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peu-à-peu on s'identifie à ceux avec qui l'on vit, et que ce qui arrivoit à la division Desaix, et plus particulièrement à la vingt-unième demi-brigade, me devenoit personnel; je partageois ses périls, ses succès., ses malheurs, et croyois partager sa gloire. Trois cents soixantesix des nôtres dévoient composer la caravane ; nous avions un chameau pour chacun de nous, portant de plus le bagage et l'eau nécessaire à chaque individu ; deux cents chameaux étoient chargés des choses de première nécessité pour notre établissement à Cosséir. A notre caravane s'étaient joints les chefs d'Arabes, qui venoient de faire alliance, et qui profitaient de cette occasion de nous faire leur cour en nous servant de guides, d'éclaireurs, d'escorte, et d'arriere-garde ; en tout la troupe pouvoit être portée à mille ou onze cents hommes, et autant de chameaux. Le boute-selle fut très plaisant ; le chameau, si lent dans ses actions, levé • très brusquement les jambes de derrière dès l'instant qu'on pose sur la selle pour le monter, jette son cavalier d'abord en avant, puis en arrière, et ce n'est enfin qu'au quatrième mouvement, lorsqu'il est tout-à-fait debout, que celui qui le monte peut se trouver, d'à-plomb : personne n'avoit résisté à la première secousse ; chacun de se moquer de son voisin : on recommença, et nous partîmes. Nous sortîmes de Kéné, le 6 prairial, à dix heures du matin, et arrivâmes à quatre heures de l'après-midi à Birambar ou Biralbarr, le Puits-des-Puits, village sur le bord du désert, à la hauteur de Cophtos, et vis-à-vis le défilé qui mené
à la Kittah, fontaine dont j'ai parlé plus haut, et qui est le centre de l'étoile qui communique à tous les chemins qui conduisent à Cosséir : nous fîmes halte à Birambar ; après que les chameaux eurent bu et mangé suffisamment, on les força d'avaler un seconde ration d'orge ou de fèves en les leur mettant dans la bouche.
Le nom de Biralbarr ou Puits-des-Puits vient sans doute des deux fontaines qui sont la seule ressource qu'offre ce village ; l'eau en est soufrée, mais douce et rafraîchie par le nitre qu'elle contient. J'avois redouté le balancement de l'allure du chameau;la vivacité du dromadaire m'avoit fait craindre de sauter par-dessus sa tête : mais je fus bientôt détrompé. Une fois en selle, il n'y a plus qu'à céder au mouvement, et l'on éprouve tout de suite qu'il n'y a pas de meilleure monture pour faire une longue route, d'autant qu'on n'a à s'en occuper que lorsqu'on veut la diriger dans un autre sens, ce qui arrive rarement dans le désert et en marche de caravane: le chameau bronche peu, et ne tombe jamais où il n'y a pas d'eau ; les dromadaires sont parmi les chameaux ce que sont les lévriers- parmi les chiens ; ils ne servent que pour la selle ; ils ont une boucle infibulée.dans la narine, à travers laquelle on passe une ficelle qui sert de bride pour l'arrêter, le tourner, et le faire agenouiller lorsque l'on veut en descendre ; l'allure du dromadaire est leste ; l'ouverture des angles que forment ses longues jambes, et le ressort assoupli de son pied charnu rend son trot plus doux, et cependant aussi rapide que celui du cheval le plus léger.