376 GAZETTE DES BEAUX-ARTS
l'année précédente le portrait d'Ali-Hamed, Khalifat de Constantine, entouré d'une belle escorte (Musée de Versailles), et c'est à son modèle qu'il dut de connaître l'Orient africain.
Bien qu'influencé par Delacroix, l'ancien élève d'Ingres garde sa personnalité. Il a observé la nature algérienne en poète autant qu'en peintre. Il a le souci de définir et d'analyser la vie intérieure ; il essaye de pénétrer l'âme de l'Islam. Dans le dessin des physionomies il insiste souvent sur une expression, sur un regard nostalgiques ; il y a moins d'alanguissement dans les créations de Delacroix. Comparons, par exemple, aux Femmes d'Alger certaines oeuvres orientalistes de Chassériau. Aux Juives qui bercent le nouveau né de la collection Arthur Chassériau, il a donné cet accent mélancolique qui frappe déjà dans ses premiers dessins et dans ses premières peintures. Même impression dans le visage amaigri d'une mère miséreuse qui allaite son enfant, visage où brillent deux grands yeux énigmatiques, dans lesquels le peintre a mis tant d'humanité.
Ce qu'il n'est pas négligeable de noter, c'est que Chassériau, comme Delacroix, est intéressé, avant tout, dans son voyage, par les types humains ou les scènes anecdotiques, jamais par le paysage ; lorsque la nature algérienne apparaît dans un de ses tableaux (comme les Cavaliers arabes emportaiit leurs morts) elle est sans grand caractère. Il est attiré par les caractères ethniques, en particulier par les physionomies et les attitudes des juives, qui donnaient de la vie à tous ses souvenirs bibliques. C'est un fait curieux que ce poète n'ait jamais été un observateur impassible ; même quand il errait dans les rues des villes algériennes, il regardait avec ses yeux étranges de créole mélancolique, prêtant sans doute à ses modèles bien des sentiments qu'ils étaient loin d'avoir, et créant ainsi un Orient nostalgique qui est bien à lui. Il n'oublia jamais ce qu'il avait aimé dans son adolescence, ce qui s'était disputé dans son coeur de peintre, l'eurythmie antique et l'étrangeté exotique.
Ses rêves qui, pendant quelques semaines, se sont concrétisés à travers les rues de Constantine ou d'Alger, vont toujours vers les régions inexplorées d'Asie ou d'Afrique, celles qui émeuvent le plus notre imagination. 11 reste romantique par certains côtés, avec son goût du pittoresque et du mystère et son amour de la couleur locale, même en ce qu'elle peut avoir de factice.
Fromentin regarde l'Algérie avec des yeux différents. Si on compare ses impressions à celles d'un Théophile Gautier, riches en verbe et hautes en couleur, elles apparaissent comme un peu monochromes. Rien qui rappelle les scènes de violence qu'aimait Delacroix; l'auteur d'Un été dans le Sahara ira finalement vers les paysages en demi-teintes, vers les sensations d'équilibre et d'harmonie. Ce qui est frappant, c'est son souci d'exactitude. Il n'a pas été le