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Titre : Précis historique de l'expédition du Kourou, Guyane française, 1763-1765

Éditeur : Impr. royale (Paris)

Date d'édition : 1842

Sujet : Expédition de Kourou (1763-1765)

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36401852k

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : In-8 °

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Description : Collection numérique : Fonds régional : Guyane

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5785879k

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LK12-824

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 12/01/2010

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PRÉCIS HISTORIQUE

DE

(GUYANE FRANÇAISE).



PRÉCIS HISTORIQUE

toE

(GUYANE FRANÇAISE).

1763 — 1765.

PARIS.

IMPRIMERIE ROYALE.

M DCCC XLII.



NOTE PRÉLIMINAIRE.

BIIMSTBRB

DE LA MARINE

DBS COLONIES.

DIRECTION

DES COLONIES.

La Guyane française, maigre la vaste étendue et la fertilité de son territoire, n'est habitée que par 5,65o libres (dont 1,170 d'origine européenne) et par 15,5oo esclaves. Plusieurs causes ont concouru, à mettre obstacle à un accroissement de. population proportionné aux ressources de cette possession. Jusqu'en. 1789, les capitaux consacrés aux importations de noirs d'Afrique furent presque exclusivement dirigés vers les Antilles. De 1789 à 1815, l'affranchissement général des esclaves , la guerre maritime, et, enfin l'occupation étrangère , suspendirent toute entreprise nouvelle, pour la Guyane -comme pour nos autres colonies.. .Enfin, depuis la reprise de possession qui n'a eu lieu, pour la Guyane française, qu'en 1817, l'abolition de la traite des noirs n'a plus permis de songer à ce mode de recrutement.

Les deux principales tentatives qui ont été faites pour peupler et coloniser la Guyane française, l'une avant 1789, l'autre depuis 1815, ont été l'oeuvre directe du Gouvernement, et ont eu exclusivement pour objet l'introduction et l'acclimatement de travailleurs européens dans cette colonie. L'une et l'autre ont


( » )

échoué. La dernière, connue sous le nom d'Essai de colonisation des bords de la Mana, a déjà été l'objet d'un Précis historique publié par le département de la marine en 1835. Il restait à faire un exposé analogue des faits relatifs à la première et à la plus importante des deux entreprises, l'expédition du Kourou, effectuée de 176S à 1765. Il a paru opportun de publier ce nouveau précis au moment où semble renaître, en présence d'une abolition imminente de l'esclavage dans nos colonies, la pensée de tirer parti, par le travail libre, des grandes ressources agricoles de la Guyane.,

Quelque soin qu'ait pu mettre le département de la marine à réunir les éléments de ce Précis, il a été impossible de se procurer des documents aussi complets que ceux dont on s'est servi pour rédiger le Précis de la colonisation de la Mana. De nombreuses lacunes existent, au sujet de l'expédition du Koiïrpu, dans le dépôt des archives coloniales ; toutefois, ou espère avoir tiré, des pièces officielles qu'on a pu recueillir, toutes les informations propres à jeter du jour sur les différentes phases de cette expédition, et sur les causes de la catastrophe par laquelle elle s'est terminée.


PRÉCIS HISTORIQUE

MINISTERE

DE LA MARINE

Et DES COLONIES.

DinECTIOÏÏ

DES COLONIES.

DE

L'EXPÉDITION DU KOUROU

(GUYANE FRANÇAISE).

(1763 765; j

A la veille de signer le traité de paix de 1763, qui enleva le Canada à la France, le Gouvernement songea à compenser la perte de cette possession par la colonisation de la Guyane française. Dans cette entreprise, il s'agissait bien moins {d'ouvrir à la France un nouveau marché à la place de celui qu'elle perdait, que d'établir, sur le continent de l'Amérique, à portée de nos colonies des Antilles, une race d'hommes capables d'assister la mère-patrie dans ses guerres futures. Oh avait été frappé surtout de l'importance des ser-; vices rendus à l'Angleterre par lés colons de l'Amérique du Nord» et ce fut dans l'espoir d'obtenir plus tard un appui semblable qu'on décréta rétablissement d'une colonie

La création

exclusive

dune population

européenne

est ïe principal but

de l'expédition.


1763—1765.

- M) à la Guyane. M. le duc de Choiseul, alors ministre de la guerre et de la marine, révélait cette pensée dans les Instructions secrètes qui furent remises à M. Turgot, gouverneur général des possessions françaises de la Guyane 1. «Le « sieur chevalier Turgot, y est-il dit, ne doit point perdre de «vue que l'intention de Sa Majesté est d'établir la nouvelle" «colonie en blancs, tant parce que cette population 'est plus «compatible avec les vues de justice et d'humanité qui «animent Sa Majesté, que parce qu'elle est plus propre à « procurer à un État un degré de force capable d'imposer. «Ce système de population est d'autant plus nécessaire, « que les Anglais n'ont fait leurs conquêtes, dans la dernière « guerre, que par le moyen de leurs colonies septentrionales, « qui sont presque uniquement peuplées de blancs, et que, «formant actuellement, à la Dominique, une colonie dontles noirs «sont exclus, il est aisé de voir qu'ils méditent de faire, par «son moyen, la conquête de la Martinique et de la Guade-, « loupe à la première occasion de guerre. » ; ; Il né faut donc pas chercher dans l'expédition du Kourou des vues de commerce ou d'économie. Elles furent systématiquement repoussées des conseils qui présidèrent à l'établissement de la nouvelle colonie ; l'objet principal n'était ni l'exploitation du sol, ni la recherche de nouveaux produits ou d'un nouveau débouché. On voulait peupler laGuyane parce qu'elle est située au vent des îles françaises du'x golfe du,- Mexique , et ainsi ; très-favorablement placée; pour leur envoyer un prompt secours, dé même que pour agir offensivement, au besoin, contre les îles anglaises. C'est

1 Instructions données par Sa Majesté au sieur chevalier turgot, gouvemeufét lieutenant général delà Guyane, art. 35. ■','.'


: (-s )

pourquoi les instructions que nous avons citées insistent 1 pour que le gouverneur borne, autant que possible, les travaux des colons à la culture des vivres. Il n'était question que d'acclimater sous le soleil des tropiques une population nombreuse et aguerrie ; on laissait au temps et au hasard le soin de l'enrichir.

Le Gouvernement, du reste, ne jugea pas à propos de divulguer sa politique, et il ne paraît pas que personne l'ait comprise à cette époque. Les colons furent les premiers à se méprendre sur le but de la colonisation; séduits par les descriptions des richesses de la contrée, de la beauté du sol, de la vigueur de la végétation, ils crurent trouver à la Guyane l'abondance sans travail, tandis que les plus rudes fatigues pouvaient à peine les garantir de la misère sur une terre vierge, où l'homme devait tout attendre de lui-même. Les agents de l'administration n'eurent pas une meilleure intelligence des desseins du Gouvernement : tandis qu'ils étaient appelés à accomplir une oeuvre toute de dévouement et de sacrifices, ils ne pensaient qu'à s'enrichir au plus tôt, et croyaient, comme leurs administrés, qu'unefortune facile et immédiate les attendait au but de leur traversée ::■ aussi la plupart se lancèrent avec une légèreté inouïe dans une entreprise qui exigeait une race endurcie comme les puritains qui, les premiers, peuplèrent les solitudes de l'Amérique du Nord. Qui le croirait? Un dés premiers soins de ces agents fut d'emmener et d'installer dans la colonie une troupe de musiciens et de comédiens !

Cependant le commerce s'était ému à l'annonce de la fondation de la nouvelle colonie : les négociants considé1

considé1 36: "■'■ "

1763—1765;.

Vu».

du

commerce

et des colons

lifiërentes de celles

du Gouvernement*.


1763 — 1765.

Divers plans

proposés

pour la colonisation

du Kourou,

au moyen

de blancs

et de noirs.

Proposition

d'un négociant

de la Rochelle

pour nne vaste

importation

de noirs

à la Guyane.

( 6 } ,- rèrent cette entreprise uniquement sous lé point de vue naturel de l'accroissement du commerce et des richesses nationales. Une foule de plans et de mémoires furent adressés dans ce sens au Gouvernement. Ces projets avaient pour objet la fondation de grandes exploitations : les sucreries étaient dès lors regardées comme le principal élément de la prospérité des colonies. C'est à peine si quelques établissements de ce genre avaient été formés à la Guyane; la plupart étaient, d'ailleurs, fort peu considérables, attendu le petit nombre de bras dont la colonie pouvait disposer. En tournant leurs vues vers cette sorte d'industrie, ceux qui s'intéressaient particulièrement à la prospérité de la Guyane, c'est-à-dire les négociants du Havre, de Nantes, de Morlaix, de la Rochelle, durent songer d'abord à fournir â la colonie le plus grand nombre possible de travailleurs. Ils proposèrent,, enconséquençe»d'augmenter latraite des noirs. Leurs divers projets furent repoussés. Il n'est pas moins intéressant de connaître, par l'analyse de ces projets, quels résultats ils auraient pu avoir, au cas où le Gouvernement, n'ayant pas d'autres desseins que celui de féconder une terre riche et inculte, au profit de l'État comme au bénéfice des 1 particuliers, les» eût adoptés en totalité ou en partie.

Le premier en date 1 vint de France même, et fut l'oeuvre; d'un négociant de la Rochelle. Le sieur Nau pensait que les Européens: ne sont pas propres au» défriehement des terres de l'Amérique méridionale; il voulait donc que les* nouveaux colons fussent uniquement occupés-à conduire; les esclaves,, à étudier .le;terrain,, et à déterminer les: di1

di1 aftresséàM. le duc de CHoiseul, ministre secrétaire d'Étataudépattement de la guerre et de la marine, par le sieur Nau, négociant à la Rochellej


( 7 ) verses plantations auxquelles il était propre. E faisait observer que les gens aisés, encore moins les riches, ne prendraient pas le parti de passer les mers et de s'exposer aux périls de la traversée, aux hasards d'un nouvel établissement, pour cultiver de leurs mains les terrains dont on leur ferait la concession : qu'on s'exposerait, par conséquent, à former une colonie de gens sans aveu et sans ressources, parmi lesquels il serait difficile de maintenir la police, et qui, d'ailleurs, né pourraient entreprendre aucune exploitation .de quelque importance. Le sieur Nau ne trouvait qu'une solution à tous ces embarras, c'était d'importer d'Afrique à la Guyane une colonie d'esclaves noirs , en même temps qu'on y transporterait de France une colonie de propriétaires blancs* G était là, suivant lui, la clef de la prospérité future d'un pays qui, du reste, pourrait ; disait-il, non-seulement rivaliser avec les colonies de Saint-Domingue, de la Martinique et delà Guadeloupe, mais encore l'emporter sur elles; car fi affirmait que le café, le roeou, le cacao et l'indigo de là Guyane étaient supérieurs à ceux de ces trois colonies.

Il reconnaissait néanmoins que le commerce dé là métropole , ruiné par les dernières guerres, n'était pas en position dé courir les chances du trafic des noirs â livrer aux nouveaux colons. Dans sa manière dé voir, il appartenait aU Gouvernement de faire les avances dé ce trafic ; seul, le Gouvernement pourrait accorder aux colons d'è longs crédits; seul, il pouvait attendre qu'on eût tiré un revenu dès terres défrichées.

Il proposait donc qu'on délivrât aux colons le nombre de noirs qui serait en rapport avec l'étendue dé tèrfài'ri

1763—1765.


1763—1765.

Propositions de M. d'Orvilliers pour la création

de sucreries

sur le Kourou,

par le travail •

des noirs,

combiné

avec

des immigrations

d'Européens*

( 8. ). concédée à chacun; et que le gouverneur de la colonie fût chargé d'en percevoir le prix d'année en année ; c'est-à-dire, que tel qui aurait reçu dix noirs en rembourserait la valeur par cinquième, à partir de la deuxième année qui suivrait la. livraison. Lé sieur Nàu estimait que dix mille noirs seraient suffisants pour les premiers' besoins, et que le commerce pourrait courir les risques des demandes subséquentes. Il évaluait à six millions le montant du crédit qui serait accordé pour cet objet par le Gouvernement. D'après son plan, cette somme devait être remboursée en sept années.

On peut regarder ce projet comme le résumé des idées générales des commerçants français de l'époque sur les moyens de colonisation les plus sûrs. B. faut observer pourtant que le sieur Nau était de la Rochelle.-, port qui, avec celui dé Nantes, envoyait alors le plus grand nombre de négriers sur les côtes d'Afrique. On pourrait donc supposer que l'auteur du mémoire que nous venons d'analyser, étant directement intéressé à la traite , émettait une opinion sans écho parmi ceux qui ne trouvaient pas profit à ce trafic;' mais des mémoires du même genre, venus, de Caïenne même.et émanés des autorités de la colonie, prouvent qu'on y était également d'opinion que le travail des noirs était le seul profitable, et même le seul possible, sous cette latitude.

M. d'Orvilliers, fils du gouverneur de ce nom, qu'un séjour de quarante-sept ans à là Guyane, avec l'exercice de divers emplois, avait.mis à même de bien juger cette question, adressait au ministre de la guerre et de la. marine, un mémoire dont les conclusions étaient semblables }.■ Il,

1 Mémoire adressé au ministre de la marine, par le sieur d'Orvilliers, le 20 mars 1763.


(9) s'agissait, à ce moment, de fortifier Caïenne, et M. de Behague , qui, plus tard, devait être nommé gouverneur de cette possession, avait été envoyé pour examiner l'état des fortifications existantes, et pour en faire établir de nouvelles d'après les plans qu'il avait emportés de Paris. M. d'Orvilliers faisait au ministre ses observations à ce sujet, et en prenait occasion de lui soumettre ses vues et ses remarques sur la. colonisation et sur le défrichement dé la:;Guyane; carie bruit des préparatifs de la prochaine expédition était déjà parvenu à Caïenne. Après avoir décrit la topographie du pays, après avoir indiqué les points, les plus'favorables pour former, des établissements, après avoir fait la nomenclature et l'éloge des diverses productions de la contrée, . M. d'Orvilliers passait à l'objet favori dès spéculations coloniales de l'époque , c'est-à-dire à la fondation de grandes et belles sucreries.

«La rivière de Kourou, disait-il, n'étant barrée par aucun «saut ou cascade, a un cours navigable, par barque ou pi«rogue, d'environ quarante-cinq lieues: les terrains de la «rive droite et gauche y sont très-bons et susceptibles d'y « établir nombre de belles et bonnes sucreries: » Mais il pensait également qu'il n'y avait pas de défrichement possible sans le travail des noirs. Il demandait donc aussi que le Gouvernement fît. aux colons l'avance d'un certain nombre de nègres..Son plan consistait à donner aux habitants de l'ancienne colonie le plus grand nombre possible de noirs , à la seule condition que ceux-ci seraient uniquement employés à faire des plantations de vivres pour pourvoir aux besoins des nouveaux arrivants. Il faisait observer, en outre, que, de quelque ressource que fussent les vivres produits

1763 — 1765.


(lo)

à l'avance par le sol de la colonie , il ne fallait pas compter d'abord sur ces productions pour la nourriture des Européens, et qu'elles pouvaient seulement convenir, de prime abord, à là subsistance des Africains. En effet, M. d'Orvilliers , tout en établissant la nécessité d'appuyer la future colonie dés blancs sur une plus forte colonie de noirs, admettait, les premiers à toute espèce de titre, mais ne' consentait à lés associer au travail qu'à condition qu'ils auraient pris lés précautions nécessaires pour s'acclimater.. Ainsi il voulait que les Européens fussent nourris par les soins du Gouvernement avec les aliments auxquels ils étaient habitués, tels que la farine de froment, le boeuf salé, etc. au moins pendant l'espace des trois premières années. Du reste, M. d'Orvilliers ne comprenait pas qu'on établît à la Guyane un seul Colon sans lui fournir ou sans qu'il achetât un certain nombre de nègres. C'était pour lui le sine (fttà non dé la colonisation. Ses prétentions, à cet égard, étaient même poussées fort loin, puisqu'il voulait qu'une sucrerie ne fût pas dotée de moins de cent cinquante noirs capables de travailler; toute sucrerie qui ne serait pas ainsi pourvue ne pourrait manquer* seloiî lui, d'être onéreuse'à son propriétaire.

Le* bâtifnent auquel M. d'Orvilliers avait confié ces prapositiori&, écrites le 30 mars 176a, portait une autre pièce dé même riàtûrè, mais à qui l'habileté et les études de son auteur' donnaient Un plus haut degré d'importance. En sa qualité de commissaire ordonnateur à Caïenne y M. Morisse, auteur' du projet dont nous parlons, avait combiné avec plus dé soin et d'èxàétitude que ses fïrédécesséurs un plan finan1763—1765.

finan1763—1765.

Plan

de M. Morisso,

pour faire effectuer

les importations

des noirs d'Afrique

par

lo Gouvernement.


cier r. Ce plan avait également pour base l'achat d'un certain nombre de nègres aux frais du Gouvernement ; mais les époques et lé mode de remboursement étaient mieux calculés et offraient plus de garanties. La colonie, disait-il, ne peut devenir puissante et riche que par l'exploitation du soi, et cette exploitation ne peut avoir lieu sans le secours des nègres. Or, ajoutait'il, la colonie n'était pas dans une. position assez florissante pour faire de nouveaux achats de noirs. Les armateurs les lui vendaient trop cher et lui faisaient un crédit ruineux. Il n'y avait donc qu'un moyen de la tirer de sa langueur et de hâter les progrès de son établissement, c'était de lui fournir des noirs à bon marché, à crédit et sans intérêts. Le Gouvernement seul pouvait faire de pareilles avancés.

En conséquence, le Gouvernement traiterait avec les armateurs. Le prix de la cargaison serait réparti sur chaque tête de noirs à l'arrivée dans la colonie, à raison de l'âge, delà capacité et du sexe. M. Morisse établissait qu'un fond d'avance de cinq cent mille livres dans la caisse des colonies en France serait suffisant pour cette opération ; on aurait tiré de Caïenne sur cette caisse, pour payer en lettres de change les cargaisons de nègres que les armateurs auraient expédiées.

Quant au remboursement, fauteur du projet voulait nonv-seulemerit que le Gouvernement accordât de longs termes aux colons et toutes les facilités possibles pour s'acquitter; mais encore qu'il reçût en payement tout ce qu'ils seraient eri état de donner « des denrées et marchandises,

1 Lettre adressée de Gaïênne au minisire de la guerre et de h marine; par' le sieur Morisse, le 25 mars 1763:

1763—1765.


1763 — 1765,

Projet

du baron de Bessner

pour

l'établissement

de

familles alsaciennes

à la Guyane.

( ,,a )

des vivres de toute espèce, des. bois, dés, ouvrages de leurs métiers et industrie, des prix de journées et de maind'oeuvre. » Tel était l'avis des commerçants, des fonctionnaires , et de tous ceux que leur expérience rendait compétents, sur le mode de colonisation qui devait être appliqué à la Guyane. Ces opinions venues de divers points de la Franceet parties de la colonie même, à peu près à la même époque, avaient une conformité remarquable. D'autres conseils prévalurent.

E ne nous reste plus à ajouter à ces avis donnés par des hommes de pratique, que l'utopie de M. le baron de Bessner, pour envisager sous leurs divers aspects les plans, qui furent soumis, à cette époque, au ministre.de la guerre et de la marine 1. Ce système fut proposé à M. Turgot, chargé de l'expédition du Kourou, quelques mois après le retour de son auteur d'une excursion à la Guyane.

M. de Bessner offrait de se rendre en Allemagne, dans les états du Bas-Rhin, et d'engager des personnes aisées à prendre avec elles des familles qu'elles conduiraient à Caïenne en faisant.tous les frais de leur passage à travers. la France, ainsi que de leurs vêtements, outilsj nourriture et établissement sur les lieux, à la réserve des frais de la traversée laissés à la charge de l'Etat :

En retour on leur aurait accordé un terrain assez considérable pour y former une seigneurie composée d'un village de dix familles, ce terrain étant de 1,600 arpents, dont la moitié aurait appartenu au seigneur, l'autre aux familles.

Pour obtenir une seigneurie de ce genre, il fallait établir.

1 Rapport adressé au ministre de la marine, sur le projet deM.lebaron de Bessner, le 5 novembre 1763.


(■'3) vingt familles : le titre de seigneur ne donnait, d'ailleurs, aucune juridiction sur les paysans. Le bàroâ de Bessner > estimait qu'une famille composée de cinq personnes coûterait au seigneur, pour son établissement, ,1,8,15 francs de principal, ce- "qui formait une rente de 91 francs par an, dont le paysan déviendrait redevable au seigneur, et qu'il lui payerait en journées de travail. L'auteur évaluait à 17 sous et demi le prix de la journée.: A ce taux,, il ne fallait pas moins de cmqUante-d'éux jours da travail d'un paysan aidé de sa femme et de son. enfant pour, acquitter la rente : c'était : un jour par semaine.

Pour simplifier le mode:de payement de cette redevance, le baron de Bessner proposait de faire défricher un-terrain commun pendant quatre jours de la semaine. Trois qUarts du produit reviendraient au paysan et l'autreiqUàrtàû seigneur, qui, pour l'exploitation de ce terrain commun; était tenu de tout fournir et de supporter tous, les frais. .

L'auteur rései'Vait, d'ailleurs ] aux: paysans lapossibilité de se racheter. Ainsi il étabfissàit que;; siune famille de cinq personnes donnait à son'seigneûr, dans l'espace d'Une.année, deux cents journées de travail, dont le prix;pouvait s'évaluer à 1 franc, elle se trouverait avoir payé-, outré; les - 91 francs d'intérêt:, 109 francs environ sur lé principal. De la sorte, elle pouvait se libérer dans l'espace de sept à. huit ans. • :

H est superflu d'insister sur la légèreté de ce. plan; Son

• principal inconvénient était detablirie servage des blancs à

ïaplace de l'esclavage- des noirs.'Il fondait, sur lé territoire

delà Guyane, unétat de vassalité qui faisait rétrograder la

civilisation jusqu'au moyen, âge: On comprend qu'il eût été

.1763 — 1765.


1763—1765.

■(■»*:)

impossible de maintenir la subordination et la discipline sous un seigneur qui n'était armé d'aucuns moyens coërcir tifs. Au reste, le projet de M, le baron Bessner, lorsqu'il fut appliqué plus tard, n'eut pas le temps de produire tous les mauvais fruits qu'on, an pouvait attendre- A peine établis, sur le terrain, les Allemands qui avaient été transportés à la Guyane, en exécution de ce projet, se jouèrent de l'autorité patriarcale de leur seigneur : ils refusèrent nonseulement l'obéissance, mais le travail; ils refusèrent même de se fixer dans les villages qu'on leur avait assignés \. Telle fut l'issue de cette utopie, oeuvre de l'imagination plutôt que de l'expérience. Nous n'en aurions pas fait mention si elle n'avait pas été goûtée et approuvée au moment même où le premier convoi des colons qui faisaient partie de l'exr pédition du Kourou abordait à Gaïénne, et si elle ne devait pas être considérée comme une nouvelle preuve de l'inexpérience, avec laquelle fut conçue et exécutée la malheur reuse tentative de colonisation qui nous occupe.

L'expédition du Kourou fut décidée sur les conseils, du chevalier Turgot. Cet officier avait su intéresser à ses projets: le duc de Ghoiseuly alors ministre de la guerre et de la marine, soit en flattant ses vues pour la défense des,colonies , et principalement des Antilles, qu'on regardait comme menacées par les Anglais, soit, en lui faisant entrevoir la colonisation comme un moyen d'assurer à sa famille une fortune aussi grande que légitime. En effet,: le, premier acte du Gouvernement fut la concession ;aux ducs, de Cheisêul et de Ghoiseul-Praslin de toutes les terres comprises entre la rive gauche du Kourou et la rive droite du Maroni'., c'éstrr

1 Lettre de M. dé Fiedmont au ministre de la marine, en date du 10> mai 1767\

Préparatifs

de l'expédition

du Kourou,

Con cessions

générales

faites à la famille

.dcChoiseul.


1763 — 1765.

Condition

de celte concession/

( i5.) à-dire de presque toute la partie de la Guyane française qui s'étend au nord de Caïenne jusqu'aux possessions des Hollandais 1. Ces ■terres leur furent accordées en toute propriété , seigneurie et justice, tant pour eux que pour leurs successeurs , avec droits de pêche et de chasse, dans toute l'étendue de la contrée et toute la profondeur des terres,; avec privilège de nommer les commandants , les officiers municipaux et de justice, dans les villes, bourgs et villages qui se formeraient dans leurs concessions respectives, et permission de donner leurs noms et ceux de leurs familles aux lieux principaux.

La seule condition qui fut mise au .don de cette propriété était de la défendre. Le roi voulait que les terres les plus éloignées de Caïenne fussent cultivées, précisément parce qu'elles étaient plus proches de la frontière; c'est parce qu'elles étaient limitrophes de celles des Hollandais de Surinam, qu'il convenait de les peupler. La population nouvelle servirait de barrière ?. Les deux concessions étaient faites simultanément, afin qu'elles pussent se secourir mutuellement et correspondre aisément de proche en proche avec la vflle de Caïenne, d'où l'on pouvait tirer des troupes. '' Ainsi une sorte, de vice-royauté était établie pour les ducs de Ghoiseùiv, qui apportaient à l'entreprise le crédit de leur nom. et de leur position à la cour et dans les conseils, Du reste, on croyait avoir tout fait en préparant la défense du territoire. R n'était nullement question des moyens de colonisation : c'était l'affaire du gouverneur.

1 Requête adressée au roi par les ducs de Choiséul et de Choisèàl-Praslin, Ï763. • ■'•

2 Même document.


1763 — 1765.

M. Turgot

gouverneur.

Il ;reste inactif

en France.

( 16 )

Celui-ci n'y songeait guère ; il ne paraît pas avoir cru que sa nomination au gouvernement de la nouvelle colonie lui imposât l'obligation de s'y rendre personnellement, de la former, de la conduire à sa destination, de diriger ses opérations, de partager les mauvaises comme les bonnes chances des colons, de se sacrifier-enfin au succès et au salut de l'entreprise ; il borna son concours aux communications verbales ou par écrit avec le Gouvernement, à la réception des solliciteurs, à la nomination aux divers emplois :les destinées de la colonie naissante furent abandonnées par lui à des agents subalternes, et /lorsqu'il mit le pied sur le continent américain, en décembre 176k, par les ordres positifs du roi, la colonie n'existait déjà plus".

Nous trouvons des renseignements particuliers sur le caractère et la portée d'esprit de M. le chevalier Turgot dans là correspondance de son délégué et représentant officiel, M. Thibaut de Chanvalon, intendant général de la colonie 1. «M. le chevalier Turgot, disait-il,- n'est: pas «fait pour gouverner..:.':.. . ce n'est pas un esprit suivi, «ni propre àuxy cbUïbinaisons : ses connaissances : sont «étrangèresàTâdministration... .. inconstant par son na«turél, et parce qu'il n'a point en cela:dé principes fixes, , «ne s'attachant qu'aux détails accessoires, et ne pouvant «embrasser l'ensemble d'un total un peu compliqué.»,,;: "■'■■ Tel est le portrait-de: celui auquel était'confiée, la. réussite'd'une entreprise qui exigeait principalement, dé ilà^fermeté, delà constance et de la.stabilité;d'esprit : lesrchoses furent telles que les firent les hommes. Aussi follement

1 Lettre de M. de Chanvalon au ministre de la marine, en date du 23ijûïn< 176i. ' ' ■- ■ -■■'':■ """•> *■■"'•■'


■■(..!>;)

1763 — 1765.

M. Thibaut

de • Chanvalon ,

intendant général.

conduite que mal combinée, là colonisation devait échouer. M. Thibaut de Chanvalon était peut-être plus pïopr'ë que le gouverneur à la faire réussir; mais d'abord ses plans furent contrariés, et plus tard on l'accusa d'avoir ' montré moins de probité: que d'activité et de jugement. Quoi qu'il en soit., il avait été nommé intendant général de- la colonie, sur la présentation du gouverneur, qui avait d'abord manifesté une grande confiance dans ses connaissances spéciales. En effet, M.de Chanvalon avait longtemps résidé à la Martinique, où; il était membre du : conseil supérieur de la' colonie. Aussitôt après sa nomination, qui eut lieu au.commencement de l'anàée 1763, les préparatifs de l'expédition furent poussés.avec quelque vigueur. Mi de Chanvalon comprit que, dans un pays désert, la première chose faire était de préparer à l'avance des abris. Avant de faire partir des colons > il convenait d'envoyer des ouvriers : c'est; dans cette vue que M. de Préfontaine, lieutenant • réformé des troupes de -mariney nommé commandant de la nouvelle colonie, spus^ies ordres de MM. Turgot et Chanvalon , fut' dirigé sur Caïenne-ÏÏ devait s'embarquer le if mars,pour arriver à la fin d'avril. Pendant le cours du premier, mois, il aurait faitses efforts pour rassembler les Indiens épafs dans les forêts>de la Guyane, et se serait occupé à;reconnaître le lieu-le;plus propre à,établir un camp, pour'recevoir; lés colons qui devaient partir après lui, spus la; direction de M. Thibaut de Chanvalon lui-même....'.-.'

Ainsi la colonisation de la Guyane avait été entreprise si légèrement et avec tant de précipitation , qu'on n'avait pas même déterminé l'endroit précis de sa fondation-,' et

'on mit à la voile, pour la première expédition, sans con"M.

con"M. Préfontaine, , commandant de la colonio .,. du Kourou.

Incertitude

.; "et', insuffisance - des ".dispositions / préliminaires.


( i8 ) naître le point où l'on planterait lés tentes, dans cette vaste étendue de savanes et de forêts. Quant à la recommandation faite à M. de Préfontàine de rassembler les Indiens épars, elle tendait à comprendre lès naturels du pays dans la- colonie, à les réunir, à lés fixer, et à fondre leur population nomade dans la population des Européens par des mariages. Pour concevoir de telles vues, il fallait avoir peu d'expérience du Caractère des Indiens, de leurs moeurs errantes et de leur attachement à des coutumes qui sont leurs seules lois. C'était une erreur dé plus, et une déception nouvelle qu'on se préparait;

M. de Chanvalon avait combiné le départ de M. de Préfontaine de telle sorte que celui-ci arrivât à la Guyane à la fin de la saison des pluies 1. Après avoir consacré le mois de mai aux soins préliminaires, il devait employer les deux pf entiers mois de sécheresse à dresser son camp. Or M. de Préfôhtaine ne fut prêt à partir, nOh pas de Rochefort, où il aurait dû s'embarquer le 1er mars, mais de Paris, que vers le milieu de ce mois. A son arrivée à Rochefort, il trouva " tous les esprits soulevés contre lui et contre l'entreprise. Partout on lui opposa des obstacles; on le tourna même en ridicule, ainsi que nous l'apprend une lettré écrite-cofiectivement par M. Turgot et M. de Chanvalon au due 'de Chôiseul 2. Mais lès difficultés les plus grandes n'étaient pas à Rochefort, et celles *jui retenaient M. de Préfontaine au rivage avaient leur noeud à Paris. Les demandes lès plus importantes de cet officier n'avaient pas encore 'reçu de

1 Mémoire présenté au ministre, le 19 juillet 1763, par MM. Turgot et de Chanvalon. '..'.'•

» m.

1763 — 1765.

Mars 1763.

Difficultés

au

moment du départ

de la première

expédition.

Retard

dans les mesures

préparatoires,


( J9 ) réponseJ ; on n'avait pas fait les fonds nécessaires à son expédition ; le traitement des personnes qu'il emmenait avec lui n'avait pas été fixé, et, dans leur incertitude, elles retardaient le voyage ; enfin l'autorisation d'acheter quelques instruments destinés à l'arpentage n'avait pas été donnée. Au 28 mars, M. de Préfontaine renouvelait ses instances auprès du Gouvernement, par l'organe de M. Turgot, pour obtenir la solution de plusieurs points fondamentaux ; c'était :

Que le ministre déclarât ses intentions sur l'entretien qu'il assignerait à treize personnes qui devaient s'embarquer avec M. de Préfontaine, pour l'aider, de leurs soins et de leur argent, dans les dispositions à faire sur le territoire de la nouvelle colonie. Ces personnes, dont M. Turgot envoyait la liste à M. de Choiseul, appartenant à la classe élevée de la société, le gouverneur jugeait qu'il serait convenable de leur donner à chacune une gratification convenable pour leur voyage; gratification qui comprendrait les frais du court séjour qu'ils devaient faire à Rochefort jusqu'à leur embarquement.

20 Qu'on affectât à l'établissement de la nouvelle colonie un fonds extraordinaire de i,3oo,ooo francs. Les réclamants calculaient que cette somme serait nécessaire pour effectuer le transport et rétablissement de deux mille personnes, dans le courant de l'année, et il était évident, d'un autre côté, que les fonds ordinaires ne pourraient produire que 4oo,ooo Ou 5oo,ooo francs pour la nouvelle colonie, attendu l'augmentation des dépenses qu'exigeaient alors les anciennes possessions 2.

1 Note à soumettre au ministre, .en date du 28 .mars 176.3.

2 Même document, art. 5.

2 .

Mars 1763.


Mai 1763.

Départ de l'expédition

préparatoire.

Crédits affectés

anx dépenses

de la

première annéa,

Ce ne fut que deux mois après son arrivée au port de Rochefort, c'est-à-dire le 17; mai 1763 \ que M. de' Préj fontaine, à moitié satisfait sur l'objet de ses réclamations; put mettre à la voile. H partit avec les bâtiments la Comtesse de Grammont, le Jason et l'Américain, chargés de cent vingt^sept colons, ainsi que dé vivres;, d'outils et d'effets propres à l'établissement de la colonie 2. Pendant son séjour à Rochefort, un fonds extraordinaire de i,5bo,000 livres avait été affecté aux dépenses de la nouvelle colonie pendant le cours de la première année de sa fondation 3. L'argent confié à M. de Préfontaine était destiné aux travaux publics, aux achats de bestiaux, aux défrichements, aux cultures, aux constructions des cases, etc. On avait évalué ces dépenses préliminaires à 3oo,ooo'francs, que M. de Préfontaine devait emporter; le reste de la somme était ainsi divisé : k00,000 francs pour le fret de quatre mille tonneaux destinés, au passage de deux mille habitants qui devaient partir sous la conduite de l'intendant-général de la colonie, et pour l'achat des vivres et outils à la charge de l'État ; .800,000 francs pour achats de vivres et de tous lés effets nécessaires à la nouvelle colonie, tant pour les deux mille colons,qui devaient arriver avec M. de Chanvalon , que pour préparer lesr lieux à la réception de la nouvelle : émigration qui devait être dirigée par le gouverneur en personne,

H convient de ne pas passer sous silence un article par1

par1 présenté au ministre, le 19 juillet 1763, par= MM. Turgot'etdé Chanvalon.

2 Note à soumettre au ministre, en date du 23 mars 1763 i ' Rapport au ministre, en date du 2 mai 1763.


ticulier de ce crédit. Cet article accordait à MM. Turgot et Thibaut de Chanvalon 200*000 francs comptant, à titre de gratification,;et pour les mettre en état de partir et de<faire plusieurs dépenses utiles au bien de la nouvelle colonie 1.

M, de Préfontaine mouilla le i4 juillet dans la rade de Caïenne 2. M. de Behague, ex-lieutenant-colonel d'un régiment de dragons, occupait alors le poste de gouverneur de la colonie, et M. Morisse remplissait près de. lui- les fonctions de commissaire-ordonnateur. Le premier ne vit pas arriver sans ombrage un délégué de la métropole, dont les fonctions, mal déterminées, pouvaient être étendues au delà des bornes d'une colonisation. De leur côté, les habitants de l'ancienne colonie n'avaient pas compris tous les avantages qu'ils pouvaient tirer de la fondation de la nouvelle, et ils ne voyaient pas son établissement sans jalousie, quoiqu'elle dût augmenter la richesse et la puissance du pays. Elle était favorisée par le Gouvernement de la métropole, et cela suffisait pour qu'elle excitât l'envie et la rivalité des. anciens colons , qui se regardaient à tort comme dédaignés. Les difficultés que M. de Préfontaine avait rencontrées à Rochefort furent donc, en quelque sorte, renoù* velées à'Caïenne : de son côté, il avait peut-être autant de défiance de l'ancienne colonie que celle-ci avait de mauvais vouloir pour la nouvelle ; il apporta la plus grande rùideur dans ses rapports avec les autorités-de Caïenne. M. de Behague lui ayant montré ses pouvoirs, il refusa de communt quer les siens ; il ne voulait pas reconnaître que le gouverneur eût aucun droit à cette exhibition, et prétendait exercer

1 Rapport au ministre, en date du 2 mai Î763.

3 Art de vérifier les dates, IIP partie; Guyane, page 171.■■ '

'Mai 1763.

14 juillet 1763.

Arrivée à la Guyane.

Difficultés

à. Caïenne

au début

des opérations.


Juillet 1763.

Travaux

d'installation.

Coopération

des

jésuites

do la mission

du Kourou.

(«)■ une autorité indépendante et directe sur les habitants de la partie du nord, en vertu des ordres du roi et de sa commission, qu'il ne produisait pas. D'ailleurs, cette commission n'avait pas été conçue en termes assez explicites pour éviter toute ambiguïté, puisqu'il n'y était nullement question de M. de Behague. Il résulta de cette omission un conflit d'autorité qui engendra mille tracasseries des deux parts, et mit obstacle à la prompte exécution de la mission dont M. de Préfontaine était chargé 1.

Cependant MM. de Behague et Morisse crurent devoir lui offrir d'imposer aux habitants dé l'ancienne colonie l'obligation de fournir, à titre de corvée, un certain nombre de noirs esclaves pour coopérer à là construction des bâtiments qu'il allait élever. Mais MJ dé Préfontaine refusa de rien devoir à leur entremise, pensant que ce serait faire acte de reconnaissance de leur autorité supérieure ; il aima mieux recourir à divers expédients moins certains.

Sur la rive droite du Kourou, en face du camp qu'il voulait former, était située une habitation considérable appartenant aux jésuites de la mission du Kourou; ceux-ci se trouvaient dans une position délicate par suite de l'édit qui abolissait leur société. M. de Préfontaine profita de ces circonstances, ainsi que d'une liaison qu'il avait entretenue jusque-là avec le P. Ruelle, supérieur de la mission, pour obtenir de ce dernier les secours qu'il ne voulait pas devoir à M. de Behague. En effet, les pères réunirent environ quatre-vingts noirs -, pris sur leurs diverses habitations, et les envoyèrent, sous la conduite d'un frère, à M. de Pré1

Pré1 adressée au ministre par MM. dé Behague et Morisse, en date du 15 décembre 1763.


(23) fontaine, qui les appliqua immédiatement à Ses travaux. Ces noirs avaient été prêtés pour un mois, seulement, et M. de Préfontaine,, qui les avait reçus à Kourou vers la fin de juillet, devait les rendre à la fin d'août : mais, soit qu'il eût mal calculé le nombre des çonslruçtiqns à établir, soit que le travail des noirs ne répondît pas à ses espérances, il arriva que le camp n'était pas encore terminé au commencementde novembre, M. de Préfontamë retenait toujours les esclaves malgré les représentations et les réclamations des religieux, Le i o novembre, lorsqu'il ne restait plus que quelques jours de travail pour achever l'ouvrage commencé, le P. Ruelle fit enlever les noirs par le même frère qui les avait conduits ; les, 4étaçhements que le çon> mandant envoya, à leur poursuite,,ne purent les ramener > On avait perdu beaucoup de temps; M, de Préfpntaine était menacé de la prqçhaiue arrivée du convoi de M. de Çhan^ valerni ii sentit que l'époque des tergiversations était passée 5 il;s'adressai,d'une part, aux habitants dei la partie du nord, les sommant de lui fournir des noirs de corvée pour le compte de l'État, et demanda, de l'autre, à M. de Behague lui-même, de lui faire obtenir, dans la partie de la colonie que celui-ci avait.sous ses ordres, le secours 4e trente travailleurs. M. de Behague s'empressa de se rendre . à la prière qui lui était faite •, mais les habitants, auxquels M, de Préfontaine s'était adressé directement, déclinèrent une autorité qui n'avait pas été officiellement reconnue, et refusèrent l'aide de leurs esclaves, sous prétexte qu'ils avaient déjà fourni toutes les corvées qui leur avaient été

; x Lettre adressée au ministre par MM. de Behague et Morisse, en date' du 15 décembre 1763.

Juillet 1763.

Novembre 1763.

Retards dans la construction

du camp

destiné au logement

des colons.

Refus

de coopération

des anciens colons

de la Guyane.


Novembre 17G3.

Insuffisance

de l'établissement au moment do l'arrivée des colons.

Dispositions faites en France postérieurement

au départ de l'expédition préparatoire.

Règlements

préparés

pour la nouvelle

colonie.

. (>V)

imposées pour cette période de temps. Au milieu de ces démêlés , les travaux commencés furent mal achevés; d'autres, qu'on aurait dû entreprendre, furent négligés, et, quand l'émigration, conduite par M. de Chanyalon, arriva au camp, l'établissement n'était encore qu'ébauché ; le nombre des cases était de beaucoup inférieur à celui des colons; l'objet de la mission préliminaire de M. de Préfontaine- était manqué, et l'expédition se trouvait en butte à tous-lès inconvénients et à tous les périls que cette-mission avait pour objet de lui faire éviter ^ :.

Pendant que les choses se passaient ainsi à la Guyane, MM. Turgot et de Chanvalon se consumaient, à Paris, dans une activité stérile. Leurs réclamations, qui se succédaient, insistaient sur une foule d'intérêts secondaires, et rien n'avançait. Les promesses faites n'étaient point tenues. On préparait un acte pour régler le sort des colons -, mais on né faisait pas les fonds demandés et promis pour leur départ et leur installation. Tous ces retards concoururent à là perte de l'entreprise, comme on le verra plus loin. ,:--

Le projet de l'acte dont nous venons de parler portait le titre de Lettres-patentes à faire enregistrer au conseil supérieur de Caïenne ; il réglait deux points importants 2 : la liberté des cultes et l'ordre des successions. Au sujet de la première de ces deux questions , on déclarait que tbutétranger •résidant dans la nouvelle colonie, et faisant profession de quelqu'une des religions admises ou souffertes en Allë1

Allë1 adressée au ministre par MM. de Behague et Morisse, en date du. 15 décembre 1763.

2 Projet de leltresïpatentes à faire enregistrer au conseil supérieur del Caïenne, en faveur des étrangers, des enfants naturels, etc. qui iront s'établir à Caïenne,


magne, ne pourrait être inquiété pour sa croyance. Quant à- l'autre point, le projet de lettres - patentés déterminait que les étrangers établis dans lacolonie-ne seraient sujets à aucun droit d'aubaine, qu'us jouiraient indistinctement; tant 'pouf- la disposition dé leurs biens pendant leui? vie, que pour l'ordre des successions après leur-mort, dé tous lés droits dont jouissent les naturels français; et ce;' pour tous leurs biens meubles et immeubles, quelque part qu'ils fussent situés. Enfin, comme mesure complémentaire de ces dispositions, le même projet admettait à jouirde tous les droits reconnus aux citoyens-français , dans toute] retendue du royaume, les étrangers qui auraient fait valoir dés habitations outravaillé pendant l'espace dé dix ans, soit dans'l'île; dé Càïënhe , soit dans:la;nouvelle colonie-, à 'là charge de continuer d'avoirleur domicile dans:le royaume. : Ces dispositions étaient prises particulièrement en vue de l'Alsace, d'où l'on voulait tirer le plus grand nombre des émigrànts. Néanmoins : M. Tutigot cherchait dès recrues dans d'autres contrées : il avait supposé que lès habitants de. l'île de Malte étaient Mniinemmeht ^propres à accomplir l'oeuvre de la colonisation. Dans cette persuasion, il s'était adressé directement ; au- grand maître ; celui-ci avait répondu par. un refus appuyé sur les observations suivantes : L'île; de Malte 'ne renfermant que quinze mille hommes en état de porter lés :armës; etîe défaut de ^population laissant le pays à moitié ^inhabité, on devaitrerioncèr à l'espoir d'obtenir qu'aucune émigration futfavorisée : dans-tous-les cas, lesrMàltais paraissaient peu propres à la culture des terres; ,qu!ils négligeaient dans leur propre pays pour se livrer alla navigation. D'un autre côté, lorsqu'il arrivait que

Novembre 1763.

' Projet

de comprendre

des Maltais

parmi

les - emigrânts.


(26) des Maltais s'expatriassent, il était rare qu'ils fussent absents pendant plus de deux ans, leur naturel ne leur permettant de se fixer nulle part 1.

Repoussé de ce côté, M. Turgot forma une autre combinaison, qui ne fut pas plus heureuse. Il remarquait que la peine de mort qu'on infligeait aux déserteurs n'avait pu • empêcher jusque-là les désertions ; elle avait fait perdre inutilement au royaume un très-grand nombre de sujets. Ne pouvait-on pas tirer un très-grand parti des déserteurs, en les faisant condamner par les conseils de guerre aux travaux publics de la nouvelle colonie ? La proposition méritait, disait-il, une attention d'autant plus sérieuse, que tous les travaux publics de la colonie ne pourraient se faire de longtemps sans détourner les habitants du travail le plus indispensable ; celui de la culture et de l'établissement des habitations 2.

Cette proposition n'eut pas de suite, et l'on songea à faire enfin partir le convoi que devait diriger M. de Chanvalon ; mais de nouvelles difficultés se présentaient : au lieu des 4oo,ooo francs qui devaient être remis à l'n> tendant, suivant le premier plan qu'on avait arrêté, on n'en proposait plus que 3o.o,ooo, et, en définitive, onn'en voulait donner que 200,000 à diverses échéances. Il fallut réclamer de nouveau. « Nous devions avoir 3oo,ooo francs «dans la caisse de la nouvelle colonie, disaient le gouverneur et l'intendant, dans un mémoire adressé au ministre «de la guerre et de la marine..... cependant on ne remet «dans la caisse que 200,000 francs, sur lesquels il faudra

1 Rapport au ministre, à la date du 12 juin 1763.

4 Rapport au ministre sur la nécessité de lois particulières pour la colonie.

Novembre 1763.

Projet de déporter

au Kourou

les militaires

déserteurs.

Réduction

et division

des crédits ouverts

pour la première année.


( a?r

«payer les appointements de tous ceux qui sont sur l'état, «ainsi que toutes les dépenses de la nouvelle colonie; « et l'on n'envoie point d'argent pour l'ancienne colonie, « où la caisse est vide, où il y aura cependant à payer «le prêt dès troupes, les fournitures des hôpitaux, les «ouvriers pour les travaux du roi, et toutes les autres «dépenses1».

A ces plaintes succéda l'arrangement suivant. Sur les 200,000 francs déjà versés, il fut convenu qu'on enverrait 100,000 livres à Caïenne, dont 5o,ooo francs seraient affectés au service de l'ancienne colonie, 5o,ooo aux besoins de la nouvelle; qu'ensuite on y ferait passer, par les mains de M, de Ghânvalon, i5o,qoofranesen trois termes: un tiers en octobre, un tiers en novembre, le reste en décembre, tant pour parfaire les 300,000 francs destinés à la nouvelle colonie, que pour les appointements de MM. de Ghanvalûn et de Préfôntaine,

En outre, le Gouvernement s'engageait à faire passer, chaque année .pareille somme de 3 00,000 francs pour les dépensés de la nouvelle colonie, et pour payer ses appointés, indépendamment de 200,000 francs destinés aux appointements du gouverneur, de l'intendant et du commandant. D'ailleurs, une somme de i5oà 2oo,ooofrancs devait être réservée, en France, chaque année, sur le fonds extraordinaire destiné à la nouvelle colonie, pour faire face aux besoins et événements imprévus. Par la suite, ces -calculs se trouvèrent énormément dépassés -, s'il est vrai que plus de 3o millions aient été dépensés pour cette tentative de

1 Mémoire sur le départ de la nouvelle colonie, à la date du 49 juillet 1763. '■■■..

Novembre 1763.

Crédits alloués

pour

les années suivantes.


Novembre 1763.

Dispositions

diverses

mal conçues

ou mal exécutées

en France.

Affrètements divers

pour

les transports

des bestiaux

et

approvisionnements.

(28)

colonisation, ainsi que l'affirme M. Malouet dans .ses mémoires - 1.

La question des subsides arrêtée, ainsi que nous venons de le rapporter, il restait encore beaucoup de points à régulariser. Ainsi l'on n'avait pas fixé le sort et le traitement de la plupart des employés; on avait expédié au sieur Lair le brevet de prévôt de la maréchaussée, mais il n'y avait pas de maréchaussée ; et, eût-elle été formée, ;on n'avait pas de chevaux pour la monter; lors, même qu'on eût acheté ces chevaux en France, on n'avait pas de bâtiments pour les transporter. On était convenu d'envoyer dans la colonie du bétail qui pût faire souche, car les Savanes offraient toutes les ressources désirables pour l'éducation des,bestiaux. Or, non-seulement les taureaux et les génisses nécessaires n'avaient point été achetés, mais le bâtiment qui devait les transporter n'était pas frété* L'ancienne colonie, ruinée par la dernière guerre ; n'avait pas alors un seuLbâtiment en état de tenir la mer; cependant on avait reconnu la nécessité d'entretenir par mer des communications entre les deux colonies et avec les divers points de la côte; en conséquence, on avait demandé pour cet usage deux brigantins; Ils n'avaient pas été achetés. R en était ainsi d'une multitude d'objets qui pouvaient paraître, en France, d'utilité secondaire, mais qui étaient, en réalité, de première nécessité pour la prospérité de"là colonie 2. '"'..'

Après beaucoup de démarches infructueuses, après de

1 Articles proposés au ministre par MM. Turgot et de Chanvalon, et'arrêtés, le 26 juillet 1763, poar la nouvelle colonie de Caïenne. 3 Mémoire sur le départ delà nouvelle colonie, 19 juillet 1763.


( «9'V longues attentes, dans"l'intervalle desquelles M. Turgotne pouvait pas même approcher de M. le duc de Choiseul (ce dont il se plaint, d'ailleurs, assez vivement), on obtint que les choses seraient réglées ainsi qu'il suit : deux vaisseaux, frétés au Havre, furent destinés à porter à la Guyane, l'un quarante chevaux ou juments, l'autre autant de génisses qu'il pourrait en contenir. Ces deux vaisseaux durent partir promptement, ainsi que deux autres bâtiments en armement à Bayonne et à Toulon, pour effectuer le transport de volailles, brebis, porcs et autres animaux destinés tant à faire souche qu'à alimenter la nouvelle colonie, et surtout à être employés pour les hôpitaux.

Un brigantin de soixante à quatre-vingts tonneaux dut être acheté pour le service de la colonie, ainsi que quatre chaloupes biscaïennes destinées à la pêche.

On fit faire l'acquisition des instruments nécessaires à l'arpentage, et on donna l'ordre de lever une carte géographique pour l'astronome et les arpenteurs.

Enfin (chose non moins importante aux yeux des chefs de l'entreprise), on les autorisa, par lettres, à encourager le mariage des colons avec les filles des Indiens *, •

Ces diverses dispositions furent réalisées vers la fin de juillet.

D'après lé plan de M. de Chanvalon le convoi qu'il devait commander aurait dû partir le i6r juin ! De même que M. de'Préfontaine n'avait pu mettre,à la voile que trois mois après l'époque désignée pour son embarquement, de même l'intendant général devait se voir obligé de retarder son

1 Articles proposés au ministre par MM* Turgot et de Chanvalon, arrêtés, le 26 juillet 1763.

Novembre 1763.

Achat

d'une goélette

et d'embarcations

pour la colonie.

Dispositions diverses.

Conséquences

funestes

des retards

éprouvés

successivement

par

les denxexpéditions.


Novembre 1763.

. ( 3o ) départ de près de cinq mois. Cependant l'exactitude était ici d'une importance capitale. A la veille de partir, M. de. Chanvalon prit soin dravertir le ministre de tous les dangers que ces retards faisaient courir à l'entreprise. En effet, il avait combiné, ainsi que nous l'avons dit plus haut, l'époque des diverses traversées, et celle de l'exécution des travaux à faire sur le territoire de la colonie, avec les révolutions périodiques des saisons dans le climat de la Guyane. Si M. de Préfontaine était parti le ier mars, il eût pris terre à la fin d'avril. Les pluies ne cessant guère qu'au mois de juin, il aurait employé en préparatifs divers le premier mois qui aurait suivi son arrivée. Les deux premiers mois de sécheresse, juin et juillet, eussent été consacrés par lui à établir le camp destiné à recevoir les colons. M. de Chanvalon serait arrivé à cette époque, et les émigrants qu'il amenait à sa suite auraient joui, pendant deux autres mois, de la fin de la belle saison. Durant cet intervalle, ils se seraient refaits de leurs fatigues et auraient pu attendre sans danger l'achèvement de leurs habitations, au cas où elles n'eussent pas encore été prêtes : ils eussent pu même activer lés constructions en y travaillant eux-mêmes. Cependant M. de Chanvalon aurait pu parcourir le continent, reconnaître le pays et les situations propres à placer des habitations ; il aurait mis les colons en possession de leurs terres avant les pluies. Es auraient été établis chacun sur leur concession et en auraient eu immédiatement ia jouissance. L'ardeur qu'ils témoignaient pour l'établissement de la colonie se serait soutenue; elle aurait dicté les lettres envoyées en Europe, et ces nouvelles auraient eu pour résultat d'encourager les émigrations de France et de l'étranger. En outre, la sai-


"(Si ) -

son aurait assuré une traversée tranquille aux émigrants, et, à l'arrivée, elle leur aurait épargné les maladies épidémiques qui régnent dans lés saisons pluvieuses. En dispersant les colons sur leurs habitations respectives, on aurait écarté les maladies qui peuvent résulter de l'agglomération d'un nombre considérable d'hommes dans un même lieu. La police et le bon ordre se seraient établis et auraient été maintenus beaucoup plus facilement, parce que chacun se serait occupé de ses travaux, et que, d'ailleurs, les colons auraient été divisés et répandus dans différents cantons. Le désordre et les Yices, résultant principalement de l'oisiveté, n'auraient point eu de prise sur des hommes occupés 1.

Ces avantages se trouvèrent compromis, en grande partie, par le dérangement des combinaisons de M. de Chanvalon. L'expédition arrivant dans fa saison pluvieuse devait fatalement rester 'oisive; en outre, la traversée que devait faire M. de Chanvalon n'était pas sans péril. On touchaîtâ l'équiirexe au moment où les navires eurent fini leur chargement et furent prêts à prendre la mer.

Vers la fin d'octobre seulement tes préparatifs de départ lurent achevés; quinze jours se passèrent «encore dans les derniers soins. Enfin M. de Chanvalon put mettre à la voile le Ï& novembre 1763.

Le convoi dirigé par î'ïntenèant était composé de onze 1 bâtiments, ïfui portaient quatorze cent vingt-neuf passagers, avec leurs effets, les approvisionnements de vivres, vêtements et autres objets, pour la nouvelle colonie. C'étaient : i

1 Mémoire adressé au ministre, par MM. Tnrgot et de Chamràkn, le 19jumetlf63;

Novembre 17*03,

14 novembre 1763.

Départ de 1429 colons sous la conduite

de M. de Cbanvalon*


Décembre 1703.

Arrivée

à Caïenne

le 22 décembre.

Réception

de l'intendant

à Caïenne.

Premiers

symptômes

d'hostilité entre lui

et son

subdélégué.

Négligence

apportée

dans les préparatifs

prescrits

pour effectuer

le transport

des colons

de Caïenne

à Kourou.

la:frégate ia,Comète; les trois flûtes le Danube, la Normande et la Fortune; le brigantin le Saint-Philippe, destiné à rester dans là colonie pour les communications par mer ; l'Artibonite,' qui servait-de ménagerie; la Gloire, employée comme hôpital; puis : laNaneite, V Aimable-Thérèse, le Jupiter, le Boate-en-rTrain. Indépendamment de ces 1/129 personnes, 533 colons étaient déjà;passés à la Guyane, soit en même temps "que M. de Préfontaine, soit postérieurement l. Le 2 2 décembre, le convoi entra dans la rade de Caïenne.

M. de Chanvalon,.malgré,sa qualité d'intendant général de la Guyane, fut reçu à terre sans aucune espèce de cérémonial; il en fut profondément blessé. Les germes.d'hostilité qui existaient déjà entre lui et M- Morisse, son suhdélégué pour ranciénne colonie, s'en accrurent et ne,firent plus, .que s'envenimer ; cette mésintelligence eut;lesplus funestes résultats. Déjà le. mauvais vouloir- de..M. Morisse et la roideur de. M. de Préfontaine avaient compromis, comme on l'a vu, dès son principe, l'avenir de la colonisation.. ■ '-.; :.-,;'.':':- i

Nous.avons dit qu'en.:France on. avait senti la nécessité d'assurer les; transports et les^ communications par mer- entre l'ancienne et la nouvelle colonie. On savait que, la colonie n'avait alors, dans le port, ni bateaux, ni pilotes côtiers qu'on pût employer au, service public. Or, tandis que, d'une part, les navires;qui tiraient plus de quatorze pieds et demi d'eau^ ne pouvaient entrer dans ce pprt; de l'autre, les bâtiments légers pouvaient seuls; traverser la barre, du Kourou

1 Etat des bâtiments expédiés du port de Rochefortpour lanouvelle colonie. -

2 Correspondance de M. de Chanvalon avec le ministre, lettre n°> 12.


( 33 ). et remonter la rivière jusqu'au camp. En conséquence, dès l'époque où l'on avait songé à faire partir M- de Préfontaine, des ordres avaient été expédiés à M. Morisse, pour lui enjoindre de préparer des bateaux et d'engager des pilotes côtiers pour le moment de l'arrivée du commandant. Mais l'ordonnateur avait opposé l'inertie à ces prescriptions : à son arrivée à Caïenne, M. de Préfontaine n'avait pu trouver un seul pilote qui le guidât sur la côte. A l'entrée de la rivière, l'un des trois bateaux que cet officier avait réunis à grand'peine pour aller à Kourou avec ses compagnons, avait échoué sur la barre par suite de l'inexpérience des patrons. M. Morisse fut également sourd aux ordres qui lui.furent transmis de la métropole pour préparer le transport de M. de Chanvalon et des colons que celui-ci conduisait. Il fit plus, si l|on en croit les assertions de l'intendant lui-même : toutes les pièces nécessaires pour former six chaloupes lui avaient été expédiées par les; soins du ministre de la marine; il ne s'agissait plus que de les assembler : M. dé Chanvalon apprit, à son arrivée, que ces pièces avaient été perdues; les débris qui purent être retrouvés dans les magasins suffirent à peine à construire une chaloupe 1.

L'intendant fut. instruit en même temps de toutes les difficultés qu'offraient les abords du camp établi sur le Kourou par M. de Préfontaine. Il apprit que l'entrée de cette rivière était en quelque sorte.fermée par un banc de sable. Il existait néanmoins une passe qui contenait, aux grandes marées, jusqu'à quinze pieds d'eau : mais comme la lame brisait quelquefois avec force sur le banc de sable, les bâtiments qui tiraient plus de dix pieds étaient expo1

expo1 de M. de Chanvalon, page 26à.

3

Décembre 1763.

Difficultés;

à l'entrée

et à la sortie

de la rivioro

de Kourou.


Dtcembre 17G3'.

Arrîvéo de l'intendant

à Kourou,

le 25 décembre

1703.

Description

du camp.

( H )

ski à toucher et à talonner. Ce n'étaient pourtant là que lés difficultés qui Se présentaient à l'entrée dé la rivière; il: y en avait de plus grandes à la sortie. Lés vents du nord qui régnent dans cette saison 1 enfilent directement là rivièreM sont précisément contraires aux passes,, On annonça à l'intendant que les bateaux ne pouffaient Sof tif dû Koufbu que lorsque les vents changèi'àiè'nt, OU-'-dans les temps calmes, en les faisant remorquer et conduire par des ehà-7 loupes au delà de la bâfre sof il n'y avait qu'une chaloupe et point de bateaux ; ...

M< de Chànvâlôn ne se laissa pas arrêter' par ces dangers.? qu'on grossissait peut être à dessein. Laissant à Caïenne ses navires procéder lentement à un débarquement difficile et quelquefois périlleux, il partit, le 2S décembre, avec des matelots italiens qui «n'avaient jamais manié d'aviron; » quelques canots et bateaux de pêche, loués dans lé port de Caïenne, le sMvaient, poftàlit un certain n'ombre deeb* Ions, déjà débarqués dès navires de l'expédition.-Là distanée fut héufeusé'méttt par éburue-, la chaloupe franchit la bâfré et guida les bateaux dans la passée L'infëndâmvfit ûne^ôfté d'entrée triomphale' m camp. ;- 3

Cecampétait Situé àûffi tiers dèlièue 2 âù-dessùs dié ï'einbc-uehufèdû KoUfou, snr'ïârive gauche. M. de Préfbntaiîië â¥aitfàit dèffichefîè terrain sur UUe étendue d'environ quatre cents toises- le long -delà .rivière; Le défrichement nedépJLssait pas deux ceints toisés- en pfbfbndeuf, depuis le b of d de' la' rivière jusqu'à là eeirittifë' des £f ânds bois qui fer ôissenf aw nord de Kôtifou. • Maïs il s'en fallait de Itèâucôup 1 que cette

1 Correspondance de l'intendant avec le ministre, lettre n° 13. J Pian du camp de la nouvelle coloniede-là Guyanefrançaise.


( 35 ) étendue fit couverte par les constructions destinées à recevoir les nouveaux habitants de la France équinoxiàle. M. de Préfontaine, en descendant sur cette plage, avait trouvé une église entourée de quelques hangars; c'était la mission de Kourou. C'est autour de cette église que les ingénieurs firent le tracé de la ville nouvelle, et que les premières constructions s'élevèrent. A l?èpoque du plus grand encombrement des colons dans le camp de Kourou, ces constructions n'occupaient pas plus de cent toises de terrain, indépen-' damment de l'hôpital, d'une intendance projetée et d'un grand magasin , placés en dehors de cet espace. A droite de l'église, en face de la rivière, on avait élevé quatre rangées de cafbets, espèce de maisons à un étage au fezde-chaussée 1, construites avec des troncs d'arbres fichés enterre , et couvertes de feuilles ; on avait ménagé entré elles, l'espace de cinq rues transversales qui portaient les noms dé divers officiers de la colonie. Un puits était creusé au centre. A la gauche dé l'église, des hangars placés sur le terrain, antérieurement à l'arrivée de M; de Pféfontaine,- avaient été utilisés pour fofmer le logement du gouverneur. En arrière on avait tracé l'enceinte d'un jardin potager dont les produits devaient être affectés aux besoins des côlons. A l'extrémité de ce jardin était la demeure du commandant» Lès casernes bornaient le camp de ce côté.

Telle était la configuration générale du camp, au moment du premier débarquement de M, de Chanvalon. Par la siïité il élargit ces limites : d'autres bâtiments furent construits au nord dé cette première enceinte; dix nouvelles rangées de carbets, formant autant de tues, furent

1 Plan du camp de la nouvelle colonie de la Guyane française.

3.

Décembre 1703;


Décembre 1703.

Réception

de

M, do Chanvalon,

au camp

de Kourou.

Insuffisance

des

i ogements préparés

pour

les colons.

Premier voyago

de l'intendant

en remontant

la rivière.

( as )

destinées à recevoir la population pressée des émigrants. Le chirurgien Noyer, l'intendant de Chanvalon, le gouverneur Turgot, le commandant de Préfontaine, le baron d'Haug-t witz, donnèrent leur nom à ces rues encombrées de chicots de palmistes et d'arbres sauvages, que les noirS employés au défrichement avaient laissé subsister à la hauteur de trois ou. quatre pieds 1. Un vaste hôpital, une boulangeries un laboratoire et des forges furent également élevés en dehors des premières limites. Enfin un grand magasin, d'une étendue de près de cinquante toisés , fut établi le long de la rivière au-dessus du camp. Aux deux extrémités s'étendaient les palétuviers; en arrière les grands bois. On y fit une percée pour le cimetière, qui devait être bientôt plus peuplé que le camp même. •

Toute la colonie rassemblée sous les armes était accourue au rivage pour recevoir l'intendant. Elle était alors composée des ouvriers et colons partis de France, soit à la suite de M. de Préfontaine, soit depuis son établissement à Kourouv Nous avons dit que le nombre des passagers transportés à la Guyane était déjà de 533, avant le départ de M. de Chanvalon : l'intendant, à sa descente, trouva, en outre, installés dans le camp les 3oo passagers de la frégate .la Fortune. Bien qu'elle fît partie du convoi de M. de Chanvalon, elle avait précédé de près de huit jours l'arrivée des autfes bâtiments.

Après avoir parcouru le camp* et avoir,reconnu qu'il ne;, contenait point assez de logements pour recevoir lès nouveaux colons, M. de Chanvalon fit doux voyages en remontant, le premier jour* le cours de la:rivière, et;le second, celui d'une crique navigable qui se jette dans le

1 Journal de la marine. Récit du général Bernard


('37) Kourou, à une lieue environ au-dessus de son embouchure 1. Dans l'enthousiasme du premier moment, il trouve tout admirable et défie les obstacles Î « Je vis partout, dit-il, lés «situations les plus convenables, et pour la paix ètpoUf la «guerre; les terres les plus propres à toute sorte de pro«ductions; les prairies les plus belles, qui ont une étendue «immense, entrecoupées par des bouquets de bois plus «ou moins considérables; toutes ces terres sont plates et «unies, faciles à travailler par la qualité de leur sol : je « ne me lasse point d'admirer toutes celles que je parcours; «partout elles semblent n'attendre que des bras et surtout «des bestiaux. Ces prairies naturelles donneront les plus « grandes facilités aux nouveaux colons ; c'est une avance et « une épargne pour eux, au moins de deux arts de travail, « qu'il leur en aurait coûté pour défricher et faire des prai«ries; celles-ci sont faites, il ne s'agit que d'y construire «leurs logements et d'y jeter des bestiaux.»

L'intendant se concerta avec Isfrri: subordonné, et ils réconnurent que, par suite du défaut d'embarcations, il ne faudrait pas moins de trois mois? pour transporter à Kourou tous les passagers du convoi, avec leurs bagages, ainsi que les effets et provisions destinés à la colonie. Il était permis d'espérer que, pendant cet intervalle, les colons déjà établis parviendraient à compléter, malgré la saison, le nombre de cafbetS' indispensables aux nouveaux arrivants ; mais les colons ne se croyaient pas ténus de travailler gratuitement pouf: le roi et po.:r le bien-être général de la colonie 3. Bien

1 Correspondance de l'intendant, lettre n° i.

2 Défense de M. de Clianvalon. . s Ibid. page 252.

Décembre 170Ï.

Les colous rcfu9enl

de se livrer

aux travaux

d'utilité publique.


Décembre 1763.

Retour

•Je M. de Chanvalon

à Caïenne.

Il surmonte

les difficultés

qui s'opposaient

à la sortie

de la rivière

à certaines heures.

Janvier 1764.

Exploration

de la rivière

et de ses bords

pour

l'établissement futur

des i

concessionnaires. I

(38) qu'ils n'eussent point acheté de terres, qu'ils n'eussent payé ni leur passage, ni leur nourriture , ils prétendaient nonseulement posséder immédiatement, mais encore s'enrichir sans peine et sans délais. On conçoit combien ces dispositions devaient ajouter d'obstacles à ceux qui naissaient du climat, du dénûment de l'ancienne colonie,. et de la défiance manifestée par les administrateurs de Caïenne.

A ce. moment pourtant, tous lés coeurs étaient exaltés paf l'arrivée de l'intendant, et cêlûi-ei .comptait beaucoup sur l'ardeur, la confiance, l'union qui régnaient parmi les colons 1.

M. de Chanvalon jugea qu'il était virgént de vaincre le préjugé qui faisait regarder la sortie de la rivière comme impossible, si ce n'est le matin avant le lever: dû vent et dans des temps très-càlmfes 2. Il exerça ses matelots, et leur fit courir des bordées sur là rivière. Le cinquième jour il partit avec le reflux malgré le vent, et sa sortie de 1 à rivière fut accompagnée, comme son entrée, parles acclamations des colons.

Avant son départ de France, l'intendant avait reçu- des sommes d'argent de personnes qui voulaient obtenir des terres à la Guyane. Ce dépôt donna lieu à la division des /êblons en deux classes ; celle des concessionnaires et celle des cultivateurs. Suivant l'aveu de l'intendant lui-même, les sommes versées dans ses mains, soit en argent, soit en billets, montaient à 172,2/17 francs 5 cent. 3 II n'en était, d'ailleurs, que dépositaire', elles devaientctferestituées

1 Correspondance de l'intendant, lettre n° 4.

2 Correspondance de M. de Chanvalon, lettre n°.6.

3 Défense de M. de Chanvalon, page 36.


(h)

à leufs propriétairesM ces dépôts n'étaient demandés aux concessionnaires que comme garantie. On voulait que les $êrres:ne pussent être çQnfiées qu'à des hoinmss qui auraient les moyens de les défricher et de les faire valoir., M-. de Chanvalon dut s'occuper, en conséquence » de faire explorer le pays pour y tracer les concessions. Elles devaient être placées à l'abri des inondations, et cependant situées su? les bords de la rivière; car il était impossible de s'en écarter dans im pays privé de toute autre voie de. eommu*- niçation. A son retour du camp, l'intendant donna l'ordre au sieur Bouiongue, ingénieur géographe du roi, de rempnr ter le Kourou, de lé spnder,, d'examiner les terrains environnants et de tracer les limites des concessions à accorder^ Cette opération, qui aurait dû précéder tonte occupation de la nouvelle colonie, se fit à diverses reprises et dura plus de trois mois.

L'intendant passa à Caïenne la plus grande partie de ces trois mois,. Le débarquement des passagers dans ce port s'accomplissait plus vite que leur transport à Kourou- Quand M. de Chanvalon les eut logés tant bien que, mal dans la ville, il ne se pressa nullement de les faire parvenir à leur destination. Etait-ce calcul, était-ce indifférence? L'intendant a prétend» *. dans le mémoire destiné à sa justification, que toutes ses dispositions pour l'installation des colons étaient parfaitement prises, et que ses soins auraient suffi à,tout s'il avait ;eu le temps de se préparer à recevoir les nouvelles, émigrations que le Gouvernement lui fit passer ayee un empressement bien funesje, E affirme qu'il n'attendàii pas de nouveaux colons avant la fin de l'année; il

1 Instructions particulières données au chevalier Targot, art. 16.

Janvier 1764,

Impossibilité

d'envoyer en France

des lettres

. pour prévenir

l'envoi

de nouveaux colons.


'Février;1764.

Annonce

, de la prochaine arrivée

de la Ferme

avec 413 passagers.

Impossibilité

do les placer

au camp.

■ Préparatifs aui îlets du Salut.

(Ao) rappelle, dans sa défenseV qu'on était convenu qu'aucun bâtiment ne miserait expédié avec des émigrants, avant que des lettres adressées par lui au ministre n'eussent donné le; signal de ces envois. Au moment de son arrivée à Caïenne, un paquebot partait pour France ; il demande qu'on suspende le départ du bâtiment poUr le charger de seslettres; mais c'est vainement; M. Morisse élude cette demande, et lepaquebot part sans dépêches de M. de Chanvalon. Dans les trois mois qui suivirent, pendant lesquels le transport et le placement des colons furent lentement effectués, il ne se présenta pas une seule occasion d'envoyer des lettres en France, et, à vrai dire, M. de Chanvalon ne paraît pas en avoir écrit beaucoup d'officielles.

Quelles que soient les causes de ces contre-temps, M. de Chanvalon fut averti au mois de février que la frégate la Ferme, commandée par M. d'Amblimont, était en route pour la Guyane et qu'elle amenait k 13 passagers. L'intendant courut au camp, qu'il n'avait pas visité depuis les derniers jours de décembre. L'examen le convainquit de l'impossibilité de faire place au surcroît de population qu'on'-lui. annonçait. L'installation des colons des précédents convois ne pouvait être terminée avant six semaines, sans qu'on pût même espérer d'achever, dans cet intervalle, les travaux nécessaires à leur établissement. ■

C'est alors que l'intendant songea à tirer parti d'un groupe d'îlets- situés en face de l'embouchure du Kourou. M^ de Chanvalon les considéra comme le moyen de salut de la nouvelle colonie, et lé nom d'îlets du Salut remplaça leur nom d'îlets du Diable. On fit à la hâte quelques préparatifs pour y placer les émigrants qu'amenait la Ferme.. On


(-4V:)

déblaya les'abords d'une : source située dans le plus grand des trois îlets, on la purgea dés herbes et des plantes qui croissaient dans son bassin 1; des chemins furent tracés, un certain nombre de tentes furent placées sur la plage; et M. de Chanvalon s'empressa de faire part au ministre de cette opération.

•'■•■ H n'est pas sans intérêt de consigner ici les principaux passages des lettres écrites par M. de Chanvalon à Ce sujet. « Les îlets, au nombre de trois, dit l'intendant 2, forment « une espèce de triangle. Ils sont situés à environ trois lieues «et demie ou quatre lieues au nord i/k nord-est, quelques «degrés nord, de l'embouchure de la rivière de Kourou. « Ces îles sont à peu près de même étendue ; la plus coh«sidérable peut avoir à peu près un tiers de lieue de «circonférence, les autres à proportion. C'est à celle-là que «les travaux ont commencé. Elles sont séparées par des «bras de mer très-étroits. Du côté de la mer ou du côté op« posé au continent, on peut les regarder comme inabor« dables, parce que le rivage et la mer qui le baignent sont « exactement couverts de masses de rochers considérables. « Du côté qui regarde Kourou et le continent, elles sont, au « contraire, entourées d'une mer calme et tranquille comme «dans un étang; elle est profonde, on y trouve de cinq à «six brasses d'eau jusqu'à terre, car les bâtiments pourraient «s'attacher au quai, s'il y en avait un. On aperçoit et on «reconnaît de loin ces îles parce qu'elles sont élevées ; les «deux surtout du côté du continent sont en forme de pain «de sucre irrégulier.. Cette forme annonce la facilité qu'on

1 Correspondance de l'intendant, lettre n° 52.

2 Correspondance de l'intendant, lettre n° 12.

Février,: 1764:

Description des îlets du Salut.

et projets que leur situation

fait naître.


Février 1764.

( Aa ) « aura à les défendre et à les fortifier. Elles se défendent «même réciproquement, et pourront protéger facilement « les: bâtiments qui seront en rade, et en fermer l'entrée aux « ennemis par le feu croisé des batteries de bas et d'en haut, « qui seraient établies dans les trois îles.... Elles offrent un « port et un déchargement qui sera très-commode et tfès« prompt- De là on envoie à Kourou dans deux ou trois heures « de temps, soit par bateaux, soit par chaloupe, siles vaisseaux «tirent trop d'eau pour entrer dans la rivière de Kourou ; « s'ils né tirent pas trop, ils peuvent mouiller aux îlets et y « attendre en sûreté la crue des eaux, dans les grandes marées «de la nouvelle lune et encore mieux de la pleine lune. M C'est encore un grand avantage que ces îlets ne tiennent «point au continent. Les Anglais et .tous les étrangers que «nous recevrons ne seront reçus que dans ce port. Par là «ils n'apprendront point à connaître nos côtes, malgré « leur commerce avec nous, et ne verront point l'intérieur A du pays.

«Les vaisseaux, dans cet endroit, seront impatients de «décharger et de partir, parce que ce port, n'ayant aucun «lieu de divertissement, ne sera pas bien amusant, et qu'il «n'offrira pas d'occasion de vendre des pacotilles.;i.';.. . . « Leur situation assure un commerce plus étendu à l'ancienne «colonie, parce que les armateurs pourront envoyer de « plus gros vaisseaux, quileur offrent, moins de frais et de « plus grands bénéfices, qui ne craindront plus de dépasser «Caïenne par la force des courantsj et qui seront assurés «d'entrer dans ce port en tout temps. ;

« Enfin, en occupant ces îlets, nous privons les ennemis ((d'un asile dont ils se servaient en temps de guerre pour


Mars 1764.

Arrivée

de la Ferme;

413 passagers

placés aux îlets

du Salut.

,U3 ) «être à portée de faire des incursions et d'intercepter les «bâtiments.»

Une partie du mois de février fut employée aux travaux les plus urgents pour le premier établissement de colons aux îlets du Salut. La frégate la Fortune y porta, dans les premiers jours de mars, les provisions, les instruments et les effets qui n'avaient pu encore trouver place dans le camp de Kourou, et M- de Chanvalon attendit la Ferme avec sécurité. Elle arriva le 19 mars, et les k 13 passagers qu'elle amenait furent immédiatement placés aux îlets 1. Mais quelles furent les nouvelles perplexités de l'intendant lorsque M- d'Auiblimont, qui commandait h. Ferme, lui annonça la prochaine venue d'environ deux mille autres

eOlOnS! . .;.,_ :..: ■■

L'intendant reporta alors son attention avec plus de sollicitude sur. la formation d'habitations le long des bords de la rivière. Vers la fin de mars,;, M. Boulongue avait remonté le Kourpu jusqu'à la hauteur de dix-neuf lieues;, il en avait:.dressé,}a carte, et.avait tracé;le plan des concessions à accorder et des établissements à fonder f^ L'intendant fit une nouvelle visite au camp. Déjà les carbets étaient encombrés par les - passagers des premiers convois : non-seulement il fallait renoncer à l'espoir d'y, placer les nouveaux arrivants, mais il était urgent d'éclaircp la masse des premiers venus, sous peine de,voir se développer les maladies contagieuses. M. de Chanvalon jugea que le seul remède à ces maux était de disséminer les habitante le long

Nouveau voyage

de l'intendant

sur la rivière.

11 en remonte

le cours

jusqu'à la hauteur

de 19 lteues,

accompagné

de

M. do Préfontaine.

1 Éidt des bâtiments expédiés au port de Rockêfort pour la nouvelle colonie. :2 Proces-verbal ou note du plan de ht rivière de Kourou.


Mars 1764.

Fixation

et délimitation

des concessions

au nombre de 44.

( 44 ) • de là rivière. Peut-être trouverait-on également le moyen d'y placef ceux qu'on attendait encore. - Darisles derniers jours de mars il-partit avec M. de Préfbntaine, et remonta la rivière jusqu'à la distance de dixhuit bu vingt lieues 1. Es étaient guidés par des Indiens et par dès hoirs de l'habitation des jésuites : l'expérience de ces hommes devait être utilement consultée pour déterminer la hauteur des eaux dans les plus grandes crues, et -pouf désigner les lieux qui pouvaient être éventuellement couverts par l'inondation. D'après leurs avis et ceux de M; de Préfontaine, qui habitait la colonie depuis vingt ans, lé niveau des terres fut choisi à une élévation que les eaux né devaient point atteindre. Le premier sourde l'intendant, à son retour, fut de fixer définitivement, d'accord avec les ingénieurs, la position et la limite dés futures habitations. Quelques indigènes furent engagés, ainsi qu'un certain -nbmbrë de noirs libres, pour construire les cases 2, seuls travaux d'installation dont on semblât se préoccuper. Quatre pieux fichés en terre, une couverture en feuilles de palTnief, et, aux environs, les grands bois à défricher, les palétuviers à dessécher; et le désert. Telle était la nature dès concessions accordées. On déposait les colons sous cet abri précaire et insuffisant avec quelques outils et provisions. Si la mort fit des ravages dans le camp, où l'on étaitleplusà portée des secours, à quel point devait-elle sévif parmileS malheureux placés dans de telles conditions ? ' '"

'.'.'■ Les concessions furent tracées sur les deux rives du Kourou, à partir de la sixième lieue en remontant son

1 Conespondance de l'intendant avec le ministre , lettre n° i9.

2 Défense de M. de Chanvalon, page 254. - ....


(* 5 )

cours. Jusqu'à cette hauteur la rivière: est bordée de, palétuviers qui s'étendent quelquefois,; dans l'intéfiéiir, à la; distance de quatre cents toises; mais, à: six lieues environ de l'embouchure du Kourou, on ne trouve plus que la terre ferme, boisée, sans aucune savane 1, jusqu'à un sautfofmé par un banc de roches, à dix-neuf lieues de la mer. Les li-, mites des concessions ne s'étendirent pas plus loin qu'un endroit nommé Château-Vert, à douze lieues, en raison dé ce que la rivière est barrée , dès cet endroit, par un premier, banc de roches, qui ne permet le passage qu'aux chaloupes. On voulait que les premières habitations pussent être visitées par des bâtiments d'un plus fort tonnage. Quarantequatre concessions furent donc tracées : trente sur la rive droite et quatorze sur la rive gauche. On évita de les fixer, sur la partie de la côte où la rivière déborde dans les grosses eaux. Pour s'assurer que les terrains destinés aux habitations n'étaient jamais inondés, les ingénieurs avaient pénétré dans les bois, de distance en distance, tantôt à la hauteur d'un quart de lieue, tantôt d'une demi-lieue -, tantôt d'une lieue, selon que la nature du terrain leur inspirait plus ou moins de confiance. Non-seulement ils avaient rejeté les terrains noyés, mais encore ceux qui, étant à sec au moment de l'exploration, indiquaient, par l'humidité du pied ou des racines des arbres, qu'ils devaient être couverts d'eau à l'époque des plus grandes crues. Le temps que les ingénieurs avaient choisi pour leurs recherches -, c'est-àdire les mois de janvier, février, mars^et avril, étant celui des plus grandes pluies, se trouvait, par conséquent > le plus favorable à un utile examen. . ;

1 Procès-verbal ou notes du plan de la rivière de Kourou.

Mars 1764.


Mars 1764.

Projet

de fondation

d'une ville

chef-Iiou

des établissements

du Kourou.

Premiers défrichements.

Essais de plantations.

(46) .

Immédiatement après là zbriê dés palétuviérsV à l'endroit où avaient été tracées les premières concessions, la rivière fait un coude qui formé une sorte de presqu'île : c'est là que M. de Chanvâlôn et ses officiers voulaient jeter lés fondations d'une ville future *. Elle serait, disaient-ils", àU centre dune partie considérable de la rivière dé Kourou. La petite crique qui se jette, à cette hauteur, dans le cours dé cette rivière pourrait être le commencement d'un canal qui traverserait l'isthme. Ge canal abrégerait la navigation de trois lieues au moins, en remontant bu en descendant la rivière ; il serait d'une utilité sensible pour la ville qu'il

traverserait Elle serait au centre de dix-huit lieues

du cours de la rivière , quoiqu'elle ne fût qu'à cinq lieues et demie de son embouchure : position remarquable et qui la rendrait naturellement le chef-lieu de Cet établissement. Elle aurait encore l'avantage de ne pouvoir être vue de la mer que très-imparfaitement et très-difficilement, à cause des objets intermédiaires et des collines qui se trouveraient au-devant; cependant elle pourrait être traversée par des bâtiments tirant de dix à onze pieds d'eau, puisqu'ils remontent la rivière jusqu'au Château-Vert, àr sept lieues de là. La ville serait rendue, d'ailleurs, du plus difficile accès à l'ennemi, pour ne pas dire absolument inaccessible, en établissant quelques batteries de distancé en distance le long de là rivière 2.

Les projets de M. de Chanvalon et de ses agents ne se bornaient pas, d'ailleurs, à l'établissement des concessions et à la fondation d'une ville. Depuis l'embouchure du

1 Procès-verbal ou notes du plan de la rivière de Kourou.

2 Ibid. •


( *7 ) ■ KouroU jusqu'à l'extrémité des palétuviers, divers défriche* ments avaient été faits sur les hauteurs avoisinânt la rivière ; dés plantations avaient été commencées, et ces abattis s'appelaient déjà des habitations. Tels étaient les deux établissements nommés la Liberté et la Franchise, situés à uûe lieue de l'embouchure du Kourou, sur la rive gauche audessus du camp. Leurs plantations dé mil furent faites, en 176A, sur les deux hauteurs appelées Goudouci et Pariacabo. Elles avaient, en face, la rivière, et, en arrière, une immense savane appelée : savane de Passoufa. Plus haut, sur la même rive, avaient été tracées les limites d'une habitation qui se composait de palétuviers , de bois de terre ferme et de savanes 1. Ces terrains avaient été choisis de préférence par des personnes instruites des qualités d'une terre propre à former une bonne habitation. Une crique les traversait et portait une eau douce et potable dans toutes leurs parties, en même temps qu'elle pouvait être de la plus grande utilité pour les communications. Les savanes épargnaient la dépense et les travaux d'abattis dans les endroits qu'on voudrait mettre en culture, et fournissaient, en outre, d'excellentes prairies pour lés bestiaux; il n'y avait pas jusqu'aux palétuviers dont on. ne pût, avec de l'intelligence, tirer un excellent parti, puisque la colonie de Surinam devait, à cette époque, sa prospérité à la culture . dies terres noyées» exploitées, à la vérité, par le travail des nègres 2.

M. de Chanvalon exprime, dans les termes lés plus cha^ leureux, l'admiration qu'il avait éprouvée dans son voyage,

1 Ptoces-vêrbal où notes du plan de la rivière du Kourou. i Ibid.

Maïs 1764.


Avril 1764.

Arrivée

d'un

nouveau convoi

avec 1216 passagers.

( 48 ) en voyant l'heureuse situation des terrés, leurs bonnes qualités, les facilités et les ressources que les colonspourraient, y trouver, pour peu qu'ils fussent industrieux et laborieux. «Quelle immense et. belle colonie j'entrevois ! s'é«s'écriait-il au retour de son voyage de reconnaissance\; «Jamais, depuis la découverte de l'Amérique, on n'a vu une « entreprise aussi considérable, aussi soutenue, aussi encou«ragée de secours, embrassée avec une aussi grande cha« leur par les étrangers même, à l'envi des nationaux, et «exécutée avec plus de zèle,, de fatigues et de constance , « de la part des chefs à qui elle est confiée !»

Au moment où il écrivait ces lignes, il apprenait l'arrivée d'un nouveau convoi, qui n'apportait pas moins de 1216 hommes et femmes 2, pour la réception desquels il n'y avait pas de logements préparés, pas même de tentes. Les îlets du Salut étaient encombrés par les passagers ■. de M Ferme. Il n'y avait point d'hôpital sur ces rochers ; celui du camp regorgeait de malades, et déjà cent-cinquante colons gisaient sur les sables des îlets, Sans autre abri que la toile* et presque sans secours. Augmenter la population du camp, c'était augmenter l'épidémie dont on avait déjà signalé les symptômes; d'un autre côté, la contagion régnait à bord de plusieurs.bâtiments du convoi; les commandants avaient hâte de se, défaire de leurs passagers, et ceux-ci avaient bâte; de quitter le foyer de la~contâgion. Caïenne fermait son port à ces émigrants 3, écume de la population de l'est de la France, et qui se présentaient sans outils, sans

1 Correspondance de M. de Chanvalon , lettre n° 69. '

2 État des bâtiments expédiés du port de Rochefort^pour la nouvelle colonie.

3 Défense de M. de Chanvalon, pages 243 et suiv.


( 4g.) ' + . .

vivres, sans vêtements, apportant avec eux un,esprit de paresse .et d'indiscipline, dont,on vit plus tard les déplorables effets. Ces malheureux avaient été transportés sur la.Corisante, la.Légère, la Garonne, la .Baleine,, VActif, le Saint-Esprit et le Saint-Antoine 1. C'était le convoi dont la conduite avait été réservée, dans.le principe, au chevalier Turgot : mais celui-ci n'avait pas.cru à propos de quitter Paris. A l'aspect des misères apportées par cette division navale, M. de Chanvalon s'écria , en, s'adressant à ; M. de Préfontaine :,«On veut nous perdre !» Plus tard, ces paroles furent,tournées contre.lui 2. ' , ;, ;

Provisoirement, on avait laissé les,émigrants;sur lesbâtir ments'qui les avaient, amenés 3. La mort, accomplissant une double tâche, diminua, d'une part,,le nombre des, nouveaux venus et, deJ'autre, leur fit place parmi les anciens colons. Les commandants, des divers bâtiments insistèrent, d'ailleurs, pour se débarrasser ; de: leurs passagers. Bon;gré mal gré, l'intendant: dut autoriser le. débarquement. C'est ainsi que 2,3oo hommes 4 furent entassés.aux îlets du Salut, sur,ce.rocher qui pouvait;tout au plus.recevoir transitpirement les quatre cents personnes, amenées par la Ferme. 'y Cependant. M. de Chanvalon écrivait au ministre l'embarras dans lequel, il se trouvait. « Les hommes arrivant «ici par multitude,, disait-il, jtious. serons toujours, obligés «de les rassembler, à, leur arrivée, dans un entrepôtsem«blableà celui-ci,, parce qu'il ne sera pas possible de les

1 État des bâtiments expédiés du port de Rochefort.pour la nouvelle colonie de. Caïenne. '■

2 Défense de M. de Chanvalon, page 238.

3 Correspondance de M. de Chanvalon, lettre n° 49.

4 Défense de M. de Chanvalon, page 243.

Avril 1704.

Débarquement

des nouveaux

émigrants.

Encombrement

des îlets du Salut.

Réclamations

do

. M. de Chanvalon.


< 5o ) . "

«placer dans des bois et des lieux inhabités. Le camp «nous sommes établis ne saurait s'étendre, 'J'ai eul'honneur ■«. de vous l'annoncer en vous envoyant le plan ; quand on le «poui-ràit, les maladies et la contagion s'y répandraient « bientôt « nous l'éprouvions depuis que le nombre des pe^ «sonnes est augmenté. Mais multiplier les campS, c'est «multiplier infructueusement les dépenses, c'est multiplier «les abus et la nécessité de confier les effets de la colonie H-et lés intérêts du Roi à un plus, grand nombre de per;- «sonnes. H faudrait alaïs à chaque camp un magasin dé « vivres et autres approvisionnements ; des hommes fidèles « et droits pour la distribution de ces effets; d'autres « homïnes, encore plus rares ;que ceux-là, pour commander «et gouverner chacun de ves camps et pour y maintenir le «hon'ordre <et la discipline»: En«uppbsant,même tous ces «fcbstaclies levés, ce n'en, serait pas moins un temps pté«cieux que >oes habitants perdraient,, étant oisifs dans le «lieu oùils seraient-campés;; les désordres naîtraient bientôt «•de cette oisiveté;ces désordres seraien!t/ènoofce;augOEaén*és «parl'impatience qu'ils auraient de posséder leurs terres «et de les icultiverv C'est -ce que j'éprouve ici avec dbuleur «par la saison où je suis venu> et je frais croître «kâque « j om les maux «qui doivent résulter nécessairement; de ,cet*é «situtrtioïu Je toe trouve, k ce moment, idansda crise la «phîs violente ©t la plus critique,, »ete. \?a

Par ïnalheur «es ©bsewalfions étaient pepdues pour le ministre, car la correspondance de M. de Chanvalon ne lui parvint que fort tard et lorsque le mal était consommé. Pendant que l'intendant écrivait ces dépêches , les envois

1 Correspondance de M. de Chantaîtin, lettre<n°49.

Avril17C4.

Ces réclamations

parviennent

trop tard

«n France.


( 5i )■■■ d'hommes continuaient. On était pressé de se. débarrasser des iémigrants qu'on avait réunis dans les dépôts de France, particulièrement à Saint-Jèan*d'Angély^ et à Rochefort 1. Eh vain l'intendant avait fait observer, à son départ, que l'entretien et la nourriture de ces hommes, rassemblés trop tôt et fin trop grand nombre, csûteraient moins cher en France qu'à la nouvelle colonie; en vain il avait recommandé qu'on n'expédiât pas un nouveau convoi avant qu'il en «ût donné le signai : la plus grande partie des huit à neuf mille hommes envoyés à la Guyane furent emharqués avant que les plaintes de M. de Chanvalon eussent été reeues en France 2.

Dans le courant d'avril, iefienfarare avait encore conduit à la Guyane 348 colons nouveaux. Enmai, M Deux Amis, le Prince Georges, VAmphfayon, la Balance t le Parhum-, en débarquèrent 960. Apartir de cette époque, la confusion devient telle au Kourou, qia'on perd la trace ides aatees envois de «©Ions, envois qui cbhtinuèrènt pemdant le courant de l'innée jusqu'à là concurrence de près de 9,000, ainsi que le constate M/déChanval©n dans sa défense 3. H déclaré également que l'épidémie régnait à bord de la plupart des vaisseaux; que la majeure partie dés émigrants n'avait ni vivres idoutHs; Comment cette foule de malheuïeuxtf buvâfeelië place dans nan camp d'une étendue à peine suffisante psyur contenir et abriter les 1,429 passagers du premier

Avril Hfiii

Moi 1104.

Arrivée del^OS émigrants.

v ' .Correspondance de M. de Clcannalon, lettre n° 49.

2 Défense de M. de Chanvalon, page 239.

3 Ibid. Voir pages 233-239, etc. "Ibid.


Mai" 1764.'

Désordre

dans

l'administration

de la colonie.

("Sa ) Dès lors le plus grand désordre ' règne sur cette funeste "plage.': Aucun registre n'est tenu; L'intendant et ses officiers cessent de connaître , au ; juste, le nombre des individus confiés à leurs soins. Aucun recensement n'est fait dans le coursde l'administration de M. de Chanvalon. Les: colons meurent, et nul ne sait ce que devient leur héritage. Les concessionnaires périssent, et il ne reste"aucune trace des fonds déposés par eux dans les mains de l'intendant. Des notaires sans brevet, sans patentes, reçoiventdes testaments^ sans les enregistrer, • Les secrétaires de r l'intendant sont: frappés-par la maladie, et on ne tient plus, à d'intendance ;■>■ aucune note des marchés. M. de Chanvalon ne connaît pas même le montant des sommes qu'il a remboursées; à divers concessionnaires : plusieurs reçoiventplus que leur, dépôt'; d'autres sont payés deux fois, soit que: ce doublé remboursement- soit, compté à' eux-mêmes ou à. leurs héritiers-* ; c'est enfin un sauve qui peut général. M; de Chanvalon ressent lui-même les atteintes dé l'épidémie, et,-bien que sa santé né soit-pas sérieusement affectée, les soins qu'elle exige sont nécessairement dérobés autf affaires. Elles deviennent,. d'ailleurs, assez accablantes'pourabsorher toutes les facultés du chef de la colonie. Nourrir cette multitude, maintenir parmi elle une sorte de discipline;, soigner;lés malades s distraire et occuper les sains, remédier au présent et préparer l'avenir, c'était plus; saris doute, qu'il) n'était donné à un seul homme de faire. Ce n'est qu'à grand'peine que M. de Chanvalon parvint à faire vivre au jour le jour le petit nombre de ceux qui résistèrent à tant de maux jusqu'au moment de son arrestation.

1 Défense de M, de Chanvalon. Compte des concessionnaires, pages 23 etsuiv.


(.53) , Il fallait; nécessairement attendre, le mois de juin pour placer le; plus grand nombre possible: de, colons sur les concessions tracées'de. long des; rives,dii Kourou, car c'est à cette époque seulement-que les,pluies, cessent. On voit, dans la correspondance de M. de Chanvalon ,• les moyens quil employa pour distraire.la foule inoccupée du camp. Dès le, 18;février 1764, il. écrivait dans les termes suivants au ministre de la marine.

« J'aurai l'honneur de vous, faire observer qu'à la nou« velle > colonie, quoique, sans meubles et dénué ; de tout, « comme à l'ancienne ; j!ai cru qu'il fallait tout tenter, ettoat «faire pour, des.personnes qui n'ont rien: et qui.sont.sans «ressources, et dont il fallait entretenir la confiance. J'étais «persuadé que, de quelque façon que fussentlesichoses, ils «me : tiendraient compte de ma bonne volonté. Je, ne.me «suis pas: trompé. J'ai donc eu la hardiesse d'y donner.à «manger tous les. jours à deux tables; c'est aux colons eux« mêmes que j'ai emprunté le linge; les couverts, les assiette.?, «ien un mot tous les. ustensiles,, en [l'es rassemblant, de .chez « les uns et de chez les autres. Des.chasseurs et des pêcheurs «que j'avais faisaient: le reste avec tout ce que je pouvais

«acheter.de provisions, des vaisseaux de côté, etd'autre

«C'est avec la même, hardiesse et le même défaut de moyens «que j'ai osé faire. :chez; moi la noce, des premières per«

per« honnêtes,qui, se sont mariées dans, la colonie

«Je; conduisis la mariée : à l'autel. Les propos, les. distinc«lions,

distinc«lions, fut employé et je réussis, l'exemple prit.

«Je saisis le moment où les têtes et les coeurs s'échauffaient «à ce sujet, et, dans huit jours; tous les mariages qui pou«vaient mériter quelque considération furent arrêtés. Nous

;.Mai.a764.

Moyens employés

par l'intendant

pour

distraire

les colons.

Mariages, bancpicts,

construction

d'un théâtre.


Mai 1704.

(54 )

«n'en avons plus que deux ou trois encore de cette espèce, « qui vraisemblablement ne passeront pas le carnaval. Mon « "etour à Kourbu pourrait bien les décider; on veut que «j'y sois parce qu'on est un peu jaloux des distinctions. Il «nous reste encore plusieurs hommes à marier. J'écris à «la Martinique d'engager quelques demoiselles-bien nées « de ce pays-là à passer dans celui-ci, quoiqu'elles n'aient «pas de fortune, pour s'y établir, etc.... *»

C'est à la m'ême époque qu'il faut reporter la construction) d'un théâtre. Ce ne fut pas une construction, dit M. de Chanvalon dans sa défense, c'était «un emplacement où « l'on avait planté quelques pieux, qui portaient une cou«vèrture à peine achevée, ouvert de tous côtés, destiné «à différents usages, dont le plus utile n'avait jamais été « été fixé 2, v Suivântia déclaration d'un prêtre delà colonie, le sieur Brouet, cet emplacement aurait pu être utilisé pour loger le clergé qui était réduit à coucher dans l'église s. Le sieur Chambon, médecin, se plaignit aussi plus tard du refus qu'on lui aurait fait de ce hangar pour placer les malades.

Quelle que soit là portée de ces déclarations, dont l'intendant conteste l'exactitude, il reste prouvé que, pendant les premiers mois de leur établissement, les colons furent principalement occupés à des simulacres de banquet, à des noces, à un semblant de comédie. Les esprits ne se contentèrent pas de ces distractions. Les inimitiés personnelles,

1 Correspondance de M< de Chanvalon, lettre n"19.

2 Défense de M. de Chanvalon, page 219.

3 Ibid.

1 Ibid. page 218.


( 55 )

les calomnies, les scandales publics remplissaient le funeste loisir des. colons.-.Un écrit fut affiché à la porte de l'église de Koteau 1 v on y accusait l'abbé. Bïouet, que, nous venons de nommer, d'être sans capacité, sans talents, sang édifiU cation, sans: naissance, avouée; et, en révélant l'irrégu^ laiité de sa conduite» on lui reprochait le soandale qu'elle donnait..

D'un autre côté, ces hommes, auxquels l'inaction était si funeste, ne voulaient pas travailler^. Suivant l'opinion de l'intendant , om leur avait persuadé, au moment de leur débarquement à Caïenne, que, loin d'être assujettis à aucun travail, ni pbur les besoins publies, ni pour les, concessionhahea, ils étaient destinés eux-mêmes à posséder des coi> cessions^ Ces espérances ayant été déçues, plusieurs ae mutinèrent, et leur soulèvement était d'autant plus dangereux que les maladies avaient déjà décimé les troupes destinées à les, contenir; il fallut, sous un prétexte quelconque, conduire un trèsrgrand nombre des mutins sur la rive droite, où rien n'avait été préparé pour les recevoir, et où ils devinrent promptement victimes de l'abandon et des intempéries du climat 2. Citons encore quelques passages de la correspondance de M- de Chanvalon, pour montrer quelles étaient les recrues qu'on débarquait dans la colonie; nous terminerons ainsi l'esquisse-des désordres intérieurs qui l'affligeaient.

. ; «Daignez; observer, monseigneur, dit M. de Chan«valon , quels hommes arrivent par ces vaisseaux» (il s'agit du convoi amené en mars par M. d'Amhlimont ),

1 Défense de M. de Chanvalon, page 218. a Ibid. page 252. .

Mai 1764,

Soulèvement d'une paitie des colons.

nractère et moeurs dos émigrants

amenés

par les derniers

convois.


M»i,.J7B4.

(56) «avant que nous'ayons eu'le temps, pour: ainsi dire, dé «nous reconnaître et d'assurer aucun;'établissement. 'Des ' «'Allemands qui se'sont:soulevés à Saintes et à Saint-Jéan«d'Angély ! qui ont attaquéies commissaires qui en avaient «la direction ! parmi lesquels il a été si difficile de mettre « quelquéjordre et quelque discipline, aux îles du Salut, que «les vaisseaux du<roi qui y sont mouillés ont été. obligés «dé mettre une garde à terre pour leur imposer h Je ne «suis nullement alarmé par ce que nous'avons:à>craindre «de cette multitude'indisciplinée et décidée ;ïnais que puis«je en espérer pour les premiers moments de cet étabUsse«m'ent? Cependant toutes nos forces pour les" contenir « consistent" en deux compagnies de troupes, qui ; ont été « refondues ', et qu'il a fallu renouveler en engageant quel« ques-uns de ces mêmes nouveaux venus 1 !

« Je rie dois pas hésiter à le dire, ajoute l'intendant, dans «une autre lettre 2, ' tout est perdu sans ressource.". . .:■;.'. . « Indépendamment dés 1,6 5 o personnes venues par ce der«nier' convoi » (M. de Chanvalon exagèrë-t-il ce chiffre à dessein, ou l'état cité plus haut est-il inexact? ) « il envient «par tous les bâtiments de quelque port'de France que.ce «soit, et on m'annonce, au premier jour, un autre convoi « aussi considérable. Il est déjà' arrivé beaucoup de troublés « et de séditions aux îles du Salut', malgré la garde que les «vaisseaux du roi y ont établie à terre. Afin de dégorger «les entrepôts de France on accumule les passagers dans les «vaisseaux; il nous en est venu un très-grand nombre dé «'malades.' Il'y en a plus de 15o aux'îlets ; le nombre': èh

1 Correspondance de M. de Chanvalon, lettre n° 49. a Ibid. lettre n° 61, du 7 avril 1764.


(57 '}•■ «augmente; * nous-.; n'y avons point d'hôpital ; celui-ci et le «camp sont remphs de ceux que nous yiavons*fait trahs~- «portèr et' de ceux arrivés précédemment.»

L'intendant se trouvait dàns: l'impuissance d'apporter- à • tous ces maux d'autre remède que le défrichement des concessions. En mai, quelques cases avaient été construitèssùr les terrains assignés aux concessionnaires. En juin,-un'bateau fut chargé d'approvisionnements en outils .vêtements,'etc. pour ces établissements; il était' destiné-à servir de magasin ambulant sUr la rivière, pour le besoin des différentes habitations ^jusqu'au moment où l'on pourrait en-établir un permanent ; ce bateau resta dans lé port plus d'un mois faute d'équipage.-Dans ce même-mois, la contagion fit de si grands progrès que toute espèce-de transport devint impossible. L'épidémie s'étendit dé plus en plus dans les mois suivants.Trois mois s'écoulèrent avant que les propriétaires, lés cultivateurs'et les matelots pussent se rendre Sur les : concessions- 1 ! Ainsi ces concessions, reconnues dès le'mois de janvier, ne purent recevoir leUrs habitants qu'en sep' tembrè bu octobre, précisément au moment où les pluies recommencent à la Guyane. ;

Quelques jbUrs avant la distribution des concessions, l'intendant fit annoncer à Kourou la date précise de' cette ' distribution, en* indiquant les raisons qui avaient dû la faire r suspendre 2. AU jour dit, en présence dé toutes les personnes ! chargées, à'Kourou j de fonctions publiques, on plaça-sous les yeux des concessionnaires assemblés ce même-avis qui '"- avait été affiché ; -ils le signèrent et partirent. successive1

successive1 defâtl. de Chanvalon, page 247.

2 Ibid. page 248.

■ .' Mai. 1764."

Fuin, juillet et août 1764.

C'épidémie retardo l'établissement

des concessionnaires

sur les terrains

concédés.

Septembre, octobre

et

novembre 1764.

Distribution

des concessions;

Transport

d'un certain nombre

de colons

sur ces nouveaux

défricbements.


Septénaire, octobre et novembre 1764.

Découragement

des concessionnaires

transportés

sur les Lords

de la rivière.

(58) ment pour prendre possession de leur propriété •*. L'intervahe de trois mois, pendant lequel ce départ avait été forcément ajourné , avait permis à l'intendant. d'établir un magasin permanent sur la rivière : nous avons indiqué plus haut la position de ce magasin, à la droite du camp. Chaque concessionnaire reçut, des mains du garde-magasin, les vivres qui devaient servir à sa subsistance et à celle des cultivateurs placés, sur son habitation, pendant un temps assez considérable 2. On régla que des chaloupes et des pirogues partiraient régulièrement du magasin, pour distribuer sur les concessions l'approvisionnement général. Une feuille, également affichée à la porte du magasin, indiqua, d'une part, la quantité de vivres, de vêtements et d'outils envoyés de Kourou au magasin de la rivière, et, de l'autre, la quantité qui devait revenir à chaque concessionnaire, en raison du nombre de ses cultivateurs.

Les premiers concessionnaires ne furent définitivement établis sur les bords de la rivière que dans les derniers jours d'août. Loin de se féliciter d'échapper par cette séparation à l'épidémie qui régnait dans le camp, ils la considérèrent comme un affreux exil. Ces malheureux, qui avaient sacrifié leurs économies dans l'espoir d'acquérir de brillantes propiétés à la Guyane, se virent assigner, avec effroi, une vaste étendue de terre déserte et inculte, en échange du coin de terre bien cultivée qu'ils avaient vendu en France. Déposés presque seuls au milieu des bois, ils se sentirent atteints du plus complet découragement. Sur qua«- rante-quatre concessionnaires, vingt à peine tentèrent de

1 Défense de M. de Chanvalon, page 248. 3 Ibid. page 255.


( % )

mettre en valeur une portion du terrain qui leur avait été assgné ; les autres continuèrent la vie inaetive dont ils avaient contracté la fatale habitude; consommant quelquefois en un jour les provisions qui leur étaient accordées pour une semaine, appelant, par leurs excès mêmes, la maladie que la vie la mieux réglée pouvait à peine conjurer; puis, se couchant sous, leurs carbets, pour mourir avec le fatalisme des Indiens, sans tenter un seul effort capable de les tirer de leur état de misère 1. Un sieur Mallard, conces*- sionnaire, rapporte,: dans sa déposition, que, sur le nombre des cultivateurs attachés à son établissement, l'un, après avoir combattu la faim, se pendit de désespoir, et que six autres moururent; mais le sieur Mallard ne dit pas que ce déplorable événement fut le fruit d'une négligence commune à la plupart de ses pareils. Effrayés de leur solitude, les concessionnaires n'aspiraient qu'au séjour du camp ; ils s'y rendaient sous prétexte de renouveler leurs provisions. Leur absence, qui ne devait être que de quelques jours, dépassait souvent plusieurs semaines. Pendant cet intervalle, les cultivateurs abandonnés manquaient de vivres et succombaient dans les tortures de la faim ou dans les angoisses de la maladie 2.

Ces traits d'une négligence cruelle se renouvelèrent si souvent, et leurs conséquences furent telles, que l'intendant se vit dans la nécessité de défendre formellement aux con^ cessionnaires de quitter leurs concessions 3. Cette défense avait le double but d'empêcher les possesseurs de terres

1 Voir défense de M. de Chanvalon, page 249 et passim. 1 Ibid. page 258. 3 Ibid. page 254.

Septembre, octobre et novembre'1764^

Défense de quitter les concessions

pour venir au camp^


Septembre,. octobre " et novembre 1764.

(60) d'oublier leurs;:cultivateurs - dans les 'distfàctiôris-sqUé--lèUr offrait! le ■: camp de Kourou,' et: de les forcer- à Se-îEvrèr aux travaux ■ d'assainissement : et de culture qu'exigeait> leur établissement..La"rigueur nécessaire de cette.défense fut, du reste, tempéréeparl'exéçUtion: Un sieur Pezard venait d'être établi gardé du magasin, delà rivière, àtlépoque :OÙ cet arrêté* de ^intendant; fut proclamé ; il était jugèïdës ■motifs^ qui pouvaient justifier la venue: exceptionnelle dés concessionnaires 'à; Kourou ,ret nul me.;l'accusa rd^unë trbp ■grande sévérité: L'arrêté disait'. «Ii.ne sera permis' à aucun (('concessionnaire.de venir à:Kourou, si; Ce ntest pour raison «de maladie,,ou autres causes aussi légitimes,'dont il sera «renducompte au sieur Pezard, qui jugera s'il'y a lien: d'y « venir et en donnera son permis 1. » Or le sieur Mâllard, qui-se porta plus tard accusateur de l'intendant,-put, -sous prétexte;, de maladie, venir ' porter ~ ses plaintes Ï à ' Kouïbu plus d'une fois, en montant sur un ' bateau : qui avait, - dit-il, lès ordres les plus formels de le laisser à sonhabitation 2. On voit, d'après ce témoignage même, que.!es; ordres-de cette nature pouvaient être facilement éludés.

: Au reste, quelques exemples; qui appartiennent à la même époque, semblent prouver que les coricessionnairesaUraient pu, avec duzèle et de l'industrie; non-seulement éviter une partie des: désastres dont ils furent accablés y maissenëbré fonder des habitations susceptibles d'acquérir quelque prospérité. La riche hàbitation;dés^jésuites,. située sur la rive droite du Kburou,- ne saurait être: citée à l'appui de cette opinion, parce qu'elle était cultivée par des noirs. Mais on peut men1

men1 de M. de Chanvalon, page 260.

2 Ibid.


( <u< )

tionner les-établissements formés; sur la?rivé gauche par le s barond'Haugwitz;l'Un des plus importants concessionnaires,, et'ceux créés plus.tàrd,par le. barôndeBessner;; Ce dernier plaça à la Guyane dix familles ahemandes.;Plusieursprospérèçent parl'brdre et.le travail,r tandis; que les, autres :se; ruinèrent par,laparesseiet larévolte; 1. .-h > . ■■' ■■ Avant ; de rapporter l'événement par lequel: se termina. l'expédition du Kourou, c'est - à - dire l'arrestation de l'in*- tendant., il faut : exposer, succinctement la situation,, du < camp à l'arrivée ■ du gouverneur. .. On; a, vu plus haut, que lajdémorahsation et le désordre y étaient extrêmes: La plupartdes employés, et fonctionnaires étaient morts ou mou-; rants,. L!épidémièr.avait, atteint l'intendant lui-même; il bornait ses soins au maintien de quelques mesures de police indispensables- au. salut, de: ceux qui- pouvaient ; encore être sauvés..Dans, de telles: circonstances, tous projets, pour l'avenir de.la.colonieavaient étaient suspendus;,Les travaux d'une Uti3.ité.immédiater étaient ^accomplis avec répugnancepar des. gens réduits au?désespoir ;.à plus forte?raison les„ travaux qui ne devaient avoir, qu'un résultat éloigné, tels que les défrichements; la construction de nouvelles cases; étaient- - ils .abandonnés. Chaque jour on. choisissait parmi les colons ; vahdes ides hommes decorvée pourêtre; employés, soit: à la, boulangerie; soit à l'hôpital,, soit à divers travaux de menuiserie, de serrurerie, ou enfin à lâchasse, à la pêche, au, jardinage ,et, au: soin des. bestiaux: Le i.8< octobre 176/i, quaranterquatre honimesétaient occupés à ces:travaux;,que; l'intendant appelle travaux détachés ; le 2 2 novembre et le 16 décembre de la même année, leur nombre était réduit

1 Défense de M. de Chanvalon, page 253.

Septembre;,,: octobre et novembre 1764,

Décembre 1764.

Situation du camp

de Kourou,

à l'approcbe

de l'arrivée

du gonverneur.


tDfcaabr» 1764. .

Troubles

au sujet

des distributions

(le la viande fraîche.

à dix-huitl. Cette diminution indique, à la fois, l'ittdiffé^ rence des colons pour la conservation d'une vie misérable, et raccroissement effrayant de la mortalité. Au reste il n'est plusquestion, à cette;époque, ni: des banquets, ni des mariages, ni des représentations théâtrales qui avaient un moment distrait la colonie de ses anàmx; Pespsrit des colons n'fistplus éveillé par des satires affichées à laporte dëi?égiise dn camp ai II n'y a plus: de: plaintes; il n'y a plus de querelles;, si: ce n'est pour--.ladistribution^ la^vdànde fraîche, de l'eau et dés. remèdes. Les griefs «des -colons rïôhtdésormais plus dautre obj et. Us ne songent qu'à assurer leur subsistance journalière, étions leurs voeux se résument dans là venue du moment où il leur isera permis de quitter cèfte terre abordée ai joyeusement quelqoeesmoisaupârâvà^'-

Les fonEtkttnnaires et les inalades avaient dbaità^rne distribution, de; viande fraîche. Bientôt le' nombre de: ces derniacs dépassant toufies les préviskwïSv ïl fallu* mettre tout le inonde* âia ifation. Dès lors u©e active suwëfllairi|ee, une jalousie inquiète siu'virent d'un oeil envieux «chaque morceau qsse lé boucher (coupait ieitebîn à la porte delïïn-^ tendance^ On évalua les portims: avec la partialité du besoin. Des haines, des rixes violentes:, nâquirentdè la préférence obtenue par ."Pua ou par l'autre; La prov&itsâ de M.dsCbottBPai<snfut prMcapalement examinée aveelasplus soupçonneuse inquiétude. Chacun ceux qui se voyaient écartés ade la distribution journalière établit un contrôle infidèle sur la quantité de viande fraîche que Pintenâàttt

1 Défense de M. de Chanvalon. Mouvement du camp, page 212. s Voir Défense de M. de Chanvalon. s Ibid. page 221.


J63),

s'allouait à lui-même, Aussi, à l'arrivée de M. TuEgot,, ce fureut des réclamations unanimes» M» de Chanvalon avait refusé de la tortue, de la viande fraîche, dans des cas de maladies désespérée, à telset tels, qui pourtant n'étaieâtpoùit moits» ainsi que le prouvaient leurs elameurs1!.

Il en était de même pour l'eau, Le puits crewsé près de l'intendance était le seul quifoutnît de bonne eau2* Cependant -une source coulait à PariaGabo, a une demi-lieue du Gamp^M.deGhanvalon y fit sa provision, usant ainsi ides moyens, de transports qu'il avait à sa disposition, pour réserver aux habitants du camp toutes les ressources du puits placé à la porte de leurs demeures- Mais aussitôt cette source fut assiégée par la foule, et personne ne voulut puiser de l'eau au puits de l'intendance; il ÊdJut placer ran gardien à la source de Pariaeabo , sous peine de voir la foule laisser perdre Peau du puits-, et épuiser la source^ E fen résulta que l'intendant fut accusé de vouloir accaparer toute Peau de Pariaeabo pour son préppê -usage. Où doit * s'étonner qwe M.. Turgot ait donné cnéanice à ces réclamations injustes 3.

On s'était ému, en France,, des désastres de la<Gmyane. fie lae fut pas sans éprouver «m vif sentiment de surprise et-die . douleur que Je gouvesnement vit une «expédition pour le succès de laquelle il avait été fait tawtt de sacrifices, iet qai s?étai* annoncée sous db si heureuxauspicès, menacée dkme déplorable issue. Les nouvelles qui arrivèreraît, isans laisser en&jevoir toute l'étendue dm anal,, étaaeiajt assez. rtristespour

1 Défense dé M. de Chanvalon, paye "%M. a Ibid. pages 224 et suiv. 3 Ibid.

Décembre 1164.

Troubles

au sujet

do la distribution

de l'eau.

Mesures

prises en France

pour remédier

aux désastres .

do la colonie.


Décembre^. 1764.^

■ /■ '■

i

Dissentiments

du gouverneur et de l'intendant*

(.64):

faire sentir la nécessité de prendre.dés mesures propres à* assurer le salut delà colonie; On s'empressa', de rédiger dans ce sens des instructionsidétaiHées,pour le gouverneur général, en l'invitant ; à se. préparer àâm prompt départ; Malheureusement, au lieu de rechercher quels pouvaient? êtrelés vices du plan d'émigration adopté, et de le modifier d'après les: conseils et les .plans des gens du pays, on pré-., fera rejeter- sur un homme tous les malheurs et toutes les . fautest qui pouvaient être le résultât des mesures mêmes que, cet,homme avait été chargé d'exécuter. Les esprits étaient alors aigris contrel'intendant, et les discours de • M. Turgot n'étaient pas de nature à calmer leurirritation. Les. dissentiments j;du.gouverneur.général'et de l'mtendant dataientde, l'époque du. départ de ce dernier. Dès cembment des disçussionsi s'étaient, élevées entre lesideux fonctionnaires tant sur Putilitéde.divers mesures^ que sur le mérite etl'oppor-. tunité: de .certaines ; nominations. M; dé Chanvalon, qui sentait peser, sur lui, la ; responsabilité de l'exécution du plan arrêté, s'était cruledroitdeTéclamer contrel'incapacitéide plusieurs employés nommés par M. Turgot.' Celui-ci avait prisombràgeldes observations de son<subordonné; il s'était mêmelàisséempbrterjusqu'àle menacer dé ne pâs;râiifier les actes de son.administration ^.L'intendantpartitde France, sans qu'une «réconciliation, eût: été opérée; entre lui etsori, chef; eti'antipathieidu gouverneur contre.M. de Chanvalon. subsista; Dès le 2 lévrier - 176k, M. Turgot porta plainte,auv ministre»contrel'intendant 2. Il fut malheureusement entre-,

1 Défense de M. de Chanvalon, page,262. ,.:'••■,■...;. :. ■ , '

s Résumé de l'administration de M. Turgot, axec l'avis, du rapporteurCet des commissaires.


( 6.5. ) tenu dans ces fâcheuses dispositions par les ambitions qui fermentaient à Paris et à Caïenne. La résistance sourde et passive de M. Morisse, subdélégué de l'intendant, aux ordres de ce dernier a déjà été signalée plus haut. Il n'était peut-être, à cet égard, que l'écho du mauvais vouloir des anciens colons contre les nouveaux. Mais M. de Chanvalon l'accuse formellement d'avoir ambitionné le titre d'intendant -de la colonie. E est certain que M. Morisse s'unit plus tard à M. Turgot contre M. de Chanvalon.

Quoi qu'il en soit, les plaintes du gouverneur au sujet de l'intendant étaient tellement accréditées à cette époque, et il faut dire aussi que l'événement semblait les avoir si bien justifiées, que le rappel de celui-ci fut résolu. M. Turgot fut l'homme destiné à réparer les malheurs qu'on attribuait à l'administration de son délégué.

Des instructions très-détaillées, et qui n'avaient pas moins de quatre-vingt-un articles, lui furent remises au moment de son départ pour la Guyane. Elles portaient en substance 1 :.'•■'

« Le chevalier Turgot se rendra sans délai à la nouvelle « colonie-, à l'effet d'examiner tout par lui-même sur les « lieux , et, après y avoir demeuré le, temps nécessaire, il « reviendra rendre compte du tout à Sa Majesté.

«Aussitôt.son.arrivée, il se fera rendre compte de toutes «les opérations relatives à l'établissement de la nouvelle « colonie, se fera représenter tous les registres, états de re« cette et de dépense, et établira, d'après ces états, un tait bleau.général de la recette et de la dépense, à l'effet d'en « vérifier le montant et l'utilité. Il se fera également remettre

'Instructions données' par Sa Majesté au sieur chevalier Turgot...

■5

Décembre .1764.

• Instructions

données à M. Turgot

au moment

de son départ

pour la Guyane.


( 66 )

Décembre 17W.

« les états de tout ce qui se trouverait dans lés magasins de «Sa Majesté, ainsi qiie lés états des hôpitaux, dont il fera «la visite pour s'assurer que les malades y sont bien trai«tés.

« ïï examinera la conduite de tous lès employés, et même «celle des officiers nommés par Sa Majesté pour com« mander dâùs les différentes parties de la Guyane ; avec « àUtbrisâtioii de suspendre les uils et les autres au besoin, « et de pourvoir provisoirement à leur remplacement.

« Au Cas bû le sièur dé Chanvalon reviendrait en FrânCe, « conformément aUx ihstructibns particulières données au « chevalier Turgot, le sieur Morisse sera chargé, en sa quà«lité dé sùbdélégùë général, de faire les fonctions d'mtfen«ûaht dans toute là province dé la Guyane jusqu'à cfe qu'il « en ait été autrement ordonné.

« Le sièur chevalier Turgb't fera Uïï rëcërisëmèrit général «de là pbpiiïâtibn, avec état séparé de tous les-transports «dé colons qui auraient été faits par différents vaisseaux; « pareil état sera tenu de tous les mariages et naissances qui « auraient eU lieu datis là nouvelle colonie.

«L'argent consigné eh France par les concessionnaires, «pour leur être rëmisi; sera versé dans lés mains 1 du'tréso^ « rier de la colonie, lequel bpef erâ le remboursement aux « |irbpriétàir'èsvgrMmtëtiiefit et saris âticMe retenue-.

« Un projet dé règlement sera fait par le chevalier Turgot " « polir fixer, à l'avenir> là distributibft dés concessions. «Celles qui pourraient avoir' été accordées p'àr le Siêùr de «Charivàlbri suhsitéront, ' àuJ moins cfellèâ sur lesquelles les «habitante auraient déjà' commencé des défrichements.

« L'établissement du Kburoit pouvant n'être pas suffisant


(67) «pour le nombre d'hommes qui auraient déjà passé dans «là colonie, le chevalier Tiirgot est autorisé à en transporter « une partie spécialement sur la rivière d'ÂpproUague qui, « étant au vent de Caïenne et étant navigable par lés plus « gros bâtiments , paraîtrait présenter des avantagés parti«CUliërs.

«Sa Majesté autorise le gouverneur à ordonner que les «habitants qui n'ont point dé fonds et qui doivent être «nourris aux dépéris de Sa Majesté pendant deux ariâ, rie « recevront leurs rations qu'en rapportant le certificat du «travail qu'ils auront fait, moyennant salaire, pendant un « certain nombre de j ours de la semaine.

((Le sièur chevalier Turgot formera ces établissements de «là màriièr'éià plus propre à les mettre à l'abri d'msUltës; « il lés éloignera, pour cet effet-, suffisamment dé là mer, et « laissera entre ëùx et elle une lisière de bois dé trois bu «quatre lieues.

«Il défendra qu'on fasse aucun abattis, hors ceux riécés«sàirés, ânn d'empêcher la dégradation dés bois.

« Il se concertera avec les commandants particuliers, lès «ingénieurs et les habitants les plus intelligents, pour fixer «là position dés villes -, bourgs bu autres lieux d'hàbitàtibri «principale à établir dans chaque canton où Se trouveraient «des habitations; il fera dresser, à cet effet; des plans figU«râtifSj et lés enverra au secrétaire d'Etat de là màf-irié; avec «urimémbirê Où "Seront détaillées les raisOïis qui auraient fi fait donner là préférence à telle ou telle positibik

«Sa Majesté autorise lé gouverneur à former un projet «relatif à là division de là Guyane en un certain nombre de « Communautés bu paroisseé, qui auraient chacune Une ad5.

ad5.

Décembre 1764.


Décembre 1764.

( 68' ) « miriistration municipale dont elles nommeraient les bffi«ciers. Provisoirement le gouverneur pourrait nommerj où. « besoin serait,-- un juge municipal chargé dé police.

«Après avoir solidement établiles hommes-qui seraient « déjà passés à la Guyane, le gouverneur devra s'assurer du « nombre de ceux qu'on pourrait y faire passer commodé« ment, eu égard aux subsistances qu'elle est en état de «fournir, et en rendre compte à Sa Majesté. A l'arrivée de «chaque nouveau bâtiment, Un recensement des personnes «qui auraient été embarquées sera fait; on dressera égale«merit un état des vivres que ce bâtiment aura apportés. «A l'égard des demandes que le gouverneur sera dans le «cas de faire pour les besoins de la colonie ,-■ il lui est re« commandé de donner le premier rang à celles-qui con« cerneraient la subsistance , l'agriculture, les défrichements « et la population, sauf à s'occuper ensuite' de celles qui au« raient rapport à la défense, à la commodité et au com« merce de la colonie.

« Le gouverneur visitera lui-même les principales parties « de la Guyane et fera ses observations sur la nature du. sol, « sur là situation et la profondeur des principales rivières. « H dressera aussi un relevé exact du gisement des côtes, «des sondes, des courants, ainsi que de l'embouchure et dé «la position des rivières.

« La colonie devant être formée par des blancs, le gou« verneur portera son attention principalement sur l'exploi«tation des, denrées nécessaires la vie, tels.que le;riz; «maïs, les patates, les ignames, lès bananes, ètc.:ILtfaura' «pas moins à coeur la multiplication dès bestiauxjtrou« peaux, volatiles de toute espèce, chevaux et autres àni-


(69) . . -. -

« maux utiles. En conséquence il n'omettra rien pour ouvrir, « soit avec les Espagnols, soit avec les portugais de Para, un «commerce capable d'en fournir la colonie, et, d'une autre «part, il ne manquera pas de donner ses soins à perfection-' .«ner des prairies et savanes naturelles, et à en former d'artificielles. En outre, il achètera, pour le compte de Sa «Majesté, un certain nombre de bestiaux, qui seront ré« pandus sur les savanes appartenant à Sa Majesté, pour y « devenir sauvages et y multiplier en liberté.

« Le gouverneur fera tout pour gagner à: la nation fran«çaise

fran«çaise coeur des Indiens, et pour en attirer le plus qu'il

«se pourra sur les établissements. Toute insulte quileur

: « serait faite sera punie sévèrement par le chevalier Turgot.

« En cas de guerre entre eux, celui-ci évitera de prendre

' «aucun parti, et tâchera de les ramener à la paix par toutes

«les voies de conciliation.»

Ces instructions étaient terrhinées par des avis sur la . conduite à tenir avec les colonies voisines, et par des règlements Concernant les attributions du gouverneur, l'administration, les cours de justice, la police, les affaires ecclésiastiques , l'organisation militaire et le commerce de la , colonie. Une clause spéciale portait défense formelle, aux , employés et fonctionnaires, de se livrer directement ou indirectement à aucune espèce de commerce.

M. Turgot reçut, en outre, un supplément d'instructions relatives à M. de Chanvalon. Elles prescrivaient d'examiner s'il était vrai que l'intendant, n'eût remis aux concession-, naires aucune reconnaissance des sommes déposées dans ses mains, et surtout si M. de Chanvalon avait omis de. remettre au trésorier de Caïenne le registre qui devait préDécembre

préDécembre


Décembre 17G4.

Arrivée

de M. Tnrgot

à Caïenne.

'. " ( 7P ) .

§enter le montant des sommes reçues, par lui. L'-mtendant étant également suspect d'avoir emplpyé, soit les fon^s des concessionnaires, soit l'argent du roi, aux opérations, d'un çpminerçe clandestin, M. Turgot était averti de vérifier ces faits. Une lettre ordonnant le rappel de M. de Chan>falpn avait été remise au gouverneur : mais on n'avait pas prévu que les choses pussent être assez graves pour motiver, une arrestation. " . •

A la fin de décembre 1764, M. Turgot arriva gn rade de Çaienne. La mer était houleuse, sa, violence rendait difficile la descente du navire et le débarquement. Le gouYerneur fut si effrayé qu'il fit un vcpu 1 pour obtenir un heureux trajet du navire au port. Ce fui: le premier symptôme des, accès de terreur de M. Turgot. Dans la suite, il ne put se décide? à.'se rendre au camp de Kourou, tant il redoutaitla contagion dont ce lieu: était considéré comme le foyer. Ce fut encore cette terreur qui l'engagea à quitter précipitamment Ga,ïenne trois mqis apr-ès son arrivée. Il n'exécuta, d'ailleurs, aucun article dp ses instructions, etspn passage à; la Guyane ne fut marqué que par, l'arrestation de M-de Chanvalon. ,

Le 2§ décembre , il fait Qpéj.?er cette/ arrestation qui n'ayait pas été décidée, qui n'avait pas même été prévue, dans les instructions du gouvernement En quelques heures My TnrgPt eut-il le temps d'approfondir les faits, ou ne fitril que céder au sentiment de viplenlje animpsité qui le dominait? Quoi qu'il en soif, _A|, de Chanvalbn fu| conduit en prison à Caïenne et gardé à vue. Pendant ce. temps. Je gquverneur, sans vpul.qjr entrer en expheatipn avec, l'in1

l'in1 de M. de Chanvalon, page 245.

Arrestation do l'intendant.


(7* ) tendant, -«faisait saisir tous ses papiers,, et réunissait les téinoins qui se présentaient pour déposer contre lui. Au dire de M. de ptianvalon, le chevalier Turgot aurait fai 1 battre la caisse pour inviter publiquement ceux qui auraient quelques plaintes k porter contre l'intendant à }.es, lui adresser 1. M. de Chanvalon fait plus : il accuse 2 je gpuyerneur et se? officiprs d'avpir « offert de l'argent pour faire « déppser pontre lui. » Cependant les effets et le niobilier de l'intendant ayaienj; éfé saisis pour garantie du remboursement des concessionnaires. Soit par négligence, soit par palcul .coupable,. fyï. de Çbanyalon n'avait point tenu registre de leurs dépôts.. Il avait donné recpnnajssance des sommes reçues ; il reprenait ces reponnaissances ef les détruisait après le remboursement. Il est possible gue dps émigrants cupides aient voulu exploiter h leur pjçpfft &e désprdre ' daps la comptabilité, en réclamant ce qu'Us n'ayaient pas versé pu cp qui leur avait été restitué.

D'un autre côté, il était facile aux accusateurs de M. 4e Çhanvalpn de tourner pes faits à son désavantage, et ,d'y trpuyer des preuves de ppnpussipn. One prôcédurp criminelle fut 4°nc intentée à .Gaïenne pgntre l'étendant. Il .était accusé : d'avpir détourné, les fonds des ponpessionjiaires ; 4'3vpir dépouillé les héritiers naturels, 4e pertaines .successions yacainte,? : dVyoir abusé des. effets etdenier? 4U roi; ^ayoù" fait un commerce illicite eu prenant intérêf 4§ns les fG:¥rPJtUre.^ 4U rPJ- Peux >cbpfs de l'accusation intentée contre lui portaient sur son administration civile et religieuse et sur le traitement et l'établissement des colons.

1 Dêfensfi.4eM. deÇhàrivalon, page 216. » Ibid. page 217.

Wcemlro 11764.

Chefs d'accusation

contre

l'intendant.


Décembre 1764.

Rigueurs

do M.-Turgot

à l'cgûrd de l'accusé

et de sa^famille.

Janvier, février et mars 1765.

Administration de M.. Turgot..

. ■'(■"**. > ...V. •''

Pendant l'instruction de cette procédure,'l'intendant fut tenu au secret. M. Turgot agissait, du reste, à son égard avec tant de violence, qu'il refusa même de donner acte des différentes réquisitions formées par le prévenu, et que ses procédés envers madame de Ghanvalon prirent le caractère "d'une véritable persécution 1. -

Ce fut seulement après avoir assuré la détention de l'intendant, et après avoir çéuni les éléments de son procès, que le gouverneur songea à ses instructions. Elles' lui prescrivaient plusieurs mesures qu'on avait jugé propres à relever la colonie et à réparer ses maux. M. Turgot voulut au moins paraître en faire exécuter quelques-unes. H chargea son aide de camp, le chevalier de Balzac, de faire le recensement de la population du Kourou.' Ce recensement fut commencé le 1 o janvier 1765. M. de GharivalÔn n avait laissé aucun registre, aucune note qui indiquât; soit le nombre exact des colons venus de France, soit le chiffré précis des cultivateurs établis tant aux îlets du Salut, qu'au camp de Kourou et sur les concessions le long de la rivière. On compta 918 survivants ; il fallut s'en rapporter- aux témoignages pouf évaluer le nombre des morts.' L'enquête à laquelle dut se livrer lé chevalier de Balzac aboutit à constater le décès de 1,1 k3 individus seulement. D'après "ce résultat, le chiffre de la population débarquée à là nouvelle colonie ne se serait pas élevé à plus de 2;361 personnes. Lé relevé du chevalier de Balzac est donc évidemment trèsincomplet" 2. ,. ■■'"'''.•'- ■-■■■■'-■

Recensement incomplet.

1 Défense de M. de Chamialon, page 217.

2 Nous avons constaté, d'après lés documents officiels, que présidé 5,6oo colons avaient été transportés au Kourou. Nous avons vu que M", de Chanvalon


173) \ Cet officier, d'après le recensement particulier qu'il fit des habitants établis sur les concessions, constata l'existence de 97 individus et la mort de 1,089. Ce-fut donc parmi les malheureux concessionnaires et les cultivateurs, qu'on avait voulu soustraire à l'épidémie du camp, que la mort fit les plus grands ravages. Sur l'habitation-de Passoura on trouva 8 hommes vivants, tandis que 3 5 0 colons environ y avaient été placés *. Le sieur de Balzac dit au reste : « Nous ne com« prenons pas les existants sur la rivière au nombre des «habitants du Kourou. Le triste état où nous les avons «trouvés ne nous permettant pas d'espérer, supposé qu'ils

lui-même porte à 9,000 individus des deux sexes le nombre dés émigrànts amenés dans la nouvelle colonie. M. Malouet, dans son.ouvrage intitulé : Mémoires et correspondances officielles sur l'administration des colonies, tome I™, page 6, fait monter à i4,ooo le nombre des individus qui furent conduits au Kourou. Combien donc de familles s'éteignirent sans laisser tracé de leur existence ; combien d'individus isolés périrent, sans que le souvenir de leur mort fût conservé dans la mémoire de personne !

Le nombre des cultivateurs établis sur les concessions n'aurait pas dépassé, suivant le recensement, 1,186 personnes; mais ce cbiffre est tout au plus approximatif. En effet, comment aurait-il été possible de constater exactement , le chiffre des morts sur des habitations désertées par les survivants, comme celle du sieur Mallard ? La plupart du temps c'est par le compte des fosses nouvellement ouvertes, que le sieur de Balzac évalua le nombre des morts. Au reste, on ne s'étonnera pas de l'inexactitude des calculs de cet officier, s'ils furent faits avec là révoltante légèreté que M. de Chanvalon lai reproche ; légèreté qui semble attestée par le fait suivant emprunté textuellement à la défense de l'intendant : .0 Le verbal du sieur Balzac énonce que, sur l'habita« tion de M. Marcenay, on a trouvé une femme qui a remué deux fois' le bras. «Ce signe funeste effraya et n'émut pas. On ne tenta aucun secours. Gette vic.«tirne.fut abandonnée au milieu des cadavres qui l'entouraient. 5 (Voir, quant à l'objet de cette note, la Défense de M. de Chanvalon, page 253 et passim, et le Recensement général des habitants du. Kbûroui) 1 Piecensement général des habitants da Kourou.

Janvier, février . et mars 1765.


(-74-)

Janvier, février et mars 1765.

Les colons qui survivent sont oublies.

«se rétablissent,' qu'ils puissent jamais rendre aupun ser» vice-à là colonie f. »

Il paraît que M. Tinigoî, en débarquant ^ Çaienne/ ajouta à la série; de ses fautes celle d'oublier les malheureux colons répandus sur les concessions 3, M? de Chanvalon mis en prison, les employés de la colonie qu'>affec|ait plus ou moins la disgrâce de leur chef, et qu'effrayaient les menaces générales du gouverneur, abandonnèrent les devoirs qui leur étaient confiés. Le sjoi|(4e§ malades fijt négligé, les approvisionnements furent, suspendus j ce fut une désorganisation complète. Les vivres ne venaient plus au magasin, et, s'il en restait encore, il ne se trouva plus personne qui voulûtpu qui osât les distribuer-et le§ faire parvenir sur les concessions. Depuis le 2 5 décembre jusqu'au moment pu l'opération du recensement conduisit M- 4e Balzac sur les bor4? de la riyièrp? les pplons qui y avaient été déposés restèrent privés de tout secours. Danscet intervalle, il en périt un plus grand nombre peut-être que dans les six mois qui avaient précédé. ■ Il est superflu d'insister sur le découragementqui s'était emparé des rares colons dont la robuste constitution avait résisté à la misère et a l'épidémie. Us demandaient' à retourner en Eurppe. M- TuFgpt ^pupillit, cetfe 4e" mande et permit que les restes de l'expédition fussent embarqués et l'amenés à Saint-Jean-d'Angély, d'où ils étaient partis.

Retour en France

des

émigrànts échappés

aux désastres

de la colonie.

Prodigalités du gouverneur.

Alors le gouverneur pensa qu?il avait rempli sa tâche. Ib écrivit au ministre dès le 15 janvier î y'65', c'est-à-dire vingt1

vingt1 général des habitants du Komau. ! Ihid,


. (75) cinq jours après son arrivée, qu'il se préparait à repasser en France. D'autres soins le retinrent pourtant pendant près 4e trois mois. D'abprd il acheta ppur le compte du roi l'habitation des jésuites, et y plaça une. cargaison de nègres de traite, mesure en plein désaccord avec ses instructions:, qui prescrivaient de n'affecter que des blancs à Tpauvre de la colonisation. Puis il distribua des retraites, pensions et gratificatipns à ceux dont il voulait récompenser le 4évouement à sa personne. A M- de Behague, qui n'avait que 12,000 francs d'appointements, il donne 4p,0P0 francs; 2/i,000 francs à M. de Fiedmond; i5,ooo francs à M. de Maçaye; 64,000 francs à M. Morisse; 6,000 frapGs d'appointements à un médecin qui n'en avait que 2,000: il étend sa libéralité à des gens qui n'avaient d'autres titres que de lui être attachés 1. Pour sa part, M. Turgot avait reçu, avant de quitter Paris, 100,000 francs d'appointeniehts et ipo,opQ francs de gratification. Le document officiel auquel nous empruntons ces détails 2 constate que le gouverneur seul avait ppûté àl'Etat plus de 2 2 5, poo francs.

Les instructions remises as, M- Turgot avant son départ de France., supposant la possibilité du rappel de M. de Chanvalon, désignaient M. Morisse pour remplir provisoirement les fonctions d'intendant général de la colonie. Mais l'ordonnateur avait montré une hostilité trop grande jcontre l'intendant pour que son témoignage ne fût pas précieux au gouverneur. Ce dernier se décida, en conséquence, à ramener M. Morisse en France, en qualité de témoin à

1 Résumé de toufe l'administration de M. Turaot avec l'avis du rapporteur et des commissaires. ' Ibid.

Janvier, ïeVriéi 1 et mars 1765.


Janvier, févriei et mars 1765.

Une commission

est nommée pour examiner

la conduite

de "M. Turgot.

Elle conclut

a sou exil,

précédé

d'un intervalle

do détention.

( 76 ) charge dans l'affaire de M. de Chanvalon- M. de Macaye fut nommé pour exercer la charge d'intendant.

M. Turgot quitta Caïenne le 5 avril 1765. Pendant son séjour dans la colonie, le ministre lui avait adressé l'invitation formelle de rester à son poste. Les communications avec la Guyane étaient si rares à cette époque, que la lettre ministérielle était encore à Rochefort quand le gouverneur entra dans le port; c'est là seulement qu'elle lui fut remise.

Le retour subit de M. Turgot et la nouvelle des mesures qui avaient marqué sa courte administration furent accueillis par le Gouvernement avec une indignation tardive. On reconnut alors quelle faute on avait commise en confiant à un tel homme de si vastes pouvoirs, et en l'investissant d'une si grande responsabilité. En même temps qu'on instruisait le procès de l'intendant, dont l'arrivée en France avait suivi de près le retour du gouverneur, on nomma une commission pour examiner la conduite de M. Turgot.

Cette commission donna son avis dans un résumé dont nous citerons ici quelques passages, pour donner le poids d'un jugement officiel à l'appréciation du caractère et des actes de ce fonctionnaire. « On lui confie une administration «immense, une administration de premier ordre avec la «plénitude de pouvoir la plus grande. Votre Majesté le «comble de tant de bienfaits qu'il semblerait qu'elle eût «voulu anticiper sur les récompenses qu'elle était persuadée «que la sagesse du gouverneur lui mériterait un jour. Et « comment M. Turgot y a-t-il répondu? Il est un temps «considérable à s'embarquer ; il passe , à Rochefort ,> des « marchés d'approvisionnements considérables sans per-


( 77 ) «mission, sans besoin, et même contre les ordres qui lui «ont été donnés; arrivé dans la colonie, il écrit le quin«zième jour qu'il veut en partir, et cette lettre est la seule « qu'il ait écrite pendant le court séjour qu'il a fait à Caïenne, «par laquelle il ait instruit le ministre d'un coup d'autorité « aussi grand que celui de la détention de l'intendant. Le «ministre, inquiet de ce silence, dont Votre Majesté lui « marquait chaque jour son étonnement, se détermine à « lui proposer d'y faire passer le baron de Bessner en qua- , «lité d'inspecteur; il écrit en même temps au gouverneur «que ce n'était pas la peine d'aller à Caïenne pour ne faire « qu'arrêter M. de Chanvalon et s'en, revenir ensuite avec « lui, et qu'il compte qu'il aura changé d'avis sur le retour «précipité qu'il lui annonce; les lettres de M. le duc dev «Ghoiseul et le baron de Bessner trouvent M. Turgot «débarqué à Rochefort. Les trois mois que ce gouverneur «reste dans la colonie, il les passé à Caïenne , sans: sortir «et sans; remplir aucun point de ses instructions ; son «administration n'est qu'un tissu d'irrégularités et d'im«péritie. Il prodigue les fonds de Votre Majesté par une «immensité de dépenses défendues, telles qu'avances, dou«blement de solde, gratifications, retraites, etc.; il ren« voie en France les habitants qui avaient échappé à l'épi« demie, et les seuls qui pussent relever la colonie. Enfin il «les suit lui-même trois mois après son arrivée, en rame« nant le sieur Morisse ; en créant, sans en avoir le droit, «un inten4ant, à qui il donne des gratifications et des ap«pointements assez peu mesurés; et les deux dernières «opérations qui précèdent son retour sont deux acquisiJanvier,

acquisiJanvier, et mars 1765..


Janvier, février et ftvs 1765/

M. de Chanvalon

enfermé

au

Mont- Sain t-Midiel,

(78) «tions aussi dispendieuses pour Votre Majesté qxt'iiitttilës «à l'État^o

La cohimissioh cOttclttaîtj en câinséquënee, que M; de Turgot pouvait être regardé comme tin criiiimèl d'État 2 et méritait une péirie sèvèrfe; Eilë ajoutait que,-si Ms de Chanvalon avait été jugé en justice réglée ou par commission j comme probablement il s'en serait Suivi des peines corporelles, ou du moins afflictivesï celle qui eût été imposée au sieur de Ghanvaioii eût été celle qu'aurait dû subir le chevalier Turgot; En ce momefat l'ancien intendant était détenu au Mont-Saint-Michelj et là phrase précédente; empruntée au rapport de la commission, fait supposer qu'il y avait été renfermé par l'effet de la seule volonté royale. On avait, sàtis doute, jugé à propos dé soustraire le coupable âtt Scandale et aux suites d'un procès régulièrènifent instruit; Cette détention ëxtf ajudieiairë ne pôuvâïït feërvir de règle àiix Commissairesi il Ifettr semblait que l'exil avivait être la p*êine dé la mauvaise àdmittistratibiï de M: Turgot; QUëlqUës-dns voulaient que ce cMtimënt fut précédé d'tiiië détention dans iàfle citadelle*. Le réluiné contient la d'ésignatibii des tr'éië membres de là èëmmiésiëh qui avaient voté poïïr: cette aggravation de peine : c'étaient MM; dre Viàr'meg; dfe B'ôishis et lé râppoîtéuT. Rîèn n'indique quelle 'suit& & été donnée à éës èbncltiài@nsi

Quelque! émigrànts, qui; après avoir êëHâppé à lâîit de d^i&strës, avaient eiffteritî à réSter â 1% G^yàSey feent

1 Résumé de toute l'administration de Ml. Turgot, avec l'avis du rapporteur et des. commissaires. - ,

* M'


( 79 ) établis à Sinnamari. Ils furent rejoints par les restes de plusieurs expéditions postérieures. Il ne resta donc, en quelque sortej| aucun vestige de la colonisation tentée sur la rivière du Kourou. ...... \

Telle fut l'issue de cette expédition.

Aucune immigration n'a eu lieu depuis lors dans cette partie de la Guyane. Le quartier du Kourou comprend aujourd'hui une population composée de 3io libres blancs •ou de couleur, et de 65o esclaves.

Janvier, février et mars 1765.