ECOLE PROFESSIONNELLE 327
rempli leur tâche en payant un salaire qui varie suivant la loi de l'offre et la demande, ne fondent, ni sociétés de prévoyance ni écoles, s'abstiennent systématiquement de toute intervention dans la destinée des ouvriers, et prétendent vouloir respecter ainsi leur indépendance, il suffit de jeter un coup d'ceil, les jours de paie, dans les cabarets envahis et dans les foyers déserts, pour juger ce que vaut cette fausse indépendance. Lorsqu'à Paris et ailleurs, des ouvriers trop confiants en eux-mêmes, croient possible, du jour au lendemain, de vivre en association; lorsqu'ils espèrent s'affranchir du joug, devenir plus libres, se soustraire aux ennuis de la discipline, en créant des sociétés coopératives de production, ils sont le jouet, d'abord d'une fatale illusion, puis d'une erreur matérielle; ils n'ont ni capital, ni gérant; ils tombent dans l'anarchie, puis dans la misère; ils ont lâché la proie pour l'ombre; ils n'ont pas compris que la nécessité de se soumettre à la règle résulte de la nature des choses. Dans tout atelier, coopératif ou autre, il faut, pour réussir, avoir un bon contre-maître, un supérieur, un chef quelconque et lui obéir, non sans doute en esclave craintif, mais en homme intelligent et libre qui fait volontairement le sacrifice temporaire de sa liberté !
Le système, contraire est celui des défenseurs du régime patriarcal. C'est l'idéal de quelques hommes consciencieux, mais trop disposés à s'inspirer des idées d'un autre âge. Effrayés par certains exemples, ils considèrent que la population ouvrière groupée autour d'une usine doit, autant que possible, pour son salut dans co monde et dans l'autre, être enserrée dans les liens multiples d'une étroite tutelle, d'un patronage incessant. Le patron s'arroge alors en quelque sorte le droit de penser et d'agir pour tous ceux qu'il emploie. Il se considère souvent comme ayant charge d'âmes, et c'est là, .je le dis sincèrement, le beau côté de ce système aristocratique et patriarcal; après avoir payé les salaires qu'il doit à ses ouvriers, le patron les assiste, les protège, les fait soigner généreusement. C'est un bon pasteur qui prend soin de ses brebis. Mais je le demande, Messieurs, faut-il présenter comme un but à atteindre le développement de co système de charité, de cette organisation de l'aumône? Qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée! La reconnaissance n'est pas un fardeau pour les nobles coeurs, vous le savez, vous tous qui êtes remplis de gratitude pour M. CHAIX, mais, par un légitime sentiment de dignité, chacun désire être, dans la mesure du possible, l'artisan do son propre destin; cette perspective acceptée d'avance comme naturelle et normale, d'être un jour assisté, nourri par le patron de l'usine, comme on l'était autrefois par le seigneur du village oupar le couvent voisin, comme on l'est aujourd'hui par le bureau de bienfaisance, ne répond pas au voeu intime de notre démocratie française. L'ouvrier veut avoir gagné le bien-être qu'if apporte à son foyer, il aspire à l'épargne, à la propriété, à l'indépen-