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Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson

Éditeur : [s.n.] (Paris)

Date d'édition : 1926-04-11

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 42932

Description : 11 avril 1926

Description : 1926/04/11 (T86,N2233).

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5739033p

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 01/12/2010

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REVUE UNIVERSELLE ILLUSTREE, HEBDOMADAIRE

Fondateur : ADOLPHE BRISSON

Directeur : PIERRE BRISSON

Sommaire

Notes de la Semaine HENRY BIDOU

La Situation.. .. . ... .. .. ANDRÉ FRIBOURG

Les Échos. .. SERGINES

Le Théâtre .. .. .. .. . . .. .. GÉRARD BAUER

Les Livres .. .... G. DE PAWLOWSKI

Les Bonnes Pages HENRY BORDEAUX

Caquets de chez Baroin ANDRÉ LANG

Promenades d'un Curieux. .. .. .. EMILE HENRIOT

Le Reporter et le Policier . . . . . . EMMANUEL BOURCIER.

Poème. ... .. .. .. .. ... . FRANÇOIS FABIÉ

En Allemagne Nouvelle.. .. .. .. BERNARD ZIMMER

Fragments de Philosophie. . . . . . . GUSTAVE LE BON

La Connaissance du Lyonnais .. .. PIERRE SCIZE

En buvant le Beaujolais HENRI BÉRAUD

Guignol .. .. MARCEL ACHARD

La Course d'Epouvante EVELINE LE MAIRE

Articles de Paris... et d'Ailleurs . . . GASTON GUILLOT

Bartolomé Mitre.. .. .. . A. R. DE FONVIELLE

Jean Lariguette .. . . . . .. . . . . GÉRARD HARRY

Histoire du Drapeau Heïtien P. MORAVIA-MORPEAU.

Les Dettes Serbes d'Avant Guerre . . BORIVOIÉ MIRKOVITCH

Mouvement Scientifique EUGÈNE-H. WEISS

La Nuit de Noël dans le Désert. . . PHILIPPE D'ORLEANS

Autour des Livres .. .. .. GEORGES DERVILLE

De ma Fenêtre . . . MIGUEL ZAMACOIS

Les Maisons Claires .. . . YVONNE SARCEY

Propos sur les Sports JACQUES MORTANE

Les Jeux des Annales ". Prestidigitateur ALBER

La Femme. — Le Foyer FANNY DAVRIL

Revue Financière de la Semaine . . . CRITON

L'Art de Vieillir

FAUT-IL s'en réjouir? Faut-il s'en affliger? il paraît que

nous sommes faits pour vivre cent cinquante ans. Metchnikoff le pensait. Nous vieillissons trop vite. Nous devrions avoir notre pleine maturité vers quatre-vingts ans et, après avoir encore joui de la clarté des jours, un temps à peu près égal, ressentir avec douceur le besoin d'un sommeil définitif. La cause de notre caducité précoce est l'action de certains globules blancs macrophages, qui dévorent nos tissus nobles, lesquels sont remplacés par l 'étoffe commune du tissu conjonctif. La cause du mal étant connue, peut-on s'y opposer ? En théorie, oui. En pratiquée le moyen n'a pas été trouvé.

Cette vieillesse prématurée est, en même temps, capricieuse. Tel reste jeune dans un âge avancé; tel se courbe, se ride, jaunit, blanchit, verdit, pend en mille fanons, perd ses dents, bégaie et commence doucement

à baver. Quelle est la loi de cette inégalité ? Pouvons-nous, par un glissement adroit, nous couler dans la file de ceux qui vieillissent tard?

Tout ce que la science, l'expérience, la plus fine intuition et la plus aimable sagesse peuvent dicter sur ce chapitre à un médecin ami des hommes, vous le trouverez dans le livre que le docteur Maurice de Fleury vient de rééditer : Quelques Conseils pour Vivre Vieux. Sous ce titre modeste, c'est un traite, composé par un des hommes les mieux avertis, — un traité de l'art de ne pas vieillir.

Finot croyait que, pour ne pas vieillir, il ne faut pas penser qu'on vieillit. La décrépitude est un consentement. Le pauvre homme," qui était un esprit vif, curieux et cultivé, est mort : j'ignore s'il a changé son destin d'un seul jour. Le docteur de Fleury ne propose point de formule simple et générale. Il examine les principaux articles d'une règle de vie et, aux questions qui se posent, il nous donne les réponses de la science.

Osons le dire. Elles sont presque toujours au contraire de nos habitudes, et je

doute que nous puissions changer celles-ci. Tout d'abord, pour l'habitation, question capitale, il est bien évident que tout ce qu'on peut dire en ce moment est purement théorique. Prenez un loyer qui soit le septième de votre revenu, dit le docteur de Fleury. Il a bien raison. La difficulté est de trouver l'appartement. Mais voici qui est plus délicat. Donnez les belles chambres aux enfants, dit-il, au lieu de les reléguer dans de petites pièces sur la cour. Mères de famille, avez-vous entendu, et que comptez-vous faire? Je vous cite le passage, oui est formel :

" C'est, à n'en pas douter, à cette coutume de loger nos enfants dans les chambres les plus modestes, les moins aérées de nos appartements, que nous devons ces teints pâlots et ces airs étriqués que les provinciaux et les étrangers nomment des mines de petits Parisiens. »

Et un peu plus loin :

« On me dira :

» — Les enfants sortent une grande partie du jour ; ils ne sont là que pour dormir.


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LA SITUATION

" Eh ! parbleu, s'ils ne sortaient pas, ils seraient tous tuberculeux à dix-huit ans... "

Quant à l'étage qu'il faut habiter, point de doute. A Paris, comme à Vienne et dans toutes les grandes villes, on est dix à quinze fois moins malade au cinquième étage qu'au premier. C'est bien consolant pour les gens de médiocre fortune.

Il y a, d'ailleurs, bien des choses consolantes dans le livre du docteur de Fleury. C'est un guide aimable et indulgent, qui ne nous impose que les privations nécessaires, et qui n'apporte point dans ses conseils l'ascétisme sadique de certains de ses confrères. Evidemment, il ne nous cache pas que, pour ne pas vieillir, il faut fabriquer le moins de toxines qu'il se puisse, et les éliminer. Mais tout de même, il nous laisse boire un peu de vin, à condition qu'il soit très bon. Acceptons cette condition. Il ne nie pas les heureux effets d'un dîner en ville, que nous digérerons d'autant mieux que l'agrément de la soirée aura accru notre tonicité générale. Que j'aime cette hygiène entretenue par le plaisir ! Le docteur de Fleury nous laisse un peu fumer. Il nous permet de travailler tant que nous voulons. Il nous autorise à lire encore un peu au lit, — un bon livre, naturellement, — jusqu'à ce que les paupières demandent à se fermer. Il rêve une république où les médecins seuls mourraient, et encore mourraient-ils de faim. Sauf pour ses confrères, son livre est, à lui seul, une thérapeutique délicieuse, un bienfait et aussi une adroite et délicate leçon de critique. Car il fait justice de bien des préjugés.

Oui, mais ne vous laissez pas trop prendre à ces apparences aimables. Le gant est de velours, mais la main qui vous conduit est solide. Vous qui vous dites surmenés, vous verrez quel cas le docteur de Fleury fait de votre surmenage ! Tout le livre est un éloge du travail :

« En vérité, le travail est joie et santé; il entretient en nous la vie, assouvit, pour le bien de tous, des énervements qui, sans lui, rendraient vraisemblablement impossible l'existence en société. "

Les grands laborieux ne vieillissent pas plus vite que les désoeuvrés.

Et voici, le volume terminé, que se dessine aux yeux du lecteur l'image de l'homme qui réussit à rester jeune. Si je le vois bien, il est net, actif et dégraissé. Il est sobre, mais non point ennemi des plaisirs. Il goûte délicatement les beaux fruits de la vie. Ses échanges se font bien, son cerveau est une machine claire, puissante, sans crasse ni rouille. Il n'a point la lâcheté de se ménager. Il n'est pas égoïste et un noble amour l'exalte encore. Il travaille autant qu'il peut travailler, suivant en cela les leçons de la nature. Et la joie de vivre lui rend les heures légères. — Ah ! docteur, merci de nous avoir montré cette consolante image d'un homme qui est bien près d'être parfait, et qui eût enchanté les anciens sages. Seulement, cet homme-là existe-t-il?

HENRY BIDOU.

Deux Rêves

DIMANCHE 21 MARS,

les délégués de toutes les associations

de combattants, mutilés et victimes de la guerre, affiliées a l'Union Départementale du département de l'Ain, se réunirent à Belley. Ils étaient venus de tous les coins de la Bresse et du Bugey, pour assister à leur Congrès annuel. Ils étaient venus malgré le vent et la pluie, la boue et la neige, de la montagne, malgré les communications difficiles qui contraignaient les plus éloignés à un long et lent voyage. Groupés dans une vaste salle glacée, ils discutèrent des problèmes qui les intéressaient, émirent des voeux, puis, en un muet cortège, allèrent à travers la ville déposer des fleurs au pied du monument élevé à leurs camarades tués pendant la guerre.

Un banquet suivit, comme il convient en général, et notamment au pays de BrillaiSavarin. Mais, fait bien révélateur des sen-, timents qui animent les combattants français, ce banquet fut présidé par un fonctionnaire important du secrétariat général de la Société des Nations. Le matin même, ce fonctionnaire avait exposé en détail aux anciens soldats le mécanisme de la S. D. N. Il leur avait montré l'aide qu'elle pouvait apporter à la paix, et l'auteur de ces lignes avait pu lui dire, au moment où il le quittait :

— Retournez à Genève et racontez aux étrangers que vous y verrez, à ceux qui parlent si souvent et si légèrement de l'impérialisme de la France, que vous avez pris part aux débats d'un Congrès départemental d'anciens combattants d'où toute politique était bannie et que, dans cette assemblée, où tous les partis étaient représentés, malgré nos rudes déceptions nationales, malgré les souffrances effroyables endurées dans le passé et les douleurs du présent, vous avez senti régner un profond désir, un intense amour de la paix. Dites aux étrangers qu'au lieu de prier un personnage politique ou militaire de présider celle réunion, c'est à un haut fonctionnaire de la Société des Nations que les dirigeants de l'Union Départementale se sont adressés, cl qu'ils ont voulu que vous leur parliez des moyens de réaliser leur rêve : la paix..

Malgré les efforts de certains, l'esprit est différent outre-Rhin. L'échec récent de Genève fut dû, à l'origine, à la tentative de politique bismarckienne du chancelier Luther et du ministre Stresemann; mais ces messieurs n'auraient pas joué leur jeu s'ils ne s'étaient sentis épaulés par la majorité de leurs concitoyens.

Affectant ostensiblement de s'appuyer sur le traité de Versailles, ils réclament aujourd'hui le désarmement général. Dès le 23 novembre 1925, au cours du débat au Reichstag sur la ratification des accords de Locarno, le chancelier avait souligné l'importance

l'importance son gouvernement attachait à la question. Ii avait déclaré nettement :

" ... En ce qui concerne le désarmement, l'inégalité entre les puissances doit être supprimée. On ne peut concevoir une égalité véritable entre puissances désarmées et puissances hérissées d'armements... C'est précisément pour cela que l'Allemagne doit tout mettre en jeu pour maintenir en éveil et faire progresser l'idée du désarmement général comme elle a été posée dans le traité de Versailles... »

Or, nos lecteurs savent à quoi s'en tenir sur le désarmement du Reich. Le budget de guerre allemand est, à peu de chose près, aussi important que le budget de guerre français, encore que le traité ait interdit à la Reichswehr de dépasser le chiffre de 100.000 hommes. Mais à ces 103.000 hommes viennent s'ajouter les 150.000 hommes de la police de sûreté auxquels il convient de joindre les membres des Sociétés secrètes.

Le gouvernement de Berlin nie leur rôle militaire, de même qu'il se lamente en toute occasion sur la faiblesse des effectifs dont il dispose et son désarmement qui lui fait courir de si graves dangers. Mais les Sociétés ne sont que trop actives, hélas! et, à ce propos, je voudrais dire ici quelques mots d'un procès récent qui nous le prouve.

Ce procès s'est déroulé devant le tribunal III, à Moabit ; il n'a duré que deux jours (1er et 2 février 1926). Il a eu lieu à huis clos. Le Vorwaerts du 30 janvier nous dit que le chancelier Luther et le ministre de la Reichswehr, Gessler, l'ont voulu ainsi. Le Berliner Tageblatt, lui, prétend, le 31, que c'est M. Stresemann et non M. Gessler qui a réclamé le huis clos, sous le prétexte " qu'il était d'intérêt diplomatique de ne pas livrer à la discussion de l'étranger des faits mal éclaircis ".

Que le huis clos ait été prononcé à la demande du ministre de la Reichswehr ou des Affaires Etrangères, il est clair que le gouvernement du Reich se sentait fort gêné par les faits dont le tribunal allait avoir à connaître cl qu'il tenait à les cacher à l'opinion publique européenne. Ce secret qu'on cherchait à dissimuler si soigneusement, vrai secret de Polichinelle pour les hommes avertis, c'était l'existence des Sociétés militaires interdites et, notamment, de la Reichswehr noire.

Donc, le 1er février dernier, onze Allemands comparaissaient devant le tribunal III pour répondre du meurtre par guetapens du soldat Pannier, tué. sur le champ d'exercice de Doberitz, en juin 1923.

Sur ces onze prévenus, trois étaient accusés d'assassinat (un garde champêtre, un adjudant de police et un liftier) ; trois autres d'avoir ordonné le dit assassinat (un capitaine et un lieutenant en retraite, un employé du Reichslandsbund) ; un étudiant, un ouvrier d'art, un fonctionnaire


LES ANNALES

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surnuméraire, avaient prêté assistance aux meurtriers, qui avouèrent. Victime et accusés appartenaient tous à un « bataillon de travail » ou formation de la Reichswehr noire, organisé au printemps de 1923 sur l'ordre d'un lieutenant du Wehrkreis III de la vraie Reichswehr, ce qui embarrassait singulièrement le gouvernement de M. Luther.

Le crime de Pannier, d'après les accusés, aurait été d'avoir révélé l'existence du bataillon aux communistes et aux autorités de contrôle de l'Entente. Le 2 juin 1923, il fut arrêté et mis en prison. Le jour même, le capitaine au bataillon de travail dit au garde champêtre :

— Pannier est un traître; il faut régler son compte.

Le garde comprit, mais hésitait. — Qu'as-tu à hésiter? demanda le capitaine.

Et le garde, croyant à un reproche :

— A vos ordres, monsieur le lieutenant!

Pannier fut extrait de prison sous le prétexte d'être conduit à Berlin. Il partit avec le garde; deux autres hommes du bataillon l'attendaient dans un petit bois de bouleaux. Quand il approcha, ils allèrent à sa

rencontre, engagèrent la conversation, et le garde champêtre, par surprise, abattit Pannier d'un coup de hache! Il s'y reprit à plusieurs fois pour l'achever. On jeta le corps dans une tranchée d'exercice préalablement aménagée en fosse.

Les trois meurtriers, des sous-ordres, furent condamnés à mort, ainsi que le capitaine; les autres accusés, acquittés ou condamnés à des peines insignifiantes, " parce qu'ils disent avoir agi pour des motifs patriotiques ». Quant au principal responsable du crime, le lieutenant von Senden, on l'acquitta.

L'affaire eut des répercussions qui nous intéressent. Elle remit sur le tapis la question si grave pour nous des relations de la Reichswehr avec les associations patriotiques. Le 10 février, un débat eut lieu à la Commission du budget du Reichstag, où le député socialiste Künstler posa au ministre Gessler ces questions bien embarrassantes ;

" — La Reichswehr noire a-t-elle enfin complètement disparu, ou en subsiste-t-il des restes dans le Grenzschutz et le Bahnschutz (organisations de protection des frontières et des voies ferrées) ? — Quelle est la raison d'être de l'institution des " officiers de liaison " avec les associations patriotiques qui, souvent, ont chambre de service dans ces casernes? — Par qui sont payés ces officiers? — Le recrutement de la Reichswehr ne s'opère-t-il pas dans les associations patriotiques? — Ne forme-t-on pas encore des volontaires à court terme?

— N'envoie-t-on pas des sous-officiers faire de l'instruction dans les associations?

— N'y a-t-il pas des exercices communs?

— Quels ont été les rapports entre la Reichswehr et la Reichswehr noire? »

Comme elles nous révèlent un grave danger, ces questions posées en Commission du budget par un député au Reichstag

Reichstag ministre de la Reichswehr ! — C'est notre sécurité qui dépend des réponses qu'on peut leur faire, en vérité.

Le ministre Gessler parla d'abord de la Reichswehr noire et fit l'historique de cette formation ; puis, il s'expliqua sur les bataillons de travail, forts de 235 hommes, dont il affecta de mépriser totalement la valeur militaire, Il assura, ensuite, que tout rapport entre la Reichswehr et les associations patriotiques, que tout dressage de volontaires à temps ou tout détachement de sous-officiers étaient sévèrement interdits.

M. Gessler ne pouvait dire autre chose. Que les rapports entre la Reichswehr et les Sociétés patriotiques soient, en théorie, sévèrement interdits, nul n'y contredit; ils sont interdits, mais, en pratique, n'en existent pas moins, et, dans la discussion qui suivit l'exposé du ministre, le député Künstler put affirmer : que l'esprit de la Reichswehr n'était pas encore républicain ; que le sentiment monarchique de beaucoup d'officiers déteignait sur les hommes; que des soldats du 11° d'infanterie avaient manifesté

manifesté mépris pour les couleurs du Reich; qu'au 4e d'infanterie, des membres de la Reichswehr continuaient à instruire des adhérents du Bismarckbund et des volontaires à temps...

Tout cela n'est que trop vrai, et ainsi s'expliquent les crédits exagérés mis à la disposition du ministre de la Reichswehr.

Mais quelle comparaison entre la France et l'Allemagne, entre les rêves qu'y font les anciens combattants! A l'est du Rhin, de puissantes Sociétés secrètes, des organisations dont certaines, comme le " Jeune Ordre Teutonique », compteraient de 3 à 400.000 jeunes hommes, ont pour tout souci la guerre; pour but, de s'instruire militairement et de doubler la Reichswehr. A l'ouest du Rhin, des associations de mutilés, de combattants français, demandent à un représentant officiel de la Société des Nations de leur dire la meilleure méthode à suivre pour réaliser leur rêve : la paix.

Député de l'Ain.

LES

A la Scciété des Gens de Lettres

Voici onze années que M. Georges Lecomte, succédant à Balzac, Hugo, About,. Claretie, Theuriet, Zola, Aicard, Scholl, Hervieu, — pour ne citer que les morts, — présidait la Société de la rue Rougemont. Onze années durant lesquelles il se dépensa sans compter et mit sa belle intelligence et tout son dévouement au service des écrivains de France.

M. Georges Lecomte abandonne ses fonctions. Il est" remplacé par M. Edouard Estaunié, le puissant romancier de L'Empreinte, de La Vie Secrète, de L'Infirme aux Mains de Lumière. Différant en cela de certains de ses confrères, M. Estaunié n'est pas à l'aise que devant un encrier. Les problèmes administratifs ne l'effraient point. Ce psychologue, qui prête une vie si intense à ses héros, fut polytechnicien, directeur du matériel et de la construction aux P. T. T., inspecteur général des télégraphes et directeur de l'Ecole Supérieure de Télégraphie.

MM. Charles-Henry Hirsch et Thierry Sandre ont été élus à la vice-présidence ; MM. Emile Magne et Gaston Rageot sont rapporteurs. Enfin, les trois secrétaires ont pour noms Roland Dorgelès, André Lamandé et Maurice Renard.

Le Comité sortant mérite tous les éloges. Le Comité nouveau ne manque point d'éclat

L'Ecolier Philippe

Quand le duc d'Orléans entra en septième» au collège d'Eu, ce fut une effervescence générale sur tous les bancs. Il y avait là d'ardents

d'ardents républicains, d'intransigeants petits citoyens oui se demandaient, non sans curiosité, comment le jeune élève se présenterait. Le nouveau venu dit simplement au professeur :

— Je m'appelle Philippe.

Aux récréations, le duc se battit souvent avec ses camarades, au grand scandale des maîtres. Très fort en latin, il était nul en géographie. Il devait se rattraper plus tard...

Ses précepteurs, au château, passèrent des heures pénibles. Le duc d'Orléans, ayant à se plaindre de l'un d'eux, l'enferma, une demijournée durant, dans un cachot. Naturellement, il fut puni et enfermé à son tour. Mais il sut se venger d'une façon terrible : il se déchaussa et envoya ses souliers au travers des vitres du plafond.

Moyen original de se donner un peu d'air...

Décoration Civique

Un lecteur — qui désire garder l'anonymat — nous fait part d'une intéressante suggestion...

On sait que le ministre des Finances a établi une taxe civique et jeté les bases d'une contribution volontaire. Pour celte dernière, les noms des donateurs seraient publiés à l'Officiel

Cela ne suffit pas.

Afin de mieux récompenser ces bons contribuables d'un nouveau genre, n'y aurait-il pas lieu de créer, en même temps, sous le ressort du ministère des Finances, un « ordre du Mérite Civique » qui serait uniquement réservé aux donateurs de marque?


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LES ANNALES

Par exemple, le ruban de chevalier serait accordé, de droit, à tout donateur, français ou étranger, d'une somme de 25.000 francs; la rosette d'officier à qui verserait 50.000 francs, et la cravate de commandeur à qui offrirait 100.000 francs.

En définitive, il ne faudrait que quarante chevaliers pour recueillir un million, ou encore vingt officiers ou seulement, dix commandeurs...

Au premier abord, certains esprits s'effareront d'un tel projet. Monnayer des honneurs? Fi donc ! Cependant, à bien y réfléchir, comme il s'agit d'une question de finances, l'idée de notre correspondant occasionnel ne nous paraît pas si saugrenue.

Et nous la signalons bien volontiers à l'attention de M. Raoul Péret.

Encore Tartarin

Les petites controverses littéraires amusent toujours le lecteur. C'est pourquoi je reviens aujourd'hui un peu longuement sur le cas Tartarin de Montpellier.

J'y reviens, parce qu'un de nos abonnés, M. Bonhomme, estime que M. Jousé Marcellin lance une galéjade en conférant la qualité montpelliéraine à Tartarin.

Ouvrons, en effet, Trente Ans de Paris, d'Alphonse Daudet. Au chapitre : Histoire de mes Livres, on lit ce passage relatif à Tartarin de Tarascon :

« Tarascon n'a été pour moi qu'un pseudonyme ramassé sur la voie de Paris à Marseille, parce qu'il ronflait bien dans l'accent du Midi et triomphait à l'appel des stations, comme un cri de guerrier apache. En réalité, le pays de Tartarin et des chasseurs de casquettes est un peu plus loin, à cinq ou six lieues, « de l'autre main du Rhône ». C'est là que, tout enfant, j'ai vu languir le baobab dans son petit pot de réséda, image de mon héros à l'étroit dans sa petite ville, là que les Rebuffa chantaient le duo de Robert le Diable... »

On ne peut désigner plus clairement la cité de Nîmes, qui se trouve à vingt-quatre kilomètres de Tarascon, sur la rive droite du Rhône, et on convient, avec l'auteur, que Tartarin de Nîmes eût moins claironné que Tartarin de Tarascon.

Au reste, tous les vieux Nîmois — et même, certainement, bien des jeunes — savent reconnaître sous les noms transparents des Bézuquet, des Costecalde et autres, les Nîmois Montegut, Windisch, Rebuffa, etc., tous parents de Daudet — ainsi que Tartarin - et qui se montrèrent furieux de lui avoir servi de modèles.

Quant à Barbarin, encore une légende qu'il faut détruire.

Reprenons Trente Ans de Paris. Nous lisons, au même chapitre :

« Le personnage de mon livre s'appelait Barbarin de Tarascon. Or, il y avait justement, à Tarascon, une vieille famille de Barbarin qui me menaça de papier timbré, si je n'enlevais son nom au plus vite de celte

outrageante bouffonnerie. Ayant des tribunaux et de la justice une sainte épouvante, je consentis à remplacer Barbarin par Tartarin sur les épreuves déjà tirées et qu'il fallut reprendre ligne à ligne dans une minutieuse chasse aux B. Quelques-uns ont dû échapper à travers ces trois cents pages; et l'on trouve, dans la première édition, des Barbarin, Tarbarin, et même tonsoir pour bonsoir... »

Et mon correspondant assure qu'on peut lui accorder crédit. Sa famille et celle d'Alphonse Daudet habitaient à Nîmes la même maison...

Tartarin n'est donc ni de Montpellier ni de Tarascon. Il est de Nîmes.

De Nîmes ? Attendez... Mme la vicomtesse de Lenoncourt, petite-cousine d'Alphonse Daudet, nous fait entendre un second son de cloche. Voici sa lettre :

« J'affirme, le tenant de source familiale, que Tartarin n'était ni Barbarin de Beaucaire, ni Arnaud de Montpellier, mais Reynaud, de Montfrère (Gard), propre cousin d'Alphonse Daudet et Provencal pur sang.

» Ernest Daudet nous le dépeint à nouveau dans Mon Frère et Moi, mais il a omis de nous dire que ce coeur excellent avait organisé le fameux voyage en Algérie, non seulement pour chasser, le tigre avec toute la furia d'une imagination supra-méridionale, mais surtout pour permettre à son jeune cousin Alphonse, dont la santé et les ressources étaient alors préCE ires, de faire un long séjour en pays chauds. La verve de l'artiste fut plus forte que sa reconnaissance, et Tartarin, ayant fait tous les frais du plus truculent chapitre de son épopée, Reynaud pardonna, en homme d'esprit... »

Récapitulons... Tarascon, Beaucaire, Montpellier, Nîmes, Montfrère... Sept villes se disputeront l'honneur d'avoir donné le jour à ce type homérique!

Dévouement d'Interne

Un grand blessé ou un grand malade agonise à l'hôpital. Sa mort n'est qu'une question d'heures. Déjà, ses doigts se crispent sur les couvertures, dans le geste affreux et machinal des moribonds. Il va s'éteindre, à bout de résistance, si l'on ne pratique pas immédiatement la transfusion du sang.

Le patron est absent. Le prévenir? Lui demander son avis? Il serait trop tard. C'est tout de suite qu'il faut agir.

Un interne est là, jeune, ardent, vigoureux. D'un coup d'oeil, il a jugé la situation. Alors, il s'offre pour sauver celui qui va mourir. Il ne le connaît pas. Qu'importe ! Généreusement, simplement, il lui donne son sang.

L'agonisant revient à la vie.

On félicite l'interne. Il se dérobe aux compliments.

— Je n'ai fait que mon devoir, dit-il.

Il ne voudrait même pas que l'on parlât de son acte héroïque. Mais tout finit par se savoir. Et plutôt que d'accorder une si grande publicité aux criminels, aux aigrefins, aux indésirables, pourquoi ne pas répandre le nom de cet interne de troisième année, M. Henri

Olivier, qui, à la maison Dubois, vient de se dévouer si magnifiquement pour arracher une jeune femme au trépas?

Des Henri Olivier, il y en a partout où l'en souffre. Ils s'ignorent eux-mêmes. Ils se révèIent à la première occasion. A nous de les révéler aussi et de les admirer.

La Belle et Décevante Annonce

Les habitations libres sont devenues si rares que celles dont on apprend la vacuité se parent, aux yeux des aspirants locataires, d'un charme irrésistible, quand bien même elles seraient affreusement quelconques.

Les propriétaires désireux de s'en défaire n'ont point besoin de se mettre l'esprit à la torture pour en vanter les attraits. Trois lignes d'annonce : la situation, le nombre de pièces et le prix demandé. Cela suffit pour attirer sur les lieux une armée de visiteurs.

Pas plus tard qu'hier, un citoyen a estimé que sa villa, étant à vendre, méritait mieux qu'une banale publicité.

Pour séduire l'acquéreur et le faire béer de convoitise, il a rédigé un texte extraordinaire. Il s'est rué sur les épithètes, ne craignant point de les accumuler, de les répéter, faisant voluptueusement mousser sa marchandise.

Pourquoi ne point imprimer tout vif dans nos colonnes — et cela, sans aucune idée de réclame déguisée — ce curieux morceau de littérature commerciale mâtiné de naïveté et de sentiment ? En italique, les passages les plus remarquables, ainsi que les adjectifs :

« Belle construction luxueuse, assurant heureuse vie sans grands frais, tout confort et. luxe, avec vue admirable qu'il faut voir (sic). Beau vestibule, salle à manger grand luxe avec terrasse idéale; office, deux beaux salons, belles chambres, etc., etc. Agencement merveilleux, bon air et vue. »

Cela semblant insuffisant, le vendeur spécifie qu'il s'agit là d'une villa adorable.

On brûle de savoir où se cache ce joyau, ce trésor, ce délice, cette merveille. O cruelle désillusion!... L' « adorable ». villa qui renferme tant de belles choses est située où? Je vous le donne en mille! Où? Sur le territoire de Villennes!

Les noms ont leur ironie...

Et pour Finir

Ce mot, cueilli dans L'Esprit d'Alexandre Dumas, que publie Léon Treich:

Brouillés depuis peu, Balzac et Dumas se rencontraient par hasard dans une maison amie. De toute la soirée, les deux écrivains ne s'adressèrent pas la parole; mais, sorti le premier, vers minuit, Balzac, coudoyant l'auteur des Mousquetaires, dit tout haut, sans le regarder :

— Quand je serai usé, je ferai du théâtre.

— Commencez tout de suite! riposta Dumas.


LES ANNALES

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LE THÉATRE

Nouveaux spectacles : L'Ame en Peine, de M. JeanJacques Bernard. — Les Chevaux du Char, de M. et Mme Jacques de Zogheb. — Je ne vous aime pas, de M. Marcel Achard.

DE NOMBREUX THÉATRES ont renouvelé, leur affiche. Ces spectacles témoignent, dans leur ensemble, d'un effort de renouvellement qu'il est juste de constater. Les jeunes auteurs sont tous préoccupés, on le sent, d'apporter à leur art quelques-unes des qualités dont se pare le roman contemporain : plus, de simplicité dans la forme et plus de nudité dans le sujet. Or, les romanciers de ce temps montrent une singulière indigence d'imagination (en dépit de ce qu'on a appelé la renaissance du roman d'imagination). Le roman moderne prend jusqu'à l'excès la forme du roman d'analyse. Il ne s'y passe souvent rien que l'analyse bien minutieuse d'un cas ou d'un être, — d'un cas ou d'un être d'exception. Ce penchant et ce choix convienent mal au théâtre, qui est un art de mouvement, où les êtres s'aperçoivent par l'extérieur et où le caractère des personnages doit se montrer en action. On n'y examine point l'animal à la loupe, mais dans son champ d'exercice. Hors du mouvement, le théâtre se fige. Il peut rassembler d'excellents éléments; mais s'il ne reproduit pas au minimum une certaine mobilité de la vie, il risque de se fossiliser.

Ces réflexions me viennent à l'esprit en pensant au théâtre de M. Jean-Jacques Bernard. Il est un jeune auteur dont on ne saurait trop louer l'effort sans concession. Il s'est signalé, dès ses premiers ouvrages, par une sobriété qui commande toute sa technique. Il montre le minimum de traits et ne les dessine que peu à peu le long de la pièce. Il suggère un caractère bien plus qu'il ne l'impose; Il ne verse pas des feux éblouissants sur ses personnages. Il les maintient dans une atmosphère sans éclat : une buée" d'âme. Son art est très discret et d'une surveillance qu'on sent à toutes les courbes de la pièce. Sont-ce là des qualités dramatiques ? L'homme de goût y est sensible, mais le spectateur en retire-t-il le plaisir mouvementé qu'il attend du théâtre? Il est bon de mettre en garde M. Jean-Jacques Bernard contre une formule qui nuirait peut-être quelque jour à sa réussite. Sa délicatesse vaut d'être protégée d'elle-même.

L'Ame en Peine, que Mme Ludmilla Pitoëff et M. Georges Pitoëff ont montée et jouent au théâtre des Arts, est une pièce saisissante. Elle nous montre deux âmes complémentaires qui étaient faites pour se joindre et ne se sont point unies. On voit leur destin se croiser. Ces deux êtres, de situation sociale inégale, se rencontrent, se touchent presque et s'éloignent sans se parler. Nous connaissons, dans cette représentation du destin, un moment de haut pathétique. Cette découverte d'un instant vaut, à elle seule, que M. Jean-Jacques Bernard ait écrit sa pièce et que nous lui en rendions grâce. Finalement, l'une de ces âmes s'abîme, se défait et entraîne l'autre, sinon dans la mort, du mois, dans la démence. On comprend aisément ce que l'auteur a' voulu représenter : deux âmes « du même

ciel », selon le beau mot de Swedenborg, mais que leur destin terrestre éloigne l'une de l'autre, — d'où leurs maux sans issue. Que n'ont-ils appris l'un ou l'autre la science des esprits purs? « Un ange, dit Swedenborg, est présent à un autre quand, il le désire. » Les héros de M. Jean-Jacques Bernard n'ont pas cette puissance angélique. Ils subissent inéluctablement leur géhenne : c'est le déroulement de la pièce même qui, dans son parallélisme fatal, est, je le répète, saisissant. Elle est fort bien jouée par la troupe de M. Pitoëff. Mme Ludmilla Pitoëff prête à l'une de ces âmes son souffle étrange et léger.

Les quatre actes que M. et Mme Jacques de Zogheb ont donnés au Théâtre Antoine m'ont plu en certains points. Je ne suis pas, làdessus, de l'avis commun, qui fut généralement inclément à cette pièce. On a frappé sans mesure sur ces Chevaux du Char. Or, je leur trouve de la race, et ce sont surtout, il me semble, les chemins qu'ils ont pris qui ne sont pas toujours bons.

M. Jacques de Zogheb est un admirateur de l'art de M. Abel Hermant. Cela s'est vu à son adaptation de La Discorde, cela se voit à cette nouvelle oeuvre qui est de la même veine que Le Char de l'Etat et que La Carrière. M. de Zogheb a eu le dessein de faire tenir en quatre actes l'aventure d'un petit peuple, conduit à la guerre par l'ambition d'un prince, la cupidité d'un ministre et l'amour insensé d'une femme. Toutes ces circonstances peuvent être vraies, et l'Histoire est pleine de ces exemples où les guerres sont nées du caprice d'un maître ou d'une maîtresse. Mais à la représentation, une anecdote de cette sorte, fût-elle tragique et fidèle à la réalité, paraît assez arbitraire. La pièce de M. et Mme de Zogheb eût peut-être gagné en force à n'être que sociale et politique et à ne pas s'encombrer d'un adultère qui lui donne un caractère mélodramatique. Je saisis bien, pourtant, que les auteurs ont voulu cet emmêlement, qu'ils en avaient besoin comme d'une armature, pour porter la pièce et la conduire à son dénouement. En fin de compte, je ne les accable pas sous cet apparent défaut. Il reste qu'ils ont tenté d'écrire une oeuvre qui touche à de hautes préoccupations. Il y passe un certain frémissement et l'angoisse de l'époque. Elle comporte une logique d'esprit et un goût d'atteindre, à travers la fiction du théâtre, la vérité des événements. Ces efforts et ces qualités me paraissent précieux. Bien sûr, le public n'aime pas trop cette représentation de ce dont il a souffert ou de ce qu'il redoute. Ces pièceslà ne connaissent que des succès modérés. Du moins, on leur doit l'estime, surtout si l'oeuvre, comme c'est le cas, est écrite avec soin.

La pièce est fort bien mise en scène et n'est pas mal interprétée. Mlle Marguerite Jamois joue un rôle accablant et qui dépasse un peu son registre; elle y dépense beaucoup de sensible intelligence. Mlle Renée Devillers trace une note de grâce jeune sur ce tableau sombre où M. Roger Gaillard découpe magnifiquement la silhouette d'un prince ambitieux.

Je trouve bien plaisant le talent de M. Marcel Achard. Il a quelque chose de rare, en notre temps : l'abandon poétique. Je sens bien qu'il ne compose pas ses pièces selon une méthode volontaire, qu'il ne les creuse pas en lui même, dans les parties obscures de l'être. Non. Je sens qu'il les rêve; et c'est charmant. Enfin, voilà un jeune écrivain de théâtre qui suit la pente de son coeur. Il invente des personnages selon sa fantaisie, et il leur donne des sentiments qui sont frais et naturels. Pour tout écrire, il n'a pas peur d'être sensible, — comme l'ont été Ronsard, Heine ou Musset. Bien sûr, il les a lus, ces poètes. Il ne les imite pas, mais il se reconnaît une fraternité de sentiment avec eux, — surtout Henri Heine, dont il possède le point d'ironie et la discrétion blessée.

Les trois actes qu'il donne à l'Atelier sont fragiles et d'une nuance si délicate, qu'on redoute un peu de les voir pâlir sous le feu de la rampe. Qu'est-ce? L'aventure d'un artiste, Cadet, qui se laisse séduire par une coquette vénale, renvoie la petite amie qu'il avait auprès de lui, puis celle coquelte, par peur d'avoir à en souffrir. Et c'est tout. Mais ce tout contient beaucoup de fines observations sur un être. Ce Cadet, gros garçon orgueilleux, veut toujours se garder à soi-même l'illusion qu'il aurait pu mieux faire qu'il n'a fait. Il est un maroufleur de tableaux : il eût pu être peintre. Une belle fille passe sur sa route et veut le cueillir : il la renvoie avant qu'elle se soit lassée elle-même. Il est ménager de ses illusions avec un art extrême. Et c'est lui qui dicte la lettre d'adieu que la coquette lui envoie avant d'être infidèle.

J'aime ces traits ingénieux et pudiques, ce dialogue où passent les répliques d'un sage qui se juge, qui a fait le tour des choses et qui, sans suspendre ses émois, a appris à les envelopper. Ce Cadet déploie une activité limités sur la scène de l'Atelier. Les trois actes de M. Marcel Achard ne durent pas un long temps; mais, dans sa courte apparition, il suffit à vivre, à se fixer dans notre souvenir, à y demeurer comme un compagnon fraterrel. Il semble que nous le retrouverons un jour, dans quelque café, comme on le voit au troisième acte, et que nous n'aurons qu'à lui serrer la main et poursuivre la conversation :

— Alors ?

— Voilà... Rien de neuf! Ça continue...

Il secouera sa grosse tête. Il parlera peinture, romans, femmes. Il aura des idées ingénieuses et fines sur des tas de choses, les mêmes regrets silencieux, la même prudence orgueilleuse et sans amertume.

Or, voyez-vous, j'ai beaucoup de reconnaissance à l'écrivain qui nous offre ces types familiers. Ils enrichissent une compagnie de rêve que nous nous formons durant notre vie et qui nous aident fort à la supporter.

La pièce est jouée à ravir par M. Michel Simon, qui donne une existence inoubliable au personnage de Cadet, et par Mlle Valentine Tessier, dont la grâce saine n'exclut pas ce rien de perversité qui convient à son rôle.

GÉRARD BAUER.

Voir à la page 416** une troisième liste complémentaire des concurrents admis à prendre part au Concours Eliminatoire de notre Grand Concours des Mots Croisés de Tristan Bernard.


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LES ANNALE8

LE S

L I V R E S

Frantz Funck-Brentano

L'Ancien. Régime

JAMAIS la vieille devise : Les ignorants apprennent et ceux qui savent aiment à se souvenir, ne s'appliqua plus justement qu'à ce livre, dont nos lecteurs ont pu déjà lire un si intéressant extrait dans Les Annales.

Cette étude, fouillée, complète, d'une érudition aimable, sur l'ancien régime, ce sera, je crois, pour les jeunes gens d'aujourd'hui, comme une véritable révélation de moeurs aussi oubliées que les traditions de l'ancienne Chaldée ou de la Chine. Pour ceux qui, comme nous, furent à cheval sur deux générations, qui datons de Philippe le Bel par l'avant-guerre, mais qui pouvons prévoir, dès aujourd'hui, ce que sera le monde scientifique dans cent ans, rien n'est plus prodigieusement évocateur que ce recueil d'anecdotes et de vues d'ensemble sur ce que fut l'ancien régime, depuis les origines du monde, pourrait-on dire, jusqu'au XVIIIe siècle. Car, à vrai dire, rien n'était changé depuis la préhistoire jusqu'à la Révolution dans le fond même des moeurs, dans l'organisation de la vie humaine, entièrement basée, non point sur l'individu, mais sur la famille.

La famille, c'était l'unité sociale, la petite patria qui groupait autour d'elle tous les services qui composent aujourd'hui les différents ministères d'un Etat : justice, armée, agriculture, commerce, instruction, etc. Cette famille romaine, gallo-romaine, ou franque, cette famille dont l'Etat ne fit que s'inspirer dans son organisation en devenant le père de tous les pères de famille, elle subsiste sans modification réelle jusqu'au règne de Louis XVI; car entendez bien que tout ne fut pas transformé dans le monde le jour où l'on prit la Bastille et que l'évolution moderne eût été tout aussi bien réalisée par le roi serrurier et par ses ministres que par la Révolution, si la noblesse (c'est-à-dire les familles), eût suivi la volonté du roi. On pourrait même affirmer que, par le choix de leurs ministres, par leurs luttes perpétuelles contre les grands, depuis Louis XI jusqu'à Louis XIV, ce furent, non point les rois de France, mais les vieilles familles françaises qui s'opposèrent à l'émancipation de l'individu. Or, tout est là, remarquez-le bien, dans le changement de régime : la substitution de l'individu à la famille.

Prenez les origines lointaines de la Révolution, qui remontent à la Renaissance, à la Réforme, vous constaterez que l'idée révolutionnaire n'est autre chose que l'idée de libre examen, la volonté d'affranchir l'individu de toute autorité morale. L'ancien régime, au contraire, tient tout entier

dans le mot famille, c'est-à-dire dans le principe d'autorité qui soumet l'individu aux volontés de ses parents, de ses ancêtres, aux traditions et aux moeurs établies.

Mais ceci nous entraînerait trop loin. Revenons, si vous le voulez bien, au livre de M. Funck-Brentano. On y trouve des anecdotes délicieuses, bien faites pour faire bondir jeunes gens et jeunes filles d'aujourd'hui.

Je n'en veux pour exemple que la façon dont les demoiselles recevaient leurs époux

des mains de leurs parents, sans qu'on les consultât. Comme on ne consultait pas les enfants, il semblait mutile, par ailleurs, d'attendre qu'ils fussent en âge d'être consultés, et les pères fixaient volontiers le sort conjugal de leurs enfants à leur naissance. Ainsi, de vieilles querelles de familles étaient souvent éteintes par une alliance.

Si les enfants pouvaient être fiancés en nourrice, on pouvait décider également de leur carrière. C'est ainsi que nous voyons un jurisconsulte accorder la main de sa fille au futur fils d'un conseiller, à la condition que ce fils ferait ses études de droit. Dès l'âge de raison, c'est-à-dire dès l'âge de sept ans, on pouvait fiancer les enfants. Lorsqu'il fallut marier Mlle de Blois, fille de Louis XIV et de Mme de Montespan, Mme de Maintenon dut la prendre sur ses genoux dans le cabinet du roi, tant elle tremblait comme une feuille en craignant une réprimande ; l'enfant eut peine à comprendre de quoi il était question lorsqu'on lui expliqua qu'il s'agissait de la marier.

Mlle de Montbarrey épousa, en 1779, le prince de Sarrebruck, qui avait douze ans et que l'on dut menacer du fouet et, d'autre part, accabler de pralines et de pistaches pour qu'il consentît à donner un instant la main à sa femme pendant les cérémonies qui furent, par ailleurs, magnifiques.

L'auteur nous raconte un mariage d'enfants qui eut lieu, jadis, dans un rustique manoir du département de l'Orne. Comme le repas de noces se prolongeait après la cérémonie à l'église, les très jeunes époux se levèrent de table; ils semblaient très sages quand, subitement, on entendit les cris de la mariée : son mari exerçait son autorité conjugale en lui flanquant des gifles, les deux enfants s'étaient disputés en attrapant des mouches ! Il fallut les gronder pour ramener la paix dans le ménage.

Chez les paysans, il en était! de même que dans la noblesse et dans la bourgeoisie. Rétif de la Bretonne est fort instructif à lire sur ce point; le langage de ses paysans est pris sur le vif.

Ecoutez ce père d'un jeune homme, amoureux d'une autre jeunesse que celle qu'on voulait lui faire épouser :

— Je suis ton père et tu seras père un jour. Si tu ne m'obéis pas, tes enfants ne t'obéiront pas non plus.

Le jeune homme hésita à faire violence à son coeur. Enfin, un soir, après la lecture de l'Ecriture Sainte, il dit :

— Mon père, vous en savez plus que moi, je viens vous dire que me voilà prêt à faire votre volonté. Priez pour moi, mon cher père, car j'avais une furieuse attache au coeur.

Eugène Grangié Gracieuse au Béret Bleu

Une gentille description de moeurs du pays basque, faite avec cette même sincérité, cette même simplicité dans la forme qui fit, jadis, la fortune d'André Theuriet.

L'héroïne, la jolie " Gracieuse au Béret Bleu », est la fille d'un riche fabricant de sandales. Fort coquette, elle affole un jeune homme qui l'adore, mais qui est pauvre. Gracieuse, qui a d'autres ambitions, fera un riche mariage avec un opulent Espagnol. Mais tout s'arrange pour le pauvre Dominique, qui se consolera en épousant Catiche, qui n'a cessé de l'aimer. Il deviendra contremaître dans une autre fabrique d'espadrilles.

Marcel Laurent La Défensive

Cet ouvrage, d'une lecture agréable, nous reporte aux temps paradisiaques de la vie parisienne, sous la douce tyrannie de Jules Grévy, puis durant la période mouvementée du boulangisme.

Dans les décors brillants de salons élégants, une femme fort belle excite la curiosité par son attitude énigmatique et calme; Testée veuve très jeune et ayant des affaires embrouillées, un conseiller de la cour l'avait éclairée de ses conseils; elle l'épousa pour

M. Frantz Funck-Brentano.


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conserver la protection de cet homme, qui serait pour elle « la défensive ». Comme le conseiller était fort âgé, on s'imaginait que; sa jolie femme devait chercher des consolations ailleurs; mais rien ne pouvait confirmer ces suppositions malveillantes, pas même les assiduités enviées du brave général Boulanger, dont le prestige enivrait les mondaines.

Après avoir résiste à tant d'hommages, elle sembla touchée enfin par la passion de Vincent Lormier et lui accorda un rendezvous; fou de bonheur, Vincent courut au rendez-vous, où il trouva le sage et vertueux magistrat, qui le convia à un entretien où il lui démontra la folie d'un irréparable avenir après un acte coupable que sa femme, très loyalement, avait voulu' éviter en employant, une fois de plus, la défensive de son conseiller.

Roman infiniment moral, on le voit, et dont toutes les jeunes filles d'aujourd'hui pourront conseiller la lecture à leur mère.

André Obey L'Apprend Sorcier

Le roman ne va pas assez vite pour un écrivain moderne qui veut aborder tous les sujets et tenter de résoudre les innombrables problèmes d'après guerre qui se posent devant nous.

Le livre que nous donne, aujourd'hui, l'auteur de L'Enfant Inquiet et de Savreux Vainqueur est donc une sorte de manuel dé géométrie psychologique où défilent, en courts théorèmes, la plupart des questions contemporaines. Il y a là beaucoup d'idées, de sincérité, de bonne volonté, d'esprit résolument; moderne, de bon sens et de bonne foi. Gustave Kahn

Contes Juifs

Voici qui nous change un peu des livres d'anecdotes publiés" ces temps derniers et qui rappellent un peu trop les " recueils de bons mots et de calembours pour le Jour de l'An ». Ce n'est plus cette sécheresse de mots d'esprit trop rapides, bien qu'amusants, mais qui fatiguent à la longue, ce sont de véritables contes juifs fort bien écrits, bien observés, et qui nous offrent une sorte d'aperçu historique de l'histoire hébraïque, car ils sont de toutes les époques, à commencer par les légendes bibliques. Dès le début, nous voyons apparaître le fantôme de Schimme Schverous, l'infatigable marcheur, conteur inépuisable, car il a tant de vieux souvenirs ! Puis, c'est le récit de La Fille de Jephté, les gracieuses histoires de Booz et Ruth, celles du Mariage d'Isaac, puis des contes plus modernes fort divertissants, comme Les Desserts du Rabbin, Tout arrive, Psychologie, etc..

On retrouvera là toutes les qualités et tous les défauts de la race juive, l'esprit familial d'intérieur juif avec des épouses fidèles, des enfants respectueux, voire de bons amis, tant que la question d'intérêt n'est pas en jeu.

G. DE PAWLOWSKI.

BONNES FEUILLES

Les Jeux Dangereux

Les jeux dangereux : ce sont évidemment ceux de l'amour; et c'est ce que M. Henry Bordeaux, dans le très beau livre qu'il vient de faire paraître (1) prouve avec une force irrésistible.

Une jolie Française de vingt ans, fille d'ambassadeur, aux allures vives et libres, Mlle Claire de Maur, est courtisée de tous côtés : les vieux et les jeunes, les diplomates et les professeurs, les marquis étrangers et les sportifs français, subissent l'enchantement de ses yeux clairs, de sa grâce menue, de son visage « joli, gracieux, frisé, pomponné, poudré, carminé, bouclé ». Entourée d'hôtes cosmopolites venus à Mürren pour bercer leur ennui, Claire dans un décor féerique de neige dominé par la Jungfrau, évolue, inaccessible et frivole, à peine divertie par les flirts et jeux d'amour qui sont la principale occupation des habitués de ce palace.

C'est que Claire de Maur a son secret : un grand et grave amour avec lord Musgrave diplomate marié, infiniment plus âgé qu'elle, mais esprit supérieur dont elle subit impérieusement l'ascendant. Le souvenir qu'elle garde de ses nobles et charmants entretiens lui fait paraître d'une fadeur insupportable les puérils propos des joueurs de golf ou de tennis, aussi bien que les galanteries plates et brusques des skieurs, patineurs et lugeurs. Dans son jardin secret elle cultive son rêve, « le bonheur caché » qui magnifie sa vie et suffit à l'emplir.

Avec une maîtrise incomparable, M. Henry Bordeaux a voulu qu'au coeur de cette société vaine, un amour d'une qualité étrange et rare grandît dans la pureté. Le galant homme qui l'a inspiré — et c'est la profonde originalité du roman — bouleversé par les plus délicats scrupules, trouve la force de résister à sa passion... Au lieu de rejoindre Claire à l'hôtel de Mürren, comme il était convenu, il part pour les Indes sans l'avoir revue. Situation racinienne et qui a valu à Claire une lettre qui peut compter parmi les plus pathétiques que jamais homme ait écrites à la femme qu'il aimait.

Y. S.

LE SECRET DE CLAIRE DE MAUR

IL Y AVAIT LONGTEMPS qu'ils ne s'étaient point rencontrés. Une fois encore il avait tenté de la restituer à elle-même, dût-il perdre ses derniers plaisirs. Claire l'avait supplié et il avait fini par promettre de venir passer huit ou dix jours à Mürren avant de s'embarquer à Marseille pour les Indes. Elle l'attendait, toute secouée par cette attente. Elle avait si longtemps combiné ce rendezvous : sa mère, obligée de revenir à Berne, la devait laisser seule. Et voici qu'après bien des tergiversations il abandonnait la partie et lui écrivait une lettre déchirante.

...Une enfant, lui disait-il, qui n'a pas la moitié de mon âge m'a offert pour toujours sa jeunesse et sa beauté. Elle consent à vivre dans mon ombre et à se contenter des rares joies que je lui puis donner. Elle tend vers moi toute sa vie, comme ces fleurs de lotus que nous avons vues sur les étangs d'Egypte, qui se tendent vers la lumière et qui faisaient publier leur patrie aux étrangers. Ma bien-aimée, j'ai commis la lourde faute d'accepter la

prodigieuse offrande. Mais je vous aime assez pour vous sauver de moi-même qui ne puis être le but de votre destinée. L'amour à mon âge n'est pas toujours contraire à la raison. Il n'est plus aussi égoïste qu'au temps de la jeunesse. Je vous aime plus que mon bonheur. Je vous aime jusqu'au sacrifice...

Vous aussi, vous allez souffrir. Quoi que vous puissiez ressentir, votre jeunesse est là que je n'ai plus. Laissez-moi à mon isolement. J'en avais l'habitude avant votre venue et je sais le chemin où il conduit. Pleurez-moi comme on pleure un mort. Gardez-moi un sanctuaire dans votre coeur et après une prière quotidienne soyez libre. Un noble amour qui se dénoue noblement ne peut pas nous diminuer ni nous affaiblir...

S'il m'arrivait pourtant de parler publiquement de la France, peut-être vous apercevrezvous, Claire, à un certain accent que vous n'êtes pas oubliée dans la nuit de notre amour.

De nouveau Claire de Maur laisse tomber la lettre. Elle ne s'évanouira plus. D'ailleurs, elle ne s'est évanouie que parce que son accident l'a laissée toute languissante. Elle n'a jamais manqué de courage. Elle a déjà reçu précédemment de ces tristes messages d'adieu. Mais cette fois, à quelque chose de brisé dans l'accent, elle devine à distance que lord Musgrave s'est arraché le coeur. Les scrupules, venus d'un arrière-fonds de puritanisme, ont été les plus forts. Ou peut-être la pitié pour lady Musgrave plus malade. Ou peut-être la lassitude de combiner à travers la terre leurs lointains rendez-vous et de mener une double vie compliquée. Ou plus simplement l'horreur du mensonge qui, à un certain âge, devient intolérable. Que sait-on des coeurs et des amours? Il exige d'elle un semblable sacrifice, une pareille volonté d'exécution. Il va partir et il ne reviendra pas vers elle.

« Ah! que les hommes, songe-t-elle dans sa douleur, connaissent mal l'amour d'une femme! Mais je l'aurais attendu cinq ans, dix ans. Pourvu qu'il consentît à m'aimer, à se laisser aimer, je l'aurais attendu jusqu'à mon dernier jour. Je me serais contentée de si peu! Le voir de temps à autre m'aurait suffi, le voir et découvrir sur son visage un reflet de notre tendresse, une de ces lueurs qui ne trompent pas sur un cher visage connu. Il me rend ma vie et que veut-il que j'en fasse, maintenant qu'il s'en est retiré? Ma vie, ma pauvre vie, il me semble déjà qu'elle me quitte... »

Va-t-elle se laisser glisser dans le désespoir comme un corps mou dans la neige? Un souvenir va la protéger. Dans l'allée de ce parc de Windsor où ils étaient retournés en pèlerinage, elle avait tenté, ce jour-là, de provoquer la jalousie de lord Musgrave en lui annonçant qu'elle avait été demandée en mariage. Il l'avait engagée à donner suite à ce projet.

— Et si je m'éloigne, avait-elle dit, que ferez-vous?

— Je continuerai de travailler.

— Sans regrets?

— Mes regrets ne regardent que moi. Vous n'en serez jamais importunée, Claire. On n'est pas digne d'aimer comme je vous aime si l'on n'est pas capable de porter sa douleur.

Elle se répèle cette phrase qui vient de lui et, par là même, revêt un sens plus direct : On n'est pas digne d'aimer si l'on n'est pas capable de porter sa douleur. Il n'admettait ni la plainte ni la révolte. Il fallait accepter le fardeau, comme on accepte la vie et la mort. L'amour est une fatalité à quoi il faut se plier, mais sans faiblesse. Sans faiblesse?

(1) Les Jeux Dangereux. Plon, éditeur.


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Elle sanglote et voudrait crier. Si elle ne crie pas, c'est pour ne pas attirer l'attention de sa mère réfugiée dans la pièce voisine. Elle mord son mouchoir qui lui sert de bâillon pour que, du moins, sa solitude me soit pas troublée. Personne ne sera témoin de son martyre. El même elle évitera de répandre trop de larmes afin de ne pas gonfler ses paupières et abîmer ses yeux, afin de ne pas être raide quand elle reparaîtra ce soir même, au restaurant et au bai qui doit clore la série des courses. Car elle y reparaîtra. Robert, le cruel Robert, le maître tient elle est l'esclave soumise et dont elle baiserait la main levée pour frapper, l'exigerait. Pas de signe extérieur, que tout se passe au dedans : à ce prix, on porte sa douleur. Elle aussi, elle s'excite à la résistance en demandant secours à sa mémoire. Ces vers de la Mort du Loup, il les avait luimême traduits en anglais après les lui avoir entendu réciter :

Gémir, pleurer, prier est également fâche.

Fais énergiquement ta longue et lourde tâche

Dans la voie ou le sort a voulu t'appeler.

Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.

Elle souffrira jusqu'à la mort, s'il le faut, sans parler. N'a-t-elle pas su garder leur cher secret, leur lourd secret, leur secret d'amour ? Le monde les a soupçonnés, le monde ne les a jamais découverts. Elle passe dans le monde pour une jeune fille trés moderne, libre et coquette, mais indifférente, parce qu'elle s'habille à merveille, connaît dans tous ses détours l'art de plaire et ne décourage personne sans jamais choisir. Que de fois, pressée dans un coin de salon par quelque prétendant indiscret à sa main droite ou à sa main gauche, — sait-on jamais aujourd'hui? — n'a-t-elle pas éprouvé une envie folle de l'arrêter pour lui confier gravement la passion de sa vie! Tandis qu'elle se contentait de sourire, ce qui prête à diverses interprétations. Elle a même peu à peu comblé les vides de l'absence par des ébauches de flirt effacées les unes par les autres, comme un peintre refait sans cesse les esquisses d'un tableau qu'il n'a pas le désir de peindre. Elle a même pris goût à ce jeu. Lord Robert Musgrave s'en était aperçu. Un jour, il lui avait montré dans la correspondance de Benjamin Constant ce passage d'une lettre adressée à Mme Récamier : « Chacun a moyen de nuire, et chacun est également coupable quand il s'en sert, depuis l'homme qui poignarde jusqu'à la femme qui veut s'assurer de son charme au risque de l'agonie à laquelle elle abandonne ensuite le malheureux qui s'y est laissé prendre. »

— Alors, avait-elle dit simplement, laissezmoi vous aimer toujours et publiquement.

Mais il avait hoché la tête, et elle avait lu clans ses yeux brun et or, mélancoliques et beaux comme ces parcs des environs de Londres où ils aimaient se promener, les jours d'automne, cette lassitude de la lutte perpétuelle qu'il soutenait en lui-même contre son amour.

Une autre fois, ils lisaient ensemble The Ballad of Reading Gaol et ils s'arrêtèrent d'un commun accord sur celte phrases : Yet each man kills the thing he loves (1).

— Est-ce vrai, lui Avait-elle demandé, vous qui savez?

Et il avait répondu :

— C'est vrai.

Et voici qu'il tuait en effet ce qu'il aimait.

HENRY BORDEAUX,

de l'Académie française.

J'Ai REÇU, à propos d'un récent caquet sur le cinéma des Ursulines, une lettre de M. René Clair, que j''avais nommé comme le directeur de l'établissement. Le jeune metteur en scène rectifie d'abord ce point. Son nom ne figure sur l'affiche qu'en qualité de coauteur d'Entr'acte, qu'il a réalisé d'après un scénario de Francis Picabia. Les directeurs sont ses amis Armand Tallier et Laurence Myrga.

Mais, parlant ensuite de ce qui intéresse tous les amis et les défenseurs de l'art muet, à cette heure si grave pour le cinéma français, M. René Clair m'écrit :

Dans cette petite rue des Ursulines et dans quelques coins de Paris se prépare la contreoffensive dirigée contre les mercantis de la pellicule. Il est temps de rappeler que le cinéma n'est pas qu'un commerce. C'est un art qui meurt étouffé sous la publicité et faute d'une critique. Si la critique théâtrale — toute gâtée qu'elle est — était faite comme la critique des films, ce sérait la fin du théâtre français en quelques années. Il faut que le cinéma soit un Hercule au berceau, bien fort pour résister à tant de compromissions, de vulgarité, de vénalité et de bêtise.

On ne saurait mieux dire, et cela prend, sous la plume d'un cinéaste, une valeur singulière. La question ainsi posée mériterait d'être étudiée au cours d'une sérieuse enquête, et resolue, car elle apporte peut-être, comme le croit M. Clair, avec qui j'ai eu l'occasion d'en reparler, un espoir... Espoir fragile, mais espoir de modifier la situation critique dans laquelle se trouve, pour longtemps, aujourd'hui, le cinéma fonçais.

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Mais, direz-vous, pourquoi le cinéma français, découverte essentiellement française, dont on vient de fêter officiellement le trentenaire, connaît-il ces heures critiques, et pourquoi désespérez-vous, actuellement, de son salut ?

C'est malheureusement très simple, et vous allez l'admettre tout de suite.

Le cinéma est effectivement un art, probablement un grand art, mais c'est d'abord, hélas! une industrie, et une industrie qui consomme d'importants capitaux. A moins de connaître un succès éclatant, un film français — j'entends un grand film, dont la réalisation a coûté une fortune — ne peut pas être amorti par sa seule vente en France. Il faut qu'il puisse être acheté à l' étranger, et le seul étranger qui compte sur le marché cinématographique mondial, c'est l'Amérique. Or, l'Amérique n'achète pour ainsi dire aucun film français. .Pourquoi?

L'Amérique compte un nombre prodigieux de salles. Les films qu'elle édite, dont vous

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connaissez le caractère sentimentalo-romanesque, et qui ne doivent, le plus souvent, qu'au talent ou qu'à la beauté des interprètes de présenter un intérêt artistique, se trouvent amortis par leur seule location en Amérique. A partir de ce moment, les Américains peuvent donc lancer, sur le marché européen, des films qui ne leur coûtent exactement plus rien, à des prix défiant toute concurrence... Les loueurs français n'hésitent pas. La plupart d'entre eux, indifférents à la qualité d'un scénario, et surtout convaincus que le public est encore moins exigeant sur ce chapitre, prennent les films américains et découragent ainsi les artistes français...

Cela ne fut que la première phase. Nous sommes, aujourd'hui, plus gravement menacés encore, s'il est possible. Après quelques années de ce régime trop sec, l'Amérique craignit que, tout de même, les spectateurs français ne manifestassent quelque lassitude devant la production américaine, monotone et puérile, et quelque irritation à voir les cinéastes français condamnés à l'inaction. C'est là que se place l'arrivée, à Paris, de la paissante Société Paramount, c'est la qu'entre en jeu son extraordinaire influence. Nous la verrons, l'an prochain, inaugurer en plein coeur de la capitale, sur l'emplacement du Vaudeville détruit, une des plus vastes et fastueuses salles de cinéma que nous possédions. La Paramount, dirigée d'ailleurs par des gens de goût, grâce à des millions dont le cours du dollar la rend aisément prodigue, a donc pu acheter des immeubles dans Pars, s'intéresser à la production française, et même éditer du film français, conçu et tourné par des artistes français qu'elle emploie, — mais film français, naturellement susceptible d'être exporté en Amérique, c'està-dire film français soigneusement êdulcoré, émondé de ce qui limiterait ou compromettrait son succès en Amérique...

Tout commentaire serait superflu, et vous comprenez, maintenant, que la crise n'est pas près d'être dénouée.

S.

Pourtant, la thèse soutenue par M. René Clair nous apporte le seul espoir... M. René Clair croit que la lutte est encore possible, et qu'il est permis de sauver et d'entretenir le prestige du cinéma français, pendant cette période critique où la situation de notre film d'art est fonction, comme tant d'autres, de la situation économique et de l'état du franc...

Il s'agit seulement de faire oeuvre originale, et si nettement française par l'esprit, que l'étranger soit obligé de l'exporter. Cela est hors de doute. Le grand succès d'art ou de nouveauté de films comme Le Cabinet du Docteur Caligari, La Charrette Fantôme, Les Niebelungen, etc., ont forcé les acheteurs étrangers à sortir de leur politique protectionniste. Le jour où le film français sera défendu, illustré et servi par une vraie critique, où, lorsqu'une oeuvre d'art de grande valeur surgira, elle provoquera dans la presse quotidienne le même mouvement qu'une oeuvre littéraire ou dramatique de même classe, ce jour-là. le cinéma français sera provisoirement à l'abri du danger de mort qui plane sur lui. C'est la vérité même, et il faut féliciter M. Clair de combattre pour elle.

(1) En ce monde, chacun tue ce qu'il aime.


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Promenades d'un Curieux

LES MUSÉES DE LYON

L'AME D'UNE VILLE est dans son musée. C'est là que, tout d'abord, se doit rendre le visiteur, curieux de la mieux connaître. Il y trouve un parfait raccourci des moeurs et du goût des générations successives, le caractère essentiel de la cité. Parmi nos grands musées provinciaux, nuls ne me semblent davantage témoigner des caractéristiques locales que les beaux musées de Lyon. Vastes, largement aménagés, tenus avec un soin méticuleux, amplement pourvus de chefs-d'oeuvre libéralement représentatifs des écoles et des tendances les plus diverses, ils respirent à la fois l'opulence, la variété, le choix. Ils ont emprunté à toutes les époques les plus hautes de l'art des morceaux superbes, des pages décisives : ils en ont composé un bouquet savant, une anthologie encyclopédique en quelque sorte, où le respect des grandes oeuvres du passé se double et se prolonge d'une intelligente compréhension de la beauté la plus nouvelle, la plus audacieuse. Vous y trouvez, en outre, un groupe à part, d'une originalité charmante et savoureuse : celui des artistes lyonnais ou d'origine lyonnaise, qui ne sont pas toujours bien connus hors de leur natale patrie, et que l'on découvre sur place avec une surprise et une admiration égales. Ainsi, la vieille cité laborieuse et commerçante a fait, avec un culte jaloux, de ses musées, les plus riches fleurons de sa couronne, et elle en peut tirer, aux yeux du monde, une légitime fierté.

Le musée des Beaux-Arts de Lyon n'est pas extrêmement ancien. Etabli dans les bâtiments de l'abbaye des dames bénédictines de Saint-Pierre, élevés au XVIIe siècle par l'excellent architecte avignonnais de la Valfenière, ce musée date de la Révolution, et plus exactement du Consulat. Enrichi d'acquisitions sévèrement triées et de dons généreux au cours du dernier siècle, il en représente l'esprit de choix le meilleur et le plus large. Autour d'un jardin paisible et charmant, les antiquités, les inscriptions latines, les fragments d'une de nos plus riches collections épigraphiques sont disposés dans le cloître. L'archéologie, la sculpture, le mobilier, les dessins, les estampes occupent une vaste partie du palais. Mais c'est à ses galeries de peinture que le musée doit sa plus juste renommée.

Les primitifs y sont d'abord excellemment représentés, et plus particulièrement encore l'art du XVe siècle, avec l'admirable triptyque de La Vierge et l'Enfant Jésus, attribué à Memling; Le Couronnement de La Vierge, d'un maître inconnu, vraisemblablement bourguignon; le Saint Jérôme d'Ercole Roberti; le panneau central de L'Ascension du Pérugin, dont M. Henri Focillon (voir son intéressante plaquette : La Peinture au Musée de Lyon) a raison de réclamer les parties détachées, exilées à Paris et à Rouen...

Pour le XVIe et le XVIIe, Tintoret, avec deux grandes pages : La Vierge et l'Enfant au Milieu de Saints et sa magnifique Dancé; Véronèse, avec Bethsabée et un délicieux chef-d'oeuvre : Moïse sauvé des Eaux; Carrache, Ribéra, Greco, Cranach, Van Cleve; Rubens, avec La Colère de Jésus-Christ; les Hollandais Miereveld, Van Beyeren, Berchkeyden, Van Goyen, Van de Velde ; Jordaens, avec sa Visitation; Breughel, Snyders. Van der Helst, représentent là, avec bonheur et diversité, les grandes écoles étrangères de l'âge classique, auxquelles le musée de Lyon peut sans crainte opposer une sélection parfaite de l'école française. Vous y retrouverez les pénétrants portraits de Clouet, de Le Nain, de Philippe de Chempaigne, de Corneille de Lyon, de Rigaud et de Largillière ; Claude Lorrain, et son inoubliable Embarquement de Sainte Pauline à Ostie; Tocqué, Greuze, Jansenet. Desportes, Huet... Puis, au XIXe siècle, de David aux impressionnistes, quelques- unes des toiles les plus importantes qui aient été peintes en France depuis cent ans. Voici le délicieux Prud'hen. ici portraitiste (Mlle Anthony) , là, décorateur historique (Le Triomphe de Bonaparte). Voici David et sa Femme du Peuple; Géricault, et sa célèbre Folle; la Corinne au Cap Misène, de Gérard, qui décorait la chambre de Mme Récamier à l'Abbaye-aux-Bois ; la voluptueuse Odalisque couchée de Delacroix, et ses Derniers Moments de Marc-Aurèle; des études d'Ingres; un des plus émouvants chefs-d'oeuvre de Corot : L'Atelier du Peintre, et sa femeuse Rue des Saules; Les Amants Heureux, de Courbet; et Ricard, et Daubigny, et Manet, et Daumier, et Millet... Enfin, un ensemble extrêmement abondant et bien choisi d'impressionnistes, où figurent Renoir, Monet, Berthe Morizot, Sisley, Carrière, à côté de Fantin-Latour et de Cazin, et des plus récents Gauquin, Raffaëlli, Irman, J.-E. Blanche...

Le groupe des artistes lyonnais n'est pas le moins intéressant du Musée de la place des Terreaux. C'est même là seulement que l'on peut apprendre à connaître ces charmants peintres, excellents par la technique et la vision, qui se nomment Carrand, Vernay, Ravier, Guichard, le gracieux Bellet du Poisat, Boissieu, Grobon, dont une heureuse exposition d'art lyonnais, organisée à Paris l'an dernier, vint apprendre à beaucoup d'amateurs les mérites divers et quelquefois, même, les noms. Nous avions mis à part celui d'un peintre étonnamment doué, Seignemartin, mort trop jeune, mais qui, par la couleur, le mouvement, la matière opulente et le faire enlevé, rappelle à la fois Delacroix, Chassériau et Manet, et qui, s'il eût vécu, eût conquis une place peut-être importante dans la génération qui a immédiatement

immédiatement l'impressionnisme. Flandrin et le fougueux Chenavard, dont l'esquisse de La Convention témoigne d'un assez remarquable tempérament, sont plus connus ; mais c'est a Lyon seulement qu'on peut se faire une plus juste idée de leurs talents, méritoires, bien que de second plan. Par contre, faut-il signaler, au sommet de l'école lyonnaise, le pur et grand décorateur Puvis de Chavannes, dont les nobles compositions, le bois sacré, la vision antique et l'inspiration chrétienne ornent avec une sereine majesté le grand escalier du musée?... Ne quittons pas ce bel endroit sans avoir au moins rappelé que, parmi ses oeuvres sculptées, figurent quelques-uns des plus admirables morceaux de Rodin ; et, entre beaucoup d'autres morceaux de son art exquis, le délicieux buste de Mme Récamier du sculpteur lyonnais Chinard.

Nous avons, au début de ces lignes trop hâtives, parlé des musées de Lyon : c'est qu'il faut, en effet, en visiter un autre, après celuici. Un musée sans égal au monde, amusant comme un bibelot, et dont les femmes généralement, sont ravies : le musée lyonnais par excellence, le Musée des Tissus. Nulle part mieux qu'en la ville des soies, on n'eût pu consacrer un temple plus approprié à l'art délicat du tisserand. Dentelles, lampes, soies brochées, velours imprimés ou peints, brocarts, brocatelles, salins, lourdes chapes d'Espagne ou d'Italie parfilées d'or, dalmatiques, tissus égyptiens vieux de deux mille ans, broderies persanes, chinoises ou japonaises, tapis d'Orient laineux et moelleux sous la main comme chatoyants au regard, composent sur ces murs, de toutes leurs nuances juxtaposées, assourdies par toutes les fanures du temps, une orchestration puissante et savoureuse. El tandis que les yeux, divertis, poursuivent parmi ces étoffes les fantaisistes jeux d'une ingéniosité et d'une fantaisie infatigablement renouvelées, l'esprit goûte un plaisir sans rival devant ces vitrines où sont conservés ces témoignages émouvants de la plus gracieuse et de la plus innocente industrie humaine, celle qui ne se propose que de plaire et que d'embellir...

EMILE HENRIOT.

Nous avisons nos correspondants qu'il ne sera répondu désormais qu'aux lettres contenant l'affranchissement de retour. Aucune lettre n'aura de réponse, même au courrier de Cousine Yvonne, qui est innombrable, si le timbre pour cette réponse n'y est joint. Nos correspondants de l'étranger ne disposant pas de timbres français peuvent remplacer ceux-ci par un coupon-réponse international.


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LA VIE QUI PASSE

LE REPORTER ET LE POLICIER

IL Y A PEUT-ÊTRE, à Paris, des personnes n'ayant eu, de leur vie, affaire à la police. Elles sont rares. Car chacun a, plus ou moins, eu besoin de faire légaliser une signature au commissariat, demandé son chemin à un agent ou lu, dans les journaux, que les inspecteurs suivaient le criminel à la piste.

Mais, hors ça, nul ne sait, en général, ce que c'est que la police — ce gros motet n'a de relations avec les policiers, — ces énigmes. J'ai été comme ça, moi aussi. Et je fus très longtemps à confondre un gendarme avec un gardien de la paix, et un garde champêtre avec un limier.

C'est l'affairé Landru qui commença mon instruction policière. Je la découvris en même temps que la police mobile, première brigade de la Sûreté Générale, M. Bichon, son chef, et ses locaux, rue Greffulhe. Les recherches à Gambais et à Vernouillet me rendirent familière la fine équipe : Daubel, commissaire, mort depuis; Belice, Braudesberger....

Chaque jour que dura l'aventure, tous les reporters allaient voir ces policiers-là, les questionnaient, les soumettaient à l'interview, à la torture, et du Matin au Journal, de L'OEuvre à L'Intran et du Petit Parisien au Petit Journal, en passant par L'Agence Havas, L'Echo de Paris, La Presse, La Patrie et Bonsoir, remplissaient leurs feuilles de leurs exploits.

L'affaire Seznec me révéla une autre équipe, arrivée à Morlaix de là rué des Saussaies : le commissaire Vidal, à la joviale tournure de ténor toulousain ; Boni, licencié en droit ; d'autres encore. Et cela me donna le désir de connaître l'organisation de la police entière.

Pas facile! D'abord, la police, qu'on voit, dans la rue, MM. les flics, pour parler argot, c'est le plus facile. Police municipale de gardiens de la paix, chargés d'assurer l'ordre, la circulation des voitures, et de faciliter aux nourrices la traversée des rues. Uniforme connu, sombre et sympathique, cohortes que, depuis dix ans et plus, dirige, de la Préfecture de Police, M. Guichard, directeur. Mais Paris n'a pas que cette police-là. Il s'en faut. On y compte soixante-quinze commissariats pour quatre-vingts quartiers, plus vingt commissariats d'arrondissement et huit commissariats de districts. Et l'on petit y ajouter vingt et un commissariats de banlieue, qui, d'Asnières à Ivry et de Saint-Denis aux Lilas, y compris Sceaux, Vanves et Vincennes, dépendent du préfet, tout comme le commissariat Lacordaire, celui des Epinettes ou celui de SaintGermain-l'Auxerrois.

Et tout cela forme déjà bien du monde. Mais ce n'est pas près d'être tout. Cette policelà, c'est la plus bénigne, si j'ose dire, et ce n'est qu'un petit monde de l'Etat dans l'Etat qu'est en fait l'empire de M. Naudin.

Quand, reporter, j'eus noté toutes ces adresses, avec le numéro de la rue; et celui du téléphone, et quand jeus pénétré dans tous ces bureaux, je n'étais pas au bout du compté. La police judiciaire m'attendait. C'est elle qui, directement, travaille pour la justice, recherche les criminels, les traque, les arrête, et, parfois, tombe sous leurs coups. Huit brigades, toutes en civil : spéciale, voie publique, moeurs, notes, stupéfiants, mandats, garnis, districts. La première fait souvent parler d'elle. Brigade « des as », dont le brigadier-chef Bethuel est le plus souvent nommé. La seconde a Didier, chevalier

chevalier la Légion d'honneur, pour héros connu du public, et certains commissaires sont renommés : Faralicq, Barthélemy son successeur, Guillaume, Caron, etc.

Tous les grands faits divers récents furent de leur ressort. Et il n'est pas un seul reporter digne de ce nom, « ramasseur de chiens écrasés », — c'est le titre, — qui n'ait eu avec eux de fréquents rapports. Le « Syndicat des Colonies », qui assure aux journaux les nouvelles de banlieue, les fréquente, comme les « Informateurs Parisiens », préfecturiers, qui habitent un local, « la cage », avec téléphone, boulevard du Palais, et éditent une plaisante revue annuelle : La Tour Pointue.

Est-ce tout ? Non. Il reste les « Renseignements Généraux », sous les ordres de M. Lebreton, qui s'occupent de police administrative. Et ça suffirait pour Paris, s'il n'y avait, en outre, la Sûreté Générale, au ministère de l'Intérieur, et qui diffère absolument de ce qui précède, comme les fantassins diffèrent des artilleurs.

Créée par le célèbre Vidocq, et dirigée par M. Chiappe, elle surveille, elle, tout le territoire. Administrative et judiciaire, elle fut refondue par M. Sébille, en 1908, sur l'ordre de Clemenceau. Elle n'a, à Paris, que le contrôle et deux brigades. Le reste — la « police mobile », pourvue d'autos, de casiers, d'ateliers photographiques, de commissaires et d'inspecteurs — forme dix-sept brigades rayonnant par régions, dont la première est à Versailles et la dernière à Rouen. Il en existe à Lille, à Caen, à Angers, à Orléans. Il y en a à Toulouse; à Marseille, à Bordeaux et à Clermont-Ferrand, à Dijon et à Lyon, à Rennes et à Châlons, à Montpellier, à Nancy et à. Strasbourg. Mais chaque préfecture a, aussi, son commissaire spécial, comme les gares, les frontières et les ports.

C'est très utile. Je le dis sérieusement. Toutes les villes ne peuvent pas avoir, comme Paris, une police payée par l'Etat et la Ville, ou, comme Lyon, Marseille et Toulon, une police d'Etat. Il faut donc que le reporter chargé d'enquêter sur un crime sache où s'adresser quand le train le dépose en pays inconnu. Trois ressources : le parquet, la maison du crime et ses témoins, le commissariat ou la gendarmerie. Il faut aller vite. La rotative attend; sa provision de nouvelles, et le télégraphe est; prêt à transmettre la dépêche de presse griffonnée à la hâte. Si le journaliste perd du temps, s'il n'est pas capable de téléphoner, un quart d'heure après son arrivée, tous les détails, ce n'est pas la peine qu'il se dérange : ses lecteurs savoureront le récit du crime dans un autre journal.

Mais comme, avec tant de « relations » faciles au débotté, si l'on connaît « la combine », la tâche est aisée! Le policier, bien entendu, ne doit rien dire. Et il ferait beau voir qu'il parlât! Mais, depuis l'époque où M. Lozé, préfet de police, refusait aux journaux jusqu'aux chiens écrasés, la veille, dans la capitale, la presse a fait son chemin, et le reporter vit en bons termes avec le policier. Ils s'estiment tous deux à leur juste mesuré, se savent débrouillards, hardis, rapides, dévoués. Le fait divers est leur commune pâture : l'un, pour le raconter; l'autre, pour atteindre le coupable. Ils « constatent » ensemble le délit, relèvent les empreintes digitales et suivent du même élan le fuyard, Le journaliste est plus

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pressé, l'inspecteur plus méticuleux. L'un travaille: pour l'actualité, l'autre pour la justice. Ça ne les empêche pas de s'entendre.

Et voilà comment, pour que la midinette dans le Métro, la mondaine dans son boudoir, le chauffeur, de taxi en station et le banquier dans son bureau aient " quelque chose » dans leur journal, les journalistes-reporters font bon ménage avec la police judiciaire, la Sûreté Générale et tous les commissaires, visitent, de temps à autre, le laboratoire de M. KöhnAbrest, le commissariat spécial des Halles, ou celui dès fraudes, rue de Lutèce.

La police, il est vrai, ne sert pas qu'à ça. Mais le surplus regarde les criminels : escrocs, bandits, assassins, cambrioleurs, trafiquants d'or, marchands de coco et coetera. Et c'est, comme dit Kipling, une autre histoire...

EMMANUEL BOURCIER.

LA MORT DE MANNOU (1)

Pauvre Mannou, ma fine chatte, Si jolie et si délicate, Qui mettais dans notre maison L'esprit, la malice et la joie De tes yeux verts et le frisson De ta longue robe de soie;

Mannou, toi que ma fille, un soir,

De ce nom avait baptisée,

Tout heureuse, et très amusée

De te ramener du trottoir,

Petit chaton qu'à notre porte

Avait laissé ta mère morte ;

Lutin familier qui suivais Tous nos exodes et vivais

Depuis dix ans, de notre vie, A table, au lit, dans le jardin, Cachée un moment, puis ravie De bondir devant nous soudain,

De nous intriguer du mystère

De tes fugues, et de te taire

Quand nous te disions: «D'où viens-tu?"

De nous tirer ta langue rose,

En t'accroupissant dans la pose.

De quelque petit sphinx têtu !

Voilà que d'une mort discrète

Tu meurs soudain ; et quand s'arrête

Ton petit coeur malicieux,

Je vois dans ta pauvre prunelle

Se ternir la splendeur des cieux

Et monter la nuit éternelle.

Pourquoi meurs-tu? De quoi meurs-tu? On ne sait. Le ronron s'est tu Dans ta gorge blanche et soyeuse ; En un léger souffle exhalé. Ce qui te fit souple et joyeuse, L'esprit subtil s'en est allé.

Pauvre petite chose inerte; Ton corps sous un peu d'herbe verte Va pourrir, au pied du grand if Où si souvent tu grimpas, folle, Croyant saisir d'un bond furtif L'oiseau qui gazouille et s'envole...

Mais rien ne finit dans un trou; Et ta petite âme, Mannou, Comme la nôtre impérissable. Loin de cet humble tas de sable Anime d'autres beaux yeux d'or Où le même mystère dort.

FRANÇOIS FABIE.

(1) Nom d'une chatte.


CONCLUSION (*)

POUR AMENER la pensée nouvelle, des lieux isolés où elle naquit, par l'entremise d'esprits médiateurs, à la conscience des masses, il faudra au moins cinquante ans. » Autrement dit, ce n'est ni aujourd'hui, ni demain, mais dans environ un demi-siècle que le mot République commencera à prendre pour les Allemands une espèce de signification! Cette malheureuse prophétie de Rathenau, entre tant d'autres aussi importunes, coûta la vie au baron d'industrie allemand, « mouché » par un bon coup de « parabellum », pistolet automatique, modèle 3919, pourtant strictement prohibé par la commission de contrôle des armements! Ah ! c'est que les jeunes gens « racistes » ne plaisantent pas avec les armes à feu.

Parlez-moi d'un Paul Loebe, président du Reichstag, social démocrate bon teint qui, lui, déclare .: « Nous-mêmes, gens de gauche, nous ne considérons pas les dispositions du Traité de Versailles comme immuables.! » Voilà un langage qui ne fera jamais tirer un pistolet de son étui, mais qui mérite les félicitations du kronprinz.,

Ou encore : « L'Etat de l'Europe est provisoire. » Tel est l'avis du Dr Otto Gessler, ministre de la Reichswehr, évidemment mieux placé que personne pour le savoir. Dans son esprit, ce « provisoire »-là est celui qui dure, comme un léger Français a osé le prétendre. Mille signes en avertissent. Soyez certains que d'ici quelques années, on nous fera comprendre d'avoir à marcher droit. Je me souviens des paroles courtoises du directeur d'une immense fabrique allemande de produits chimiques, de la plus grande peut-être, à la suite d'une visite, après un goûter dont l'effondrement du mark, alors, ne paraissait guère réduire la copieuse majesté. Devant l'étonnement de ses hôtes, qui, mi-sérieux, mi-badins, faisaient allusion à la formidable activité de ces usines intactes, gigantesque laboratoire des gaz asphyxiants de la dernière guerre, ce directeur en jaquette, sourit et assura, avec un tact que l'orgueil satisfait de la race réduit souvent :

— S'il y avait une nouvelle guerre, messieurs, cette fois il ne resterait pas un rat dans une cave, pas une araignée dans un grenier.

On a beau avoir un estomac en parfait

état, ne pas scruter anxieusement l'avenir comme un ciel d'orage, des paroles comme celles-là vous donnent la chair de poule. En 1918, au lendemain de notre victoire de pauvres, la joie d'en avoir fini, le bruit des clairons, l'insouciance de porter dorénavant l'uniforme comme un vêtement commode dans un pays stupéfait et qui s'attendait au pire, la nouveauté des garnisons rhénanes, permirent à toute la jeunesse française cet « à demain les affaires sérieuses! » qui convient si bien à notre tempérament sans rancune. Et puis, vraiment, l'Allemagne n'en menait pas large à cette époque! Il y a du vrai dans l'image de Thomas Mann, premier désappointé de l'échec militaire allemand : En 1918, le peuple allemand était mou comme un nouveauné. Seulement l'enfant a grandi, il marche depuis longtemps tout seul. De grandes personnes, pleines d'une louche sollicitude, l'ont tenu aux brassières pour lui permettre de tenter les premiers pas. Le miracle du « renten mark » a facilité son éducation et, à Genève, dernièrement, lorsque l'enfant a paru, « le cercle de famille applaudit à grands cris ». Oui, mais l'enfant portait des pantalons de drap militaire; il a « fait » une colère, un caprice, et tout le monde a essayé de le calmer. Aujourd'hui, il est trop « fort » pour recevoir des fessées! et les grandes personnes sont si lâches...

Sans me faire plus d'illusion qu'un autre sur les intentions d'un grand peuple, à la forte natalité, aux ambitions justifiées par une prospérité, une discipline, un travail incroyables, j'espérais bien que ceux de ma génération ne « remettraient plus ça », selon l'expression militaire consacrée par cinq ans de dégoût et de vie animale. Voilà que maintenant je n'en suis plus sûr du tout. Je peux bien vous dire où et quand j'ai senti la menace; vous ferez vous-même le départ entre mon imagination et ce que la réalité apporte de craintes.

C'est à Coblence, en juin 1925, le jour de la Fête-Dieu, jour où le Gott mit uns prend son sens plein, donne lieu à des manifestations familières, respectueuses, reconnaissantes. Aussi la ville est pavoisée aux couleurs du Pape. (A Coblence, la majorité de la population est catholique.)

Le mark-or, le plan Dawes, l'évacuation de Cologne désormais certaine, l'entrée prochaine de l'Allemagne dans la Société des Nations (à ce moment-là l'Allemagne n'aurait pas encore

encore poser ses conditions!) autant de preuves de bonnes dispositions du vieux Dieu allemand, un instant distrait, hélas! en 1918 Gott mit uns!...

Aux fenêtres des banquiers, des hauts fonctionnaires, des tapis de Turquie pendent entre deux candélabres d'argent; au croisées des pauvres, les descentes de lit s'offrent entre deux pots de géranium. Le son des cloches couvre le bruit des trompes et des klaksons. A dix heures, les rues se vident, toute circulation interrompue. La foule excitée cherche un uniforme, le désire; voici les pompiers que la frénésie populaire prend pour de vrais soldats et qui n'ont jamais été à pareille fête ! Toutes les croix de fer aux boutonnières, fleurs sinistres! Voici des jaquettes en zinc, des redingotes en tôle, des robes en fer-blanc. Tout est raide, dur, tout prend un aspect métallique. A perte de vue des crânes rasés, polis, frottés, à perte de vue, comme les pierres d'un torrent, sous le soleil de Saïgon! Les rues sentent la verdure fraîchement coupée, le coiffeur et le cigare de Hambourg; les trottoirs sont jonchés des ramures du chêne d'Arminius! Des bannières remontent la rue principale, noire dé monde, pertées par des officiers de réserve, au pas de parade. Où courentils? où tout ce flot va-t-il se jeter ? quelle est cette mobilisation? Une formidable économie d'enthousiasme va se dépenser sur un signe! d'un seul coup! La vue des drapeaux inoffensifs, immobiles sous le soleil haut, fait pâmer les vieilles qui ont vu 1870, qui ont vu 1914, qui verront... Des enfants sont habillés comme saint Joseph, comme Tannhauser, comme l'amiral Tirpitz !...

Un grand silence. La rue se vide. Les cloches reprennent leur bourdonnement : voici la procession qui débouche, en formation de combat. L'avant-garde, aux bicyclettes fleuries, jette à poignées des roses contre le soleil. L'Harmonie des facteurs, prisonniers de leurs cuivres, les joues en feu, tendues à claquer, joue une marche militaire. Une humanité! suante, hurlante, divisée en bataillons, en compagnies, en escouades, emplit à bloc la chaussée, comme un piston son logement.

Voici la garde du dais, le poing contre la hanche, serrant une invisible épée. Pas un instant l'idée d'une procession ne vient à l'esprit ; celle d'un défilé s'impose. Sur ce film de plein air, voilà que, sournoisement se révèle une surimpression. Les bannières se changent en drapeaux, les cierges deviennent des lances, les hauts de forme des casques de tranchée... Les

(*) Voir les numéros depuis le 7 février 1926.


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LES ANNALES

croix de fer n'ont pas bougé. On n'apercevait d'abord pas les fusils, mais voici que peu à peu les canons s'attellent, que l'allure s'accélère, que tout le rapport Walch (c'était l'époque de sa publication, mais qui s'en souvient?) s'anime, s'ordonne silencieusement comme un ballet, et la grosse figure d'Hindenburg, soutenue aux bajoues par un col militaire à parements, s'avance, s'avance, mange toute la pellicule...

C'est sans doute à des chimériques de mon espèce, qui arrangent la réalité selon leurs désirs ou leurs craintes, que le reproche de Stresemann s'applique :

« Nous voyons comme se forme dans l'esprit de la France une caricature de l'Allemagne que nous ne connaissons pas : une Allemagne puissamment armée quand il n'y a qu'une impuissance militaire chez elle ; une Allemagne riche quand nous regrettons la destruction de la fortune allemande et des économies de millions de concitoyens; bref, on comprend à peine en France ou mieux, on nie, des pensées qui doivent rester vivantes en nous. »

« Des pensées qui doivent rester vivantes en nous. » Quelles pensées? A la façon dont la République allemande s'y prend pour donner du poids, du sérieux, de la vraisemblance à sa constitution démocratique, on pourrait aisément s'y tromper! Quelle génération prépare-t-elle avec ses manuels d'école et ses moeurs universitaires? Espère-t-elle réellement faire détester à la jeunesse un régime déchu envers lequel elle est pleine d'égards et de ménagements? Que conclure des largesses dont elle comble l'ancien « seigneur de la guerre? » Peter Scher, dans le Simplicissimus va nous le dire :

« Salut à toi, Guillaume, qui portes la couronne du vainqueur...

Une couronne qui ne se flétrira jamais. Vas-y! La vache de la Patrie allemande, Tu peux la traire. Vas-y!... »

« Il faudra au moins cinquante ans! » pronostiquait Rathenau... Au train dont va la République allemande voilà un délai dérisoire! La terrible leçon de la guerre s'oublie et, tel un joueur perdant qui n'a plus d'espoir que dans un nouveau coup, l'Allemagne attend de placer sa mise. Tout se réduit à une question de moment et de chance.

Un jour, les mains françaises qui cherchent, encore à tâtons, les mains allemandes pour les

serrer, dans un frisson de fraternité, se piqueront à la pointe d'une baïonnette.

Pareil à ces vieux chevaux de réforme qui traînent l'humble voiture du paysan, mais qui reprennent une vigueur soudaine au son de la trompette et s'emballent, le peuple allemand au premier commandement militaire, par un réflexe que rien ne sera venu abolir, se ruera à la guerre; les socialistes, par habitude, voteront les crédits meurtriers, le « provisoire » cessera enfin et Hindenburg n'aura, s'il n'est pas mort, qu'à changer de culottes!

Seule la petite chanson de Gerhard Hauptmann ( 1 ), la petite chanson, commentée dans les écoles de la République allemande par un quart d'heure de maniement d'armes, demandera quelques corrections, car il y a fort à gager que cette fois « les brigands », pour parler le langage du poète de « la pitié humaine », ne seront plus neuf, ne seront même plus trois!...

FIN

BERNARD ZIMMER.

(1) Voir Les Annales du 28 février 1925.

Nous rappelons qu'il est imprudent d'insérer des billets de banque dans une lettre. Des exemples assez fréquents prouvent que la recommandation même ne constitue pas toujours une garantie suffisante. Si, malgré notre avis, on a recours à ce mode d'expédition, nous déclinons, en cas d'accident, toute responsabilité.

D'ailleurs, nos abonnés ont, par l'emploi du chèque postal, le moyen sûr et économique de nous adresser leur renouvellement, au compte : chèque postal 330-40, Paris.

La Peste allemande (Dessin de George Gresz.)

FRAGMENTS DE PHILOSOPHIE

LE RÉSULTAT final d'une révolution n'est, le plus souvent, qu'un changement de servitude.

Trop absorbé par l'action pour avoir le temps de penser, l'homme moderne ne possède guère que des opinions collectives. Elles lui sont fournis par les journaux ou le groupe social auquel il appartient.

L'âme individuelle n'obéissant pas aux mêmes mobiles que l'âme collective, certaines vérités capables d'agir sur les individus isolés restent sans influence sur les mêmes hommes réunis en groupe.

■*•

L'impératif catégorique exercé par la mode et les opinions courantes suffit à prouver que, si la servitude individuelle est redoutée, la servitude collective est facilement acceptée.

A mesure que les sociétés se divisent en syndicats rivaux ayant des intérêts différents, la formation d'une autorité forte, capable de dominer tous ces intérêts contraires, devient chaque jour plus évidente. La dictature est la conséquence logique du syndicalisme.

Communistes et socialistes ont une grande puissance destructive en raison de la force des convictions que leurs illusions inspirent. Le pouvoir constructeur de ces doctrines est totalement nul parce qu'elles ne sont applicables qu'à des êtres théoriques fort différents de l'homme réel.

•v

L'action persuasive des conversations étant fort supérieure à celle des échanges de notes entre gouvernements, on peut considérer comme un grand progrès la substitution des discussions personnelles, au moyen de conférences,

conférences, l'ancienne méthode des correspondances diplomatiques,

■*■

Comment la matière inerte est-elle devenue matière vivante, et comment de la vie la pensée a-t-elle surgi?

Ces questions restent sans réponse depuis que les explications jadis données dans les temples sont demandées aux laboratoires.

L'humanité se passera de religion le jour précis où elle pourra se passer d'espérance. On n'entrevoit pas encore l'aurore d'un tel jour.

v

Pas de gouvernement démocratique possible dans les pays dominés par une bureaucratie devenue assez forte pour imposer ses volontés.

GUSTAVE LE BON.


LES ANNALES

Vue de la cathédrale de Lyon, prise du quai des Célestins, par Michel Grobon (1770-1853).

(Musée de Lyon.)

Photo Braun.)

CHEZ LES LYONNAIS

Des promenades vivantes à travers les grands centres provinciaux, décrits et illustrés par les écrivains et artistes originaires du

pays. Voilà ce que nous allons entreprendre ici, de temps à autre. Dès aujourd'hui, MM. Henri Béraud, Pierre Seize et Marcel

Achard, Lyonnais de Paris, nous convient à passer quelques minutes en leur compagnie, dans leur bonne cité de Lyon. On lira

avec agrément et profit ces pages qu'ils ont écrites à l'intention de nos lecteurs.

Petite Introduction à la Connaissance du Lyonnais

LE VOYAGEUR qui a quitté Paris par un des rapides du soir voit l'aube, en été, éveiller un paysage fluvial et se mirer dans le cours d'une molle rivière aux rives ombragées : la Saône. A peine s'il a eu le temps d'en savourer la sage fraîcheur ; un tunnel enfumé avale le train.

Quand il en sort, comme une lame d'un fourreau, c'est Lyon qui s'offre aux yeux. Sur deux collines modérées que divisent deux fleuves de lumière et d'eau verte, la grande ville étage ses hautes maisons grises, ses innombrables clochers, ses bâtisses conventuelles. Le double aspect travailleur et religieux de la cité de la soie se montre irrésistiblement, même aux regards de l'observateur le plus superficiel.

Après une gare comme toutes les gares, le passant aperçoit encore dans une plaine industrielle un peuple de cheminées d'usines. Et c'est tout ce qu'il voit. Au delà de ces maisons austères, il y a pour lui les magies colossales de la montagne, l'air acéré qu'on respire dans les alpages, ou bien encore les mirages méditerranéens de la tambourineuse Provence, du succulent et lyrique fief de Mireille et d'Aubanel, de Mistral et de Daudet.

Plaignons les gens pressés. Celui-là

vient de passer à côté d'un miracle. Il n'a pas daigné le regarder.

Soyons francs : le miracle lyonnais n'a pas une bonne réputation. Un grand nombre de gens vous diront que cette ville est d'un séjour maussade, d'un agrément puritain, qu'on y voit plus souvent les humides sortilèges des brouillards, ou la mélancolie lancinante de la pluie, que les féeries du soleil...

Mais, d'abord, de quelle humeur êtesvous, madame, qui froncez un joli nez au seul prononcé du nom de ma ville, et vous, monsieur, qui rembrunissez votre front ? Entendons-nous bien. Si votre esprit vous porte à tenir compte surtout des apparences, si vous demandez à la vie ses plaisirs les plus faciles, si, loin des joies que donnent à leurs fidèles la réflexion, les studieuses rêveries et les méditations sensibles devant les beaux spectacles de l'art et de la nature, si, en un mot, vous appartenez à la troupe jacassante qui hante les dancings et se pâme aux accents du jazz, passez sans vous arrêter.

— Ouais ! direz-vous. Si, pour goûter votre miracle, il nous faut avoir le teint jaune et l'oeil contrit, nous vous disons notre grand merci !

Ai-je prétendu pareille chose ? J'entends démontrer, au contraire, que, pour se plaire dans la cité des soyeux et des

Les vieilles maisons de la rue du Boeuf.


LES ANNALES

LES ANNALES

canuts, il faut y errer d'un pas assure, qui prend tout son appui sur la terre. Ah ! que, par une fin d'automne, soleilleuse à souhait, vous suiviez les quais du Rhône, l'oeil attentif au spectacle prodigieux de ses rives et de son cours majestueux, le nez prompt à subodorer les gourmands aromes qui s'évadent de nos célèbres restaurants, la lèvre assoiffée du vin des coteaux beaujolais, l'oreille tendue vers ce joyeux « bistanchequepan » qui est la chanson des métiers à tisser dans les rues de la Croix-Rousse, et que, soudain, après avoir gravi la côte, vous vous trouviez subitement devant ces vastes perspectives citadines qu'on découvre à ses pieds tout à coup, comme un prodigieux tapis de maisons, clouté çà et là d'églises... Et je suis bien tranquille, vous me comprendrez.

La beauté plastique, la beauté morale, la beauté matérielle de Lyon, ce sont choses inextricablement mêlées, qu'on ne peut pas séparer les unes des autres, tant la forêt des « correspondances » (ô Baudelaire !) en lie étroitement le faisceau.

Vous n'appréciez la belle ordonnance de notre place Bellecour que si vous y mêlez étroitement cette idée d'opulence commerciale qu'on y respire. Et cette opulence elle-même corrige ce qu'elle pourrait avoir d'un peu insolent par la goguenardise du caractère local. Et — je vous l'ai dit, c'est un cercle enchanté — cette goguenardise (qu'on nomme ici : gognandise) elle-même ne se peut savourer qu'à la condition de ne pas oublier que ce « gone » narquois, au parler fruité, qui se moque si agréablement de lui et des autres, est un artiste, un artisan, un ouvrier ou un négociant, pénétré des règles les plus hautes de son art, de son métier, de son commerce.

Il est excellent de sortir de notre vieux palais Saint-Pierre où les grandes écoles de peinture lyonnaises vous ont enchanté les yeux, et de traverser le noble Hôtel de Ville, pour retrouver, dans les petites rues obscures du Griffon, ces « dessinandiers », ces peintres, ces écrivains, ces marchands, dignes petits-fils de tels grandspères, et de leur faire raison, verre en main, cependant que les langues agiles discutent d'un point contesté de musique moderne, du dernier livre paru, ou des

créations bigarrées qui, à la saison prochaine,

prochaine, sur les robes des belles dames de Paris.

Lyon fut et reste une ville d'art et une ville d'artistes. Nulle part plus que la les jeunes hommes ne sont sollicités par de plus hauts exemples. C'est un conseil de désintéressement, de générosité, de franchise et surtout de raison que verse aux jeunes âmes ce " ciel de nacre et de fumée », comme l'a heureusement dit Henri Béraud. Et toujours le néophyte qui sent frémir en lui quelque chose trouve à point nommé, là-bas, des aînés au rude conseil, à la sage expérience. J'ai voulu, par jeu, dresser la liste des Lyonnais d'aujourd'hui, aussi bien de ceux dont on commence à parler dan*

le monde artistique que de ceux qui y régnent tout revêtus de la plus solide renommée. Ce qui était un jeu est vite devenu un enseignement et, bien que mes recherches hâtives en aient oublié beaucoup, vous serez de mon avis en parcourant cette liste.

Parmi les écrivains : Henri Béraud, Régis Gignoux, Marcel Achard, Georges Champeaux, Marius Mermillon (qui vient de publier une pieuse biographie de ces deux grands peintres lyonnais : Vernay et Carrand), Claude Farrère et Albert Londres, ces deux révélateurs du globe ; l'humoriste André Dahl, le poète André Rivoire, le chansonnier Xavier Privas. D'autres encore : l'aigu critique Vuillermoz, le rustique et savoureux Jolinon, le corrosif romancier Léon Werth ; et Pierre Chaine, qui fut le mémorialiste d'un inoubliable rat, et Henri Clerc, qui écrivit (entre autres) L'Autoritaire. Voici Emile Bauman, commentateur de la vie des saints ; Alexandre Arnoux, le poète G.-J. Gros, Henri Rambaud, Pierre Chapelle, plume alerte et bouche gourmande.

Des journalistes ? J'ai nommé Londres. Voici Auguste Nardy, qui est à L'OEuvre; Henri Danjou, qui rame à bord du Quotidien ; Francisque Laurent, du Petit Parisien ; Georges Rozet, qui est partout. Les dessinateurs : Abel Faivre, Louis Touchagues, Rouqueyrol, qui historia de croquis aigus les histoires de fout

d'Albert Londres. Des peintres ? Il y avait — le plus grand de tous — le pauvre et admirable Adrien Bos. Il y a encore, Dieu merci ! Louis Bouquet, Marcel Gimond (celui-là, sculpteur), Laplace, Ponchon, Pourchet, Morillon, Didier, tous jeunes, tous ardents, tous admirablement détachés de la mercante artistique.

Et les musiciens? Charles Widor, Mariotte. Le* acteurs? Huguenet, Dullin, Romain Bouquet, François Vibert, Balpétré, Rozet, et le metteur en scène Gaston Baty, etc.. Mais nous serions encore là demain à aligner des noms après des noms.

Enfin, vous ne voudriez pas que je vous parle de la cuisine lyonnaise ?

D'abord, on ne parle pas de la cuisine : on la déguste. Celle-là est la plus glorieuse de France.

Je vous souhaite d'en faire connaissance quelque jour, au confluent du Rhône et de la Saône, par un midi quiet et doux fait pour récompenser l'honnête homme de toutes les misères de la vie.

PIERRE SCIZE.

En buvant le beaujolais...

C'EST un petit vin, disait cet imbécile. Mais, comme nous débouchions la onzième bouteille, il jaunit tout à coup ; ses yeux, devenus ternes et sombres, nagèrent dans sa figure ainsi que deux pruneaux sur une crème au safran ; il chancela, roula quelques instants d'une fesse sur l'autre, puis s'abattit sur le plancher.

Nous buvions le beaujolais entre « gones » de Lyon, selon la coutume véritable, dans un petit café, où les pots vides demeuraient bien alignés sur la table, en sorte qu'ils formaient une belle grille, entre les barreaux verts de laquelle les buveurs échangeaient des poignées de main, des serments d'amitié et des propos remplis de sagesse.

C'est ainsi qu'il convient de boire le vin clair et lampant des coteaux de Beaujeu. Ainsi nous le buvions, dans l'inoubliable passé, autrefois. Disons et redisons encore que c'était le bon temps ; consolons-nous par ce mélancolique radotage d'avoir vieilli sans vivre, sans vivre...

Le bon temps, surtout dans notre Lyon placide et gourmand, cher Régis Gignoux, le bon temps, à l'heure où l'édredon léger des brouillards descendait

descendait les lits jumeaux de nos fleuves, c'était l'heure où l'on ne rencontrait plus, dans la ville endormie, que des agents et des bouquetières. Ceux qui savaient boire se dirigeaient vers les obscures et fraîches ruelles, où sont le» vieux cafés. Les volets clos laissaient luire une barre de lumière dorée. Au loin, on entendait le roulement d'un fiacre, et l'on sentait dans la nuit l'odeur d'un feu de boit qui, chez un boulanger voisin, brûlait en crépitant.

On frappait ; on donnait le mot de passe, et le cafetier répondait :

— Passez par l'allée.

Dans le café, on trouvait de» hommes pleins de dignité, qui, trônant tous les

nuées de leurs pipes de terre, savaient boire le beaujolais avec art, c'est-à-dire lentement. Tout est là. On reconnaît l'amateur de vin au rythme de son coude. Paris pullule de buveurs, qui boivent, au train dont on prend médecine, de pauvre suresnes qui ne vaut sans doute point d'autres égards. Là-bas, on s'y prenait mieux. Nous avions le temps ; et le pot coûtait douze sous. La nuit se passait en expériences. Toute la côte y passait : le fleurie parfumé, le villié-morgon, moins fin et plus robuste ; le chênas velouté, le thorins corsé, le juliénas précoce, le saint-étienne inégal, l'odenas méconnu, nos vins, tous nos vins, les vins de nos pères, les vins des canut» aux coeurs rouges, des « voraces » qui, pour « vivre en travaillant ou mourir en combattant », descendaient de la Croix-Rousse avec leurs trique», leur» chasse pots et leur» galoches...

Tout de même, il fallait s'en aller. On réveillait, sous la table, le présomptueux amateur, et l'on sortait, en file indienne, par l'allée. On allait les mains tendues aux ténèbres où dansaient, de loin en loin, les feux des pipes. Tout à coup, on entendait un juron. C'était un des sages dont le nez heurtait une boite à lettres. Puis, la lourde porte cochère tournait, et nous étions dans la rue, déjà toute bleue. Les chars à banc» des maraîchers couraient en chantant sur le pavé. De vieux sapins, venant des gares, et que l'on voyait seulement à ce» heures-là, portaient de»

voyageurs blafards vers les hôtels. Les premiers tramways, avec leur gros oeil lumineux, roulaient en battant leur cloche. Les rotatives grondaient sou» le hall des journaux ; on rencontrait des restaurateurs qui allaient au marché Saint-Antoine, une serviette autour du cou, et encore de» rôdeur» furtifs, de» rôdeurs lyonnais délavé» par les pluies, qui se hâtaient vers leurs garnis en regardant, du coin de l'oeil, s'ils n'étaient pas suivis...

On le buvait ainsi, ce vin du Rhône, qui ne connaît point la gloire des grandes cartes et que ne conseille point le soupir confidentiel des sommeliers. On l'ignore. On feint de l'ignorer. Mais il peuple, aujourd'hui, les caves des traiteurs. A présent que, faute d'argent, le peuple de Lyon, canuts, jouteurs, joueurs de boules, n'en peut boire à sa soif, le beaujolais abreuve, sou» les noms de pommard et de musigny, les engrosser anglais, les schieber allemands.

Le beaujolais est un nouveau riche.

HENRI BÉRAUD

Guignol

C'EN EST FAIT. Chariot a supplanté Guignol dans le coeur des enfants de Paris. Le pauvre diable aux yeux pleins de songe a succédé au Scapin matois, couard, flâneur et mauvaise tête. L'invincible candeur de l'un a eu raison de la malice de l'autre. A force d'avoir faim sans qu'on le sache, d'aimer sans que nulle s'en doute, à force de s'effacer, Chariot a pris toute la place.

Guignol triomphait depuis trop longtemps des forces combinées de la société et de la police. Depuis trop longtemps, le commissaire était rossé, les méchants puni» et l'habileté de Guignol récompensée.

L'habileté de Chariot s'emploiera seulement à chasser des mouches, à réparer industrieusement la palissade d'un terrain vague où il doit dormir et dont une planche disjointe cause un courant d'air. Le policeman aura toujours raison de Chariot. Et ce sera toujours sur Chariot que pleuvront les coups.

Aux Champs-Elysées, depuis trop longtemps, les enfants décidaient euxmêmes du tort de Guignol. Depuis trop

Le parc de la Tête-d'Or.

La cathédrale Saint-Jean.

Le Rhône à Lyon, par Jean Lombard.

La maison de Henri IV.

La maison de Philibert Delorme.


LES PERSONNAGES DU GUIGNOL LYONNAIS

Toinon.

Le bailli.

Le gendarme.

Guignol.

Gnafron.

L'apprenti.

Madelon.

longtemps, les aventures qu'on leur présentait se dénouaient, par leur faute, de façon optimiste.

— Est-ce que Guignol doit battre le gendarme ? demandait le montreur de marionnette».

— Oui ! Oui ! criait la foule des enfants.

— Est-ce que Guignol se mariera avec la jeune fille ?

— Oui ! Oui !

Pour montrer leur bon coeur, ils acceptaient que Guignol fût heureux.

Chariot ne leur demande pas leur avis.

Chariot est toujours battu, toujours vaincu, toujours malheureux. Chariot n'épouse jamais la jeune fille. Toutes les catastrophes s'abattent sur lui et il ne s'en tire jamais sans souffrance. Et le* enfants, qui seront des hommes, — et cruels, — se réjouissent qu'on ait choisi pour eux. Ils préfèrent rire de l'homme qui tombe que de celui qui fait tomber.

Chariot a supplanté Guignol dans le coeur des enfants de Paris.

Mais à Lyon, Guignol reste Guignol, et toutpuissant.

C'est que le Guignol parisien n'a pas opposé de résistance. Comment aurait-il pu ? C'est un composé de Polichinelle, de Scapin, de

Tabarin et de Mascarille. Il n a que le costume du Guignol lyonnais. Ses réactions sont imprévisibles puisqu'elles suivent l'humeur des enfants. Il n'a ni répertoire, ni tradition, ni vocabulaire.

Mais Chignol !...

Le voici, avec son chapeau cabossé, son sarcifis lui battant le cottivet, son veston marron sur lequel les boutons de cuivre éclatent comme de* fleurs imprévues, sa verve rabelaisienne et cet imperturbable sérieux dans la farce qui est le propre des grands comiques et que lui vaut son visage de

bois. Il faut entendre cet verte* répliques

sortir de ces lèvres closes, savourer cette malice sans clignements d'yeux, et voir ces petits gestes étriqués et monotones souligner des sentiments excessifs, ponctuer des reparties d'une verve moliéresque.

C'est le canut gouailleur et bon garçon, à la fois naïf et sceptique (encore que le scepticisme ne soit souvent chez lui qu'une forme inattendue de la naïveté), pratique aussi, capon le plus souvent, mai» brave à ses heures (elles ne sonnent pas souvent, mes heures, dit-il à ce propos); espèce de Sancho Pança de la place publique, musard et grand amateur de beaujolais. Tour

à tour soldat, valet, savetier, colporteur, musicien, etc., il reste canut au fond de l'âme.

Il demeure au " cent moins n'un » de la montée de la Grande-Côte qui mène à la Croix-Rousse.

Il a souvent pour femme Madelon, que la verve de Mourguet et de ses descendants a représentée tantôt comme une mergère cariâtre, tantôt comme un parangon de douceur et de vertu.

On a prêté à Guignol d'innombrables bonnes fortunes, parmi lesquelles Antinéa, Roxane, dans Cyrano de Trois-Massac, La Jeune Vieille aux Bras Blancs (Geneviève de

Brabant, sans doute) et, plus récemment, La Bayadère.

Or, s'il est volage, Guignol est fidèle à ses amitiés. Depuis cent trente ans, depuis que le papa Mourguet lui donna la vie, Guignol a pour ami Gnafron, savetier rapetasseur et regrolleur.

Gnafron est un gaillard à la trogne enluminée, à l'oeil vague, aux cheveux drus, coiffé d'un invraisemblable haut de forme et portant le tablier de cuir. Celui-là hante le cabaret; on le voit peu dans son échoppe. Plus encore que Guignol, il aime le beaujolais.

Gnafron est un personnage lyonnais par excellence. Il a, du peuple lyonnais, la bonhomie altérée, le flegme désarmant et l'implacable bon sens. Il devine la folie, même sous l'héroïsme. C'est un pêcheur de goujons et, comme tel, un esprit pondéré.

Et quel ami merveilleux !

Montaigne n'a pas eu pour La Boëtie cette amitié sobre, exempte de démonstrations et de lyrisme, qui sait ne pas s'attendrir sur soi-même, qui a le verre de l'amitié moins prompt encore que le reproche.

Plus naïf que Guignol, toujours prêt à vendre son âme pour une chopine, c'est par là seulement qu'il est vulnérable. Mais vulnérable à coup sûr.

A Lyon, Guignol reste Guignol.

Car si tous les moyens d'expression de Chariot lui manquent, il garde, pour notre joie, le seul qui manque à Charlie Chaplin. Dans son dialogue bref et brutal, c'est souvent un moment d'humanité qui est schématisé jusqu'à la grossièreté, mais qui se développe d'autant plus profondément dans l'esprit des auditeurs qu'il est plus direct par sa forme restreinte.

Ah ! si Guignol avait été poète !

Mais à avoir le feu sacré, quand on est une poupée de bois, on court trop de risques.

MARCEL ACHARD.

La Saône, à Lyon, par Ponchon Antonin.


LES ANNALES

405

LA COURSE D'EPOUVANTE

(Récit d'avant guerre)

DES COMPLICATIONS DIPLOMATIQUES surgirent en Europe au moment où le roi de Norlande, Herbert II, achevait sa cure d'eaux à Tébasso et se disposait à rentrer dans son royaume.

Le roi de Naburie, affolé des dernières nouvelles que lui communiquait son ministre de» Affaires Etrangères, réunit son conseil pour un entretien suprême. Le temps n'était plus aux atermoiements ni aux tentatives diplomatiques; l'état des finances et celui de l'armée rendaient terrifiante la perspective d'une guerre; il fallait prendre, sur-le-champ, une décision définitive.

C'est alors que Jean VIII, se rappelant la haute sagesse d'Herbert II, résolut de s'adresser à son expérience et de mettre à profit le hasard qui, pour une heure, le plaçait sur son chemin.

En effet, le roi de Norlande devait passer par Zimara, ville naburienne à vingt minutes de la frontière, le mardi 23 septembre, à quatre heures du matin.

Un échange de télégrammes décida que les deux souverains se rencontreraient en gare de cette ville, où, pour se rendre au désir de son cousin, Herbert II séjournerait environ une heure.

Le trajet de Murcia, capitale de la Naburie, à Zimara, demandait cinq heures en rapide. L'horaire des trains sur la ligne fut modifié pour laisser la voie libre, dans la nuit du lundi au mardi, sans aucun aléa, au wagon royal. Le prétexte de ce voyage fut la santé de la reine, absente depuis une semaine, et que Jean VIII devait rejoindre sans délai.

Dans la soirée du lundi, vers neuf heures, — le départ du souverain devait avoir lieu à dix heures, — le chef de la police naburienne reçut d'un de ses agents la nouvelle terrifiante et certaine d'un complot formé contre la vie du roi. Ce voyage était une occasion, attendue depuis trois mois par une bande de révolutionnaires...

révolutionnaires... la capitale, ils eussent été découverts trop facilement.

L'agent n'avait pu donner aucun détail précis; il savait seulement que l'attentat serait commis contre le train royal; mais en quelle place? à quelle heure? Préparait-on un déraillement, une explosion? Le temps manquait pour qu'on procédât à une enquête et qu'on pût examiner les cinq cents kilomètres qui séparaient Murcia de Zimara. Sous peine de manquer au royal rendez-vous, Jean VIII devait partir soixante minutes plus tard.

On porta sur-le-champ la nouvelle au roi.

— Sire, vous ne pouvez pas partir!

L'heure était angoissante. Manquer au rendez-vous? C'était une faute grave contre le respect auquel Herbert II avait droit; c'était surtout, pour Jean VIII, la marche à tâtons dans son affolement, la responsabilité effrayante d'une décision d'où pouvait sortir la guerre? Aller au rendez-vous? C'était la catastrophe, la fin de tout.

— Je partirai quand même. Advienne que pourrai

Mais les ministres s'opposèrent à cette résolution.

Le directeur des chemins de fer fut appelé. On lui fit part du complot, de l'urgence absolue du voyage de Jean VIII; on lui demanda quelles mesures il comptait prendre pour empêcher la catastrophe. Il n'y avait pas une minute à perdre.

— Je vais télégraphier à chaque station, répondit le directeur, et faire mettre des équipes d'ouvriers en campagne pour examiner la ligne jusqu'à Zimara.

Le prince Milenko haussa les épaules.

— Vous oubliez, dit-il, que sur la ligne où passera le train royal, les stations sont, plusieurs fois, distantes de vingt-cinq à trente kilomètres; que cette ligne traverse l'immense forêt du Nord; que vos petites gares n'ont point de personnel; qu'il peut se trouver des

complices révolutionnaires parmi les gens de bonne volonté qu'on réquisitionnerait; que, d'ailleurs, toute réquisition est presque impossible pendant la nuit, et que le roi doit partir dans quarante-cinq minutes.

— Alors, que faire?

Le ministre de l'Intérieur, qui avait beaucoup réfléchi depuis la communication du préfet de police, exposa l'idée qui venait de germer en son esprit.

— Je ne vois qu'une solution, déclara-t-il : faire appel au dévouement de deux hommes, leur demander le sacrifice de leur vie pour sauver le roi et la patrie. Voilà. Il faudrait faire précéder le train royal d'un autre train

qui serait, en quelque sorte, le bouclier du second. Le déraillement ou l'explosion serait pour le premier. Grâce à l'équipe d'ouvriers que nous ajouterons à la suite du roi, la voie pourra être aussitôt déblayée et réparée. Le voyage s'achèvera alors sans danger, presque sans retard.

Jean VIII refusa d'abord; mais le seul moyen de salut pour la patrie, pour lui-même et pour sa suite, était dans ce sacrifice... Il y consentit enfin.

Pour conduire le train rédempteur, il fallait donc chercher, parmi les meilleurs mécaniciens du pays, deux hommes absolument dévoués, deux héros, puisque, sous peine d'assassinat, on devait leur exposer la situation dans toute son horreur. De l'avis du préfet de police, on ne retint, dans les noms qui furent cités, que ceux de quatre hommes en qui on pouvait avoir une absolue confiance. L'ingénieur Petkoff fut appelé pour dire ce qu'il pensait de l'habileté professionnelle de chacun d'eux.

A l'exposé de la situation, Petkoff ne broncha pas. II s'agissait du roi et de la patrie, c'était juste. Il dit que trois seulement des hommes dont on lui parlait possédaient assez de sang-froid pour pouvoir agir dans cette course à la mort. Il fallait les mander sans retard. Pendant ce temps, on préparerait le train martyr.

Les trois hommes arrivèrent aussitôt, inquiets de cet ordre du roi. Petkoff, que, seul, ils connaissaient parmi tant de hauts personnages, Petkoff leur parla.

— C'est un secret d'Etat que nous confions à votre honneur et que vous oublierez en sortant d'ici, dit-il.

Et il leur expliqua les faits, ajoutant :

— Sa Majesté ne peut pour rien au monde différer son voyage. C'est pour la patrie aussi bien que pour le roi que nous demandons le sacrifice de votre vie. La catastrophe sera peut-être évitée..., mais nous n'osons pas faire miroiter cette chance à vos yeux. Deux d'entre vous sont-ils prêts à ce sacrifice?

— Nous sommes prêts, Excellence, répondirent-ils d'une seule voix.

— Braves coeurs! murmura Petkoff en leur serrant les mains. Quelle est votre situation? demanda-t-il au plus âgé des trois hommes.

— Je suis employé à la Compagnie depuis vingt-cinq ans. Marié à une brave femme qui tient bien mon ménage. Notre fille a épousé un bon ouvrier, voici bientôt deux mois...

— Bien!


406

LES ANNALES

Le second était veuf avec six enfants en bas âge.

— Pas toi, interrompit Petkoff.

Mais, au moment d'envoyer le troisième à la mort, un beau garçon aux yeux clairs, l'ingénieur lui demanda :

— Tu n'es pas marié?

— Non, Excellence.

— As-tu encore tes parents?

La voix du jeune homme trembla quand il répondit :

— Je n'ai plus que ma mère.

— Des frères? Des soeurs?

— J'avais deux frères, ils sont morts.

— Alors, ta mère n'a plus que toi? Une lumière éclaira soudain la mémoire de

Petkoff.

— Tu t'appelles Barcheff, n'est-ce pas?

— Oui, Excellence.

— Est-ce ton frère qui est mort dans la catastrophe de Govie?

— Oui, Excellence.

— Et l'autre a été tué à la guerre, en Macédoine?

— Oui, Excellence.

Petkoff se rappelait le drame de l'an passé, l'explosion dans les mines de Govie, et le courage dont avait fait preuve l'aîné des Barcheff. Il se rappelait, pour en avoir été le témoin, la douleur de la pauvre mère toute vibrante encore de la perte de son fils le soldat. Il ne lui restait que Pierre au monde...

— Non, nous ne lui prendrons pas encore celui-là, conclut l'ingénieur.

Le temps pressait Pour la troisième fois, le ministre déclara :

— Nous n'avons plus une seconde à perdre.

— Cet homme ne partira pas, dit Petkoff. Comme un silence stupéfié accueillait ses paroles, il conclut :

— Valdoff chauffera..., et moi, je conduirai.

Voyage fantastique! La locomotive et les wagons fantômes ne précédaient que de cinq minutes le train royal, en retard d'une demiheure sur l'heure convenue. Il fallait dévorer l'espace pour rattraper le temps perdu ; il fallait, cependant, épier la catastrophe attendue.

Une lanterne verte, dressée à un mât, sur le premier convoi, était un guide d'espérance pour la vigie du train royal. La disparition de ce feu serait l'ordre au deuxième train d'avoir à s'arrêter.

Petkoff, d'une main nerveuse, tenait le volant de changement de marche. La banlieue de Murcia, les villages voisins et les terres cultivées fuyaient à ses côtés comme en un tourbillon; le grand fleuve scintillant d'étoiles fut franchi en quelques secondes ; le temps était un peu froid et le ciel sans lune.

Tout en réglant la course vertigineuse, les deux hommes, les yeux dilatés, scrutaient la voie qui se perdait devant eux dans la nuit. La lueur des étoiles laissait dans une ombre diffuse les terres labourées, les villages et le» prairies; les fanaux de la locomotive projetaient sur les rails une lumière rouge que poursuivait, en haletant, la machine sombre.

Après un court arrêt dans une gare, ils arrivèrent à la grande plaine que bordent les collines où moutonne la forêt du Nord. Là, le

regard pouvait s'étendre très loin dans la nuit.

— Respirons un peu, dit Petkoff. Le danger n'est sûrement pas ici.

Alors, moins angoissé, il pensa à sa vie sur le point de finir, à sa femme, la belle Mavra Petkoff. Il pensa surtout à son petit Serge, blond et rose, dont les beaux yeux étonnés s'ouvriraient bien grands, quand on lui dirait, entre deux baisers, que papa ne reviendrait plus jamais...

Derrière eux, le train royal se ruait au loin, dans la nuit. Le train martyr, comme une bête poursuivie qui se cache, entrait dans la forêt du Nord. La course avait déjà duré deux heures.

Entre les arbres géants, aux cimes vaguement éclairées, la voie ferrée semblait un gouffre d'ombre, long, tortueux et sinistre comme un fleuve des Enfers. Dans cette nuit profonde, Petkoff ne voyait que sa machine et les rails que les fanaux rougissaient d'éclaboussures de sang. Mais, auprès de lui, Valdoff, l'oreille tendue, le cou en avant, cherchait à déchirer les ténèbres de son regard exaspéré. A de fréquents intervalles, l'ingénieur posait une brève question.

— Eh bien?

— Rien, répondait le chauffeur.

Et le silence retombait sur eux, tragique et lourd, dans le halètement de la locomotive.

Une fois, Valdoff posa une main crispée sur le bras de son chef.

— Ici, sur le rail droit, Excellence, ne voyez-vous rien?

D'un geste brusque, Petkoff freina. Penché à droite de la machine, il essayait de voir ce que l'autre lui montrait. Mais non, rien, il ne distinguait rien.

— Je me suis trompé, murmura Valdoff. Ses yeux, fatigués par un effort trop grand,

lui montrèrent plusieurs fois encore des choses fantastiques : blancheurs suspectes, reflets métalliques, formes mouvantes. Petkoff, halluciné à son tour, croyait voir les mêmes choses. Au passage du danger attendu, tous deux fermaient les yeux, serraient les poings et murmuraient une prière; puis, la minute suivante, tout surpris que la catastrophe ne se fût pas produite, ils se regardaient à la lueur du foyer et souriaient d'un air hébété.

A la fin, Petkoff prononça durement :

— Ne me dis plus rien, tais-toi.

Farouches et muets désormais, ils agonisèrent toute une heure, croyant cent fois mourir, sans avoir jamais l'espérance de survivre au moment présent.

Ils étaient sortis de la forêt, mais le chemin restait dangereux, encaissé entre les paroi» rocheuses de la montagne, qu'il coupait. Au passage d'un tunnel, ils ralentirent... Le train royal se rapprocha, on pouvait apercevoir au loin se» yeux de feu. Petkoff, d'un geste inconscient, avait saisi son revolver.

...C'est de nouveau la plaine, un village, une gare que l'on brûle dans un coup de sifflet strident; la fuite vertigineuse des arbres, des fermes, des cours d'eau. Le train martyr franchit un pont avec un bruit de tonnerre. Valdoff chauffe, chauffe à faire éclater le foyer. Petkoff n'objecte rien ; peut-être ne voit-il rien.

La voie fait un coude, il faut ralentir. La vue ne peut plus s'étendre sur cette ligne courbe qui semble disposée pour un attentat. Les deux hommes, penchés aux deux côtés de la locomotive, projettent dans la nuit leurs regards fous.

— Là, là, c'est là! s'écrie Valdoff d'une voix rauque.

En effet, après le tournant, la lueur des étoiles laisse deviner une masse sombre en travers de la voie. Il est trop tard pour stopper. Le chauffeur laisse échapper une plainte, lugubre comme un râle et, d'un bond de côté, s'élance dans la nuit.

Au même instant, la locomotive reçoit un choc et poursuit sa course folle. Autour d'elle, c'est — l'espace d'un éclair — un tourbillon de branches mortes, de feuilles arrachées, d'éclats de bois et, à quelques mètres dans les champs, le fracas d'une détonation, une lueur aveuglante, de la fumée... Le train est déjà. loin sur la route de Zimara. Allons, le coup est manqué ! Les révolutionnaire» seront peutêtre plus heureux une autre fois.

Le coup est manqué! Petkoff, les mains sur le volant, est secoué d'un rire immense qui le tord et le fait pâmer. Des mots rauques et sans suite sortent, parfois, de ce rire qu'ils n'interrompent pas :

— Serge, mon petit Serge, comme tu sera» content! Valdoff, chauffe donc, voyons, chauffe donc!

Mais personne ne répond et, à peine étonné de se voir seul sur sa machine, l'ingénieur lâche le volant et remplit de charbon le foyer qui va s'éteindre.

...Une demi-heure plus tard, la station de Zimara vit arriver le train bouclier intact, le chaste-pierre à peine faussé. C'était si surprenant, si beau, que le haut personnel prévenu par dépêche des événements, et qui venait dit passer une nuit d'angoisse, poussa des cris de joie et des hourras enthousiasmés. Mais, au lieu de rallentir, le train poursuivit sa course vertigineuse et s'évanouit comme un fantôme, sous le tunnel qui s'ouvrait devant lui

— Que se passe-t-il? se demandèrent les fonctionnaires, étonnés.

L'un d'eux affirma n'avoir vu qu'un homme sur la locomotive, un vieillard à cheveux blancs.


LES ANNALES

407

Un seul?... Quel drame s'était-il passé? Et quel drame allait, maintenant, s'accomplir? L'homme, sans doute, n'était plus maître de sa machine... Qu'adviendrait-il au tournant du kilomètre 509?

Des ordres brefs furent donnés et, pendant que le haut personnel s'apprêtait à recevoir le roi et sa suite, un train de secours fut envoyé à la recherche de Petkoff.

...Au kilomètre 509, où la voie tournait au nord, le train fantôme s'était arrêté, en plein talus, hors de ses rails. Le charbon épuisé, le foyer presque éteint, expliquaient pourquoi une catastrophe ne s'était pas produite en cet endroit.

Un vieillard aux cheveux blancs en désordre était debout sur la machine et riait aux éclats.

— C'est moi le roi! cria-t-il en apercevant les hommes qui s'avançaient vers lui. C'est moi le roi! Messieurs, chapeau bas!

Et son rire, sinistre, effrayant, le secoua de nouveau, glaçant de stupeur ceux qui le regardaient sans comprendre.

Enfin, toujours riant, il sauta de la machine et voulut marcher d'un pas majestueux; mais il vacilla, ses mains battirent l'air et il tomba lourdement sur la voie, le visage convulsé du même rire terrifiant.

Les assistants s'empressèrent. Tandis qu'ils le transportaient dans le train de secours, l'un d'eux poussa un cri d'effroi. Dans cette loque humaine aux cheveux soudainement blanchis, il venait de reconnaître l'ingénieur Petkoff...

Au-dessus de la campagne brune, les étoiles s'éteignaient; de blanches vapeurs ouataient l'atmosphère. A l'est, un rayon rose monta dans le ciel, vibrant comme un hymne de joie. Les fleurs et les herbes reprenaient peu à peu leurs couleurs; une alouette chanta. Et làbas, de l'autre côté de la colline au flanc troué, le sort de tout un peuple se discutait... De graves projets s'élaboraient, au regard desquels le bonheur, la vie, la raison d'un homme ne sont rien.

EVELINE LE MAIRE.

(Dessins de JACQUES TOUCHET.)

LA PATACHE

Je prends la patache rustique Qui transporte les citadins, Sous un ciel de splendeur attique, Vers des bourgs fleuris de jardins.

Le soir, comme font les abeilles Qui retournent, lourdes de miel, Elle déborde de corbeilles Fleurant les fruits de notre ciel.

Elle va, telle une charrette, D'un pas monotone et prudent; Au moindre obstacle elle s'arrête. Dans la crainte d'un accident.

On la fit à notre mesure, Propre à notre besoin errant ; Agreste et commode chaussure Que l'on quitte et que l'on reprend.

PAUL MANIVET.

LES BONNES PAGES

Articles de Paris...

et d'ailleurs

Sous ce titre, notre secrétaire de la rédaction; Gaston Guillot, le « Sergines » des Annales, dont nos lecteurs apprécient chaque semaine l'esprit alerte et la bonne humeur, vient de publier un livre très vivant dans lequel il a réuni toutes sortes de variétés. Nous en détachons cette page :

NÉ UN DIMANCHE

A-T-ON RAISON de prendre adages, dictons et proverbes au sérieux? Certes, la plupart expriment des vérités aveuglantes où s'épanchent, naïves, saines, drues, l'ironie et la prudence populaires. Lentement conçus par nos ancêtres, mûris au soleil de l'expérience, ils portent en eux le suc divin de la sagesse. Mal venu qui s'aviserait de réfuter leur enseignement! Formules simplistes, clichés commodes, quelle pâture pour l'opinion courante!... Et pourtant, quelques-uns de ces lieux communs, stupides, immoraux même, demanderaient une revision sévère. Il est des circonstances où rien n'irrite davantage que leur odieuse banalité.

Ainsi," loin de vous être un baume, une locution proverbiale que vous assènent toutes les personnes de votre connaissance au sujet d'un événement regrettable à vous advenu, vous conduit aux confins de l'exaspération. Que vous perdiez à la Bourse, par exemple, ou que vous subissiez les méfaits d'un aigrefin, parmi les condoléances qui vous seront prodiguées, retentira immanquablement, transperçant votre crâne et vrillant vos tympans, l'agaçante, la redoutable phrase :

« Plaie d'argent n'est pas mortelle ! »

Hé! parbleu! vous ne le savez que trop! Mais de celte piètre consolation, vous vous passeriez aisément. Ce genre de réconfort à rebours, on le réserve au prochain : on ne le souhaite guère pour son usage particulier.

Ce n'est pas avec des proverbes qu'on dénoue une situation délicate, qu'on esquive une difficulté, qu'on redresse un tempérament. La moindre leçon d'énergie vaudrait infiniment mieux que leur philosophie rudimentaire et lénitive. L'erreur est manifeste de les accepter sans contrôle, de les tenir pour paroles d'Evangile. Se doute-t-on que de leur application abusive peut dépendre la déformation d'un caractère, le destin d'un individu?

J'ai eu, hier, la joie d'approcher une jeune maman que j'aime beaucoup. Je la complimentai sur la vigueur de son bébé.

— Oui, il est beau, ce mignon. Mais, ajouta-t-elle d'un ton chagrin, il sera paresseux !

— Et pourquoi? m'étonnai-je.

— Il est né un dimanche !

J'aurais pu me contenter de sourire de ce préjugé néfaste, encore qu'il fût énoncé par des lèvres charmantes. Résolu sinon à le déraciner, du moins à le combattre chez mon interlocutrice, je m'assis auprès d'elle et la gratifiai d'une homélie qu'elle accueillit d'abord avec

une moue ennuyée. Ce berceau où du rose étoilait la neige des dentelles lui semblait autrement intéressant que les propos d'un moraliste. — Madame, commençai-je, savez-vous bien que le sort de cet enfant ne dépend que de vous?... Si, victime de votre crédulité, vous considérez que le fait d'être né un dimanche le voue à la mollesse, par votre faute et rien que par votre faute, entendez-vous, il deviendra paresseux. Imbue de cette dangereuse prévention, vous l'aiguillerez vers une fâcheuse voie. Dès qu'il sera en âge d'apprendre, s'il s'attarde plus au vol d'un papillon qu'au déchiffrage de l'alphabet, — ce dont, pour ma part, je n'oserais le gronder, — vous vous écrierez : « Naturellement, on voit que lu es né un dimanche! » A la moindre occasion, cette exclamation jaillira de vos lèvres. Si souvent, que le malheureux finira par se persuader que, de toute éternité, il a été marqué pour l'inaction. En peu de mois, votre suggestion accomplira son oeuvre. Vous étoufferez en lui jusqu'à la volonté de l'effort. Vos accents défaitistes annihileront ses velléités d'ardeur. Ses insuccès, ses échecs, il les attribuera, lui aussi, à l'obscure fatalité que vous aurez déchaînée sur lui. « On ne peut aimer le travail quand on est né un dimanche. » Vous le lui aurez mille fois répété. Il n'essaiera donc point de lutter, de réagir. Vous l'aurez désarmé vousmême...

— Mais alors, implora la jeune femme, un peu impressionnée, comment faire?

— Comment faire? User de la méthode exactement opposée! L'enfant traîne, languit autour de ses devoirs d'écolier? Il enverrait volontiers livres et cahiers au diable vauvert ? Il éprouve des lassitudes, des dégoûts? Vous lui dites, d'un air enjoué : « Toi, le courageux, tu t'arrêtes? Car, enfin, il t'en a fallu du courage pour naître un dimanche! Le dimanche, on chôme partout; on se repose des fatigues de la semaine. Toi, tu as choisi ce jour-là pour ton entrée sur la terre. Ton front s'honore du signe des laborieux. Allons, allons! Quand on est né un dimanche, quand on a si vaillamment débuté dans la vie, on se doit d'être tri modèle! » Pensez-vous que l'enfant se montrera surpris? Il accueillera ce système comme il eût accueilli le précédent. Convaincu que ses particularités natives le désignent pour de grandes choses, il bûchera, il réussira. Et c'est à vous, madame, qu'il devra le meilleur de ses triomphes...

A ce moment, du berceau qu'agitait une faible houle, montèrent des pleurs et s'élevèrent des cris. Bébé avait faim. Sa maman le prit en ses bras et, renouvelant l'adorable geste millénaire, elle lendit son sein gonflé à la tendre bouche qui le happa avidement.

— Au moins, il n'est pas paresseux pour teter ! constata-t-elle joyeusement.

— Vous voyez bien! lui dis-je. Il tiendra de vous. D'ailleurs, bon chien chasse de race, bon sang ne saurait mentir...

Mais je m'arrêtai, épouvanté... C'était un comble!... Je. venais d'afficher ma phobie des proverbes et j'en citais deux coup sur coup!...

GASTON GUILLOT. (1)

(1) Un volume, 8 fr. 60, franco. La Pensée Latine, 134, rue Broca, Paris (13e).


LES NATIONS AMIES

A r g e n t i n e

Les Grandes Figures Historiques BARTOLOMÉ MITRE

MILITAIRE, poète, journaliste, bibliophile, numismate, géographe, diplomate, orateur, tribun, Bartolomé Mitre est sûrement un des hommes les plus éminents de l'Amérique du Sud. Chacune des diverses phases de son existence mériterait à elle seule une importante élude.

Il naquit à Buenos-Aires, le 26 juin 1821. Il apprit à lire dans une modeste école de province, fondée par son père. D'une précocité intellectuelle peu commune, il publiait, en 1836, ayant à peine quinze ans, son premier volume de vers : Ecos de mi Lira (Echos de ma Lyre).

A dix-sept ans, son tempérament le poussa vers la carrière des armes, ce qui ne l'empêchait pas de collaborer aux principaux journaux de l'époque.

Après un long séjour au Pérou et au Chili, où on le vit officier et journaliste, il revint dans son pays pour se mêler à la vie politique.

En 1852, celui qui, plus tard, devint le grand général Mitre, fait partie de la Chambre des députés. C'est l'orateur populaire le plus aimé de l'époque.

Quelque temps après, on le trouve à la tête de la province de Buenos-Aires, en qualité de gouverneur. En 1854, le poète reparaît. Il publie ses fameuses Rimas, qui firent grand bruit, alors.

Ministre de la Guerre en 1809, il prend part à la bataille de Cepeda. L'année suivante, il est nommé brigadier général de la nation. Mais un différend grave survient contre le général Mitre et le président Derqui. Il oblige celui-ci à donner sa démission. Après avoir ouvert la neuvième législature, le 1er mai 1862, à Buenos-Aires, en annonçant le triomphe définitif du parti libéral, il est élu, à l'unanimité, le 5 octobre de la même année, président de la République Argentine. Trois ans plus lard, de concert avec le Brésil, il entreprend la guerre contre le Paraguay. Commandant en chef des armées alliées, il force le passage du Parana. Il subit un échec et résigne son commandement.

Il continua à gouverner la République Argentine jusqu'à l'expiration de son mandat. Il remettait le pouvoir, le 12 octobre 1868, à D. Domingo-F. Sarmiento, en adressant au peuple une proclamation émouvante. Il se vit l'objet des manifestations les plus sympathiques.

Tous les actes du général Bartolomé Mitre, fuient toujours inspirés du patriotisme le plus

pur et le plus sincère. Il consolida les bases inébranlables de la nationalité argentine.

En 1870, il fondait le journal La Nacion, qui devait prendre un développement extraordinaire.

Ce grand quotidien est, aujourd'hui, habilement dirigé par M. Jorge-A. Mitre, petitfils du général, en ce moment de passage à Paris.

Enfin, sa présidence achevée, le général Mitre fut nommé ministre plénipotentiaire au Brésil, La liste de ses travaux historiques, archéologiques ou littéraires est imposante.

Le général Mitre mourut le 19 janvier 1906. On lui rendit des honneurs exceptionnels. Le peuple entier s'y associa.

A. ROUQUETTE DE FONVIELLE,

Belgique

JEAN LARIGUETTE, DRILLE DE WALLONIE

LA LITTÉRATURE BELGE vient de s'enrichir d'une de ces oeuvres qui constituent comme la peinture définitive d'un milieu et de certains aspects communs à toute une race : Jean Languette, « drille de Wallonie », par Rodolphe Parmentier.

Nous possédions, depuis longtemps, dans Le Coeur de François Remy, d'Edmond Glesener, une image synthétique du Wallon ardent et tendre, du Wallon envisagé de face. Jean Lariguelte, c'est le même Wallon vu de profil, aux jours d'insouciance où la gaieté et le goût des farces, qu'il doit à ses origines rabelaisiennes de pur Gaulois, éclairent sa figure d'une malice et d'une truculence d'enfant terrible.

Cette joyeuse figure wallonne, où se prolonge, au nord, le type méridional de Tartarin de Tarascon, n'est pas une exception au pays belge qu'arrosent la Meuse, l'Ourthe, la Semoy, voire la Sambre. Quand ce joyeux drille de Jean Lariguelte, qui joue des tours si pendables mais si drôles aux gendarmes, aux magistrats, au noble député de son arrondissement, à son curé lui-même, se mêle aux folies du carnaval de Binche, aux agapes de l'annuel marché au mariage d'Ecaussines, ou aux naïves aventures et mésaventures d'une fanfare hannuyère à Paris, il résume en luimême, tout en lui donnant son maximum de relief, le tempérament, à la fois folâtre, audacieux et ingénu, de tous les francs lurons de la famille wallonne. Apte à tous les métiers, sans en pratiquer un seul, il vous a généralement des allures de gibier de potence, tant qu'il croit pouvoir traiter la vie en grasse partie de plaisir, aux dépens des imbéciles, des

avares ou des tyranneaux de village. Mais il a un fonds d'inconsciente honnêteté, de beauté morale qui s'ignore et qui, à la fin des fins, en fera, à Ecaussines, un amoureux candide et à Liége, un frère des héros de Verdun, rougissant d'un sang généreux la Meuse, notre commune ceinture d'eau. Par quoi son coeur se montre semblable à celui de François Remy, après et à travers tant de gaudrioles.

Ceux qui, en France, liront Jean Languette, se régaleront d'abord des désopilantes facéties de ce « vaurien valeureux », de ses frasques de loustic sans scrupule, et de son verbe d'ose-tout exprimé dans la verdeur de son patois picaresque et picard, qui serait intelligible à Valenciennes sans aucune des notes qui le traduisent en bas de page. Et ils admireront les tableaux folkloriques du livre dont plusieurs — le carnaval de Binche, la foire d'amour d'Ecaussines, la fêle montoise du Doudou — frisent le chef-d'oeuvre descriptif. Mais ils y trouveront un plaisir plus profond, s'ils songent que, sous sa forme hilarante, voilà la représentation exacte d'une des deux faces de l'âme de la Wallonie, rameau nordique de l'âme française.

Pour tout dire, Jean Lariguette, conjugué avec Le Coeur de François Remy, nous apporte un véritable pendant au Thyl Ugkenspiegel de Charles de Coster, le classique miroir de l'âme flamande, de l'autre et plus rude moitié du peuple belge...

Le rire ne fait pas que châtier les moeurs; il peut servir, mieux que les plus sévères gloses d'historiens ou de psychologues, à les conter et mettre en lumineuse évidence. El il vaut mieux, en nos anxieux jours d'après guerre, apprendre à nous connaître dans des livres qui nous égaient qu'en des pages sur lesquelles on se penche, les sourcils froncés.

GÉRARD HARRY.

a ï t 1

HISTOIRE BU DRAPEAU HAITIEN

EN SEPTEMBRE 1803, le commodore anglais Loring vint croiser entre le CapHaïtien et le Port-de-Paix et, voulant user de courtoisie envers le général Capoix, lui fit don d'un brillant drapeau bleu et rouge. Cette circonstance, considérée isolément, pourrait faire croire à l'étranger que les Haïtiens doivent aux Anglais l'idée de leur drapeau bicolore. Erreur.

Le grand historien haïtien Thomas Madieu relate que le divisionnaire Alexandre Pélion, dans son quartier général à l'Arcahaie, reçut, par un des émissaires qu'il envoyait régulière-


LES ANNALES

409

ment au Port-Républicain (aujourd'hui, Portau-Prince) Une publication imprimée en cette ville. Les Français y rapportaient la défaite que Pétion avait essuyée à « Pierroux », en décembre 1802, et, parlant du drapeau que la 13e brigade avait perdu dans ce combat, faisaient observer qu'il était de trois nuances. Cela démontrait, disaient-ils, que les insurgés ne se battaient pas pour reconquérir une liberté qu'ils croyaient avoir perdue.

Pétion envoya cette publication au général en chef Dessalines, qui était à la Petite-Rivière-de-l'Artibonite.

Dessalines, arrachant du tricolore français la couleur blanche, créa ainsi le « bleu et rouge " haïtien, manifestant nettement, sans ambages, sa volonté de forger une patrie...

Dessalines, alors, envoya l'ordre à ses généraux Capoix, Toussaint Brave, Christophe, Vernet, Clerveaux, Romain, Pétion, Geffrard, de rendre bicolores les drapeaux... Ces deux couleurs, qui représentaient l'union du noir et du mulâtre, furent placées verticalement : le bleu fixé à la lance, le rouge flottant à l'extrémité.

Dessalines devint Jacques Ier. Sa Constitution du 20 mai 1805 remplaça le bleu par le noir.

Alexandre Pétion, le fondateur de la République Haïtienne, conserva le « bleu et rouge », mais placés horizontalement et, de sa main, dessina les armes de la République et le palmiste surmonté du bonnet de la liberté orné d'un trophée avec la légende : « L'union fait la force. »

Par l'article 1 20 de la charte du 12 juin 1918, le symbole de la patrie haïtienne est toujours le « bleu et rouge », placés horizontalement. Et les armes de la République d'Haïti — en dépit des volontés nord-américaines contraires — restent pareilles, avec le palmiste surmonté du bonnet de la liberté orné d'un trophée, avec toujours la devise : " L'Union fait la force. »

PIERRE-MORAVIA MORPEAU.

Serbie, Croatie, Slovénie

LES DETTES SERBES D'AVANT GUERRE EN FRANCE

ON CONNAIT la campagne poursuivie par certains journaux français en faveur du paiement en or des coupons des dettes serbes d'avant guerre en France.

Il s'agit là d'une campagne suscitée exclusivement par un groupe de particuliers intéressés aux emprunts serbes, ou, pour mieux dire, à la spéculation tout court. Et comme cette spéculation manque de fondements, elle s'appuie volontiers sur un groupe financier français, qui, dans le temps, a organisé la direction des monopoles d'Etat serbes, dont les recettes servaient de garantie aux emprunts serbes, en France, rappelant que c'est à ce groupe qu'on doit la base, de l'organisation financière du royaume de Serbie. Bien que cette fondation ait été une bonne

affaire pour ce groupe financier, on ne peut pas admettre que l'on se serve de ce fait comme d'un argument dans la discussion,

D'un autre côté, certains milieux au sein de cette spéculation vont encore plus loin et proposent une conversion des emprunts serbes d'avant guerre en un seul emprunt au moyen d'une réduction modérée de la somme totale, comptée en dollars (sic !), afin de satisfaire les revendications, légitimes à leur avis, des porteurs français de titres serbes. Mais, généralement, et pour cause, la spéculation, qui a plutôt un caractère international, s'abstient de citer la clause légale ou le principe juridique qui, au moins, justifieraient cette revendication peu originale dans ces temps difficiles... Et cela parce qu'un tel principe n'existe pas.

Les Français savent, d'ailleurs, que, pour leurs titres d'avant guerre, dont un grand nombre sont en Suisse, les coupons sont payés en francs français et non en francs suisses, et que personne ne proteste contre cet état de choses en demandant le paiement en or.

Mais quittons le terrain juridique, car le principe de la force majeure, — des circonstances imprévues par la raison et qui s'imposent à la volonté humaine — parle moralement en faveur de l'Etat yougoslave, et considérons la situation au point de vue matériel et réaliste.

Pour répondre aux voeux de la spéculation, le Trésor serbe-croate-slovène s'exposerait a une dépense supplémentaire d'un demi-milliard de dinars environ par an. Il ne faut pas perdre de vue que les charges fiscales du pays sont, aujourd'hui, au grand maximum, comme tout récemment le ministre des Finances vient de le confirmer, et qu'une pareille dépense ne pourrait d'aucune façon être supportée par le peuple yougoslave. Et on voudrait y ajouter un nouveau poids de cinq cents millions par an ! Cela équivaudrait à vouloir tout simplement compromettre la situation financière du pays et porter, en même temps, un coup mortel à son développement économique, aujourd'hui réalisé au prix de tant d'énormes sacrifices. C'est ce que cherchent les ennemis communs de la France et du royaume des Serbes, Croates et Slovènes.

Il faut donc que les porteurs français des titres serbes ne se laissent pas tromper ni prendre dans un piège habilement tendu, car, tôt ou lard, ils en souffriraient dans leurs intérêts matériels en perdant, en dernier lieu, beaucoup plus.

Mieux vaut donc toucher ce qui peut être réellement payé. Une alouette rôtie qui se trouve sur votre table vaut mieux que la vision éphémère d'un faisan doré.

Quant aux attaques contre les Serbes, dans une partie de la presse française les traitant de « nation ingrate », c'est là un reproche qu'il est bien difficile de juger en termes courtois. Cette manière de voir manque tout à fait de bon sens, crée une atmosphère pénible dans le public yougoslave et constitue un défi à toute logique.

A notre avis, il vaudrait mieux, peut-être, chercher des moyens d'obliger le gouvernement d'Angora à remplir ses obligations financières et de forcer la main aux bolcheviks qui ne paient rien, ni en roubles-or, ni en tchervonetz

papier. Enfin, pourquoi veut-on continuellement ménager ces récents ennemis, les Bulgares par exemple, auxquels on a assuré une forte réduction de leur dette, tout en étant trop sévère à l'égard des Serbes qui remplissent ■honnêtement leurs obligations? Voudrait-on saboter la victoire?

Plus que jamais, les deux pays ont aujourd'hui besoin d'être en bons rapports l'un avec l'autre, et les Serbes sont des amis fidèles et éprouvés de la France. Ne nous laissons donc pas brouiller pour une question d'argent, question mal posée et qui, pratiquement, ne tient pas debout.

Voyons plutôt ce qui se passe à Berlin, à Budapest et... à Genève...

BORIVOIE-B. MIRKOVITCH.

Echos des Nations Amies

ARGENTINE

Les élections. — M. Adolphe Lanus et M. Carlos Quiroga ont été élus, respectivement, gouverneur et vice-gouverneur de la province de la Rîoja.

Le marché. — Boeufs de o 25 à o 28 pesos le kilo : moulons pour frigorifique, de 14 à 17 5 pesos par tête.

La Bourse. — La livre anglaise vaut 12 33 pesos : le franc belge, o 102 pesos.; le franc français, o 089 ; le dollar, 2 538.

CHILI

La marine de guerre. — Le Conseil Supérieur Naval a demandé au gouvernement l'ouverture d'un crédit de dix millions de livres sterling pour acquisition de nouvelles unités à incorporer dans la marine de guerre.

Banque du Chili. — On annonce que la Banque du Chili va porter son capital de cent à deux cents millions de pesos.

ESPAGNE

Les nouveaux express nationaux. — Une ordonnance royale vient d'ordonner l'établissement de nouveaux services d'express entre Irun-Séville et Cadix, Cadix-Séville et Hendaye, Irun-Séville-Malaga-Grenade et Almeria, Almeria-Grenade-Malaga-Séville et Hendaye. MadridMalaga et Algésiras, Algésiras-Malaga et Madrid. Les Compagnies intéressées devront présenter à la direction générale des chemins de fer un projet d'itinéraire complet de ces trains. Deux mois au plus tard après l'adoption de ce projet, les nouveaux services entreront en vigueur.

Les progrès de l'automobilisme. — D'après une statistique récemment publiée, il existait en Espagne, au Ier janvier dernier, III. 760 voitures automobiles, représentant une augmentation de 21.855 par rapport à l'année antérieure. Barcelone vient en tête avec 19.579 voilures (3470 de plus qu'en 1920). Madrid compte 18.120 (+ 2.698). Viennent ensuite: Séville, Bilbao, Saint-Sébastien, Valence, Oviedo, SantaCruz-de-Ténérife et Murcie.

PARAGUAY

L'importation des vins. — Le gouvernement du Paraguay examine un projet tendant à la réduction dos impôts qui grèvent l'importation des vins en provenance de la France.

PÉROU

Le pétrole. — On estime que la production du pétrole péruvien pour l'année 1326 dépassera dix millions de barils.


410

LES ANNALES

POLOGNE

La balance commerciale. — La balance commerciale en Pologne continue à accuser un excédent d'exportations très considérable. C'est ainsi qu'au mois de janvier, les importations se sont élevées à 68 millions de zlotys et les exportations à 169 millions; en février, les importations ont été maintenues au même niveau et les exportations ont dépassé 130 millions, en accusant un excédent d'exportations de 62 millions de zlotys. Celle situation du commerce de la Pologne a permis à la Banque de Pologne d'augmenter sensiblement son stock de devises fortes.

L'opinion après Genève. — L'opinion polonaise a accueilli l'ajournement des négociations de Genève avec une profonde inquiétude en ce qui concerne l'avenir de la Société des Nations. La politique extérieure de la Pologne était, depuis quelques années, intimement liée à l'idéal de la S. D. N., et la grande majorité de l'opinion polonaise considère le progrès de la S. D. N. comme le meilleur moyen pour assurer la sécurité et la prospérité de la Pologne, il ressort des négociations de Genève que la Pologne, ainsi que la France, ont fait tout pour rendre possible le dénouement des difficultés. Le projet d'accorder à la Pologne, immédiatement un siège, non permanent et à l'Allemagne un siège permanent, et l'ajournement jusqu'en septembre de la transformation des sièges polonais, brésilien et espagnol en sièges permanents, était considéré en Pologne comme une grande concession et une preuve de l'esprit de conciliation et de sacrifice. Cependant, cette possibilité étant écartée par l'intransigeance égoïste allemande, on considère en Pologne que la question de l'élargissement du Conseil et du siège permanent pour la Pologne se posera en septembre avec encore plus de netteté. La presse souligne avec satisfaction l'attitude favorable à l'égard de la Pologne prise par le groupe parlementaire franco-polonais de Paris.

UNION INTERALLIEE

Conférences

Une conférence, très applaudie? et à laquelle assistaient de nombreuses personnalités, a été faite à l'Union Interalliée par M. A. Moret, professeur d'égyptologie au Collège de France, sur « Révolution et Socialisme d'Etat enl'année 2000 avant J.-C. ».

V'

Une conférence très intéressante et très applaudie a été faite par l'explorateur danois, le capitaine E. Mikkelsen, sur; « Colonisation d'Esquimaux à 18° du Pôle Nord ».

Le capitaine Mikkelsen eut l'idée de coloniser la côte orientale du Groenland à la suite d'une exploration au cours de laquelle il a été perdu dans les glaces pendant trois ans.

Le conférencier a été présenté par le docteur Charcot, qui montra, à l'issue de la conférence,: un film sur le dernier voyage du PourquoiPas?

De nombreuses personnalités assistaient à cette conférence, présidée par S. Exc. M. le ministre du Danemark.

Dîner

Les attachés navals se sont réunis en un dîner

au Cercle Interallié. On remarquait, notamment

notamment le vice-amiral Salaun, les contre-amiraux

Herr et Pirot, le capitaine de vaisseau Johnson,

attaché naval des Etats-Unis.

Invitations

Parmi les personnalités étrangères qui ont été les hôtes de l'Union Interalliée pendant le courant de la' semaine, citons : M. Simpson, assistant to the attorney general a New-York : M. V.-F. Cronyn, du Royal Bank of Canada: M. Ernest Boissevain. banquier de New-York ; le colonel Philips, de l'armée britannique.

Réciprocité d'un Club de l'Étranger

Un Cercle britannique, récemment affilié à l'Union Interalliée, vient d'informer le Comité qu'il sera heureux de recevoir les membres de L'association de passage à Londres.

Réception

En collaboration avec l'association « FranceGrande-Bretagne », l'Union Interalliée a offert

une réception au professeur E.-A. Gardner, vicechancelier de l'Université de Londres, et à Mme Gardner. Autour de l'amiral Lacaze, de la vicomtesse Vigier et de M. Edgar Bonnet, qui ont salué les invités, on remarquait les représentants de M. le président du Conseil, de l'ambassade et du consulat britanniques, les professeurs de la Sorbonne, M. Vial, directeur de l'enseignement secondaire, lady Evelyn Baring et Mme Philippe Roy.

MOUVEMENT SCIENTIFIQUE

Coloriage des Films au Pochoir

LA PRÉSENTATION de projections cinématographiques colorées exige que les films positifs soient peints au moyen de couleurs transparentes. La petitesse des images rend ce travail extrêmement délicat, car toutes les vues doivent être peintes de la même manière.

On a imaginé de fabriquer des pochoirs en découpant, au moyen d'un pantographe perfectionné, qui a pour modèle une projection agrandie de l'image, un film positif identique à celui qu'on veut colorier. On obtient ainsi une sorte de dentelle, qui, juxtaposée, passe dans une machine avec le film positif. Un cylindre' garni de couleur, en quantité réglable, passe la teinte automatiquement sur tous les points où les vides du pochoir laissent le film positif accessible.

On a ainsi une série de pochoirs préparés suivant les différentes teintes à réaliser. On règle l'intensité de chaque teinte en encrant plus où moins le cylindre imprégné de couleur. Le travail est rapide, il se fait ainsi mécaniquement.

Tannage Électrique des Cuirs

ON A APPLIQUÉ les méthodes électrolytiques au tannage des cuirs, dans le but d'accélérer l'opération. Dans certains cas, cependant, cette rapidité nuit à la qualité du cuir; et le courant électrique décompose, en outre, le tanin.

Une modification du tannage électrique, employée avec succès en Autriche et en Allemagne, consiste à entourer les électrodes par des diaphragmes poreux, qui, par osmose, permettent l'action d'électrolyse sur le tanin. On augmente donc la rapidité de pénétration dans la peau soumise au traitement.

Cette méthode appliquée avec le tannage végétal ne demande que cinq à six jours, pour donner le même résultat que le tannage en fosse, qui exige souvent de dix-huit mois à deux ans.

L'Étude des Migrations des Oiseaux

LES PROGRÈS de l'ornithologie sont constants. L'un des problèmes intéressants que cette science' étudie est celui de la migration des oiseaux. Ces grands voyageurs parcourent souvent des distances considérables et l'on repère, aujourd'hui, les routes suivies, les dates de départ et celles de retour,

M. Maurice Boubier, président de la Société Zoologique de Genève, expose, dans la Revue Scientifique, l'historique des méthodes employées. Ce fut le Danois Morteusen qui,

en 1899, imagina le premier de fixer des anneaux d'aluminium catalogués à cent soixantecinq jeunes étourneaux. Aujourd'hui, des associations se sont organisées pour appliquer en grand ce moyen d'investigation de la vie des oiseaux. La capture se fait avec des trappes ou d'immenses filets. Des revues spéciales fournissent aux opérateurs les renseignements voulus et les oiseaux bagués sont signalés dès qu'on les retrouve. On peut ainsi fixer des données précises sur les migrations des diverses espèces.

Moteur Électrique à tout faire

L'ÉLECTRICITÉ conquiert peu à peu tous les terrains. On connaît l'emploi du moteur électrique qui actionne de nombreux appareils ménagers : aspirateurs, laveuses, machine à coudre, etc. La cuisine et l'office sont, parfois, de petites usines.

Il faut, dans ces conditions, un moteur pour chaque service, car le procédé d'un moteur fixe, agissant au moyen de transmissions sur les divers mécanismes, n'est guère pratique. Un inventeur a eu l'idée d'un moteur amovible, qui se monte rapidement sur les machines domestiques. Un bâti spécial permet, de plus, la misé en marche de toute une série : meule, polisseurs, moulin à café, hache-viande, etc.

Un seul moteur électrique — le moteur à tout faire —— assure ainsi le service mécanique du home, sans récriminations contre le maître qui l'Emploie.

L'Alcool de Marron d'Inde

LES MARRONS D'INDE contiennent une forte proportion d'amidon, un peu de sucre et d'autres composés organiques. Malheureusement, la glucoside qu'ils renferment et qui leur communique son amertume est difficile à éliminer. On a cherché depuis longtemps, à utiliser le marron d'Inde, mais on n'avait pu employer leur amidon pour en fabriquer de l'alcool, car la glucoside s'oppose au développement de la levure de fermentation. On a imaginé, récemment, un procédé qui élimine ce produit gênant.

La farine de marron, moulue et séchée, est lavée par un dissolvant qui agit sous l'influence de la chaleur. Ce dissolvant est ensuite distillé, on le régénère donc et il repasse dans la fabrication. On enlève ainsi de la farine le goût amer.

On fait passer de la vapeur qui enlève toute trace de dissolvant, et la farine traitée par l'eau sous pression fournit son amidon. Il sert à fabriquer de l'alcool, et cent kilos de marrons séchés fournissent près de vingt-cinq litres, d'alcool absolu.

EUGÉNE-H. WEISS.


LES ANNALES

411

Le Duc d'Orléans

Le chef de la Maison de France naquit sur la terre étrangère... Il est mort sous le ciel d'Italie... Ce petit-fils du roi Louis-Philippe avait fait ses études au collège d'Eu, puis au lycée Stanislas. En 1880, le vote des lois d'exil le contraignit à quitter notre pays. Il avait onze ans. Quand il atteignit l'âge de la conscription, il voulut entrer dans l'armée, ce qui lui valut deux ans de prison. Il fut libéré après une détention de quatre mois.

Au cours de la guerre, le duc d'Orléans ne put réussir, malgré ses démarches, à se battre sous nos drapeaux. Il dut se résoudre à installer une ambulance modèle dans son château de Putdaele (Belgique), où de nombreux blessés reçurent les soins les plus dévoués.

Grand voyageur, le duc d'Orléans a publié deux volumes : A Travers la Banquise et Chasses et Chasseurs Arctiques. La belle page que nous donnons ci-dessous remonte à l'époque de sa vingt-troisième année, alors qu'il explorait l'Afrique Centrale.

LA NUIT DE NOEL DANS LE DÉSERT

DEPUIS LONGTEMPS DÉJA, nous étions en colonne. La caravane marchait dans de longs sentiers bordés de mimosas qui sont les grands chemins de l'Afrique Centrale.

Les musulmans, tous les soirs, se réunissaient en silence et, dans les dernières lueurs du soleil couchant, élevaient leur âme vers Dieu dans un hosanna grave et recueilli.

Parmi nous autres Européens, quelques frondeurs s'étaient glissés. Ils parlaient haut et semblaient se moquer de ces croyants, eux qui, disaient-ils, étaient plus forts, ne croyant à rien.

Peu à peu, pourtant, la route devint rude, et l'eau enfin vint à manquer.

Les musulmans regardaient le ciel, leur hadji les appelait a la prière, et puis, enveloppés dans leurs burnous, ils se couchaient sur le sable en attendant le lendemain. Les esprits forts commencèrent à jurer et à se révolter. Mais contre qui?

Leurs invectives se perdaient dans cette immensité du désert qui n'a pas d'écho. Leurs voix sonnaient faux dans le cadre où tout rend hommage au Créateur et ces voix, résonnant ainsi dans la nuit sépulcrale du désert, leur firent peur à eux-mêmes.

Ils se turent et se couchèrent sans blasphémer. L'eau manquait toujours...

Nos hommes, impassibles, faisaient leurs prières comme dans les plus somptueuses mosquées. Ils attendaient tout du Tout-Puissant et leur résignation à la fatalité imposait à tout le monde.

Peu à peu, je vis venir, le front courbé, tous nos libres penseurs et tous nos esprits forts se joindre à nos musulmans ; tous, la tête penchée vers le sable aride, dans une ardente prière, imploraient le Ciel et s'inclinaient devant l'Etre tout-puissant qui nous dirige, nous régit et nous secourt à l'heure du danger.

C'était le 24 décembre; nous venions d'avoir une des plus rudes échauffourées que j'aie essuyées dans ma longue carrière d'Afrique.

Donc, ce soir-là, nous venions d'échapper à un grand danger ; un autre nous menaçait toujours : le manque d'eau.

J'organisai pourtant, sous ma lente de campagne, en souvenir de mes jeunes années et du

pays de là-bas, si loin, mais si près pourtant' par le coeur une crèche : comme on la fait chez nous, et, à minuit, je commençai, avec les deux hommes pratiquants, à faire un semblant d'office de nuit.

Quel ne fut pas mon étonnement de voir tout à coup se lever des ombres qui se dirigeaient vers ma tente!

Ce furent d'abord les Abyssins, Cophtes, puis des musulmans, puis mes esprits forts, mes fortes têtes, ceux qui niaient tout et ne croyaient à rien.

Et tout à coup, sous ce ciel d'Orient étoilé de ces points d'or ou d'argent comme l'équateur seul sait en semer l'horizon, je vis, autour de cette crèche illuminée par une pâle bougie, des centaines de têtes inclinées qui glorifiaient le Seigneur et imploraient sa miséricorde.

Alors, je compris les rois mages suivant l'étoile et venant se prosterner aux pieds du nouveau-né.

Jamais, dans ma vie, je n'ai eu une impression si poignante qu'en voyant dans le désert, à des milliers de kilomètres de tonte civilisation, des hommes si différents de caste, d'éducation et de croyances, même de religion, venir tous, dans un élan spontané, offrir à l'Etre suprême leurs souffrances et implorer sa protection.

La lune semblait avoir adouci ses dures clartés d'acier pour laisser seule briller la lumière de la crèche, qui illuminait la pauvre tente d'une sorte d'auréole; et, tout autour, une foule prosternée était doucement estompée par la clarté qui tombait des cieux.

Et, dans un grand élan de foi, tous les assistants semblaient s'être fait un serment de chevalerie.

Quand ils se relevèrent, l'espoir brillait dans tous les yeux. Ils avaient tous l'âme confiante, ceux que la même souffrance et le même dénuement avaient jetés à genoux devant l'Enfant qui venait de naître pour sauver le monde.

C'est là, dans le désert, à la rude école de la lutte, toujours répétée, que l'on apprend à connaître les coeurs et que l'on peut les dépouiller de leur masque. Tous, quels qu'ils soient, sont obligés de s'incliner devant la divinité. Tôt ou tard, ils reviennent à elle et, souvent, gémissent sur leurs erreurs passées.

Ce même soir, je reçus du hadji de ma caravane la plus belle leçon de conduite chrétienne qu'on puisse entendre. Un des hommes de ma colonne était mourant de dysenterie, je voulus lui donner un médicament dans lequel entrait de l'alcool; mais, connaissant la croyance des musulmans, j'en prévins le hadji. Il refusa net de laisser administrer le médicament au moribond; car, disait-il, il manquerait à sa foi et serait à tout jamais maudit.

Je m'inclinai et je lui dis :

— Au moins, prépare le pauvre diable à la mort.

L'homme au turban vert, se tournant vers moi en opposant sa belle face pensive et triste aux rayons de la lune, me répondit lentement :

— Que t'apprend donc ta religion? Chez nous, la vie n'est qu'un long exil et une préparation perpétuelle à la mort. Qui nous donnera l'Eternité si nous n'avons su la mériter?

Sous les rayons de la lune, cette tête de Somali me parlant ainsi m'a rappelé les prophètes des premiers temps. J'ai souvent repensé à ces paroles si simples. C'est le plus beau sermon que j'aie entendu.

PHILIPPE, DUC D ORLÉANS.

LA HAUTE-COUR de Londres se trouve aux prises avec un procès littéraire d'un aspect

tout à fait inédit.

Il s'agit de savoir à qui doivent être payés les droits d'auteur de La Chronique de Cléophas, que l'on prétend être la continuation des Actes des Apôtres.

Au cours de l'année dernière, Miss Cummins, qui est la fille d'un médecin irlandais, écrivit, comme médium, pendant une séance qui durn cinquante-six heures, un ouvrage de 760.000 mots auquel on donna le nom de Chronique de Cléophas.

Le Révérend Oesterley, docteur en divinité et chapelain de l'évêque anglican de Londres, ayant daigné déclarer que ce livre devait être considéré sinon comme authentique, du moins comme probant, le succès en librairie sera sans doute important.

Miss Cummins espérait toucher. Or, M. Bligh Bond, sous les auspices de qui eurent lieu les séances de recherches psychiques, prétend recevoir tous les droits.

La Haute-Cour doit se prononcer. C'est dommage que Cléophas soit mort. La question serait vite tranchée.

vLes

vLes ailleurs d'aujourd'hui ne doutent plus de rien. Voici que Joseph Delteil publie un nouveau roman : Les Poilus, et qu'il lui donne ce sous-titre : « Epopée ».

Depuis La Légende des Siècles, nous n'avions plus lu d'épopée en France. Sans doute les sujets faisaient-ils défaut. Joseph Delteil, qui a su si magnifiquement interpréter le vrai caractère de Jeanne d'Arc, fait, avec ses Poilus, une véritable chanson de geste, suite moderne de La Chanson de Roland.

Mme Camille Mayran est l'auteur de cette Gotton Connixloo. qui nous présenta d'une façon si émouvante l'histoire d'une jeune fille des pays dévastés se laissant fusiller pour éviter des représailles à son village. Elle nous donne, aujourd'hui, Hiver, où, dans le décor de trois hivers successifs, en exprimant toute la majesté biblique dos provinces d'Alsace, elle montre le développement d'une passion douloureuse et tragique.

-y

Un passionnant roman pour la jeunesse. Sommes-nous bien sûrs de connaître toute la vérité sur tels ou tels événements historiques ? Ces événements n'ont-ils pas des « dessous » cachés, mystérieux, dont l'histoire officielle n'a pas, malgré leur importance, tenu compte ?

Mettre en lumière, faire revivre les « dessous » d'un grand drame historique, celui de Bonaparte menant son armée à la victoire pendant la célèbre campagne d'Italie en 1796, voilà ce qu'a réalisé Jean d'Agraives, dans L'Aviateur de Bonaparte, écrit spécialement pour la jeunesse et que va commencer à publier, à partir du 29 avril, Le Livre du Jeudi. Dans ce roman passionnant, l'auteur a fort habilement mêlé beaucoup de fiction eux faits historiques, donnant un intérêt palpitant à l'intrigue qui évoque le général Bonaparte, sa femme Joséphine, Larmes, etc. Bref, c'est, dans un cadre historique, le plus merveilleux des romans de grandes aventures.

-y

Pour mes Petits Amis..., oeuvrette musicale de Georgette Madeline. Ces courtes pièces à quatre mains, tout à fait réussies, feront le bonheur des professeurs de piano qui ne savent que donner à leurs petits élèves. On pourra se procurer ce précieux album aux éditions Maurice Sénart, 20, rue du Dragon, Paris.

GEORGES DERVILLE.


412

LES ANNALES

DE MA FENÊTRE

TAUROMACHIE. — LA NOUVELLE MODE DES PRIX SCOLAIRES

SI L'ON VEUT s'attirer des invectives et des menaces, on n'a qu'à toucher à certaines spécialités : on est sûr de son affaire. Essayez donc, par exemple, de vous élever

contre la brutalité de la boxe, contre le caractère sauvage de ce sport, etc.. Vous m'en direz des nouvelles!

Jadis, un grand journal, dans la meilleure intention hygiénique du monde, a eu la témérité de s'attaquer aux mastroquets indéfiniment multipliés... Ah! mes amis! Qu'est-ce qu'il a pris! comme l'on dit vulgairement. C'a été une de ces levées de boucliers en zinc! Tellement qu'il a fallu remettre la suite « au prochain numéro », — pour l'éternité.

Il y a tout de même des circonstances où il faut essayer de faire son devoir; ayant à choisir entre les risques professionnels et les obligations que m'impose mon titre de membre de la Ligue pour la Protection du Cheval, je n'hésite pas.

Jugez de ma satisfaction lorsque j'ai lu, dernièrement, dans les feuilles, que les picadors allaient être supprimés dans les courses de taureaux espagnoles ; n'en déplaise au; amateurs forcenés de tauromachie, je m'élèverai à toute occasion contre l'abominable usage que l'on fait des pauvres chevaux dans les courses de taureaux. Que pensez-vous, madame, qui vous jetez sur le téléphone du vétérinaire dès que votre pékinois a seulement l'air triste, et vous, monsieur, visiblement préoccupé lorsque votre chien Boule a le nez chaud, que pensezvous de ce spectacle affreux, vu de mes yeux, ce qui s'appelle vu, et dont je m'excuse d'évoquer l'horreur, nécessaire, hélas ! à mon argumentation?

La course commence... A gauche de l'entrée du toril, contre la lice (prudemment), le picador a placé son cheval et, la lance en arrêt, il attend l'entrée du taureau, lequel foncera d'abord sur lui.

Le cheval infortuné, une haridelle étique, se doute visiblement du danger qui le menace ; on a beau — quelle dérision! quelle hypocrisie! — lui bander l'oeil droit, il a de l'odorat et, le taureau entré, il flaire avec épouvante l'ennemi menaçant... Il tremble, il piétine, accoté à la barrière et férocement maintenu à proximité du monstre... Le taureau, énervé, excité, que le désir du carnage rend épileptique, l'aperçoit... En six bonds, il est sous lui et, en dépit de la lance dérisoire qui le pique un peu, il lui fouille le ventre d'une corne enragée... Le joli jeu!

... Je m'excuse de mettre à l'épreuve les nerfs et la sensibilité des lecteurs; mais comment gagner à la cause des pauvres chevaux ceux que n'anesthésie pas la passion tauromachique, si l'on n'insiste pas sur l'horreur du spectacle et du supplice?... Il faut bien, pour tenter de déchaîner l'indignation des braves gens, montrer, écrasé contre la lice, le malheureux vieux cheval haletant, éventré, saignant à flots, saisi du frisson mortel qui secoue sa carcasse, perdant — horreur! — ses entrailles sur lesquelles, parfois, il marche!

Car j'ai vu cela, je vous dis... Alors, quand on a vu cela, est-on, même avec un nom espagnol, un phénomène, une poule mouillée, si l'on se réjouit de lire dans un journal que l'on parle supprimer les picadors?

Fausse joie, hélas! Les journaux ont rectifié... Les Espagnols, les tendres Espagnols des guitares, des sérénades, des romances, des roses aux lèvres, feraient plutôt, paraît-il, une révolution que de se laisser priver de picadors et de vieux chevaux étripés... Pas d'affaires! pas d'histoires! Il vaut mieux sacrifier des multitudes de chevaux que d'exposer quelques carabiniers, et la tranquillité de l'Etat prime celle des quadrupèdes qui, après tout, ont fourni leur effort, sont arrivés au bout de leur utilité, et qui, entre les coups de fouet du charretier et l'écorchement du corroyeur, ne sont bons qu'à faire acclamer un taureau féroce.

La seule petite espérance qui nous reste, à nous autres, chichiteurs sentimentaux, c'est qu'un jour, on ne sait quand, lorsque auront passé encore bien des années d'école obligatoire, de prédications humanitaires, de théories et de principes moralisateurs, on munira les vieux serviteurs chevalins, usés à notre service, d'un caparaçon comme on en exige dans les plazas du Midi français.

Et dire qu'il va se trouver des gens pour grogner avec regret :

— Oui..., mais ça ne sera plus la même chose...

... Des gens qui soulignent la victoire la

plus facile, la plus grande lâcheté imaginable de ce cri stupéfiant : — Bravo, toro!

Sans doute avez-vous lu que M. Peugeot, le constructeur d'automobiles bien connu, a offert, comme récompenses, aux élèves les plus méritants des lycées, collèges, grandes écoles primaires, des autos, des motos et des bicyclettes.

Merveilleuse occasion d'appliquer la formule : « signe des temps », prodiguée si souvent moins à propos... Car c'est, en effet, un signe des temps tout à fait typique que l'innovation des prix scolaires mécaniques remplaçant les antiques bouquins traditionnels.

Est-ce le commencement de la fin d'un usage século-scolaire ? La vie chère avait déjà quasi supprimé la reliure de luxe et la tranche dorée. Est-ce que l'évolution vers le « pratique

pratique et vers le sport va faire disparaître à présent le livre lui-même, le bon vieux livre d'aventures d'un petit Parisien, d'un détective amateur, d'un conquérant de l'air, d'un voyageur dans la planète Mars? l'encyclopédie scientifique à la portée de l'âge tendre, le manuel du mécano enfantin et de l'amateur de T. S. F. adolescent?

Va-t-on voir bientôt, aux distributions de prix, l'estrade officielle ressembler à un stand du Salon de l'Automobile, et un monsieur en gants blancs remettre aux lauréats des véhicules mécaniques d'importance variée?

Je demande à assister à la sortie! Je veux voir filer chez eux tous les prix d'excellence dans leurs 5 CV, les premiers et les seconds prix sur leurs bécanes, et puis tous les accessits sur leurs patinettes!

MIGUEL ZAMACOÏS. (Dessins de CHARLES GENTY.)

IMPRESSION DU SOIR

La brise de la mer prodigue sa caresse... Sur un rocher désert, je suis venu m'asseoir... Une ineffable paix m'envahit et je laisse Mon rêve s'alanguir sous les ailes du soir.

MARCEL MUSSO.


LES ANNALES

413

LES MAISONS CLAIRES.

Reconnues d'Utilité Publique par Décret du 16 Mai 1919

Nos OEufs de Pâques

NOUS AUSSI, nous avons eu nos oeufs de Pâques! Nous avons appris le mariage d'une de nos filles!... Celle-ci n'est pas restée très longtemps chez nous : seulement un été. Le docteur Baudet l'avait trouvée pâle, anémiée, et désirait pour elle un séjour en pleine campagne. Elle partit le 4 juin 1925 et revint avec une mine ravissante,-des yeux tendres, un sourire plein de malice, et toute sa gentille personne respirait alors la santé et la gaieté. Et voilà qu'un billet parfumé m'arrive, annonçant d'une écriture longue, ferme, ce qui peut nous être le plus agréable au monde — son mariage :

« Je vais me marier le 6 du mois d'avril. Je suis heureuse de vous l'annoncer, chère Maman Claire. Je suis une petite Clairette qui a eu le plaisir et le bonheur d'aller à SaintAlvère reprendre des forces dans votre chère maison.

» Je vous reste bien reconnaissante, à vous et au docteur Baudet, de ce que vous avez fait pour moi, et je garde aussi un bon souvenir de Saint-Alvère, que j'aimais tant : les Soeurs, mes compagnes, le grand jardin. Je serai heureuse de vous présenter mon mari.

» Je vous embrasse, chère Maman Claire, de tout mon coeur.

» Hélène Balard. "

Comme nous avons de l'émotion à ccmpter déjà tant de petits gendres!... C'est pour nous un sujet de joie, peut-être aussi un peu d'orgueil. Car, enfin, nous pouvons constater combien nos Clairettes se marient facilement. Cette dernière fiancée, en réalité, n'est pas restée assez longtemps chez nous pour avoir notre seule empreinte; mais elle s'est plu dans le cadre intime et familier de nos Maisons, elle en a aimé la règle et les jeux, ainsi que le sentiment fraternel qui unit toutes ces fillettes, et, avec un coeur charmant, elle nous fait part d'un événement qui comble nos voeux secrets...

Marier ces enfants , c'est là notre idéal... Pas un jour, nous ne cessons de travailler à faire d'elles de bonnes ménagères : des femmes d'autrefois, par l'ordre, l'économie et les sciences domestiques ; des femmes d'aujourd'hui, par le courage au travail, le sens des responsabilités, et aussi par l'acharnement que nous mettons à leur apprendre l'hygiène. Nos filles savent pratiquer le tub quotidien, et nous les rendons soigneuses, et même un peu coquettes... Une jolie tenue, des ongles minutieusement taillés, des cheveux bien brossés, une robe sans tache : voilà qui ajoute à l'agrément du visage... Et puis, un air heureux...

C'est peut-être le visage du bonheur qui conduit le plus sûrement à l'amour... Ah! chères filles qui êtes aimées comme nous vous aimons! Avec quelle ferveur nous faisons desvoeux pour votre félicité!

YVONNE SARCEY.

Les Conférences de L'UNIVERSITE DES ANNALE8

Les Conférences de M. Robert de Flers

C'EST AVEC une vive joie que le public de l'Université des Annales retrouva, cette' année, un des conférenciers pour lesquels il marque la plus vive prédilection : M. Robert de Flers. Celui-ci vient de donner, coup sur coup, deux conférences sur L'Education de la Jeune Fille au XVIIe et au XVIIIe Siècle, qui sont des chefs-d'oeuvre d'esprit, de vie, de bonne humeur...

— Je n'aurais pas voulu être jeune fille au temps du grand roi ! s'exclame plaisamment l'éminent académicien.

Et il brosse un tableau alerte de ces vies de jeunes filles à l'ombre du couvent, hors de la vie maternelle, loin des tendresses cl des joies du foyer, dans cette demi-inconscience et cette ignorance qui ne permettent ni à leur esprit ni à leur coeur de s'épanouir.

Mme de Maintenon, puis Fénelon, seuls, eurent l'intuition d'un progrès à réaliser, et ils furent les premiers à ouvrir quelques fenêtres dans ces prisons. Molière, lui aussi, voulut une part de liberté pour ces ingénues, comprimées et abêties, et qu'elles eussent le droit, au moins, de choisir leur mari.

On imagine toutes les variations que M. Robert de Flers broda sur ce thème. Il lut des lettres, cita des mots, traça, en quelques coups de crayon, d'étonnants portraits et

PROPOS SUR LES SPORTS

Un Vrai Champion

LE CHAMPIONNAT DE FRANCE de crosscountry a été remporté par Guillemot, qui l'a gagné dans un grand style, n'étant jamais inquiété en réalité et disposant avec aisance, dès qu'il jugea le moment opportun, de son plus redoutable rival, Marchal.

Ainsi le sympathique coureur remporta, pour la troisième fois, le titre envié.

Certains trouveront peut-être exagéré que je traite Guillemot de « sympathique » coureur. On a toujours essayé de répandre le bruit qu'il était, au contraire, doté d'un caractère infernal. Il avait même, pour donner raison en apparence à cette opinion tendancieuse, fait broder sur son maillot une tête de cochon.

Dire de quelqu'un qu'il a mauvais caractère signifie, le plus souvent, qu'il est un caractère. Guillemot, conscient de sa valeur, mais nullement prétentieux, n'a jamais voulu se laisser donner d'ordres ni de conseils par les dirigeants du sport, qui ne sont pas toujours — oh! mais non! — très compétents.

On a beau être un champion, un grand, on n'est pas à l'abri des mesquines vengeances et des méchancetés lorsqu'on a l'habitude de parler selon sa pensée et de critiquer les faits et gestes de ceux qui, se donnant des attitudes de mécènes, ne sont, le plus souvent, que des mercantis.

Guillemot en souffrit. Mais il resta stoïque. Il préféra répondre par des performances aux manifestations viles et lâches. Malheureusement pour lui, son état de santé fut précaire. Le foie l'empêchait de s'entraîner comme il

le désirait et de fournir les efforts qu'il voulait. Il n'abandonna pas le sport. Grâce à un régime, extrêmement sévère, de véritable ascète, il triompha du mal.

Ses ennemis ne désarmaient pas.

Leur plus grand triomphe dans la perfidie fut lors des Jeux de 1924. Guillemot est le seul de nos athlètes qui ait remporté une victoire dans le Stade Olympique. En 1920, il gagna le 5.000 mètres à Anvers, battant le fameux Finlandais Paavo Nurmi, puis il se classa second dans le 10.000 mètres.

La même année et en 1922, il gagna le Cross National anglais. En 1920 et en 1922, il fut champion de France de cross. Son palmarès est l'un des plus glorieux de l'athlétisme.

Or, aux Jeux de 1924, disputés à Paris, Guillemot ne fut pas choisi pour représenter nos couleurs. Même s'il avait été hors de forme, on aurait dû l'incorporer d'office dans notre équipe et lui faire porter notre drapeau, en tant que seul Français olympique. On ne le fit pas, afin de lui montrer que son franc-parler lui avait attiré des inimitiés puissantes et que, lorsqu'il s'agit de commettre une injustice; on sait négliger les intérêts sportifs du pays. Dans d'autres milieux, plus importants, des preuves nous sont sans cesse fournies de cette curieuse mentalité.

Guillemot ne protesta pas. Il ne chercha pas à faire agir des influences. Dignement, il resta dans son coin. Tous les étrangers qui l'avaient admiré en 1920 ne cachèrent pas leur étonnement.

Et notre grand, petit athlète se remit en

piste, les jeux Olympiques passés, continuant à remporter des succès. Ah! si on avait pu l'empêcher de gagner!

Eloigné de la capitale, il s'entraîne à Lyon, sans bruit. Les championnats régionaux vinrent : Guillemot triompha dans le sien. Des nouvelles furent alors répandues : il n'avait pas semblé être supérieur à ses suivants, il n'avait pas donné l'impression d'être à l'aise. Oui, il avait fini premier, c'est certain, mais, à Paris, il aurait de tels adversaires que... Et les insinuations allèrent leur train.

Guillemot continuait son travail. La finale du championnat de France fut disputée le 14 mars : il se présenta au départ, prit la tête au coup de pistolet et ne l'abandonna plus. Il battit le second. Marchal, d'une centaine de mètres, et se montra, de loin, supérieur à tout le lot.

Ceux qui le brimèrent et cherchèrent à le saboter vinrent, néanmoins, le féliciter de sa troisième victoire dans le cross national : ils devront attendre une autre occasion de lui manifester leur' inimitié.

Un seul avait vu clair dans la confiance qu'on devait avoir en Guillemot. C'est Marchal, qui, au début de la saison de cross, me déclara :

— Je veux m'entraîner dur et ferme, cette année. Je veux être le meilleur.

— Pourquoi? lui demandai-je.

— Pour un seul motif, répondit-il. Je veux battre Guillemot.

Malgré son travail et sa valeur, il dut s'incliner encore cette fois,

JACQUES MORTANE.


414

LES ANNALES

anima de sa verve la fameuse scène d'Arnolphe et d'Agnès, qu'il dit, ayant la charmante Madeleine Renaud pour lui donner la réplique : ce fut d'un piquant irrésistible. D'ailleurs, le succès de ces séances fut si vif, que M. Robert de Flers promit d'en donner une nouvelle audition en mai. C'est un régal qu'il ne faut pas manquer, et l'on est en droit de y penser que, l'an prochain, cette spirituelle étude sur la jeune fille et son éducation à travers les siècles aura une suite. Elle s'impose.

JEAN S...

Les Cercles des Annales

A Bordeaux

Une série de très intéressants conférences sont offertes, en ce moment, aux abonnés et lecteurs des Annales, à Bordeaux.

Après avoir applaudi celles du commandant Bourgoin, président du Comité, nous avons eu le plaisir d'entendre une conférence météorologique très habilement faite par M. Mémery. L'autre samedi, un auditoire nombreux a goûté le talent et l'esprit de Mme de Chorivit, dans une causerie sur La Femme Moderne et l'Amour.

Les réunions ont lieu le deuxième samedi et le quatrième dimanche de chaque mois, an siège du Cercle, 10, rue Voltaire. La jeunesse y est conviée. Jeunes gens et jeunes filles seront les bienvenus.

A la Maison des Etudiants

Une fête intime et cordiale fut donnée dernièrement dans l'hôtel de l'Association des Etudiants, rue de la Bûcherie, pour fêter, sous la présidence de M. Léon, l'installation d'une fort belle composition décorative due au pinceau du jeune peintre Paul Bret. A la suite d'un concours, la maquette de cette oeuvre avait été désignée à l'unanimité du jury, et le choix, en vérité, est heureux. La grande toile, harmonieuse et claire, évoque, dans un décor aux lignes simples, la vie des étudiants au Moyen Age. Sous l'azur d'un ciel latin, le tableau est éxpressif, vivant et d'une lumière chaude.

Les Grands Procès de l'Histoire

Le cinquième volume de Me Henri-Robert obtient, comme les précédents, un énorme succès. L'annonce de l'édition spéciale, tirée pour les souscripteurs abonnés des Annales et de l'Université des Annales, et dont les exemplaires seront signés et dédicacés par l'illustre bâtonnier, à suscité déjà de nombreuses demandes. Les retardataires feront sagement de se hâter, car cette première édition sera très vite épuisée.

Rappelons que ce tome V comprend : Racine et la Duparc ; le Régent ; la Duchesse du Màine ; Law ; Cartouche ; une étude du maréchal Foch. L'ouvrage est illustré d'estampes et de gravures. Son prix est de 12 fr. En s'inscrivant, mentionner sa qualité d'abonné (1).

La Princesse Lucien Murat tient Boutique

Les préjugés s'en vont, et ce n'est pas moi qui m'en plaindrai. Une princesse vient d'ouvrir boutique. Elle convia tout Paris à cette

fête d'art étrange et charmante, et ce fut ce qu'on appelle un succès. Des fleurs, des livres précieux, des gravures anciennes, des tableaux

modernes, des Daumier, Toulouse-Lautrec, Steinlen, Forain, Sem, Hermann-Paul, Hémard. Une lumière exquise et la boutique s'ouvrant sur le quai de l'Horloge, devant le beau fleuve qui coule, indifférent. - Ma boutique, dit la princesse en souriant.

souriant. la fille de la duchesse de Rohan est tout amusée d'avoir à servir des clients qui lui baisent la main, et des clientes qui l'appelent familièrement princesse et vienment

vienment le thé en aimablee. compagnie.

- C'est une vie d'amour de l'art qui

aboutit ici, dans ma boutique, à laquelle j'ai donné deux parrains : Paul Morand... et mon voisin et aïeul Henri IV... Etrange et spirituel temps, qui voit de pareils

pareils : une Rohan ouvrant boutique sur le Pont-Neuf !

Un Congrès International d'Education Morale

Il aura lieu du 16 au 20 avril. De tous

pays on s'inscrit, et outre le devoir de traiter des questions du plus haut intérêt, il y a la séduction de Rome, de la belle Italie, plus belle que jamais depuis que Mussolini l'a

rendue si prospère... Et puis, on parlera de

l'enfant, et c'est, aujourd'hui, la question qui

devrait dominer toutes les préoccupations.

SOMMAIRE DU N° 8 DE LA 20e ANNEE

1er Avril 1926

Histoire : Versailles au Temps de la

Régence.

Allocution de M. PIERRE DE NOLHAC.

de l'Académie française.

L'Education de Louis XV.

Conf. de Mme CLAUDE SAINT-ANDRE.

Enquêtes Modernes : Comment ils

vent. — De Marcel Proust à Jean Cocteau.

Conf. de M. PAUL REBOUX.

Réplique de Mme COLETTE.

Voyages en Zigzag : Aristophane ou la Comédie Cinq Siècles avant J.-C. Conf. de M. RENE BENJAMIN. Illustrations, Portraits, Estampes.

L'Abonnement aux 24 Nos de la 20e année scolaire (15 décembre 1925 au 1er décembre 1926) : 26 fr. Etranger : 36 et 44 fr., selon les pays.

SOUSCRIPTION pour les MAISONS CLAIRES

Total au 24 mars Montant de la 40e liste (9e année) 4.436fr.50 Subventions.... ... ......... 5.150 fr. " Total au 31 mars.............. 488.069 fr. 85

39e Liste (9e année) arrêtée le 24 mars

Mme C. H.-S..., 2000 fr. — Anonymè, à Lyon,

2.000 fr. — Anonyme (Bouches-du-Rhône), 300 fr. —

Une Vosgienne, 200 fr. — M. Dechambre, 200 fr. —

Mlle G. Leroy, 200 fr. - Mme Gravelle, 200 fr. —

Mme T..., 100 fr. - Un rayon de soleil aux Clairettees,

Clairettees, l'occasion de l'heureuse naissance de

Maurice Derivry, 50 fr. - Thérèse et Mimi, 20 fr.

- S. V...., 20 fr. - Pour que les Clairettes prient

pour moi, 10 fr.- Un groupe d'enfants des

champs et leur institutrice, pour les chères Clairettes,

Clairettes, fr. — Mme Duchampt, 30 fr. - En remerciement

remerciement saint Antoine de Padoue : Mimi et ses

deux gosses, 10 fr. — En remerciement à saint

Antoine de Padoue : S. B..., à Nice, 10 fr. 20. -

Anonyme, à Sanvic, 50 fr. - En reconnaissance :

A. C...., 50 fr. - Mme Marie Moll, 10 fr. - En souvenir

souvenir mes chers disparus, 100 fr. — Pour satisfaction

satisfaction : M. J..., 15 fr. - Petit Jean, 100 fr. - En souvenir de mon cher papa, 106 fr. - Pour la santé de Jacques et de petit Jean, 100 fr. — Une étudiante, 50 fr. - Mlle Suzanne Chandel, 50 fr. — En reconnaissance à sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus : A... et R.... 50 fr. - De la part de Garouchki-Garouchka, 165 fr. - Pour les Maisons

Maisons :Rue d'Enghien, 20 fr. — Un merci à

sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus : Une réfugiée de C..., 5 fr. — Pour Many et Baby, 25 fr. — Pour le cinquante-huitième anniversaire de M. Bourgeois, 10 fr. — Un vieil abonné de 1890, 22 fr. 50. - P.. et C..., 20 fr. - Criqui de la Côte d'Ivoire, 25 fr. - Une Paloise, 10 fr. - En remerciement à saint Antoine de Padoue, pour une vente qu'il m'a fait faire, 50 fr. - Pour une heureuse naissance et pour la guérison d'une personne, chère, 25 fr. - Une maman, pour deux

grâces obtenues et pour en avoir une troisième, 20 fr. — Mlle Malaise, 150 fr. - Petite Marguerite de dix ans à ses petites soeurs Claires, 5 fr. - Un

très respectueux admirateur de l'oeuvre de la chère Cousine Yvonne, 100 fr. — Pour la réussite de mon entreprise : Georgis Hamoir, 25 fr. - En reconnaissance à saint Antoine de Padoue :

Jeanne et René, 11 fr. - Merci à Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus : Alice et Zizi, 10 fr. — En reconnaissance

reconnaissance sainte Thèrèse de l'Enfant-Jésus, 10 fr. - Au nom de Soeur Thérèse de Jésus, 10 r.. Pour les enfants clairs : J.F.L..., 20 fr. - Mme J. Ricciardi, 10 fr. - Pour les Maisons Claires, 5 fr. — En remerciement à sainte Thérèse de l'EnfantJésus, pour une grâce obtenue et pour qu'elle

continue à m'exaucer : J.R. M..., 100 fr. — Mariette et Maurice, 25 fr - Robert et Jacques,

10 fr. — M. Raynaud, 9 fr. — Saint François de Sales, priez pour nous ! 30 fr. - M. G. Escale, 100 fr. - Remerciements à la petite Soeur Thérèse

de l'Enfant-Jésus : M. M..., 6 fr. - Juliette aux enfants clairs, 150 fr. — Mlle Mauthe, 5 fr. — Alice

et Mimi, 20 fr. — Paul et Maryette, 120 fr . - Mme Leconte, 5 fr. - Mlle Manche, 3 fr. - Mme Juppin, 10 fr. - Mme Strauss, 2 fr. 50. — Mme Delarue, 3 fr. - V. H..., aux Maisons Claires, 40 fr. - Mlle Suzette Duré, 10 fr. - Mme B. Colomb, 100 fr. — M. Paul Driessens, 10 fr. - Mme A. Bouysson, de la part de ses petites élèves de six ans, 15 fr. - Le dernier de tante F..., 10 fr. - Dette de reconnaissance, 50 fr. — Amis des enfants claires :

J. L..., à Paris, 5 fr.—L. E P. Mars 1926, 20 fr. —L. M. M..., fr.—En suvenir de ma petite fille, 10 fr.—Mme Lossonam, 25 fr.—Mme Marie

Fisse, 20 fr.—Reconnaissance à oeur Thérèse,, pour Petit Bernard, 20 fr.—En reconnaissance à sainte Thérèse de Lisieux et saint Antoine de

Padou, pour deux grâce obtenues, 100f fr.

Mlle Yvonne Gilson, 10 fr.—Mme Royer, 5 fr.—

Laura Forsse, 25 fr.—P.I. Auzin, 14 fr.—Ano. nyme, à Philippeville, 100 fr.—Janine, 10 fr. —Janine, 10 fr.— Pantoune, 20 fr.—Max, Annette et Janine, 40 fr. Total : 8. 087 fr. 20.

40e Liste (9e année) arrêtée le 34 mars

Pour les chères enfants de Nieuil-l'Espoir, de la Dame Anonyme, 2.000. fr.—Don de trois institutrices, 250 fr.—Mlle Yvette Bourdrot, 200 fr.—Une amie des enfants: C..., 20 fr.—En souvenir d'un petit sergent podensacais, 10 fr.—Mme chrétien et ses fils, 50 fr fr.— Pour avoir des nouvelles de mon aimé, 10 fr.—Mme Desrnelles, 20 fr.—Mlle E. Denier, 10 fr. — En souvenir d'une demande à soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus: Mme6. G..., 100 fr — Mlle Marie Maisonète, 68 fr. -30. — De la part d'Andrée, Raymond, Michelle et Maurice, 38fr. —Pour les enfants clairs, 5 fr.—M. Emile Camplo, 5fr.— Mme A. de Reinach, 100 fr.—Mme L. Schaeffer, 10 fr. —Madeleine et Odette, 20 fr.—Reconnaissance à la Sainte Vierge: M. J. M., 20 fr.—Mme Perrin, 5 fr. —Anonyme, Vienne, 30fr.—Marie-Thérèse, à Bordeaux, 5 fr.—M. Antoine Luigi, 20 fr.—En reconnaissance à Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus, pour une grâce obtenue, M. B..., 5 fr.—Mlle Marguerite Jehle, 19 fr. —Mlle C. Durand, 25 fr.—Me Celiaa Idiarte Borda de Nery, 126 fr.—André Martin, 5 fr. —Mme J. Blanc, 20 fr.—Mme Michaud, 20 fr.— Mme veuve Marie Boyre, 5 fr. —Mme Bourge, 10 fr.— Une promesse d'une admiratrice de l'OEuvre, 20 fr.

—Une maman, en remerciement à la petite Soeur Thérèse et pour qu'elle protège son petit Riri, 20 fr.

—En reconnaissance pour plusieurs grâces obtenues: C. D... 10 fr.—Sainte Thérèse de l'EnfantJésus, hâtez ma guérison: G. D..., 20 fr.—Pour avoir une vieille maison, 10 fr.—Simone, en l'honneur de la naissance d'un mignon petit frère 10 fr.

—Marguerite G..., 20 fr.—Pour être bientôt une heureuse maman, 5fr.—Pour la santé de mon amour, 20 fr.—Mlle Pujol, 25 fr.—Pour rendre la

santé à des petites filles, 40 fr.—M. Caldairon, 100 fr.—J. D..., den reconnaissance à sainte Thérèse,

Thérèse, fr.—En souvenir de ma chère enfant. 50 fr.—Pour l'Annonciation: M. P..., 5fr.—Une amie des Clairettes: J. B..., 20fr.—Mme E. Estève,

10 fr.—Anonyme, au Maroc, 20 fr.—De la part

de Denis, May et René, 65 fr. — Pour que P... réussisse, 20 fr.—Mme Salles, 10 fr.—Mme Blanche Balmain,

Balmain, fr.—Pour les Pâques d'une petite Claire: G. J..., 10 —Julyvonne, 25 fr.— Soeur Thèrèse de l'Enfant-Jésus pour la santé de Pa-Ma et Lili

15 fr, —A saint Antoine de Padoue, pour que mon

désir se réalise, 10 fr. Mme Clerc Ducros, 60 fr. — Mme M. G..., 100 fr.—Mme L. Bardet, 100 fr.—En

reconnaissance à la Sainte Vierge : B. S..., 10 fr. — Joyeuses, Pâques aux enfants clairs, 100 fr.—En

souvenir à L. D..., 50 fr.—Yves-Marcel à ses amie les enfants clairs 40 fr.—Mme S. Millau, 10 r.—. M G...B. G..., 50 fr.—Une vieille maman, 15 fr.— Mme veuve Grammare, 10 fr.—Total: 4.436 fr. 50.

(1) Adresser les demandes à M. Payot, éditeur, 106, boulevard Saint-Germain, Paris.


LES ANNALES

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LES DEUX DES ANNALES

Treizième Concours Trimestriel

Avril, Mai. Juin 1926

Mois d'Avril

RÈGLEMENT DU CONCOURS

Les solutions des questions et problèmes posés dans les numéros d'avril devront me parvenir avant le 15 mai, dernier délai. Pour les abonnés et lecteurs à l'étranger, le délai sera allongé du temps nécessaire au trajet postal.

Le classement général sera publié dans un numéro d'août.

Je rappelle que chaque question ou problème à résoudre sera doté d'un nombre de points. A. la fin du trimestre, les concurrents seront classés d'après le total des points obtenus, et les vingt premiers lauréats auront droit à des prix en espèces ainsi répartis :

Ier PRIX 100 francs

2e PRIX 50 —

Du 3e au 9e PRIX 25 —

Du 10e au 20e PRIX; 20 —

Les lauréats des précédents concours ne pourront avoir droit qu'à un prix supérieur à celui déjà obtenu. Le classement à un prix égal ne pourrait leur valoir qu'un Rappel d'honneur.

Pour participer aux concours, il est essentiel de coller sur les envois de solutions le monogramme reproduit chaque semaine sur la dernière page de la couverture pour les acheteurs au numéro ou la bande d'abonnement.

JEUX D'ESPRIT 1. — Comédie Italienne (20 points)

Reproduisez les réglettes ci-dessous ; mettezles à côté les unes des autres, dans un ordre voulu, et lisez horizontalement huit noms de personnages de la Comédie Italienne. Les réglettes peuvent être placées à différentes hauteurs pour arriver à ce résultat.

2. — Bouls-rimés

(Points suivant réussite, 20 au maximum)

Les rimes suivantes sont à compléter en vers de huit pieds. Sujet au choix.

chérie.

plaisir.

cueillir.

fleurie.

prairie.

embellir.

flétrie.

épanouir.

rêverie.

zéphyr.

3. — Devinette ( 10 points) par ANNE O. NYME

Cherche ! Mon nom se donne à ta femme, à ta mère. Ote-moi tête et queue, et je deviens ton pire.

SOLUTIONS DE JANVIER 1926

34. — Cuestion ( 10 points)

Ces vers sont de Boileau, pour le portrait de Pierre d'Hozier, généalogiste.

On les trouve dans un sixain des OEuvres Complètes.

35. — Quatre questions en une (10 points)

1° L'auteur des vers est Racine.

2° Britannicus.

3° Ils font allusion à Louis XIV, qui prenait part aux danses dans les bals de la Cour.

4° On dit qu'il comprit la leçon et cessa de danser.

36. — Vers à terminer (10 points)

A ta faible raison, garde-toi de te rendre. Dieu t'a fait pour l'aimer et non pour le comprendre VOLTAIRE (10 points).

37. — Mosaïque littéraire

(5 points par vers reconstitué, auteur et pièce cités. 50 points pour l'ensemble)

Ni l'or, ni la grandeur ne nous rendent heureux.

LA FONTAINE (Philémon et Baucis). Passe encor de bâtir, mais planter à cet âge. LA FONTAINE (Le Vieillard et tes Deux Jeunes

Hommes).' Quiconque est riche est tout; sans sagesse, il est sage-'

BOILEAU (Satire).

Lorsqu'on fait des cadeaux, c'est pour en recevoir.

LE BAILLY (L'Ours, le Singe et le Renard).

Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux.

VOLTAIRE (L'Enfant Prodigue).

Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie.

CORNEILLE (Cinna). Les exemples vivants sont d'un autre pouvoir.

CORNEILLE (Le Cid). Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.

RONSARD (Sonnet). 38. — Mets décroissants (20 points)

BLAINVILLE

B A I N V I L L E

BANVILLE

A N VI L L E

39. — Cryptographie (20 points)

Cuissards, brassards, sont fort lourds harnois pour tournois ou combats.

40. — Vers à compléter ( 10 points)

Le succès qui fait seul le mérite ou le crime Change l'estime en blâme et le blâme en mérite.

PONSARD.

41. — Vers à reconstituer et nommer l'auteur

(10 points) Les envieux mourront, mais non jamais l'envie.

MOLIÈRE (Tartufe).

43. — Cuesticn ( 10 points) Pas de réponse précise.

43. — Transformation (10 points) Camarde. Camarade.

44. — Nommer l'auteur ( 10 points) C'est posséder les biens que savoir s'en passer.

REGNARD (Le Joueur). 45. — Patience géographique (10 points) Arras. Auxerre. Châlons. Nîmes.

Le Prestidigitateur ALBER.

Nous allons pouvoir donner à nos fidèles devineurs des Jeux des Annales, en plus des prix auxquels ils ont droit des Diplômes d'honneur. Dans le prochain concours (avril-mai-juin 1926), nous indiquerons quelles sont les conditions à remplir pour obtenir un de ces diplômes.

THEATRES

offrant des Réductions aux Abonnes des " Annales"

Voir Bons de réduction dans notre Volume- Prima

JEUX MODERNES

ODÉON : Lundi 12 avril, On ne badine pas avec l'Amour. — Mardi 13, Sherlock Holmes. — Merc. 14, Antar. — Jeudi 15, mat.. On ne badine pas avec l'Amour; soir., Le Disciple du Diable. — Vend. 16, Résurrection. — Sam. 17, mat., Le Disciple du Diable; Boir., Le Rosaire, Le Sanglier. — Dim. 18, mat., La Cagnotte; soir., Antar.

NOUVEL-AMBIGU : Consulter affiches ou journaux.

THEATRE-SARAH-BERNHARDT : Mon Curé chez les Riches. »

TRIANON-LYRIQUE : Consulter affiches ou journaux.

COMÉDIE DES CHAMPS-ELYSEES : Consulter affiches ou journaux.

THÉÂTRE MOCADOR : Tous les soirs, à, 8 h. 30; dimanche, matinée à 2 h. précises : La Bayadère.

CIRQUE DE PARIS : Attractions diverses.

PETIT-MONDE : Matinées le jeudi (Théâtre Femina) et le dimanche (Maison des Centraux).

Notre nouveau TARIF D'ABONNEMENT

Pour la France et les Colonies : Edition ordinaire, un an 40 fr.

— six mois 20 fr.

Edition de luxe, un an 65 fr.

— six mois 33 fr.

Pour l'Etranger

Les tarifs postaux concernant l'envoi des journaux à l'étranger ayant été doublés depuis le 1er octobre 1925, conformément aux décisions de la convention postale universelle tenue il Stockholm le 28 août 1924, nous nous sommes trouvés dans l'obligation de porter le prix de nos abonnement» pour l'étranger à :

Edition ordinaire, un an 64 fr.

— six mois 32 fr.

Edition de luxe, un an 108 fr.

— six mois. 50 fr.

Toutefois, pour les pays suivants : Allemagne,

République Argentine, Autriche, Belgique, Bulgarie, Canada, Chili, Congo belge. Cuba, Danemark, Espagne, Esthonie, Etats-Unis, Ethiopie, Grèce, Hongrie, Italie (et colonies), Lettonie, Luxembourg, Norvège, Paraguay, Perse, Pologne, Portugal (et colonies), Roumanie, Serbie-CroatieSlovénie, Suède, Tchécoslovaquie, Terre-Neuve, U. R. S. S., Uruguay, qui, par réciprocité, ont accordé une réduction de 50 % sur les tarifs postaux, les prix de nos abonnements restent fixés à : Edition ordinaire, un an 52 fr.

— six mois 26 fr.

Edition de luxe, un an 80 fr.

— six mois 40 fr.

Abonnements couplés aux « Annales »

et à « Conferencia )) :

France et Colonies, un an 54 fr. au lieu de 68

Etranger — 74 fr. — de 88

pour les pays ayant admis la réduction de 50 % sur la taxe postale et dont nous donnons la liste ci-dessus, ou 94 fr. au lieu de 108 pour tous les autres pays.


416

US ANNALES

Les Manteaux d'Auto et de Sport

L'AUTO ROULE sur la route si tentante par ces journées printanières ; l'air est délicieusement pur, mais... l'air, c'est le vent, et le vent ne secontente pas, parfois, de caresser le visage de la belle automobiliste : il apporte de la poussière, peut-être même, tout à l'heure, amènera-t-il de la pluie. De plus, il est, grâce à la vitesse de la voiture, un peu frais, et madame doit protéger la jolie robe qu'elle montrera au restaurant. C'est pourquoi elle a adopté un manteau confortable et chaud, mais léger en même temps ; c'est le même, d'ailleurs, qu'elle passe par-dessus son sweater de laine, après une partie de tennis ou de hockey chaudement dis-» putée. Pas de refroidissements à craindre, pas de désagréables surprises.

Les femmes modernes ne restent plus enfermées, comme le faisaient jadis leurs grand'mères ; elles affrontent maintenant, sans crainte, le grand air, ne craignent pas de se livrer à tous les sports et conduisent avec désinvolture leur auto. Les longues randonnées sylvestres ou champêtres sont devenues une coutume chez nous. Serait-ce l'influence de la semaine anglaise et du Week-end de plus en plus répandu ?

Quoi qu'il en soit, pour répondre à ce nouveau mode de vie, nos couturiers prépatent au printemps toute une collection de manteaux élégants et confortables parmi lesquels nos belles sportives n'auront que l'embarras du choix.

Deux tendances très nettes se manifestent, cette saison, dans leur coupe générale: les uns, classiques, s'inspirent plus ou moins de la forme redingote, ont une allure assez stricte et masculine ; les autres se rapprochent davantage de la cape. Les premiers ont une ceinture ou une martingale, les autres tombent librement. Ces deux formes peuvent être adoptées quel que soit l'usage du manteau, car toutes deux ont suffisamment d'ampleur pour permettre de garder sous ce vêtement un costume tailleur ou une petite veste de laine. Des principes généraux se retrouveront donc dans les deux cas : ampleur suffisante des épaules, emmanchures aisées, large croisure des devants.

Quels sont les tissus employés ?

Naturellement, tous les lainages nouveaux, mais n'oublions pas non plus le cuir. Depuis quelques années, on l'emploie beaucoup pour le manteau de tout aller. Aussi nos fabricants ont-ils fait de véritables progrès dans sa préparation ; les premiers vêtements de cuir que nous avons vus, sans être inélégants, avaient un peu la raideur des manteaux de chauffeur et engonçaient toujours plus ou moins la silhouette. A l'heure actuelle, le cuir est travaillé de telle manière, qu'on l'utilise presque aussi aisément qu'une étoffe.

Pourtant, les vêtements réalisés dans cette matière sont généralement assez classiques ; ce sont des redingotes ou des raglans à vastes

poches resserrés à peine par une ceinture. Les tons beige, fauve, grège, chrome sont les plus fréquemment employés. C'est là un

manteau extrêmement pratique pour l'auto et le sport et dont la simplicité n'exclut pas toute fantaisie. On les ornait, jadis, de piqûres, de perforations dessinant un galon. On les voit beaucoup, à l'heure actuelle, garnis de fourrure aux poignets et au col. Certaine grande élégante de la bonne société parisienne remporta un véritable succès, aux dernières courses d'Auteuil, en s'y promenant vêtue d'un manteau de cuir très souple, « chromé » clair, exactement couleur cuir chromé, garni, au col et aux manches, de petit-gris ; des manches presque étroites, la taille basse avec une étroite ceinture de même cuir, donnent à ce vêtement une allure de simplicité très élégante.

Un autre manteau de cuir «tan », garni d'écureuil, — ce frère européen du petit-gris, — eut également un grand succès. Ces deux vêtements étaient longs ; mais le manteau de cuir, qu'il soit destiné à l'auto ou aux sports, supporte très bien le « trois quarts » et certain couturier présentait, dernièrement, un modèle très réussi composé d'une robe écossaise à jupe plissée, brun et vert, et d'un manteau redingote « trois quarts » en cuir fauve à col châle et à

parement écossais, en étoffe de la robe ; des piqûres soulignaient le devant et le bord inférieur de la veste.

Que redouterait-on des inclémences du temps quand on en est ainsi protégée ?

Aussi confortables, aussi rassurants, et peutêtre plus élégants, sont les manteaux de lainage. Ici, triomphent le granic, les rectangles buranic aux tons si chauds : on choisit volontiers des couleurs assez soutenues. Le gris bleu, le rouge brun et le vert sont les préférés.

Très peu de tissus unis sont employés, et les tissus mêlés triomphent ; mais que nous sommes loin des étoffes d'antan! On en fait de multicolores, à grands carreaux, à minuscules croisillages, à raie alternées, à losanges, à chevrons. Notons les merveilleux carreaux buranic d'un chic inimitable et les diagonales buranic très indiquées pour le manteau de voyage.

Naturellement, les réversibles sont toujours à l'honneur : ils permettent une garniture facile et s'assortissent parfois à la robe elle-même.

Le manteau ample, classique, à larges poches, gros boutons, large croisure, emmanchures basses, au raglan non moins large, reste très en faveur ; il est de beaucoup le plus pratique. Mais on sort aussi de la fantaisie : manteau taillé comme une véritable robe princesse s'élargissant en forme vers le bas : manches cape évasée à larges poches, amples manches, cape de lainage à emmanchures extrêmement basses enveloppant étroitement les épaules.

N'oublions pas le manteau classique à pli dans le dos, martingale, col châle en fourrure, en tissu pareil ou assorti.

FANNY DAVRIL.

L'OEUF DE PAQUES DE BABETTE

Qu'est-ce que je pourrais bien souhaiter pour Pâques, s'est demandé Babette toute la semaine. J'ai obtenu un nécessaire de voyage, je me suis commandé des robes, des souliers. des chapeaux. Je suis — ô prodige — riche en bas de soie, en linge, en gants, en sacs à mains. Mon boudoir est suffisamment meublé, ma chambre est parfaite. Il ne manque aucune pièce à mon onglier. Est-ce que je deviendrais par hasard ce personnage éminemment mélancolique : la femme qui n'a plus envie de rien ?

Et elle rêve perplexe.

Et le matin de Pâques, Jean a posé entre les bras de sa femme un colis enrubanné.

— Joyeuses Pâques, mon amour.

Et Pâques, en effet joyeux pour Babette, car le colis enrubanné est un oeuf en chocolat énorme, voilà pour la gourmande ; et dans cet oeuf il y a un ravissant coffret de fards pastels de BOURJOIS : l'exquise poudre de riz « Mon Parfum » de BOURJOIS, légère comme un souffle, et « Mon Parfum » de BOURJOIS, l'incomparable parfum dont une femme élégante ne saurait se passer.

Et voilà pour la coquette.