GABRIEL DE SAINT-AUBIN
AU MUSÉE NATIONAL DE STOCKHOLM
N'est-ce vraiment que le hasard qui place à Paris, au XVIII" siècle, la naissance de ce genre créé par Saint-Aubin qu'on peut qualifier de « feuilleton de l'art ? » Si, d'une part, le tempérament de cet artiste le prédestinait à découvrir dans le Paris vivant la matière même de son art, d'autre part, cette découverte s'imposait à ce moment précis par la logique d'une nécessité interne. Depuis deux générations, en effet, on s'était accoutumé au sentiment de se trouver au centre de la civilisation du monde, pour autant qu'on évoluait entre la Bastille et le Faubourg Saint-Honoré, entre le Luxembourg et la Porte Saint-Martin. La vie telle qu'elle apparaissait sur les bords de la Seine avait pris pour le monde entier la valeur d'un modèle. De même que les modes de Paris, on copiait tout autour du globe les manières de la société française. Et, chaque matin, roulaient sous les portes de la ville les lourds coches de la poste, transportant les monceaux de feuillets fraîchement imprimés des Mémoires secrets, du Mercure de France ou du Journal de Paris, qui bientôt, dans la province et dans les cours étrangères, seraient dévorés par des yeux avides de nouveau.
Gabriel-Jacques de Saint-Aubin se fit l'illustrateur de ces chroniques du jour, imprimées ou non. Partout où se passe quelque chose qui mérite d'être vu, il est là ; toujours on le trouve au foyer de cette vie aux rapides pulsations, avec son album prêt et sa plume taillée. L'ardeur de créer éveille en lui, chaque matin, une soif de nouveau qui ne s'apaise que lorsqu'un événement notable a été fixé par son crayon travaillant fiévreusement. Il est là, dans le remous populaire, lui-même le plus original, le plus prenant de ces types de la rue, avec son coup d'oeil pétillant qui surprend le rythme même de l'agitation humaine qui l'entoure, l'enchantement de la ligne dans le jeu des contours rompus. A l'aventure, apparaît comme la réalité vécue l'image artistique qu'il en donne. Tout coule, tout se meut dans ces petits dessins, ces lavis, ces aquarelles, où chaque