Musées et Monuments
DE FRANCE
LA PREMIERE TOILE D'HENNER (Palais des Beaux=Arts de la Ville de Paris)
(PLANCHE I3.)
DANS la Salle Henner qui vient d'être inaugurée au Petit Palais, grâce aux dons généreux de M. Jules Henner, le neveu de l'artiste, une pensée pieuse a rapproché la première et la dernière toile du peintre de Bern willer.
Sa dernière toile, inachevée, n'offre guère qu'un intérêt de souvenir et de sentiment. Cette Mélancolie, à peine différente des poétiques Madeleine d'Henner par sa pose accoudée, ressemble, dans sa suave morbidesse, à toutes les soeurs aînées que l'artiste lui donnait depuis vingt-cinq ans. Elle prouve seulement, —■ et la constatation a sa valeur, — que l'exécution n'avait point fléchi chez lui, et que presque jusqu'à l'extrême fin il conserva intacte sa maîtrise.
Sa première toile, par contre, sera pour beaucoup de visiteurs une révélation. Accrochée un peu en haut, sur le petit panneau à droite de l'entrée, elle attire et amuse l'oeil par je ne sais quoi d'insolite et de naïf. Parmi les nudités 'ambrées, les ciels de turquoise, les portraits corrégiens ou semi-vénitiensqui l'avoisinent, ce rustique Alsacien, coiffé de l'antique bonnet de coton à floquet, semble au premier abord dépaysé. En réalité, il est là parfaitement chez lui, par droit de conquête, et à la place qu'il mérite. Ce bonhomme est deux fois intéressant.
Il l'était par lui-même, de son vivant, et ce n était pas hier. Toutefois, les vieux du pays, la-bas, se souviennent encore du menuisier Jean
Hermann, deBernwiller. Ils vous montrent volontiers, dans leurs maisons rustiques plus ou moins modernisées, quelque bon buffet de noyer luisant, chantourné et décoré avec originalité, et vous disent: « C'est de Jean Hermann, qui était un artiste à sa manière. » Le chalet Henner actuel — en avantduquel s'élèvera, sous peu, le monument dû au ciseau d'Enderlin — possède, lui aussi, quelques meubles du vieux menuisier de Bernwiller. Ils sont d'excellente facture, avec une pointe de fantaisie.
Entre le jeune Jean-Jacques, fils d'un cultivateur, et le vieux menuisier-ébéniste, qui dessinait les profils de ses meubles, des relations de voisinage et de goût s'établirent. Notre futur artiste, né en 182g, avait sans doute, tout gamin, vers 1840, joué parmi les copeaux de l'atelier. Il n'avait encore aucune vocation. Mais en 1841, en automne, il entrait au collège d'Altkirch, et là, entre les mains de son premier maître de dessin, Charles Goutzwiller, sa vocation se révéla.
Goutzwiller a raconté lui-même, dans ses Souvenirs d'Alsace, comment il connut l'élève dont la "gloire devait, plus tard, rejaillir à bon droit sur lui :
« Vers la fin d'octobre de l'année 1842 [il se trompe, c'est exactement en 1841, nous allons le prouver], je reçus la visite d'un grand jeune homme à l'air doux et timide [c'était le frère aîné d'Henner, Séraphin], tenant par la main un petit garçon d'une douzaine d'années, vêtu d'un veston et d'une
IQD5. — NJ 4.