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Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson

Éditeur : [s.n.] (Paris)

Date d'édition : 1921-11-06

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 42932

Description : 06 novembre 1921

Description : 1921/11/06 (T77,N2002).

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5750106w

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 01/12/2010

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Notes de la Semaine: Le Vieux et le

Neuf .. Le Bonhomme CHRYSALE

La Situation: Intermède ANDRÉ FRIBOURG

Les Eches .. SERGINES

Caquets de chez Barbin HUGUES DELORME

Le Théâtre PIERRE BRISSON

Les Livres MARCEL BERGER

A Celles qui pleurent (Sonnet) .. .. GASTON BÉRARDI Lettres de la Cousine : Souvenirs.. .. YVONNE SARCEY La Vie Politique : Les Illusions Psychologiques de la Société des Nations .. GUSTAVE LE BON

François Rabelais (Poème) MAURICE BOUKAY

L'Oncle Haize (Roman). EDMOND HARAUCOURT

Les Fêtes de Montpellier : Montpellier,

Ville Heureuse Monseignr DECABRIÈRES

La Faculté de Médecine de Montpellier

et Gilbert Grasset EMILE FORGUE

L'OEuvre de Rabelais GUSTAVE LANSON

Rabelais à Montpellier PAUL STAPFER

Gustave Doré et Rabelais

Quelques-uns des plus Beaux Vers de .. EDMOND ROSTAND Réception de M. Joseph Bédier à l'Académie Française: Discours de.. .. JOSEPH BÉDIER

Réponse de LOUIS BARTHOU

Voyage en Zigzags dans la République

des Lettres ANDRÉ LANG

Propos de .. ARTHUR MEYER

— LÉON DAUDET

— GUSTAVE TÉRY

Propos sur les Sports JACQUES MORTANE

Les Maisons Claires .. Y. S.

Revue Financière de la Semaine ..

Théâtre : LA DAME D'ESPOUILLAC, comédie en un acte de CHARLES FOLEY.

ILLUSTRATIONS. — Montpellier et Rabelais : La Faculté de Médecine ; Portrait de Rabelais, par Boudan ; Un Professeur de Médecine au XIVe Siècle ; Le Monument de Rabelais ; Rabelais à la Cour de François Ier ; Six Illustrations de Gustave Doré pour les OEuvres de Rabelais.— A l'Académie Française : Portraits d'Edmond Rostand, de MM. Joseph Bédier et Louis Barthou. — Dessins de Bib, Zyg Brunner, Ch. Genty, H. Gervèse. — Couverture : Le Quart d'Heure de Rabelais, par G. Mélingue.

Le Vieux et le Neuf

ONNAISSEZ-VOUS cette jolie histoire que plusieurs journaux ont racontée?... Un grand amateur d'art, M. Fletcher, de Londres, était l'heureux propriétaire d'une toile attribuée à Rembrandt : La Femme Adultère devant

le Christ. Soucieux de la dérober à de dangereuses convoitises, au lieu de l'exposer parmi les autres tableaux de sa galerie, il l'avait secrètement enfermée dans un coffrefort Précaution inutile... Ce meuble lui fut enlevé. M. Fletcher, bouleversé (on le serait à moins), lança la police aux trousses des cambrioleurs. Mais voici qu'une idée lui vint, une torturante idée. Si les scélérats, impatients de jouir du fruit de leur larcin, s'avisaient d'ouvrir le coffre blindé, et si cette opération brutale abîmait le chefd'oeuvre !... Aussitôt, M. Fletcher s'adresse, par. la voie de la presse, aux voleurs mystérieux.

mystérieux. leur parle sans colère; il leur fait de touchantes recommandations.

" Messieurs les voleurs, leur écrit-il, ne commettez point d'imprudence, je vous en supplie. Vous usez, pour crocheter les serrures ou crever les parois métalliques, d'explosifs ou de chalumeaux. Ces engins, ces outils ne risquent pas d'abîmer les pierres précieuses, les objets d'or ou d'argent. Ils anéantiraient un morceau de toile peinte. C'est cela — peut-être l'ignorez-vous ? — que vous m'avez pris. Ayez pitié de cette merveille, je vous le demande à genoux, non pour moi, qui l'ai perdue, mais au nom de l'art, qui doit nous être sacré. "

La prière de M. Fletcher me semble charmante et ingénue. Sans doute n'est-elle pas aussi désintéressée qu'elle voudrait le paraître. Sans doute l'infortuné M. Fletcher espère-t-il récupérer son trésor, que les. hardis filous négocieraient difficilement, l'attention du monde étant aujourd'hui éveillée... Pourtant, il y a, dans cette terreur d'une destruction possible, dans cette sollicitude, plus que de la crainte, il y a

de l'amour. M. Fletcher adore son Rembrandt, authentique ou faux. Et ce n'est pas là, proprement, une adoration vénale. Elle suppose une part de sentiment. Les vrais collectionneurs s'attachent aux choses qu'ils ont trouvées. Ils les conservent jalousement. Et quand, par aventure, ils s'en séparent, ils veulent avoir la certitude qu'elles ne souffriront point et que le nouveau possesseur prendra soin d'elles...

Le goût du bibelot est une passion singulière et complexe. Ceux qu'elle dévore sont à la fois vaniteux, ombrageux, exclusifs, routiniers... Ils tirent orgueil de leurs richesses, ils voudraient qu'elles surpassassent celles du voisin. Mais ils manquent généralement d'initiative, ils se laissent guider par l'esprit d'imitation, suivent les chemins battus, ne réagissent pas contre ces engouements absurdes que créent l'avide spéculation des marchands et la badauderie de la foule. Lorsque les Degas se vendent cher, ils achètent des Degas, Presque jamais ils ne marchent dans les voies nouvelles, ils n'essaient de deviner et


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LA SITUATION

n'encouragent les talents qui naissent. Ils ne prisent que le vieux, le consacré. En ameublement, ils ne sortent pas des styles classiques. Ils paient volontiers vingt mille francs une console Louis XV, un lit Empire... Cette somme, offerte à un jeune artiste, faciliterait l'éclosion de son génie. Ce n'est point de la sorte qu'agissaient nos aïeux. La. Popelinière couvrait d'or François Boucher en lui confiant la tâche d'orner les panneaux de son carrosse. Napoléon aurait pu garnir ses palais avec des copies de Trianon. Il préférait inventer un style... Pourquoi avoir abandonné cette intelligente tradition? Pourquoi n'y pas revenir? Les innovations, les tentatives — même très hardies — de l'art décoratif actuel provoquent une ardente curiosité. Le public se presse devant les vitrines du Salon d'Automne. Souhaitons que cette sympathie annonce un changement de moeurs, un élargissement du sens esthétique. Qu'un mouvement d'opinion se dessine. Soudain, l'apathique indifférence des Turcarets d'à présent sera secouée. Ils sortiront de l'ornière, dès qu'ils estimeront qu'il est chic d'en sortir. C'est une affaire de mode.

L'éternelle bataille des anciens et des modernes continue. Il faut que les modernes soient victorieux comme ils le furent à travers les siècles. Le progrès est à ce prix.

LE BONHOMME CHRYSALE.

Aujourd'hui, le N° des « Annales » est imprimé sur 40 pages.

L'Alsace sur la Table de Famille

Le Service Hansi est, depuis hier, exposé au Salon d'Automne, au Grand Palais des Champs-EIysées (Section de l'Art Décoratif).

Ce Service est également exposé dans les ville et aux adresses suivantes, eu l'on peut se fair délivrer gratuitement le catalogue en couleurs

A Paris, en l'Hôtel des Annales, 5, rue La-Bruyère; dans les magasins des Faïenceries de Sarreguemines, 26, rue de Paradis ; chez « Fritz Kobus », 46, rue des PetitsChamps ; — à Avignon, Mme Marchand, 1 7, place du Change; — à Baronne, M. j. Lachique, place Montout; — à Bordeaux, M. H. Le Coader, 4, rue des Lauriers ; — à Carcassonne, Mlle Bousquié, 12, rue de la République ; — à Chalon-sur-Saône, M. F. Piffaut, 54, rue d'Autun; — à ClermontFerrand, M. Baraduc, 21, avenue des EtatsUnis; — à Colmar, M. Huffel, 28, avenue de la République; — à Limoges, M. Letourneur, place des Bancs; — à Lyon, M. Pollet, 91, rue de l'Hôtel-de-Ville; — à Marseille, Mlle Toisot, 7, allée des Capucins ; — à Mulhouse, M. Stuckelberger, 15, avenue du Commerce; — à Orléans, M. Bardin, 66, rue Royale; — à Pau, M. H. Gascogne fils, 13, rue Nouvelle-Halle ; — à Perpignan, Grand Dépôt Céramique, avenue de la Gare; — à Rennes, Mlle Robert, 15, quai Lamartine; — à Strasbourg, M. Vix, place de la Cathédrale.

Envoi franco du catalogue en couleurs, sur demande adressée à l'administration des « Annales ».

T

Intermède

28 octobre.

NTERMÈDE... Détente...

Jours de recueillement.

Et pour ceux qui perdirent des êtres chers, et pour ceux qui sentent la mort passer près de leur

maison, jours de souvenirs, de larmes et d'angoisse. — Voici venir la semaine sainte des trépassés.

Dans quelques heures, je vais retourner au pays. J'imagine déjà la montagne radieuse sous le soleil, élevant rythmiquement vers le ciel les vagues égales de ses chaînons marbrés d'or roux et du vert profond des sapins, et j'entends à l'avance les voix amies s'étonner des violences parlementaires des deux dernières semaines. Quand il inaugurera, ces jours-ci, les monuments aux tués de la guerre, que de questions ne posera-t-on pas au député?

Puisque la bataille a cessé, puisque le calme renaît, dressons brutalement notre bilan.

Un fait nouveau, essentiel, domine tout le débat : la « politique )) dans le vieux sens du terme vient de faire une éclatante (( rentrée ». Est-ce un bien, est-ce un mal? Cela, c'est une autre histoire.

Les députés nouveaux étaient venus au Palais-Bourbon en novembre 1919, résolus à lutter contre les vieilles habitudes parlementaires qu'ils réprouvaient justement. " Moins de discours, des actes », disaientils, et ils ajoutaient : (( Plus de mesquine politique de personne, plus de politique de garde champêtre, de facteur et d'agent voyer; élevons-nous au-dessus de l'arrondissement; voyons les intérêts généraux du pays; au lieu de perdre notre temps à des criailleries politiques, reconstruisons la France, économiquement, financièrement, administrativement. Ayons le courage des vastes réformes nécessaires. » — Voilà ce que l'on dit d'abord.

Pendant deux ans, on le répéta avec une conviction touchante et... décroissante. Peu à peu, au fur et à mesure des scrutins, on sentit grandir les préoccupations de la politique pure. Elle se glissa partout, vêtit lentement tous les problèmes de ses couleurs. Bientôt, on en vint à mener, sous prétexte de politique étrangère ou économique, de simples combats de politique intérieure qu'on dissimulait avec un reste de pudeur un peu naïve, et soudain, au cours du dernier débat, des orateurs, carrément, jetèrent bas le paravent et dirent brutalement : « Nous faisons de la politique. C'est-à-dire que nous entendons prendre le pouvoir si la majorité de la Chambre nous approuve. Nous estimons que l'administration actuelle nous gêne, nous combat; nous changerons cela, car nous voulons être réélus en 1924... »

Cela au moins c'était net... Et si d'aucuns croient devoir se formaliser de ce désir de réélection qui perçait nettement au travers de tant de harangues entendues, je

dirai tout crûment que je comprends mal ce scrupule. Les députés qui composent aujourd'hui la majorité de la Chambre se sont aperçus qu'encore qu'ils s'en soient défendus, ils ont des opinions politiques; puisqu'ils ont ces opinions, c'est donc qu'ils les croient bonnes; c'est qu'ils jugent qu'elles sont et seront salutaires au pays entier. Mais les opinions doivent être représentées par des hommes; dans ces conditions, quoi de plus naturel à ceux qui sont au pouvoir que de s'efforcer de conserver le siège qu'ils occupent pour leurs amis et pour eux-mêmes, donc de faire le nécessaire afin de compter, le cas échéant, sur l'administration?

Mais c'est ici que le problème se complique. Bien des parlementaires ont eu, depuis quelque temps, l'impression qu'il n'y avait peut-être pas correspondance absolue entre la Chambre et le pays; que l'Assemblée, prise en masse, semblait plus « droite » que la nation, qu'il n'y avait pas vraiment, proportion exacte entre élus et électeurs... Peut-être aussi, avec le temps, se sont-ils sentis plus a gauches » qu'ils ne l'avaient cru tout d'abord, et voilà comment ce paradoxe a pu être réalisé d'un gouvernement, dont les ministres principaux, dont le ministre de l'Intérieur, par exemple, n'étaient pas pris dans « Taxe de la majorité »; voilà pourquoi certains applaudirent vigoureusement M. Tardieu,, quand il les convia à une opération énergique et franche, quand il leur dit : " Vous êtes le nombre, prenez le pouvoir! » Mais voilà pourquoi aussi, après l'avoir acclamé, ils votèrent contre lui.

De par la volonté de quelques hommes, les trop longs débats de ces deux semaines furent les premiers débats vraiment politiques de la législature. Ils prouvèrent nettement, d'une part, qu'il existait à la Chambre une majorité modérée, d'autre part, que, par manque de confiance en elle, cette majorité n'osait pas se saisir du gouvernement. Mais alors, la logique veut que dans le cas où, d'aventure, les membres de cette majorité croiraient avoir à se plaindre de l'attitude de l'administration à leur endroit, ils ne protestent pas, puisque, si le chef de cette administration n'est pas un des leurs, c'est qu'ils y ont consenti.

Voilà, je crois, très objectivement et très nettement, comment se présente aujourd'hui la situation. — La politique pure qu'on s'était efforcé de reléguer au second plan a envahi enfin le devant de la scène; c'est par la volonté d'orateurs de la majorité que cet événement capital a eu lieu; mais ces orateurs n'ayant pas été suivis par toutes leurs troupes, la majorité se trouve dans une situation fausse; pouvant prendre le pouvoir, elle ne l'a pas voulu, le laisse pratiquement aux mains de la minorité, donc se diminue moralement; la manoeuvre a abouti à une scission, ou si l'on veut à une lézarde au milieu de cette majorité qui, de plus, a perdu et semble faire perdre au


LES ANNALES

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pays le bénéfice d'un état de choses tel que les querelles intérieures étaient réduites au minimum. En résumé, offensive directe et franche de la majorité pour prendre le pouvoir, après une affirmation nette de son programme; bataille de politique intérieure, la première depuis la guerre; défection d'une partie de la majorité; victoire de l'ancienne minorité : voilà, je crois, comment peuvent se résumer les derniers événements.

Les conséquences de ces faits peuvent

être très graves..

Immédiatement d'abord, il est infiniment

regrettable que la bataille politique ait repris an moment même où continuent de se poser les plus graves questions de. politique étrangère, les plus inquiétants problèmes économiques. Elle va troubler l'atmosphère,

égarer certains esprits, détourner l'attention de l'essentiel. Comme la lutte a été violente, comme on a employé toutes les vieilles méthodes d'attaques, que nous réprouvions et réprouvons, comme on a parlé à bouche que veux-tu, durant des heures et des jours, comme on a remis en honneur les détestables

détestables parlementaires d'avantguerre, les espoirs que nous avions formés d'une meilleure organisation du. travail des Chambres s'estompent.

Demain, j'imagine que les membres de

la majorité qui ont lutté jusqu'au bout

contre le cabinet vont reprendre le combat. Ils le peuvent. Il leur est loisible, peut-être, de manoeuvrer entre la droite et la gauche de l'Assemblée en de certaines circonstances, comme, durant tant d'années, le centre allemand manoeuvra au Reichstag. Bien conduits, les dissidents de l'Entente pourraient forcer un cabinet à compter avec eux. Voilà donc, maintenant, le conflit de

politique intérieure établi à demeure, alors que nous aurions eu besoin de la plus grande paix.

Pour l'avenir, les conséquences de l'assaut récent ne seront pas moindres; les

membres de la majorité se verront reprocher par leurs électeurs de n'avoir pas eu le courage de prendre le pouvoir, tandis qu'ils

le pouvaient, d'avoir été battus par la minorité, d'avoir par leurs hésitations persistantes

persistantes au pays une politique d'hésitation, d'incertitudes; et même l'appui de l'administration ne leur serait pas suffisant pour se défendre victorieusement.

Et tandis qu'insensiblement nous retournons aux habitudes d'avant-guerre, tandis que d'aucuns s'imaginent qu'on a tout fait quand on a parlé, tandis que la file des interpellateurs gravit les marches de la tribune et que la cascade des mots s'épanche monotone ou chantante, indulgente ou violente, fielleuse, hargneuse, fervente, narquoise ou subtile, nos anciens alliés rêvent d'un partage économique du monde et nos anciens ennemis cherchent méthodiquement, à travers toutes les vicissitudes, à réaliser leur grande idée : la revision progressive et complète du traité de Versailles. ANDRE FRIBOURG, député,

secrétaire de la Commission de l'Enseignement et des Beaux-Arts, et membre du Conseil Supérieur des Colonies,

La Séance Annuelle des Cinq Académies

Elle fut particulièrement captivante.

M. Imbart de la Tour la présida avec noblesse; M. Ch.-V. Langlois parla des impôts il y a six cents ans.;, M. Henri Deslandres disserta brillamment sur les progrès de la télégraphie sans fil ; M.. Henry Lemormier montra en l'illustre demeure de Chantilly un château cinq fois historique. Mais le gros succès de la séance était réservé à l'admirable discours du marquis Robert de Flers: La Langue Française et la Guerre. Il faudrait tout citer de ce morceau de grâce, d'éloquence et d'émotion, qui est un hymne d'amour au beau parler de chez nous. Résignons-nous, faute de place, à n'en donner que quelques: extraits :

« Trois langues seulement, depuis qu'il y a des hommes, et qui parlent, ont mérité d'être appelées universelles : la grecque, la romaine et la française. L'on a pu dire que la grecque, toute vibrante du chant des déesses et des cigales, fut celle de la beauté, tandis que la langue romaine, formée par l'effort ambitieux des juristes et des soldats, fut celle de l'autorité. La langue française, elle, fut la langue de la grâce et de la raison réconciliées dans son harmonie et dans sa clarté. C'est son miracle continuel. Nous l'avons dû sans doute, à l'origine, à l'heureux accord du celte et du latin. Les Gaulois, nés bavards, se plaisaient à accompagner le jet du javelot d'un flux de paroles sonores dans le temps même où la voix de Rome, pour avoir voulu se faire entendre des quatre coins du monde, commençait de se fatiguer. Ainsi la vigoureuse jeunesse d'un idiome était prête à profiter de la maturité et de l'usure de l'autre... »

L'expérience eût été redoutable si le destin de notre race n'avait pas toujours été dans notre langue comme sur notre sol d'arrêter les barbares. Notre langage ne s'éloigne pas de la sève populaire :

« Les fils de Louis le Débonnaire ayant conclu amitié furent obligés, pour être compris de tous leurs vaissaux, de se servir, en rédigeant leur pacte, de la langue courante. Et ce fut le Traité de Verdun. Ainsi ce nom, — qui n'a jamais fini d'être glorieux, — par un hasard chargé d'émotion désigne à la fois le dernier monument de notre gloire militaire et le premier monument de notre langue nationale. »

L'éminent orateur, citant fort à propos une anecdote célèbre, y ajoute de fortes réflexions:

« Charles-Quint disait que s'il voulait par» ler à Dieu il parlerait en espagnol, à " des femmes il parlerait italien, à son che» val il parlerait allemand, mais que s'il vou» lait parler à des hommes, il parlerait fran» çais. » C'est que la langue française est entre toutes la langue humaine. C'est en français que le plus grand nombre de vérités ont

été répandues sur la terre. C'est en français que les plus belles promesses ont été faites et tenues. »

M. Robert de Flers parle ensuite des vocables nouveaux créés par la guerre ; il imagine que tel nom propre devra peut-être à nos soldats une héroïque promotion et deviendra quelque jour nom commun. Plus tard, l'Académie discutera, pour le dictionnaire, des paragraphes dans le genre de celui-ci

« Verdun, chef-lieu d'arrondissement, sur la Meuse, citadelle construite par Vauban, 47 kilomètres au nord-est de Bar-le-Duc, 13.5.00 habitants, 400.Q00 morts. — Nom propre devenu par l'usage et par extension nom commun. Signifie le mépris de la mort,; la volonté de vaincre, l'abnégation absolue, devant le sacrifice nécessaire, et quand on meurt ainsi pour un pays, la certitude qu'il a de ne jamais mourir. »

Ce passage, dit d'une voix vibrante, déchaîne l'enthousiasme de l'assemblée. Et M. Robert de Flers, chaleureusement acclamé, achève ainsi son délicieux discours' :

« La langue française n'est pas seulement le miroir de notre histoire, elle est aussi- celui de nos paysages. Elle en reflète les conteurs modérés, les horizons d'eau vive et de feuillages, la douce gravité, la simplicité familière, l'allégresse de bienvenue de leurs marins, la mélancolie d'adieu de leurs crépuscules. Elle reçoit les plus humbles images comme les plus magnifiques. Elle met son goût à enrichir les unes et sa mesure à arrêter les autres au seuil de l'orgueil et de l'emphase. Elle accueille l'ombre grandiose des cathédrales aussi bien que l'ombre mince des clochers. Elle ne repousse aucune splendeur ni aucune modestie. Elle est toute sagesse et toute grâce, et, en nous penchant un peu, il nous semble qu'à travers sa limpide profondeur, nous apercevions Ie visage même de la France. »

Au moment même où la suprématie de notre langue est menacée, il était bon que ces choses fussent dites avec cette élégance et cette autorité...

Le Quart d'Heure de Rabelais

Puisque nous reproduisons en couverture la scène fameuse du Quart d'Heure de Rabelais, remontons à l'origine de cette locution dont on fait, aujourd'hui encore, un usage constant.

L'anecdote à laquelle elle a trait a été diversement interprétée et contée par les biographes et commentateurs de Maître François. Voltaire même la rejette et en démontre l'invraisemblance. Cependant, la légende étant toujours plus forte que l'histoire, bornons-nous à la relater sans enjolivements ni fantaisie.

L'inventif Rabelais se trouvait à Lyon. Sans un sol pour acquitter ses dépenses à l'hôtellerie, il imagina d'en faire supporter les frais — ainsi que ceux de son retour dans la capitale — par le procureur du roi. Il fît écrire par un enfant de subversives étiquettes qu'il colla sur des sachets contenant une poudre inoffensive : Poison pour le roi. Poison pour la reine. Poison pour le dauphin. Il plaça le tout bien en vue dans sa chambre et s'absenta quelques heures.

A peine rentré, on l'arrêtait comme conspirateur. On le ramena à Paris en litière et, partout où il passa, il fut hébergé aux frais des villes comme un prisonnier do marque. Sur sa


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LIS ANNALES

demande, on le conduisit devant François Ier qui rit beaucoup du stratagème et retint, dit-on, le joyeux compère à souper.

Quoi qu'il en soit, cette expression a survécu. Le « quart d'heure de Rabelais »! exprime le moment désagréable où il s'agit de payer, de compter avec son hôte, l'instant redoutable de « la Douloureuse ».

Le Bric-à-Brac chez Jean Jacques

M. Paul Debuisser, de Calais, ayant entrepris le pèlerinage classique des Charmettes, me fait part de ses impressions en une fort amusante lettre.

Ce peu commun voyageur, jugeant que les souvenirs historiques reniermés à l'Ermitage sont insuffisamment gardes et respectés, a senti poindre en lui l'âme d'un détective et s'est plu à tenter diverses expériences. Oyez plutôt

« Dans le salon, sur une table à jouer Louis XV, se trouve un jeu de tarots, authentique propriété de Mme de Warens. J'étais seul dans la pièce : furtivement, je m'emparai du jeu que je glissai dans mon portefeuille. Quand, une heure plu; tard, je remis en place les tarots que j'avais subtilisés, personne ne s'était aperçu du larcin... »

Ce n'est pas tout. Dans la chambre de Mme de Warens, notre curieux visiteur tira un tiroir qui se trouvait entre-bâillé, croyant y découvrir les oeuvres de Rousseau. Il n'y rencontra que des livres témoignant d'un rare éclectisme comme Le Guide du Parfait Cycliste et Le Vautour de la Sierra,

UN REVENANT. Robert Macaire va ressusciter à la scène. « Ce Talleyrand encanaillé — disait Barbey d'Aurevilly — fut une prodigieuse révélation, quand les ailleurs le lancèrent sur la scène... C'était, en effet, la première saison de celle chose qui porte un nom maintenant et s'appelle majestueusement les affaires; le monde des affaires ! C'était l'aurore des commandites, que tant de gens vertueux aimaient à voir lever ! L'Industrialisme et la Politique, qui avaient des procédés si rapides pour changer les consciences en un excellent fumier, obtenaient leurs premiers champignons, et leurs premiers cornichons aussi. »

La conclusion était :

« Robert Macaire fut la statue en boue du Juste Milieu, pétrie par des mains en gaieté de justice. »

Bientôt, Max Dearly, incomparable fantaisiste, si fin jusque dans la farce excessive, va nous rendre plus gai encore le sympathique scélérat campé par Frédérick.

m

Le 2 novembre, jour des Trépassés, le hatard nous met sous les yeux ceci :

LE CIMETIÈRE DES SAINTS INNOCENTS

En passant par ce cimetière, Prions Dieu pour les trépassés. Que d'os l'un sur l'autre entassés, Que de cendre et Que de poussière !

Passant au logîs du philosophe, il eut la surprise d'extraire d'un autre tiroir — car il se sentait en veine d'opérer des fouilles — un, puis deux, puis trois corsets, des chemises, des chiffons, de la toile, une paire de bottines, le tout appartenant, présume-t-il, à la jeune et élégante concierge des Charmettes. Une visite au cabinet de toilette voisin lui révéla la présence cl un cor de chasse! Un cor chez JeanJacques... La rencontre n'est pas sans imprévu !

Et mon correspondant de conclure, sarcastique et généreux :

« J'ai été trop curieux. A l'avenir, les visiteurs des Charmettes voudront contempler et Le Vautour de la Sierra et les corsets. Il faudra donc déménager livre; et vêtements. C'est pourquoi je vous propose d'ouvrir une souscription publique pour offrir une bibliothèque et une garde-robe à la concierge des Charmettes. Je m'inscris pour vingt-cinq centimes... »

Bien que je n'aie aucune raison de suspecter la véracité de M. Debuisser, je publie ses observations sous toutes réserves, car je n'ai guère le loisir de les contrôler. Cependant, si elles ne sont point fantaisistes, il conviendrait d'en tenir compte et promptement.

Un peu plus de respect pour la mémoire de Jean-Jacques, s'il vous plaît!

Centre les films Mensongers

Voilà une bonne nouvelle que mon voisin, le Bonhomme Chrysale, reçoit de Hollande.

Quatre mots de moralité Sur ce lieu de mortalité: Hommes, pour une bagatelle Qui vous donnez tant de souci, Toutes les têtes sans cervelle Ne sont pas dedans ce lieu-ci.

Tous ces fameux traineurs d'épées.

Tous ces illustres champions,

Ces Césars et ces Scipions,

Ces Alexandres, ces Pompées;

Ces grands soldats et ces grands rois

Bravèrent la mort autrefois

Par une valeur sans seconde ;

Mais la mort enfin les brava...

Que de mal pour mourir au monde,

Et ne savoir pas où l'on va !...

Ces Vers (d'une belle coulée française, selon l'expression de Monseigneur Baudrillart parlant de ceux de Ponction), ces vers datent de deux cent cinquante ans environ. Ils sont de Claude Le Petit, excellent poête français, lequel fut pendu, puis brûlé en place de Grève au mois de septembre 1664.

Mais ne vous semble-t-il pas, lecteur, que pour voir s'ouvrir toutes grandes devant lui les portes du Paradis, il a dû lui suffire de réciter les deux strephes que vous venez de lire ?...

Elle a trait à l'une de ses récentes Notes de la Semaine :

« Je viens de lire, dans l'avant-dernier numéro des Annales, votre article : « Les Perfidies du Ciné. »

» Je me réjouis de pouvoir vous annoncer que le gouvernement hollandais a prié les bourgmestres d'interdire les films allemands représentant vos rois se livrant à d'ignominieuses débauches. Heureusement, notre gouvernement a senti ce que ces films ont d'outrageant pour les Français. Vous serez d'accord avec moi que c'est un remède efficace au mal que vous signalez.

" Que tous les gouvernements étrangers agissent ainsi : c'est le vif désir de

» Votre lecteur fidèle,

» K.-W. BERENDS. »

La mesure est excellente. Puisse l'exemple hollandais être suivi par les autres pays!

Les Belles Excuses de Frédérick Lemaîire

La Porte-Saint-Martin nous offre un Robert Macaire et Cie. C'est le moment de rappeler une aventure de celui qui fut le créateur du rôle : Frederick Lemaître.

Jouant l'ivrogne, dans Trente Ans ou la Vie d'un Joueur, le grand comédien, obéissant à une inspiration soudaine, esquissa un geste familier aux fervents de Bacchus. Le public se mit à protester contre ce qu'il conCar

conCar est bien entendu que faire de beaux vers, c'est prier Dieu.

Un lecteur nous demande : — Que pensez-vous de ce vers de Lamartine :

Quand le fils de Morven me vêtissait d'orages ?

Le moins que l'on en puisse dire (et qui a été relevé déjà) est qu'il contient un barbarisme. Mais ce n'est point une raison suffisante pour conclure avec notre correspondant que la gloire lamartinienne est « un peu surfaite ».

Lamartine (fort malmené de son vivant parce qu'il émettait la prétention de se faire payer Les Méditations deux francs le vers par ses éditeurs) recevait, au lendemain de sa mort, un éloge de Théophile Gautier (Journal Officiel du 8 mars 1869) commençant ainsi :

« Humble poète réduit à la prose par les nécessités du journalisme, nous allons essayer de juger un grand poète. C'est une témérité de notre part. Notre front n'atteint pas à ses pieds ; mais c'est d'en bas que l'on apprécie les statues... "

Le maître du vers plastique s'inclinant de vant le plus grand musicien de la poésie, Quelle noble leçon de modestie offerte aux prosopoètes contemporains

HUGUES DELORME.


LES ANNALES

417

sidérait comme une inconvenance et un manque de respect envers lui.

Frederick Lemaître n'était pas d'humeur accommodante. Il s'avança près du trou du souffleur et cria, d'une voix retentissante :

— Imbéciles !

Tempête de huées, coups de sifflets ; tohu-bohu indescriptible.

— Des excuses ! Des excuses ! hurlaient les spectateurs.

— Jamais ! dit le comédien furieux, en rentrant dans la coulisse.

— Voyons, monsieur Frederick, clamait l'auteur, désolé. Et ma pièce ?

— Je m'en moque !

— Et ma recette, qu'il va falloir rendre! se désespérait le directeur.

— Tant pis !

— Et vos camarades ! et les machinistes, les pauvres employés qui ne seront pas payés et vont par votre faute, se trouver sur le pavé ! Songez-y ! Pour eux, c'est la misère! Ils ne sont pas responsables de... (ici, le directeur usa de diplomatie), de l'impolitesse du public ! Allons, monsieur Frédérick, cédez... pour ces pauvres gens...

— Eh bien ! soit !... dit l'artiste. Souriant, calme, il entra en scène, fit les

trois saluts d'usage : un à droite, un à gauche, l'autre au milieu, et lâcha, du ton le plus gracieux, cette énormité :

— Messieurs, j'ai dit que vous étiez des imbéciles : c'est vrai. Je vous fais des excuses : j'ai tort !

Le public, satisfait, ne comprit pas d'abord cette nouvelle impertinence. Il applaudit et la représentation put continuer'

Mon Courrier

Une lectrice m'écrit à propos d'un récent écho :

« Que de vilains mots, mon Dieu, sur ces petites coupures ! Certes, les jetons sont plus pratiques ; mais pourquoi tant de parti pris sur ces coupures que vous aviez si bien accueillies ? Car si elles sont miteuses, crasseuses, galeuses, c'est par la malpropreté de ceux qui les eut touchées ! "

Voire, madame. Tous les préceptes d'hygiène ne changeraient rien à la chose. Tendez une coupure immaculée à quelque harengère, quelque charbonnier ou quelque ramoneur dans l'exercice de ses fonctions et vous admirerez avec quelle aisance elle s'adornera d'une estampille aussi immédiate qu'indélébile! Faut-il accuser ces travailleurs de malpropreté ? Que non ! Ils arborent dans leurs paumes, sur leurs phalanges, et jusqu'à l'extrémité de leurs phalangettes, la marque glorieuse de leur humble labeur. Vous ne sauriez exiger qu'ils se savonnent toutes les minutes la dextre et la senestre ! Résultat : six semaines de circulation font des coupures nouvelles d'ignobles chiffons où vivent en paix quelques centaines de millions de microbes. Si, après les avoir bien accueillies dans leur éclat, je les trouve, après usage, miteuses, crasseuses et galeuses, c'est qu'elles sont miteuses crasseuses et galeuses. Et je vous assure, dans toute la sincérité de mon coeur, que je me refuse à verser un pleur sur leur disparition.

Un autre lecteur m'avise que le statufié de Sainte-Hermine, en Vendée, est coiffé d'un chapeau mou et non du casque légendaire. Va pour le chapeau mou. Mais ce diable de chapeau mou est planté sur un crâne si batailleur qu'il vous prend des allures de casque. Il était permis de s'y tromper...

SERGINES.

THÉÂTRE DE L'OEUVRE : La Danse de Mort, d'Auguste Strindberg. — GYMNASE : Reprise d'Amants, de Maurice Donnay.

ON SORT DE LA confondu, bouleversé, halluciné. La Danse de Mort ne ressemble à rien de connu. On éprouve, devant cette oeuvre extraordinaire, tout ensemble de la frayeur et de l'admiration. Admiration n'est même pas le mot propre. Pour admirer, il faut comprendre totalement et entrer, en quelque sorte, dans l'esprit de l'auteur; il faut qu'entre lui et nous un rapprochement intellectuel ou affectif s'opère, un lien intime s'établisse. Dans le cas présent, il n'y en a point. On se trouve en présence d'une force pour ainsi dire hors nature, dont on s'étonne seulement qu'elle se manifeste par les mots humains du langage quotidien. Créanciers, l'acte admirable que M. Lugné-Poë a révélé l'an passé, offre certainement plus d'intérêt littéraire que La Danse de Mort. C'est un document moins caractéristique. Ici, le génie de l'illustre Suédois va jusqu'au bout de sa férocité. Son originalité s'accuse, s'exaspère. Nous en connaissons l'épanouissement suprême.

L'oeuvre de Strindberg déroute la critique, ce grand pessimiste, ce misogyne invétéré, dont la vie fut une tempête perpétuelle, tour à tour proscrit et adulé, riche et misérable, mystique et renégat, a fait retentir des cris de haine, a jeté son mépris à la face de l'humanité avec une force saïcastique que personne avant lui n'avait eue, que personne, sans doute, ne retrouvera. Il ne procède d'aucune culture particulière, d'aucune littérature définie. Son esprit est un monde tumultueux que sillonnent en tous sens mille courants d'énergie; mais c'est un monde fermé qui se suffit à lui-même et dans l'évolution duquel aucune puissance extérieure n'intervient. L'auteur de Mademoiselle Julie a l'ivresse du mal. Il palpe, il scrute la misère physique et morale des hommes avec une sorte de joie frénétique et lucide. La déchéance, la médiocrité, l'attirent; il s'y enfonce, il s'y baigne. Il ne s'attache qu'aux êtres diminués, détraqués, fantoches pitoyables, agrippés à leurs routines, et qui traversent l'existence avec des gestes mécaniques. Il démonte les ressorts de ces pantins avec une précision et une cruauté qui tordent les nerfs et le coeur. Une émotion l'étreint lui-même, certaines fois ; il l'étouffé aussitôt sous un éclat de rire strident. Il semble labourer et meurtrir à plaisir sa propre sensibilité, qu'on devine pourtant ardente, prompte à compatir. Il est profond comme un abîme et, comme lui, noir et rempli d'épouvante. Il y a quelque chose de baudelairien dans ce goût, de la souffrance humaine, dans cette obsession du mal. Strindberg est poète, lui aussi, mais poète effervescent, déréglé, et que la passion emporte.

On comprend, d'après ce qui vient d'être dit, quel peut être le défaut de son théâtre. C'est un théâtre de parti pris, au service d'une idée fixe, par conséquent particulier. Il se confine dans l'exceptionnel, dans le morbide. Par

là il reste, en dépit de son incroyable richesse psychologique, sur un plan secondaire.

Le drame est irracontable. Conçu suivant la formule chère au dramaturge scandinave, il se déroule sans action, presque sans intrigue, en conversations familières.

Nous assistons, dans la forteresse d'une île, à la lutte de deux êtres — Edgar, capitaine d'artillerie, et Alice, sa femme. — que la haine divise et unit tout ensemble depuis vingt-cinq ans, et qui, après quelques sursauts de révolte, épuisés par de mutuels et féroces déchirements, retombent dans leur torpeur résignée.

La forte impression qu'a produite sur nous la pièce revient pour une large part à l'acteur principal. M. René Fauchois joue le rôle du

capitaine. Il le joue en grand acteur. Il donne à cette physionomie un relief d'une puissance extraordinaire. Il l'enfle dans son aspect physique jusqu'à une caricature sinistrement bouffonne. Il en démêle avec un art savant et juste les complexités morales. C'est là une étonnante

création. La figure épique d'Edgar restera inséparable dans notre mémoire de celle de l'interprète. Mlle Marguerite Mayane (Alice), factice et superficielle, n'est pas au niveau de son partenaire. M. Hauterive, dans le troisième rôle, celui de l'ami qui sert tour à tour de confident à chacun des comparses, a montré une sobriété, une sincérité, qui l'ont fait remarquer et applaudir

La reprise d'Amants est un événement capital. Je suis de ceux qui connaissaient par la lecture seulement le chef-d'oeuvre de M. Maurice Donnay et en attendaient impatiemment la représentation. Notre ravissement ne pouvait être altéré par aucun souvenir. Il a été complet. En écoutant ce dialogue pur, où l'esprit s'allie à la tendresse, l'ironie douce et triste au pathétique; en contemplant l'image humaine de ce couple impérissable ; en suivant les mouvements douloureux de deux coeurs épris que l'amour blesse, rapproche et désunit, nous avons senti retentir en nous la grande émotion de la Vie. Nous avons aperçu aussi quelle place importante l'ouvrage tient dans le théâtre contemporain, en reconnaissant combien il a été pillé.

Mme Marthe Régnier a remporté peut-être

le plus beau succès de sa carrière. Sa sensibilité est exquise ; elle a beaucoup de séduction, elle joue avec simplicité, avec vérité. M. Victor Boucher a été gêné par sa réputation même. Nous sommes habitués à le voir dans des personnages comiques. Il le sait, il en éprouvait un malaise. Nous avons eu le sentiment qu'il

ne parvenait jamais a être tout a fait sincère. Quant à M. Huguenet, il décourage l'éloge chacune de ses créations nouvelles est un triomphe pour lui, un plaisir délicieux pour nous.

PIERRE BRISSON (Dessins de BIB.)

M. René Fauchois dans " La Danse de Mort ».

M. Victor boucher dans " Amants. »


418

LES ANNALES

François Roland, Soldat Inconnu( 1)

ENCORE UN LIVRE de guerre! dira-t-on. Eh oui! et, sans insister sur ce qu'il peut y avoir de fâcheux dans une telle question, ou, du moins, dans le ton dont elle est prononcée, dans l'état d'esprit qu'elle traduit, déclarons tout de suite que. pendant bien des années encore, assez d'années peut-être pour faire un siècle, chaque saison nous apportera, témoignages vécus ou imaginations romanesques, des oeuvres ayant pour sujet central la grande tourmente, et qui, par ce qu'elles contiendront d'humain, c'est-à-dire d'éternel, seront et dignes d'être lues et assurées de ne pas périr. Or, le livre dont je viens de tracer le titre est probablement de ceux-là. Livre d'une mère, qui n'a pas signé. Cet anonymat émeut déjà. Songeons à la gloriole facile que lui eût value, si elle se fût nommée, dans sa parenté, sa petite ville, le livre édité où s'étale l'indiscutable héroïsme de son enfant. Elle y a renoncé; elle a couvert son visage du voile funéraire sous lequel toutes les mères de France en deuil se ressemblent. Elle y gagne cette récompense qu'en parcourant des lettres si proches de celles qu'elles ont toutes plus ou moins reçues ou tracées, toutes ces mères pleureront sur ce livre, chacune comme si elle l'eût écrit.

Quelle analyse donner de l'ouvrage? L'intrigue en est sommaire et tragique, comme l'était, en cette ère fatale, la courbe de tant de destinées. Vous ouvrez le volume; ce sont les vacances, la gaieté bénie parmi la détente familiale, l'horizon à peine assombri par un « grain » diplomatique. Mais, deux pages feuilletées, et c'est le ciel tout envahi par l'orage, puis le coup de foudre de la mobilisation. Voici naître cette atmosphère âcre et captieuse de guerre, grisante pour les poètes et qui en a tant fait délirer.

La silhouette du héros, du fils, de ce beau jeune François, tête et coeur d'élite, fier et solide comme un preux, ce portrait, un peu flou jusqu'ici, noyé dans l'amour maternel comme un fantôme dans un halo, va vite grandir à nos yeux. De quelle façon? Premier prodige : l'auteur, qui ignore tout, ou presque, des ressources de la psychologie, va se contenter de nous présenter un choix de quelques lettres, et ce procédé, d'ordinaire fastidieux, va réussir. En peu de pages, le croquis s'anime. Il prend une

vie irradiante. Je défie un père de ne pas souhaiter que son fils agisse comme celui-ci en de semblables circonstances, un jeune homme de ne pas chérir ce frère qui lui est révélé.

Affecté dans l'artillerie, François, naturellement, a réclamé son incorporation dans la « biffe ". Histoire de partir plus tôt! Si la guerre finissait sans lui! Ah! le sublime vertige auquel elles cédaient, toutes ces jeunes têtes! Au bout de quelques semaines, caporal, classé premier au difficile examen d'élève-officier, voilà l'enfant achevant son instruction dans le Var, et voici un échantillon de son style :

" Oh! c'est entendu, j'aurai été la crème du régiment, le garçon aimé de ses chefs, bien vu de ses sous-officiers, et patati, et patata, pour arriver à quoi? A m'abrutir dans un peloton, quand je me dois à ma chère Patrie, quand mon sang de vingt ans doit être prêt à couler pour elle. »

Ah! il partira assez vite, à huit heures du matin, le 2 janvier 1915, et, bientôt, " la bleusaille d'août dernier » aura cent hommes sous ses ordres. Est-on comme moi? Chaque fois qu'il m'arrive de parcourir les notes dernières d'un combattant que la mort guettait (on la sent embusquée au tournant des pages), ah! quel frémissement en moi ! Quelles oeuvres d'imagination nous vaudraient pareille angoisse, car l'inévitable drame réglé par la fatalité se déroule comme au rythme solennel de la tragédie antique, et le truquage d'un auteur, même homme de talent ou de génie, au moins, ne transpercera pas. Ardeur, gaieté, insouciance, les soins, les encouragements prodigués à ses « jeunes " soldats par cet aspirant de vingt ans, des phrases qu'on sent glissées exprès pour rassurer la famille, des allusions à telles rencontres de camarades, à telles soirées où son agréable voix a régalé la compagnie de mélodies et de chansons, mon Dieu, n'est-ce pas de traits analogues que sont pleines ces myriades de lettres que tant et tant de pauvres yeux usés ne cessent de relire en pleurant? Mais celles-ci, de, par l'anonymat, se haussent à l'ordre du symbole.

Cependant, deux mois se sont écoulés au hasard des granges délabrées et des tranchées de seconde ligne. Et, le coeur serré, nous arrivons aux suprêmes lignes de la lettre suprême. Les voici :

« L'autre jour, dans une grange, la musique militaire a joué Amour Discret : ré-ré-mi-ré, la gavotte que nous demandions toujours à maman. Cela m'a rendu rêveur. "

" Rêveur ", le dernier mot tracé par François Roland sur cette terre! " Rêveur! » Sent-on la poésie mélancolique de ces deux syllabes? « Rêveur! » N'y a-t-il pas de quoi rêver?

La mère, à partir d'ici, reprend la plume. Et voici la merveille qui fait, de ce petit livre, un grand livre : c'est qu'à cette bourgeoise française, d'une culture seulement moyenne, la douleur va arracher plusieurs

de ces splendides cris qu'on croirait l'apanage des poètes. Lisez cette page, et dites quel romancier fut jamais plus sobre, plus maître de son art :

« Pour la millième fois, je lisais et relisais les dernières lettres de François en me disant combien d'exemples pareils de silences angoissants s'étaient résolus de la manière la plus banale par un courrier manqué. Soudain, le bruit de la clé; c'est Paul [son mari].

» — Comment ! toi ici?

» Son regard fut la réponse. Le fait était accompli; le cauchemar n'aurait point de réveil; le fil qui retenait l'épée s'était rompu; à jamais elle restait plantée dans nos coeurs. "

H

La fin du livre approche. Je voudrais citer combien d'autres pages ! Le corps n'a pas été retrouvé. Reste d'espoir. C'est donc l'attente, de mois en mois moins justifiée, toujours pourtant justifiable. C'est la lugubre correspondance avec un jeune Allemand qui fut camarade du disparu et qui, de l'autre côté de la frontière, envoie à la mère son hommage d'ennemi, mais d'ennemi fraternel. C'est la rencontre hallucinante du Belge Thierry Lambert, de Liège, vivant sosie de François Roland, qui va bientôt le rejoindre dans le gouffre; c'est la citation posthume, la remise aux parents de la croix de guerre, étapes de l'ordinaire calvaire.

La mère espérera vaguement jusqu'à l'armistice, puis, quatre mois encore, jusqu'à cette note inexorable publiée par les journaux :

" On a maintenant l'assurance que pas un prisonnier n'est retenu contre son gré en Allemagne. »

Ecoutez ce mot déchirant :

" Encore quelques semaines, quelques jours d'agonie, et il faudra les tuer, oui, les tuer dans son coeur. »

Livre de guerre, livre rédigé sans la moindre pensée de vanité, d'intérêt, ni de publication peut-être ! L'ironie du sort est ainsi. Tant d'écrivains vendraient leur plume et leur âme pour une miette de gloire! Une mère anonyme dans la foule pleure; et ses pleurs sont immortels.

MARCEL BERGER.

A CELLES QUI PLEURENT

Les suprêmes douleurs restent agenouillées Devant le souvenir des bonheurs révolus, Et c'est la pire offense aux âmes dépouillées Que la pitié du geste ou des mots superflus.

Ah ! vous le savez bien, vous, les inconsolées Qui défaillez d'amour aux noms de vos élus Et, dans vos coeurs jaloux, gardez les mausolées De tant de chers absents qui ne reviendront plus,

Ainsi, dans la fierté d'une attente éternelle, Tournés vers le désert, le regard sans prunelle, Sous le linceul de sable où s'enlisent leur corps,

Les grands dieux de granit, gardiens des hypogées Tenant sur les genoux leurs mains découragées, Portent le deuil d'un rêve au fond de leurs yeux morte, GASTON BÉRARDI.

(1) Editions du Flambeau, 8, rue Raffet, Paris, 5 fr.


LES ANNALES

419

Souvenirs

CEST A VOUS que je pense aujourd'hui..., pauvres soldats qui dormez sous la terre..., à vous qui êtes morts pour votre pays et qui avez fait couler tant de larmes aux mères qui vous adoraient.

Chers martyrs qui n'êtes plus!...

Pauvres, pauvres enfants qui jamais ne reviendrez!...

On vous a érigé partout des mausolées; sur vos tombes, des flots d'éloquence se sont perdus ; des passants, en souriant, vous ont jeté la fleur cueillie au bord du chemin; des oiseaux se sont posés sur la colonne, souvent bien laide, qui marque dans le stuc vos héroïsmes... Mais leurs alléluias ne vous ont pas réveillés.

Dites, pauvres soldats qui êtes morts pour votre pays, êtes-vous contents de nous?

Oui, je comprends... Les femmes, les vieilles surtout, viennent avec ferveur sur la pierre murmurer leur désolation... Le coeur des mères n'oublie pas... Mais les autres, tous les autres!... se souviennentils?... Ont-ils gardé dans leur mémoire le culte de vos souffrances?... Se rappellentils que vous êtes morts pour eux?...

Pauvres soldats qui dormez sous la terre..., dites, ne les trouvez-vous pas un peu ingrats?

Du fond de votre nuit éternelle, avezvous quelquefois tressailli de joie?... Quelles sont les heures où votre jeunesse fauchée s'est consolée de l'affreux sacrifice?...

... Le 11 novembre 1918, peut-être?

Oui, ce jour-là, ce fut votre fête, — la fête sacrée de tous les morts.

Par le don sublime de vos jeunes vies, un bonheur se réalisa dont le souvenir seul donne le frisson, un bonheur qui fut votre miracle.

En ce jour-là, la Paix descendit sur les homme.

Vous aviez fait cette chose inouïe, pauvres soldats qui êtes morts pour votre pays, d'avoir offert au monde la douceur qu'il n'osait plus espérer : la Paix !... l'auguste, la rayonnante Paix, et l'avez payée de votre jeunesse.

Pour que les hommes cessent de se massacrer, vous avez sacrifié vos amours, vos espoirs et la frénésie délicieuse de vivre qui occupe les jeunes gens... Vous avez voulu de toutes vos forces, de toute votre ardeur, la Paix qui laisse les hommes à leurs champs et aux mères leurs enfants;..

Vous avez écrit cela sur la terre, avec votre sang, et si vous dormez aujourd'hui sous vos croix de bois, c'est que votre calvaire était gravi et que, dans le silence de l'éternité, vous attendiez la merveilleuse résurrection...

Soldats qui êtes morts pour elle... En ce 11 novembre, vous fûtes heureux, n'est-ce pas?...

Les hommes étaient fraternels, et la joie inondait le pays; des mères, des fiancées serraient éperdument des Poilus sur leur poitrine et pensaient : " Ah ! c'est fini, c'est fini... Celui-là ne mourra pas!...» Elles ne se lassaient pas de regarder les chers visages qu'aucun obus n'atteindrait plus de caresser ces mains délivrées de l'horrible besogne, d'entendre les voix qui chantaient la joie sous le soleil. Leur coeur se dilatait d'une allégresse surhumaine et qui inondait de larmes très douces les yeux qui s'étaient usés à pleurer... L'enfant vivait... L'être adoré vivait... Aucun des épouvantables engins inventés par la cruauté des hommes ne briserait plus le fil de ce bonheur... Il vivait!

Et c'est vous, pauvres soldats qui êtes morts pour la Patrie, c'est vous qui aviez accompli ce prodige!

Comme on vous aima, ce jour-là ! Quelles bénédictions passionnées montèrent en désordre de toutes les âmes ivres d'exaltation! Avec quelle adoration on pensa à vos martyrs!... Le 11 novembre, vraiment, ce fut la grande piété de France...

Mais depuis, chers soldats, êtes-vous contents de nous?

Oui, je sais, vous avez votre place sous l'Arc de Triomphe; partout, des couronnes fleurissent vos tombes; vous êtes honorés, glorifiés, immortalisés même, et des pèlerinages s'organisent aux champs sacrés où vous reposez... Mais êtes-vous devenus notre conscience? Car c'est bien cela que vous espériez, n'est-ce pas?

Dans chacun de nos actes, reconnaissezvous le respect que nous devons à votre mémoire, et la volonté de récompenser chaque jour davantage votre sacrifice?... Trouvez-vous dans nos coeurs l'amour qui devrait battre à grands coups pour le pays que vous avez sauvé?

Soldats... Soldats... J'ai peur... Nos paroles vous encensent, mais point nos actions... Nous blasphémons dans la Paix que vous nous avez donnée... C'est pour elle que vous avez versé votre jeune sang, et c'est en souvenir de vous que nous devrions travailler à la faire généreuse, et unissant les hommes entre eux.

Oh ! de quels yeux les morts suivent Ceux qui vivent !...

De quels yeux nous regardez-vous, soldats! Et que voyez-vous ? Hélas!

Des divisions, d'affreuses disputes, de petits égoïsmes, de la vénalité, des rivalités, du mercantilisme, chacun tirant à soi la part qui revient à tous!

Et, cependant, la France est belle !... Vous le savez, vous qui êtes morts pour elle...

Mais la Paix n'habite pas encore la coeur des hommes...

Et cela est triste...

Aujourd'hui, c'est votre fête, soldats. Toutes les fleurs de la terre parfumeront vos tombeaux... Vous recevrez les chrysanthèmes échevelés, les discrètes violettes et les oeillets aux couleurs tendres. D'humbles mains poseront sur la pierre l'immortelle du pauvre; des doigts chargés de bagues joncheront de roses glorieuses la stèle où s'inscrivent vos noms; des enfants, leurs petits bras chargés de couronnes, déposeront leur fardeau à vos pieds; vous verrez le geste pieux de tous ces inconnus qui sont vos frères. Mais aurez-vous le don de leur coeur?... Entendrez-vous leur prière monter vers vous?... Et les promesses que vous attendez réjouiront-elles ce jour douloureux à ceux qui vous aimèrent?

Les enfants diront-ils :

— Pour vous, soldats qui êtes morts pour la France, je travaillerai, je ferai mon devoir comme vous l'avez fait...

Et les femmes, joignant leurs mains, apercevront-elles, dans un brusque éclair, ce qu'elles vous doivent, et, à cause de vous, connaîtront-elles que le plaisir n'est pas l'unique but du monde? Penchées sur vos tombes, comprendront-elles qu'il faut être doux et bon à ceux qui souffrent, vous qui avez donné votre souffrance pour elles?...

Et les hommes avides s'inclineront-ils sur votre mortelle dépouille?... Penserontils : « Nous leur devons tout », et n'auront-ils pas honte?...

Soldats, vous dormez sous la terre. Mais je vous crois là-haut, dans le Paradis des martyrs... Et vos yeux, baissés sur nos misères, doivent avoir quelquefois le regard du Christ quand il disait :

— Pardonnez-leur, ils ne savent ce qu'ils font...

Vous nous avez donné la Paix.

Vous êtes morts pour elle.

Et nous, les vivants, que faisons-nous ?

Soldats..., soldats, pardonnez-nous...

YVONNE SARCEY.


420

LES ANNALES

LA VIE POLITIQUE

Les Illusions Psychologiques

de la Société des Nations

LA SCIENCE MODERNE sépare les continents et permet à la pensée de traverser l'espace avec la vitesse de l'éclair; mais sa puissance ne fut jamais assez grande pour transformer les facteurs psychologiques de l'activité des hommes.

Les sentiments et les passions qui agitaient les peuples au temps d'Homère les agitent encore aujourd'hui et restent inchangés.

Ces constatations devraient appartenir au cycle des choses évidentes. Elles ne le sont pas, cependant, pour les théoriciens qui prétendent rebâtir les institutions et les sociétés sans tenir compte des éléments psychologiques irréductibles d'où les actions humaines dérivent.

Parmi ces créations, filles de nos rêves, mais utilisables seulement par des races futures fort différentes de celles d'aujourd'hui, figure la Société des Nations.

S'il suffisait, pour établir des réformes durables, de la volonté d'un homme et de l'assentiment des peuples, la Société des Nations se fût imposée d'une définitive façon.

Elle eut pour créateur un chef d'Etat que les circonstances avaient doué d'un absolu pouvoir. Son projet provoqua l'enthousiasme des nations auxquelles était annoncée une paix éternelle. De toutes les contrées du globe, l'Amérique seule a repoussé le présent offert au monde par un de ses fils. L'étonnement fut grand, mais la foi des peuples resta inébranlée.

Deux années à peine se sont écoulées depuis l'époque où fut fondée sur des bases d'aspect indestructible la Société des Nations. Aujourd'hui, les désillusions qui l'enveloppent sont aussi profondes que furent grandes les espérances qu'elle avait fait naître. Son impuissance s'est montrée complète, en effet, sur toutes les questions.

A la récente réunion à Genève, aucun de ses avis ne fut écouté par les intéressés, à l'exception de la décision relative au partage de la Haute-Silésie. Ce dernier cas était très exceptionnel, puisque les intéressés acceptaient d'avance, sans discussion, l'avis formulé.

Lu dehors de ce cas à peu près unique, toutes les décisions de la Société des Nations ont été rejetées par les parties en présence.

Le premier différend dont la Société eut à s'occuper fut celui porté devant elle par la Bolivie contre le Chili.

Immédiatement, le représentant du Chili refusa de reconnaître la compétence de la Société des Nations, ajoutant, avec ironie, que si elle avait la prétention de refaire la carte du monde. " cet organisme, créé pour consolider la paix, finirait par déclencher la guerre universelle ». Le même représentant dénia d'ailleurs à la Société des Nations le droit d'intervenir dans les affaires de l'Amérique.

L'assemblée accepta humblement la leçon, mais, pou: sauver un peu les apparences, elle nomma une Commission destinée à définir ses pouvoirs.

Les Polonais ne furent pas moins catégoriques. Avec un dédaigneux sans-gêne, la diète de Pologne déclara, relativement à l'attribution du territoire de Vilna, « que la Pologne ne donnera jamais son assentiment à la solution adoptée par la Société des Nations ".

Pour donner quelque force à des décisions que personne ne respectait, la Société des Nations proposa de s'attribuer le droit d'établir un blocus économique contre les Etats refusant d'obéir à ses décisions.

Cette menace semble bien vaine. Pour établir, en effet, un tel blocus, il faudrait l'assentiment des quarante Etats représentés à la conférence. On sait, d'ailleurs, que, malgré sa toute-puissance, Napoléon ne réussit pas à maintenir un pareil blocus contre l'Angleterre.

Le représentant de l'Italie fit — justement, d'ailleurs — observer que cette méthode du blocus était inapplicable en raison de la nécessité « de respecter l'autonomie des divers Etats ". Il est évident, en effet, que, à moins de renoncer à son indépendance, aucun Etat ne saurait s'incliner devant les décisions d'une sorte de supergouvernement étranger.

Les raisons de l'impuissance de la Société des Nations dérivent d'éléments psychologiques facilement mis en évidence par un examen rapide des motifs qui déterminent les actions des hommes.

Les manifestations diverses de l'activité humaine, depuis les actes de la vie journalière jusqu'aux combinaisons les plus compliquées de la politique, ont des causes variées. Mais, en dernière analyse, toutes ces causes ont pour origines deux facteurs irréductibles : le plaisir et la douleur. Directement ou indirectement, les actions des êtres sont déterminées par cette nécessité commune : rechercher le plaisir et fuir la douleur.

Le plaisir et la douleur peuvent être immédiats ou lointains, d'ordre matériel ou moral. Il n'importe. L'animal à la recherche d'une proie, le savant poursuivant l'inconnu dans son laboratoire, le martyr entrevoyant le ciel à travers les flammes de son bûcher, ont toujours pour mobiles de ces activités si diverses la recherche du plaisir et la crainte de la douleur.

Si un pouvoir magique faisait disparaître le plaisir et la douleur, la vie s'arrêterait aussitôt à la surface de notre planète. Ne connaissant plus ni la faim, ni l'amour, ni aucun des besoins et des passions qui les mènent, tous les êtres cesseraient d'agir.

C'est du plaisir et de la douleur que naît

le désir d'où la volonté dérive. Bouddha était victime d'une illusion profonde lorsqu'il voulait fonder une religion sur la suppression du désir. Pour éteindre le désir, il eût fallu d'abord supprimer le plaisir et la douleur, mais, du même coup, tous les ressorts de l'activité des hommes se seraient évanouis.

C'est justement parce que nos actions ont pour origines le plaisir et la douleur, que tous les codes religieux ou sociaux, sans une seule exception, ont ces deux éléments pour soutiens. Qu'ils soient civils ou religieux, tous les codes s'appuient sur des châtiments et des récompenses tels que le Paradis et l'Enfer.

Nous touchons maintenant du doigt les causes de l'impuissance fatale de la Société des Nations. Ses décisions représentent un code dépourvu de sanctions — châtiments ou récompenses — et, par conséquent, sans force.

Pourrait-on songer à doter cette Société d'une armée capable de faire respecter ses arrêts ? Une telle armée, pour être puissante, serait nécessairement nombreuse et, par conséquent, fort coûteuse. Composée, d'ailleurs, de soldats empruntés à tous les pays, elle n'aurait aucune cohésion et serait peu redoutable.

Affirmer qu'il n'y a ni tribunaux ni codes possibles sans sanctions, c'est-à-dire sans contrainte, c'est soutenir que la force est l'armure nécessaire du droit et qu'il n'y a pas, par conséquent, de droit sans force.

Cette vérité, que les puérils bavardages des moralistes essaient vainement d'obscurcir, est reconnue par tous les juristes ayant un peu creusé les fondements de leur science.

Dans son livre récent : Les Constantes du Droit, le grand juriste belge, Edmond Picard, insiste longuement sur ce fait que « l'élément contrainte est fondamental dans le droit », et il ajoute :

« La formule que la force ne peut créer le droit n'est qu'un cri naïf de généreuse ignorance juridique. »

Qu'une force soit morale ou matérielle, le résultat est le même dès que cette force peut s'imposer. Si le pape Grégoire VII put obliger un puissant empereur d'Allemagne à venir le solliciter à genoux devant la porte de sa cathédrale, à Canossa, c'est que ce pape disposait, aux yeux de l'empereur, de toutes les forces du Ciel et de l'Enfer. Doué d'un tel prestige, le pontife passait nécessairement pour invincible.

Le prestige peut donc devenir une force morale supérieure aux forces matérielles. Si la Société des Nations finit, dans quelques siècles, par acquérir un suffisant prestige, son utilité sera très grande. Pour le moment, elle en est bien dépourvue.

Il serai inutile de disserter sur le rôle futur de la Société des Nations. Les haines actuelles entre peuples sont trop vives, les intérêts qui les séparent trop contradictoires pour qu'un tribunal international puisse prévenir une guerre.


LES ANNALES

Ce ne seront pas, assurément, ses décisions qui empêcheront, notamment, l'Irlande, l'Egypte, la Turquie et l'Inde de réclamer à main armée leur indépendance, lorsqu'elles seront devenues assez fortes pour se faire entendre. Ce n'est pas non plus un tel tribunal qui empêchera le Japon, trop peuplé, d'exiger la libre entrée de ses nationaux sur le territoire des Etats-Unis.

Malgré sa faible utilité actuelle, la Société des Nations mérite cependant d'être conservée. Dans l'atmosphère d'instabilité et de menaces qui enveloppe l'Europe, il n'est pas inutile d'avoir un tribunal possédant, si peu que ce soit, des vestiges de l'autorité et du prestige que perdent chaque jour les dieux, les institutions et les rois.

GUSTAVE LE BON.

FRANÇOIS RABELAIS

Voici le maître de l'école Où la gaitê s'institua ! Grandgeusier rit de Picrocole ; Frère Jean, de Gargantua ! Pantagruel rit de Panurge; Panurge rit des Lanternois ! Et de l'humeur noire on se purge Aux récits de maître François !

Marauds, ne lisez point ce livre ! Ne l'ouvrez point, vieux matagots, Ni vous que la fureur enivre, Teutons, Lettons, Goths, Ostrogoths! Mais lisez-le, pour vos étrennes, Cens ce province et de Paris, Et vous chasserez les migraines, Pour douze mois, de vos esprits !

Ne lisez point ces gais chapitres, Oisons bridés, mulets geignards, Cerfs limoniers, dindons bélîtres. Lièvres cornus et veaux cornards ! Mais lisez-les, gentilles dames, Dont la joie est le seul désir; Et vous délecterez vos âmes, Si tel est votre bon plaisir !

Chats-fourrés, chicaneurs superbes, Ces couplets pour vous ne sont point, Vous qui mangez nos blés en herbes, Et nous mettez si mal en point ! Mais chantez-les, citoyens libres, Buvez sec à tous les refrains ! Et vous rajeunirez les fibres De votre coeur et de vos reins!

Potards, fabricants de pilules, Docteurs, marchands d'émollients, Avec ces joyeuses formules, Vous guérirez tous vos clients ! Escholiers, à la belle étoile, Chantez ces mirifiques lais ! Et vous aurez dans votre moelle La vigueur du bon Rabelais !

MAURICE BOUKAY.

XVII. — PETIT FEU

LA NEIGE tombait et devenait boue; le ciel pesait et devenait suie... Depuis vingt heures, la nuit durait. Enfermé dans sa chambre sans feu, Jérôme Abeilles avait tiré les rideaux de la fenêtre unique. Entre deux bougies, il écrivait... Toc! Toc, toc ! Trois coups de canne, autoritaires, tambourinaient le vantail de la porte, et la porte s'ouvrit ; la flamme des bougies sursauta ; Chevignard, drapé dans sa cape, s'encadrait entre les chambranles :

— On ne te voit plus depuis des jours ; on veut savoir ce que tu deviens. Malade?

— Très malade. — De quoi?

— De vivre.

Le visiteur haussa les sourcils, puis une épaule ; soigneusement, il referma la porte derrière lui, vint s'asseoir dans le fauteuil vert, dégrafa sa cape mouillée de neige, enfonça une main dans sa poche et en tira sa pipe, qu'il se mit à examiner dans tous les sens : tel un archéologue qui vient de découvrir un objet curieux et qui se demande avec anxiété à quoi cette chose a pu servir. Enfin, il redressa la tête et planta dans Jérôme son regard un peu trop profond, mais amical :

— Qu'est-ce qui te manque?

— Tout !

— C'est-à-dire toi-même ? — Probable.

— C'est-à-dire l'énergie, avec le bon sens ? — Possible.

— Tu lâches la rampe ?

— Je suis à bout. Je viens d'écrire mon testament, un poème où je résume ce que je croyais avoir à dire.

— « Au banquet de la vie... »

— Non, autre chose : un adieu, ma colère !

— Lis-moi ça.

— Pas au point. Plus tard.

— A ta guise.

Chevignard commença de bourrer sa pipe avec une lenteur méticuleuse :

— Et..., naturellement..., ils sont très bien, tes vers ?

— Je crois.

— Oui, tu en es content. Donc, tu es content. Ça ne te suffit pas ? Qu'est-ce qu'il te

faut encore? Eh! nigaud! Si ton poème t'a réjoui ou consolé, ne lui demande rien de plus ; il a fait, quant à toi, ce qu'il avait à faire. C'est fini. Passe à autre chose.

Pour allumer sa boufarde, il empoigna une des deux bougies, et, la haussant vers le plafond de toute la longueur de son bras:

— C'est ça qu'il te faudrait? Le flambeau de la renommée! Un bec de gaz au-dessus du crâne, et des reflets sur ta personne; une auréole, quoi! Des gens qui tombent sur le derrière et qui te désignent au passage, des journalistes qui citent tes vers et des typographes qui impriment ton nom en caractères gras? C'est ça que tu veux? Mais songe donc! Si ton poème est salué par l'unanime silence des critiques, tâche d'être assez raisonnable pour comprendre que le contraire équivaudrait exactement au même; car, en dépit des apparences, les poètes dont on clame le nom et ceux dont on ne parle pas sont fraternellement voués au même dédain de la foule, qui ne lira les vers ni des uns ni des autres.

Abeilles répliqua, dolent :

— S'il ne s'agissait que de ça... L'autre allumait sa pipe, et, par-dessus la

flamme, il examinait son hôte d'un oeil qui interroge. Alors, Abeilles, d'un coup brusque, plaqua ses deux mains à sa table, et, s'arcboutant sur elles, la tête entre les coudes et le nez en avant, dans l'attitude d'une gargouille qui vomit vers la rue, il jeta :

— Il faut manger ! Je n'ai plus le sou ! Si l'était que j'attrape encore un dîner chez Laveur, qui nourrit ses anciens clients sans jamais leur offrir sa note, je crèverais de faim!

— Voilà Chatterton ! Je l'attendais. Ah! u en es à Chatterton ? Vous me mettriez en colère, vous autres! Vous partez pour la vie avec des appétits de conquêtes, vous édifiez

votre existence sur une vanité', et quand l'existence — qui s'en charge! — châtie votre imprudence, vous l'accusez et vous geignez! Parce que tu sens frémir en toi des rythmes le poèmes et l'impatient besoin d'envoyer ton cri dans la brise, tu imagines que le monde attend ta voix et qu'il en fera ses délices; qu'il te devra la subsistance en échange des mélodies, et qu'il te la donnera ! Le monde ne doit rien et ne donne pas davantage. Abeilles, amer, répliqua :

— On le sait de reste.

— Compter sur le succès, c'est déjà presque fou, puisqu'il dépend du hasard autant

(*) Copyright by Edmond Haraucourt, (921. Voir Les Annales depuis le 11 septembre 1921


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LES ANNALES

que du mérite; mais compter sur lui pour le pain, c'est pire, mon petit. Malheur à ceux qui chantent pour en vivre! Le rêve n'est pas comestible. Il ne veut pas nourrir la vie, mais il veut, au contraire, être nourri par elle. Prenons-le pour la joie que nous trouvons en lui, et non pour la pâtée. Qu'il soit notre luxe et non notre métier; qu'il soit la récompense après la lutte, l'exutoire de nos ivresses, le consolateur de nos peines : c'est son affaire! Il nourrit l'âme et non le corps.

Il souffla sur Abeilles un important nuage de fumée qui sortait de lui avec les mots:

— Que ça te plaise ou non, tu es en face d'un dilemme : tu ne feras rien de bon qu'à la condition de travailler pour toi-même, et pour toi seul; mais lorsque tu t'es ébaubi à dire ta vérité, et non celle des autres, c'est trop demander que de vouloir encore être payé par eux, puisque tu l'es par toi.

— Ton dada! Je le connais.

— Quand nous aurons pendant dix ans, vingt ans, travaillé dans la solitude et célébré notre idéal pour lui, pour nous, pour rien, il se pourra faire qu'un jour une de nos formules plaise au public; alors, il nous couvrira de monnaies, peut-être, et de lauriers provisoires, quitte à nous oublier le lendemain. Mais, ce jour-là, il faut l'atteindre, et, pour l'atteindre, il faut attendre; or, pour attendre, il faut manger.

— Je te le crie depuis une heure!

— Ne le crie pas tant et conclus.

— J'ai le droit de ne pas mourir de Faim, moi!

— Tu en as même le devoir. Donc, sois logique et pare à ta faim. Tu en trouveras le temps. Est-on poète à toutes les heures du jour et tous les jours? On est poète comme on est ministre, pour un moment ; dès que le moment est passé, on redevient pareil aux autres hommes. Tu n'es qu'une force virtuelle, mon gars, avec l'obligation d'entretenir le moteur en lui procurant des calories. Fourre du charbon dans ta machine; et, pour acheter du charbon, vends à la société les gestes de ton corps en restant le seigneur unique de ton esprit! Prends un métier

— J'en ai un !

— Ce n'est pas vrai! Tu as un art. Ne les confonds pas. Aie ton art, et prends un métier! Fais de ta vie deux parts : une pour l'idée, une pour le pain

— Ouais, tu prêches...

— D'exemple! N'ai-je pas réalisé ce que je te conseille? Afin de sauvegarder toujours et tout entière l'indépendance de mon idée, afin de n'avoir à compter avec les goûts de personne et pour être bien sûr de ne jamais écrire que si j'ai quelque chose à dire, j'ai coupé ma journée en deux, mon existence en deux : moitié pour ma tête, moitié pour ma bête. Si c'était à refaire, je recommencerais.

— Tu me parles de toi quand je parle de moi.

— C'est à toi que je pense, quand je parle de moi. Mon ambition n'est pas de te faire admirer ma sagesse, mais de dénoncer à un cadet les déboires que j'ai su m'épargner à moi-même. C'est dur? II faut savoir se dire de bonne heure les dures vérités.

— Tu ne prétends pas, tout de même, que je me mette facteur rural?

— Pourquoi pas? Préfères-tu paveur ou cordonnier? Voilà des gagne-pain qui laissent l'esprit libre. Ils ne manquent point. Choisis n'importe lequel, pourvu que tu en choisisses un. La société moderne ne veut plus de parasites.

— Mais je travaille, bon sang!

— Pour toi, peut-être; pour elle, non! Avant de donner, elle exige qu'on lui donne. Quoi? De l'effort et du rendement. Elle est pratique. En quel siècle te crois-tu ? Sous peine de mort, ne faisons pas d'anachronisme. Chatterton n'est plus à la page. Ce garçon n'est pas de notre époque ; à peine était-il de la sienne. Il avait peut-être le droit de nous tirer sa révérence, et ça n'est pas prouvé; mais il n'a plus celui de crier à l'ingratitude. On ne le comprendrait même pas, et on le traiterait d'imbécile : il l'est, d'ailleurs, au sens propre du terme, puisque ce mot admirable, qui qualifie si bien l'immense majorité des hommes, signifie : un faible, un faible, un faible!

Chevignard pompait à grands coups des fumées

fumées tabac qu'il expulsait avec véhémence; il s'arrêta pour respirer, et reprit un ton plus calme:

— Dans une société féodale, basée sur le double principe de la protection et de la redevance, le Bouffon, animal de luxe qui tient sa juste place entre le Lévrier et le Faucon, était normalement, comme eux, un parasite ; pourvu qu'il remplît sa fonction d'amuser le maître et qu'il sût recevoir des coups de gaule quand sa farce ne plaisait mie, il avait droit à réclamer le vivre et le couvert; si on ne l'alimentait pas avec les autres domestiques, il pouvait se tenir pour lésé. Son confrère le Troubadour, changeant de grange et de seigneur, était déjà plus libre et en courait les risques

— Et puis, après?

— Dans une société monarchique, quand le bouffon émancipé par l'imprimerie devint un satirique en chambre et quand le troubadour, renonçant à être son propre colporteur, s'assit au clair de lune et devint un poète, il leur fallut le protecteur sans lequel ils ne vivaient guère : c'était le roi, le duc ou la marquise; mais tu leur as coupé le cou. Ils se vengent en n'y étant plus.

— Moi, je leur ai?...

— Parfaitement, toi, qui menais tout et qui travailles la matière depuis le retour des Croisades. On ne t'a pas vu, peut-être, et surtout entendu? Pendant plus de cinq cents ans, tu as revendiqué, devant la corde et le bûcher, ton privilège de tout dire! Ancien trouvère, ancien bouffon, tu es parvenu à tes fins, espèce de parvenu, et même tu en étais si fier que tu pris le nom d'Ecrivain. Tu criais : « Je suis la pensée », — ce en quoi tu n'avais pas tort, — et tu te fis marchand de pensée, — ce pour quoi je te blâme, — si bien que te voilà maintenant

maintenant de Lettres. Mais parce que tu étais légion, tu t'appelles les Gens de Lettres : et depuis que le peuple est ton client, tu l'as appelé le Public.

— Sale client!

— Tu l'as voulu. Une société démocratique sera fatalement commerçante; elle procédera par échanges et tout sera marchandises l'Homme de Lettres est un producteur pareil aux autres, qui vend ou ne vend pas ses produits. Si le client n'achète pas les tiens, fais faillite et change d'état. Ou bien prends exemple sur moi et gagne ton pain par ailleurs.

— C'est mon oraison funèbre que tu rédiges là?

— Ton acte de baptême, plutôt! Je catéchise ceux qui partent pour la vie.

— Tu avoueras tout de même que notre condition n'est pas brillante.

— Pas brillante? Elle n'est que ça, au contraire ! Nous brillons à cuivre que veux-tu. On nous honore, on nous décore, et tu voudrais qu'on t'engraissât par-dessus le marché? Mon petit, une époque est une oeuvre; nos aînés ont préparé la nôtre, et progressivement ils nous l'ont façonnée; la voici telle qu'on la voulait. Subissons-en les conséquences. Jeûnons. Viens-tu dîner? Je t'emmène.

— Peux pas. J'attends Lily.

— Eh bien! attends Lily. Bonsoir! Chevignard vida le fourneau de sa pipe sur

le coin de la cheminée, agrafa sa cape et sortit.

Jérôme Abeilles était comme les enfants : les enfants n'aiment pas entendre redire les choses qu'ils savent et qu'ils voudraient ne pas savoir. On l'avait molesté : il regarda d'un oeil hostile la porte qui se refermait sur le départ du sermonneur, et, pour se rincer du sermon, il retourna vers le poème. Il le lisait avec tendresse, chantonnant les vers à mi-voix... Toc, toc! Deux petits coups alertes tambourinaient à nouveau le battant de la porte, qui s'ouvrit ; la flamme des bougies se coucha ; Lily entrait en coup de vent :

— Bonjou, chiri!

Sous sa voilette de quinze sous, son petit nez pointait tout rose, comme un bouton de rose dans une toile d'araignée; ses yeux égayés de grisette brillaient dans sa face pâlotte.

— Oh! qu'il fait froid! Ça pince. On patine au Luxembourg. Mais, tu sais, c'est pas pour dire, il fait encore plus gelé chez toi que dans la rue!

En riant, il la prit entre ses bras; tout debout contre elle, il la serrait au long de son corps, en jetant des baisers rapides à tous les coins de peau qu'il avisait sous les frisons. Elle riait aussi.

— Tu fais bien de te dépêcher; je ne reste pas. Je suis pressée; je dîne chez ma tante...

— Chez ta tante? Bien sûr?

Afin de détourner les soupçons, Mlle Lily jugea nécessaire d'en émettre elle-même, et d'attaquer :

— Mais toi, qu'est-ce que tu fabriquais là, tout seul, avec un air de cachottier, entre tes deux chandelles ? Tu écrivais encore à quelque femme du monde?

— Moi? Non.

— Fais voir, d'abord ! Tu sais que je ne te crois pas. Tu es si filou!

Sous sa voilette de quinze sous...


LES ANNALES

423

Elle se pencha vers la table, où les grandes feuilles étaient éparses, et vit des lignes inégales. Alors, elle recula, avec un air d'effroi comique.

— Des vers! Encore? Tu n'as pas honte, à ton âge? Tu ne peux donc pas être sérieux, dis, et faire un métier qui rapporte des sous, pour acheter un astrakan à ta pauvre petite femme qui est gelée? Tu n'as pas de coeur!

Elle eut une moue jolie et haussa ses grêles épaules.

— Qu'est-ce qu'on te paie, pour ça ?

Il sourit avec un peu de mélancolie et la regarda sans répondre.

— Oui! ça te rapportera, quoi?

— La gloire.

— Ça tient chaud en hiver, peut-être? Non, vrai! Un garçon instruit, comme toi, et malin comme tu es, — car tu es malin, va, je te connais bien! — gagnerait ce qu'il voudrait à faire un métier pas idiot. Mais non! Tu t'acharnes à des gosseries. Si encore ils étaient amusants, tes vers, et si tu faisais des chansons qu'on puisse chanter, dans les concerts! Je connais un type, qui est ami d'une amie que j'ai, et qui lui donne des billets de théâtre. Eh bien! ce type-là, il en pond aussi, des vers ; mais on les lui paie, au moins ; il palpe vingt francs à chaque chanson qu'il apporte... Oui, mon vieux, un louis! Seulement, ils sont rigolos, les vers qu'il fait! Pas comme les tiens, où on ne peut rien comprendre, et où il y a des tas de mots à coucher dehors! De quoi parlent-ils, encore, ceux-là? Je te parie, tiens, sans choisir, au hasard, que je lis et que je ne comprends pas!

Le poète contemplait sa mie avec la douceur complaisante d'une grande personne qui écoute babiller un enfant, et ses doigts jouaient dans les blondes frisures de la nuque. La fillette avait retiré ses minces gants troués et s'inclinait vers la table, pour prendre une feuille.

— Oh ! que c'est froid, le papier! Comment peux-tu toucher ça, pendant des heures et des heures, sans avoir la crampe?

Elle épela, un long moment, avec effort; puis, elle changea de page, et recommença de lire, en fronçant les sourcils. Il regardait remuer les lèvres jeunes qui balbutiaient du silence; elle hochait la tête, comme pour scander le rythme. Elle essaya d'une troisième page; enfin, elle rejeta le tout.

— Je te demande un peu, qui est-ce, non, qui c'est-il qui lira ça? Vois-tu d'ici le pauvre bonhomme qui s'appuierait ta petite histoire? Il se raserait, le malheureux! Alors, si personne ne la lit, ta chanson, qu'est-ce qu'elle devient, ta gloire? Vrai, tu me fais de la peine! Tu n'es pas raisonnable. Oh! que j'ai froid!

Elle se mit à battre du pied, rageuse, et, tout d'un coup, elle fondit en larmes.

— Tu pleures?

— De te voir si bête et d'avoir si froid! Aux pieds, aux mains! C'est trop, je te dis ! Tu ne m'aimes plus! Sans ça, tu aurais du feu, quand je viens te voir.

— Donne-les, tes menottes, pose-les sur mon front. Sens-tu, mon vieux front, comme il brûle?

Doucement, il la prit par les poignets, et, levant les petites mains à hauteur de ses

tempes, il plaqua les deux paumes sur les deux parois de son crâne.

— C'est chaud, on dirait une brique. C'est bon...

Déjà, elle riait sous sa voilette mouillée de pleurs.

— Tu vois que ça sert à quelque chose, les poèmes ! La petite amie se réchauffe les mains sur leur berceau...

— Mais les pieds ! C'est les pieds, qui sont gel!

— Mets-les dans mon coeur.

— Tu n'en as pas de coeur! Dire qu'il n'y a rien ici pour se chauffer les ripatons, pas même un bras de fauteuil, qui fasse un petit feu! Parce que, tu sais, moi! quand j'ai les pieds dans cet état-là, ils ne peuvent pas rester en place ; faut que je trotte. Je m'en vais.

Ce disant, elle s'assit. Calée au fond du fauteuil vert, elle tira son mouchoir. Tandis qu'elle essuyait ses larmes sur les fines ailes de son nez, le poète s'était accroupi, et sournoisement

sournoisement dénouait le lacet des souliers menus qu'il retirait bien vite, avant qu'on protestât; tout de suite, il cachait, sous sa veste déboutonnée, les deux petons de marbre blanc vêtus de coton noir, et leurs plantes frigides s'étalaient à plat sur sa poitrine.

— Dis encore que je n'ai pas de coeur ! Le sens-tu qui bat sous ton pied?

— C'est comme un chat qui dort..

— Faut-il le réveiller? — C'est doux...

Elle ferma les yeux. Ils demeurèrent ainsi; Abeilles prit une cigarette, et, pendant que l'allumette flambait, il dit :

— Regarde !

— Quoi?

— C'est beau, un feu de bois! Ils rirent, et la poupée s'écria :

— Faisons un feu! Il n'y a que ça qui me réchauffe! Un petit feu!

— Avec?

— Tu as bien des journaux, des porteplume, des livres?

— Oh! les livres, c'est sacré. Ça ne brûle pas.

On trouva trois journaux, et, derrière le tablier de la cheminée, qui grinça sous l'effort, apparurent les flocons d'une vénérable poussière, entremêlés à des allumettes défuntes; allumettes et flocons furent entassés précieusement sur un journal, et la haute flamme chanta devant les petits pieds tendus.

— Oh! chéri, ça fait bon... Encore!

Le second journal et le troisième eurent bientôt flambé.

— Encore! Bis!

— Je n'ai plus que du papier blanc; ça coûte cher.

— Tu en as bien du vieux, qui ait déjà servi, avec des vers dessus?

On brûla le papier blanc.

— Encore! Ça me fait bon...

— Je n'ai plus rien.

— Mets-y une page de ta chanson, ta chanson de cette nuit.

— Oh! là! Mes vers!

— Eh bien?

— Mes plus beaux vers, peut-être!

— Tu en feras d'autres. Pour ce que ça te coûte!

— On ne soupçonne pas ce qu'ils coûtent.

— Pour ce que ça te rapporte!

— Si tu pouvais savoir comme ils sont beaux...

— Oui, mon gros lapin, ils sont beaux. Toi aussi, tu es beau. Fais ça, pour prouver que tu m'aimes.

— Petit monstre joli!

— Si tu fais ça, tiens, je croirai que tu m'aimes.

— Et puis?

— Fais-le, d'abord ! Vite ! Fais ça ! Je veux !

Avec un mélange de colère et de tendresse, pour caresser peut-être, et peut-être aussi pour broyer, il prit entre ses doigts le clair museau de la fillette, dont la bouche s'ouvrit en rond, comme un puits à margelle rose au fond duquel luisaient les dents mouillées; penché sur elle, tout près, les yeux contre le? yeux, il lui parlait :

— N'est-ce pas, c'est bien le néant qu'il y a dans le fond de tes suaves prunelles ? N'est-ce pas, tu es bien la bête adorable et qui tue, sans le savoir ou le sachant, et l'ennemie de la pensée? N'est-ce pas que tu viens ici pour affirmer le triomphe de la brute sur l'âme, et que c'est un symbole en quoi tu te complais, sans même soupçonner la grandeur de ton rôle?

Elle répondit

— Qu'est-ce qu'il te prend? Il éclata de rire, et cria :

— C'est ainsi que je t'aime, et tu vas voir !

Le bras allongé, d'une main qui ratissait il racla sur la table les feuillets épars de son oeuvre; le papier craquait en se froissant.

— Symbolisons, ma mie! Car voici mon meilleur poème!

— Celui-là? dit-elle, en regardant les feuilles chiffonnées dans l'âtre.

— Non! Celui que je vais faire par le geste que je te dédie!

L'allumette craqua sous les pages, et le poème devint flamme.

— Es-tu contente?

— Tu es gentil... Prends un peu mes souliers, pour chauffer la semelle, au fond, pendant que ça brûle... Parce que, tu sais, maintenant, il faut que je m'en aille. Je suis pressée.

— Oui, poupée! Tu as fait ton oeuvre. Tu peux partir.

Elle s'en alla. Il restait seul.

EDMOND HARAUCOURT

Président de la Société des Gens de Lettres, (A suivre.) (Dessins de H. CERVESE.

— Oui, poupée ! Tu as fait ton oeuvre.


424

LES ANNALES

Les Fêtes de Montpellier

Montpellier commémore aujourd'hui les institutions qui, depuis des siècles, font son

orgueil et sa gloire. Elle inaugure en même temps la statue de Rabelais. Sur

ces différents sujets, Les Annales ont groupé des documents et des textes, afin de

s'associer à ces manifestations, qu'entoure la sympathie du pays tout entier.

MONTPELLIER, VILLE HEUREUSE

PARCOUREZ-LE, ce pays vivifié en toutes saisons par les rayons de son soleil : vous rencontrerez les plantes les plus recherchées, les plus salutaires, les plus délicates, aussi bien celles qui viennent près des sables de la mer que celles auxquelles convient un sol plus sec et moins perméable. On y jouit d'une température si douce, si favorable à la santé, tellement appréciée des anciens que les malades venaient souvent autrefois demander la guérison à l'air de Montpellier. Il en vient encore aujourd'hui dans cette ville où l'affluence des vieillards fut telle jadis qu'un étranger s'écriait : « El quid est hoc Monspelium quo omnes senes concurrunt sicut ad arborem vitoe? » La réputation des médecins ne faisait pas tout; on parlait aussi de la clémence de notre ciel. J'ai trouvé dans un vieil itinéraire, composé en Grande-Bretagne, la mention d'une petite ville, belle, saine, très réputée à cause de son climat, et dont on disait : « C'est le Montpellier de l'Angleterre. » Voilà, sans doute, pour quelles raisons les étrangers ont toujours aimé à s'arrêter sur notre sol. Le caractère distinctif de notre peuple n'était-il pas d'ailleurs bien fait pour les retenir ?...

Cette population intelligente, ouverte, primesautière, sensible et impressionnable, n'offrait-elle pas un milieu bien favorable à l'établissement d'une école de haut enseignement scientifique et littéraire? Sous l'azur charmant du ciel, dans une atmosphère lumineuse et chaude, imprégnée des senteurs balsamiques de nos garrigues et purifiée par les fraîches brises de la mer, la jeunesse studieuse pouvait affronter plus aisément le labeur quotidien. Et tandis que ses forces physiques étaient constamment vivifiées et renouvelées par ces conditions exceptionnelles de salubrité, ses forces morales y étaient maintenues par la sérieuse honnêteté, la bonne grâce, la politesse, l'élégance et la dignité natives d'un peuple qui s'attache d'instinct à la vertu et au bien.

Les dispositions avaient été admirablement prises par la Providence. Il n'est pas surprenant que, sous l'empire de tant de circonstances si favorables, la vie intellectuelle, éveillée ici de bonne heure, y ait bientôt suscité un mouvement intense de curiosité et de travail, S. E. Monseigneur DE CABRIERES

évêque de Montpellier.

LA FACULTÉ DE MÉDECINE ET GILBERT GRASSET

DANS LE GRANDIOSE DÉCOR des bâtiments du prieuré de Saint-Germain, établi par Urbain V, et à l'ombre de notre vieille cathédrale, la Faculté de Médecine de Montpellier célèbre son septième centenaire. En vérité, elle pourrait reculer encore, dans le passé, son origine réelle : comme l'a dit Germain, qui oserait fixer d'une manière précise l'époque où la médecine a fait sa première apparition à Montpellier ? Dès le XIIe siècle, notre ville était déjà renommée pour ses praticiens et ses professeurs; et lorsque, à la date que nous fêtons aujourd'hui, le cardinal Conrad promulgue, en 1220, la charte organique de l'Ecole de Médecine de Montpellier, cet étranger, cet Allemand, atteste, dès les premières lignes de ses statuts, la valeur de la profession médicale « qui, depuis de longues années, a brillé et fleuri, avec une gloire éminente, dans notre ville, d'où elle a répandu la salutaire abondance et la vivifiante multiplicité de ses fruits sur les diverses parties du monde ». Je me souviens qu'en 1910, au centenaire de l'Université de Berlin, au moment où, devant Guillaume II, à l'apogée de son orgueilleuse puissance, les délégations du monde entier allaient défiler pour remettre leurs adresses, je relevai, dans la brève allocution que mon voisin, le grand Henri Poincaré, se disposait à lire, une erreur qu'il s'empressa de corriger : il rappelait, avec justesse, l'antériorité

l'antériorité Facultés de Salerne et de Paris ; je le priai de citer, à la première place, notre Faculté, plus ancienne, puisque ce n'est qu'en 1237 que l'Ecole de Salerne obtint de Frédéric II le droit de conférer des degrés en médecine, et que ce n'est qu'en 1270 que l'Ecole de Paris eut la forme et l'autorité d'une véritable Faculté. Il semble donc bien exact de revendiquer pour notre Faculté, alors Université de Médecine, le titre de doyenne des Facultés du monde.

A l'heure où nous rendons à nos grands ancêtres (et quelles hautes figures les composent, depuis Guy de Chauliac, jusqu'à La Peyronie, Barthez, Delpech!) ce solennel hommage, il est juste et digne d'accorder un pieux souvenir au maître contemporain qui a maintenu la doctrine de notre Ecole et confirmé l'excellence de son enseignement. Le professeur Grasset est une des gloires de la pensée médicale française; Paul Bourget, bien qualifié pour juger son oeuvre où s'associent la profondeur de la méditation philosophique et la valeur de l'observation médicale, a défini, en une formule exacte, la science de ce grand médecin, « aussi humblement dévouée dans la pratique qu'elle était haute et large dans le domaine des idées ». C'est bien par ce double caractère que me paraît se distinguer l'effort intellectuel de mon collègue et ami, le professeur Grasset.

Comme praticien, son labeur a été énorme. C'était un consultant très répandu, très apprécié par la valeur de ses conseils, par sa constante convenance envers les confrères, par le rayonnement de bonté et d'espoir qui émanait de sa personne ; c'était un observateur très clairvoyant, surtout en neurologie, et, pour moi qui ai eu l'honneur, pendant de longues années, à l'hôpital, de collaborer chirurgicalement à sa thérapeutique, je puis affirmer que l'étude clinique de ses malades était toujours poussée à fond, que les indications opératoires étaient par lui rigoureusement examinées, et que, dans la presque totalité des cas, j'avais la satisfaction de vérifier la concordance absolue entre son diagnostic et les lésions constatées en cours d'opération.

Comme enseigneur, il était hors de pair. J'en dirais volontiers ce que Haller avait dit de Boerhaave : « D'autres pouvaient l'égaler en savoir, mais il n'avait pas de rival dans l'art d'enseigner. » C'était une grande joie intellectuelle que d'assister à une de ses grandes leçons ou conférences, d'en analyser le procédé d'élaboration, l'art de composition : le plan était simple, par grandes lignes ; la documentation était complète et au courant; le développement du sujet se déroulait méthodiquement, sous une forme brillante et entraînante, avec des citations bien choisies, des détails pittoresques, des actualités qui captivaient l'attention de l'auditoire. Je ne vois aucune intelligence, dans le monde médical moderne, qui ait été douée, au même degré, de, la capacité d'assimilation et de vulgarisation.

Comme philosophe, une même doctrine domine toutes ses oeuvres : c'est la doctrine vitaliste. Le sujet principal de nos recherches, dans la science de l'homme, doit être la connaissance expérimentale des lois de ce principe de vie dont il est animé; la matière vivante diffère de la matière inerte, elle est régie par des lois spéciales, elle doit être l'objet d'une science particulière, la biologie, distincte de la physico-chimie; la meilleure façon de philosopher, en médecine, c'est d'étudier, non l'essence occulte de la vie, mais les liens et les rapports des phénomènes vitaux. La maladie est l'histoire de l'homme vivant, luttant activement contre le microbe ou le poison pour l'annihiler, le neutraliser, l'expulser; donc, c'est la nature qui opère la guérison : le médecin et le chirurgien ne sont jamais que ses ministres; et ce dogme, que tous les travaux microbiologiques contemporains ont confirmé, a été enseigné, à Montpellier, dès la plus haute antiquité. « A la base de toute la thérapeutique, comme à la base de toute la médecine, on retrouve toujours la vie! » Par là, s'affirme dans l'oeuvre entière de Grasset la continuité logique de la pensée, comme l'a résumé Vedel : « En médecin, il a voulu établir que la vie, normale ou pathologique, n'est qu'une lutte; en psychologue biologiste, il s'est attaché à démontrer que, par son intellectualité supérieure, l'homme, espèce fixée, a le devoir de défendre sa personnalité,, consciente, libre, responsable, morale et sociale. » C'est une qualité rare que cette unité de la pensée ; c'est un grand service que de conserver et de renouveler les traditions d'une Ecole, et c'est par cette continuité des traditions, autant que par son large accueil au progrès, que notre Faculté se distingue : une Ecole de Médecine ne s'improvise pas; il y faut des siècles.

EMILE FORGUE

professeur à la Faculté de Médecine de Montpellier,


L'OEUVRE DE RABELAIS

RABELAIS A VÉCU plus près du peuple qu'aucun de nos grands écrivains n'a été depuis le XVe siècle; il n'y a guère que Rousseau qui lui soit comparable à cet égard ; encore Rabelais est-il peut-être, de toute façon, plus vraiment populaire que Rousseau.

Aussi a-t-il compris les sentiments et les misères du peuple et a-t-il exprimé très nettement dans son livre les plaintes déjà séculaires des pauvres gens. Leurs pires tyrans, perpétuels et prochains, ce sont les gens de justice : de là la dénonciation à la fois violente et bouffonne qu'en

fait Rabelais ; ils sont à la fois ridicules et odieux, tous ces « sergents, huissiers, appariteurs, chicquaneurs, procureurs, commissaires, avocats, inquisiteurs, tabellions, notaires, greffiers et juges pédanés », tous appliqués à dérober la substance du petit peuple et à sucer son sang. Aussi Rabelais prend-il plaisir, dans

certains chapitres du quatrième livre (chapitres Xlll-XV), à étaler la vengeance comique et brutale que le seigneur de Basché tira des Chicquanous. Les Chicquanous, ce sont les huissiers qui portent les sommations et les contraintes. Le bon seigneur de Basché aime à banqueter avec ses serviteurs, voisins et vassaux ; à ce métier-là, il ne s'enrichit pas, il a des dettes, il reçoit des exploits d'huissiers, et les Chicquanous tourmentent sa vie. Alors, il invente une vengeance que Rabelais détaille avec une volupté visible ; il offrait ces représailles imaginaires, pour s'en repaitre à défaut de plus réelles, à la foule des braves gens consumés de procès et de frais de justice.

Il ne faut pas évidemment vouloir tout systématiser dans Rabelais ni trouver partout un sens profond. Traiter son ouvrage comme un livre à clé dans toutes ses pages et toutes ses plaisanteries, c'est une absurdité ; mais il y a un sens très clair qui se dégage du livre. Il ne faut pas y chercher une doctrine faite, cohérente et systématique ; ce qu'on y extrait de doctrine se réduit à quelques idées sommaires où les difficultés sont négligées. Mais ce qui est net, ce qui est précis, ce qui est fort chez Rabelais, c'est l'attitude, ce sont les directions générales qu'il indique à la pensée et à l'activité humaines. Rabelais, avec une décision énergique, se place, dès le premier moment, dans l'attitude rationaliste : en face de tous les problèmes de la pensée, il n'emploie que la raison ; en face de tous les problèmes de l'existence, il fait appel à un bon sens énergique dans lequel il associe à la raison les sentiments naturels d'humanité et de justice.

Après qu'on a loué et fait ressortir sa prudence, il faut bien remarquer que, si la prudence est nécessaire à Rabelais, c'est parce qu'il ne veut pas se taire. S'il consentait à se taire, il n'aurait pas besoin de se chercher des protecteurs. Mais il veut deux choses : il veut n'être pas brûlé, ce qui se comprend, et il veut dire sa pensée, ce qui se comprend aussi. Sa pensée est hardie, et c'est précisément parce que sa pensée est hardie que sa vie est prudente. Il y avait largement dans son livre de quoi le mettre en péril, s'il n'avait pris beaucoup de précautions.

Quelles que fussent la bonne volonté de ses

protecteurs et son adresse, je crois que sa grande ressource, le meilleur moyen de préservation qu'il eut, ce fut la gaieté de son livre ; gaieté naturelle qui jaillit évidemment de source, mais gaieté qui devient aussi pour Rabelais une tactique et un bouclier. II désarme ceux qu'il amuse, du moins à la cour ; et il se sert de sa gaieté, de sa fécondité d'inventions bouffonnes, pour envelopper sa pensée et masquer ce qu'elle aurait, s'il l'étalait dans sa nudité, d'intolérable pour le pouvoir et de mortel pour lui.

Nous voici conduits à nous demander

quelle est la forme, et a étudier rapidement l'art de Rabelais. On a beaucoup travaillé, en ces dernières années, à rechercher les matériaux de l'invention de Rabelais. Comment a-t-il composé son livre ? De quelles sources a-t-il emprunté tout ce qu'il nous conte ?

Il a une érudition universelle et surabondante : droit, médecine, histoire naturelle, astronomie, lettres, philosophie, tous les arts et tous les métiers aussi, il sait tout ce que l'on peut savoir de son temps. Il prodigue les citations et les références, d'abord par un goût naturel qui lui est commun avec tous les savants du XVIe siècle, et, en même temps, par humeur joyeuse, par un instinct sûr de l'effet comique de ces précisions pédantesques ; il est moitié naïf, moitié railleur. Il exploite tous les livres anciens et modernes qu'il connaît (grecs, latins, italiens, français). Il ramasse toutes sortes de contes, de bons mots, de proverbes, de calembours, de croyances et de « on dit » qui avaient cours parmi le, peuple, et se répétaient dans les villages et les villes de France.

La construction de l'oeuvre est confuse et énorme. Là encore, on retrouve le goût de l'ancienne France. Il y aune espèce dé disproportion ou d'indifférence à l'harmonie des parties ; chaque livre est indépendant des autres livres; le roman n'a pas été commencé sur un plan d'ensemble. Rabelais a marché pour ainsi dire au hasard, composant un livre après un autre. Tout au plus peut-on dire qu'au moment où il compose le quatrième livre, il envisage déjà le cinquième, puisque la navigation de Panurge ne s'achève pas dans le quatrième livre et qu'il n'arrive pas à l'oracle. Cette construction fait penser à celle de certaines de nos cathédrales, bâties au cours de trois ou quatre siècles, dont le plan a changé bien des fois, et qui nous (présentent, à côté de tous les âges du gothique, les pures formes du style de la Renaissance ; elle rappelle, par le fouillis en apparence incohérent du détail, la décoration luxuriante des églises dans laquelle on trouve : ici, des sculptures symboliques qui expriment tous les enseignements de l'Eglise, toute la légende et toute la philosophie chrétiennes ; là, des reproductions réalistes de la faune et de la flore du pays, des feuilles de vigne et toute espèce de plantes ; et, enfin, dans des stalles de choeur ou dans des chapiteaux de piliers, tous les jeux grotesques et même obscènes de la fantaisie du sculpteur.

La pensée de Rabelais est celle d'un humaniste

La Faculté de Médecine de Montpellier.

Rabelais, par Boudan.

(Bibliothèque Nationale.) (Hat. Giraudon.)

Un Professeur de Médecine au XIVe Siècle.

(Incunable de la Faculté de Montpellier.)


de la Renaissance ; mais son art, en dépit de tous ses emprunts et de

toute sa culture, est encore presque purement indigène. Il n'a pris à l'antiquité et à l'Italie que des faits, des inventions, de l'érudition, de la pensée ; son art n'est ni hellénisé ni italianisé. Quand il était à Rome, avec le cardinal du Bellay, la comédie italienne l'a ennuyé (voyez La Sciomachie) ; il ne la goûte pas, il aime mieux la vieille farce française. Il a mis dans son oeuvre quelques essais de rhétorique cicéronienne (harangue d'Ulric Gallet ; concion de Gargantua aux vaincus), mais c'est très secondaire dans son inspiration, et cela n'occupe qu'un petit coin dans son oeuvre. Son génie est resté beaucoup plus national et populaire que même Clément Marot n'a été.

Il a pris de la tradition française, de celle que représente Le Roman de la Rose, le goût des allégories, des personnifications morales ou philosophiques, - des constructions symboliques ; mais il y a joint, en même temps, des fabliaux, des contes, des farces ; il y a joint le goût du réel, du concret, de la vie.

Il y a dans Rabelais, au travers de cette réalité que l'on trouve constamment chez lui, une imagination comique qui se donne libre carrière et une pensée philosophique qui utilise toutes les formes réelles pour s'exprimer. Mais ce qui domine d'un bout à l'autre chez lui, ce qui lie en quelque sorte tous les éléments de son oeuvre et de son invention, c'est le caractère

populaire et national, c'est l'accent de terroir, l'accent savoureux et jovial du paysan français qui aime les bons contes et les propos salés. C'est par là que Rabelais a une place à part parmi les grands écrivains. C'est un grand artiste littéraire qui, par hasard, n'a été ni homme du monde ni homme de cour. Le " monde ». n'existait pas encore dans la société française; mais il y avait déjà une cour et un esprit de cour. La cour, qui fut la maîtresse d'école de Marot, n'a pas été celle de Rabelais : il est resté, je le répète, en se cultivant, un homme du peuple. Un bourgeois tout proche du paysan ; et de là vient que Rabelais a dégoûté, effaré ceux de nos écrivains et de nos critiques qui ont été avant tout des hommes du monde, des hommes de bonne compagnie. Voilà pourquoi La Bruyère l'a déclaré « le charme de la canaille " ; voilà pourquoi il faisait faire la grimace à Voltaire ; dans sa vieillesse, quand il sera mûr pour écrire Candide et les Lettres sur les Miracles ou le Pot Pourri, Voltaire reviendra à Rabelais et le comprendra.

Rabelais effraye le bourgeois français qui s'est rétréci à ne plus rien comprendre que ce qui est, pour les gens de sa classe, « comme il faut», qui accepte comme règles suprêmes de morale et d'esthétique les moeurs et les bienséances de son monde: pour ceux-là, Rabelais est choquant et incompréhensible.

Mais, sans parler de ceux qui, comme Flaubert, l'ont aimé par la qualité artistique de sa phrase, il est cher à tous ceux qui ont su rester, quelle que fût leur culture, en communication avec le génie populaire de la France ; il a été cher à La Fontaine, à Molière ; il a été goûté, libertinage à part, de ces gentilshommes de la Régence et du temps de Louis XV qui allaient se réjouir à écouter les parades aux foires Saint-Laurent et Saint-Germain, et qui en composaient pour les jouer entre eux à huis clos ; il a été goûté aussi de Beaumarchais, qui, tout précieux et homme d'esprit mondain qu'il a été, a gardé des attaches très étroites avec l'imagination populaire et a toujours retenu le sens dé la farce : c'est visible dans son Figaro et dans son Barbier de Séville. Et si l'on veut marquer sa place parmi les grands écrivains du XVIe siècle, peutêtre n'osera-t-on pas dire qu'il ait eu plus de génie que Ronsard ou que Montaigne ; mais il a eu, à coup sûr, le génie le plus populaire, le plus largement et le plus complètement français ; c'est chez lui que l'humeur indigène, la physionomie de la « race » demeure la plus nette et la moins altérée.

GUSTAVE LANSON,

Directeur de l'École Normale Supérieure.

RABELAIS A MONTPELLIER

On possède peu de renseignements concernant le séjour de Rabelais à Montpellier. Voici quelques détails, cependant, qui furent recueillis par Paul Stapfer, l'éminent historien :

EN 1530, nous trouvons Rabelais à Montpellier, où il s'était rendu pour achever ses études de médecine au foyer même de cette science et pour prendre ses gradés. Il arrivait bien préparé; car, inscrit le 17 septembre comme candidat au baccalauréat, les registres de la Faculté le montrent reçu bachelier au bout d'un mois et treize jours : dérogation tout à fait exceptionnelle à l'ordre et à l'usage, les candidats n'étant régulièrement admis à l'épreuve du baccalauréat qu'après trois ans d'études. II est vrai que ce bachelier avait alors au moins trente-cinq ans et qu'il n'était pas un écolier ordinaire.

Une anecdote, légendaire peut-être, mais où la légende se fonde sur le fait d'ailleurs bien établi de l'éloquence de Rabelais et de l'air d'autorité qu'une science sûre d'elle-même donnait à sa personne, nous le fait voir, dès son entrée dans la Faculté, y apparaissant comme un maître.

Une thèse était débattue sur les herbes et les plantes médicinales, froidement de part et d'autre, au jugement de Rabelais, qui ne put s'empêcher de donner des signes d'impatience.

Le doyen s'en aperçut, et, frappé de l'intelligente et belle physionomie du personnage, il le fit inviter à prendre place parmi les argumentateurs.

Rabelais commença par s'excuser modestement de prendre la parole au milieu de tant d'illustres docteurs, lui qui n'était pas même bachelier; puis, il traita la question controversée avec un tel succès que l'auditoire éclata en applaudissements et le proclama non point docteur, comme on l'a dit en grossissant les choses, mais digne du doctorat.

Les règlements de la Faculté obligeaient tout bachelier en médecine, aspirant aux grades de licencié et de docteur, à faire pendant trois mois des leçons publiques. Rabelais ouvrit donc à Montpellier, en 1531, devant un nombreux auditoire, un cours dans lequel il expliqua les Aphorismes d'Hippocrate et l'ars parva de Galien. Il profita d'un manuscrit grec dont il était possesseur pour critiquer et corriger la traduction latine imprimée à l'usage des étudiants.

PAUL STAPFER:

GUSTAVE DORÉ

ET RABELAIS

NOUS REPRODUISONS quelques-uns des dessins exécutés par Gustave Doré pour illustrer Rabelais. Ce sont des chefs-d'oeuvre de truculence et de pittoresque. La verve du peintre égale la verve de l'écrivain. A l'interprétation fidèle du texte, s'ajoute la vision du décor. Toute l'ancienne France revit dans ces compositions magnifiques : vieilles rues, vieilles maisons, clochers escaladant le ciel, nefs obscures et profondes, cabarets cordiaux, rôtisseries flambantes. Et, à travers ces architectures romantiquement évoquées, la grouillante humanité de maître François : gens de robe, gens d'église, clercs, francs buveurs, marchands, hommes d'armes, rois, seigneurs et vilains, Bridoie, Chicanous, Panurge, Dindonneau, Frère Jean, Picrochole, parmi lesquels surgissent les silhouettes géantes de Gargantua, de Pantagruel, de Gargamelle, de Grandgousier... Tableaux épiques créés pour le plaisir de l'esprit et des yeux.

Ces dessins ont une histoire... Ils datent de la jeunesse de l'artiste... Gustave Doré, chercha vainement un éditeur. La plupart des libraires à qui il les montra les accueillirent avec froideur. Un seul, Paul Lacroix, en goûta la beauté originale. Mais il manquait d'argent et les tira sur mauvais papier. Ce n'est qu'en 1873 qu'ils furent décemment présentés au public. L'édition de Rabelais sortie des presses de Garnier obtint un immense succès. Et, dès lors, les noms de Rabelais et de Doré devinrent inséparables.

(Dessins de GUSTAVE DORÉ.)

Bridoie.

Frère Jean des Entommeures rallie les cuisiniers pour combattre les andouilles.

Messer Gaster.

L' eveque des Parimanes montreles Décrétales.

Le gros Chicanou.

Comment Pantagruel loue le conseil dos muets.


QUELQUES-UNS DES PLUS BEAUX VERS D'EDMOND ROSTAND

Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais.

(Les Musardises.)

On finit par aimer tout ce vers quoi l'on rame !

(La Princesse Lointaine.)

L'abeille, c'est l'esprit dans la lumière, c'est Une goutte de miel qui monte entre deux ailes !

(Les Ruches Bridées.)

Soldat que pour soldat la lumière a choisi,

Charge ! Ta baïonnette, elle n'est, quand tu charges.

Qu'un rayon un peu dur au bout de ton fusil !

(L'Ame.)

Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul (Cyrano de Bergerac.)

Le marbre séparé du laurier se sent triste

(Au Buste de Max Barthou. )

La Croix, faite nour la poitrine, Se sent mourir dans la vitrine Et c'est comme un second trépas : J'ai toujours pensé que la mère Devrait porter la Croix de Guerre Quand le fils ne la porte pas.

(L' Ordre du jour, )

... Nous préférons qu'une étoile soit fixe Afin nu on la retrouve en relevant les yeux.

Les Deux Propagandes. )

Quand le paon n'est pas là, le dindon fait la roue

L'oeuf a l'air d'être en marbre avant d'être cassé.'

Qui touche un bois pourri voit sortir des cloportes !

Ce qui connaît le mieux le ciel, c'est l'eau du puits !

Quand on sait regarder et souffrir, on sait tout. Dans une mort d'insecte on voit tous les désastres. Un rond d'azur suffit pour voir passer les astres...

C'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière

... Celui qui voit son rêve mort Doit mourir tout de suite ou se dresser plus fort !

Chanter, c'est ma façon de me battre et de croire.

Il suffit de parler de haut pour être grand.

Les Rivarol manqués s'appellent Calino.

il faut savoir mourir pour s'appeler Gavroche !

Il n'est de grand amour qu'à l'ombre d'un grand rêve !

Tout ce qui trop longtemps reste dans l'ombre et dort S'habitue au mensonge et consent à la mort !

( Chantecler.)

Mères. Qu'il y ait du respect parfois dans la douceur Du baiser mis au front de votre enfant rêveur ; Que vos lèvres, parfois, en écartant des boucles. Aient peur de se brûler à quelques escarboucles ; Frissonnez au milieu d'un rire: effrayez-vous De prendre l'avenir, ainsi, sur vos genoux:

Et dites-vous, avec une ivresse inquiète.

Lorsque vous saisissez une petite tête

Pour essayer de voir au fond des yeux gamins,

Que vous tenez peut-être un monde entre vos mains !

(Un Soir à Hernani.)

Je suis toujours un peu dans tous les mots d'amour. Les plus beaux yeux pour moi sont tes yeux pleins de larmes, (Paroles de Jésus, dans "La Samaritaine".)

Le livre s'ouvre seul aux feuillets souvent lus. !

La couronne suffit pour mûrir une tempe !

Cela fait un don Juan lorsqu'un César avorte ! Oui c'est une façon d'être encore un vainqueur !

Je n'aime pas beaucoup que la France soit neutre.

( L'Aiglon. )

.. Qu'est-ce qu'un Français ? Un Français est celui Qui né libre, voudrait délivrer tous les hommes

Nous ne fûmes profonds que dans nos imprudences. Rien ne nous a jamais servi que notre coeur.

On croit qu'on ne peut plus: on peut. Telle est la France.

Versailles ne devint un chef-d'oeuvre éclatant Que parce que le roi n'en fut jamais content.

Que devons-nous aux morts ? — Rendre leur mort féconde. Et pour qu'il n'en soit pas d'oubliés en ce monde, Grouper, chacun, les noms dont nous nous souvenons. Et ne pas vivre un jour sans réciter ces noms.

(L'Etoile entre les Peupliers.)

Je ne veux voir que la victoire. Ne me demandez pas : " Après ? » Apres, je veux bien la nuit noire Et le sommeil sous les cyprès.

Je n'ai plus de joie à poursuivre Et je n'ai plus rien à souffrir. Vaincu, je ne pourrais pas vivre. Et, Vainqueur, on pourra mourir.

( Tronve dans un carnet.)

EDMOND ROSTAND.

M. Joseph Bédier. (Pbot H. Manuel )

(Pbot. Isabey .) M. Louis Barthou.

Edmond Rostand.


LES ANNALES

412

RÉCEPTION DE M. JOSEPH BÉDIER.

A L'ACADÉMIE FRANÇAISE

Séance émouvante sur laquelle planait l'ombre du poète si prématurément et cruellement ravi aux lettres françaises. M. Bédier a tracé de lui un portrait plus psychologique que familier, ne l'ayant point personnellement connu. Il a montré le coeur et le cerveau de Rostand à travers son oeuvre. Il a analysé en termes pénétrants les tourments intérieurs de l'écrivain, son désir de perfection, ses scrupules, la crainte où il était de ne pas exprimer son idéal. A cette image, M. Louis Barthou, dans sa réponse, a ajouté des traits plus intimes. C'est le Rostand qu'il chérissait d'une tendresse fraternelle que nous avons vu revivre. Les mots qu'il a su trouver ont remué l'auditoire. Il n'a pas moins bien parlé du récipiendaire. Souhaitant une cordiale bienvenue à son nouveau confrère, il a, par ses justes et fines louanges, pleinement justifié le choix de l'Académie...

Discours de M. Joseph Bédier

MESSIEURS,

CE REMERCIEMENT, que je vous adresse de toute mon âme, ne saurait rien vous offrir que de prévu. Vos archives près de trois fois séculaires montrent que les cinq cents exordes de vos cinq cents élus ne font qu'un seul exorde, et que la similitude même en est émouvante et la monotonie, parce que tous les récipiendaires développent le thème de leur gratitude avec la même sincérité et la même humilité. C'est qu'il n'en est pas un, si fier soit-il de sa propre gloire, qui ne considère avec émoi combien de grands serviteurs de la nation l'ont précédé dans votre Compagnie, ceux qu'il voit de ses yeux, ceux de naguère, ceux de jadis. Et c'est encore qu'au seuil de ce grave hémicycle, tout nouvel arrivant, quel qu'il soit, voit à plein une vérité, celle-ci : en son oeuvre, que vous récompensez, vous honorez quelque chose qui vaut mieux que lui, qui n'est pas de lui, qui est de la patrie. C'est la patrie qui lui a donné ses soutiens et ses guides, les inspirateurs de son effort, les compagnons de ses travaux, ses modèles. A cet instant, il les revoit tous. Il comprend que vous remercier, c'est aussi les remercier. C'est devant eux d'abord qu'il se fait humble, et il a bien sujet de se faire humble devant eux. En ce sens, il n'est pas vrai qu'il vienne trop tard et que tout soit dit : tout lui reste à dire. Et c'est pourquoi les exordes des discours académiques peuvent bien reprendre sans fin un thème invariable, jamais ils ne l'épuisent ni ne l'épuiseront, et qu'ils sont beaux souvent, quand un Lamartine, par exemple, rend grâces à qui de droit de ses inspirations, un Pasteur de ses découvertes, un Joffre ou un Foch de ses victoires !

Si peu de chose que je sois, n'est-il pas juste et bon que je le reprenne, moi aussi, le thème ressassé, le thème vénérable? Oui, je me remémore tous mes maîtres, et tant de mes élèves, de qui j'ai reçu, aussi bien que de mes maîtres, la leçon de l'exemple. Je crois encore sentir, comme jadis, la secourable présence de Ferdinand Brunetière, qui m'a comblé de ses bienfaits, de Gaston Paris, qui fut « mon plus que père ». Et j'entends aussi de chères voix lointaines : elles me viennent de mon pays, noble entre les nobles terres de douce France,

ma petite île Bourbon, sans cesse tendue vers la mère patrie, et si éprise de l'amour d'elle qu'elle enivre tous ses enfants de cet amour... Àh ! cette pudeur de parler de soi, qui entrava tant de mes prédécesseurs, je la sens bien qui m'entrave à mon tour ! Pourtant, puisque c'est le labeur d'un universitaire qu'il vous a plu messieurs, de récompenser, et de quelle récompense ! il faut que je m'enhardisse jusqu'à

révérer à haute voix les maisons lumineuses qui m'ont abrité : l'Université de Fribourg, en Suisse, où jadis j'ai servi, et l'Université de Caen, et mon Ecole Normale, et mon Collège de France. A cette heure où il conviendrait que l'oeuvre de M. Edmond Rostand fût dignement louée, puisse leur esprit, l'esprit de notre Université, m'assister dans ma tâche !

LA SÉDUCTION DE L'OEUVRE D'EDMOND ROSTAND

Ma tâche, pourquoi ne l'avouerais-je pas? m'aura longtemps inquiété. Certes, je m'y suis préparé de mon mieux, et je ne vous surprendrai guère si je dis qu'ayant dé l'érudit tous les scrupules peut-être, assurément toutes les manies, j'ai multiplié sur l'oeuvre de M. Edmond Rostand les recherches, les enquêtes, et que, non content d'avoir recueilli à Paris tous les documents que j'ai pu, j'ai fouillé par surcroît, là-bas, à Marseille, l'admirable bibliothèque d'histoire du théâtre que M. Auguste Rondel a su former avec autant de goût que de science. Mais quoi ! Nul écrivain n'a été plus loué déjà que M. Edmond Rostand, plus célébré, plus exalté. A son égard, quelle louange désormais ne semblerait pas languissante ? Et qu'importeraient, d'ailleurs, les redites d'un critique dont la compétence, en fait de théâtre, peut bien s'étendre sur nos vieux Mystères et sur nos vieilles Moralités, mais ne dépasse guère le XVe siècle ? Pourtant, peu à peu, mon inquiétude s'est dissipée. C'est que, pour avoir lu sur M. Rostand, d'affilée et la plume à la main, et plus systématiquement peut-être que personne avant moi, et dans tous les journaux du monde, des articles sans nombre, et tant de panégyriques, et tant de dithyrambes, j'ai mesuré sa gloire, mais aussi les périls qu'elle lui a fait courir. J'ai connu que son oeuvre, charmante par elle-même, se termine à elle-même, et que le faste d'une renommée trop tumultueuse n'en fait point partie. Par contraste à tout ce fracas, dont lui-même a souffert, j'ai mieux ressenti la séduction de cette oeuvre toute pénétrée de grâce, et, au vieux sens du mot, de gentillesse. Alors, il m'est apparu qu'elle ne requiert plus rien de qui veut parler d'elle, sinon qu'il parle d'elle avec simplicité. C'est un grand hommage que celui de la simplicité : il n'est dû qu'aux simples et aux sincères. Or, il m'est facile de montrer, et d'entrée de jeu, que ce poète y a droit.

LA VIE INTÉRIEURE DU POÈTE

Sans doute, comme il arrive, il aima la gloire. Mais il la redouta plus encore, et pas un écrivain de notre temps peut-être n'aura moins agi pour la solliciter. Alors que tant d'autres se hâtent d'exploiter leur vogue et

précipitent par des procédés de forcerie le foisonnement de leurs ouvrages, a-t-il jamais commis, lui, ce péché contre l'esprit ? N'a-t-il pas, au contraire, maintes fois, par scrupule, résisté à l'appel et à l'impatience du public, lui qui, durant des années, a remanié son Chantecler et différé sans fin de faire représenter sa seconde version de La Princesse Lointaine et sa Dernière Nuit de Don Juan, lui qui, en vingt-cinq ans, n'aura porté à la scène, tout compte fait, que six comédies ? S'est-il, comme tant d'autres, répandu en apologies personnelles " Où sont, pour faire cortège à ses pièces, les commentaires captieux, les ambitieux manifestes ? Vous y chercheriez en vain même un bout de préface. Aux temps de sa jeunesse et de son obscurité, de quel cénacle s'est-il jamais réclamé ? Devenu célèbre, s'estil posé jamais en chef d'école, protecteur et protégé d'une clientèle de disciples ? D'autres ont pu disperser en cabales le meilleur de leurs forces vives ; lui, selon un précepte d'Emerson qu'il aimait à citer, il s'appliqua sans cesse à « garder dans le monde, avec une parfaite douceur, l'indépendance de la solitude » ; ou, plus volontiers encore, fuyant le monde, il se réfugiait dans l'isolement de sa retraite pyrénéenne ; et, sans doute, quelques amitiés, dont il fut fier, l'amitié de Gaston Paris ou de Paul Hervieu, le suivaient jusque là-bas, attentives et tendres ; mais, même à leur égard, il s'enveloppait craintivement de mystère, et il est un des rares écrivains qui semblent n'avoir littérairement subi l'influence d'aucun de leurs contemporains. Non pas orgueilleux, mais secret, mais lointain, ce solitaire concentra sur son oeuvre toutes ses forces physiques, dont les réserves, il le savait, s'épuisaient vite, et toutes ses forces spirituelles ; et, parce qu'une seule chose est nécessaire, ayant une fois choisi la part de Marie, il aura vécu presque hors de son temps, rien que pour sa vocation, rien que de sa vie intérieure...

AU TEMPS DES « MUSARDISES »

Le premier recueil de vers d'Edmond Rostand passa presque tout à fait inaperçu, et l'un des plus illustres poètes du temps, appelé à conseil, lui laissa entendre que c'était justice. II voulut bien louer en lui un virtuose, habile déjà à « frapper sur les cuivres du verbe » et à sonner le carillon des rimes, mais qui l'inquiétait plus encore qu'il ne le séduisait par l'adresse complexe, voire composite, de ses prouesses parnassiennes. Dans Les Mus sardises, c'est un poète qu'il avait cherché, sans le découvrir. Pourtant, on naît poète, les Anciens nous en ont averti, on ne le devient pas. II y a donc indice que le verdict de cet augure offensa les Muses, et ceux-là,


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effet, devraient craindre aujourd'hui de les offenser qui prendraient pour les jeux d'un virtuose, ou d'un précieux, certaines de ces pièces, écrites entre 1888 et 1893 : je veux dire les pièces étranges où l'auteur ne se lasse pas de raffiner son raffinement, de trier les plus frêles de ses impressions et les plus immatérielles, et décrit, par exemple, les ombres, les fumées, et « l'ombre la plus ombre, la plus philosophique », l'ombre d'une fumée bleuissante sur un mur blanc :

Oui, je vous aime, ombre des choses, Plus que les choses, bien souvent.

Je vous aime, parce que, vaines, Vous me convenez, à moi, vain, Et parce que. les incertaines, Vous me charmez, moi, l'incertain...

C'est là le thème le plus expressif des Musardises, le plus mystérieux : et cette défiance du réel est déjà poésie. Un rêveur, que froissent non seulement « les contacts blessants du vulgaire », mais la nature elle-même et sa brutalité, et qui, plus volontiers, écoute, comme Saint-Amant, « le bruit des ailes du silence » ; un délicat, qui redoute ce qu'il appelle « la vie debout » ; un voluptueux, qui se plaît à son nonchaloir, content s'il jouit d' « une chimère caressée », d'un poème que jamais il n'achève, d'un songe qu'il ébauche ci puis qu'il délaisse; un tendre, « qui joue du triste et du. gai tout ensemble » et se défend contre son propre émoi, comme on voit à cette pièce des Parenthèses où, dans chaque quatrain, un vers ironique raille en sourdine les trois autres, ardents et confiants; un lyrique qui évite les grands thèmes du lyrisme, les thèmes anxieux de l'Amour, de la Mort, de la Destinée : à tous ces signes, à ces réticences et à cette inquiétude, on reconnaît le frémissement d'une sensibilité concentrée et fine qui voudrait s'épancher et qui n'ose, qui fuit vers les saules, qui s'offre à la fois et se dérobe, trop épicurienne peut-être ou peut-être trop hautaine pour se répandre à la libre et large manière romantique, et qui se cherchera « loin du réel et de sa rumeur importune, quelque part, hors du monde », un alibi et un refuge.

LES DÉBUTS AU THÉÂTRE

Où les trouver? Par une disposition rare et paradoxale, mais chez lui foncière, et que favorisait son goût inné des images concrètes et plastiques, c'est vers le théâtre, c'est-à-dire vers la forme d'art la moins propice au lyrisme personnel, que se réfugiera ce lyrique inquiet. Le théâtre, pour lui, ce n'est point la peinture, fondée sur l'observation et l'expérience, des passions humaines et de leurs conflits ; et surtout, le théâtre, ce n'est pas les planches. « Je ne connais pas les planches, dira-t-il, je connais le gazon que foulent Roméo et Juliette... et je n'ai jamais vu se poser le pied de Titania. » Le théâtre, pour lui, c'est le pays de féerie, la terre des enchantements ; là seulement, la vie se fait diverse, abondante, fertile en joies, " conforme à l'âme » ; car on la construit au gré de l'Illusion, qui seule est vérité, au gré du Rêve, qui seul est réalité :

Peut-on pleurer, voyons, quand la saison charmante Permet de s'attarder aux terrasses sans mante, Quand l'ombre est violette et rose, quand le soir Sur les ors du couchant passe son brunissoir ? Vois : pendant qu'un côté du firmament rutile, L'autre verdit, piqué d'un astre vibratile; Le golfe, où tremble une eau gris perle et fleur de lin, A l'air d'être une vasque en marbre cipolin. Vois les pins s'empourprer légèrement. Ecoute Monter les voix de ceux qui passent sur la route Et rentrent à la ville en portant du lilas...

Au bruit de ces voix que la distance épure et qui semblent « une dentelle de son dans l'air », ainsi, « dans une Italie exagérée », rêve la première des héroïnes d'Edmond Rostand, la Colombine des Deux Pierrots, « toute blanche et pareille à un grand bouquet de noces ».

Le décor change. Voici le vieux parc des Romanesques, enguirlandé de lianes odorantes, de triolets et de romances. Là,

copiant les attitudes lentes Des pèlerins d'amour dans les fêtes galantes,

Sylvette et Percinet, les deux petits amoureux qui se revêtiront de poésie à l'instant précis où tombera leur affublement romanesque, savourent leur songe d'une matinée de printemps :

Un peu de musique, un peu de Watteau... Des costumes clairs, des rimes légères, L'Amour dans un parc jouant du flûteau.,.

Le décor change encore. C'est La Samaritaine. Au pays de Sichem, le soleil matinal argenté cette fois des oliviers et des térébinthes, mais la même lumière innocente, florianesque, baigne le paysage oriental. A peine plus complexe que Sylvette, la Samaritaine Photine cueille la bonne nouvelle, et son âme est « légère autant qu'une corbeille », et sa familiarité avec les mystères terribles, son exégèse idyllique ne sauraient guère offusquer : Vincent et Mireille y prendraient un plaisir extrême.

Ainsi le poète, comme un prince enchanté, erre dans les jardins d'Armide : il y berce son hédonisme au bruit des rimes ingénieuses. Seule, en cette période d'essais heureux et d'aimables succès, qui se prolonge jusqu'en 1897, sa Princesse Lointaine, représentée le 5 avril 1895, témoigne d'une aspiration, mais qui longtemps restera incomprise, vers de plus hauts desseins, encore mystérieux. Cette Mélissinde hiératique, « circéenne », dérouta, déçut les contemporains. Ils ne virent guère en cette pièce qu'une réplique de Gismonda; c'était, croyaient-ils, un conte bleu comme les autres, plus capricieux seulement et plus obscur.

Je risque, je le sais, messieurs, de sembler un instant méconnaître, sinon le charme, du moins la portée de ces premières comédies. Mais ce que j'ai à décrire, c'est la démarche, d'abord indécise, d'une âme qui s'oriente, et parce que je sais vers quelle lumière elle cheminera bientôt, je ne crains pas d'insister sur la lenteur de ses tâtonnements. Ce qui caractérise les débuts d'Edmond Rostand, c'est bien cette lenteur et cette indécision, c'est bien la modestie initiale de ses ambitions. Qui donc d'ailleurs, dans le Paris d'alors, l'eût encouragé à élargir le champ de ses visées ? Qui trouva-t-il, en ces temps incertains, pour lui verser la griserie de ces paroles de foi dont les poètes ont besoin, alors même qu'ils n'en accueillent guère les promesses ? Celle-là, assurément, que tout jeune, à vingt-deux ans, il avait épousée, et qui crut à son génie bien avant que l'aube en fût levée. Mais, luimême, — on le voit assez aux sujets qu'il traite, — il se sera longtemps refusé aux longs espoirs et aux vastes pensers. Non, il n'est pas entré dans la carrière en conquérant, en victorieux.

Il n'était venu, semblait-il, que pour renouveler et transposer au mode parnassien l'art d'un Dancourt, ou d'un Florian, ou d'un Sedaine, ou encore pour maintenir ce qu'il y avait de plus gracieux et de plus fantasque dans la tradition du romantisme...

Il semblait se confirmer qu'il ne saurait jamais séduire qu'une élite, raffinée et même un peu blasée, de délicats.

LE TRIOMPHE DE « CYRANO "

Or, messieurs, pour démentir l'horoscope, un soir, soudainement, le 28 décembre 1897, au soir de Cyrano de Bergerac, dans un transport d'allégresse, avec une véhémence presque forcenée, la gloire le saisit. Cette fois, c'est la foule aussi bien que l'élite qu'il a touchée au coeur ; bientôt, il apparaîtra que c'est la nation tout entière. « Heureux, s'écrie, comme excédé de joie, un critique, au lendemain de cette soirée, heureux serons-nous, quand nous serons bien vieux, de pouvoir dire : J'y étais ! » Et cet autre s'écrie : « Un poète nous est né ! » Et cet autre : « Le soleil est levé, disparaissez, étoiles ! » Et cet autre, Emile Faguet : « Serait-ce vrai ? ce n'est pas fini! Il y aura encore en France une grande littérature poétique, digne de 1550, digne de 1630, digne de 1660, digne de 1830. Elle est là, elle se lève ! J'aurai assez vécu pour la voir, je vais commencer à appréhender de mourir avant de l'avoir vue se dévoiler tout entière ! Ah ! quelle espérance et quelle crainte plus délicieuses ? » De ce jour, le disciple frénétique de Victor Hugo, Catulle Mendès, affectera d'appeler ce tout jeune homme « mon père », comme Rotrou faisait de son cadet Corneille. Et ce fut le succès du Cid, mais sans la querelle du Cid, le succès d'Hernani, mais sans la bataille d'Hernani. L'auteur de Cyrano n'a que vingtneuf ans : de quelle trempe faut-il que son âme soit trempée, si le choc de ces louanges unanimes et massives ne l'accable et ne la fausse ?

Seul, un critique, celui qui, tout au long de la carrière d'Edmond Rostand, sut, au jour le jour, juger chacune de ses pièces, en des chroniques presque instantanées, avec une sûreté de touche et une finesse dignes de Sairle-Beuve, seul Jules Lemaître essaya de nuancer l'éloge. Il s'interdit de pindariser. Mais encore, que disait-il ? Que « l'événement; pour n'être pas surnaturel, n'en restait pas moins merveilleux » ; que « Cyrano est le drame le plus élégant de psychologie héroïque, un drame dont Rotrou, et Tristan, et les deux Corneille eussent bien voulu rencontrer l'idée et qui vaut, à coup sûr, leurs inventions les plus délicates et les plus galantes, et qui eût réjoui l'idéalisme de l'Hôtel de Rambouillet dans ce qu'il eut de plus noble, de plus pur, de plus tendre ». Il disait encore qu' « on ne trouverait pas une fable égale à celle-là dans tout le théâtre antérieur à Racine » ; que « ni l'Alidor de la Place Royale, ni Pertharite, ni Pulchérie, ni l'Attale de Nicomède, ni l'Eurydice de Suréna, ni Timocrafè, ne surpassent Cyrano ou Christian soit en subtilité, soit en délicatesse, soit en héroïsme sentimental " ; qu'en un mot, « la littérature précieuse semblait nous donner, au bout de deux cent cinquante ans, sa vraie comédie » et qu' « on n'y peut comparer, pour son adorable idéalisme, que la Carmosine d'Alfred de Musset ».

Louanges magnifiques, mais à double tranchant et qui aisément tourneront au grief Car, à la faveur d'un si riche dénombrement d'antécédents et de modèles, elles visent à montrer que la comédie de Cyrano « prolonge en elle et fond en elle trois siècles de fantaisie comique et de grâce morale », donc à la replacer dans le courant d'une très longue tradition littéraire. Par là, on rattache l'art d'Edmond Rostand à l'art du passé, et c'est


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d'abord et surtout en retrouver les titres de noblesse ; mais aussi et du même coup on pose un problème : en quelle mesure cet art traditionnel est-il un art original ?

Or, ce problème a été depuis vingt-cinq ans résolu par maints critiques au détriment d'Edmond Rostand. A les en croire, son apport personnel serait minime. II se ressouvient, disent-ils, il hérite de toute l'Ecole précieuse, et de tout le Romantisme, et de tout le Parnasse. « Il recommence et continue. » il renouvelle, il n'innove pas. Il exploite, il ne crée pas. « Ce n'est qu'aux inventeurs que la vie est promise » : où donc, dans son oeuvre, la part de l'invention ?

J'aurais pu, messieurs, taire ce reproche, si dur. J'ai préféré le produire, et c'est à bon escient. Je l'ai produit en toute sa brutalité : je saurai y répondre.

Ici, l'orateur, dans un pénétrant parallèle, relève de nombreux points de contact entre Joffroy Rudel, le duc de Reichstadt et Cyrano. Il s'ingénie à démontrer que ces trois personnages, colporteurs de l'idéal du poète, ne sont, en dernière analyse, que ses truchements, ses porteparole, ses « doubles ».

LE « MÉTIER » D'EDMOND ROSTAND

Si cela est vrai, ne voit-on pas, mesieurs, fléchir le reproche, si souvent adressé à Edmond Rostand, qu'il hériterait de ses devanciers, sans innover ? S'il est vrai que ses personnages ne sont à l'ordinaire que des incarnations de lui-même, aimons en son théâtre, « aimons ce que jamais on ne verra deux fois ». Où trouver une seconde fois, dans le théâtre de quel temps, de quel pays, un dramaturge qui obéisse à la même poétique ? Schiller, peut-être, en quelque mesure, ou Musset assurément, mais avec moins de constance. A part ces exceptions très rares, en tout temps, en tout pays, et même chez les romantiques, le dramaturge est l'interprète des passions d'autrui ; et, s'il peut bien, par un effet de ce dédoublement de soi-même que crée la sensibilité artistique, participer aux sentiments de ses personnages et souffrir de leurs souffrances, pourtant il ne se perd pas en eux, il s'oppose à eux, au contraire : il est, par essence, un observateur, un contemplateur. Mais le poète de Cyrano et de L'Aiglon regardait peu, n'observait guère : de lui, comme de Lamartine, on peut dire qu'il fut « l'ignorant qui ne sait que son âme », et c'est son âme surtout que, sous des pseudonymes et des travestissements divers, il éploya dans ses drames. Lui qui semble s'être si peu soucié de raisonner sur son art, et qui, dans un discours prononcé à l'Opéra, l'une des très rares fois qu'il en ait parlé, ne fit que louer pêlemêle tous ses émules, tous ses rivaux, et ceuxlà mêmes dont l'oeuvre formait avec la sienne les plus violents contrastes, Tolstoï et Ibsen, et Hauptmann et Strindberg, aura-t-il connu pleinement son propre secret ? Il se distinguait d'eux tous, il innovait en ce que, presque à son insu, il aura employé à exprimer le tréfonds de ses propres sentiments le genre littéraire le plus rebelle à de telles fins : il fut le plus lyrique des dramaturges.

N'était-ce pas risquer, chaque fois qu'il portait à la scène une pièce nouvelle, une sorte de gageure contre les lois mêmes de l'art dramatique ? Il se peut ; mais qu'importe, si cette gageure, il l'a presque chaque fois gagnée ? Les deux personnages de théâtre longtemps réputés pour tenir les deux plus longs rôles connus dans l'histoire de toutes les littératures, Hamlet et Ruy Blas, déclamaient chacun environ huit cents vers. Vint Cyrano,

qui en déclama douze cents ; puis, vint l'Aiglon, qui en déclama plus de quatorze cents. Et sans doute les acteurs qui débitent de tels rôles doivent, à leur fatigue physique, en mesurer l'énormité. Mais, parmi les spectateurs, qui donc souffre de cette démesure, ou s'en aperçoit seulement ? Qui donc s'aperçoit que ces pièces sont chacune moins un drame qu'une immense élégie, un thrène, un monologue, et que les quarante personnages qui, dans Cyrano, dans L'Aiglon, s'agitent autour du personnage principal, ne sont que ses reflets ou ses repoussoirs, des comparses? Ces comparses, pourtant, semblent vivre, par la vertu d'un sortilège qui est le triomphe de l'habileté technique. Cette simple remarque paraît mieux faite que toute autre pour manifester à quel degré Edmond Rostand fut homme de théâtre. Il savait son métier. Par disposition de nature et par virtuosité acquise, toute idée chez lui se muait en image; toute image, il la voyait « en scène », toute scène en mouvement ; et ce mouvement ressemble dans ses drames au torrent palpitant de la vie...

LA NOBLE INQUIÉTUDE DU POÈTE

C'est le 15 mars 1900 que M. Edmond Rostand avait fait représenter L'Aiglon. L'an d'après, vous l'appeliez, messieurs, dans votre Compagnie. Ses pièces commençaient à travers le monde leurs prestigieuses randonnées. Il semblait alors que les lettrés et la foule l'eussent revêtu d'une sorte de redoutable investiture. Son honneur est de l'avoir acceptée avec tremblement. Désormais, quand une inspiration le tente, il s'inquiète : est-elle assez haute? Il se demande : « Ai-je le droit? » Et tandis que des hommes sans nombre le célèbrent ou l'envient comme un favori de la Fortune, tandis que les critiques le louent à contresens pour ses dons d'heureuse facilité, lui s'alarme, au contraire, de cette renommée exigeante, qui, maintenant, le devance et semble lui imposer des devoirs trop lourds. Quelle route parcourue depuis les jours de « paresseuse délectation » des Musardises! Quelle distance de l'allègre poète, du page des Romanesques au solitaire d'Arnaga ! Et que de touchants témoignages j'aurai à cet égard recueillis de ses amis, de Mme de Noailles, particulièrement !

— Dans son splendide Arnaga, m'a-t-elle dit, ce charmant être, d'une formation d'esprit humainement pieuse, ne songeait qu'à sa mission... Amoureux de tous les trésors de la France, il goûtait ce qu'elle a de délicat comme ce qu'elle a de robuste. Les jardins à la française, dont il voulut chez lui un exemple, le ravissaient. Il restait ébloui et comme plein de gratitude envers cet art de son pays, — devant les allées régulières, les ifs bien taillés, les ornements de pierre, et un gracieux et grêle cadran solaire qui scintillait dans un parterre de rosiers ; mais combien vite son esprit retournait à la nature même, aux montagnes qui entourent Arnaga, aux ravins d'une teinte d'écaillé jaspée, à l'eau charmante de la Nive, calme et longue, aux belles routes heurtées qui montent, descendent, et où sonnent dans le silence le pas et le grelot de la mule ! Beauté du ciel, chant des courtilières, le soir, dans les fleurs, lumineux crépitement des astres dans la nuit, suavité d'une atmosphère de cristal, — et dans cette clarté paisible une sage intelligence soumise à la destinée, mais torturée par un coeur où brûle le scrupule de sa mission, voilà le site émouvant et le promeneur illustre, qui, par sainteté de poète, ne connut devant son oeuvre, qui s'épanouissait sur le monde, ni repos, ni contentement.

« CHANTECLER »

De celte inquiétude, de ce trouble intérieur Chantecler est un aveu limpide. Le poète traversait alors cette crise — Alexandre Dumas a décrit la pareille dans la préface c'a L'Etrangère — où l'artiste, conscient de sa maîtrise technique, l'exploite à la fois et la, dédaigne, où l'orateur se moque de la historique, le dramaturge de la dramaturge. Edmond Rostand employa toute sa virtuosité acquise, son entente du dialogue, du costume, du décor, de la mise en scène, toute son expérience, à dépasser son expérience : il coula dans le moule dramatique, au risque de le briser, une complexe épopée animale, où la bucolique se mêle à la satire, une allégorie à la fois champêtre et parisienne, qui surprit. Cette audacieuse tentative n'en répond pas moins à sa poétique coutumière : on retrouve dans Chantecler ce lyrisme, parfois autobiographique, qui semble bien être sa maîtresse forme et la loi de son art. Oui, cette pièce aux mille gosiers, qui claironne, qui siffle, piaille, roucoule, est encore, est surtout « l'histoire murmurée d'une âme douloureuse, scrupuleuse et défiante », l'âme du rêveur d'Arnaga. Ce Chantecler qui, pour trouver son cri, se met « en contact avec la bonne terre » et se plante dans « le tuf noir et doux », cet animateur « dont le chant rythme, active, guerroie », cet éveilleur d'aurore remplit le rôle, la mission que le poète lui-même s'était assignés. Il est son double. Or, qui ne voit en même temps la ressemblance de Chantecler à ces trois autres personnages : Joffroy Rudel, Cyrano, l'Aiglon? Ne furent-ils pas, avant lui, des « éveilleuis d'aurore »? N'est-il pas, comme eux, un « colporteur d'idéal » ? Dès lors, du fait de cette ressemblance, ce qui ne pouvait ne sembler tout à l'heure qu'une hypothèse plus ou moins spécieuse, notre effort pour identifier le poète à Joffroy Rudel, à Cyrano, à l'Aiglon, devient désormais plus digne d'attention, puisque l'identité du poète et de Chantecler est chose manifeste, évidente. Et si nous pouvons aujourd'hui, plus nettement que les critiques de naguère, reconnaître le principe de ce théâtre et en faire jouer le ressort, la chose est toute simple : nous avons la clé, grâce à Chantecler. Mais, dans Chantecler, la confidence lyrique, la confession presque, va plus loin que dans les pièces antérieures, ou, plutôt, le poète a, cette fois, quelque chose d'autre à confesser, des vérités que naguère il soupçonnait à peine. « Chantecler, a-t-il dit lui-même, symbolise l'effort créateur aux prises avec le mal de créer, avec tout ce que ce mal enferme de douleurs, de déceptions, de voluptés. » Une angoisse travaille ce personnage, que les héros des pièces antérieures n'avaient guère connue : le doute, de soi. Les autres colporteurs d'idéal ont pu douter du succès matériel de leurs entreprises, ils n'ont jamais douté d'eux-mêmes, de la réalité de leur mission, et tous trois sont morts en pleine euphorie, dans l'extase. Chantecler, au contraire, apprend peu à peu, par les railleries des sceptiques et des envieux, puis par « la tendresse infiniment hostile » de la f-aisane, qu'il s'en est fait accroire sur lui-même, sur le sens et la portée de sa vocation. Il découvre toute son erreur. Désabusé, il survivra, pourtant : il se fera le porteur d'une nouvelle doctrine, plus haute, la doctrine de l'acceptation. C'est la vie telle qu'elle est qu'il faut accepter, aimer et embellir, qui peut, par la sainteté de la tâche quotidienne, si humble soit-elle, courageusement remplie. Il faut


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imiter l'abeille, « dont le travail fait le bruit d'un psaume » ;

// faut chanter, même en sachant Qu'il existe des citants qu'on préfère à son hant...

Il faut un rossignol toujours dans la forêt. Et dans l'âme une foi si bien habituée Qu'elle y revienne encore après qu'on l'a tuée.

Chantecler ne fut porté à la scène que le 7 février 1910 : divers obstacles, la maladie, mais aussi les scrupules de l'auteur, ses doutes, en avaient longuement retardé l'achèvement.

Comment reprend-on du courage, Quand on douta de l'oeuvre ? — On se met à l'ouvrage

Edmond Rostand s'y était remis. Son Don Juan, ses Douze Travaux d'Hercule témoignent des tendances de plus en plus allégoriques et mythiques de sa pensée. Un drame des Douze Pairs le préoccupait. La guerre vint. Pendent opéra interrupta... Jusqu'au jour où il mourut, le 2 décembre 1918, au lendemain de notre victoire, il avait fait, pour soutenir les coeurs, ce qu'il avait pu : peu de chose, à son gré. Dans le recueil posthume de ses vers écrits durant la guerre, Le Vol de la Marseillaise, l'un de ses thèmes favoris, le plus poignant, est celui de l'humilité : à contempler humblement les plus jeunes, nos enfants, ceux qui se sont offerts, il lui semble voir pour la première fois la France, la découvrir.

LE PALADIN DE L'AME FRANÇAISE

Ce n'est pas seulement des Romantiques d'hier, ni même des Précieux du XVIIe siècle, que procède, comme on le dit d'ordinaire, la poésie d'Edmond Rostand : elle plonge par ses racines dans un passé plus lointain. Cette exaltation sentimentale, cette recherche de l'enthousiasme, fût-elle chimérique, ce culte de la prouesse pour la prouesse, n'est-ce pas, pour une part essentielle, l'esprit de notre plus vieille poésie courtoise, romans du cycle de Bretagne, poèmes des chansonniers provençaux? Ah! comme il serait facile d'évoquer les vrais encêtres des héros d'Edmond Rostand ! Du palais d'Artus ou de la forêt de Brocéliande, ils sortiraient en bel arroi, parés de leurs armes vermeilles, les chevaliers aventureux, les poursuivants de l'amour lointaine, les Gauvain et les Palamède, ceux qui s'évertuent, comme l'Aiglon, vers la Cité Périlleuse, ceux qui s'escriment, comme Cyrano, contre les mauvaises coutumes ; ils s'en viendraient en foule, lance sur feutre, les champions des héroïsmes superflus, des éveilleurs d'aurore, et ce seraient tous les quêteurs du Saint-Graal, Perceval, le chevalier pur, et Galaad, et le plus pathétique de tous, ce Lancelot, qui sait par une prédiction que la vue du Saint-Graal lui est interdite et qu'il n'achèvera jamais sa quête; il le sait, et va quand même : « C'est bien plus beau, puisque c'est inutile ! » Bien qu'il n'eût guère pratiqué, je crois, ces vieux romans de chevalerie, Edmond Rostand a su en retrouver l'esprit, le ranimer. Voilà surtout, messieurs, ce qu'ont senti, plus ou moins obscurément, tant d'âmes françaises, et c'est pour avoir, reconnu au fond d'elles-mêmes la persistance de ces lointaines tendances héréditaires qu'elles ont fait fête à ce poète et ne cessent de lui faire fête. Et d'autres Français peuvent bien — car la France, c'est tant de choses ! — concevoir autrement que lui la vérité, la beauté, le devoir : ils se rappellent, pourtant, qu'il y a plus d'une demeure dans la maison de notre mère commune, et que tontes

sont belles, et ils savent gré à Edmond Rostand d'avoir versé dans l'une d'elles un rayon nouveau de cette lumière, la poésie, « sans qui les choses ne seraient que ce qu'elles sont. » JOSEPH BEDIER.

Réponse de M. Louis Barthou

" Seigneurs, vous plaît-il d'entendre un beau conte d'amour et de mort ? C'est de Tristan et d'Iseut la reine. Ecoutez comment à grand'joie, à grand deuil ils s'aimèrent, puis en moururent un même jour, lui par elle, elle par lui. »

Vous doutiez-vous. monsieur, il y a quelque vingt ans, en écrivant ces lignes, que le chefd'oeuvre auquel elles servent de prélude vous ouvrirait les portes de l'Académie française ? Certes, vous avez publié depuis des livres importants dont l'originalité, la force didactique et la qualité littéraire auraient suffi à déterminer notre choix. Mais pour l'opinion publique, qui juge nos jugements, vous êtes resté le renouveleur habile et heureux du Roman de Tristan et Iseut. C'est votre Vase Brisé. Sully Prudhomme avait fini par être agacé de la réputation à la fois immense et étroite qu'il devait au sien. Je sais que vous ne reniez pas le vôtre. Et combien vous avez raison ! Vous êtes un universitaire, un savant, un érudit, un critique, un historien, un philologue, un hagiographe, un médiéviste, et ce sont des titres. Mais vous avez eu, un jour, la bonne fortune d'être un poète : c'est elle qui vous sert aujourd'hui. Quand vous vous efforciez, pour nous dire la tragique histoire, de retrouver les formes de penser et de sentir des bons conteurs du XIIe siècle, vous redoutiez de poursuivre une chimère. Un succès prodigieux eût vite fait de dissiper vos craintes. Je ne serais pas surpris qu'il vous eût étonné, mais je suis sûr qu'il ne vous troubla pas et vous eûtes la sagesse de ne pas vous laisser détourner par une griserie dangereuse de la voie plus austère où vous vous étiez délibérément engagé. Vous n'eûtes pas besoin de vous faire attacher à un mât pour résister aux sirènes : vous ne les entendiez pas...

Il y avait eu dans votre entreprise une part de gageure, mais non pas, peut-être, celle que vous aviez craint de ne pas gagner. Depuis Wagner, il semblait que le sujet de Tristan et Iseut n'appartînt plus qu'à Wagner. Il l'avait traité à sa façon, en génie tout-puissant, et, enivrés par l'irrésistible magie de ses incantations musicales, nous avions fini, ou plutôt commencé, par ne connaître d'autre façon que la sienne. La puissance de sa musique nous avait imposé son poème et nous ne savions que par lui, aventures et sentiments, les personnages de l'immortelle légende de l'amour et de la mort. Grâces vous soient rendues, monsieur, pour avoir restitué à la France un poème qui est de France. Vous n'attendez pas de moi, ni vous ni personne, que je recherche, surtout après vous, ses origines lointaines... Vous devez l'inspiration ou les traits de quelques chapitres à Gottfried de Strasbourg et à Eilhart d'Oberg, mais surtout vous êtes le successeur et le renouveleur des « deux bons trouvères d'antan », Thomas et Béroul, qui écrivaient en français au milieu du XIIe siècle, et il nous plaît de le savoir. Vous avez écrit dans vos Légendes Epiques un curieux paradoxe sur les remanieurs. Que n'ontils tous su remanier comme vous ! Je ne suis pas sûr, quoique Gaston Paris l'ait supposé,

que vous ayez d'abord écrit tout le poème en vers aussi semblables que possible à ceux de Béroul, afin de donner ensuite à leur traduction. la forme et la couleur primitives. Mais je soupçonne votre facilité apparente d'être le résultat d'un long effort et je ne crois pas diminuer votre grâce en disant que sa spontanéité a dû beaucoup à de patientes recherches et à de laborieux rapprochements. Heureusement que l'érudit a renseigné le poète sans l'étouffer. Vous avez le don de conter, l'aisance, l'harmonie, la simplicité émouvante, le sens de la nature, le mouvement, la mesure. Oh ! surtout la mesure ! Vous dites que « démesure n'est pas prouesse » et vous ajoutez : « Seigneurs, il sied au conteur qui veut plaire d'éviter les trop longs récits. La matière de ce conte est si belle et si diverse : que servirait de l'allonger ? » Vous avez eu l'art d'éviter les longueurs. Pourtant, pris d'ici et de là, et parfois de votre propre fonds, vous avez multiplié les épisodes, mais aucun n'est de trop, et vous leur avez donné une vie durable...

Quand parut, en 1900, votre Roman de Tristan et Iseut, vous aviez trente-six ans. Subissez, monsieur, cette révélation sans vous effrayer. Il est dans les traditions académiques que notre âge soit public le jour de notre réception ; puis, de la réception à la mort, chacun pense surtout à l'âge de ses voisins. Donc, à trente-six ans, vous étiez célèbre. Est-ce à dire que la veille, vous fussiez un inconnu ? Evidemment non ; mais votre notoriété, établie sur des travaux que le grand public a la mauvaise habitude d'ignorer, ne dépassait pas le monde restreint des savants et des écoles. Je me trompe : votre pays d'origine était déjà fier de vous, et peut-être même, tandis que vous n'y songiez pas, pressentait-il votre gloire académique. Ce n'est pas de Paris que je parle : vous y êtes né, mais par accident, comme Victor Hugo à Besançon ou Théophile Gautier à Tarbes. Vos origines les plus anciennes vous rattachent à la Bretagne, d'où votre famille, qui prit part en 1717 à la conspiration de Cellamare, fut obligée de s'exiler pour l'île Bourbon. Elle y trouva un asile, la sécurité et, bientôt, la fortune. Quoique la Bretagne puisse vous revendiquer comme l'un de ses arrière-petits-fils, dans lequel elle reconnaît la ténacité et l'imagination de sa race, il faut rendre à Bourbon ce qui lui appartient : vous êtes de l'île. Vous y avez vécu vos premières années, vous y avez grandi, vous y avez pris dans une famille cultivée le goût des belles-lettres et son lycée s'honore de vous avoir, de la quatrième à la philosophie incluse, compté parmi ses plus brillants élèves. De votre temps, il s'appelait le lycée de Saint-Denis : il s'appelle, aujourd'hui, le lycée Leconte-de-Lisle. Tous les changements de noms ne sont pas aussi heureux, s'il est vrai que trop, parmi eux, sont dus à la faveur de la mode ou aux vicissitudes de la politique. Leconte de Lisle, c'est autre chose : il avait du génie et, sans faire de tort à la très estimable mémoire d'Edouard Hervé, on peut dire qu'il était, avant nous, l'académicien dont l'île Bourbon tirait le plus d'honneur.

A dix-sept ans, déjà bachelier, vous quittez la Réunion. Vous choisissez l'enseignement, où votre frère aîné vous a devancé en entrant dans la section des Sciences de l'Ecole Normale Supérieure. Malgré la précision de votre esprit, vous préférez les Lettres, et, au lycée Louis-le-Grand, dont l'injustice des révolutions n'a heureusement pas débaptisé le nom glorieux, vous préparez, vous aussi, l'Ecole Normale. Vous y êtes reçu en 1883. Le philosophe illustre qui, en égal plus qu'en disciple, devait vous accueillir ici, comptait parmi vos


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maîtres. Nous perdons tous à son absence, tous et nous deux, monsieur, puisqu'il n'aura pas suffi de mon effort sincère, qui ne peut pas suppléer à mon incompétence, pour vous recevoir et pour vous louer selon vos mérites. Je suis sûr, pourtant, que M. Boutroux m'aurait pas revendiqué pour lui l'influence décisive qui devait orienter votre carrière, et sa modestie si délicate en aurait reporté l'honneur sur deux autres de vos professeurs : Gaston Paris et Brunetière. Comment parler d'eux, après vous ? Vous pratiquez comme un culte la reconnaissance et l'amitié. Vous êtes, à vos heures, un rude polémiste : il y a eu dans votre famille un mousquetaire rouge, qui n'eut pas moins de dix duels et, comme lui, vous aimez la bataille. Mais quel respect, quelle vénération, quelle tendresse pour vos maîtres ! Il est bon d'être aimé et loué par vous.

Ceux-là mêmes qui n'ont pas accompagné ou suivi Brunetière sur les Chemins de la Croyance rendent hommage à son. courage intellectuel et à la noble probité de son désintéressement. Il vous remarqua et il vous aida. Mais ce fut surtout Gaston Paris, un « plus que père », qui décida de votre vocation et je ne saurais faire de vous un plus bel éloge qu'en vous saluant comme un disciple digne de ce maître. Vous avez hérité de lui, avec le goût et le sens des textes, une méthode de critique littéraire dont Claude Bernard avait, dans un autre domaine, posé magnifiquement les principes. La recherche de la vérité, si elle est conduite impartialement, est une, et elle obéit partout aux mêmes lois. Elle n'exclut nulle part l'imagination, mais l'hypothèse n'a le droit de s'ériger en système que si le contrôle expérimental des faits ou des documents en a démontré la réalité. D'autre part, la science, et il y a une science littéraire, ne doit pas se préoccuper des conséquences, « bonnes ou mauvaises, regrettables ou heureuses », que la vérité recherchée et établie lui a révélées. L'indépendance et la probité de l'esprit avaient pour Gaston Paris la vertu d'un dogme et la force d'une habitude. Il fit le voyage de Roncevaux pour vérifier sur place un détail discuté de La Chanson de Roland. Il y rencontra Edmond Rostand, qui ici même, le jour de sa réception, évoqua ce souvenir :

« Au seuil même de Roncevaux, j'ai quitté, ce soir, Gaston Paris. Je l'avais accompagné jusqu'aux derniers lacets de Valcarlos. Il poursuivit son voyage. Je voulus redescendre pour n'être pas en tiers entre Charlemagne et lui. Debout sous un chêne qui ressemblait à son génie, près d'une source qui ressemblait à sa conscience, il me dit adieu de la main. Puis, au tournant de la route, il disparut... comme il vient de disparaître : pour continuer de monter! »

Plus que tout autre, monsieur, vous savez ce qu'il y a de vrai dans ces belles paroles. Quand on suit Gaston Paris comme un guide, on est sûr de monter et, malgré la topographie, la marche de la rue d'Ulm à l'Académie française est, vous en conviendrez, surtout aujourd'hui, une belle ascension. Vous l'avez faite par étapes, en voyageant et en enseignant. Vous avez professé, avec un grand succès, à Fribourg en Suisse, où l'Université venait d'être fondée, la langue et la littérature françaises, avant d'être maître de conférences à Caen. Mais c'est l'année 1893 qui marque l'étape décisive.

Vous revenez comme maître à l'Ecole Normale Supérieure que vous avez, depuis six

ans à peine, quitté comme élève. La voie, la large voie, qui devait vous conduire ici, est ouverte à votre talent. Vous y entrez avec cette sorte de timidité audacieuse ou, si vous aimez mieux, de modestie confiante que j'ai cru reconnaître en vous. Votre public ne passe pas pour pécher par excès d'indulgence, et ces jeunes Normaliens, turbulents et taquins, prolongent avec délices, au grand détriment des professeurs qu'ils guettent, l'âge qui est sans pitié. Vous le conquérez tout de suite. On ne vous donne pas de surnom, ce qui est un succès, et on vous respecte, ce qui est une victoire. Vous avez l'autorité. De quoi estelle faite ? De la pénétration de votre esprit et de la probité de votre conscience. Vous n'êtes pas de ceux qui transigent, par coquetterie, par prudence ou par peur. L'enseignement est pour vous un apostolat et la critique littéraire, telle que vous la pratiquez, n'est jamais une négation stérile...

LES FABLIAUX

Pourtant, en 1893, quand vous avez publié votre premier livre, une étude magistrale sur Les Fabliaux, vous avez cru devoir vous défendre contre un agnosticisme que personne ne vous avait encore reproché. De fait, vous aviez combattu tous les systèmes sans en proposer aucun. La théorie aryenne et surtout la théorie anthropologique de l'origine des contes populaires étaient trop peu solides pour résister à vos coups, mais il n'en était pas de même de la théorie orientaliste, qui faisait dériver ces contes, pour la plus grande partie, de l'Inde des temps historiques. Elle avait pour elle la possession acquise et les autorités les plus hautes...

Avez-vous réussi dans votre démonstration ? Je n'ai pas autorité pour le dire et je ne m'aventure pas à me prononcer comme juge dans une question où je puis à peine parler comme témoin. Dirai-je que votre livre m'a amusé ? Oui, mais entendez par là que j'y ai goûté le plus agréable des divertissements intellectuels. Quoique vous en ayez écrit, ce gros volume n'est pas « un livre pesant sur un sujet léger », mais je ne voudrais pas non plus paraître prononcer des paroles frivoles sur une matière grave. Le tout est de s'entendre. Habitué à la discussion, j'ai aimé la clarté, le mouvement, la vie de la vôtre. Votre érudition n'est jamais pédante : elle laisse à d'autres écoles la lourdeur massive qui écrase plus qu'elle ne démontre. Vous êtes, dans les questions de littérature populaire et' d'histoire littéraire du moyen âge, plus savant qu'aucun homme du monde, mais votre science, toujours aisée et alerte, ne se prive pas au besoin d'être spirituelle et malicieuse. A ses heures, même, quand vous redevenez un mousquetaire rouge, elle a des dents et elle a des griffes. L'hypothèse indianiste, ou orientaliste, ou orientale, des contes populaires y a passé et peut-être succombé. Je dis peut-être par politesse ou par prudence ; mais, au fond, si mon opinion vous importait tant soit peu, je vous déclarerais sincèrement que votre démonstration négative m'a convaincu. Après avoir détruit, vous n'avez pas édifié. Par impuissance ? Non, mais par volonté réfléchie et par loyauté intellectuelle. L'origine des contes populaires vous paraît poser un problème insoluble, et vous ajoutez : « Il est indifférent que nous le sachions ou non. » En êtes-vous toujours aussi sûr ? Votre livre, si puissant qu'il soit, n'est qu'un moment de la science. Elle se renouvelle toujours. Tout problème des origines, quelle que soit l'occasion où il se pose, conserve une attraction irrésistible, et peut-être celui que vous avez déclaré insoluble

insoluble d'autant mieux les chercheurs. D'ailleurs, vous sentiez bien que, même votre thèse admise, vous n'aviez pas épuisé toutes" les questions, et celles que vous suggériez, dans des pages dont la franchise égale la force, ne laissaient-elles pas espérer à Brunetière qu'elles feraient désormais l'objet de vos études et de vos préoccupations ? Les Romans de la Table Ronde, avec leurs « inventions subtiles et charmantes », lui apparaissaient comme la réaction d'une aristocratie éprise d'idéal contre les hardiesses ordurières des Fabliaux. Il vous appelait à traiter un sujet où il croyait que pourrait se complaire la délicatesse de votre goût et il citait à comparaître devant votre érudition élégante Tristan, Lancelot et Perceval. Donnerez-vous à ce Tristan, qui vous a si bien réussi, le pendant de Perceval ? On le dit. Ne trompez pas notre espérance.

Votre édition de La Chanson de Roland est achevée, et vous avez du temps devant vous. Parmi vos prédécesseurs dans le fauteuil que vous occupez, il y eut de Pongerville, qui le garda pendant quarante ans avec une magnifique obstination. Fauteuil oblige. Si vous jouissez d'une semblable longévité, quelles belles oeuvres nous vous devrons !

LES LÉGENDES ÉPIQUES

Aucune, pourtant, si bien que vous fassiez, ne dépassera vos Légendes Epiques pour l'originalité, la puissance et la profondeur. C'est votre oeuvre maîtresse, et c'est l'oeuvre d'un maître. Quand vous l'aviez entreprise, en 1904, vous veniez d'être nommé au Collège de France. Elle ne naquit pas d'un plan préconçu, d'un sujet choisi, d'une préférence réfléchie, mais d'une circonstance fortuite. Vous connaissiez mal les Chansons de Geste : il faut le croire, puisque vous l'avez dit. Vous prépariez une édition du Chanoi de Nîmes, qui est l'une des vingt-quatre chansons du cycle de Guillaume d'Orange, et vous fûtes conduit par les nécessités de votre travail, et sans doute aussi par les curiosités de votre esprit, à parcourir le cycle en entier. Que Clio soit bénie pour vous avoir inspiré cette promenade ! Vous ne vous promenez jamais en vain dans les vieux manuscrits où palpite l'âme de la Patrie naissante. Au moment où vous pénétriez pour la première fois, et par hasard, dans le problème de la formation des Chan sons de Geste, il paraissait résolu par une doctrine générale dont les nuances ou les variétés ne troublaient pas l'unité fondamentale. Cette doctrine affirmait et elle croyait avoir définitivement prouvé que les romans du Xlle et du XIIIe siècles, les Chansons de Geste, étaient la dernière expression d'une épopée française, vieille de plusieurs siècles et contemporaine des événements qu'elle avait chantés. Gaston Paris, dans son admirable Histoire Poétique de Charlemagne, avait, dès 1865, développé cette théorie, sans la pousser jusqu'aux extrêmes conséquences où d'autres l'ont conduite, avec une force unique et irrésistible. A l'en croire, — et comment ne pas le croire ? — l'épopée française avait commencé dès l'époque mérovingienne. Des chants nationaux avaient célébré pendant plus de trois siècles tous les souverains, tous les héros de la France, depuis Dagobert jusqu'à Louis d'Outremer, et, particulièrement pour Charlemagne, les primitives cantilènes avaient été créées de son vivant par l'enthousiasme des Français. Trente-cinq ans après, en 1900, l'opinion de Gaston Paris, n'avait pas fléchi. Vous l'avez épousée dès 1894, dans un article sur La Société des Anciens Textes Français, sans la discuter et sans soupçonner même qu'elle pût


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prêter à une discussion. Vous disiez, vous aussi, qu' « il avait existé une épopée mérovingienne dont nos Chansons de Geste ne sont que le dernier remaniement », et vous exprimiez celte doctrine avec le lyrisme dont vous avez eu raison de rappeler l'enthousiasme sans avoir eu tout à fait tort de vous en reprocher la déclamation ; mais vous êtes de l'île Bourr bon, et vous aviez trente ans ! Depuis, il vous fallut en rabattre. L'étude que vous aviez entreprise, en 1904, sur les légendes du cycle de Guillaume d'Orange, sans inquiéter encore votre esprit et surtout sans troubler encore votre foi, vous révéla les côtés imprévus des problèmes que vous croyiez définitivement résolus. La formation ancienne, qui aurait été contemporaine des événements eux-mêmes, des légendes épiques, s'accordait mal, pour le cas particulier de Guillaume d'Orange, avec les faits que vous constatiez. L'expérience démentait l'hypothèse. Vous ne vîtes tout d'abord, dans ce résultat, qu'une exception, dont la doctrine générale, si solidement établie, ne se trouvait pas affectée. Pourtant, savant, curieux... et Breton, vous poursuivîtes du côté du cycle de Girard de Roussillon d'abord, du côté de la légende d'Ogier de Danemark ensuite, l'enquête que vous aviez involontairement commencée avec Guillaume d'Orange. A votre grande surprise, ces deux expériences nouvelles, conduites comme les premières avec l'impartialité méthodique dont vous êtes coutumier, démentaient par des faits précis et prouvés, contrôlés et contrôlables, l'interprétation orthodoxe de la formation des légendes épiques. Qu'était-ce à dire ? Vous ne pouviez plus étudier une Chanson de Geste sans éprouver le tort que vos conclusions faisaient à la théorie dominante. Un système s'ébaucha dans votre esprit ; vous en fûtes effrayé comme d'un péril et, vous l'avez dit, comme d'un ridicule. Ayant pris peur de votre audace, et pour ne pas courir le risque d'une aventure peu scientifique, vous soumîtes à une revision plus rigoureuse les faits, les textes et vos conclusions... Une à une, vous avez pris les principales légendes épiques. A mesure que votre étude se poursuivait, votre méthode se précisait et elle s'affermissait, mais elle avait trouvé et pratiqué, du premier coup, ses règles essentielles. D'abord, pour chaque légende, des analyses complètes et claires, vivantes et amusantes. Etait-ce donc pour le plaisir de narrer de beaux contes ? Oh ! que non pas ! Vous disposiez seulement, et avec un art souverain, la trame de vos discussions. Pour chaque chanson, votre procédé était le même ; vous groupiez les preuves qui détruisent ou démentent l'origine carolingienne de l'épopée française et, cet avantage acquis, vous donniez à votre propre théorie toute la force irrésistible d'une documentation historique, géographique et hagiographique...

Il reste bien des questions à résoudre dans le problème mystérieux de l'origine des Chansons de Geste, et vous les avez posées. Mais, grâce à vous, un résultat est définitivement acquis : vous avez rendu à la France ce qui appartient à la France. « Je sens passer dans ces épopées, écrit l'un des frères Grimm, le souffle des forêts germaniques. » Avant lui, Frédéric Schlegel avait dérivé de l'épopée germanique tout ce que la poésie de l'Europe moderne ne devait pas à la grâce orientale. Mais c'est Uhland qui avait trouvé la vraie formule, trop longtemps subie, même par nous, de cette expropriation littéraire pour cause d'utilité prussienne. « L'épopée française, c'est l'esprit germanique sous une forme romane. » On nous laissait la forme pour prendre le fond. Vous avez discuté cette théorie avec la

Haute impartialité qui fait le prix de vos découvertes. Ainsi l'esprit français a recouvré les droits dont on l'avait injustement dépouillé. La Chanson de Roland exalte la fidélité, l'honneur, le respect de la parole jurée. Elle est de chez nous et elle est à nous. Nous vous remercions, monsieur, d'avoir démontré ce que nous sentions.

La science n'a pas de patrie, mais il n'est pas interdit à la patrie de se réjouir de ce qu'elle doit à la science. Vous avez servi l'une par l'autre et vous avez écrit : « Je suis de ceux qui cherchent la vérité et non pas la victoire. » Cette fière devise, que vous avez si bien remplie, vous rendait digne de succéder au grand poète, dont le même souci s'est exprimé en ces vers admirables :

Je pense à la lumière, et non pas à la gloire. Chanter, c'est ma façon de me battre et de croire; Et si de tous les chants mon chant est le plus fier, C'est que je chante clair afin qu'il fasse clair,

LES GRACES MORALES D'EDMOND ROSTAND

Vous avez analysé les chants d'Edmond Rostand et toute sa production dramatique avec une sûreté et une pénétration qui m'accableraient sous leur force démonstrative, si je n'avais pas la ressource d'associer les « grâces morales » de l'homme avec la brièveté délicate qu'il eût voulue, à l'éloge définitif que vous avez fait de son oeuvre. Cette oeuvre, vous l'avez étudiée selon la méthode que vous avez employée pour Les Légendes Epiques, et en particulier pour le cycle de Guillaume d'Orange, dont vous avez écrit:

« J'ai lu et relu avec ferveur les poèmes de cette geste ; j'ai lu et médité ce que tant de critiques en ont dit, ou à peu près tout, je crois. »

De même, vous avez lu, au cours d'une étude approfondie, d'affilée et la plume à la main, dans tous les journaux du monde, les articles innombrables, les panégyriques, les dithyrambes, et sans doute aussi les éreintements, que la critique et la chronique ont consacrés à Edmond Rostand. C'est beaucoup, mais ce n'est pas assez, puisque, ne l'ayant jamais rencontré, l'homme vous échappe. Vous ne pouvez pas savoir tout ce que vous y avez perdu. Vous avez interrogé ses amis et vous avez, au contact de leurs souvenirs, dégagé, dans une légère esquisse, les traits essentiels de sa physionomie si captivante, mais, pour le reste, une exégèse n'est pas un portrait, surtout quand les qualités du coeur égalent ou même dépassent chez un homme les dons les plus riches de l'esprit. Mon regret, d'ailleurs, n'est pas un reproche. Il y a des délicatesses et des pudeurs qui échappent à l'analyse, et que les meilleurs peintres de l'âme sont impuissants à dépeindre. Edmond Rostand me fit l'honneur de son amitié. Je garde à sa mémoire un culte fervent, où il entre de l'admiration, de la fierté et de la gratitude. Je sais pourquoi je l'aimais, mais, en même temps, malgré ma sincérité profonde, je suis embarrassé pour le dire. Ce timide m'intimidait : je sens qu'il m'intimide encore.

Il avait une âme si haute et douée de si belles élégances morales que, même tout jeune, il inspirait le respect que l'on doit à un aîné. Il croyait à ce qu'il faisait : son génie avaitune conscience. Vous avez dit qu'il regardait peu et qu'il n'observait guère, et je sais comment vous l'avez dit, mais si quelqu'un prenait à la lettre votre affirmation, il commettrait une grave erreur. Jamais un homme ne fut, au contraire, riche à un tel degré du don d'observation. Son regard avait une pénétration

pénétration allait jusqu'au fond de l'être qu'il dévisageait. Aussi s'est-il rarement trompé, et il ne faut pas prendre pour une faiblesse de son jugement ce qui n'était qu'une abdication généreuse de sa bonté. Il était serviable, accessible, secourable ; mais il répugnait aux camaraderies faciles et aux familiarités trop libres d'une époque où le tutoiement si répandu ne crée qu'une égalité apparente, au détriment du vrai mérite. Son amitié était une investiture. Aux heures où l'on se regarde dans les yeux pour lire jusque dans les âmes, sa poignée de main prenait toute la force d'un serment. Il n'aimait pas les compromissions et il méprisait les compromis. D'une politesse raffinée, il ne pouvait pas toujours se dérober aux exigences du monde, qui guette et accable les hommes célèbres, mais il leur préférait l'intimité, la vie intérieure, le recueillement et les mystères de la solitude. Sa gloire si rapide ne l'avait pas grisé et il la portait avec une simplicité charmante, où il y avait une sorte de frayeur étonnée qui lui interdisait l'orgueil. Vous avez eu raison de rappeler qu'il avait souffert du faste et du fracas d'une renommée trop tumultueuse : sa délicatesse y voyait une faute de goût et sa modestie un péril. La modestie d'Edmond Rostand n'est un paradoxe qu'aux yeux de ceux qui le jugent par la légende. Elle est une vérité, dont j'ai été le témoin ou le confident. Il se méfiait de luimême et il doutait de son génie. Chaque pièce nouvelle lui était l'occasion d'une angoisse douloureuse. A la veille de la soirée triomphale du 28 décembre 1897, qui ajoutait le nom de Cyrano aux noms immortels de la scène française, Coquelin entendit, au cours de la dernière répétition, des sanglots qui venaient de la coulisse voisine. Quand il y rentra, l'acte achevé, il vit Rostand se précipiter vers lui en lui demandant pardon de lui faire jouer une pièce indigne de son talent.

— Mais vous êtes fou, mon enfant, vous êtes fou de vous excuser, répondit-il en l'embrassant, vous m'avez donné un chef-d'oeuvre. Je tiens cette anecdote du grand et bon Coquelin, mais je peux assurer, par mon propre témoignage, que la réclame prématurée et tapageuse battue autour de Chantecler fut pour l'auteur une vraie souffrance. Il savait le tort que l'oeuvre pouvait en ressentir ; mais son intérêt comptait peu auprès de l'offense qui était faite à son goût, à son tact et à sa délicatesse. Il livrait une bataille, la plus sérieuse de sa vie dramatique, une vraie bataille d'art, et il avait l'horreur de tout ce qui paraissait annoncer ou préparer une exhibition.

Si méfiant pour lui, Edmond Rostand était brave pour les autres. Quand une cause lui paraissait juste, il se livrait tout entier à sa défense avec une ardeur passionnée et véhémente qu'aucun obstacle n'arrêtait. Il ne transigeait jamais avec sa conscience et on lui eût fait injure en louant comme un acte de courage ce qui lui apparaissait comme un devoir. Je me souviens de son indignation, qui ne ménageait personne, un jour où il apprit l'exécution, ailleurs qu'en France, d'une sentence qui avait blessé son esprit de justice. Il y avait dans les frémissements de sa parole un accent pathétique et émouvant qui commandait le silence et le respect. La révolte désintéressée de cette conscience, outragée dans son sentiment du droit, est pour moi inséparable du souvenir d'Edmond Rostand.

Comme dans tout grand homme, il y avait en lui plusieurs hommes. Les grâces conquérantes de son esprit égalaient la fidélité et la fermeté de son coeur. Vous avez loué sa gen-


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tillesse. Ce vieux mot, si riche en nuances, évoque son élégance aisée, sa distinction souveraine et charmante, la séduction de sa bonne humeur, et aussi la noblesse de ses sentiments, la finesse de ses reparties, son tact irréprochable, sa coquetterie, enfin, où l'art de plaire ne procédait jamais d'une contrainte ou d'une affectation. Il avait des gamineries exquises, des mots drôles, des plaisanteries bouffonnes, mais jamais il ne dépassait la mesure, ayant de la propreté de son esprit le même souci que de la tenue toujours si soignée de sa personne. Le Midi chantait et s'épanouissait en lui. Il était du pays de « l'imagination toutepuissante », de cette Provence « amoureuse de l'amour », qui lui inspirait, à l'âge de dixhuit ans, dans un concours littéraire, une comparaison, plus ingénieuse que profonde, entre le roman sentimental d'Honoré d'Urfé et le roman naturaliste d'Emile Zola. Le livre est rare, mais il est précieux autrement que par sa rareté. Ecrit « près de la mer chantante, sous le ciel bleu, dans l'air parfumé », il célèbre déjà le soleil, " ce soleil, dont la lumière chaude transfigure et fait resplendir. La couleur éclate partout où il pose sa caresse; d'une vieille rue grimpante dans un quartier sale, d'un groupe déguenillé, il fait quelque chose de pittoresque et de saisissant. Demandez à tous les peintres : d'un rien on fait un tableau avec le soleil ». C'est le thème de l'ode de Chantecler. Mais il y a autre chose. Les Musardises, que l'on prend trop généralement comme l'entrée de Rostand dans la carrière littéraire, sont, il est vrai, la première expression de son talent poétique, mais elles sont moins révélatrices de son tempérament que ces quelques lignes de la petite brochure couronnée en 1888 par l'Académie de Marseille :

« A-t-on noté comme en Provence le moindre incident de la vie banale, une anecdote insignifiante, triviale, se transforme et se dramatise ? Et cela, grâce à cette facilité de conter — peut-être aussi un peu d'en conter — que presque tous possèdent, à cette verve, à cet enthousiasme dans le récit qui le font vif, coloré, entraînant, l'enveloppent de détails précis, point authentiques toujours, mais choisis à merveille, propres à faire voir, si naturels qu'ils donneraient de la vraisemblance à la vérité même, qui peut en manquer... Il faudrait être bien ennemi de son plaisir pour reprocher une pointe d'exagération méridionale — si inconsciente, d'ailleurs — et ne pas admirer l'art surprenant de mettre en scène, de camper les personnages, d'engager le dialogue... »

Vous avez cherché, monsieur, le secret de la poétique d'Edmond Rostand, et vous y avez eu quelque peine. Vous n'êtes qu'un savant : si vous aviez été bibliophile ! Ce secret est dans cette plaquette rarissime. Elle n'exprime pas une doctrine, et je ne la compare pas à la préface de Cromwell, mais elle révèle l'influence d'une origine. D'autres suivirent. Après sa patrie natale, Rostand eut un pays d'adoption. Né Provençal, il devint Pyrénéen, de Luchon d'abord, du pays basque ensuite. Quel pays délicieux, si noble, si achevé et si propre au rêve, où voisinèrent deux grands poètes : celui de Ramuntcho et celui de Chantecler !

Calme horizon, bornant les voeux, mais pas le songe Fins peupliers. Belle colline qui s'allonge Comme une bête ayant un village au garrot.

Le ciel est de chez nous. Et lorsque, illuminée, Fumera dans un coin quelque humble cheminée, On croira voir fumer la pipe de Corot,

Certes, je suis suspect d'une tendresse partiale pour ce divin coin de terre, — hélas ! trop envahi, trop encombré, trop sali par le tourisme tapageur, — mais n'est-il pas vrai que si Cyrano est de Marseille, et la part est belle, Chantecler est du pays basque, où Rostand trouva une autre inspiration et vécut d'un autre rêve? A un journaliste indiscret qui lui demandait, comme à d'autres hommes célèbres, ce qu'il faisait, il répondit :

Ce que je fais, monsieur ? Des courses dans les bois. A travers des ronciers qui me griffent les manches ; Le tour de mon jardin sous des arceaux de branches; Le tour de ma maison sur un balcon de bois.

Lorsque les piments verts m'ont donné soif, je bois De l'eau fraîche en prenant la cruche par les hanches; J'écoute, lorsque l'heure éteint les routes blanches, Le soir plein d'angélus, de grelots, et d'abois.

Ce que je fais ? Je fais quelquefois une lieue Pour aller voir plus loin si la Nive est plus bleue. Je reviens par la berge... Et c'est tout, s'il fait beau.

S'il pleut, je tambourine à mes vitres des charges ; Je lis, en crayonnant des choses dans les marges, Je rêve ou je travaille.

EDMOND ROSTAND.

CAMBO.

Qu'un sonnet sans défaut vaille seul un long poème, Boileau nous l'a dit, et Arvers nous l'a presque prouvé. Mais ce sonnet, que je viens de lire, ne vous apparaît-il pas, avec sa gamme si habilement nuancée, comme la révélation ou comme l'expression d'Edmond Rostand tout entier, « jouant du triste et du gai tout ensemble », railleur et mélancolique, spirituel et tendre, gamin et profond, s'amusant de lui-même et sincèrement remué par la splendeur ou par la douceur des choses ? Si j'avais, comme vous, lu tout ce qui a été écrit au profit... ou au détriment de Chantecler, j'oserais dire qu'on n'a pas fait à la nature sa juste et grande part dans l'immense poème symbolique. Elle le baigne et elle l'imprègne. Elle est plus qu'un décor, puisqu'elle est une atmosphère, et presque un personnage, dont le rôle, du magnifique prélude au tragique épilogue, ne cesse pas d'accuser la présence.

Chut ! Avec tous les bruits d'un beau jour, la Nature Fait une rumeur vaste et compose en rêvant Le plus mystérieux des morceaux d'ouverture, Orchestré par le soir, la distance et le vent.

Avant Chantecler, Edmond Rostand avait célébré le val, la lande, la forêt et

la verte douceur des soirs sur la Dordogne ;

mais ces vers délicieux n'exprimaient qu'une impression passagère. Au contraire, Chantecler est né d'un contact profond de l'âme de Rostand avec la nature et le drame est une confession. De cette confession vous avez senti, monsieur, et vous avez délicatement exprimé l'ardeur passionnée et la sincérité émouvante. Le théâtre de Rostand a fourni à vos dons d'analyse l'occasion de chercher et de décrire la marche lente et indécise d'une âme qui s'oriente vers la lumière. Dans ce poète dramatique, vous avez vu un lyrique qui se raconte, et vous avez cru le reconnaître, au moins par certains de ses sentiments et de ses passions, de ses espérances et de ses désillusions, dans Joffroy Rudel, dans Cyrano et dans le duc de Reichstadt. Je vous l'accorde dans la mesure où il est vrai, selon un mot célèbre, que nous ne nous souvenons que de nous-mêmes, et je veux d'autant moins vous contredire que vous vous êtes presque excusé

d'avoir risqué à cet égard une hypothèse plu. ou moins spécieuse. Mais, avec Chantecler.. vous reprenez tous vos avantages, ayant pour vous l'évidence, et l'aveu même d'Edmond Rostand. Cette pièce, symbolique, satirique et lyrique, est l'histoire d'une âme. Ses jeux rustiques et animaux n'en sont que l'apparence ou, si l'on veut, la gageure. L'homme n'y arrive qu'au moment où le rideau tombe, mais il n'est pas de drame plus profondément humain. Il est la confession ardente d'un génie, tantôt illuminé par l'inspiration et tantôt découragé par son impuissance qui, à travers les jalousies et les perfidies, les déceptions et les angoisses, transforme son idéal en devoir et, sachant que nul

N'a tout à fait le chant qu'il rêverait d'avoir,

n'en continue pas moins l'ouvrage, même s'il doute de l'oeuvre.

Chantecler est contemporain par la composition du discours de réception d'Edmond Rostand à l'Académie française. Aussi ne faut-il pas être surpris de trouver dans ce discours cette phrase :

« Jamais il ne daigna soupçonner le danger qu'il peut y avoir à être sublime ni s'attarder aux réflexions qui diminuent l'élan. »

C'est pour avoir soupçonné ce danger qu'Edmond Rostand sentit, à de certaines heures, son élan faiblir. Il redoutait d'autres périls, non pour lui, mais pour son pays, dont il était l'un des fils les plus pieusement ardents et devant lequel, le mettant au-dessus de tout, il abaissait sa gloire avec une humilité fervente. Il était clairvoyant. Il sentait venir dans l'air l'ombre menaçante du Rapace, du escomptait comme complices, dès longterm entretenus par ses soins, « l'égoïsme marque la veulerie brillante et les abdications enjouées ». Mais il n'avait pas désespéré. savait que sous les dehors bariolés et sous mensonge des apparences, il y avait une ra. une âme, une France : il croyait à l'âme de la France. Quand l'Epervier passe, Chantecler, soudain relevé et grandi, crie vers le ciel de sa voix éclatante de commandement : Oui, tous autour de moi ! Je suis là ! Et tous aussitôt, viennent se blottir autour de lui. La scène est sobre, rapide et sublime. Mais est-ce seulement au théâtre que les « âmes côte à côte peuvent se sentir les ailes » ? Comme les Athéniens se ruèrent un jour vers les temples et frappèrent les boucliers des portes en criant : « Patrie! Patrie! », tous les Français, tous, accoururent, à l'heure du péril autour de la France provoquée qui criait de sa voix de commandement : Oui, tous autour de moi ! Je suis là ! Vous y vîntes, monsieur, et aussi Edmond Rostand. Il y a plusieurs manières de se battre, et la plume peut aider l'épée. Tandis que vous dénonciez, avec une précision accablante, les mensonges et les crimes allemands, auxquels vous opposiez la ténacité de L'Effort Français, Edmond Rostand, suspendu au Vol de la Marseillaise, exprimait dans de magnifiques poèmes sa foi ardente dans la victoire. Ainsi, l'un et l'autre, vous avez servi, chacun à votre façon, qui fut également bonne. L'Académie française est fière de décerner aujourd'hui le même hommage au grand poète et au grand savant qui surent, dans la paix et dans la guerre, accroître et défendre la gloire de la Patrie.

LOUIS BARTHOU


LES JEUNES ? me répond M. Arthur Meyer, dans son bureau du Gaulois, que vous en dire? Je ne les comprends pas. Ils ont peut-être du génie, mais je ne les comprends pas, et c'est certainement de ma faute.

M. Arthur Meyer parle d'une voix brève et nette, pas très haut, — on ne sait pas toujours

toujours vous regarde ou non, — et ce dont on se félicite, en l'écoutant, c'est que sa parfaite courtoisie, le cas échéant, ferait équilibre à son humeur.

— La littérature que j'aime ? Celle qui m'aide à m'évader de la réalité; il m'ennuie de retrouver dans les livres ce que je vois, chaque jour, autour de moi. J'aime les romans de cape et d'épée, les romans d'aventures et les contes de fées. La psychologie des foules ou des individus, cela ne m'intéresse pas. J'en demande pardon à mon ami Paul Bourget, dont je reconnais l'immense talent. C'est vous répéter que j'aime peu d'ouvrages, chez les contemporains, et peu aussi dans le siècle dernier.

Je cite quelques noms.

— Mais oui, acquiesce M. Arthur Meyer, c'est parfait, tout cela... Zola? puissant. Daudet? délicieux. Dumas fils? un grand philosophe. Courteline ? c'est du plaisir... Le théâtre d'Hugo ? de clinquants livrets d'opéra !... Bataille, oui... Maman Colibri m'a gâté La Marche Nuptiale. Barbey d'Aurevilly? un acide. Edmond Rostand ? le grand panache... Porto-Riche ? un ancêtre... Flaubert? un animateur... Mais, par-dessus tout, j'aime et j'admire Balzac. C'est de l'action transposée, de la vie, et la vie me passionne. Un paysage, fût-il de Corot, quand il n'y met pas un être vivant, me laisse froid. Mais, parmi tous les écrivains que nous venons de citer, combien d'hommes de premier plan? Ce qu'ils sont rares ! Beaucoup d'hommes de grand talent, trop, même, car je crois que le talent disperse le génie.

M. Arthur Meyer m'observe une demi-seconde, par-dessus son lorgnon, imperceptiblement irrité par mes questions qu'il juge inutiles, et je sens si bien que son regard me dit :

— Cette jeunesse sera toujours la même. Le sens des valeurs et des mesures lui échappe totalement... Vous verrez, vous comprendrez peut-être plus tard, beaucoup plus tard... L'enthousiasme et l'admiration s'émoussent... On ne juge bien que quand on n'aime plus.

Et M. Arthur Meyer, sans trahir autrement ses pensées, ajoute :

— Au théâtre, il y a Musset qui ne bougera pas.

— Le mouvement littéraire actuel...

— Je serais incapable, m'arrête le directeur du Gaulois, d'écrire une ligne de critique. J'ai des idées très nettes sur les hommes, je ne m'en permets aucune sur le mouvement littéraire, je n'en ai pas le temps. Que va-t-on dire, d'ailleurs? Que je me mêle de ce que je ne connais pas. Avouez qu'on aura parfaitement raison.

Puis, M. Arthur Meyer m'explique obligeamment :

— Vous allez comprendre ce que je veux dire par hommes de premier plan. Je me suis composé une bibliothèque où je n'avais d'abord voulu faire entrer que les chefs-d'oeuvre de tous les siècles et de tous les pays. Je n'arrivais à peine qu'à trois ou quatre cents volumes. J'en voulais six cents. Alors, j'ai dû largement ouvrir la porte aux hommes de second plan. J'avais commencé par la Bible, les Védas, Confucius, le Coran, etc. Je n'ai pas pris tout Shakespeare, j'ai pris tout Molière, tout Racine, tout Corneille, puisqu'il le faut; mais j'aurais dû faire une sélection pour être fidèle à ma méthode.

— Et dans le XIXe siècle, est-il indiscret de vous demander ce que vous avez gardé?

— Oh! j'en ai gardé beaucoup! J'ai six cents volumes, c'est vous dire que je n'ai pas six cents chefs-d'oeuvre... Je suis très éclectique. J'ai Verlaine, j'ai Mallarmé, j'ai Gide, j'ai Claudel, j'ai Baudelaire.

— Vous aimez Baudelaire ?

— Pas toujours. Mais il y a du génie dans Les Fleurs du Mal. Un grand écrivain, M. Maurice Barrés, disait un jour, chez la comtesse de Noailles : « Baudelaire a écrit cent vers que personne n'avait écrits avant lui. » Je m'en tiens à cette définition. C'est ce qu'on peut dire de plus glorieux pour un poète.

Sur le boulevard, aux éventaires des libraires, des centaines d'ouvrages retenaient les passants. Et je me répétai cette phrase terrible de M. Arthur Meyer : « J'ai six cents volumes, c'est vous dire que je n'ai pas six cents chefs-d'oeuvre », songeant au nombre de désespérés qu'elle pourrait faire si, par un malheur imprévu, les hommes de lettres acquéraient soudain une connaissance précise de leur valeur...

M. Léon Daudet

AUX BUREAUX de L'Action Française. Je monte deux étages derrière le secrétaire politique de M. Léon Daudet, je suis un couloir et j'entre enfin dans un réduit obscur. Mon introducteur silencieux tourne la clé d'une lampe électrique, m'indique un large fauteuil devant un petit bureau, ferme la porte d'un placard et me rassure en s'en allant: — Daudet arrive dans un instant. Ah ! c'est très bien fait... L'audience accordée dans le cabinet dérobé, cabinet aux

murs nus, avec seulement l'indispensable téléphone..., le placard mystérieux..., c'est très bien fait... J'avais pris place dans le large fauteuil ; mais, pour voir, je changeai et

m'assis sur la chaise. M. Léon Daudet, à peine entré, me dit, aimable, mais formel:

— Non, non, je vous en prie, dans le fauteuil.

Et je ne pouvais pas m'empêcher de songer, en exposant le but de ma visite, qu'on aurait pu obtenir, en filmant notre entretien

pour un roman-cinéma, des effets dramatiques insoupçonnés... M. Léon Daudet publie actuellement, dans L'Action Française, une série d'articles sur L'Orientation du Roman Contemporain, articles remarquables : M. Léon Daudet y compte ses forces chez les gens de lettres, en fournissant d'excellentes, d'inattaquables raisons littéraires de ses préférences politiques. M. Lécn Daudet y élève la partialité à la hauteur d'une conviction. C'est un homme de bonne humeur, au regard aigu, et qui dit : « Je n'ai jamais rien vu de plus bête que Zola », ou : « Maupassant, littérature immédiate pour chevaux de courses et ce monde-là », mais tranquillement, sans s'e fâcher, tout prêt à rire, au contraire, avec cette belle gaieté qui est l'indice des consciences calmes. Je m'attendais à un réquisitoire virulent, à une éructation passionnée. Je compris vite ma naïveté. M. Léon Daudet aime, en effet, à user de ce langage truculent et cocassement imagé qui transforme ses impressions les plus simples en jugements à l'emportepièce. Mais M. Léon Daudet parle ce langage vengeur le plus calmement du monde. L'étonnante complexion de M. Léon Daudet lui permet de se mettre en colère et de n'en rien savoir : M. Daudet fait de la colère comme M. Jourdain faisait de la prose.

— Il n'y a plus d'écoles littéraires, commence M. Daudet ; mais, dans la seconde moitié du XIXe siècle, il n'y en a jamais eu qu'une qui ait compté! Aux yeux du public, elle a passé inaperçue, parce que ce fut une école où l'on écrivait en langue d'oc, mais c'est certainement le seul événement littéraire dont les prolongements aient pu animer cette époque de décadence et de niaiseries, qui va de 1875 à 1900. Le félibrige compte, d'ailleurs, de grands écrivains qui ont préféré, dans l'exécution, le français au provençal. Alphonse Daudet est de ceux-là. Alphonse Daudet est un félibre. On l'a rangé imbécilement dans l'école réaliste, école qui n'existait pas, et voulez-vous voir d'un peu près ce qu'était l'école réaliste ?

Comment, si je veux voir ! Je ne suis venu que pour cela ! M. Léon Daudet, de son côté, semble ravi de se trouver conduit à faire

M Arthur Meyer.

M. Léon Daudet.


LES ANNALES

124

le procès de l'école réaliste, et je n'ai gardé de l'interrompre :

— Trois hommes sont considérés comme les pères ou les créateurs de l'école réaliste : Balzac, Stendhal, Flaubert. Or, Balzac est d'abord un imaginatif. L'observation, chez lui, c'est un prétexte, c'est l'allumette frottée qui enflamme l'imagination. Balzac est un grand lyrique, avec, pourtant, ce qui fait illusion, un dialogue net et précis, un dialogue d'auteur dramatique. Chez Stendhal, ce sont les qualités d'analyse, d'introspection qui dominent. C'est un psychologue encore très romantique (souvenez-vous de Mathilde baisant la tête coupée de Julien Sorel, sur une petite table de marbre), ce n'est pas non plus un réaliste. Au-dessous d'eux, très au-dessous d'eux, à mon avis, au point de vue de l'intelligence, et beaucoup plus fatigant, Gustave Flaubert, un réaliste, celui-là. J'ai, comme tout le monde, dans ma jeunesse, été fou de Flaubert. Aujourd'hui, le seul livre de lui que je puisse rouvrir, c'est Madame Bovary, parce que c'est le seul où il y ait un peu d'émotion. Le reste, un travail de marqueterie ; c'est bien fait, mais c'est terriblement fatigant. C'est l'écrivain le plus facile à pasticher, un ronron endormeur, un éclat, une courte tirade, et puis le ronron monotone reprend... Voilà donc les créateurs de l'école réaliste. Et quels sont leurs soi-disant héritiers spirituel ? Mettons à part mon père, félibre écrivant en français, qui ne doit son génie qu'à son coeur. Que reste-t-il alors de cette grande époque ? Maupassant ? Des études intéressantes, mais littérature immédiate pour chevaux de courses et ce mondelà ! Si, les Goncourt, dont j'estime hautement l'oeuvre historique et dont je goûte fort, quoi qu'on en ait pu dire, le curieux Journal. Car, n'est-ce pas ? ne parlons pas de Zola ! Parce qu'il n'y a pas que sa langue et son vocabulaire d'égoutier qu'il faudra toujours combattre, il y a aussi..., il y a aussi que je n'ai jamais vu d'homme plus bête que Zola, et jamais rien lu de plus bête que ses oeuvres, se soulage M. Daudet dans un cri.

— L'époque contemporaine vous semblet-elle plus riche en talents que ne le fut, à votre avis, celle dont vous venez de parler ?

— Infiniment, cela ne fait aucun doute. Il y a beaucoup plus d'intelligence chez les romanciers d'aujourd'hui. Il y a un homme de premier ordre, une grande figure, un des plus remarquables constructeurs de romans que nous ayons vus depuis longtemps : Paul Bourget. Sa connaissance de la médecine jointe à son extraordinaire maîtrise de constructeur en font le grand maître du roman contemporain. C'est que c'est très difficile à faire un roman ! On dit : « L'écrivain est libre de mener ses héros à son gré. » C'est entièrement faux. Il est libre de choisir son sujet, l'âge, la profession de ses personnages ; mais, une fois cela posé, il est l'esclave de son postulat. II y a un processus chimique dont il ne peut s'écarter, et qu'il n'est pas en son pouvoir de modifier ! Quelques jeunes l'ont très bien compris. L'avenir littéraire est riche en promesses. Le niveau monte. Je vous le répète, nous avons vécu, de 1875 à 1914, dans la niaiserie politique, sociale et littéraire. Epoque d'incroyance et, par conséquent, de folle crédulité.

» Les gens pour qui Flaubert et Renan sont des idoles, on en rencontre encore aujourd'hui !

» Autre exemple : On s'est prosterné devant Loti... Loti, c'est un peintre, mais c'est un enfant. Un enfant. Non, il y a infiniment plus d'intelligence aujourd'hui... Je tiens certains jeunes écrivains pour de très grands romanciers..., par exemple, Louis Dumur et

Pierre Benoit, qui viennent de conquérir justement le grand public. »

— Et du théâtre contemporain, que pensez-vous ?

— Rien, me répond catégoriquement M. Daudet. Au théâtre,, il n'y a rien. C'est le triomphe de la coucherie.

— Vous ne voyez personne qui fasse exception à cette règle ?

— Si, constate l'auteur de Suzanne, après avoir hésité : Curel, Oh ! remarquez, je n'ai pas de visions. Pour moi, fait-il en éclatant de rire; Les Fossiles, c'est la Sozial-Demokratie ; mais, se reprend-il, tout de même, Curel, c'est bien, c'est le seul qu'on puisse nommer.

Je prends congé. Dans le couloir, M. Léon Daudet me rappelle :

— II y en a bien un autre, mais il n'est pas Français. C'est Maeterlinck. Curel et Maeterlinck, c'est tout ce que je vois.

M. Gustave Téry

M GUSTAVE TÉRY, polémiste érudit et cinglant, a l'aspect d'un très aimable épicurien. Il s'exprime avec douceur. Sous le binocle cerclé d'écaillé, les yeux semblent plus curieux que malins. Je ne connais évidemment pas le visage de M. Gustave Téry lorsqu'il attaque, une fois armé, devant son papier

papier Mais j'imagine, et peut-être je me trompe fort, qu'au travail M. Gustave Téry témoigne d'une même égalité d'humeur. On reçoit l'impression que sa profession l'amuse, qu'il se bat autant par plaisir que parce qu'il croit devoir se battre, et qu'ainsi il se permet de ne pas toujours se prendre au sérieux, ce qui, pour un grand journaliste, est un bien précieux moyen de contrôle de sa force. Ceci, je me hâte de l'ajouter, n'est que l'impression que j'ai reçue...

— L'influence de l'époque sur le théâtre et les lettres ? Mais, me répond le directeur de L'OEuvre, c'est que je ne la vois pas. Les écrivains qui avaient fait leurs preuves avant la guerre n'ont rien donné, depuis, qui marque même un commencement d'évolution. Sans doute, on a écrit des pièces inspirées par la guerre, mais non des oeuvres dignes des années tragiques que nous avons vécues. Les dramaturges sont aujourd'hui ce qu'ils étaient hier...

Comme je nomme Bataille et Bernstein, M. Téry répète en souriant:

— Les dramaturges sont aujourd'hui ce qu'ils étaient hier... Ne parlons pas de PortoRiche, qui avait donné sa mesure depuis longtemps. François de Curel ? Ah ! non ! s'indigne M. Téry, un primaire qu'une lecture de Kant et de Spencer a bouleversé et qui tient à nous le manifester... Et dans quelle langue écrit-il ses pièces !... Je ne vois vraiment pas de grandes figures... Ce qui me navre et me paraît caractéristique de l'époque, c'est que beaucoup, parmi les écrivains d'aujourd'hui, méprisent ce haut souci du style qui fit si grands les écrivains des siècles passés... Il est possible que j'aie tort, que je ne me

rende pas compte. J'ai des oeillères, voyez vous... J'arrive à un âge où l'on aime mois lire que relire... Qui, parmi les hommes de lettres de la nouvelle génération, me donnerait, par exemple, la joie que j'ai goûtée, l'autre soir, à relire Les Souvenirs d'Enfance et de Jeunesse ?...

» Non seulement j'ai l'impression qu'un trop grand nombre d'écrivains d'aujourd'hui manquent de culture et de conscience littéraire, mais encore je crois qu'ils ne sont déjà plus sensibles à la beauté du style, et cela serait très grave... Vous trouvez que j'exagère... C'est possible, admet M. Gustave Téry, car, je vous le répète, je ne lis pas assez... Les loisirs me manquent souvent. Tant mieux si les oeuvres des jeunes que vous citez (et M. Gustave Téry note aussitôt leurs noms sur une fiche) peuvent me donner un éclatant démenti !

» D'ailleurs, la guerre n'est pas finie... Il faut attendre pour juger... Michelet, historien révolutionnaire, est né après la Révolution... Les écrivains qui dégageront le mieux les leçons de la guerre ne sont peut-être pas encore nés... »

Du cinéma, M. Téry me dit ceci :

— On m'a reproché d'être un contempteur du cinéma, parce que j'avais mené à L'OEuvre une campagne contre les films policiers. Inutile de vous dire que je crois, au contraire, à l'avenir du cinéma. J'ai même écrit, il y a quelques années, que les conséquences de la découverte du cinématographe dépasseraient en importance celles de la découverte de l'imprimerie. Seulement, les temps ne sont pas encore révolus... Le cinéma est un art au berceau. On est encore aux tâtonnements. Il est à peine possible de prévoir ce qui pourra être un jour réalisé, grâce à lui, tant dans le domaine pédagogique et scientifique que dans le domaine dramatique. Là encore, il convient d'attendre...

(A suivre.) ANDRE LANG.

P.-S. — L'incident provoqué par les déclarations de M. Maurice Rostand n'était pas encore cles quand parut le dernier N° des Annales. Désireux de couper court à toute équivoque et d'affirmer une fois de plus que mon seul souci est de rapporter impartialement au grand public des Annales des impressions « vraies » et des propos « exacts », j'ai adressé le 26 octobre à Comoedia une lettre dont voici la conclusion :

...Je ne puis en effet tolérer, au début d'une pareille enquête, qu'il subsiste, dans l'esprit de quiconque, le moindre doute à ce sujet. Je me suis engagé sur l'honneur, auprès de la direction des Annales, à répéter EXACTEMENT, non ce qu'on aurait voulu me dire mais ce qu'on me dirait.

J'ai commencé à le faire, et je préviens loyalement tout le monde que je vais continuer.

Un lapsus calami m'a fait dire à M. Georges Courteline, évoquant les créateurs d'Amants : « Guitry et Brandès ». C'est bien entendu, Guitry et Granier qu'il faut lire

A. g..

M. Gustave Téry.


Comédie en un acte de CHARLES FOLEY (I)

Le rédacteur eu chef de La Muse Gauloise, Alcide Follebarbe, est dans son bureau, en train de feuilleter un manuscrit, quand la dame d'Espouillac entre en coup de vent.

LA DAME. — Vous êtes bien M. Alcide Follebarbe, rédacteur en chef de La Muse Gauloise ?

FOLLEBARBE. — Précisément, madame.

LA DAME, avec élan. — Ah ! maître, ah ! cher maître, que je suis donc heureuse de faire votre connaissance ! Vous ne savez pas quelle joie c'est, pour nous autres lectrices de province, de contempler les traits des écrivains célèbres que nous adorons de loin ! Ah ! oui, de loin ! Telle que vous me voyez, j'arrive d'Espouillac (Basses-Alpes), huit cent dix kilomètres ! J'ai fait ça pour vous voir. (Avec une émotion croissante.) Ah ! maître... Ah ! cher maître !...

FOLLEBARBE. — Je vous en prie, madame, ne vous trouvez pas mal. Nous ne sommes pas organisés pour ça : il n'y a pas de pharmacie.

La dame s'assoit.

LA DAME, plus calme. — Tout ce que vous écrivez, monsieur, me charme et m'enthousiasme à la fois. Vous êtes doué d'une telle sentimentalité! Vos moindres lignes bercent l'âme et chatouillent le coeur.

FOLLEBARBE. — J'ai peu écrit, madame, et il y a longtemps. Mon oeuvre se borne à un article de soixante-trois lignes sur les guanos péruviens.

LA DAME, vivement. — Je l'ai lu ! C'était spirituel, exquis, délicieux, savoureux...

FOLLEBARBE. — Ménagez vos adjectifs, madame. Je sais ce que c'est; quand je cause avec le patron, si je les écoule d'un coup, après, je me trouve à court.

LA DAME. — Ah! monsieur, comme votre visage est bien celui que j'avais rêvé!

FOLLEBARBE, à part. — Voilà son accès qui la reprend!

LA DAME. — Tout me transporte en vous, jusqu'au son de votre voix!

FOLLEBARBE. — Je regrette de ne pas chanter, madame, je vous aurais régalée!

LA DAME. — Et votre Revue, monsieur, quelle Revue modèle! Quel fascicule précieux! Quel recueil idéal!

FOLLEBARBE, à part. — C'est un accès chronique.

PERSONNAGES

La Dame d'Espouillac Alcide Follebarbe

LA DAME. — Je raffole de votre Muse Gauloise. Je l'attends chaque semaine avec fièvre. Je cours au-devant du facteur et, quand il me tend enfin ma chère Revue, je l'embrasserais, cet homme!

FOLLEBARBE. — Heureux facteur! Est-ce qu'il est jeune, madame?

LA DAME. — Le sais-je ? Ai-je des yeux pour autre chose que ma Muse Gauloise!

FOLLEBARBE, avec, une nuance de respect. — C'est donc à une abonnée que j'ai l'honneur de...

LA DAME. — Oui, monsieur, à une abonnée du premier jour, à votre première abonnée, et je m'en fais gloire!

FOLLEBARBE. — C'est facile à vérifier. J'ai justement ici la liste des abonnés. Si vous voulez bien me dire votre nom...?

LA DAME, inquiète et embarrassée. — Je vous avouerai que..., que je ne me suis pas abonnée sous mon nom..., mais sous le nom d'une jeune fille de mes amies. C'était meilleur pour vous ; ça vous faisait deux lectrices au lieu d'une ! Quel est le nom de votre première abonnée?

FOLLEBARBE. — Saboulard!

LA DAME. — C'est ça ! Je vous le disais : c'est le nom de mon amie.

FOLLEBARBE, Usant. — « Anatole Saboulard!... » Votre jeune fille ne s'appelé pas Anatole?

LA DAME, gênée. — C'est le nom de son mari... Cette jeune fille s'est mariée... à un homme de lettres de notre département.

FOLLEBARBE, lisant. — « Anatole Saboulard, fabricant de chandelles, à Hazebrouck, département du Nord ! » Hum ! Le Nord et les Basses-Alpes, ça ne se touche pas précisé ment, madame. Elle n'est pas votre voisine, votre amie : vous devez recevoir votre numéro rudement en retard !

LA DAME, troublée. — Oh! oui, j'en ai senti tout l'inconvénient..., et je venais justement, en mon nom cette fois, prendre un abonnement... de trois mois.

FOLLEBARBE, se levant avec empressement. — La caisse et le guichet d'abonnement sont au fond du couloir, à gauche... Je vais vous y conduire.

LA DAME. — Certainement... Seulement...; avant de prendre cet abonnement, je désirerai) vous consulter, non à titre de lectrice, mai comme..., comme débutante dans la littérature, FOLLEBARBE, résigné. — Ah! bon, c'est différent... Rasseyez-vous, madame.

LA DAME. — Merci, monsieur, je ne m'é tais pas levée. (Pause. Elle lire des papiers de sa poche.) Je vous apporte, monsieur, le frui des méditations et des longues rêveries d'une âme tendre qui, douloureusement meurtrie par la vie, s'est, comme une sensitive, repliée sur elle-même et qui...

FOLLEBARBE. — Ne racontez pas, ma dame, écrivez : ça vous fera une préface. Pas sez-moi cela. Rien qu'à votre prose, je devine que ce sont des vers.

LA DAME, lui tendant le manuscrit. — Je ne vous soumets pas ces faibles essais dans le fol espoir que vous les publierez et que je ver rai du coup mon pauvre petit nom de poétesse ignorée figurer parmi les noms si justement po pulaires de vos collaborateurs célèbres, illustres immortels! Je ne veux que votre avis... Oh ! pas même : vos conseils. (Humblement) J'im plore votre indulgence. (Haussant insensible ment le ton.) Et à cette indulgence j'ai peut être quelques droits. Je parle beaucoup de votre Revue, monsieur, j'en parle à tout le monde, je fais l'impossible pour vous faire con naître. Èspouillac n'est qu'un chef-lieu de cari ton. le le veux bien; mais Espouillac compte

(1) Tous droits réservés


LES ANNALES

près de mille habitants. Il y a poste et station de chemin de fer. Nous possédons une Société de gymnastique, une fanfare, une pompe à incendie, un important marché de bestiaux tous les lundis... Enfin, c'est, dans son genre, un petit centre littéraire. On a dans cette ville confiance en mon goût. Je suis quelqu'un, là-bas. Toutes proportions gardées, on m'y considère un peu comme... la George Sand de l'arrondissement ! (Avec orgueil.) Je n'aurai qu'à dire un mot, le maire s'abonnera, le notaire s'abonnera, le perception s'abonnera, mon cousin le lieutenant le pompiers s'abonnera. Telle que vous me voyez, j'ai sept ou huit abonnements dans ma manche. (A Follebarbe, qui s'est absorbé dans la lecture du manuscrit.) Que pensez-vous de mon sonnet?

FOLLEBARBE, comme réveillé. — Un sonnet? II y a quarante-trois vers!

LA DAME. — Eh bien?

FOLLEBARBE. — Un sonnet ne doit avoir que quatorze vers.

LA DAME, avec aplomb. — C'est un sonnet amorphe !

FOLLEBARBE. — Oh ! alors! Puis-je vous objecter que votre idée n'est pas claire?

LA DAME. — La poésie, ça se sent, ça n'a pas besoin de se comprendre.

FOLLEBARBE. — A défaut de pensée, faudrait-il au moins se rattraper sur la forme. La vôtre est défectueuse. Ainsi, ces vers à votre perroquet :

Il lit. J'ai eu froid, ce matin, en ouvrant ma fenêtre, Un terrible frisson a parcouru mon être ; Jacquot, qui me faisait entendre son caquet, Est coi sur son perchoir, il a l'air d'un paquet.

FOLLEBARBE. — Ça manque d'élégance, ça, madame.

LA DAME. — C'est de l'impression. D'ailleurs, je ne vous donne pas cela pour un chefd'oeuvre. Je l'ai écrit malade d'anémie cérébrale. Toute occupation sérieuse m'était défendue, je m'ennuyais ; alors, j'ai fait des vers ! Mais j'ai mieux que ça, puisque vous êtes difficile. (Fouillant dans sa poche.) Tenez, je vous donne mon Ablette. Cela, c'est mon chefd'oeuvre.

Elle lui tend un papier.

FOLLEBARBE, lisant

Pour mieux voir le martin-pêcheur Qui, sur l'ablette blanche, Fond comme une avalanche, Dans le matin plein de fraîcheur, Viens t'asseoir avec moi sur le roseau qui penche !

FOLLEBARBE. — Ça, par exemple, ce martin-pêcheur qui fond comme une avalanche, c'est une image outrée ! Et puis, aller s'asseoir sur un roseau qui penche, ça n'est pas très prudent, ça, madame, même quand on est léger! Je ne m'y risquerais pas ! En somme, je regrette beaucoup, mais je ne pourrai faire passer vos poésies. Nous sommes, à La Muse Gauloise, débordés de copie. Des écrivains illustres attendent dans nos tiroirs depuis des mois! Nous refusons des chefs-d'oeuvre!

LA DAME, vexée. — Alors, pourquoi faitesvous donc passer de si mauvaises choses? Vous ne me ferez pas croire qu'avec un peu de bonne volonté, vous ne trouverez pas une petite place pour mon sonnet?

FOLLEBARBE. — II a quarante-trois vers, madame !

LA DAME, d'un ton rogue. — Réfléchissez, monsieur, que je ne débourserai mon abonnement de trois mois que contre votre promesse

formelle d'insérer tout au moins mon Ablette!

FOLLEBARBE. — Il est vrai, madame, que je m'occupe de la cuisine littéraire de notre Revue, mais je n'ai très heureusement pas à entrer dans ces petites fritures d'ablettes et d'abonnements.

LA DAME, de plus en plus aigre. — Songez qu'il ne s'agit pas seulement de moi, que vous traitez avec un sans-gêne révoltant; il s'agit de l'abonnement de dix ou douze familles de la localité!

FOLLEBARBE. — Oui, je sais, le maire, le notaire, le percepteur et votre cousin, le lieutenant des pompiers.

// se met à rire.

LA DAME, furieuse. — Rendez-moi mes poésies, monsieur... (Elle remet ses papiers dans sa poche.) Ne me reconduisez pas, ce serait pour rien : je ne m'arrêterai pas au guichet d'abonnements!

FOLLEBARBE. — Ça vous dispensera d'embrasser ce facteur!

LA DAME, redressée, menaçante. — Savez vous bien, monsieur, ce que peut le dépit d'une femme puissante dans son arrondissement? Savez-vous bien, monsieur, qu'il y a en France trois cent soixante-deux arrondissements et que si les trois cent soixante-deux femmes qui y ont quelque influence littéraire sont ici reçues comme moi, votre Revue est morte !

FOLLEBARBE. — Ah ! madame, trois cent soixante-deux visites comme la vôtre, je n'y résisterais pas ! Il faudrait, dès la seconde, venir me voir à Sainte-Anne !

RIDEAU

CHARLES F0LEY.

(Dessins de CH. GENTY.)

Ouvrons l'OEil...

NOUS NE FAISONS pas assez attention aux travaux que poursuivent les Allemands en aéronautique. Nous recommençons à étudier les progrès d'outre-Rhin avec la même candeur naïve qu'avant la guerre. Le jour où l'avance sera considérable, nous crierons notre désespoir, puis nous songerons à réagir; mais ne sera-t-il pas trop tard? Nous avons une Commission interalliée d'aviation à Berlin, qui fait bien mal nos commissions! Elle se désintéresse des seules questions pour lesquelles elle a été créée. Et nous n'en sommes nullement étonné! Nous avons déjà parlé, dans ces colonnes, de la curieuse façon dont nos représentants, sous les ordres du colonel Dorand, ont compris leur travail. Ce fut lamentable..., et ça continue!

A nous de veiller, avec notre bon sens, et de prévoir le péril. Nous avons dit, il y a plus de deux ans, que les Allemands portaient leurs efforts sur la fabrication de modèles réduits. Ils demandaient, dans les journaux, la collaboration de pilotes aguerris, de préférence ingénieurs, qui, dans cette nouvelle spécialité, seraient largement rétribués. En France, ce fut une explosion de sourires.

— Voilà les Allemands qui se mettent à faire des joujoux! dit-on.

Quand il s'agit de nos ennemis d'hier, il faut toujours se méfier des joujoux auxquels ils peuvent se consacrer. Je vous assure que ce

n'est pas en s'amusant à gonfler des petits ballons pour grands magasins qu'ils ont fait sauter les usines de Ludwigshafen. Ils devaient préparer un explosif à nous destiné pour un jour plus ou moins lointain et qui, d'après les résultats acquis, ne tue déjà pas si mal!

De même pour leurs appareils réduits d'aviation. Ceux-ci leur permettaient de découvrir la solution de problèmes dont ils tireront tout le profit possible, n'en doutez pas.

Depuis l'armistice, ils ont fait aussi des recherches très importantes de planeurs. Là encore, au début, nos braves optimistes ont manifesté leur béatitude. Quant à la Commission interalliée, elle devait être au cinéma!

Pourtant, ces travaux sont extrêmement remarquables et leur intérêt ne saurait nous échapper. Songez qu'aux derniers concours qui se sont disputés sur les collines du Rhin, des résultats inespérés ont été enregistrés. Klemperer a réussi à faire un vol de plus de cinq kilomètres en treize minutes et à s'élever, grâce à ses manoeuvres, à une centaine de mètres audessus de son point de départ. De même que ses rivaux, il s'est posé à un endroit fixé à l'avance. Leusch (qui, d'ailleurs, s'est tué au cours d'expériences) donnait l'impression d'être le virtuose de ce sport. Il commandait à son appareil, qui lui obéissait servilement jusqu'au jour où un remous le prit et l'envoya s'écraser au sol. Marlens a tenu l'air quinze minutes

quarante-cinq secondes; mais Harth, le 13 septembre, a fait mieux encore, réussissant une envolée de vingt et une minutes !

Des circuits sont réussis, les planeurs font exactement ce que leur pilote leur demande et chaque jour du meeting marque un progrès

A quoi servent ces engins?

A établir des voilures impeccables, à apprécier de façon exacte les courants aériens et leur effet sur les ailes. A l'heure actuelle, avec les moteurs puissants que nous possédons, tout appareil est arraché du sol et peut s'élever; mais cela ne signifie pas que sa cellule soit parfaite, Les expériences de planeurs per-, mettent de tirer de multiples observations de chaque type et même de chaque vol. De plus, ces appareils seront utilement employés dans l'apprentissage des pilotes qui, pour des prix beaucoup plus minimes, réussiront à apprendre les réflexes et à connaître les traîtrises de l'espace.

Quand suivrons-nous cet exemple? Notre confrère L'Auto s'est ému et a découvert une colline, mais les spécialistes se révéleront-ils? Que les jeunes gens s'amusent à fabriquer des planeurs. Ils arriveront peut-être à découvrit un appareil génial. Leurs essais seront peu coûteux et ne procureront pas les mêmes déboires que ceux dont les précurseurs souffrirent à l'origine de l'aviation.

JACQUES MORTANE.


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LES ANNALES

LES MAISONS CLAIRES pour les Enfants pauvres de nos Soldats

Reconnues d'utilité publique par décret du 16 mai 1919

Les Retours

LES RETOURS nous occupent grandement. Nous avons eu, cette semaine, ceux d'Ourville, ceux de Chaville, ceux de Sourdeval, — retours heureux qui nous valent de la part des mamans, des infirmières, de bonnes et touchantes lettres. Voici celle que nous adresse Mme Périvier, infirmière scolaire :

« Je viens de reprendre mon service et j'ai eu le plaisir de constater la belle mine des fillettes Langevin. Parties en avril, elles sont restées à vos Maisons Claires six beaux mois, et je ne sais comment vous remercier pour elles et leurs parents. »

De Sourdeval, M. et Mme Meslay nous ont ramené des enfants qui avaient fait des séjours prolongés : quelques-unes étaient là depuis trente-cinq mois. Impossible de reconnaître les petites créatures chétives du départ. Impossible de retrouver à l'auscultation les vilains râles qui faisaient craindre la tuberculose. Ce sont des filles fraîches, souriantes, qui vont entrer en apprentissage.

Les scènes de tendresse et de désolation qui jettent tous ces enfants dans les bras de Mme Meslay avant la séparation définitive sont bien touchantes. La grande maison de Sourdeval — ou, plutôt, le château — laisse dans tous ces petits coeurs un souvenir si profond que toutes les fillettes veulent y retourner... Au moment des vacances, Sourdeval recueille les grandes filles, nos anciennes devenues sténos ou ouvrières. C'est la vraie maison de famille...

La semaine prochaine, nous bouclons nos derniers départs, et ce sera fini pour l'hiver, les séjours étant au moins de six mois.

YVONNE SARCEY

P.-S. — Nous remercions profondément les donateurs qui ont comblé Mme Rémy. Comme l'écrit cette femme en parlant du petit qui va venir : « Il a tout comme un petit riche, " Nous les remercions et prévenons que la femme Rémy étant largement pourvue (elle a reçu des provisions de charbon et d'épicerie pour l'hiver) , nous verserons les dons, maintenant, à la caisse générale.

Les Prochaines Conférences

de l'Université des annales

(16e Année Scolaire. - 1921-1922)

Conférences Littéraires

NOUS AVONS DONNÉ DEJA le programme des cinq séries de conférences qui forment le cycle d'études de la prochaine saison.

L'HlSTOIRE : avec les douze conférences du lundi, que se partagent si heureusement Me Henri-Robert : Les Procès Célèbres... M. Frédéric Masson : L'Impératrice MarieLouise... M. Claude Farrère : Du Maroc au Japon.

LA LITTÉRATURE : avec sa belle série du mardi sur les Poètes de tous les temps et les chefs-d'oeuvre inspirés par l'amour, série que se partagent M. Maurice Donnay, la comtesse de Noailles, André Rivoire, Fernand Gregh, Hélène Vacaresco, et les quatre conférences que M. Robert de Fiers consacre aux plus belles lettres de femme, du XVIe siècle à nos jours.

LA SOCIOLOGIE : avec ses douze admirables conférences sur les Petites Patries et la grande Patrie, dont nous avons trop longuement parlé ici même pour y revenir. Cette série, comme on pouvait le prévoir, s'annonce comme un immense succès.

LE THÉÂTRE, dont le titre : Les Flambeaux, ce qu'ils ont apporté au Théâtre Moderne, indique clairement l'étude des classiques envisagée à un point de vue tout nouveau, étude prêtant à des rapprochements curieux, à des filiations imprévues...

Ce sont des auteurs célèbres, tels que Henry Bernstein, Abel Hermant, Francis de Croisset, Pierre Wolff, Henry Bataille, et d'éminents critiques, tels que Henry Bidou, Paul Souday, Funck-Brentano, Jules Truffier, qui traiteront ces questions. Chaque séance sera accompagnée de deux scènes, jouées par des artistes de la Comédie-Française ou de l'Odéon : l'une, puisée dans le théâtre classique, l'autre dans le répertoire moderne ; et ces douze conférences, allant de Shakespeare au théâtre de Bataille, apporteront dans la connaissance des idées et dans le domaine littéraire exploré par les auteurs une moisson féconde.

LES GALAS DE MUSIQUE. Ces galas ont comme thème Les Sources Eternelles de la Musique. Ils donneront ce qui, chaque année, fait leur succès éclatant : des conférences et des auditions de premier ordre. Le détail en a été donné la dernière fois.

Ce sont ces séances de musique, attirant à l'Université des Annales un auditoire nombreux et passionné, qui l'ont presque obligée à se pourvoir d'une salle plus vaste.

Pour écouter ces soixante-cinq conférences, le public aura donc, à présent, comme cadre, la délicieuse salle du Colisée.

Mais, à notre époque, cultiver seulement son esprit et même son coeur, ce n'est pas suffisant ; il faut aussi savoir se débrouiller. C'est pourquoi l'Université des Annales a tenu, cette année, à donner un

Cours de Cuisine]

un cours qui fût, à la fois, pratique, c'est-àdire devant des fourneaux, et cependant raisonné..., le cours permettant à toute jeune fille de mettre la main à la pâte, s'il est nécessaire, mais aussi à la maman future, à l'infirmière de savoir le pourquoi des choses... En un mot, l'Université a voulu mêler à la cuisine, l'hygiène, la santé, la vie économique, la connaissance nutritive des aliments, l'art des achats intelligents... Et, pour cela, elle s'est adressée à des docteurs éminents... Ces agrégés, ces docteurs ès sciences, ont bien voulu venir donner des leçons qui se feront avec de la vraie viande, des légumes authentiques, des casseroles confortables et des fourneaux brûlants... Des monitrices les aideront dans les détails pratiques, mais eux diront l'importance de l'alimentation, le soin, la variété qu'il faut apporter à la nourriture. Ce sera de la science mise au service du pot-aufeu et de la santé pour tous.

Et, d'ailleurs, voici le programme :

15 nov.,— Arts et Sciences Culinaires.

Dr Hemmerdinger, Petit Déjeuner, Café, Thé, Chocolat.

Dr Pozerski. 22 nov. — Laitages, Bouillies, Infusions, Décoctions.

Dr et Mme M. Labbé.

29 nov. — Grillades et Rôtis.

Dr Pozerski.

6 déc. — OEufs, Potages, Bouillons.

Dr et Mme H, Labbè.

13 déc. — Légumes, Pâtes, Riz.

Dr Hemmerdinger, !

17 janv. — Aliments bouillis, Fritures.

Dr Pozerski,

24 janv. — Conserves Ménagères, Confitures.

Dr et Mme H. Labbë

31 janv. — Les Hors-d'OEuvre, les Entremets, Gâteaux et Bonbons.

Drs Hemmerdinger et Pozerskt.

7 fév. — Sauces et Liaisons.

Dr Pozerskt,

14 fév. — Achat des Viandes de Boucherie.

M, Martel.

( Leçon faite aux Halles mêmes, dans une salle spéciale, ainsi que les leçons du 28 février et du 14 mars.)

21 fév. — Préparations pour Malades et Convalescents.

Dr et Mme H. Labbè.

28 fév. — Achat des Charcuteries, Volailles, Gibiers, Poissons.

M. Martel

7 mars. — Récapitulation (Déjeuner).

Drs Hemmerdinger et Pozerskt,

14 mars. — Achat du Lait, Beurre, OEufs, Fromages, Légumes, Fruits, Conserves.

M. Martel.

21 mars. — Récapitulation (Dîner).

Drs Hemmerdinger et Pozerskt

Pour tous renseignements, cours, conférences, s'adresser au secrétariat : 5, rue LaBruyère. Le programme complet des conférences sera envoyé à toute personne qui en fera la demande.

Toutes les conférences, y compris celles du cours de Cuisine, sont publiées dans Conferencia (Journal de l'Université des Annales).

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SOUSCRIPTION peur les MAISONS CLAIRES

Total au 15 octobre 142.532 fr. 05

Montant de la 17e liste ... 1.469 fr. 50

Subventions 930 fr. »

Total au 22 octobre.............. 144. 931 fr. 55

Nous publierons dans le prochain N° la 17e Liste de Souscription pour les Maisons Claires.