Rappel de votre demande:


Format de téléchargement: : Texte

Vues 1 à 1 sur 4

Nombre de pages: 1

Notice complète:

Titre : L'Afrique : journal de la colonisation française, politique, économique, agricole, commercial, littéraire et scientifique / fondé à Paris par les colons de l'Algérie ; [directeur-gérant responsable : Hte Peut]

Éditeur : au bureaux du journal (Paris)

Date d'édition : 1845-05-12

Contributeur : Peut, Hippolyte (1809-1889). Directeur de publication

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326834694

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb326834694/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 316

Description : 12 mai 1845

Description : 1845/05/12 (A2,N52)-1845/05/16.

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6366461h

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-3025

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 12/11/2012

Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 93%.


Paris. 12 Mai. Aucune des nouvelles reçues d'Alger jusqu'à ce jour, me confirment les assertions du Messager, relativement A .Ia persécution dont nos amis ont été victimes.

'Ie prochain courrier ne peut manquer de nous éditer sur les insinuations malveillantes dela feuille semiofficielle.

Les événemens de Ténès semblent venir à point pour tdémontrer la vérité des principes que nous soutenons en matière de colonisation, et pour décider enfin le gouvernement à entrer dans une voie nouvelle, dans une voie large, efficace et libérale.

Jusqu'à présent, on n'a rien fait pour la colonisation, ou plutôt, on a tout fait pour empêcher, pour retarder cette colonisation. Ou a place l'Algérie sous one législation exceplionnelle; on l'a laissée à la discrétion d'un homme; on l'a mise en état de siège ; et tout

cela, dit-on, pour appeler la population, pour encourager l'émigration ; il faut avoir, en vérité, une bien pauvre idée de l'intelligence humaine pour la payer de semblables raisons et oser mettre en avant de pareilles énormités !

Mais que feriez-vous donc, si vous vouliez dépeupler et ruiner un pays?

Quant à nous, nous le déclarons sincèrement, nous ne pensons pas qu'il fût possible, pour arriver à ce but,

de choisir des moyens plus énergiques que ceux dont se servent quelques hommes, sous le prétexte de favoriser le développement de nos établissemens d'Afrique.

Il y a place en Algérie pour HUIT à DIX MILLIONS d'Européens qui doivent faire la force et la prospérité de l'empire que la France travaille à y fonder. L'élément indigène n'est pas un obstacle, et dès à présent, si le gouvernement le veut sérieusement, il peut sans difficultés poursuivre la réalisation de ce plan. Pourquoi

donc hésite-t-il, pourquoi semble-t-il adopter une marche contraire; et comment se fait-il que nous soyons obligés de revenir aussi souvent sur des idées si simples et si pratiques ? C'est-là cependant de la haute et noble politique; personne ne se trouycra-t-il donc pour en comprendre toute la grandeur et toute la portée?

Mais pour appeler de la population, il faut avoir recours à d'autres mesures ; il faut suivre un autre système ; il faut constituer un pouvoir sage, utile et protecteur: il faut rassurer les personnes et les intérêts,

en leur donnant des garanties sérieuses, des droits réels, en les faisant jouir des bienfaits d'une administration éclairée et tutélaire; alors seulement la tranquillité du pays sera constituée sur des bases qui délieront le temps.

Croit-ôn, en effet, que si des centres importans de populations eussent été créés dans l'intérieur du pays, si ces centres eussent été réunis entre eux par de bonnes routes, si ces routes eussent été assurées par des postes placés de distance en distance, par des -- corres-

pondances de gendarmerie, par des detachcmens de troupes, croit-on, disons-nous, que des mouvemens pareils à ceux qui viennent de troubler-les environs de Ténès fussent possibles? non, sans doute; parce que les tribus comprendraient alors que notre intention est non-seutement de soumettre passagèrement le pays, mais de nous y fixer, de nous y consolider, d'y prendre racine par des établissemens faits en vue de l'avenir. D'ailleurs, elles seraient cernées de tous côtés par ces établissemens, divisées entre elles, séparées par des routes qui nous permettraient de nous porter rapidement sur les points menacés, sans moyen d'action les unes sur les autres, sans possibilité de réunion ; comment oseraient-elles concevoir la pensée de se dérober à notre influence, sûres qu'elles seraient de

se voir immédiatement frappées par le châtiment J qu'elles auraient attiré sur elles ? C'est de cette manière que les soumissions seraient réelles et durables; c'est de cette manière que nous pourrions exercer sur les indigènes l'action régulière et permanente qui doit un jour éteindre les haines de races, et amener la fusion si désirée et si désirable de l'élément indigène avec l'élément européen.

Jusque-là, tout ce que nous ferons sera éphémère, provisoire, sans stabilité. Nous assoierons bien un

camp au milieu d'un pays désert, nous enverrons bien de temps à autre un olllcier au milieu des tribus pour recueillir l'impôt, nous montrerons bien, d'ici, de là, une de nos colonnes; mais nous neprouverons pas que notre ferme intention est de nous emparer du sol; nous laisserons les tribus libres de se rallier, et le premier intrigant venu qui leur prêchera la guerre mainte les soulèvera à sa voix contre des ennemis dont elles ne comprennent ni la puissance, ni les desseins, puisqu'elles n'en trouvent presque nulle part des preuves -- visibles - et certaines.

Nous supplions donc le gouvernement de bien se rendre compte du véritable état des choses et d'en comprendre les exigences ; nous le supplions d'entrer dans une voie nouvelle et de doter le pays des institutions qui seules peuvent appeler les émigrans, tranquilliser les intérêts, favoriser les progrès de la colonisation, assurer l'avenir, et, par conséquent, asseoir la prospérité de l'Algérie sur des bases inébranlahles.

Le Moniteur Algérien du 30 renferme, sur l'application de la justice dans les villes soumises à la juridiction militaire, un article tellement incroyable, qu'il faut l'avoir lu pour croire qu'il soit possible à une cervelle humaine passablement organisée de tomber dans de pareils écarts de raison.

Après avoir énoncé que depuis trois ans une seule plainte est parvenue au gouverneur général sur les jugemens rendus dans les villes de l'intérieur, ce qui n'est guère étonnant, attendu que les pauvres plaideurs se garderaient bien de réclamer contre les décisions des commandans militaires qui les administrent et les jugent, le Moniteur Algérien s'exprime ainsi:

Empressons- nous d'ajouter que les commandans de place, animes d'un grand sentiment de justice, consultent ra magistrature établie sur la côte pour toutes les affaires importantes dans lesquelles ils se mélient de leurs propres lumières.

Nous pensons qu'il y a dans cette forme et dans le bon choix des juges des garanties suffisantes pour les justiciables, qui, en outre, ont l'avantage d'une justice sans frais et sans déplacemens.

L'Etat y trouve également son. compte, car s'il fallait établir des tribunaux dans toutes les villes soumises à la

juridiction militaire il en résulterait de grosses dépenses qui ne seraient pas justifiées par le petit chiffre de la population actuelle, laquelle d'ailleurs ne paie pas d'impots.

Combien de villes en France accepteraient la double condition de nos villes de l'intérieur ; justice rendue par un officier capable, s'éclairant au besoin près de la magistrature, et point tT impôt.

Nous prévenons nos lecteurs que nous avons cité sans changer une lettre.

C'est tout simplement - du - gouvernement à la russe

et il la turque, moins les garanties qu'on trouve sous ces deux derniers régimes.

Et l'on vous affirme sans rire que c'est pour le plus grand bien de r Algérie que l'on maintient ce beau système d'organisation !

Nous voudrions bien savoir ce que dirait M. le gouverneur général si on lui donnait pour colonels et pour maréchaux-de-camp des avocats et des substituts, alors même qu'on y joindrait la condition expresse, pour ces officiers d'une nouvelle fabrique, de consulter les commandans supérieurs pour tous les commandemens

importans dans lesquels ils se défieraient de leurstpropres lumières.

Quant au bonheur que les villes de France éprouveraient à se trouver soumises à la forme de gouvernement dont le Moniteur algérien chante les douceurs, nous pouvons, sans crainte de nous tromper, donner l'assurance qu'aucune d'elles n'est tentée d'en faire l'essai, dQt-elie être exonérée des charges de l'impôt.

Nous croyons même pouvoir assurer que les villes de l'Algérie, ADMINISTRÉES MILITAIREMENT. ne compren-

nent pas du tout les avantages dont elles jouissent, et qu'elles aimeraient cent fois mieux payer un léger impôt, à la condition d'obtenir les garanties, les droits et les institutions de la métropole, que de demeurer plus longtemps asservies au regime du bon sens naturel.

Au lieu de vous donner tant de mal pour rendre les gens heureux par force. laissez-les donc être heureux tous seuls, simplement et à leur manière. Cela vaudrait beaucoup mieux.

M. le gouverneur-général se récrie souvent contre la presse et contre les journalistes, quoiqu'il soit luimême un des plus grands journalistes de France et de l'Algérie, il s'étonne de leurs idées et de leurs théories; qu'il nous permette de nous étonner à notre tour, de ce que lui, gouverneur-général, laisse le journal officiel du gouvernement algérien , c'est à-dire un journal qui devrait être grave, sérieux et sensé, publier des bouffonneries semblables à celles que nous venons de relever dans le Moniteur algérien du 30 avril dernier.

Veut-on un exemple des douceurs du régime militaire? En voici un ; nous l'empruntons à un remarquable plaidoyer prononcéparMe 8onjean,avocat aux conseils du roi, devant la Cour de cassation, dans l'affaire de MM. Amat, Cassin et Ballet, de Constantine.

On se rappelle que ces trois honorobles négocians furent condamnés à UN AN de prison et MILLE FRANCS d'amende pour avoir adressé une lettre au Sémaphore. t. l t"f .1 At 1 1

Il est instructif de connaître les phases qui suivirent cette condamnation. Nous laissons parler M' Bonjean :

A peine le jugement rendu, les trois condamnés furent conduits sur ia place publique pour y entendre, devant la garde assemblée, la lecture de leur condamnation ; ils furent ensuite jetés dans la prison de Conslantine, nonobstant et le pourvoi de révision, et le pourvoi en cassation qu'ils s'étaient empressés de former aussitôt après la sentence prononcée.

Nous avons déjà dit que, dès le l octobre, un ordre leur avait été intimé de sortir de Constantine. Pour liquider les atîaires de leur commerce, pour préparer des moyens de transport pour eux-mêmes, pour leurs familles, pour leurs marchandises, quelques joursde liberté étaient mdispensa-

bles aux trois négocians cxpulsl's. Ils demandèrent donc leur mise en liberté sous caution ; mais ils ne purent obtenir cette légère faveur. M. le capitaine Gantier opposa à leur demande je ne sais quels scrupules de légalile; comme si dans cette malheureuse province livrée à un si effroyable arbitraire, la légalité ne devait jamais être invoquée que lorsqu'el l e peut couvrir des actes contraires à 1 humanité!

Ce n'est pas tout. Du fond de leur prison à Constantine, les condamnés auraient pu, du moins jusqu'à un certain point, veillera la liquidation de leur commerce : cette der-

nière ressource leur fut bientôt ravie. Le i) novembre, ils furent tirés de leur prison et conduits à Philippeville, sous l'escorte de la gendarmerie, comme les plus vils criminels.

Arrivés à Philippeville, nos trois infortunés compatriotes sollicitèrent vainement quelque adoucissement à leurs souffrances. Le général ne daigna pas répondre à leur lettre. Le commissaire civil et le juge de paix n'osèrent pas se mêler de cette affaire, de peur d'encourir la disgràce de l'autorité militaire, Bref, sur l'ordre du commandant de place, ils furent conduits, sous l'escorte de douze fusiliers,

à la garde du catial), où ils demeurèrent confondus avec les assassins ét les voleurs.

lis y restèrent trois jours.

Ils y restèrent trois les trois prisonniers furent conduits à Le quatrième jour, les trois prisonniers furcnt c()tl(lttit s

bord du bâtiment à vapeur le Crocodile, JETES A FO:'\H DE CALE, AVEC LES FEUS AUX PIEDS; et, pour qu'ils ne pus sent avoir aucun doute sur les causes d'une mesure si cruelle, on affecta de laisser sur le pont et sans fers plusieurs hommes condamnés au boulet.

Aux réclamations des trois négocians contre cette harharie, le commandant répondit seulement qu'il agissait ainsi par ordre supérieur.

Suit à Philippeville, soit sur le bâtiment à vapeur, les condamnés ne purent obtenir un certificat de leur écrou qui constatât les circonstances que nous venons de rapporter ; mais les faits se sont passés devant un trop gl':Uld nombre de témoins pour qu'on puisse songer à les délliel'.

Arrivés enfin à Alger, les condamnés s'adressèrent en vain au procureur général et au directeur de l'intérieur pour réclamer leur mise en liberté avec ou sans caution ; il leur fut répondu que cela dépendait exclusivement du gou-

verneur général. - - En attendant, ils furent écroués à la prison d'Alger: ils n'en sortirent que le 12 décembre, sur des ordres émanés de M. le ministre de la guerre.

{Mémoire pour les sieurs Amat, Cassin et Dallet.) Voilà la justice militaire.

Serait-ce là, par hasard, le régime que l'on essaie en Algérie pour essayer de l'importer un jour en France?

Nous avons réuni plus loin tous les renseignemens qui nous sont parvenus sur les événemens qui viennent de se passer dans les environs de Ténès.

Ces événemens, au surplus, doivent être envisagés sous leur véritable jour; ils sont inquiétans, sans nul doute, mais ils n'ont assurément pas le caractère de gravité que certains journaux leur ont prêté. t'imagination des alarmistes a joué jusqu'à ce jour un rôle beaucoup trop grand dans le récit des événemens qui

se passent en Alrique, sans s inquiéter des conséquences d'une exagération dont le moindre inconvénient est d'altérer la vérité.

Il en résulte que beaucoup de gens, en France et en Europe, considèrent l'Algérie comme un pays voué à d'éternelles hostilités, et présentant les plus grands dangers à des établissemens coloniaux sérieux. Ces deux idées sont également fausses. Que les Arabes nous voient avec haine et répugnance, qu'ils dissimulent leurs véritables sentimens à notre égard, qu'ils re-

cherchent et saisissent toutes les occasions de nous témoigner les mauvaises dispositions dont ils sont animés contre nous ; c'est chose naturelle et parfaitement concevable : il serait même extraordinaire qu'il en fût autrement. Mais de là à mettre en danger notre établissement, il y a une distance infinie.

Les indigènes arabes ou kabyles, nous ne saurions assez le répéter, ne sont pas des ennemis puissans; ils ne sont pas même des ennemis sérieux : ce sont tout

simplement des adversaires inquiétans. Faibles, pauvres, ignorans, en petit nombre, mal armés, sans approvisionnemens, sans organisation , sans union ; ils ne peuvent rien d'important.

Ils se réuniront bien par petites bandes de quelques centaines d'hommes à la voix d'un marabout fanatique; ils assassineront un voyageur isolé; ils attaqueront un petit poste qu'ils sauront sans défense ou composé seulement de quelques hommes; ils harcèleront

une colonne ou un convoi; ils se mettront en embuscade et nous tueront ou nous blesseront du monde en tiraillant, abrités par des rochers ou cachés dans des broussailles; mais ils n'entreprendront jamais rien de sérieux; ils ne feront jamais rien de décisif.

Depuis 1830 ils ne nous ont pas pris un blokaus!

Ils n'ont pas emporté une maison défendue par quatre hommes!

Au surplus, nos soldats sont braves, actifs, dévoués, infatigables; ils sont commandés par des chefs ha-

FEEILLETON DU JOURNAL L'AFRIQUE. - lt MÀI.

Chronique algérienne.

Alger, 20 avril 1845.

La saison théâtrale vient de finir. M)lm Bcrton et Pillard ont fait, ce soir même les honneurs de sa dernière heure, dans le troisième acte delà Norma. Encore quelques jours, et notre cantatrice bien-aimée aura quitté ces bords africains où elle a grandi si vite, pour aller demander à Paris ce que Paris seul peut donner. Encore quelques jours, et toutes ces figures que nous avons vues si souvent avec plaisir, que nous avons applaudies quelquefois de bon cœur, se seront évanouies, et nous ne retrouverons à leur place que des visages étrangers, venus de loin, aux allures nouvelles, avec lesquelles cependant nous sommes très disposés à lier connaissance.

M. Honoré Curet écrit de Milan que la Griffini a perdu sa mère, et qu'elle renonce à 1 a scène pour six mois. Grand désappointemement chez quelques amateurs, désir de savoirqui la remplacera chez quelques autres, profonde indifférence chez le plus grand nomhre. - Ialgré l'enthousiasme exagéré de deux ou trois iialianomanes systématiques, Mme Berton a conquis assez de suffrages pour balancer, à Alger, toutes les prime donne qui la suivront; et, quelque charme qu'ait d'ailleurs la musique italienne rendue par un organe retentissant, je doute qu'elle soit accueillie avec plus de faveur que ne le sera notre belle fugitive quand nUf nous rovirmlra de Paris

Quoi qu'il en soit, du reste, de ces dispositions du public, qu'il est assez difficile d'apprécier d'une monière absolument impartiale, nous aurons dans huit jours une troupe italienne venue en droite ligne des coulisses de la Scala; nous entendrons des cantabile découpés de fioritures, semés de trilles et de cadences, et jetés en bonds rapides et capricieux d'un bout à l'autre de l'échelle chromatique des tons ; nous jouirons même, disent les indiscrets, nous jouirons avant Paris d'une nouvelle partition d'un célèbre maestro, qui doit se nommer au moins Donizetti ou Mercadante. Quel honneur! Mais aussi, il faut avouer que M. Honoré Curet est le premier homme du monde pour découvrir ces bonnes fortunes-là. M. Curet a voulu une prima donna au grand complet, et il l'a trouvée ; il a voulu un opéra inédit que Paris n'eût pas encore savouré, et il a trouvé l'opéra comme la cantatrice, Qu'il trouve mainte-

nant, s'il le peut, un théâtre inédit, et tous les dilettanti algériens lui voteront une épée d'honneur.

Sérieusement parlant, ne sentez-vous pas que l'annonce de ce théâtre sent furieusement la mystification ? U y a bientôt quinze mois qu'on en parle, plus de vingt projets ont été présentés tour à tour ; quelques-uns d'enlr'cux. ont obtenu l'honneur d'un examen; le principe même de l'exé-

cution par entreprise semble avoir été adopté sans difficulté par le conseil supérieur; et cependant, si vous demandiez à quelque initié complaisant le dernier mot, ou plutôt le point précis où en est arrivée cette nébuleuse affaire, il vous répondrait probablement ce qu'un haut fonctionnaire de je ne sais quel service a répondu, ces jours derniers, à un simple citoyen.

Si vous êtes curieux de connaitre l'anecdote, je vous la raconterai d'autant plus volontiers, que c'est un très-joli échantillon des gracieusetés administratives auxquelles nous sommes tous sujets. -

Le citoyen en question avait été dépossédé violemment, par mesure d'utilité publique, d'un terrain qu'il possédait je ne sais où (ce je ne sais où est une figure de rhétorique qu'on appelle vulgairement réticence). L'administration lui devait une indemnité. Rien de plus juste. Son droit à la réclamer fut régulièrement reconnu, et on s'occupa immé.diatement de remplir les formalités nécessaires pour la régler. Il y a des individus à Alger en faveur desquels ces formalités durent depuis dix ans, témoin M. Pelissier. Celui dont je parle ne comptait encore que trois ans d'attente quand, un jour de mauvaise humeur, l'impatience le pre-

nant, il se transporte chez le fonctionnaire ci -dessus, pour se plaindre d'un retard qui compromettait gravement ses intérêts. Un administrateur ordinaire eùt été embarassé. A Alger, où les procédés sont plus simples, on ne s'embarrasse pas pour si peu.

- Monsieur, dit tranquillement l'administrateur interpellé, je vois av'*-pcine que vous vous êtes fait illusion jusqu'ici sur ce que vous aviez à attendre de l'adminisll'ation ; mais, comme il est de mon devoir de vous désabuser; j'ai l'honneur de vous prévenir que l'administration ne vous doit rien.

Ne trouvez-vous pas que cette conclusion, aussi neuve que consolante, rappelle les plus beaux temps des régences barbaresques ? Je me trompe. Il y a quelque chose de neuf dans l'application qu'on en fait; c'est d'avoir réussi, par système de compensation sans doute, à traiter les Arabes à la française, et les pauvres Français à la turque.

Pour en revenir à M. Honoré Curet, dont l'intelligence et la générosité sont connues, il serait vraiment dommage d'en user à son égard d'une façon aussi cavalière. M. Curet nous a donné, dans les six mois qui viennent de s'écouler. deux grands opéras, ISL-Lucie et la Norma., vingt-deux opéras-comiques choisis parmi les œuvres les plus juste-

ment admirées, vingt drames ou comédies, trente-cinq ou quarante vaudevilles, tous plus gais les unsque les autres, et deux petites pièces de fabrique locale, dont l'acceptation seule témoignait beaucoup de bonne volonté. Armé d'un pareit-bagage, un directeur est en droit de tout exiger, et M. Curet ne demande qu'une salle de 1200 places. C'est modeste, je dirais même, c'est insuffisant. Ici, la question - d'avenir -- est tout ; le présent ne compte que comme

point de départ. Alger n'est pas une ville de 50 mille âmes, enfermée dans un cercle de pierre, barrière permanente et infranchissable ; c'est la capitale d'un empire naissant qui ne reconnaît d'autres bornes que le désert; c'est un des centres commerciaux les plus actifs de la Méditerranée; c'est la cité d'hier, émule de Paris, qui aura demain cent mille habitans, et des rues de quatre kilomètres : or, dans de pareilles conditions d'existence, tout doit être calculé sur des bases grandioses. Les sociétés modernes, plus encore que les sociétés anciennes, vivent de théâtre comme de pain. Partout où il y a dix hommes réu-

nis, on voit un tréteau se dresser. Diriger ce besoin pressé vers un but social, c'est encore travailler à l'œuvre de civilisation, et puisqu'il faut un théâtre à la future seconde ville de France, il faut prévoir le jour où la moitié de Paris émigrera vers l'Afrique, où toutes les sommités du monde artistique se donneront rendez-vous sur ses bords, et leur préparer, à eux et à nous, un temple digne de l'art qu'ils représentent, digne de la cité qui les recevra, digne du peuple qu'ils honoreront en venant lui demander des applaudissemens et des couronnes.

Ce temple ne s'élèvera pas. Il exigerait cent mille francs de matériel et cinquante mille de subvention annuelle: or ce sont là des chiffres inacceptables pour une administration besogneuse comme la nôtre. Il est d'ailleurs malheureusement trop vrai que chacun moule son œuvre à son image, et que demander de la grandeur à certains cerveaux administratifs, c'est s'exposer à être traité de poète et d'illuminé.

Que ferons-nous donc? Hélas! ce que nous avons fait jusqu'ici : nous dévorerons le présent, nous nous confierons dans l'avenir, et nous laisserons jusqu'à nouvel ordre la foule se ruer dans les cafés chanlans, pour y étan-

cher un peu cette soif d harmonie qui est devenue un des besoins moraux de notre époque.

22 avril.

Voilà ce que nous écrivions, il y a deux jours, un soir de la Norma, après ce magnifique duo du troisième acte, que vous connaissez mieux que moi. La journée tout entière avait été consacrée aux plaisirs; grâce à la présence d'un prince royal, Alger s'était trouvée, à deux heures de,

l'après-midi, transportée à Mustapha, pour assister au magnifique carrousel donné par le 1er chasseurs d'Afrique. On avait beaucoup admiré l'adresse des cavaliers, 1 élégance de leur costume, la précision de leurs mouvemens et le je ne sais quoi de chevaleresque qu'on retrouve toujours dans la jeunesse française quand elle a une galerie de femmes pour public et le désir de plaire pour mobile; on avait - même remarqué avec surprise que le

temps, un moment incertain, s était tout à coup rasséréné pour ne rien enlever à l'éclat de la fête, tant il est vrai que, dans le ciel comme sur la terre, tout est aux ordres des puissans. Quant au prince lui-même, on savait déjà que la veille, arrivé en face de la Jcnina, il avait vu tomber à ses pieds un bouquet lancé par la main d'une femme.

On croyait reconnaître cette femme ; on l'avait vue, non loin dc"la loge royale, sur les gradins de l'amphithéâtre de Mustapha. Elle avait une délicieuse ifgure d'ange, cheveux

dores, yeux d azur, peau blanche et pale. Du moins, on imaginait tout cela, car elle portait un voile qui ne laissait pénétrer aucun regard indIscret. On expliquait sa présence à Alger par mille suppositions romanesques où l'amour jouait un rôle de fantaisie. On disait même que le soir, quand la foule se fut retirée, quand les derniers bruits se furent éteints, quand Alger resplendit de ses paillettes de feu, on vit une ombre se glisser parmi les mimosas de la route, monter silencieusement jusqu'à la villa du co-

lonel de Bourgon, se frayer un passage a travers les galeries mauresques, el. disparaître tout à coup après avoir ries mauresques, l'oreille du prince.

jeté deux mots à l'oreille du pritice.

Le lendemain un courrier d'Oran apportait la nouvelle de l'attaque de Ténès, de la mort de M. Beatrix., d'un suulèvement inattendu de vingt tribus et d'une lulte funeste dans les montagnes du Dahra.

Voilà l'Afriquc.

Aujourd'hui cependant on parle de fêtes. Un grand bal aura lieu le 50 courant dans le cour du palais dictatorial.

M. Horace Vernet- y assistera, car il vient d'arriver à bord

du Lavoisier ; M. le maréchal y fera ses adieux a la population civile, et trois jours après, dix mille homncs réunis à Mustapha de tous les points de l'Algérie s'chratucront pour aller attaquer cette terrible Kabylie, dont on parle depuis si longtemps, et dont la résistance présumée commence à donner quelques inquiétudes aux hommes qui ont le plus compte sur de nouveaux triomphes. (1)

A. ALEXIS BELLY.

(1) Ces lignes étaient écrites avant t'ajournement dont les jourqaux et les correspondances d'Alger ont fait mention.