LA VESTALE DU RIO COLORADO 125
sauvé de la serre de l'aigle chauve des tourterelles ou des poules des bois.
Ajoutez à tous ces germes d'influence la rare beauté de sa figure et l'élégance de ses formes qui semblaient accuser la fidélité conjugale de sa mère, au profit de quelque galant Européen. Rappeleî-vous aussi qu'elle aimait les intonations douces et musicales de la voix, et connaissait l'attrait irrésistible des manières affectueuses et souriantes, et vous comprendrez à quel point Tahualipa dut se faire adorer de ses compatriotes.
Mais, pour elle, celte adoration qui lui faisait un petit royaume dans sa tribu n'était qu'un moyen d'arriver à un but supérieur : la civilisation de ces mêmes Indiens.
Si j'emploie ce mot de civilisation, il ne faut pas le prendre au pied de la lettre. Je ne veux pas entendre par là que la fille du boyès Etteactéal ait eu à coeur de voir les Cénis adopter la perruque enfarinée ou le système des tailles et des impôts européens; je ne pense pas non plus qu'elle voulût importer chez eux la mode des souliers à boucle, des directeurs, des petits collets, des mouches et des fermiers du
fisc.
Tahualipa nourrissait en elle le désir du mieux, feu sacré éternel que doivent entretenir les poètes et les intelligences du monde, comme les vestales antiques entretenaient le feu confié à leur vigilance. Or, ce désir du mieux, la belle Cénis voulait le faire naître et flamboyer dans les âmes incultes qui l'entouraient.
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