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Titre : L'Afrique : journal de la colonisation française, politique, économique, agricole, commercial, littéraire et scientifique / fondé à Paris par les colons de l'Algérie ; [directeur-gérant responsable : Hte Peut]

Éditeur : au bureaux du journal (Paris)

Date d'édition : 1845-10-26

Contributeur : Peut, Hippolyte (1809-1889). Directeur de publication

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326834694

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb326834694/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 26 octobre 1845

Description : 1845/10/26 (A2,N85)-1845/11/02.

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6366486b

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-3025

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 06/11/2012

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.1 Parie. 26 Octobre.

Administration centrale des affaires de ralgérie.

On lit dans le Moniteur de l'armèe :

Le pùblic, incité par une partie de la presse, s'est occupé, dans cps derniers temps, des destinées futures de l'Algérie au point de vue administratif. Entre plusieurs projets nés, il faut le dire, de l'impatience française et du désir prématuré de voir cesser en Algérie la prédominance du pouvoir militaire, on a semblé s'attacher, surtout, à celui de répartir entre les divers départemens ministériels, pour la partie de service afférente à chacun, la direction centrale, annexe du ministère de la guerre depuis la conquête.

Ces divers projets, qu'il est opportun d'examiner, et qui ne se produisent pas aujourd'hui pour la première fois, se

résument ainsi : Passage de la direction des affaires de l'Algérie à un autre département ministériel que celui de la guerre ; Formation d'une grande direction générale, relevant d'un ministère, comme celle des eaux et forêts relève du ministère des finances; Formation d'un ministère des colonies, en général, où les autres colonies françaises seraient groupées avec l'Al- gérie ; Enfin, démembrement de la direction centrale actuelle, et'répartition de chaque partie de service à chaque ministère compétent. - -

Le premier de ces projets, consistant dans le passage en masse des affaires de l'Algérie dans les attributions d'un autre ministère que celui de la guerre, nous parait peu - susceptible de supporter l'examen. L'Algérie, conquise par les armes, doit être longtemps encore conservée par les armes. Personne ne peut aujourd'hui prévoir pendant combien de temps l'armée devra continuer de protéger en Algérie les intérêts civils. Son action protectrice n'y pourrait cesser qu'autant que la sûreté de ces intérêts serait, comme en France, suffisamment garantie par l'administration civile. Pour les partisans même de cette mesure qui, jusque-là, serait irrationnelle, c'est une condition expresse. Or. cette condition n'existe pas.

- Quant à la formation d'une grande direction générale ou d'un ministère spécial pour l'Algérie, sans discuter ici ce projet, nous ferons remarquer qu'il ne peut avoir pris naissance que dans la marche de certains faits it l'influence desquels on ne peut échapper. Il constate une nécessité l'éelle, celle de donner d'abord à la direction des affaires de l'Algérie un développement progressif qui réponde à l'importance et à la multiplicité des affaires dont elle est forcément surchargée. Cette direction, par sa nature même, doit subir plusieurs transformations, outre celles qu'elle a déjà subies. Ce qui importe, c'est de ne pas intervertir leur marche.

Or, le projet de répartition entre tous les ministères des attributions actuellement centralisées au ministère do la guerre, aurait précisément pour effet d'intervertir cette marche progressive. Ce serait, à proprement parler, commencer par la fin. Quoi! c'est lorsque l'ordonnance du 15 avril 1845 vient de reconstituer à grand'pcinc l'autorité administrative en Algérie, sur une base plus large et mieux ordonnée; lorsque les territoires viennent d'être rationnellement classés en territoires civils, mixtes et arabes, selon qu'ils souten effet plus ou moins exposés, en raison de leurs degrés de force et de colonisation à devenir le théâtre de luttes sanglantes qu'on ne peut regarder comme terminées; c'est dans le moment même où les faits tiennent à l'appui de cette dernière assertion, qu'on a imaginé de demander le renvoi à chaque département ministériel de chaque partie de service, comme s'il s'agissait de l'administration d'un département français.

Une complète ignorance des choses de l'Algérie peut seule enfanter de pareils projets et leur donner crédit.

Comment ne voit-on pas que, sous prétexte de mettre les services administratifs de l'Algérie entre des mains plus compétentes, on marcherait directement contre ce but?

Certes, la compétence, aujourd'hui, consiste dans la connaissance du pays, des hommes et des choses, dans la longue étude de la population arabe, de ses mœurs, de ses besoins, des moyens à employer pour y satisfaire, et ne voir que les intérêts de la population européenne, c'est n'embrasser que la moitiéde la question. Nous ajouterons, pour aller au-devant d'une objection qu'on ne manquerait pas de faire, que ce dernier reproche ne saurait être renvoyé au département de la guerre, pour ce qui regarde la question française; car si, d'un côté, il a pu seul, depuis

quinze ans, étudier et connaître la question arabe, de l'autre, outre qu'il connaissait la question française en ce qui le concerne, militairement et àdministrativement-eiriant, il a dû, dans toutes les circonstances où les intérêts français étaient impliqués, consulter les départements ministériels compétens et marcher d'accord avec eux ; et ce que le département de la guerre a fait, en prenant une initiative que la connaissance des choses le mettait à même de prendre, un autre département ne l'aurait pu faire.

Cet article, évidemment inspiré par la direction des affaires de l'Algérie, est loin de conclure ainsi que paraîtrait le désirer son auteur, dans un but quenous ne chercherons pas à pénétrer, mais que tout le monde devinera aisément.

Les raisons données sont d'ailleurs si faibles, si entortillées, présentées avec si peu de logique et de clarté, que nous ne prendrions pas la peine de répondre au défenseur officieux du ministère de la guerre, si nous ne trouvions l'occasion de remettre en lumière les véritables principes administratifs, et d'insister de nouveau pour que l'on entre dans la seule voie rationnelle, dans la seule voie qui puisse Initier le développement colonial, et assurer sur des bases indestructibles l'avenir de l'Algérie. --

Il est temps, si toutefois l'on veut sérieusement la conservation de l'Afrique, il est temps, disons-nous, d'abandonner l'ère des théories, des rêves particuliers, des systèmes privés, et de se rattacher aux faits, à la réalité pratique. Or, nous avons en France un système administratif qui, malgré ses imperfections et ses vices, ne laisse pas que de présenter un ensemble assez satisfaisant et une machine passablement organisée.

Le système administratif dont nous parlons n'est pas autre chose que le gouvernement de la France elle-même avec les départemens ministériels et la hiérarchie des fonctionnaires publiesqui en dépendent .Pourquoi ne pas y avoir recours, et à quipersuadera-t-on que ce système administratif n'est pas préférable à tous les essais, à toutes les tentativesavortéesqui ont été misa l'épreuve juqu'à ce jour avec une si désespcranle'stérilité?

L auteur de rarticle inséré dans le Moniteur de. l' Armée fait l'éloge de l'ordonnance du 15 avril et des dispositions qu'elle renferme; cet éloge, où perce le bout de l'oreille, est une maladresse; car cette ordonnance du 15 avril n'est pas autre chose que la consécration de l'anarchie administrative et gouvernementale ausein de laquelle se débattent, depuis quinze années, les intérêts algériens ; et si, dans la presse et à la tribune, quelques hommes se sont trouvés pour la soutenir, c'est uniquement parce que ces hommes ou n'avaient aucune connaissance des affaires d'Afrique, ou n'avaient peut-être pas assez suffisamment examiné les conséquences et la portée d'une mesure à laquelle ils accor-

daient leur approbation avec une confiance trop prématurée. Nous n en voudrions pour preuve que cette absurde et funeste division des territoires en territoires civils, mixtes et arabes, division qui, à elle seule, par les désastreux effets qu'elle entraîne, serait capable de nous faire perdre l'Algérie si l'on n'y portait remède au plus tôt.

C'est à cette division, en effet, qu'est due l'absence de population européenne dans l'intérieur du pays, et c'est a cette absence de population que sont dus tous les soulèvemens, toutes les révoltes, toutes les insurrections qui agitent l'Afrique.

Quand donc comprendra-t-on que le salut de l'Algérie est dans l'affiuence de la population européenne, qu'il n'y aura afflucnce de population qu'alors qu'on lui donnera toutes les garanties, tous les droits, toutes les libertés, toutes les lois, toutes les institutions qui peuvent sauvegarder les intérêts et assurer la sécurilé des personnes.

Quand donc comprendra-t-on que des hommes qui,

dans leur pays, possèdent tous les avantages d'une législation protectrice, ne consentiront jamais à quitter les prérogatives dont ils jouissent pour aller habiter un pays où il n'y a ni institutions, ni législation, ni justice, et se livrer, pieds et poings liés, à la merci de cominandans militàires qui ne peuvent rien pour le bien, alors même qu'ils seraient personnellement animés des meilleures intentions du monde. Une société, et surtout une société qui se fonde, exige

avant tout quelque chose qui soit indépendant du caprice de l'homme, quelque chose qui ne varie point au gré des intérêts et des passions, quelque chose qui dure, qui soit stable, et qui ne puisse changer chaque jour sous l'inspiration du moment.

On songera aux institutions, dit-on, quand il y aura de la population ; et nous nous disons : il n'y aura de population qu'alors que cette population sera précédée et attirée par les institutions.

Voilà ce qui est vrai, voilà ce qui est logique, voilà ce qui est évident, et cependant voilà ce que méconnaissent tous ces législateurs improvisés qui viennent avec leurs idées et leurs systèmes, et qui ne s'aperçoivent pas que toutes ces idees et tous ces systèmes ne valent pas la plus légère garantie consacrée par une - loi - connue et appréciée de tous.

Jusque présent on a fait fausse route, on doit s'en apercevoir assez clairement à la pauvreté, ou plutôt à la nullité des résultats obtenus: il est temps de revenir à la raison. Or, le premier pas à faire dans cette nouvelle direction serait de répartir entre les différene départemens ministériels, chacun selon sa spécialité, les affaires de l'Algérie, parce que @ tout le monde verra dans cette combinaison la pensée que le gouvernement, mais le gouvernement tout entier, veut sérieusement s'occuper des intérêts de l'Algérie, et non plus les abandonner à l'initiative insuffisante d'une division

d un ministère, voire même d'un ministère spécial; création coûteuse, inutile, dangereuse, qui ne servirait qu'à éterniser les abus existans, à consacrer le provisoire actuel, et à creuser encore davantage la ligne de marcation qui sépare l'Algérie de la France. La création d'un ministère spécial ferait peut-être l'affaire de quelques talens douteux, de quelques capacités problématiques et exceptionnelles qui pourraient difficilement trouver place dans une organisation normale ; mais, à coup sûr, elle ne ferait pas l'affaire de la Fran-

ce. Nous ne concevons pas, à moins d'un aveuglement profond ou d'un intérêt exclusif, la persistance avec laquelle sont défendus certains projets remplis de périls.

Il y a une solution simple, facile, efficace à donner aux embarras de la question d'Afrique, et cette solution on l'abandonne pour courir après des chimères, après des utopies dont le moindre inconvénient serait de créer de nouveaux obstacles aussi inextricables que ceux auxquels on prétend porter remède. -

Comment, vous avez un gouvernement qui gouverne la France, et vous prétendez que ce gouvernement est incapable de gouverner l'Algérie, et vous voulez lui substituer une nouvelle machine administrative sans précédens, sans liens dans notre organisation gouvernementale, et dont l'action excentrique ne servirait qu'à tout compliquer et à tout entraver !

Mais quel est l'homme sensé qui pourra s'imaginer que les travaux publics de l'Algérie, par exemple, seront mieux conduits par un simple bureau d'une division ou d'un ministère spécial que par le ministère des travaux publics, avec son personnel, ses traditions, son organisation administrative et toutes les ressources que

le budget de l'Etat met a sa disposition ? N y a-t-il pas certitude de trouver dans un corps ainsi constitué plus de lumières, plus d'aptitude, plus de science, plus de pratique que dans une petite fraction d'hommes abandonnés à eux-mêmes et séparés du tronc qu; seul pourrait leur communiquer sa sève et sa vitalité (1)?

Or, ce que nous venons de dire ici des travaux publics, nous pouvons le dire également, et avec la même raison, de la justice, du commerce, de Y intérieur, des finances, de l'instruction publique, dc la marine, de la guerre et des affaires étrangères. Pourquoi donc alors avoir recours à des innovations dont il est impossible d'apprécier l'utilité.

Mais, dit-on, une division, un minittere spécial conduiront les affaires avec plus d'unité, plus de précision, plus de promptitude; erreur. Est-ce que les affaires de la France ne se font pas avec ensemble et régulm"ilé? Pourquoi, dès-lors, les affaires de l'Algérie ne se feraient-elles pas de même?

D'ailleurs n'a-t-on pas actuellement une division spéciale pour les affaires d'Afrique, et ces affaires en marchent-elles avec plus d'unité, plus de précision, plus de promptitude? non,sans doute,parce que l'organisation actuelle est insuffisante et que cette insuffisance est cause d'un désordre qui arrête tout, suspend tout, paralyse tout ; parce que cette insuffisance est sans force devant l'omnipotence du gouvernement local, et que, n'osant prendre elle-même aucune décision sur les sujets un peu importans qui se présentent, elle est obligée d'avoir recours aux différons ministères spéciaux pour obtenir un avis ou une solution qui ne sont données qu'avec répugnance et souvent d'une manière si imparfaite, qu'il ne peut en résulter aucun bien pour le service et la prompte expédition des affaires; toutes choses qui n'arriveraient pas si chaque ministère avait l'initiative et l'action dans les choses qui sont du ressort de sa compétence.

Nous ne parlons pas des difficultés qu'il y aurait à

(t) CroU-on. par exemple, que si les travaux du port d'Alger eussent dépendu du ministère des travaux publics, on aurait à déplorer les fautes graves et irréparables qui ont etc commises.

FEUILLETON DU JOURNAL L'AFMWE.–M OCTOBRE,

Butte d'une correupondanee estra\-ot'Oelelle.

RÉPONSE DE PARIS.

Quoi que vous en disiez, mon cher ami, je me sens affreusement malade, plus malade que jamais, malade au point qu'à peine me reste-t-il pour quelques jours de vie.

Ceci n'est point une plaisanterie. Mon existence, vous le savez; dépend entièrement de celle de notre vieux maréchal.

savez, C'est de lui que je tiens l'être, c'est grâce à lui que je suis encore de ce monde officiel; qu'il s'en aille, et je rentre fatalement avec lui dans le néant. Eh bien 1 le voilà, dit-on, qui s'en va, et, cette fois-ci, pour tout de bon. Il ne m'est plus guère permis d'en douter, bien que certains pré-

tendent que c est encore une frime de sa part. Ce qu'il y a de bien positif, c'est qu'il a déclaré, dans un des derniers conseils, sa résolution de se retirer; c'est que, jusqu'à présent, il parait persister dans cette détermination, malgré les vives instances de ses collègues, qui le supplient de demeurer quelque temps encore a leur tète. S'il ne se laisse pas fléchir, c'en est fait de moi; il ne me restera plus qu'à faire mes paquets pour aller, ainsi que lui, planter mes choux dans ma retraite : car je n'ose me flatter de l'espoir que mes services agréent à son successeur. On a si souvent répété que j'étais au-dessous de ma mission, que bien des gens ont fini par le croire, même dans le ministère, et jusques dans mes bureaux où cependant on me voit travailler comme un cheval, et suer sang et eau pour venir à bout dé ma tâche. Le futur ministre partagera-t-il

ce préjugé ? Hélas! je le crains fort, et vous verrez qu'il me donnera mon congé d'office; si je ne me décide à le prendre de moi-même. C'est bien triste, n'est-ce pas ? Vous, du moins, qui m'avez vu à l'œuvre, et qui, maintes fois, avez bien voulu faire l'éloge de mes petits talens administratifs, vous me rendrez cette justice que je n'ai pas mérité un pareil sort. Je ne me dissimule pas, mon Dieu, et je suis même le premier à convenir qu'il me manque bien des conditions d'aptitude pour être tout à fait propre à la chose.

De toutes les questions qui me passent journellement par les mains, il en est une foule, c est vrai, qui me sont parfaitement étrangères, et sur lesquelles j'en suis réduit à dire comme je ne sais plus quelle chanson :

Je n'y puis rien comprendre,

Je n'y puis rien coprendrc, etc.

liais aussi, pourquoi ne m'a-t-on pas donné de meilleurs aides ? Ceux dont je suis lotis, vous les connaissez aussi bien que moi, et vous m'êtes témoin qu'il n'y a pas grand parti à en tirer. J'avais fait quelque fonds sur l'un creux, dont je complais me servir en guise de boussole, pour me guiilersur cette mer inconnue. Vous savez comment il a ré- pondu à mon attente; en me fourvoyant plus que personne. A lui tout seul, il m'a fait faire plus de bévues que tous les autres ensemble. Comment diable veut-on qu'avec de pareils instrumens je mène à bien les sept à huit ministères dont la direction pèse sur ma pauvre carcasse? Il faut être de bon compte, de plus habiles que moi n'y suf-

firaient pas. Je défie bien qu'on trouve un Atlas capable de porter un semblable fardeau sans succomber à la peine, fûtce même vous, monsieur le géant administrateur; fût-ce même ce député périgourdin, du nom de Magne, qui vise à me supplanter. Enfin, que la volonté de Dieu soit faite.

S'il est écrit là haut que je dois m'en aller et céder la place à un autre, au moins emporterai-je la consolation d avoir si bien embrouillé l'affaire que mon successeur, quel qu'il soit, se repentira plus d'une fois de s'être chargé de la tirer au clair.

Ce serait pourtant cruel de me faire quitter la partie au moment même où les chances commencent à devenir meilleures, grâce aux brioches de votre burlesque maréchal.

Sa lettre au préfet de la Dordogne nous avait tout d'abord donné la chair de poule. C'était un vrai coup de massue, qui semblait devoir nous assommer tous, tant que nous sommes. Mais les futés patrons, qui connaissent parfaitement le sire, et qui savent qu'il n'est pas, au fond, aussi méchant qu'il en a l'air, ont fait courir après lui le télégraphe, qui l'a rattrappé à Marseille, et l'ont si bien endoctriné par leurs raisonnemens aériens, qu'il s'est prêté, sur leur prièrej à guérir lui-même la blessure qu'il avait faite. Vous connaissez sans doute l'histoire de ses explications. Elle est à faire mourir de rire. On voit que le bon homme ne s'entend pas aussi bien que nous à manier le pium menda-

cirni. Il a été d'une maladresse, d'une gaucherie dont on n'a pas d'idée. Vous en jugerez en lisant ses deux lettres successivement adressées à deux journaux de Marseille.– Après une pareille bévue, je le crois coulé pour longtemps. C'est, du reste, l'avis de tout le monde. 11 n'y a pas jusqu'au Journal des Débats qui ne lui jette la pierre et ne le traite comme un petit garçon. C'en est assez pour détruire le prestige de sa bataille d'Isly, et pour faire tomber à zéro ses actions dans les chambres et dans la presse. On ne le prendra plus au sérieux, et, à moins qu'il ne parvienne à conduire triomphalement à Paris, pieds et pomgs liés, Sidi Abd-cl-Kader en personne (éventualité qui, vous le savez, n'est guère à craindre), son mauvais vouloir et son opposition contre le ministère n'auront plus rien de bien dangereux, d'où je conclus que le moment serait bien choisi pour engager la lutte contre lui, et pour le contraindre à subir la loi du gouvernement central.

Pourquoi laut-u que le ministre s avise de décamper tout juste alors que la partie se présente aussi belle ? On dirait vraiment que c'est un fait exprès, et que le vieux recule devant cette occasion de reprendre ses avantages.

Quoi qu'il en soit, vous devez comprendre que, pour le quart-d'heure, il ne peut être question de le poussera des actes d'énergie, et que, si j'allais lui proposer de prendre sur lui quelqu'une des mesures irritantes que vous m'engagez à provoquer, il serait capable de m'envoyer à tous les diables, d'autant que-je le crois maintenant assez mal disposé pour vous. Ma foi, je ne m'y frotterai pas : c'est trop scabreux; et puis, me siérait-il bien, dans ma position in extremis, de me faire le bouc émissaire de vos propositions? Puisqu'il me faut mourir, de grâce, laissez-moi mourir en paix, et ne troublez pas mon agonie en me mettant sur les bras de nouvelles difficultés ; je n'en ai déjà que trop : satis morituro. Donc, ne comptez pas que je donne suite au projet que vous me transmettez en dessous main ; je le réserve pour mon successeur, à moins que vous ne jugiez plus à propos de vous en constituer l'édi-

teur responsable, en le proposant vous-même, et en le faisant passer par la filière hiérarchique de votre conseil supérieur d'administration, ce que sans doute vous n'aurez garde de faire.

Je suis vraiment désolé, mon cher ami, que les circonstances ne me permettent pas d'agir comme vous le désirez ; mais vous avez trop de raison pour ne pas reconnaître que j'en suis empêché par une force majeure. Certes, si les choses étaient encore telles ici que vous le supposez, si le ministre ne jetait pas le manche après la cognée , et si je ne me voyais pas moi-même à la veille de passer l'arme à gauche, je n'hésiterais pas à aller de l'avant, et à vous donner la nouvelle preuve de dévoùmcnt que vous me demandez. Malheureusement, il n'en est pas ainsi, comme vous voyez, et, bien malgré moi, je suis forcé de vous dire qu'il m'est tout à fait impossible de vous tirer du pied les épines qui vous tourmentent. - - - -

Après tout, mon cher, je ne vous vois pas si fort a plaindre. Vous allez être, il est vrai, le souffre-douleur du

Croqucmitaine africain, qui ne manquera pas de faire encore là-bas des siennes, et de donner au ministère plus d'un soufflet sur votre joue; mais iie deviez-vous pas vous attendre à de pareilles avanies, et les avantages qu'on vous a faits n'ont-ils pas été calculés en considération de la somme de tribulations que vous auriez à endurer? que risquez-vous d'ailleurs ? ou ne vous éconduira pas, vous, comme on va le faire de moi. Vous en serez quitte pour des rebuffades qui assurément ne vous décourageront pas, et votre pis-aller sera de n'avoir rien à faire. Ce pis aller, bien des gens l'accepteraient sans murmure, avec la douce compensation de 25,000 fr. d'appointemens. Vous l'accepterez aussi, je n'en doute pas, en attendant les jours meil-

leurs où il vous sera donné d exercer le pouvoir qui vous tient tant au cœur.–Quant à la question d'utilité de votre emploi, il n'y a pas danger qu'on la soulève de longtemps, fussiez-vous, par le fait, le plus inutile fonctionnaire du monde. Vous savez bien que le gouvernement ne respecte rien tant que les sinécures richement rétribuées, et que l'opposition elle-même n'a garde d'y porter atteinte, parce qu'elle espère en profiter son tour. Quoi qu'il arrive, la vôtre tiendra, je vous en réponds. Après cela, je ne voudrais pas garantir qu'elle vous sera conservée à perpétuité.

Je connais plus d'un député qui la reluque et guette l'occasion de vous la souffler. Làcstpourvous le véritable péril: je vous l'ai toujours dit; mais quand bien même on vous ferait descendre la garde, vous êtes trop fin matois pour ne pas retomber sur vos pieds. Je suis bien sûr que vous avez prévu l'éventualité, et que vous vous êtes arrangé de manière à vendre chèrement votre poste, s'il arrive qu'on veuille vous en déloger.

Vous ne doutez pas, j'aime à le croire, de tout le plaisir que j'aurais à vous compter au nombre de mes collègues, in partibus, du conseil d'Etat. S'il avait dépendu de moi de vous faire obtenir le titre dont vous avez fait Ja demande, vous ne l'auriez pas vainement attendu jusqu'à présent; mais je ne pu's rien par moi-même, aujourd'hui surtout que me voilà presque dégommé. Quant au maréchal, il trouve qu'on en a fait assez pour vous, et ne parait pas se soucier d'intervenir en votre faveur. Vous n'ignorez pos, d'ailleurs, que le garde des sceaux, qui a voix prépondérante pour les nominations au conseil d'Etat, est un peu brouillé avec nous depuis que nous lui avons retiré subrep-

ticement le contre-seing des ordonnances ayant pDur objet de pourvoir à l'emploi de procureur général à Alger, et, comme il n'est pas sans savoir que vous êtes pour quelque chose dans cette atteinte portée à ses précédentes attributions, vous devez bien penser qu'il ne se prêterait pas volontiers à vous être agréable. Ajoutez à cela que ce petit bonhomme de ministre ne donne rien pour rien, qu'il se fait payer au centuple ses moindres faveurs, et que, pour obtenir de lui le titre que vous désirez, il ne faudrait rien moins que s'engager à farcir de ses douaisiens et autres protégés toutes les administrations de l'Algérie. Si vous saviez ce qu'il en a coûté à son collègue de la guerre pour

me faire nommer conseiller d Etat en service extraordinaire, et combien j'ai dû lui passer de séné pour me faire donner sa rhubarbe, vous en seriez effrayé, Tenez, mon cher ami, c'est trop difficile ; renoncez à cela quant à présent ; et puis, songez que vous me feriez concurrence; car je ne dois pas vous cacher que je me propose de solliciter, à titre de dédommagement, mon admission au service ordinaire, et si vous allez demander en même temps votre entrée ausem'ce extraordinaire, il y aurait de quoi compromettre les chances de votre pauvre diable de serviteur.

Vous ne le voudrez pas, je me plais à l'espérer. J'en ai pour garantie les sentimens de gratitude et d'attachement dont vous me réitérez l'expression - dans votre dernière lettre.

Qu'auriez-vous à iatre, au surplus, d'un titre purement honorifique? En auriez-vous la jambe beaucoup mieux faite et les reins plus solides ? Soyez député, mon cher, voilà ce qui vous va. Vous avez de l'avenir, vous êtes jeune encore, ou du moins assez bien conservé pour votre Age, et, de plus, animé, comme vous dites, du Jeu sacré. Il ne vous manque que le baptême de la députation. Avec cela vous arriverez a tout, et alors se réaliseront vos destinées qui vous appellent indubitablement au poste de gouverneur civil de 1 Algérie, ou tout au moins à celui de premier ministre du vice-roi, si vice-roi il y a.

Je vous quitte pour aller respirer l'air des champs et prendre un avant-goût de la retraite dans la villa que vous savez. Adieu, portez-vous bien, et prenez vos maux en patience.

Tout à vous,

ELLEIICUIV.

Paris, 24 octobre 1845.

P. S. Tout bien considéré, j'ai pris le parti de me démettre et de me retirer avec le patron, qui va remplir à Soultberg les fonctions de président du conseil sans portefeuille.

Sous un autre que lui, ma position n'elit plus été tenable; et je n'avais vraiment rien de mieux à faire que d'abandonner spontanément la partie pour éviter le désagrémeut d'une signification de congé. Ma résignation volontaire sera, je pense, d'un bon effet. Ainsi donc, adieu paniers, vendange est faite. Une me reste plus que l'espoir du service ordinaire, futur contingent sur lequel je compte peu. Qui me remplacera? Je ne sais encore. Peut-être bien sera-ce l'avocat de Périgueux, l'âme damnée de votre gou.verneur. Alors, gare à vous. Peut-être aussi profilera-t-on de la circonstance pour fondre la direction, et donner à chaque ministre sa part du gâteau. Je le désire pour vous, puisque vous y trouverez votre compte. Quoi qu'il en soit, I tenez-moi pour bien et dûment trepassé, et jetez quelque i peu d'eau bénite sur ma tombe.