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Titre : La bizarrerie de la fortune, ou Le jeune philosophe , comédie en cinq actes, en prose... par J.-M. Loaisel-Tréogate. 2e édition...

Auteur : Loaisel de Tréogate, Joseph-Marie (1752-1812). Auteur du texte

Éditeur : Gobelet (Troyes)

Date d'édition : 1798

Sujet : Champagne (France) -- 1789-1799 (Révolution) -- Sources

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30825674k

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 72 p. ; in-8

Format : Nombre total de vues : 76

Description : Collection numérique : Fonds régional : Champagne-Ardenne

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k57744734

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-YTH-2052

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 11/01/2010

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LA BISARRERIE

DE LA FORTUNE,

O U

LE JEUNE PHILOSOPHE,

COMÉDIE EN CINQ ACTES, EN PROSE, Représentée pour la première fois au Théâtre du Marais , à Paris , le ï6 Avril 179? , reprise au Théàtrefraiiçais de la République , rue de la Loi.

FÀI J. M. LOAISEL-TRÉOGATE.

SECOjND E ÉDITI ON,

Revue et corrigée par PAuteur , avec un nouveau* dénouement.

^—^ A T R O Y E S ,

Au Magasin général des Pièces de Théâtre i

Chez GOBELET, Imprimeur-Libraire, près la

Maison Commune , u°. 206.

ET A PARIS,

Chez BAR14 , Libraire, Maison du Petit-Dunkerque,

Quai Conti, vis-à-vis le Font-ueuf.

À» VII.


On trouve à la mime adtesse ,/ÍCHATIAV DU DIABLE, deuxième Édition corrigée par t Auteur ;LA FORÊT PÉRILLEUSE, Drame en trois Actes.


G L o AI s E t, faubourg et porte Honoré, Nw. 15, maison d'un mercier.

Réserves de t Auteur,

J E soussigné f Auteur de la Bisarrerie de la for~ tune, Comédie en cinq Actes , demeurant ordinairement a Paris , et m'autorisant du droit que me donne 1a loi du 19 Juillet 1793 , déclare qu'en publiant ladite Comédie par la voie de rim pression , j'entends me réserver tous mes droits sur lei représentations de ma Pièce, dans toutes les Villes où elle pourroit être jouée , et que je m'oppos* formellement à ce que cette Pièce soit représentée sur aucun Théâtre public , sans mon consentement exprès et par écrit ; et que je n'ai confié l'impression de cette édition nouvelle, qu'au C. BARBA*

Libraire.

A Paris, ce 12 Nivôse Pan VIL

tOAISEL ÏRÉOGATE,


PERSONNAGES.

GEORGES, jeune premier marqué.

DU T A I h L I S, Carde de la forêt , Financier.

ROSETTE , fille de Du Taillis, Ingénue.

CHAMPAGNE, Aubergiste , Comique.

M. D V P R É, Notaire , Raisonneur.

Us NATURALISTE,Caricature.

M A D A M s ROBERT, Bourgeoise , veuve de aS ò

3o ans, G VIL L O T, Garçon d'auberge, U« BRIGADIER We Maréchaussé*. TJM CAVALIERE AfanfeJtaivjffe, Pi e ni u ms CAVALIERS.


L A BIS ARRERIE

DE LA FORTUNE,

O U

LE JEUNE PHILOSOPHE, COMÉDIE.

ACTE PREMIER.

Le Théâtre représente la place d'un village : ò droite , sur le devant de la scène , est une, auberge , avec une enseigne. Plus loin , sont des arbres , des chaumières. A gauche, aussi sur le devant de la scène , est une maison bourgeoise de quelque apparence. Le Jond du Théâtre au goût de Parti s te.

SCÈNE PREMIÈRE. DU TAILLIS, M A D. ROBERT*

( Us sortent de chez madame Robert. ) D u^ TAILLIS. VoitA votre dernier mot, madame Robert ?

Mad. ROBERT. Assurément.

Du TAILLIS. C'est une indignité !

Mad. ROBERT. Je n'en donnerois pas une obole de plus. Je vais revenir i faites vos réflexions. ( Elle sort pour aller dans /# village")

SCENE IL

DU TAILLIS, ROSETTE. Du TAILLIS. ELLFS sont toutes faites. Vous ne rainez , ma foi pas. Oh : quelle sein me ! quelle fem me !

R o s E T T E , arrivant. Qu'avez-vous donc , mon père ?

. lt v T A i L t i s. M offrir vingt sols d'un, Uèvie superbe :


(6)

R 0 5 B T T I.

Qui?

po TáflU!< D'un lièvre digne d être servi à la table d*un receveut de-â tailles : Regarde*(e i est'il beau ?

R O S I T T E.

Mais qui donc, mon père,vous en ostresi peu d'argent?

D u T A i i t. i s. Eh parbleu ? madame Robert, la veuve de l'anciea régisseur du château.

R o s v, T T v. Vingt sous d'un lièvre ! oh ! c'est conscience ï il est vrai ou'elteest aussi avare que riche, cette madame Robert î Ce u est pas comme M. Dupré, le notaire t Du TAILLIS. Ah î c'est un homme juste, celui-là î

R o a « T T B. II ne relient pas le salaire aux pauvres gens, lui t

DUTAILIIS. Bien au contraire; il paye généreusement ceux qu'il fait travailler : je dois le savoir ; je le fournis de gibier depuis trois ans qu'il est établi dans le village. ROSETTE. A propos de M. Dupré, un voyageur qui passoit vient de déposer chez lui une sommeVonsidérable , et est repartitout de suite. C'est pour quelqu'un du pays, d h-ou ; savez-vous cela , mon père?

Du TAtLtlS. Non. Quel homme étoit-ce que ce voyageur?

R o s B T T E.^ Je l'ai vu pass»r sur cette place ; i! étoit monté sur un cheval bien maigre; il a voit un mauvais habit noir, t'air assez misérable.

Du TAIIIIS. Etre pauvre, et remettre fidèlement une grosse somme! faut que ce soit un bien honnête homme î ROSETTE. Rentrez-vouâ à la maison, mon père?

DUTAILLÏS. Non. Je passe la nuit dans la forêt.

ROSETTE avec intérêt. Vous ne vous reposez point, mon père}cela me chagrine; vous devriez vous ménager davantage. DUTAILLÏS. Fcut faire son devoir ; mon enfoui. Jc suis £arde del*


forêt :depui» plusieurs jours, il s'y commet beaucoup de vols, beaucoup de brigandages, je dois redoubler de vigjlance, et faire prendre, s'il se peut, tous les coquin* qui empêchent les Liaves gens de voyager en sûreté. ROSETTE. Il n'est pas nuit encore; venez au moins souper au logis.

Du TAILLIS. Je n'ai pas sain. Je vais boire un coup dans rette auberge. Demain , à la pointe du joui , tu m apporteras mon déjeuner sous le gros arbre dans la forêt : entendstu , ma fille ?

ROSETTE. Oui, mon père. (Champagne parle dans la coulisse.')

Du TAILLIS. Pourquoi te sauves-tu si vite ?

ROSETTE. C'est que j'entends la voix de M. Champagne.

DUTAILLÏS. Ton prétendu te fait peur ?

ROSETTE, Tenez, mon père, je ne serai jamais la femme de M. Champagne.

Du TAILLIS. Ecoute, Rosette, écoute: parle-moi sincèrement. As - tu quelque inclination ?

ROSETTE. Ne lisez vous pas dans mon coeur aussi bien que moi-même.

DUTAILLÏS. Mon intention n'est pas de forcer ton penchant. Je n'ai point lame intéressée , tout le monde le sait ; mais je »'ai pas une obole ft te donner en mariage, et Monsieur Çhampagnedit avoir quelquechose. Songes-y, et réponds lui : oui ou non

ROSETTE. II vient. Je me sauve , mon père, voilà ma réponse. ( Elle sort en courant. )

SCÈNE III.

DU TAILLIS, CHAMPAGNE. CHAMYGKE appelant Rosette. MAMESELLE mameselle Rosette... Pourquoi fuitelle, votre fille ?

Du TAILLIS. Elle a des affaires. Pendant que je fais la chasse aux


( 8) brigands et aux bêtes malfaisante, faut bien qu'elle vaque aux soins du ménage.

CHAMPAGNE. Ah ça , père Du Taillis, vous vous souvenez do notre dernière conversation ?

Du TAILLIS. Très-bien ,M. Champagne.

CHAMPAGNE. # Outre le mobilier de là-dedans, que je viens d'acquérir, en louant cette auberge , il me reste quelque argent comptant. Votre fille n'a rien , de votre aveu ; je ne demande point de dot, je vous l'ai dit ; d'après cela , il n est pas douteux qu'elle ne réponde à mes bonnes intentions pour elle.

Du TAILLIS. L'avez-vous entretenu de vossentimens?

CHAMPAGNE. Oui, je lui en ai parlé.

D u T A i t L • s. Que vous a-l-elle répondu?

CHAMPAGNE. Des cboses flatteuses. Monsieur Champagne, m'a-t-elle dit avec un petit son de voix tout-à-îait gracieux, je vons suis obligée de votre recherche, mais je ne me sens aucun goût pour votre personne.

Du TAILLIS, riant. Vous êtes flatté d'une telle déclaration ?

CAMPAGNE.

Sans doute. Si, comme on le prétend, une fille dit

toujours leçons raire de ce qu'elle pense, je dois conclure

du discours de Rosette que m a personne ne lui déplaît pas.

Du TAILLIS.

Ce n'est pas mal l'entendre !

CHAMPAGNE. Après tout, vous êtes son père , je vous conviens; partant, je dois lui convenir.

DUTAILLÏS. Ce n'est pas la même chose. Un père ne voit pas toujours avec le3 yeux de sa fille.

CHAMPAGNE. Non ; mais une fille ne doit voir qu'avec les yeux de son père.

DUTAILLÏS. Je ne pense pas comme vous sur cet article. Au reste,

ma


ma fille vous connottà peine; ií n*y a que quinze jours que vous tenez cette auberge. Parvenez à lui plaire, décidala en votre faveur, )'y consens bien volontiers ; mais tl faut son aveu , je vous* en avertis; à propos, et ce bon vin de Brie que vous attendiez ce matin ? CHAMPAGNE. II est arrivé.

Du TAILLIS. II est arrivé,et vous ne dites mot! ça n'est pas honnête , Monsieur Champagne.

CHAMPAGNE. Je descends à la cave.

D.w TAILLIS. A la bonne heureî Allez chercher pinte, bonne mesure. Jc vous sui». ( U tire de sa poche son briquet, sa pipe et sou tabac. )

SCÈNE IV.

DU TAILLIS, GEORGES. Du TAILLIS. Du vin de Brie... ( // bat h briquet. ) C'est un excellent consommé , qu'un verr^ de ce vin-là î Quand on va faire le guet toute une nuit, dans les bois, il est prudent de se réconforter l'estomac.

G E o A o E s. Monsieur, pourriez-vous me dire, si c'est toujours ici la demeure de Madame Robert?

Du TAILLIS. Oui, Monsieur ; c'est là qu'elle loge, cette généreuse personne.

G E o m « E s. Elle estchea elle?

Du TAILLIS av*c uni sorte d'humeur. Non. Elle vient d'aller dans le village... Elle va rentrer.

GEORGES. Bon. Je vais Pattendre. Dites-moi un peu, Monsieur, «st-elle toujours veuve ?

Du TAILLIS. Oui, Monsieur.

G E o m o E s. Je vous remercie.

Du TAILLIS à part. Je ne coûftoi* pas ce vi»age-là,

B


(10)

GEORGES, à patt. ( Avec enthousiasme. ) J'étois bien sûr qu'elle me garderoit sa foi !

Du TAILLIS.

{Apart.') Vient-il flairer !es écus de la veuve ? Il sera bien fin s'il y touche ï ( Haut. ) Vous counoissez Madame Robert, Monsieur ?

G E O A G E S.

Oui, Monsieur , beaucoup.

DUTAILLÏS. Ma foi, je ne vous féiicite pas d'une telle conuoissance.

GEORGES. Pour quelle raison ?

DUTAILLÏS. Cette femme-là n'est lionne que pour elle.

G E o a G E s. Vous la connoissez mal, mon cher Monsieur.

Du TAILLIS. C'est uneavaricieusc. Toutlepayslaconnoit pour telle.

GEORGES. Tout le pays se trompe.

DU T A I L L I S.

Oh ben oui ! témoin mon lièvre, qu'elle vouloit m'acheter vingt sols, il n'y a qu'un moment. Oui, je le dis, je le répète : c'est une femme avare, sordide, dure au pauvre monde.

GEORGES. Eh bien, moi, Monsieur, je la crois aussi généreuse que sensible. Sans cela , je n'aurois pas franchi l'espace des mers , pour venir ici m'unir à elle par des noeuds indissolubles.

Du TAILLIS. Vous venez de par-de-là les mers épouser Madame Robert?

GEORGES. Oui, Monsieur.

D v TAILLIS. Vous lui avez donc fait l'amour par lettres ?

GEORGES. Non. Ces lieux ont vu naître ma tendresse pour elle.

Du T A î L L i s. Je ne me souviens pas de vous y avoir jamais vu.

O - o r G E s. II y a huit ans que j'ai quitté cette terre chérie. Je suis Jtils d'un Laboureur du canlou.


Du TAILLIS.

Ha,haï

GEORGES.

J'avois seize ans, quand mon oncle, nommé à la eflre de ce village, vint me tirer de la charrue, pour me prendre chez lui , et m'enseigner le latin. Du T A i L L i s. Que peut-être il nesavoit guères. GEORGES. C'est alors queMadame Robert ,âgée de dix-huitans , devint veuve de Monsieur Robert, régisseur de la terre voisine. J'entrepris et j'eus le bonheur de calmer >OÎ| chagrin. ìl y avoit deux ans qu'elle me témoignent beaucoup d'attachement, quand mon oncle mourut. Du TAILLIS cherchant dans sa ttte. D'apoplexie?

GEORGES. Justement.

DUTAILLÏS. Je l'ai oui dire. ( Car il n y a que cinq ans que je suis garde de «ette forêt. )

GEORGES. Tl ne me resloit que l'espoir d'épouser Madame Robert , espoir qu'elle m'avoit donné plus d'une fois í Du TAILLIS. Vous aviez donc un cossre-fort ?

GEORGES. Je n'avoìs que mon amour... Un jour que je la ronfuroisde combler mes voeux, elle me tint ce langage, J> Georges, ( c'est mon nom ) tu as de l'esprit et de l'in»telligencc ;mais] tu n'es rien encore ; un homme do » mérite parvient rarement dans son pays; va chercher «fortune dans quelque; terre étrangère, reviens enduite, »reviensamoureiixe|fidele,alors jetieudrai la promesse a> que je te fais en ce moment, de n'être jamais à d autro a qu'à toi. »

Du TAILLIS. Ellevouloit se débarrasser de vous.

GEORGES avec enthousiasme. Elle vouloit que je sinse plus digne d'elle.

Du TAILLIS. Et vous parlites ?

G EO5 G rr s. Ledeair d'une mailre.ïiC chúicest un ordre absolu.

Bij


J# partis sur-le-champ. J'ai visité une grande partie du globe. Enfin, après bien des événemens et des revers t me voici de retour auprès de ma bien-aiméo, * DUTAILLÏS.

Avec des espèces , selon le voeu de Madame Robert ?

GEORGES. Non; mais avec d'autres avantages qui dispensem . ceux de la fortune.

Du TAILLIS in riant. Vous ignorez sûrement, M. le voyageur, que Madame Robert, bien que jeune encore, a refusé nombre de prétendant , parce qu'aucun d eux n'avoit assez de ça pour elle.(///c*"f U geste de compter de Vargent,} GEORGES. C'est qu'elle m'atteudoit.

Du TA T L L I S. Zlîe a pourtant bien l'air do n'attendre personne. Jamais elle n'a parlé de vous.

GEORGES, vivement. Ah ! je l'en aime davantage.

Du TAILLIS. De ne point parler de vous ?

GEORGES. Les âmes délicates renferment leur tendresse, de peur de l'affoiblir en la laissant éclater. DUTAILLÏS. La délicatesse de madame Robert, ha, ha, ha... Soit , je le veux bien, moi... Je vous souhaite bonne réussite. (En s'en allant. ) Cet homme ne manque pas de confiance. // salue Georges, et entre dans le cabaret. )

SCÈNE V.

GEORGES, Mad. ROBERT , retournant thet elle, G B o R • » s. VOILA pourtant comme on juge des sentimens les plus estimables ! Que vois-je? .... Je ne me trompes point.. . c'est sa taille , sa tournure... oui, c'est elle. ( Vivement. ) Madame Robert ?

Mad. R o i B R T. Qui m appelle?

G E o R G ES. Elle est plus fraîche q ire jamais.

Mad. R o s a R sf. Qui êtes-vous ?


GEORGES. L'amant le plus tendre et le plus fidèle*

Mad. S\ o B E R T, ttès-éíonnée. Un amant ! Que me veut cet homme ?

GEORGES. Le fidèle Georges est devant vous , et votre coeur ne vous le dit pas !

Mad. ROBERT. Georges !

GEORGES. Lui-même.

Mad. ROBERT. Après huit ans d'absence, Georges en ce lieu ! c'est impossible.

GEORGES. Pensez-vous que ce soit son omme?

Mad. R o B B R r d'un air détaché. Vous ne m'avez point écrit. Je vous croyois mort.

G E o a e B s 11 part. Quelle réception !

Mad. ROBERT. Je n'en penx revenir î comment ! c'est vous , c'est Georges que je revois ? Sérieusement ? .... Vous êtes bien changé !

GEORGES. Les tempêtes, les naufrages i tous les maux d'une longue navigation, peuvent bien un peu changer uu homme. Mad. R o B B R T. Vous avez donc bien voyagé ?

GEORGES. J'ai fait le tour du monde. (Amoureusement,)TA&\* fin changeant souvent de place et de climats, je u'ai point changé de cerur, madame Robert. Mad. ROBERT. Que de merveilles vous avez du voir ! et que ce sera une chose intéressante >#que le récit de tout cela ! Mais dites-moi d'abord: en quittant ces lieux, où allâtes-vous? GEORGES. A Marseille, où je fis rencontre d un savant qui voyageoit pour l'instructiondesessembiables;c'étoit quinze jours avant son embarouemeut. Il s'apperçut que j'avois quelque aptitude aux sciences; j'eus le bonheur de lui plaire et je devins son coinpagnon de voyage. Mad. ROBERT. V ncl étoit votre em ploi auprès de ce savant ?


( 'i )

GEORGES. .T'éloîs son copiste ; et vous sentez que mon esprit no manquoil pas de faire son profit de toutes les observa lions que ma plume fixoit sur le papier. Mad. ROBERT, à part. t Voyons s'il a fait fortune. ( Haui.) Je brûle d'impatience de savoir tout ce qui vous est arrivé depuis notre séparation.

GEORGES. Huit jours entiers ne snffiroient pas pour vousraconter touíes mesavantures. Tel que vous me voyez , on ma mené esclave à Maroc; j ai été abandonné une fois dans une isle déserte , et deux fois dans les tables de la Tartarie. J'ai disputé ma vie contre les éléniens, contre le» animaux, contre toute la nature.

Mad. ROBERT. Vous me faites frémir ! Et votre savant,quefaisoit-il alors?

GEORGES. Il couroit les mêmes hasards. Tïous nous sommes péril ns, nous nous sommes retrouvés; bref, nous étions dans une ville d Asie, quand je quittai ce savant respectable pour repasser en France.

Mad. R o B B R T. Pourquoi le quittâtes-vous ?

G B O R G E S. Vous me le demandez ! Ignorez-vous , madame Robert , qu'il existoit ici un objet dont le souvenir m'interdissoit le bonheur par-tout où je ne voyois point cet objet chéri ? Un autre à ma place seroit mort, cent fois tb-s maux que j'ai soufierts;} ai survécu, grâce au ciel, et me voilà.

Mad. ROBERT. Vous m'aflligcz. Cependant, j'imagine qu'un si grand voyage n'aura point été infructueux, vous avez sûrement rapporté des choses qui vous dédommagent de tant d'épreuves cruelles ?

G s o R G s s. Tl est vrai, je peux récompenser dignement votre constance, car je sais que vous m'avez gardé votre foi. Mad ROBERT inventent. Oli certainement! je me suis toujours occupée de vous.

GEORGES. J'apporte avec moi des biens d'un prix Inestimable, un vrai trésor,


(i5) Mad. ROBERT.' Un trésor î# Ce pauvre Georges ! Je suis enchantés 1 de le revoir; mais pourquoiJ»'entrons-nous pas au logis 'i lc jour bàiasé ; entrez donc , je vous prie. . G B q-.R G E s. IÍOT ■« sommes fort-bien ici j le temâ est si beau !

Mad. ROBERT; Vous rapportez un trésor ! je veux absolument que vousveniez vous reposer et loger chez moi. GEORGES. Cest bien mon intention !

Mad. ROBERT. Ce digne ami ! revenir de 4 l°in ! Vous devez être accablé de fatigues.

GEORGES. , Ab coàtraire, l'exercice est mon élément. Plus je marche » mieux je me porte.

Mad. ROBERT. Jamais il ne fut si aimable. Vous avez donc amassé bien de l'argent?

GEORGE?, étonné. De l'argent ! point du tout.

Mad. ROBERT. Votre fortune est dans votre porte-feuille?

GEORGES. Ma foi non.

Mad. R o B E R T. J'entends:elle consiste en bijoux, en marchandises dé prix.

GEORGES. Je n'ai ni billets , ni marchandise, ni argent: et si de , porter avec soi tout ce qu'on a, est une preuve de philosophie, je suis assurémeut, le plus grand philosophe de la terre.

Mad. ROBERT prenant un air froid. Où est donc cetrésor que vous avez ra pporté ? GEORGES mettant la main sur son front. Là , Madame, là.

Mad. ROBERT. Je ne vous comprends point.

GEORGES. Votre amant revient auprès de vous, avec une tétd meublée de vérités utiles, de connoissances philosophiques. (Ici théâtre iobscurcit par dégrés. )


<»6) Mad. R 0 B B R r avec un rire dédaigneux. Voilà toutes vos richesses?

G B O R G B S.

Ea connoissez-vous de plus réelles, de moins périssables que celles-là, Madame Robert ? Mad. R o B B R T. ( A part. > Il revient pauvre, debarrassons-nous de cet importun. ( Haut.) II est tard, M.Georges. G s o R e B a. En effet, la nuit s'avance. Entrons chez vous, Madame Robert ; je vous avouequt l'appétit me gagné prodigieusement. Assis à votre table, je vous conterai des choses surprenantes. ( II prend le chemin de la Maison. ) Mad. R o B B a T Varrêtant par Phabit. M. Georges í

G B o R o i s allant vers U logis de mad. Robert. Avec quel transport je vais revoir cette demeure où mes premiers feux...

Mad. ROBERT P arrêtant encore. Je n'y songeoisjpas, M. Georges, vous ne pouvex entrer.

GEORGES ^arrêtant. Je ne peux pas entrer !

Mad. R o B B i T. II y a chea moi...

G B o m oss vivement, II y a chea vous?

Mad. ROBERT. Oui... il y a chez moi de... de rembarras... un déplacement de meubles.

G B o R o B s.

Que me fait à moi l'arrangement ou le dérangement de quelques meubles dans votre maison ? (Amoureusement. ) Y verrai-je autre chose que celle dont la préaence embellit tout à mes yeux. (// va pour entrer.") Mad. ROBERT vivement.

Va moment, je vous prie !

G B O R O B 9.

Avec moi ce ton cérémonieux ! vous vous moquez. ( II pousse la porte. )

Mad. ROBERT le retenant par le bras, Rentrez pas , de grâce.

G E o G R B s étonné. Comment ! madame /tout-à-l'hture vous étiez la première à m'oflìir....


Mad. ROBERT. Je n'y pensois pas, vous dis-je. J'ai vraiment chezmoi des embarras par-dessus les yeux, et d'ici à ìongtems, je ne pourrai recevoir personne. GEORGES. Pas méme vos amis?

Mad. ROBERT. «?as même mes amis.

G B o R G x s. Pas même celui qui venoit, sur la foi de vos sermens, vous consacrer le reste de sa vie ?

Mad. R o R B m T. Mes sermens !

GEORGES. Vous ne vous en souvenez plus , à ce qu'il paroit !

Mad. ROBERT. A vous dire vrai, j'ai si peu de mémcíre, que le soir j'oublie ce que j'ai fait le mat iu. GEORGES. Quel langage !

Mad. ROBÏIT, Vous avez raison ; j'ai tort d entrer dans ces détails. La nuit devient obscure, je vous empêche de continuer votre chemin.

GORGES trèS'étonné. Que dites-vous, madame?

Mad. ROBERT. Je vous remercie de votre bonne visite ; mais je ne veux pas vous retenir plus long-teins. Bonne nuit M. Georges. (Elle lui ferme la porte au nez. )

SCÈNE V ï.

(La nuit devient très-obscure.')

GEORGES seul, (Après un silence.} L^ INGRATE Î... c'étoit bien la peine de revenir de si loin, pour recevoir un tel accueil;., quel parti prendre? me consumer en regrets .superflus ? Won. Ce -coeur, où je croyois occuper une place, est rempli tout entier par la passion de Targent. IIn'est plus digne de moi... Considérer mon avant ure avec le sangfroid d'un homme raisonnable. et la mettre au rnnr <ìn3 songes qui composent les trois quarts de la vie humaine, tel doit être lerésultat de mon entrevue avçc une féru pie que je ne peux plus estimer.» AJlonj, puisque 1 hospi-


0«8) îalíté m'est refusée dans cette maison, cherchons un autre gîte pour cette nuit. Depuis le lever du soleil, j« n'ai rien pris, j'ai toujours marchés Tâchons de nous procurer ou repos et un peu de nourriture. Voici justement une auberge. Entrons... Mais je n'ai point d'argent. N'importe; frappons. Ah '. je me plais à -roire que tous les coeurs ne sont pas aussi durs que c;iui ne Madame Robert. ( IIfrappe. )

SCÈNE VII.

GEORGES, CHAMPAGNE. CHAMPAGNE en-dedans sa maison. QU'EST-ce qui frappe?

GEORGES. Ami. CHAMPAGNE ouvrantsa porte avec une lumière à la maim Que demandez-vous r

GEORGES. A souper , et le couvert pour cette nuit...

CHAMPAGNE. Je peux vous donner à souper, mais un lit, cela m'est impossible. Mon auberge est pleine. GEORGES. Quoi ! vous n'auriez pas quelque petite chambre?

CHAMPAGNE. Non.

GEORGES. Quelque coin où je fusse seulement à Pabri des injures de Pair ? CHAMPAGNE. Si vousnevoulez qu'être à couvert, il y a*la grange.

GEORGBS. La grange ? c'est fort bon.

CHAM PAONS. Vous J aurez de la paille fraîche; c'est tout ce que je peux faire.

G's o R e B 9. De la paille fraîche! Je serai à merveille. Allons; pré* pares le souper tout de suite.

ClAEIAOII,

Vous avez faim ?

G B o R o B s gaîment. Une faim de voyageur.

CHAMPAGNE. Qu'est-ce que monsieur mangera pour son souper-f Monsieur veut-il un lapreau,itne perdrix.


(>9> . G B o m e B s, vivement.

Volontiers.

CHAMPAGNE.

Voulez-vous l'un et l'autre?

G B o R 6 s 9. Oui mettez hardiment l'un et l'autre. Ci A M PAGNE. Je vous préviens que le gibier est fort cher*

G B o R o E s.

Je m'en rapporte à votre probité.! Vous fixerez vons même le prix de ma dépense, et je vous ferai tenu cette petite somme au premier jour.

C m A M p A o N R étonné. Plait-il?

GEORGES. En quelque lieu que le sort me conduise, mon hâte,' je vous enverrai cet argent parla voie la plus prompte.

C H A stt PAGNE.

C'est-à-dire que monsieur veut souper à crédit ?

GEORGES. Je ne suis pas en fonds aujourd'hui; mais d'un moment à l'autre... -

CHAMPAGNE. Ah! monsieur n'a point d'argent, et monsieur veut souper?

GEORGES. Je ne vous parle pas du plaisir que vous me ferez f le plaisir est pour celui qui oblige.

CHAMPAGNE. Tout de bon ?

G m ORGES. Je sais toute la satisfaction que je vous procure , en vous offrant l'occasion d'être utile h votre semblable* CHAMPAGNE. Grand merci de la préférence.

GEORGES. J'aurois pu aller dans l'auberge voisine.

C H A M P A G N B. II en est temps encore ; jc ne gêne personne*

GEORGES. Won. A présent que je vous ai vu, et que vous me paraissez apprécier le bonheur de rendre service , ii est juste de vous en laisser jouir plutôt qu'un atitre.

Cii


(ao) CHAMPAGNE. Mais quel original !

GEORGES. Allons, monsieurl'aubcrgiste, entrons, et faites-moi •ouper promptement. (// va pour entrer dans Pauberge.) CHAM PAONS le rappelant. Monsieur , Monsieur, écoutez: je suis généreux, moi;

]*e ne veux pas ravir à mes confrères le rare avantage de oger un homme qui leur peindra si, bien les douceurs de la bienfaisance.^ Adieu, Monsieur.(ii rit.) Ah, ah, ah: voilà un bien ri»iblejpersonnage!,(i7 rentre chez lui, et ferme la porte au nez de Georges. )

SCÈNE VIII.

GEORGES seul. ( Apres un silence. ) CET homme n'est pas meilleur que Madame Robert. II est heureux, pour lui, que je connoisse le prix de la modération. Sam ceta, peut-être lui aurois-je donné une idée démonstrative de la vigueur de mon bras.... Cependant, 1 aiguillon de la faim me tourmente.... Les peuples que nous appelons sauvages, connoissent l'hospitalité; et, dans mon pays !.... Mais pénétrons un peu dans le village , et saisons quelque nouvelle tentalive.EUe sera sûrement plus heureuseque Celle-ci.

Fin du premier Acte*

ACTE II.

Ze Théâtre représente un endroit écarté de la foret. On y voit un banc de ga[on formé par la nature, et autres sièges naturels.

SCÈNE PREMIERE.

^ Georges est endormi aux pieds d'un arbre, vers le milieu de la scène. Deux voleurs paraissent tout-à-coup , au sons du théâtre. L'un deux porte une valise pleine. Ils se parlent bas, et regardent d un air très-inouiet. à travers les arbres de la forêt. Un coup de fusil se fait entendre dans la coulisse. Celui des voleurs qui tient la valise, la laisse tomber de frayeur aux pieds d'un arbre , et ils se sauvent tous les deux. Du Taillis et quel-


( « >

ques gardes traversent le théâtre, avec la précipitation de gens qui en poursuivent d'autres. Du Taillis leur sert de guide,

SCENE II.

(Le jour se levé.)

GEORGES seul-, il étend les bras , se réveille et s» met sur son séan. MALGRÉ la diète rigoureuse que je fais depuis vingtquatre heures, j'ai dormi long-tems ; le jour commence à paraître... C'est incroyable , que dans tout un village , je n aie pu trouver ni hospitalité , ni secours, et 3u il m'ait fallu venir chercher un gite sous les arbres e cette forêt ! Ah ! l'expérience m'apprend tous les jours, que l'humanité est étrangère à bien des humains... Gardons-nous d'en murmurer ! Que d'hommes valant mieux que moi, n'ont eu souvent, dans le cours de leur vie, qu'une pierre, ou un peu de sable humide ì pour reposer leur tête... (H f* lève péniblement: il a Patrpûìe et défait. ) Le sommeil ne m'a point soulagé, et le premier besoin de la naturese fait sentir d'une manière vraiment inquiétante... Tout mon corps pèse sur mes genoux... Je me soutiens à peine...si cela continue, il me faudra succomber, malgré ma patience et i.-i résignation.

SCÈNE III.

GEORGES, ROSETTE.

R o s E T T B avec un panier sous le bras. Elle chante en entrant. COMME le temps est beau, ce matin ! tant mieux. Mon pauvre pere se fatiguera moins dans ses courses. Quel mal il se donne !

GEORGES, égaré. J'entends quelqu'un.

R o s E T- T E. Voici son déjeuner qu'il m'a dit de lui porter sous le gros arbre, à la pointe du jour.

GEORGES. C'est une jeune fille.

ROSETTE. Peut-être y est-ildéji? allons veir. (Elle va pour pénétrer dans le bois, )


GEORGES t,'une voix éteinte. Mademoiselle ? (faisant des efforts pour se faire entendre. ) Mademoiselle?

ROSETTE. On m appelle, je crois ! (Elle se retourne.)

G B O R G B S.

Daignez approcher.

R O S B T T E.

Que me voulez-vous ? *

GEORGES. Ne craignez rien , ma belle enfant, ne craignez rien.

R o s E T T». Oh ! je n'ai pas peur. Qu'y a-trjl pourvotre service?... Vos mains tremblent ! vous paraissez avoir froid ! GEORGES. Je ne sais si c'est le froid, la faim ou la soif; mais je ne suis pas bien, Mademoiselle.

ROSETTE vivement et avec intérêt. Vous avez faim?

GEORGES. Depuis hier le matin , je n'ai ni bu ni mangé ; je ne rougis pas de vous en faire l'aveu.

R O S B T T E.

Est-il possible ? Venez vous asseoir sur ce gazon.... Comme il a Pair souffrant ! Prenez mon bras, je vous aiderai à marcher. ( Elle offre son bras.)

GEORGES la prenant sous le bras.^ Vous me rendez un grand service ; car mes jambes peuvent à peine me porter. ( Elle le mène auprès du gazon. )

G B 0 R e E 9. Que vous êtes bonne !

ROS ET T E.

Asseyez-vous. Tenez, voilà du pain et des fruits , Voici du vin. (Elle tire de son panier une bouteille de grès. ) C'étoît pour mon père , mais j'irai lui chercher un autre déjeuner.

G E o a G E s s'assayant.

C|est un ange que le ciel m envo;« ê. Et si votre père al loi t vous gronder?

ROSETTE.

Vous ne leconnoissez pas! s'il me grandoit, mon père, ceseroit d'avoir eu 1 occasion de rendre service, et de n'en avoir pas profité. Prenez, ca Umlc assurance,


prenez. (II prend, et il mange.) J'ai le tems d'attendre 9 ne mangez pas avec trop de précipitation...Voici la tasse de mon père ; buvez un coup. ( Elle lui verse à boire. ) GEORGES après avoir bu. Vos soins me pénètrent le coeur. ROSETTE. Comment vous trouvez-vous si matin dans cette forêt?

G B o R e B s. J'y ai passé la nuit.,

ROSETTE. Où?

G B O R G B 9.

Au pied de cet arbre.

R o a s T T z. Et peut-étre n'êtes-vous pas habitué à coucher sur la durer

G B o R o ES. Pardonnez-moi, cela m'est arrivé plus d'une fois. La vie est un voyage pendant lequel on est tantôt bien,tanftôt mal ébergé.

R 0 S B T T E.

Mangez donc ; buvez encore, le vin répare les forces.

GEORGES après avoir mangé et bu. Je commence à reprendre mes sens. (// la regarde. ) Dites-moi donc, ô vous, à qui ma reconnoissancenesait quel nom donner , dites-moi : à qui ai-je l'obligationdu secours généreux que je reçois?

ROSETTE. Je m'appelle Rosette.

GEORGES avec une force concentrée. Ah ! je n'oublierai jamais le nom de Rosette ! Quel est votre père ?

ROSETTE. Du Taillis , garde de la forêt.

G E o R G E 9. Ah ! vous êtes fille du garde de cette forêt; je l'ai vu. Je* suis sûr que c'est un honnête homme ; mais il doit s'impatienter , s'il vous attend. Allez, belle Rosette, allea renouveller la provision de votre panier. Il ne faut pas que le père d une aussi aimable fille se passe de déjeuner.

R o s B T T B. Ce n'est pas mon intention; mais il en reste assez pour mon père.,, (Ellef ait un pas, #1 revient. ) Je «rai»» de


{ a4 ) vous quitter ; si vous aviez encore besoin de quelque chose r

GEORGES. Non. .Terne sens mieux à présent. Allez,belle Rosette, allez faire déjeûner M. Du Taillis. Dites-moiseulement votre demeure.

R o s B T T B. Dans le village, sur la place, la maison à 1 entrée de la forêt.

GEORGES. J'irai vous remercier chez vous de toutes vos bontés. Je veux revoir l'auteur de vos jour*, et le féliciter d'avoir un enfant tel que vous. Sans adieu, mademoiselle Rosette. [A part.} Belle, et sensible aux besoins de l'indigent ! quel les heureuses qualités !

ROSETTE en s'en allant. C'eût été bien dommage qu'il fût mort de faim !

SCÈNE IV.

G B o R e E9 seul. An ! madame Robert, quelle différence entre vous et celte charmante fille ! comme ses soins et sa voix peignoient d'une manière touchante l'intérêt qu'elle prenoit à mon sort! Bonté, douceur , ingénuité , voilà ce qu'elle possède; voilà ce que je désirais de trouver dans le coeur d'une épouse !... Que d'images riantes cette idée fait revivre dans mon esprit! Il faut les écarter; elles neconviennent point à ma situation. [En marchant il heurte du pied la valise qui est par terre , au pied d'un arbre. ] Qu'est-ce ? une valise ! [Illa retourne : avec joie.} S'il y avoit là-dedans quelque somme d'argent! {Après un silence. ] De largent ! Me voilà donc réduit à désirer de l'argent !... [ Tristement. ] II le faut bien, puisque , sans argent, on n'a rien à espérer dans le monde, pas même sa subsistance. £// veut ouvrir la valise. II s'arrête... [ Puis-je m'approprier un bien qui ne m'appartient pas ? J'ai trouvé cette valise,à la bonne heure; mais celui

3ui l'a pt rdue est peut-être un homme de bien,un père e famille , qu'en ce moment cette perte désespère? Quel que soit mon malheur, je ne profiterai point de cette ressource. Je ne dois même pas ouvrir la valise. Allons sur-le-champ la déposer chez le grenier du lieu. (II la prend.] Quel chemin conduit au village? je ne sais : atout hasard, prenons le premier qui se présente.


( II sort sans voir les acteurs qui entrent, et sans en Ctre apperçu. )

SCÈNE V.

LE NATTJRALíSTE, UN BR'GADTER, DES

CAVALIERS DE MARÉCHAUSÉE.

( Le Naturaliste ett en mauvcis halit noir, en boites;

p-rru^w à bourse f mal peigné et *am poudre , il litnt

unfuet à la mai a.)

L B N A T U^ R A L I S T E.

NE faut-il pas que je sois.bien malheureux! Je suis chargé d'un dépôt de cinq cents mille livres pour qticlqu un du village qui «voisine cette forêt, je le remets avec fidélité chez le notaire de 1 endroit: je repars, la nuit me surprend, des voleurs in'attaquent et ni'emportent ma valise.

LE BRIGADIER. C'est bien fâcheux, assurément •

LE NATURALISTE. Je suis un homme, perdu , messieurs, si vous ne me laites pas retrouver ma valise.

LE B R I G A D I E *. Nous n'avons rien négligé pour découvrir les auteurs de ce vol. Avant le jour , nous parcourions le bois •. îvisés en deux brigades : la mienne, dont vous avez p»udé la recberche, a visité «oi.-ueusement tons les lieux que vous lui avez indiqués; l'autre né neut tarder de nous rejoindre en ce íieu, qui est notre po:ut de rail iement. LE NATURALIS T F Tl faut chc cher par-lout, M. le brigadier interroger tout le monde, la ville , les campagnes, la fr*u -e toute entière.

LE BU INAPTE R. Mais, Monsieur, qu aviez-vous dans cette valise dont la perte vous est si sensible ?

LE NATURALISTE. Ce que j'avoi* ! monsieur ' ce o;ue j'avoi? !

LE BRIO* DIEU. Desbiionx ? quelmies marchandises précieuses? Monsieur est marchand, peut-ëtre?

Li NATURALISTE. Non , monsieur , je suis antiquaire et naturaliste. Les choies qu il y a dans ma valise, seul de ces choies que


(*6). tout POT d'un empire ne payerait pas leur juste valeur. LE BRIGADIER étonné. Vraiment ?

LE NATURALISTE débitant fort vite. . N'eu doutez pas , M. le Brigadier ; j avois dans ma valise des mouches cornues de l'Amériqtie , des hannetons dorés , un oeuf de crocodile , un nez d'espadon. L K BRIGADIER se mettant en garde, D'espadron ?

LE NATURALISTE avec humeur. Eh non, d'espadon, poisson marin extrêmement rare. J'avois dans ma valise un bec d'onocrotal. L'onocrotal est un oiseau de marais. J'avois dans ma valise une. rose cueillie autrefois dans les jardins suspendus de Babylone. LE BRIGADIER. Elle date de loin, cette rose-là !

LE NATURALISTE. J. avois, dans ma valise, la tête de '.'aspic dont la

Siqúre porta la mort dansles veines de la belle Cléopâtre, 'avois...

% BRIGADIER Pinterrimpint.^ Monsieur , Monsieur, voici nos Cavaliers ; ils ont fait une prise.

LE NATURALIST % vivement. Une prise! Ah ! grand Dieu ! si c'éloit !..

SCÈNE VI.

1B NATURALISTE, GEORGES, LE BRIGADIER, LES CAVALIERS, AUTRESCAVALIERS. (Les nouveaux Cavaliers amènent Georges , qu'ils ont capturé ; Pun d'eux porte la valise, ) UN CAVALIER. Nous tenons le voleur. Deux autres sont arrêtés, grâce à là vigilance du garde de la forêt, qui nous a mis sur leurs traces. On les conduit cn ce moment chez le juge du lieu.

£ s NATURALISTE reconnaissant sa valise.

[ Avec joie.] Voilà ma valise! je la reconnois. [ // s'en

empare brusquement.] Oui c'est ma valise! j'en donnerai la

preuve. Ah ! messieurs ! que ne vous dois-je pas! (Regnfriant

(Regnfriant C est donc là le brigand quicette nuit me

dépouilloit d'un bien que j'estime plus que ma vie !

L E C A v A L i# s B.

Je vous en reponds; c'est bien lui. Il emportoit votre

valise le plus lestement du monde, quand nous nous


( *7 )

sommes trouvés-là fort-à-propos, pour ralentir un peu la vitesse de sa marche.

GEORGES. Puisque je suis réduit à me justifier d'un crime aussi bas que celuidonton m'accuse, je déclare, messieurs, que je n ai point volé cette valise. La chose s'est pa^ée comme je vous l'ai racontée.

LECAVALIER. Ah oui il dit lavoir trouvée.

GEORGES. Oui, Messieurs, je l'ai trouvée, et je la portois chez le Grenier du lieu, quand vous m'avez arrêté. LECAVALIER. Oui , il la portoit chez le greffier ; mais il prenoit une route toute opposée à celle qui mène au village. GEORGES. Ne connoissant pas bien les issues de la forêt, Messieurs, j'ai pu prendre un chemin pour un autre; mais le fait est que j'ai trouvé cette valise.

LE NATURALISTE. Comment se peut-il que tu laies trouvée ? jenel'ai pas perdue ; on me l'a ravie sur mon cheval , dans le grand chemin qui traverse la forêt.

GEORGES. C'est possible ; mais enfin, je dis la chose comme elle est. Puisque cette valise est à vous, Monsieur , rendez hommage à la vérité. Es-ce moi? me reconnci-ssez-vous pour celui qui vous a volé.

LE NATURALISTE. Eh! comment se rappeler la figure d'un homme qu'on n'a vu que la nuit ? Je sais que j'ai été attaqué, qu'on « voulu me tuer, qu'on m'a enlevé ma valise de force, et puisqu'elle est entre tes mains, ce ne peut être que toi. GEORGES. Mais encore, examinez...

LE NATURALI ST E. C'est tout examiné ; tu es un brigand insigne. A un vol de cette importance, joindre lecrime inouï, d'avoir menacé les jours d'un homme précieux à tout le monde savant, par ses travaux plilosopluques !

G K O R G ES.

Malgré ses convies philosophiques, Monsieur, à ce que je vois, n'est pas philosophe !

Dij


Il NATURALISTE en fureur. Malheureux! je ne suis pas philosophe !

GEORGES. Si vous méritiez ce beau titre, Monsieur, vous ne sn'iuputeriez pas une ac ion criminelle, avant d être sûr que vous ne hasardez point nue accusation mal fondée.

Ll *i A T C R A I. I S T R.

Je ne suis pas philosophe ! Messieurs , ce scélérat ne tné' ite point de grâce.

LE BRIGADIER vivement,

Soyez tranquille, il sera traité comme il le mérite. LE NATURALISTE. ^

Je nepeuxm'arrêter davantage; il fant que ie continue promptement ma route vers Paris Adieu, Messieurs; recevez mesremercímens... .Te ne suis pas philosophe! m'imulter à ce point! je mereposesur vous, Messieurs, dusoinde ma vengeance. Je uesuis pas philosopheîiiwrY.

SCENE VII.

GFORsiES, LE BRIGADIER , LES CAVALIERS. I. «BRIGADIER. Q u E L est ton nom ?

G r o R G E s. M athur in Georges Pu ï.ocher.

LE BRIGADIER. On demeures-tu ?

GEORGES. Par-tout où !e besoin , la fatigue, ou mon plaisir m'oblîgent de re.-.ter.

L E B R I C A D T E R.

C'est-i-dire que tu es sans domicile, sans aveu?

GEORGES. Fans aven ! vous vous trompez, M. le Brigadier. [ M -a ran sou iaur.] i 1 y a là une voix qui ne me désavoue jamais.

LE BRIGADIER. [Ironiquement. ] L'honn.-te homme ! Qui es-tu

GEORGES. Citoyen du monde.

LEBRIGADSSR. Voila un beau litre !

G E o R G r s. C'est celui d'un bemme qui voudrait que la raison, poi laul son flambeau d'un bout de Ja terie â l'autre ,«•


St bientôt de tout le genre humain qu'une seule et grande famille.

L B BRIGADIER. Te moques-tii de moi, avec tes réponse.» singulière» ? [ Vivemtnt ] Que fait ton père ? GEORGES. Personne ne le sait, ni moi non plus.

Le BRIGADIER. Tu ignores ce que fait ton père ? GEORGES. Tout re que je peux dire de sa destinée présente > c'est que son corps aujo'ird hui fertilise la terre que se* mains cultivoieut autrefois.

LB BRIGADIK*. J'entends; il est mort et enterré? GEORGES. Vous l'avez dît Mon père étoit unlahourenr pauvre» mais estimé: il fut utile de son vivant, et, comme vous royal, il lest encore après sa mort.

LE BRIGADIER. A l'en tendre, qui ne croirait que c'est la probité même? Tu mas Pair d'un ranitie scélérat! GEORGES vivement, M. le Brigadier, savez-vous que je me lasse de m'entendreprodi'iier desnuuis odieux ? Pourquoi me traitezvous de scélérat? pourquoi prononcez-vous avant la loi? Etes-vous son inter prote ï %'ous a-t-elle chargé de rendre sesoracles ? J'ai «rniul tort de répondre n vo* questions. Qu'on m'em mene n>>t-à-l heure, et qu'on me mette en

Í>réjence de la loi sTsès-vi-ement.] C'est à la loi. à la oi seule, que je dois rompte de mes actions, marchons. Fin du second Acte,

A C T E I I I.

La décoration comme au premier Acte.

SCÈNE PREMIERE.

CHAMPAGNE. ROSETTE.

R O S E T 'i E ìur le devant de la :cè:e:elle vient de

cheileJu e.

C R pauvre )ounp hom use ! traité indi<:!,eï*"ïl!, r.?r

suc da me Rob: rt ! pris et mené couuucuu liutuu-.tói S

Cela in a fait biea Le lu peine !


( 5o) C l i N r 1 S i i sur le seuil de m porte. La voilà; c'est elle ! c'est la charmante Rosette!

ROSETTE, Je suis bien aise de m'étre trouvée chez le jugequand on l'y a conduit.

CiAirioiL Elle jase touto seule.

ROSETTE. Mon père et moi, nous avons parlé en sa faveur; mais sa franchise et son innocence ont bien mieux parlé que

LOUS.

C«AMFAGWR.

Ecoutons ce qu'elle dit. [II s'avance."\

ROSETTE. U a Pair si honnête, si intéressant !

CHAMPAGNE. C'est sûrement de moi qu'elle parle.

ROSETTE. La douceur et la bonté se peignent si naturellement sur tous les traits de son visage !

CHAMPAGHE. Allons, elle commence à sentir ce que je vaux. R o*mr™\ " U venoit pour demeurer ici : [ tristement. ] il n'y veut plus rester.

C1AMPA6Havec surprise. Qu'est-ce qu'elle dit ?

ROSETTE. II partira [Sien tristement. ] J'en suis fâchée... On ne le reverra peut-être jamais.

C H A M p A GRE étonné. On ne me reverra jamais.

ROSETTE. .._„._ Je sens couler meslarmes.

CHAMPAGNE. La pauvre petite! c'est quelque conte qu'on lui aura fait. [ Haut et vivement.] Non, mameselle Rosette, non je ne pars point.

R o s ET T B surprise. Ah ! vous êtes-là , M. Champagne ! CHAMPAGNE Il n'y a que quinze jours que j'habite ce village', et vous voulez que je parle déja t


(5i) ROSETTE. Moi ! je ne veux rien du tout. Restez ou partes, vous an êtes le maître.

CHAMPAGNE. Belle Rosette, pourquoi dissimuler? Vous seriez bien tachée que je prisse ce dernier parti !

ROSETTE a*se une grande révérence. Oh ! mon dieu non , en vérité !

CHA*FAG*E. Elle m'aime; j'ai surpris son secret, et ça joue l'indiiìérentc*

R O S B T T B.

II est fou.

CHAH »AG M B.

Allons, soyez sincère une fois dans voire vie , toute

femme que Vous êtes. Avouez-moi que vous inouïe*

d'envie d'être madame Champagne. .. Venez, venas

embrasser votre petit mari [II met le doigt sur son front.]

ROSETTE.

Cela ne presse point.

C« A M P A O ME.

Si fait, si fait ; je lis dans vos yeux, moi, que vous êtes pressée. Avancez : voulez - vous bien avancer , mameselle ?

ROSETTE.

Je n'ai pas le. tems.

CHAMP A GKE contrefaisant la voix de Rosette.

Pourquoi n'avez-vóus pas le tems, s'il vous plaît ?

ROÍÍTTI.

Mon père m'envoye en commission uans le village, il faut que j'y aille tout de suite.

CHAMPAGNE. Où est-il, votre père?

ROSETTE. - Chez le juge áveêce jeune étranger. [Revenant'sur ses

sas. 11I est bien aimable celui-là* M. Champagne!... Elle s'enfuit; J

CHAMPAGNE. Qui ? quel étranger. Econtez donc..

SCÈNE II.

C H A M P A GRE, seul.

m C'EST quelque chose de bien bisarre, quele seve ! ça aime mieux sécher sur pied,que de dire franchement ce que cela a dan* l'anie.


SCÈNE III.

CHAMPAGNE, GUILLOT.

íìuinot. NOT' maître, ce roousieur dont le cheval est mort sur la route, vous demanue.

CHAMP A o NI. J'y vais. Lui a-t-ou servi ce qu il a commandé?

G u i z, L o T. Oui, not' maître.

CHAMPAGNE. A propos , as-tu fermé la porte ? G u i L L o T. Quelle porte ?

CHAM PA GNE. Imbécills! parbleu! la porte par où ro voyageur est entré, celle qui donne sur le grand chemin. GOULOT, Pardine, je ne Tons pas oublié.

CHAMPAGNE. A la bonne heure i car c'est esseut'el, ça î [Us rua* trent tous tes deux, j

SCÈNE IV.

GEORGES, DU TAILLIS.

Du TAILLIS. M A l 61 * votre innocence, c'est bien heureux que les deux coquins que j ai fait prendre aient été convaincus de plusieurs crimes, et se soient vu perdus sans ressource t

GEORGES. Assurément. Sans cela, ils ne se seraient pas déclarés les auteurs du vol de la valise.

Du TAI LLIS. Oh! je vous en réponds ! Ils lavoient laissée su pied de 1 arbre où vous 1 avez trouvée, eu voyant que nous étions à leurs trousses. Mais c'est fini, graceau ciel-Vous me paroisses un brave-jeune homme: parlons un peu de .vos petites affaires. Etes-vous né dans ce village ? Q y. o a ABS. Non; c'est au village des Murs, distance d'une lieue de cet endroit, que j*ai reçu le jour. DUTAILLÏS. Je connoisça:y possédez-vous quelque bien?

GEORGES.


G B o B e B 9. Tl n*y a pas sur la terre un pied quarré qui m'appartîeane.

DUTAILLÏS. Vous aves des parens dans le canton?

G B o a e E s. Non Les auteurs de mes jours sont morts depuis fort long-tems. J'avois aussi un oncle, frèie de mon père; sétois au berceau quand il quitta notie village : depuis , se ne sais ce qu il est devenu.

Du TAILLIS. Vous proposez-vous de re ter dans ce pays ?

G B o a G E s. Je dois le fuir après ce qui vient de m'y arriver.

Du TAILLIS. Où comptes-vous aller?

GB ORGES. Je ne sais. La société commence à me déplaire. Taï

Eircourii plus de la moitié du globe; j'ai vu q >>n tous eux , le pauvre est sans famille, sans amis ; j ai vu le mérite indigent placé sur la teire entre la pré veut :on et le mépris, consumer stérile.-nent sa vie dans le regret de sentir ses moyens, et de ne pouvoir les appliquer au bonheur de ses semblables.

D u T. A Ï L L I S. Vous avez raison ; mais où diable aller pour ne rien voir de tout cela?

G v o B e * s. Dans quelque réduit bien éloigné de la demeure des nommes.

DUTAILLÏS. Quoi ! vous iriez vivre comme un hermite an fond «l'un désert?

G B O B e B S.

Entre nous, c'est mon projet Irai-je dans une société qui, rejettant mes talens et mes services parce qu'ils ne seroient pas étayé» de I intrigue, réduirait mon existence à unt sorte de néant ? Non. C'est un parti pris. Unegrotteobscureet profondesera désormais ma retraite. DUTAILLÏS.

Comment vivrez-vous dans une grotte au milieu des bois?

G B o n o i s.

LaterreiMHeurrinipar-tomelUnoi^t


(54) Du TAILLIS. Etl'enlretien?

GEORGES. La mousse des arbres, leur écorce et leurs feuilles me fourniront des vêtemens de toutes les saisons. Du TAILLIS. On vous prendra pour un ours.

G B O R O B 9.

Qu'importe de ressembler à un ours par ses habits » pourvu qu'on soit un homme par le coeur. Du TAILLIS. A quoi vous occuperez-vous dans la solitude ?

GEORGES. ( J'attendrai la mort à la fin de ma vie, comme un doux sommeil à la fin du jour.

pv TAILLIS. Mais vous êtes jeune, et en attendant qu'elle vienne, c'te mort, que ferez-vous? car encore faut-il faire quelque chose.

G s o a e B s. L'étude, ce charme consolateur de l'existence remplira tous mes instans.

DUTAILLÏS. Et si vous n'avez pas de livres pour étudier?

G B o n o B s. N*aurai-je pas le grand livre de la nature? Je ne veux plus lire que dans celui-là. Nos livres nous trompent, parce qu'ils sont Part dés hommes ; mais la nature, qui est l'art de Dieu, ne nous trompe jamais. Du TAILLIS. C'est fort bien. Avec tout ça l'homme est fait pour vivre-en compagnie. Si j'avois le* tems, nous causerions de ça plus longuement... Ecoutez, avez-vous de l'argent pour faire route?

GRORG B s. Je vous l'ai dit : je ferai ensortequece métal me soit inutile.

Du T AICI is. Votre projet n'est pas praticable. Répondez avec franchise : avez-vous de l'argent?

GEORGES. Pas une obole.

DUTAILLÏS. ( A pari, ) Je n'ai jamaii senti comme aujourd'hui le


< 55 ) malheur d'être pauvre. ( Haut. ) Il saut que je VOUS quitte; j ai affaire ; mais avaut de m'en aller... tenez,la* encore là un écu ( II tire une piUe de trois livres nieiee avec des balles, des chiffons et de vieilles bourres ùjusil noircies parla poudre. )

GEO R O B S étonné. Que dites-vous?

DUTAILLÏS. Je voudrais pouvoir vous offrir davantage ; mais ça vous conduira toujours un bout de chemin. GEORGES avec sensibilité. Monsieur du Taillis...

Du TAILLIS. Prenez, prenez, c'est de bon coeur.

G s o R o B s. Quoi l vous vous priveriez pour moi, pour un inconnu!

Du TAILLIS. Inconnu ! n'êtes-vous pas un homme? un homme, quel qu'il soit, est mon frère ; et lorsqu'il est malheureux, je suis toujours son ami. (// lui présente P écu. )Tenez. G z o R o x s. Je n'accepterai pas.

Du TAILLIS vivement. Vous n'accepterez pasj Prenez cet écu, vous dis-jej c'est le père du Taillis qui yous le donne. GEORGES. Homme généreux, je reçois votre bienfait ; car à la manière dont vous l'onrez,' je sens bien qu un refus vous causerait un chagrin véritable.

Du TAILLIS avec attendrissement. Adieu, mon ami.

GEORGES. Adieu, M. du Taillis. Dites à votre fille, dites-lui bien que je me souviendrai toute la vie de Rosette et de son vertueux père. D v^ TAILLIS avec beaucoup d'attendrissement. Adieu... et sur toutes choses, n'allez pas vous faire herraite!Táchezp!utótdesoitirdela détresse.. Tâchez., tâchez de prospérer ,vous le méritez ; je meconnois en braves gens, moi ; oui, vous le méritez.. [ En s'en allant.] Pauvre garçon ! je suis bien malheureux, d'être quasi aussi pauvre que lui *

Eij


<*>

SCENE V. G r o a e B s, soûl. Jx suis touché jusqu'aux larmes. Ce bon humain !il n'a nue cet écu peut être, et il me force de I accepter. II n y a donc tsne I infortune elle-même qui daigne secourir et consoler l infortune! Que vois-je t Rosette t A son aspect j'éprouve une émotion...

SCÈNE VI.

GEORGES, ROSETTE.

G s o a o E s. Cm ls nature qui répand la fraîcheur sur les traits de son visage, et qui prête à sa démarche toutes les grâces qu'on y apper^oit. .[II va au-devant d'elle. ] Je pensoi» h von* , belle Rosette ; je *entois vivement le regret de m éloigner de vous pour toujours.

R.O S B T T B.

Pour toujours ! quoi ! vous vous en allez pour toujours? GEORGES.

Hélas ï oui.

R O S E T T B.

Von > aveu tort ; if ne faut pas vousen aller. II n'y a jamais trop d'honnête» gtnsdans un pays. G s o R e B s. L'intérêt que vous me témoignez ,est bien fait peur me retenir i mais jeeraindrois de vous voir trop souvent. R o s z T T E. Pourquoi ?

G E OR ORS.

Cest que vous êtes trop aimable. On n'est pas maître de son coeur ; et.. vous mvez un amant sans doute ? ROSETTE. Oh?non. je vomassmv! M Champagne, l'aubergiste de I* devant. me fait bien la cour imauce n'est pas «B amant, que M. Champagne!

G IOISIÌ. II v »ut vous épouser ?

R OSBTTX..

Oui. maM je ne le veux pas, mot* Je B aifliereo ]t* mais un pareil mari.

GiOlSlL Et votre père?


C'y)

R O S B T f ». .

Mon para me laisse maîtresse de mon choix, il <m teulemeut que je ue ferois point mal de consentira ce mariage, parce que nous sommes pauvres, et que M. Champagne a un peu de bien.

Cest qu'il prévoit lavenir,M. du Taillis,et il a raison.

ROSBTTB/S fixant à demi. . Oh! le bien ne me touche pas, moi ! Je denrerois teulemeut que mon mari eut..

G R OR o E s vivement. Le don de vous plaire, n'est-ce pas ?

R O S B T T S.

Tout juste.

G s o n • B 9.

Et puis....

R O S S T T B.

Et puis, je désirerai* cpul eût taaeoap de boaté 9 beaucoup...

G B o R • B 9. Beaucoup d'amour, n'est-il pas vrai ì

R o s B T T B. Oh! oui $ je voudrais qu'il m'aimit comme je me sens capable de l'aimer.

G B o R e B 9. Vous le chéririez donc bien, votre époux ì

R o s B T T B vivement. De toute mon ame.

G B e n e B t. Elle m enchante '.[Haut.] Est-ce-là tout ce que vont exigeriez d'un mari ?

ROSETTE. Assurément:quexiger davaotage?

G E o a e s 9. liais s'iln avoit rien ?

ROSETTE?. S'il n'av't rien, il seroit comme moi} nous n'aurions pas de reproches à nous faire.

G B o R o B 9. Maisenfin, diuz indigente*eux malheureux ensemble!

ROSETTE. Ph bien ! déux: malheureux sont comme deux arbrisseaux foiblet, qui i)!.?eésl'un près de l'autre ,*ont plus en état de ré»Ulcr à loi. ,.e:


(58)

SCÈNE VII.

GEORGES, CHAMPAGNE, ROSETTE. G r o R G E s à part. PLUS je l'etends, plus elle fait d'impression sur mou coeur !

CHAMPAGWE, sortant de chez lui. Voilà donc c'te petite capricieuse, qui ne daigne pas «'écouter, quand î'ai la bonté de lui adresser la parole, tt quí s'amuse là complaisamment à jaser avec un je ne sois qui í

ROSETTE. Qu'est-ce que vous dites, M. Champagne?

CHAMPAGHB. N'avez-vous pasde honte d'être en telle compagnie ? J'en dirai deux mots à votre père.

ROSETTE. Mon père apprendra sans peine que je causoisavec ce jeune homme dont il tonnoit les bonssentimens. CHAMPAGHB. Les bons sentimens d'un vagabond , à qui j'ai fermé ma porte hier au soir !

R o s E T T B, vivement. Vous avec fermé votre porte à monsieur ? Cest fort mal fait à vous .'

CHAMPAGHB. En vérité ! sir! loi t-il que je logeasse un monsieur qui vouloit adroitement et sans bourse délier, prendre chez moi son souper et son gîte ?

ROSETTE , à part. Le méchant homme !

C, H A M P A G E P.

Retournez chez vous, mademoiselle, je vous l'ordonne.

ROSETTE. Voilà un ordre qui ne me donne que } envie d'en rire.

CHAM PAGRE. Ma recherche est agréée du père du Taillis ; jc suis votre futur époux,par conséquent votre maître;obéissez.

R O S B T T E.

Vous, mon époux ! vous , mon maître ! rayez cela de vos papiers, s'il vous plaît!

CUAMPAGRE.

Pas plus tard qne demain : oui, demain. En attendant,

mademoiselle, rentrez au logis. C U la prend par le bras.)


ROSETTE, avcfurté. Doucement, M. Champagne ! GEORGES, se mettant entre les deux et t arrêtant. Monsieur !■«.

CnAMrAGHB, brusquement. Ce ne sont pas vos affaires. Marchez , mademoiselle , sur-le-champ.

G HO RUES.

Monsieur, je suis ordinairement fort modéré.

CHAMPAG*X, brusquement. Oh ! je vous conseillerais d'être autrement !

GEORGES. Mais comme il arrive par fois de trouver en son chemin des gens mal appris qui ont besoin de certaine* !econs... (Il le prend d'une main vigoureuse , e: le fait reculer en le serrant. )

CHAMPAOH E, déconcerté. Monsieur, un moment ! Savez-vous qui je suis?

GEORGES. Je vois que vous n'êtes pas un homme poli.

C H A P A G îl E. _

Savez-vous que j'ai été le chefde cuisine d'un colonel de housai ds ?

GEORGES. C'est possible.

CHAMPAGNE.

Savez-vous que j'ai vu soi xante-dix-buit combats?

GE ORGES, d'un ton badin. Par une lucarne !

CHAMPAGHB. Que j'ai tué de ma propre main des Prussiens, des Hongrois , des Hanovriens et des Catalans ? [ II fait un geste menaçant. ]

GEORGES, le tenant toujours ttun póie/iet visouren rm Bíoi, je ne tue pas les gens ; je leur enseigne à vivre. [ Le conduisant vers sa perte. ] N'est-ce pas là votre demeure?

CHAMPAGNE. [ Dfuh ton radouci. ] Oui , c'est-là ma demeure. [ Re(

Re( le ton insolent.] Ignorez-vous que j'ai chez moi e sabre de mon maître , et qu'il a le fil ? GEORGES. Malgré tout l'usage que vous en avez fait, allez voir s'il est toujours à la même place, f II le pousse, j


(4°)

CfAMPAeVB. *

Monsieur t

G s o R e B s. AUea,sd!es,(J#>!*/0tt reculer jusqu*auprks de sa porte.)

CHAMPASHE, sur l* seuil de sa p»rte. Nous nous retrouverons. ( U fait le geste dun homme

Sti s» bat, ) L'épée, le fusil, le canon, tout m'est égal, h ! nous nous retrouverons, nous nous....[ Georges ra* vance dun air courroucé, ]

CBAMPAOHB. Je ne crains personne ! [II rentre et ferme brusquement §a porte. En dedans da sa maison ut fort sauf. J Je ne crains personne!

SCÈNE VIII. GEORGES, ROSETTE. G E O R e R s. Ji vois présentement , belle Rosette, que ce n'est point là le mari qu'il .vous faut.

R O S B T T E.

Oh ! non certainement ! c'est un vieux bourru, un vilain homme. Je vais prier mon père de lui si/msier une fois pour toutes , qu'il n'ait plus à me parler ' - ses prétentions. [ Revenant sur ses p* i. avec u;e bonté ingénue. ] Vous... vous ne vous en irez pas ?... Vous ne répondes rien... Comme vous avez l'air triste ! C est pourtant une bien mauvaisechose, que la tristesse !

G E o a o « t,ensouriant. Vous avez raison. C'est la première fois de ma vie qu'il m'arrive de nfy livrer.

ROSETTE, tristement. Et c'est avec moi que vouscommencez d avoir du chagrin ? en serois-je la cause ? * GEO R • B s. Oui, je ne vous le cache pas.

R o s S T T e,très-étonnée. Je suis cause, moi, de votre tristesse? [ LTun air biem chagrin. ] Et qu'ai-je fait qui poisse vous affliger ? G B o R • r s, avec un» vivacité biem tendra. Oh ! rien que de vous montrer trop digne d'être adorée! R o s E T T B. Ne soyez plus comme cela , je vous prie. Quand je

vois


vois qu'on est triste, ie le deviens aussi t et ça me fait pleurer. [ Du ton da la plus aimable senuhili é } Vous promettes de rester ?... oh ! oui, vous me le promettez.. Je vois cela dans vos yeux. Sans adieu , M. Georges.

f Elle fait le révérence, et sort. ]

SCÈNE IX.

G BO R G B s,seul. CETTE enfant rendrait fou le plus sage des hommes ! Je laime pasionnémeut ; je ne saurais me le dissimuler; si je la demaadois à son père? mais elle est pauvre , et 1 affreuse détresse est mon partage.. Fuyons. £ Ujàit quelques pas, ] Je me sens retenu par »»è force invincible... Je suis agité, oppressé... je ne me concoU plus..* Hier , je surmonte une passion de dix ans ; aujourd'hui, ie nesaurois vaincre une passion d'un jour. Ah ! ma philosophie m'abandonne t

SCÈNE X.

GEORGES, M. DUPRÉ, LE BRIGADIER, UH CAVALIER.

X B BRIOADIER , parlant à M. Dunré dans le fond du théâtre, lui montrant Georges Ouï, le voilà, c'est lui-même ! Je vous en réponds, M. le notaire ! c'est lui !

M. D u r R z. Bon. [II s'avance ; Us cavaliers le suivent, ^adressant à Georges. J C'est vous , monsieur . qu'on a mené chez le Juge criminel ,oû une méprise fâcheuse vous n suis dans la nécessité de décliner votre nom ? G z o R « B s. Oui,monsieur.[ a part.] Encore quelque nouvelle infortune!

M. D u p R x. Je vous cherche depuis ce matin. GEORGES. Je ne me suis pourtant pas écarté de ces lieux.

M. D v * a ». Je subie notaire de ce village. Hier . vers la fia du four, un étranger assez mal vêtu se présente chez moi : » Monsieur, me dit-il brusquement, eu me remettant s> une petite cassette qu'il tenoit à 1s main , corame «l'on m assure que vous êtes honnête homme. je vous «remets es dépôt cinq cenU mille livres, dont je me


(4*> « suis chargé à Marseille , pour le fils d'un laboureur » qui revient d'un long voyage, etcjui doit être ici. S'il » n y est pas , il doit s'y rendre incessamment. On le J» nomme Mathuriu-Georges du Rocher, né au village » des Murs , voisin de celui-ci. »

GEORGES. C'est mon hom, le lieu de ma naissance !

M. D u P R s.

Monsieur, ai-je demandé à cet inconnu , d'où vient

cet argent? « C'est mon secret, m'a-t-il répondu. Don»

Don» votre reconnoissance, et remettez prompte»

prompte» àsa destination le dépôt que je vous confie ». A

peine avois-je souscrit à ce qu il exigeoit de moi, qu'il a

«remonté sur son cheval, et s'est éloigné au grand galop.

GEORGES.

Eh bien , monsieur?

M. D u p a B. Ce matin , ie me suis transporté audit village des Murs. Le résultat de mes informations a été d'apprendre qu'en effet on y avoit connu ua jeune homme de ce nom i mais que depuis plusieurs années on n'en avoit aucune nouvelle.

GEORGES. C'est de moi que l'on vous a parlé , monsieur.

M. DUPRÉ. Je le sais : voici comment. Embarrassé d'un dépôt de cette importance, je suis revenu chez le Juge pour la consulter. ( C'est le même devant lequel vous avez comparu. ) Frappé de votre nom, possesseur de vos papiers, il en a fait un nouvel examen; vous êtes Mathurin-Georges du Rocher, du village des Murs ; en conséquence, c'est à vous que je dois remettre les cinq cents mille livres.

GEORGES. Cinq cents mille livres à moi !

M. DUPRÉ. Oui, monsieur ; ils sont chez moi. GEORGES. Mais, monsieur, I"étranger de qui vous tenez cet argent, quel homme étoit-ce?

M. D u P R É. Suivantle rapport de M. le Brigadier que voilà, c'est le même nui vous a cru l'auteur du vol de sa valise. GEORGES encore plus étonné. C'est cet lmm me qui a rK'posé chez vou* cinq cents miUe livres pour moi.


(45) M. DUPRÉ. Lui-même : le connoissez-vous ?

GEORGES. Puisqu'il m'a pris pour un voleur, nous ne sons con* noissions sûrement pas.

M. D u P R É. Tous les jours on est chargé d un dépôt pour des personnes qu'on n'a jamais vues. Le Juge m'autorise à me dessaisir de la cassette entre rot mains. Je demeure à deux pas; venez, monsieur , je vais vous la remettre... Je me félicite d'avoir été le dépositaire d'un bien qui, st c est un don, paraît celui d'une bienfaisance éclairée; puisqu'il ne pouyoit, à en juger par les apparences , tomber en de meilleures mains que les vôtres. Venez , monsieur... Vous balancez ?

GEORGES. Mais de bonne-foi, puis-je croire à cette-faveur excessive de la fortune ?

M. D u P R É. Monsieur, la fortune vient souvent lorsqu'elle est Io moins attendue. Elle vous comble de ses bienfaits , profitez-en. Allons , venez. (IlPeníraînetils sortent. )

SCÈNE XI.

LE BRIGADIER, LE CAVALIER. LE CAVALIER. CE que c'est que le bonheur !

L E B R i G A n i E R. J'ai bien vu tout de suite, moi , que ce voleur n'éloif pas un voleur comme un autre.

Lz CAVALIER, riant. La fortune n'aura point pour nou3 de ce3 faveurs-!ì t

LE BRIGADIER. Que nous importe?

LE CAVALIER. Cependant nous rendons à la société des services , qui ne saurofènt, je crois, se payer trop chèrement. LE BRIGADIER. II est vrai que pendant que les citoyens dorment, nous veillons, nous.

L B CAVALIER. Parbleu ! ils nous doivent leur repos , la conservation, de leurs propriétés. Pour ma part, j'ai purgé le pays de deux ceuta brigands au moins.

Fij


(44) LE BRIGADIER. Moi, j'en ai capturé plus de mille.

LF CAVALIER, riant. On devrait bien nous gratifier aussi de quelques cents mille livres, n'est-ce pas, camarade?

LE BRIGADIER. Pourquoi ? nous avons le plaisir d'être utiles aux gens de bien . de servir nos parens, nos amis , ne sommesnous pas assez payés ?

LE CAVALIER. Oh j'en conviens.

LE BRIGADIBR.a D'ailleurs n'avons-nous pas des appointemens , une retraite ? ah ! voici notre jeune homme.

SCÈNE XII. XE BRIGADIER, LE CAVALIER, GEORGES. LE BRIGADIER. ( SOYONS justes; il a î'aír honnête, celui-là : je pense qu'il fera un bon usage de son bien. [ Parlant à Georges en osant son chapeau, et d'un air très-poli.] Excusez, monsieur, si ce matin ncus...

GEORGES. Vous avez fait votre devoir, messieurs; vous ne me Connoissiez pas.

LE BRIGADIER. Voici un beau jour pour vons , monsieur ! si je puis vous être de queïaup utilité dans mon état, ne m'épargnez point, je vous en prie ! je suis tout à votre service. GEORGES. Je vous remercie de tout mon coeur : mais je tâcherai, monsieur, de n'avoir pas besoin de vos services. [Le Brigadier salue Georges , et sort avec le Cavalier. ]

SCÈNE XIII.

GEORGES seul, tenant la cassette. IL y a bien ÎVdednns cinquante mille (fanes en or, et crut rîncfnaiite mille écus en bon papier ! La moitié d'un mil'ion , à moi qui n'avois pas hier de quoi souÌ»er

souÌ»er [ c 'ransporr.] Quel bonheur .. [Avec réflexion.] Wais une grande fortune doit-eKe cau.«er une grande joie k rplui qui se pique de quelque sa gesse ?[Avec attend-is:ement."\ Eh pMiM'qiioi non? Un sage peut se réjouir d'avoir des richesses, puisqu'avec des richesses on


.(45) peut arracher des victimes à l'adversité ! [ Vivement. J Je ferai bâtir une maison hospitalière ici, oui, là; et tous'Ceux qui sont pauvres et malheureux comme je le fus,y trouveront un asyle et des secours.-Comme tout s'enchaîne dans la vie ! et comme les plus grands maux sont, par fois, la source des plus grands biens! Si j'avois passé la nuit dans une bonne auberge, au lieu de coucher sous un arbre dans la forêt; si des voleurs n'y a voient pas laissé une valise; si je ne Pavois pas trouvée; si je ne n'avois pas été accusé et conduit chez le Juge, il n'eût pas su mon nom -, jeserois parti d'un pays ou je croyois, n'avoir, plus rien à prétendre, et le notaire n'aurait su à qui remettre le dépôt.. Mais quelle main libérale peui m'adresser un si magnifique présent F Cest un mystère... incompréhensible. N'i mportej la chose existe, profitons-en. Volons chez le père du Taillis, Ah ! j'y suis appelé par la recoanoissance, et par un autre sentiment non moins délicieux., [ avec force] dont rien à présent ne m'empêche de goûter toute la douceur.

Fin du troisième Acte»

^mÊmmmwmw^mÊi^f^mw^^mm^em^^^mÊmm^^^^mmmmmÊÈ^mmmmm^^^—^^m^mmwemm^mÊÊmmi^ammmmmmem

ACTE IV. SCÈNE PREMIÈRE.

G B O R G B 8 Seul.

Ls père du Taillis et sa fille ne sont point chez eu*. Oh ils ne peuvent tarder à rentrer dans leur logis... Mon argent est en sûreté; je viens de le déposer chéz le notaire... J'ai eu soin de mettre quelques pièces d'or dans ma poche. A présent, mon affaire la plus urgente est, je crois, de me dédommager un prudu jeûne austère que je fais depuis quelques jours. Et puis, je veux régaler Rosette et son père; et le brave Notaire, je ne prétends pas l'oublier. Commandons un bon repas. Cette auber§e

auber§e celle où M. Champagne, mon rival, refusa de me onner à souper hier au soir : aujourd'hui peut-être y serai-je mieux accueilli. [ II frappe. ]


(46) S C È N £ I I.

GEORGES, CHAMPAGNE. ( Georges frappefort. ) CHAMPAGNE en dedans. O* y va... Un moment. [// parolt. 1 Comme diable vous frappez !... Eh ! encore ce maudit non. ne ! Venezvous m insulter jusque chez moi? GEORGES. Je n'ai garde : vous avez chez vous un grand sabre qui tient les gens dans le respect. Je viens au contraire vous faire ma cour ; c est-à-dire vous commander un festin. CHAMPAGNE. Un festin ! [ II rit,] Ha, ha, ha !... et c'est vous qui payez?

GEORGES. Oui , M. P Aubergiste; ce sera moi qui vouspayeraî.

C H A M P A G H E.

Arec un* bon sur les brouillards de nos prés , n'est-ce pas M. l'aventuricr ? S'il vous plaisoitde passe" votre chemin ?

G E OR 61 § . à part. Voilà un homme bien intraitable !

C A M p A G w E. Ne vous ai-je pas dit assez clairement que je ne fais point de crédit ï

GEORGES. Vous êtes, je le vois, de ces machines qu'on ne fais mouvoir qu'avec de For ou de Par gent ; eh bien , voilà de l'or. [ II lui montre une poignée de pièces dor qu'il tire de sa poche.] Croyez-vous qu'il y en ait assez poiïr répondre du meilleur repas qui puisse sortir de votre cuisine?

CHAMPAGNE tout ébahi. O bon dieu ! bon dieu '. [ 11 ôte son bonnet , salue Georges et Purgent tour-à-tour.]

GEORGES à part. Comme le seul éclat des espèces vous transforme certaines gens !

CHAM PAGRE. Monsieur... excusez... Si. j'avois su.. GEORGES remettant les pièces d'or dans sa poche. Si vous aviez su que j'étois riche, vous eussiez été poli jusqu'à la bassesse,n'est-ce pas? Vous m avez cru paui re i vous avez été xnalhonnêts jusqu'à riusolence.


(47) CHAM PAGE B.

Dame, monsieur , c'est que...on ne connoîtpas... Monsieur est mis si simplement !

GEORGES. Oui, la mise en impose toujours à une espèce de gens qui ne savent honorer que J'enseigne de l'opulence ; comme s'il n'étoit pas ordinaire que l'honnéte homme se montrât sous un habit commun, tandis que le fripon, fort souvent, se cache sous un surtout doré ! CHAMPAGNE tenant toujours son bonnet, et faisant toujours des révérences. Monsieur a bien raison. Je suis bien taché...

GEORGES. Laissez vos révérences et vos excuses ; elles m'humilient pour vous. Songez à m'apprêter un bon repas. CHAMPAGNE. Monsieur n'a qu'à ordonner ; tout ce que j'ai est au service de monsieur.

GEORGES. Je compte sur plusieurs convives.

CHAMPAGNE. Ma cuisine n'est pas très-garnie dans ce moment-ci, mais il me vient une bonne idée. M. Dupré le notaire dcnne un grand dîner demain, jour de sa fête ; il ne consommera sûrement pas toutes ses provisions; je vais le prier de m'en céder quelques-unes. GEORGES. Allez où il vous plaira, pourvu ~ue vous me serviez promptement.

CHAMPAGNE. Je ferai ensorte que M. soit satisfait. [ A part. ] OM avois-je donc le3 j*eux, del'avoir pris pour un malheureux ? Un homme riche se devine pourtant ! [En s'en allant.] L'honneur de votie protection , monsieur.

SCÈNE III.

GEORGES seul. C'*?T une chn<=*» étonni«Ur' et tnVc ' la-fois, que cet ascendant *i prompt et si sûr, qu'avec de î'or on exeice sur la pl'/part. u es L- )?nnitsi Avec une .ai son supérieure et des vertus sublimes, è peine , dans l'espace u'un&ié•le, en obtenez-vous quelque chose I


<4«) SCÈNE IV.

DU TAILLIS, GEORGES.

D v TA uni. En ! vous étés encore ici, vous? îant mieux. J'ai â vous parler. Savez-vous bien que vous plaises beaucoup à ma fille?

GEO BOBS étonné* Quoi ! je serois assez heureux !...

Du TAILLIS. Depuis ce matin, mes oreilles sont rebattues de votre nom. M. Georges par-ci, M. Georges par-là. II est bien aimable, ce M Georges ! n'est-ce pas, mon père? Ilauroit bien tort de s'en aller, pas vrai mon père? Et puis d'être triste, et puis de cacher des larmes qui lui tombent des yeux. Cest le premier chagrin que je vpis à mon enfant ; et, h vous dire vrai, ça me tracasse. Ecoutez , M. Georges, je n'y vais pas par deux chemins. Je nuis franc, répondez-moi : chassez-vous ? GEORGES. 8i je chasse?

DUTAILLÏS. Je ne demande pas que vous tiriez comme moi, qui abattrais une noisette dans un boisson, sans toucher aux feuilles; mais vous croyez-vous en état de tuer proprement vos deux perdrix au vol ?

G sb a e s s. J'ai chassé quelque^ fois dans ma première jeunesse , mais le but où je visois étoit toujours la place où le gibier se trouvoit le plus en sûreté.

Du TAILLIS. J'en suis fâché. Ma fille veus aime., pas de doute à ça. Vous êtes pauvre ; mais je vous crois un bon garçon. Si vous étiez un peu familier avec le fusil, je vous donnerais Rosette avec la survivance de ma place , et d'avance vous en partageriez les profits. GEORGES, c part. L'excellent homme !

DUTAILLÏS. On ne s'enrichit pas au métier que je fais ; mais on vit. Et puis la considération. ..r^arde de la forêt de Frinville! c'est un état !

GEORGES. If. du Taillis, je mériterai, si je peux, l'amitié particulière


( 49 )

liculièreque vousmetémoignez:enattendant je dois vous prévenir qu'on a commandé un festin danscette auberge, et que vous étés priésd'en être lescon vives, vouset votre fille.

Du TAILLIS étonné. On m'invite à un repas, moi! qui donc ?

GEORGES. Quelqu'un qui a beaucoup de chosesà vous dire.

Du TAILLIS. Etc'estàtable qu'il veut me conter tout ça? Il me pi end parmonfort.il a raison, on parle mieux en'buvant un coup. Quel est cet honnête homme ? GEORGES. Vous le saurez ce soir; allez, je vous prie, avertir votre fille, et revenez ici promptement tous les deux. Du TAILLIS. C'est singulier ça ! Vous y serez à ce repas?

GEORGES. Assurément. Je suis chargé d'en faire les honneurs.

Du TAILLIS. A la. bonne heure. Un souper ne se refuse pas... Mais d'où diable ? Oh ! c'est sûrement quelque ami qui passe et qui veut me régaler ! Je m'en vais, je m'en va is chercher Rosette .elle est àdeux pas, je ìeviens dan3 l'instant. Sans adieu , Pami. [ II sort en courant et dun air bien joyeux, ]

SCÈNE V.

GEORGES seul. Js vois donc s'accomplir en un seul jour, tous les voeux crue j'ai formés dans vingt ans d'existence : j'aime un objet oigne de ma tendresse, et j ai lieu de croire que j'en suis véritablement aimé. Je peux lui procurer 1 aisance et le bonheur ; je peur;...

SCÈNE VI.

GEORGES, MAD. ROBERT. GEORGES. MAIS j'apperçois madame Robert ! j'en suis bien aise. Elle approche; observons un peu l'efiet que produira sur elle mon changement de fortune.

Mad. R o R E R T appercevant Georges. [A purt.]%pwiac% Georges! quelle fàctswertncoutral


<5o)

G B O R G E 9.

Votre serviteur, madame Robert.

Mad. R o.R E R r sèchement. Votre servante, monsieur.

GEORGES. Vous avez Pair fâché.

Mad. ROBERT. Que vous importe mon air?

GEORGES.. II m'importe que vous ne me fassiez point mauvaise mine. [ Elfe veut s'en aller. II Pcrrête. ] Quoi í déjà vous me privez du plaisir de vous voir ! Ne vous en allez pas.

Mad. R o B B n T avec impatience. Jai bien le tems de rester !

G B o R G B s. Un moment !

Mad. R o B B m. r toujours avec impatience. Eh bien, qu'est-ce qu'il ya ? que me voulez-vous ?

SCÈNE VII.

GEORGES, MAS. ROBERT, DU TAILLIS,

ROSETTE. G B OR G RS avec force ,appercevantdu Taillis et sa fille. -V sHB z, M. du Taillis; et vous, belle Rosette, apSrochez.

apSrochez. ertems que tout le monde ici commisse 1 état ema fortune. Je déclare donc que je suis possesseur de cinq cents mille livres.

Mad. R o B B n T. (A part, avec le plus grand étonnement.) Cinq cents mille livres !.. ( Haut.) vous possédez cinq cents mille livres, vous , monsieur ?

G B o R e B 9. Oui , madame Robert.

Mad. R o B E n T à part. Ciel.' auroit-il voulu m'éprouver ?

Du TAILLIS -rès-étonné Tout de bon ! vous avez tant de bien que ça ?

GEORGES. Oui. M. du Tf i'Jis. .7 ai cinq cents mille livres, tant en bons billet, ^u'er. be'leì espèces.

\ïnd. ROBERT vivement. Eh ï o'' est ^1 í ", où est elle donc, cette somme de cinq cents mille francs ?


(5i)

G B O R G B 9.

Chez le notaire du lieu, que j'ai prié d'en être un me-» ment le dépositaire.

Mad. R o B B m T vivement. Chez M. Dupré?

G B O B G B 9.

Cheì. M. Dupré.

Mad. R o R E R t à part. , Malheureuse ! qu'as-tu fait ?

Du TAILLIS enriant.

C'étoit donc pour rire que vous faisiez le pauvre ce matin?

Mad. R o s B R T en criant. Revenir avec un demi-million! et se dire dénué de tout! Du TAILLI f enriant à gorge déployée. C'est une grande perfidie!

Mad. R o R X R. T. (A part.) Tâchons de réparer notre sottise. (Haut) Convenez, M. Georges, que la fantaisie dem'éprouver vous a passé par la tête. Eh bien , tenez, je vous l'avouerai, j'ai eu le même dessein.

GEORGES. Vous madame Robert ?

^ Mad. R o R E R T. L'accueil qu'hier je vous ai fait, n'étoit qu'un jeu dons Pidée m'est venue tout d'un coup.

GEORGES en souriant. Un jeu ?

Mad. ROBERT. Je me suis renfermée brusquement dans mn maison| pour voir si votre amour résisterait à cette épreuve. 6 E o R & E s avec sensibilité. Laisser un amant dans la rue !

Du TAILLIS vivementt Xa nuit !

GEORGES. Pour réprouver l

Du TAILLIS en colère, et vivement* Après huit ans d'absence !

G E o R G M s riant. L'épreuve est nouvelle.

Mad. ROBERT. ^ Déplacée peut-être. Je m'ensuisrepcntîcstir-le-champ, je ne le cache pas. J'aurois voulu vous revoir, vous rappeler, Gij


(5a) GEORGES riant. En effet, le ton que vous preniez tout-à-1'henre encore, prouve que vous aviez fort envie de me rappeler. Mad. ROBERT. Cétoit. Que vous dirai-je ?

Du TAILLIS en étouffant de rire. Voilà le difficile!

Mad. ROBERT. C'étoit contrainte...embarras de parler la première.... Mais tout en ayant Pair de vous fuir, je vous cherchois» Du TAILLIS à part. X'effrontée menteuse !

Mad. R o B B R T.. Oui, soyez-en sûr, je vous cherchois; je songeois h réparer mes torts de manière à vous en faire perdre le souvenir, lorsque...

GEORGES, Pinterrompant trhfermement. Il suffit, Madame Robert. N'ayant pas, comme vous, le talent de feindre, je vais, en deux mots, vous faire connoítre mes vrais sentimens. Si je vous laissois développer le petit plan de séduction qu'en ce moment vous arrangez dans votre tête , je vous verrois , oubliant Porgueil de votre sexe , recourir aux protestations, aux prières, aux larmes peut-être, pour me convaincre de Votre tendresse, qui ne serait ,au fond, que l'amour passionné qui déjà vous enflamme pour mon trésor. Je vous sauve cette humiliation f madame, en vous déclarant que vos efforts seraient inutiles. Mon c<rúr , que vous m'avez forcé de reprendre, ne vous appartient plus. Voilà celle à qui je l'ai donné pour toujours. Puisset-elle en agréer l'hommage ! et consentir , sous le bon plaisir de M. du Taillis, qu'à ce don^ le plus précieux

3ne je puisse lui offrir , je joigne celui de ma fortune et e ma main i

R O S E T T B à part. Qu'entends-je ?

Du TAILLIS. . Tout de bon : vous épouseriez ma fille , qui n'a rien , riche comme vous êtes ?

GEORGES. Riche ! ah ! je ne le serai qu'alors que jeponrraidire : Je possède le cceur et la main de Rosette. Du TAILLIS. Oh! xouà pouvez le dire d'avance: je réponds de


sonconsentement comme du mien. [Georges lui serre la main d'un air pénétré. 1

Mad. R o B B n T. J'étouffe.

GEORGES. Tout ceci vous étonne , Madame ?

Mad. ROBERT. Donner sa main , devant moi à une petite fille de eette espèce !

GEORGES. Une.petite fille... ah! ce seroit un grand .mal ,si je vousfaisoisle don de ma fortune! Tout meledità présent. Mad. R o B B R T. Un grand mal ?

G B q n o B s. Oui, madame: entre les mains de.Rosette, cette somme, objet de vos regrets, sera le patrimoine des infortunés,

Ì*'en suis sûr; dans vos mains, au contraire, que seroit-el!e ? le bien.de personne, pas même le vôtre, puisque l'avarice qui entasse perpétuellement, sans jamais répandre , nejouit pas elle-memedes richesses qu'elle possède. Du TAILLIS en riant : à part. Oh ! Ia bonne et belle vérité !

Mad. R o B s R T. Xe monstre !

GEORGES c» riant. Cette petite leçon, Madame Robert, vous apprendra qu'il ne faut jamais mépriser les malheureux.

Mad.. R o R R R T hors d'elle-même. On se souviendra, toute ta vie, que tu n'es qu'un misérable enrichi.

GEORGES. Je l'espère, car j'aurai soin de ne Poublier jamais moi-même.

SCÈNE VIII. CHAMPAGNE, M. DUPRÉ, GEORGES, DU TAILLIS, ROSETTE, MAD. ROBERT. CHAMPAGNE encoìère. Ouï, Monsieur Dupré , oui, toc» ce qne vous me Sontez là, prouve que vous avezfait »me furieuse bévue M. D u P R É. Vous me dites de* choses *or' éfra iges , monsieur. J'avoue que la conformité de nom auroil pu donner


( 54) lieu à une méprise. La chose va s'éclaircir ,.car voilà. encore le jeuue homme , que j'ai cru le propriétaire de la cassette.

.'CHAMPAGNE.. Cet avanlurier ! ô ciel ! c est donc toi qui t'es emparé de mon bien , sous mon nom?

G E O X O E 9.

. Sous votre nom !

CHAMPAGNE. Oui, mon nom , vil imposteur ! M. D u p R *.

Ce jeune homme n'est point un imposteur ; ou a vu SC3 papiers, ils sont en règle.

CHAMPAGNE. Sespapiers n'y font rien; jem'appelle Mathurin-Georges Du Rocher- .

GEORGES, vivement* t

Quentends-je !

CHAMPAGNE, vivement. Mon père étoitlaboureur au village des. Murs. La cassette, dites-vous, est adressée à Mathurin-Georges Du Pocher, fils d'un laboureur, du village des Murs ; par conséquent, la cassette m'appartient.

M. DUPRÉ, vivement.. Si le nom que vous prétendez faire valoir est vraiment votre nom de famille , pourquoi n'êtes-vous connu qiie sous celui de Champagne , depuis quinze jours que vous, habitez ce pays ?

CHAMPAGNE. La raison en est toute simple. Champagne étoit mou nom de guerre chez le maître que je servois. Je l'ai con-, serve depuis cetems-là.

M. D v v R É, vivement. . Mais enfin , ce matin , j'ai été prendre des informations dans ce village que vous dites être le lieu de votre naissance. ( Montrant Georges. ) On s'y est rappelé Monsieur; un jeune homme : quant à vous, je vous assure que vous y etes bien ou blié.

CHAMPAGNE. Je le croîs bien , il y a trente ans que j'en suis sorti ^ et que je n'y ai pasdonné de mes nouvelles. On m'y croit, mort, apparemment.

GEORGES, vivement.^ Vous dites donc , monsieur l'aubergîste, que vous vous appeliez Mathuim-Gcorges D u Rocher?


(55) CHAMPAGNE. Vous eB doutez , peut-être ?

GEORGES, vivement. Et vous êtes né au village des Murs ?.

CHA MPAGNE, avecimpa'ieuce. Oh ! voilà bien des questions ! ( II tire de sa poche un vieux porte feuille de cuir noir, et y prend deux papiers.) Tenez . monsieur le notaire , voyez si j'en impose... Ceci , c'est mon passe-port... Voilà mon extrait baptistaire: lisez.

M. DUPRÉ, après avoir lu, et lui rendant ses papiers. C'est sans réplique.

GEORGES. II se nomme comme moi t

M. DUPRÉ. Comme vous absolument. Et tout comme vous, il doit le jour à un laboureur, lequel fut, ainsi que voire père, habitant du hnmeau qui vous a vu naître.

GEORGES , se tournant vers Champagne. En ce cas , vous êtes mon oncle et mon parrain.

CHA aï PAGNE. Votre oncle, moi ?

GEORGES. Oui ; vous êtes frère de feu mon père. Quelques jours après m'a voir tenu sur les fonts de baptême, vous partîtes.

CHAMPAGNE. A la vérité, j'avois un neveu que je n'ai pas vu depuis le moment de sa naissance. Que ce soit vous ou un autre, je m'en moque. M. Dupré , en jasant, vient de me conter l'histoire de cette cassette que vous \*ous êtes approfiriée si lestement. Vous ignorez d'où elle vient : je ne 'ignore pas, moi ; et j»* prétends qu'elle me soit rendue M. D u p R E. •

Messieurs , l'homme qui me l'a confiéen'a point voulu me faire connoitre CPIUÌ qui l'envoye. íl s'est contenté dédire tfueï^» cinq cents mille livres appartiennent à Ma thur in -Georges Du Rocher , fils d'un Laboureur arrivant de voyage , et devant résider ici depuis fort peu de tems.*

CHAMPAGNE. .N'est-ce pas moi qui suis établi depuis peu dans ce village ?

M DUPRÉ. II est vrai : vous avez voyage ?


(56)

CnAMPAGBB.(

Belle demande: Quand on a servi un colonel d« Honsards,on a vu du pays, je pense ! Ne m'aves-vous pas dit ,M. Dupré, que m porteu» de la boele a déclaré qu'elle lui a été remise à Marseille ? M. Duras. J'en conviens.

CBAMPAGNB. A Marseille tCelaexplique tout, c'est à moi que In cassette est envoyée.

M. D U 9 R B.

Comment cela ì

C»A SF1SIS.

J'ai sauvé la vie à un homme de Marseille.

M. Du mi. Eh bien?

CHAMPAGNE.

Nous étions dans une barque. la mer étoit fort grosses une imprudence le fit tomber à Peau ; je lui jetai un bout de corde , il s'y acrocha , et fut sauvé.

Du TAILLIS encolere et tres-impaticnté*

Ah bon Dieu ! le bel exploit!

Cl* M P A 6 N V.

Monsieur, me dit-il, je pars, pour le Levant. Si mon voyage est heureux, je ma souviendrai que je vous dois la vie. .Cet homme sera revenu opulent, se sera informe de moi, e* '»•■ bienfait sûrement est une marque de sa reconnoissauce.

Mad. R o B B n T avec joie. X'excellente aventure ! je serai vengée t

M. D u * n s. Et vous , monsieur, avez-vous desconnoissances à Marseille?

Oioiots. Non, Monsieur, je n'y connobpersonne.

M. Duvnt. Mais enfin, ne voyez-vous rien qui puisse voua faire eoupçonner que ce soit à vous cette somme? G z o a o R s. Je vous ai dit que non. Je ne sais pointtrahir la vérité. J'ai voyagé avec un savant qui m honorait de son estime et qui s'appeloit M. deLimours. Cétoit, il est vrai, le plus généreux des hommes; maissa médiocre fortu«esuslùoit i peine aux frai* de «m voyages. Il avoit mé-


sae tout perdu, quand nous fûmes contraints de nous

séparer. ^

CHAMPAGNE.

Eh bien, M. Dupré, êtes-vous encore dans l'incertitude? ( Parlant à Georges.] Donnez-moi mon argent, mon neveu. Allons donc , veux-tu bien me donner nia cassette?

G B p n e B tfèrement. Elle est ehes monsieur le notaire ; vous êtes le maître ée l'y aller chercher.

CHAMPAGNE. Allons-y tout de suite.

M. D u r a É. Un moment! Paffaire est délicate, Il faut des éclaircissemens plus certains.

G B o n o E s. Ils seroient inutiles. La chose et toute éclaircie.

CHAMPAGNE. II le dit lui-même, vous le voyez ; allons chez vous , M. le notaire.

M. D v r n i. Cest au Juge à prononcer. Allons chez lui préalablement. Ma demeure est près, de la sienne. Si sa décision est en votre faveur, le dépôt vous seraremissur-le-champ. CHAMPAGNE. Eh ! qu'est-il besoin de Juge ? mes droits sont clairs comme le jour.

M. D v v R t. Ik paroissent plus clairs que ceux de Monsieur, j'en conviens ; mais il faut agir légalement en toutes choses. Venez, messieurs.

GEORGES. Je vous.dis , monsieur, que cet argent ne peut m'étre adressé; ainsi, m a présence...

M. D u P a t. N'importe, venez, Monsieur; et vous aussi, Mad. Robert.

Mad. R o B B n T. Moi ? oh ! très-volontiers , M. Dupré.

M. D u v n É. Suivez-aioi tous , je vous en supplie. Comme j'ai été le dépositaire de la somme, je veux que ma conduite, en cette circonstance , ait la plus grande publicité. [ A part.) Que je plains ce pauvre jeune homme !

Fin du quatrième Acte; H


<!»)

A C T E V. SCÈNE PREMIERE.

C* A M r A e H E, venant da chez le luge, accourant et et sautant da joie. II tient la cassette,

CBST à moi, c'est h moi le trésor ! Je le tiens, le voilà ! Mon nigaud de neveu a tant répété, a si bien prouvé qu'il ne pou voit lui appartenir , que le Juge a fini par m'adjuser la somme. Dans le fait, il n'a pu jager autrement. C'étoit pour moi, rien de plus clair.

SCÈNE II.

MAD. ROBERT, DU TAILLIS , GEORGES, M. DUPRE, ROSETTE, venant tous de ches le Juge* CHAMPAGNE.

Mad. ROUIT, arrivant la première. An ! je suis dans l'enchantement ! CHAMPAGNE, sans voir les acteurs qui entrent, et toujours occupé de son argent. Cinq cents mille livres! J'en deviendraifou. Loin de moi cette enseûçne d'un métier vil et obscur. [ // arrache son tablier et te jette loin de lui. Se tournant vers sa maison , étun ton dimportance ] Holà ! quelqu'un. ! Guillot, Guillot?

SCÈNE III. LES PRÉCÉDÉES,GUILLOT. GUILLOT, sortant de Pauberge. PLAIT-IL , not' maître ?

CHAMPAGHB. Va me chercher ma perruque neuve, et le plus bel habit de ma garde-robe.

GUILLOT. Oui, not' maître. [ II rentre dans Pauberge. ]

SCÈNE IV.

DU TAILLIS, GEORGES, M. BUPRÉ.CHAMPAGNE , MAD. ROBERT, ROSETTE. M. D v P.R E, s'apprctkant de Georges. ^ Voxis aurez joui d'une prospérité bien courte , monsieur , j'en suis fiché ; car vous me paraissez ou homme


( 5e,) de bien. Mais puisque cette grande fortune ne sort point de la famille , je ne douté pas que votre oncle ne st conduise avec vous en parent généreux et sensible. CHAMPAGHB. Il est bon-là , M. Dupré!

M. D v p R B ,parlant toujours à Georges, KAvec intérêt.) Je vous quitte un moment. ( Parlant à Georges ,a Du Taillis et a sa fille. ) Attendez-moi ici tous les trois. [Parlant à Georges seul.] Vous m'inspirez beaucoup d'estime; je serai bien aise de causer avec vous. [ II sort. ]

SCÈNE V. CHAMPAGNE, GEORGES, DU TAILLIS, MAD. ROBERT, ROSETTE. CHAMPAGNE. ( IL est drôle, ce notaire !.-. Taire du bien à un impertinent, qui tantôt s'est donné les airs de molester son oncle , à qui il doit respect !

Mad. R o n B m T. Vous auriez trop de bonté !

CHAMPAGNE. Un vaurien, selon toute apparence, et par-dessus tout cela, mon rival, peut-être !

Mad. R o B B m r. N'en doutez pas. Déjà il offrait votre fortune avec ss personne à Rosette.

CHAMPAGNE avec colère. A Rosette? Qu'il cherche un asyle et des secours ailleurs que chez moi. ( Parlant à Georges, ) Ne manque-t-il rien dans la cassette ?

G z o a o E s froidement. Ah ! j'ai snr moi quelque argent, que j'en avois tiré pour mon usage.

CHAMPAGNE. De l'argent? il mêle faut.

G E o R o R s. Je n'y songeois pas. Le voilà.

CHAMPAGNE. Eh bien, mameselle Rosette , metrouvez-vous à présent , un mari digne de vous ?

R o s B v T B. Oh î mon dieu non ! pas plus que ce matin.

Hij


<6o)

C H A M P A G MB CtOJIIIS.

Ha, ha!

Du TAILLIS sèchement. M. Champagne , ma fille est destinée à cet honnête homme: ils raiment, il est juste de les marier ensemble. CHAMPAGNE «n riant. Voilà un père et une fille d'une espèce rare !

Mad. R o B B a T. Pour ça oui : pauvres et désintéressés !

CHAMPAGNE. Vous faites la renchérie, mademoiselle, quand c'est à moi de me faire valoir! Tant pis pour, vous , tant pis

Sour vous ! Avec ma cassette , j'épouserois tout le mone, si je voulois. Que vous en semble, madame Robert, vous qui saves calculer ?

Mad. ROBERT lui faisant das mines. Vous avez bien raison , M. Champagne.

CHAMPAGNE. Sans aller plus loin , si jeyousfaisois ma cour; vous sentiriez un peu mieux le prix de mes soins, n*est-il pas vrai, madame Robert ?

Mad. R o B B n v minaudant. Vousm'avez toujours paru fort aimable , M. Champagne.

CHAMPAGNE. Vous ne laissez, pas d'avoir aussi quelques agrémens. Oui, en vous considérant, je trouve que vous vaìez votre prix comme une autre. Vous êtes veuve et riche ; vous n'avez point d enfans.Toute réflexion faite , voulez-vous tâter d'un second mariage?

Mad. R o R B R T. Parlez-vous sérieusement, M. Champagne ?

'CHAMPAGHB. Oui... Vous êtes-là : tout est dit. Si vous voulez , je vous épouse.

t Mad. R o B B.R t h part. II est bien vieux et bien laid ; mais sa cassette est superbe : et je serai vengée de ces deux êtres-là. CHAMPAGNE. Vous hésitez?

Mad. R o R B R T lui faisant larévérance. Bu-t au contraire , M. Champagne. Je sais trop apprécies ! "offre que vous me faites...

C n A H p A o 11 dun air de protection. Voilà, ma main.


(«• )

Mad. R o B E R V. Je la reçois de tout mon coeur.

CHAMPAGNE. Mais Guillot ne vient pas. [ IIappelle. ] Guillot?

SCÈNE VI.

LES PRÉCÉDXNS, GUILLOT.

GUILLOT avec P habit et la perruque. MB voilà, not* maître.

CHAMPAGNE. Allons donc.

GUILLOT. Dame, not'. maître, c'est que je ne trou vois pas.

CHAMPAGNE. Donne-moi mon habit.

Mad. ROBERT. Votre cassette vous gène: si vous vouliez je Tirais déposer chez moi.

CHAMPAGNE. Fort obligé de votre attention, madame Robert ; mais ma cassette ne me quitte point. [II la pose à terre, et met un pied dessus, j

Mad. R o B B a T. Comme il vous plaira. [ Parlant à Georges don ton railleur. ] Eh bien , M. Georges, vous ne dites mot ; vous avez Pair pétrifié !

CHAMPAGNE en mettant son habit. En effet, quoiqu'amoureux et bien traité de sa bergère , il n'a pas Pair triomphant, M. mon neveu. Mad. ROBERT. Je le conçois : avoir mis ime grande fortune aux pieds de cette beauté sans pareille !

C H.A M P A G n s enmettantsa perruque. Et n'avoir fait qu'on beau rêve.

Mad. ROBERT. C'est un peu contrariant, [avec le ton du persijjiage, ] Mais ces perles-là touchent peu les grandes âmes. Du TAILLIS avec humeur. Madame Robert, n'insultez pas au malheur de ce pauvre jeune homme.

. Mad. ROBERT toujours persistant. Les grandes âmes savent se passer de ce vil métal, de cette boue qu'on appelle argent.


(eo) Du TAILLIS brusquement.

Oui, madame Robert, on peut se passer de richesses somme de vous.

Mad. ROBERT en riant. C'est un philosophe aussi , que M. du Taillis ! CHAMPAGNE riant, et achevant sa toiletta. Je crois qu'oui.

D v. TAILLIS. Allez au diable , et laissez-nous en repos.

Mad. ROBERT. 1 Is sont en colère !

CHAMPAGNE reprenant sa cassette Oh ! ils s appaiseront !

Mad. R o B B B T. Je n'en doute pas. Songeons à nos affaires.

CHAMPAGNE. Vous avez raison. Me voilà prêt: allons chez le notaire. [D'un ton moqueur.) Adieu, couple amoureux. Cet amour-là produira de grandes choses! [// donne le bras à madame Robert. Us sortent. Guillot rentre dans Pauberge. ]

SCÈNE VII. DUTAILLIS, GEORGES, ROSETTE. Du TAILLIS. COMMB ça vous est insolent ! Si cen'étoit la prudence... [ H f ait avec son bras le geste de battre. ] Eh nien , mon camarade?

GEORGES. Eh bien, M. du Taillis?

Du TAILLIS. Vous voyez que la fortune est une capricieuse?

G B o n e B s. Oui tout concourt à me le persuader. Du^ TAILLIS. Le monde est ainsi fait.

GEORGES. Ce qui m'arrive est inoui peut-être ! j'en suis accablé !

DUTAILLÏS. Pensez-vous que cela empêchera votre mariage aved ma fille?

G B o B 6 s s vivement. Ah! que me parlez-vous de mariage! Je ne peux plus faire le bonheur de Rosette} je renonce à celui de la posséder.


(65) DtF TAILLIS, T renoncer! ça ne sera pas, ça: qu'en dis-tu ma fille? R o s E T T B avec le plusjgrand attendrissement. Ce matin, jen'imaginois rien de si doux que de psrtager votre mauvaisdeslin. J en fais l'aveu. Pensez-vous ? Georges,qne de telssentimens puissent changer eu si peu de tems? . .

G B o n e B S vivement,mats bien pénétré. Plus vous me montrez de générosité l'un et l'autre,

5lus je m impose la loi de n'en abuser jamais. Le ciel oil aux vertus de Rosette un époux qui lui fasse couler des jours fortunés; et quel seroit son sort avec un mari tel que moi ?

DUTAILLÏS. Celui d'une fille sage qui épouse un homme de bien. Ne l'êtes-vous pas homme de bien ?

GEORGES très-vivement. Sans doute ; mais en suis-je moins une victime constante de 1 adversité ?

DUTAILLÏS. L'adversité vous fait quelque chose, à vous que j'ai cru si raisonnable ? Vousm'étonnez ! N'y a-t-ii pas des millions d'hommes sur la terre, cent fois plus à plaindre que vous ?

£ S O R G E S.

J'en conviens.

Du TAILLIS.

Si vous veniez de perdre un bras ou une jambe, je pourrois vous dire : c'est un malheur , ça : mais quelques sacs de monnoie de plus ou «Je moins, est-ce donc là de quoi désoler un honnête homme ?

GEORGES, avec la plus grande sensibilité.

Je serais digne de tous vos mépris, si c'étoit pour moi que je regrettasse le bien que je perds. J'ai connu le contentement au sein de la pauvreté. Mais il est au monde un bonheur suprême , celui de compter les objets que l'on aime, parmi les heureux que Ion fait ; ce bonheur inexprimable, je commençois d'en jouir , et ce n'a été que rillusion d'un moment. Du TAILLIS.

Vous étés privé d'un plaisir, à la bonne heure ; mais croyez-moi, jeune homme, quand on a ceci tranquille. (u met la main sur son caur) on ne peut pas ,110.1 non, on n? peut pas être malheureux. '


.(<*>

G 1 O R e B S très-vivement, et mima avec un pess d'emportement. Vous avez raison , pour Phomme qui vit isolé sur la terre ; mais si vous tenez à d'autres objets par les nonids les plus doux, et que vous n ayiez que des maux à leur faire partager, vous défendrez-vous alors d'une douleur légitime? Peut-être ne sentez-vous pas comme'je le sens d'avance , le tourment affreux de voir une épouse , des enfaus qu'on chérit plus que soi-même, livrés a tous les maux qu'entraîne la misère ? Du TAILLIS. La misère ! Doit-on la craindre, quand on a de la jeunesse , des bras et du courage? .

G B o a o x s, vivement. Le travail ne m'épouvante point. Elevé dans les fatigues de la vie champêtre * ce seroit avec joie que je verrois mes sueurs arroser la terre, si j'étois sûr qu'elles dussent faire naître quelques fleurs sous les pas de votre fille ; mais ne savez-vous point qu'il y a des hommes à qui rien ne réussit jamais, et qu'une espèce de malédiction poursuit jusques dans les objets qui les intéressent? Ne voyez-vous pas qu'un éclair ae bonheur ne vient de luire à mes yeux , que pour me faire entrevoir ranime où je suis plongé ? Voulez-vous y tomber avec moi ? Du TAILLIS. Dites-moi donc , est-ce ainsi que vous répondez à notre amitié?

G B o a e B S. (.Son désespoir augmente.) Je commis tout le prix de cette amitié si noble et sî désintéressée : elle vous aveugle sur mon sort. Mes amis, mes chers amis, laissez-moi, je vous en conjure. Du TAILLIS. Vous laisser!

GEORGES, avec un désespoir concentré. Que dis-je ! c'est à moi de fuir. (Sentencieusement.) Quand on ne peut vivre auprès decenx qu'on aime,sans leur communiquer l'influence d'une étoile funeste, il faut mettre entreux et soi un espace éternel. Du T A i L L i s. Perdez-vous l'esprit ?

G x o R o B s Rapprochant da Rosette. (Du ton le plus doux etle plus attendri, mais vivement.) O vous, qui serez toujours regrettée, toujours adorée! vous dent l'image charmante ne mourra dans

mon


(«) .

■son coeur qu'avec mon coeur lui-même, recevez mes derniers adieux. (II veut s'en aller. ) - ROSETTE jetant un cri, et fondant en larmes. Mon père ! il s'éloigne !

Du TAILLIS vivement et avec fermeté. Où allez-vous?

GEORGES. Où m'entraine la loi immuable du destin.

Dy TAILLIS. Vous ne vous en irez pas

GEORGES, d'un ton ferme. Pensez-vous qu'il )r ait quelqu'un sur la terre qui puisse empêcher ma destinée de s'accomplir ? ( II s'elaigne.) Du TAILLIS dun ton presque courroucé, et se mettant au-devant de Georges. Oui ; et ce queïqu*un-là, c'est moi, c'est le père du Taillis. (Avec le cri du sentiment. ) Tu ne nous quitteras jamais , mon ami Georges !.

G E o n e B s se précipitant dans ses bras. Ah! mon père:

SCÈNE V I 11 LE NATURALISTE, DU TAILLIS, GEORGES, ROSETTE. Du TAILLIS. VOILA bien des façons pour demeurer avec de bonnes gens qui veulent être tes amis !

Xi NATUAALISTB sortant du cabaret. Je suis tombé dans une bonne auberge, grâce au ciel ! (H vient sur le devant de la scène. )

Du TAILLIS unpeubrusquement. Georges, venez.

JtM N A T u R A L i ST B fixant Georges. Me trompé-je? mon voleur ! Du TAILLIS prenant Georges sous le bras. Venez, venez avec nous.

LE NATURALISTE. Je ne me trompe pas— Il se sera évadé ! Bon, M. le garde, arrêtez ! arrêtez ce misérable i c'est le voleur de ma valise! *■

Dp TAILLIS. Ho, ho ! Phomme à la valise ! d'où diable sort-il ?

LE NATUBALISTZ. Tenez-le bien!

Du TAILLIS en riant. U «e l'en ira paj9 j'en répond».


(6C)

L B N A.T U R A % \% T B.

Ha, ha! tu cherchois à te soustraire au glaive de la loi ? (Parlant à Du Taillis.) Comment s'est-il échappé? Je vais appeler main-forte : à la garde , à la garde, a la garde. ( Les Ca valiers p, : roissent. ) Du TA ì tus.

Doucement, monsieur ! je vois que vous n'êtes pas instruit de la suite de votre affaire. Ce jeune homme a paru devant le Juge ; et sur la déclaration de deux malfaiteurs que j'ai moi-même arrêtés,.et qui sont, de leur propre aveu, les seuls auteurs du vol de votre valise , .'ou innocence a été reeonnue,et on lui a rendu la liberté. LE NATURALISTE confondu , à Georges,

Ah! pardon, Monsieur ! les apparences déposoient contre vous. Je vous ai tenu des discours offensans ; j'en suis fâché, et je vous prie d'en recevoir mes excuses. GEORGES, très-honnêtement.

Ne parlons plus de cela, Monsieur. J'ai pour maxime d'oublier les injures, et de ne me souvenir que des bienfaits.

$ C È N E IX. LES PRÉCÉDBNS, M. DUPRÉ. M. D u P R R, avec empressement. MONSIEUR Georges , je vous ai prié de m'attendrc :

Í'eviens vous déclarer que je.nepeux souffrir qu'un jeune lomme plein de vertu, soit, sous mes yeux, victime de l'infortune : venez chez moi, je vous offre ma maison... (Se retournant,) Que yois-je ? le porteur de la cassette ! Vous êtes ici , monsieur?

LE N A T U. RA L irs T B. J'y suis bien malgré moi, je vous assure.

M. D u P a i. J'ai su qu une fâcheuse aventure vous avoit obligé de reparoitre dans le canton ; mais je vous crpyois reparti.

L B N A TU R A L i'.S T B.

C'étoit bien mon intention en sortant de la fbrêtrmaisla recherche de ma valiseavoit tellement harassé mon pauvre cheval,qu il est mort de lassitude sur le grand chemin. Forcé de prendre le coche qui n arrivera que demain , je suis revenu; j'ai vu cr-tteauberge,et jy suis entré. Me voilà bien restauré. bien repose, et tout prêt à partir. Eh bien, M. le notaire, avez-vous trouvé l'homme aux cinq cents mille francs ?

M. D u P n t. Oui, Monsieur ; déjà même il est en possession de la cassette.


(67) LE NATURALISTE.

Ah ! tant mieux, j'en suis charmé. M. DUPRÉ. Peu s'en est fallu que je ne fisse une grande méprise, car monsieur porte aussi le même nom.

LE NATUBALISTB avec intérêt. Comment ! ce jeune homme s'appele Mathurin-G eorges Du Rocher?

GEORGES honnêtement. Oui, Monsieur.

M. D v P R *. Et je lui avois d'abord remis la cassette ; mais le maître de cette auberge (indiquant Pauberge,) frère du 5ère de Monsieur, et se nommant comme lui, a donná es renseiguemens plus certains , et la somme lui a été adjugée.

La NATUBALI ST E avecftu. Eh , Monsieur, l'homme à qui j'apportois celte somme, n'est point im aubergiste, c est un jeune philosophe. M. DUPRÉ étonné. Un philosophe ! je n'en connois pas dans ce canton. LE NATURALISTE encoreplus vivement» II revenoit d'Ispahan , capitale de la Perse, quand il est repassé en France.

GEORGES vivement. Eh, Messieurs, j'en arrive.

LE NATURALISTE avec chaleur, D'Ispahan ?

GEORGES. Oui, Monsieur. C'est à Ispahan même que j'ai laissé M. De Li mours, un savant bien connu, avec qui je voyageois.

LE NATURALISTE avec chaleur. M. De Limours ! Voilà l'homme à qui il faut donner les cinq cents mille livres. Lisez, M. le Notaire. M. D u P R i lit. » Je charge M. Pompéïa...

'LE NATURALISTE. Cest mon nom.

M. D y p R i continuant de lire. » Dont la probité m'est bien connue, de déposer chez » le notaire du village des Murs, ou d'un village voisin, » cinq cents mille livres,pour être délivrés à Mathurin3J Georges Du Rocher, âgé de trente ans, qui a parcouru » avec moi PAsie , PAfrique , etc. LIMOURS.


(si*)

Tout LES ACTRURS vivement. Ali ! grand Dieu ï

M. D u p R R eu Naturaliste. Mais, Bfonsieur, pourquoi ne m'avez-vous pas dit cela tout de suite?

L.z NATURALISTE vivement. Pourquoi? pourquoi? Parce que ce n'est point dsns l'étalage de la bienfaisance, qu un homme tel que M. De Li mours, cherche le prix de ses bienfaits. En enrichissant ce jeune homme , il vouloit que son nom fit ignoré. A ce trait, M. le notaire, reconnoissez un vrai philosophe.

GEORGES. Mais, Monsieur. ce savant respectable avoit tout perdu à l'époque de notre séparation ?

LE NATURALISTE. Je le sais ; mais en arrivant à Marseille , la mort de son frère, riche négociant de cette ville ,1a rendu maître de trois millons de bien.f Appellant. ) M. 1 aubergiste, M. l'aubergiste? Ah ! il faut qu'il restitue ! M. D U P R E ^ vivement. A Pheure même. Je l'ai laissé chez moi avec mon clerc, qui dresse son contrat de mariage. Je vais le chercher... Mais le voici justement,avec madame Robert , et ce qu il y a de plus heureux, avec, la cassette. ( Aux Cavaliers.*)Mes amis, lorsqu'il s'agira de la lui faire rendre, ne le perdez pas de vue, c'est essentiel.

S C È N E X.

DU TAILLIS, GEORGES, LE NATURALISTE, M, DUPRÉ, ROSETTE, CHAMPAGNE,MAD. ROBERT, LES CAVALIERS.

Du TAILLIS en riant. EH bien, M. Champagne, vos dispositions sont-elles faites ?

CHAMPAGNE. Oui, les articles du contrat sont dressés et signés.

Mad. R o R B n T à part. Et il y a nn dédit de cinquante mille livres payables lotit de suite, par celui des deux contractai» qui retireroitsa parole.

C HA M P A G N B.

Mad. Robert a paru désirer cet arrangement, et quoique le plus riche, j'ai bien voulu en passer par-là. Mais que faitestvous donc ici avec ces bonnes gens , M. Dupré?


(«9) L B NATURALISTE. Je vais vous le dire, M. l'aubtrgiste.

CHAMPAGNE avec hauteur. Je ne suis plus aubergiste, Monsieur, entendez-vous?

LENATUBALISTB. Soyez ce qu'il vous plaira, il m'iinporte peu. Ce qui m'importe en ce moment..

M. D u w n i Pinterrompant. Laissez-moi m'expliquer. Vous avez la cassette, M. Champagne ? ( Les Cavaliers t entourent. ) C H A M P A o R z. Ma cassette ? parbleu ! la voilà :

M. DUPRÉ tendant la main. Voyons , montrez... Avez-vous de la méfiance?

CHAMPAGHB voyant les Cavaliers. Moi, M. Dupré, point du tout. ( // laisse prendre la cassette. )

M. D V y n $ vivement. Tenez, M. Georges,reprenez votre fortune. (// lui donne la cassette. )

CHAMPAGNE. Sa fortune! je n'aime pas ces sortes de plaisanteries , M. le Notaire ! (// s'élance?) Ma cassette ! (£«* Cavaliers Parrêtent. )

M. D u P R É. Je ne plaisante point. Je restitue à votre neveu ce qui est à lui bien légitimement.

. Mad. R o R B B T. Quelle indignité ! ( Elle veut arracher la boète des mains de Georges. ) Rends-moi la cassette , perfide ! G B o R e R s la repoussant doucement, en souriant. Non pas, s'il vous plait, madame Champagne. Je ne peux m'en dessaisir en votre saveur. M. le Notaire, veuillez bien la reprendre et la garder chez vous jusqu'à nouvel ordre. ( Le Notaire la reprend. ) CHAMPAGNE. Pas de mauvais tour, au moins, M. Dupré ! [ LYun ton furieux,) Je veux mon argent !

M. D u P R x fermement. H ne vous appartient pas.

CHAMPAGNE horsde lui. lì nem'appartient pas.

LE NATURALISTE avec fermeté. Non, monsieur mon Hôte, il ne vous appartient pas. Je suis le porteur de la cassette.

CXAMPA«NB tout ébahi. Vous?


"7o)

L B N ; T ? RA LISTE.

Moi-même, et ce r <%i point à vous ; c'est à vôtre neveu que j'ai du le fa.' n parvenir.

Mad. ROBERT avec un cri. Ah ! quel tour infernal !

Ci A M P A G N E anéanti. Est-il possible !

Du TAILLIS.en riant. M. Champagne, je vous conseille de reprendre votre tablier.

.CHAMPAGHB désolé. O mon dieu ! mon dieu !

Du TAILLIS. Pourquoi vous désoler ? Puisque vous épousez madame Robert, dont la richesse est connue, vous n'êtes point à plaindre.

Mad. ROBERT. Moi, j'épouserais ce vieux radoteur ! cemisérableeabaretier !

CHAMPAGHB. Que dites-vous, mad. Robert, vous ne m'épouserez pas? Mad. R o B B R T. Plutôt mourir !

C H A M P A 6> M fermement. Mourez donc tout de suite; sinon, dès demain, je serai votre seigneur et maître.

M. ^ DUPRÉ riant. Madame Robert aimera peut-être mieux payer le dédit de cinquante mille livres.

Mad. R o R E R T. Ah ! monsieur ! c'est presque toute ma fortune ! malheureuse! dans qu?l abîme tes tu plongée ! CHAMPAGNE. Comment ! madame ma suture , vous ne sentez pas mieux que ça le bonheur d'être madame Champagne ?

Mad. ROBERT. Fuyons pour jamais cet odieux séjour. [ Elle veut fuir.] CHAMPAGNE, la retenant. Ne prétendez pas m'échapper... [ Elle se désage de ses mains a vec fureur , rentre dans sa maison, et ferme brusquement sa porte. j

CHAM PAG NE, la poursuivant. Je saurai , je saurai, faire valoir mes droits. [ Revenant sur ses pas, dun ton bien humble. ] J'ai de grands torts envers vous, mon cher neveu.

GEORGES ^froidement. Je ce m'en souviens plus.


„ <7«) CHAMPAGHB.

Nous vivrons ensemble, n'est-ce pas mon cher neveu ?

GEORGES. .

Oui, mon oncle, lorsque vous saurez respecter Pindîgence,

Pindîgence, exercer l'hospitalité.

DUTAILLÏS, avec impatience.

Cest ce qu'il ne saura jamais.

CHAMPAGNE, dun ton suppliant.

Père Du Taillis !

DUTAILLÏS.

Monsieur Champagne, cessez de troubler la joie d'un

si doux moment, laissez-nous.

CHAMPAGHB.

Mes amis , de grâce !

Du T A i L L i s , avec colère.

Eh ! laissez-nous !

. C.H A MPA GNE.

Tâchons de nous consoler avec les cinquante mille francs. Allons, allons , Madame Robert , il faut rouk exécuter sur-le-champ. [ II entre brusquement chez elle. ]

SCÈNE DERRIÈRE.

LE NATURALISTE, GEORGES, M.DUPRÉ,

DU T ïLLISi ROSETTE.

LE A-, .i r v R Á Lis T S. CES gens-là vous vengeront eux-mêmes de leurs mauvais procédés.

DUTAILLÏS. Tant mieux ! il faut que les mauvais coeurs soient punis. GEORGE s, parlant au Naturaliste. Excusez ma franchise, Monsieur ; mais la fortune ne paroit pas vous rire extrêmement.

LE NATURALISTE. Il est vrai qu'elle se verge, de temps en temps , du mépris que j'en ai toujours Tait ; témoin la mort de mon pauvre cheval.

GEORGES. La fortune n'est pas estimable par elle-même ; mais en songeant au bon emploi qu'on en peut faire , ou ne doit pas reietter ses avantages. Si vous daignez accepter seulement le dixième de la somme que vous m'avez apporté ?

LE N A T u R A L I s T r.. Quoi ! vous voudriez distraire cinquante mille francs de votre cassette ? Voua vous moquez.


G n o R e B t.

peLjez-vous que jeprétende vivre dans i a magiùncezKel

L B N A T U B AL I S T B.

Je vous estimetrop pour le croire.

G B O R G B S.

Ce n'estdonc point un sacrifice que je fais en vous offrant une portion de mon superflu ; ce n'est pas même un service que je vous offre, c'est un plaisir que je vous demande.

LE NATURALISTE. J'aime votre franchise et vos nobles sentimens. Pen suis touché jusqu'aux larmes. Bon jeune homme ! j'accepte les cinquante mille francs, et je les laisse entre les mains de Monsieur le notaire. J'en disposerai , si j'en si besoin. Sije peux, jem'en passerai.

Du TAILLIS, avec émotion. Bravo, mon gendre, voilà comme j'agirais à votre place.

G x o R G R s. Et vous , belle Rosette ,apprquvez-vousceque je tais ? R o S B T T B, bien attendrie. En doutez-vous ? Quand tout ce que vous faites , m'a»? sure que le premier des biens pour vous sera le coeur de votre épouse. [ II lui baise la main. ] GEORGES. Cniedefólkité! [G«íemeA*.]Allon3,M.le notaire, apprêtez-vous à taire notre contrat de mariage. rr M. D u p R t.

De tout mon coeur ! Je neconnois personne qui mérite plus que vous d'être heureux.

G B o R G B s. Et vous , digne père de Rosette, déposez cette arme meurtrière.

Du TA IL z, i s, rianf. Je ne serai donc plus gardede la forêt.

GEORGES. II est bien temps , mon brave père , que vous vous reposiez. [ Parlant au Naturaliste. ) Monsieur , j'ose eziger que vous ne nous quittiez pas avant la noce. LENATURA LISTE.. Oui, je resterai. Je ne peux résister au plaisir de contempler . au moins une fois en ma vie, l'assemblage unique peut-être, de la bonté, del'amoui , et de la vrais philosophie, /í/' '' ^'*f\

PIN. Mu t)