OEUVRE D'ART
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TROISIEME ANNEE — N° 53
20 Juin 189 5
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ADOLPHE DAVID
Un graveur en pierres fines vient de disparaître. Il s'appelait Adolphe David. 11 était Angevin comme Pierre-Jean David le statuaire. Né le 25 février 1828 à Baugé, il est mort à Sèvres le 19 avril i8g5. Élève de Jouffroy qui jamais n'a travaillé l'onyx ou lachalcédoine, Adolphe David suivit les cours de l'École des Beaux-Arts de i853 à 1857. Depuis lors, ce vaillant artiste ne s'est jamais lassé de parachever ses pierres minuscules, rebelles à l'outil, véritables joyaux indestructibles que le regard distrait ne sait pas voir, que l'amateur estime au plus haut prix.
David a peu produit. Ce sera le cas de ses successeurs ; c'est l'histoire de ses devanciers. Une pierre à trois couches, de quelques millimètres de surface, exige parfois quinze ans de labeur pour être travaillée ! Quelle existence humaine peut suffire à l'exécution de nombreux camées! David, homme simple, modeste, exempt d'ambition, sans faste, a concentré sa vie sur ses ouvrages et son foyer. De ses proches, nous ne pouvons dire que le respect et l'amour dont ils entouraient ce vétéran de l'art. De ses oeuvres nous voudrions rappeler le charme, le mérite, la hardiesse.
Deux petits bustes en matière précieuse furent demandés à l'artiste, il y a vingt ans, pour le Cabinet des Antiques à la Bibliothèque Nationale. Ils représentent Ingres et David d'Angers.
A une date plus récente, en 1887, nous étions retenu au Salon par le camée d'Adolphe David représentant Victor Hugo, oeuvre d'une exécution sobre et puissante. La tête olympienne et quelque peu sauvage du poète, à son déclin, revit sur la chalcédoine à trois couches patiemment fouillée. Le visage est de profil. L'auteur de la Légende des siècles et des Quatre vents de l'esprit porte
toute sa barbe. Aucune recherche, aucun soin n'accusent l'homme d'une civilisation raffinée. La chevelure, les rides du front, les tempes ravagées, les joues sillonnées, l'orbite plein de rudesse donnent à l'ensemble du visage un caractère inculte, un accent énergique qui conviennent à l'image du poète observé vers la fin de sa longue carrière. Une couronne de chêne achève le symbolisme de cette mâle effigie. Une draperie couvre l'épaule et le haut de la poitrine. Cette indication de costume héroïque place Victor Hugo en dehors de tout siècle. La lyre de Pindare ou d'Eschyle est jetée négligemment sur le millésime de i885, date du décès de l'homme surprenant qui a tenu trop souvent à tracer des pages de circonstance destinées à ne point survivre aux événements d'un temps plein de tumulte et de contradictions, alors que son génie lui eût permis de planer toujours, s'il l'avait voulu, au-dessus des passions et des âges.
Ce camée exécuté en moins de deux années fait honneur à l'artiste, mais son oeuvre maîtresse, son principal titre de gloire est de date antérieure. Rapprochement curieux. Nous venons de voir Adolphe David gravant l'effigie de Victor Hugo après avoir sculpté le buste d'Ingres en pierre fine. Nu-1 mieux que Victor Hugo n'a su chanter la gloire militaire du héros de Wagram et d'Iéna; nul n'a mieux parlé à l'aide du pinceau de la renommée sans égale de Napoléon Ier que ne l'a su faire Ingres dans le grand salon de l'ancien Hôtel de Ville de Paris. Or, c'est précisément le plafond d'Ingres représentant VApothéose de Napoléon Ier, qui a séduit la pensée d'Adolphe David. C'est cette page magistrale qu'il a su traduire pour les siècles sur une matière de prix.
Nous avons tous vu, avant le 24 mai 1871, ce prodigieux plafond de l'Hôtel de Ville où l'homme des Pyramides était
représenté debout sur un quadrige, recevant des mains de la Gloire la couronne des empereurs. Le char triomphal, guidé par la Victoire aux ailes puissamment ouvertes, s'élevait dans un ciel sans nuages... Une heure de démence a détruit l'oeuvre d'Ingres.
Adolphe David avait-il eu le pressentiment de cette heure fatale, ou bien s'est-il souvenu de L'édit d'Alexandre autorisant Lysippe à le sculpter en bronze, Apelle à le peindre, et Pyrgotèle à le graver? A-t-il eu l'ambition de reprendre sur une agate, avec sa bouterolle, l'image idéalisée de l'Alexandre moderne, tracée par le pinceau d'Apelle? Nous l'ignorons, et d'ailleurs qu'importe? L'oeuvre d'Adolphe David est deux fois précieuse. Non seulement elle est la réplique de haut style d'une page disparue, mais ses dimensions dépassent celles de tous les camées depuis Tibère. L'audace et la patience ont été les gardiennes de l'artiste. Quinze années de sa vie, ne craignons pas de le rappeler, se sont écoulées dans ce rude travail ; mais en revanche la France possède aujourd'hui, de par ce maître vaillant qui ne s'est pas découragé, la plus importante des gemmes que la glyptique moderne ait produites.
Et quel n'est pas le mérite de cette agate? Tenu de sacrifier certains détails de 1^composition primitive, Adolphe Dawl s'en ouvrit à Ingres. Si grande que fût la pierre longtemps cherchée, elle ne permettait pas de reproduire le plafond d'Ingres dans son intégrité.
Le peintre le comprit.
Trois figures allégoriques disparurent pour laisser plus de place au quadrige du triomphateur. Le groupe de l'Apothéose a été l'unique objectif du graveur en pierres fines. La nature entière fait silence autour du char éclatant qui monte, impondérable, dans l'espace, au galop aérien de ses coursiers. Je me trompe. Un bruit monotone arrive jus-