52 GAZETTE DES BEAUX-ARTS
part ? Et pourquoi dédier cette fantaisie abracadabrante à M. le baron d'Espagnac ?
Voyons d'abord dans quelle mesure l'oeuvre de l'artiste repose sur un fonds de réalité. Dans le grand ouvrage gravé de Jean Marot (1640-1701) sur l'hôtel des Invalides, on trouve, sur les cartes du vaste ensemble de bâtiments, différentes cuisines : Cuisine du gouverneur, Cuisine de l'infirmerie, Cuisine des prêtres de la maison, Cuisine des soeurs pour les malades, Cuisine du controlleur. Mais il va de soi que ce n'est d'aucune de celles-ci qu'il peut s'agir ici : ce doit être une des Grandes cuisines des ojfîciers et soldats.
Mais, si l'on compare le plan et la coupe de Marot avec le dessin de SaintAubin, les différences qu'ils présentent apparaissent immédiatement aux yeux. Chez Marot,- on ne trouve aucune indication d'une salle voûtée. Deux bases de piliers sont bien marquées sur le plan, mais la section montre que ce sont là seulement le support d'une hotte de cheminée : rien qui ressemble aux quatre canons-piliers de l'aquarelle. Nous relevons même un autre détail, le mot v< Etuve » écrit sur une porte, dans la composition de Saint-Aubin. A la place correspondante, sur le plan, ne se trouve ni porte ni étuve ; mais derrière l'imposante cheminée on distingue l'emplacement du lavoir de la Grande Cuisine. La ressemblance entre le plan et l'aquarelle est trop grande pour que l'artiste n'ait pas vu la célèbre cuisine ; toutefois les différences sont trop criantes pour que l'aquarelle ait pu être exécutée sur place.
Les cuisines des Invalides étaient certes connues de l'artiste depuis longtemps. La Grande Encyclopédie Larousse rapporte que cette cuisine attire encore de nombreux curieux, bien que, ajoute-t-elle, la fameuse marmite, objet de tant de légendes, ait maintenant disparu. Gabriel de Saint-Aubin a certainement écouté en souriant ces racontars fantaisistes. Mais ils manquaient pour lui d'un intérêt d'actualité et n'eussent pas suffi à inspirer son crayon. Il fallait une impulsion directe, venue de l'extérieur, pour diriger le projecteur de sa fantaisie créatrice sur la légendaire cuisine des Invalides.
Et maintenant, mettons-nous en chasse sur la piste de ce nom d'Espagnac, dans le Journal de Paris de 1779.
Le 27 août, nous le retrouvons dans le contexte suivant :
v, Académie. C'est pour la seconde fois que M. l'abbé d'Espagnac a prêché le panégyrique de Saint Louis, en présence de l'Académie des Sciences et de celle des Inscriptions. Nous attendons que son discours paraisse, et nous ne cherchons pas à prévenir le jugement du public sur ce jeune orateur déjà connu par ses succès dans la Chaire, et par ses succès académiques, dans un âge où l'on forme tout au plus le désir de les mériter.
<\ Nous nous bornerons à remarquer que par la manière brillante dont M. l'Abbé d'Espagnac entre dans la carrière des lettres, il ajoutera à la gloire d'un nom cher à ses Concitoyens.