40 ' LES CRIMINELS ET LEURS GRACES
de passer une revue de la garnison et disparut après avoir dévalisé le commandant de place, qui s'était empressé de lui offrir l'hospitalité.
Ce diable d'homme savait, quand il le voulait, jouer au personnage de distinction ; il ne manquait pasd'une certaine instruction et il parlait à merveille trois ou quatre langues. Ce fut à ces particularités qu'il dut, uneoudcux fois, de se réclamer de sa qualité fictive de sujet étranger, circonstance qui lui permit de s'évader pendant les formalités d'extradition.
Dans ces derniers temps, très vert encore malgré son âge, il s'était fait une philosophie douce, d'après laquelle il trouvait un certain charme à vivre, sans inquiétude du lendemain, aux frais de l'État; il était, en effet, trop vieux pour travailler, et sa masse, qui s'était assez joliment accrue pendant ses innombrables années de prison, lui permettait de se procurer quelques douceurs.
Il avait cependant une idée fixe qui le poursuivait: le regret de ne pouvoir écrire ses mémoires. 11 assurait qu'ils auraient abondé en détails instructifs pour les gaffiers (gardiens de prisons), auxquels il aurait appris bien des tours de prisonniers. La chose est assez vraisemblable, car nul n'était mieux que lui en situation d'avoir étudié à fond les maisons -centrales : il avait passé cinquante-sept ans de sa vie en prison !
Quelle existence l