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Titre : L'Afrique : journal de la colonisation française, politique, économique, agricole, commercial, littéraire et scientifique / fondé à Paris par les colons de l'Algérie ; [directeur-gérant responsable : Hte Peut]

Éditeur : au bureaux du journal (Paris)

Date d'édition : 1845-04-26

Contributeur : Peut, Hippolyte (1809-1889). Directeur de publication

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326834694

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb326834694/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 26 avril 1845

Description : 1845/04/26 (A2,N49)-1845/05/02.

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k63664581

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-3025

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 12/11/2012

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Paris. 25 Avril. V coup .,'Beat du gouvernement algérien.

On nous communique à l'instant une nouvelle qui, nous l'espérons, éclairera tout le monde en France sur te régime que l'lgérie est condamnée à subir.

Nous annoncions dans notre dernier numéro que l'administration supérieure avait juré notre perle; les faits ont suivi de près la menace : hier c'étaient les feuilles locales que l'on poussait contre nous, aujourd'hui c'est à la force brutale que l'on a recours.

Comme on ne peut rien sur nous par la raison, on veut agir par la terreur.

- - La demeure de nos correspondans, à Alger, a été envahie par la force armée, le secret des lettres a été violé sans autre motif que celui de notre opposition consciencieuse à des mesures qui, tôt ou tard, amèneraient la ruine du pays.

Le journal Y Afrique ne s est jamais écarté des termes de l'opposition la plus modérée et des convenances les plus sevères ; sur quoi dès lors motiver la mesure inouïe que le gouvernement local s'est cru permise contre lui 1.

Toute la presse, nous en avons la ferme confiance, protestera, comme elle le doit, contre un acte que rien ne justifie, et le flétrira de manière à ce qu'il ne puisse jamais plus se renouveler.

Au besoin, » c'est à la tribune parlementaire ellemême que nous nous adresserions et que nous demanderions s'il est une loi en France qui défend d'écrire la vérité sur l'Algérie.

Voici l'extrait de ia lettre qu'un de nos amis a bien voulu nous communiquer. Nous le donnons sans l'accompagner d'aucunes réflexions, les faits seuls parlent plus haut que tous les commentaires : Alger, 20 avril 1845.

« Je vous annonce que le 18, à cinq heures du ma» tin, la justice, la police et la force ont fait une des» cente chez aiM. Belly et Dru, où elles sont restées » quatre heures à examiner la correspondance du jour» nal VAfrique et le moindre chiffon. Je vous laisse » à penser l'effet produit par ce petit coup d'état. »

Nous sommes encore sans ancuns autres détails sur cette incroyable affaire. Les lettres de nos correspondans, ce qui ne nous était encore jamais arrivé, ne nous sont point parvenues aujourd'hui. Qu'est-ce que cela veut dire?

Nous attendons de plus amples renseignemens pour savoir ce que nous devons penser, ce que nous pouvons craindre et quelle conduite il nous reste à tenir.

OrdemmnneettM II* avril portant réorganisation de l'administration générale.

L'Algérie, au dire de M. le ministre de la guerre luimême, est actuellement, après quatorze années de sacrifices et de combats glorieux, d'efforts et de persévérance de la part des colons, dans une situation souverainement favorable. La domination de la France y est de jour en jour mieux affermie; la sécurité y règne au loin et sur des pays qui étaient tout récemment le théâtre de la guerre, l'affluence des colons et des capitaux y est croissante ; un vaste champ y est ouvert aux relations commerciales de la métropole ; des

villes s'y élèvent et s'y édifient; des villages s'y fondent; des routes s'y ouvrent; les produits du revenu public s'élèvent; l'impôt arabe s'y perçoit avec une rare facilité.

Tous ces faits, tous ces résultats, qui caractérisent si heureusement la situation de l'Algérie, imposaient à M. le ministre de la guerre, il le confesse, le devoir de mettre l'administration de la colonie en rapport avec ce nouvel ordre de choses.

Pendant quatorze longues années, M. le maréchal Soult ne le cache pas au roi, les difficultés et les incertitudes inhérentes à un pays inconnu et nouveau, la mobilité des choses, la soudaineté des besoins, l'imprévu, l'urgence, la guerre, l'êloignement, que sait-il encore? exigèrent qu'une grande latitude fût laissée à l'autorité locale.

Mais l'Algérie n'est plus dans une position aussi embarrassée, aussi exceptionnelle. M. le ministre de la guerre avoué que l'expérience a éclairé les faits, que l'ordre s'est fondé, que des communications régulières et rapides ont effacé lesdistances, et que, si le régime des ordonnances doit encore être maintenu, l'administration peut du moins entrer dans une voie de progrès qui la rapproche davantage des règles et de la hiérarchie des pouvoirs.

C'est à cette fin qu'il a fait préparer avec les soins les plus scrupuleux, en s'entourant de lumières recueillies partout, et principalement dans le remarquable travail de la commission de colonisation, une ordonnance en 126 articles, celle que le roi a bien voulu signer à Eu le 15 de ce mois.

M. le ministre de la guerre secomplaît à reconnaître à cet acte des mérites tout spéciaux. Il doit avoir pour effet d'introduire l'ordloe, la vie et le progrès dans toutes les branches du service public ; d'imprimer à tous les pouvoirs locaux un esprit d'unité, d'ensemble et de suite, à l'aide duquel une œuvre aussi considérable

que celle de fertiliser et de peupler l'Algérie @ pourra s'accomplir. Elle sera un sage et utile progrès, une garantie nécessaire donnée aux intérêts de toute nature qui se fondent et s'épurent chaque jour dans la colonie; enfin, un moyen de faire fructifier tout à la fois, à l'honneur et au profit de la France, une conquête chèrement mais glorieusement acquise.

Voilà, à en croire le rapport qui précède cette incon-

cevable ordonnance du 15 avril, les intentions et le but qui ont dirigé le ministre de la guerre. Ne dirait-on pas à lire ce préambule que l'Algérie va enlin avoir sa charte, qu'on soit enfin décidé à lui octroyer des garanties et des libertés, à lui reconnaître des droits, à la doter d'une vie civile, à la placer sous l'égide d'un pouvoir protecteur de tous les intérêlsi). Ne croirait-on pas que le régime du sabre et du bon sens naturel va tomber et faire place au régime de la loi ?.

Eh bien ! toute cette phraséalogie hypocrite du rapport aboutit à des dispositions qui, dans l'esprit et dans la lettre, ne peuvent être considéréès, ce qu'elles sont réellement, que comme la consécration solennelle du régime militaire et de l'Etat de siège; à des dispositions qui avilissent, dans les hommes et les choses, les pouvoirs civils, et qui livrent presque toute l'Algérie a une justice prévolale en toutes matières et à une administration nécessairement brutale et ignorante.

C'est ce qu'il nous sera très-facile de prouver.

L'Algérie sera désormais, ce qu'elle était d'ailleurs avant l'ordonnance, divisée en trois provinces, qui, tout naturellement, sont celles d'Alger, de Constantine et d'Oran, et chacune de ces provinces sera divi-

sée en territoires civils, en territoires mixtes et en territoires arabes (art. 11 et 12).

Les territoires civils, qui sont ceux sur lesquels il existe une population civile européenne assez nombreuse pour que tous les services publics y soient ou puissent y être organisés, sont régis par le droit commun, tel que la législation spéciale de l'Algérie le constitue, et sous la réserve des dispositions particulières relatives aux indigènes qui habitent ces mêmes territoires (art. 13 et 14).

D'abord ces territoires ne consistent, on ne saurait trop le répéter, qu'en quelques kilomètres carrés de terrain, autour des villes d'Alger, d'Oran, de Mostaganem, de Philippeville et,de Bône. Qu'on jette les yeux sur une carte et on verra, si toutefois on peut en distinguer les limites, qu'ils n'ont qu'une étendue tout àfait insignifiante, tout microscopiques qu'ils sont, on ne les agrandira point.

L'ordonnance dit en son article 19, que leurs limites restent fixées telles qu'elles le sont aujourd'hui. 11 est vrai qu'on s'est réservé le droit de les modifier et de les élargir, mais ce ne pourra être que sur l'alis et la demande du gouverneur-général, qui se gardera bien, on peut en croire M. le maréchal Bugeaud, de consentir a ce qu'on enlève un pouce de terre au régime du bon sens naturel.

Ensuite, quel est, au vrai, ce droit commun sous le- quel on veut bien les placer ? y a-t-il à Alger, à Bône, à Oran, à Philippeville, des institutions civiles, des libertés municipales, une justice inamovible, le jury, la liberté de la presse, une garde nationale organisée civilement. et basée sur les principes de l'élection, ces garanties, ces droits, ces devoirs même qui font l'orgueil de la métropole? Pas, le moins du monde; tout, hommes et choses, y est soumis à la tyrannie d'une législiltion spéciale, au régime des ordonnances et des arrêtés, aux caprices et aux brutalités d'un gouvernement militaire et d'une administration dépourvue de tout sens moral. En Algérie, dans les territoires civils

même, il y a des intérêts et pas de garanties, des hommes et pas de droits, des sujets et pas de citoyens.

L'ordonnance du 15 avril a-t-elle changé, amélioré, réformé, épuré tout cela? Pas le moins du monde. Les Européens, les Français qui se sont voués à la fertilisation, au peuplement, à la civilisation de l'Algérie, possèdent-ils, après l'ordonnance un droit, une garantie, une liberté de plus qu'auparavant ? Non, mille fois non! ils sont ce qu'ils étaient, des ilotes et non des citoyens. Cette ordonnance est donc un leurre et un

mensonge. Le rapport qui la précède annonce l'inauguration d'un régime nouveau, et l'ordonnance n'est, d'un bout à l'autre, que la consécration du régime ancien. Que disons-nous, elle en est aussi l'aggravation., Hier, il y avait encore dans les territoires civils une administration animée de quelques intentions civiles, capable de lutter, en quelques circonstances, pour la défense des intérêts civils, pouvant, à certaines heures de courage, résister aux empiétemens et aux caprices du régime militaire, correspondant avec le ministère, siégeant em conseil d'administration à un rang honorable. C'était un reste des prérogatives de l'intendance civile dont la direction de l'intérieur jouissait tant bien que mal.

Il n'en est plus ainsi. Le directeur de l'intérieur bien qu'on augmente son traitement, est descendu au rôle de commis de M. le gouverneur général, dont il prend les ordres en toutes choses, de l'attache duquel il ne peut se passer, dont il faudra qu'il subisse, bon

gré mal gré, comme un simple aide-de-camp les caprices, les volontés et les ordres. M. le directeur général des affaires civiles remplace purement et simplement M. le secrétaire général du gouvernement. On sait que ce fonctionnaire n'était qu'un instrument passif. Le directeur des affaires civiles sera condamné aussi à l'obéissance passive. Esclave par le fait de l'ordonnance, il ne rêvera pas une émancipation qui aurait pour effet de lui enlever une honteuse mais Œrasse pitance.

Aujourd'hui donc, dans la petite Algérie civile, il n'y a qu'un pouvoir, celui du gouverneur général ; qu'une volonté, celle du gouverneur général; qu'un régime, le régime militaire. L'autorité civile, qui n'était presque rien le 14 avril, est moins que rien maintenant. t'épouittée de toute initiative, comme de toute responsabilité, réduite à ce que Siéyès voulait que flit la personne du premier consul, elle n'a plus que la triste et humiliante consolation de traitemens plus élevés.

(La suite prochainement.)

Projet cie vlce-royante.

On nous assure qu'il est de-nouveau et très-sérieusement question d'ériger l'Algérie en vice-royauté au profit de M. le due d'Aumale. D'après ce qui nous est rapporté, ce serait définivement au commencement de l'an prochain que se réaliserait ce projet, dont l'abandon prétendu n'était en réalité qu'un ajournement.

On compte, pour le mettre à exécution, sur le résultat des prochaines élections, dans lesquelles le gouvernement espère obtenir une forte majorité ministérielle.

Tout ceci, du reste, ajoute-t-on, est chose convenue avec M. le maréchal Bugeaud, qui, en échange de son gouvernement d'Afrique, recevrait le portefeuille de la guerre. - - - -

On ne dit pas ce que deviendrait, dans cette combi naison, M. le maréchal Soult; peut-être bien passeraitil aux affaires étrangères, en remplacement de M. Guizot, à qui sa santé ne permet plus de conserver longtemps ce ministère.

Quoi qu'il en soit, nous croyons devoir donner l'éveil sur la résurrection du projet de création d'une vice-royauté, projet en vue duquel paraissent avoir été conçues les modifications introduites dans l'organisation de l'administration générale de l'Algérie, par l'ordonnance du 15 avril.

Qui est renneul des grande « concernions et des colons oll!l6é.?

A en croire un article de l'Algérie, du 16 de ce mois, il y aurait lutte entre les bureaux de la Direction centrale, à Paris, et ceux de la direction de l'intérieur, à Alger, au sujet des concessions a faire aux capitalistes; le journal ministériel prétend que la direction de l'intérieur est obstinément opposée aux grandes concessions, et il trouve cette résistance de l'inférieur excessivement déplacée.

Pour être juste, il est convenable de frapper plus haut que sur cette pauvre direction de l'intérieur. L'innemi des grandes concessions, l'adversaire des capitalistes sur une vaste échelle, celui qui ne veut que des petites gens et des villages pauvres, ce n'est pas précisément M. le comte Guyot, c'est M. le maréchal Bugeaud, c'est M. le gouverneur général. C'est lui, inférieur, qui a résisté, qui résiste, et qui résistera contre tout système qui tendrait à faire concourir les capitaux et les hom-

fEUILLEtON DU JODRNAL L'AFRIQUE–26 AVRIL, Chronique algérienne, Alger, le 10 avril 1843.

Il y a huit jours, deux hommes se rencontraient sous la galerie Duchassaing.

Vous ici!

Pourquoi pas ?

Et que faites-vous ?

Je flâne.

Celui qui flânait regardait je ne sais quoi à travers les dentelles d'un joli magàsin de modes. Je dis joli, par extension. comme on dit d'une église qu'elle est sainte, parce qu'elle renferme quelque chose de sacré.

- Mais je vous croyais parti, observa le premier.

Je suis parti et revenu.

Et votre voyage dans la plaine ?

Terminé.

Mais vous n'avez eu le temps de rien voir ?

J'ai vu El-Neki, et je suis content.

El-Neki! qu'est-ce donc que ce personnage-là?

Vous ne connaissez pas El-Neki ?

Pas le moins du monde.

Le caïd des Aribes, l'un des quatre sultans de la Mitidja et notre ami le plus dévoué.

- C'est la première fois que j'en entends parler.

Vraiment!. Je vous reconnais bien là, vous autres Algériens. Vous causez de l'Afrique comme des hommes qui ont tout vu, tout entendu, tout étudié, tout approfondi, et vous ne savez pas ce qui se passe à vos portes. Un étranger arrive, débarque, se promène, regarde, demeure en tout vingt quatre heures dans votre pays, et cet étranger vous apprend quela plaine est divisée en quatre caïdats, et que l'un des caïds se nomme El-Neki, ce dont vous n'aviez pas l'air de vous douter.

C'est possible.

Et vous ne pensez pas que tout cela est parfaitement ridicule ?

Je pense que, lorsque vous aurez entendu les noms de deux ou trois mille caïds en i ou.cn o, y compris l'assassin qu'on va juger aujourd'hui même, vous aurez probablcmeut oublié celui d'El-Neki.

Je ne le crois pas. Cet homme est, à mes yeux, l'emblème de la civilisation africaine.

Bah! fit le citoyen d'Alger avec un sourire modestement ironique.

Je vous le répète, l'emblème de la civilisation africaine.

Je comprends. Vous l'avez vu en paletot et en gants paille. Fi donc, je lui aurait tourné le dos.

n vous a reçu dans un palaisde Nabab ?

Il y a des palais à Stamboul, et lem-a maitres n'en sont pas moins barbares.

-Il vous a peut-être parlé français?

- J'aurais été trop honteux de rie pas savoir l'arabe.

Qu'a-t-il donc fait alors pour mériter à un si haut point votre estime ?

Dites mon admiration.

- Eh bien!.

-11 nous a servi pour déjeuner, àmoiet à mon interprète.

Quoi?

Devinez.

Un pilau de riz au beurre frais?

Mieux que cpla.

Un bœuf embroché avec un arbre ?

- C'est trop antique.

- Un gâteau de couscoussou baignant dans le lait?

- C'est trop national.

- Une Diffa complète, peut-être ?

- C'est trop officiel.

- Je m'y perds, alors.

- Je savais bien que je vous étonnerais.

Eh bien !

Il nous a servi des huîtres fraîches et du pain mollet.

- Ah 1 Ét pour arroser tout cela, du vin de Champagne.

- Certes ! ! !

Ici, surprise d'un côté et triomphe de l'autre ; trois points d'admiration pour chacun.

Ne trouvez-vous pas, reprit enfin le triomphateur, qu'El-Neki est arrivé d'un seul coup à la dernière limite du progrès?

- Vous avez raison. surtout si sa femme vous a servi elle-même à visage découvert.

- Sa femme 1.

- Oui. est-elle jolie?

Je ne l'ai pas vue.

Vraiment!.

Je me souviens même qu'ayant voulu approcher d'une autre lente que celle du caïd, j'ai failli être dévoré par une demi-douzaine de chiens sauvages, et qu'un abominable nègre, accroupi à l'entrée de cette tente, fixait sur moi ses nègre, de sang en nettoyant la batterie de son fusil.

yeux - Et vous trouvez sans doute que c'est là aussi la dernière limite du progrès ?

Ici, trois points d'admiration ; seulement, les rôles sont transCp'oessét sé.gal, reprit le flâneur en jetant un dernier coup C'est égal, reprit le flàn(\lIl' en jetant nu dernicl' coup d'œil dans le magasin que vous savez, mon voyage de trois jours n'aura pas été perdu. Je pourrai, du moins, aller raconter au Café de Paris qu'on lui fait concurrence sur les bords de l'Hamis.

Le vrai peut quelqueiois n'être pas vraisemblable.

Témoin cette aventure. J'ai cru toutefois devoir la rapporter, d'abord parce qu'elle est vraie, ensuite parce qu'elle résume d'une manière assez piquante les progrès réels que nous avons fait faire aux Arabes dans les voies de la civilisation, et le caractère général des excursions africaines entreprises par nos pèlerins d'outre-mer.

Pour la plupart des nouveaux débarqués de France, l'instinct le plus accusé semble être d'abord un ardent désir de la locomotion. Alger leur déplait bien vite, parce qu'il res-

semble trop à Paris. Us veulent voir l'intérieur, les tribus, le désert, 1 Afrique enfin. Us veulent juger par eux-mêmes de ce monde inconnu, dont on leur a tant parlé à tort et à travers, et s'assurer si vraiment il ressemble aux bizarres tableaux dont leur imagination est encombrée. Ils partent donc. Des messageries imitées de Laffitto et Gaillard, ou des omnibus fermés par d'éclatantes draoeries. les con-

duisent d'abord jusqu'à Blidah. Blidah, c'est la ville des parfums, des plaisirs, des voluptueuses rêveries ; c'est une sultane asiatique couchée à l'ombre d'un berceau d'orangers; c'est peut-être la plus belle villa du monde, sous le rapport de la poésie du site, de la suavité de l'air, de la richesse luxuriante du sol et de la magnificence du coupd'oeil. - Aussi, arrivé là, la réflexion survient. On a traversé la Mitidja, l'immense plaine, le rêve de tant d'utopistes, l'élément de tant d'agiotages, le sujet de tant de discussions, la cause innocente de tant de sottises, le morceau de terre dont on a le plus abusé peut-être, depuis les fabuleuses savanes du Mississipi.– Après un pas semblable on peut bien s'arrêter. On est, d'ailleurs, ébloui par

la végétation prématurée de la route, par des broussailles hautes comme des hommes, par des bosquets d'oliviers qui défient les plus grands végétaux, par une ceinture d'orangeries dont les fruits garnissent les fossés et les chemins, ni plus ni moins que les pommes en Normandie.

Il faut du repos et de la liberté pour rêver à tout cela; il faut se donner le temps de jouir, et peut-être aussi celui d'oublier. On revient donc à Alger, heureux et fier, du moins, d'avoir appris tant de choses en une journée, et d'avoir embrassé d'un seul coup-d'œil tout ce que nous avons désigné pendant dix ans sous le nom pompeux de possessions françaises au nord de V Afrique.

Au fait, Blidah seule et la plaine qu'elle domine valent bien une traversée de 48 heures, surtout aujourd'hui que les voyages coûtent si peu, et qu'il est de bon ton de

se promener par le monde pendant six mois de l'année. Au retour, du moins, on aurait quelque chose à dire à ses amis, et peut-être quelque chose à leur apporter. Tout est précieux à iOQ lieues de distance, même une pipe de caroubier, même la pantoume d'une négresse, même un caillou roubier, de la Chitfa; et je ne désespère pas de voir un jour le tombeau de la Chrétienne emporté pièce par pièce par des touristes consciencieux, qui voudront faire loucher au doigt la vérité de leurs récits.

Cette spoliation, du reste, a déjà commencé. La mosaïque d Orléansvillc est rognée d'un dixième, une jeune et jolie pèlerine en a détaché dernièrement dix ou douze pierres de sa propre main ; on parlait même d'un spéculateur un peu fanatique qui voulait les monter comme des diamans. J'aurais été d'avis, si l'on m'avait consulté de les enchâsser plutôt comme des reliques. - Dtun autre côté, on ne trouve plus d'essence de roses à un prix raisonnable, une datte du nclcd-el-Djérid est une mystification, les palmes même des palmiers chevelus sont invisibles sous le 37e degré de latitude nord. Tout a été enlevé, emballé, étiqueté, numéroté et expédié.

En revanche, les voyageurs nous arrivent de toutes parts.

Paris se décide à rayonner vers l'Algérie. Quelques noms

heureux commencent à sonner haut sur les listes de nos passagers. 11 y a un mois, c'était Dan tan jeune; aujourd'hui c'est Horace Vcrnct, les deux points extrêmes de l'art. M. Iocser, de son côté, le jeune et brillant violoniste de Berlin, n'a pas dédaigné les applaudissemens de nos amateurs, après ceux qui lui ont été prodigués en plus haut lieu. Paris avait consacré son talent, Alger a fêté sa présence. Aucun concours n'a manqué à son triomphe, aucune

fibre algérienne n'a résisté à ses accords, et ce soir, la salle Curet sera comble pour l'applaudir encore, et le remercier de nous avoir apporté ses trésors d'harmonie.

Au mois de juillet de 1844, un jeune homme de 25 ans, artiste lui aussi, mais inconnu encore, se promenait chaque soir, à cinq heures, sur la place royale. Pour tout le monde c'était un étranger, pour quelques observateurs c'était un problème vivant, Dour les Arabes surtout, c'était

un être inexplicable. Il portait un costume maure qui avait appartenu à Ahmed-Bey, s'asseyait dans tous les calés indigènes, pour causer avec tous les hommes instruits qu'il y rencontrait, se prosternait comme eux à l'appel du Muezzin, et rentrait tous les soirs à l'hôtel du Nord, où il était logé, avec une riche provision de croquis et de notes.

Ce jeune homme se nommait Edmond Combarel. Il venait de Constantine, où il avait passé deux saisons entières sous le toit de Ben-Aïssa.– A la fois peintre consciencieux et orientaliste distingue, il avait parcouru la plus grande partie de l'Algérie, en l'appréciant au triple point de vue de l'artiste, du philologue et du savant. Il s'était même tellement identifie à la nature nouvelle qui lui dévoilait ses secrets, que les Arabes eux-mêmes le croyaient un des leurs. Plusieurs fois les Thalebs de Constantine, réunis autour de lui dans le palais de l'ex-visir, l'avaient consulté avec respect sur différons points de doctrine et de science, et avaient accepté ses réponses comme des décisions du prophète. Initié, du reste, à tous les détails de'la vie musulmane, et les reproduisant avec une rare exactitude, sa conversation avait un charme original qui n'échappait à personne, ctque goûtaient surtout les hommes spéciaux qui avaient eu l'occasion de le connaître.

Cependant, comme tout s'oublie dans ce monde, et que Il. Edmond Coinbarel était retourné depuis plus de six mois à Paris, ses amis d'Alger avaient peu a peu peu perdu le souvenir de son passage et de ses précieuses causeries; une circontancc inattendue leur a rappelé tout à coup l'orientaliste yoyageur. - Au milieu des caisses de gros livres que Paris nous expédie par chaque courrier, s'est glissé un jour une petite brochure imperceptible signée de son nom, et intitulée: Djaroumia. - Pour le commun des martyrs, c'est-à-dire des algériens, ce n'était qu'un chilïon in-32, tout barbouillé d'Arabe. Pour les connaisseurs, c'était le texte d'un ouvrage original qui sert de base aux études musulmanes dans toutes les contrées barbaresques.

Pour M. Combarel lui-même, c'était son premier pas dans cette carrière philologique, si ardue et si peu appréciée, et pour nous, critique, qui jugeons un livre au prorata de son utilité, la Djaroumia est un essai heureux qu'il est bon d'encourager, comme nous encouragerons tous les efforts qui tendront à faire mieux connaître l'Algérie.

ALEXIS BELLY.