DEDIE A MADAME A.-F.
PAR SON RESPECTUEUX ET AFFECTIONNÉ SERVITEUR,
ÊLIE BERTHET.
I
LA VALLÉE DE GIZIAT.
La partie de la chaîne du Jura qui avoisine le département de Saône-et-Loire s'élève sans transition à une grande hauteur au-dessus de la plaine. Le voyageur qui vient de traverser les campagnes plates et sans accident de la Bresse voit tout à coup comme un mur cyclopéen se dresser devant lui. Le sol change brusquement; ce n'est plus le terrain gras et glaiseux du bas pays; c'est ce curieux calcaire de soulèvement proprement appelé terrain jurassique, dont le savant Louis Figuier nous a raconté en beau slyle la merveilleuse création.
A partir de cette limite tout se transforme, tout s'agrandit, tout prend un caractère nouveau, la nature et les hommes. Aux moeurs paisibles et douces des Bressans succèdent lès caractères toujours plus graves et plus âpres des montagnards. Nous sommes sur le premier étage, étage vert et fleuri, de cet entassement de montagnes qui, de chaîne en chaîne, àe sommets en sommets, parvient jusqu'aux altitudes majestueuses du mont Blanc et se couronne de neiges éternelles.
Une jolie route longe la base de cette partie du Jura, et traversant Maynal, Beaufort, Cousance, Guiseaux, SaintAmour et Coligny, s'étend de Lons-le-Saunier à la ville de Bourg. Tous ces centres de population ont à la fois les avantages de la montagne et de la plaine, la fertilité et le pittoresque.
Pendant que leurs habitants cultivent en bas des vignes fécondes, de vastes champs de maïs, ils jouissent du spectacle toujours varié et toujours splendide quo lo soleil, les vents et les nuages, ces grands acteurs, leur donnent sur le majestueux amphithéâtre dressé devant eus
LE SIÈCLE.— XXXVI.
Ces villes elles-mêmes, avec leurs vieux édifices dont plusieurs remontent au temps où la Franche-Comté appartenait à l'Espagne, avec leurs rues en arcade qui rappellent des galeries moresques, avec leurs petits clochers modernes recouverts en fer-blanc, ne contribuent pas peu à égayer le paysage, à lui fournir la vie et l'animation que l'aspect grandiose des hauts sommets ne pourraient suppléer.
En face du bourg de Cousance, la route dont nous parlons est coupée à angle droit par un chemin tortueux qui vient de l'intérieur des montagnes et qui côtoie un ruisseau. Ce chemin est ombragé de noyers et d'autres arbres touffus qui empêchent de voir bien loin autour de soi; mais il est si frais, bordé de prairies si vertes, le ruisseau qui l'accompagne est si limpide et si babillard qu'on se laisse aller au charme de le suivre, bien qu'on ne puisse reconnaître où il conduit.
D'ailleurs, à chaque instant on découvre dans cet épais bocage quelque habitation rustique, quelque moulin au tictac monotone, quelque maison de vigneron proprette et bien bâtie. Des enfants rient derrière les haies; des canards se jouent à la surface de l'eau ; des vaches mugissent dans les herbages. On sent que l'on n'est pas trop seul, et on ne s'effraye pas outre mesure en s'enfonçant dans cet inconnu de feuillage et de verdure.
Cependant, à mesure que l'on avance, la solitude devient plus profonde ; je ne sais quoi de sombre s'étend autour du promeneur. Le jour s'obscurcit, le chemin se creuse, et quand les interminables noyers éprouvent quelque solution de continuité on s'aperçoit que l'on marche au pied de roches énormes ' taillées à pic. Si malgré ces apparences inhospitalières on poursuit sa route, on arrive enfin à une place où le plus indifférent ne peut retenir un cri de surprise et d'admiration.
On se trouve au fond d'un abîme dont les parois,
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1869