MADAME DE CHAMBLAY
PAR
ALEXANDRE DUMAS
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QUELQUES MOTS AU LECTEUR
C'est une singulière histoire que celle que je vais vous raconter — ou plutôt que celle que l'on va vous raconter, cher lecteur.
Elle est écrite par un homme qui n'a jamais rien écrit que cette histoire. C'est une page détachée de sa vie, ou, pour mieux dire, c'est sa vie tout entière.
La vie de l'homme se mesure, non point par le nombre d'années pendant lesquelles il a existé, mais par les minutes pendant lesquelles son coeur a battu:
Tel vieillard, mort à quatre-vingts ans, n'a vécu parfois en réalité qu'un an, qu'un mois, qu'un jour.
Vivre, c'est être heureux ou souffrir.
Faites passer devant le moribond couché sur son lit d'agonie tous les jours qu'il a traversés, il ne reconnaîtra
reconnaîtra ceux qui viendront à lui le rire sur
les lèvres ou les larmes dans les yeux. Les autres
passeront ternes, voilés, insaisissables; il ne pourra
pas même dire si ces jours font partie de sa vie ou
de celle'd'un autre; ces jours, il les aura usés,
mais il ne les aura pas vécus.
L'homme qui a vécu le plus longtemps est l'homme
qui a le plus éprouvé.
* * *
J'avais un ami.
Vous savez toute l'extension que l'on donne à ce mot ami.
Ami, dans notre langage de convention, ne signifie même pastoujours.un compagnon, un camarade. Ami signifie souvent une simple connaissance.
Pour nous, si vous le voulez bien, ce mot ami ne signifiera ni compagnon ni camarade : il signifiera une simple connaissance sympathique.