UNE PECHERESSE.
POLYDORE.
Fichtre !... ça reviendra cher... Qui est-ce qui payera ?
OSCAR.
Moi... je vous ai invités: et môme je vous donne carte blanche, faites bien les choses.
POLYDORE.
A la bonne heure! parce qu'autrement, vous comprenez, ma fortune n'y suffirait pas.
NATHALIE.
Oh! d'abord, on sait bien que vous ne payez jamais.
l'OLYDOUE.
C'est vrai... c'est un principe chez moi... Il ne faut pas établir de mauvais précédents.
NATHALIE.
Polydore, seriez-vous avare?
POLYDORE.
Non, je suis à sec.
ESPÉRANCE.
Cependant, vous avez du talent, comme graveur... Tout le monde le dit.
BANCO.
Et lui donc ï
POLYDORE.
Et moi donc S
ESPÉRANCE.
Vous pourriez donc gagner beaucoup d'argent si vous vouliez?...
POLYDORE.
Parbleu!... Mais je suis bien trop prudent pour cela.
MARIETTA. Trop prudent?... (Toutes rient.)
POLYDORE, se levant.
Oui, oui, trop prudent... Ainsi, voyons, raisonnons un peu... L'argent n'esl-il pas la cause de foules les passions, de toutes les folies et de toutes les sottises humaines?... Oui, n'est-ce ]ias?... Eh bien ! si j'avais de l'argent, ma chère Nathalie, je tomberais nécessairement dans les grilles d'un tailleur illustre qui me rendrait, en un rien de temps, aussi grotesque que la petile poupée mécanique qui était l'autre jour avec vous aux Boull'es-Parisiens.
NATHALIE.
Qui ça, Alcindor?...
POLYDORE.
Justement, Alcindor... Voyez un peu pourtant, si j'avais de l'argent, je m'appellerais peut-èlre Alcindor... comme ce serait agréable!... Si j'avais de l'argent, ma belle Espérance, je serais peut-être assez niais pour cacher vos jolies épaules sous des Ilots de velours et de dentelles; je ferais des folies pour vous, o Marielta !... et cela ferait du tort à pas mal de mes contemporains.
MA1UETTA.
Malhonnête!
POLYDORE, continuant.
Et enfin!... ô Banco ! si j'avais de l'argent!... Oh! je. frémis quand j'y pense... si j'avais de l'argent, vous m'aimeriez peut-èlre, et peut-èlre qu'aussi, moi, je vous aimerais.
IIAISCO.
Ehbien ! vous ne seriez paslant à plaindre...
POLYDORE, riant.
Qu'à blâmer, c'est vrai !
RANCO.
Monsieur Polydore, vous vous émancipez, je crois.
POLYDORE, lui prenant la taille.
11 faut hurler avec les loups.
NATHALIE.
Oh ! tout ça c'est des bèlises.
MARIETTA.
Et il faut dîner.
TOUTES.
Oui!... oui!... le menu! le menu!
POLYDORE, se rasseyant. Revenons au menu. Et puisque vous m'avez dit de le. faire selon le goût de chacune de vous, voilà ! (Écrivant.) « Pour Espérance, qui a le palais délicat : Potage à la bisque, écrevisses bordelaises et truite saunionnée. »
ESPÉRANCE.
Pas mal.
POLYDORE.
« Pour Marielta, l'hirondelle voyageuse qui a si souvent picorédans les modestes mansardes du quartier Latin : Du radis noir et des côtelettes aux cornichons. »
MARIETTA.
Très-ijien !
POLYDORE.
« Pour Nathalie,-qui aime tant l'élégance ." Du boeuf à la mode. »
NATHALIE.
Qu'il est bête, ce Polydore !
POLYDORE.
Ah ! mais moi, c'est exprès !
NATHALIE.
Eh bien ?... et moi ?...
POLYDORE.
Oh! je ne vous en veux pas!... (TOUSrient. -AUX deux autres femmes.) Quant à Julie et Pauline, comme elles sont tout bonnement voraces, elles mangeront un peu de tout... (Récriminations
des deux femmes, rires des autres.)
MARIETTA.
Eh bien !... et Banco, esl-ce qu'il n'y a rien pour elle?
OSCAR, a Banco, avec laquelle il couse.
On parle de vous, je crois.
POLYDORE.
Tiens ! c'est vrai, je l'ai oubliée.
ESPÉRANCE.
Je vais vous dire, moi, ce qu'il faut servir à notre chèrs Banco... C'est un gros Allemand tout rôti, bardé de billets de banque, avec une couronne de baron dans les narines.
HANCOj qui s'est approchée du groupe.
Espérance!
ESPÉRANCE, riant.
Celui-là, du moins, ne s'envolera pas... comme l'autre.
ISANCO, furieuse.
Prends garde, chère amie, avec moi, L' vaut mieux avoir la paix que la guerre.
ESPÉRANCE.
Oh! je suis bon cheval de trompette.
ISANCU.
Ne. t'y lie pas.
ESPÉRANCE.
Oh ! je sais que tu es rancmieuse, mais ça m'est égal, je ne te crains pas.
OSCAR.
Mesdames! de grâce!..
POLYDORE.
Que diable ! vous pouvez bien être d'accord les jours dj grandes l'êtes, il n'y en a que quatre dans l'année.
MARIETTA.
Allons, Espérance, embrasse Banco.
ESPÉRANCE.
Merci! je passe la main...
OSCAR. Je la prends... (il embrasse Jlaneo.)
POLYDORE, finissant d'écrire.
«Parlait! parlait, glacé... quatre mendiants, roquefort, et Champagne!» (A un L'arçon qui passe.) Tenez, garçon, voici la chose, et niellez les fourneaux doubles.
LE GARÇON.
Je vous demande un tout petit quart, d'heure.
POLYDORE.
Très-bien, nous sommes iixés; nous dînerons dans une
heure et demie. (Banco est remontée avec Oscar, et quelques autres personnes.)
MARIETTA, sur le devant, à Espérance.
Qu'est-ce que tu voulais donc dire tout à l'heure à Banco, avec ce baron allemand?
ESPÉRANCE.
Comment! tu ne connais pas sa dernière aventure?
MARIETTA.
Mais, non...
ESPÉRANCE.
Au fait, c'est juste : dans ce lemps-là, lu étais de l'autre côté de l'eau... tu faisais ion droit.
MARIETTA.
Hein?
POLYDORE.
Mais non, mais non, elle élail, élève en pharmacie; n'est-ce pas, Marielta?
MARIETTA.
C'est possible... (A Espérance.) Raconte donc l'histoire Je I Banco!..
! ESPÉRANCE.
i Voilà ce que c'est... Chacun, comme on sail, n'a qu'une ; chance dans sa vie.
POLYDORE.
ICI tout au plus.
ESPÉRANCE.
Or, Banco avait trouvé la sienn avec le riche baron en