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Titre : malheur complet

Auteur : Soulié, Frédéric (1800-1847). Auteur du texte

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb313885678

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : Gr. in-8° , paginé 107-135

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Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5812669w

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Y2-5220

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 22/02/2010

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FRÊOÉRIC SQULI&

erre qui a manqué aux hommes. Enfin lorsqu'on a dépassé quelques maigres enclos, semblables aux traînards de cette armée de moissons qu'on vient de traverser, on arrive dans une vaste lande complètement dépeuplée de végétation. Ce n'est, à vrai dire, ni la savane illimitée du Nouveau-Monde, ni le désert immense de l'Afrique. Mais ne suffit-il pas qu'après une heure de marche dans cette plaine, on puisse se tourner à l'orient ou à l'occident, au nord ou au midi, sans voir un arbre où s'abriter du soleil, une maison où s'abriter de la pluie, pour se laisser aller facilement à l'idée qu'on est bien loin de cette civilisation splendide, active, turbulente, qui, à l'approche des grandes villes, hérisse la terro de vergersj de moissons, de villas fleuries et d'usines enfumées.

Or, c'était pendant une brûlante journée d'août 1823 que je traversais cette lande. Le but de mon voyage n'avait rien de bien poétique.' J'allais, pauvre surnuméraire des contributions directes, exécuteur infime d'une loi de finances, compter les portes et les fenêtres d'un village perdu dans ce désert, et imposer l'air et la lumière de ses misérables habitans. La nécessité d'avoir ce qu'on appelle un état m'avait arraché depuis quelques mois à mes vers rêveurs de jeune homme et à ma vie joyeuse de Paris : au lieu des touchantes élégies où je me sentais mourir, de ces gais soupers où je m'amusais à vivre, j'écrivais des états de recensement, et je partageais les durs légumes et la galette sans beurre des paysans de la Mayenne. Et cependant je m'étais d'abord facilement résigné à cette occupation. Si petite qu'elle fût, elle avait son autorité. Je rendais Une espèce de justice souveraine et presque sans contrôle. Lorsque j'abordais quelque riche habitation, je ne laissais pas- échapper une barrière de. bois ni une lucarne : l'agent fiscal était impitoyable ; lorsque j'entrais dans quelque misérable cabane, j'oubliais toujours quelques fenêtres : le receveur était très humain. Je trichais le gouvernement au profit de la pauvreté. Était-ce de l'opposition au pouvoir ou bien un abus de pouvoir que je faisais ? Je laisse à'juger la question aux plus graves publicistes.

Toutefois, malgré cette -manière assez poétique de distribuer l'impôt, je me trouvais à bout de courage. Depuis trois mois que j'exerçais ce dur métier, c'était toujours la même scène. C'était toujours un travail matériel qui me tenait en marche chaque jour pendant douze ou quinze heures, et cela n'était guère sympathique aux goûts d'un homme qui avait déjà en portefeuille dix actes de tragédie écrits avec toute la paresse d'un faiseur de vers. Je marchais donc péniblement à travers cette lande, sous un soleil de trente degrés, et une tristesse sérieuse me prit ; tristesse tellement sérieuse, en vérité^ que malgré la solitude où je me trouvais, je ne pensai pas à la traduire en stances élégiaques. Je m'apitoyai insensiblement sur le sort des pauvres paysans qui habitaient cette, rude contrée, et bientôt après sur la nécessité qui me forçait à leur aller demander une part de leurs maigres revenus. Peu à peu, et comme cela doit arriver à tout homme qui est né pour faire bien ou mal des romans, je m'engageai si avant daas mon désespoir imaginaire, que je parvins à me prouver que j'étais le plus misérable des hommes. Je m'assis sur une butte de terre. J'oubliai mon devoir, j'oubliai plus encore, j'oubliai l'heure qu'il était, la route qui me restait à faire, et je me trouvai à la nuit tombante au milieu de cette lande. Je me remis en marche. Un autre que moi ne se fût point égaré, en suivant assidûment le sentier battu où j'étais engagé. Mais alors j'étais jeune et superbe, et le sentier battu, ce qu'on appelle vulgairement routine, me paraissait très méprisable ; je voulus m'orienter, et me rappelant que le village où je me rendais était au sud-est de celui que je venais de quitter, je tentai une pointe dans cette direction, oubliant tous les détours que j'avais faits pour arriver au point où j'étais. L'élève de Rousseau se retrouve dans les bois de Montmorency, grâce à l'astronomie et à la position du soleil, Je m'égarai dans les landes de VUlaiaes,

grâce à l'étoile polaire, ce qui prouve que j'étais un bien mauvais écolier, ou que Rousseau n'était pas un excellent professeur. Depuis deux heures que je marchais, je ne sais où je serais arrivé si une lumière que je vis poindre à l'horizon ne m'eût fait descendre de ma science pour me montrer un asile que ma fatigue réclamait instamment. J'étais seul ; je n'avais à rougir devant personne de ma bévue, et cette fois, passant des hautes leçons de Dclambre aux contes de ma nourrice, je marchai droit à la lumièro comme le petit Poucet, le petit Poucet, lo plus grand héros de la poésie moderne après Roland. Comme le petit Poucet, j'arrivai à une maison, mais ce ne fut point à celle OÙ brillait la lumière; je rencontrai bien avant un ramassis de misérables polites cabanes de terre, la plupart sans porte ni fenêtre. Je soulevai le misérable lambeau do tapis qui fermait l'entrée de l'une d'elles, et je demandai si je n'étais pas à Villaines.

— A Villaines ? me répondit une voix de femme ; vous en êtes à plus d'une lieue et demie.

— Quel est donc cet endroit?

— Ce sont les Huttes.

— Est-ce le nom du village?

— Hé f ee n'est pas un village, me répondit une voix plus rude, ce sont les Huttes.

— Pourriez-vous m'enseigner où je trouverai une auberge dans ce pays ?

— Une auberge ? Est-ce qu'il y a des auberges ici ?

— Mais n'y a-t-il pas une maison où je puisse passer la nuit?

( — Il y a celle-ci et beaucoup d'autres, si cela vous convient,

L'aspect misérable de cette demeure, que la clarté des étoiles m'avait montré "à l'extérieur, et la puanteur nauséabonde qui s'en exhalait, me déterminèrent à ne pas accepter une pareille hospitalité, et je continuai ma route. Je rencontrai quelques cabanes de la même app'arenco. J'aperçus dans l'une d'elles une faible clarté, j'y entrai. Je venais de parcourir et de visiter des hameaux bien pauvres, mais jamais pareille misère ne s'était montrée à moi. Toute une famille de dix personnes entassées dans une hutte de douze pieds de diamètre ; pour tout meuble une table, deux bancs et un vieux bahut délabré ; pour toute couche des bruyères sèches jetées le long des murs; couchés pêle-mêle, des hommes, des femmes, des enfans, et encore là le même air méphitique, la même odeur nauséabonde. Une femme veillait encore et filait à la clarté d'une lampe. Elle se leva au moment où j'entrai, je lui fis les mêmes questions que j'avais déjà faites et j'obtins les mêmes réponses ; seulement je pus remarquer le visage de celle qui me les adressa. C'était une figure hâve, d'où la vie semblait retirée, des yeux incertains sans lueur d'intelligence, un corps décharné couvert de lambeaux hideux, et à la naissance du cou de profondes cicatrices de scrofules. « Vous pouvez dormir là, me dit-elle en me montrant la terre. » Je ne pus retenir l'expression de mon dé* goût. Cette femme ne s'en aperçut point. Je lui demandai alors si, a défaut d'auberge, je ne trouverais pas une mai* son, une ferme où passer la nuit.

— Il y a le château, me répondit-elle.

— Eh bien I si quelqu'un veut m'y conduire, je le paierai bien.

— Avec de l'argent ? me dit-elle,

— Oui.

Elle sourit alors et alla éveiller un des hommes qui dormaient. Elle lui parla tout bas et il se leva. C'était la même misère, la même décrépitude, les mêmes plaies. Il sortit do la cabane et marcha devant moi sans prononcer une parole. Ce qu'on appelait le château était encore fort éloigné* et bientôt je me trouvai engagé dans un sentier seul avec un homme qui avait jeté un singulier regard de convoitise sur la pièce de monnaie que j'avais donnée à la femme de la hutte! Cependant, comme il marchait devant moi, je me rassurai sur la possibilité d'une attaque imprévue de sa çar|t. Après une demi-heure de marche, nous nous trou-