QUESTIONS
DIPLOMATIQUES ET COLONIALES
LE COMMERCE DU SAHARA
Depuis l'antiquité la plus reculée, les nations de l'Asie ou de l'Europe ont entretenu des relations commerciales avec la partie du continent africain à climat tropical, que l'on connaît sous le nom de Soudan. Le plus ancien des historiens, Hérodote, qui vivait au ve siècle avant notre ère, a conservé le récit du voyage effectué dans ces régions par cinq jeunes gens de la peuplade des Nasamons, qui nomadisait entre la Grande-Syrte et l'oasis d'Aoudjila. En véritables précurseurs des explorateurs modernes, ces jeunes gens, poussés par l'amour des découvertes, s'enfoncèrent dans le Sahara, dans la direction du Sud-Ouest. « Ils franchirent un vaste espace sablonneux, et après bien des « jours de marche, ils aperçurent dans une plaine des arbres « venus naturellement 1. » Le pays était habité par des nègres qu'ils prirent pour des enchanteurs. Faits prisonniers, ils traversèrent une région de marécages et arrivèrent dans une ville, bâtie auprès d'un grand fleuve, habité par de nombreux crocodiles, qui coulait de l'Ouest à l'Est, et qu'Hérodote prit pour la branche supérieure du Nil. On se trouve évidemment en présence du récit d'un voyage au Soudan et aux rives du Niger 2.
Les relations avec le pays des nègres ont continué sans interruption à travers les siècles. Leur point de départ unique
1 Histoires d'Hérodote, II, 32.
2 Un savant commentateur de ce texte, M. Vivien de Saint-Martin, prétend que les Nasamons visitèrent l'oasis d'Ouargla. La direction suivie par les voyageurs, la description du pays visité, la mention d'un fleuve analogue au Nil, l'observation relative à l'existence d'arbres « venus naturellement », ce qui n'est pas le cas du palmier, tout proteste contre cette interprétation. L'impression rapportée par les Nasamons d'une contrée où tout était nouveau pour eux et leur paraissait merveileux, qui les portait à se demander s'ils n'avaient pas rêvé, s'ils n'avaient pas été les jouets de puissants enchanteurs, est très naturelle chez les premiers explorateurs du Soudan. Elle ne s'expliquerait pas si les Nasamons avaient visité Ouargla, où ils n'auraient rien trouvé qui différât sensiblement de ce qu'ils voyaient chaque année à Aoudjila Un voyageur contemporain, M. Emile Baillaud, a écrit récemment : « Le Niger sera pour moi une de ces contrées d'où l'on revient comme d'un rêve. » (Sur les routes du Soudan, p. 89.) N'est-ce pas la même idée, exprimée à vingt-cinq siècles d'intervalle, sous la forme propre à chacune des deux époques ?
QUEST. DIPL. ET COL. — T. XV. — N° 144. — 15 FÉVRIER 1903. 14