LA SCIENCE ILLUSTREE.
loi
INDUSTRIE EXOTIQUE
La Fabrication du papier au Japon
En Asie, au Japon surtout, le papier sert à mille usages : linge, serviettes et mouchoirs sont en papier jaune à très bon marché. Le carton est utilisé pour, confectionner des coffres* des sacs à tabac, des étuis de télescope, dés vêtements imperméables, des cloisons d'appartement, des objets de ménage, des ficelles, etc. Aussi la consommation n'a-t-elle cessé de s'accroître.
En présence du prix exorbitant qui atteint, en Europe, la matière première du papier, le chiffon, des innovateurs ont tenté d'y suppléer avec du bois, du son, de la sciure, de la paille, des asperges, des roseaux, etc. Il semble qu'ils aient tout essayé avant de recourir à la matière qui, chez les Chinois, — les inventeurs du papier, — sert à fabriquer le leur, nous voulons parler de l'écorce,du mûrier à papier (broussonnetia kami-noki), exploitée pour la fabrication des incomparables papiers du Japon, comme l'écorce du khoï dans le Laos (1).
Il n'est pas un jardin botanique et presque pas de parc où l'on ne rencontre quelques 'broussonnetia. En Chine, c'est le B. papyrifera qui est utilisé, mais, au Japon, on. lui préfère le kami-noki, qui rend au poids 10 pour 100 de plus, et qui ne diffère de l'autre variété que par ses jeunes rameaux glabres au lieu d'être cotonneux : quelques-uns ont l'écorce noire, d'autres l'écorce rouge; les premiers sont recherchés pour les plus fines qualités de papier. Leur multiplication par boutures et par drageons est des plus faciles.
Les 100 kilogrammes d'écorces, achetés aux producteurs, ne coûtent pas, au Japon, plus de 30 francs, et rendent §§ kilogrammes de papier ordinaire. La même quantité de chiffon de fil coûterait plus de 100 francs, et le papier de B. kami-noki est aussi fort, aussi sonore et aussi fin que le papier pur fil.
Les deux broussonnetia dont nous parlons aiment les terrains pierreux; ils viennent très bien dans les calcaires, surtout si l'on a soin dé disposer la plantation en carré et par lignes espacées de 1 mètre au plus en tout sens.
Plus éloignés les uns des autres, les arbustes se ramifieraient alors trop et l'écorce se hérisserait de noeuds, ce qui causerait de nombreux déchets dans la fabrication.
Pour obtenir de belles branches, bien élancées et lisses, beaucoup plus faciles à décortiquer, quelques cultivateurs plantent les arbustes même à 2 pieds ; mais à cette faible distance les rameaux se touchent par trop et les fibres de laplante, soustraites presque complètement à l'action de l'air et du soleil, offrent une bien moindre résistance.
Le kami-noki se taille eu buisson, comme le mûrier ordinaire. La première année on ne fume pas
(1) Voir la Science Illustrée, tome XII, pnge 258.
le terrain ; on se contente de l'entretenir dans un état convenable de propreté et d'ameublissement. L'année suivante, à l'automne, l'arbre est taillé près de terre et fumé légèrement; taille et fumure se renouvellent ensuite tous les deux ans.
100 kilogrammes de bois rendent 10 kilogrammes d'écorce, et se vendent 1 fr. 40 aux fabricants de papier. A Nangasaki, — nous apprend M. Eugène Simon, — les prisonniers, employés à divers métiers, fabriquent du papier de qualité inférieure ; les belles qualités Se font dans l'intérieur du pays, mais avec des procédés à peu près identiques.
Pour décortiquer la branche du; kami-noki, on la plonge pendant une demi-heure dans l'eau bouillante ; on enlève ensuite aisément l'écorce avec les mains, puis on la fait sécher au soleil, après quoi, elle reste durant trois jours dans de l'eau de rivière, avant d'être étendue au soleil et à,la rosée pendant quarante-huit à soixante heures. Cette opération, renouvelée à deux ou trois reprises, a pour effet de blanchir l'écorce.
Suffisamment blanchie,-récorce est mise à bouillir dans une lessive de cendres pendant trois heures environ, puis malaxée et pétrie avec les doigts, afin de laisser tomber l'épidémie, et enfin étalée à l'air pour sécher.
On la fait ensuite passer sous un pilon, jusqu'à ce qu'elle soit suffisamment pulvérisée, et on en forme ,une pâte épaisse, qui est délayée graduellement dans l'eau, de façon à ne plus offrir bientôt qu'un liquide pâteux. Dans ce liquidé est alors versée une liqueur provenant de la macération à froid de l'aubier d'un arbuste appelé a nebouriko », et appartenant à la famille des acacias. Pour 120 livres de pâle, on met environ 1 litre de cette liqueur, qui pourrait peut-¬ être, sans inconvénient, être remplacée par de la gomme arabique. Les Japonais ont souvent recours à un autre mucilage collant obtenu avec des branches de l'orem (copiis anemonoefolioe).
La cuve qui renferme la pâte mesure 0ra,90 de long sur 0m,S0 de large et contient un peu plus de 120 litres. Lorsqu'on y mélange le liquide, il faut avoir soin de le répandre également sur toute la surface : pour cela, il est versé dans un sac, que l'on,presse avec la main, en le promenant sur toute la surface de la cuve; on agite enfin le tout. La dernière opération consiste à immerger, dans la cuve, une petite natte soutenue par un cadre de bois, et cette immersion doit être faite carrément et rapidement. Une fois dans la cuve, l'ouvrier immergeur donne à la natte un mouvement de droite à gauche qu'il répète à deux ou trois reprises ; puis il la retire en la tenant horizontalement, et la passe à un autre ouvrier qui, en la retournant, détache la légère couche de pâte restée à la surface et qui est la feuille de papier. Un troisième ouvrier, placé à la gauche de i'immergeur.lui transmet un nouveau cadre, et ainsi de suite. Quelques coups de spatule, destinés à maintenir toujours égale l'épaisseur de la pâte, précèdent chaque nouvelle immersion.
Le papier ainsi obtenu est mis en paquets de trois