fût sa capacité administrative, ne pouvait plus sufiire aux besoins tous les jours plus impérieux, plus difficiles et plus multipliés d'une question aussi vaste que la question d'Afrique. -

Persuadé également que la plus - grande partie du mal actuel, mal qui empire chaque jour, vient de la détestable direction donnée aux affaires de l'Algérie, ou, pour parler plus exactement, de l'absence complètc, dans le pouvoir central, de toute direction, de toute intelligence des intérêts du pays, de toute initiative, de toute force, de toute indépendance d'action, de toute suite dans les desseins ; nous avons maintes fois demandé, et nous demanderons encore avec plus d'insistance dans l'avenir, comme le seul moyen do sortir du désordre administratif qui règne aujourd'hui, que les divers services de l'Algérie soient répartis, chaclin selon sa spécialité, entre les diffèrens départcmens ministériels de France.

Nous croyions avoir démontré cette nécessité d'une manière irréfragable, tout en faisant justice des objections sans fondement qui tendaient à laisser croire que cette répartition entraverait la marche des affaires, tandis que cnes-ci en recevraient au contraire l'impulsion la plus heureuse et la plus salutaire.

Nous pensions donc que le gouvernement, mieux instruit des effets de sa déplorable politique, saisirait la première occasion qui lui serait donnée de réaliser la grande mesure que nous lui proposions, mesure éminemment simple, éminemment utile, éminemment gouvernementale: nous avons été trompé dans notre

espérance. Lorsqu'il n'aurait pu se faire pardonner cette nouvelle erreur qu'en plaçant au poste de directeur des affaires de l'Algérie un homme éminent, un administrateur consommé, un personnage politique de la plus haute valeur, un chef d'un caractère assez ferme pour tenir en lesse les pouvoirs locaux, réprimer les écarts du gouvernement militaire, rappeler à la subordination les agens qui osent s'en écarter, et favoriser par tous les moyens l'avènement prochain de ces institutions civiles qui seules peuvent donner la confiance atout le monde, attirer les capitaux, encourager l'émigration, et tout à la fois, peupler et fortifier le pays, sans lesquelles tout ce que nous faisons sera infaiUiblemenl bt irrévocablement perdu aux premiers bruits d'une guerre européenne, hors desquelles, en un mot il n'y a pas de salut, nous avons été doulou-

reusement surpris en voyant que son choix s'était porté sur M. le général Delarue. On aurait voulu nous faire regretter M. Vauchelle que l'on n'aurait pas mieux réussi. Tous les amis sincères de l'Algérie déploreront, comme nous, cet aveuglement calculé du gouvernement qui se refuse absolument à toute amélioration, ù toute modification utile, et qui, par cette obstination incompréhensible devant tous les avertissemens et toutes les lecons qu'il reçoit, expose la France aux plus.

grands comme aux plus irrémédiables malheurs.

Mettre un militaire à la tète des affaires politiques et administratives de l'Algérie, c'est déclarer que l'on ne veut rien faire pour ce pays ; c'est y perpétuer le despotisme du sabre qui y étouffe tout progrès ; c'est

protester violemment contre l'opinion publique, qui demande que l'Algérie ne reste pas plus longtemps en dehors du droit commun de la métropole, c'est exposer, de propos délibéré, la France à perdre en un instant le fruit des immenses sacrifices en hommes et en argent qui lui sont imposés depuis plus de quinze années par sa conquête.

Il n'y aurait que des gens intéressés au désordre actuel qui pourraient voir sans en gémir un aussi monstrueux oubli des conseils du plus simple bon sens, et des règles les plus vulgaires d'une bonne et sage administration.

Des suites fâcheuses de la mésintelligence entre la magistrature assise et le parquet.

Si l'harmonie entre les hommes est une chose désirable et utile en soi, elle l'est bien davantage entre ceux qui tiennent dans leurs mains la fortune, l'honneur et la vie des autres hommes, et il nous semble que le gouvernement devrait, par cela seul, veiller avec la plus grande sollicitude a ce que cette harmonie régnât constamment entre les magistrats appelés à requérir l'application de la loi et ceux chargés de l'appliquer. -

- U faudrait passer ses jours au milieu du Palais-de-Justice à Alger pour se faire une juste idée des dangers de toute sorte qui peuvent résulter et qui résultent trop souvent de la desunion de cette classe distinguée de la société, et des volumes entiers ne suffiraient pas pour les signaler tous ; les hommes et les choses en souffrent également, et la fortune publique comme les intérêts privés en reçoivent des atteintes presque toujours irréparables. -

- Nous ne voulons pas, bien entendu, essayer ici d'énumérer tous les faits qui pourraient venir à l'appui de notre assertion, l'intelligence du lecteur suppléera de reste à ce que nous ne dirons pas; nous nous bornerons à appeler l'attention sur un seul point assez important en lui-même pour faire rélléchir profondément, nous le pensons, ceux de messieurs les magistrats qui auraient pu, quelque innocemment que ce puisse être, causer un abus aussi blâmable; nous vouions parler des appels du ministère public en matière criminelle ou correctionnelle.

A cote du pouvoir immense, incroyable que les or- donnances de 1841 et 1842 ont conféré au parquet, pouvoir qui met à la discrétion d'un seul homme, avant l'instruction des procès, pendant l'instruction, et même pendant les débats, le sort des accusés, qui lui confie le soin de condamner ou d'absoudre, selon son bon plaisir, celui qui, à tort ou à raison, lui a été livré sous la prévention d'un délit ou d'un crime; à côté de cette omnipotence monstrueuse, disons-le, il est une autre faculté accordée à messieurs les procureurs du roi de l'Algérie comme elle l'est à leurs collègues de la métropole, c'est celle d'appeler des jugemens qui leur paraissent ne pas avoir été sainement rendus.

Certes, nous ne voulons pas leur disputer cette pré- rogâtive ; car, exercée avec sagesse, elle est une des garanties de la loi dont elle sert à équilibrer l'action en accordant au vengeur public un droit égala celui de tous les citoyens; mais ce que nous voulons, ce que nous désirons sincèrement dans l'intérêt de tous, c'est que les magistrats qui en sont investis n'en abusent pas, soit par un excès de zèle, soit par un sentiment d'amour-propre froissé, soit enfin par une espèce de mutinerie résultant d'une mésintelligence, que nous pourrions appeler coupable, entre eux et les juges. On conçoit qu'à l'époque des tribunaux unitaires, où l'opinion d'un seul était opposée à une autre opinion, chacun crût avoir la raison de son côté; mais aujourd'hui que plusieurs magistrats, que l'on doit supposer

éclairés, puisqu'ils ont la confiance du roi, sont appelés à apprécier les faits qui leur sont déférés par un seul, à priori, on doit être porté à croire que leurs lumières réunies les ont misa même de les apprécier plus sagement que n'a pu le faire l'intelligence isolée de l'accusateur.

Messieurs les procureurs du roi devraient donc se tenir constamment en garde contre toute espèce de sentiment étranger à une saine justice, qui pourrait les entrainer légèrement à interjeter appel clejugemens rendus avec conscience et équité.

- Ces appels ont de graves inconvénient : d'abord ils

exposent les innocens à être condamnés comme des coupables, ils exposent aussi ceux qui n'ont encouru qu'une peine légère à en essuyer une plus grave et peu en rapport avec l'action incriminée; car, d'une part, le haut parquet, naturellement disposé à accueillir favorablement les motifs d'appel de ses subordonnés, et ajoutant foi entière et consciencieuse à des rapports sinon passionnés, du moins imbus de certaines préventions, et d'ailleurs susceptibles, comme tout ce qui est écrit, de contenir des erreurs, des inexactitudes, cherche avec attention les charges qui ont pu échapper aux premiers juges, et finit quelquefois par - en

trouver là même où il n'y en a pas; d'autre part, les magistrats chargés de prononcer de nouveau, habitués à penser que le ministère public n'en appelle point à leur jugement sans y être entrainé par des considérations serieuses, scrutent minutieusement la conduite des prévenus, et, privés qu'ils sont de la connaissance des lieux, du caractère et des mœurs des individus, ils peuvent tomber dans les erreurs les plus déplorables.

En un mot, nous croyons qu'en général, et sauf de rares exceptions, les juges de première instance sont placés dans des conditions beaucoup plus favorables pour prononcer avec justice et équité queceux d'appel.

Cet inconvénient, tout puissant qu'il soit en faveur de notre argu iiientatioti, n'est pas le seul, cependant; il en est d'autres qui, pour avoir un caractère moins grave, ne sont pas pour cela indignes de fixer l'attention ; ainsi, par exemple, il arrive souvent que le procureur du roi, ou le procureur général, ou la cour elle-même, ne trouvant point dans le dossier tous les documcns, tous les renseignemens nécessaires pour qu'il soit statué en appel avec une connaissance suffisante de la cause, font citer de nouveau les témoins déjà entendus, les contraignent à l'aire des voyages de deux cents lieues et les dérangent de leurs occupa-

tions pendant un temps infini sans une compensation suffisante; car l'indemnité de voyage accordée est bien certainement toujours inférieure aux dépenses nécessitées et aux pertes causées par l'absence. Ainsi, encore on induit l'Etat en frais considérables; car, ou le prévenu est acquitté, et c'est l'Etat qui paie, ou il est condamné, et c'est encore l'Etat qui paie, par la raison que les criminels sont presque tous insolvables.

Pour donner une idée de l'importance de ces frais ajoutés à tant d'autres sommes gaspillées en Algérie, alors qu'elles pourraient être employées si utilement, nous citerons un fait entre mille ; il va sans dire que

nous ne voulons, en faisant cette citation, blàmer en aucune façon la conduite de M. le procureur du roi d'Oran, qui a pu, nous nous plaisons à le croire, avoir, dans la circonstance dont il s'agit, d'excellentes raisons pour interjeter appel.

Le nommé Henrique, ouvrier potier, accusé d'avoir fait un billet de deux cents francs à son profit avec la signature de son maître, qui était réellement son débiteur, fut traduit devant le tribunal d'Oran et acquitté.

Appel de la part du ministère public devant la cour royale; citation à sept témoins. d'Oran pour paraître devant cette cour ; nouvel acquittement d'Henrique.

Les témoins présentent leurs copies à la taxe et reçoivent chacun 130 fr., total, 910 fr. Ajoutez à cela "les

autres frais du procès, et nous trouverons une dépense d'environ 1,00C| fr. pour une affaire qui, soumise a une chambre de mises en accusation, n'aurait peutêtre pas obtenu les honneurs de l'audience.

Et l'on veut que la critique reste muette en présence de pareils abus?

On aurait tort d'induire de nos réflexions que nous désirons entraver la liberté du ministère public dans son droit d'appel ; - telle n'est pas notre pensée ; nous

souhaitons seulement que, par suite du désaccord qui peut se glisser entre les membres du parquet et les juges, elle ne dégénère pas en une sorte de manie préjudiciable pour tous les intérêts.

Des mines de fer de Bône On nous annonce que trois compagnies sont actuellement en instance auprès du ministre de la guerre pour obtenir la concession des riches mines de fer qui sont près de Bône.

Il est difficile de savoir exactement quelles sont les conditions qu'on leur impose et les propositions qu'elles font : le système qui est suivi pour nos affaires d'Afrique les dérobe à la publicité, et l'on verra un jour que ce n'est point là une des moindres causes des énormes sacrifices pécuniaires imposés à la France, sacrifices qui se continuent et qui se multiplient en grandissant.

Dans la circonstance présente, l'intérêt général se dessine clairement ; il ne consiste point uniquement à obtenir du concessionaire une redevance un peu plus forte, il importe avant tout que le minerai soit traité à Bône sur les lieux d'extraction; c'est le moyen de faire valoir les immenses forêts du voisinage et de peupler ces contrées, si admirables de fécondité, mais jusqu'ici délaissées, incultes, inhahilécs. C'esllc moyen aussi d'attirer l'attention des capitalistes sur l'Algérie;

car l'éclatant succès d'une entreprise industrielle parlerait plus éloqucmment à leurs oreilles que cent vu lumes de beaux raisunnemens.

Le voisinage de la mer, le voisinage d'une ville déjà considérable, la proximité des immenses forêts de l'Edough, au pied desquelles se trouvent les mines; le peu d'éluignement des forêts des Beni-Salah, dont les produits seraient apportés à l'usine par la Seybouse, tout contribue a confondre l'intérêt général avec l'intérêt particulier du concessionnaire. Il semblerait donc que cette affaire ne peut avoir qu'une solution conforme a ces deux intérêts. On nous assure cependant

qu'il en pourrait arriver autrement.

Une seule des trois compagnies offrirait de traiter le minerai sur les lieux, et c'est précisément celle qui aurait le moins de chances d'être agréée. Les deux autres compagnies, nous est-il dit, voyant dans les mines de Bône une grande source de richesses, soit qu'on l'exploite en France où en Afrique, n'ont plus visé qu'à une chose, celle d'avoir la concession, et pour l'obtenir plus sûrement, elles auraient eu recours à la puissante influence de certains hauts personnages propriétaires d'usines à fer dans lesquelles serait transporté le minerai. On - nous a cité celles d'Alais comme appelées à jouir de cet avantage, et l'on

ose compter que cette circonstance fera oublier au ministre Jes intérêtsdupays,quelquegrandsqu'ils soient!

Une peut y avoir de méprise ici, ces intérêts sont de la plus grande importance et de la dernière évidence. Le ministre ne peut l'ignorer; les avertissemens lui sont venus de toutes parts. La société d'agriculture de.Bônelui a plusieurs fois adressé des notes et des pétitions. Les rapports des ingénieurs officiels, ceux des autorités locales, tendentaux mêmes fins. La presse locale et nous-môme avons fait tous les efforts pour éclairer la religion du ministre et la prévenir contre les surprises que l'on pourrait essayer.

Il nous semble donc impossible, quoi qu'on nous

FEULLETON DU OnnNAL L'AFlUQUE.- t! NOVEMBRE.

Artot et les sépbyrs.

SIMPLE RÉCIT. ,.

La mort du violoniste Arlôt, qu'une maladie de poitrine n récemment enlevé, au monde musical, dont il était l'un des plus dignes représentans, nous a remis en mémoire une aventure où le jeune artiste fit preuve de sang-froid autant que de vigueur.

En racontant le fait, d'ailleurs - fort insignifiant en luimême, nous ne cédons qu'au désir der montrer Vhomme sous un des côtés négligés par ses biographes (1).

En 1834, Joseph Arlôt, qui faisait sa première tournée artistique, vint donner deux concerts à Alger. Le produit du plus brillant et du plus fructueux de ces concerts, fut consacré au soulagement des pauvres. Touchant exemple offert par un jeune homme de dix-neuf ans ! noble début d'un grand artiste dont la trop courte vie fut semée d'une fou le de ces traits 3e désintéressement et de bienfaisance qui dénotent une âme d'élite

Artôt avait pour camarade, et un peu aussi pour mentor, M. Edmond Lhuillier, agréable compositeur et chanteur de

(1) Artot était né à Bruxelles, le 25 janvier 1815. il est mort à Ville-d'Avray, près Paris, le 20 juillet dernier. Dans son enfance, il avait été page du roi Charles X. Sa carrière artistique n'a été qu'une suite ue triomphes. Durant ses nombreux voyages, des honneurs princiers lui furent rendus dans diverses capilales, Il était le favori de plusieurs souverains, comme il fut l'enfant chéri de3 premières notabilités musicales, particulièrement de l'illustre CUérubini. Les journaux de l'ancien et du nouveau-monde ont éfmué toutes les formules de louange pour exprimer l'admiration passionnée qu'excilaicnl les accens tour à tour suaves, profonds et dccliirans qu'il lirait de son instrument, devenu entre ses mains une véritable voix hUtnaiRe. Berlioz t'appetait le fils ainé de Paganini, et leplus mélodieux chanteur de son époque. D'autres l'avaient surnomme à juste titre le ttubini du violon. Jules Janin disait que

des itL'tnans jaillissaient de son stradivarius. Ses traits pleins dedislindioll. ses manières nobles et élégantes, ne plaisaient pas moins que son admirable talent. Il comptait de solides amitiés même parmi ses rivaux, tant son caractère franc et généreux faisait oublier la supériorité de ce talent hors ligne. Mmo Cinli-Damoreau, l'inimililhlo cantatrice, l'aimuil, l'a soigne et le pleureavcc la tendresse, la sollicitude et la douleur d'une mère 1. - Edifie de sa mort sublime, le prêtre qui l'assistaità ses derniers moincris a parlé de lui en pleine chaire comme du plus grand cœur cl de la foi la pltis vive qu'il elll encore rencontrés, disant que c'était un suint de plus au ciel !.

(Voyez, pour plus de détails, l'article nécrologique inséré dans la Gatctic musicale du 27 juillet 1816.)

romances, dont les productions légères jouissaient alors d'une vogue niéritée.

Ces artistes ayant eu besoin du concours de quelques musiciens amateurs, se mirent promptement en rapport avec diverses personnes de la ville, et spécialement avec des officiers d'administration, au nombre desquels figurait le rédacteur du présent feuilleton.

Un jour que les deux amis avaient déjeuné à Hussein Dey en compagnie d'une demi-douzaine de leurs nouvelles connaissances, Artôt exprima le désir de visiter la Ferme-modèle, Lhuillier fit bien un peu la grimace ; car, prudent à l'excès, en-tout ce qui regardait son jeune camarade, il redoutait pour son cher Joseph quelque mésaventure de la part des Arabes; mais Joseph, qui aimait passablement à se révolter contre l'autorité d'qâugi e aimait de son confrère, lui lança un regard si impérieux que le bon Edmond ne put que se résigner en soupirant. D'ailleurs, leurs compagnons, qui connaissaient parfaitement les localités, calmèrent un peu les inquiétudes de Lhuillier en lui donnant l'assurance qu'il n'y avait aucun danger à courir dans cette promenade,

On monta donc a cheval et l'on partit. (Tétait un dimanche. Le temps était magnifique, et, bien que l'on fût en plein mois de juillet, la chaleur n'avait rien de désagréable, tempérée qu'elle était par une douce brise de mer.

La petite caravane, après avoir gravi la rampe de Kouba, laissa à droite le village de ce nom pour prendre le chemin qui borde la Métidja. -

A chaque instant Artôt, qui excellait dans tous les exercices réclamant de la force et de l'adresse, et qui joignait à ces qualités physiques une résolution allant parfois jusqu'à la témérité, Artôt, au grand déplaisir de Lhuiliier, lançait son cheval à toute bride, l'arrêtait court, le forçait à se cabi-ei- le faisait pirouetter, bref, l'obligcait à exécuter une foule de manœuvres capricieuses, tout cela avec àutant de grâce et d'aisance qu'il savait en montrer quand il tenait un violon entre ses doigts.

–Joseph, mon bon Joseph! criait Edmond avec un léger accent normand, arrête, au nom du ciel!.., Lu vas tomber!.

Mais Joseph ne l'entendait pas ou faisait la sourde oreille, et les voltiges allaient leur train. Enfin, trois-quarts d'heure après le départ de HusseinDey, la cavalcade descendait la colline au pied de laquelle est située la Ferme-modèle. Les difficultés du chemin apportèrent tout naturellement une trêve aux prouesses d'Artôt et à l'anxiété de Lhuillier, trêve bien cou Le, hélas!

comme on va le voir.

La ferme était alors occupée par quelques compagnies de l'un des bataillons d'infanterie légère d'Arrique, dits bataillons de zéphyrs (nomexprimant au degré superlatif la spécialité de l'arme), Les officiers d'administration qui ac-

compagnaient nos deux artistes comptaient plusieurs amis parmi les officiers de ce corps. Us pensaient qu'en se réclamant de l'un d'eux l'entrée serait accordée à l'instant môme. Les cavaliers avançaient donc avec confiance, quand, arrivés à quelques pas de la porte, ils se trouvèrent arrêtés par une dizaine de zéphyrs qui, soit hasard, soit préméditation, étaient rangés de manière à barrer le passage.

Il faut dire qu'à cette époque les officiers d'administra-

tion, en général, se considéraient comme n'ayant de mili- taire que le nom, et que, hors des vacations du service, ils laissaient tout simplement l'uniforme au logis. Les compagnons des deux virtuoses avaient jugé a propos, dans cette circonstance, de ne point déroger à leurs habitudes. Ils étaient donc vêtus comme de bons citadins allant à une partie de campagne. -

Voyons, camarades, laissez-nous passer, dit M. L. ,

que nous désignerons par son prénom d'André.

Tiens, tiens! répliqua un zéphyr dont la face enluminée témoignait qu'il venait de faire une longue station à la cantine ; voilà un particulier qui nous appelle ses camarades. Il n'est fichtre pas dégoûté!

Ah ça, mon ancien, reprit un autre non moins cris

que le premier, est-ce que par hasard nous aurions quelquefois bibloté ensemble ?. Souviens pas.

Salut, connaissance plus ou moins intime 1 s'écria un troisième zéphyr étendu en travers de la porte.

Et tous nos farceurs de rire aux éclats, mais sans se déranger le moins du monde.

André, tête bretonne s'il en fut, commençait à laisser percer quelques nuages d'humeur, "bien qu'il connut de longue date la gent zéphyrienne, et qu'il se fût plus d'une fois amusé de pareilles scènes. quand il n'en était pas l'objet. Ses camarades (parmi lesquels se trouvait un ancien officier supérieur de cavalerie, M. D.) paraissaient

également désireux de solaire respecter; mais, hâtonsnous de le dire, la tâche n'eùl pas été facile, même avec la protection de l'uniforme administratif, les zéphyrs ne baissant guère pavillon que devant l'épaulctte. Or, ce jourlà ils étaient dans un état de jubilation annonçant des dispositions peu révérencieuses pour les habits brodés, à plus forte raison pour les habits bourgeois.

Artôt, qui voyait des zéphyrs pour la première fois les examinait avec une véritable curiosité d'artiste, pendant que Lhuillier, comme pressentant quelque désagréable conflit, regardait son Joseph d'un air qui semblait dire : « Je voudrais bien que nous fussions loin d'ici. Il Car, dans sa touchante sollicitude pour son ami, le pauvre Edmond mit

volontiers renonce a toute préLcution au courage, bien qu'il en possédât une dose même surabondante quand loceasion l'exigeait. Les craintes qu'il éprouvait en ce moment n'avaient rien de personnel; elles se rapportaient toutes au jeune imprudent à l'égard duquel il exerçait une sorte de tutelle affectueuse que celui-ci prenait un malin

plaisir à contrarier, l'ingrat qu'il était !

Espérant couper court à l'impertinente familiarité des zéphyrs, M. D. s'adressa à la sentinelle et lui demanda si sa consigne permettait ou non qu'on entrât à la ferme.

–On ne passe pas, répondit brusquement le factionnaire en croisant a demi la baïonnette.

Alors, dites-moi si le capitaine K est au quartier.

Connais pas.

Et le lieutenant X ?

No sabir.

Impatienté de ces réponses évasives autant qu'insolentes, M. D. dit alors avec fermeté aux soldats qui ne cessaient de ricaner : Nous sommes venus pour voir votre commandant ; que l'un de vous aille le prévenir que M. D. désire lui parler.

- te commandant!. ah! ahl le commandant!. pas visible pour le quart-d'heure.

Eh bien ! laites venir le chef du poste..

Ohé ! cria un zéphyr en se tournant vers l'entrée, ohé !

sergent de garde, venez reconnaître patrouille !

Ohé, ohé ! reprit un autre, qu'on apporte le sergent à ce mosieu !

Ohé, ohé ! ajouta un troisième, ce mosicu est au moins un sous-préfet. il a du rouge à sa boutonnière !

Aussitôt plusieurs soldats débouchèrent de l'intérieur et vinrent grossir le nombre de ceux qui étaient devant la porte, L un des survenans, remarquable par ses cheveux gris, sa tournure athlétique et l'air de crtincrie répandu sur toute sa personne, s'avança en se dandinant, un brûlegueule à la bouche ; puis, toisant les cavaliers et se campant fièrement sur ses jarrets, il demanda d'un ton d'auto rité suprême ce qu'on lui voulait.

- Nous voulons parler au chef du poste.

- Le chef du poste?. c'est moi.

- Farceur, vous n'êtes seulement pas caporal.

- Le caporal. c'est moi.

- Qu'on appelle le sergent, et que ça finisse !

Le sergent. c'est encore moi.

- Oil sont "os galons?

- Mes galons fies voici!. et ces sardincs-là en valent bien d'autres ! répond le zéphyr avec une gravité comique, en montrant un double chevron qui déeoraille haut de son bras,marque évidente qu'un avaiL à faire à un vieux lapin.

Voyant qu'on ne pourrait rien tirer de ce mauvais plaisant, M, D. renouvela sa demande de parler au commandant dl" la ferme; mais l'homme au brûlc-gucule, prenant une attitude napoléonienne, répondit aussitôt v - Lc commandant de la fçrme?. Pour la minute, c'est moâ.

Ce mot était à peine lâché, qu'un éclat rie rire partit du milieu des cavaliers. C'était notre ami Artôt qui, distrait de son examen par l'arrivée du zéphyr aux chevrons, n'avait