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Titre : Histoire curieuse du duc de Roquelaure, surnommé l'homme le plus laid et le plus gai de France... par M. de Robville...

Auteur : Robville, T. de (18..-18..). Auteur du texte

Éditeur : (Paris)

Date d'édition : 1861

Sujet : Roquelaure, Gaston Jean-Baptiste de (1617-1683)

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31229228c

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 108 p. ; in-12

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Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5846715r

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LN27-17850

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 28/06/2010

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HISTOIRE CURIEUSE . :

DU DUC DE

ftOQUELAURE


PORTRAIT AUTHENTIQUE

CD

DUG DE ROQUELÂURE,


HISTOIRE CURIEUSE

DU DUC DE

ROQUELAURE

SURNOMMÉ

L'HOMME LE PLUS LAI» ET LE PLUS GAI LE FRANCE

SES AVENTURES GALANTES INCOMPARABLES, SES «USES

EXTRAORDINAIRES, SES FACÉTIES, IMPROMPTUS,

RÉPARTIES, BONS MOTS, JOYEUSETÉS DE TOUT GENRE, ETC., ETC.,

RECUEILLIS A LA SUITE DE NOMBREUSES RECHERCHES

ET MIS DANS UN NOUVEL ORDRE, I

Par M. DE ROBV1LLE

PARIS

LE BAILLY, LIBRAIRE

Rue Cardinale, «S, et rue de l'Abbaye, S

Faubourg Saint-Germain.

1861



PREFACE .

QUE TOUT I>E S£ONDE DOIT USEE.

Nous sommes sûrs que-l'apparition d'un nouveau livre sur le facétieux duc de Roquelâurè étonnera jbien des gens.

Les uns croiront à un appel au scandale; ils seront dans l'erreur.

Les autres devineront un consciencieux travail sur une époque riche en souvenirs; ils serontdans le vrai.

Plusieurs fois déjà on a fait ce que nous recommençons aujourd'hui, mais à des points de vue différents.

Néanmoins, que les lecteurs se rassurent; nou3 n'avons pas la prétention d'écrire un ennuyeux résumé-historique. Entre la sécheresse de l'histoire et le scabreux récit des cerveaux erotiques, il y a un juste milieu ; c'est ce milieu même qui a été choisi.

Autre temps, autres moeurs, dit un vieux proverbe. Est-ce qu'une .série d'épisodes amusants et intéressants ne vaut pas mieux qu'une banale compilation d'aventures ordurières?

Si des écrivains ont jugé convenable d'amuser nos pères par des petits livres qu'on ne pouvait vendre qu'en secret, nous avons jugé utile, nous, d'amuser les fils en les instruisant ; persuadé, de cette façon, que notre volume trouvera place dans toutes les mains, et que la morale, si sévère qu'elle soit,-nous accordera toujours un sourire au lieu d'un reproche.

il fallait aussi éviter l'aridité dé ce qu'on nomme "vulgairement : Mémoires. L'auteur a dGhc dû se livrer à des recherches nombreuses; il a compulsé les bibliothèques, les manuscrits que lui confia souvent l'obligeance de ses confrères les bibliographes et bibliophiles, et nous pouvons sans crainte livrer au public un travail conçu avec l'idée mère que nos contemporains ne pourraient que le lire avec profit.


TI PREFACE.

Sa méthode a été bien simple pour arriver au but qu'Use proposait.

Il a pris, comme modèle, un des meilleurs drames joués sur les théâtres de Paris. Ce drame, mêlé de sérieux et de rires, contient, pendant toute sa durée, l'attention des spectateurs et attire l'affluence chaque fois qu'on le représente. - •

Nos lecteurs sont les spectateurs de notre drame de coin du fcu; ils s'intéresseront à notre héros, nous en sommes, persuadés^ et tour à tour les fibres de leurs visages seront mobilisés par le rire et par les larmes.

Gaston, duc de Roquelaùre, marquis de Laverdeux, de Diran, seigneur de Puyguilhen, comte de Gavre, de Pondgibaud, etc., est un personnage.populaire; les salons et les ateliers le connaissent au moins nominativement, et on le fêtera, comme un àmi dont on attendre retour de voyage.

Si nous affirmions que notre histoire est exempte de fautes chronologiques et généalogiques, nous mentirions sans doute ; maissi.-à côté de critiques sévères, nous obtenons un modeste éloge, nous ne cachons pas que nous serons contents.

Pour terminer, nous vous affirmons, chers lecteurs, que nous sommes de l'avis de Roquelaùre même : '

« Je -veux bien que tout le monde me trouve laid, difforme et mal vêtu; mais, pourvu qu'on ne vienne pas meT-apprendre à brélë-pourpoint, mon amourpropré-sera sauvé, et je pourrai me croire encore Tombred'unAdonis. » -'

Que celui qui est sans péché nous jette la première, pierre..., pourvu qu'elle soitentQuréaide auategui en amortisse le coup.

Surtout, jeunes: filles, ne rougissez .pas «1 "voyant notre titre; Roquelaùre n'a gardé ici pour /vous,cde son extrêmeigalanterie, que l'art de vous; plaire,'^- et peut-être aussi de nrou& faire cêv.er.

L'AUTEUR ET • I/EDITEURÉ


HISTOIREET

HISTOIREET

AVENTURES CURIEUSES '

DU DIX DR .

OQUELAURE

i i .

nSAISSANCB DE BOQUELAURE. y S-ZS PREMIÈBES

ARMES»

Gaston-JeanrBaptiste, marquis, puis duc de

oquelaure, naquit en 1615, un mois avant le :erfne marqué par la nature pour le laborieux-enantement de la maternité. • -■

On prêle à celle naissance hâtive une cause que ous devons, expliquer.

.Madame de Roquelaùre se promenait un jour ans sa chaise à porteurs, lorsque, sur la place de

rêve, elle fut arrêtée par unrassenibltethent qui . força de.se.réfugier dans la maison la.plus pro;

pro; elle apprit qu'on allait rouer vif un,seineur, nommé, je crois, Sassetit, accusé.dc^dilaidations et de détournements de mineures; elle


S ' HISTOIRE

dut assister malgré elle à l'exécution, et la révolu tion qu'elle en éprouva fut si grande, que (ieu jours après elle donnait le jour à Gaston-Jcan-Ba|i tiste, qui ne s'en porta jamais plus mal, malgré 1 fantaisie de dame nature.

Dans ce temps, on croyait beaucoup aux horoscopes. Madame de Roquelaùre consulta, pour son fils bon nombre de devins et de sorcières, afin df connaître si la viabilité serait durable en raison des huit mois de conception, et si l'avenir de l'eif fant serait parsemé de roses ou d'épines. !

Les devins, alors comme aujourd'hui, aimaient beaucoup l'argent; ils bavardèrent leurs horosco- 1 pes selon la somme qu'ils reçurent, et, bien en| tendu, aucune de leurs prédictions ne se réa*. lisa.

Dès l'instant où il mit le nez à la lumière, Ro-'i, quelaure eut empreint sur la physionomie cet ait moqueur, railleur même, qui lui fit plus tard une: si merveilleuse réputation. §

Malheureusement, l'enfant n'était pas - beaa>i' Tout le monde en convenait, excepté lui toutefois;!" mais il s'était personnellement formulé une opiy nion sur les lignes de son visage, et s'il n'admeltaili; pas la réalité de sa laideur, quoiqu'il la connu!', parfaitement, c'était afin de ne pas perdre le senlK ment de sa dignité et pouvoir se livrer hardiment à toutes les excentricités de son caractère ré-| soin. I

Il eut raison d'ailleurs; car, une fois sa laideur!

passée à l'état de chose reçue, on n'y fît plus at-L

• tention, malgré les boufs-rimés et les épigrammesl

qui coururent sur son.comple et dont il fut le pre-<

mierà rire.

Yoilà, du reste, son portrait physique. Nous


g- DU DUC DE ROQUELAUItE. g

;j'cmprunton s à ses 'Mêmoires, et nos lect'.urs nous fên--sauront gré, car ils pourront ainsi avoir toujours l'image présente de celui.dont nous racontons les hauts faits.

« L'ovale de mon visage, ditRoquelaurê,.n'était pas sans doute d'un galbe irréprochable, mais la ^partie inférieure se terminait par une sorte de dépression effilée qui est particulière aux bossus, et ;qui prête à,la physionomie Un air inconteslable ,de finesse et d'esprit. Mes yeux étaient vifs, perçants, lumineux et semblaient voir beaucoup plus loin que certaines gens ne le voudraient ordinairement. Ma bouche était grande, mais je possédais, surtout étant jeune, une rangée de dents dont la blancheur fut, avec celle de mes mains, une des qualités que les femmes elles-mêmes m'envièrent plus d'une fois. Ce que j'avais de plus défectueux était sans contredit mon nez, qui était un peu trop camard pour que j'essaye ici d'en entreprendre le panégyrique et la réhabilitation. Les générations futures en penseront ce que. bon leur semblera. Sans doute, ce n'est là ni le .portrait de l'Apollon pythien, ni celui du bel Anthinoûs, mais je persiste à dire, et l'on comprendra que j'ai mes raisons pour cela, que j'étais plutôt en dehors de ia beauté humaine que dans les conditions de la véritable laideur. Personne ne me trouvait beau, c'est vrai, mais rien ne m'oblige à être de l'avis de tout le monde, et je dois ajouter qu'à cet égard plusieurs dames de goût ont bien voulu me confirmer dans mon opinion. » . >

* Ce jugement établi, a proprio molu, continuons la vie de notre héros.

Roquelaùre ne démentit jamais dans ses reparties l'expression moqueuse de son visage.


10 HISTORIE

Il en donna surtout une preuve première à l'âge de onze ans, dans une réunion où se trouvaient mêlées la noblesse et la finance.

Un gros fermier général se permit de leplaisanter sur sa hardiesse à vouloir tout connaître et surtout certains détails charmants que l'on ne confie qu'à un âge plus avancé.

Le fermier-général, boursouflé de sa fortune, se croyait tout permis. '

— Hé ! hé! fit-il en tapant gaiement sur la joue de Roquelaùre, voilà un petit papillon qui ne demande qu'à essayer ses ailes !...

— Elles sont, au contraire dos vôtres, répondit le jeune homme, couvertes de brillantes couleurs.

— De l'insolence I riposta: le richard légèrement blessé.

— Je chasse sur vos terres, monsieur.

— De l'esprit?...

— Ah ! pardon, je ne savais pas que vous fussiez parent d'un inconnu pour vous.

Le fermier-général, désappointé devant l'éclat de rire universel qui accueillit cette riposte, tourna les talons et ne reparut plus dans l'assemblée ce soir-là.

Si Roquelaùre fut un prodige d'esprit, il ne fut pas moins une fleur hàlive des passions.

Le hasard, ce grand maître qui ne se laisse jamais deviner, le conduisit chez une dame déjà sur le retour, veuve, et d'unebeauté piquante.Roquelaùre en tomba follement épris.

Nous ne citerons pas le nom de cette dame; nous devons être discret à l'égard dn beau sexe qui accorde ses faveurs àl'impélueuse nature masculine.

Depuis un mois environ, l'amoureux rendait vi-


;i; DU DUC DE BOQUELAURE. II

"île à la veuve, et rien jusqu'alors ne laissait pré"oîr un dénouement que l'expérience amène quelùefois promptement.

Gaston s'asseyait, courait, était ému, puis ne

isait rien, n'en comprenait pas davantage, et,

àlgré la pantomime des yeux de la brune aga.ante,

aga.ante, se levait et partait, pour revenir le lenémain

lenémain le même manège.

Il maudissait bien intérieurement sa timidité ;

ais que faire à seize an9j lorsqu'on a peurd'être

ebulé?...

La dame, désespérée de voir son manège inuîlè, battit en retraite. Oh! alors, notre jeune homme devint aussi ardi qu'il s'était montré naïf. Se trouvant seul avec elle, dans un boudoir emaumé de mille senteurs, il commença la converation avec une réserve qui dénotai tlecombat qu'il ivrait intérieurement à un grand désir de ne pas tire gauche. La dame, ravie, s'avança de nouveau d'autant e pas qu'elle en avait fait en arrière. Un doux change d'axiomes s'opéra entre eux : des leçons furent demandées et galamment accordées; enfin, là' passion des amants, malgré la différence de . lustres qui les séparait, dura près d'une année.

Nuls conseils, pendant ce temps-, ne purent le iétacher de madame dé R... (ne-soyons pas iniiscret) ; et, durant toute sa vie, Roquelaùre conserva de cette ravissante institutrice un gracieux. ît imagé souvenir.

Le premier amour, en quelque circonstance et Je quelque façon qu'il se présente, produit au ;oeur l'impression d'un burin sur le marbre : il iaisse des traits vivaces sinon ineffaçables.


12 ■ HISTOIRE

. . . I

Et cependant Roquelaùre n'en était qu'à son ' coup d'essai.

"■•..' i

II . |

CAMPAGNES DE MARS ET DE VÉNUS. CHABBIETTE. I

LE PAVILLON ET LE SOSIE DE M. DE GONDY. \

La guerre et l'amour, tels sont les deux mois ;

. qui peuvent résumer l'histoire de l'homme dont]

nous écrivons l'histoire. ' (

Du reste, lui-même traduisit sous le nom gêné- '■ rique de campagnes les étapes qu'il accomplit éga- j lement dans les domaines de Mars et de Vénus.J

La première campagne militaire de \Roquélaure| fut le combat de laMarfée. " .' j

Ses impressions pendant ce combat dénotèrent un esprit aventureux. Je n'en veux pour témoin que sa réponse au maréchal de Fabcrt.

— Tu frémis, Roquelaùre, dit le maréchal en voyant son soldat tressaillir au bruit du canon.

— Oui, maréchal, repartit Roquelaùre ; mais c'est de plaisir.

À ce combat de la Marfée, Gaston (car nous désignerons tour à tour notre héros sous ses noms de baptême et de famille) assista à la mort tragique du comte de Soissons. •

La bataille était terminée, Gaston lui-même avait été grièvement blessé, lorsqu'un coup de pistolet, tiré par un des officiers de l'armée, vint frapper M. de Soissons à la tête ; le comte tomba de son cheval et expira aussitôt.

On attribua cette action sanglante à une vengeance particulière, mais on ne put jamais décou? vrir le coupable.


DU DUC DE KOQTJELAtlEE. * l3

Quelques historiens, pour ne pas faire tache à l'honneur français, attribuent ce meurtre à une Jalle perdue venant du camp ennemi.

Ennemie ou amie, la balle n'arriva pas moins à son but et M. de Soi.;sons passade vie à trépas.

Après la bataille, Roquelaùre fut forcé de séjourner dans un village de Champagne, et certes là solitude convenait peu à son esprit remuant. |: Il allait se promener aux environs. Un jour que sa promenade était poussée plus loin que d'habitude, il aperçut sur la roule un carrosse courant à grandes guides.

■"Avec la perspicacité dont il possédait une forte ïose, Gaston crut que le carrosse opérait un enlèvement. -

). L'air inquiet du cocher; les cris qui partaient de ^intérieur de la voilure, lui prouvèrent qu'il ne se trompait pas.

% Aussitôt il tira un pistolet de sa ceinture, cou"■., à en joue le cocher qui, plus mort que vif, ar*|a, et, ouvrant la portière, il sourit à la vue du plfe charmant minois qui fût sous la voûte des Gieux.

Il monta près de la candide enfant, après avoir unné à choisir au cocher entre vingt pistoles et la ucule de l'arme à feu, et ce dernier, dont le coeur 'jàit toujours sensible au son métallique de la monnaie courante, conduisit la voiture au plus prochain iflage.

î-Chemin faisant, Roquelaùre causa avec la jeune lie.

;vElle se nommait Charmette. ';; Il apprit qu'elle avait été enlevée de chez-sa Shte par les ordres d'un riche financier; qu'elle royait bien que sa tante elle-même était complicç


ï'4 -\ HISTOIRE [

• - î

du rapt'; puis Charmette supplia l'inconnu de la^ ramener chez son père qui demeurait à Rheims. | Roquelaùre y consentit. Mais, quelque laidj; qu'on soit, le coeur n'en pétille pas moins à l'as-; pect d'un tendron, et Charmette était délirante.' <f Il se permit donc quelques libertés, — j'en-:- tends libertés de langage, — et finit, sans regar| der la jeune fille, par lui faire une déclaration*: d'amour. «

Il continua ainsi pendant quelques minutes.| Etonné qu'on ne lui répondit pas, il tourna la têlc.f Charmette dormait; , - î?

•Hélas! ce sommeil était l'effet d'un narcotique dont le financier avait sans doute espéré le bénéfice pour lui. Roquelaùre s'en aperçut et,' donnan| ordre de hâter le pas des chevaux, le véhicule ar§ riva b-enlôt à un village où se trouvait une uniqul auberge. |

Charmette fut déposée sur un lit et l'aubergiste,^ par excès de zèle pour être 'bien payé, se mit âla3 recherche d'un médecin qui n'existait pas. t

Pendant ce temps, Roquelaùre jugea convenais de remplacer lui-même le médecin. |

Pour rendre connaissance à Charmette, il délaçi| son corset ; mais il dut s'arrêter en route : jamais^ roses fraîchement écloses ne produisirent impres,| sibn plus grande sur un papillon. g

Au Contact de l'air, Charmette revint a la vieil Une rougeur pudique envahit ses joues en sig voyant ainsi dévêtue. j$

Mais l'air timide de Roquelaùre, le drôle d'èffel| surtout que produisit son nez en cette circonstance la désarmèrent ; elle éclata de rire. ||

; Rbquelaure, qui; n'en était pas à sa premièfif campagne; devint aussi hardi qu'un page. K


£;"'; DU DUC DE ROQUELAURE.. l5

k Un silence interrompu seulement par. quelques iplaintes du zéphir régna dans la chambre; et, Sqnand l'aubergiste.accourut pour annoncer que le fraédccin était introuvable, Charmette était guérie. : En homme d'honneur, Roquelaùre conduisit lia fillette à Rheims, comme il le lui avait promis, et, chose étrange, des larmes s'échappèrent de .fleurs yeux quand arriva l'instant de la séparation.

'S —Rast ! pour une fleur qui s'effeuille, on en retrouve mille autres, s'écria-t-il en .reprenant la '-'roule de Paris ; allons courtiser madame de Gu'e"àmenée.

; Pour que nos lecteurs comprennent la fin de scelle phrase, nous devons leur dire que, depuis ^longtemps déjà — deux mois —* Gaston était Isâmoureux de cette dame.

'■•' Arrivé à Paris, il la rencontra de nouveau à un fbal, et, par ses soupirs, lui apprit bientôt qu'il Jh'avail pas renoncé à lui plaire. ;; Mais madame de Gucmenée était coquette ; en : oulre, elle était entourée d'adorateurs, et pour se ïfaire agréer au cercle ordinaire de la dame, il dut" :. .commencer par se battre avec un de ses rivaux. y- Il fut vainqueur; la dame le récompensa d'un ijsourire; — ce n'était pas assez pour Gaston. % ' Il redoubla de doux mots, de soupirs, d'airs inïStéresjants qui, par parenthèse, augmentaient la ; singularité de sa physionomie; mais la forteresse -tdemeura imprenable.

'4 Madame de Guemenée, qui avait l'art d'évincer feses adorateurs, tout en les retenant près d'elle, iaimait momentanément l'abbé de Gondy, qui plus )tard illustra l'histoire sous le nom de cardinal de SRetz.


l6 HISTOIRE *

Ennuyé, vexe même de pousser des soupirs à la lune, Roquelaùre, qui apprit cet incident par une indiscrétion de suivante, qu'il paya grassement, résolut de se venger en arrivant à son but.

Madame de Guemenée possédait aux environs de Paris une maison de. campagne dans laquelle elle devait passer quinze jours.

Roquelaùre eût le talent de se faire inviter comme le commun des soupirants.

En femme habile, madame de Guemenée se garda bien de prier l'abbé de Gondy de la "visiter.

Mais ce n'était pas pour rien que la nature avait donné du nez à Gaston ; il flaira la piste.

Il eut le courage de ne pas dormir pendant deux nuits ; ce courage fut récompensé.

Il aperçût, dans l'ombre, madame de Guemenée se rendre dans un pavillon du jardin ; de Gond y y avait pénétré à la brume.

— La nuit tous les chats sont gris ! pensa Roquelaùre.

Son plan fut aussitôt dressé.

Le lendemain l'abbé recevait, à Paris, un billet qui lui annonçait l'arrivée de la dame dans son hôtel même pour la nuit suivante.

Celle nuit arrivée, l'abbé de Gondy fit patte de grue.

Pendant qu'il maugréait, Roquelaùre avait pénétré dans le pavillon du jardin..

L'histoire prétend que madame de Guemenée trouva Roquelaùre le plus. charmant homme de France. '

La chronique affirme que Roquelaùre se vengea en homme d'esprit des tourments de l'attente.


DU DtC DE ROQUELAURE. I7

Toujours est-il que M. de Gondy fut congédié ; personne ne connut jamais cette aventure, et si nous la racontons nous-même, c'est en priant nos lecteurs de nous conserver le secret.

III

ROQUELAURE PRISONNIER. MN;C ES LESDRGUIÈKES.

L'ARCHEVÊQUE DE LYON. LES TERRES

D'ESPÀGNE.

Nous trouvons dans un vieux manuscrit l'appréciation suivante formulée sur notre héros. Si nous la reproduisons, c'est afin de compléter le portrait que nous avons déjà tracé.

« Les manières de Roquelaùre, dit le manuscrit, étaient civiles, insinuantes, aisées.et nobles; son geste vif et passionné.

« Il avait la pointe fine et malicieuse, la repartie prompte, la langue déliée et bien pendue ;• il était d'un tempérament fort amoureux et il aimait les plaisirs même jusqu'à l'excès.

«Il était brjve.comme un soldat et généreux comme un prince, chand au service de ses amis, libre en paroles et par dessus tout d'origine gasconne. Son vice le plus dominant était la satire ; il la poussait quelquefois si loin qu'elle dégénérait ■ en calomnie. Rref, s'il avait de grandes qualités, il avait aussi d'énormes défauts. »

Ses aventures elles-mêmes prouvent la vérité: de ce jugement.

Déjà nous avons vu qu'il fût blessé à la bataille de laMarfée; au combat de Honnecourt il fut fait prisounier par les Espagnols. Mais il ne faut pas


l8 HISTOIRE

croire que cette captivité changeât son humeur guillerette; aci contraire.

En Espagne comme en France, il chercha à employer ses loisirs ; ayant rencontré une délirante senora, il la suivit et lui conta fleurette. Malheureusement un jaloux se présenta à point pour couper court à un galant entretien, et Roquelaùre ne dut qu'à une prompte fuite d'échapper à un menaçant couteau de'Caslille.

Revenu en France, il rendit visite, pour se refaire le coeur, nous citons sa"phrase textuelle, à la première conquête de sa vie; mais fiez-vous donc à une passion éteinte ! Roquelaùre fut éconduit, et le bruit s'étant répandu qu'il n'était plus dangereux, M. de Lesdiguières le pria d'accompagn-r sa femme dans un voyage qu'elle devait entreprendre.

M*?' de Lesdiguières refusa d'abord un tel compagnon. Avait-elle peur, au contraire de son mari? Redoutait-elle une faiblesse secrète pourTex-prisonnier des Espagnols? Ce point est resté dans l'ombre. Tout s'arrangea néanmoins.

Les voya,geurs moulèrent en voiture; les chevaux trottèrent toute la nuit, et Roquelaùre, perspicace comme un homme d'esprit, fil la cour à Mme de Lesdiguèresà la façon des roués Il dormit. Croyez-vous que la dame en fut contente? Non ; elle en fut vexée ; la vexation amena le désir d'entrer-en plus ample connaissance avec son compagnon ,-et ^Roquelaùre força lamelle à demander ce que sans-doute il souhaitait lui-même : un doigt -de cour.

Lorsqu'elle fut de retour, Mme de Lecdiguières sauta au coude son mari et's'excusa des craintes qu'elle avait exprimées avant son départ.


DU DUC DE ROQUELAURE. 19

■ — Ehîbien! dit M. Lesdiguières, est-il aussi : dangereux que tù le pensais?

— Oh ! pas du tout, répondit-elle, M. de Roquelaùre est de la nature des chiens, quand on le caresse il lèche, mais il ne mord jamais.

C'est après ce .voyage, que Gaston, qui avait ses entrées à la cour, se livra, envers les demoiselles d'honneur de la reine, à une plaisanterie que nous ne pouvons rapporter, car nous ne saurions trouver de gaze assez épaisse pour la dissimuler.

Cette plaisanterie attira sur lui la colère souveraine. La reine le dénonça au roi, et ce dernier, après avoir balancé sur le parti qu'il avait à prendre, parce qu'il aimait le duc, finit par lui donner vingt-quatre heures pour mettre ordre à ses affaires et quitter le territoire français.

— Malgré Louis XIV, se dit Roquelaùre, je resterai dans ma jmtrie....

Après quelques minutes de réflexion, son idée était conçue.

Il fit atteler sa chaise de poste et partit ventre à terre pour l'Espagne.

En passant par Lyon, son carrosse était arrivé, par-suite de secousses réitérées , à un piteux état de délabrement. En outre, Roquelaùre portait un chapeau et une capotte frippée qui le rendaient méconnaissable.

C'est dans cet étal qu'il parut, par hasard, devant l'archevêque, qui crut au passage d'un courrier ordinaire de Sa Majesté et se mita le.hêtcr contre toute étiquette religieuse.—Holà! hé! .■.'■l'ami ! fit-il; arrête, j'ai à. te parler.

Roquelaùre, d'un coup d'oeil, comprit l'erreur du prélat, fit arrêter sa voiture et mit.pied àierre.

L'archevêque approcha.


20 HISTOIRE

— L'ami, reprit-il, d'où viens-tu ? Qu'y a-t-il de nouveau?

—De Paris; des pois verts; répondit le voyageur. Le prélat crut avoir affaire à un imbécile, d'à- , bord ; il n'en continua pas moins.

— Quand tu es parti de Paris, que disait-on? J

— Vêpres et complics. - y

— Ah çà! comment donc t'appelle-t-on? riposta i l'archevêque légèrement offensé. '^

— Les uns m'appellent : Holà, hé ! les autres : % l'ami ; moi, quand je me cause à moi-même, je \ m'appelle Gaston Jean-Raplisle de Roquelaùre.- î

Et, faisant un signé impérieux au postillon, la f

voiture repartit au grand galop, laissant stupéfait j-le

j-le de l'Église. " \

Arrivé en Espagne, Roquelaùre fit fabriquer'; une petite chaise roulante, la remplit de terre et s reprit le chemin de Versailles, où il arriva in- Icognilo. : ;

Deux jours après il se montrait en public dans [f sa chaise, traînée par deux laquais. Chacun fut 'i surpris; s*, s amis l'engagèrent à ne point braver le | courroux du roi ; mais il n'en fit rien, et le plai- J sant Gaston poussa la hardiesse jusqu'à paraître |; sous les fe'nêtres du palais. " %

Il en arriva naturellement ce qu'il désirait; le | roi l'aperçut, descendit, et, l'abordant d'un air 1: demi-rieur et demi-sérieux, lui demanda ce q«e.,| signifiait celte bouffonnerie, et de quel droit il avait | enfreint l'ordre qui lui avait clé donné. 1

— Pardon , sire, répondit Roquelaùre, je vous | prie de considérer que je suis en ce moment sur les terres d'Espagne.

Et il montra au roi, en effet, la terre qui c'ait étalée au fond de sa chaise roulante. \


DU DUC. DE HOQUELAURE. 21

Le roi, curieux de connaître cette énigme, réitéra ses questions, et, explication donnée, il partit d'un éclat-de rire qui fut le signal du pardon..

Roquelaùre, qui était courtisan, acheva, par un bon mot, de rentrer en faveur.

— Sire, dit-il, sur quelque terre que je sois, du . reste, Votre Majesté me trouvera toujours prêt à me "sacrifier pour sa gloire !

Afin de couper court aux ennemis de Gaston, qui insistaient, néanmoins, pour que Louis XIV agit sévèrement, le roi ordonna que l'exilé resterait en France, mais à la condition qu'il porterait toujours de la terre d'Espagn<: dans ses souliers.

Ce qui fut dit fut fait, et Roquelaùre, qui,, un peu plus tard, s'affranchit de cette servitude, continua à papillonner autour du beau .sexe, qui, secrètement, se plaignait de son absence.

IV '

LA VENGEANCE RENVERSÉE. COMMENT ON SE FAIT PAYER D'UN POETE.

Tous les seigneurs, cependant, n'avaient pas pour notre, héros la même affection que Sa Majesté Louis XIV.

~ L'un d'eux, M. d'Alibon, professait surtout, pour le galant duc, une règle de conduite que l'on pouvait raisonnablement considérer pour de l'envie.

Gaston s'en apercevait parfaitement; mais, en' homme rusé, il gardait le silence le plus réservé, et n'attendait que le moment propice pour mettre à exécution la vengeance, qu'il préméditait.

-M. d'Alibon, en seigneur connaissant son mé-


22 HISTOIRE

lier, diffamait le duc en son absence; le ducprésent, il se montrait d'une charmante humeur, et lui lançait à bout portant les flatteries les. plus saugrenues. •

Madame d'Alibon , femme charmante de corps et d'esprit, ne partageait pas la façon d'agir de son mari ; elle cherchait, par sa gracieuseté, à atténuer les torts de l'envieux, et subissait, pour ainsi dire, à son insu, lé seniiment voisin de l'amour qu'amène si souvent la pitié.

L'occasion de vengeance se présenta fort bien pour Roquelaùre. Il fut invité à déjeuner un malin chez M. d'Alibon, avec quelques autres personnages qui partageaient la répulsion de leur hôte pour le duc.

' Pendant tout le repas Caslon subit tous les quolibets détournes que lui adressa l'assemblée ; il se garda bien d'y répondre.

Bien mieux, il fit preuve de grand tact lorsque les quolibets devinrent directs, malgré les efforts de madame d'Alibon pour les maintenir dans la juste mesure de la bienséance sociale; il se contenta de sourire.

Après le repas, les convives poussèrent l'impolitesse jusqu'à descendre dans le jardin sans inviter Roquelaùre à les'suivre.

Roquelaùre resta donc seul avec madame d'Alibon.

D'abord la conversation roula entre eux sur des banalités. Tout à coup ils entendirent de grands éclats de rire. Us s'approchèrent d'une fenêtre dont la jalousie était baissée, et, à travers relie jalousie, ils aperçurent le groupe des seigneurs envieux qui se tordaient dans .les contorsions,d'une extrême hilarité.


DU DUC DE ROQUELAURE. 23

Ils écoutèrent et entendirent les choses les plus incroyables sur la personnalité même de Roquelaùre, qu'on traitait de plaisant, faisant métier de bouffonnerie. ' Un instant Roquelaùre se mordit les lèvres*

Madame d'Alibon le consola avec ces paroles enchanteresses qu'elle savait si bien dire; mais soudain elle se tut à son tour, en entendant la voix de son mari, dont le timbre n'essayait en aucune façon de se dissimuler.

— Roquelaùre est un pleutre, disait M. d'Alibon; c'est un manant sans usage, et jamais, malgré ses futiles conquêtes, il ne pourra rendre heureuse la femme qu'il épousera...

— C'est vrai, répondit la bande.

Et les gorges chaudes recommencèrent. Toujours dissimulés derrière la jalousie, le duc et madame d'Alibon échangèrent un regard.

M. d'Alibon continua :

~ Je vous fais un pari...

-*- Lequel?

— Si Roquelaùre se marie, je promets de lui enlever sa femme à son nez et à sa barbe...

— Oh ! la bonne plaisanterie !

— Non pas; je liens à prouver... —Voyons, comment vous y prendrez-vous, d'A- .

libon?

Ici M. d'Alibon baissa la voix, et les auditeurs cachés n'entendirent plus rien.

Mais l'épouse de l'imprudent seigneur était devenue rouge comme une cerise ; cette rougeur fut produite d'abord par l'indignation, puis par l'amour-propre blessé, enfin par le regard de Roquelaùre, qui, dans sa brillante fixité, contenait tout un monde d'idées...


24 HISTOIRE

Une controverse s'éleva entre eux; rapporter jeurs'paroles serait imprudent; mais dix-minutes s'élaient à peine écoulées que M. d'Alibon était puni de son outrecuidance, et en attendant qu'il pût enlever la femme de Roquelaùre, Roquelaùre venait de donner de nombreux coups de canifs dans le contrat de son hôte. L'ours mange souvent le chasseur qui vend sa proie avant de l'avoir mis par terre. • ' '

La vengeance accomplie, et le pardon demandé de bonne grâce à Madame d'Alibon, qui l'accorda, Roquelaùre se rendit chez un mauvais poëte du temps ; ce poëte, nommé Bois-Roberl, donnait des soirées où se rendait l'élite de la société et où l'on jouait gros jeu.

. Comme il était de bonne heure encore, la société n'était pas arrivée ; Bois - Robert attaqua Roquelaùre dès son entrée, et le pria d'être son adversaire dans une partie de cartes intéressée.

Les deux joueurs se mirent en présence et bientôt leur animation fut telle qu'ils ne virent pas que le salon se remplissait et qu'on faisait cercle au1 tour d'eux. -

Une heure s'était à peine écoulée, que, BoisRobert avait perdu non-seulement ce qu'il avait sur lui, mais encore huit mille écus sur parole.

Heureux Roquelaùre ! que l'on dise après cela ; fortuné en femme, infortuné au jeu!

Ce bonheur insolent avait rendu Bois-Robert d'une humeur massacrante ; pour ne pas la surexciter davantage, le duc salua l'assemblée et se retira, i

Mais ce n'était pas le tout que d'avoir gagné, il fallait se faire payer. Le poëte était aussi mauvaise paye que mauvais rimailleur.


DU DUC BE ROQUELAURE. 25

Dix fois de suite Roquelaùre, qui ne voulait pas toucher, son gain lui-même, envoya un de ses amis porter au perdant la quittance des huit mille •écus. '

'".» Dix fois aussi l'ambassadeur revint avec la quittance. Bois-Robert ne refusait pas de payerj mais il donnait des raisons excellentes pour retarder la livraison de la somme, et il n'y avait pas moyen de se fâcher contre lui. .

Néanmoins cet état de choses ennuya Roquelaùre. Il songea à un expédient qui amenât sou débiteur à composition.

D'abord il fit poser sur sa porte une affiche à la main, qui contenait ces mots :

Maison à vendre pour cause de liquidation de dettes de jeu. ,

A la vue de cette affiche, Bois-Robert entra en fureur, mais n'en paya pas davantage.

Le duc alors pensa que le seul moyen,de venir à bout du poëte, était de le blesser dans ses oeuvres.

Soudain le-bruit se répandit que Bois-Robert ne pouvait plus vendre de poésies; et que les dernières avaient été cédées à la livre pour envelopper les denrées d'un épicier dos Halles.-

Ce bruit suscita naturellement des gorges chaudes. >

Tous les amis du poëte vinrent lui rendre visite, tour à tour, et lui présentèrent leurs compliments de condoléance.

Bois-Robert ne comprit rien d'abord à cette longue plaisanterie. Cependant, à force d'être berné, la pensée lui vint de remonter à la source de ce bruit public dont on le narguait jusque dans les rues; en effet, des troupes de gamins s'assemblaient devant sa porte, et criaient à tue-tête :


'a6 HISTOIRE

— Vive Bois-Robert, dévoré parles vers !,.. ■

Le poëte allait donc se rendre chez un de ses véritables amis pour le prier de l'aider dans ses rer cherches du ridicule qui l'atteignait, lorsqu'il reçut une missive ainsi conçue :

« Le duc de Roquelaùre prie M. Bois-Robert de remettre au porteur du présent un ballot de poésies au poids, pour la somme de huit mille livres. »

Bois-Robert comprit d'où parlait' la calomnie; et, comme réellement il n'était pas en fonds, il chercha à entrer en arrangement..

11 fit proposer à Roquelaùre de composer une pièce de vers en son honneur et de lui donnée quittance contre celte élucubralion d'esprit.

Roquelaùre accepta : les deux joueurs se tendirent la main, et la pièce de vers servit encore à amuser la cour aux dépens du pauvre poëte, qui ne releva point de cette nuance de ridicule attachée à son nom.

Nous devons ajouter que la pièce dé vers était de celles qu'on ne relit jamais, quand on a eu le courage dé l'achever une première fois.

V

l'AMBASSADEUR D'ESPAGNE. L'iNCENDlE AU

VILLAGE.

Sous le règne du grand roi, les ambassadeurs français eurent toujours, à Rome, la préséance sur les ambassadeurs des autres pays.

Nous ne pouvons nous dispenser de raconter, à ce sujet, une aventure qui, dans la ville éternelle, arriva à notre héros.


DU DUC DE ROQUELAURE. 27

Roquelaùre, qui jouissait de la haute confiance de Louis XIV, fut envoyé près du Saint-Père pour faire respecter les intérêts de la France.

En entrant, dans la capitale des Etats romains, l'envoyé diplomatique se préparait à prendre, dans les assemblées publiques, la place destinée aux ambassadeurs'djs la France, lorsqu'il apprit que cette place étaitracupée depuis quelque temps par l'ambassadeur d'Espagne.

En agissant ainsi, ce dernier usait d'outrecuidance.

Roquelaùre résolut de lui donner une leçon.

Pendant quelques jours il resta enfermé dans son hôtel, après avoir prévenu son laquais de l'avertir aussitôt que l'Espagnol paraîtrait à la place qui ne lui appartenait point.

Le laquais s'acquitta à. merveille de son espion-" nage, et deux jours s'étaient à peine écoulés qu'il entra chez le duc:

— L'ambassadeur occupe votre place à l'église Sainte-Marie-Majeure, lui dit-il.

Roquelaùre, qui était encore couché, sauta à bas de son lit et donna ordre de préparer son carrosse à six chevaux.

Lorsque le carrosse fut prêt, il y monta, vêtu d'une robe de chambre, d'un bonnet de nuit et en pantoufles, et.secdirigea vers l'église Sainte-Marie. Majeure.

-"- A la porte du temple chrétien, il descendit de voiture, fendit la foule, atteignit le choeur, et, s'étant approché de l'Espagnol étonné d'un semblable, accoutrement, il lui fit une profonde révérence. '

L'Espagnol se préparait à lui rendre cette poli-, - ttessè, lorsque le duc, saisissant prestement sa pan-


HISTOIRE

toufle, en appliqua un coup sonore sur la joue du diplomate.

Puis, remettantsa pantoufle à son pied, il sortit j de l'église avce le plus grand sang-froid, remonta en carrosse et revint à son hôtel.

L'Espagnol, stupéfait d'abord d'«une pareille action, ne bougea-pas plus qu'unSSouche. Mais enfin, réfléchissant qu'une pareille insulle avait eu trop de témoins pour qu'elle restât impunie , il se décida à rejoindre Roquelaùre pour lui demander raison.

Roquelaùre était déjà sorti de Rome et.galoppait sur la route de France. . \ ■

Cette aventure faillit élever un conflit entre les puissances européennes. Néanmoins tout s'arrangea pour le mieux. Le duc perditson poste diplomatique, et l'ambassadeur espagnol en fut quitte pour une légère tumeur à la joue. Dame ! le coup était si bien appliqué!.

Après avoir atteint le territoire national, le duc, au lieu de se rendre directement à Paris, se livra au plaisir de la flânerie aux environs de Lyon.

Il aimait à chevaucher, le soir, dans les vallées qui bordent le Rhône ; les paysages accidentés de bois et de collines produisaient la rêverie dans son âme, naturellement si vivace, et lui révélaient des sensations inconnues jusqu'alors.

Dans toutes ses promenades, un seul laquais l'accompagnait à cheval aussi.

Un soir,"ils avaient poussé leur excursion pto loin que de coutume. Le soleil faisait place aux grandes ombres.de la nuit ; les murmures de h nature se taisaient. En cet instant, Roquelaùre, tenant son cheval par la bride, marchait dans une tranchée que formaient deux montagnes, et,!)


DU DUC DE ROQUELAURE. 29

tête baissée, songeait peut-être au vide que laissait en lui l'abus des plaisirs sensuels..

Tout à coup, un crépitement sourd et lointain fut apporté à leurs oreilles par le vent.

Roquelaùre dressa la tête :

— Ou je me trompe fort, dit-il à Lapierre, s;on valet, ou c'est le bruit de l'incendie que j'enlends...

— La même idée m'est venue, monsieur le duc, répondit le laquais ; le vent souffle du nord et je crois sentir une odeur acre de fumée.

, —.Allons à la découverte.

Les deux promeneurs hâtèrent le pas, et après avoir tourné la première colline qui se trouvait devant eux, ils aperçurent, en effet la lueur d'un incendie.-

Tout un village était en feu I

Us remontèrenl à cheval, et, au grand galop, ils atteignirent le lieu du sinistre.

Leur présence inattendue causa une émotion profonde.

Les paysans, altérés par la violence du fléau, avaient perdu le ' sang-froid si nécessaire en ces sortes d'occasions, et regardaient silencieusement * brûler leur maison.- , Ce n'est pas l'eau qui manquait, mais le courage d'organiser les secours. Roquelaùre fit acte de volonté, organisa la chaîne, activa les moyens de 'îcsislance, et bientôt le fléau, ardemment.combattu, parut céder à ses adversaires.

_ En examinant les figures, empreintes d'expressions si diverses, le duc remarqua que tous les vissages étaient tournés vers une maison de laquelle s'élançait une immense gerbe de feu.

— Là... là... qu'y a-t-il donc?s'écria-t-il.

— Une jeune fille, l'unique enfant, le gagne-


30 HISTOIRE

pain de Guillaume le boiteux, répondit un paysan; Elc n'a-pu descendre de sa- chambre avant que là maison ne fût atteinte, et personne n'ose lui porela sedburs.

— Dans quelle chambre se trouve-t-clle ?

— Au premier étage, la fenêtre que vous apercevez sous les nuages de fumée.

.— Une échelle ! un drap mouillé! exclama Roquelaùre. „.

Ce double cri se répercuta aussitôt dans la foule, et quelques minutes s'étaient à peine écoulées, qu'on apportait les deux objets demandés.

Gaston dressa l'échelle contre le bâtiment qui se consumait, s'enveloppa du drap mouillé, ordonna de tenir en arrêt le bas du léger échafaudage, auquel il allait confier sa vie, et grimpa comme-un vif écureuil. ._

Lorsqu'il disparut derrière la fenêtre'fumante, une longue exclamation s'éleva dans les nues.

-=>■ Mon'Dieu, sauvez-les tous deux, murmura la foule.

Puis, anxieuse et attentive, elle resta immobile, les yeux fixés, sur la chambre où se trouvaient Suzette»et le généreux inconnu.

Quelques instants se passèrent... Rien.

Le vieuVGuillaume pleurait.

Une exclamation joyeuse s'éleva dans Tes airs: Roquelaùre venait de "reparaître au haut de 1'écbelle.

Il tenait dans ses bras la jeune fille évanouie.

Là-descente était difficile; car, sous'les pasde Gaston, les barreaux de l'échelle, entamés déjà pat le feu, craquaientà chaque instant.

Enfin tl atteignit la terre Terme ;■ il remit'^Suzétl' entre les bras de son vieux pèreet se dirigea vers


DU DUC DE-KOQ.UELAURE. 3l

les autres points du sinistré qui nécessitaient sa présence.

Lapierre, de son côté, faisait des prodiges d'activité et de courage.:

Lorsque l'incendie eut cédé devant les digues qui lui furent opposées, Roquelaùre distribua aux plus maltraités du village tout l'argent qu'il avait sur lui, et s'éloigna sans vouloir même donner son nom.

Un concert de bénédictions accompagna son départ.

Déjà le hameau allait disparaître à l'horizon de l'aube matinale, lorsqn'en adressant un dernier regard à ce lieu, qui lui avait produit la douce sensation du devoir accompli, le duc aperçut une jeune fille qui courait à toutes jambes dans sa direction. C'était Suzette.

Lorsqu'elle eut atteint son sauveur, elle leva sur lui ses grands yeux bleus remplis de larmes :

— Monsieur, dit-elle, à moi, à moi seule, apprenez votre nom ! Chaque jour, j'adresse à Dieu mes prières, et je voudrais y mêler ce nom chéri. En me sauvant la vie, vous avez épargné celle de mon vieux père. Oh ! je vous en supplie, apprenezmoi votre nom.

Suzette s'agenouilla en prononçant ces paroles. Roquelaùre était ému.

Il satisfit au désir de la candide enfant, et après l'avoir relevée, il prononça à son oreille ; le nom tant désiré.

— Merci! merci ! dit .Suzette. Oh. ! .puissé-je TOUS revoir bientôt !

.Elle fit .quelques.pas pour se retirer; mais, comme frappée dlune idée subite, • elle revint près du duc:


32 _. HISTOIRE

— Monsieur, reprit-elle en rougissant, accordez-moi encore une grâce... la dernière..

— Laquelle ?

— Laissez-moi vous embrasser. Roquelaùre ouvrit ses bras, et Suzette fui sauta

au cou, avec un sublime élan do reconnaissance. Le duc la retint quelques secondes pressée contre son coeur.

— Suzette, lui dit-il, je viens de vous sauver d'un grand danger; mais je m'éloigne en toute hâte pour n'avoir pas besoin de sauveur à mon tour...

— Comment cela ? demanda la naïve jeune fifte.

— En cet instant, le feu n'est plus au village, mais dans mon coeur... et c'est vous qui avez allumé l'incendie! .

-Suz.elle s'éloigna en rougissant plus fort; Lorsqu'elle ne vit.plus le gentilhomme, des pleurs abondants s'échappèrent de ses-ycux.

VI l •■

LE JUGEMENT DES MOLLETS. LE ROI DÉPOUILLÉ.

Quelque brillante que soit imeéloile galante,— nos lecteurs nous pardonneront ce terme,— il y a des instants où sa lumière est moins vivace, — où elle pâlit enfin.

L'étoile de Roquelaùre éprouva plus d'une fois des échecs; nous allons en citer un entre autres. On apprendra-, de cette façon^ que si les femmes se laissent jouer, parce que leur nature est plus faible que l'a nôtre, elles saisissent néanmoins les occasions qui se présentent pour avoir leur revanche.


DU DUC DE ROQUELAURE. 33

La scène se passe chez madame d'Atis, brune piquante, entre deux âges, et qui avait la prétention d'aimer son mari d'une telle façon qu'elle en devenait fatigante pour ceux qui l'entendaient causer de ce sujet.

En quelque lieu mondain que se trouvait madame d'Alis, elle critiquait les femmes assez osées pourrelever leurs jupes dans la rue, ou pour mettre des corsages décolletés. Chacun la raillait de cette pruderie; aussi n'avail-elle dans ses réunions que des prudes comme elle., et, comme elle aimait cependant ces réunions, son trop de collet monté jetait un manteau de glace sur ses invités.

Roquelaùre, d'accord avec Châlillon, Baulrn, Racan, Voilure, La lîoussaye et le comte du Ludê, résolut de se moquer si bien delà prude, que peut être changerait elle de eaïaclère.

Tous sept furent par elle conviés en soirée. Pendant une heure au moins, ils causèrent à voix basse dans un coin du salon, et leurs éclats de rire furlifs intriguèrent fort ces dames et les autres gentilshommes invités. — Nous disons : ces dames, car là se trouvaient mesdames de Vandoeuvre, Dubuisson, de Champré, de la Guesnerie, etc.

Le sexe féminin esl curieux; il voulut connaître le sujet qui provoquait les éclats d'une gaieté sournoise. On refusa d'abord de leur répondre ; ce refus même excita le désir, et, prié par toute la réunion, Roquelaùre finit par répondre, au nom de ses amis, que le conciliabule, auquel on n'avait pas voulu admettre de profanes, portait sur les mollets en général et sur ceux des dames présentes en particulier.

A ces paroles, le visage de madame d'Atis devint pourpre; elle Te repentit de sa curiosité. Mais


34 HISTOIRE

le mot étâit.jcté, et il fallait subir le mode de conversation qu'on avait amené.

Expliquer les nuances qui se dessinèrent dans les phrases, serait par trop long et ennuierait nos lecteurs; nous-préférons leur apprendre de suite ce qui arriva.

Roquelaùre, le boute-en-train de la plaisanterie, sut si bien aiguillonner l'amour-propre féminin, qu'après une demi-heure environ de pourparlers,

— la pudeur ayant reçu plus d'un accroc, —chacune de ces dames prétendit avoir le mollet mieux sculpté que celui de sa voisine.

Pour s'assurer d'un fait, qui eût été digne da jugement de Paris, le duc s'offrit lui-même pour mesurer des circonférences, si délicates à préciser.

On cria, on se pâma, on simula des attaques de nerfs, rien ne détourna l'idée qui s'était emparée de l'assemblée entière, — l'assemblée des hommes bien entendu.

Un tabouret fut apporté au milieu du salon, et chaque descendante d'Eve, bon gré, mal gré, dut y mettre son pied, plus ou moins mignon.

Roquelaùre souleva avec précaution les jupes cachotières, et, à l'aide d'un ruban arraché à sa jarretière, mesura la chose convenue.

Ce qui rendit l'aventure piquante, c'est, que madame d'Atis^se trouva posséder un mollet d'une mesquinerie extraordinaire, et que Roquelaùre lui accorda le prix.

Naturellement on lui rit au nez, et on conclut

— toujours entre hommes — qu'il n'y avait rien d'étonnant à ce que la prude cachât ses trésors avec tant de soip. .

Mais voicr le revers delà médaille.


DU DUC DE ROQUELAURE. 35

Les femmes sont susceptibles; si elles aiment ardemment, elles se. vengent ardemment aussi ; , rien ne peut effacer de leur mémoire le déplaisir ou la contrariété qu'on leur a fait subir. - Madame d'Atis se trouvait dans ce cas-là.

Elle mit à punir Roquelaùre, — car c'est lui

seul qu'elle accusa de l-'avanie arrivée dans son

salon, — un acharnement qui prouvait combien

j son coeur était capable de renfermer de dose de

dépit.

Elle rassembla en secret les vénérables femmes, victimes de la conspiration des mollets, et toutes, d un commun accord, tinrent'conseil pour lâcher de trouver des moyens de représailles.

L'affronl qu'on leur avait imposé et qui était su

de tout le monde, leur tenait tellement au coeur,

qu'elles résolurent d'employer quelque fraude que

ce fût, plutôt que d'endurer la houleuse brèche

) faite à leur amour-propre.

Madame de Vàndoeuvre, Dubuisson, de Champréet

Champréet la Guesnerie comprenaient, du reste, que

'"h prix de mollel, accordé à madame d'Atis, n'était

- qu'une amère plaisanterie et que l'insolent Roque- .

laure avait voulu dire par là que nulle d'entre

elles n'avait la jambe bien faite. Luttez donc contre

. l'orgueil féminin !

Cependant, pour arriver à leur fin, il fallait beaucoup d'adresse.

Ce n'est pas qu'elles manquassent.d'expédienls,,

niais elles s'étaient aperçues que le duc se méfiait

d'elles depuis la fatale aventure, et elles comprirent

que leur vengeance resterait à l'état de projet, si 11

|«lles n'employaient un secours étranger.

I Roquelaùre, à cette époque, faisait la cour à la

iiuarnuise de Saiut-Ren>- et s<« r---'-:» •.-•-es


.36 HISTOIRE " '

d'elle tous les jours à deux heures de l'après-midi.

Nos matrones tournèrent donc d'abord leurs batteries du côté de la marquise', et agitèrent tant leurs langues et leur esprit, qu'elles se firent inviter aux matinées de la femme qu'adorait Gaston. '

Chacun comprendra que nos furibondes ne fermèrent pas l'oeil pendant la nuit qui précéda l'heure de la vengeance.

Aussitôt que=. parut le jour, elles firent grande toilette, puis, à midi sonnant, elles se rendirent chez madame de Saint-Remy.

Après les compliments d'usage, la conversation tomba sur les gentilshommes qui occupaient le public de leurs actions.

Naturellement Roquelaùre fut en jeu, si bien en jeu même, que tout autre disparut devant ses éminentes qualités, détaillées une à une par la marquise.

Les furibondes commençaient à s'impatienter d'un verbiage dont elles devinaient bien la cause, lorsqu'on annonça le duc.

— Ah ! s'écria madame de Saint-Remy, quand on parle du loup, on en voit la queue ! ,

Qui fut surpris à la vue d'une telle assemblée' Il n'est pas besoin de nommer Roquelaùre.

Il passa subitement du rouge au blanc, et da blanc au rouge, et se disposait à se retirer, lorsque la marquise, l'arrêtant par le bras, le fit asseoir.près d'elle.

Quelques minutes après, le duc, rassuré pa' l'air gracieux qui régnait sur toutes les physionomies, reprit sa bonne humeur et montra pli" d'esprit dans son langage qu'en aucune autre cjf constance.


* ■ DU DUC DE ROQUELAURE. ' 3j

i Comme la conversation languissait, madame de

Jsaint-Remy proposa un jeu innocent.

s: On alla aux voix, et d'un commun accord, on

^choisit le Roi dépouillé de préférence-au Colin$l-aillard.

Colin$l-aillard.

'§ Le choix venait d'être adopté, lorsque plusieurs

"jSmis du duc entrèrent. C'étaient Châlillon, Bau:Hru,

Bau:Hru, Racan et La Houssaye. Après avoir

*;saluè les dames, ils demandèrent à être dé la

Kparlie.

% —Avec plaisir ! fit madame de Saint-Remy.

''] — Plus on est de-ious, plus on rit, goguenarda

jtnadame d'Atis, sans que Roquelaùre devinât

jjl'arrière-pensée que cachait cette phrase.

p On lira au sort pour savoir quel serait le pre"ïinier

pre"ïinier

| L'assemblée féminine prit si bien ses mesures

Sque leduc fut la victime du sort.

-J:, Lé jeu commença. Une telle ardeur s'empara

|-des joueuses et des joueurs qu'en un tour de mairi

-/'Roquelaùre fut dépouillé de toutes les parties es||scntiellcs

es||scntiellcs ses vêtements.

* : On riait à gorge déployée.— Ces dames avaient probablement oublié leur pudeur dans le salon de

^madame d'Atis.

| Soudain, au moment où madame de Saint-Remy celles camarades de Roquelaùre s'y attendaient le iDioins, les furibondes tirèrent de dessous leurs routes des martinets et des poignées de verges, et se unirent à frapper abondamment le malheureux dépouillé. | Gaston crut d'abord à une simple plaisanterie,

el se joignant au rire de ceux qui l'entouraient,.

e contenta de mettre ses mains tantôt sur sa fljïure, tantôt sur la face opposée.


38 HISTOIRE ,

Mais la plaisanterie continua . drti commi grêle. Les fouetteuses étaient en appétit; ellei époussclèrênt si bien leur victime, que la doulem lui fit pousser des crh> plaintifs.

Alors il se leva du fauteuil où il se trouvait, et, malgré son piteux état de presque nudité, il il mit à courir de tous les côtés du salon.

Chez ces dames, la fureur s'accrut avec le nom"bre de coups qu'elles frappaient sans rencontra d'opposition.

Le duc, fatigué de se démener comme le diabli 'dans un bénitier, se fâcha pour tout de bon, ai il s'aperçut alors qu'on voulait le mettre en capilotade-, et se jetant dans la mêlée féminine, s'accrocha à madame de Saint-Remy, qui ne savàil irop que penser de cette scène.

Ainsi accroché, il rua d'abord et distribua pto d'une taloche; puis la colère s'emparant de lui,il égraligna l'une et écrasa- le nez de l'autre ; enfin, saisissant un.fauteuil :

i— La première qui continue, cria-t-il, je 1» «asse la lête.

A- ces mots, les camarades du due, qui s'étaienl contentés -Je rire à cette scène plaisante, interposèrent le hola.

Les furibondes suspendirent les coups, nia elles, continuèrent d'invectiver le visiteur de mol' iels.

Le salon de madame dé Saint-Remy dut élu étonné d'entendre, ce jour-là, un vocabulain qu'on ne trouvait ordinairement qu'aux HallesLes

HallesLes injurieux se heurtèrent, se succéd rentrapides comme le vent; et Roquelaùre, q en peu de secondes avait recouvré son sang-froi' ne resta pointeourtà. ce marivaudage peuélégan


DU DUC DE KOQCELAURB. 3<J

I II débita et dégoisa à son tour tant de sottise* et de vilaines choses que les furibondes s'éclipseent en se bouchant les oreilles et en criant comme des folles.

■ Madame de Saint-Remy ne le revit jamais. ^Roquelaùre en fut quitte pour une enflure aux joues banales.

i Le récit de ce haut fait d'armes féminin égaya là cour pendant toute une semaine. Nous le trans^- Jhcttons, parce que nous le croyons digne de l'ad.miraliori des races futures.

i -VII

MADAME DE PELUSIN. UN FAISEUR DE MARIAGES.

'*!■ Nous ne nous arrêterons pas à l'amour éprouvé ■ ar Roquelaùre pour madame de Pelusin. ' Cet amour n'eut de remarquable que la façon H'être de celle qui l'inspira. y Ici, — c'est-à-dire en ce qui concerne la physionomie de madame de Pelusin, — nous devons ^ètre explicite.

'; Madame de Pelusin était un type de beauté.... lorsqu'elle ne parlait pas. Aussitôt que sa bouche S'ouvrait pour proMoncer une parole, adieu la pU" été des formes ; le coin des lèvres formait un |triangle affreux à voir, les sourcils se contractaient et les joues se ridaient. | Roquelaùre prétend lui-même qu'au plus beau ornent de sa passion pour cette dame, etlorspqa'i' lui débitait les phrases les plus tendres, elle Ravisa de répondre ces seuls mots : - f — Je t'aime ! : Le visage prit cette expression que nous venons


j^O HISTOIRE

de décrire, et le duc s'enfuit, jurant qu'on ne le reprendrait jamais à cette grimace de singe.

Mais l'homme propose et.les événements disposent. ,

Pendant six mois conséculifs, Roquelaùre fui amoureux de madame de Pelusin ; bien mieux,- voycz quelle forme peut prendre l'esprit masculin, — il ne l'adora jamais plus que lorsqu'elle. parla, juste au moment de la-grimace en question.

Ç'es-t à celte époque aussi que notre héros faillit se marier.

Un ami, qui avait la passion des alliances, loi apprit un soir, entre deux contredanses, qu'il avait inspiré, lui Roquelaùre, une extrême affection à mademoiselle Thérèse d'Oysonville.

Cet ami.se nommait Barbançon. <

— Oui, mon cher, dit-il au duc, mademoiselle Thérèse se meurt d'arnoufet n'attend que loi pour

; la guérir...

— Ah! diable, fit Roquelaùre, c'est scabreui, puisqu'elle est d'honnête famille... Cependant, présente-moi toujours, nous verrons après...

— A urte condition, toutefois.

— Laquelle?

— C'est que tu l'épouseras...

— Bigre!...

A ce mot, Barbançon s'éloigna et continua ses démarches.

Chaque jour il vint en rendre ccuriple à son ami. Tanlôl, selon lui, mademoiselle d'Oysonville dépérissait à vue d'oeil; tantôt elle était en proicj «ne fièvre ardente; enfin, on monta si bien l'imagination du duc, que, sans prévenir personne, il fit demander s la demoiselle en question un entretien particulier.


DU DUC DE ROQUELAURE. 41

i L'entretien eut lieu dans les bosquets du parc d'Oysonville, situé à quelques lieues de Paris. En'abordant cél^e qu'il croyait amourachée de

■lui, Roquelaùre fut tout étonné de l'air indépendant qui régnait sur sa physionomie.

| — Mademoiselle, lui dit-il sans autre préamjbule,

préamjbule, vous sais beaucoup de gré de l'attache'ment

l'attache'ment dans votre coeur à mon égard... Si vous

j avez aillant de désir que moi de former des noeuds

|indissolubles, parlez, jesuis prêt...

— Monsieur, répondit la jeune fille, j'ignore à

.; quelle idée vous faites allusion.

; Roquelaùre deme.u*.-a un instant déconcerté. La

f vérité lointaine lui apparut. Il.continua :

î; —Je tiens de M.-Barbançon que vous m'ai}Vmez....

m'ai}Vmez.... ' ■

| — Comme tout le monde, riposta Thérèse en

Ij-parlant d'un argentin éclat de rire.

y — Eh ! quoi, vous n'avez pas été dernièrement

^malade du mal cupidonien ?...

|; —Que signifie cette plaisanterie?

| —Vous n'avez pas exprimé le désir de me

I prendre pour époux ? - . ,

I —Que voulez-vous que je fasse de votre per|sotine?

per|sotine?

£'■ — Mais alors on nous a trompés tous deux.7.

X — Je ne dis pas non 1

!; ' •—Expliquons-nous expliquons-nous

jM. Barbançon m'a appris que vous mouriez de dé*Jsir

dé*Jsir moi... . — Il m'a confié de même que pendant quinze ^joors vous aviez tenu le lit par fièvre pour ma

^personne... - : — Il en a menti ! • ^— Je vous ferai la même rénonsc...


4:2 HISTOIRE

— Alors nous ne nous aimons pas ?...

— l'as le moins du monde... —r- Merci !

— Il n'y a pas dequoi !

— Donc, nous n'éprouvons de sympathie ni pour l'un ni pour l'autre ?....

— La bonne plaisanterie V

—• Mademoiselle, je suis enchanto de savoir que vous me délestez...

— Je devine que vous me rendez bien la pareille...

— Vous ne voulez pas vous marier?

— Si... mais pas avec vous.

— Ah !

— Je suis fiancée avec le comte de Mauras.

— Mais alors, à quel but voulait en venir M. de Barbançon î

— Je l'ignore ; vous êtes le dernier homme auquel je donnerais ma main...

— Merci encore.

Les deux faux fiancés allaient en venir sans doute à une querelle, lorsque parut le fâcheux entremetteur.

Mademoiselle Thérèse le prit par un bras, Ro• quelaure par l'autre, et ils le forcèrent à s'expliquer. .

Honteux et confus d'être découvert dans son idée de mariage, Barbançon s'expliqua.

Il convint que l'affaire avait été préparée d'accord avec M. d'Oysonville, qui répugnait à l'alliance de sa fille avec le comte de Mauras, officiersans fortune, et la chose étant ainsi divulguée, Roquelaùre échappa au piège qu'on lui tendait, a lui qui avait horreur du mariage.

A la suite de cet entretien, Thérèse épousa son


DU, DUC DE ROQUELAURE. $3

amoureux, et le duc retourna à ses futiles pas-r siens,; celles-là, au moins, avaient l'avantage dft ne durer que ce que vivent les roses, — selon l'expression de Malherbe, — l'espace d'un malin.

Barbançon en fut quitte pour une semonce.

Depuis, dit l'histoire, il ne se mêla jamais de oe qui ne le regardait pas.

VIII

CARRIÈRE MILITAIRE DE ROQUELAURB. — CURIOSITE D'UNE DAME DE PROVINCE.' ;

A côté de toutes ces aventures galantes de la vie de Roquelaùre, nous ne devons pas oublier que, s'il fut homme d'esprit, et surtout d'un esprit fécond en heureuses saillies, il hérita aussi de la valeur de son père et se distingua dans la carrière des armes.

Nos lecteurs l'ont déjà deviné, du reste, après ce qui se passa à la baUille de la Marfée et à celle de Hohnecourt.

Afin de ne plus revenir sur la carrière militaire de, Gaston, nous allons tracer en peu de mots l'épopée de sa vie nationale.

Nommé maréchaide camp, Roquelaùre fut employé successivement aux sièges de Gravelines, de Bourbourg et dé Courtrai.

U s'y distingua.par son intrépidité. . Ces services reçurent leur récompense par le grade de lieutenant général.

Pendant la guerre de la Fronde, il servit à l'attaque de Bordeaux, et il fut blessé au combat du. faubourg Saint-Sèverin.


44 HISTOIRE

Créé duc et pair, en 1652, il fut disgracié peu de temps après pour sa réplique au prince de Conti.

Nous devons raconter cet épisode.

Le prince, désireux d'avoir dans son parti un homme aussi distingué que le duc, lui fit proposer de se joindre à lui.

Roquelaùre ne daigna faire aucune réponse aux envoyés que le prince lui adressa. 0 Mais mandé en présence même de Conti, il ne put dissimuler sa façon de voir.

— Pourquoi, lui demanda lé grand seigneur, ne voulez-vous occuper un emploi supérieur dans mon armée ? '

— Prince, répondit Roquelaùre, ce n'est pas l'envie qui me manque de me ranger sous vos drapeaux ; mais je suis retenu par l'amourspropre des fonctions trop communes que vous occupez...

— Lesquelles donc ?

—Celles de grand-maître delà garde-robédu roi.

Conti fut exaspéré parcelle réponse.

Vingt-quatre heures après, Roquelaùre était disgracié, et recevait ordre de s'éloigner de la cour à tout jamais.

Cependant le cardinal Mazarin était l'ami de Gaston ; par son influence l'astucieux Italien ne tarda pa^ à faire rappeler- sa créature, qui put alors, quoique prudemment, braver M. le prince de Contï.

En 1661, Roquelaùre, nommé chevalier des ordres du roi, devint plus puissant qu'auparavant.

En 1668, il servit avec distinction à la conquête de la Franche-Comté, à celle de la Hollande, en 1671, et au siège de Maestricht, en 1673.

Saint-Simon, dans ses Mémoires, a représenté


DU DUC DE ROQUELAURE. /f5

«notre héros comme un bouffon et un plaisant do profession. Saint-Simon avait sans doute quelque motif secret de haine qui le guidait dans son jugement.

Sans combattre ce jugement, nous laissons à nos.leeteurs l'appréciation de la vie de Roquelaùre par ses oeuvres mêmes ; nous nous permettrons seulement d'affirmer que si parfois il mérila le blâme dans ses actions privées, sa carrière militaire est digne d'éloges.

Sur ce, comme nous avons pour but d'amuser en instruisant, continuons notre tâche.

Une dame de province, ayant entendu faire l'éloge du duc, comme d'une personne qui suscitait les délices de toute la cour, vint à Paris dans l'intention de le voir et de s'assurer par elle-même s'il était réellement aussi spirituel et d'une aussi facétieuse conversation qu'on le disait. '

Cette aventure étant de celles qu'on peut lire ou raconter dans les cercles les plus délicats de la France, nous allons la copier textuellement.dans un manuscrit qui nous a été communiqué avec une extrême bienveillance.

Nos lecteurs nous en sauront gré.

« Etant arrivée à Paris, la dame de province alla loger chez une comtesse de ses amies, et, après les premières civilités, elle lui apprit qu'elle venait exprès pour voir le duc.

« La comtesse approuva son dessein, et promit de lui fournir les moyens de lui parler dès le lendemain,, en lui assurant qu'il était un si galant homme , qu'il se ferait un point d'honneur de la recevoir de son mieux. La marquise, après l'avoir tendrement embrassée, la remercia de toutes ses honnêtetés, et jura de lui en avoir toute la recon-


46 HISTOIRE

naissance imaginable ; elles se dirent cent choses obligeantes; et, comme il commençait déjà à se faire tard, la marquise prit congé de son amie, et fut se mettre au lit, en attendant avec la dernière impatience le jour pour voir lé duc.

«Pendant qu'elle dort, il est à propos que j'in-> struise le lecteur d'un point important à l'intelligence de cette aventure ;le voici. La comtesse et la niarqnisç avaient été autrefois brouillées pour une'personne qu'elles aimaient toutes deux; et, soit que la marquise eût plus de beauté et plus d'esprit que sa rivale, elle avait remporté le prix sur elle: elles cessèrent donc de se voir. Mais, comme les brouilleries entre femmes ne durent d'ordinaire qu'autant qu'elles sont rivales, l'amant de la marquise, qui était lieutenant-général, ayant été tué en Flandres, elles se raccommodèrent, et n'en furent que meilleures amies dans la suite. Ce raccommodement était fort sincère dû côté de la marquise, qui était de bonne foi ; mais la comtesse, qui n'avait pu oublier le démenti qu'elle avait reçu, conservait dans l'âme un reste de dépit qu'elle ne pouvait dissiper que par une petite vengeance; et cette occasion lui parut la plus belle occasion du monde pour cela. En effet, ayant un'moment rêvé aux moyens d'y réussir, elle écrivit un billet au duc, par lequel elle l'inslruisitde la curiosité deson amie, et n'oublia rien pour exagérer le ridicule de la personne ; et, en finissant, elle le priait, parce qu'elle était fort' de ses amies, d'observer un austère silence quand la marquise lui rendrait visite, promettant de lui tenir compte de cette complaisance; elle ferma ensuite le billet, et donna ordre à un laquais de le porter à son adresse ; puis elle se coucha et dormit en poste jusqu'au matin.


DU DUC DE ROQUELAURE. fyl

* - ' - •

«'A peine lé jour paraissait-il, que l'impatiente marquise se lève; et, toute inquiète d'apprendre la réponse du duc, elle allait en envoyer demander des nouvelles à son amie, lorsque le laquais que la comtesse avait chargé de cette commission, entra dans son appartement pour lui dire que le duc l'attendait avec impatience. Elle se met en hâte sur ses beaux airs ; et comme la comtesse lui avait envoyé dire qu'elle ne pourrait lui tenir compagnie dans la visite qu'elle allait rendre, à cause d'un« cruelle migraine qu'elle feignait lui être survenue, elle monte en carrosse,se fait conduire chez le duc, qui la vint recevoir à la porte, mais sans prononcer la moindre parole ; il la fait entrer dans une salle basse très-bien meublée, la fait asseoir, et prend place auprès d'elle.

« La marquise, qui avait heaucoup d'envie d'entendre discourir le duc, crut-qu'il était de son devoir d'enlamer la première le discours; elle commença donc à parler de la cour, dont elle élevait là magnificence ; bientôt après elle se mit à louer la douce et charmante vie qu'on menait à Paris. A tout cela, le duc, tout comme une souche, ne répondait enfin que par des grimaces et haussements d'épaules qui auraient poussé à bout la* patience d'un saint; cependant la marquise, à qui un tel procédé commençait à faire de la peine, se flattant que le duc n'en agissait de la sorte que par pure complaisance, et pour ne la point interrompre, se tut tout à coup, pour donner occasion au duc de parler à son tour; mais, voyant qu'il s'opiniâtrait à ne vouloir desserrer les dents, et qu'il se mordait les lèvres, tant il avait envie de rire, elle connut en ce moment qu'on la jouait. Aussitôt, le rouge lui montant au visage, de honte et de dépit


48 " ' ' HISTOIRE

de se voir ainsi turlupinée, elle se lève-brusquement, et, après lui avoir lancé quelques regards de mépris, elle sort, résolue d'en tirer vengeance, à . quelque prix que ce fût.

«A peine était-elle montée dans son carrosse, où elle pensait en elle-même aux moyens de se venger de l'affront qu'elle venait de recevoir,, que le duc, qui avait donné ordre qu'on tînt le sien prêt, -y monte promptement, et se rend à toute bride chez la comtesse ; et, comme la marquise n'y était point encore arrivée, il eut le temps de lui faire.le récit de toule"l'aventure, et_de la prier qu'elle permit qu'il se cachât dans son cabinet, pour pouvoir, disait-il, pour la rareté du fait, êlre lui-même témoin auriculaire du récit qu'elle ferait de cette visite. Le duc, la comtesse et quelques autres dames de ses bonnes amies, qui venaient lui donner le bonjour en passant, riaient à gorge déployée de cette jolie aventure, que le duc circonstanciait d'une manière bouffonne à faire mourir de rire, lorsqu'on entendit tout d'un coup le bruit d'un carrosse ; on apprit que c'était la marquise, on mit le duc dans sa niche, et on ferma la porte sur lui: alors toutes les dames, curieuses de voir le dénouement doucette petite pièce, s'armèrent d'un grand sérieux, pour ne donner aucun soupçon à la marquise de ce qui venait de se passer.

« Enfin, pendant que toutes ces dames se remettaient un peu des éclats de rire qu'elles venaient de faire, et qu'elles composaient leurs visages, la marquise arriva, la coiffe baissée, et poussant par intervalles de gros soupirs qui semblaient partir d'un coeur vivement pénétré de douleur.

« Qu'avcz-vous, ma chère dame, dit la comtesse en -l'abordant T Vous trouvez-vous incommodée?


DU DUC DE ROQUELAURE. 4g

— Ciel ! quelle disgrâce ! fit la marquise, en élevant les mains au ciel, pour donner plus de vraisemblance à sa feinte tristesse : — Ah ! quel malheur ! Ensuite, levant un peu sa coiffe pour laisser voir dans ses yeux , qui éclataient de dépit entremêlé de malice : Ah! laissez-moi, je vous prie, respirer unmoracnt,~continua-t-elleà dire. Comme chacun s'empressait à lui demander ce qui pouvait lui causer tous ces transports si violents, et que toutes s'imaginaient que ce ne pouvait être que les effets du dépit qu'elle ressentait d'avoir été jouée et badinèe par le duc, elles furent bien étonnées lorsque la fine marquise commença à leur parler de celte manière : Ah ! mesdames, il n'est plus de bel esprit.au monde : le pauvre duc de Roquelaùre est mort. — Comment mort! interrompit la comtesse, feignant d'être bien surprise. —Il n'est rien de plus vrai et de plus certain, répliqua la malicieuse marquise; car quelles marques plus évidentes peut-on avdir de^la mort d'une personne que lorsqu'elle ne parle, point? A ces mots, qu'elle prononça d'un ton railleur et malin, toutes les dames, excepté la comtesse, firent de grands éclats da rire,parce qu'elles comprirenttoutesforlfacilement où pouvait tendre celte poinle malicieuse, qui fit, comme on peut se l'imaginer, bien avaler des couleuvres au duc, qui ne s'attendait à rien moins, dans sa cage, qu'à une pareille sorlie; aussi a-t-il déclaré, dans la suite, qu'il ne s'était jamais trouvé dans.une pareille contrainte.

« La marquise, satisfaite au dernier point de sa vengeance, demeura plus longtemps à Paris qu'elle nen avait formé le dessein, et cela uniquement pour pouvoir faire éclater le bruit qu'avait causé cette charmante aventure, et elle y réussit si bien


5o HISTOIRE

que dans peu de jours tout Paris en fut informé, quelques précautions que prît le duc pour empêcher que sa honte n'éclatâï. '

« Enfin, la marquise, voyant sa vengeance accomplie, partit; laissant son taciturne extrêmement piqué contre la comtesse, qu'il soupçonnait d'avoir été d'intelligence avec elle pour le jouer. »

' * IX "

LE SOUPER DU DIABLE.

Dans ses moments perdus, c'esl-à-dire.lorsqa'il n'avait aucune occupation pressée de guerre ou de galanterie, Roquelaùre parcourait les villes et les villages des environs de Paris, pour chercher matière aux inspirations de son cerveau.

Un soir,' il arriva pédestrement à Ponloise ; il élait environ minuit ; toutes les hôtelleries étaient fermées, et comme noire héros ne respirait pas la richesse dans sa mise de commande, il se vit fermer au nez plus d'un asile où l'on vend le sommeil et l'appétit.

. Furieux de sa déconfiture dans les beaux quartiers de Pontoise, il se dirigea vers la ville basse, espérant que là peut-être on exercerait mieux les devoirs de l'hospitalité.

A la vue d'une petite maison, à l'une des fenêtres de laquelle brillait encore de la lumière, il s'imagina que les bourgeois seraient plus généreux que les aubergistes et que pour une nuit on l'hébergerait av.ec bienveillance.

II frappa donc à la porte de la maison. Après quelques longues minutes d'attente une soubrette à l'air accort vint lui ouvrir. Roquelaùre exposa son


DU DUC DE ROQUELAURE. 5x

s embarras et parvint, après force inductions miel* ; leuses, après mille flatteries, à ce que la soubrette - Voulut bien faire part à sa maltresse de la demand» de l'inconnu.

La soubrette laissa Roquelaùre dans l'antichambre peur s'acquitter de sa commission. Lors: qu'elle revint, son air, cette fois était triste et de ;• mauvais augure.

— Ma maîtresse refuse, dit-elle ; elle ne veut, à quelque prix que ce soit, recevoir un homme en l'absence de son époux ; cherchez donc un gîte ailleurs...

I Roquelaùre cria, tempêta, fit tant de bruit enfin que son remue-ménage attira la maîtresse, qui

-vint à son tour lui demander de quel droit il prétendait s'installer chez elle.

— Ma maison n'est pas une auberge, poursuivit la jeune femme dont cette subite demande d'hospitalité paraissait contrarier les desseins; d'ailleurs,

• j'ai ma réputation à conserver... Or donc, sortez et promptement!...

— J'ai faim, dit,Roquelaùre.

— Je ne mange jamais quand mon mari n'est >pas là...

— Vous voulez donc qu'on m'assassine dans les nies!...

> —Çàjn'est égal ; bonsoir !

* Et la jeune femme de Pontoise lui tourna les Ï talons.

J 'Mais la soubrette était moins égoïste que sa

maîtresse. Lorsque celte dernière, fut sortie elle

conduisit Roquelaùre dans un galetas au second

< étage de la maison, lui donna une snperbe galette

, dorée et lui souhaita bonne nuit en le laissant

sans lumière et en lui recommandant surtout le


52 < HISTOIRE ;

silence. Elle devait, le lendemain matin, venir le chercher pour le faire sortir incognito.

Seul, Roquelaùre se jeta sur le lit qui était fort dur, mangea sa galette et tâcha de s'endormir; ce fut en vain.

Pendant qu'il se tournait et se retournait sur son grabat, en songeant que la soubrette aurait bien dû venir calmer son insomnie, son regard fut frappé soudain par un point lumineux qui s'échappait à travers une fissure du plancher.

Il se leva, appliqua son OEiU.ccntrc la fissure et aperçut... la bourgeoise de la maison assise, aux côtés d'un beau jeune homme, devant une table richement et abondamment servie, à laquelle Ions deux faisaient les plus grands honneurs.

— Diable! pensa-t-il, voilà une femme en effet qui ne reçoit jamais d'homme, et ne mange jamais non plus quand son mari n'est 1 pas là !... Je veux être pendu si je n'ai pas ma part de ce souper là !.-..

Il s'apprêtait à descendre dans la chambre du premier étage, lorsqu'on frappa à la porte de !a rue. .C'était le mari qui arrivait inopinément. La dame— toujours observée par Roquelaùre — fît disparaître le souper dans une grande armoire, dont lie retira la clef, éclipsa l'amoureux dans un cabinet noir et reçut son époux.

Cet époux avait grand faim ; 'donc, après avoir remercié sa compagne de ce qu'elle ne pouvait dormir en son absence, il demanda à manger.

Naturellement on lui répondit qu'il n'y avait rien, et qu'on faisait maigre chère quand il manquait au festin.

— Il est temps de descendre, se dit Roquelaùre, je tiens ma vengeance.


DU DUC DE ROQUELAURE. 53

Il descendit en offet, et se présenta dans la chambre à coucher, au grand élonnement du mari et surtout de la femme qui le croyait fort loin.

— Pardonnez-moi, fit le duc avec une politesse exquise, mais madame ayant eu rob!igcance de m'accorder l'hospitalité pour celte nuit, attendu que je ne trouvais pas d'hôtellerie, je viens lui ' offrir mes services puisqu'elle se trouve dans l'em-y barras... .

— Expliquez-vous... balbutia le bourgeois de Pontoise stupéfait sans prêter attention à la pâleur de sa chaste moitié.

— N'avez-vous pas faim ?

— Oui...

— Permettez-moi donc de vous offrir à souperLa jeune femme se crut perdue.

— Qui êles-vous, monsieur? demanda le bourgeois. ' ■ , ' .

— Je suis le diable ! En voici la preuve. Priez madame de vous ouvrir la porte de cette armoire ; je veux qu'il se.lrouve sur ses rayons une collation splendide...

La dame n'ayant pas la force de faire un pas, le mari tremblant prit la clef,, ouvrit l'armoire et resta ébahi.

Pendant ce temps, Roquelaùre. s'était approché 'le son hôtesse inhospitalière, et avait jeté vivement et à voix basse ces mots à son oreille :

— Laissez-moi vous sauver, je me vengerai après!...

La dame comprit et retrouva son sourire.

Heureusement le mari était un benêt. Le duc, par des mots incompréhensibles et des signes cabalistiques lui fit croire tout ce qu'il voulut. : Le souper fut trouvé fort bon ; au moins Roque-


54 -. HISTOIRE

laure en mangea sa part, servie par les mains de la reconnaissance.

Le bourgeois de Pontoise, qui avait retrouvé sa tranquillité d'esprit, et s'apercevant que les mets dît diable ne lui brûlaient pas la langue, voulut savoir par quel moyen l'infernal étranger avait fait venir de si belle Volaille et de si beau gibier.

-—Par mon commissionnaire ordinaire^le jeune Krikralcrok, répondit Roquelaùre.

— Et.il est parti comme il était venu, sans que je l'aperçoive ? interrogea le bon bourgeois, qui avait déjà bu plus-que de coutume.

— Non... mais si vous voulez, je vais le faire disparaître sans quô vous en soyez incommodé!

■—Je veux bien.

— Cachez-vous la tête sous votre serviette.

— C'est fait.

— Maintenant, cria le duc d'une voix sourde, sortez, Krikrakrok, et ne revenez jamais L..

L'amoureux caché dans lé cabinet noir comprit ,qu'on le tirait d'embarras et sortit à la hâte, en jurant qu'on ne l'y reprendrait plus. , Le souper continua. Notre héros, par son esprit, tourna les événements de la façon qu'il voulut, pour l'intelligence du mari ; et, ce dernier ayant roulé bientôt ivre sous la table, le duc causa à" son tour avec la jeune femme.

L'explication réciproque fut très-sympathique entre deux êtres-dont l'un avait sauvé l'honneur de l'autre.

En quittant Pontoise au point do jour, Roquelaùre avait goûté àvee un appétit de gourmet /outes les saveurs exquises du souper du diable.

On ne mettra pas en doute mon affirmation quand je dirai que.la soubrette fut récompensée


DU DUC DE BOQUELAURE. » 55

pour avoir logé;— malgré la défense de sa maîtresse, un étranger si aimable..

X

LE COMTE DE S***. LE JEU DE LA DAUTJ3INE.

Les soulèvements populaires se renouvelaient sans cesse à Paris.

Il y avait lutte entre le Parlement et le cardinal Mazarin, et oelte lutte, à laquelle plusieurs historiens ont donné le nom de «.guerre de Paris, » commença le jour où fut chanté à NotreDame le Te Dvum en l'honneur de la victoire do Lens, remportée par M. le Prince le 20août 1648>.

Roquelaùre, qui s'était éloigné pendant trois mois de la capitale, faillit, à sa rentrée,, être èchurpé par les lutteurs de la rue; mais, grâce à sson sang-froid et à la gentillesse de la fille d'un hôtelier, qui le cacha dans son lit, il put échapper à la mort certaine qui planait sur sa tête.

En reprenant le chemin de son hôtel, il fit la rencontre de l'abbé de Gondy, — son ancien rival près de madame de Guemenée, — et, bras dessus, bras dessous, ils se protégèrent l'un l'autre coulre la colère des Frondeurs qui massacraient sur leur passage, sans même distinguer les partisans pour lesquels ils se révoltaient.

Néanmoins cette .rencontre de l'abbé de Gondy ^changea l'itinéraire de Roquelaùre.

Au lieu de rentrer à son hôtel, il suivit le coadjnleur au Louvre, où ce dernier aVait audience d'Anne d'Autriche.

Pendant que de Gondy causait avec la reine, Roquelaùre se morfondait dans l'antichambre.


55 ' • HISTOIRE

Ennuyé de cette situation, il ouvrit une porte et se trouva au milieu des'demoiselles d'honneur, qui le reçurent avec les plus beaux sourires du monde.

A peine causait-il avec ces charmantes filles,— depuis un quart d'heure environ, — que survint le fâcheux comte de S***.

C'était un seigneur d'une fatuité extrême et qui, plusieurs fois, avait fait subir maintes humiliations à notre héros.

Celui-ci trouvait l'occasion de prendre sa revanche, il se garda bien de la laisser échapper.

Quittant le fauteuil qu'il occupait, il s'enfuit comme si le diable eût été à ses trousses et pénétra subitement dans le boudoir où la reine Anne d'Autriche était en conférence avec le coadjuteur,,

— Madame, s'écria-t-U sans attendre qu'on l'interrogeât, je viens de voir le comte de S'** ; il est avec les demoiselles d'honneur... il leur a montré ce qu'il portait !

Et il se retira de la même façon qu'il était venu, laissant Anne d'Autriche toute déconcertée d'une j semblable révélation. ]

La reine, à laquelle l'outrage fait à ses filles ; d'honneur était'aussi sensible que celui qu'on lui eût adressé à elle-même, suspendit son entretien ! avec Gondy et alla se plaindre amèrement au roi. !

Ce dernier fit venir le comte de S*** et lui reprocha vivement sa conduite indigne.

Le comte tomba de son haut et ne sut naturellement pas ce que le roi voulait dire.

Sa Majesté, croyant qu'.on se moquait d'elle, entra dans une violente eolère. '

Le comte ne vit d'autre moyen de sortir d'embarras que de demander à être confronté avec ceux


DÛ DUC DE K0QUELAUR.E. 5j

qui avaient formulé contre lui une semblable accusation.

Sa demande lui fut accordée.

On fit venir Roquelaùre.

—•-Duc, demanda le roi, êtes-vous prêt à répê-' ter ce que Vous avez dit déjà concernant le comte deS"*i ■'■;■ •-

— Ou*!, Sire.

— Répétez donc.

— J'ai vu M. de S*** montrer tout ce qu'il portait aux demoiselles d'honneur de la reine.

— C'est une infamie ! s'écria de S*'*.

Le roi fit un geste de silence, et continua en se retournant vers Roquelaùre :

— Mais que leur montrait-il, enfin ?

— Il leur montrait ses cornes, riposta l'impassible duc. ,

Le roi et ceux qui étaient présents partirent d'un grand éclat de rire. ,

Le comte de S***, seul, ne trouva pas la chose plaisante, car il était marié et ne se louait pas fort, prclend-on, de la vertu de sa femme.

Mais il n'osa demander raison" à Roquelaùre de celte injure, sans doute parce qu'il n'était pas très-brave au maniement de l'épée.

Si le comte de S*¥* n'était pas très-rassuré sur la conduite'de son épouse, la nature seule en était coupable.

En effet, S*** possédait certaines incommodités qui attaquaient l'odoTat;-—pour nous servir d'une expression concluante, nous dirons qu'il sentait mauvais de partout.

Roquelaùre possédait bien aussi quelque peu de ces incommodités, mais en moins grande partie; notre héros ne sentait mauvais que du nez, sans


58 'HISTOIRE

doute a cause de l'abus étrange qu'il faisait dn tabac. '

Ces défauts de nature donnèrent lieu, le lendemain même de l'incident des filles d'honneur, à une équivoque recherchée d'ailleurs par le comte de S"*, qui voulait se venger de son affront de la veille.

Nos deux personnages se rencontrèrent au jeji de la Dauphine, et, par l'effet du hasard, s'assirent à côté l'un de 1 autre. t

Roquelaùre, qui prenait son bien partout où il le trouvait, accapara une jolie demoiselle placée à sa gauche et entama avec elle une conversation délicate.

S"**, qui avait déjà fait un doigt de cour à cette demoiselle, fut mordu par la jalousie, et, profitant d'un moment de silence, s'adressa à Roquelaùre d'une voix haute et goguenarde :

— Eh ! duc, dit-il, si tu ne te parfumes au pins tôt, je me verrai forcé de quitter la place.., car tu pus à me faire mal au coeur. .

Celte injure causa parmi l'assemblée un frémissement inénarrable.

Roquelaùre, sans s'émouvoir, laissa passer cette impression défavorable sur sa personne.

Puis, avec, une admirable présence d'esprit et un sérieux qui donnait double valeur à ses paroles :

— Oui, c'est vrai, répondit-il, je suis naïf et j'exhale parfois une odeur qui n'est pas tout à fait si douce que celle de l'ambre et de l'iris, j'avoue que je suis un monsieur bien désagréable et bien puant.; mais que v^ux-tu, c'est un effet bizarre de la nature, qui, comme je puis voir, ni.' s'est pas beaucoup applique à fermer mon nez... Mais pour


DU DUC DE ROQUELAURE. St)

toi, mon cher ami, chacun est convaincu que : quand le ciel te fit, il fit tout ce qui pue !...,

Le comte de S*" rougit jusqu'aux yeux ; l'assemblée le tourna en ridicule, et il Tut obligé de déguerpir au plus vite dû jeu de la dauphin'e.

XI '

UN COUP DE PIED A LA BÉCHAMEL. MADAME DE

SÉVIGNÉ.

Parmi les grands seigneurs qui se firent remarquer, pendant les troubles de la Fronde, par l'air d'indifférence avec lequel ils accueillirent les événements, se trouvait le comte de Bussy-Rabutin.

- Il continua de vivre comme si la France entière eût été en fêtes.

Bussy-Rabutin semblait mettre en pratique les maximes qu'il avait publiées dans son 'Histoire amoureuse des Gaules, qui lui valut un bon séjour à la Bastille.

Afin d'être agréable à sa maîtresse, mademoiselle Elisabeth de Cheverny, il donna, dans son château, une soirée splendide qui se prolongea toute la nuit.

L'édifice entier fut éclairé à Giorno, et des orchestres, placés de distance en distance, répandirent à pleins flots une harmonie délicieuse qui exaltait les sens.

En sa qualité d'ami intime de Bûssy-Rabutin, Roquelaùre ne pouvait manquer d'assister à la fête.

Pendant loute la nuit, il se livra non-seulement au plaisir eu faisant la cour aux daines, mais en-


, ÊO " • HISTOIRE

core il se donna la satisfaction de-jouer des tours à ceux qui.n'étaient pa3, près de lui, en odeur de sympathie,

Dn nombre de ces derniers se 'trouvait Béchamel.

Béchamel, qui a donnétson nom à une sauce' fort aimée des gourmands, était lé favori de l'intendant du duc d'Orléans.

Il trouva: le secret de gagner une fortune considérable ;' mais aussi la tête lui en tourna presque, et il devint arrogant comme un véritable géntil.homme. . ,

Pendant qu'on dansait dans les salons du château de>B«ssy-Rabulin, Roquelaùre, qui se promenait avec quelques-uns de ses amis, se rencontra nez à'nez avec mons Béchamel, qui:, la main ' sur la poignée d'une épéc de parade, semblait faire admirer sa personnalité.

A sa vue, une idée bouffonne traversa le cerveau du duc.

Il laissa passer le fat, sans le saluer, et remarqua qu'il allait se poster dans l'embrasure d'une fenêtre, afin de jeter uncoup d'oeil sur l'illumination du parc.

Roquelaùre arrila ses amis.

— Vous savez, leur dit-il, combien j'ai la passion des paris?

— Oui... Où veux-tu en venir? interrogea Châtillon." - . .

— Tu vois bien cette grande bête pédante qui nous tourne le dos? _' »

— C'est Béchamel.

— Eh ! bien, je parie que je vais lui doniier un coup de pied dans le derrière.

— Allons donc!


DU DUC DE ROQUELAURE.

— Ce ne sera pas long. î —C'est un enfantillage !

— Non ! c'est une justice que je rendrai. Bien mieux, je parie en outre que Béchamel me remerciera.

— C'est impossible !

— Tenez-vous le pari? Un souper fin et deux cents pisLdes.

— C'est entendu ! exclamèrent les amis en se regardant avec un sourire moqueur.

La somme pariée fut remise entre les mains' d'une ?ersonne désintéressée, et les amis restant en.place pour observer, Roquelaùre s'avança près de la fenêtre eu question.

En. approchant, il se mit à crier :

~ Comment, c'esttoi, cherducdeGrammonl!.; il y a un siècle qu'on ne t'a vu !...

Et lançant son pied de toute sa force, Roquelaùre frappa Béchamel en plein dans la partie opposée à son visage.

Béchamel se retourna d'un bond, en poussant une exclamation douloureuse. .

A peine eut-il accompli ce mouvement, avec l'air d'un homme qui s'apprête à se venger d'une .i'ijure, que Gaston, simulant une stupéfaction profonde, se hâta de parler avant le bafoué.

— Ah| bah. C'est vous, M. Béchamel! dit-il.

■—Parbleu ! qui voulez-vous que ce soit! re-, partit le pédant.

— Ma foi, je vous demande bien pardon, je vous prenais pour un de mes amis... Vous ressemblez si fort au duc de Grammout, que j'ai bien pu m'y méprendre.

■—Il serait vrai?... interrogea Béchamel en se radoucissant.


62 HIST01HB

— Sur mon honneur ! vous avez sa taille, sa tournure et toutes ses manières distinguées.

Le duc de Grammont était en effet le seigneur le plus élégant de toute la cour. Béchamel, qui savait son monde, n'ignorait pas ce détail.

Aussi la méprise de Roquelaùre, loin de l'irriter,-lui fut extrêmement sensible, flatta sa vanité, ei lui donna de sa personne une opinion doublement avantageuse.

Il remercia le duc, avec les démonstrations de la plus vive gratitude, du compliment qu]il daignait lui adresser, lui serra la main et le reconduisit jusqu'auprès de ses amis qui se.mordaient les lèvres pour ne pas éclater.

Roquelaùre empocha les deux cents pistoles; quelques jours après le soupei fin eut lieu, et on se grisa royalement à la santé de cet imbécile de Béchamel.

Après avoir ainsi traité l'inventeur de l'a sauce qui porte son nom, le duc, mis en train de bonne humeur, songea à faire enrager un peu les maris.

Il brouilla plus d'un ménage, fit naître plus d'un désaccord, et .termina sa nuit par la conquête de la jolie Madame de Sèvigné.

Cette conquête, frivole d'abord, se changea en un amour profond, qui dura dix-huit mois.

Il est vrai que Madame* de Sévigné avait tant . d'esprit !

Oui, mais Roquelaùre possédait tant de verve galante!

Enfin, le mari était si peu estimé de son épouse!

On voit qu'avec un peu de bonne volonté tout. S'accorde dans la nature.


DU DUC DE ROQUELAURE. 63

lv:. -.-: ' XII •

; ■ LE. ÏRÉDICATEUR ET LE BOSSU.

A la suite de k bataille deCourlray, qui se rcn«- ,': dit à discrétion, en 1046, le duc de Roquelaùre fut ':. nommé lieutenant-général, par Monsieur, qui } commandait l'expédition.

Pour se distraire des fatigues de l'exp%dition, il

. se mit à parêourir la'HoIlande, et, comme il trou;

trou; les filles Je ce pays beaucoup trop lourdes de

corps et d'esprit pour inspirer l'amour, il fré--

; quenta les églises, afin d'entendre comment en

débitait les sermons.

Ici nous empruntons aux Mémoires mêmes du duc une aventure qui ne manque pas d'un, certain piquant, et prouve combien le~ duc était observa• teur de sa nature.

En revenant de Hollande, Gaston s'arrêta à Mézières, et s'en alla entendre la messe dans la cathédrale.

A cause du goût momentané qui s'était, dès Amsterdam, emparé de son cerveau, il resta à entendre le sermon, qui devait être prononcé par le pèreTruguet.

Il prit place près de la chaire, imila l'auditoire attentif, et se laissa aller aux entraînements persuasifs du prédicateur.

De temps à autre, seulement il fut distrait par les soubresauts nerveux d'un petit homme contrefait, assis tout près de lui, et qui à chaque instant répétait :

— C'est incroyable ! mon Dieu! mon Dieu! votre foudre ne confondra-t-clle pas cet ignorant


64 ' ' ■ HISTOinB

abbé ?... En vérité, ce serait à se faire Turc!...Il ne se taira pas... Toujours la même sottise... Allons, c'est dit, je me ferai Turc !...

Impatienté par ces murmures, Roquelaùre se contenta de jeter, de temps à autre, un regard courroucé sur le bossu, qui se taisait pour recommencer bientôt.

Voyant qu'il était inutile de songer davantage à réprimer ce qui semblait être une manie, Roquelaùre nes'occupa plus que du père Truguet.

Le sermon achevé, notre héros se hâta dé s'éloigner pour ne plus se trouver en contact avec l'être insupportable qui l'avait agacé pendant plus d'une heure. J

Arrivé sous le portail, il aperçut le prédicateur, qui se dirigeait vers une des rues latérales, et, presque immédiatement le bossu, qui se mit à courir^après lui en criant :

— Eh! Monsieur le prédicateur... eh? eh!.., Le prédicateur s'arrêta.

Roquelaùre, curieux comme une pie, s'approcha d'eux pour connaître quel pouvait être le motif de l'entretien.

Toutefois, comme n avait l'ouïe fine, il se tinta une dislance assez raisonnable, pour no pas être taxé d'indiscrétion.

— Est-ce moi que vous appelez? demandais prédicateur en se retournant.

*—Vous-même, monsieur l'abbé, répondit le bossu en faisant un respectueux salut.

— En quoi puis-je vous être utile, mon ami? '-—Vous pouvez, monsieur l'abbé, éclairer ma conscience sur un point de religion qui me paraît bien obscur.

— Je vous écoute, cl si mes faibles lumières...


DU DUC DE nOQUELAURE. 65

— Ce que je veux éclâircir est bien ' simple. N'avez-vous pas dit tout à l'heure, en pleine église et devant un nombreux auditoire, que Dieu a bien fait ce qu'il a fait?

— Sans doute... Eh bien?...

— Ëh bien ! monsieur l'abbé, regardez-moi. Et, ce disant, le bossu fit la plus belle pirouette

qu'ait jamais exécutée danseur de ballets, et exposa par cette adroite évolution, aux y&ux du théologien, une proéminence dont oii eût eu sans doute quelque peine à trouver la pareille.

— Eh bien ! répéta encore l'abbe un peu,surpris. Que voulez-vous dire?

— Je veux dire, monsieur l'abbé, que si vous parvenez à me prouver que je suis bien fait, je consens à ce que vous ayeï prononcé tout à l'heure un sermon magnifique, me réservant de déclarer, dans le cas contraire,.que dans tout ce que j'ai entendu il n'y avait pas l'ombre de sens commun.

Le père Truguel fronça le sourcil en homme qui comprenait la difficulté.

Mais, presque aussitôt, reprenant son Caïmoha...hilucl, il répondit à sûn conlrovc-rsiste enr-sgé :

— Mon bon ami, il ne faut pas vous y tromper, vous êtes très-bien fait... pour un bossu.

Et l'abbé reprit tranquillement sa route. Le questionneur, étourdi par tant d'assurance, se regarda longtemps lui-même, comme s'il eût cherehé.à 3e rendre compte de l'explication qu'il venait d'entendre.

_— Je le vis sourire, ajouta Roquelaùre en terminant son récit; on eût juré qu'il y avait en ce moment chez lui un petit mouvement de coquetterie, et qu'il commençait à se persuader que le Prédicateur avait raison.


66 HISTOIRE

XIII.

VELLÉITÉS RELIGIEUSES. LE MASCULIN DE

COQUETTE.

Nos lecteurs se souviennent d'un voyage que fit Roquelaùre avec madame de Lesdiguières.

D'après le caractère, de noire héros, on devrait s'imaginer- qu'il n'eût plus aucun rapport avec ' cette dame, car, vrai papillon, jamais il ne butina deux fois la même rose.

Il n'en fut rien, cependant.

A la suite des agaceries de celte dame, qui probablement avait gardé douce souvenance de sa relations antérieures, —il est permis de le supposer, — Roquelaùre en tomba éperdùmeol amoureux.

Il recommença donc un assaut galant savamment combiné, mais en pure perte. \

On est amené à croire que son eoeur, ' étreinl par ce petit dieu qu'on nomme Cupidon, anéaB' lissait toutes les facultés de son intelligence; il* commit' que des bévues, ou peut-être ne se p ncnça-l-il pas assez ouvertement.

Bref, il échoua.

Désespéré, il se crut fatigué de la vie et de l'b manité, et chercha des consolations dans l'aspiolion religieuse.

Il se fit conduire à Beauvais.

Là, il connaissait le supérieur d'un couvent! lui demanda asile et commença une espèce de co version, tout en cherchant à s'éclairer sur I théories et la pratique du dogme.

Mais chassez le naturel, il revient au ga'°


DU DUC DE ROQUELAURE. 67

Roquelaùre avait l'imagination trop fébrile pour ■ rester prisonnier dans un cloître.

v A peine huit jours s'étaient-ils écoulés, qu'il ï s'enfuit de Beauvais sans même dire adieu au supérieur, qui croyait faire de lui an saint élève, et ;i tomba comme une bombe dans une réunion où se • trouvaient ses amis, qui le croyaient perdu, et des si femmes charmantes qui commençaient à se moi quer de lui.

•":. Il en fut quitte pour quelques plaisanteries, f pour quelques épigrammes; et comme rien ne !-'s'oublie plus vite que les légèretés humaines, on ■ but à sa résurrection et on dansa de plus belle; < chaque dame voulut exécuter une pavane avec lui. Roquelaùre, en cette circonstance, agit avec \ tact et esprit en ne relevant aucune épigramme.

L'unie d'elles, cependant, lui fut sensible. i On avait émis l'idée que le cloître avait fait disparaître la rouerie d'à-propos qui naguère lui était d'une si grande familiarité. Il chercha à se relever de cet échec, et la soirée .' même loi en présenta l'occasion.

Depuis quelques semaines, M. et Mme de Ponceville avaient vu la froideur entrer dans leur ménage". Le mari en ignorait la cause; quant à la femme, elle en puisait, dil-on, la source dans un amour de coeur qui détournait son affection du foyer conjugal.

Ce soir-là, M. de Ponceville, qui avait sans doute un Tetour de galanterie, se mit à être jaloux de son épouse et lui interdit.de danser avec tout autre qu'avec lui.

Pour réponse, madame de Ponceville exécuta une sarabande en compagnie du chevalier de Luce, auquel elle accordait ses faveurs.


68 HISTOIRE '

Le mari, exaspéré, s'approcha d'elle à la fin de la sarabande, cl la prenant par le bras en présence de l'assemblée, il s'écria à voix intelligible :

— Madame, vous êtes une coquette ! L'épouse se sentit rougir, puis la colère lui

monta au cerveau.

— Et vous, monsieur, riposta-t-elle /Sur le même ton, vous êtes un cocu !

Comme on le pense bien, l'émotion fut grande parmi la foule. Les uns partirent d'un éclat do rire ; les autres prirent parti, qui pour l'époux, qui pour l'épouse.

Néanmoins, on se hâta de les séparer, car la querelle eût pu dégénérer aux voies de fait.

Pour faire divergence aux idées, la maîtresse de la maison qui recevait ce soir-là ordonna aux musiciens de jouer plus fort. On continua de danser, mais M.-de Ponceville se relira dans un coin, en jurant qu'il ne pardonnerait jamais à sa femme.

Madame de Ponceville, honteuse de son emportement, gagna le côté opposé à celui où se trouvait son mari, et fut s'asseoir près de Roquelaùre, qui essaya de la consoler. j Tout en causant, un projet -fantastique roula dans la lêle du duc. .

. — Voilà le moment de me réhabiliter, se dit-il.

Puis il reprit tout haut en s'adressantàlabelle épi orée : . .,

— Madame, demanda-t-il, voulez-vous que tout à l'heure votre mari soit à vos pieds?

Madame de Ponceville le regarda avec stupéfaction. -

— Vous vous moquez de moi, duc? fit-elle.


DÛ DUC DE ROQUELAURE. $Çf

\ — Du tout. Avez-vous confiance en moi?

■ —Oui... Cependant... ' .

; —Pas un mot de plus. Dans dix minutes, je î vous ramène le volage. Roquelaùre s'éloigna. ? Dix minutes après, en effet, M. de Ponceville» i venait d'un air embarrassé implorer le pardon de" i sa femme.

. Un geste muet de Roquelaùre fit comprendre à f cette dernière qu'elle ne devait pas refuser. i L'époux fut charmant jusqu'à minuit, heure à

■ laquelle il se retira bras-dessus bras-dessous avec >■ celle qu'il appela désormais un ange de candeur.

Mais, avant que sonnât l'heure de la retraite, „ madame de Ponceville put danser à son aise avec ; qui bon lui sembla.

Elle profita de cette liberté pour-se rapprocher s de Roquelaùre et lui témoigner son étonuement ; du miracle qu'il avait accompli»

—: Comment donc vous y êtes-vous pris, moa: sieur le duc? demauda-t-elle.

— Oh! madame, c'est bien simple. Je vous ai : représentée comme la plus ingénue et la plus '■ pure des femmes...

i: —Moi? | —Oui.

— De quel nom vous a baptisé votre mari?

— Il m'a appelée coquette.

— Quelle riposte lui avez-vous envoyée? < — Je n'ose la redire. s ,

■— Eh bien ! moi, je lui ai fait comprendre qu'il : était bien heureux d'avoir une femme dont l'in: nocence n'appréciait pas même la valeur des mots,

ft qui, par conséquent, ne pouvait être coupable

de l'action qu'elle ignorait.


*H». HISTOIRE'

-—-Voilaiune énigme pour mon intelligence.

— Il vous a traitée de coquette, vous l'avez traité de COCUJ il croit, d'après'mes explications, que vous avez pris le dernier pour le masculin du premier... et... il admiré votre naïveté. Voilà tout.

Madame de Ponceville serra en silence la main de Roquelaùre. \

ApTès le départ des époux,-la définition grammaticale, répandue par un indiscret, fit le plus grand honneur à Roquelaùre,-et on lui pardonna Ses velléités claustrales.

xiv.;- . • -

M. DE PONCEVILLE. — JE VOUS BAISE LES MAINS. . LA LUTTE DÈS NEZ. — UN ACCIDENT MARITAL. UN TESTAMENT SUPPOSÉ.

Malgré toutes les distractions qu'il prit pour dominer l'amour qui lui tenait au coeur, Roque; laure ne put chasser l'image persistante de madame de Lesdiguières.

Il tomba malade.

Lorsque la science eut dompté la fièvre qui le possédait, et avant même que le chirurgien lui eût permis de quitter la chambre, le duc, pour ainsi dire halluciné, parcourut pendant la nuit les rues de la capitale, cherchant des aventures dans les bouges et dans les brelans.

La nature étant plus forte que les imprudences, le malade guérit malgré lui; dès lors il recommença à paraître en soirée, mais ce ne fut que pour commettre bévue sur bévue.

Ainsi, il persifla M. de Ponceville sur le même


DU DUC DE ROQUELAURE.' ft.

: mot Jont.il lui avait donné une si étrange expli' cation.

M. de Ponceville, offensé, provoqua Roque"laure.

; Ce dernier choisit, pour se battre, et cela pendant la nuit, le cimetière des Innocents.

Mais si M. de Ponceville était brave en face . d'un loyal adversaire, il ne pouvait surmonter la frayeur qu'il éprouvait à la vue d'une tombe, surtout lorsqu'elle était éclairée par les rayons blafards de la lune.

Les combattants, arrivés sur le terrain, dégainèrent.

Déjà même les premières passes d'armes s'é'( changeaient assez prestement, lorsque M. de Ponicevilie crut voir se dresser, à quelques pas de lui, : une ombre blanche. -f H laissa tomber son épée et s'enfuit.

En racontant cet épisode, le lendemain, chez Bautru, Roquelaùre terminait ainsi par une plaisanterie :

— C'est à la vue d'une pucelle, dit-il, que mon 'adversaire s'est enfui...

~ Et cette pucelle, quel est son nom ? demanda Bautru.

; — L'épée de M. de Ponceville. . l'eu de temps après, le duc, qui cherchait partout madame de Lesdiguières, même où elle n'était pas, retrouva à la courM.d'Hermenonville, pour lequel il n'éprouvait aucune sympathie.

M. d'Hermenonville avait contracté l'habitude, lorsqu'il faisait compliment à quelqu'un, d'em' ployer continuellement celte phrase : ■— Je vous baise les mains. Rencontrant donc, dans le jardin du Palais-


J2 . HISTOIRE

Royal, M. le Prince, qui lui adressa des honnêtetés, d'Hcrmenonville crut qu'il devait y répondra en galant homme, et ne manqua point de dire ;

— Monseigneur, je vous baise les mains. Quelques minutes, après, M. le Prince s'élant

retiré, et le Dauphin étant entré à son tour dans le jardin, demanda aux seigneurs qui vinrent audevant de lui ce que Monseigneur était deveuu. Ce fut Roquelaùre qui se chargea de répondre.

— Il ne lardera pas à revenir, Monseigneur, dit-il.

— Où donc est-il allé ? riposta le Dauphin.

— Il est allé laver ses mains, qne M. d'Herme-- nonville venait de lui baiser.

M. d'Hermenonville fut tellement honteux de l'offense qu'on lui adressait, qu'il se retira sur-lechamp, accompagné des éclats de rire de toutes les personnes présentes.

C'était, parait-i), la journée aux insultes; notre héros continua ses bévues.

Je suis certain que si madame de Lesdiguières eût eu connaissance de l'élat de surexcitation dans lequel elle mettait Roquelaùre, elle se fût tien vite attendrie en sa faveur.

Un jour que toute la cour était assemblée dans l'appartement de Louis XIV, on vit entrer plusieurs prélats, parmi lesquels se trouvait l'évêquo du Puy. ,

Ce prélat avait urfticz d'une taille démesurée; Roquelaùre en demeura surpris, car non-seulement cette partie du visage était, chez l'évêque, jl'une longueur démesurée, mais encore cite faisait honte au duc, qui, à côté de celte excentricité de la nature, pouvait passer pour un Adonis.

Néanmoins, Roquelaùre se mit à éclater de nrc-


DU DUC DE ROQUELAURE. .7?

s Le roi, présent à cette marque d'outrecuidance, et prévoyant que le duc ne s'arrêterait pas là, lui dit assez haut pour être entendu de lous les seigneurs :

— Roquelaùre, je vous défends de choquer personne ; laissez les gens comme ils sent. Le duc s'approcha plus encore du prélat mal.

mal. de la nature et répondit :

! — Quand je devrais être pendu, je ne puis m'empêcher de conclure que voilà un fichu nez !... Et en même temps, il appliqua une si forte chiquenaude sur le nez de l'évêque que les larmes Tinrent'aux yeux de ce prince de l'Eglise.

; Toutefois, monseigneur du Puy ne souffla pas

; un mot; dans sa finesse il obligeait ainsi LouisXlV

!à venger lui-même l'outrage fait en sa présence.

; En effet, pour empêcher qu'on ne renouvelât de semblables insolences, le monarque se vit dans

-la nécessité de punir l'audace de son favori, qui

■ abusait de sa faveur.

Jusqu'à nouvel ordre, il lui interdit l'entrée de la cour el des petits appartements. Le prélat se trouvait ainsi vengé ; mais'tous les

■ courtisans se mirent dacôté de l'exilé et plaisantèrent sur celle scène.

De la cour, l'aventure parcourut la ville et la 'rue.

' Aussi les polissons, qui eurent bien vite fait connaissance de l'homme chiquenaude, se mireut a le suivre sans cesse en criant sur son passage : . ,- — Gare la nazade, monsieur l'abbé !

En chrétien qui comprend l'humilité, le prélat ! subit la plaisanterie, mais il ne tarda pas à s'en . venger.

Louis XIV, qui n'avait défendu au duc de pa-


>$£ HISTOIRE

raitre à. la cour que pour le mortifier un peu,, le laissa* revenir lorsqu'il crut la rage de l'èvéqUeï apaisée;

Les deux nouveaux Nazica se trouvèrent donc au-souper du roi, qui paraissait de meilleure-humeur que d'habitude.

La foule des courtisans était grande ; Roquelaùre, qui avait quelque chose à dire au mpnarquey s'aperçut que pour parvenir jusqu'à lui, il fallait passer devant l'évêque.

Avant de franchir cet obstacle^ il s'arrêta,- et prenant son air railleur :

— De grâce, monsieur l'abbé, goguerta'rda-t-il, rangez un peu votre nez que je puisse voir le roi....

L'évêque se tourna du côté d'où partait la voix,

— car il n'avait point encore fait attention aaduc,

— et repartit sans perdre un moment sa présence d'esprit

•—Hé! mon Dieu, monsieur, vous en voulez donc bien à mon pauvre nez, qui n'en peut mais! Vous croyez, j'en suis sûr, par jalousie, qu'il a été bàli aux dépens du vôtre !...

Celte réponse, prononcée d'un ton simple et ingénu, fut trouvée des plus plaisantes.

Le roi sut bon gré à l'évêque de s'êlre spirituellement vengé.

Le duc, à son tour, supporta les railleries, et aux yeux de bien des courtisans, son nez passa longtemps pour avoir la tendance de se développer en éventail. '

Mais heureusement pour l'esprit de Roqnelaure, qui devenait méchant, madame de Lesdiguières compatit aux peines de son amoureux et lui accorda ses faveurs.


DU DUC "DE ROQUELAURE. y'S

De celte alliance, formée par devant le iabellion deCylhère, naquit un fils, qui étonna fort, par sa venue, le «nari de la dame, lui qui n'avait jamais pu jusqu'alors jouir des douceurs de la paternité !

Toutefois, M.-de Lesdiguières crut aux serments 4e son épouse, affirmant que le fils était légitime... Il n'y a que la foi qui sauve !

Celui qui accepta le fait accompli avec moins 'de plaisir, ce fut M. de Créqui.

Ce dernier était l'héritier présomptif de M. de lesdiguières, avant la naissance dé l'enfant; et l'on comprendra combien lui fut sensible la perte d'une espérance qui se traduisait par quelques millions en perspective. ,

A Paris, il n'y a rien deinoins bien gardé qu'un lecrct.

L'issue de l'accident marital (ut commenté de nutes manières.

Un auteur anonyme publia même au nom de r oquelaure un testament anticipé.

Dans ce testament, le duc léguait son enfanta M. de Lesdiguières et son esprit à M. de Créqui.

Ce dernier aurait-il perdu au change, lui gui tait bête à millions?...

L'histoire n'affirme rien à ce sujet.

XV '

LA CHEVALERIE DE ROQUELAURE.

, A différentes -époques de sa vie, Roquelaùre m''a la brillante chevalerie du moyen âge. non ans ce qu'elle avait de ridicule et d'exagéré, mais a"s sa loyauté proverbiale et son extrême délicate pour les dames.


y6 HISTOIRE

Ainsi, après ses amours avec madame de Lesdiguières, les plus longs peut-être de son existence, le duc sauva d'un couvent et de la menace d'un cloître éternel, une jeune fille, victime d'une ambition de famille.

Après l'avoir aidée à escalader les murs de la maison de Dieu, il la mit en lieu de sûreté. HélasI . au moment où il commençait à l'aimer, au moment où il se proposait d'en faire sa femme, elle lui fut ravie par les mêmes parents, à sa recherche depuis son départ du cloître.

Roquelaùre eut quelque chagrin, puis se consola.

Toutefois, il fut assez heureux pour apprendre, quelques années plus lard, que la jeune fille était mariée avec un homme qu'elle délestait, mai» qu'elle avait beaucoup d'enfants.

La guerre de la Fronde continuait.

Notre héros assista au siège de Bordeaux et y prit une part fort active.

C'est à la suite de cette expédition qu'il fut nommé duc, — qualité dont nous l'avons gratifie par anticipation, — et pair de France.

Chacun, à la cour, fut content de cette faveur accordée à un brave et galant homme; il n'y eut que M. de Saint-Simon qui en fut marri. , Ce dernier détestait Roquelaùre ; on n'a jamais su pourquoi. Néanmoins, on peut admettre que la jalousie, cette perfide conseillère, entra pour quelque chose dans la manière d'agir de M. de SaintSimon.


DU DUC DE ROQUELAURE. 77

XVI

MANCINI ET LA VALLIÈRE. — CAMPAGNE DU RHIN,. UN AMOUR DÉ MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.

Si le duc avait profité pour lui de toutes les circonstances où il avait pu enlever d'assaut le coeur des femmes, il s'était aussi montré généreux pour les souffrances' passionnées des autres, et plus d'une fois leur avait aplani la route qui conduit au temple de Cylhère. . Ce sacrifice était immense, il faut en convenir, si l'on considère à quel point le bonheur personnel rend égoïste et indifférent pour la joie intime des autres!

C'est grâce à Roquelaùre que Louis XIV put triompher de la résistance de mademoiselle de Mancini, — qui plus tard épousa le comte de Soissons.

C'est en faisant honte iiu monarque de sa timidité qu'il le rapprocha de mademoiselle de La Vallière. Bien mieux, il les enferma tous les deux à'clef dans la chambre de la demoiselle a" honneur t et, l'épée nue, monla la garde à la porte.de ce sanctuaire des doux épanchements.

Ces services, qu'il rendit au père, il les renouvela pour le Dauphin pendant les campagnes d'Alsace.

Ici nous devons admettre une grande expérience de la courtisannerie, science plus difficile à apprendre que ne le croit généralement le commun des hommes.

Le Dauphin se trouvait à Strasbourg.


58 . HISTOIRE

Là il fut reçu avec tout l'éclat et la magnificence dus à son rang illustre.

Magistrats, noblesse et dames mirent enlisage tous moyens de lui prouver combien l'honneur de sa présence les touchait et leur était agréable.

Pendant le séjour du Prince royal, — qui était logé chez le gouverneur de la ville, — pendant-, qu'on faisait les préparatifs de la campagne, qui commença par le siège.de Philisbourg (1688), — Strasbourg devint une petite capitale de la France.

Tous les divertissements s'y trouvèrent; mille aventures y naquirent, dignes d'exciter l'envie do Paris même, aupointMde vue de la corruption des moeurs.

Le Dauphin, comme son père, était'fort sensible aux amours;'— déjà il avait eu deux enfants de la comtesse de Moret, et « ressentait continuellement,— pour nous servir d'une expression du xvne siècle,— certains aiguillonnemenls qui marquaient qu'il était porté pour les attraits de Vénus, et non pas ennemi du beau sexe. »

Voyant donc que tous les seigneurs qui l'entouraient avaient uninstaut oublié leurs maitresses parisiennes pour s'en former d'autres, il ne voulut pas rester inactif, et, quoiqu'il appréhendât les suites'funestes de l'infidélité dont il allait se rendre coupable à l'égard de madame de Moret, il ne ■put résister aux oeillades langoureuses qui lui fu-rent indirectement adressées, avec un art, toutefois, dont les femmes seules sont capables.

Il se lança doue dans les champs de bataille de l'Amour.

A Strasbourg, les beautés foisonnaient.

Sans s'occuper de celles qui lui faisaient, pour ainsi dire, l'offre directe de leur coeur, — car la


DU DUC DE ROQUELAURE. f]Q

.natare est ainsi en amour : on veut toujours le contraire de ce que demandent les femmes, —ïil a laissa subjuguer par les doux charmes d'imc llonde adorable, qui d'abord semhla ne pas même le remarquer.

Cette blonde était fille d!un baron allemand. -

Elle se nommait Marie de K-erbach.

'Sa tajlle était fort bien prise; ses cheveux ; longs et de eouleur d'or pâle touchaient presque 'la terre. Elle avait les yeux bleus et bien fendus, : le teint d'une finesse extrême et d'un ravissant : coloris.

; Sa lèvre était purpurine, ses dents possédaient la couleur des perles; sa gorge était d'une blancheur à damner un saint.

A première vue, Marie de Kerbach inspirait la rêverie; au second examen, cl!e suscitait le désir et l'exaltation.

Ajoutons à cela qu'elle avait l'esprit vif et prompt à la repartie, qu'elle donnait lour à tour, à son regard, la langueur ou la vivacité qu'elle voulait, qu'elle jouait délicieusement du luth et qu'elle chantait fort bien, et nous aurons le portrait à peu près exact de l'héritière du baron allemand.

Comment étail-il possible que le (Dauphin ne la remarquât pas?...

La première fois qu'elle se présenta à Igi, cefutdansune assemblée où toutes les dames assistaient au souper du Prince.

11 attacha sur elle ses regards passionnés et lui fit comprendre que sa beauté avait impressionné son coeur.

Puis leurs yeux s'étant rencontrés, le.Dauphin rougit et Marie baissa ses paupières comme si elle


&0 HISTOIRE

eût été subjuguée par le respect qu'elle devait ait fils d'un roi. s

Ce manège réussit parfaitement. Le, Prince, plus amoureux, que jamais, donna un bal à toute la noblesse de Strasbourg, afin de pouvoir danser avec sa belle Allemande.

Marie de Kerbach vint à ce-bal, en effet.

Sa toilette était splendide; un observateur eut bien vite deviné que.la descendante d'Èvé avait cherché par tous moyens à rehausser encore ses charmes.

A peine l'ent-il aperçu, que le Dauphin appela Roquelaùre, qui était son favori.

— Roquelaùre, lui dit-il en désignant la fille du baron, vois-tu cette petite Allemande...

— Oui, monseigneur.

— Eh bien ! avoue qu'elle est adorable, et qu'aucune dame de la cour n'approche de sa beauté.

Roquelaùre sourit.

C'était une manière affirmative de susciter à son profil les bénéfices de !a confidence qu'on lui faisait. .Sourire, c'est être de l'avis, bon ou mauvais, de celui qui sollicite une réponse à son opinion.

— Regarde un peu cette fine taille, continua le Prince, ce tour de visage, ces yeux brillants, ce teint..., cette... As-tu jamais rien vu de plus mignon ?

— En effet, monseigneur, je la trouve mangeable. C'est un petit poulet de grain qu'il ferait bou croquer...

— N'est-ce pas?...

— L'appétit vous en vient-il?

— Hélas I consentira-t-elle à s'humaniser pour moi... à me rendre heureux...


DU DUC DE ROQUELAURE. ,gpt

— Prince, vous ne connaissez pas les femmes.

— Je lis dans ses yeux l'arrêt de ma mort ;, je crains qu'elle me tienne rigueur et;.me couvre de son mépris...

— Allons, bon, voilà un amoureux qui se désespère d'avance!.,. Rassurez-vous, monseigneur, et point de faiblesse humaine. Je connais quantité de femmes qui seraient heureuses de mettre pavillon bas devant vous... - Quant à cetle simple fillette de baron', je parie vous la rendre souple comme un gant.

— Tout de bon! tu crois qu'elle favoriserait mon amour?

— Adressez-vous à elle, vous verrez d'abord si je mens.

— Moi ! lui parler !... oh ! pour cela, non ! — Cependant, si tu veux savoir ce qu'elle pense, tu me feras plaisir... Promets-lui tout ce que tu voudras, je tiendrai plus encore.

— Savez-vous que c'est vous engager beaucoup, monseigneur?

— Qu'importe! puisque je suis décidé à tous les sacrifices nécessaires pour obtenir sa faveur... tu m'entends, n'est-ce pas?... Je compte sur là réussite...

— Monseigneur, dit Roquelaùre avec un cer-. tain air de fatuité, vous serez satisfait

Et il s'éloigna.

XVII

SUITE DU PRÉCÉDENT.

Après avoir fait quelques tours dans la salle du bal, leduc aborda mademoiselle de Kcrbach, sans


82f;ft- TOSTOnCB

qu'on se doutât le moins du monde^ parmi les invités, de la mission qnril allait remplir.

Mademoiselle de Kerbach aVait parfaitement remarqué l'entretien du Dauphin et de son favori ; donc -elle se tenait sur la défensive.

Les femmes ont généralement l'instinctdu danger quiles menace, lors même que ce danger peut leur.être agréable, au point de vue des passions ou des sehtiments innés en.elles.

Roquelaùre fil à la demoiselle un compliment d'autant meilleur qu'il était court — et spirituel.

J'uis, après diverses nuances de langage, avantgardes destinées à engager le combat, il lui déclara la passion que le fils de Louis "XIV avait conçu pour elle.

Mademoiselle de Kerbach rougit, un peu de cette'déclaration.

C'est ce qu'a de mieux à faire une fille d'Eve en pareille circonstance. - ' -

Néanmoins elle se remit aussitôt et remercia l'ambassadeur de l'honr.eur que lui faisait le Prince.

— Je ne sais comment sera accueillie ma révélation, insinua Roquelaùre.

— Monseigneur a pour moi des sentiments généreux, dit-elle, et vraiment j'.en suis peu digne.

La coquette mentait.

Cette confidence du duc flattait son ambilion ; elle goûtait intérieurement une satisfaction sans égale de ce qu'un prince l'eût choisie parmi tant de beautés.

Son coeur se mit à battre d'une façon fantastique la générale de l'orgueil.

.Dès lors elle s'humanisa peu à peu.

/Il est vrai qu'elle ne pensait pas qu'une décla-


DU DUC DE ROQUELAURE.

ration si galante pût avoir d'autres vues qu'un compliment plein de délicatesse.

Roquelaùre, fin matois par excellence, observa toutes les fibres, de la physionomie qui se trouvait devant lui, et devina ce qui se passait dans l'âme de Marie. ' .

Elle ne se méfiait pas de lui ; elle se livra donc à ces naïves expansions qui sont particulières à là nature allemande.

Enfin, Roquelaùre crut.le moment venu d'emporter la citadelle d'assaut.

— Mademoiselle, fil-il vivement, ne le cachez pas plus longtemps, vous l'aimez,..

La jeune fille sourit.

— Il faudrait être de marbre, répondit-elle, pour ne'pas aimer ce qui est aimable...

— Votre langage m'enchante... .

— Il est peut-être dépourvu de prudence...

— Qu'importe ! si la vérité sort de votre bouche rosée!...

— Que pensèrez-vous de moi?...

— Que vous êtes une ravissante personne.

— Il faut de bien grandes sympathies pour m'engagera découvrir l'étal de.mon âme... .

— Vous en repentez-vous, mademoiselle?

— Non, non... je suis attirée par une force invincible contre laquelle je ne puis lutter.

— A quoi bon repousser ce qui pause un plaisir !

— D'ailleurs, le l'rince fait le bonheur de la France entière. Oui, j« l'aime, et vous y êtes bien pour quelque chose, duc.

— Comment cela?

— Oui, vous avez tracé de sa personne, de ses qualités et de ses vertus, un portrait qui' m'a saisi tout d'îbord.


,84 HISTOIRB

— Ce que vous dites là, mademoiselle, est flatteur au dernier point... Cependant, si vous êtesvraie, si vous ressentez ce qu'expriment vos lèvres avec tant de grâce, songez davantage au Prince...

— Ce sera mon plus grand bonheur...

— Songez qu'il souffre pour vous, qu'il est le 1 plus amoureux des hommes...

— Ne raillez-vous pas ?

— J'en suis incapable.

— Il vous en a fait part ?

— Oui, presque en pleurant.

— Moi ! causer du chagrin à un prince du sang !

— Quoique fils de roi on n'en est pas moins homme.

— Que puis-je conclure en cette circonstance, monsieur le duc? ' - . .

— Avancer l'instant de ses félicités.

— Oh ! que dites-vous?

— Oui, si vous daignez jeter an regard sur le Prince infortuné qui gémit à vos genoux, soyez certaine d'un amour fidèle et tendre...

— Le Prince vous a chargé de m'apprendre tout cela ? >

— Oui, il n'y.a qu'un instant.

— 11 s'est montré aussi explicite ? —^-Plus explicite encore. .

. — Pourquoi ne s'expliquait-il pas lui-même?

— je suis son ami, et, dam ! vous comprenez...

— Bref, vous résumez franchement ses paroles?

— Sans doute. De plus, il m'a ordonné de vous offrir cinq cents louis si vous consentez à ce que, dans un mystérieux rendez-vous, il vous arrache un... cheveu de la têle...

A celle proposition malséante, Marie deKer-


DU DUC DE ROQUELAURE. 85

bach ne laissa échapper aucun mouvement de dignité blessée.

Sans se ' déconcerter, elle regarda Roquelaùre' avec un sourire empreint d'ironie, et, se tournant à demi, comme pour se retirer : . — Monsieur le duc, persifla-t-elle, je suis fort enchantée de la bonté que le prince daigne avoir pour ma personne; je. suis désolée, en même temps, de la peine que vous vous êtes donnée pour accomplir une aussi drôle de mission... Mais dite$ bien au Prince que je ne suis pas marchande de cheveux, surtout en détail ; s'il veut le tout au même prix, je me ferai un devoir de vous livrer la marchandise en gros.

Ces mois furent prononcés tout d'une haleine et presque sèchement.

Mademoiselle de Kerbach tourna subitement sur elle-même et disparut dans les salons.

Lorsqu'elle crut ne plus être aperçue de Roquelaùre ses sanglots s'échappèrent en abondance de sa poitrine oppressée.

Est-ce le dépit, ou la pudeur blessée, qui causait cet excès de chagrin !....

Roquelaùre fut complètement désarçonné.

Sans répliquer un mot, il se retira, el revint conter au Dauphin le résultat de sa démarche.

Ce dernier, pour cacher son désappointement, remercia son ambassadeur d'une singulière façon.

■— La démarche que vous venez d'entreprendre, <lit-il au duc, a eu deux excellents résultats...

1— Je ne comprends pas, Monseigneur.

— De plus, elle prouve deux choses...

— La première?...

: — C'est que la demoiselle n'a pas cru un seul oiot de ce que vous lui affirmiez. <»■•


Str - msTOiRiEï

— Et la seconde?.... % •

— Prouve que vous êtes un sot. Roquelaùre se retira honteux et confus, jurant,

niais un peu lard, qu'on ne l'y reprendrait plus.

Ce fait prouve que, dans toutes les classés delà société, on ne doit jamais êlre un maladroit ami. La langue, dit Ésope, est la meilleure et la pire des choses ; le tout est de savoir convenablement s'en servir.

XVIII

r UNE- REVANCHE.

Après un semblable échec, mérité du reste par son outrecuidance el sa trop bonne volonté d'être agréable au Dauphin, Roquelaùre se mit à réfléchir.

Le résullat de sa réflexion fui qu'il se devait â lui-même une revanche éclatante.

Il chercha donc l'occasion de se réhabiliter à ses propres yeux, et celle occasion-ne tarda pas à se présenter.

' Depuis un mois environ il éiail de retour à Paris, lorsque le roi envoya en province une députalioh de noblesse pour arranger certaines affaires politiques très-importantes.

Parmi les membres de celte députalion, se trouvait un gentilhomme nouvellement marié et qui, de plus, adorait à l'extrême la compagne qu'il s'était choisie, el ne,la quittait presque jamais de vue. .

Ce gentilhomme se nommait-de Beauperinis.

On doit comprendre que l'ordre du roi, Iraver-


DÛ DUC DE ROQUELAURE. 87

sant ses étapes amoureuses, devait le contrarier exlraordinaircment.

Beaupérluis, qui connaissait son épouse d'-humeur joviale et facile, craignait qu'on nelasubornâten son absence.

Néanmoins il fallait partir, sous peine de se rendre coupable du crime de lèse - obéissance royale.

Au moment de se mettre en route, il appela Henriette, — c'était le nom de sa femme, — en entrevue- privée,T et la conjura de lui accorder une grâce suprême, qui lui permît d'endurer les tourments de l'absence et fit rentrer le calme dans son coeur.

— Une grâce ! exclama Henriette ; et laquelle, mon ami ?

— Promettez-moi de ne parler à aucun homme lant que je ne serai pas prés de vous...

— Ne point parler!... mais c'est-difficilc...

— Alors, je fais une concession...

— Tant mie!ix !

— Jurez-moi de ne rêpondreâ tous les'discours qu'on vous tiendra, que le monosyllabe : Non 1

— Oh ! avec plaisir ; et puisqu'il ne Tant que Ce serment pour vous contenter, eh bien 1 je le jure.

— Merci ! âme de ma vie.

Là-dessus, Beaupérluis s'en alla entreprendre son voyage.

A peine galopait-il sur la route des provinces Méridionales, que Roquelaùre, qui rôdait depuis quelques jours autour de la maison, entra dans le jardin, se mit à se promener d'abord comme un indifférent, et enfin se trouva nez à nez avec Henriette, qui, de son côté, se promenait rêveuse.


88 HISTOIRE

Elle regarda avec étpnnement l'homme qui semblait se croire chez lui.

Roquelaùre saisit la balle au bond. .

— Pardon, madame,, dit-il en s'inclinant, et avec une timidité bien'jouée, est-ce que ce jardin n'est pas public ?••■•■.

— Non, répondit brièvement la jeune femme.

— Je conclus donc qu'il vous appartient, Monsieur votre marii est-il chez lui ?..;

— Non.

— Est-il pour peu de temps absent ?

— Non.

Surpris de ce laconisme, Roquelaùre fit encore d'autres questions ; elles obtinrent le même résultat,

Alors il pressentit un secret, et, changeant de tactique, dans la pensée qu'il ne pourrait entamer un dialogue d'amour avec la dame, il agit dans l'hypothèse d'une négation continuelle.

— Vous serait-il désagréable que je me promenasse avec vous ? insinua-t-il.

— Non, fit Henriette, en hésitant un peu toutefois.

Roquelaùre dessina son plus charmant sourire, — celui qui le rendait moins laid.

— Vous ne me ferez donc pas mettre àla porte? poursuivit-il.

— Non.

Les deux nouvelles connaissances se prirent bras dessus bras-dessous et causèrent. . Le séducteur dit les. choses les plus gracieuses; On l'écouta, on le regarda même sans déplaisir.

Le gaillard s'en apercevait bien.

"Las de la promenade, il recommença ses questions à brûle-pourpoint. ■ ,


DU DUC DE ROQUELAURE. ' 8g

— Je suis fatigué, reprit-il; non pas d'être Vec vous,^_madame, vous, une descendante des déesses de l'Olympe, mais fatigué d'une marche continue... D'ailleurs, il est tard, me refuserezvous d'entrer me reposer dans votre féerique demeure ? .

— Non.

— J'ai faim... vous serait-il pénible de me voir dîner avec vous?... parlez franchement...

— Non.

— Dînons donc. " "

On entra et, naturellement, on dîna fort bien, sans que la langue de la dame se déliât davantage.

Mais, hélas ! un bon dîner colore de nuances fort vivaces le cerveau d'un homme qui veut ré-^ parer à son profit la bévue qu'il a commise pour le compte d'un autre 1

Bref, Henriette prononça si joliment non en toute circonstance, qu'après le dîner on s'embrassa, on congédia la femme de chambre, et la nuit étendit ses voiles sur des tableaux plus dignes d'être compris et sentis que d'être expliqués.

Malheureux Beaupertuis ! pourquoi recommander le silence à une femme !... Si au moins la parole lui avait été donnée pour se défendre.

Le lendemain, Roquelaùre partait enchanté de lui-même, laissant à la dame quasi-muette une bague en souvenir.

Henriette la mit à son doigt, et nos heureux se séparèrent.

Lorsque noire héros fut loin, madame de Beau-


go HISTOIRE

pertuis, qui se fiait entièrement à sa femme de -chambre, à l'aide de laquelle, sans doute, elle avait déjà fait d'autres tours, donna à^ cette dernière une bourse bien garnie et lui recommanda un silence absolu...

Lacamêriste promit que le mari voyageur n'aurait connaissance et soupçon de quoi que ce soit à son retour. .

XIX

LES SUITES D'UNE REVANCHE.

Mais il revint de sa mission, cet époux défiant, qui recommandait si bien le mutisme aux femmes I...

Dans la grande salle du Louvre, où il attendait nnc audience du roi, Beaupérluis rencontra Roquelaùre au milieu d'un cercle d'amis.

Roquelaùre leur racontait l'histoire de la dame rnuetle ; à l'arrivée de Beau pertuis, il ne se doutait guère que quelqu'un prît intérêt à ce qu'il racontait avec tanl de jovialité.

Quoique notre héros ne donnât pas le'nom de sa nymphe, il détaillades marques si particulières que le mari n'hésita pas un seul instant à reconnaître sa moitié.

Comment s'y tromper, d'ailleurs! on parlait d'une bizarre créature qui répondait non à chaque phrase...

A partir de la fin de l'histoire, où chacun éclata de rire, — comme on le pense bien, — Beauperteis chercha à faire connaissance avec Roquelaùre ; il y parvint sans peine, vu la nature liante du-duc, et mieux encore, il le décida à accepter à diuer chez lui.


DU DUC DE ROQUELAURE. gi

ïour étant pris pour celle victuaille, Beaopertnis envoya ses valets chez les parents de sa femme. -

Son message avait pour objet de les inviter au même rçpas que celui où se trouverait le héros de tant d'aventures galantes par nous contées.

Son dessein était de faire recommencer la'narration de l'histoire galante arrivée à son domicile, de bien faire voir et comprendre l'affront qui lui était adressé el de répudier ensuite sa femme sans autre forme de procès.

Les parents furent exacts au rendez-vous qui leur promettait un excellent repas.

Ces braves gens n'avaient d'autre pensée que de faire bonne chère. Dam ! quand on est gourmand ! Et il y a si peu de gens quiie sont !...

Le mari n'avait parlé de rien à sa femme; aussi reçut-elle avec affabilité les convives, sansse douter du piège qu'on lui tendait.

Chose étrange ! quand Roquelaùre parut, aucun des deux acteurs du galant épisode de Cythère ne Se réconnut.

Ne s'étant vus qu'une "seule fois, et peut-être ayant grand nombre de peccadilles à se reprocher, il n'est pas étonnant qu'ils ne se rappelassent aucunement leurs traits.

Rien ne fait perdre le souvenir comme le nombre des conquêtes qu'on obtient ! .

Pendant le repas, on sembla ne prendre d'autre soin que de se bien'réjouir.

C'est chose facile à table !

Lorsque le repas lira vers sa fin, c'est-à-dire lorsque le dessert fit entrevoir ses assiettes remplies de choses délicates, Beaupertuis, qui brûlait


g2 HISTOIRE

d'impatience de venir à bout de son dessein, se tourna vers Roquelaùre :

— Monsieur, balbutia-t-il, vous qui contez si gaiement, faites-nous donc un plaisir... reditesnous l'histoire qui a eu tant de succès dans l'antichambre du Louvre.

-7-Heu! heu! fit Roquelaùre, elle est bien leste...

— Qu'importe ! s'écria l'assemblée.

— Puisque vous l'exigez, je me résigne. EtRoquelaure racontal'histoiredes non obstinés. Voyez-vous d'ici la surprise d'Henriette, à mesure que s'avançait la narration !...

D'abord elle jeta des yeux hagards sur Roquelaùre.... enfin elle le reconnut tTauvre

tTauvre elle eût voulu, en cet instant, descendre à' cent pieds sous terré!

Elle prévoyait qu'elle était perdue, si elle ne trouvait un expédient pour remédiera cet incident fatal.

— Oh ! les hommes ! mûrmurait-elle intérieurement ; ayez donc pour eux de la bonté... accordez-leur donc des faveurs !...: Oh ! les monstres indignes!

Soudain une idée traversa son esprit.

Elle demanda une coupe à un laquais de service et remplit cette coupe d'un vin généreux.

Puis se levant, elle interpella Roquelaùre d'un air gracieux :

— Monseigneur, lui dit-elle, je vais boire au talent avec lequel vous narrez... Vous me ferez raison, je suppose...

— Je n'aurai garde d'y manquer, belle dame,, répondit le duc, je sais irop à quoi m'engagent les lois de la galanterie.


DU DUC DE ROQUELAURE. g3

Henriette vida la coupe, la remplit de nouveau, laissa glisser dans sa rotondité la bague qu'elle avait reçue de son amant mystérieux, et lui présentant le tout :

■ — La causerie vous a altéré; buvez donc, monseigneur, vous avez bien gagné ce breuvage. . Beaupertuis, que cet incident taquinait, se remuait impatiemment sur son fauteuil.

Le pauvre diable brûlait d'arriver au dénouement qu'il avait préparé.

Roquelaùre porta la coupe à ses lèvres et aperçut la bague qui gisait au fond.

Il jeta les yeux sur la dame, sur le jardin qu'on entrevoyait à travers les fenêtres du salon, et reconnut sa facije conquête. ,

Sa stupéfaction instantanée fut si grande qu'il demeura quelques minutes sans mot dire.

Heureusement que les chuchotements qui se croisaient autour de lui sur la bizarrerie de son histoire empêchèrent les convives de remarquer son embarras.

- Mais ce n'était pas à faux que Roquelaùre avait la réputation d'un homme d'esprit.

Son dénouement, à lui, se combina vivement dans son esprit.

— Eh ! bien, monsieur, fit Beaupertuis, achevez donc votre histoire; il ne manque au piquant de la situation que le nom de la dame.

i Henriette était toute tremblante.

— Ah ! oui... exclama le duc, simulantde sortir d'une rêverie ; la fin de l'histoire?... Imaginez-vous qu'au moment même où je goûtais le°- douceurs • d'un hymen factice, Loulou, mon chien, fit tomber un meuble'dans ma chambre... Je me réveillai en sursaut... l'image s'envola.


<g4 HISTOIRE

— Ob ! s'écrièrent les convives désappointés, «'était un songe...

— Un songe ! répéta Beaupertuis radieux.

— Oh ! le charmant cavalier! pensa Henriette.

— Oui, messieurs, réitéra Roquelaùre, je rêvais et j'en fus bien fâché, je vous l'atteste !

Par cette subtilité notre duc sauva l'honneur de sa maîtresse passagère. L'assemblée partit d'un éclat de rire. Qui fut sot?... Le mari, comme toujours.

XX

BOQUELAURE SE MARIE. — DÉLICATESSE DES ANCIENNES CONNAISSANCES. UNE AUTBE VERSION. DEUX FILLES TROP TOT VENUES.

Et maintenant, pleurez, nymphes joyeuses de la galanterie !

Faites retentir les airs de vos plaintes doulouTenses, témoins muets des alcôves du xvne siècle !...

La carrière amoureuse de Roquelaùre est terminée.

Les ronces vont pousser dans la prairie des fleurs embaumées.

Et vous tous, riez, riez aux éclats, satyres fourchus, compagnons des bacchantes...

Roquelaùre se marie.

Luit

Vrai!

Pas possible !

C'est un fait accompli. -

par devant les hommes de loi et l'Église de ce


» DU DUC DE ROQUELAURE. ' g5

temps là, le duc de Roquelaùre a épousé mademoiselle de Lude.

Et maintenant encore, jurez donc vos grands dieux, ô roués modernes, que jamais l'hyméuée n'étendra sur vous son drap parsemé de roses-—■ ou d'épines ! .

Roquelaùre était votre maître à tous, et pourtant :

Il vit, il aima, il fut vaincu !

Par exemple, nous devons ajouter que ses anciennes maîtresses se conduisirent avec, lui, en cette circonstance, d'une façon charmante. .

Elles se vengèrent.., en le hissant marier.

Pas une, en effet, n'assombrit le futur horizon conjugal par des révélations intempestives.

Elles rirent sous cape; elles prévoyaient pour Roquelaùre la peine du talion.

Entre nous, le duc l'avait bien méritée 1

Madame de Lesdiguières, — vous savez, celle qui priva Créqui de son héritage, — fut surtout d'une bienveillance extrême.

Madame de Lude, mère de la fiancée, s'étant rendue chez elle pour avoir des renseignements sur le duc, non-seulement madame de Lesdiguières le peignit comme un homme de moeurs irréprochables, mais encore fit un porlrait si touchant du bonheur que le favori du Dauphin pouvait donner à une épouse, que madame de Lude se relira enchantée,, en embrassant la généreuse donneuse de renseignements.

Celle-ci riait sous^cape

Cela semble si bon à une femme de se venger 1

Le lendemain, le contrai était signé.

Quelques jours après, Roquelaùre était enrégimenté dans la compagnie du mariage, qu'il avait


g6 HISTOIRE ;

si souvent harcelée par de sanglantes escarmouches'.

-La première action conjugale de notre héros,— après l'accomplissement de ses uevoirs, bien entendu, — fut de chasser une soubrette dont il re-' doutait, pour sa femme, les trop nombreuses connaissances.

Nit-z donc, après cela, la nécessité de l'expérience !

Comme urî fait exprès, parce que le hasard, sans doute, voulut prouver à notre héros qu'il n'était pas digne de prendre une retraite si honorable, le mariage ne lui réussit pas.

Mademoiselle de Lude, devenue duchesse de Roquelaùre,-mourut en couches.

Le nouvel époux, frappé dans une affection vraie, faillira son tour mourir de douleur.

Qui l'eût cru !... Pauvre humanité, niez donc la vérité des affections !...

Devenu sombre et chagrin, il se retira pendant quelque temps'dans un monastère.

Mais on sait que celte méthode de consolation ne lui réussissait point ; aussi n'y resta-t-il pas toute sa vie.

Ce que nous venons de raconter concernant l'union légitime du duc est la version donnée par des historiens trop graves pour se permettre le moindre écart aux lois de la bienséance sociale.

Cependant cette version, paraît-il, ne serait pas la véritable.

Nous avons fouillé les secrets du sièele de Louis XIV, dans les manuscrits poudreux , et nous allons nous permettre de racon*.er à notre tour ce que nous avons lu.

Lecteurs, écoulez bien ceci :


DU DUC DE ROQUELAURE. gj

Louis XIV aimait beaucoup la guerre et les femmes. '

Pour se. délasser des fatigues occasionnées par Mars, il faisait de nombreuses excursions dans le domaine de Vénus. . ■ ■ >>

Les sujettes de cette déesse raffolaient toutes du jeune.monarque; c'était à qui d'entre elles étalerait ses charmes pour toucher son coeur.

La victoire, en un mot, était disputée.

Le roi, qui suivait, en ametlr comme en guerre^ une méthode processive, c'est-à-dire ne prenait pas tout à la fois, distingua l'une de ces dames, mademoiselle de R..., jeune, belle, spirituelle, et s'en fit adorer.

. Mademoiselle de R... ne fut pas assez sotte pour repousser le bonheur, et comme Louis XIV allait vite en besogne, il emporta d'assaut la place attaquée.

Les entrevues galantes se succédèrent.

De confidences en confidences, les amants arrivèrent à s'avouer qu'un rejeton se préparait à naître. :

Le roi, qui possédait le bon sens de ses folies, comprit'qu'il fallait marier bien vite la jeune perlonne, si elle ne voulait être en butte aux attaques de la calomnie.

, Il chercha donc,'parmi les seigneurs de la cour, le parti le plus digne de succéder au premier amant de France.

Son choix tomba sur Roquelaùre, qui rie savait tien.

On prétend même qu'un sourire effleura leslè*res du monarque à l'idée qui lui vint de marier de fesorte son favori. /\Sfi^/\

U était bien juste, ap/^avo^ trfthjpé tant de


g8 HlsIOIKE

monde, que le duc fût Irompé à son tour.

On lui fit part avec toutes les cérémonies convenables de cet événement heureux, et qui était ou devait- lui paraître une haute marque de faveur.

Roquelaùre accepta donc le présent royal ; et, lorsqu'il connut la vérité, le lendemain même de ses noces, il eut le bon esprit de ne pas élever de récriminations.

C'était continuer d'agir en homme d'esprit; Le contraire eût surpris de la pari de nôtre-galant héros. .

Toutefois, comme assailli d'une sorte de remords, Louis XIV voulut éviter à son marié le tableau des premiers mois de grossesse de sa femme. / .

Il l'envoya en mission particulière ; la duchesse resta seule à Paris.

Ce qui continua à se passer pendant l'absence du duc doit rester un mystère.

Nous admettrons toutefois pour sauvegarder ' la- dignité du monarque, qu'il se contenta des faits acquis sans semer encore dans le champ de , l'avenir.

Au bout de cinq mois, Roquelaùre revint.

Son visage était toujours souriant; néanmoins ; quelques amis obligeants prétendirent qu'il riait ; d'une- façon jaune.

Nous laissons celte appréciation au bon goût de ; nos lecteurs.

La première nouvelle qui l'accueillit fut que sa femme était accouchée de .deux filles.

11 se gratta le front, car il ne supposait pas que la chose eût été aussi prompte. Quelque certain qu'on soit d'un malheur personnel, il est dans la nature humaine de chercher toujours à se persuader qu'il n'est pas arrivé.


DU DUC DE ROQUELAURE. gg

— Bigre! se dit-il, en cinq mois! la duchesse fait vite les choses.

■— Après tout, continua-t-il, pater is quemnuptioedemontiranl,l&\rai père est celui qui épouse!... Vertubleu !... c'est taquinant tout de même.

Il réfléchit- longtemps à ce qu'il emploierait pour échapper au ridicule.

Le meilleur parti qui.se présenta, pour lui fut de se consoler.

— En effet, pensa-t-jJ, mon front est richement empanaché... mais il est plus sûr de dissimuler mon ressenliment. Le moins d'éclat qu'on puisse faire en cette circonstance est le meilleur.

Le calme était rentré danc son cerveau ; il reprit son humeur enjouée et.se rendit à son hôtel.

La duchesse était au lit ; il se fit annoncer, entra, embrassa l'accouchée et demanda à voir ses filles.

— Soyez les bienvenues, dit-il en les regardant d'un air railleur. Parole d'honneur, je ne vous attendais point sitôt !...

Il aurait pu ajouter!

— Je-ne vous attendais même pas du tout !

Le même jour, Louis XIV connut ce singulier compliment, qui fit éclaterde rire toute la cour.

Comme on le pense bien, Roquelaùre prêta te flanc à plus d'une gorge-chaude.

Nous dirons tout "à l'heure l'événement qui s'ensuivit.

XIX

UN DUC ET UNE DUCHESSE. '*•

Voyant que les railleries continuaient sur SOB compte, à propos de l'accouchement de sa femme,


' 100 HISTOIRE -,

le duc se mit à plaisanter plus fort que tous les antres.

Il raconta sa propre histoire dans les réunions où il était invité, et, poussa l'audace même jusqu'à affirmer que s'il avait eu deux filles sans y prendre part, c'est qu'il avait demandé au roi le service de lui épargner une désagréable besogne.

— Toutefois, ce n'csl qu'à charge de revanche, ajoutait-il en goguenardant. . , ■ v

On en conviendra, le trait était hardi.

Et cent autres plaisanteries pareilles.

Les courtisans rapportaient ces piquantes réflexions au monarque.

Ce dernier était -très-chatouilleux sur le point d'honneur, et, s'il aimait à prendre le bien d'autrtii, il se souciait fort peu qu'on jetât, même en ;pensêe, son dévolu sur le sien.

Un instant, il fit comme Roquelaùre à la nouvelle de sa hâtive paternité : il réfléchit sur le parti qu'il avait à prendre.

Sévirait-il? — C'eût été dangereux et eût augmenté le nombre des quolibets sur sa personne.

Userait-il de douceur et d'indulgence ?

Il s'arrêta à ce dernier moyen.

La bonté est le plus beau privilège d'un roi.

Il savait Roquelaùre ambitieux, il le prit donc immédiatement par son faible.

L'ayant fait appeler, il commença par lui reprocher d'avoir manqué de respect à son souverain.

Puis, la mercuriale achevée, il termina ainsi :

— Roquelaùre, je vous nomme duc (1) ; ou(1)

ou(1) n'est qu'à ce moment, en effet, que le marquis de Roquelaùre reçut cette nouvelle qualité. Si nous nous sommes servi à son égard, et par anticipation, du nom de duc, c'est parce que cette qualité est détenue, en ce qui le concerne, plus populaire que l'autre.


DU DUC DE ROQUELAURE. 101

blions le passé et conduisez-vous mieux à l'avenir.

Roquelaùre comprit- parfaitement le sens de ces paroles et le mobile qui dirigeait Louis XIV.

Les paroles renfermaient une menace en cas de récidive.

Le mobile du roi était de récompenser son sujet du tort conjugal qu'il avait eu à son égard.

Aussi le sujet fut-il désormais plus modéré dans son langage.

Mais il lui restait à se venger de sa femme sans attaquer le souverain.

De ce côté du moins il pensait avoir carte blanche,

Sa femme,après tout", c'était son bien ; de quel-' que source que fût venu le mariage.

Madame de Roquelaùre était- encore au lit; il vint la trouver.'

La chambre était pleine de grandes dames venues pour féliciter l'accouchée sur ses relevailles.

A la vue de son époux, madame de Roquelaùre fut saisie de crainte ; elle appréhendait lés reproches ou les mauvais traitements.

Quand on se sent coupable, on épronve toujours un vague malaise des accidents qui peuvent arriver, par suite de remercimenls.

Roquelaùre s'approcha du lit, fit une gracieuse révérence, puis avec sang-froid et du même ton avec lequel lui avait parlé Louis XIV :

— Madame, dit-il, je vous nomme duchesse ; oublions le passèct conduisez-vous mieuxà l'avenir.

Alors, faisant de nouveau une gracieuse révérence, il sortit sans ajouter un mot de plus. Hors de l'hôtel il se mil à sourire :

— Allons, pas mal, se dit-il, je ne croyais pas être aussi bon imitateur du roi de France 1


J-02 HISTOIRE

L'assemblée demeura stupéfaite en face de lia :aouvelle duchesse, dontl'embarras fut extrême.

Roquelaùre était fort sujet à l'emportement.'

On doit donc admirer la modération dontiil fit jpreuve en cetle circonstance.

Du reste, il avait à ménager, les bonnes grâces de Louis.

S'il se fût laissé dominer par son mouvement naturel, nul doute que sa ruine eût été bientôt complète. r ■ * ' ■■

Louis XIV n'eût pas pardonné une seconde offense.

Il admira au contraire la vengeance du duc et le considéra plus que jamais comme un homme de grande finesse.

Maintenant, lecteurs, laquelle^de ces deux histoires de mariage est la vraie ?

Croyez-vous à mademoiselle de Lude?

Croyez-vous an présent du-roi de France?

Je laisse le choix de la vérité à voire appréciation....

XXII.

UN MARI CHANGÉ EN DINDON.

Avant de terminer une série d'aventures qui-paraîlront plus ou moins fantastiques, nous voulons en raconter une dernièrequi n'a été publiée ■dans aucun des.recueils relatifs à notre héros.

L'ami qui nous l'a communiquée nous a.prévenu qu'elle datait de la décadence de Roquelaùre; il la place immédiatement après l'accident marital arrivé au duc.

On comprendra que cette date peut être vraie,


DU DUC DE -RQQiUELAURE. Io3

si l'on considère l'effet moral produit par l'accidentmêmesur sa victime principale.

On admettra enfin que l'aventure est au mOins~ croyable, car Roquelaùre pouvait avoir parfois encore des velléités de railler chez les autresce qu'on avait si bien,raillé chez lui.

Chassez le naturel il revient au galop.

Jamais proverbe n'a trouvé mieux qu'ici sa vé- ' ritable el réelle acception.

Arrivons à l'aventure.

Un bourgeois de Par s était jaloux de sa femme; oh! mais jaloux à mourir...

Ayant entendu parler de Roquelaùre et de la façon prompte avec laquelle il devinait les moindres pensées du sexe,, et l'amenait à ce qu'il avait résolu d'entreprendre, le bourgeois vint le trouver.

Il était accompagné de son épouse; il la présenta au duc ; puis , quand il supposa que ce dernier l'avait bien examinée, il lui demanda la faveur d'un entretien particulier.

Roquelaùre emmena le bourgeois dans son cabinet.

Là le mari imbécile lui exposa sa situation , et le pressa de lui apprendre, d'après l'examen qu'il venait de fairede safemnie, si le sort lui réservait un accident si commun dans les liens du mariage.

Le duc reconnut promplement avec quelle espèce d'original il causait.

-Donc il résolut de le bafouer.

Prenant sur son secrétaire une fiole pleine d'une liqueur blanche, qui'n'était autre que de la menthe, il la donna au bourgeois.

—• Acceptez ce talisman, dit-il.

— Qu'en ferai-je? riposta sérieusement le mari.


-104 HISTOIRE

— Lorsque vous vous préparerez à rejoindre au lit votre épouse'endormie, buvez le contenu de cette fiole.

— Boni Et ensuite?

— Si ce que vous soupçonnez est vrai, le lendemain, en ouvrant les yeux, vous vous apercevrez que vous êtes...

—Que je suis... quoi?

•— Métamorphosé en dindon.

— En dindon? Ah ! diable!

— Et maintenant, allez; adieu! Roquelaùre congédia au plus vite l'importun. Là se bornait son rôle, et, on le voit, ce n'était

qu'une anodine plaisanterie ; mais il est de notre . devoir de faire connaître la suite de cette aventure, et par conséquent nous poursuivons.

Armé de la fiole terrible, le mari reprit le chemin de son domicile.

Sa femme voulut connaître le résultat de son entretien secret avec le duc ; il se fit prier d'abord, mais enfin il fut obligé de parler.

Femme qui sait s'y prendre connaît tout co qu'elle désire connaître.

L'épouse du bourgeois rit et glosa.de la crédulité du mari.

Elle lui jura qu'il n'avait rien à craindre en ce qui concernait la conservation de son honneur.

Mais comme, malgré la bêtise qui apesantit l'intellect d'un homme, il y a toujours au fond de son cerveau un instinct qui le fait s'apercevoir qu'on se moque de lui, le bourgeois se prit à réfléchir, et conclut enfin qu'il était impossible qu'il fût changé en dindon.... par la seule raison que le temps des miracles élait passé;

Alors il résolut de tirer parti de la situation et de


DU 'DUC DE HOQUELAURE. Io5

bafouer sa femme de la même façon qu'on l'avait bafoué lui-même.

: Sa.femme.venait de se mettre au lit; il se déshabilla à son tour, avala devant elle le breuvage de, Roquelaùre, et quelques instants après rien d'effrayant pour l'hymen ne se manifesta... au contraire.

La nuit fut radieuse.

On s'endormit très-tard.

Le matin, de bonne heure,la femme se leva doucement, embrassa son loulou et le laissa se reposer.

D'après son opinion il en avait besoin.

Deux-heures, trois heures se passèrent.

La femme ne voyant pas descendre son louloir pour se mettre à table comme d'habitude, se hâta de gagner la chambre de la conjugalilé.

Elle pensait que le sommeil était seul coupable de cette négligence aux lois du dieu Ventre. ' Mais quelle fut sa frayeur !

Un cri d'effroi s'échappa de sa poitrine.

En découvrant le lit elle aperçut...

Quoi?...

Frémissez, épouses coupables!...

Elle aperçut un énorme dindon qui avait cessé de vivre. •

Un dindon occupant la place de son mari ! ' Le breuvage de Roquelaùre avait donc produit un effet auquel ne s'attendait pas le donateur luimême?...

L'épouse était donc coupable en réalité?...

La malheureuse se mit à éclater en sanglots.

Dans l'explosion de sa douleur, et en considérant le dindon, elle s'accusa de la mort de son cher époux...

r— Hélas ! s'écriait-elle, le destin a donc été


Tué HISTOIBE

impitoyable... Quoi 1 pour une pauvre petite fois que je l'ai trompé, et encore n'était-ce qu'à demi, «tavec un homme que je n'ai jamais revu... hi ! Iii! hi!...

Les pleurs redoublèrent.

Au plus fort de sa douleur, elle s'arrêta cependant.

Son mari venait de sortir subitement... de dessous le lit Où il s'était tenu caché pendant toute cette:scène. <k.

. Inexpérience avait réussi ; il savait tout.ee qu'il voulait savoir.

Mais un mari serait bien cruel.de ne pas pardonner une seule peccadille.

D'ailleurs, l'épouse tomba à ses genoux, en jurant d'être sage,à l'avenir.

L'époux pardonna, on s'embrassa, el le soir le dindon mort fut remplacé par un amoureux frinr gant... que cette algarade rendit plus brûlanf que jamais.

Cet amoureux c'était le mari.

XX

1B DERNIER CHAPITRE.

' Nous arrivons à la fin de celte curieuse rhistoire •d'un grand homme.

Les faits qui nous restent à raconter appartiennent au domaine de l'histoire.

Aussi, allons-nous en tracer un résumé succinct.

Roquelaùre fut témoin de la chute de La ValJière et de l'élévation de madame de Montespan.

Mais, quoiqu'il prit part encore à grande quan-


DU DEC DE ROQUELAURE. IO7

tité d'aventures galantes, il n'était déjà plus que

l'ombre de lui-même.

- Lorsque, dans une soirée, on lui disait :

— Vous rajeunissez, duc. ' '

— J'y ai mis le temps, répondaiUil.. ' Voulant expliquer par là.que la toilette du corpsétait

corpsétait poiirlui une nécessité contre les ravages des années.

A cette époque, Mazarin était mort etLouisXIV -dirigeait de. ses propres mains les rênes du royaume..

Ce dernier nomma Roquelaùre chevalier de ses ordres et lui continua son affection et'sa faveur.

Devenu barbon, le duc jeta un regard d'adieu sur sa vie passée, et une larme s'échappa de ses yeux au souvenir de sa jeunesse.

On ne s'aperçoit du temps qui s'enfuit que lorsqu'il est déjà loin.

Enfin un jour notre héros fut mandé près du monarque et introduit dans les petits appartements. 1

Nous allons emprunter aux Mémoires mêmes de Roquelaùre ce qui se passa. C'est lui qui parle :

« Le roi était rayonnant.

« 11 adressa de la main un salut gracieux à tous ceux qui venaient d'entrer, et, s'entretint d'abord particulièrement avec MM. de Chatillon, de Tu? renne et de Louvois.

ce Puis enfin, me faisant signe d'approcher :

« — Duc de Roquelaùre, me dit-il, mon intention est de faire prochainement un voyage d'apparat dans mes nouvelles conquêtes, du côté de Dunkerque et de Lille. Il serait possible que je quittasse un instant la France.


10Q, .'-■ , HISTOIRE DU DUC DE ROQUELAURE.

:■#-■'[:' ' - -:

i «Il y eut ici un murmure de regret parmi leà courtisans/ '••■•' .. . ■

ce -—.Or, continua Je roi, comme il faut,'quand on sort de chez soi,; songer avant tout à ce que le foyer soit bien-gardé, je veux distribuer sur toute l'étendue de mon royaume quelques-uns'de mes plus dévoués'et-fidèles sujets, à qui. je puisse remetlre, sans nulle inquiétude, le dépôt'sacré de" ma puissance et de mon honneur. Duc de Roquelaùre, vous êtes de ceux sur lesquels je compté comme étant tout à fait à moi. Je vous nomme gouverneur de la Guyenne. Vous partirez dans trois jours.

« Et Sa Majesté me tendit sa main à baiser. »

Roquelaùre partit.

Chemin faisant il rencontra encore de frais minois. ' , '

Il essaya encore de les subjuguer.

Hélas ! il s'aperçut cruellement qu'au lieu du désir, sa vue n'inspirait plus que de la pitié.

Il réforma aussitôt son dernier élan d'aspiration au bonheur terrestre. , Dès lors sa vie galante fut enterrée-. •

Son corps le fut à son tour le 10 mars 1683.

Quoi qu'en, ait dit Saint-Simon, quelles que •soient les situations drolatiques qui QaiSjîiîTèfçnt son existence, Roquelaùre a laissé»^ïfe'u^,aii<y» d'un brave militaire et d'un homme/cèesarife ,* ^\

■ - ■ 15 i|?i! E]

FIN. v-t/piC^y

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