Rappel de votre demande:


Format de téléchargement: : Texte

Vues 1 à 24 sur 24

Nombre de pages: 24

Notice complète:

Titre : Frère et soeur : drame en cinq actes / par MM. Méry et Bernard Lopèze

Auteur : Méry, Joseph (1797-1866). Auteur du texte

Auteur : Lopez, Bernard (1813-1896). Auteur du texte

Éditeur : [s.n.]

Date d'édition : 1855

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30932879h

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 24 p. : ill. ; in-fol.

Format : Nombre total de vues : 24

Description : Collection : Le Théâtre contemporain

Description : Collection : Le Théâtre contemporain

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6180739x

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, YF-236 (9)

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 04/04/2011

Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 93%.


LE THÉÂTRE CONTEMPORAIN

FRÈRE ET SOEUR

DRAME EN CINQ ACTES

PAK MM. MÉRY ET BERNARD LOPEZ

REPRÉSENTÉ POUR LA PnEMIÈUE FOIS, A PARIS, SUR LE THÉÂTRE DE L-'AMBIGU-COMIQUE, LE 14 JUIN 1835.

niSTBIBO'ÏÏON »£ Ï>A PIÈCE.

ROBERT, COMTE DE SUIXAUZE, riche

propriétaire corse, 20 ans MM. DUMAINR.

DE SIVUY, 27 ans SAINT-LÉGEH.

LE BARON ADRIEN ADUIANI, futur de

Blanche, 22 ans. . MAURICE COSTE.

DE BRÉVAL, ami de M. de Sivry, 27 ans. SAMIRE.

VERNEUIL, avocat, 25 ans LÉON JOI.UET.

FABRICIO, domestique chez le comte. . RICHE.

ANTÉNOR, garçon de restaurant. . . . PACHA. BLANCHE, soeur et pupille de Robert. . M'"" ISABELLE CONSTANT.

OLYMPE DE BEAUTRE1LLIS. \ femmes DELMAIIY.

FLORA | à la MARIA REY.

CARMEN * mode. ARMANDE.

ZANETTA, femme de chambre. . . . JEANNE ANAÏS.

Droits de représentation de reproduction et de traduction, réservés.

ACTE PREMIER

A la Maison dorée. - Le salon d'attente d'un grand restaurant. A droite et a franche, an premier plan, des portes conduisant à des cabinets particuliers. Au deuxième plan, a gauche, en pan coupé, une fenêtre avec balcon donnant sur le boulevard. Au deuxième plan, a droite, une porte conduisant a. l'extérieur. Au fond, grande porte à deux battants conduisant à d'antres salons. Au milieu de la scène, un guéridon avec une corbeille de fleurs; un canapé posé obliquemont de chaque coté ; sur le premier plan, sièges et fauteuils.

SCÈNE PREMIÈRE. DE SIVRY, ANTÉNOR.

De Sivry est négligemment assis sur une causeuse. Il fume et lit un journal. ANTÉNOR, outrant.

Monsieur... voilà la cote des fonds.

DE srVRYj prenant la colc.

72... 80... J'ai demandé aussi nn verre .l'absinthe... avec la cote de fonds.

ANTÉNOR, montrant le cabinet à gauche.

Monsieur est servi dans son cabinet.

DE SlVUYj montrant le cabinet de droite.

Celui-ci est retenu?

ANTENOR.

Par ce monsieur qui me faisait l'honneur tout à l'heure de me commander son dîner, (il va pour sortir.)

DE SIVHY, le rappelant.

Anténor! Anténor!

ANTÉNOR.

Monsieur me fait l'honneur de savoir mon nom ?


FRÈRE ET SOEUR.

DE SIVRY.

'Parfaitement... je suis même surpris de vous voir ici. Ne deviez-vous pas quitter ce restaurant ?

ANTÉNOR.

Demain, monsieur, je rentre à MaMlle. Pendant Télé je quitte les restaurants de la Cbaussée-d'Antin pour les jardins publics.

DE SIVRY.

À merveille ! L'hiver à la ville et l'été...

ANTÉNOR.

A la campagne, oui, monsieur...,

DE SIVRY.

Anténor... vous devez savoir bien des secrets...

ANTÉNOR.

Moi, monsieur... je "connais toute l'histoire de Paris, depuis le 31 décembre 1884... jusqu'à nos jours... et je n'écoute jamais aux portes... Les murs parlent si haut que je n'ai pas besoin d'être indiscret... Oh! si je pouvais dire tout ce que j'apprends ici!... Mais, cela viendra, j'étais né pour être historien... ou concierge d'une grande maison.

DE SIVRY.

Alors, vous pouvez me donner un renseignement, (n lui remet

une pièce d or.)

, ANTÉNOR.

Tous ceux que vous voudrez.

DE SIVRY.

Ce jeune homme qui causait avec vous tout à l'heure, et qui

Va dîner là... (il montre le cabinet de droite.) Qui est-il?... ANTÉNOR.

Je ne sais pas; c'est la première fois qu'il vient à la Maison d'Or.

DE SIVRY.

Alors, vous ne pouvez me dire s'il est le mari ou le cousin de cette belle et jeune femme qui se promène tous les soirs avec lui sur le boulevard?

ANTÉNOR.

Je ne sais rien du tout.

DE SIVRY, à part, avec impatience.

Voilà un historien fort instruit, et j'ai bien placé mon argent.

ANTÉNOR.

Monsieur a-t-il encore à me faire l'honneur de me demander quelque chose?

DE SIVHY.

Non, rien... Ah ! si fait, j'ai à vous demander de faire frapper le Champagne.

ANTÉNOR. Sui'-lC-champ ! (A part, en mettant la pièce d'or dans sa poche.) POUI'

mon dernier jour j'ai de la chance, (n sort.)

SCÈNE II. DE SIVRY, seul. N'importe! je saurai quelque chose... Est-elle sa femme ou

Sa maîtresse?... (il touche la cloison du cabinet de droiteavec la main.) Cette

porte est mince, elle sera indiscrète et m'instruira mieux que le garçon... Heureusement les importuns me laissent tranquille, voilà un de ces moments où il est bon d'être seul !...

SCÈNE III. DE SIVRY, VERNEUIL.

VERNEUH.,-cntrant.

Eh ! le voilà ce cher Sivry, je le savais bien.

DE SIVHY.

Vcrneuil!... d'où diable sors-tu?...

VERNEUIL.

De la rue d'Enfer, 84. Embrasse-moi ! je suis avocat depuis ce matin.

DE SIVRY.

Enfin !

VERNEUIL.

Douze ans! douze ans de pays latin ! j'avais hâte de revoir le vrai Paris, le boulevard, le inonde oisif, les femmes véritables ! J'ai passé le Pont-Neuf; je ne le repasserai plus! Adieu les morts!... Vivent les vivants !... Douze ans, j'ai porté sur ma tète la coupole du Panthéon; je respire... me voilà décoiffé!...

DE SIVHY.

Et comment as-lu découvert l'antichambre de mon cabinet particulier ?

VERNEUIL.

Parbleu !... tu as laissé ta signature à la porte! ton groom et ton cheval. Bon ! me suis-je dit, mon cher Sivry dme seul, là-haut, je vais l'inviter pour boire à ma résurrection ! Acceptes-tu?

DE SIVRY.

De grand coeur.

VERNEUIL.

Me voilà maintenant tout à tes loisirs; je ne te quitterai plus, j'ai passé avocat, j'ai fait cette concession à l'auteur de mes jours, bourgeois de Poitiers, qui croit aux avocats; il me rendra quatre visites par an, j'ai tout prévu... et, pour le recevoir, j'ai un cabinet honoraire, une bibliothèque peinte, deux bustes de Cicéron et de Démosthène, en plâtre, un fauteuil neuf usé ; je louerai à l'heure un clerc et trois clients chez les figurants du Cirque, et mon père enchanté me donnera, quatre fois l'an, sa bénédiction.

DE SIVRY.

Très-bien! je vois que le pays latin ne t'a pas corrompu.

VERNEUIL.

Et toi, cher camarade, comment vont les amours, les chevaux, les femmes, la bourse, les bals, les chasses, les maris, les duels, les soupers?

DE SIVRY.

Ah ! que tu es heureux, mon cher avocat, de sortir de la rue d'Enfer, où tu as passé douze ans de purgatoire ! la vie et la jeunesse te paraissent belles; tu as l'extase et l'ivresse de la convalescence, tu vois le bonheur partout... Mais pour moi... pour moi... c'est autre chose... le bonheur est un absent qui a toujours tort.

VERNEUIL.

Tu as éprouvé des revers de fortune?

DE SIVRY.

Non !

VERNEUIL.

Une infidélité de femme?

DE SIVRY.

Plût au ciel !

VERNEUIL.

Ton oncle est-il un père éternel?

DE SIVIIY.

11 est mort.

VERNEUIL.

T'a-t-il laissé quelque chose?

DE SIVRY.

Tout.

VEE1NEUIL.

El tes actions de chemins de fer?

DE SIVIIY.

Quatre cent quatre-vingts francs de prime.

VERNEUIL.

Ta santé me paraît?...

DE SIVRY.

Irréprochable!...

VERNEUIL.

Eh bien! de quoi te plains-tu?

DE SIVHY.

De la vie.

VERNEUIL.

Bah!

DE SIVRY.

J'ai dix heures par jour à remplir.

VERNEUIL.

Sur vingt-quatre, comme moi ; je n'en ai pas assez.

DE SIVRY.

J'en ai trop ! Voyons, que veux-tu que je fasse de ces heures ? Personne ne m'aide à les porter, je vis seul, et c'est un fardeau intolérable! je n'ai pas assez d'esprit pour me lancer dans le monde des artistes, on m'écraserait; j'en ai trop pour me lancer dans le monde des bourgeois, on m'ennuierait; les maquignons m'ont dégoûté des chevaux, les chasseurs de la chasse, les aubergistes des voyages, les déjeuners des duels, les musiciens de la musique, lès joueurs du jeu, les maris du mariage, les garçons du célibat, les amis de l'amitié, les femmes de l'amour... Tu le vois, cher ami, la vie est pour moi un rude métier!

VERNEUIL.

Oh! très-rude! un tilbury, un groom, trois chevaux, un hôtel, vingt-huit ans, la santé, cinquante mille francs de renie; je comprends ton désespoir... et rien au monde, mon pauvre ami, rien pour y mettre un terme.


FRÈRE ET SOEUR.

3

DE SIVRY.

Rien!... ali!... si fait... quelque chose... quelqu'un... une femme.

VERNEUIL.

Je sais... la femme aux agendas, qui en donne à tous ses adorateurs... la brillante Olympe de Beautreillis.

DE SIVRY.

Olympe! il s'agit bien d'elle!... Olympe... une chose qui rit et pleure avec un rire faux et des larmes véritables... ce n'est rien, ni un amour ni un caprice, pas même une distraction... Non, mon ami, non, ce n'est pas d'elle que je te parle, mais d'une femme, entends-tu?... d'une vraie femme et que j'ai trouvée...

VERNEUIL.

A force de la chercher.

DE SIVRY.

Au contraire... parce que je ne la cherchais pas... par malheur, elle est greffée au bras d'un homme sérieux.

VERNEUIL.

Que t'importe? tu viens de me dire que les femmes t'avaient dégoûté de l'amour.

DE SIVRY.

C'est vrai ! s'il y a une chose au monde que je déteste, c'est l'amour : l'amour des romances, des opéras, des pianos, des cavalines; l'amour des adolescents en lloraison, des étudiants en mansardes, des sous-lieutenants en congé, des pensionnaires en vacances; mais, avec mon inconnue, j'ai trois passions mêlées ensemble qui brûlent ma tête, qui toutes trois ont un nom et qui réunies n'en ont pas : le désir, le caprice et la curiosité. Est-ce une femme mariée.... une jeune fille ou la maîtresse de cet inconnu que je vois sans cesse auprès d'elle? L'énigme a déjà un charme irritant qui me plaît, qui m'enchante. Mais ce

(pie je sais, c'est que je l'enlèverai à un mari, à un amant

Que me fait le titre de propriétaire?... Pour recommencer à vivre, il me faut une femme que j'enlève à quelqu'un.

VERNEUIL.

A la bonne heure ! je retrouve enfin un homme civilisé !

DE SIVRY, allant regarder à la fenêtre. .

Tais-toi!... Tais-toi donc!

VERNEUIL.

Pourquoi ?

DE SIVHY.

Voici l'heure où mon étoile se lève... c'est là que passe tous les soirs ma belle inconnue sous la protection de ce jeune homme qu'il m'est impossible de classer.

VERNEUIL, regardant parla fenêtre.

En ce moment, le coup d'oeil est superbe. Tout Paris femme est sur le boulevard.

DE SIVHY.

C'est un désert, elle n'y est pas !

SCÈNE IV. LES MÊMES, OLYMPE.

OLYMPE.

Tant mieux ! ou tant pis ! c'est moi !

DE SIVHY.

Olympe !

VERNEUIL, à part .

La femme aux agendas !

DE SIVRY.

Vous ici !

OLYMPE.

Pourquoi pas? Je vous ai vu à la fenêtre à sept heures du soir, je nie suis invitée à dîner.

DE SIVRY, ;'i part.

Au diable la convive !...

VERNEUIL.

Belle Olympe, soyez la bienvenue...

OLYMPE sonne.

Tiens, le petit avocat! le défenseur de l'orphelin et de la veuve... Je suis votre cliente, maître Verneuil.

VEHNEU1L, qui tient dans ses bras le uiaulctct, le chapeau et l'ombrelle d'Olympe.

Comme veuve avant le mariage... belle dame, mon éloquence est à VOS pieds... GaiÇOIl?... (Le Garçon entre.) OLYMPE.

Un couvert de plus et servez.

ANTENOR, déhairassant Yerncnil.

Madame a commandé?

OLYMPE.

Je commande tout ce qu'il y a de mieux et de plus cher.... je ne suis pas exigeante... (A de sivry, croisant les bras.) Mais que devenez-vous

devenez-vous monsieur de Sivry ? on a passé un mois sans vous voir. .

DE SIVRY.

Oh ! un mois ! J'ai passé mon temps à payer mes différences; mon agent de change m'a pris tous mes loisirs.

OLYMPE.

On le connaît, votre agent de change ! Je crois qu'il a dixhuit ans et les cheveux en bandeaux.

CE SIVRY.

Olympe, je vous adore quand vous me racontez vos rêves.

(il retourne regarder à la fenêtre avec impatience.) OLYMPE.

Oh ! quelle scène de jalousie je vous ferais, si je n'étais pas à jeun...

DE SIVRY', quittant vivement la fenêtre pour regarder à la porte du fond.

La voilà! c'est bien elle... Elle monte l'escalier avec lui... lui, son inséparable... Oh! je veux savoir qui elle est... je le saurai...

OLYMPE.

Et moi aussi...

VERNEUIL.

Et moi aussi...

DE SIVRY. Venez! mais venez donc... (il les emmène vers le cabinet de gauche, dont la porte reste entr ouverte pendant toute la scène suivante. Entrent par la porte du fond Robert, comte de Sullanze, et Blanche, sa soeur et sa pupille. Ils sont précédés du Garçon.)

SCÈNE V. ROBERT, BLANCHE, ANTÉNOR.

ROBERT, à Anténor, qui va leur ouvrir le cabinet de droite.

Ne servez pas encore, nous attendons un ami. (LC Garçon s'incline et sort par le fond. On le voit de temps à autre traverser la scène pendant la scène suivante.)

BLANCHE, à Robert.

Oh ! il sera exact, il nous l'a bien promis hier au soir. Frère,

(le Garçon «'arrête et écoute un instant) quelle heure est-il? ROBERT, tirant sa montre. .

Sept heures un quart. Nous sommes en avance, c'est à la demie que nous devons l'attendre. Oh ! j'ai plus de patience que toi, ma soeur, et même... ce n'est pas sans regret que j'arrive au terme de celte longue épreuve que j'ai fait subir dans l'intérêt de ton bonheur à celui qui a demandé ta main depuis...

BLANCHE.

Depuis un an, moins quelques minutes.

ROBERT.

Je le sais, il ne m'en reste pas davantage, et je suis résolu. Adieu donc aux beaux jours que je passais près de toi, ma chère Blanche ! Adieu à cette douce solitude de notre maison de campagne d'Eiighion, où tu ne laissais regretter à ton frère bienaimé ni le monde,ni la foule, ni tous ces faux plaisirs, ces folles agitations qui auraient perdu sans toi les plus belles années de ma vie... D.ms un instant, je verrai fuir mon bonheur en accomplissant lc plus sacré de mes devoirs. Rassure-toi. j'en aurai le courage! Toi, avant tout, Blanche, et j'attends le baron Àdriani pour lui dire que je le crois digne de toi ; pour lui confier l'avenir de ma soeur, de ma pupille; enfin, pour lui donner ce nom qui, jusqu'à ce jour, je l'avoue, m'a paru un peu difficile à prononcer, mon f....

BLANCHE.

Mon frère!

ROBERT, souriant.

Oui, c'est cela, mon frère...

BLANCHE.

El pourquoi difficile, monsieur mon tuteur? Vous le dites

ll'ès-bieil quand il n'est pas là. (Entrée d'Antéuor, qui apporte dos flambeaux. Il eu place nu dans le salon et va perler l'autre dans le cabinet.) \ OyOllS,

Robert, quel doute peut te rester encore? Adriani est-il un étranger pour toi? Ne le connais-tu pas dèsl'eni'ance aussi bien que tu me connais moi-même ? N'est-ce pas un (ils de notre île natale, un Corse comme toi par la naissance et par le caractère?... Sa famille ne fut-elle pas de tout temps l'amie dévouée de la nôtre, et ce mariage n'a-t-il pas été le voeu suprême, le dernier rêve de notre mère?

HORERT.

Oui, je me le rappelle, et c'est pour cela surtout, Blanche, c'est par le souvenir même de notre mère que je justifierai près de toi mes doutes, mes irrésolutions, mes frayeurs à propos de ton mariage. Oui, j'en prends le ciel à témoin, soeur, j'ai toujours eu devant les yeux celle qui t'a confiée à ma garde, et ce sont ses dernières paroles qui ont toujours dicté ma conduite. Après m'avoir parlé de ses projets,de ses espérances sur Adrien, alors un enfant comme toi : « Songe bien, ajouta notre mère, » mon cher Robert, songe que ma volonté n'engage pas la tienne,


FRÈRE ET SOEUR.

» et que tu restes seul arbitre de la destinée de ta soeur. Je vais » mourir, et te voilà désormais devant la M>ce que tu es depuis » longtemps à mes yeux, le chef de la famille. Tu devras aimer » Blanche plus encore que d'une affection fraternelle. 11 faut » que tu aies pour celte chère orpheline toute la tendresse, » toute la sollicitude, toute l'abnégation d'un père... Me le pro» mets-tu ? » Je ne répondis pas. Les larmes étouffaient ma voix... Je ne pus que serrer les mains de-la pauvre mourante; elle me comprit, je suppose... car l'instant d'après, toi et moi, Blanche, nous éclations en sanglots, après avoir vainement essayé de la rappeler à la vie. Sa belle et noble-figure nous souriait encore... Elle s'était endormie du dernier sommeil, confiante et bienheureuse dans les bras de ses deux enfants !

^Blanche appuie sa tête en pleurant sur le sein de sou frère. Il icprend après un

temps de silence.) Eh bien! celle parole que mon coeur a donnée sans qu'elle ail pu s'échapper de mes lèvres, cette parole, je l'ai tenue. Ma jeunesse repoussant à jamais toute autre pensée de joie, de bonheur ou de gloire, ma jeunesse s'est consacrée à toi loui entière, et je t'ai aimée comme elle l'avait voulu, je t'ai aimée comme un père aime sa fille, un père qui ne peut pas admettre que.femme et mère elle puisse jamais être aussi heureuse quelle l'a é-é enfant dans sa famille.' 11 tremble pour elle, pour son avenir, il se défie même du plus dévoué, du plus loyal des amis, qu'il va rendre responsable d'un bonheur qui lui est plus cher que le sien... Enfin, il a peur... Oui, j'ai peur à cette pensée de mariage... Une seconde vie qui va commencer pour toi, Blanche, et que je voudrais voir aussi belle, plus belle encore que la première... Voilà ce que je ressens, ce que j'éprouve, et ce qui semblerait étrange, impossible à tout homme de mon âge, parce qu'un père seul peut le comprendre.

BLANCHE.

Je le comprends aussi, moi... car je sais par ca^iir tout ce qui se passe en toi, Robert... niais je suis rassurée. Tu l'as bien dit tout à l'heure, Adrien est le plus loyal, le plus dévoué de tous les hommes, et son coeur est noble comme le tien.

ROBERT.

Je le crois.

BLANCHE.

Je suis fière aussi de l'avoir entendu me répéter qu'heureuse, grâce à toi, je t'avais rendu une partie de ce bonheur, que la vie t'avait semblé douce avec moi... car nous ne serons pas séparés. Adrien me l'a dit... j'ai sa promesse.

ROBERT. '

Depuis quand?

BLANCHE.

Depuis hier au soir.

ROBERT.

Je ne vous ai pas quittés d'un seul instant.

BLANCHE.

11 me l'a dit tout bas... Ce nom de frère que tu voudrais lui disputer encore, il le prend très au sérieux, lui. Il t'admire et il t'aime, et il veut absolument qu'en France ou dans notre patrie, nous vivions ensemble, toujours ensemble, en famille.

HOIÏEIIT.

Vraiment! en famille!

BLANCHE.

Tiens! tu peux le lui demander, le voici.

iiouEirr. Tais-loi, laisse-moi garder un instant encore avec lui ma dignité de père et de tuteur.

SCÈNE VI.

BLANCHE, ROBERT, LE BARON ADRIEN ADRIANI, puis ANTÉNOR.

ADRIEN, serrant, la main de Robert et «'inclinant devant Blanche*

Cher comte... Mademoiselle!...

ROBERT.

Vous voilà donc, monsieur, et il faut vous accueillir à bras ouverts, quoique vous arriviez terrible et ponctuel comme une échéance.

ADRIEN.

C'est vrai, monsieur le comte... mon ami... mon frère.

ROBERT.

Là... voyez-vous?... déjà.

ADRIEN.

Oh ! je veux être avec vous maintenant un créancier inexorable, et je vous mets en demeure de tenir votre parole. Songez-y donc... siiis-je trop exigeant? après un an de voyages forcés, pendant lequel vous avez voulu garder votre soeur auprès de vous en m'éloignant d'elle!...

ROBERT.

Rlanclie n'avait que dix-sept ans.

(î.e Carçon reparaît et remonte la scène.)

ADRIEN.

Elle en a dix-huit maintenant (regardant Blanche), et je la trouve

encore plus belle! (Pendant ce temps, Robert a sonné ci le Garçon est entré.)

Ah ! j'avais oublié qu'on dînait...

ANTÉNOR, reparaissant.

Monsieur a sonné?

ROBERT.

Servez maintenant.

ADRIEN.

C'est que j'ai dans la tête une préoccupation si importante!

ROBERT.

Laquelle?

ADRIEN.

Le choix de la corbeille ! Je veux mettre à contribution toutes les industries parisiennes.

ROBERT.

J'ajouterai, moi, les deux joyaux traditionnels de nos mariages de famille: le chapelet de bois de myrte et le poignard de Claudia, deux reliques.

ADRIEN.

Ah ! voilà une histoire de poignard que j'ai toujours voulu apprendre et que toujours on m'a laissé ignorer.

ROBERT.

Ce n'est pas lc moment. Allons nous mettre à table.

ADRIEN.

Mais nous ne sommes pas servis, et puis si le dîner arrive, vous renverrez la suite au prochain numéro.

ROBERT.

Eh bien, mon cher baron, c'est tout simplement une chronique de notre île... elle remonte au siècle dernier, lors des luttes sanglantes de l'indépendance corse contre la tyrannie de Gènes.

ADRIEN.

Eh bien ?

ROBERT.

Mon grand-père, partisan dévoué de Paoli, défendait contre les Génois le fort de San-Pellegrino; il fut tué dans une sortie, mais en y laissant sa veuve avec mon père au berceau. Les Génois recevaient tous les jours de nouveaux renforts; les Corses, découragés par l'inégalité de la lutte, parlaient de se rendre...

(Entrée d'Antéuor qui apporte le dîner.) SavCZ-VOUS Ct! que fit alûl'S la

veuve de mon aïeul?

ADRIEN.

Que fit-elle?

ROBERT.

Elle prit son enfant d'un bras et une torche de l'autre, elle descendit ainsi dans les caveaux de la tour où se trouvaient dix milliers de poudre, puis elle jura d'y mettre le l'eu au moment où un soldat ennemi poserait le pied sur les remparts...

ADRIEN.

Et alors?...

ROBERT.

Le général qui commandait les Génois fut informé de celte résolution héroïque; il aimait depuis longtemps noire aïeule Claudia Gialléri, comtesse de Sullauze; il olliit aux Corses de sortir de la citadelle avec les honneurs de la guerre si la comtesse de Sullauze consentait à l'épouser; et elle y consenlit. Elle lc suivit à l'autel pour tenir sa parole... mais elle se frappa F.VCC ce noble poignard pour ne pas appartenir à un Génois.

ADRIEN.

Je comprends que vous teniez à ce glorieux héritage.

ANTÉNOR, venant du cabinet de droite.

Monsieur est servi.

ADRIEN.

Me sera-t-il permis d'offrir la main à ma femme?

ROBERT.

Votre femme? attendez encore !

ADRIEN.

Enfin, vous permettez?

ROBERT, prenant le bras de Blanche.

Non, Adrien, non, ce n'est, que dans un instant que je vais prononcer mon oui formel et définitif... Laissez-moi prolonger le plus longtemps possible ma dernière heure de paternité.

(Robert, Blanche et. Adrien enlrenl dans le cabinet à droite. Immédiatement on voit sortir à pas de loup, du cabinet de gauche, Olympe, Vcrneuil cl de Sivry.)

SCÈNE VII. OLYMPE, DE SIVRY, VERNEUIL, ANTÉNOR, puis DE BRÉVAL.

DE SIVRY.

C'était son frère!


FRÈRE ET SOEUR.

S

OLYMPE.

Oui, mais elle a aussi un prétendu.

VERNEUIL.

Et un prétendu corse !

OLYMPE.

Toute une famille corse qui lui tombe sur les bras !

DE SIVHY.

Je suis furieux!

ANTÉNOR, entrant mystérieusement et s'approchant de lui.

Monsieur... monsieur... monsieur de Sivry.

DE SIVRY.

Hein! que veux-tu?

ANTÉNOR.

Comme toujours, j'ai entendu sans vouloir écouter, et je peux maintenant avoir l'honneur de vous répondre.

DE SIVRY.

Sur quoi? Parle plus haut, je n'entends pas.

ANTÉN0H, parlant très-fort.

Monsieur.... c'était son frère; mais elle a aussi un prétendu

corse.

DE SIVRY.

Va-t'en au diable !

VEHNEUIL.

Pauvre de Sivry !

OLYMPE.

Voilà une aventure biun vite terminée. Ah! ah! ah! je suis vengée.

DE SIVRY.

Taisez-vous donc, Olympe! on entend vos éclats de rire du boulevard.

DE BRÉVAL, entrant.

Ma foi, oui... je les ai reconnus, et je me suis empressé...

OLYMPE.

Monsieur de Bréval...

DE SIVRY.

Un ami...

VERNEUIL.

?Un maître!... C'est Richelieu qui donne la main à Lovelace.,

DE BRÉVAL.

Mes amis, je viens déjeuner avec vous.

OLYMPE.

Déjeuner à huit heures du soir !

DE BRÉVAL.

Je me lève.

VERNEUIL.

Heureux mortel.... ce n'est que la nuit qu'il commence à vivre.

DE BRÉVAL.

De père en fils nous ne connaissons pas la vie du jour, dans noire famille.... je tiens celte habitude de l'auteur de mes nuits... Mais qu'as-tu donc, de Sivry, tu parais triste?

DE SIVIIY.

Mais non...

OLYMPE.

Mais si...

VERNEUIL.

Je voudrais bien vous voir, vous, monsieur de Bréval, vous, le conquérant de toutes les beautés à la mode, je voudrais bien vous voir amoureux d'une Italienne.

OLYMPE.

Qui va épouser un Italien hérisse de poignards.

DE BRÉVAL.

Bah! j'en ai vu bien d'autres.

OLYMPE.

En Espagne?

DE BRÉVAL.

A Paris!

DE SIVRY.

Où lu as échoué devant une citadelle blonde de la rue Laffitte, à deux pas d'ici.

(Entrée du Garçon, qui apporte le diner du n°8 j il montre la fenêtre à gauche.) DE BRÉVAL.

Échoué... ma campagne ne commence que dans une heure.

DE SIVRY.

Et tu bats en brèche depuis six mois.

DE BRÉVAL.

Mais ma belle vicomtesse a obtenu le prix de vertu.

OLYMPE.

Sans garantie du gouvernement.

DE BRÉVAL.

Pardon ! la mairie du deuxième arrondissement la cite comme modèle à toutes les mariées dans son discours d'état civil.

DE SIVRY.

Allons, allons, tu feras bien de renoncer à elle.

DE BRÉVAL.

Jamais !

DE SIVRY.

Je le donne l'exemple. (Montrant le cabinet de droite.) Adieu à celte belle jeune fille.... Je l'aurais adorée demain, je puis encore l'oublier aujourd'hui.

OLYMPE.

Bravo! Il faut être philosophe, comme le renard des raisins

verts.

VERNEUIL.

Tu es grand comme moi... Quand je ne puis pas obtenir une femme, j'y renonce.

ANTÉNOR, rentrant.

Madame est servie.

DE BRÉVAL.

Allons déjeuner.

OLYMPE.

Qui m'aime me suive !

VERNEUIL.

Je vous aime.

DE BRÉVAL. Je VOUS SUis. (A de Sivry.) VlcilS-lU ? (ils entrent dans lc cabinet 4 gauche, moins de Sivry.)

DE SIVRY. Me VOilà. (il va pour les suivie.)

ANTÉNOR, lui parlant à l'oreille.

Monsieur!... il s'appelle le comte de Sullauze, il a une maison de campagne à Enghien, et le futur, le jeune Corse, adore sa fiancée, mademoiselle Blanche, qui est folle de lui.

SCÈNE VIII.

DE SIVRY, seul.

Folle de lui! folle de lui!... et je renoncerais à elle, moi !... Non, l'obstacle même... et les railleries de mes amis me feraient persister dans mes projets, dans ma résolution. (Écoutant à travers la cloison à droite.) Le jeune homme parle... il fait ses projets d'avenir... Oh!...comme il se promet d'aimer sa femme!... sa femme!... Et elle!... elle l'aime aussi!... Que sa voix est douce! que d'amour dans cette voix !... Oh ! ce bonheur est intolérable !... je suis furieux !... je suis... je suis jaloux !

SCÈNE IX.

DE SIVRY, DE BRÉVAL.

DE BRÉVAL, une serviette à la main.

As-tu perdu la tête ou l'appétit? nous t'attendons. (Tout en

parlant ainsi, il marche vers le balcon de gauche et regarde avec agitation.) DE SIVRY.

Je suis à vous, je calculais une différence... J'ai acheté, à soixante-quatorze, douze mille... je perds un franc vingt centimes.

DE BRÉVAL, quittant le balcon.

Écoute, de Sivry... tu n'es pas sincère avec moi.

DE SIVRY.

Comment?

DE BRÉVAL.

Ton sang-froid est un mensonge, et je ne te crois pas.

DE SIVRY.

Mais... de Bréval...

DE BRÉVAL.

Tu penses toujours plus que tu ne voudrais à ta jeune Italienne.

DE SIVRY.

Que dis-tu ?

DE RRÉVAL, tout en regardant du côté du balcon.

Depuis que je suis là, tes yeux n'ont pas quitté cette porte...

(il montre la droite.)

DE SIVRY.

Comme les liens n'ont pas quitté celle fenêtre, d'où tu peux, apercevoir les rideaux de la belle vicomtesse.

DE RRÉVAL.

Je ne dis pas non, je ne veux pas mentir à l'inslanl où je t'accuse de manquer de franchise.


6

FRÈRE ET SOEUR.

DE SIVRY, lui montrant le balcon.

Cette fe.sme, tu l'aimes donc bien? ? . - .

DE BREVAL.

Sais-je ce que c'est que d'aimer? Est-ce notre coeur, est-ce notre volonté même qui nous lance dans ces folles intrigues à travers lesquelles nous vivons l'un et l'autre depuis dés années ? Esl-ce le bonheur, est-ce le plaisir que nous y rencontrons jamais? la vanité, le triste orgueil d'inscrire sans cesse un nom de plus sur la liste de nos maîtresses.

DE SIVRY, tirant de sa poche un petit portefeuille très-élégant.

Oui, sur cet agenda.

DE BUÉVAL, en tirant un absolument semblable.

Oui, sur celui-ci.

DE SIVRY.

Les deux jumeaux.

DE BRÉVAL.

Bah!... ils ont eu bien des frères peut-être depuis que notre chère Olympe de Beau treillis... A cette époque, Françoise Duval, du nom très-obscur de son père, s'est avisée d'en offrir un pareil à chacun de ses privilégiés.

DE SIVRY.

On le dit.

DE BREVAL.

Doux échange de procédés délicats... on lui fait présent d'un cachemire de mille écus.

DE SIVRY.

Ou d'une parure de deux mille.

DE BREVAL.

Et elle vous donne un petit portefeuille de dix francs.

DE SIVRY.

Les petits cadeaux...

DE BRÉVAL.

N'entretiennent pas l'amour... Depuis l'agenda je ne crois plus à Olympe.

DE SIVRY.

Ni moi non plus.

DE BRÉVAL.

Eh bien, cher ami... ce portefeuille-là, c'est notre destinée... C'est peut-être notre perte à tous les deux...

DE SIVRY.

Notre perte !

DE BRÉVAL.

J'en ai peur... j'ai un pressentiment là, etles pressentiments ne me trompent jamais... Oui, lc métier d'homme à bonnes fortunes est misérable, je me le dis souvent, je n'attends que malheur de celle vie, et cependant, je la poursuis toujours ! Et. ce soir, sans amour peut-être, mais avec la ferme volonté de réussir, j'irai chez ma belle vicomtesse, et demain... demain... j'inscrirai ses initiales sur mon agenda.

DE SIVRY', reprenant son agenda.

El moi aussi, demain, je veux...

DE BRÉVAL, lui arrêtant la main.

N'en fais rien, crois-moi, prends au sérieux la parole dite légèrement par toi, tout à l'heure, renonce.

DE SIVRY.

Et toi?

DE BRÉVAL.

Moi?... il est trop tard!... (Regardant le balcon.) Cette femme, tout Paris sait que depuis six mois je lui fais une cour assidue, et qu'elle me dédaigne.

DE SIVRY.

Je te comprends C'est de là que vient ta grande passion,

l'obstacle, l'impossible Comme moi!...

DE BRÉVAL.

Toi!... c'est bien différent Tu es au début d'une aventure, et moi je touche au dénoùment.

DE SIVRY.

Qui sait?

DE BRÉVAL, poussant un cri étouiïé en regardant du côte du balcon.

Ah ! j'en suis sûr à présent.

DE SIVRY.

Comment?

DE BRÉVAL.

Ce volet qu'elle vient d'entr'ouvrir.

DE SIVRY.

. Eh bien?

DE BRÉVAL.

Cela m'annonce...

DE SIVRY.

Quoi donc?

DE BRÉVAL.

Cela m'annonce que le mari vient de partir... tandis que toi, le frère et le prétendu sont toujours là.

DE SIVRY.

C'est vrai, c'est vrai, toujours!...

' DE BRÉVAL.

Crois-moi, de Sivry, il est-temps encore, suis mes conseils et non pas mon exemple... Adieu !...

(il sort par le fond.)

SCÈNE X.

DE SIVRY, puis le comte DE SULLAUZE, BLANCHE, ADRIEN, ANTÉNOR.

DE SIVHY.

Ail revoir!... 11 triomphe!... et moi!... (Regardant adroite, la

porte s'ouvre.) LCS VOÎCÎ!... (il se jette vivement derrière un rideau d'où on ne

cesse de lc voir pondant la scène suivante. Robert de Sullauze, sa soeur et- Adrien

sortent du cabinet de droite. Anténor les précède.)

ROBERT, à Anténor.

Faites avancer ma voiture.

ANTI^OR, montrant une porte â pan coupé au 2e plan du côté droit.

Par là, monsieur le comte.

(il sort du côté qu'il indique.) BLANCHE.

Que je suis heureuse !

ADRIEN.

Que je vous rends grâce !.

ROBERT, souriant.

J'ai donc fini par dire oui ?...

BLANCHE.

Si, tu l'as dit, mon frère !

ROBERT.

Le moyen de le résister à toi !...

BLANCHE

Je n'ai rien demandé.

ROBERT.

Non, tu m'as embrassé; c'est ta manière d'obtenir.

BLANCHE, l'embrassant.

Mon bon frère... non, mon bon père.

ROBERT.

Là!... qu'est-ce que je vous disais !... Eh bien ! oui, Adrien, mon cher Adrien, le comte de Sullauze vous donne franchement et irrévocablement sa parole un mois avant le mariage. Amenez-moi votre mère, et je fixerai le jour avec elle.

ADRIEN, à Blanche.

Ma mère, comme elle vous aimera!...

BLANCHE.

Je l'espère bien!...

ANTÉNOR.

Monsieur le comte.

ROBERT.

Adrien, le bras à... à ma fille!... à votre femme!

ADRIEN. Enfin ! (ils sortent par la porte de droite au deuxième plan. Lc Garçon sort par le fond, et, au même moment, Vcrneuil et Olympe rentrent en scène par la gau^Mc, tenant à la main chacun un verre de Champagne.)

SCÈNE XI. DE SIVRY, OLYMPE, VERNEUIL.

DE SIVRY, quittant lc balcon.

Sa femme!...

OLYMPE, riant.

Eh bien! oui, sa femme!... A leur bonheur!

VERNEUIL. A leur postérité !... (olympe et Verncuil trinquent cn«emble, boivent et remettent leurs verres sur une table.)

DE SIVRY.

Olympe!.... Verncuil!...

OLYMPE.

Ah ça, mais vous êtes fou, mon cher, vous avez oublié de dîner... C'est donc un amour très-sérieux? je vous plains !...

(Elle rit.)

VERNEUIL, riant de même.

Et moi aussi!... Belle Olympe, je suis sûr qu'on en est au troisième acte de l'opéra.

OLYMPE.

Nous gagnerons les deux premiers.

VERNEUIL.

Mais votre toilette ?

OLYMPE.

Nous gagnerons les trois derniers.

VERNEUIL.

Nous arriverons pour voir baisser lc rideau, (A de srrry.) Bonne chance, de Sivry!...

OLYMPE.

Adieu, perfide; je laisse au poignard de Claudia le soin de

ma vengeance. (Elle sort, en riant, par lc fond avec Vcrneuil./.


FRÈRE ET SOEUR.

SCÈNE XII. DE SIVRY nul, puis BRÉVAL.

DE SIVRY.

Le poignard de Claudia... Eh!... que me feraient les dangers, les obstacles, si je pouvais espérer?... Oh! c'est du délire, de la folie... mais j'espère!... Bréval, je suivrai ton exemple, et non pas les conseils; à quelque prix que ce soit aujourd'hui, aujourd'hui même je la reverrai, j'espère, parce que je

veux... Partons!... (ttn coup de pistolet dans la coulisse.) Un COUp de feu,

de la fumée à cette fenêtre ! serait-il arrivé quelque malheur à Bréval? Ces pressentiments dont il parlait? Non!... le voilà... il traverse la rue... il revient, (crevai entre.) Commetuespâle! tu te

SOUtiensàpeine...Qu'as-tudonC?(llaremonlé virement la scène. La porte

en fouds'est rouverte. DoBréva! parait sur le seuil ; il est très-pale, chancelle, et vient

appuyer sa main sur le dos d'un canapé. De Sivry recule avec un effroi involontaire.)

DE BRÉVAL.

Ce que j'ai? Je... je meurs!

DE SIVRY.

Bréval, mon ami !

DE BRÉVAL.

Je te l'avais dit, c'est un métier misérable... que le nôtre... tôt ou tard... un châtiment... j'ai le mien!...

DE SIVRY.

Ton châtiment!...

DE BRÉVAL.

Le mari... il était là... et... dans sa colère...

DE SIVRY.

Eh bien?

DE BRÉVAL. Regarde... (il lui montre sa poitrine ensanglantée.) DE SIVRY.

Du sang!... un meurtre!...

DE BRÉVAL.

Légitime!... J'ai une mère!... s'il se peut qu'elle ignore... Tiens, quand on va venir, que personne ne trouve sur moi... celte honte!... ce recueil d'infamies... (n lui remet son agenda.) Et.

loi, n'oublie pas... (il pousse mi cri et tombe.) Ah!

DE SIVBYj courant à une sonnette et la secouant avec force.

Bréval! mais du secours, mon Dieu! du secours!... (Bréval

revient à lui.)

DE BREVAL, relevant la tète et faisant un dernier clVoit.

Inutile... perdu!... ma mort est juste... adieu!... (u meurt. -

Anténor, plusieurs Garçons et d'autres personnes entrent de tous les côtés. On se croupe autour de Bréval mort et de Sivry qui lc soutient dans ses bras.)

ACTE II.

A Engltien, à. la villa de Robert, comte de Sullauze. - Le théâtre représente un appartement donnant par trois portes vitrées au fond sur un parc, au milieu duquel, très en évidence, un grand chûne. A droite du spectateur, au premier plan, une porte conduisant à la chambre de Blanche. Au deuxième plan, do ce mCino côté, un secrétaire. A gauche, au premier plan, une cheminée ; au deuxième plan, en pan coupé, une alcôve avec des rideaux formés. Tables et canapé sur le devant de la scène.

SCÈNE PREMIÈRE.

FABRICIO, ZANETTA. Zanclta range dans l'appartement, Fabricio entre par lc fond. ZANETTA.

C'est vous, Fabricio ?

FABRICIO.

J'apporte ces deux lettres pour monsieur le comte.

ZANETTA.

Monsieur le comte est auprès de sa soeur... Il la veille toutes les nuits avec moi.

FABRICIO.

Pauvre jeune fille!

ZANETTA.

Nous vivons ici comme dans un tombeau, toujours les grilles elles volets fermés!... Aussi la maison est d'un triste, d'un triste depuis un mois...

FARR1C10, préoccupé.

Oui, depuis cette matinée où j'ai trouvé mademoiselle évanouie là-bas, au pied de ce chêne !

ZANETTA.

Justement lc lendemain du jour où notre jeune maître avait fini par consentir r>. son mariage... Vous voilà rêveur, Fabricio, que supposez-vovi ?

FABRICIO.

Moi, je ne suppose rien. «

ZANETTA.

Je me rappelle que souvent, en Corse, par les belles nuits,

mademoiselle ne craignait pas de se promener aussi dans le parc, autour du château.

FABRICIO.

Oui, mais ici, nous ne sommes pas au pays. Les environs peuplés de Paris pourraient offrir plus de danger qu'i les campagnes désertes de la Corse.

ZANETTA.

Silence! voici, monsieur le comte.

FARIUCIO, à pari.

Par mon saint patron ! je ferai ce que je dois... je me déciderai à parler avant ce soir. (i.e comte entre )

SCÈNE II.

LES MÊMES, ROBERT. Le comte entre, pâle et abattu et va s'asseoir sur lc canapé.

ROBERT.

Elle s'est assoupie enfin, après une nuit de fièvre et le délire... J'ai pu la quitter un instant, ma pauvre soeur !...

ZANETTA.

Monsieur le comte !

ROBERT, brusquement.

Que me voulez-vous ?

ZANETTA.

Que monsieur le comte me permette de lui faire observer que tant de veilles épuiseront ses forces.

ROBERT.

C'est bien !

ZANETTA.

Et que monsieur le comte pourrait s'en rapporter à moi seule pour avoir soin de mademoiselle.

ROBERT.

C'est bien, merci, Zanclta, pardonne-moi ma brusquerie, jesouffre tant '....Chère Blanche ! d'où peut venir cet état de langueur et d'anéantissement complet de ses facullés? Lit cause de cet affreux malheur, qui me la dira? Elle avait la jeunesse, la fortune, la beauté ; sa vie s'était écoulée calme el paisible ; l'avenir s'ouvrait devant elle souriant et sans nuages ; ses rêves déjeune fille, elle allait les voir s'accomplir, sa poésie nuptiale réalisée; elle allait accompagner à l'autel le fiancé de son choix, le préféré de son coeur... puis, un soir, elle reste seule, dans le parc, suns que nous ayons remarqué son absence ; ne se promenait-elle pas ainsi maintes fois en Corse, sous les vieux pins qui environnent le château?... Et le lendemain, Fabricio la trouva évanouie au pied de cel arbre... Le froid de la nuit de ce climat, si différent du nôtre, l'avait-il saisie cl glacée? Tu m'appelles, Fabricio, nous parvenons à la ranimer, mais son oeil morne se fixe sur moi, sans me reconnaître... elle m'écoute sans m'entendre, el, depuis un mois, je suis un étranger pour elle, moi, son frère, moi, qui lui ai donné toute ma vie !... Ah ! vous m'avez vu pleurer, mes amis, c'est encore alors que je souffre le moins...

FARRICIO.

J'oublie que j'ai deux lettres pour monsieur le comte.

ROBERT.

Des lettres!... Qui peut m'écrire?...Que m'imporle le monde entier maintenant?

FARRICIO.

L'une porte le timbre d'Ajaceio.

ROBERT, l'ouvrant.

Ah! d'Adrien ! 11 m'annonce qu'il sera bientôt de retour avec sa mère, qu'il arrivera presque aussitôt que cette lettre. FA uni cio. Qui est arrivée depuis hier au soir, monsieur.

ROBERT.

Il va revenir et trouver sa fiancée dans cet état que nous voulons cacher avec tant de soin. Fabricio?...

FARRICIO.

Monsieur?...

ROBERT.

La consigne ordinaire ne suffirait pas pour lui... Que l'on dise au baron Adriani que nous venons de partir, ma soeur et moi; un voyage indispensable et imprévu aux frontières d'Allemagne, vous m'entendez.

FABRICIO.

Oui, monsieur le comte.

ROBERT.

Et cette autre lettre? donnez!... Ah ! du médecin! Le résultat de la consultation d'hier... Grand Dieu!

FABRICIO.

Monsieur !...

ROBERT.

Celle langueur, cette léthargie leur paraît une maladie mortelle, un cas désespéré!... désespéré!...


FRÈRE ET SOEUR.

ZANETTA, à Fabricio.

Regardez, Fabricio... M. le comte ne pleure pas en ce moment.

ROBERT.

Et tout à l'heure encore, en me désolant à l'idée qu'elle était folle, je m'écriais qu'il ne pouvait pas m'arriver un plus grand malheur. Ah! je ne savais pas ce que je disais ! On revient de la folie, on ne revient pas de la tombe, (EU ce moment, on entend

sonner la cloche de la grille. Robert se lève.) Ah ! qui pCUl Venir?... Adrien,

peut-être... Courez vile, Fabricio... trop tard, le voici ! (Adrien

entre vivement.)

SCÈNE III. ADRIEN, ROBERT, FABRICIO, ZANETTA.

ADRIEN, courant, emlirasse le comte.

Mon cher comte!...

ROBERT.

Adrien !...

ADRIEN'.

Eh! oui, c'est moi, malgré toutes vos consignes! vos gens affectaient de ne pas me reconnaître. 11 m'a fallu déclinermes noms, prénoms et. qualités... Le baron Adrien Adriani, fiancé de mademoiselle Blanche de Sullauze. Où esl-elle?... mon ami, où est-elle?

LE COMTE.

Blanche?... mais...

ADRIEN.

Mais ait fait, je n'y songe pas !... elle ne doit pas être encore visible... Comment donc ! j'arrive à Paris à sept heures du malin, et, presque immédiatement après, je tombe chez vous à Liighien de toute la vitesse du chemin de 1er. Le moyen de me retenir, quand je n'ai pas reçu de vos nouvelles depuis un mois! 11 faut que je vous en fasse les reproches les plus graves!... n'avoir répondu à aucune de mes lettres !

ROBERT.

Moi?... au contraire, je vous ai écrit plusieurs fois.

ADRIEN.

Plusieurs fois?

ROBERT.

Par la voie de Marseille.

ADRIEN.

C'est inexplicable !

RORERT.

J'adressais mes lettres à votre oncle, que je chargeais de vous les faire parvenir.

ADRIEN.

A mon oncle?... mais voilà un an qu'il demeure à Toulouse ! et vous ne le saviez pas?

RORERT.

Mais non.

ADRIEN.

Je vous pardonne alors... Et, en attendant que je puisse voir ma chère Blanche, je veux me faire annoncer... d'une façon galante pour son mari, (A Fabricio.) Allez chercher dans ma voilure, et apportez ici ce que vous trouverez.

ROBERT.

Quoi donc?

ADRIEN.

La corbeille de mariage... el d'autres présents de ma mère et de ma famille.

FARRICIO, à part.

Pauvre jeune homme !

RORERT.

Allez, Fabricio... (rins bas à Fabricio.) Mais laissez-moi le temps

de lc désabuser. (Fabricio et Zanclta sortent par lc fond.)

SCÈNE IV. ADRIEN, ROBERT.

ADRIEN.

Je n'ai pas besoin de vous dire qu'aujourd'hui même j'aurai le bonheur de vous présenter ma mère. Comment manqueraitelle de venir assister à mon mariage ? Quant à moi, je n'ai pas été le maître de mon impatience... Pardonnez-moi... j'arrive chez vous à une heure tellement matinale!... C'est que je me considère déjà comme étant de la famille, comme l'enfant de la maison.

ROBERT, lui prenant la main.

Sans doute, mon cher Adrien !

ADRIEN.

Et puis... c'est que votre soeur ne saura jamais à quel point je l'aime! 11 est. des choses que j'oserais à peine lui dire!... Savez-vous que là-bas, en Corse, je parlais à tout le monde de

mon amour, de ma passion?... C'était un tort, j'en conviens, mais que voulez-vous, quand le coeur déborde, la bouche parle à Finsu de la raison... 11 s'est trouvé là un ami, un railleur, un diseur de bons mots, un célibataire incurable... Il a prétendu que chez moi comme chez tant d'autres, le mariage glacerait l'amour, le mari étoufferait l'amant... Là-dessus, rixe italienne chauffée au soleil corse ; nous nous disputons en ennemis intimes; nous nous battons pour rendre hommage aux préjugés, je blesse mon adversaire d'un coup d'épée, nous nous serrons cordialement la main, et l'honneur du mariage est vengé.

ROBERT.

Voilà bien votre vivacité irréfléchie ! Vous exposer ainsi pour un simple propos !

ADRIEN.

Mon Dieu!... vous avez quelques années de plus que moi... et peut-être ne comprenez-vous plus ces choses-là, mon cher comte. Me dire en face que je pourrais cesser d'aimer Blanche ! La vie me paraît trop courte pour que ma constance puisse être un mérite ou une épreuve... Et tenez, s'il faut vous l'avouer, en m'unissant éternellement à elle, une seule pensée vient mêler son amertume à mon bonheur... (Entrée de Fain-Mo.) C'est l'horrible pensée que Dieu pourrait me reprendre celle que vous me donnez ! c'est l'égoïste pensée que je pourrais exister encore quand elle ne serait plus...

ROBERT, à part. 0 Ciel! Comment lui dire?... (Fabricio et Zanclta reviennent, Zanclta apporte des cartons et Fabricio une corbeille de mariage.)

SCÈNE V. ROBERT, ADRIEN, FABRICIO, ZANETTA.

FABRICIO, au comte.

Sait-il maintenant?

ROBERT, à Fabricio el Zanclta.

Non... je n'ai pas eu le courage de parler...

ADRIEN.

Eh bien! approchez, mon cher comte... Regardez! croyezvous que votre soeur sera contente?... Voyez ces étoffes,"ces écrins..

ROBERT.

Du goût le plus exquis...

ADRIEN.

Ah! pour la première fois de ma vie, j'ai compris le bonheur d'être riche... pour pouvoir parer la femme que l'on aime.

ROBERT, lui serrant la main.

Mon cher Adrien!...

ADRIEN.

Appelez-moi votre frère!... ou si vous le voulez, votre fils... quoique ce nom de père ne soit pas encore de votre âge; mais pour la raison, vous avez vingt années de plus que moi, et puis, ne m'avez-vous pas dit cent fois que vous aimiez Blanche comme votre fille ?

ROBERT.

Oui, comme ma fille!... (A pan.) Nous serons deux pour la pleurer...

ADRIEN.

Et vous me permettez de revenir dans deux heures, n'est-ce pas?

ROBERT.

Sans doute, mon cher Adrien, (A part.) Je retarde malgré moi l'instant de lui faire partager ma douleur.

ADRIEN.

Ainsi, c'est convenu, dans une heure et demie.

ROBERT.

Allez, Fabricio, accompagnez monsieur le baron...

ADRIEN.

Au revoir, mon ami, j'ai votre permission, je reviens dans

Une heure... (Adrien sort avec Fabricio par le fond.) ROBERT.

Toi, Zanetta, il y a trop longtemps que nous l'avons laissée... Va vite... va, cours la rejoindre... (zaccita sort par la droite.)

SCÈNE VI.

ROBERT, seul.

Tant de joie ! tant de bonheur ! je n'ai pas eu la force de les détruire avec un mot ! Pauvre Adrien ! il n'apprendra que trop toi la fatale nouvelle qui doit lui briser le coeur. Blanche condamnée, abandonnée par les médecins ! Oh ! ils ne savent donc pas que j'aurais donné ma fortune tout entière pour la sauver... te je la verrai mourir dans mes bras!... Ma main lui fermera


FRÈRE ET SOEUR.

les yeux !... Avant moi elle ira retrouver celle qui est là-haut, et qui, en nous faisant ici ses derniers adieux, l'avait confiée à ma garde... Non! Dieu ne le permettra pas!... 11 aura pitié de mes souffrances, de mes prières, de mes larmes! Il lui laissera la vie, du moins, après l'avoir privée de la raison... cl je pourrai la voir encore vivante à côté de moi... Et toute ma vie el toutes mes heures appartiendront à la pauvre folle, comme elles ont appartenu à la jeune fille heureuse. Parfois du moins dans sa folie, je la verrai me sourire... Je me dirai qu'à force de soins et de tendresse... je parviendrai à ranimer en elle cette âme, qui fut pendant si longtemps inséparable de la mienne, et que le ciel, peut-être, n'aura pas voulu anéantir... Je me dirai que du moins elle me reconnaîtra, elle me tendra la main, et, à force ?d'illusion, je pourrai me croire encore heureux... (il tombe sur un

?siège en sanglotant. Blanche entre soutenue par Zanclta.)

SCÈNE VII. ROBERT, BLANCHE, ZANETTA.

ROBERT.

C'est elle ! (se lovant.) Oh ! que la science des hommes l'abandonne, je lui reste, moi ! Viens, viens, ma soeur ! (n la prend des

mains de ZanelLa et la fait approchcrde lui.)

ZANETTA.

Elle a voulu venir dans cette chambre, qui lui rappelle le souvenir de sa mère... (sortie de zanctta.)

BLANCHE.

Qui donc es-tu?

ROBERT.

Regarde! ne me reconnais-tu pas?... Je suis ton frère, ton frère qui t'aime !

BLANCHE.

Non... non... personne ne peut m'aimer... je n'ai pas de frère...

ROBERT.

Blanche ! au nom du ciel !...

BLANCHE.

Laisse-moi... je ne puis plus entendre qu'une seule voix au monde... celle de ma mère...

ROBERT.

Blanche ! Blanche ! écoute-moi.

BLANCHE.

Blanche !... oui... j'ai connu une jeune fille de ce nom.

ROBERT.

Rappelle-toi...

BLANCHE.

Oh ! je n'ai rien oublié, rien... Je me rappelle jusqu'à ce conte de ma nourrice... une légende corse... Le Brigand et la Jeune Fille...

ROBERT.

Celte vieille légende...

BLANCHE.

Par un jour de mai, brillant de lumière,

Du bois de sapins qui couvre les monts,

Le brigand sortit, et sur la lisière

11 vint cheminer du pas des démons.

Pourquoi son oeil sombre, au même instant brille?

Qu'a-t-il aperçu, marchant vers le bois?

Un ange du ciel, une jeune fille,

Priant et chaulant de sa douce voix.

Jeune fleur d'amour, jeune fleur vivante,

Elle s'avançait le coeur tout joyeux...

Et, dans un regard rempli d'épouvante,

Le bandit fatal la suivait des yeux.

Va, chemine ainsi, pauvre jeune fille,

Tes plus beaux trésors sont les yeux charmants;

Avec ton panier, va sous la charmille,

El garde les fleurs, ou les diamants.

C'est, ce qu'il disait au fond de son âme.

Une idée horrible a brûlé son l'roni,

Sa lèvre frémit, son oeil noir s'enflamme;

Quand il est tout seul, le crime est bien prompt!

Aux coeurs innocents toujours le ciel donne

Le secours sauveur qu'on n'attendait pas;

Sous un chêne vert la sainte Madone

Du Corse bandit arrête les pas.

11 reste immobile, el sur la prairie

11 laisse passer la timide entant;

11 la voit marcher vers sa métairie;

L'enfer est, vaincu, le ciel triomphant.

Rentre dans Ion bois, rien ne neuf atteindre

L'angélique front que le ciel défend. Le val est désert, le jour va s'éteindre; La sainte Madone a sauvé l'enfant!...

(niant avec égarement.) Ah! ah! voilà ce qu'on me racontait dans mon enfance!

ROBERT.

Voyons, Blanche, ne me repousse plus... reconnais moi

ou, si cela est impossible encore... tâche au moins de rassembler d'autres idées... Regarde autour de toi...regarde bien cette chambre...

BLANCHE.

Cette chambre?... Oh! je la reconnais bien... et cette alcôve...

ROBERT.

Souviens-toi, souviens-toi...

BLANCHE.

Cette alcôve!... (Après un temps, en poussant un cri.) 0 ma mère ! ma mère !

ROBERT.

Elle se souvient!...

BLANCHE.

Ma mère! c'est là que pour la dernière fois tu m'as embrassée! c'est là que pour la dernière fois tu m'as bénie! (niant tout à coup du rire de la Mie.) Ah ! ah ! on me l'a dit aussi dans mon enfance : C'est un gage de bonheur que la bénédiction d'une mère. Ah! ah! je suis heureuse, moi, je suis...je suis heureuse, moi...

ROBERT.

Heureuse !

BLANCHE.

Assurément!... Vois plutôt!... la preuve, c'est que je ris toujours! Ah! ah! ah! je ne pleure jamais!...je voudrais pleurer, que je ne le pourrais pas... Oh ! que je soutire !

ROBERT.

Ma soeur, ma pauvre enfant!

BLANCHE.

Une larme, mon Dieu! faites-moi verser une larme; tout mon sang pour une larme! ;

ROBERT.

Mon Dieu, si elle doit toujours souffrir ainsi, n'ayez pitié que d'elle et ôtez-la-moi !

BLANCHE.

J'étouffe, j'étouffe dans cette salle!...

ROBERT.

Viens, viens respirer dans lc jardin, (il lui prend le bras, nianche,

en allant aux portes du fond, recule avec un cri.) BLANCHE.

Oh! ce chêne!...

RORERT.

L'arbre au pied duquel elle a été trouvée évanouie.

BLANCHE, regardant au fond épouvantée.

Voyez-vous, voyez-vous ce spectre?... Arrière, démon de la nuit, arrière!...

ROBERT.

Comment tirer de ces ténèbres un rayon de lumière?... quelle image offrir à ses yeux?... Ah! peut-être celte corbeille

de mariage... (il met la corbeille sous les yeux de Blanche.) BLANCHE.

Ah! la belle corbeille de mariage!... elle est à moi, celte corbeille... je me marie aujourd'hui... voilâmes dentelles, mes cachemires, mes bijoux... Oh! la belle corbeille!... mais il y manque quelque chose !

ROBERT.

Que veut-elle dire?

BLANCHE, cherchant dans la corbeille.

Je ne l'y trouve pas!

ROBERT.

Que cherchc-t-elle ainsi ?

BLANCHE, cherchant encore. OÙ CSl-il? OÙ est-il?... (Elle regarde de toutes parts, fixe ensuite les yeux sur le secrétaire, court, l'ouvrir, et. en lire, un poignard.) Le VOÎCi ! le poignard

de Claudia... le poignard que m'a légué ma mère!

ROBERT, avec un mouvement pour le lui arracher.

Grand Dieu! celte arme...

BLANCHE. :

Ce devait être aussi mon présent de noces !

ROBERT.

Blanche! ma soeur!

BLANCHE.

N'approchez pas ! Laissez-le-moi ! laissez-le-moi !... Je sais bien de qui je suis la. fiancée... A moi le voile, noir, à moi la couronne de verveine! Je suis la fiancée de la mort... Je veux, je dois mourir!...


10

FRÈRE ET SOEUR.

ROBERT.

Malheureuse!...

BLANCHE.

0 manière! n'esl-ce pas toi-même qui me l'ordonnes?... Je vois ton ombre... j'entends ta voix... Tu me dis: Ma fille, ma pauvre fille, reviens... reviens à moi... rappelle-toi celle nuit fatale...

ROBERT, ne perdant pas de vue la main de sa soeur qui presse toujours convulsivement le poignard contre sa poitrine. Cette nilit fatale !... ÉcCUlOnS. (illa regarde, elle demeure un instant immobile.)

BLANCHE.

Je l'entends... je l'entends toujours, ma mère... C'est toi, c'est toi qui, de là-haut, me redis ce! le légende dont fut bercée mon enfance... «Reviens, reviens à moi, ma fille, carie bandit s'est levé pour toi dans les ténèbres. » ?

ROBERT.

Le bandit?...

BLANCHE.

Mais lu n'as pas eu de Madone pour le sauver loi!... Tu vois

bien qu'il faut que tu meures!... (Eu achevant ses mots, elle dirige le poignard vers sa poitrine. Robert jette un grand cri et toiobe aux genoux de sa soeur en lui retenant, la main. .Blanche s'arrête, le regarde fixement, laisse tomber le poignard el se jette dans les bras de son frère en fondant en larmes.) Ail! niOîl

frère!...

ROBERT.

Elle me reconnaît!... Les larmes lui ont rendu la raison!...

BLANCHE.

Ah ! laissez-moi pleurer... Les larmes, c'est la rosée du ciel!

(Elle éclate en pleurs.)

ROBERT, I embrassant encore, Blanche, comme frappée d'un souvenir et d un dernier accès de voi'lige, s'arrache avec une sorte d'effroi îles bras de Robeit, mais la voix el les regards de celui-ci la rappellent vers lui.)

Ma pauvre soeur! ma fille!...

BLANCHE.

C'est vous... C'est toi, c'est bien toi, mon frère, qui me'presscs dans tes bras, sur ton coeur?...

ROBERT.

C'est moi, moi qui mêle mes larmes aux tiennes.

BLANCHE.

Frère, qu'ai-je dit dans mon délire?... Je me souviens. Ah ! Dieu a mis en loi le don de seconde vue, cl lu me crois, n'esl-ce pas? et au nom de notre mère, tu me pardonnes?...

ROBERT.

Te pardonner, malheureuse enfant! l'innocence, la vertu la plus pure, n'a pas besoin de. pardon, (rabricio entre.)

SCÈNE VIII.

' ROBERT, BLANCHE, FABRICIO.

FABRICIO, entrant vivement.

Monsieur le comte! monsieur le comte!

ROBERT.

Qu'est-ce donc?

FABRICIO.

M. le baron qui revient!

BLANCHE.

Adrien?

ROBERT.

Tu peux faire entrer, (i-ai.riom smi.)

BLANCHE, voulant se retirer.

Adrien, mon Dieu'... Comment paraître devant tui?...Ah! mon frère! laisse-moi, laisse-moi partir.

ROBERT.

Non, tu dois être là, seenr, pour confirmer ce que je vais lui dire... Demeure,jc te demande un suprême efl'orl de courage... No t'éloigne pas, je t'en supplie, ne l'éloigné pas.

SCÈNE IX. BLANCHI:, ROBERT, ADRIEN.

ADRIEN, entrant et voyant de loin Blanche qui, les yeux fixés, s'appuie convulsivement sur le bras «le son fière et n'ose regarder celui qui s approche.

La voilà... c'esl elle!... (A îinben.) Pardon, mon ami, pardon, si j'ai devancé encore l'heure; permettez-moi de ne pas m'en repentir, puisque je suis assez heureux pour... Mais que vois-je, mademoiselle ! cette pâleur?

RORERT, très-froidement.

Monsieur le baron...

ADRIEN.

Ce ton cérémonieux?

ROBERT.

C'est celui que je dois prendre pour vous annoncer... que ce mariage est impossible.

ADRIEN, reculant.

Impossible! Ah! comte, ne vous faites pas un jeu démon amour !

ROBERT.

Je vous le répèle, ce mariage est impossible...

ADRIEN.

Quoi! lorsque ce matin encore, vous m'avez accueilli comme votre frère?

ROBERT.

C'est que, ce matin, je n'ai pas eu la force de vous dire ce que je vous dis maintenant.

ADRIEN.

Non... je ne puis croire encore...

ROBERT.

11 le faudra, cependant... lorsque je vous prierai de reprendre ces présents de noce...

ADRIEN.

Les reprendre, monsieur?

ROBERT.

Je serai alors obligé de vous les renvoyer.

ADRIEN.

Est-ce bien vous que j'entends? Je reste foudroyé, anéanti! En quoi donc m'avez-vous reconnu tout à coup indigne de la main de votre soeur?

ROBERT.

Ne m'interrogez pas, monsieur...

ADRIEN.

C'est donc mademoiselle Blanche que j'interrogerai... elle dont le silence en ce moment ..

ROBERT.

C'est un silence, qu'elle ne rompra que pour vous dire comme moi...

BLANCHE, lentement.

Ce mariage est impossible...

ADRIEN.

11 est donc vrai! je n'en puis douter... C'est elle-même qui me le dit... eljc me croyais aimé!... aimé!... Ah ! malheureuse ! je vous aime encore, moi !... je vous aime tellement, que j'accuse le destin, la fatalité, le monde entier, plutôt, que vous, mademoiselle. Je vous aime de faut d'amour, qu'en vous disant un adieu... éternel peut-être... je trouve dans mon coeur déchiré plutôt le désespoir pour moi... qu'un reproche pour vous! (s'inciinant.) Monsieur le comte, mademoiselle, je me relire en me demandant encore si vous n'allez pas me rappeler... Non, non... pas un mot, pas un signe!... 11 y a dans tout ceci un secret affreux... que mon désespoir même respecte... Monsieur le comte, vous êtes trop cruel pour moi en ce moment, vous devez être juste... cl vous me direz un jour ce secret, si ma douleur me laisse vivant... (n sort.)

SCÈNE X.

ROBERT, BLANCHE.

BLANCHE.

11 est parti! un instant de plus, et j'ai cru que je serais tombée morte devant lui...

RORERT.

Ce n'est plus de lui qu'il faut parler, soeur, mais de l'autre...

BLANCHE, avec angoisse.

Ah!...

ROBERT.

L'autre... l'infâme... quiesi-il?

BLANCHE.

Ah ! mon frère, je n'ai retrouvé ma raison que pour comprendre l'excès de mon malheur...

HUBERT.

Réponds! parle! son nom?...

BLANCHE.

Je l'ignore...

ROBERT.

Un signe seulement, un indice...

BLANCHE.

Rien! je ne sais rien... C'est horrible à penser... Cet homme serait dans la même maison que moi, dans la même chambre que moi... à côté de moi... devant moi... je ne pourrais pas le reconnaître... (rain-icio entre.)

RORERT.

Et cependant, par le ciel, il faudra bien que je le trouve !

SCÈNE XI. BLANCHE, ROBERT, FABRICIO.

FABRICIO, s'approchnnt de son maille et lui parlant à mi-voix.

Monsieur le comte... il y a un mois, dans la matinée du seize juin, parmi les hautes' herbes, au pied de cet arbre, j'a


FRÈRE ET SOEUR.

11

trOUTÉ ce portefeuille... (il rcmcl ;> Robert un agenda pareil à ceux qu'on a vus au premier acte.)

ROBERT.

Ce portefeuille!... je saurai à qui il appartient...

BLANCHE.

Mon frère! qu'allez-vous faire? qu'allez-vous tenter?...

ROBERT.

Je ne sais ce que je ferai pour te venger, ma soeur, mais je jure que je te vengerai... C'est moi qui dois seul poursuivre, découvrir et châtier le coupable! A moi d'ouvrir les yeux pour le reconnaître, d'étendre le bras pour le saisir!... A moi d'être dans cette affaire le juge qui instruit el le. bourreau qui frappe... (prenant.sa s cour dans sè~s îuas.) Prie seulement Dieu pour qu'il m'inspire... pour qu'il m'éclaire !... A moi de devenir lc justicier de mon honneur.

ACTE III.

Le théâtre représente une vue prise au bal Mabille. Bosquets illuminés avec les verres de couleur. Tables et chaises dans les bosquets.

SCÈNE PREMIÈRE. ANTÉNOR, DANSEURS ET DANSEUSES, HABITUÉS DU BAL MABILLE,

CONSOMMATEURS, fj.e rideau se lève à la (in d'un quadrille; des cmiples de danseurs traversent le théâtre an fond. Des groupes de consommateurs sont assis aux tables sur le devant de la scène. Aiilénor va et vient à droite el à gauche, portant des glaces et des rafraîchissements.)

LES CONSOMMATEURS, à droit..

Garçon !

ANTÉNOR.

Yoilà l'orgeat demandé !

LES CONSOMMATEURS, a gandic.

Garçon !

ANTÉNOR.

Voilà les glaces demandées!

PLUSIEURS VOIX, en scène et dans la coulisse.

Garçon! garçon! garçon !

ANTÉNOR.

Voilà ! voilà! Je suc à grosses gouttes! Diable! je me fatigue plus ici tpie dans un restaurant du boulevard. 11 me tarde que l'été soit lini pour rentrer à laiU'atson d'Or.

PLUSIEURS VOIX, plus Tort qu'avant.

Garçon! garçon! garçon ! garçon !

ANTENOR.

Voilà ! voilà !... Comment répondre à tant de monde à la fois ?

(il sort. Olympe, Flora et C.ainien entrent de différents côtes. Les tables se dégarnissent, cl. les consommateurs disparaissent pendant la scène suivante.)

SCÈNE II. OLYMPE DE BEAUÏRE1LLIS, FLORA, CARMEN.

OLYMPE, à part.

Je ru 1 le vois plus !

FLORA, à part.

Où se cache-t-il ?

CARMEN, à part. Je ne le trOUVC donc pas? (Pendant, cette scène, quelques éclairs, le bruit du tonnerre, mais très-cloigiic.)

FLORA.

Tiens ! Carmen, Olympe !

OLYMPE.

C'est vous, mes amies ! Vous venez encore à Mabille ?

FLORA.

Le jour du bon ton, le samedi... Mais toi-même. Olympe?

CARMEN.

Tu attends sans doute monsieur de Sivry ?

OLYMPE.

Oh! mes pauvres enfants, vous n'êtes guère au courant; monsieur de Sivry est devenu un homme impossible.

TOUTES DEUX.

Comment ?

OLYMPE.

11 n'est plus le même. Autrefois, vous le savez, c'était un coureur d'aventures, l'amant des amours faciles... ces dandys sont si paresseux!

FLORA.

Et avec cela, d'une indiscrétion, d'une vanité...

CARMEN.

Divulguant tous les secrets qu'on avait le malheur de partager avec lui.

OLYMPE.

Enfin, monsieur de Sivry était un de ces hommes qui aimeraient mieux n'avoir aucune femme et laisser croire qu'ils les ont toutes, que de les avoir toutes et laisser croire qu'ils n'en ont pas... Aujourd'hui, révolution complète : il est discret, réservé, grave dans son maintien, sévère dans ses discours... ii a des moeurs el des principes maintenant.

FLOUA.

Lui?

CARMEN.

Depuis quand ?

OLYMPE. Depuis... (Tonnerre au lointain. Olympe tressaillant et s'arrêtanl.) Oll !

l'orage !

CARMEN.

11 est bien loin.

l-LORA.

Ce n'est rien, continue. Monsieur de Sivry a des principes depuis...

OLYMPE.

Trois mois environ ! Nous avions dîné ensemble ou plutôt dîné sans lui... à la Mai son-d'Or... Le lendemain, changement. complet. Ce n'était plus le même homme: grave comme un habit noir, empesé comme une cravate blanche... Aussi, je vous en réponds, nous ne le verrons pas à Mabille.

CARMEN.

C'est ce qui te trompe ! Regarde !

FLORA.

Oui! le voilà avec son ami, maître Verncuil! (»e sivry entre

donnant le bras à Veineuil.)

SCÈNE III.

DE SIVRY, VERNEUIL, OLYMPE DE BEAUTREILL1S, FLORA, CARMEN.

OLYMPE.

Monsieur de Sivry, est-ce bien vous?

FLORA.

Olympe a de. la peine à en croire son lorgnon.

OLYMPE.

Vous à Mabille?

VERNEUIL.

Oh ! il est venu presque malgré lui, entraîné par mon éloquence.

DE SIVRY.

Je me sens d'ailleurs parfaitement en garde contre cette fausse gaieté des bals publics.

VERNEUIL.

Contemplez-le, mesdames! Quelle allure austère! Ne diraiton pas qu'il sollicite de vous un certificat pour obtenir le prix de vertu?

FLORA.

C'est à ne pas le reconnaître !

OLYMPE.

Voyons, monsieur de Sivry, soyez franc! d'où vous est venue celle belle conversion? Je vous ai laissé amoureux d'une Italienne, et...

DE SIVRY, tressaillant.

Que voulez-vous dire ?

OLYMPE.

Oui, une jeune Corse, dont vous ne connaissez pas même le nom...

DE SIVRY.

Taisez-vous !...

OLYMPE.

Mais vous étiez bien déterminé, malgré son frère cl son prétendu... et même malgré le poignard de Claudia...

DE SIVRY.

Mais taisez-vous donc, mademoiselle !

LES DEUX AUTRES FEMMES.

Le poignard de Claudia?

VERNEUIL, avec mystère.

De Sivry n'aime pas qu'on lui rappelle ce souvenir, je ne sais pas pourquoi... mais chaque fois que je lui en parle...

DE SIVIIY.

Cela m'est fort indifférent, je vous assure... vous oubliez toutefois que j'annonçai formellement alors mon intention de renoncer à cette fantaisie... El maintenant, si vous tenez absolument à connaître la véritable cause de ce changement qui vous étonne en moi, je ne vous cacherai rien.

OLYMPE.

Dites-nous tout de suite.


12

FRÈRE ET SOEUR.

VERNEUIL.

Pour nous édifier !

DE SIVRY.

Je ne vous ferai pas un récit, je me bornerai à citer un fait. J'avais en quelque sorte un émule eu dévergondage brillant, en cynisme de bon ton; il s'appelait le marquis de Bréval. Vous avez tous tressailli à ce nom, c'est que vous vous rappelez sa fin tragique. Il l'a trouvée dans un boudoir, c'étaient là nos champs de bataille, el il devait être frappé, lui, là où nous avions conquis l'un et l'autre noire déplorable célébrité. Bréval est mort dans mes bras, el si la punition a été pour lui, la leçon a rejailli sur moi.

OLYMPE.

Oui, il y avait là de quoi vous impressionner...

DE SIVRY.

Sans compter la suite.... Verneuil, tu t'y es trouvé mêlé.

VERNEUIL.

Comme avocat! oui, mesdames; la mère de monsieur de Bréval se porta partie civile après la mort de son (ils, et voulut poursuivre celui qu'elle appelait son meurtrier. Grâce à toi, de Sivry. je fus choisi pour plaider celle grande cause... J'en étais lier, c'était mon début au barreau, mon premier plaidoyer!... et je croyais avoir la partie belle.... le vicomte de Chaulnes, le mari accusé, refusait de m'opposer un avocat; il tenail à venir se défendre lui-même à la barre du tribunal. Je fus étourdissant d'entrain, de vivacité et d'énergie ; mais en dépit de toute mon éloquence, ce hardi criminel, ce monstre coupable d'avoir tué ramant de sa femme, fut acquitté à l'unanimité. Ce n'est pas ma faute. Je jury était composé d'hommes mariés.

OLYMPE.

Ce qui fait, que vous avez échoué pour votre début.

VERNEUIL.

J'ai échoué avec éclat.... Voici en quels termes les journaux parlent de moi... (n tire nu journal.) «Maître Verneuil a essuyé un échec aussi brillant qu'incontestable; c'est, un homme détalent qui prendra sa revanche... » Permettez, mesdames, que je vous offre à chacune un exemplaire de ma plaidoirie.

(il donne un journal a chacune des trois femmes.) FLORA.

Il en a fait collection.

CARMEN.

Et il la porte toujours avec lui.

OLYMPE.

Merci, maître Verneuil, je vous promets de ne pas la lire.

DE SIVRY.

Eh bien! mesdames, votre curiosité est-elle satisfaite?... J'ai assisté tour à tour à la mort de mon ami et à ce procès scandaleux pour sa mémoire, n'est-ce pas assez pour que je ne sois pi us le même, et pour que je renonce, comme me le conseillait Bréval peu d'instants avant sa mort, au triste métier d'homme à bonnes fortunes?

FLORA.

C'est une conversion décidément sérieuse.

OLYMPE.

Monsieur de Bréval est. mort, pleurons monsieur de Sivry!

CARMEN.

Une larme à sa mémoire!

VERNEUIL.

Et je me charge de son oraison funèbre « Il était une fois

un successeur de Lovelace...»

^Lcs trois femmes font un mouvement d'clfroi, et bu mettent la main sur la bouche.) OLYMPE.

Assez... Si vous prodiguez ici votre éloquence, il n'en restera point pour vos clients.

VERNEUIL.

Méchante!

OLYMPE.

Mais puisque vous voilà devenu, monsieur de Sivry, ce modèle de sagesse précoce que nous admirons; puisque vous avez vieilli de. vingt ans en trois mois, que venez-vous donc faire à Mabille?

DE SIVRY.

Je viens... tenez, c'est l'ami Verneuil qui me l'a conseillé, je viens chercher un acquéreur pour ma petite maison.

OLYMPE.

Ah ! la maison de la rue. Cassette, ce délicieux séjour qui date de la fin de la Régence, et qui fut témoin de tant de charmantes aventures.

DE SIVRY.

Vous comprenez qu'une pareille demeure ne peut plus être

la mienne, que je dois songer à m'en défaire, et qu'ici j'ai quelque chance de trouver...

VERNEUIL.

Tous les acquéreurs... régence sont ici.

OLYMPE.

Il a raison... J'ai votre homme.

TOUS.

Comment?

OLYMPE.

Votre acquéreur, je le trouve, il est ici.

TOUS LES AUTRES PERSONNAGES.

Qui donc?

OLYMPE.

Mon Dieu! mesdames, vous avez dû le voir comme moi... un jeune et parfait gentilhomme, généreux comme un prince indien, à qui nous voterons, par acclamations, la présidence de nos fêtes, puisqu'il vous plaît d'abdiquer, monsieur de Sivry. C'est un être mystérieux el attachant comme une énigme qui ne dit pas son mot. 11 a en même temps une voix douce el sombre, il parle avec les yeux, avec le geste, avec les contractions de la main, avec les sourires de la lèvre; il parle même quand il se. lait. Le mystère l'enveloppe comme un vêlement. Personne ne le connaissait il y a une heure, et avant la fin de la soirée lout le monde le connaîtra. Nous sommes déjà une demi-douzaine dans le bal qui nous demandons s'il arrive d'Asnièies ou de Pondichéry.

FLORA.

Ce portrait...

CARMEN.

Je le reconnais.

TOUTES DEUX, ensemble.

C'est lui !

LES DEUX HOMMES.

Mais qui? lui!

OLYMPE.

Le marquis de Verrières, ou, si vous l'aimez mieux, le marquis Infernal, un surnom que je lui ai donné tout à l'heure, et qui lui restera, n'est-ce pas, mesdames?

VERNEUIL, à Flora et Carmen.

Vous le connaissez ?

FLORA.

Depuis une demi-heure.

CARMEN.

Moi, depuis vingt minutes.

OLYMPE.

J'avais l'avance sur vous.

VERNEUIL.

Et vous l'admirez?

FLORA.

Mais... je l'écoute.

CARMEN.

11 m'amuse.

OLYMPE.

Il m'intéresse et en même temps il me fait peur.

DE SIVRY.

Diable!... fixer l'attention de trois femmes telles que vous!... C'est donc un véritable homme supérieur!

(Éclairs et tonnerres plus rapprochés «piela première /o...) OLYMPE.

Ah! mon Dieu!... l'orage s'est rapproché.

VERNEUIL.

Un orage d'été!

OLYMPE.

C'est égal... je tremble toujours au bruit du tonnerre.

LES DEUX AUTRES FEMMES.

Et moi aussi !

(Eu même temps, à la lueur d'un éclair, Robert, comte de Sullauze, parait sous le nom du marquis de Verrières ; il est enveloppé d'un manteau douille de rouge ; lc reste de sa mise est d'une recherche extrême, d'une élégance outrée. 11 a une perruque blonde très-volumineuse et très-fripêc, de grands favoris, ce qui lui donne une physionomie toute dillercnle de celle des premiers actes el lc rend absolument méconnaissable. Il vient se placer cuire Olympe et les deux autres femmes.)

SCÈNE IV.

FLORA, CARMEN, OLYMPE, ROBERT, sous le non. de Verrières,

VERNEUIL, DE SIVRY.

ROBERT.

Rassurez-vous, belles dames, me voilà!

FLORA, CARMEN, OLYMPE, reculant toutes trois en poussant un petit cri.

C'esl lui !

ROBERT, riant.

Je vous ai fait peur, pardon ! la foudre qui gronde, l'éclair qui brille. Ah! ah ! j'arrive à point, helleOlympe, pour justifier le surnom dont vous venez de m'honorer.


FRÈRE ET SOEUR.

13

OLYMPE.

Expliquez-nous, monsieur le marquis... Qu'est-ce que vous m'avez dit ce soir?

FLORA.

Et à moi?

CARMEN.

Et à moi?

ROBERT.

La même chose à toutes les trois, vous êtes charmantes... Je cherchais les trois déesses de la fable, et puisque je les trouve réunies, plus galant et plus juste que Paris, je vous prie d'accepter trois prix de beauté.

CARMEN.

Trois!

FLORA.

Sans accessit ?

OLYMPE.

Et pas de pomme.

ROBERT, étendant la main.

Voilà le pommier... cueillez!

OLYMPE.

Trois bagues!...

VERNEUIL, à de Sivry.

C'est un progrès depuis Paris !

FLORA.

Le bel arbre! (Elle prend une bague.)

OLYMPE.

La belle branche ! (EIIC prend une bagua.)

CARMEN.

Le beau Irait! (Elle prend une bague.)

FLORA.

Quel homme adorable !

OLYMPE.

Je vous l'avais dit, ce n'est pas un homme, c'est un nabab!

CARMEN.

C'est une fée de l'Opéra... Mais la polka nous appelle.

(Ou entend le bruit de l'orchestre.) OLYMPE.

On nous attendra jusqu'à la suivante.

RORERT.

El pour vous faire prendre patience... (Appelant Anténor qui passe.) Garçon ! garçon ! des glaces pour ces dames.

ANTÉNOR.

Vanille, pistache, orange, citron? (il présente aux trois femmes la

carte des glaces.)

DE SIVRY.

Garçon, des cigares !

ANTÉNOR.

Voilà ! voilà! (n son.)

OLYMPE, bas à de Sivry.

Voire acquéreur, le voici... Permettez, messieurs, que je vous présente l'un à l'autre.

VERNEUIL.

Je réclame le même honneur.

OLYMPE.

Soyez tranquille, je commence par vous... Marquis de Verrières, maître Verneuil, jeune avocat de la plus haute espérance. (Verneuil saule Robert, avec beaucoup d'afl'ectation. Celui-ci, inclinant la îetc . .orgue tics-alleuliveincnl el en silence.)

VERNEUIL, à part.

Je crois que ma physionomie l'a frappé... Si je lui offrais un

exemplaire, (il lire à moitié de sa poche nu exemplaire de son plaidoyer. Robert, après un instant, fait, un sourire de dédain presque imperceptible et lui tourne le dos. Yeriicnil remet le papier dans sa poche.) ANTÉNOR.

Les glaces demandées ! les cigares demandés !

OLYMPE, en indiquant Robert à de Sivry et réciproquement.

A votre tour, messieurs... Monsieur de Sivry, monsieur de

Verrières, (ltobcit, reprenant sou lorgnon, regarde fixement aussi monsieur de Siviy, qui semble le; inspirer nu violent sentiment de répulsion.) 1)1". SIVRY, à pari.

Pourquoi me regardc-t-il ainsi?

ROBERT, lorgnant toujours et alTectanl de sourire.

Pardon, monsieur, n'ai-je pas eu l'honneur de vous rencontrer déjà chez la baronne de Gondreville, rue Taranne ?

DE SIVRY.

Non, monsieur, je ne connais personne dans celle rue. (itobcn.

regarde encore, puis sa physionomie indique qu'il ne connaît pas de Sivry et qu'il triomphe de l'aversion instinctive qu'il lui avait d'abord inspirée. 11 salue de nonveau <lc l'air le plus gracieux et retourne causer bas avec Olympe.) 11 a U11C

étrange manière de dévisager les gens.

VERNEUIL.

N'est-ce pas?... Aussi, je lui ai tenu tète, il a vu à qui il avait affaire et il m'a tourné le dos.

OLYMPE.

Mais, pour compléter la présentation, laissez-moi ajouter, monsieur le marquis, que monsieur de Sivry est un ermite qui se retire du monde... à telles enseignes qu'il est tout disposé à vendre sa petite maison.

ROBERT, revenant vivement à ce mol vers de Sivry.

Ah! une petite maison!

OLYMPE.

Style Louis XV, et que dans son bon temps, avant d'être l'homme sérieux et grave que vous voyez aujourd'hui, monsieur de Sivry appelait son pavillon de Hanovre.

ROBERT, observant toujours, tout en aff-elaul beaucoup de légèreté.

En vérité?... cette élégante et mystérieuse retraite où mousieur de Richelieu, notre maître à tous, abritait contre la colèn> des amants el des maris ses innombrables conquêtes.

VERNEUIL.

Le pavillon de Hanovre! je connais ça... c'est un tailleur qui a remplacé Richelieu.

ROBERT, de plus en plus gaiement, et fombovanl toujours île Sivry de son regard.

Vous avez lc bonheur de posséder une maison comme était celle-là, monsieur?

VERNEUIL.

Je l'ai vue, et je réponds d'avance qu'elle vous plaira, monsieur le marquis.

ROBERT, lui répondant vaguement sans perdre de vue de Sivry.

Ah ! vous croyez?

VERNEUIL.

Un vrai nid d'amour et machiné comme une pièce féerie, et puis des dessus déportes incendiaires, des boudoirs diaphanes, partout des amours de Boucher et des nymphes de Fragonard, une bonbonnière en marqueterie, en stuc et en palissandre, ou, comme on eût dit alors, le sanctuaire des Grâces, le temple delà Volupté, une succursale de Cythère, de Paphos et. d'Amathonte.

ROBERT, toujours à de Sivry.

Charmant, adorable en vérité, monsieur, et je vous en félicite. Mais de qui tenez-vous donc cette ravissante propriété?

OE SIVRY.

Un héritage d'un de mes oncles, commandeur de Malte, un des derniers hommes de ce siècle qui aient su porter l'habit à la française.

ROBERT.

Et vous voulez sérieusement.vous en défaire?

DE SIVRY.

Sérieusement.

ROBERT.

Pourquoi?

DE SIVRY.

Pardon, monsieur... si réellement vous étiez l'acquéreur que je cherche, je ne vous demanderais pas pourquoi il vous plairait de l'acquérir.

ROBERT.

Mais vous auriez tort, monsieur, car je n'hésiterais pas à vous répondre; quoi de plus délicieux au monde que de vivre au milieu du dix-neuvième siècle de la vie folle et voluptueuse que menaient nos aïeux en pleine Régence!

DE SIVRY.

Alors, je vous réponds à mon tour que j'ai fait essai de cette vie, qu'elle esl trompeuse autant, que coupable, et que j'y ai renoncé et que j'y renonce pour toujours.

ROBERT.

Sans jeter un regard en arrière!... Ah! monsieur! nous ne nous ressemblons pas... et j'éprouve, moi, qu'on ne refait pas sa nature; que, malgré nos suprêmes efforts pour en triompher, nos coeurs, nos sentiments, nos passions restent, toujours les mêmes. Non, je ne comprends pas qu'après avoir goûté de cette vie que vous dédaignez aujourd'hui, on puisse jamais y renoncer. Les moeurs de la Régence! Avoir toujours des bourses poulies soubrcLles et-des coups d'épée pour les jaloux! Avoir de l'agilité pour i'esealade, de l'élasticité pour les séjours forcés dans les armoires ou les ruelles, de la cruauté dans lc coeur, mais de la tendresse dans le sourire; jamais l'ombre d'une émotion, mais des larmes à volonté; employer tous les moyens, échelles de soie, fausses clefs, voilures fermées, enlèvements... employer... jusqu'à la violence et jusqu'à l'incendie... Le plaisir, et rien que le plaisir à travers tous les dangers el. lous les obstacles... Advienne que pourra, el après nous le déluge !... Celait la devise de nos aïeux.... cl morbleu! c'est, aussi la mienne!....

(Vivement à de Sivry.) La VlMl'C... allollS, COllVCllCZ-en doilC, 111011sieur,

111011sieur, votre devise?

DE SlVBY.

Non pas.

OLYMPE, montrant Robert.

Avez-vous entendu, mesdames?


n

FRÈRE ET SOEUR.

VERNEUIL.

Je l'admire, cet homme!... Monsieur, je vous admire; monsieur, JC Voudrais VOUS ressembler, (il veut lui serrer la main, de nouveau le comte lui tourne le dos avec impatience, puis il revient à de Sivry pour 1 observer encore: Celui-ci est demeuré tout à fait impassible.)

DE S1YRY. de 1 air le plus froid et le plus insouciant du monde.

J'ai le malheur de ne pas être de ton avis, mon pauvre Verneuil. Je ne veux pas m'ériger en moraliste auprès de M. le marquis de Verrières; mais j'ai envers lui un devoir de conscience à remplir, puisqu'il s'agit d'une alfaire en ire lui et moi, cl que c'est à propos de celte alfaire, du projet de vente de mon immeuble de la rue Cassette, qu'il a parlé avec tant d'enthousiasme de la Régence. Ces bonheurs qu'il vient de dépeindre, ce sont à mes yeux autant d'illusions el de mensonges... et je l'engage à bien réfléchir avant d'acheter ma maison.

ROBERT. C'est bien, monsieur, je réfléchirai, (il cesse de regarder de Sivry el paraît profondément découragé pendant, toute cette scène: on a pris des glaces el fumé des cigares.- Ici. on entend de nouveau lc bruit de l'orchestre.) OLYMPE.

Ecoutez! écoutez!... une scolisch irrésistible!

LES TROIS FEMMES. A la SCOtiscll! (Plusieurs jeunes gens paraissent au fond, cherchant des dan scuses.)

VERNEUIL.

Viens donc, de Sivry, lu pourras au moins regarder.

OLYMPE.

Et vous, monsieur de Verrières...

ROBERT.

Moi ! pardon, mon enfant, je me réserve pour la fin de la soirée, pour...

OLYMPE.

Ah! oui, je sais... pour le dernier galop, celui que Musard a ba.piisé du surnom que je vous ai donné... Marquis Internai; au revoir...

ROBERT.

Au revoir, ma belle marraine!

VERNEUIL.

Mesdames, l'archet n'attend pas... A la scolisch ! (sortie.)

SCÈNE V. ROBERT, seul, puis ANTÉNOR.

ROBERT.

Je suis seul cl je puis quitter mon masque de folie. Le marquis Infernal, moi !... Ah ! ah! ah! ris donc, pauvre frère à la recherche de l'infâme qui a déshonoré la soeur ! Trois mois ! trois mois! trois mois tout entiers de recherches inutiles! (Tirant

de sa poche l'agenda que Fabricio lui a rend- â ia lin de l'acte précédent.) Rieil

qui vienne dénoncer à ma fureur le misérable à qui appartient ce portefeuille, le misérable qui a écrit ces lignes honteuses, le récit, de toute une vie. de perversité el. de débauche! Ce portefeuille, impossible d.e trouver celui à qui il appartient... d'où il est venu... Chez les marchands, pas de réponse... on .-uppose qu'il vient d'une fabrique de Londres... voilà tout !... Je m'avise de retourner dans ce restaurant où j'avais dîné le quinze juin avec nia soeur el. Adriani... Je me dis que peut-èlre le crime part de cette maison... J'interroge, je veux savoir quelles personnes ont dîné ce jour-là dans ic cabinet, qui taisait l'ace au nôtre. La date du quinze juin frappe, en elfel, les maîtres de l'élablissenicnf ; mais ils ne savent, qu'une chose, c'est qu'à cette date, à huit heures du soir, un homme blessé mortellement dans une maison voisine est venu expirer dans leurs salons:

pour le l'CStC, ajOUtCllt-ilS... (ici, Anténor renn-c et se met â desservir les laides ou l'on a pris les glaces, lïoberl, sans le reconnaître on plutôt sans faire attention à lui, continue de parler en marchant avec hésitation.) « Polir le l'CStC,

le garçon de service pourrait seul vous renseigner, el, par malheur, ce garçon a quitté le soir même nuire établissement.; nous ne savons pas ce qu'il est devenu. »

ANTÉNOR.

Monsieur le marquis, ces glaces sont-elles à votre compte ?

ROBERT.

C'est bien, payez-vous.

ANTÉNOR.

Un billet de cent francs, je vais vous rapporter voire monnaie.

ROBERT, marchant toujours de plus en plus agile.

Je vais à la polico : « Monsieur, nie dit-on, nous trouverons «votre homme... rien n'est plus aisé, il y a chez nous des ?» limiers de génie. Nous aurons un faux dandy, un renard cou» vert de la peau du lion, el qui se faufilera dans toutes les

» sociétés douteuses, où la jeunes?c indiscrète et fanfaronne » chante ses victoires entre la flamme du punch et la fumée de « tabac... Qui sait? le vice est vaniteux, cl nous entendrons » peut-être raconter le crime par le coupable lui-même... c'est » presque toujours ainsi que nous prenons les voleurs. » J'ai refusé; mais, ayant trouvé l'idée bonne, j'ai voulu me servir à moi-même d'agent el de limier, et j'ai fouillé Paris dans tous ses recoins dorés, dans tous ses repaires fangeux et lustrés au vernis. Je me suis assis devant tous les la.pis"verls clandestins, où l'on biseaute les cartes el les femmes à huis-clos; je suis entré dans des réduits nocturnes interdits au soleil^ où des beautés frelatées ont des éclats de rire qui ressemblent à des sanglots; là, j'ai vu passer devant moi des haillons vrais, du velours faux, des faces badigeonnées, des IVmlômes à patente, des vieillards galvanisés, des jeunes gens octogénaires, dus parodies de l'amour, un monde hideux qui parle un argot enroué,, une langue d'alcool, el qui, en vous touchant, laisse sur la main, le froid glacial des reptiles. J'ai entendu des propos fous, des entretiens sans suite, des paroles oiseuses, des échos de tour deBabel, el je suis sorti en me demandant si Dieu nous a donné la jeunesse pour la vieillir à la minute en la boucanant dans un estaminet! Que de fois j'ai mesuré la longueur des foyers de théâtre! Dans ce flux ci ce reflux des enii-'acles où tant de paroles se croisent, tant de riens se disent, tant, de confidences éclatent, tant dcsccrcls se divulguent,dans ce concert du public OII les voix se niellent, au diapason criard des artistes, j'ai prèle une oreille avide, et je n'ai recueilli que le bruit des ièvies, Je plus slupidede tous les bruits. Pendant trois mois j'ai tenu dans nies mains tous les journaux du soir, avec l'intention de ne I inique des visages de passants, de ne connaître d'autre journal quï celui que parlaient, mes voisins. Jamais un mot, un de ces mots qui dorment, une idée, qui sont, les noms des chemins par où doit passer nia vengeance. J'ai entendu, j'ai entendu des misérables se vanter de beaucoup de mauvaises actions, mais pas un de celle dont, je poursuis l'auteur! J'ai appris les secrets dis autres el je ne sais pas le mien!... Souvent, tous les jours, je rencontre sur mon chemin un visage qui me déplaît, qui m'offusque, qui m'inïle, comme celui de ce monsieur de Sivry lotit à l'heure, el. je crois alors à l'instinct, à la Providence, au jugement, de Dieu... El rien ! rien! toujours rien!... Partout où je vais, une voix intérieure me crie : 11 doit èlre là, devant toi, il le heiirlc en passant, il le regarde en l'ace, il le parle peutêtre!... El je ne puis m'écricr : C'est lui! je ne puis pas le saisir avec une main de fer, le juger, le flétrir, l'écraser !... °u ' pas un rayon, pas un signe indicateur, pas même le doute ?:: conduit à la vérité!... Vous m'avez abandonné, mon Dieu . . mes forces me. trahissent, el. mon courage va défaillir... Sou;- nez-moi, mon Dieu! soutenez-moi ! (il tombe «mnne épuisé sur un

banc placé au pied d'un arbre. Anlrnor rsl rentré en scène, a achevé de desservir les glaces, puis se rappiocbe de Robert.) ANTÉNOR.

Monsieur le marquis, votre monnaie.

ROBERT.

Laissez-moi.

ANTÉNOR.

Pardon, monsieur le marquis, j'ai reçu de vous un billet de cent francs, et je n'ai à prendre que neuf francs cinquante centimes; en conscience, je ne peux pas...

ROBERT, que la voix du Garçon a fini pai frapper, el l'examinant.

Attends !... attends donc!... Cette voix... celle ligure... je te connais.

ANTÉNOR.

Je ne dis pas non, je suis très-connu dans tous les cafés et Ions les restaurants de Paris : à la Rotonde, au calé Anglais, aux Provençaux, chez Vachette, chez Philippe, et à la Maisond'Or.

ROBERT.

La Maison-d'Or !... oui, c'est là, c'est là que je t'ai vu pour la première fois le quinze juin.

ANTÉNOR.

Le quinze juin!... la veille de mon départ... vilaine soirée!... Unhomincinorl... jcvoiidrais l'oublier que je nelc pourrais pas.

ROBERT.

Écoule... Efforce-loi, en effet, de ne rien oublier... rassemble bien tous tes souvenirs.

ANTÉNOR.

Mes souvenirs sur la mort de ce monsieur?

ROBERT.

Eh! non, mais tu servais à la fois...

ANTÉNOR.

Deux cabinets, le numéro sept et le numéro huit, oui, monsieur le marquis.


FRÈRE ET SOEUR.

1o

ROBERT.

Te rappellerais-tu quelles pouvaient êire les personnes?

ANTÉNOR.

Qui dînaient dansle numéro sept?...parfaitement! Un frère et sa soeur, des étrangers, des Italiens... La soeur, belle comme un ange!... Le frère, un homme superbe... Tenez, de voire taille à peu près, et ù.vec eux, je crois, un prétendu.

ROBERT.

Non, non, ce n'est pas cela. En face?

ANTÉNOR.

Le numéro huit?... Pardicu! si je me souviens, des habitués éternels de la maison... Monsieur de Sivry, monsieur de Verneuil, mademoiselle Olympe de Beautreillis.

ROBERT.

Olympe ! de Sivry ! Verneuil !

ANTÉNOR.

Tous les trois ici, monsieur, tous les trois.

ROBERT, à lui-même.

Ici... oui, je les ai vus, je puis les revoir encore.

ANTÉNOR.

Vous dites, monsieur?

ROBERT.

Continue, mon garçon, continue... De Sivry, Verneuil, Olympe... Olympe de Beautreillis?

ANTÉNOR.

Oui, monsieur, jolie femme, très-distinguée, fille d'un portier, pianiste, écuyère, danseuse, élève du Conservatoire, etc. Son véritable nom, Françoise Du val.

ROBERT, s'écriant et regardant l'agenda.

Françoise Du val !

ANTÉNOR.

Olympe est son nom de théâtre à l'Hippodrome, et ses bonnes amies les plus mortelles lui ont donné le sobriquet de la Femme aux Agendas.

ROBERT, s'écriant.

Hein? que dis-tu? La Femme...

ANTÉNOR.

Aux Agendas!!.. Oui, monsieur le marquis, parce qu'on prétend qu'à son retour d'un voyage en Angleterre, elle en aurait rapporté une pacotille el qu'elle l'aurait distribuée à toute la France.

ROBERT.

. Qui dit cela?

ANTÉNOR.

La réclame scandaleuse. Mais, dans noire monde, il ne faut jamais croire que la trente-cinq niillionnièmc partie de ce qu'on dit. La vérité historique... je suis historien avant tout, monsieur... c'est au dessert que je surprends lotis les secrets; on ne ment jamais au Champagne... La vérité, c'est qu'elle adonné en loul el pour tout deux agendas : le premier à monsieur de Sivry...

ROBEBT, à part.

De Sivry! toujours, toujours ce nom!... (naut à Anténor.) Et le second, à qui?

ANTÉNOR.

Le second? Ah ! je ne sais pas.

ROBERT.

Plaît-il?

ANTÉNOR.

Au moment où j'écoulais... où mademoiselle Olympe, ou, si vous l'aimez mieux, mademoiselle Françoise Duvai allait nommer l'heureux possesseur du second portefeuille...

ROBERT

Eh bien?

CRIS dans la coulisse.

Garçon! garçon!

ANTÉNOR.

Tenez, comme à présent... On a appelé à tue-tête le garçon,

et j'ai été Obligé... (il rcmonle la scène.) ROBERT.

Un instant!

ANTÉNOR, revenant.

C'est juste! ils peuvent attendre, ceux-là; je reprends mon cours d'histoire. Monsieur, ces deux petits agendas, fabriqués à Londres, étaient ravissants... Un fermoir en or, deux coeurs entrelacés et une devise anglaise qui veut dire : Amour pour la vie, ou bien : Une chaumière et ton coeur... en anglais.

RORERT, lui mettant 1 agenda sous les yeux.

Comme cela?

ANTÉNOR.

Ah! vous aussi, monsieur... vous en avez un?... du même modèle!... monsieur. C'est un des deux... je parie une année

de mes gages qu'il n'y en a pas un troisième à Paris : de deux choses l'une : ou M. de Sivry vous a donné le sien...

ROBERT, voyant de Sivry qui parait au fond.

Tais-toi, M. de Sivry, le voici!... J'ai à lui parler, laissenous.

ANTÉNOR. . .

Votre monnaie, monsieur?

RORERT.

Garde-la et va-t'en.

ANTÉNOR.

90 francs de pour-boire!

ROBERT.

Veux-tu partir?

ANTÉNOR.

J'obéis,monsieur (A part). Ce n'esl pas le garçon qu'on paye, c'est l'historien.

NOUVEAUX CRIS.

Garçon ! garçon!

ANTÉNOR.

Voilà, voilà, voilà !

SCÈNE VI. ROBERT, DE SIVRY.

ROBERT, remontant la scène cl laissant passer '.'uvaut lui de Sivry qui ne le voit pas.

Lui! lui, peut-être !... el cette fois enfin, mes pressentiments ne m'auraient pas trompé.

DE SIVRY, descendant la scène el se parlant à lui-même.

Il n'est plus ici!... C'est singulier! Lc regard de ce jeune homme!... Depuis le quinze juin... foules les l'ois qu'un reil scrutateur se fixe sur le mien, j'éprouve une émotion étrange...

11 y a Une Conscience... (ttobcrl, descendant la scène, csl venu doucement poser la main sur l'épaule de Sivry, qui tressaille.) Ail! VOUS, VOUS, niOllsieur

niOllsieur marquis !

ROBERT.

Moi... j'ai pris mon temps, vous voyez, et suivant, vos avis, j'ai fait toutes mes réflexions, je suis fixé; vendez-vous? j'achète.

DE SIVRY.

Ah! vous y tenez?

ROBERT.

Absolument; la description qui m'a été faite de voire petite maison me décide, et je "veux,' dès demain, réunir mes amis el les vôtres dans ma nouvelle propriété.

DE SIVRY.

Dès demain ?

ROBERT.

Oh!... je suis expédilif en n flaires ; veuillez donc, je vous prie, me donner par écrit le prix de la maison, le nom et l'adresse de votre notaire.

DE SIVRY.

Mais, monsieur...

ROBERT.

Voyons, le garçon vous donnera ce qu'il faut pour écrire.

DE SIVRY.

Inutile... je vais vous donner tous les renseignements au

Crayon, (il lire un agenda de sa poche.)

ROBERT, étouffant un cri de surprise et tirant de son sein le premier agenda pour le comparer.

Ah! l'autre portefeuille!... enfin!... voyons toujours l'écriture, (il se penche sur l'épaule de Sivry; il compare avidement 1 écriture de Sivrv à celle qui est dans son agenda -, peu à peu son front s assombrit, et il dit avec

désespoir.) Non... non... ce n'est pas la môme main, ce n'est pas lui!

DE SIVRY', a'piè.s avoir écrit.

Voilà, monsieur; demain à midi, j'aurai l'honneur de vous attendre rue Casse!le, et de là, mon tilbury nous conduira chez mon notaire, monsieur le marquis

ROBERT, s'inclinant. Monsieur ! (De Sivry s'éloigne. Olympe reparait d'un autre côté.)

SCÈNE VII. ROBERT, OLYMPE.

ROBERT.

Encore une fois déçu! à qui m'adresser maintenant?

OLYMPE.

11 achète la petite maison : décidément, c'est un marquis d'aujourd'hui digne d'être un marquis d'autrefois, (s'approcitant do lui.) A quoi rêvez-vous, monsieur de Verrières?

ROBERT.

Vous vous, mademoiselle ! enchanté de vous revoir, je vous attendais.


1G

FRÈRE ET SOEUR.

OLYMPE.

Vrai?

ROBERT.

Vous m'intéressez...

OLYMPE.

Moi, à quel titre?... Vous me connaissez à peine.

RORERT.

Si fait... je vous connais assez pour vous raconter toute votre vie.

OLYMPE.

Depuis quand ?

RORERT.

Depuis que vous riez toujours, depuis que vous avez cessé d'être heureuse.

OLYMPE.

Ah! c'est depuis longtemps, alors?

ROBERT.

Ecoutez plutôt ce qui vous est arrivé...

OLYMPE.

J'écoute.

ROBERT.

Vous éliez autrefois une heureuse el bonne fille, à... le pays n'y fait rien...

OLYMPE.

A Douai.

RORERT.

A Douai, soit... un jeune homme, monsieur... le nom n'y fait rien...

OLYMPE.

Julien Louvain...

RORERT.

Julien Louvain, soit, fil le semblant de vous aimer, et vous promit le mariage...

OLYMPE.

Allreux Julien!

ROBERT.

L'affreux Julien ne vous épousa pas...

OLYMPE.

Vous êtes sorcier...

ROBERT.

11 vous donna un dernier rendez-vous...

OLYMPE.

Et il ne vint pas...

ROBERT.

Alors, ma chère enfant, il vous était impossible de rester plus longtemps dans une ville de province. Trop de voisins médisants connaissaient votre aventure.

OLYMPE.

Et surtout trop de voisines.

ROBERT.

Un jour vous prîtes le chemin de 1er et vous vîntes à Paris, ville qu'on appelle à Douai comme partout...

OLYMPE.

Lc paradis des femmes...

ROBERT.

Vous étiez pauvre en monnaie courante, mais vous apportiez avec vous trois trésors qui appartiennent à la haute industrie parisienne: la jeunesse, l'esprit et la beauté... 11 fallait vivre, condition inexorable qu'on doit remplir.

OLYMPE.

Sous peine de mort.

ROBERT.

Vous avez trouvé bientôt dans votre hôlel garni...

OLYMPE.

Mon hôlel dégarni.

ROBERT.

Vous avez trouvé de bonnes amies qui se sont dévouées à votre misère, qui vous ont montré, dans un voisinage tentateur, la vie, le luxe, l'éclal, la fortune, el vous oui lancée dans un monde qui paye un sourire avec de l'or... Les bons instincts ont lutté en vous, el. longtemps, mais le fracas des hommages a lue votre réflexion : l'ivresse est venue, el. à votre réveil, vous aviez fait trop de pas sur la mauvaise loule; vous avez désespéré du retour, et vous avez cherché une vie de lièvre dans un cfourdisseme.nl de louie's les heures, smis le masque d'uni: triste gailé. Excusez ma hardiesse en vous racontant ainsi voire histoire, qui est l'histoire universelle de la jeune tille égarée; j'accuse les hommes, je ne vous accuse pas. je vous plains.

OLYMPE.

Ah! si je n'étais pas à Mabille, comme je pleurerais avec joie! Mais où voulez-vous en venir?

ROBERT.

Je continue. A voire arrivée à Paris, mademoiselle Françoise Dnval...

OLYMPE.

Il sait mon nom, mon vrai nom.

ROBERT.

A votre arrivée à Paris, deux de nos dandys à la mode sont parvenus, entre tous, à fixer votre attention et vos préférences, le premier, c'était...

OLYMPE.

Mais, monsieur...

ROBERT.

C'était cet ermite qui veut se retirer du inonde, monsieur de Sivry.

OLYMPE.

Qui vous l'a dit?

ROBERT.

Qui me l'a dit?... L'autre... le second...

Ah! vous l'avez connu?... monsieur de Bréval.

ROBERT. Bl'éval! Enfin, je Sais SOn nom! (ici Verncuil parait au rond du théâtre et lève la tête au nom do Bréval ; Robert, sans le voir, dit haut à Olympe.) Olli,

je l'ai connu... nous avons été fort liés... autrefois... mais je l'ai perdu de vue.

OLYMPE.

C'était votre ami?

ROBERT.

Mon très-grand ami... Où est-il, mon enfant? qu'est-il devenu?

OLYMPE.

Oh! mon Dieu! si vous l'aimiez tant, j'ai peur de vous apprendre...

ROBERT.

Parlez, mademoiselle, parlez donc... Qu'est devenu ce monsieur de Bréval?

SCÈNE VIII. LES MÊMES, VERNEUIL.

VERNEUIL, s'avançant et tirant do sa poche le journal.

Lisez ma plaidoirie, marquis.

ROBERT.

Comment?

OLYMPE.

Oui, lisez.

VERNEUIL.

Belle dame, je venais vous rappeler votre parole: cette valse, vous me l'avez promise.

OLYMPE.

Me voilà; au l'ait, j'aime mieux une valse que votre plaidoyer.

ROBEBT, parcourant le journal.

Mort!... Il est mort celui qui a perdu ce portefeuille; il est mort, el ma vengeance ne peut plus s'adresser qu'à une tombe! Ma pauvre soeur. Ah! qu'ai-je lu? Monsieur de Bréval esl mort le quinze juin, à huit heures du soir... Huit heures... il n'était donc pas à minuit, à Engliien... Mort le. quinze juin, à huit heures du soir, à la Maison-d'Or, cl. dans les bras de monsieur de. Sivry!... Ali! j'espère encore, mon Dieu! tu ne m'as pas

abandonné! (Musique joyeuse, air de galop très-vif et très-tiiiiiiveii.onlû.

Rentrée de lous les personnages de l'acte.)

SCÈNE IX. ROBERT, SIVRY, VERNEUIL, OLYMPE, FLORA, CARMEN.

CRI LÉNÉRAL.

Le galop infernal! le galop infernal!

1T.0RA.

Entendez-vous, monsieur le marquis?

CARMEN.

On vous demande, on vous réclame!

FLORA.

C'est 1.' dernier galop.

OLYMPE.

Le galop infernal... el vous avez promis?

RORERT.

Pardon! ce soir, il m'est impossible d'èlre des vôtres.

TOUS.

Comment! impossible?

ROBERT.

Je vous demande grâce jusqu'à demain! demain, je prendrai ma revanche. Monsieur de Sivry, el vous aussi, maître Verneuil, el vous aussi, mesdames Olympe, Carmen, Flora, j'aurai l'honneur demain, à minuit., de vous attendre dans ma petite maison de la rue Cassette... un souper Régence...

OLYMPE.

Le souper d'inauguration! Viendre/.-vous? (i.es cinq persnnnajci

invités saluent llnb.ut.)


FRÈRE ET SOEUR.

V:

SIVRY.

Demain, à minuit, rue Cassetle.

LES AUTRES PERSONNAGES. Demain, à minuit, rue Cassette. (Robert serre la main de monsieur de Sivrv connue peu: lui dire qu'il compte sur lui, et. il s'éloigne lentement en saluant les autres personnages.^

CRI GÉNÉRAL, après sa sortie. Ali C'alop ! ail galop! (Tous les personnages restés en scène dansent un grand galop infernal.)

ACTE IV.

Un salon dans 1B style de Louis XV, Irès-élégant. Luxe énorme de fleurs et de bougies, de meubles, de sofas, etc.

SCÈKE PREMIÈRE. FABRICIO, QUATRE DOMESTIQUES, en grande livrée.

FABRICIO, aux Domestiques.

Vous m'avez bien entendu, des fleurs sur l'escalier, une illumina lion brillante, un souper splendide, six couverts à minuit... cl surtout les meilleurs vins à profusion. Allez, je vous donnerai plus tard les dernières instructions pour celle nuit, (sortie, des domcsUtpios. l'abriein seul.) J'ai fait tout ce que mon maître a ordonné. Je l'ai fait sans le discuter, sans le comprendre... J'ai obéi en aveugle, niais je me demande parfois si c'est bien luimême qui me commando... ou si Dieu,-qui a rendu la raison à sa soeur, ne l'a pas frappé à son tour, lui, de vertige et de délire !...

RLANCI1E, dans la coulisse.

Laissez-moi!... laissez-moi ! J'entrerai, vous dis-ja !

FABRICIO.

Ali '. mademoiselle Blanche!

SCÈNE II. BLANCHE, FABRICIO.

FABRICIO.

Vous, dans cette maison !

BLANC!!'-..

11 n'y est pas, fui? Je veux le voir, je veux parler à mon frère...

FABRICIO.

Au nom du ciel, plus bits! plus bas! Et, je vous en supplie, mademoiselle, éloignez-vous. Pardon, c'est en pleurant (pie je. vous le demande, éloignez-vous, ce n'est pas ici votre place.

BLANCHE.

C'est. la sienne, et je veux l'attendre... Quelle .maison!... Et c'est lui qui l'habile... On y prépare une fêle... el c'est lui qui l'ordonne!... lit dans quel moment, grands dieux!...

FARRICIO.

Mademoiselle...

BLANCHE.

Oh ! laisse-moi, Fabricio, je resterai... Je ne partirai pas sans l'avoir vu, lui... C'est que je ne puis vivre plus longtemps, voistu, dans cet élatd'incerlilude el d'anxiété. 11 me. resta il. du moins une loi absolue dans le dévouement de mon frère. Eh bien, si celle croyance doit, être brisée... mieux vaut que ce soil aujourd'hui, à l'instant. Oui, je connaîtrai enfin le secret de ses continuelles absences... à lui, lui qui pendant de longues années avait vécu, pour moi seule, je demanderai s'il m'a déshéritée de sa tendresse, de son all'eclion ; à lui, qui a juré de me venger, je lui demanderai comment il lient sa parole...

I-ABRII'.IO.

Demandez-lui donc, mademoiselle, carie voici!

SCÈNE II!. LES MÊMES, ROBERT.

BLANCHE.

Le voici !... Ah ! comme il est. pâle !... comme il est triste!... 'foute ma résolution s'en va... Pourquoi suis-je venue?... Ce n'est pas ainsi que je m'attendais à le revoir, (r.lle a remonté la

seeno. Robert a passé lentement et tristement devant elle sans la voir.) RORERT.

Fabricio... lu m'as obéi?

FARRICIO.

En tout point, monsieur le comte.

ROBERT.

Tu as élé à Engliien?

FARRICIO.

Oui, monsieur le comte; j'ai rendu visite de votre part à notre vieille fermière. Je lui ai remis l'agenda, que j'avais trouvé aux pieds de cet arbre le seize juin.

BLANCHE.

Qu'entcnds-je?...

FABRICIO.

Elle a promis d'aller le porter à la jeune dame dont le nom est inscrit en tète de la première page.

ROBERT.

Françoise Dnval; bien, je le .remercie... Et notre iétc?...

FARRICIO.

Tout, est prêt.

ROBERT.

Va, mon ami, mon vieux el fidèle serviteur... Laisse-moi.

FABRICIO.

Mais...

ROBERT. LaisSC-moi... (Jeu muet entre Fabricio et Blanche. Elle lui l'ait signe qu'elle restera. Sortie de l-'aluicio.)

SCÈNE IV.

ROBERT, BLANCHE. Quand Robert est. seul, il va s'asseoir en silence, puis laisse tonibir sa tête dans se? mains et pleine.

BLANCHE, à ello-inèmc.

11 pleure !... Oh! mon pauvre frère!...

ROBERT.

Des larmes! de l'abattement.!... Vais-jc perdre fouie ma force quand j'ai à lenter celle dernière épreuve?... Est-ce qu'il ne me faut pas retrouver encore des sourires et des paroles joyeuses pour présider à celle fêle?... Allons, Robert, relève la.lèle; luiras rien l'aillant que lu n'as pas accompli ta lâche; Robert, peiiîeà elle, pense à la. soeur.

BLANCHE.

Oh ! je veux tomber à ses genoux, je veux qu'il me pardonne

de l'avoir méconnu. (lille marche vers le. fauteuil du jeune homme el va s'incliner devant lui.)

FABRICIO, annonçant. Monsieur le bat'On Adriaili. (Blanche pousse un cri étonné et se jette vivenu'iil dans une pièce voisine à limite.)

ROBERT.

Lui!... Il a découvert cette maison... J'avais espéré... Qu'il entre! qu'il entre!...

SCÈNE V. ROBERT, ADRIEN.

ADRIEN.

Vous!... C'est donc bien vous, monsieur de Sullauze. Je ne voulais pas le croire; hier, sous voire étrange costume, j'avais cru pourtant vous reconnaître devant, le Calé-de-Paris... J'ai demandé qui vous étiez... Le marquis de Verrières, ni'a-l.-on dit... le nouvel acquéreur de celle petite maison de la rue Cassette!... Hésitant el incertain, je suis venu... (il s'approche.) Et je n'en puis douter à présent.!... C'est bien vous-même, mon compatriote, el dans un meilleur temps, mon ami, Robert, comte île Sullauze.

RORERT.

Oui, c'est, moi, monsieur le baron !... Qui vous a perlé à me poursuivre jusqu'ici ? Que me voulez-vous?...

ADRIEN.

D'abord, monsieur le comte, veuillez répondre à celle seule question... Est-elle mariée?

ROBERT.

Mariée? non.

ADRIEN.

Pardon, Blanche, pardon, j'ai douté de toi; je t'ai comptée au nombre de celles qui changent. Pardonne-moi, j'ai tant souffert...Mais que. pouvais-je supposer?... Le lendemain même du jour oii vous m'avez refusé sa main, après nie l'avoir si longtemps promise, j'ai voulu vous faire rétracter cet arrêt impitoyable, je suis retourné à votre villa... je n'ai trouvé qu'une maison déserte... inhabitée... ni maîtres ni gens... personne pour me donner de vos nouvelles!... Que pouvais-je imaginer?... Il y a trois mois de cela, cl, depuis trois mois, comprenez-vous tout ce que je souffre? Jours de fièvre, nuits d'insomnie... le désespoir dans chaque minute de ma vie el. dans chaque battement de mon coeur!... Je l'ai connu ce degré de souffrance qui l'ail demander un soulagement redoutable el impie à une balle de plomb'

ROBERT.

Malheureux !

ADRIEN.

Oui... j'étais résolu à mourir, lorsque je reçus de vous celle lettre mystérieuse qui me disait. : « Vivez, Adrien, car vous aurez ponl-èlre à me venger... mais, en attendant, n'ouvrez le. billet joint à celle lettre que si vous apprenez que je suis tué


18

FRÈRE ET SOEUR.

en duel...» (niant un biiiei.)Le.voilà, ce billet...querenforme-t-il? Ce duel, pourquoi supposer qu'il aura jamais lieu? Et puis, faut-il donc celte condition terrible pour que vous me donniez, à moi, 1ouic voire confiance?... me faut-il attendre votre mort pour recouvrer seulement à litre d'héritage ce nom de voire ami dont j'étais si fier autrefois? Ah ! si ce nom ne fut pas une vaine parole dans voire bouche, monsieur... ce billet, ne me permettez-vous pas de l'ouvrir en votre présence?

RORERT.

Lisez donc, Adrien, lise:',!

ADRIEN.

D'où vient que je tremble, maintenant?.., (n ouvre le billet «

pousse un cri en tombant dans les bras iln comte.) ïlliauiie !

ROBERT.

Conlenez-vous!

ADRIEN.

Une tache sur sa vie !

RORERT.

Mais il n'y en a pas sur son âme !

ADRIEN.

Blanche flétrie!... perdue!...

ROBERT.

Silence!... silence!...

ADRIEN.

El. le coupable, vous n'avez pu le découvrir? Et. tous vos efforts!... Répondez!

ROBERT.

Le coupable!... Dieu est juste, el je me crois enfin sur le point de le saisir.

ADRIEN.

Ah! quel qu'il soif, ce misérable m'appartient!

ROBERT.

Non pas !

ADRIEN.

Moi aussi je suis frappé à mort par le crime de cet infâme... laissez-moi le punir, mon ami, laissez-moi nous venger tous les trois. Par pitié, par grâce, je vous en supplie à genoux, laissezmoi me ballre avec cet homme.

ROBERT.

A quel litre?... Tu n'étais que ramant, el le fiancé, toi... ce

serait seulement une vengeance que tu exercerais. Je suis le

' frère, moi, el le chef de la famille, et je ferai justice. (Mouvement

d'Adrien.)

RORERT, reprenant avec f-nve.

Ecoule-moi, écoule-moi bien, mon ami... car je le reconnais, ce nom dont lu as toujours été digne, je te l'ai toujours aussi gardé au fond de mon coeur. Mais prends bien au sérieux ce que je vais te dire. Si mes soupçons se réalisent, si en elTel je dois lenir tout à l'heure dans mes mains l'auleur de noire opprobre el de nos misères, si je parviens à lui arracher son masque... par ton âme, Adrien, par tous les souvenirs de la pairie el de notre jeunesse, par fout, ce que tu peux avoir de sacré dans le ciel et sur la terre, ne touche pas à un cheveu de cet homme, laisse-le-moi tout entier... Mon oeuvre est à moi seul, seul je dois l'accomplir... seul je suis comptable envers Unis, envers toi-même, de l'honneur de ma famille, et je te le jure, ami, je l'en rendrai bon compte.

ADRIEN.

Soif, agis comme lu l'entendras elqnele ciel te protège ! Mais à chacun son devoir; Robert, ce qui s'est passé est un rêve .affreux, mais il ne doit pas laisser plus de traces dans mon esprit que ces larmes n'en laisseront sur mon visage. Robert, tu as voulu rompre les conventions arrêtées entre nous, Ion honneur te l'ordonnait, lu as pu le croire du moins; mon honneur à moi m'ordonne de les rétablir. Monsieur le comte de. Sullauze, le baron Adriani vous redemande la main de votre soeur.

ROBERT.

Qu'as-tu dit? La main de nia soeur!

SCÈNE VI. LES MÊMES, BLANCHE.

RLAiNCIIE, paraissant au seuil do la porte à droite.

C'est à moi... à moi seule de répondre.

RORERT' et ADRIEN.

Blanche!

ADRIEN.

Elle ici!

RORERT.

Qui t'a amenée? que viens-tu faire dans cctle maison?

BLANCHE.

T'admiror, le chérir plus que jamais, mon frère, trembler pour loi sans oser t'arrêler dans l'a roule, car je te connais et

je viens de l'entendre. Mais j'ai promis d'abord de répondre à monsieurlc baron Adriani. La jeunelillequi devient épouse n'a passeulcmentà sauvegarderson proprehonneur, mais l'honneur de son mari. 11 ne. suffit pas qu'elle soit pure aux yeux du ciel et à ses propres yeux, if faut encore qu'elle soit irréprochable aux yeux du monde et de l'opinion. Merci, monsieur le baron, merci, Adrien, de votre générosité... C'est une dernière preuve de votre amour (pie je n'oublierai de ma vie... mais laissezmoi Vous prouver que j'en suis digne, je ne l'accepte pas.

ADRIEN.

Que dilcs-vous, Blanche?...

RLAiNCIIE.

Je dis ce qui est vrai... ce qui est. pour jamais arrêté dans mon âme.

ADRIEN.

Et cependant mes instantes prières...

BLANCHE.

Pourraient augmenter mes regrets, mais ne changeraient pas ma résolution.

ROBERT.

Tais-loi, enfant; Dieu seul connaît l'avenir.

ADRIEN.

Un mot d'espérance !... Ah! mon ami !...

ROBEBM.

Trouvez-vous à la pointe du jour à la porte de cette maison... nous partirons.

BLANCHE.

En voyage !

ADRIEN.

Nous parliroul tous trois?

ROBERT.

Ponl-êlre aussi d'autres partiront avec nous... commandez Clcux chaises de poste, Adrien.

BLANCHI-,

Quel est donc voire projet ?

ROBERT.

Je le le dirais si j'étais sûr de réussir. Mais, quels que soient les événements de celte nuit, quoi que je fasse, crois toujours à Ion frère: quoi que je veuille, promets-moi île ni'obéir, jure-lenini par notre mère.

BLANCHI:.

Par nia. mère, je vous le jure!

RORERT.

C'est bien!

SCÈNE VII. LES MÊMES, FARRICIO.

FABRICIO.

Monsieur le comte...

(il lui l'ait signe qu'il n ose parler devant Blanche.) RORERT.

Je le comprends ; ils approchent. Ouvre à monsieur le baron celte porte qui donne sur l'escalier dérobé; qu'on ne le rencontre pis.

Ul montre la droite, Fabricio va ouvrir la porte. Robert montrant le côté opposé

à sa sonir. )

Toi, Blanche, au fond de celte galerie, tu trouveras une chambre, loin, bien loin d'ici, (A lui-même.) Que le. bruit de l'orgie n'arrive pas jusqu'à elle.... (îiam.) Fabricio, lu la conduiras, el quand il en sera, temps, lu iras lui dire ma volonté.

BLANCHE.

Mon frère !

ROBERT.

A bientôt, soeur!... Et vous aussi, Adrien, n'oubliez pas?...

AD BIEN.

A la pointe du jour!.... Blanche! je puis vivre encore. Votre frère m'a dit d'espérer!

ROBERT. Yciiez, Vdiez, mon ami! (Adrien sort par la droite. Fabricio conduit à gauche la jeune fille. Les poiles du foiel s'ouvrent. Les quatre laquais se. rangent. Rentrée bruyante d'olympe, de ses deux amies, de Verneuil el de Sivry.)

SCÈNE VIII.

ROBERT, sous le "o", d" marquis DE VERRIÈRES, DE SIVRY, VERNEUIL, OLYMPE DE BEAUTREILLIS, FLORA, CARMEN.

YERNECIL, lorgnant l'appartement.

Charmant, parole d'honneur! nous sommes en plein dix-huitième siècle... Mais où donc est le chevalier Faublas de Verrières?


FRÈRE ET SOEUR.

il

OLYMPE.

En effet, où csl-il donc?

FLORA.

11 nous invite, et à l'heure même qu'il nous a donnée...

CARMEN.

Il n'est pas là pour nous recevoir.

ROBERT.

Me voilà, mes foutes belles... me voilà!

OLYMPE.

Bonsoir, marquis, bonsoir,

VERNEUIL.

La bande joyeuse est au grand complet, vous voyez ! Personne ne manque à l'appel, pas même de Sivry.

ROBERT.

El je le remercie d'être venu, quand ce ne serait que pour lui dire combien je suis content de mon acquisition! Une véritable petite maison, bien authentique, cl, vous l'avez dit, maître Verne ail, machinée comme une féerie. Voyez plutôt.

FLORA. QUOI donc? (Robert presse un ressort. 31 s élève du dessous de parquet qui s'ouvre une table richement servie. Cris d admiration des trois femmes.) ROBERT.

A table!... Il estminuit... et j'ai donné rendez-vous ici, à l'aurore... Oui, belles dames! Louis XIV s'était borné à l'aire monter les eaux à Versailles, mais Louis XV inventa les machines de Mari y pour faire monter les vins!...

VERNEUIL. C'est le progrès de l'esprit humain! (tes quatre Laquais en livrée, dirigés par Falu-icio, qui vient de icnlrer, approchent, des sièges el servent le siuqier. Ou a pris place, Robert ci.Ire Carmen cl Olympe, de Sivry entre Olympe et Flora, Verncuil entre Flora et Caiiucn. - lloberl échange un signe d intelligence avec Fabricio.)

ROBERT.

Pour commencer, vous, mon hôte, redevenez vous-même....

Pas de serinons!.... c'est, convenu! La sagesse esi consignée!

parlons folie! tenons un langage en rapport avec ces murailles, el figurons-nous que nous sommes nos aïeux.

FABRICIO, versant, â boire à M. de Sivry.

Léoville, 42.

ROBERT.

Comment trouvez-vous ce vin?

DE SIVRY

Parfait! on croirait boire une inlusion de bonheur.

VERNEUIL.

Ah! très-bien... le moraliste s'humanise.

DE SIVRY.

Par politesse.

FLORA.

L'ermite va rejeter le froc aux orties.

CARMEN.

El. le diable va reparaître.

OLYMPE.

A la santé du diable!... Je bois à M. de Sivry.

TOUS.

A sa santé...

ROBERT.

Je propose, moi, un toast à notre illustre avocat. Je salue, la coupe à la main, maître Verneuil, la gloire du barreau, l'éloquent défenseur de... Pardon! j'onblieles noms des nombreux clients...

VERNEUIL.

Mes clients... je n'en ai qu'un, un seul, qui en valait cent autres, monsieur...

OLYMPE, vivement.

M. de Bréval?

VERNEUIL.

Un gentilhomme de la bonne école comme vous, et qui vous aurait gaillardement tenu tête à celte table... si une mort prématurée...

ROBEBT.

Puisqu'il est moi t, suivons l'exemple des sages Egyptiens qui pour se tenir sans cesse avertis de la vanité des clioses humaines, faisaient promeut rune momie an lotir de la table du festin.

LES FEMMES.

Une momie!...

VERNEUIL.

Voilà de la gaîlé égyptienne.

ROBERT.

Mon foasl s'adressera donc à la fois à l'avocat cl à son client. Buvons à la gloire de maître Verneuil! à la mémoire de M. de Bréval!

TOUS.

À sa mémoire !

OLYMPE, après avoir bu.

Je suis généreuse de le saluer dans l'autre inonde, lui qui me persécute encore dans celui-ci.

DE SIVRY.

Comment?

(Attention de tous les personnages et surtout de "Robert.) FLORA.

Tu plaisantes!

OLYMPE.

Du toul! Figurez-vous, mesdemoiselles, que j'ai reçu ce malin la visite la plus inattendue... une vieille paysanne d'Enghien qui m'a rapporté, devinez...

(De Sivry écoule, ltobcrt et Fabricio échangent un signe d'intelligence. Fabricio s'empresse (l'aller verser du vin a Sivry.)

VERNEUIL et LES DEUX FEMMES.

Quoi donc?

OLYMPE.

Le portefeuille de monsieur de. Bréval... celui-là même que je lui avais donné, et sur lequel, cédant à la manie du jour, il a écrit les mémoires de sa vie.

FABRICIO.

Johannisberg, année de la. comète.

(Nouveau signe de Robert à Fabricio, <pii va chercher uti autre flacon.) CARMEN.

Quoi ! vraiment, le portefeuille?...

FLORA.

De monsieur de Bréval !

VERNEUIL.

De mon unique client?

OLYMPE.

Perdu sans doute un beau soir, etrelrouvé un beau malin dans un petit sentier menant à un des chalets nombreux qui entourent lc lac d'Enghien.

VERNEUIL, un peu gris.

Moi, je demande...

ROBERT.

DuChàteau-LalTitte!...

VERNEUIL.

Non! le portefeuille de Bréval.

ROBERT.

Oui... voyons le portefeuille!...

FLORA.

Permcllcz, messieurs!...

CARMEN.

Si nos noms s'y trouvent.!...

OLYMPE, tirant l'agenda de sa por.lio.

N'ayez pas peur... il y en a bien d'autres!

BOBEUT.

Comment?...

OLYMPE.

Je vous délie de les compter!...

(Robert lui prend l'agenda des mains, elle cherche vainement à le reprendre.) BOBERT.

Ah ! des noms de tomes sortes et de tous pays ! des noms nobles et bourgeois, français el. étrangers... Miss Anna Butler...

VERNEUIL, riant.

Une histoire piquante! Je la connais.... C'était une jeune Anglaise de Birmingham. Bréval l'enleva en promettant île l'épouser à Grelna-fireen, où l'on se mariait à l'Ecossaise (on v,.rse a boire) depuis mi temps immémorial ; mais ils y arrivèrent justement, lc lendemain du jour où, par un acte du Parlement, on ne s'y mariait plus!

FLORA.

II y a des jeunes personnes qui n'ont pas de chance.

ROBERT, lisant sur le portefeuille.

Fausla Ramirez.

(Ici, connue pendant tonte la scène, il verse et fait verser à Loire à de Sivry.) DE SIVRY, parlant tout en vidant son verre à mesure qu'on te remplit.

Une histoire tragique! je la connais aussi! Bréval avait quelquefois escaladé, la nuit, le balcon de celle Fausla Ramirez,


20

FRÈRE ET SOEUR.

une brune Espagnole de Grenade; au bout de deux mois d'intrigue andalouse, Bréval reprit, le chemin de la France; or, il venait d'arriver dans une hôtellerie de Vitloria. (on verse ;. boire.) Tout, à coup Ja porte s'ouvre, el qui parait?... c'est Fausla Ramirez qui venait à sa poursuite. Une minute après, la fenêtre s'ouvre; qui paraît encore?... c'est le père qui venait à la poursuite de Fausla. L'explication fut terrible. Le père tua la fille, el Bréval tua le père!

(.Mouvement d'effroi parmi les différents personnages.) OLYMPE.

Marquis infernal, je commence à croire que vous êtes distancé par ce marquis défunt. Je parie que vous n'avez rien de pareil dans vos souvenirs galants!

ROBERT.

El je ne parie pas! je serais trop sûr de gagner! Ecoutez plutôt une seule de mes aventures, el laissez-moi d'abord vous dépeindre l'héroïne... Une baronne allemande fi ère comme Jimon, vertueuse comme Minerve, belle comme Vénus, une triple femme qui descendait de Conrad el de la maison de Souabe, où l'on est vertueuse de mère en fille depuis la prise de Constant! - nople -14o3;elle avait un mari, el cinq amoureux, cinq WcrHiers, el un chàlcau-forl qui abaissait son ponl-lcvis à tous les prétendants: une moderne Pénélope qui brodait nuit et jour, en attendant son mari exilé aux bouches du Danube. J'allai le trouver, ce mari, à l'iiisu de sa femme, le trouver pour me battre avec lui; j'eus soin de nie faire donner un coup d'épée; je revins blessé, mourant, auprès de la baronne, qui éprouva pour moi le plus tendre intérêt: je lui dis que son amour seul pouvait me rendre à la vie. La baronne oublia ses aïeux, la maison de Souabe, la prise de Constanlinople, le déluge et. lc baron, el je fus guéii juste à temps pour être heureux!... Versez-moi du Champagne.

(Ou verse à Imire,) TOUS.

Du Champagne !

(Pendant bml ce récit on n'a cessé de boire. îtoberl a surloul fait boire de Sivry. Toples les lèles paraissent Ires-animées. On se presse autour de Robert, on lui serre les mains, ou trinque avec- lui.)

DE SIVRY.

Bravo! marquis, bravo! lu es notre maître à Ions, lu es plus fort que Bréval.

ROBERT, cnmiiieiiçanl à jouer l'ivresse qui est réelle che?. tous ceux qui l'eutouient.

Bréval! oh! non pas, je m'incline devant, lui... et je me souviens maintenant qu'à Enghien.... tenez c'esl ce portefeuille

qui me rappelle.... Oui, à Enghien, Bréval a été le héros d'une aventure... on me l'a racontée tout bas au bal champêtre de la localité.

HE SIVRY.

Lui... Bréval.., à Enghien!... quelle avenlurc?...

ROBERT.

Laisse-moi donc parler, de Sivry... si je perds le fil...

LES AUTRES.

Laissez-le parler, laissez-le parler.

ROBERT.

11 paraît que Bréval... ça doit èlre lui, ça ne peut être que lui, iivail l'apporté d'Espagneune échelle de soie ..

DE SIVRY.

Oui, lu y es, marquis, une échelle de soie, de la manufacture de Vincent Fueniès, à Madrid.

ROBERT.

Tu l'as vue?

DE SIVRY.

Bréval me l'a montrée; six dresses, vingt torsades, quarante, tressins.

ROBERT.

C'est cela, c'est cela... 11 sait l'histoire mieux que moi... mais laisse-moi parler, je l'en prie, cher ami... bois du punch, el laisse-moi parler.

TOUS.

Du punch ! du punch !

(On se rue sur un bol de piioeli apporté par Fabricio,) VERNEUIL.

Marquis, la fin de l'histoire.

.tous. Oui, la fin de l'histoire.

ROBEBT.

M'y voilà... Nous, disons donc que île Bréval... [A pan.) Ah ! ce souvenir! Je sou lire trop'... c'esl horrible!... je ne pourrais amais!...

LES FEMMES cl VERNEUIL.

Eh bien! parlez, parlez donc, marquis.

DE SIVRY.

Bon, sa langue s'embarrasse, il chancelle, il ne peut plus raconter, il est ivre...

ROBERT. Ivre, moi ! VOUS CrOyCZ que je Suis ivre... (S'animant par degré, mais tout, en chancelant toujours, el en paraissant arrivé comme esl de Sivry luiîoême,

luiîoême, paroxisnic de. l'ivresse.) Non, j'ai toute ma raison: seulement, lu m'aideras un peu, de Sivry, puisque lu sais l'histoire.

DE S1YRV.

Je l'aiderai.

RORERT.

Bréval passa donc sans trop de peine par-dessus le mur assez élevé d'un jardin à Enghien.

DE SIVRY.

C'est cela.

ROBERT.

N'est-ce pas?... c'était, par une belle nuit d'été... la nuit du quinze au seize juin.

DE SIVRY.

C'est cela!...

ROBERT.

N'est-ce pas?... Une jeune tille était, assise au pied... au pied...

DE SIVRY.

Au pied d'un chêne.

ROBERT.

Tu l'as vue?

DE SIVRY.

Bréval me l'a dit.

RORERT , paraissant plus ivre que jamais et le coudoyant en riant.

Meilleur !... ce n'était pas Bréval.

DE SIVRY.

Si fait.

ROBERT.

Mais non... j'ai parcouru le plaidoyer fout à l'heure.

VERNEUIL, très-ivre.

Merci, monsieur le marquis.

RORERT.

Bréval ne pouvait, pas èlre. à Enghien celle nuil-là... 11 était mort, à Paris à huit heures du soir.

VERNEUIL.

C'est vrai... Alors c'était...

TOUS.

C'était...

/l.esyeiivse livent sur de Sivry.) DE S1VRV, riant d'un air fat en s'aiiressaut à Itolicrl.

C'était peut-être toi, marquis ?

ROBERT, avec un oinuvetneiil vicient. Moi !... (Reprenant, son personnage el s.m ivresse.) Moi ?... Eli !... si JC le

disaiô, que rcpondrais-l.u ?

DF, SIVIIY.

Je répondrais que vous êtes un fat, marquis de Verrières, el que vous n'êtes pas, morbleu ! le héros de celle nuit d'Enghien.

RORERT.

Eh bien ! morbleu ! je soutiens que c'était moi.

ni; SIVRY. Moi, j'affirme le contraire.

ROBERT.

Comment le sais-tu?

DE SIVRY.

Je le sais... parce que c'était...

TOCS.

C'était...

DE SIVHY.

C'était moi!...

ROBEBT, relevant la tête avec un cri de fureur et saisissant Sivry à la gorge.

Ah! c'était loi !

(.Mouvement général. La laide sYnfnnce dans le dessous du théâtre. Les laquaî= sortent, Fabricio resle.)

YERNELIL.

Que signifie ?

ROBERT, à o> Sivry.

Et.veux-tu que je le dise qui elle était, elle, la victime?

DE SIVHY.

Mais vous-même, qui èles-vous donc?

ROBERT.

Qui je suis... Je suis son frère ! Tins. Son frère !...


FRERE ET SOEUR.

ROBERT.

Le marquis infernal! sanglante dérision! Un frère qui cherche le bourreau de sa soeur, voilà la réalité!

DE SIVRY.

Son frère !... que vous faut-il ?... un duel ?

RORERT.

Un duel !... Ah ! bandits! bandits! vous vous faites un jeu de l'honneur d'une femme, el vous croyez que votre honneur à vous est satisfait quand VO:JS vous faites aussi un jeu de la vie d'un homme ! Un duel !... le vicomte de Chaulnes ne s'est pas battu avec Bréval !

DE SIVRY.

Et que voulez-vous donc? un meurtre? me tuer?

ROBERT.

Un meurtre !... vous savez bien quel est celui de nous deux qui est l'assassin et le bandit !... Je veux !... je veux !... D'abord, voici les témoins qui ont entendu votre aveu... et qui déposeront publiquement contre vous, si je l'exige, el qui, venus ici pour une fêle, se trouvent associés désormais à mon oeuvre de réparation cl de justice.

(Sur un.nouveau signe de Robert, Fabricio et les autres Laquais oui pris des (lambeaux el marchent devant les trois dames. Elles sortent en regardant avec effroi Robert, qui s'incline devant elles. Fausse sortie de VerneuiL qui veut hs suivre: Robert le retient.)

SCENE IX. ROBERT, DE SIVRY, VERNEUIL, FABRICIO.

ROBE!'.'!', retenant. Verneuil.

Restez, je vous prie, monsieur l'avocat.

DE SIVRY. '

Enfin, monsieur, votre dessein, quel est-il? (Entrée.ie Fabricio.)

ROBERT.

Vous allez le savoir, cl. je suis encore généreux... je vous laisse le choix...

DE SIVRY.

Des armes ?

ROBERT.

Non, monsieur... Mais le choix du châtiment pour vous cl de Sa réparation pour moi... deux moyens !

DE SIVRY.

L'un ?

ROBERT.

La cour d'assises !

DE SIVRY.

La cour d'assises !...

llflRERT.

Monsieur Verncuil vous défendra.

VERNEUIL.

11 est perdu !

ROBERT.

Puisque vous êtes avocat, dites-lui dont: qu'avec ce moyen-là il y va pour lui du bagne !

DE SIVRY.

El. l'autre moyen, monsieur ?

ROBERT.

L'autre?...

(Fy.ljricio sort. - Adrien entre par le fond.)

SCÈNE X. ROBERT DE SULLAUZE, DE SIVRY, VERNEUIL, ADRIEN.

ROBI-'.RT, montrant la porte de gauche qui s'ouvre.

Voyez, monsieur!... A genoux!... à genoux !...

(lïlanche entre soutenue par Fabricio.-- De Sivry tombe à genoux.)

SCÈNE XI. LES MÊMES, BLANCHE.

ROBERT.

Monsieur de Sivry, c'est ma soeur qui, cette fois, vous donne volontairement un rendez-vous.

DE SIVRY.

Un rendez-vous ?...

RORERT.

Vous allez parlir avec nous pour mon château de Sullauze?

DE SIVRY. se levant.

Votre château?...

IlOBEBT. Lll Corse (Verneuil voulant s esquiver , Fabricio lui barre le passage.)

Restez, monsieur l'avocat, vous voudrez bien aussi...

YERNEUll..

En Corse?... J'aurais mieux aimé la cour d'assises.

ADRIEN.

Mon ami, tout est prêt pour le tiepar:.

ROBERT.

C'est bien, partons...

BLANCHE.

Mon frère !... Ah ! je tremble !... Qu'avcz-vous résolu?...

ROBERT.

Tu as juré de m'obéir au nom de ta mère. !... (i.e rideau baisse.'!

ACTE Y.

En Corse, les jardins du château de Sullauze. -A gauche, une chapelle; à droite, le commencement d'une allée de pins qui va se continuer dans la coulisse. Au fond, une terrasse, a laquelle on arrive par un escalier de sept ou huit degrés. Le château domine cette terrasse. Ell'et de lune.

SCÈNE PREMIÈRE.

ADRIEN, seul d'abord; puis ROBERT, BLANCHE, DE SIVRY, VERNEUIL, INVITÉS, PAYSANS.

fAdricn est assis sur un banc de pierre, à l'entrée de l'allée de pins. - L'n eorlége descend de la terrasse elniarchc vers la chapelle. Viennent d'abord les geusde la maison, paysans el paysannes corses, puis Robert de Sullauze, donnant la main à lïlanche en loilcllc de mariage; puis Sivry et Verneuil, donnant chacun la main à une dame; puis des iuvilcs et daines en toilette, Icnanl moitié du costume corse cl moitié des inodes parisiennes, puis d'autres paysans et paysannes qui l'ei-menl la marche. Adrien est debout, et suit avec tristesse la marche du coi-légr. 11 regarde lïlanche avec douleur et retombe assis sur le banc. lïlanche, près d'entrer dans la chapelle, semble près de défaillir; son frère la soutient. - Musique religieuse dans la chapelle,)

ADRIEN, allant leganler à l'entrée (le la iliapello.

La voilà... elle est à genoux auprès de lui el. sa main dans la sienne... le prêtre bénit el. pardonne!... Elle est sa femme!... Le coupable triomphe, le frère est satisfait dans son honneur... il n'y a qu'un homme sacrifié dans celle fête de réparation... c'est moi!... Demain toutes les douleursserout oubliées; ce trésor d'angoisse de toute une famiile devient, mon héritage; c'est moi qui vais le dévorer sans l'épuiser!... Trésor de Ihrines, de. deuil el. de désespoir... .Merci, Robert, de Sullauze, merci ! votre amitié nie juge bien... vous m'avez entraîné ici à voire suite. Vous m'avez défendu de vous quilter ce soir, je resterai... ma vie est enchaînée à la vôtre. Je passerai sans cesse devant vous comme un remords vivant. Les voici.

Sortie de l'église. Ici, tout le monde sort de l'église, mais plus confusément et sans l'ordre qui présidait tout à l'heure à la cérémonie. - De Sivry donne la main à Blanche, Verneuil à une autre dame, et les divers personnages s'éloignent par la lerrassc, les uns à eroile, les autres à gauche.) RORERT, à Adrien.

Ne vouséloignez pas... vous m'êtes nécessaire ici...jereviens...

Smlie générale.)

DE VERNEIjlL, sans quilter la main de la dame avec qui il est enlré, dit à (leini-voix a (lc Siviy.

Tu es plus heureux que sage... Au lieu de te tuer, on le marie!... A la place des ail'reux. spadassins que nous avons tant redoutés pendant la route, une. jolie femme el une noce !

DE SIVRY.

Tais-toi! c'est un bonheur si étrange,si imprévu, que malgré moi je doute encore.

SCÈNE II.

ADRIEN, sel; pais BLANCHE.

ADRIEN.

Je suis nécessaire au conile de Sullauze!... Mon sacrifice ii'est-il pas déjà pour lui assez grand?... nie réscrvc-t-il à d'autres épreuves?... a-l-il imcnléun nouveau tourment?... Je l'en délie!... Je délie renier de me créer une nouvelle torture!... lui un jour, j'ai lotit épuisé!...

Ici Blanche reparaît sur la terrasse cl descend précipitamment on marchant vers la chapclllc. - Au lointain, ou entend la musique (}a bal )

BLANCHE.

Celle fêle pour moi... celle fêle... Oh! je souffre trop... Une prière encore... une prière... car cet aulel où l'on vient, de bénir mon mariage est à deux pas du caveau funéraire de ma famille.

ADRIEN, l'apercevant.

Blanche !

BLANCHE, reculant.

Adriani! retirez-vous, retirez-vous, au nom du ciel!

ADRIEN.

Vu instant... le. dernier... C'est la goutte d'eau que le damné demande, c'esl l'aumône que demande le désespoir.


22

FRERE ET SOEUR.

BLANCHE.

Arrêtez... Je suis la femme d'un autre.

ADRIEN.

La femme d'un autre!... Blanche, vous ne savez pas fout ce qu il y a de déchirant au fond de ces quatre mois prononcés d'une voix si douce!... La femme d'un autre !... 11 y a donc là un maître, un amant, un mari absolu, qui a tout pouvoir sur voire jeunesse, volre'grùce, votre beauté!... El cet homme a mérité son bonheur par un crime! El vous, Blanche, vous êtes la femme de cet homme ! vous qui avez été ma fiancée pure, mon rêve d'adolescence, mon trésor promis, mon ange de consolation, mon avenir de bonheur! Vous avez pris tout ce qui était, mon bien, tout ce qui était à moi, et quand le prêtre vous a demandé si vous donniez tout cela à un autre, vous avez répondu : Oui; vous avez trouvé sur voire lèvre un son pour prononcer ce mol si court, ce mol infini qui contient ma vie et ma mort.!...

BLANCHE.

J'avais promis par la mémoire de ma mère!... En obéissant à son fils, j'ai cru l'aire la volonté de Dieu!

ADRIEN.

Résignation! obéissance! vertus fatales et aveugles qui ne rendent service qu'aux passions mauvaises, el déchirent les coeurs généreux!... Oh ! je me révolte de loûle l'indignation de mon âme contre cet héroïsme de la vertu filiale qui l'ail, rire les méchants el pleurer les bons!... 11 fallait vous révolter aussi, vous, contre celte main qui vous couronnait de llcurs, comme une victime, et vous (rainait à l'autel pour y verser tout le sang de votre âme, foutes les tendresses de votre coeur, foutes les larmes de vos yeux !

BLANCHE.

Adriani! Adriani, m'aimez-vous encore?

ADRIEN.

Si je vous aime!... Jusqu'à ce jour. Blanche, je ne vous ai pas aimée, voilà ce que j'ai découvert en moi. Est-ce qu'on connaît l'amour dans les jours heureux?... Vous étiez pour moi une amie, une compagne: vous réjouissiez mes yeux, vous donniez le calme à mon cimir, la sérénité à ma vie." L'auge effaçait la femme... mais depuis que j'ai senti passer sur mon front, comme une lame de l'eu, cette' horrible parole, la femme d'un autre, l'ange a disparu: la femme reste: j'ai reconnu l'amour humain à ce délire qui oublie l'âme et brûle les sens ! J'ai deviné la jalousie, relie fièvre de lave qui coule dans les artères, élreinl le cou comme un cercle de fer, brille la racine des cheveux, et ne permet que des insomnies de flamme dans des nuits pleines d'intolérables visions! Si je vous aime ! Demain, j'aurai cessé de vivre; venez l'aire celle question à mon tombeau, ii vous répondra !

BLANCHI;.

Eh bien, Adriani, je ne croirai pas à celte réponse du tombeau. Je veux que vous viviez, moi ; c'est en vivant que vous me prouverez votre amour : vous prendrez votre pari de ma résignation, el je la trouverai plus légère; vous prendrez votre part de mes douleurs, et je les subirai plus aisément. Nous nous associerons pour perler la même soulfranee, comme nous devions nous unir pour le même bonheur. Laissez les plaintes de la jalousie, ou le suicide île l'orgueil aux âmes vulgaires. Sachez mieux comprendre la vertu des fortes abnégations ; ce que mon frère a ordonné est, noble et grand. N'accusez pas, admirez!... Si comme moi vous vous résignez à vivre, je saurai que vous m'aimez toujours. Laissez-moi celle dernière joie dans voire dernier adieu...

ADRIEN, pleurant.

Je vous aime...

BLANCHE.

J'ai compris... Vous vivrez... El. quand notre destinée, nous éloigne l'un de l'autre... nos deux âmes demeurent inséparables... Adieu.

ADRIEN, pressant la main do Blanche.

Adieu, Blanche; vous m'avez condamné à la vie; mon juge sera béni cl respecté. Adieu pour...

BLANCHI;, l'interrompant.

Toujours n'appartient qu'à Dieu seul... Ne prononcez pas ce mot!... Là-haut, du moins, nous nous reverrons. (Adrien son

précipita innienl.)

SCÈNE III. BLANCHE seule, puis DE SIVRY.

BLANCHE.

Sainle vertu, qu'on appelle devoir, soulicns-moi! guide-moi par la main, dans celle vie nouvelle où je ne vois que des abîmes, où je n'attends aucun secours...

DE SIVRY.

La fêle esl commencée, et. tous les invités appellent la reine du bal...

BLANCHE.

J'avais un pieux devoir à remplir.

DE SIVHY.

Nous le savions... Aussi nous n'avions garde d'aller troubler dans la chapelle un acte de piété filiale si honorable pour vous... Maintenant, le devoir religieux envers les morts étant rempli, madame de Sivry me permeltra-t-elle...

BLANCHE, tressaillant.

Madame de Sivry !

!)E SIVRY.

Blanche, donnez-moi votre main... Dans le tumulte de ce jour, je n'ai pas trouvé un seul moment pour vous dire, une parole...

PLANCHE, d'une voix faible.

Laissez-moi rentrer, monsieur...

DE SIVRY, la retenant.

Un instant... un seul...

BLANCHE.

Nous avons foule une vie à passer ensemble...

DE SIVRY.

Toute une vie de bonheur !

BLANCHE.

De bonheur '...

DE SIVHY.

Oui, votre frère, en m'imposanl ce mariage, m'a ordonné d'être heureux... Ce mariage m'enlève à la fois mes remords, me rend ma dignité perdue el légitime mon amour.

BLANCHE.

Son amour... 11 ose prononcer celle parole...

DIS SIVHY.

Eh bien! non, non, ce n'est pas ccl'e-là que je vous adresserai... J'attendrai lotil du temps el de mon repentir pour vous convaincre... Blanche... chère Blanche... ma femme! prononcez le mol pardon...

BLANCHE, de plus en plus émue, faisant un pas vers le château.)

Laissez-moi, monsieur, mon frère doit être inquiet.

DE SIVRY.

Le mot pardon... un mot si doux... le mol aimé de Dieu.,-

HUBERT, paraissant eu haut de la terrasse.

Blanche !

BLANCHE.

Mon frère m'appelle... laissez-moi...

(Flic sort vivement. De Sivry veut la suivre. Lc coude l'ai-rêlc, il descend Icu tcinent, iU. de Sivry recule devant lui.)

SCÈNE IV. DE SIVRY, ROBERT.

ROBERT.

Que Dieu vous pardonne !

DE SIVHY.

Ah ! c'esl vous, cher comte...

BOBERT.

C'est celui qui ne pardonne jamais.

DE SIVHY.

Je ne vous comprends pas bien...

ROBERT.

Vous me comprenez trop.

DE SIVRY.

Je parle au frère de ma femme, il me semble...

ROBERT.

Je parle à l'assassin de ma soeur, à ce que je crois...

DE SIVRY, reculant.

Comte de Sullauze, quel moment choisissez-vous.'...

ROBEBT.

Demain, il serait trop tard. Monsieur de Sivry, vous êtes dans le pays des vengeances légitimes et sans pardon; vous êtes sur une terre où les" laboureurs ont planté plus de croix que d'arbres ; vous êtes devant un château qui peut ouvrir ses fenêtres au grand soleil, parce qu'il n'a auenne souillure intérieure... vous êtes à côté d'un caveau funèbre où trois de mes aïeux sont ensevelis avec leurs épées teintes de sang; vous êtes sous des arbres qui ont voilé des duels acharnés où les dents et les ongles déchiraient les chairs lorsque les armes tombaient en tronçons de la main des combattants.


FRÈRE ET SOEUR.

m

DE SIVRY.

Mais vous m'avez fait votre frère, comte de Sullauze... votre soeur porte mon nom depuis une heure... tout est réparé...

ROBERT.

Rien n'est réparé, tout subsiste! Nous sommes au lendemain du 15 juin; nous sommes devant le lac d'Enghien... la victime demande vengeance... le vengeur est debout !...

DE SIVRY.

Où est ce vengeur?

ROBERT.

Tu ne l'as pas vu encore?... regarde-moi...

DE SIVRY.

Impossible !... Je suis sur la terre des vengeances, je le sais: mais je sais aussi que je ne crains ici aucun assassin...

ROBERT.

Tu as raison... je fais justice et je n'assassine pas... Tu n'es pas invité à une noce, fu es invité par moi, Fevnand de Sivry, à un duel à mort.

DE SIVRY.

Moi, me battre avec vous! avec le frère de ma femme! jamais !

ROBERT, avec un rire conviilsif.

11 ne comprend pas !... il ne comprend rien!... Ce mariage, je l'ai jugé indispensable, il satisfait aux lois du monde... mais il me faut davantage, il me faut la vie du misérable qui a souillé mon blason, qui a flélri mon bonheur !... lu te battras!

DE SIVRY.

Non.

ROBERT.

Le crime est donc toujours lâche?

DE SIVRY.

Comte de Sullauze!

ROBERT.

J'attends l'exception.

DE SIVRY, faisant, quelques pas pour se retirer.

Ce n'est pas un duel, c'est un fratricide que vous me proposez; je n'accepte pas, non, rien au monde ne m'y conlraindra, monsieur.

ROBERT.

Rien, dis-tu?... excepté ceci, peut-être! (n lui donne un soumet.)

DE SIVRY, poussant un cri de fiii-eur.

Oh ! ta vie va payer cet alfronl !...

ROBERT.

Dans dix minutes, ici... Ton ami Verncuil le servira de témoin. Tu choisiras les armes, là, dans ce buisson; elles y sont depuis ce malin. Ecoulez, de Sivry : ce n'est point ici un de ces duels de bonne compagnie, comme vous les traitez sur le continent, une de ces grolesqucs parades que des poltrons jouent à la porte Maillot, en croisant des laites d'arlequin devant de faux témoins; un de ces combats pacifiques où les haines, les armes, les mains, tout tombe cl disparaît devant une première goutte de sang!... Nous ne connaissons pas, nous, ces ral'linemcnis de courtoisie; nous ne nous battons pas pour nous 'laisser vivre. Quand le plomb et le fer se croisent en terre corse, le spectre de la mort est toujours là qui attend, et il ne se relire jamais sans avoir son butin; comprends-tu?

DE SIVRY.

Vous allez voir si je comprends.

(il sort.)

SCÈNE V.

ROBERT, BLANCHE, qui a vu la fin de la scène. PLANCHE, courant à ltoherl, el se jetant dans ses braî

Mon frère!...

ROBERT.

Tu étais là?

PLANCHE, avec calme.

Oui.

ROBERT.

Ma sceur, ne viens pas m'affaiblir; je crains de le voir en ce «ionien l.

BLAMCIIE.

Vous oubliez, mon frère, que vous cf. moi nous avons lc même siuig dans le coeur... Oh ! je soupçonnais bien vaguement quelque

quelque au fond de ce mariage, et j'ai gardé mon coeur ferme et résolu, pour être prête à tout, et digne de votre nom.

ROBERT.

Pauvre enfant!... Oh'.l'attendrissement est déjà une faiblesse! J'ai besoin de toute mon énergie... et une pensée affreuse a traversé mon front,... Mon Dieu! mon Dieu! je n'avais pas tout prévu!... Ce n'est pas toujours la justice qui triomphe dans les combats singuliers.... Dieu garde ses secrets.... Ma soeur.... ma chère Blanche... si je 'meurs aujourd'hui... mon aïeul a été tué ici, tué dans sa justice, son honneur et son droit!... Si je tombe comme lui, pauvre fille, tu appartiens à cet homme, qui est ton mari et ton maître, devant la loi des hommes et de Dieu!... Quand j'étais seul, je ne pensais qu'au triomphe; en'te voyant je pense à la défaite! Blanche, songes-tu bien au sort qui l'est réservé si je meurs?...

BLANCHE, d'un Ion calme.

Oui, Robert, j'y ai songé.

ROBERT.

Si ton frère meurt aujourd'hui, à toi encore, à loi toujours ce liste devoir de la résignation.

BLANCHE.

Non, frère, non ! Claudia notre aïeule ne se résigna pas, elle... elle fit plus !

(Elle montre. le poignard.) ROBERT, énui violemment.

Ma soeur !

BLANCHE.

Ne songe pas à moi quand lu vas défendre ta vie.... Sois fort comme toujours... Tu vois comme je suis calme en le parlant. Si l'exaltation était sur mes lèvres, tu douterais de moi Vois comme je suis tranquille! rien n'apaise le sang comme une délerminalion prise irrévocable. Cours où t'appelle ton destin, mon frère, Dieu et ton droit, nous seront en aide, et si le droit succombe, ta soeur arrivera la seconde à ce rendez-vous de famille que tu lui donnes dans ce tombeau.

BOBERT, l'embrassant.

Il n'y a que de nobles coeurs dans notre race!...

BLANCHE.

A bientôt, Robert, oui, à bientôt; nous ne pouvons pas manquer de nous revoir...

(Elle disparaît sous les arbres.)

SCÈNE VI. ROBERT, puis ADRIEN.

ROBEBT.

Ma soeur!... Oh! il faut vivre!... il faut vivre pour la. sauver, cette pauvre enl'ent! ma mort serait la sienne !... sauvons-la!

AI1B1EN, enli-aiil.

Vous aviez besoin de moi?... le moment est-il venu?

BOBERT.

Mon ami, lu vas tout savoir...

ADBIEN.

Je sais lotit, le témoin de ton adversaire vienl.de tout m'apprendre...

(il serre cnergiquenirnt la main du Comte.) BOBERT.

Mais je veux que ce ne soil un secret pour personne Chez

nous, au grand soleil de mon île, nous n'avons à garder aucun de ces ménagements de la vie continentale. Chez nous, on ne trouve ni mystères ni brouillards.... Il faut que tout le monde sache que Robert de Sullauze est un Corse du bon temps ; qu'il veille à son blason, qu'il vénère ses aïeux, qu'il aime par-dessus tout et qu'il garde l'honneur de sa famille...

ADRIEN.

Voici les autres... mettons-nous un peu à l'écart... SCÈNE VII.

LES MÊMES, DE SIVRY cl VERNEUIL entre..!..

(Ou voit Blanche qui traverse la scène dans le fond et reste sur la ferrasse, suivant de l'oeil, avec anxiété, ce qui se passe sur le devant du théâtre.) VERNEUIL.

Mais, cher ami, c'est un guet apens!

DE SIVRY.

Tais-loi !

VERNEUIL.

Crime prévu par les articles 200, 207, 208 du Code pénal.

DE SIVRY.

De quoi le plains-tu? le danger est pour moi.


FRÈRE ET SOEUR.

Y LBNEC1L.

C'est égal, j'aimerais mieux èlre à Paris, sur le boulevard.

ADRIEN, s'avança.il.

Monsieur de Verneuil...

VERNEUIL, à de Sivry.

C'est le témoin de Ion adversaire.

ADRIEN.

On vous a laissé lc choix des armes.

VERNEUIL.

Cela est indifférent à monsieur de Sivry. il excelle au pistolet ou à l'arme blanche, (A pan.) 11 l'aui les intimider.

ADB1EN.

Nous sommes chez nous, cl nous devons user de la plus scrupuleuse déiicaiesse. Vous trouverez là, au pied de ces pins, des épées et des pistolets. Prenez- vos armes et. donnez-nous les nôtres. Ce que vous refuserez de prendre, nous l'acceptons.

(Verneuil va prendre deux épées et deux pistolets.) ADRIEN, à l'art.

Fasse le ciel que le comte ne se repente point de trop de générosité!... Un duel avec ce misérable !... Oh! sainte vengeance de la vieille Corse, où es-tu?...

VERNEUIL.

Puisque vous l'exigez...

(11 donne une épéo à Adriani. - Robert de Sullau/.c s'avance et prend nue épée. De Sivry fait la nièiiie chose de sou côlé. Les deux témoins gardent les jiislolets. - Le combat commence. Adrien et Yerneuil seul au centre de la scène, derrière les combattants, itlatiche est agenouillée sur la lerrasse, suivant des yeux le combat, tin cll'et de lune éclaire le jardin. Après une lutte longïio el acharnée, le eoinle recule el s'arrête.)

ADRIEN.

Blessé! mon ami!..,

BLANCHE, sur la terrasse,

Mon frère!...

YERNF.l.'iL.

11 est blessé... Allons, messieurs, l'honneur est satisfait, el...

ROBERT.

Ce n'est rien ! rien !... Celle main seulement...

ADRIEN, avec effroi.

Mais elle n'est plus de force à tenir celte épée, donne-la-moi.

(Il prend l'épée que le jeune eoinle a laissé tomber à terre.) A 11101 ! à 1110Î (]d

finir!...

DE SIVRY.

Que me veut cet homme? je ne le connais pas.

ROBEBT.

Adriani, vous oubliez vos devoirs sacrés de témoin.

VEBNEU1L.

Certainement! et d'ailleurs, tout est terminé à l'amiable... je déclare l'honneur satisfait, et...

ROBEBT, à Verncuil.

L'honneur sera satisfait quand l'un de nous deux aura donné sa dernière goutte de sang à la rosée de cette horrible nuit!... Sivry, celte main ne peut plus tenir une épée!... (Montrant sa main gauche.) Mais celle-ci a, de la force encore, [celle-ci me suffira pour me l'aire justice! En garde! Arrière, messieurs! En garde jusqu'à la mort !

DE SIVRY.

Jusqu'à la mort!...

(Reprise du duel : Robert se* sert de sa main gauche pour des mouvements sauvages en dehors des piincipcsde resciiuie; de Sivry est lue.)

BLANCHE, se jelant dans les bras de Robert.

MOU frère! (itenlrée générale.)

SCÈNE VIII.

LES MÊMES, INVITÉS, qui accourent de tous entés. La foule envahit le théâtre. ROBEBT.

Ma soeur!... (A ions.) Mes amis, si l'on vous demande ce qui s'est passé à mou château celle mut, vous répondrez que j'ai accompli mon devoir et que le comte de Sullauze a éié le justicier de son honneur!

(lïohert, (m tenant blanche dans ses bras, serre, la main d'Adrien, qui s'est approché. Tableau. Le rideau baisse j

FIN LE FRERE ET SOEUR.