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Notice complète:

Titre : Mémoires de la Société d'agriculture, sciences, belles-lettres et arts d'Orléans

Auteur : Académie d'Orléans. Auteur du texte

Éditeur : [s.n.] (Orléans)

Date d'édition : 1868

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344123693

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344123693/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 27234

Description : 1868

Description : 1868 (SER4,T12,VOL43).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Centre-Val de Loire

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k57319799

Source : Académie d'Orléans, Z-28604

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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MÉMOIRES

DE LA

SOCIETE D'AGRICULTURE,

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS

D'ORLEANS.


NOTE SUR LES PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ.

Les [travaux publiés par la Société comprennent, au 1" janvier 1869, 42 volumes complets , divisés en quatre séries :

La première, sous le titre de BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES PHYSIQUES, etc., renferme tout ce qu'elle a publié depuis son établissement, en avril 1809, jusqu'aux événements politiques de la fin de 1813, par suite desquels ses réunions ont cessé.

Ce BULLETIN, dont les exemplaires complets sont rares, se compose de 7 volumes formés de 43 numéros, qui ont paru de mois en mois, le premier en juin 1810 et le dernier en décembre 1813. Chaque volume comprend [6 cahiers. Seul, le tome IÏI a de plus un supplément ou un septième numéro, ce qui élève le nombre des pages de ce tome à 364. La pagination du tome VI recommence pour les deux derniers numéros.

Dans la seconde série , dont le premier volume a pour titre : ANNALES DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES , BELLES-LETTRES ET ARTS , et dont le second et les suivants portent celui de : ANNALES DE LA SOCIÉTÉ EOTALE, etc., sont contenus tous les travaux que la Société a mis au jour depuis sa réorganisation, en janvier 1818, jusqu'au 3 mars 1S37 inclusivement.

Les ANNALES forment 14 volumes composés chacun de 6 numéros , dont le premier a paru en juillet ISIS. Le premier et le troisième volumes ont chacun une planche, le quatrième en a deux , le sixième une, le septième trois , le neuvième deux , le onzième sept, le douzième neuf, le treizième huit et le quatorzième une. Le titre du premier volume qu'on trouve en tête du sixième ou dernier cahier porte par erreur la date de 1819 ; c'est 1818 qu'il faut lire.

La troisième série comprend 10 volumes et s'étend jusqu'à l'année 1852. Les sept premiers volumes de cette série portent le titre de MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ ROYALE , etc.; les trois derniers sont intitulés : MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES , etc. De ces dix volumes, le premier renferme cinq planches, le deuxième en a huit, le troisième une , le quatrième trois, le cinquième sept, le sixième deux, lé septième une, le huitième trois, le neuvième deux et le dixième sept.

Enfin, la quatrième série, publiée dans un format un peu plus grand que les trois précédentes et sous le titre de : MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE, SCIENCES*:'BELLES-LETTRES ET ARTS D'ORLÉANS , comprenait, au 1" janvier 1869, onze volujaes : le premier, commencé au 2 avril 1852, porte la date de 1853 ; le dernier portera date de 1868. Cette série se continue.

Son premier volume contient sept planches, le second huit, le troisième et le quatrième chacun trois , le cinquième deux, le sixième cinq, le septième dix-sept, le huitième cinq, le neuvième dix-neuf, le dixième sept planches et trois tableaux , le onzième une seule planche.


MÉMOIRES

DE LA

SOCIETE D'AGRICULTURE,

SCIENCES,

BELLES-LETTRES ET ARTS D'ORLÉANS.

TOME DOUZIÈME.

4e Série des Travaux de la Société.—43e volume de la Collection.

ORLEANS, '4

IMPRIMERIE D'EMILE PtlGET ET C'S RUE VIEILLE-POTERIE. 9

1869.



MEMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE, SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS D'ORLÉANS.

TROISIÈME NOTICE

sur

QUELQUES PLANTES DU DÉPARTEMENT DU LOIRET,

Par M. NOUEL.

Séance du 30 mars 1868.

Messieurs,

Je viens, cette année encore, inscrire les noms de quelques plantes du département du Loiret, à la suite de ceux qui figurent sur les listes que je vous ai soumises antérieurement et que vous avez honorées d'un accueil bienveillant. La circonscription dans laquelle je renferme mes recherches est trop peu étendue pour que chacune de mes lectures ne réduise pas sensiblement le nombre des plantes qui restent à découvrir. J'arrive cependant, à l'aide des récoltes de l'année dernière, à former un total de quatorze espèces qui sont nouvelles, ou du moins inédites, pour le département, auxquelles s'ajouteront quelques plantes adventices et des localités de plantes rares. J'ai pensé qu'un tel résultat pouvait être offert à votre appréciation.


— 6 — PREMIÈRE SÉRIE.

Plantes nouvelles.

75. Cardamine parviflora, LIN.

Plante du midi de la France, qui se retrouve dans l'Ouest où elle est assez rare. M. Rimbert l'a découverte à Orléans même, sur les bords de la Loire entre le pont et le champ de manoeuvre. Je l'inscris parmi les plantes acquises à notre flore parce que M. Boreau l'indique dans deux départements qui nous touchent, le Cher et le Loir-et-Cher. Il n'y a donc rien d'inattendu dans son apparition parmi nous.

76, Campanula patula, LIN.

Cette Campanule est assez commune dans le centre de la France selon M. Boreau. Néanmoins, elle est rare chez nous et elle n'a pas encore été signalée dans notre département.

M. Humniçki l'a trouvée, l'an dernier, à La Ferté-SaintAubin, à proximité de la station du chemin de fer.

77. Orobanehe rubens, WALLROTH. O. — medicaginis, DUBY.

Cette Orobanehe qui vit sur les racines des luzernes ne se rencontre que rarement, malgré l'abondance de la plante nourricière.

Elle a été trouvée par M. Humniçki, à proximité d'Orléans, sur la rive gauche de la Loire, implantée sur les racines du Medicago Sativa. Il y a quelques années, M. Berthelot l'avait rencontrée sur le coteau de la rive droite, parasite sur cette même légumineuse.


— 7 — 78. Orchis incarnata, LIN.

Cette espèce qui se rapproche beaucoup de Y Orchis lalifolia, Lin, par sa fleur, en diffère sensiblement par ses feuilles dressées, allongées, lancéolées et par sa tige élancée.

M. l'abbé Badinier l'a rencontrée, l'an dernier, à Gallerand sur le bord de l'étang du Petit-Veau, au milieu des roseaux où certains pieds atteignaient un mètre de hauteur. M. Humniçki l'a recueillie, de son côté, dans les prairies du pont de Ségris et, non loin de là, dans la forêt, autour des étangs de Bucy. Je l'ai trouvée dans les prairies humides de Brosseronde, commune de Tigy.

79. Potamogeton CEderi, MEYER.

— Bor. fl. du centre, 3e éd.

Ce Potamot que les auteurs de la flore de France ne mentionnent pas, est cependant une plante française. M. Kirschleger (fl. d'Alsace), l'indique dans toute la région Rhénane.

Elle croît près de nous, dans les eaux paisibles et profondes du Loiret, en société du Potamogeton compressus, L., avec lequel elle a été quelquefois confondue. Elle s'en distingue cependant, à première vue, par ses tiges un peu comprimées mais non ailées et par ses feuilles moins longues et dont la nervation n'est pas la même.

C'est une espèce très-rare dans le Centre, selon M. Boreau, à qui je l'ai communiquée.

80. Caulinia fragilis, WILLD. Naias minor, De.

Cette plante, rare dans le Centre, n'est pas indiquée dans le département du Loiret par les flores qui étendent leur circonscription jusqu'à nous. Je dois donc la publier comme


nouvelle, bien qu'elle soit connue de plusieurs botanistes du pays. M. Pelletier et M. Berthelotla connaissaient depuis des années dans le canal d'Orléans, à proximité de l'écluse de Gombleux, en société du Naias major. M. Rimbert l'a trouvée l'an dernier dans une mare, près de Fourneaux, et moimême dansTétang de Cendray, commune de Jouy-le-Pothier. Elle y croît en abondance.

81. Juncus heterophyllus, L. DHF.

Espèce peu connue. C'est en 1825 que Léon Dufour, dans une intéressante notice insérée aux Annales des Sciences naturelles , a signalé à l'attention des botanistes les caractères qui séparent cette espèce du Juncus articulatus, Lin, et de ses variétés dans lesquelles elle se trouvait comprise. L'espèce de Dufour a été généralement admise, mais elle ne se rencontre que dans un très-petit nombre de localités. Je l'ai découverte, au mois d'août dernier, aux environs de Menestreau, dans un de ces étangs de Sologne qui nourrissent une foule de plantes marécageuses dignes du plus grand intérêt.

82. Eriophorum gracile, LIN.

Cette plante ne se trouve, en France, que dans un nombre assez restreint de localités, et elle est toujours signalée. comme rare. C'est ce qui nous a fait d'autant mieux apprécier la découverte qu'en a faite M. le docteur Lallier sur les bords de l'étang des Gatis, près de Courcy-aux-Loges.

83. Anthoxanthum Puelii, LEC. et LAM.

Cette graminée paraît être disséminée par toute la France. Le nombre des localités où on la signale s'accroît partout où les botanistes portent vers elle leur attention pour la dis-


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tinguer de Y Anthoxanthum odoratum, espèce avec laquelle on la confondait autrefois.

M. le baron Eudoxe de Morogues l'a recueillie sur la commune de Tigy, en Sologne. Je l'ai rencontrée également en Sologne, sur Menestreau au mois d'août 1867, dans un champ de sarrasin où elle était assez abondante. On peut donc la regarder comme généralement répandue dans cette contrée.

84. Gastridium lendigerum, GAUDIN. Milium — LIN.

Cette graminée, dont l'habitat est le Midi et l'Ouest de la France, remonte les vallées de la Loire et de ses affluents. Néanmoins elle n'avait pas encore été signalée dans le Loiret.

M. Rimbert l'a découverte au mois d'août dernier sur les bords de la Loire, à Fourneaux, près Saint-Ay. Elle y était peu abondante.

85. Poa fertilis, HOST. — serotina, EHEH.

Graminée de l'Est, où elle est assez répandue. Elle pénètre peu dans le Centre.

M. Humniçki l'a rencontrée il y a quelques années à proximité d'Orléans, en deux points différents sur les bords de la Loire, et je l'ai recueillie l'an dernier, dans Orléans même sur les alluvions de notre fleuve.

M. de Morogues, de son côté, l'a recueillie au bord d'un étang, près du château de La Caille, en Sologne.

86. Lolium tenue, L.

Ce Lolium qui se distingue facilement du Loliumperenne, L., par ses tiges grêles, ses épillets distants et pauciflores, les inférieurs souvent abortifs, se trouve disséminé çà et là


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et toujours rare dans le Centre de la France, selon M. Boreau.

Je l'ai trouvé, un pied seulement, sur les terres de l'Isle, dans une luzerne.

87. Nitella transluceus, AG.

Cette espèce, sans être commune, me paraît être assez répandue en Sologne. M. Eud. de Morogues l'a trouvée dans les fossés du château de Molaines, près de Vienne-enVal.

Je l'ai recueillie sur les bords de l'étang de la Vronnière, à Menestreau.

88. Nitella gracilis, AG. Chara — SMITH.

Ce Nitella, plus rare que le précédent, était jusqu'ici inconnu dans le Loiret. Je l'ai trouvé l'an dernier dans l'étang de Clouzeux, en Sologne, sur la commune de Menestreau.

Ranunculus Montpeliacus, LIN.

Plante méridionale, comme son nom spécifique l'indique. Je l'inscris à la suite des plantes nouvelles pour l'Orléanais, bien que sa découverte dans le pays soit déjà ancienne. Voici le motif qui m'a déterminé à en faire mention. Depuis 1834, époque où elle a été signalée pour la première fois par M. Pelletier, sur la commune de Saint-Pryvé, cette plante avait été oubliée. On l'avait crue perdue comme une plante adventice. Aussi, lorsqu'au printemps dernier, M. l'abbé Coquet, ardent investigateur qui a fait chez nous un trop court séjour, est venu nous annoncer que notre renoncule existait encore sur la même commune, avons-nous accueilli cette réapparition comme une découverte. Mais cette fois, c'est une découverte qui nous auto-


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rise à inscrire une bonne espèce définitivement acquise à la flore Orléanaise.

Je l'ai nommée Ranunculus Montpeliacus, Lin, comme on aime à saluer d'abord par son nom une ancienne connaissance après une longue absence. Mais, je dois faire remarquer que M. Boreau, fi. du centre, 3e éd. (1857), la nomme R. Albicans, Jord., espèce démembrée du R. Montpeliacus. C'est ainsi que je l'eusse désignée si M. Jordan, dans ses Diagnoses publiées en 1864, n'eût élevé à sept le nombre des espèces tirées de ce type et ne l'eût même porté à dix dans un ouvrage plus récent (Jcon. ad floram Eur.).

Dans l'impossibilité de déterminer quelle place parmi ces espèces affines, dont les rangs doivent être bien serrés, appartient ànotre Ranunculus, j'ai dû prendre le parti de lui conserver le nom du type. Ran. Montpeliacus, Lin.

DEUXIEME SERIE.

Plantes adventices ou introduites.

L'an dernier je vous faisais connaître un assez grand nombre de plantes étrangères à notre flore pour lesquelles je demandais seulement une place au catalogue des plantes du département. Sur cette liste je vais inscrire deux nouveaux noms :

89. Rapistrum Linnoeanum, Boiss. 90. Scabiosa semipapposa, SALZMANN.

J'ai rencontré ces deux plantes dans les mêmes circonstances que les premières, c'est-à-dire dans des prairies artificielles de nos environs.


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Pour ces deux espèces, qui appartiennent à la flore méditerranéenne, l'introduction par les graines commerciales est incontestable. Mais pour certaines autres de ma liste de l'an dernier, il me restait des doutes. Pour les lever autant que possible et en même temps continuer et compléter mes recherches, j'ai eu recours à un moyen d'investigation facile puisqu'il me permettait de rester chez moi. Je me suis procuré, d'un des grainetiers de la ville, des déchets de graine de luzerne, en choisissant celle qui est le plus répandue dans le commerce, et j'en ai ensemencé, au printemps dernier, quelques plates-bandes de mon jardin. Dès la même année, j'ai vu lever et se développer les espèces suivantes, parmi d'autres qui sont d'un moindre intérêt : Sinapis nigra, Lin. —Hirschfeldia adpressa, Moench.— Diplotaxis viminea, DC. — Diplotaxis tenuifolia, DC, avec une variété à feuilles entières. —Ammi majus, Lin. —Nepeta cataria, Lin. — Centaurea solstitialis, Lin.-—Crépis setosa, Hall. — Helminthia echioïdes, Goertn.

Voilà donc les falsificateurs de nos flores locales pris sur le fait. Ce sont bien les marchands grainetiers du Midi et même de l'Algérie qui nous envoient ces produits d'un sol étranger. Au point de vue de l'origine des espèces, le doute n'est plus possible; mais, d'un autre côté, leur naturalisation dans le pays deviendra plus difficile à constater, puisque nos fermiers, eux-mêmes, qui leur font chaque année, par la faulx, une guerre incessante, en répandent aussi chaque année de nouvelles semences.

91. Coriandrum sativum, LIN.

On sait que cette Ombellifère, originaire de l'Asie, est cultivée en divers lieux pour son fruit aromatique. On la rencontre çà et là, subspontanée dans le voisinage des habitations. Les environs d'Orléans paraissent lui offrir un cli-


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mat favorable. L'abbé Dubois la citait il ya plus de soixante ans dans deux localités de nos environs ; M. Boreau a pu en ajouter deux autres, Ingré et La Chapelle; M. Berthelot la trouvait l'an passé pour la troisième fois dans des terres de déblais près de la ville, et M. l'abbé Cholletdans des décombres près du viaduc de Vierzon.

92. Quercus cerris, LIN. Vulg. Chêne chevelu. — Chêne de Bourgogne.

Ce chêne, dont la taille atteint celle des variétés les plus élevées du chêne commun, est assez répandu dans l'Ouest et dans nos provinces du Sud-Est pour que les auteurs de nos flores françaises le regardent comme indigène. H n'est pas étranger à notre département; ainsi, on en voit de beaux pieds (autour du château de Villefalier, dans le parc de l'Emérillon, auprès du château de Cormes, quelques pieds encore à La Ferté Saint-Aubin. Ce chêne ne pouvait manquer de se rencontrer dans le parc de Villecanthe où, grâce à une culture éclairée et à un zèle qu'aucun sacrifice n'arrête lorsqu'il s'agit d'accroître des collections déjà si riches, plus de cent espèces de chênes se sont donné rendez-vous de toutes les régions du globe. J'ajoute encore que les auteurs de la flore de Paris citent le Quercus cerris sur le coteau d'Auxy à Malesherbes.

Je sens, Messieurs, que ces localités que je viens d'énumérer prouvent assez que ce chêne est introduit chez nous par la main de l'homme et que vous pouvez me demander pourquoi je l'inscris au catalogue du Loiret. A cette question, je répondrai d'abord en m'autorisant de l'exemple des auteurs de la flore de Paris qui lui ont donné place dans leur ouvrage bien qu'il se présentât chez eux dans les mêmes circonstances, et j'ajouterai qu'ayant plus d'une fois déjà appelé votre attention sur des plantes que des causes accidentelles avaient amenées dans le pays, dont quelques-unes


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même ne se recommandaient que de l'intérêt que la science attache aux moindres productions de la nature, il m'eût semblé bien sévère de fermer notre catalogue aux plus nobles représentants du règne végétal, lorsque leur acclimatation et leur diffusion autour de nous leur ont acquis le droit de cité. Nul de nous ne passe indifférent à côté d'un bel arbre au port majestueux dont la racine profonde a pris possession du sol, tandis que son tronc ferme et inébranlable brise les efforts des vents, dont le bois donnera peut-être nn jour de précieux matériaux à nos arts, à notre industrie, dont le feuillage, nouveau pour nos yeux, projette une charmante variété au milieu du feuillage un peu uniforme de nos essences indigènes, dont les branches étendues semblent se plaire à protéger de leur ombre ces générations qu'elles ont vu naître, que peut-être elles verront s'éteindre! Loin de laisser dans l'oubli ces témoins des temps anciens, je voudrais qu'une date certaine conservât dans les familles le souvenir de l'année de leur plantation et permît aux arrière-neveux de payer un juste tribut de reconnaissance à la mémoire de l'aïeul vénéré auquel ils doivent cet ombrage.

TROISIÈME SÉRIE.

Localités nouvelles.

93. Ononis Columnoe, ALLIONI.

Aux quelques localités où cet Ononis est indiqué dans le département, M. Rimbert a ajouté cette année la vallée de Voisins qui lui en a offert une assez abondante récolte. Il avait précédemment rencontré cette plante sur le coteau de La Chapelle.


94. Selinum carvifolia, Lis.

Déjà signalée sur plusieurs points du département particulièrement aux Mauves de Meung, cette plante se trouve encore assez abondante à Courtenay, d'où je l'ai reçue de M. l'abbé Merlet.

95. Crucianella angustifolia, LIN.

Bien que cette plante soit citée par l'abbé Dubois et par M. Boreau dans plusieurs localités du département du Loiret, elle est recherchée comme rare par les botanistes du pays. Nous devons savoir gré à M. Rimbert de nous en avoir indiqué une station à proximité d'Orléans, à la Bouverie, commune de Saint-Ay. ■— M. Eud. de Morogues l'a aussi rencontrée à Sigloy, dans les sables de la Loire.

96. Petasites officinalis. MCENCH. Tussilago petasites, LIN.

Plante rare dans le Centre. M. Boreau l'indique en divers lieux, dans le Loiret. Elle se trouve aussi sur la commune de Noyers, canton de Lorris, d'où je l'ai reçue de M. l'abbé Vrain-Beaudu, curé de cette commune. M. Rimbert l'a aussi recueillie aux environs du château de Chenailles, près de Châteauneuf.

97, Eufragia viscosa, BENTHAM. Bartsia — LIN.

Plante de l'Ouest de la France où elle est commune. Elle se répand vers le Centre jusque dans la Sologne qui paraît former dans notre département la limite de sa diffusion vers l'Est. Elle y est assez commune dans les moissons des champs sablonneux. Marcilly (M. Boreau), La Ferté SaintAubin (M. Humniçki), La Caille (M. Eud. de Morogues).


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98. Chenopodium rubrum, LIN.

Je ne pouvais donner comme nouvelle, pour le département, une plante que les flores indiquent généralement comme assez commune. Néanmoins les botanistes de notre localité ne l'ont jamais rencontrée, ou la signalent comme rare. Je crois donc devoir faire connaître que je la trouve tous les ans sur les bords d'une mare de la ferme de l'Ardoise, commune de Saint-Denis-en-Val.

99. Salix repens, LIN.

Arbuste des lieux marécageux, déjà indiqué à Malesherbes, à Sceaux, à Dordives. M. Humniçki nous l'a fait connaître à La Ferté Saint-Aubin, près de la station du chemin de fer. Je l'ai aussi rencontrée auprès de l'étang de Brosseronde, commune de Tigy.

100. Potamogeton tuberculatus, TEN et Guss. — trichoïdes, GG. fl. de Fr.

Cette plante, selon M. Boreau, est rare dans le Centre. Il ne l'indique pour le Loiret qu'aux environs d'Adon, canton de Briare. Il faut y ajouter l'étang de Cendray, où je l'ai recueillie au mois d'août dernier.

101. Junous anceps, LAH.

Plante du Centre, où elle est assez rare. Déjà trouvée en Sologne par M. de Morogues, elle a été découverte par M. Ernest Nouel, sur les bords de l'étang des Gatis, près de Courcy-aux-Loges. Cette localité, en dehors de la forêt d'Orléans, rapproche cette plante des régions du Nord où elle paraît être inconnue et l'amène jusqu'à la circonscription de la flore de Paris, où elle n'est pas encore citée.


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102. Scirpus pauciflorus, LIGHTFOOT. — Boeothryon, EHRH. De.

Ce Scirpus assez commun sur les bords de l'Océan, devient rare dans le Centre. M. Boreau ne le cite pas dans le Loiret; mais les auteurs de la flore parisienne l'indiquent à Malesherbes. Il a été trouvé par M. le Docteur Lallier, sur les bords de l'étang des Gatis, près de Courcy-aux-Loges. B. est abondant du côté nord de cet étang.

103. Garex canescens, LIN.

Ce Garex est rare dans le centre de la France. M. Boreau ne lui assigne qu'une seule localité dans le Loiret. M. Humniçki l'a trouvé à La Ferté-Saint-Aubin, dans un pré humide, à proximité de la station du chemin de fer.

104. Carex hornschuchiana, HOPPE.

Bien que ce Carex soit déjà connu dans notre département, il y est assez rare pour qu'aux localités indiquées, Malesherbes, Sceaux, Saint-Cyr, nous ajoutions une nouvelle station que nous a fait connaître M. Humniçki, au pont de Ségris, où il se trouve réuni au Sclioenus nigricans.

105. Avena pratensis, LIN.

Cette graminée qui ne paraît pas être rare dans notre département, n'est cependant indiquée dans les flores locales qu'à Malesherbes. M. l'abbé Badinier l'a rencontrée assez abondante dans la forêt d'Orlëans, sur les bords des fossés de l'allée de Saint-Nicolas.

T. XII. 2


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106. Deschampsia Thuillieri, G. et G. fl. de Fr. Aira uliginosa, WEIHE.

Plante rare pour le Centré. Déjà indiquée en Sologne par M. Jullien. Elle a été rencontrée sur les bords de l'étang de Brosseronde par M. Eud. de Morogues et aussi l'an dernier près de l'étang du Grand-Veau, dans la forêt d'Orléans, par M. Fougeu.


DE LA MOBILITÉ DES GOUTS LITTÉRAIRES,

Par M. BAGUENAULT DE VIEVILLE.

Séance du 4 avril 1868.

Haoent sua fata lïbelli.

S'il est un moyen de constater les tendances morales et littéraires d'une époque, c'est assurément l'examen des livres qui y ont cours.

Ceux d'entre vous, Messieurs, qui s'occupent de littérature et de poésie, et qui suivent les ventes publiques de Paris, ont sans doute été frappés d'un fait; c'est que les auteurs les plus inconnus et les plus discrédités à certaine époque, sont ceux qui obtiennent aujourd'hui le plus de faveur et qui s'enlèvent aux enchères les plus élevées.

Laissant à part le côté moral de ce fait, nous ne l'envisagerons ici qu'au point de vue littéraire.

Nous montrerons dans quelle mesure a eu lieu cette réaction, jusqu'à quel degré elle est légitime, et enfin la part que nos vieux auteurs Orléanais ont reçue dans ce revirement de l'esprit moderne.

C'est surtout depuis 25 ou 30 ans que s'est déclarée cetteréhabilitation des vieux livres. Charles Nodier avait ouvert des premiers cette voie. C'était un littérateur distingué , romantique par l'imagination, classique par le style, écrivain ingénieux, esprit fin et un peu paradoxal. Sa bibliothèque, vendue à sa mort, ne renfermait que peu de classiques , mais beaucoup de ces livres qu'on appelle rares et


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précieux, précieux surtout parce qu'ils sont rares. Ces volumes richement reliés, ornés d'un ex libris élégant, se vendirent fort bien ; mais, depuis, les livres de ce genre ont pris une valeur bien plus haute, et la bibliothèque de Nodier atteindrait aujourd'hui un prix triple de celui qu'elle a obtenu en 1844.

Sans parler d'une foule d'auteurs complètement oubliés et qui méritent de l'être, rappelez-vous quelques-unes des ■victimes de Boileau, celles surtout sur les écrits desquelles il a jeté un ridicule qui durera aussi longtemps que la langue française.

Nous trouvons d'abord Colletet, ce poëte qui

crotté jusqu'à l'échiné

S'en va chercher son pain de cuisine en cuisine.

Scudéry :

dont les écrits sans art et languissants Semblent être formés en dépit du bon sens.

Saint-Amant, qui dans la traversée de la mer rouge par les Hébreux :

Met pour les voir passer les poissons aux fenêtres.

Menardière et Rampalle :

On ne lit guère plus Rampalle et Menardière.

D'Assoucy :

Et jusqu'à d'Assoucy tout trouva des lecteurs.

Enfin, pour ne pas les citer tous,

Pradon, Chapelain, Cotin dont les noms se lisent à toutes les pages du satirique.

Eh bien, Messieurs, les poésies diverses de Colletet, un volume in-12, ont été achetées 33 fr. à la vente Solar.

L'Alaric de Scudéry, 20 fr., vente Ch. Giraud.

— 38 fr.', vente Ch. Nodier.

— 60 fr., vente Armand Bertin.


— 21 —

Le Moïse sauvé, de Saint-Amant, 39 fr., vente Veinant.

Les OEuvres diverses du même, petit in-12, imprimées à Orléans, 100 fr., vente Solar.

Les Idylles du sieur de Rampalle, 40 fr., vente Solar.

Les Poésies de Jules de La Menardière, 75 fr., à la même vente.

Les Rimes redoublées de d'Assoucy, 137 fr. ibid.

Les OEuvres de Pradon, 13 fr. à la vente Pixérécourt.

La Pucelle de Chapelain, 59 fr., vente Nodier; 99 fr., vente Solar; 125 fr., vente Armand Bertin.

Enfin, les OEuvres galantes de Cotin ont été adjugées à 56 fr. à la vente Ch. Giraud.

H est vrai que c'est dans ce volume que se trouve-le sonnet : Votre prudence est endormie, et le madrigal : Sur un carrosse de couleur amarante.

Nous avouerons que les arrêts de Boileau n'ont pas toujours été confirmés par la postérité; qu'il a été injuste envers Quinault ; qu'il a trop élevé Voiture et Benserade et trop rabaissé Chapelain : M. de Saint-Marc Girardin a démontré qu'il y avait dans la Pucelle des passages fort remarquables. Nous avouerons encore que les satiriques sont souvent influencés par des griefs personnels; que l'exigence de la mesure et de la rime appellent souvent dans leurs poèmes des noms qui ne devaient pas y trouver place; que Boileau, qui a fort maltraité Perrault s'étant raccommodé avec lui après avoir fait une pièce acerbe où le nom de Perrault se trouvait à la rime, il lui substitua le nom de Boursault ; que s'étant plus tard réconcilié avec Boursault, il remplaça son nom par celui de Hainault qui est resté. Mais Boileau avait généralement le goût sûr, et, à quelques exceptions près, ses jugements doivent faire la règle et ses écrits le charme des vrais littérateurs.

Boileau, Messieurs, dans son édition la plus complète, 5 volumes in-8°, avec tous les ornements d'une reliure


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splendide, portraits, vignettes, etc., à la vente de livres la plus importante de nos jours (vente Yéméniz), s'est donné pour la somme de 30 fr. ! Contraste bien piquant avec les prix que nous avons énoncés plus haut.

Que dire après cela de Ronsard, poète qui n'était certainement pas sans mérite, mais dont les oeuvres se sont vendues à la vente Solar 861 fr. et 900 fr. à la vente Ch. Giraud?

De Mellin de Saint-Gelais dont un ouvrage s'est vendu 460 fr., vente Parison, et un autre volume 1,600 fr., vente Solar?

Encore ces auteurs jouissaient-ils de leur temps d'une grande renommée, et la plupart étaient membres de l'Académie française ! Mais qui connaît :

Claude Hopil, vendu 168 f.

David Rigaud 200

Ambroise Delaporte 310

Pierre de Cornu 350

etc., etc.?

L'exagération de ces prix appliqués à des auteurs inconnus, ou que nous ne connaissons que par le ridicule attaché à leurs noms par des critiques célèbres, ne constituet-elle pas un symptôme de décadence ?

Les acquéreurs, pour leur justification, assurent qu'il y a bien des perles dans ce nouveau fumier d'Ennius; qu'il n'est pas sans intérêt de surprendre la poésie à son berceau; que les oeuvres littérairement médiocres ou mauvaises ne sont pas inutiles en ce qu'elles donnent plus de relief à celles qui sont bonnes et les font mieux ressortir; qu'on devient habile non-seulement en sachant ce qu'il faut faire, mais en apprenant ce qu'il faut éviter; que ces anciens auteurs dans leur édition originale ont un charme particulier; on aime à les voir tels qu'ils ont paru de leur vivant, on se reporte à


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leur temps, on vit dans leur siècle, presque dans leur intérieur. Pour entretenir cette illusion, on les veut avec leurs marges intactes, leur propreté originelle, leur vieille typographie, tels enfin qu'on les aurait achetés chez Barbin, chez Sercy, chez Bénis Thierry, ou sortant des presses de notre compatriote Mamert-Patisson, revêtus d'une reliure du temps, authentique ou bien imitée, en veau maroquin ou vélin de Hollande. Mais toute illusion s'évanouit quand ces conditions disparaissent, devant un livre maculé, émarges rognées, à demi-reliure et papier moderne, ce livre redevient bouquin et reste sans valeur. Les éditions originales sont encore recherchées parce qu'elles donnent le premier jet d'un auteur, bien préférable souvent, par la franchise de son allure, à des éditions postérieures châtiées et remaniées.

Quelque spécieuses que soient ces raisons qu'on allègue, il est certain que la rareté d'un volume fait le plus souvent son principal attrait, n est un vieuxpoëte charmant dont les oeuvres ne sont pas, à mon avis, assez connues et appréciées, c'est Louise Labbè, dite la belle Cordière de Lyon: les anciennes éditions de ses poésies étant fort rares, elles ont été très-élégamment réimprimées par Perrin, à Lyon, et forment un joli Volume auquel rien ne manque; l'édition originale n'en a pas moins atteint, à la vente Solar, la somme de 1,175 fr.

Veut-on juger de la progression du prix de ces livres depuis un siècle? Ce même volume de Louise Labbè s'est vendu chez le duc de La Vallière, en 1767,15 fr.; 34 fr. à la vente Lair en 1819; 310 fr., vente Pixèrècourt en 1838; 700 fr., vente Giraud, en 1857 et 1,175 fr. chez M. Solar, en 1860.

Les Rymes de Pernette du Guillet, autre femme poëte de Lyon, en édition originale, qui se sont données pour 3 fr. en 1783, chez le duc de la Vallière, ont été payées


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1,005 fr. par M. Yemeniz à une vente de 1850 et adjugées à la vente de ce bibliophile, en mai 1867, pour 2,900 fr.

Souvent une bizarrerie suffit pour appeler les recherches sur un livre et lui donner une valeur exceptionnelle. Ainsi, quelques éditions plus rares que les autres, se reconnaissent à une ou plusieurs fautes d'impression ; elles n'en sont que plus recherchées, d'où l'épigramme si connue :

Oh! je le tiens : que je suis aise ! C'est bien la bonne édition, Car voyez, pages douze et seize, Les deux fautes d'impression Qui ne sont pas dans la mauvaise.

D'autres fois, c'est un mot du titre qui ne se trouve pas dans les éditions postérieures, comme dans le volume de notre compatriote le chevalier d'Aceilly, où le titre porte se donnent au palais au lieu de se vendant, un tel exemplaire ne se donne certainement plus, mais se vend aujourd'hui jusqu'à 100 fr. (vente Solar).

Il n'est pas inutile de faire observer que tous les prix que nous avons mentionnés sont encore augmentés des frais de vente de cinq pour cent.

Nous conviendrons aussi que l'élégance de la reliure entre parfois pour beaucoup dans ces prix d'adjudication ; mais n'est-ce pas déjà attacher une grande importance à un livre que de l'avoir orné d'un vêtement splendide. Parfois encore il faut tenir compte d'une concurrence élevée entre des amateurs échauffés par le feu des enchères. Le judicieux et savant auteur du Manuel du Libraire, M. Brunet, s'y est lui-même laissé prendre une fois, à la vente Parison, où les deux petits volumes du Tèlèmaque de 1717 (exemplaire de Longepierre), ont été poussés par lui jusqu'à la somme énorme de 1,785 fr.; ces deux volumes avaient coûté à M. Parison 30 fr. Aussi, rendant compte de cette vente et de ce fait, M. Brunet ajoute-t-il: « Cette enchère extrava-


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« gante a été portée pour le compte d'un vieux bibliophile a qui cette fois n'a pas fait preuve de sagesse. » (1)

La passion des livres rares a donné lieu de nos jours à de plus singulières prodigalités. En 1858, parut le catalogue d'une vente des livres de M. de Clinchamp: les livres furent publiquement exposés; cette collection fort belle renfermait entr'autres une vingtaine de volumes de nos vieux poètes, volumes charmants de conservation, de pureté, de reliure ; c'étaient autant de bijoux que convoitait une foule d'amateurs. M. Félix Solar, possesseur alors d'une grande fortune, promptement acquise, dit-on, désirait vivement les avoir pour les joindre à ceux qu'il possédait déjà; dans la crainte qu'ils ne lui échappassent, il traita à l'amiable de la bibliothèque entière quelques jours avant la vente qui fut dès lors arrêtée. Mais ces livres ne demeurèrent pas longtemps chez lui ; deux ans après, la bibliothèque Solar était elle-même livrée aux enchères et les précieux volumes dispersés dans les plus riches cabinets de Paris et de Londres. Blâmons donc, avec M. Brunet, cette exagération, surtout chez les amateurs qui engoués de nos auteurs réprouvés par une sage critique, ne composent leur collection que d'une nourriture d'esprit aussi peu substantielle.

S'il est une bibliothèque à laquelle cette collection peut et doit convenir, c'est celle de l'Etat, qui tient un répertoire complet de toutes les oeuvres de l'intelligence; l'Etat seul a le devoir de les réunir, c'est avec tous ces matériaux à consulter, qu'on peut faire une histoire littéraire complète, et l'Etat les recueille souvent à bien meilleur compte, parce qu'il n'a pas besoin de ces reliures somptueuses qui en augmentent la valeur; aussi la bibliothèque impériale ne néglige-t-elle aucun moyen d'acquérir ce qui lui manque

(1) On verra, dans le rapport qui suit, que ce même exemplaire du Télémaque s'est revendu, à la vente de M. Brunet, 2,200 fr.


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pour réunir tous les fragments épars de l'oeuvre nationale.

Nos auteurs de province en font naturellement partie; nos vieux poètes Orléanais ont eu part comme les autres à cette réaction de l'esprit moderne; nous citerons ceux qui ont apparu dans les ventes et chercherons à donner une courte notice sur quelques-uns d'entre eux qui sont peu connus dans le pays même qui leur a donné naissance.

Au printemps dernier, une vente de livres s'est faite à Orléans; l'un d'eux, format in-12, avait simplement pour titre : Nouveau recueil de poésies, à Turin chez BenoistFleury et Jullien Lebrun associez. Ayant des motifs pour désirer ce volume, j'en devins adjudicataire, mais j'avais pour compétiteurs deux personnes de Paris qui avaient donné commission au libraire chargé de la vente, et qui exprimèrent vivement le regret de ne point l'avoir eu ; l'un était un libraire bien connu pour ses livres rares et précieux, l'autre était le directeur de la Bibliothèque impériale.

Quel était donc l'auteur de ce volume si désiré?

Un pieux bénédictin, Julien Galien de Morillon qui, bien que né à Tours en 1631, appartenait à notre province par ses longues résidences et les nombreuses relations qu'il entretenait avec Orléans. Dans l'intervalle de ses exercices religieux il se livrait à la poésie et avait fait paraître un poème biblique en six chants, intitulé Joseph ou l'esclave fidèle, dans lequel se trouvaient quelques détails que les chefs de sa congrégation jugèrent peu en harmonie avec la sévérité de l'Ordre; le livre fut donc blâmé et mis à l'index, ce qui ne l'empêcha pas d'avoir trois éditions.

Un article du Bulletin du, bibliophile, de janvier 1845, prétend que ce poème de Joseph est fort innocent par sa


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médiocrité, que sa célébrité n'est due qu'aux efforts qu'on a faits pour le détruire, et que c'est pour conserver la haute réputation littéraire dont elle jouissait, que la docte congrégation s'est trouvée intéressée à faire disparaître un ouvrage faible, sans goût, et oeuvre unique de son auteur.

Cette allégation est complètement erronée; d'abord ce poëme, sans être un chef-d'oeuvre, n'est point dépourvu de mérite, ainsi que le reconnaît Ch. Nodier qui lui avait donné une place honorable dans sa bibliothèque, d'où il fut vendu 40 fr.

En second lieu, dom Morillon est en outre auteur:

D'une Paraphrase sur le livre de Job, en vers français. Paris, Louis Billaine, 1666, in-8° ;

D'une Paraphrase sur le livre de l'Ecclèsiaste, en vers français. Paris, même libraire et même format, 1670 ;

D'une autre Paraphrase du livre de Tobie, aussi en vers français, imprimée à Orléans chez François Hotot, 1674, in-12;

Enfin du volume dont nous avons parlé et que j'ai acquis parce que je possédais tous les autres.

Dans ce livre se trouvent plusieurs pièces de vers adressées à des Orléanais et qui attestent les relations qu'il avait dans notre ville, ce que le voisinage de Saint-Benoît explique facilement.

Dom Morillon est cité dans le Dictionnaire de Trévoux comme un des bons auteurs dont on s'est servi pour la composition de ce grand ouvrage.

Lorsqu'un ouvrage de dom Morillon était quelque peu empreint de mondanité, non-seulement il n'y attachait pas son nom, mais il voilait le lieu de l'impression et le nom des libraires; ainsi le poëme de Joseph, et le Recueil de poésies portent la rubrique de Turin chez Benoist-Fleury et Jullien Lebrun associez; ce voile est facile à soulever.

Turin est pour Tours, lieu de sa naissance.


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Benoist c'est le nom du saint dont dont il suit la règle.

Fleury un de ses plus célèbres monastères.

Julien un des prénoms de l'auteur; quant à Lebrun c'est peut-être un nom supposé, ou celui du véritable éditeur.

La bibliothèque d'Orléans possède les manuscrits des poëmes de Joseph et de Tobie; sont-ils autographes? Je l'ignore; l'écriture en est nette et superbe. Ils proviennent de la bibliothèque du monastère de Saint-Benoît, et on lit ces mots sur le mss. de Joseph : Ex dono auctoris reverendi admodum, P. domini Gatiani de Morillon, Ordinis sancti Benedicti, Congregationis sancti Mauri, sacerd. profess.

H est donc démontré que les oeuvres de ce bénédictin ne sont pas aussi discréditées sous le rapport littéraire qu'on a voulu le faire croire. Quant à la licence de certains passages de Joseph, nous pensons que quelques détails pouvaient effaroucher la sévérité d'un ordre religieux, mais qu'à moins d'un rigorisme exagéré, les gens du monde n'y peuvent rien trouver à reprendre et que la lecture n'en offre aucun danger.

Dom Morillon a été chargé pendant vingt-cinq ans de l'administration des principales affaires de son ordre en qualité de procureur syndic au Parlement de Bretagne ; il est mort à l'abbaye de Sainte-Melaine de Rennes, en 1694.

La Bibliothèque impériale pour compléter son vaste répertoire, recherche non-seulement tous les anciens auteurs, mais encore toutes les biographies et tous les documents qui s'y rapportent.

H y a quelques années, j'eus l'honneur de vous lire une modeste notice sur François Chevillard, poète Orléanais ; cette notice renvoyée à la Section des Lettres fut, selon nos usages, l'occasion d'un rapport confié à notre regretté col-


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lègue M. Dupuis ; le rapporteur, plein d'indulgence pour mon opuscule, m'adressait cependant un reproche; ce reproche auquel une grande partie des membres présents parut s'associer, peut se formuler par deux vers de Boileau (1) que je me permets de dénaturer pour la circonstance et que voici :

Ah ! le plaisant dessein d'un critique sans art, Qui parmi tant d'auteurs va choisir... Chevillard.

Je répondis en moi-même que c'était précisément parce que cet auteur était peu connu que j'avais voulu le faire connaître; la notice fut imprimée, j'en fis tirer quelques exemplaires pour des amis, et j'oubliai mon Chevillard.

Huit ou dix mois après, je reçus une lettre du ministère de l'intérieur, qui me demandait un exemplaire pour la bibliothèque impériale; je l'avais encore et je l'envoyai sans me prévaloir d'une réclamation qui s'adressait moins au faible mérite de l'oeuvre qu'au vieux poëte qui en était le sujet.

Les oeuvres d'Etienne Bolet en bonne condition se [vendent encore fort bien ; celles principalement qui sont imprimées par lui-même. Un volume in-8° contenant quatre pièces est monté à 500 fr., vente Yèmeniz 1867, et les Gestes de François de Valois à 380 fr.

La vie aventureuse et agitée d'Etienne Dolet est trop connue de vous, Messieurs, pour que j'essaie de vous en entretenir. U suffira de vous rappeler que, né en 1509 à Orléans, il périt sur le bûcher surla place Maubert, à l'âge de 37 ans, victime de ses opinions trop hardies de libre

(1) Oh ! le plaisant dessein d'un poète ignorant, Qui de tant de héros va choisir Childebrand !


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penseur, assez généralement plaint, mais peu regretté, à cause des aspérités de son caractère.

Il n'en fut pas de même des frères Jean et Jacques de la Taille, nés à Bondaroy, près Pithiviers, d'une noble et ancienne famille dont les descendants vivent encore au milieu de nous. L'aîné, Jean de la Taille, à la fois homme de lettres et homme d'épée, et in utrumque paratus, selon sa devise, chercha à faire revivre parmi nous la tragédie antique avec les choeurs; après avoir initié son jeune frère Jacques de la Taille à l'amour et à la culture de la poésie, il eut la douleur de le voir expirer entre ses bras, bien jeune encore, et ses écrits postérieurs rendent un touchant témoignage du chagrin qu'il en ressentit. Retiré de la cour, il mourut dans la retraite dans un âge fort avancé, entouré de la considération générale due non-seulement à ses travaux littéraires, mais encore à son esprit conciliant et à sa fidélité à des principes d'honneur devenus héréditaires dans sa famille.

Fraternellement unis pendant leur vie, ces deux auteurs le furent encore après leur mort dans un seul et même volume qui renferme toutes leurs oeuvres dramatiques. Ce volume est aujourd'hui très-recherché; monté à 200 fr. aux ventes Crozet en 1840 et Ch. Giraud en 1855, il vient tout récemment d'atteindre le chiffre de 460 fr. à la vente d'Edouard de Turqueti.

La tragédie àeJephiè, de Florent-Chrétien,a été adjugée à 65 fr. chez M. Solar.

Florent-Chrétien, né à Orléans en 1641, un des auteurs de la Satire menippèe, avait été, comme on sait, précepteur de Henri IV. Zélé calviniste, il s'était brouillé avec Pibrac qui avait fait une apologie de la Saint-Barthélémy ; vers la fin de sa vie il embrassa le catholicisme et se réconcilia avec l'auteur des Quatrains.


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Le Celt Hellénisme de notre concitoyen Léon Tripault, seigneur de Bardis, jouit aussi d'une certaine faveur dans les ventes; il a été payé 42 fr. en 1860, et 45fr., vente Yéméniz.

L'auteur, dans cet ouvrage, cherche à donner l'étymologie de tous les mots français tirés du grec. Le Celt Hellénisme a essuyé plusieurs critiques, principalement de l'abbé Goujet, qui prétend que le seigneur de Bardis ne savait pas bien la langue des Bardes; il avoue cependant qu'on ne peut lui refuser une érudition variée. Plusieurs traités sur le même sujet ont paru depuis qui sont bien plus complets, entre autres celui du savant helléniste Bansse de Villoison; mais Léon Tripault a tracé la voie, et l'on n'a fait depuis que l'élargir.

Le Celt Hellénisme renferme quelques détails curieux, j'y ai surtout remarqué un sonnet très-original, que je n'ai vu que là a dont l'auteur, dit Tripault, m'est inconnu, lequel toutefois, quel qu'il soit, est d'un aigu et ingénieux esprit. »

Ce sonnet le voici :

La femme et le procès, sont deux choses semblables, L'une parle toujours, l'autre n'est sans propos. L'une aime à tracasser, l'autre hait le repos. Tous deux sont déguisés, tous deux impitoyables.

Tous deux par beaux présents se monstrent favorables. Tous deux les poursuivants rongent jusques aux os. L'une est un profond gouffre, et l'autre est un chaos Où s'embrouille l'esprit des hommes misérables.

Tous deux sans rien donner prennent de toutes mains, Tous deux en peu de temps ruinent les humains. L'une attise les feux, l'autre attise les flammes.

L'une aime les débats, et l'autre les discors. Si Dieu donc eut voulu faire de beaux accords, Il devait marier les procès et les femmes.


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A la fin de ce livre se trouvent les preuves en général de la, descente de notre langue ; on y démontre que le nom de Gaulois vient du mot grec yaXa, lait, parce que les habitants du pays se distinguaient par la blancheur de leur peau.

lactea colla Auro innectuntur,

a dit Virgile au 8e livre de l'Enéide. H pouvait aussi bien, dit l'auteur, mettre Candida.

Léon Tripault était frère d'un jurisconsulte renommé et père d'un fort mauvais poète, Emmanuel Tripault, seigneur de Linières, dont les ouvrages assez nombreux sont peu recherchés. Il en est un intitulé: Anagrammes sur les noms et prénoms des dames et demoiselles d'Orléans. H y torture le nom de 57 dames et jeunes filles de manière à en faire sortir un sens flatteur qu'il applique à chacune d'elles. Ce recueil est extrêmement rare; la bibliothèque d'Orléans et la Bibliothèque impériale en possèdent chacun un exemplaire, mais ils sont l'un et l'autre incomplets, pas auxmêmes pages heureusement. Quelles que soient la médiocrité des rimes et la puérilité de ce travail d'esprit, il eût été regrettable de voir disparaître un ouvrage d'intérêt local. M. Heiiuison a eu l'heureuse idée de le réimprimer tout récemment parfaitement complet. Puisse cette réimpression avoir le succès de l'Hercule Guespin, reproduit par le même éditeur, dont tous les exemplaires ont été promptement enlevés.

H est encore un auteur Orléanais de ce temps, dont on voit, mais rarement, paraître quelques ouvrages dans les ventes publiques, c'est Euverte Jollivet.

Euverte Jollivet, seigneur de Votillai, est né à Orléans en 1601 ; il était fort instruit, mais poète médiocre, en fran-


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çais surtout, car il avait fait un poëme latin de 14,000 vers en l'honneur de Gustave-Adolphe, intitulé Fulmen in aquilam où l'on trouve de l'imagination et de beaux passages. On voit aussi de lui à la bibliothèque d'Upsal une histoire manuscrite de Suède, ce qui fait qu'il est beaucoup plus connu dans ce royaume que dans sa ville natale.

Un de ses poëmes, les Tablettes du coeur, a été payé 46 fr. à la vente Solar, prix bien au-dessus de sa valeur littéraire, et l'on peut dire aussi de l'acquéreur, qui a l'honneur de vous entretenir en ce moment, qu'il n'a pas fait preuve de sagesse ; par contre, il a acheté d'occasion un autre poëme, beaucoup plus rare du. même écrivain, Y Excellent Jeu du trique trac, très-doux esbal es noble compapagnie, pour la somme de vingt-cinq centimes.

Telle est la contribution qu'a fournie notre ville à l'engouement moderne pour les vieux livres. Nous ne pèserons pas scrupuleusement le mérite de ces ouvrages, mérite qui n'est plus aujourd'hui, nous l'avons vu, un titre de recommandation; mais, quelque faible qu'il soit, il suffit à prouver que la culture des lettres n'a jamais été délaissée à Orléans, avant même que le goût ne s'épure et que la langue ne se forme.

Je n'ai point parlé à dessein de Jean de Meung et de Guillaume de Lorris : le Roman de la Rose est en dehors de notre programme et a sa place dans tous les cabinets, comme un des points de départ de la poésie française; c'est le premier titre littéraire de notre province, quoiqu'il soit, convenons-en, bien fatigant à lire.

Le Roman de la Rose, première édition de 1485, a été payé 1,620 fr., vente Solar.

Orléans, ville savante et d'Université, a produit en outre beaucoup de jurisconsultes éminents et de poëtes latins

T. XII. 3

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remarquables, qui mériteraient une notice particulière si je ne craignais de m'écarter de mon sujet et surtout de lasser votre indulgence.

Messieurs, aimons et honorons les livres : ce sont nos amis les plus constants et les plus sûrs ; embellissons-les, donnonsleur ces élégantes reliures, genre d'ornement où ont excellé nos artistes français. Mais la passion des livres, fort innocente en elle-même, a ses égarements comme toutes les autres passions. Si ce n'est point un sujet de blâme, c'est au moins un faute de goût lorsque la partie matérielle d'un livre l'emporte trop sur la partie intellectuelle ; lorsque le prix d'acquisition n'est justifié en rien par la valeur intrinsèque ; lorsque, sous prétexte qu'ils sont trop connus ou trop sages, l'on bannit les classiques de ses collections. Restons fidèles à nos bons auteurs, sans mépriser"toutefois ceux qui les ont précédés dans la carrière; il ne faut pas rougir d'avoir été enfant ; s'ils ont failli sous le rapport de l'art, on trouve parfois chez eux une grâce et une naïveté qui n'existent pas toujours chez des écrivains plus châtiés ; mais depuis que la poésie française a grandi et pris un si brillant essor, ne restons pas en trop profonde adoration devant ses langes; car si nous trouvons dans nos vieux poëtes des beautés, nous n'y trouverons que bien rarement des modèles.


RAPPORT

AU NOM DE LA SECTION DES LETTRES

PAR M. LOISELEUR,

SUE L'ÉTUDE QUI PRÉCÈDE.

Séance du 5 juin 1868.

MESSIEURS,

Dans votre séance du 4 avril dernier, vous avez entendu et renvoyé à l'examen de votre section des Lettres l'étude de notre honorable vice-président intitulée : De la mobilité des goûts littéraires. Amateur debeaux etbons livres, possesseur d'une bibliothèque plus remarquable encore par le choix que par le nombre, M. Gabriel Baguenault était tout-à-fait en mesure de parler ex-professo des goûts et des travers des bibliophiles. L'épigraphe de ce joli morceau : Habenl sua fata libelli, résume très-bien le sujet et l'explique mieux encore que le titre. Qui de nous, en parcourant les catalogues annotés des livres vendus aux enchères publiques depuis une vingtaine d'années, n'a été frappé des prix vraiment fabuleux qu'atteignent certains ouvrages, delà progression toujours croissante de ces prix, de l'engouement qui s'attache aujourd'hui non à des écrivains recoin-


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mandables par leur mérite, mais à des auteurs inconnus à juste titre? Ce qu'on apprécie à cette heure, c'est moins la valeur littéraire ou scientifique d'un ouvrage que sa rareté. On traite les livres comme les faïences, les porcelaines, la verrerie ancienne, les émaux, les tapisseries : on ne s'attache pas à leur mérite intrinsèque, mais à leurs qualités extérieures, à leur reliure, aux armoiries qui la décorent, à l'illustration de leurs possesseurs successifs. Le livre n'est plus ce qu'il doit être avant tout, une source d'enseignement et de jouissances intellectuelles; il rentre dans le vaste domaine de ce qu'on appelle la Curiosité; il fait partie du bric-à-crac.

Ce travers, car c'en est un, tient à une cause générale que notre confrère, sisagace pourtant dans ses aperçus, n'a point signalée : au besoin de jouir et de briller. L'amour du luxe, le désir d'étaler sa fortune, désir immodéré surtout chez ceux qui l'ont rapidement acquise, toutes ces passions vaniteuses trouvent leur compte dans la possession de beaux volumes, richement reliés, timbrés d'illustres armoiries. On les range dans sa bibliothèque, au même titre que les tableaux sur les murailles, parce qu'ils sont chers et qu'il sont les preuves palpables de l'opulence de leur possesseur. De bons ouvrages qui ne livrent pas leurs secrets au premier venu, qu'il faut lire et savoir lire pour les apprécier, ne disent rien au commun des visiteurs; mais l'or des tranches, la dentelle des gardes, le maroquin ou le vélin intact des couvertures, voilà des qualités qui sautent aux yeux et qui se jugent d'un regard. Plusl'ouvage est ignoré, frappé d'un juste oubli ou ridiculement célèbre, plus le collectionneur dont je parle aimera à s'en faire honneur, à se poser ainsi en vengeur du mérite inconnu et à se donner à peu de frais un vernis de facile érudition.

De là les prix exorbitants que tant d'auteurs oubliés atteignent dans les ventes publiques et dont M. Baguenault


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nous signale de frappants exemples. Il nous a conté avec charme l'aventure de Brunet, achetant moyennant 1,785 fr. les deux petits volumes du Tèlèmaque de 1717 que leur précédent propriétaire avait payés 30 fr. Le judicieux auteur du Manuel du libraire qui aimait si fort à tancer les autres, se tança lui-même vertement à ce sujet. Il était si honteux de son équipée qu'au dire de M. de Sacy, il se cacha après cette extravagance et fut deux mois sans gronder personne. C'était à tort pourtant et il a pu se convaincre, dans l'autre monde, qu'en fait d'enchères insensées, les amateurs de notre temps ont bien des points à rendre à ceux de 1830. Car l'historiette a un complément que notre confrère n'a pu nous dire, vu qu'il est d'hier et postérieur à sa notice. Ce même Tèlèmaque dont le prix exorbitant faisait rougir le bon Brunet, vient de se revendre après sa mort 500 fr. de plus qu'il ne l'avait acheté. Et, faut-ille dire? cette, plus-value est des plus modestes. On a vu des choses bien autrement surprenantes dans cette vente Brunet qui restera comme un monument de la vaniteuse prodigalité des collectionneurs de 1868, et où 713 articles composant le catalogue ont produit près de 300,000 f. Les dialogues de Joachim Perion sur l'origine de la langue française, adjugés à 5 fr. à la vente Anquetil du Perron en 1805, n'ont pas été payés moins de 1,150 fr. à la vente Brunet : il est vrai que l'exemplaire qui contient ce mauvais traité porte le chiffre de Henri et celui de Diane de Poitiers. Qu'on mesure par là le chemin parcouru, le revirement des idées depuis soixante ans !

Le Montaigne de 1588 que Nodier avait payé une trentaine de francs, que Brunet avait acheté 132 fr. à la vente de Nodier , ce Montaigne a été revendu à la sienne au prix modeste de 3,050 fr. Daphnis et Chloé, édition dite du Régent, traduction d'Amyot, acheté 235 fr. en 1811, a atteint à la vente Brunet le prix de 6000 fr. Les Mémoires du Cardinal de Retz édition d'Amsterdam, ont été poussés


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jusqu'à 1500 fr. Mais il faut dire que les deux ouvrages qui précèdent, étaient reliés par Padeloup. « La reliure est bien là-dedans pour 1,450 fr., » dit M. de Sacy en parlant du dernier. Et ce n'est pas là une boutade : l'observation est justifiée par un fait récent. A la vente de la bibliothèque de M. Van der Helle, de Lille, qui a eu lieu en février dernier, ces mêmes Amours de Daphnis et Chloé, avec les figures du Régent, n'ont été vendues que 160 fr. Et cependant la reliure était en maroquin rouge ; mais elle n'était pas signée d'un nom illustre. C'est donc bien la reliure et non le livre qui est aujourd'hui l'objet de ces enchères fabuleuses.

Elles s'expliquent de plus, ces enchères, par la quantité de riches amateurs qu'attire la vente de collections célèbres, et par la satisfaction de rester vainqueur dans ce tournoi où le prix est aux gros écus. Ce n'est pas un mince bonheur que depouvoir dire à ses amis : Vous voyez bien ce petit bouquin couvert de parchemin blanc qui, paraît-il, traite de la chasse à courre. H est imprimé en allemand gothique et personne ne l'a jamais ouvert: mais il me vient de la vente Brunet et je l'ai disputé au baron Jérôme Pichon qui possède plus de huit mille volumes sur la chasse et qui ne me l'a lâché qu'à 2,000 francs.

Ce qui nous touche et nous séduit surtout dans l'agréable notice de notre excellent confrère, ce sont les détails relatifs à nos vieux poètes Orléanais qui, eux aussi, tout médiocres qu'ils soient pour le plus grand nombre, ont part à cette réhabilitation générale de tant de vieilles choses tombées dans un légitime oubli. M. Baguenault profite de l'occasion pour donner à leur sujet quelques-uns de ces renseignements biographiques et bibliographiques dans lesquels il excelle et dont il a déjà plus d'une fois enrichi nos Annales. Je ne m'étendrai pas sur cette partie de sa notice, quoi qu'elle soit certainement la plus originale et la


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plus curieuse. E. y a des choses qu'on ne peut que gâter en les analysant. J'aime mieux m'associer aux sages et judicieux conseils que notre confrère donne en terminant aux bibliophiles et y joindre ces deux aphorismes dont je vous demande la permission de taire l'auteur :

<t Défiez-vous des bibliomanes dont les livres sont trop bien habillés : ils ressemblent aux amphitryons qui vous servent un brouet noir dans de la vaisselle plate.

a Les mauvais livres revêtus de belles reliures sont comme des valets couverts des habits de leurs maîtres : on les regarde un moment avec curiosité, mais on ne les fréquente pas. »


NOTE

SUR

UNE MACHINE A AMMONIAQUE

Par M. FROT.

Insertion décidée le 19 juin 1868.

I

Depuis bien longtemps déjà l'on a cherché à remplacer la vapeur d'eau dans les machines motrices par un agent plus économique, et malgré les nombreuses déceptions qui ont accompagné la plupart des essais faits jusqu'à ce jour, les chercheurs ne se sont pas découragés. C'est qu'en effet, Messieurs, bien que les machines à vapeur d'eau aient permis de réaliser un immense progrès en se substituant aux moteurs animés, on les trouve encore bien imparfaites quand on songe que les meilleures, celles qui ne consomment qu'un kilogramme et demi de charbon par cheval et par heure, ne permettent d'utiliser que le 1/18 du calorique développé dans le foyer.

Le rapport de la quantité de chaleur utilisée à la quantité de chaleur réellement dépensée, rapport auquel on a donné le nom de coefficient économique, peut-il changer avec le gaz qu'on emploie ? autrement dit, peut-on espérer un meilleur rendement d'une machine à air, à vapeur


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d'alcool, à gaz ammoniac, que d'une machine à vapeur d'eau ? Beaucoup d'esprits sérieux l'admettent volontiers. Néanmoins des objections ont été faites, et, parmi ces objections, il en est une qui emprunte aux personnes qui l'ont mise en avant un caractère de gravité considérable.

Présentée d'abord par M. Verdet dans le cours des deux leçons qu'il a publiées il y a quelques années snr la théorie mécanique de la chaleur, elle a été reprise ensuite par M. Combes et développée dans un rapport que ce savant fit à la Société d'encouragement, il y a trois ans.

Émanant d'autorités aussi respectables, elle a séduit beaucoup de gens, et a jeté une sorte de défaveur sur toute la série d'inventions, et elles sont nombreuses, qui ont eu pour but la recherche d'un agent plus économique que la vapeur d'eau.

Je vais donc, Messieurs, reprendre cette objection, à laquelle il me paraît facile de répondre, afin de détruire tout d'abord des préventions que les explications que j'ai à vous donner ensuite ne parviendraient peut-être pas à vaincre.

Supposons deux machines d'égale force, l'une à vapeur d'eau, l'autre à vapeur d'alcool ; elles sont toutes deux réversibles, c'est-à-dire qu'elles peuvent marcher à contresens en puisant dans le condenseur, au moyen du vide, de la chaleur qu'elles renvoient à la chaudière. Accouplonsles de telle sorte que l'une soit la puissance, l'autre la résistance. Dans l'une des machines, nous dépensons N calories, pour faire K kilogrammètres ; dans la seconde nous dépensons les K kilogrammètres précédemment obtenus, et nous reproduisons les N calories.

Par un effort d'imagination, un peu héroïque peut-être, mais qui n'a rien de contraire à ce que nous enseigne la science, identifions les deux foyers d'une part, les deux condenseurs de l'autre, c'est-à-dire faisons un seul foyer


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des deux foyers, un seul condenseur des deux condenseurs. Dans le système ainsi conçu, on a un travail nul. Admettons maintenant que dans l'une des deux machines, la machine à alcool, par exemple, le coefficient économique ait une valeur plus considérable que dans l'autre ; il arrivera de deux choses l'une : ou ce sera la machine à vapeur d'eau qui sera le moteur, et alors il y aura un transport incessant de chaleur du foyer au condenseur, ou bien elle sera menée par l'autre, et, inversement, il y aura un courant continu de chaleur allant du condenseur au foyer, c'est-à-dire d'un corps froid à un corps chaud, sans qu'il y ait production de travail; c'est là le résultat que l'on ne veut pas admettre (1).

Pourquoi ? C'est que, dit M. Verdet, dans tous les faits physiques que nous avons été appelés à expérimenter, nous n'avons pas vu de la chaleur passer d'un corps froid à un corps chaud.

Mais dans quelles conditions se fait dans l'ordre physique cet échange de température ? Par conductibilité ou par rayonnement. Or, y a-t-il, dans le cas que nous examinons, analogie avec l'un ou l'autre de ces deux phénomènes ? Les deux corps de température inégale, foyer ou condenseur, ne peuvent échanger leurs températures ni par voie de conductibilité : ils ne se touchent pas ; ni par voie de rayonnement : des corps opaques les séparent complètement.

Il n'y a donc pas lieu de chercher là aucune analogie avec les lois que nous connaissons sur les divers modes de transmission de la chaleur d'un corps chaud à un corps froid ; et l'objection se réduit simplement au transport de chaleur d'un corps à un autre, sans qu'il y ait production ou dépense de travail. Or il n'y a rien là qui ne soit en

(1) M, Verdet, page 73.


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parfait accord avec la théorie de la chaleur. D'après cette théorie, que tout le monde admet aujourd'hui, ce n'est pas dans un déplacement de chaleur qu'on cherche la source du travail créé, mais uniquement dans une annihilation, ou plutôt dans une transformation de chaleur en travail.

Des N calories qui sont enlevées à la chaudière par la vapeur, on n'en retrouve qu'un certain nombre N' au condenseur (abstraction faite des pertes extérieures dues au refroidissement) et la différence n seule représente intégralement l'équivalent du travail créé, lequel est complètement indépendant de la quantité N qui se trouve entièrement perdue sans aucune compensation.

Reprenons notre première hypothèse : admettons seulement que foyers et condenseurs soient séparés, et supposons avec mes savants contradicteurs que les deux coefficients économiques soient les mêmes. Dans ce cas, la machine à alcool étant motrice, la machine à eau résistante, qu'arrivera-t-il ? Le travail total sera nul à chaque instant. Les K kilogrammètres produits dans la machine à alcool où n calories auront disparu seront dépensés dans la machine à eau, où reparaîtront les n calories correspondantes, et le résultat final sera un travail nul et un transport de n calories de la chaudière alcool à la chaudière eau, c'est-à-dire d'un corps froid à un corps chaud. Car il nous est facile d'admettre que, dans ces deux machines d'égale puissance, la chaudière alcool est à une température plus basse que la chaudière eau.

Vous le voyez donc, Messieurs, le transport de la chaleur d'un corps froid à un corps chaud ne résulte pas seulement de l'inégalité des coefficients écononomiques ; nous le retrouvons également dans l'hypothèse contraire.

Je serais fort embarrassé, Messieurs, s'il me fallait combattre sur leur propre terrain ces maîtres de la science. Heureusement pour la cause que je défends, ce n'est ni


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dans les nouvelles théories, ni dans les lois rigoureuses ' des sciences mécaniques et physiques qu'ils ont cherché leur objection. C'est une probabilité qu'ils ont mise en avant, et cette probabilité, appuyée par de tels noms, est devenue une certitude pour beaucoup de leurs admirateurs. Voici ce qu'on lit dans les leçons de M. Verdet sur la théorie mécanique de la chaleur : « Si ce résultat (le déplacement de chaleur d'un corps froid à un corps chaud, sans production ou absorption de travail), si CE BÉSULTAT

N'EST POINT UNE ABSURDITE COMPARABLE A LA REALISATION

DU MOUVEMENT PERPÉTUEL, il est en contradiction directe avec la loi la plus générale que nous ait apprise l'étude de la chaleur, et IL EST BIEN SUFFISANT pour rendre tout à fait inadmissible l'hypothèse qui y conduit. »

Si CE RÉSULTAT N'EST POINT UNE ABSURDITÉ COMPARABLE A LA RÉALISATION DU MOUVEMENT PERPETUEL... Dans la

science, Messieurs, il n'y a pas d'absolu relatif : un résultat est vrai ou faux, et il suffit qu'un homme comme M. Verdet n'admette pas l'absurdité absolue d'un fait, pour que ce fait soit théoriquement possible. Et notez bien, Messieurs, que je ne cherche pas, pour le moment, à démontrer autre chose, à savoir que rien ne prouve à priori l'impossibilité de trouver un agent plus économique que la vapeur d'eau.

Dans un rapport à la Société d'encouragement, M. Combes, discutant le même résultat, le condamne en des termes où l'on remarque la même hésitation. H s'exprime ainsi :

Ce passage incessant de chaleur d'un corps plus froid à un corps plus chaud, SANS AUCUNE CAUSE, SEMBLE impliquer avec les phénomènes naturels une contradiction qui nous RÉPUGNE tout autant que l'idée d'une création gratuite de travail, de chaleur, de force vive. On est


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ainsi conduit à rejeter comme irréalisable une hypothèse qui entraîne une telle inconséquence, et à conclure que le mode de partage d'une quantité de chaleur Q, prise au foyer en deux parties... reste la même.... quelle que soit la nature du corps employé.

Ce n'est pas là, Messieurs, le langage absolu de la théorie, et l'on sent l'embarras dans lequel s'est trouvé le savant ingénieur lorsqu'il a voulu démontrer rigoureusement un principe qui paraît le séduire, mais auquel la science refuse de donner sa sanction.

Ainsi, Messieurs, je crois vous avoir montré, d'abord, que ces objections qui ont prévenu contre certaines inventions les esprits les plus sérieux et les plus pratiques, sont loin d'avoir été puisées dans la théorie mécanique de la chaleur ; ensuite, que ces objections se trouvent même en contradiction avec cette théorie.

Permettez-moi, Messieurs, avant de passer à un autre ordre d'idées, de terminer cette réfutation par deux exemples saisissants d'un transport de calorique, n'entraînant ni perte ni production de travail.

Considérons le volant que nous installons dans la plupart de nos machines fixes pour régulariser leur mouvement. Ne savons-nous pas qu'il renferme en lui un certain approvisionnement de travail, dont nous représentons l'équivalent par la moitié de sa force vive ; et ce travail, ne pouvons-nous pas, à un instant donné, au moment précis où nous en avons besoin, le retrouver en entier, soit sur l'arbre moteur, soit dans les frottements, et cela sans qu'il nous vienne à l'esprit de supposer qu'il puisse en disparaître la moindre parcelle en route ; or ce travail c'est de la chaleur, et cette chaleur se transporte donc intégralement du volant sur d'autres points, et cela tout-à-fait gratuitement.


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Voici, Messieurs, mon second exemple, et c'est par lui que je veux clore cette discussion.

Prenez un boulet, imprimez-lui une vitesse V, vous serez obligé de dépenser pour cela un certain travail représentant une quantité donnée de calories. Le boulet ne continuera-t-il pas à se mouvoir indéfiniment dans l'espace avec cette même vitesse, s'il n'est soumis à aucune influence perturbatrice ? Or, cette vitesse est précisément la manifestation extérieure, la mesure exacte de la chaleur prise à l'origine; et cette chaleur se transportera à des millions de lieues sans que nous puissions admettre, à moins de renverser complètement les lois fondamentales de la mécanique, que, par le fait même de la continuation du mouvement, c'est-à-dire du transport de cette chaleur, il puisse s'en perdre en route. Et si, à une distance très-grande, ce boulet rencontre un obstacle qui lui fasse perdre sa vitesse en le réduisant au repos absolu, ne restituera-t-il pas en entier à cet obstacle le travail qu'on aura dépensé à l'origine pour lui imprimer sa vitesse? Or ce travail, qui est représenté par l'expression .nw~> n'est autre chose qu'une certaine quantité de chaleur qui se trouve ainsi transportée gratuitement d'un corps à un autre, à des distances infinies, sans aucune perte de travail.

Je me résume, Messieurs : ce n'est pas un déplacement de chaleur sans création de travail, ce serait, au contraire, ce déplacement accompagné d'une création de travail qui serait contraire à ce que nous connaissons sur l'équivalence de la chaleur et du travail. Rien donc dans la théorie ne nous autorise à rejeter à priori les découvertes qui ont eu pour but de substituer à l'eau un agent plus économique et nous pouvons, sans parti pris, examiner si, parmi les divers essais tentés jusqu'à ce jour, il en est qui aient pu approcher de la solution.


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Je ne veux pas, bien entendu, faire l'historique de ces essais, je vais seulement rappeler ici ceux qui ont eu le plus de retentissement.

Les investigations ont porté principalement sur deux séries distinctes de machines : les machines à air chaud et les machines à vapeurs combinées.

La machine à air chaud est celle que la théorie présente comme devant donner les résultats économiques les plus satisfaisants. Il n'est pas besoin, en effet, de dépenser, pour donner à l'agent moteur la forme gazéiforme qui paraît indispensable, cette énorme quantité de calorique que, sous le nom de calorique latent, on est obligé d'incorporer dans l'eau pour la transformer en vapeur et lui permettre de produire l'effet utile.

Malheureusement la pratique est venue révéler de graves difficultés. On ne peut pas porter l'air à une température de plus de 180° sans crainte de faire gripper les surfaces frottantes. Ainsi échauffé, l'air ne voit pas sa pression augmenter de plus de moitié. En d'autres termes, un litre d'air envoyé par la pompe alimentaire dans la chaudière ne donnera qu'un litre et demi de gaz sous la même pression. Il en résulte que l'alimentation seule absorbera nécessairement les 3/5 au moins du travail total. Si l'on réfléchit en outre que, dans les meilleures machines, un cinquième au moins de ce travail est annihilé par les résistances passives, on en conclut que le cinquième seulement au plus du travail brut pourra être utilisé. Une machine de 20 chevaux indiqués ne pourra pas produire plus de 4 chevaux utiles. Et voyez, Messieurs, quelles perturbations pourra apporter dans le jeu d'un semblable système une augmentation, si faible qu'elle soit, dans les résistances passives, qui pourront parfois annihiler complètement l'utilisation de la machine.

Remarquez, Messieurs, que je signale non une impossibilité, mais un obstacle ! C'est en effet la pierre d'achoppé-


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ment contre laquelle sont venus se briser la plupart du temps les conceptions les plus ingénieuses, les efforts les plus persévérants.

La machine à vapeurs combinées se composait de deux cylindres spéciaux mus, l'un par la vapeur d'eau produite à la manière ordinaire, l'autre par la vapeur d'alcool, d'éther, de chloroforme, d'esprit de bois, etc. La chaudière dans laquelle oiï produisait cette dernière empruntait sa chaleur à la condensation même de la vapeur d'eau.

Cette machine a donné des résultats réellement économiques. Malheureusement les vapeurs d'alcool, d'éther, etc., sont très lourdes, se dissipent par conséquent difficilement dans l'atmosphère, et sont inflammables ; de là des craintes continuelles d'explosion et d'incendie qui ont dû faire abandonner à peu près complètement un moteur dont on avait espéré et même obtenu un très-bon rendement.

Aux deux groupes de machines dont l'un comprend les machines mues par des gaz envoyés directement à l'état gazeux dans la chaudière pour y être portés à une haute température, dont l'autre embrasse tous les moteurs alimentés par des vapeurs dégagées, dans la chaudière même, des liquides destinés à les former, on pourrait joindre un troisième groupe, celui des machines mues par des gaz envoyés dans la chaudière à l'état de dissolution et dégagés de leur dissolution par l'intermédiaire de la chaleur.

Dans les machines du premier groupe, on dilate simplement les gaz moteurs ; dans le second, on vaporise des liquides ; dans le troisième, on fait intervenir l'affinité chimique, on défait une dissolution. C'est de ce dernier groupe que je vais maintenant avoir l'honneur de vous entretenir.

Si diverses tentatives ont été faites sur des moteurs de ce dernier groupe, aucune, que je sache, n'a eu un retentissement suffisant pour être connu du public. Pour moi je n'en connais pas, et je dois me borner par conséquent à vous


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parler de la machine à ammoniaque que j'ai établie, et qui va faire maintenant le sujet exclusif de la seconde partie de cette communication.

II

Toutes les recherches que j'ai faites depuis près de cinq ans et qui m'ont conduit à construire la machine que plusieurs d'entre vous, Messieurs, ont vue fonctionner à l'Exposition, ont été basées sur le principe fondamental que voici : La chaleur latente de dissolution du gaz ammoniac dans l'eau est la somme algébrique de la chaleur latente de liquéfaction du gaz ammoniac et de la chaleur, positive ou négative, développée par la combinaison du gaz et de l'eau.

Je m'explique. Prenons 10 kilogrammes d'eau d'une part, et 1 kilogr. de gaz ammoniac de l'autre, mettons-les en présence, il va y avoir ce qu'on appelle communément dissolution du gaz ammoniac dans l'eau, et production d'un certain nombre de calories qui constituent ce que je nomme la chaleur latente de dissolution. Faisons cette opération d'une manière un peu plus compliquée, de façon cependant à arriver au même résultat. Comprimons le gaz de manière à amener la liquéfaction, il va se dégager par le fait de cette opération une certaine quantité de chaleur. C'est ce qu'on a appelé la chaleur latente de liquéfaction. Mettons maintenant ce kilogramme de gaz ammoniac liquéfié en présence de l'eau, il y aura combinaison et production positive ou négative d'une certaine quantité de chaleur. Or, ce résultat définitif sera le même que tout-àl'heure; et la quantité de chaleur qu'on constatera à la fin de l'opération sera évidemment la chaleur latente de dissolution. C'est aussi, comme on le voit, la somme algéT.

algéT. 4


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brique des deux quantités de chaleur produites successivement.

Ce principe admis, il n'y avait plus à se préoccuper du chiffre 515 calories donné parles physiciens comme représentant la chaleur latente de liquéfaction du gaz ammoniac et il y avait lieu de rechercher à nouveau la quantité de chaleur dégagée directement par sa dissolution dans l'eau. On sait, en effet, que toute action chimique est la source d'une production ou d'une absorption de calorique, et si la combinaison du gaz ammoniac et de l'eau donne lieu à une absorption de chaleur, la chaleur latente de dissolution se trouvera inférieure d'autant au chiffre de 515 calories.

Je dus donc d'abord faire des expériences de calorimétrie dans le but de déterminer directement la chaleur latente de dissolution de gaz ammoniac dans l'eau.

Les moyens limités dont je disposais ne me permettaient pas de rechercher un chiffre rigoureusement exact ; je me contentai de fixer un maximum suffisant pour la pratique. Je fis faire un appareil du genre le plus simple. De l'ammoniaque liquide du commerce, marquant 22e au pèse-alcali volatil, est introduit dans un ballon en verre placé sur un fourneau. Sous l'action de la chaleur, le gaz se dégage mélangé d'un peu de vapeur d'eau, et vient circuler dans un serpentin entouré de glace concassée dont les interstices sont remplis par de l'eau. La vapeur d'eau se condense et l'eau qui en provient se réunit dans une sorte d'.ampoule placée à la partie inférieure du serpentin et munie d'un robinet pour permettre de la vider de temps en temps. Le gaz ammoniac ramené à 0° et purgé de la vapeur d'eau qui l'acbompagnait, se rend dans un dernier flacon, qu'on a au préalable rempli à moitié d'eau distillée. Ce flacon estplacé dans le calorimètre rempli de glace cassée en menus morceaux. A la partie inférieure du calorimètre, une tubulure garnie d'un robinet permet de recueillir à chaque instant


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l'eau provenant de la fusion de la glace. Le tout est d'ailleurs plongé dans un grand réservoir rempli de glace afin de soustraire autant que possible l'opération à l'influence du réchauffement extérieur. On voit qu'il suffit de peser le vase où se fait la dissolution avant et après l'opération pour avoir exactement la quantité de gaz dissous. La quantité de glace fondue dans le calorimètre donne d'autre part la chaleur dégagée pendant l'opération.

Tout l'appareil étant disposé à 11 heures, on le laissait fonctionner à vide jusqu'à 2 heures, pour dégager les influences extérieures par la quantité déglace fondue pendant ces 3 heures dans le calorimètre (juillet et août 1862). On chauffait à deux heures et l'on continuait jusqu'à 5 heures.

Comme je l'ai dit tout-à-1'heure, je n'avais ni les moyens matériels, ni l'expérience satisfaisante pour chercher à établir un chiffre scientifique; je cherchais seulement un chiffre pratique. Or, toutes les expériences que j'ai faites m'ont donné des nombres compris entre 92 et 126 calories.

On voit, en ne considérant que le maximum (126), que la chaleur latente de dissolution du gaz ammoniac dans l'eau n'est guère que le 1/5 de la chaleur latente de vaporisation de l'eau (606,5).

Je dus porter ensuite mes investigations d'un autre côté. Des expériences nombreuses et précises permettent de déterminer la pression correspondante à une température quelconque lorsqu'il s'agit de l'eau pure. Je ne trouvais rien de semblable en ce qui concerne la dissolution ammoniacale. Je fus donc obligé de chercher dans le laboratoire une formule indiquant la relation qui existe entre les températures et les pressions en vase clos. Là encore, j'eus recours à un appareil très-élémentaire, suffisant néanmoins pour me permettre d'établir une formule empirique qui pût donner des résultats assez approchés de la vérité pour être admis dans la pratique.


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Un petit tube en verre, divisé en centimètres cubes, fut renversé dans un autre tube à parois épaisses, rempli au tiers de mercure. Par-dessus le mercure, on versa jusqu'aux deux tiers de la hauteur de l'ammoniaque liquide dans lequel on plaça un thermomètre, et l'on ferma l'extrémité du tube à la lampe. Le tout fut plongé dans une large éprouvette pleine d'eau qu'on maintenait à une température quelconque, au moyen d'eau entretenue bouillante dans le laboratoire.

Le petit tube intérieur faisant office de manomètre à air comprimé indiquait à chaque instant la pression produite par le gaz ammoniaque dégagé sous l'influence de la chaleur. Le thermomètre accusait la température correspondante.

Je déduisis de ces expériences la formule empirique : p =1,1 —0,035 t+0,00W,

formule qui, pour des pressions restreintes, peut être remplacée par la formule :

p=» —5,5+0,13*.

En faisant quelques applications, on trouve que l'ammoniaque ordinaire du commerce bout à 50° et donne lieu à une pression de 6 atmosphères à la température de 89". On voit donc que l'ammoniaque donne des pressions très-élevées à des températures relativement basses, d'où la certitude d'obtenir une grande économie de temps dans la mise en marche d'une machine à ammoniaque.

Pendant que je poursuivais ces expériences, je cherchais à me rendre compte de l'action que l'ammoniaque peut exercer sur les métaux employés dans la construction des machines.

Je dus renoncer tout d'abord au cuivre qui, sous l'influence du gaz ammoniac, est rapidement détruit en se


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transformant en azoture de cuivre. Mais ce métal n'est pas indispensable et peut être facilement remplacé par le fer et la fonte.

J'ai pris quatre flacons dans lesquels j'ai mis de l'eau pure, de l'eau salée, de l'ammoniaque liquide, et de l'eau salée additionnée de quelques gouttes d'ammoniaque. De la limaille de fer plongée dans ces flacons fut, après un temps très-court, complètement détruite dans l'eau pure et l'eau salée ; elle conserva indéfiniment son poli sans changer de poids dans l'ammoniaque liquide. Enfin elle ne commença à s'oxyder dans l'eau salée additionnée de quelques gouttes d'ammoniaque qu'un an environ plus tard, et je pus constater alors que le peu de gaz en dissolution s'était évaporé.

A ce propos, Messieurs, permettez-moi de vous raconter un fait qui se produisit dans le cours de mes essais, et qui vous fera apprécier mieux encore cette innocuité parfaite de l'ammoniaque sur le fer.

Au mois de décembre 1866, on avait, pour visiter l'intérieur de la chaudière, ouvert la porte autoclave. Comme on travaillait le soir, on avait placé sur le ciel du foyer un chandelier en fer battu. Lorsqu'on refit les joints, le chandelier fut oublié ; je le trouvai au mois de juillet à la même place, mais renversé. Il était donc resté plus de 6 mois sur le ciel du foyer, c'est-à-dire dans l'endroit le plus exposé à la chaleur, et, malgré cela, il était aussi net que le premier jour.

Voici, Messieurs, les conclusions que j'ai dû tirer ce ces études préliminaires :

1° Le rapport des deux chaleurs latentes, de dissolution du gaz ammoniac dans l'eau et de liquéfaction de la vapeur d'eau étant de près d'un cinquième, l'emploi du gaz ammoniac devait nécessairement présenter en marche normale une très-grande économie ;

2° La mise en pression et en marche d'une machine à


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ammoniaque est très-rapide et n'exige que la moitié du temps nécessaire avec la vapeur d'eau. Ce temps est nécessairement très-variable avec la forme de la chaudière, la surface de chauffe, la longueur du parcours des gaz, la quantité de liquide contenue dans la chaudière, etc. Avec la chaudière qui était à l'Exposition on arrivait à la pression de 6 atmosphères après une demi-heure de chauffe, quand, avec de l'eau pure, il fallait une heure ; et si avec certaines formes actuelles, on a, en se servant d'eau pure, 6 atmosphères en 20 minutes, l'emploi de l'ammoniaque permettrait d'obtenir la même pression en moitié moins de temps, c'est-à-dire en 10 minutes;

3° Grâce à l'innocuité parfaite de l'ammoniaque sur le fer, la durée des chaudières se trouve prolongée indéfiniment. Tout le monde sait en effet combien peu de temps durent les chaudières à vapeur. Une chaudière constamment en service exige toujours une réparation importante au bout de 6 ans au plus et doit être remplacée après 8 ans de travail au maximum. L'intérieur de la tôle en effet s'oxyde rapidement sous l'influence de l'eau portée à une température élevée; et dans les chaudières marines entre autres, alimentées par l'eau de mer, cette oxydation est tellement rapide, qu'on ne peut jamais leur assigner une durée de plus de 6 ans. Avec l'ammoniaque, l'intérieur de la chaudière n'éprouvera jamais la moindre altération, et l'usure n'aura plus lieu qu'à l'extérieur.

Je ne vous ai pas encore parlé, Messieurs, de la facilité d'absorption du gaz ammoniac par l'eau. Tout le monde connaît cette expérience de laboratoire qui consiste à introduire de l'eau dans une éprouvette remplie au préalable de gaz ammoniac sur la cuve à mercure. Le gaz se dissout dans l'eau avec une telle violence que l'éprouvette est brisée. Je dois avouer que cette expérience, tout en me rassurant beaucoup, était loin de me satisfaire complète-


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ment. Autre chose en effet est de dissoudre quelques centimètres cubes de gaz, autre chose est d'en faire absorber des milliers de litres par heure. Dans la machine qui figurait au Champ-de-Mars, il y avait, par minute, 5,000 litres de gaz mis en présence de l'eau au sortir du cylindre. C'était là certainement la question qui me préoccupait le plus quand je commençai à faire l'application de mon système sur une première machine. H y avait à craindre en effet que le gaz arrivant en si grande abondance ne fût pas absorbé avec cette rapidité qu'on constatait dans le laboratoire. Je dois dire quel'expérience vint dissiper complètement mes inquiétudes à cet égard. Pendant trois mois et demi, du 18 juillet au 3 novembre, la machine a fonctionné d'une manière continue au Champ-de-Mars, et nulle perte de gaz ne s'est accusée : la marche était régulière et le titre de la dissolution ne diminua pas pendant ce long intervalle.

Je dois aborder maintenant une question importante, qui a donné lieu à l'objection la plus grave qui ait pu être faite dans le principe contre mon système : je veux parler des fuites. On comprend tout de suite que l'économie du combustible étant l'objectif principal que je me suis proposé, il est de toute nécessité que le gaz ammoniac substitué à la vapeur d'eau ne se perde pas. Dans le jeu régulier de la machine, le gaz,, continuellement absorbé par l'eau, se retrouve intégralement; mais il pourrait s'en échapper par des fuites; il en résulterait deux inconvénients : d'abord la perte de gaz pourrait arriver à compenser l'économie réalisée sur le charbon ; en second lieu, le gaz agirait sur les organes olfactif et visuel et sur les poumons de telle sorte que le service de la machine deviendrait impossible.

Les pertes peuvent provenir de deux sources différentes: des joints fixes ou des presse-étoupes. Quand une machine est faite et ajustée avec soin, tout le monde sait que les joints fixes ne sont pas à craindre. Il n'en est pas de même


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des presse-étoupes par lesquelles on voit presque toujours, dans les moteurs à vapeur actuels, s'échapper quelques filets de vapeur. J'aurais donc été obligé de modifier profondément les dispositions des presse-étoupes, si l'ammoniaque s'était comportée de la même manière que l'eau. Heureusement, Messieurs, ^il n'en est pas ainsi : le gaz ammoniac saponifie les huiles et les graisses, qu'il transforme en un savon onctueux assez liquide, grâce à la présence constante d'un peu de vapeur d'eau toujours mélangée au gaz, pour lubrifier parfaitement les surfaces frottantes, et ayant assez de consistance pour s'opposer complètement au passage des gaz.

Il n'est pas sans intérêt d'examiner à ce propos ce qui pourrait arriver dans le cas où un accident se produirait. Prenons d'abord le cas le plus grave, à savoir une explosion de chaudière. Constatons en passant que les chances d'explosions sont considérablement diminuées, par le fait même de la permanence nécessaire de l'alimentation : vous savez tous en effet, Messieurs, que la grande majorité des explosions sont produites à la suite d'un arrêt trop prolongé dans le fonctionnement de la pompe alimentaire. Cette constatation faite, supposons néanmoins qu'une chaudière à ammoniaque fasse explosion. Quand cet accident arrive à un générateur à eau, la vapeur et le liquide bouillant.causent plus de mal que les éclats mêmes qui sont projetés au loin, et il n'est pas rare de voir tout le personnel de la machine tué par asphyxie. Les poumons sont brûlés par la vapeur et l'eau qui s'échappent de la chaudière. Avec l'ammoniaque, je ne prétends pas dire que le danger sera nul, mais je crois qu'on peut prévoir qu'il sera moindre. Si l'eau est ramenée à une température très-voisine de 100° au contact atmosphérique, l'ammoniaque, soumise brusquement à cette même pression, descendra immédiatement à une température voisine de 50°, point d'ébullition delà dissolu-


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tion, température que nous pouvons supporter pendant quelque temps, sans courir le risque d'être brûlé. H est vrai qu'il y aura dégagement considérable de gaz, que ce gaz mélangé surtout à la dissolution projetée pourra occasionner parfois un commencement d'asphyxie; mais n'oublions pas non plus que si l'ammoniac est un gaz irritant, il est beaucoup plus léger que l'air ; il s'élèvera donc rapidement dans l'atmosphère, et je ne doute pas, pour mon compte, que les hommes qui, dans ce cas, n'auront à souffrir que de l'odeur du gaz et du manque d'air, et nullement de l'excès de la température produite, n'aient le temps de fuir.

Ainsi,, dans le cas extrême dont il s'agit, cas qui se produira plus rarement qu'auparavant, l'accident aura des suites moins désastreuses qu'avec la vapeur d'eau.

J'arrive maintenant à des accidents moins graves mais en revanche beaucoup plus fréquents. Qu'un tuyau vienne à se rompre, le tuyau d'alimentation, par exemple, puisque c'est celui qui est soumis au travail le plus violent. Je puis affirmer, d'après ma propre expérience, qu'on pourra toujours isoler le tuyau crevé assez à temps pour que la réparation puisse se faire presque aussi rapidement que si l'accident était arrivé à une machine à vapeur.

Enfin admettons encore, pour épuiser autant que possible la série des accidents qui peuvent se produire, qu'un tube de la chaudière, si c'est une chaudière tubulaire, vienne à crever. Dans ce cas, on perdra sa dissolution, si l'on ne peut arriver à tamponner le tube assez à temps, et alors de deux choses l'une : ou l'on remplira de nouveau la chaudière d'ammoniaque liquide, une fois le tube remplacé ou condamné, ou, si l'on n'en a plus à sa disposition, on marchera à l'eau pure, car, ainsi que vous le verrez tout-àl'heure, Messieurs, la machine à ammoniaque ne différant de la machine à vapeur que par une forme spéciale de condenseur, peut marcher aussi bien, en cas de besoin, avec


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l'eau pure, qu'avec l'ammoniaque, quitte à dépenser dans le premier cas beaucoup plus de charbon que dans le second.

Je crois avoir passé en z*evue les accidents les plus importants qui peuvent se produire. Qu'il ne résulte de ces accidents aucun inconvénient, cela n'est pas possible, et je me garderais bien de chercher à le prouver. L'important est qu'ils ne causent pas plus de désordres avec l'ammoniaque qu'avec l'eau pure, et c'est ce que je crois vous avoir démontré.

Cette question des fuites nous reporte tout naturellement à la machine à vapeurs combinées. Les liquides employés dans ces machines, conjointement avec l'eau, produisaient des vapeurs très-lourdes. Ces vapeurs ne pouvant, à cause de leur grande pesanteur spécifique, se dissiper rapidement dans l'atmosphère, formaient avec l'air des mélanges explosifs. Aussi les fuites étaient-elles beaucoup plus à craindre qu'avec le gaz ammoniac qui ne brûle pas, ne détonne pas, est beaucoup plus léger que l'air, et dont l'odeur vive et pénétrante trahit immédiatement la présence en cas de fuite.

Avant de quitter la machine à vapeurs combinées pour n'y plus revenir, permettez-moi de vous signaler encore une autre cause d'infériorité de cette machine sur le moteur à ammoniaque.

La machine à vapeurs combinées, comme la machine à air chaud dont nous parlerons tout-à-1'heure, ne peut servir que pour le but spécial en vue duquel elle a été construite. Que le liquide volatil arrive à se perdre par une cause quelconque, si l'on n'a pas les moyens de le remplacer, l'appareil est condamné au repos. En outre, ces deux systèmes de machines ne peuvent être appliqués aux moteurs à vapeur actuels. La machine à ammoniaque, au contraire, peut au besoin, et sans qu'il soit nécessaire de lui apporter la moindre modification, être alimentée par de


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l'eau pure. Elle ne diffère de la machine à vapeur par aucun de ses organes essentiels : le dissoluteur lui-même, appareil dans lequel vient se régénérer la dissolution, peut être considéré comme une variété de condenseur. Elle présente donc cet immense avantage de pouvoir utiliser, malgré son application générale, tout le matériel actuel par une simple modification dans la forme des condenseurs.

Puisque j'ai mis en parallèle les deux moteurs à vapeurs combinées et à ammoniaque, je crois qu'il est bon que je compare aussi, en termes rapides, les deux moteurs à ammoniaque et à air chaud. J'ai déjà dit, Messieurs, que, dans cette dernière, l'utilisation ne pouvait jamais dépasser 20 p. 100, et descendait le plus souvent bien audessous de ce chiffre. Dans le nouvel appareil, cet inconvénient, qui constitue presque une impossibilité, n'existe pas. Un litre de liquide ammoniacal donne naissance à 200 litres environ de gaz et de vapeur mélangés, tandis que, comme nous l'avons vu, un litre d'air ne produit guère qu'un litre et demi de gaz moteur. Mais là ne réside pas tout ce qui fait la supériorité du nouvel appareil.

L'air s'échauffe très-difficilement, et pour utiliser le combustible d'une manière convenable, il est à peu près indispensable de mélanger l'air avec les gaz chauds provenant de la combustion. Aussi les inventeurs se sont-ils presque tous ralliés à l'idée d'employer un foyer clos. Il en résulte que ces gaz concourent avec l'air échauffé, à l'alimentation des cylindres moteurs. De là, dans la machine à air, un danger continuel de faire gripper les cylindres dans le cas où, la combustion n'étant pas parfaite, des matières solides seraient entraînées avec les gaz.

H est inutile de faire remarquer que, dans la machine à ammoniaque, le foyer est extérieur, et que, par conséquent, le danger signalé dans la machine à air chaud n'existe pas dans le nouveau moteur.


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Vous savez déjà, Messieurs, que, dans la machine à ammoniaque, le gaz, après avoir produit son effet, est constamment repris pour être absorbé par l'eau. Si cette eau était prise à l'extérieur, nous serions obligés d'expulser de la chaudière, qui, sans cela, serait bientôt encombrée, une partie de la dissolution appauvrie; il en résulterait une perte de gaz qui, au bout de très-peu de temps, serait assez sensible pour nous obliger à renouveler notre dissolution. Aussi l'eau destinée à l'absorption du gaz est-elle prise à la chaudière même, où la dissolution n'est jamais saturée. Mais cette eau, sortant de la chaudière, est à une température élevée ; et comme elle doit être refroidie aussi complètement que possible pour être apte à redissoudre le gaz, il y aurait, de par ce fait, une perte considérable de chaleur, si l'on n'avait soin de refroidir l'eau qu'on extrait de la chaudière par l'eau saturée qui y est refoulée par la pompe alimentaire; vous verrez tout-à-1'heure, Messieurs, par quel moyens ces deux courants liquides échangent, d'une manière presque complète, leur état thermométrique.

Je résume, Messieurs, les développements que j'ai cru devoir donner sur la partie théorique de la machine à ammoniaque.

Le fonctionnement de ce nouveau moteur consiste en un échappement simultané de deux courants, l'un gazeux, l'autre liquide, pris tous deux à la chaudière. Le premier, le courant gazeux, passe par le cylindre où il transforme une partie de sa chaleur en travail ; le second, le courant liquide, vient rejoindre le courant gazeux au sortir du cylindre, pour l'absorber et lui permettre de rentrer à la chaudière sous forme liquide. C'est un double circuit fermé dont la chaudière, où se produit la chaleur, et le dissoluteur, où se régénère la dissolution, forment pour ainsi dire les deux maillons communs.


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III

Les considérations que je vous ai présentées, Messieurs, étaient nécessaires pour faire comprendre, dans tous ses détails, la machine à ammoniaque. Je vais donc maintenant, laissant de côté le point de vue théorique, vous dire comment je suis anivé pratiquement à la solution du problème que je m'étais proposé.

Après m'être assuré, par des expériences de laboratoire, de l'économie que devait présenter le moteur à ammoniaque, je fis des essais d'abord sur une machine d'un demi-cheval, puis sur une machine de 6 chevaux, que je fis fonctionner pendant près de deux ans. Ce n'est qu'après m'être complètement éclairé, par de nombreuses études pratiques, que j'appliquai mon système à la machine de 15 chevaux que vous avez pu voir fonctionner à l'Exposition universelle.

C'est une ancienne locomobile à vapeur qui se trouvait dans les ateliers de M. Claparède, et dont la marine impériale a fait l'acquisition pour la faire transformer en moteur à ammoniaque.

Avant de poursuivre, permettez-moi, Messieurs, de remplir un devoir de reconnaissance envers l'Empereur. Depuis deux ans environ, l'Empereur, dont l'attention avait été attirée sur mes travaux par de hautes recommandations, a daigné s'intéresser d'une manière particulière à cette étude spéciale; il voulut contribuer lui-même aux expériences si coûteuses que j'étais obligé défaire, et je dois le dire, Messieurs, c'est grâce à ce bienveillant et généreux concours que je suis arrivé au résultat que vous avez pu constater.

Beaucoup de personnes m'ont exprimé leur étonnement de ce que je n'avais pas appliqué mon appareil à une machine à vapeur plus parfaite qu'une locomobile. J'ai deux réponses à leur faire : la première, c'est que je n'avais pas


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la prétention d'arriver du premier coup à la perfection, et que, trouvant à ma disposition une machine toute faite, je pouvais espérer gagner beaucoup de temps dans la construction de mon appareil; la seconde, c'est que je ne voulais qu'une chose, me mettre dans des conditions comparatives aussi parfaites que possible, et c'est ce que je comptais obtenir en me contentant d'appliquer à un moteur déjà fait les modifications qui devaient le transformer en moteur à ammoniaque.

Je n'eus d'autre changement à apporter à la locomobile que la substitution du fer au cuivre partout où le métal se trouvait en contact avec le gaz, et j'ajoutai un appareil spécial, le dissoluleur, destiné à reconstituer la dissolution ammoniacale pour la renvoyer à la chaudière.

Vous savez déjà, Messieurs, que c'est en vertu de la différence de saturation qui existe entre la dissolution de la chaudière (19° du pèse-alcali) et celle du dissoluteur (26° à 27°) que fonctionne la machine à ammoniaque.

La chaudière a l'une quelconque des formes des générateurs actuels. Elle est remplie au préalable d'une dissolution ammoniacale. On la chauffe. Après un certain temps qui est la moitié du temps nécessaire avec l'eau pure, on obtient la pression normale, soit, avec la chaudière de la locomobile exposée, 6 atmosphères après une demi-heure de chauffe, à une température de 110° environ, l'ammoniaque ' pesant 19° alcalimétriques.

A ce moment, on ouvre le robinet de vapeur et la valve d'introduction. Les gaz mélangés dans la proportion d'un sixième de vapeur d'eau pour 5/6 de gaz ammoniac entrent dans le cylindre où ils opèrent identiquement de la même manière que la vapeur d'eau seule dans les machines à vapeur. Après avoir transformé une partie de leur chaleur en travail, ils viennent échapper dans les tubes d'un condenseur par surfaces. Dans ces tubes, autour desquels


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circule continuellement de l'eau froide, la vapeur d'eau se condense, le gaz ammoniac se refroidit. Le mélange rencontre, au sortir de ces tubes, de l'eau d'injection non saturée qui dissout en grande partie le gaz et l'entraîne avec la vapeur d'eau condensée dans un dissoluteur tubulaire, qui est en même temps le réservoir de dissolution. Ce dissoluteur est traversé lui-même par un faisceau de tubes dans lesquels circule l'eau de refroidissement. C'est autour de ces tubes que s'achève la dissolution, le calorique latent de dissolution étant enlevé, au fur et à mesure qu'il se forme, par l'eau de refroidissement. C'est là que la ■pompe alimentaire vient puiser, d'une manière continue, la dissolution, pour la renvoyer à l'état saturé à la chaudière.

L'eau injectée au sortir des tubes du condenseur provient de la chaudière. Prise à la partie inférieure, où elle est un peu moins saturée, elle vient circuler d'abord dans un serpentin qu'entoure l'eau d'alimentation. Celle-ci est projetée par la pompe dans le fond d'un réservoir qui contient ce premier serpentin, et qui est mis par le haut en communication avec la chaudière. L'eau d'alimentation circulant de bas en haut, et l'eau extraite de la chaudière de haut en bas, l'échange de calorique est aussi parfait que possible, et il est presque complet lorsque le jeu de la machine est très-régulier.

Si cependant, par une cause quelconque, cet échange n'était pas complet, dans le cas, par exemple, où l'alimentation serait insuffisante ou l'extraction trop abondante (1), cette eau ne serait pas encore assez froide pour absorber le gaz dans de bonnes conditions. Aussi, pour plus de sécurité, la fait-on circuler encore dans un second serpentin

(1) L'indicateur de vide trahit immédiatement ces deux défauts, et le conducteur de la machine y pourvoit par la manoeuvre des robinets d'injection et d'alimentation.


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entouré d'eau de refroidissement, d'où elle sort complètement froide pour être injectée dans le condenseur.

Passons à l'eau employée au refroidissement. H est évident que c'est au dissoluteur qu'il faut appliquer le refroidissement le plus énergique. C'est là en effet que se parfait la dissolution. Plus la température sera basse, plus grande sera la saturation, et aussi plus grand sera le vide.

Les tubes du dissoluteur sont divisés en deux séries par une cloison normale à la plaque de tête. L'eau traverse successivement ces deux séries de tube enlevant ainsi complètement le calorique dégagé par la dissolution, est conduite ensuite autour des tubes du condenseur, pour condenser la vapeur d'eau et refroidir le gaz ammoniac, et débouche enfin dans le réservoir qui contient le second serpentin où elle achève de refroidir l'eau d'injection. Elle est de là rejetée à l'extérieur.

Je n'espère pas, Messieurs, avoir dans la machine à ammoniaque un vide aussi parfait que celui auquel on est arrivé maintenant dans nos bonnes machines à vapeur. Je n'ai jamais pu dépasser 45 centimètres de mercure, et je n'ai, la plupart du temps, que 35 centimètres. 'Cela tient uniquement à la faible température d'ébullition de l'ammoniaque liquide (50°).

Néanmoins ce vide est encore assez important pour qu'il ne soit pas à dédaigner, et toute l'attention du chauffeur doit se reporter sur le manomètre du dissoluteur. Si le vide est insuffisant, il augmente la quantité d'eau injectée; s'il est trop fort, il la diminue ; il obtient ce résultat en manoeuvrant le robinet d'injection.

Quand on met la machine en marche, il faut pouvoir se débarrasser de tout l'air contenu dans le système, n est impossible d'agir comme dans les machines à vapeur où souvent on laisse échapper l'air parles soupapes de sûreté, pendant qu'on chauffe la chaudière. Ici, on attend que le


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moteur soit mis en mouvement. L'air contenu dans les divers organes : chaudière, tuyaux, cylindre, condenseur, arrive naturellement dans le dissoluteur, y forme pression, soulève une soupape placée sur le dissoluteur lui-même, et est conduit dans une bâche contenant de l'eau non saturée. Le gaz, entraîné avec l'air, se dissout dans cette eau, et l'air s'échappe enfin dans l'atmosphère par une soupape ouvrant de bas en haut, située à la partie supérieure de la bâche. Il suffit de quelques coups de piston pour purger d'air tous les organes de la machine à l'exception du dissoluteur. On met ensuite celui-ci en communication directe avec le haut de la chaudière. Les gaz, chassés par la pression, arrivent dans le dissoluteur, et entraînent l'air dans la bâche d'où il est ensuite naturellement rejeté à l'extérieur.

L'eau de la bâche provient de la chaudière : il suffit de la renouveler de temps en temps pour qu'elle soit toujours propre à absorber le gaz ammoniac.

Dans une machine peu importante, le tuyau de communication dont je viens de parler suffit pour qu'on puisse maintenir un vide satisfaisant. Mais, dans une grande machine, la pompe à air est indispensable ; dans ce cas, elle puise l'air à la partie supérieure du dissoluteur, au-dessus de la prise d'eau d'alimentation, et l'envoie dans la bâche, où cet air, avant d'être expulsé au dehors, est dépouillé de tout le gaz qu'il pourrait contenir.

Il est bien entendu que les gaz qui s'échappent par les soupapes de sûreté sont conduits dans le condenseur, n en est de même des gaz qui peuvent venir des robinets et soupapes de purge; en général, partout où, par le jeu régulier de la machine, il peut y avoir perte du liquide ammoniacal, un tuyau vient l'amener dans le condenseur.

Telle est la disposition adoptée dans l'appareil qui fonctionnait à l'Exposition. Je dois ajouter, Messieurs, que cette disposition n'est pas nécessairement la même dans toutes

T. su. 5

-*v


les conditions. Le moteur à ammoniaque, par la raison même qu'il est en même temps un moteur à vapeur, peut emprunter, comme ce dernier, les formes les plus variées. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, la chaudière pourra être chauffée avec de la vapeur d'eau, dans toutes les usines où l'on a besoin de vapeur d'eau. H est, du reste, évident que, suivant l'usage auquel est destinée la machine, il y aura lieu d'adopter des dispositions différentes de celles que j'ai indiquées.

rv

Je dois maintenant, Messieurs, vous entretenir des résultats économiques que j'ai obtenus avec le moteur dont je viens de vous donner la description.

Cette machine, ainsi que je vous l'ai dit, est une ancienne machine à vapeur à laquelle aucun changement n'a été apporté, soit dans la chaudière, soit dans le cylindre et le tuyautage. La seule modification faite consiste dans l'addition d'un dissoluteur. Or, Messieurs, si vous avez bien saisi les explications que j'ai eu l'honneur de vous donner, vous avez dû remarquer que ce dissoluteur n'était autre chose qu'un condenseur par surface ordinaire coupé par le milieu, les deux parties faisant fonction, l'une, de condenseur, l'autre, de dissoluteur. Comme elles sont en communication directe, on peut donc les considérer, dans le cas où l'on marcherait avec l'eau pure, comme formant un seul condenseur.

H en résulte ceci : c'est qu'en faisant marcher le moteur alternativement à l'eau pure et à l'eau ammoniacale, comme on agit absolument dans les mêmes conditions, et pour la chaudière et pour la machine, on aura des expériences parfaitement comparatives.


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J'ai fait une série d'essais en janvier 1867 ; ces essais sont consignés dans le tableau suivant :

j CONSOMMATION I I

NOMBRE Dm DDEEE — ^^

utiles L'ESSAI, L'ESSAI. par totale. de la

heure. Ï^^R

dedmt A. ,,,.., ___— — .i. ^_^_ ^^ __—«_ Marche a l'ammoniaque.

Il janv. 3 heures 12 k. 33 Marche à vide.

/ On a chauffé à 110° sans marcher, pour dégager des ré16 janv. 7 heures 6 k. (A) sultats la perte de chaleur

J occasionnée par le refroidissement de la chaudière.

y

9 ch. 50 9 janv. 5 h. 30m. 14 k. 54 1 k. 53 0 900

12 ch. » 15 janv. 4 heures 19 k. 25 i k. 60 1.12

13 ch. 25 17 janv. 6 heures 18 k. 50 i k. 40 0.95

17 ch. 50 26 janv. 6 neares 25 k. 14 i k. 44 1.09 Marche à la Tapeur d'eau.

I On a ehauffé à 160° sans marcher, pour dégager des ré18

ré18 5 heures 7 k. (A) sultats la perte de chaleur

occasionnée par le refroidissement de la chaudière.

On a pendant cette expé9 ch. 50 10 janv. 2 h. 30m. 42 k. 80 4k. 50 3.77 rience un vide de 50 à 55om

de mercure.

Rapport des deux consommations.... 1/3 1/4

Ces expériences ont été faites sur la locomobile non recouverte, exposée sous un hangar ouvert. Le cylindre n'a pas de chemise, les tuyaux ne sont pas enveloppés ; les flammes se rendent directement à la cheminée en traversant les tubes de 2m 40 de longueur.

I

J'ai, comme on le voit d'après ce tableau, établi deux colonnes de dépenses par cheval et par heure. L'une ne tient pas compte du refroidissement de la chaudière, l'autre en tient compte. H y a là évidemment une constante que l'on peut considérer comme pouvant entacher d'erreur les rapports des deux consommations.


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Il résulte de ces chiffres qu'une machine à vapeur transformée en machine à ammoniaque consommera moins du 1/3 du charbon qu'elle consommait avec la vapeur d'eau pour faire le même travail.

Plus tard, une commission de la marine a fait subir à la machine à ammoniaque des épreuves prolongées. Je ne puis donner aucun résultat officiel, le rapport ne m'aj^ant pas été communiqué. J'ai relevé néanmoins les chiffres obtenus dans plusieurs expériences, et voici les résultats qui se déduisent de deux essais faits dans les mêmes conditions de consommation.

Vapeur d'eau. 13 avril — 7chev.g7 —, dépense par heure 30k00 — par cheval 4k05.

Ammoniaque. 11 mai — 19ohev00 — dépense par heure

32k27 — par cheval lk51.

1 51 Rapport des deux consommations-^-^=Q.S13.

Depuis, le ministre de la marine a bien voulu décider que deux machines de 25 chevaux de 75 kilogrammètres seraient construites pour les ateliers de nos arsenaux.

Plus tard encore, à l'Exposition, M. Tresca a fait également des expériences sur la machine fonctionnant alternativement à l'eau et à l'ammoniaque. Désirant faire constater par ce savant praticien le bon fonctionnement de l'appareil, tout autant que l'économie réalisée, je n'ai pas voulu surveiller moi-même la marche du moteur. L'essai a duré, si je ne me trompe, 4h3' pour l'eau, 4h18' pour l'ammoniaque, et a donné, en faveur de la marche à l'ammoniaque, une économie de 60 pour 100 environ.

Quelques mots encore, Messieurs, sur les prix de revient. H faut considérer les machines neuves et les machines transformées. Les machines neuves coûteront environ le même prix que les bonnes machines à vapeur à condenseur.


Même chaudière, même organe moteur, même tuyautage à très peu près : le condenseur seul sera un peu plus compliqué. Mais si l'on observe qu'il ne se compose que de 4 réservoirs en fonte brute, superposés, n'exigeant presque pas de travail d'ajustage, on comprendra facilement que son prix de revient sera loin d'être exagéré, et dépassera peu celui du condenseur par surface ordinaire dont il aura les avantages.

Quant à la transformation d'une machine à vapeur en machine à ammoniaque, dès qu'il s'agira de plus de 25 chevaux, la dépense ne sera pas de plus de 150 francs par cheval. Inutile d'ajouter que ce prix diminuerait sensiblement pour une machine plus importante. Or, la dépense ordinaire avec la vapeur d'eau est d'environ 400 francs par cheval et par an. L'économie réalisée étant de 250 francs au moins, on voit qu'au bout de huit mois on aura couvert les frais d'installation, après quoi on possédera une machine trèséconomique et dont les chaudières, préservées à l'avenir de toute oxydation, auront des chances de durée qu'elles n'avaient pas auparavant.

Reste le prix de la matière, l'ammoniaque. De grands fabricants m'ont affirmé que, si la consommation de l'alcali volatil prenait de grandes proportions, ils se feraient forts de le vendre à 25 francs les 100 litres.

Or, en conservant les formes actuelles, on pourra obtenir 30 chevaux avec un générateur de 10 chevaux : celui-ci contient 500 litres environ. Cela nous ferait donc, pour 30 chevaux, 20 litres au plus, soit 5 francs par cheval. Vous voyez, messieurs, que lors même qu'on serait obligé de renouveler sa dissolution tous les six mois, cela ne donnerait lieu qu'à une dépense annuelle de 10 francs, qui serait bien peu de chose comparée à l'économie de 250 francs réalisée.


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Permettez-moi, Messieurs, de résumer en quelques mots les caractères principaux de la machine à ammoniaque :

1° Economie notable des deux tiers du combustible; 2° Mise en pression très rapide ;

3° Transformation rapide et peu coûteuse de tout le matériel existant ;

4° Faculté de reprendre la marche ordinaire à la vapeur d'eau, si, par une cause quelconque, l'ammoniaque venait à manquer ;

5° Plus longue durée des chaudières, par suite de l'innocuité de l'ammoniaque sur le fer;

6" Diminution de l'encombrement des chaudières et du combustible, et, par suite, augmentation considérable de fret pour les machines marines ;

7° Impossibilité de la production de dépôts salins dans la chaudière.


POESIES

PAR M. LUDOVIC DE VÀUZELLES.

LA NOCE CHAMPETRE.

22 février 1868.

A la noce de maître Pierre, Tout le village est convié : Jamais dans la province entière On ne vit moins riche héritière, On ne vit plus beau marié.

Jamais aussi noce champêtre,

Avec fifres et violons,

Même au bon temps, sous le vieux hêtre,

N'a de sa musique peut-être

Autant réjoui ces vallons.

La mariée est sans famille ; Elle n'a que sa bague au doigt : Mais en revanche son oeil brille, Et jamais plus charmante fille Ne grandit sous un pauvre toit.


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Jamais dans l'antique Judée, Au puits où boivent les chameaux, Vierge ne fut si demandée , Ni de si bon coeur accordée, Que cette enfant de nos hameaux.

Maître Pierre, dans son ivresse, Parle à tous et ne lui dit rien : Mais contre son coeur il la presse ; Puis la regarde avec tendresse, Et passe son bras dans le sien.

Elle qui lui faisait la moue Dès qu'il cherchait à l'embrasser, En souriant lui tend la joue; Et maître Pierre fait la roue, En disant : Laissez-nous passer !

Le joli couple, ma voisine ! A-t-on jamais rien vu de tel? Ce qu'ils pensent, on l'imagine ; Ce qu'ils sentent, on le devine... Ils se le sont dit à l'autel.

0 spectacle ! ô plaisirs dignes des premiers âges ! Tout ce que les plus grands, tout ce que les plus sages Ont fait ou médité pour le bonheur humain, Ils se le sont promis en se donnant la main. Ils vont, et l'espérance avec ses doux présages, En chantant devant eux, leur montre le chemin.


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Elle fait pleuvoir sur leurs têtes

Toutes les roses de l'été ;

Elle leur promet d'autres fêtes

Pour leur douce postérité.

Elle ouvre à ces âmes naïves

Les consolantes perspectives

Du jour qui ne doit pas finir :

Des mêmes pleurs leurs yeux se mouillent,

Et sur la terre ils s'agenouillent

En priant Dieu de les bénir !

O toi qui détruis et qui fondes, Daigne étendre ta main sur eux : En rendant nos terres fécondes, Fais que tes pauvres soient heureux ! Mets des vaches dans leur étable; Mets un pur froment sur leur table, Couronne d'enfants leur foyer; Donne à chacun ce qu'il demande, Et chacun t'en fera l'offrande, Comme l'on acquitte un loyer !


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LE BATTAGE.

Non in solo pane vivit homo. S. MATTH., cap. iv.

21 juillet 1868.

Qu'on porte à l'aire ces javelles ! Des fléaux ! nos greniers sont pleins : Déjà le vent enfle les ailes Des navires et des moulins.

Poètes et batteurs, observons la cadence : Que les vers et le grain jaillissent à la fois ! Qu'avant la fin du jour la corne d'abondance S'écoule toute entre nos doigts !

Debout, vite à l'ouvrage ; allons, point de relâche ! Poètes et batteurs, nous avons même tâche : Voici le pain du corps et celui de l'esprit ; La Muse, autour des sacs où le blé s'amoncelle, Tourne avec le batteur, dont la tempe ruisselle, Et mêle un suc qui charme au froment qui nourrit !

Au banquet magnifique où l'été nous convie La Muse encor, la Muse avec nous s'asseoira : Travailler et chanter, ici-bas, c'est la vie... Courage! Dieu nous bénira.

Qu'on porte à l'aire ces javelles ! Des fléaux ! nos greniers sont pleins : Déjà le vent enfle les ailes Des navires et des moulins !


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LES DELICATESSES D'UN POETE PAUVRE.

Agrée, ô jeune vierge, et paye d'un sourire Le jeu timide encor de mes doigts sur la lyre : Tu sais à peine aimer, je sais à peine écrire, Et la même jeunesse étincelle en nos yeux; Ton âme se suffit, aussi bien que la mienne, Mais ton bras a besoin d'un bras qui le soutienne, Et tu m'as dit un jour (vierge, qu'il t'en souvienne !) Que vivre toujours seul, c'était presque être vieux.

J'étais seul en effet quand le rêve et l'étude

De leurs fantômes vains peuplaient ma solitude ;

Mais depuis qu'une ardente et chère inquiétude

A diverti mon coeur et l'a tourné vers toi,

Va, je ne suis plus seul, et, même en ton absence,

O du ressouvenir merveilleuse puissance !

Ta grâce, tes discours, ton aimable innocence,

Comme un essaim d'oiseaux, volent autour de moi.

Je t'évoque, tu viens, et mon âme est contente ! Ne crois pas cependant que ma bouche imprudente Ose te prodiguer les noms qu'à son amante Le plus audacieux ne donne qu'à genoux : Non, je sais respecter les pudeurs de ton âge; D'un frère bien-aimé j'emprunte le langage. Que veux-tu! je n'ai rien, tu n'as pas davantage, Et le même flambeau peut s'allumer pour nous !


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LA GARDEUSE DE CHÈVRES DU PAUSILIPPE.

Naples, mars 1867.

Rapides goélands qui volez vers Misène, J'attends mon bien-aimé, dites-lui qu'il revienne !

Voilà tantôt huit jours qu'il a repris la mer : — A bientôt ! disait-il. — O toi quim'es plus cher Que n'est le Pausilippe et sa grotte à mes chèvres, Bel ami, dont le nom est toujours sur mes lèvres, Par la sainte Madone, oh ! pourquoi différer De réjouir mon oeil, qui s'épuise à pleurer !

Blancs oiseaux de la mer qui volez vers Misène, Rapides goélands, dites-lui qu'il revienne !

La mer te berce, ami ; c'est le miroir des cieux : Mais leur riant azur brille aussi dans mes yeux. La mer a le corail; mais ma bouche, à t'en croire, Montre du même coup le corail et l'ivoire. La mer a beau sourire, elle est perfide ; moi, J'ai le coeur sans détour, et ce coeur est à toi !

O vous, légers oiseaux qui volez vers Misène, Blancs oiseaux de la mer, dites-lui qu'il revienne !

Au moindre bruit le soir, au moindre vent j'ai peur Si le ciel est serein, l'orage est dans mon coeur. Couché sur ses filets, près de ta mère en peine, Ton vieux père s'endort, en rêvant barque pleine ; Mais moi, dont la richesse est le moindre souci, Je me dis : A quoi bon ? le bonheur est ici.


Blancs oiseaux de la mer qui volez vers Misène, Rapides goélands, dites-lui qu'il revienne !

Les rochers d'Ischia brillent à l'horizon... Quelle étrange pensée égare ma raison ! Le frère de ton père y vit avec sa fille... Elle est riche... Une fière, une heureuse famille L'entoure... Moi, je suis indigente et pieds nus, Et née, on ne sait où, de parents inconnus !

O vous, légers oiseaux qui volez vers Misène, Blancs oiseaux de la mer, dites-lui qu'il revienne!

Hélas ! quand je succombe au plus amer chagrin, Peut-être qu'avec elle, au son du tambourin... Perfide! oserais-tu?... Pourquoi m'avoir trompée? De tout ce beau tissu dont la trame est coupée, Il ne me reste rien que la honte d'avoir, Comme toi tes serments , oublié mon devoir.!

Blancs oiseaux de la mer qui volez vers Misène, Rapides goélands, dites-lui qu'il revienne!

Prends garde ! je suis belle, et je puis... non, adieu. Je ne sais pas haïr ; mais tremble ! il est un Dieu. Et vous qu'il caressait, ô mes seules compagnes, Chèvres, dispersez-vous : cherchez dans ces montagnes Un maître, s'il en est, qui veuille vous nourrir... Moi, j'ai perdu le mien, je n'ai plus qu'à mourir !

Rapides goélands qui volez vers Misène,

S'il en est temps encor, dites-lui qu'il revienne !


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A UN AMI

QUI CBITIOUAIT LA FABLE DE LA FONTAINE INTITBLEE

Le Rat de ville et le Rat des champs.

Qmndoque bonus dormitat ttomerus. HORACE, Art poét.

Homère, qui chanta les héros et les rois,

Sur le vaisseau d'Ulysse a dormi quelquefois :

Quand on a bien chanté, dormir est excusable.

La Fontaine lui-même, au milieu d'une fable,

Et vous avez nommé la fable des Deux Rats,

Fit un somme... Eh bien ! moi, je ne l'en blâme pas !

Nulle oeuvre n'est petite aux mains d'un grand poète :

La flûte veut du souffle autant que la trompette ;

Pour chanter un consul la flûte quelquefois

A d'un son belliqueux fait retentir les bois.

L'apologue est un drame ainsi que l'épopée :

D'elle seule toujours l'âme préoccupée,

Sous le fard du héros, qu'il soit lion ou roi,

Voit le rire ou les pleurs, se trouble et dit : C'est moi !

Rats et Troyens ont peur quand leur asile craque :

Les adieux du Pigeon valent ceux d'Andromaque.

La Fontaine a donc pu, lui qu'Homère charmait,

S'endormir une fois comme Homère dormait.


NOTES HISTORIQUES

SUR, L'ANCIEN PRIEURÉ

DK

FLOTIN,

DANS LA FORÊT D'ORLÉANS,

Par M. RENTE »E MACLDE, Élève de l'École des Chartes.

Mémoire couronné par la Société, à son Concours de 1868.

Vox quoque per lucos.... excmdiia silentes Ingens !

VlEGILE.

Flotin, situé sur la lisière de la forêt d'Orléans, remonte à une date antique. Son histoire est celle d'un prieuré de chanoines réguliers, de l'ordre de Saint-Augustin, d'abord illustre et florissant, puis ruiné par les ennemis extérieurs de la France et aussi par ses ennemis intimes. La première époque de son existence, époque où dominent surtout les préoccupations d'une vie sainte et réglée, se rattache, à la fois, à l'histoire générale des institutions monastiques en France, et à l'histoire féodale de l'Orléanais : la seconde, livrée tout entière aux soucis matériels de l'administration des biens, intéresse plus particulièrement la chronique du Gâtinais où le prieuré de Flotin rayonnait par de nombreuses propriétés. Aujour-


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d'hui, ce monastère, comme tous ceux du même pays, n'existe plus, et son nom même est presque enseveli dans l'oubli, après être resté durant des siècles un objet de vénération. Cet oubli, le mérite-t-il ? Méritait-il cette vénération ? Telle est la question que l'on se pose et qu'il sera facile de résoudre après avoir reconstruit pierre à pierre l'édifice évanoui. *

C'est au xnc siècle qu'il faut remonter pour assister à la fondation du monastère de Flotin, à ce temps l'un des plus heureux pour la France, temps classique de la bravoure, de l'honneur et de la chevalerie, des brillants tournois et des poétiques épopées. Alors, un de ces hommes fortement trempés, pleins de convictions et d'énergie, comme on en voit... seulement dans les légendes, un guerrier nommé Guillaume, jeune et noble, et qui avait déjà gagné ses éperons de chevalier, touché de l'esprit de Dieu, échangea la cuirasse pour la bure et, remettant au fourreau une épée souvent victorieuse, vint la déposer dans les cloîtres de Saint-Jean de Sens, où il avait résolu de passer dans le calme et la méditation le reste d'une vie active et laborieuse.

Saint-Jean de Sens était un ancien prieuré qui, abandonné pendant deux siècles (1) venait, lui aussi, de reprendre vie au milieu de la prospérité générale et grandissait avec rapidité. Sous la direction d'un homme aussi humble qu'illustre, Pierre (2), il acquit bientôt l'importance et le rang d'abbaye. C'est à cette époque qu'il reçut Guillaume parmi ses religieux. Les vertus et l'austérité du nouveau frère ne tardèrent pas à le faire remarquer, et à

(1) De l'année 887 où il avait été ruiné par les Normands, à l'année 1111.

(2) V. Histoire littéraire de ta France, par les Bénédictins, t. XII, p. 230,232.


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la mort de Gilbert, le troisième abbé, mort survenue en l'an 1159, Guillaume fut élu pour lui succéder (1). Il figure comme témoin, en 1160, dans une charte de l'abbé Renaud, de Saint-Jacques-de-Provins, qui en fait l'éloge. Mais si, de son gouvernement à Saint-Jean, il ne nous est resté que des actes d'administration matérielle, nous savons pourtant qu'il eut des préoccupations plus graves. Avec la richesse, déjà se glissait dans l'abbaye le relâchement, mal assez répandu parmi le clergé de cette époque. Séculiers comme réguliers, riches, savants, se mêlaient trop au tourbillon du monde scientifique et financier (2). C'est contre cet esprit général et qui, paraît-il, avait envahi Saint-Jean de Sens, que Guillaume voulut d'abord réagir. L'ancien chevalier n'entendait pas vivre plus mollement sous le cloître que sous la tente, et son rude caractère s'accommodait assez mal des adoucissements qu'on prétendait introduire. Toutefois, s'apercevant vite qu'une résistance trop prolongée ne ferait qu'entretenir une discorde inutile, il se montra plus sage que certains réformateurs, et prit le parti de se retirer, abandonnant avec joie les soucis d'un gouvernement considérable pour la paix d'une vie cachée et d'une retraite solitaire. Un certain nombre de ses religieux se trouva dans les mêmes dispositions. Tel fut le noyau des fondateurs du nouvel institut. Mais, une retraite, où la choisir? De quel côté porter ses pas?.... Parmi les disciples de Guillaume figurait un religieux nommé Hugues, possesseur d'une

(1) V. Gallia Christiana, t. XII, p. 196.

(2) Ainsi le Concile de 1163, tenu à Tours, est obligé de défendre aux prêtres l'usure, aux moines les études médicales et juridiques. Le concile de Reims, en 1148, interdisait la « superfluité et la variété déshonnête des couleurs dans les vêtements. » (V. HARDOUIN, collect. conciliorum, t. XXVII).

T. XII. 6


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terre située en Gâtinais, à l'extrémité du diocèse de Sens Il l'offrit à son maître : Guillaume accepta.

A une demi-lieue de la Châtellenie royale de Boiscommun, à dix-huit de Sens, et onze d'Orléans, au milieu de la forêt des Loges et de bois sauvages et déserts, coulaient deux ruisseaux qui, formant trois étangs d'assez vaste étendue (1), venaient se joindre dans une petite vallée pour s'enfuir ensemble. Aucun endroit peut-être ne se prêtait mieux à la réalisation des projets de Guillaume. La voix humaine pénétrait peu dans ces profondeurs; les animaux sauvages, rarement troublés par les meutes royales, y avaient établi de paisibles et antiques demeures ; enfin, des eaux qui, par une barrière naturelle, cernaient ce lieu et l'isolaient comme une île, une muraille de verdure qui se dressait partout ne laissant voir que le ciel, une végétation de chênes, de bruyères et de genêts, invitant par son calme et son sérieux à la méditation ; en un mot, la nature âpre et agreste d'un pays qui conserve encore quelques traces de sa sauvagerie primitive, tout semblait fait pour attirer des hommes avides de recueillement et de paix. Telle était la demeure offerte par Hugues, acceptée par Guillaume. Sa position au milieu des eaux lui fit donner, dit-on, le nom de Flotin (2).

Guillaume et sa petite troupe ayant donc dit adieu à

(1) Il n'y a aujourd'hui que deux étangs et presque plus d'eaux courantes. Les ruisseaux dont il s'agit ici ont disparu ; ils existaient encore au XVIIe siècle. C'est sans doute par suite des déboisements qu'ils ont tari. (V. Dom MOEIN, Histoire du Gastinois, etc. p. 288. — Baux du moulin à eau de Flotin. Archives de l'Yonne.)

(2) Dans les chartes latines, Flotanum, Flottanum, Flotani, Flotuanum, (le vrai nom latin devait être Fluctuanum) : en français primitif, Flotans, Flottan, Flottain, puis Flotain, Flottin, Flotein ou même Floten. Ces deux dernières formes ne sont que des variantes orthographiques.


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Sens, prirent la route de l'Orléanais, en 1169, et vinrent s'installer dans leur nouveau domaine qu'ils consacrèrent à la vierge Marie. En même temps qu'il s'occupa d'élever les premiers bâtiments, le chef de la réforme se mit à l'oeuvre pour rédiger un règlement capable de répondre aux aspirations qui l'avaient arraché au monde, lui et les siens. Toutefois, il ne voulut pas, par respect sans doute pour sa première maison de profession (1) et par humilité, s'ériger en novateur ni se soustraire à la dépendance de Saint-Jean de Sens : il préféra garder les institutions qu'il avait observées jusque-là, mais sans les adoucir, et à condition d'y ajouter de nouvelles observances empruntées aux règles les plus sévères ; par le fait, il se trouva ainsi le fondateur d'un ordre original et où l'austérité ne manquait point. Voici, en peu de mots, le règlement. Le chant des offices et la prière font jour et nuit la principale occupation des moines de Flotin. (2) Es couchent sur la dure, avec des

(1) Notes manuscr. sur Flotin (par GAKCEMENT DE FONTAINES, chanoine de Sens au XVIIIe siècle.)

(2) .... « Similiter et lectistemia eorum culcitras et lineastramenta non habebunt^sed cervicalia tantum ad relevationem capitis. Esus carnis et sanguinis' apud eos nullus omnino erit, nisi tantum infirmis. Ova autem et caseos comedendi potestas indulgebitur eis, excepta quadragesima ante natalem Domini. A Festo sancte Crucis usque ad Natalem Domini, cotidie jejunabunt, excepta festivitate Omnium, Sanctorum. A Natali Domini usque ad Epiphaniam, licebit eis bis comedere. Ab Mo die -usque ad Pascha jejunabunt, excepta Purificatione béate Marie. In ecclesia silentium, semper tenebunt, nisi de confessione. In mensa nulli fratrum permittetur loqui nisi soli inagistro de necessariis. A complectoris usque ad capitulum post primam factum silentium ubique tenebunt, nisi necessitate compellente. Ad mensam eorum mulieres non comedent, nec consanguinee, nec extranee; nec infra septa eorum nocte requiescent, nec officinas sine legitimo teste ingredientur.... Priori, et fratribus quibus a priore injunctum fuerit, licebit ire et equitare secundwm regulam sancti Augustini.... » (Ch. de GUY DES NOYERS.)


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draps de toile et un oreiller, sans courtepointe. Toute viande, tout ce qui renferme du sang ou de la graisse est banni du monastère, excepté de l'infirmerie où on l'admet pour les malades. Durant l'avent, point d'oeufs ni de fromage : et de l'Epiphanie à Pâques, de l'Exaltation de la Croix (14 septembre) à Noël, c'est-à-dire durant la moitié de l'année, un seul repas par jour. Le silence était perpétuel à l'église où la confession seule devait ouvrir la bouche; perpétuel au réfectoire; et enfin général depuis les compiles jusqu'au chapitre qui se tient après prime. Tout ce qui porte le nom de femme était exclu du monastère^ Les parentes des religieux, venues pour les voir, ne devaient sous aucun prétexte s'asseoir à leur table ni coucher dans l'enceinte du prieuré. Les femmes, appelées par leur service dans les communs, n'y pouvaient entrer que dûment surveillées. — L'hospitalitéest en vigueur. (1) Le prieur seul, ou le religieux auquel il en a donné l'ordre exprès, peut voyager, mais suivant tous les modes de locomotion, c'est-à-dire à pied et à cheval, comme le permet Tordre de St-Augustin.

En un mot, méditation et prière, sobriété, silence, travail, voilà la devise de la sage maison de Flotin. De tous les religieux un seul était peut-être oisif.,., le cuisinier.

Le vêtement consistait (2) en lingeries de toiles, soutane de serge blanche, avec un scapulaire également blanc; manteau noir. Au xne siècle, l'austérité était une vertu fort appréciée, et dans le coeur de ceux qui ne la pratiquaient point, elle excitait toujours d'ardentes sympathies. Le nouveau monastère devint donc un objet de respect et

(1.) « .... ad hospitum sustentacionem.... » (Ch. de Gnr DES NOYÉES, citée plus bas.)

(%).... « Vestimenta. hujusce modi erunt : lineis vestibus, exceptis superpelliciis et femoralibus, non utentur ; pellicias tunicas albas, pallia candida, capas nigras habebunt.... » (Id.)


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d'affection. Les dons affluent. En 1178, le seigneur de Chastillon donne les dîmes de Varennes, avec un muid de vin (1). On reçoit aussi des vignes, situées sur le revers des fossés de la petite ville fortifiée de Boiscommun, et plusieurs fermes. Une bulle pontificale de 1180 citée plus bas, contient le détail d'autres bienfaits.

Constituée de la sorte, la maison de Flotin sous la main du prieur Guillaume grandit rapidement. Déjà les cloîtres, la salle capitulaire, les dortoirs s'élèvent, et dans des proportions bien plus vastes que ne comportait un simple prieuré de campagne, avec une apparence qu'au xvif siècle on trouvait encore belle et curieuse dans sa vétusté et dans ses ruines (2). Le choeur de l'Eglise datait sans doute de cette époque (3).

En même temps s'augmentait le nombre des frères. Des chanoines de Saint-Jean venaient chercher dans la nouvelle maison un genre de vie plus rigoureux. Mais cette prospérité même devint un danger : elle attira l'attention des religieux de Sens qui résolurent d'enrayer ce mouvement d'émigration, sinon de l'arrêter tout-à-fait. Ils élevèrent donc les prétentions les plus exorbitantes. Par suite de ce lien- de dépendance que Guillaume n'avait point voulu rompre, ils conservaient le droit, disaient-ils, de restreindre le nombre des frères de Flotin, d'en recevoir les déserteurs, de nommer le prieur ; enfin, sous prétexte de visite, l'abbé de Saint-Jean pouvait aller s'y installer quand et comme bon lui semblerait. De là, grand émoi, résistance opiniâtre. L'affaire fut portée par devant l'archevêque de Sens qui était alors Guy Ier des Noyers,

(1) Areh. de l'Yonne.

(2) Dom MOBIN, Eist. du Gastinois, p. 287 : Procès-verbaux de visites aux xvne, xvnr 3 siècles. Arch. de l'Yonne.

(3) Guillaume y fut enseveli.


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membre de la noble famille bourguignonne de ce nom. Ce sage arbitre, après avoir étudié la question et s'être entendu avec les parties intéressées, rendit sa sentence en 1180. Le résultat n'en pouvait être douteux. Guy confirme les règlements. H autorise la maison de Flotin à recevoir tous les religieux qu'elle voudra, mais sous certaines restrictions. Le prieur est électif : il reçoit son investiture de l'abbé. Les redevances pécuniaires dues à l'abbaye de Saint-Jean se bornent à une rente honorifique de 20 sous, charge peu lourde, facilement acceptée, et acquittée fidèlement jusqu'en 1789.

(1) In nomine sancte et individue Trinitatis, ego G. (%), Dei gratia Senonensis archiepiscopus dilectis filiis nostris Petro abbati ecclesie Beati lohannis et fratri Wilhelmo de Floten, omnibusque eorum fratribus tam presentibus quam futuris, salutem in perpetuuin.

Au nom de la sainte et indivisible Trinité, je, Guy (2), par la grâce de Dieu archevêque de Sens, à nos chers fils Pierre, abbé de l'église de Saint-Jean et à frère Guillaume de Flotin, et à tous leurs frères présents et à venir, salut éternel !

Notum est ubique et scitum ab omnibus quoniam, sicut res parve cito per concordiam crescunt, ita et maxime, ubi subintrat discordia, brevi dilabuntur. Eapropter, videntes ecclesiam Beati Johannis ejusque plantacionem novellam adhuc et teneram, ecclesiam, scilicet Béate Marie de Floten, si non perverso, averso tamen aliquantulum tra.mite incedentes, ne scintilla latens in cinere quanTout

quanTout monde a toujours su que, si avec la concorde les oeuvres les plus humbles prennent un rapide essor, les plus grandes aussi, lorsque la discorde s'y glisse, ne tardent pas à s'évanouir. Dans cette pensée, comme nous vîmes l'église de Saint-Jean, et son rejeton encore frêle et tendre, l'église de N.-D. de Flotin, s'engager dans une voie sinon perverse, du moins un peu de traverse, nous craignîmes que

(1) Publiée par le savant M. Quantin, Cartulawe de l'Yonne, t. I, p. 321.

(2) Guy de Noyers, archevêque de 1176 à 1193, fils de Milon de Noyers et de Marie de Chastilkm, oncle de Hugues, évoque d'Auxerre.


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doque per negligentiam subitum exhalaret incendium, decrevimus eis occurrere matremque ad filiam, filiamque ad matrem, arnice et concorditer revocare. Communicato itaque consilio cum dilecto fllio nostro Wilhelmo aliisque fratibus de Floten simulque cum venerabili P. (1) abbati Sancti Johannis et fratribus suis, cepimus de pace et concordia eorum sollicite et diligenter agere et providere. Cum ergo audiremus predictos fratres de Floten a bono et primo fundamunto arctioris vite nolle omnino recédere, sed tenuem victum duramque cibi et potus abstinentiam desideranter amare, grossamque et vilem vestium consuetudinem tanquam secularis vite veri contemptores et Dei amatores avide sustinere simulque vigiliis, orationibus et psalraodiis ardenter insistentes, bone vite propositum quod inceperant nequaquam mutare, sed velle in melius consummare, multum gavisi sumus et de numéro fratrum quem ad amplificandum servicium Dei augeri postulabant, ego et tota ecclesia Beati Johannis letumprebuimus assensum.

(1) Pierre I".

quelque négligence ne vînt un jour à transformer cette étincelle couvant sous la cendre en un incendie inattendu ; nous résolûmes donc de venir en aide aux deux parties et de ménager la réconciliation entre la mère et la fille, entre la fille et la mère, par des paroles d'affection et de paix. Nous étant donc entendus avec notre cher fils Guillaume et les autres frères de Flotin, ainsi qu'avec le vénérable Pierre (1), abbé de St-Jean et ses frères, nous avons mis tous nos soins et notre diligence à faciliter et à préparer le rétablissement de la paix et de la concorde. Les frères de Flotin, nous a-t-on dit, loin de vouloir s'écarter du meilleur et du premier fondement de la vie monastique, aiment avec passion la frugalité et une abstinence rigoureuse ; comme les hommes que pénètrent vraiment le mépris du monde et l'amour de Dieu, ils se font une joie de revêtir des habits vils et grossiers, ils se livrent avec ardeur aux veilles, aux oraisons, au chant des psaumes ; la résolution qu'ils avaient manifestée de mener une bonne vie, n'a point faibli ; ils ne veulent que s'améliorer encore. Ce rapport nous a profondément réjouis, et les religieux de Flotin nous demandant d'augmenter chez eux le nombre des frères, et par là même le service de Dieu, moi et l'église de Saint-Jean, nous y avons consenti avec empressement.


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Statuimus itaque et decrevimus quatinus quos et quantos vellent fratres ad servicium Dei faciendum de voluntate sua et possibilitate loci, susciperent sine omni contradictione abbatis et capituli Sancti Johannis. Porro abbas Sancti Johannis cum voluerit et licuerit ei, veniet ad locum illum ; et fratres qui suscepti fuerint debitam ei, tanquam proprio abbati, et successpribus suis, professionem facient, et tune ab eo in eodem loco canonicam benedictionem suscipient, et amplius non licebit eos amovere de loco. Si vero pro culpa sua aliquem de fratribus ille prior quipreerit loco, tanquam inobedientem et rebellem, de ecclesia illa amoverit, vel ipse, sponte sua, sine licentia prioris inordinate inde exierit, non liceat abbati suscipere illum in ecclesia Sancti Johannis sine assensu prioris de Floten, et fratrum suorum. Addimus etiam, si aliquis canonicorum ecclesie sancti Johannis, spiritu Deitactus, vitam suam emendare et ordinem supradicte ecclesie suscipere voluerit, ut fratres ejusdem loci suscipiant eum, remota omni exactione abbatis et capituli Sancti Johannis, ita tamen si bone et laudabilis vite liberque et absolutus a prima professionis subjectione fuerit. Susceptus autem novam abbati sancti Johannis secundum morem et ordinem illius ecclesie professionem faciet et stabilitatem corporis sui in loco illo promittet.

Nous ordonnons et arrêtons donc qu'ils reçoivent au service de Dieu tels religieux et en tel nombre qu'ils voudront et que le local le permettra, sans que l'abbé et le chapitre de Saint-Jean puissent aucunement s'y opposer. L'abbé de Saint-Jean quand il lui plaira et qu'il lui sera loisible, ira à Flotin; en sa qualité de supérieur, il recevra, et ses successeurs recevront après lui, la profession des nouveaux frères, et il leur donnera la bénédiction canonique ; à partir de ce moment, il ne pourra plus les renvoyer du couvent. Si, à la suite d'une faute, quelqu'un des frères est chassé de Flotin par le prieur qui dirige la maison, ou que volontairement il en sorte indûment et sans permission, l'abbé ne pourra l'admettre à l'église de Saint-Jean que du consentement du prieur et des frères de Flotin. De plus, si un chanoine de Saint-Jean, touché de l'esprit de Dieu, veut s'amender et entrer dans l'ordre de Flotin, il y sera reçu, nonobstant les réclamations de l'abbé et du chapitre de Saint-Jean, pourvu toutefois qu'il ait mené jusque-là une bonne et sainte vie et qu'il soit libre et quitte de ses premiers engagements. Celui qui ainsi en prendra de nouveaux fera profession entre les mains de l'abbé, selon l'ordre et l'usage, et promettra de rester fidèlement dans le couvent.


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Soc autem ita factum est et utraque parte concessum ut, quandiu de susceptis fratribus ecclesie Sancti Johannis ibidem vivi très inventi fuerunt, quartus non suscipiatur nisi voluntate et spontanea concessione prioris et fratrum de Floten. De constitucione autem prioris in eodem loco, utriusque partis assensu ita decretum est ut fratres de Floten liberam electionem habeant et unum de collegio suo quem idoneum cognoverint priorem constituant, cui omnes alii obediant ; ad cujus officium et arbitriumpertinebit cura et administracio totius loci. Cum autem abbas visitacionis gratia locum adierit, sustitutum (sic) priorem ei presentabunt quem ipse cessante contradictjone suscipiet, eique tocius administrationis curant imponet.

L'on a décidé aussi et l'on est convenu de part et d'autre, que tant qu'il y aurait à Flotin trois anciens religieux de Saint-Jean, encore vivants, pour en recevoir un quatrième, il faudrait une permission toute volontaire et spontanée du prieur et des frères de Flotin. Quant à la nomination du prieur, d'un commun accord, on a conclu qu'elle aurait lieu par élection libre : les frères choisiront dans leur communauté celui qui leur paraîtra le plus digne : on devra obéissance absolue au prieur ; et le soin et l'administration de tout le monastère lui appartiendront. On le présentera à l'abbé lors de la visite, et l'abbé sera tenu de l'agréer sans contestation et de l'investir du pouvoir général d'administrer.

Si vero de prioris institutione, ut in talibus consuetum est (1), discordia suborta fuerit et fratres inter se convenire non poterint, abbas Sancti Johannis ad diem eligendi constitutum vocabitur, et si fratres tune etiam non concordaverint, abbas meliori et saniori parti cedens, eorum consilio et assensu, priorem ibidem constituet

Mais si, selon l'usage (1), l'élection du prieur devenait une source de discordes, et si les frères ne peuvent parvenir à s'entendre, l'abbé de Saint-Jean sera convoqué au jour dit ; et si les frères ne peuvent encore se mettre d'accord, l'abbé, se joignant à ceux qui lui sembleront les plus sensés et les plus sages, choisira le prieur de leur avis et consentement

En effet, les couvents n'étaient pas toujours l'asile de la paix : Tant de fiel entre-t-il dans l'âme des dévots !


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Ici l'archevêque expose les règles principales de l'Institut, qui ont été reproduites plus haut.

.... Animalia, terras et décimas, et quascunque alias possessiones in eleemosynam datas, vel quocunque alio modo juste adquisitas licebit eis habere ad procurationem fratrum pauperum et hospitum sustentacionem...

Pour les animaux, terres et dîmes, et toutes autres possessions, reçues en aumône, ou acquises à quelque autre juste titre, • il est permis au prieuré d'en jouir pour le soutien des frères pauvres, et l'entretien des hôtes....

De terris, pratis, et vineis aliisque ecclesie redditibus, nec priori nec fratribus licebit aliquid vendere vel invadiare sine consilio abbatis et capituli Sancti Johannis et hoc propter majorent loci utilitatem et augmentacionem. Fratres vero de Floten viginti solidos conventui sancti Johannis, die festo Inferventis Olei (1), annuatim persolvant. Ut autem hec omnia supradicta ad honorem Dei et perfectum loci firmiter et fideliter in perpetuum observentur, mandamus et precipimus ; et ne ultra quod a nobis scriptum et institutum est altéra contra alteram partem excedere vel inquirere proesumat, sub anatemate prohibemus, nisi de nostro et utriusque partis assensu. Mec autem ut rata et inconcussa permaneant, pontificali auctoritate et sigilli nostri impressione confirmamus et roboramus.

Les terres, prés, vignes et autres revenus ne seront pas vendus ni engagés, sans l'avis de l'abbé et du chapitre de Saint-Jean, et cela dans l'intérêt même du couvent et pour son agrandissement. Les religieux de Flotin paieront chaque année, à la fête de l'Huile-Bouillante (1), vingt sous à l'abbaye de Saint-Jean. Et afin que toutes ces susdites règles, établies pour l'honneur de Dieu et le perfectionnement de l'Institut, soient fidèlement et fermement observées, nous mandons, enjoignons et défendons sous peine d'anathème que, sans notre consentement et celui des deux parties, l'une d'elles ne transgresse au détriment de l'autre ce que nous avons écrit et décidé, ni n'ose le remettre en question. Et pour, assurer la valeur et l'immutabilité de nos ordres, nous les avons confirmés et corroborés de notre autorité pontificale et par l'impression de notre sceau.

(1) Saint-Jean devant la Porte Latine, le 6 mai.


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Âctuni publiée in capitula sancti Johannis ab incarnacione domini millesimo centesimo octogesimo (1).

Fait en séance, générale du chapitre de Saint-Jean, l'an de l'incarnation 1180 (1).

Tel fut le sage compromis dicté par Guy. Des concessions mutuelles supprimèrent ainsi toute cause de discorde : les droits indiscutables de Saint-Jean subsistent, la vie et l'autonomie du nouveau monastère sont consacrées ; dès lors, oe mère et fllle » n'avaient plus qu'à se réconcilier.

Cette lettre de l'archevêque de Sens fut, dans cette année 1180, vidimée et pleinement ratifiée par une grande bulle d'Alexandre UJ, qui confirme en même temps les donations déjà faites au prieuré et lui accorde quelques privilèges :

Alexander episcopus servus servorum Dei, dilectis filiis Wilhelmo priori ecclesie béate Marie de Flotten ejusque fratrïbus tam presentibus quam futuris in perpetuum. Regularem vitam professis religiosis viris et pietatis operibus deputatis publicum convenit adesse .presidium, ut tanto liberius obsequiis divinis inserviant, quanto se senserint fortius apostolica protectione munitos. Quapropter, dilecti in Domino filii, vestris justis postulationibus clementer annuimus et prefoiam ecclesiam in qua divino mancipati estis obsequio, sub beati Pétri et nostra protectione susciAlexandre,

susciAlexandre, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos chers fils Guillaume, prieur du couvent de Notre-Dame de Flotin, et à ses frères présents et à venir, à toujours. Aux hommes religieux qui ont fait profession d'une vie régulière et se sont dévoués aux oeuvres de la piété, il convient de prêter un secours public qui leur permette de vaquer d'autant plus librement au service divin qu'ils se sentiront plus forts par le bienfait de la protection apostolique. Aussi, chers fils dans le Seigneur, nous nous rendons avec complaisance à vos justes prières, nous prenons sous la protection de

(1) Gareement de Fontaines croit cette charte de l'an 1176 et l'attribue à Guillaume surnommé « aux blanches mains. » C'est une erreur manifeste.


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pimus et presentis scripti privilegio communimus. In primis siquidem statuentes, ut or do canonicus qui in eadem ecclesia per providentiam tuam, fili dilecte, et assensum filiorum nostrorum dilectorum abbatis et fratrum sancti Johannis Senonensis, necnun favore et auctoritate venerabilis fratris nostri G., Senonensis archiepiscopi, constitutus esse dinoscitur, perpetuis ibidem temporibus inviolabiliter observetur ; quem utique ordinem presenti carta duximus annotandum, sicut in autentico scripto ejusdem archiepiscopi continetur, et excepta quod de puriori animo maxime duximus confirmandum quod nec rationi contrarium est nec sacris obviât instituiis (1) cum columnas ecclesie firmas esse stabilesque conveniat, ne totum edificium ex eorum debilitate vacillet....

saint Pierre et la nôtre, l'église où vous vous êtes voués aux saints exercices, et nous la garantissons par le présent privilège. Tout d'abord, nous voulons que la règle canoniale établie dans cette communauté par vos soins, mon cher fils, avec le consentement de nos fils bien-aimés l'abbé et les religieux de Saint-Jean, et grâce à la faveur et à l'autorité de notre vénérable frère Guy, archevêque de Sens ; nous voulons que cette règle toujours y soit observée inviolablement : règle que nous avons jugé bon de reproduire ici, selon la teneur de l'écrit authentique dudit archevêque, et sauf les points que, après mûre réflexion, nous avons cru devoir particulièrement confirmer, comme n'étant pas contraires à la raison, ni opposés aux principes sacrés (1) : il convient en effet que les colonnes qui soutiennent l'église soient fermes et solides, si l'on ne veut point que leur faiblesse entraîne la ruine de l'édifice tout entier.

Suit la transcription des lettres de l'archevêque de Sens. Puis, le pape reprend la parole en ces termes :

Ad hoee, auctoritate apostolica De plus, en vertu de notre autoconstituimus ut quascunque pos- rite apostolique, nous ordonnons

(1) L'original de cette bulle n'existant plus dans les papiers de Flotin, le texte qu'on donne ici est celui d'une copie déposée aux archives de l'Yonne. Dom Morin (Hist. du Gast., 291) lit ainsi cette dernière phrase : a... quod de priori anno minime duximus confirmandum, quia et rationi contrarium est et sacris obviât institutis... » « sauf les points que, dès le premier abord, nous avons cru ne devoir nullement confirmer, car ils vont contre la raison et violent les principes sacrés. » A qui s'en rapporter?,.. Y aurait-il eu interpolation dans la copie, ou plutôt dom Morin ne s'est-il pas trompé une fois de plus ?


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sessiones, quecunque bona eadem Ecclesia in presens tempus juste et canonice possidet aut in futurum concessione pontificum, largitione regum vel principum, oblatione fidelium seu aliis justis modis, prestante Domino, poteritis adipisci, firma vobis vestrisque successoribus et illibata permaneant. In quibus hec propriis duximus exprimenda vocabulis : Rerveum de Castellione djecimam de la Narville et iractum (1) per singulos annos (2) ; duos etiam partes décime de Monteleardo et vineas quas habetis in clauso de Montbleux ; semi-arpentum vince apud Chaloereth; quartam partent, décime de Fratevilla et duos tractus ; quartam partem décime de Yarennis et quartum tractum (3) ; decimam in terra Buchardi Gononiis que est apud Infermitum (4) et ipsius décime tractum ; modium unum frumenti ex dono Helisandis (S) quondam comitisse de Joniaco in grangia de Amiliaco annuatim percipiendum: in clauso Nobilis Viri Gilonis de Soliaco modium vini vobis singulis annis confeque

confeque les biens et toutes le possessions dont un titre juste et canonique vous a précédemment investis, ou dont, dans l'avenir, les concessions des pontifes, les largesses des rois et des princes, les offrandes des fidèles ou tous autres justes moyens pourront, avec l'aide de Dieu, vous enrichir, que tous ces biens restent intacts et sans discussion dans vos mains, et celles de vos successeurs. Nous avons voulu les nommer ici expressément : donné par Hervé de Châtillon ; les dîmes et redîme (1) annuelles de la Narville (2) ; et aussi deux portions de la dîme de Montliard, et vos vignes du clos de Montboui (?) ; un demi-arpent de vigne à Challette (?) ; le quart de la dîme de Fréville, et deux redîmes ; le quart de la dîme de Varennes, et le quart de la redîme (3); la dîme de la terre de Bouchard-Gonon à l'Enfernier (4) et la redîme ; donné par feue Elisande, comtesse de Joigny (5) sur sa ferme d'Amilly : un muid annuel de froment ; un muid de vin à percevoir tous les ans sur le clos de Noble Homme Giles de Sully ; à Saint-Loup un cens de

(1) Redîme, impôt de la dîme, de la dixième partie, perçu sur la dime ellemême.

(2) Cité par Ducange : Gloss. v° tractus décime.

(3) Cette donation d'Hervé de Châtillon avait déjà été confirmée par l'archevêque en 1178 : Hervé y avait ajouté un muid de vin.

(4) Il paraît y avoir eu une localité de ce nom à Saint-Sauveur.

(5) Elisande de Courtenay, femme de Guillaume, 2" comte de Joigny.


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rendwm ; apud Sanctum Lupum censum duodecim denariorum ; apud Boenas, ex dono Eugonis Godar (i) quidquid census habuit ibi; ex dono Roberti Chivillas et uxoris ejus domum cum toto supellectili, que est apud Boscumcommunem, et vineas eorum que sunt apud Sanctum Lupum et apud Chesnetum, necnon et cetera que ab eis sunt ecclesie vestre per devotionem collata ; grangias de Lanervilla libéras ab omni censu ; grangiam de Monteleardo ; grangiam de Fraville ; et pratum apud Nancretum ex dono Gerardi cognomine Usurarii ; ex dono Pontii militis de Sosiaco (%) quidquid census habebat in allodio Chàlereth ; decimam panis et vini quod expenditur apud Boscumcommunem quotiens rex et regina insimul, vel unus sine altero, ibi hospitatur, quam utique decimam, recolende memorie Ludovicus (3) illuster Francorum rex, vobis contulit in eleemosynam, sigilli sui munimine roboratam (4). Sane novalium vestrorum que propriis manibus vel sumptibus colligitis, sive de instrumentis vestrorum animalium, nullus a vobis décimas exigere vel extorquere présumai.

douze deniers ; à Boines, la eensive de Hugues Godar (1), donnée par lui ; donné par Robert Chevillas et sa femme : une maison toute meublée, sise à Boiscommun, et leurs vignobles de Saint-Loup et du Chesne, et tous les autres bienfaits que votre église tient de la dévotion des mêmes donateurs : les Fermes de la Nerville, quittes de tout cens , la ferme de Montliard , la ferme de Fréville ; et un' pré à Nancray, donné par Girard, dit l'Usurier ; donné par Ponce de Soisy (2), chevalier : sa eensive de l'alleu de Chalette ; la dîme du pain et du vin dépensés â Boiscommun lorsque le roi et la reine, ensemble ou séparément y viennent, séjourner, dîme que vous a donnée en aumône, sous la garantie de son sceau, Louis (3), roi de France, d'illustre mémoire (4). Que personne n'ose exiger de vous des dîmes régulières ou extraordinaires, à raison des produits que vous recueillez par vos propres mains, ou à vos frais, ou par vos animaux.

(1) Hugues Godard, gentilhomme de la cour des Seigneurs de Courtenay.

(2) Soisy, actuellement Bellegarde. En 1124, un seigneur de Soisy, Guillaume, avait déjà donné l'église de ce lieu à l'abbé de Saint-Jean, de Sens, qui en avait fait Un prieuré.

(3) Louis VII qui.venait de mourir.

(4) Ce n'était point un privilège oiseux. Jusqu'à la fin du xv« siècle, la ehatellenie


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Preterea liceat vobis clericos et laicos e seculo fugientes, libéras et absolûtes, ad conversionem vestram recipere, et eos sine contradictione aliqua retinere prohibemus.Insuper et nulli fratrum vestrorum, post factam in eodem loco professionem, nisi obstentu arctioris religionis, sine sui superioris licentia fas sit ab eodem loco discedere ; discedentem vero absque communium litterarum cautione nullus audeat retinere. Sepulturam quoque ipsius loci liberam esse decrevimus (1) ut eorum, devotioni et extrême voluntati qui se illic sepeliri delïberaverint, nisi forte excommunicati vel interdicti sint, nullus obsistat, salva tamen justicia illorum et ecclesiarum a quibus mortuorum corpora assumuntur. Cum autem générale interdictum fuerit terre (%), liceat vobis, clausis januis, exclusis excommunicatis et interdictis, non pulsatis campanis, suppressa voce, divinum officium celebrare.

Nous vous permettons aussi de recevoir sous votre règle les clercs et laïques dégoûtés du monde, et libres d'ailleurs de tout autre lien, et nous défendons qu'on les retienne sans motif. De plus, aucun de vos frères, une fois ses voeux prononcés à Flotin, ne pourra en sortir sans la permission de son prieur, à moins qu'il ne soit entraîné par les attraits d'une vie plus sévère ; et si l'un d'eux quittait la maison sans être muni de l'autorisation ordinaire, qu'aucun monastère n'ose le garder. Nous avons encore décidé que le prieuré aurait le droit de recevoir librement les sépultures, (1) de manière que nul ne puisse s'opposer aux dernières volontés, et au pieux dessein des personnes qui auraient résolu de s'y faire ensevelir, à moins qu'elles ne soient excommuniées ou interdites, et sauf le droit de ceux et des églises qui reçoivent les dépouilles des morts. En cas d'interdit général (2), vous pourrez, les portes closes, à l'excluroyale

l'excluroyale Boiscommun abrita souvent les rois de France qu'attiraient les plaisirs de la chasse. Du reste, ce genre de donation était très-fréquent. Ainsi Philippe-Auguste étant venu en 1184 à Vitry-aux-Loges donne un tiers de la dîme du pain et du vin dépensés pendant son séjour, aux religieuses de Valprofond ; un autre aux frères de Chappes-en-Bois. Des fondations semblables existaient pour Lorris et Châteauneuf.

(1) Faculté importante, qui augmentait l'influence d'un couvent et lui valait d'abondantes aumônes. — H semble qu'aucun des premiers bienfaiteurs de Flotin n'ait profité de la permission donnée par le pape : peut-être ne furent-ils pas enterrés à Flotin, parce que l'église n'était point construite ; ou peut-être, ce qui paraît plus probable, leurs tombeaux existaient-ils dans les cloîtres ou ailleurs, mais sans inscription comme il arrivait souvent au xne siècle.

(2) On était alors au temps des querelles des papes avec Louis VII et PhilippeAuguste.


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Paci quoque et tranquillitati vestre patema sollicitudine providere volentes auctoritate apostolica prohibemus ut infra clausuras locorum seu grangiarum vestrorum, nullus violentiam vel rapinam sive furtum committere, aut ignem apponere, seu hominem capere vel interficere audeat. Decernimus ergo ut nulli omnino hominum liceat prefatam ecclesiam temere perturbare aut ejus possessiones auferre vel ablatas retinere, arripere seu quibuslibet vexationibus fatigare, sed omnia intégra et illibata serventur eorum pro quorum gubematione ae sustentatione concessa sunt usibus omnimodis profutura : salva Sedis auctoritate Apostolice, prefati archiepiscopi canonica justifia, et ecclesie sancti Johannis débita reverentia. Si qua ergo in futurum ecclesiastica secularisve persona hanc nostram constitutionis paginam sciens, contra eam temere venire tentaverit, secundo tertiove commonita, nisi reatum suum digna satisfactione correxerit, potestatis honorisque sui dignitate careat, reumque se divino judicio existere de perpetrata iniquitate cognoscat et a sacratissimo corpore Dei et Domini Redemptoris nostri Jesu Christi aliéna fiât, itaque in extremo examine districte ultioni subjaceat. Cunctis autem eidem loco sua jura servantibus sitpax Domini nostri Jesu Christi,

sion de tous excommuniés et interdits, sans cloches ni chants, célébrer l'office divin. Voulant aussi dans notre paternelle sollicitude assurer votre paix et votre tranquillité, en vertu de notre autorité apostolique nous défendons que, dans l'enceinte de votre prieuré et de ses dépendances, l'on ait l'audace de se livrer à des violences, des dépradations ou des rapines, ou de mettre le feu, ou d'arrêter un homme ou de le tuer. Nous voulons donc que personne, absolument ne se permette de troubler témérairement votre monastère, de soustraire ses biens ou de garder ses biens soustraits, de les saisir par violence, ou de se livrer contre eux à des actes attentatoires : tous ces biens doivent rester dans la possession pleine et entière de ceux pour l'aide et le soutien de qui ils ont été donnés, et qui peuvent en user comme il leur plaira : sauf l'autorité du Saint-Siège, la justice canonique dudit archevêque, et le respect du au monastère de Saint-Jean. Si donc, dans l'avenir, quelqu'un, clerc ou laïque, osait essayer de venir sciemment à rencontre de cet acte de règlement, et si, après deux ou trois avertissements, il ne réparait pas son erreur par une satisfaction convenable, qu'il soit dépouillé de son pouvoir et de ses honneurs, qu'il sache bien que son iniquité le rend coupable au jugement de Dieu, qu'il soit éloigné du très-saint corps de notre Dieu


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quatenus et hic fructum bone actionis percipiant, et apud districtum judicem premia eterne pacis inveniant.

et Seigneur, notre Rédempteur Jésus-Christ, et qu'ainsi à l'instant suprême, la vengeance rigoureuse fonde sur lui. Mais que la paix de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec tous ceux qui, à Flotin, garderont ses lois, qu'ils y recueillent les fruits d'une sage conduite, et qu'auprès du grand juge irrité, ils trouvent les récompenses de l'éternelle paix.

(Cercles concentriques).

Sanctus Petrus, Sanctus Pau- Saint Pierre, Saint Paul: Alexanlus : Alexander, papa, tertius. dre, pape, 3e du nom.

Avec la devise :

o Demonstra mihi vias tuas, « Montrez-moi, Seigneur, vos domine. » sentiers ! »

Et les signatures :

Ego Alexander catholice ecclesie episcopus, subscripsi.

Ego Bubaldus Hostiensis episcopus, subscripsi.

Ego Petrus cardinalis tituli sancte Rufine presbyter, subscripsi.

Ego Petrus presbyter cardinalis tituli Sancte Susanne, subscripsi.

Ego Vivianus presbyter cardinalis tituli sancti Stephani in Celio Monte, subscripsi.

Ego Contius presbyter cardinalis tituli Sancte Cecilie, subscripsi.

Je, Alexandre, évêque de l'église catholique, ai signé.

Je, Hubald, évêque d'Ostie, ai signé.

Je, Pierre, cardinal-prêtre, du titre de Sainte-Rufine, ai signé.

Je, Pierre, cardinal-prêtre du titre de Sainte-Suzanne, ai signé.

Je, Vivien, cardinal-prêtre du titre de Saint-Etienne, in Celio Monte, ai signé.

Je, Conti, cardinal-prêtro du titre de Sainte-Cécile, ai signé.

T. XII.


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Ego Hugo, presbyter cardinalis tituli Sancti démentis, subscripsi.

Ego Harduinus, presbyter cardinalis tituli Sancte Crucis in Jérusalem, subscripsi.

Ego Matheus, presbyter cardinalis tituli sancti Marcelli, subscripsi.

Ego Labiraus, presbyter cardinalis Sancte Marie in Trans-Tyberim, ecclesie Calixte, subscripsi.

Ego Jacinthus, sancte Marie in Cosmedin diaconus cardinalis, subscripsi.

Ego Gratianus, Sanctorum Cosme et Damiani diaconus cardinalis, subscripsi.

Ego Rainerius, diaconus cardinalis Sancti Georgii ad vélum aureum, subscripsi.

Ego Joannes diaconus cardinalis Sancti Angeli, subscripsi.

Ego Rainerius, diaconus cardinalis sancti Adriani, subscripsi.

Ego Matheus Sancte Marie Nove diaconus cardinalis, subscripsi.

Je, Hugues, cardinal-prêtre du titre de Saint-Clément, ai signé.

Je, Hardouin, cardinal-prêtre du titre de Sainte-Croix, in Jérusalem, ai signé.

Je, Mathieu, cardinal-prêtre, du titre de Saint-Marcel, ai signé.

Je, Labirans, cardinal-prêtre de Sainte-Marie, Transtibérine , de l'église de Calixte, ai signé.

Je, Hyacinthe, cardinal-diacre de Sainte-Marie In Cosmedine, ai signé.

Je, Gratien, cardinal-diacre des Saints Cosme et Damien, ai signé.

Je, Régnier, cardinal-diacre de Saint-Georges, ad vélum, aureum, ai signé.

Je, Jean, cardinal-diacre de Saint-Ange (in foro piscum), ai signé.

Je, Régnier, cardinal-diacre de Saint-Adrien, ai signé.

Je, Mathieu, cardinal-diacre de Sainte-Marie-la-Nouvelle, ai signé.

Datum Tusculis per manum Alberti Sancte Romane Ecclesie presbyteri cardinalis et concellarii, sexto idus martii, indictione quarta décima, incarnationis dominice anno MCLXXX", pontificatus vero domini Alexandripape tertii vicesimo secundo.

Donné à Frascati, par la main d'Albert, cardinal-prêtre et chancelier de la sainte Eglise romaine, le 6 des ides de mars, XIVe indiction, la 1180e année de l'Incarnation, la 22e du pontificat de Notre Seigneur Alexandre, pape, 3e du nom.


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La lettre de Guy des Noyers et la bulle d'Alexandre III, datées toutes deux de l'an 1180, garantirent définitivement l'existence du nouveau prieuré, et le constituèrent en le consacrant.

Enfin Guillaume avait triomphé ; enfin il voyait réalisé l'objet de ses méditations et de ses efforts, il voyait, rangés sous sa règle sévère, de nombreux religieux vivre dans un cloître digne d'eux. Il ne devait pas jouir longtemps de son succès. L'oeuvre à peine achevée, celui qui en avait été l'artisan disparut.

Guillaume mourut peu après, en 1180 (1), dans un âge avancé. On l'enterra au côté droit du grand autel (2). Sur sa tombe fut gravée une simple crosse, avec cette inscription tout autour :

a Hicjacet Guillelmus, primum miles, deinde abbas sancti Johannis Senonensis, qui postea secessit ad Flotanum, fundator isiius loci : cujus merilis et sanctitate multa bénéficia Dominus loco Mi contulit, ibique. miraculis coruscans, gloriose vitam finivit in. Domino. Obiit MCLXXX (3). *

Plus tard, la fouille des fondations d'un mur qui séparait le choeur de la nef força d'ouvrir son tombeau, et de replacer ses restes à gauche de la porte du choeur.

Les ossements étaient étendus avec quatre vases de

(1) Vieux style, ce qui doit correspondre aux premiers mois de 1181.

(2) Ce qui semblerait indiquer que le choeur était construit bien avant le reste de l'église.

(3) « Cy gît Guillaume, d'abord chevalier, puis abbé de Saint-Jean de Sens : dans la suite il se retira à Flotin dont il devint le fondateur ; ses mérites et sa sainteté furent pour ce monastère une source abondante de faveurs célestes : et, après d'éclatants miracles, il y finit glorieusement sa vie dans le Seigneur. Il mourut en 1180. »


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terre aux deux extrémités (1) ; ces vases avaient probablement servi à mettre de l'encens ou de l'eau bénite suivant l'usage; du reste, aucun insigne, aucune marque de dignité. C'est ainsi que s'endormit dans son humilité le saint chevalier, le pénitent énergique, '<c l'homme des miracles ; » c'est ainsi que, pendant des siècles, au milieu de ce Flotin qu'il avait tant aimé et sur lequel « sa vertu avait attiré tant de bénédictions, » il reposa, muet témoin de toutes les révolutions et de toutes les vicissitudes qui vinrent successivement éprouver son oeuvre : c'est là que, pour emprunter le langage d'un personnage célèbre,

Erliegt begraben .

An einer wohlgeweihten Statte Zum ewig kulen Ruhebette (2).

Une éternité ! non. Y a-t-il une éternité partout où peut passer la main des hommes ?

Guillaume n'était plus, mais son oeuvre lui survécut, et s'éleva après lui à un assez haut degré de prospérité.

Hugues, le donateur de Flotin, fut élu prieur. On ignore la durée de son gouvernement, et l'époque précise de sa mort. Toujours est-il qu'il perpétua les traditions du maître, et qu'il réussit à se concilier l'affection de ses religieux, comme le montre son épitaphe brève mais éloquente. On l'enterra dans le chapitre, tout auprès de la place priorale. Sa tombe, sans aucune représentation ni aucun emblème, porte seulement ces mots : — dans le haut: « Hic jacet Hugo, prior de Flotano » (3), et au

(1) Garcement de Fontaines.

(2) « Ensevelis dans une terre particulièrement bénie, il est étendu sur la couche de repos glacée pour une éternité. » C'est Méphistophélès qui parle ainsi (GOETHË, Faust).

(3) Cy gît Hugues, prieur de Flotin.


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milieu : « Rie jacet Hugo, bonus Flotani paier atque prior cujus sunt doni hec loca plena. » (1). Cette simple expression a bonus Flotani pater » ne laisse rien à désirer pour son éloge.

Le troisième prieur fut sans doute un certain Jean, dont on voyait le tombeau dans le cloître. Entre deux roses de fleurs-de-lys se trouvait figuré un personnage en aube et en chasuble, tenant un livre à la main, le livre de la règle (2). Il s'agit donc bien ici d'un homme qui a pris une part active au gouvernement. Son épitaphe en vers léonins, et d'un goût bien différent de la précédente, nous l'apprend aussi en ces termes :

Ista sepulturam demonstrat petra Johannis,

Qui gessit curam sub Guillelmo (3) pluribus annis.

Non nomen sine re Deus huic permisit habere.

Nam juxta nomen gratum sibi prebuit omen :

Vir prudens, humilis, patrie patronus, egenis

Compatiens, castus corpore, corde pius.

Anno milleno bis centum ter duodeno

Tum cinis in cineres conversus Adoi patris hères (4).

(1) « Cy gît Hugues, le bon père et prieur de Flotin, et le donateur de tous ces lieux. »

(2) Que l'on présentait aux prieurs et abbés le jour de leur installation en signe d'autorité.

(3) Garcement de Fontaines qui rapporte ainsi cette épitaphe, conclut du second vers que ce Jean avait été sous-prieur du temps de Guillaume. La date de sa mort (1236) peut en faire douter. D'ailleurs, l'authenticité des mots « sub Guillelmo » est-elle bien positive ? et ne faudrait-il pas plutôt lire : « curam Guillelmi » . ce qui rétablirait la mesure du vers, et signifierait simplement que Jean fut un des successeurs de Guillaume, c'est-à-dire fut prieur? D'après cette date de 1236, il parait avoir été le troisième.

(4) « Cette pierre marque la sépulture de Jean, qui pendant un certain nombre d'années, supporta les soucis du gouvernement de Guillaume. Il ne reçut pas de Dieu son nom sans la vertu qui y correspond ;


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4° Renaud, prieur, figure dans un acte de juillet 1242 (1).

Après lui, Guillaume II en mars 1245 (2) reçoit, comme prieur, une donation faite par Geoffroy de la Chapelle, panetier de France à N.-D. de Flotin.

Enfin en 1347, Henry, seigneur de Montaigu (3), nomme parmi ses exécuteurs testamentaires, Merry, prieur de Flotin (4).

Les premières années du xnie siècle virent s'élever l'église de Flotin. Voici un acte de novembre 1202, par lequel le prieur et les religieux reconnaissent avoir reçu du roi Philippe-Auguste la permission de vendre leurs bois pour bâtir leur église :

« Ego, prior de Flotans, et fratres ejusdem loci notum facimus presentibus et futuris quod dominus rex Francorum concessit nobis quod nos venderemus nemus nostrum quod est circa domum nostram, ad, faciendam ecclesiam nostram ; tali conditione quod, de cetera, non poterimus vendere predictum nemus ullo

ce nom fut pour lui d'un heureux présage : personnage plein de prudence, d'humilité, soutien de sa patrie, compatissant pour l'indigence, au corps chaste, au coeur pieux. C'est en l'an douze cent trente-six que, poussière, retomba en poussière, l'héritier de notre père Adam. »

(1) Acte de cession de dîme faite au chapitre de Sens, qui commence ainsi : « Frater Regnaudus, humilis prior de Flottano, totusque ejusdem loci conventus » ('GARCEM.J

(2) Ou 1246, dans le style actuel.

(3) Le dernier prince de cette branche de la maison de Bourgogne.

(4) Ex testamento Henrici, domini Montisacuti (in fine) «.... executores facit et ordinat vener. in Christo patrem, dominum Egidium de Pailly, abbatem S. Johannis de Senonis, dominum Mederium, priorem de Flatain (sic)... » etc. (A. Du CHESNE, Hist. gênêal. des ducs de Bourgogne.)


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modo absque mandato domini régis. Actum anno Domini millesimo ducentesimo secundo, mense novembre » (1).

Le reste des bâtiments fut sans doute achevé vers cette époque. Autant qu'on peut en juger, le plan de Flotin était celui de toutes les abbayes et des prieurés importants des xne et xnie siècles. L'église, orientée, forme le centre. D'un côté, elle donne sur la cour d'entrée où se trouvent le grand portail, le logis du portier et les communs les plus importants ; de l'autre, sur la cour intérieure entourée des cloîtres et des bâtiments.

Le corps de logis le plus ancien, situé à l'est, entre le préau intérieur et le jardin, renfermait, au rez-de-chaussée, la cuisine transformée plus tard en écurie, la salle capitulaire et un grand escalier en pierres par lequel on montait du cloître au premier étage, où l'on trouvait le dortoir, long de sept toises, plusieurs cellules et la chambre du prieur au pignon occidental ; le second étage ne se composait que d'un grand grenier en mansarde, long de soixante-dix toises.

Le bâtiment du midi, parallèle à l'église, contenait une chambre et une salle haute à laquelle on accédait par une belle galerie de douze toises.

Enfin s'élevaient sans doute à l'ouest le réfectoire, les chambres des hôtes, et divers communs, tels que le bûcher, offices,... etc., — le tout ceint d'une muraille

(1) « Je, prieur de Flotin, et les frères dudit lieu faisons savoir à tous présents et à venir que notre seigneur le roi de France nous a octroyé de vendre notre bois qui entoure notre demeure, afin de construire notre église, sous la condition toutefois que désormais nous ne pourrons en aucune manière vendre ce susdit bois sans le commandement de notre seigneur le roi. Fait l'an du Seigneur 1202, au mois de novembre. » (Arch. de l'Empire. Tr. des ch.)


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crénelée. De plus, le prieuré était protégé à l'est et à l'ouest par les deux étangs, au midi par un large fossé qui les joignait, au nord par la vallée qui ne formait guère qu'un vaste lac. Et de toutes parts s'étendaient des forêts immenses. Mais plus encore que par l'étendue de ces constructions, la prospérité de Flotin est attestée par le nombre des seigneurs qui voulurent se faire enterrer dans l'enceinte de sa chapelle, par la libéralité des papes et des particuliers à son égard, et par la multiplicité des rejetons que poussa dès les premières années cette plante « plantacio novella » si pleine de jeunesse et de sève.

L'église renfermait environ trente tombeaux relatifs presque tous à la période du xme siècle. Les historiographes de Flotin n'en citent que vingt-deux, les autres ayant été détruits, ou trop rapidement effacés par la main du temps, ou même n'ayant jamais peut-être porté d'inscription.

Au fond du choeur, derrière le grand autel, se trouvait une tombe de sept pieds de long : elle représente (1) un chevalier, revêtu d'une assez longue tunique et l'épée au côté, sous ses pieds rampe, selon l'usage, un lévrier, symbole d'attachement fidèle, et tout autour est écrit :

« Ici gist monseigneur Jehan Daunoi (S) chevallier qui tressepassa l'an MCCCXVIII la semeine de la Purification de Nostre Dame (3). Pries Dieu pour le repos de son âme. »

Devant l'autel, au milieu du choeur, au pied du lutrin était une grande pierre, portant simplement une large croix, avec ces mots :

(1) Elle existe encore à Flotin.

(2) Jean (de Bussy) seigneur d'Aulnay-la-Rivière, près Pithiviers.

(3) C'est-à-dire du 2 au 9 février 1319.


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« Cy gît Robert de Meules qui mort l'an de grâce MCCLXXII le lendemain de la Magdeleine (1). Dieu ait mercy de son âme. »

Sous la clôture du choeur reposait, comme nous l'avons dit, Guillaume, le fondateur de Flotin. — En bas de cette même clôture, aux pieds du grand crucifix, était la sépulture de Jean, seigneur de Souppes :

c Anno dei M0CC°L0VIII° obiit John de Souppes, miles— Hic jacet Johannes de Souppes, anno domini millesimo ducentesimo quinquagesimo octavo qui vitam finivil (2). -o

Descendant dans la nef, on voyait à droite l'autel de saint Fiacre, à gauche l'autel de saint Jean, —deux saints qui étaient en vénération particulière à Flotin : saint Jean comme patron de la métropole, saint Fiacre comme modèle des solitaires.

Sur une tombe placée vis-à-vis de l'autel de saint Fiacre, était figuré un religieux en aube et en chape, tenant d'une main un livre, et de l'autre un bâton cantoral terminé par une pomme ; avec cette légende :

a Hic jacet magister Henricus de Boscocomjnuni, quondam cantor (3). »

Au-dessous, du côté de la muraille, se trouvait un chevalier, entouré de cette inscription :

(1) 23 juillet 1272.

(2) « L'an du seigneur 1258 est mort Jean de Souppes, chevalier. — Cy gît Jean de Souppes qui termina sa vie en l'an mil deux cent cinquante-huit. »

(3) t< Cy gît maître Henri de Boiscommun, ancien chantre. » Trèsprobablement chantre de Saint-Jean de Sens. Le chantre d'un chapitre était au moyen-âge un personnage important : chargé de tout ce qui avait rapport à la liturgie, maître des cérémonies, inspecteur des écoles primaires, etc.


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te Ici gist monseigneur Geoffroy Pocquaire, chevalier, qui trespassa l'an de grâce MCCCVI au mois de décembre, le samedy après Noël (1). Prié Dieu pour l'âme de luy. »

Sur son écu est une quinte feuille avec une cotice.

Et à côté, l'on voyait une dame avec ces mots :

te Cy gist Madame Pièrelle, la dame de la Grange, jadis la femme de Monseigneur Geoffroy Pocquaire, chevalier, qui trespassa l'an de grâce MCCCXXVI, la veille de la Sainct Lorent (2). Priés Dieu pour l'âme de ly. Que Dieu mercy l'y fasse. Amen. »

Plus bas encore dans la nef, se trouvaient deux tombes de la famille des seigneurs de Manchecourt, près Pithiviers.

La première, du côté de la muraille, portait simplement un grand écusson gironné de six pièces, et à sa partie supérieure cette inscription :

» Hic jacet Philippus de Majori Curia, miles (3). »

A côté était un chevalier en habit militaire, autour on lisait :

« Hic jacet Guillelmus de Majori Curia quondam miles, cujus anima requiescat in pace. Amen. Qui obiit anno domini M°CC0LX0I° in festo sancti Bricii, secundo idus novembris (4). »

(1) Le 31 décembre.

(2) MCCCXXIII selon une autre lecture — le 9 août.

(3) « Cy gît Philippe de Manchecourt, chevalier. »

(4) « Cy gît Guillaume de Manchecourt, ancien chevalier, dont puisse l'âme reposer en paix ! ainsi soit-il! Il mourut l'an du Seigneur 1261, le jour de la saint Brice, deuxième des ides de novembre » (12 novembre) : la fête de Aaint Brice se célébrait le 13, c'est-à-dire le jour même des ides. Il y a donc là une erreur chronologique.


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Non loin sans doute de ces tombes, il s'en trouvait une troisième représentant une dame avec l'écusson de Manchecourt près de la tête : et tout autour une inscription dont on n'a pu déchiffer que le chiffre MCCLXI, et ces mots et qui mourut... »

En descendant du choeur vers le côté gauche de la nef, le côté par où l'on entrait dans les cloîtres, plus bas que l'autel de saint Jean, vers le milieu ^de l'église, on voyait les sépultures de la famille de Tournel (appelée aussi Ternel ou Terneau), famille alors considérable (1).

D'abord se présentaient trois tombés : celle qui joignait la muraille portait l'image d'une dame ayant en tête la couronne comtale : de là, grande stupéfaction de dom Morin, le naïf chroniqueur du Gâtinais, qui s'écrie que quelques-unes sont couronnées, ce qui montre évidemment que ce sont des et roynes ! » (2) L'épitaphe est

ainsi conçue :

et Hic jacet Margareta quondam uxor domini Guillelmi militis de Torneello. Ave Maria (3). »

(1) Deux de ses membres se sont particulièrement fait connaître à cette époque. Giles de Tournel, chevalier, était l'un des principaux seigneurs de la cour de Pierre de France-Courtenay, frère de Louis VII. Giles figure à cette cour dans des donations de 1170 et 1179, et dans les chartes de coutumes de Montargis en 1170, et de Bois-le-Roy en 1171.) En 1182, il échange ses censives de Varennes pour divers biens situés à Ecrennes. Pierre de Courtenay étant parti pour la croisade, Giles passa à la cour de Henri, comte palatin de Troyes (où on le trouve dans une charte de 1187.)

Guillaume de Tournel e< marescallus » maréchal, cadet de la même famille, paraît dans un acte de Philippe-Auguste passé à Paris en 1220, auquel est suspendu son sceau armoriai.

Gilles de Tournel, l'un des personnages enterrés dans la chapelle, était au xme siècle, propriétaire de nombreux et importants péages en Gâtinais. V. Olim., L, 107.

(2) Page 289.

(3) « Ci gît Marguerite, femme de feu messire Guillaume de Tournel, chevalier. Ave Maria. »


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Autour de la tombe voisine est écrit :

te Cy gît Guillaume de Torneel, chevalier. Dex ait mercy et pitié de l'âme de ly. Ave Maria. »

Son écusson porte les armes pleines de Tournel (1).

A côté de Guillaume, était représenté dans ses habits militaires Simon de Tournel, avec deux écussons aux mêmes armes près de sa tête :

« Ici gist messire Simon de Tournelles. Dieu luy face mercy. »

Au-dessous de ces tombes, s'en trouvent deux autres. La première du côté du mur nous montre un ecclésiastique avec l'habit de diacre, et la couronne monacale. En haut, on lit : et anno domini MaCG°LXaH'' obiit dominus Gilo canonicus et archidiaconus Senonensis : anima ejus requiescat in pace. Amen (2). » Et tout autour, sont gravés ces dystiques léonins :

Hic Gilo depositus (3) felici fine potitus. Mundanos strepitus transiit emeritus.

Archidiaconio perfunctus niunere

Immunis vitio prmfuit officio

contemnere fastum.

Atque gulce pastum, sic vincere doemonis astum (4).

Cette épitaphe témoigne de la vie sévère que menait Giles de Tournel (5).

(1) Une croix recercelée.

(2) « L'an du seigneur 1262 mourut messire Giles, chanoine et archidiacre de Sens : que son âme repose en paix. Amen. »

(3) On a lu deposuit, mais à tort.

(4) et Giles qui repose ici après une heureuse fin, franchit plein de mérites, les tumultes du monde : il s'acquitta des fonctions d'archidiacre et, sans qu'on lui connût de vice, il sut remplir son devoir....

mépriser le faste, les jouissances de la bouche, et triompher ainsi des ruses du démon. »

(5) Garcement de Fontaines en conclut, sans .aucune apparence de


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Avec lui, était enseveli Philippe de Tournel, son frère, à qui, durant toute sa vie, une affection particulière et une parfaite conformité de vues l'avaient uni. La pierre tombale représentait Philippe revêtu d'une longue robe, et son écu placé près de sa tête. La position de cetécu, la privation de tout ornement militaire montrent, suivant les usages de la chevalerie, que le défunt avait avant sa mort abandonné la carrière des armes, qui paraît du reste lui avoir fourni plus d'occasions de déployer son courage dans l'adversité que sa magnanimité dans la victoire. C'est du moins ce que semblent indiquer ces abominables vers, curieux échantillon de la poésie latine qui florissait au xm 6 siècle, et oeuvre, sans nul doute, de quelque bel esprit à qui la retraite n'avait malheureusement pas fait perdre le goût des lettres :

Miles ibipictus ad mortem pertulit ictus, Dire conflictus non desperans neque victus. Laudens decessit Christum, cunctis nota res sit: Nomine Philip, memor, oro, sis, Christe, sui, pus (1). . Hoeret levitoe miles qui, tempore vitce Omnis, ad acta Dei semper adhoesit ei (2).

raison, qu'il s'était retiré à Flotin pour y passer le reste de ses jours. Au contraire, l'ancien nécrologe de la cathédrale de Sens consigna sa mort en ces termes : et Obiit Gilo de Tomeello, archidiaconus Senonensis » (ce qui montre qu'il resta archidiacre jusqu'à la fin de sa vie) — et celle de son frère ainsi : te Obiit Philippus de Tomeello frater quondam archidiaconi Senonensis. »

(1) Telle est la lecture de Garcement de Fontaines, et autres. Mais pour que ces mots puissent être latins, avoir un sens, et former un vers quelconque, il faudrait les rétablir dans cet ordre :

« Nomine Philippus : memor oro, Christe, sui sis. » Dans tous les cas, la rime léonine n'existe plus.

(2) « Le chevalier dont voici l'image reçut descoupsjusqu'àlamort: blessé grièvement, jamais il ne trembla ni ne s'avoua vaincu : il mourut


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Puissent les religieux de Flotin avoir mieux réussi dans les exercices de piété que dans les ouvrages de poésie !....

En haut de la même tombe était gravée cette légende : « Anno M°CC°LX°IIP obiit Philippus de Tomeello, miles, oui Deus propitielur7 Amen (1). »

En entrant dans le cloître on voyait, auprès d'une des portes de l'église, un chevalier armé en guerre, un seigneur de la Folie (2), cadet de la maison de Manchecourt. A côté de sa tête étaient gravées les armes de Manchecourt, brisées d'un franc quartier ; et tout autour de la tombe se lisaient ces mots :

et Cy gist Jehan de la Folie, jadis ècuier, qui trespassa le jour de la Nostre Dame de septembre (3) MXCCCXXXIV. Priés pour l'âme de luy. »

A l'autre extrémité du cloître, du côté du chapitre, était un chevalier, également revêtu de son habit militaire, et membre de la même famille :

et Cy gist Messire Guillaume, jadis chevalier ei sire de Manjecourt, lequel trespassa l'an de grâce MCCCXVIII la veille Quasimodo (4). Prié Dieu pour son âme, »

Dans le cloître reposait aussi le prieur Jean, et dans le chapitre le prieur Hugues.

Enfin on trouvait épars ces tombeaux :

Une pierre plus étroite aux pieds qu'à la tête et ne poren

poren grâces au Christ : que tous le sachent bien. Son nom était •Philippe: o Christ, souvenez-vous de lui ! Aux côtés du lévite repose le guerrier que, durant toute sa vie, on trouvait aussi à ses côtés chaque fois qu'il s'agissait, de Dieu ! »

(1) « L'an 1263, mourut Philippe de Tournel, chevalier ; que Dieu lui soit propice. Amen. »

(2) Peut-être la Folie-Joinville, près Pithiviers.

(3) Le 8 septembre.

(4) Le 29 avril 1318.


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tant qu'un écusson aux armes de Tournel, avec ces simples mots gravés au-dessus en grands caractères romains : <c Hic jacet Philippus de Tomeello (1). » Cette forme, ces caractères, la brièveté de ces expressions, tout indique la fin du xtf siècle ou le commencement du xnie. Un chevalier avec ces mots :

te Anno Domini M°CC°LX0I° obiit Radulphus de Buxeriis miles (2). »

Une dame revêtue d'un manteau fourré, comme les personnes de distinction. On n'a pu déchiffrer de son épitaphe que ces deux vers, dont le style se rapporte au xme siècle :

Pauperibus victum dédit Ma Mahaut et amictum : Tandem supponi voluit se relligioni (3).

Un chevalier, seigneur de La'Motte (4) :

te Anno ab incamatione Domini M0CC°XL°VIII°, 1°2 halendas septembris, obiit.... de Motâ, miles, cujus anima requiescat inpace. Amen (5). »

<t Cy gist maistre Guillaume Annis, jadis écuyer de Maincourt-Liquais et Crespi, qui trespassa l'an de grâce 1209, la veille sainct Thomas (6). Priés Dieu pour son âme. »

et Hic jacet Johannes de Talliâ : anno M"CC° (7). »

(1) et Ci gît Philippe de Tournel. »

(2) « L'an du Seigneur 1261 mourut Raoul de Bussière, chevalier. »

(3) « Mahaut (Mathilde) donna aux pauvres la nourriture et le vêtement ; à la fin elle voulut se faire l'appui de la religion. »

(4) Sans doute La Motte', à Vitry-aux-Loges.

(5) « L'an de l'incarnation 1248, le 12 des kalendes de septembre (19 août) mourut de La Motte, chevalier, dont puisse l'âme reposer en paix. Amen. »

(6) Le 20 décembre.

(7) « Ci gît Jean de La Taille : l'an 1200. » L'authenticité de cette


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C'est ainsi que le nombre des tombeaux accumulés dans l'église et les cloîtres de Flotin prouve la considération qui entourait alors le prieuré dans son pays : assurément, quoi qu'en dise dom Morin, aucun de ces tombeaux ne porte l'empreinte d'une couronne royale, ni ne révèle ces noms de haut parage qu'attire de loin l'éclat d'une bril- ■ lante réputation ; mais on y lit les noms du pays, les noms des seigneurs voisins du prieuré, voisins souvent peu indulgents et peu commodes, dont la présence dans ce temple atteste l'ascendant exercé par les moines de Flotin, et le respect que commandait leur vie sévère à ceux-là même dont les intérêts étaient le plus directement opposés aux leurs.

L'abondance des donations témoigne aussi en faveur du nouvel Institut. Les Papes eux-mêmes se montrent prodigues à son égard. Dans sa bulle de fondation, Alexandre LH lui avait déjà conféré quelques privilèges.

Voici l'un de ses successeurs, Innocent HI, qui, le 3 septembre 1208, accorde quarante jours d'indulgence à quiconque, remplissant les conditions voulues, visitera l'église de Notre-Dame-de-Flotin aux jours de fête de la Vierge :

Innocentius episcopus, servus servorum Dei, dilectis filiis priori et conventui S. Marice de Flotano, ordinis S. Augustini, Senonensis dioecesis, salutem et apostolicam benedictionem.

Licet is, de cujus munere venit ut sibi a fidelibus suis digne ac laudabiliter serviatur, de abundatiâpietatis sue que mérita suppliInnocent,

suppliInnocent, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos chers fils le prieur et le couvent de Notre-Dame-de-Flotin , ordre de saint Augustin, diocèse de Sens, salut et bénédiction apostolique.

Celui qui seul peut accorder à ses fidèles la grâce de le servir et de l'honorer dignement, par un effet de son inépuisable miséricorde qui

dernière tombe paraît douteuse. Seul, La Chesnaie des Bois la mentionne, et encore est-ce un peu sur la foi de Du Saussay.


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cum concedit, et vota bene servientibus multo majora rétribuât quara valeant promereri, optantes tamen nichilorainus reddere populwn acceptabilem Domino , fidèles Christi ad complacendum ei, quasi quibusdam illectivis prenais , indulgentiis videlicet et remissionibus invitamus ut reddantur exinde divine gratie aptiores, cupientes igitur ut ecclesia vestra, m honore gloriose Marie Yirginis constructa debitis obsequiis frequentetur ; omnibus vere penitentibus et confessis qui ecclesiam ipsam in singulis solemnitatibus ejusdemVirginis annuatim venerabiliter visitarent, de Omnipotentis Dei misericordia et beatorum Pétri et Pauli apostolorum ejus auctoritate confisi quadraginta dies de injuncta sibi penitentia misericorditer relaxaraus.

supplée à leurs mérites , comble encore, il est vrai , les voeux de ses bons serviteurs bien au-delà de ce dont ils sauraient être dignes. Néanmoins, désirant rendre le peuple acceptable au Seigneur, par des récompenses capables, pour ainsi dire, d'allécher, comme des indulgences et des rémissions de peines, nous invitons les fidèles du Christ à s'attacher à lui plaire pour qu'ils se préparent à recevoir d'autant mieux la grâce divine. Voulant donc que votre église élevée en l'honneur de la glorieuse Vierge Marie soit l'objet d'un culte empressé tel qu'elle le mérite : à tous ceux qui, vraiment pénitents et s'étant confessés, visiteront tous les ans avec respect cette église à chaque fête de la Vierge, en vertu de la miséricorde du Dieu toutpuissant et de l'autorité de saint Pierre et saint Paul, ses apôtres, nous voulons bien remettre quarante jours de la pénitence qui leur a été infligée.

Datum AssisiilII nonas septem- Donné à Assise, le tro;s des nones bris, pontificatus ^nostri anno de septembre, la onzième année undecimo (1). de notre pontificat (1).

En 1237, Grégoire IX confirme la donation de plusieurs dîmes et rentes offertes par différents seigneurs '2).

Montant à peine sur le trône, le 11 mai 1254 Alexandre IV confirme la réforme dans le couvent de Flotin.

(1) Arch. de l'Yonne.

(£) L'original ne se trouve point aux archives de l'Yonne.

T. xn.


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Alexander episcopus, servus servorum Dei, dilectissimis filiis priori et conventui ecclesioe de Flotans, ordinis S. Augustini, Senonensis diocesis, salutem et apostolicam benedictionem.

Ex parte vestra fuitpropositum coramnobis quod licet dudum (1) quidam predecessores vestri ac Abbas et conventus ecclesioi S. Johannis Senonensis, ordinis S. Augustini, cui ecclesie prioratus vester subesse dinoscitur, necnon bone memorie Guido Sen. archiepiscopi quedam statuta prêter communem vite formam ipsius ecclesie a vobis observanda ediderint, sub ea conditione ut super statutis ipsis dicti abbas et conventus contra vos vel e converso non possent inquirere seu contravenire, nisi de utriusque partis et ipsius archiepiscopi, expresso ejus nomine, voluntate, fuerintque postmodum per sedem apostolicam, in forma communi, statuta hujusmodi confirmata : vos tamen proinde attendentes quod hec non erant multum proficientia ad salutem, ac, per hoc, salubrius in ecclesia vestra vivere cupientes, accedente bone memorie consensu Gilonis archiepiscopi Senon., et proedicti abbatis unanimiter, statuistis ut, proemissis nequaquam obstantibus, nullus in vestro refectorio usus camium habeatur, sed in infirAlexandre,

infirAlexandre, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos chers fils le prieur et le couvent de l'église de Flotin, ordre de saint Augustin, diocèse de Sens. salut et bénédiction apostolique.

On nous a déclaré de votre part que, depuis longtemps (1), plusieurs de vos prédécesseurs, de concert avec l'abbé et le couvent de l'église de Saint-Jean, ordre de saint Augustin, église dont dépend, dit-on, votre prieuré, et avec Gui, archevêque de Sens, de bonne mémoire, avaient arrêté pour vous des règlements plus sévères que ceux que l'on observe à saint Jean, et l'on avait stipulé que lesdits abbé et couvent ne pourraient, à l'égard de ces règlements, vous inquiéter ni y contrevenir, si ce n'est avec le consentement mutuel des deux parties, et l'autorisation expresse de l'archevêque ; ces règlements ont ensuite été confirmés par le Saint-Siège dans la forme ordinaire. Vous, cependant, considérant que tout cela n'était point d'un grand profit pour le salut, et, à cette cause, désirant mener dans votre couvent une vie plus réellement efficace, avec le consentement unanime de Giles, archevêque de Sens, de bonne mémoire, et dudit abbé, vous avez décidé que , sans tenir compte des règlements antérieurs, vous ne laisseriez point paraître de chair

;i) Il y avait déjà près d'un siècle.


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maria duntaxat, pro fratribus minutis, debilibus et infirmis. In ipso quidem refectorio vestrum collegium, ad instar suce matris ecclesie in jejuniis cibi, et aliis abstinentiis uniformiter se ho.bebit.Aliaquoque statuisse dicimini quoe religionis observantia/m et salutem continent animarum^ prout in litteris inde confectis diciturplenius contineri.

au réfectoire, mais seulement à l'infirmerie, pour les frères alités, faibles et malades ; et dans ce réfectoire vous vous conformerez, selon les règles de votre métropole , aux jeûnes et aux autres abstinences. On dit aussi que vous avez adopté d'autres règlements assurant l'observance de la religion et le salut des âmes, comme il est exposé tout au long, paraîtil, dans les lettres rédigées à ce sujet.

Nos itaque vestris supplicationibus inclinati, ad instar felicis recordationis I. (1), predecessoris nostri, quod a vobis super his pie ac proinde factum est ratura et gratum habentes, illud auctoritate apostolica confirmamus et proesentis scripti patrocinio communimus, venerabilis fratris nostri archiepiscopi Senonensis jure in omnibus salvo,cui per confirmationem hujus modi nolumus prejudicium aliquid generari. Nulli ergo omnino hominum liceat hanc paginant nostre confirmationis infringere vel ei ausu temerario, contra ire; si quis autem hoc attemptare presumpserit, indignationem Omnipotentis Dei et beatorum Pétri et Pauli, apostolorum ejus, se noverit incursurum.

Datum Neapoli, V idus maii, pontificii nostri anno primo.

(1) Sans doute Innocent III.

Nous donc, prêtant l'oreille à vos supplications, à l'exemple de I. (1), pape, notre prédécesseur d'heureuse mémoire, agréant et ratifiant tout ce que votre piété vous a fait faire dans cette voie, nous le confirmons de notre autorité apostolique et le fortifions du témoignage du présent écrit, sauf en tout le droit de notre vénérable frère l'archevêque de Sens, à qui nous entendons que cette confirmation ne puisse nuire en rien. Que nul homme donc ne se permette d'enfreindre la présente concession ni ne soit assez téméraire pour s'y opposer audacieusement. Que si quelqu'un ne craint pas d'y contrevenir, qu'il sache bien qu'il encourt l'indignation du Dieu tout puissant et des bienheureux Pierre et Paul, ses apôtres.

Donné à Naples, le 5 des ides de mai, la première année de notre pontificat.


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Le 1er mars 1289, Nicolas IV accorde au couvent de Flotin la permission de posséder en main-morte les biens apportés par les nouveaux frères, ou reçus par eux depuis leur profession.

Nicolaus episcopus, servus servorum Dei, dilectis filiis priori et conventui monasterii de Flottans, per priorem soliti gubernari, ordinis S. Augustini, Senonensis diocesis , salutem et apostolicam benedictionem. Devotionis vestre precibus annuentes, auctoritate vobis presertim indulgemus ut possessiones et alia bona mobilia et immobilia que personas libéras .fratrum veslrorum, ad monasterium vestrum, mundi vanitate relictâ, convolantium et professionem facientium in eodem, si remansissent in seculo, jure successionis, vel quocumque alio justo titulo contingissent (sic) et ipsi libère potuissent elargiri, feudalibus (1) duntaxat exceptis, recipere ac retinere libère valeatis, sine juris prejudicio alieni. Nulli ergo hominum omnino liceat hanc paginant nostre concessionis infringere, vel ei ausu temerario contra ire. Si quis autem hoc attemptare presumpserit, indignationem Omnipotentis Dei et beatorum Pétri et Pauli apostolorum ejus se noverit incursurum.

Nicolas évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos chers fils le prieur et le couvent du monas'tère de Flotin, gouverné par un prieur, ordre de saint Augustin, diocèse de Sens, salut et bénédiction apostolique. Ecoutant avec faveur les prières de votre dévotion, nous vous concédons par l'autorité des présentes que, pourtoutes les possessions et autres choses, meubles et immeubles, qui par droit de succession ou autre juste titre seraient échues, s'ils fussent restés dans le monde, à ceux de vos frères qui, étant libres et dégoûtés de la vanité du monde, se sont retirés à votre monastère et y font profession, nous vous concédons que tous ces biens dont ils auraient pu librement disposer, vous puissiez les réclamer, les recevoir et les détenir librement, tous, excepté les fiefs (1) et sauf le droit d'autrui. Que nul homme donc ne se permette d'enfreindre la présente concession, ni ne soit assez téméraire pour s'y opposer audacieusement. Que si quelqu'un ne craint pas d'y contrevenir, qu'il sache bien qu'il encourt l'indignation du Dieu tout puissant, et des bienheureux Pierre et Paul, ses apôtres.

(1) Cette restriction semble n'avoir pas été très-fidèlement observée. Le prieuré de Flotin acquit des fiefs en divers lieux, notamment à Corbeilles, comme la prouve un acte d'aveu et dénombrement daté de 1400.


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Datum Rome apud S. Mariam Donné à Rome, au Quirinal, aux Majorent, kalendas martii, ponti- kalendes de mars, la seconde ficatus nostri anno secundo (l). année de notre pontificat (1).

Enfin, une charte de 1295 confirme les quarante jours d'indulgence accordés par Innocent III et en étend considérablement l'application :

Universis sancte matris ecclesie filiis ad quod présentes littere pervenerint : Nos, Dei gratiâ, Henricus Lugdunensis, Bonaventura Ragusinus, Basilius Jerosollimitanus Armenorum, archiepiscopi : Jacobus Acemensis, Andréas Liddensis, Paulus Melfectensis, Lambertus Verlensis, Daniel Laquedoniensis, Hubertus Feretranus, Gerardus Attrebatensis, Armandus Lucerie, Ciprianus Bovensis, Azo Casertensis, Pasqualis Cassanensis, Franciscus Sanensis, Perronus Larinensis, Romanus Croensis, Petrus Sancte Crucis (?) et Curzule, Michael Albanie, et Maurus Ameliensis, eademgratia episcopi, salutem et sinceram in domino caritatem.

Virgo venustissima, et omnium virtutum floribus insignita ; virgo Dei genitrix gloriosa, cujus pv.lcritudinem sol et luna imitantur, cujus precibus delictorum veniam sentit populus christianus, que florem dulcissimum eternum dominum nostrum Jesum Christum ineffabili Spiritus Sancti cooperatione produxit, ob cujus

A tous les fils de notre sainte mère l'Eglise qui les présentes verront, nous, par la grâce de Dieu archevêques, Henri de Lyon, Bonaventure de Raguse, Basile de Jérusalem des Arméniens ; et nous, par la grâce de Dieu évoques Jacques d'Acerno, André de Lidda, Paul d'Amalfi, Lambert de Veroli, Daniel de Lacedogna, Hubert de Feltre, Gérard d'Arras, Armand de Lucera-delli-Pagani, Cyprien de Bova, Azo de Caserte, Pascal de Cassano, François de Sienne, Pierron de Larina, Romain de Croia, Pierre de Sainte-Croix et de la Courzola, Michel d'Albano, et Maur d'Amélia, salut et sincère amour dans le Seigneur.

La vierge la plus belle, décorée des fleurs de toutes les vertus, la vierge glorieuse mère de Dieu dont le soleil et la lune reflètent la beauté, dont les prières obtiennent au peuple chrétien le pardon de ses fautes ; qui, par une ineffable coopération du saint esprit, a porté le fruit le plus doux, notre éternel Seigneur Jésus-Christ ,

(1) Arch^deJ'Yonne,


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revereritiam loca superna ejusdem virginis vocabulo sunt insignita, a Christi fidelibus merito est veneranda, ut, ejus piis adjuti suffragiis, perhennis retributionis premia consequi, mereantur.

Cupientes igitur ut Ecclesia canonicorum Sancte Marie de Flotano ordinis sancti Augustini, Senonensis diocesis, digno honore frequentetur, ut in ipsa a Domino venia delictorum devotius imploreiur : omnibus verepenitentibus et confessis qui ad dictam ecclesiam in festis infra notatis videlicet Naiivatis Domini, Epiphanie, Resurrectionis, Ascensionis, Pentecostes, etprecipue in quatuor sollemnitatibus prefate gloriose Virginis Marie, ejusdem ecclesie patrone, et in festo Omnium Sanctorum, sancti Michaelis Archangeli, sanctorum Johannis Baptiste et Evangeliste, Beatorum Pétri et Pauli, et omnium apostolorum, beatorum Laurencii, Vincenci et Stephani martyrum, sanctorum Nicholai, Augustini, et Martini confessorum, et in festo beatarum Katerine, Margarete et Cicilie virginum, in festo Béate Marie Magdalene, in dedicatione predicte ecclesie, seu altarium ibidem constructorum, et per octavas omnium festivitatumpredictarum octavas habentium, et in singulis diebus quadragesime, et maxime in die veneris, sancta causa devotionis

dont le nom respecté fait l'ornement des régions célestes, doit être l'objet de la vénération des fidèles du Christ, s'ils veulent, avec l'aide de ses pieux suffrages arriver à la récompense des biens éternels.

Désirant donc que l'Eglise des chanoines de Notre-Dame de Flotin, ordre de saint Augustin, diocèse de Sens, soit fréquentée avec tous les honneurs qu'elle mérite, pour que dans son enceinte on demande au Seigneur avec une ferveur plus vive, le pardon de ses fautes ; à tous ceux qui, vraiment pénitents et s'étant confessés, viendront aux jours de fête suivants : à la Noël, à l'Epiphanie, à Pâques, à l'Ascension, à la Pentecôte, et particulièrement aux quatre fêtes solennelles de la bonne vierge Marie patronne de cette église, et aux fêtes de Toussaint, de saint Michel archange, de saint Jean-Baptiste et saint Jean l'Evangéliste, des saints Pierre et Paul et de tous les apôtres, des saints Laurent, Vincent, Etienne, martyrs ; des saints Nicolas, Augustin, Martin, confesseurs ; à la fête des saintes Catherine, Marguerite et Cécile, vierges ; à la sainte Madeleine ; à l'anniversaire de la dédicace de cette église, ou d'un de ses autels ; et durant les octaves de celles de ces fêtes qui ont un octave ; et chaque jour du carême mais surtout le vendredi : à tous ceux donc, qui, aux susdites fêtes,


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et orationis accesserint et ibidem divinum officium seu predicationem Dei dévote ac reverenter audierint, vel qui ad fabricam luminaria, ornamenta, seu aliqua alia necessaria ipsius ecclesie manus porrexerit adjutrices, unde memorate ecclesie status poterit in aliquo meliorari, vel qui, in ultimis voluntatibus, quicquam facultatum suarum legaverint vel donaverint, vel qui legari seu donari fecerint, seu procuraverint ecclesie prelibate, necnon qui in loco prefato sepulturam elegerint sive pro animabus ipsorurii quorum corpora inibi requiescunt humata, et animabus omnium fidelium Orationem Dominicam cum Salutatione Angelica dixerint mente pia : Nos, de omnipotentis Dei misericordia , dulcisque Virginis Marie clementia necnon et beatorum. Pétri et Pauli apostolorum atque omnium Sanctorum meritis et precibus confidentes : quilibet nostrum quadraginta dies de meritis sibi penitenciis dummodo consensus diocesani ad id accesserit, misericorditer in Deo relaxamus. In cujus testimonium rei présentes litteras appensione sigillorum nostrorum duximus roborandas.

Datum Rome, apud Sanctum Petrum, anno domini millesimo ducentesimo nonagesimo quinto, pontificatus domini Bonifacii pape octavi anno primo (1).

viendront dans cette église avec la sainte pensée de satisfaire leur dévotion et de prier, et qui y entendront avec respect et piété le saint office, ou la prédication de la parole de Dieu ; ou à ceux qui aideront activement la fabrique par des présents de luminaire, d'ornements et d'autres objets nécessaires et propres à rehausser l'éclat du culte : ou qui, dans leurs dernières, volontés, donnent ou lèguent,-pu font donner ou léguer, ou donnent par mandat une partie de leurs biens : ou qui ont choisi cette église pour le lieu de leur sépulture : ou qui ont récité dans un esprit de piété l'Oraison dominicale et la Salutation angélique pour les âmes des défunts ensevelis dans le sein de cette terre, et de tous les fidèles en général : Nous, pleins de foi dans la miséricorde du Dieu tout-puissant, dans la clémence de la douce Vierge Marie, ainsi que dans les mérites et les prières des saints apôtres Pierre et Paul et de tous les saints, nous voulons bien leur accorder la remise de quarante jours des peines qu'ils auront méritées, sauf toutefois le consentement de l'évêque diocésain. En foi de quoi, nous avons validé les présentes lettres par l'apposition de nos sceaux.

Donné à Rome, au Vatican, l'an du seigneur 1295, la première année du pontificat de notre Seigneur Boniface, pape, huitième du nom (1).

(1) Suivent les signatures ; les sceaux étaient appendus. — Arch. de l'Yonne


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Ces privilèges attirèrent une certaine affiuence à Flotin, ou du moins accrurent beaucoup le nombre des pèlerins qui déjà peut-être s'y rendaient. On prit l'habitude de se réunir là comme dans un lieu sacré par excellence, pour y célébrer les grandes solennités de la religion. Quatre cents ans après, les processions de Boiscommun et des environs y venaient toujours, en plein dix-septième siècle, à une époque où ces processions n'avaient plus guère pour but que des ruines !

Les bulles pontificales disparaissent avec les belles années du xnic siècle. Seulement, en 1335, on trouve encore une charte émanée de Gilles, abbé de Saint Jean, et présentant quelque intérêt sous le rapport de la discipline intérieure du couvent, surtout sous le rapport du costume. Pour resserrer plus étroitement les liens qui unissaient les deux monastères, Gilles établit entre eux la conformité des vêtements.

Universis présentes litteras inspecturis, Egidius, humilis abbas monasterii sancti Johannis Senonensis, salutem in domino sempiternam.

Cum dilecti nostri in Christo filii, prior et conventus Béate Marie de Flotano, nobis immédiate subjecti, tant in prioratu suo quam in aliis locis, extra claustrum suum quedam observaverint ab antiquo circa vestes quibus utebantur, que disparitatem quandam a vestibus quibus fratres et canonici nostri in prioratibus suis et aliis locis extra claustrum suum utuntur et uticonsueveruntinducere videbamus ; ad eorum supplicationem

A tous ceux qui ces présentes lettres verront, Gilles, humble abbé du monastère de saint Jean de Sens, salut éternel dans le Seigneur.

Nos chers fils dans le Christ, le prieur et le couvent de NotreDame de Flotin, placés en notre dépendance immédiate, selon un ancien usage portaient, dans leurs prieurés et ailleurs, hors du cloître, des vêtements un peu différents du costume de nos frères et chanoines dans leurs prieurés et ailleurs, hors de leur cloître. A la requête des moines de Flotin qui veulent, disent-ils, et avec beaucoup de justesse, se conformer à nous ainsi que les membres d'un


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volentium, ut dicebant, se nobis tanquam membra capiti, sicut decet, conformare ; proesertim cum nostre professionis unius nobiscum sint observantie, régulant eis concessimus et concedimus gratiose, quantum in nobis est et nobis possibile est, ut in prioratibus suis et alibi extra claustrum suum illum modum et usv/m in vestibus quem fratres et canordcis nostri in suis prioratibus et aliis locis extra claustrum suum tenere consueverunt, observojre valeant et tenere, jure nostro in omnibus sentper salvo.

Actum in nostro capitulo generali, d,e consensu totius conventus nostri, sub sigillo nostro, die veiteris (1), in vigilia festi B. Johannis evangeliste, anno domini mïllesimo trecentesimo tricesimo quinto (%).

corps à la tête ; nous, considérant surtout qu'ils ont la même profession et les mêmes observances que nous ; usant de notre droit de réglementation, nous leur avons concédé et concédons, à titre de faveur, autant qu'il nous appartient, et qu'il est en notre puissance, la permission de prendre et de garder dans leur prieuré et ailleurs, hors de leur cloître, les vêtements adoptés par nos frères et chanoines dans leurs prieurés et autres lieux, sauf notre droit toujours et en tout.

Fait dans notre chapitre général avec le consentement de tout notre couvent, sous notre seing, le vendredi (1) veille de saint Jean l'évangéliste, l'an du Seigneur 1235 (2).

Ainsi, dès ce moment, la fusion était presque complète entre le prieuré de Flotin et l'abbaye de Saint-Jean : son autonomie laborieusement conquise lui fut ravie.

Les faveurs des papes constituaient le patrimoine spirituel; mais, matériellement aussi, Flotin ne tarda pas à grandir. Le couvent achète, reçoit, échange; il groupe autour de lui ses possessions territoriales ; il rayonne par des droits seigneuriaux sur presque toutes les paroisses des alentours.

(1) Le 26 décembre.

(2) Arch. de l'Yonne.


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Dès 1181, les religieux acquièrent tous les biens possédés par le couvent de la Charité-sur-Loire à Chemault et à Saint-Sauveur, moyennant 23 livres parisis, employées à l'achat déterres pour l'établissement du prieuré de St-Yon.

Manassés de Garlande, évêque d'Orléans (1), donne la seigneurie de Châtillon (2). Plus tard, une contestation s'éleva avec l'Hôtel-Dieu d'Orléans qui revendiquait cette propriété. On finit par transiger. Le prieuré de Flotin s'engagea à servir à l'Hôtel-Dieu une rente annuelle et perpétuelle de quinze sous parisis. La même année (1205), par reconnaissance pour la générosité de l'évêché, le couvent s'oblige à célébrer chaque année un anniversaire pour tous les chanoines du chapitre défunts, et un service solennel à la mort de chacun d'eux (3) ; il s'oblige aussi à héberger durant une nuit le messager qui en apportera la nouvelle, à pied ou à cheval.

Mars, 1211.— Robert de Courtenay, donne à N.-D. de Flotin, à charge de fondation, douze livres six sous parisis de rente, à prendre dans l'octave de la Saint-Remi sur son domaine de Chàteaurenard (4).

Mars, 1224 .— Gauthier-Cornu, archevêque de Sens, transfère aux religieux de Flotin la moitié des dîmes de Barville dont s'était démis en leur faveur Jean de Bussy (5), seigneur d'Aulnay (6).

(1) Mort en 1190.

(2) Commune de Vrigny-aux-Bois.

(3) Ces promesses portent à croire que la construction de l'église venait d'être achevée.

(4) Ment. Arch. de l'Emp. 0.20,637, f. 241.

(5) Fils de Sevin de Bussy, et probablement aïeul de celui qui reposait dans la chapelle de Flotin.

(6) Donation amortie cette même année par Giles d'Auxy (ou Daussy) le suzerain, et ratifiée de nouveau et garantie, en 1236, par Thomas d'Auxy.


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1226. — Donation par Guillaume de Bagneaux (1) de trois muids de grains (2).

1227. — L'archevêque de Sens investit les religieux de Flotin d'une rente de cent sous parisis donnée par Barthélémy de Reineville sur sa terre du Villier, avec l'autorisation des suzerains Marie d'Etouy, Eric de Maisse (3), Aubert de Javarcy

1230. •—• Vente par Messire Geoffroy de Montliard, des dîmes de Nesploy (4).

Octobre 1232. ■— Amortissement par Guillaume, seigneur de Fréville, de la terre de Montesson et d'une vigne à Montliard.

Mercredi avant la mi-carême 1238 (5). —• Acquisition moyennant huit sous parisis de tout ce que possédait Guillaume de Chambon, à Prédomenche et à Chambon.

1240. — Acquisition moyennant quatre-vingt dix sous par jour de la 36e partie (dite des maquignons), de la dîme de Noyers, près Lorris, possédée par Robert de Noyers, et de la 6e partie de la grande dîme de Lorris.

Vendredi après la Saint-Hilaire 1251 (6). — Entrée en possession d'une maison et de deux arpents de terre, situés à Puiseaux, et donnés par Beaudoin de Puiseaux.

1259. — Donation par les dames de la Madeleine d'Orléans des dîmes de la Villette, moyennant une rente annuelle de trente sous (7).

1267. — Achat des trois quarts du moulin Charrier (8)

(1) Ou Beigniaux.

(2) Amortie en 1228 par Philippe de Nemours.

(3) « Ericus de Meso... »

(4) Confirmée par l'archevêque de Sens.

(5) Le 2 mars 1239, du style aetuel.

(6) Le 18 janvier 1252.

(7) Rente payée scrupuleusement jusqu'en 1789.

(8) Paroisse de Saint-Sauveur.


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avec une pièce de terre, appartenant à Pierre de Boulainville et Agnès sa femme.

Septembre 1288. — Echange entre le prieur de Flotin, et Jean de Boulain, fils de feu Gérard de Boulain de SaintMicliel, et de sa femme Jeanne, des censives de Batilly contre celles de Montesson et de Saint-Loup.

Avril 1288. —Acquisition, en la paroisse de Gondreville, de cens, terrages, justice, etc. appartenant à Jean de Bagneaux (1).

Mai 1289. — Donation de plusieurs terres sur la paroisse de Saint-Sauveur par Demoiselle Létice (2), veuve de Guillaume de Pannes, écuyer.

Juillet 1299. — Amortissement par Adam de Chières de toutes les acquisitions faites à Maignières.

Dimanche après l'octave de la purification 1301 (3). —> Amortissement par Bertaud, évêque d'Orléans, châtelain et justicier de Pithiviers, des biens (4), légués au prieuré de Flotin, par Jean de l'Abbaye, bourgeois de Pithiviers.

Le prieuré possédait aussi une rente annuelle de deux sous parisis sur le domaine de Boiscommun (5).

Juillet 1299. —• Lettres patentes de Philippe-le-Bel concédant au prieur de Flotin le droit d'usage dans la forêt des Loges (6), à charge d'une messe de requiem tous les lundis.

Ce privilège fut encore continué et augmenté par lettres patentes de juin 1307 qui retendirent aux maisons dépendantes du prieuré.

(1) Amortie par Ythier de Beauoe, et Guiard, vicomte de Vésigny.

(2) Demoiselle fort connue par ses bonnes oeuvres.

(3) Le 12 février 1302.

(4) Situés près de Rougemont.

(5) V. les comptes de saint Louis (Hist. de la France, t. XXII) et des quittances du xve siècle. (Arch. de l'Emp. 0. 20,637, f. 241).

(6) Appelée peut-être d'abord (selon M. Quicherat) forêt de la Brierre, puis Legium, Logium ou Ligium, et maintenant forêt d'Orléans.


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Novembre 1322. — Lettres patentes de Charles-le-Bel qui confirme ce droit ; mais, au lieu du mort-bois, il octroie deux charretées de bois vert que délivrera chaque semaine le forestier delà garde de Vitry (1). Quelques personnes ne se contentent pas d'enrichir de leurs présents le nouveau monastère; elles veulent en élever auprès d'elles des colonies.

La seigneurie de Chastillon, à Vrigny, devint un prieuré dédié à saint Caprais (2).

En 1212, un fonds de terre laissé par Etienne, seigneur de Fein, pour qu'on y bâtît une église, fut, à la requête de Jean de Beaumont le suzerain, consacré par Pierre, archevêque de Sens, à un prieuré de l'ordre de Flotin qui s'y éleva sous le nom de Saint-Fiacre de la Bussière.

En 1245, Geoffroy de la Chapelle, grand panetier de France, fonde à Briarre près Dimancheville une nouvelle maison, dédiée également à Saint-Fiacre, où devaient résider trois prêtres de Flotin, à charge pour l'un d'eux de desservir la léproserie de saint Nicolas.

Saint Savinien de Dullot ou de Dorlot était constitué avant 1196 par Gaucher de Juvigny, à condition que l'on y dît tous les jours une messe des morts (3).

(1) Ce droit ne s'exerça pas sans résistance. Il fallut perpétuellement lutter contre l'opiniâtreté des gardiens de la forêt que ne décourageait point la perte successive de tous leurs procès. On compte plus de quinze arrêts, ou mandeznent du grand maître, enjoignant aux préposés de l'administration forestière de modérer leur zèle. Ce n'est point chose facile. Enfin, au xvie siècle, on convertit ce droit d'usage en droit de monstrée (droit en vertu duquel on obtenait, de temps à autre, quelques arpents de bois à couper en toute jouissance). La monstrée ainsi organisée s'exerça assez fréquemment. En 1650, la contestation se rallume, et arrive devant la table de marbre qui la renvoie aux conseils du roi. Les privilèges furent reconnus et confirmés. Enfin un règlement de 1671 mit un terme à tout débat en remplaçant les droits de chauffage et autres par une redevance annuelle de 60 livres.

(2) Relevant en foi et hommage des barons de Courcy.

(3) Fondation approuvée par Michel de Corbeil, archevêque de Sens en 1196 (Gall. christ, xn, 56.)


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On peut citer encore les prieurés de :

Notre-Dame des Grès, et Notre-Dame des Cormiers, tous deux près de Nemours ;

Chevannes, et Sainte-Véronique (1) de la Ronce, à Ferrières ;

Saint-Fiacre-Fontaine, près Gien ; * Etouy(2);

Sainte-Catherine de Mercy, à Panne, près Montargis ;

Saint-Thomas, à l'étang d'Abat (3) ;

Saint-Martin-d'Abat (ou du Gué de l'Orme) ;

Notre-Dame-d'Amilly ;

Saint-Sulpice (ou Saint-Martin) à Choisy-Malesherbes (4);

Enfin Rozoi-le-vieil.

Tels étaient les principaux prieurés de l'ordre de Flotin (5); les autres n'eurent sans doute qu'une durée éphémère.

Ainsi, jusque dans les premières années du quatorzième siècle, tout souriait au monastère de Flotin : l'élan était donné, et l'on ne savait où un essor si rapide pourrait s'arrêter. Mais, avec l'an 1336, s'ouvrit pour la France une ère lugubre, l'ère des guerres, et les cris des hommes d'armes devaient retentir au fond même des solitudes forestières.

Et comment le monastère de Flotin aurait-il pu se tenir à l'écart de tous les événements qui dès lors commencèrent à se presser sur le sol français ! Les Anglais étaient là, messagers de misère et de ruines, et cette grande lutte du patriotisme contre les envahisseurs, ces longs combats que

(1) Sainte Venise, en langage populaire.

(2) Relevant des seigneurs d'Augerville.

(3) Que les religieux de Saint-Euverte d'Orléans donnaient par conférence.

(4) Tenu en foi et hommage des seigneurs de Malesherbes.

(5) Cartulaire de N.-D. de Flotin. Extrait fait en 1581 par le P. Neuvers, sous-prieur.


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soutinrent pendant cent ans les plus braves armées de l'univers, absorbèrent tout.

Flotin s'efface. Les donations deviennent rares, tous les chevaliers donateurs étaient au camp, et cependant jamais plus pressant besoin ne s'en était fait sentir.

En 1347 (ou 49), Macé de Launoy, gentilhomme de Boiscommun, et sa soeur donnent au prieuré de Flotin une maison rue des Cercliers, à Boiscommun, et des vignes situées à Montbarrois et à Saint-Sauveur.

En 1395, Marie de la Taille, dame de Manjecourt, fait don de 32 arpents de bois à la Galée-les-Boiscommun, moyennant deux messes de Requiem par semaine.

Le 17 août 1414, Jean du Tertre, pour une messe des morts par semaine, donne 12 arpents de bois limitrophes à l'un des étangs et tenus en fief du seigneur d'Obsonville.

Voilà à peu près à quoi se bornent les donations.

Le 21 mars 1380 (1), les religieux rachètent 20 livres tournois les droits seigneuriaux montant à 27 deniers, que Jean de Barville, seigneur de Saint-Sauveur, percevait sur la terre et les étangs de Flotin.

Voilà tous les achats.

Les temps moins prospères sont arrivés. Des lettres de Philippe d'Orléans le prouvent également par le triste tableau qu'elles tracent de la misère où les malheurs publics avaient réduit les pauvres moines de Flotin :

« Philippe, fils de roy de France, ducd'Oiiiens, conte de Valois et de Beaumont, savoir faisons à tous présens et à venir, de la partie de nos amés les religieux, prieur et couvent de l'église de Flotain, à nous avoir naguères esté dévotement et humblement exposé que, tant à cause de la mortalité comme pour occasion de la grant pestilence et turbulation des guerres, les revenues des possessions et de

(1) 1381, style actuel.


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la fondation de leur dite église aient été et soient encor à présent si decheues et devenues de mendre valeur d'une grant partie que par avant n'èstoient, que desdités revenues le nombre des religieux qui sont Dieu servans en ladite église ne peut avoir en soubstenance ne maintenir leur simple et petit' estât se ne feust le pitéable secours des dons et aumosnes que aucunes bonnes et dévotes personnes leur ont faiz et donnez, et encores leur est très-grant nécessité et besoing de les secourir et à yceulz subvenir et aidier pitéablement : supplians très-humblement que, ces choses considérées, nous leurs veuillons faire et eslargir nostre libéral grâce et aumosne, et à eulz ottroier que certains héritages et ceus-cy dessoubs déclairés, lesquels eulx et leur dite église ne pourraient tenir senz nostre espécial grâce, il puissent tenir dores en avant, senz ce que il s'oient contrains de les mettre hors de leurs mains : c'est assavoir : deux arpents et demi de préz séans au molin neuf qui furent feu Jehan Boissin. Item sept quartiers de vignes séans à Saint-Sauveur (?) qui furent feu Macé de Launoy. Item la quinte partie des cenz de la Deuzemandière (?) avec le seigneur de Crassoy (?), qui furent (1) feu Jehan de La Mote et Vault (2), vint sols de rente ou environ. Item sur la place d'une maison séant devant les halles

(1) C'est-à-dire « qui appartinrent à feu... »

(2) La Motte et Vaux, anciennes demeures seigneuriales situées à Vitry-aux-Loges, et construites peut-être par des gentilshommes de la cour de France. — Vitry (Victriacum castrum, Victriacum in Legio) n'était d'abord en effet qu'un palais royal. Le roi Robert qui s'y plaisait y fonda un monastère bénédictin, en l'honneur de saint Médard, confirmé par bulles pontificales. Vitry reçut, depuis, bien des visites de souverains, notamment de Philippe-Auguste en 1184, 1186, 1190 et 1195. La châtellenie fit partie de l'apanage de Louis VIII et de Philippe-le-Hardi avant leur avènement à la couronne. Il y avait à Vitry château royal où mourut Henri Ier, comme l'a très-bien prouvé le savant M. Quicherat, chapelle royale, léproserie, Hôtel-Dieu, etc.


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de Boiscommun qui fu feu Jehanne la Coquarde, dix sols de rente. Nous adecertes meuz de pitié et compassion envers lesdiz religieux pour considération des choses dessus dites et afin que nous, nostre très chière et amée compaigne la duchesse et les miens, soions participans ores (1) et ou temps à venir es prières, oroisons et bienfais qui seront faiz en ladite église : auz diz religieux et à leur dite église en l'honneur de Dieu et de Nostre Dame la glorieuse Vierge Marie, sa douce mère, de cui nom ladite église est nommée et vouée (2), de nostre grâce espécial et certaine science, ayons ottroié et ottroions par la teneur de ces présentes que, en l'accroissement du dévot et divin service, il puissent tenir et tiengnent les héritages cydessus nommés, perpétuelment et leurs successeurs, avec leurs autres rentes et possessions, senz ce que eulz ou leurs diz successeurs soient tenuz ou puissent estre contrains à les vendre ou mettre hors de leurs mains ne aucune partie d'iceulx : parmi (3) ce que les diz héritages paieront les cens qu'il dévoient par avant en la fourme et manière qu'il paioient quant il estoient en main laye.

Sy donnons en mandement et avec ce commandons et estroitement enjoignons à nostre bailli d'Orliens et au prévost de Boiscommun et à touz nos autres justiciers, officiers présens et à venir, ou à leurs lieutenans et à chascun d'eulx si comme à luy appartiendra, que de nos grâce et ottroy dessus diz facent et lessent entièrement et paisiblement joir, user lesdiz religieux et leurs diz successeurs senz les y molester, ou empeschier, ne souffrir estre molestez ou empeschier par autres par quelque manière que ce soit, au contraire. Et pour que ce soit chose ferme et estable à

(1) A présent,..

(2) Dont on a donné le nom à l'église et à qui on l'a dédiée...

(3) Peut-être faudrait-il lire « hormi ? »

T. xn. 9


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touts jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces présentes lettres , sauf en autres choses nostre droit, et l'autrui (1) en toutes.

Donné à Chasteauneuf-sur-Loire, l'an de grâce mil trois cens soixante et six, ou mois d'octobre » (2).

D. paraît que les grâces octroyées si « pitéablement » par Philippe ne suffirent pas pour restaurer l'infortuné monastère. Au commencement du quinzième siècle, il bat monnaie en aliénant quelques bois ; puis les traces s'en perdent absolument, il semble qu'il n'existe plus.

Or, l'on sait ce qui se passa durant ces années d'un silence néfaste ; comment les Anglais, inondant tout d'un coup un pays déjà maltraité, le saccagèrent de fond en comble, et par leur barbarie gravèrent dans le coeur des peuples ruinés un si profond souvenir de leur passage, et une haine qu'on croyait inextinguible. Alors, que ne viton pas! Les champs du Gâtinais, objet depuis des siècles d'une culture attentive et soigneuse se convertirent en déserts. Les villes même ne furent point épargnées. Beaune devint la proie des flammes (3). Par bonheur, Boiscommun dont le courageux patriotisme avait mérité la colère des ennemis put tenir bon, à ce que l'on assure. Mais certainement Flotin n'échappa pas au désastre, certainement les Anglais vinrent y porter le fer et le feu, et les moines purent s'écrier avec le désespoir du poète latin : c Nos moissons, notre toit à des barbares ! (4) » Enfin, paraît Jeanne d'Arc ; la guerre finit; au bout de quelques années tout reprend vie sur ce sol fécond de la France : mais

(1) Le droit d'.autrui. (jure alieno in omnibus semper salvo.)

(2) Sceau pendant.

(3) Ainsi que le monastère de Château-Landon qui remontait à Louis VII et bien d'autres lieux.

(4) « Barbarus lias segetes... » VIRGILE, Eglogues, I.


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qu'advient-il de Flotin, et, après le coup fatal qui lui a été porté, l'institution de Guillaume pourra-t-elle renaître et refleurir, elle aussi ?

Vraiment, Flotin n'existait plus ; car, pour achever le tableau, il faut ajouter qu'aux calamités de l'invasion s'était jointe l'avidité de quelques-uns de ces personnages, dont le type inaltérable se retrouve à toutes les époques, pour qui le trouble et les malheurs publics ne sont qu'une source d'enrichissement. C'est par leur fait qu'avait disparu une portion des biens du prieuré. Pour parer aux premières difficultés, le 24 avril 1447 une bulle de Nicolas V (1) accorde quarante jours d'indulgence à tous ceux qui contribueront par leurs dons à l'entretien et à la réparation de l'église de Flotin et de la chapelle de SaintFiacre.

Quelques années après, en 1452, le cardinal-légat d'Estouteville ordonne en ces termes de réparer les usurpations commises :

Gv.illelmus miseraiione divinâ tituli S. Martini in montibus sacrosancte ecclesie romane presbyter - cardinalis , de Estouteville vulgariter nuncupatus, in regno Francie singulisque Galliarum provinciis apostolice sedis legatus, dilectis nobis in Christo decano christianitatis Vastinensi, Senonensis diocesis, et cantori sancti Petri-Puellarum Aurelianensis, salutem in Domino.

Guillaume, par la miséricorde divine cardinal-prêtre de la trèssainte Eglise romaine, du titre de Saint-Martin-aux-Monts, et dont le nom ordinaire est d'Estouteville, légat du Saint-Siège dans le royaume de France et dans toutes les provinces des Gaules, à nos bien-aimés dans le Christ le doyen de chrétienté du Gastinais au diocèse de Sens, et le chantre de Saint-Pierre-le-Puellier, à Orléans, salut dans le Seigneur.

(1) Seulement indiquée dans les papiers de Flotin.


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Dilectorum nobis in Christo prioris et conventus prioratus eônventualis B. Marioe de Flotano, ordinis sancti Augustini, dicta senonensis diecesis, precibus inclinait, discretioni vestre, sufficiente ad hoc potestate suffulti, per hec scripta committimus et mandamus auatenus vos et alter vestrum, ea que de bonis ad dictos priorem et conventum alienata pertinere inveneritis illicite vel distracta, vocatis vocandis et aliis quorum interest vel interesse potest, ad jus et proprietatem ipsorum prioris et conventus revocare procuretis, contradictores per censurant ecclesiasticam compescendo : testes autem qui fuerint nominati, si se gratia, odio vel timoré subtraxerint, censura simili compellatis veritati testimonium perhibere.

In quorum omnium et singulorum fidem et testimonium premissorum, présentes lifteras per secretarium nostrum infrascriplum subscribi nostrique sigilli jussimus appensione muniri.

Ecoutant avec faveur les prières de nos bien-aimés dans le Christ le prieur et les religieux du prieuré conventuel de Notre-Dame de Flotin, ordre de saint Augustin, diocèse de Sens, et muni à ce sujet de pouvoirs suffisants, nous donnons à votre discrétion par les présentes commission, et mandat, que vous ou l'un de vous, lorsque vous aurez reconnu que des biens, illicitement aliénés ou distraits, doivent appartenir auxdits prieur et couvent, après avoir convoqué qui de droit et quiconque y est ou y peut être intéressé, vous fassiez restituer ces biens au droit et à la propriété du prieur et du couvent ; et que vous réprimiez toute opposition par la censure ecclésiastique : que si des témoins se soustrayaient à leur devoir par faveur pour la partie adverse ou par quelque sentiment de haine ou de crainte, forcez-les par la même censure à rendre témoignage à la vérité.

En foi et preuve de toutes les choses susdites et de chacune en particulier, nous avons fait signer les présentes lettres par notre secrétaire ci-dessous nommé et les avons fait munir de l'apposition de notre sceau.

Datrnn Bituris anno incarna- Donné à Bourges, l'an de l'Intionis dominice rnillesimo qua- carnation de Notre Seigneur 1452,


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dringentesùno quinquagesimo secundo, die vero tricesimo raensis Julii, pontificatus sanctissimi in Christo patris et domini nostri Nicolai, divina providentia papoe quinti, anno sexto.

le 30 juillet, la sixième année du pontificat de notre Très-saint Père et Seigneur dans le Christ, Nicolas, par la grâce de Dieu, pape, cinquième du nom.

Mais, si les biens pouvaient se retrouver, il y avait quelque chose de plus difficile à reconquérir, c'était l'esprit de l'Institut primitif.

L'ère nouvelle qui s'ouvrait, frivole et brillante, accusait du reste, il faut l'avouer, des penchants peu monastiques. Ce n'était pas le moment d'une restauration. Flotin néanmoins ne devint point désert : pendant toute la durée du xvie siècle, des religieux cherchèrent à y faire revivre les anciennes pratiques ; mais malgré leurs efforts, le nouveau monastère un peu dépaysé ne fit que dépérir, ainsi qu'une plante transportée dans d'autres climats. Puis, survinrent les guerres civiles, cause d'irréparables ruines, et qui donnèrent à Flotin le coup de grâce : peu d'années après, au commencement du xvne siècle, le monastère s'éteignit.

Une autre circonstance, plus malheureuse encore, ce fut la suppression de l'éligibilité d'un chef par la communauté, et la nomination, imposée au couvent, d'un prieur commandataire, ou plutôt, suivant le jeu de mots d'un religieux latiniste, « comedataire » lequel ne se faisait aucun scrupule de toucher plus de la moitié des revenus ; de sa maison où il ne paraissait que dans la personne d'un prieur claustral ou sous-prieur. Une métairie s'éleva dès lors auprès du monastère, et le supérieur déploya plus de sollicitude à rechercher de bons fermiers que de bons religieux.

Les premiers prieurs de ce genre furent : Adam le Mène (1458), Louis Morant (1481 et 1488), -Jean Poe-


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quaire (1), abbé de la Plice (2), (jusqu'en 1532) (3), Christophe Garrault, abbé de la Pelice (4), Chambolin, prieur claustral (5) (1543 et 1549), Henri Groslot, abbé de la Pelice (1554), Jean Bonnet (6) (1565 et 1571), Jean Habert, conseiller au Parlement de Paris (1583), (Neuvers, sousprieur), Chenart, docteur en théologie, conseiller au Parlement de Rennes, qui, après beaucoup de difficultés, de procès et d'enquêtes, prend possession du prieuré successivement en 1592 et 1593, pour résigner son titre en 1596. Nicolas Laffilé, sans doute, son compétiteur, l'obtient alors, en expulse un certain Pajot qui le réclamait, et, par sa longue et négligente administration, laisse toutà-fait tomber son monastère.

Les documents de cette époque offrent peu d'intérêt. Plus de nouvelles tombes, plus de donations, plus d'achats. On voit seulement en 1454 la cession par un Jean Gauthier d'un arpent de prés auprès de Flotin, moyennant deux messes d'anniversaire par an, et un présent de douze sous en 1489. Les bienfaits n'étaient ni donc fort communs, ni fort généreux.

(1) Peut-être l'un des descendants du chevalier Pocquaire dont le tombeau figurait dans la chapelle. La famille Pocquaire était orléanaise. En 1466, on trouve un Jean Pocquaire, écuyer, capitaine de Lorris, lieutenant des eaux et forêts, qui était sans doute père ou grand-père de celui-ci.

(2) La Plice ou mieux la Pelice {Pellicea), abbaye de bénédictins non réformés, fondée vers 1200 par Bernard de La Ferté , près de La Ferté dans le Maine, et dotée d'assez maigres revenus.

(3) Cette date sert à rectifier une erreur de l'auteur du xrv 0 volume du Gallia Christiana, M. Hauréau, qui, entre R. Pocquaire et C. Garrault, fait intervenir à la Pelice un abbé « inconnu » et tout-à-fait sorti de son imagination. Pocquaire gouverna 44 ans.

(4) Investi du prieuré par bulle pontificale.

(5) En 1492, on voit paraître dans un acte de vente un religieux de Flotin nommé Nicole de Chavigny.

(6) D'abord simple mandataire de H. Groslot.


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Le prieuré acquiert quelques vignes à Vaussenin, paroisse de Montbarrois (1488), et au clos Lambert, paroisse de Saint-Loup (1492) ; il vend des terres à Chemault et à Saint-Sauveur, notamment une partie du lieu dit « la Petite-Brière », exploité auparavant par la famille Hersent, qu'il faut en mettre violemment à la porte avec force procédures (1). Plus de nouvelles fondations : au contraire, l'une des plus anciennes, Sainte-Catherine de Mercy, est réunie aux Bamabites de Montargis, par décret du 14 mars 1448.

Les baux (2) qui fourmillent dans les papiers du xviG siècle témoignent, du moins par leur multiplicité, de l'exactitude admirable qu'apportèrent les prieurs commandataires dans la perception de leurs revenus. Les possessions de Flotin ne manquaient pas d'importance. Elles comprenaient alors :

Autour du prieuré, cent trente arpents de taillis (3), quatre de haute futaie (4) et les deux fermes.

A Boiscommun, deux maisons, l'une près des halles, entre la Grande-Rue et la rue du Four, l'autre rue des Cercliers : des vignes aux Petites-Sauvagères, près de la rue Neuve, vingt-deux arpents de terres et bois relevant du sieur de la Coinche, les bois de la Galée, diverses terres à l'Etang-Cocart, au grand clos de la rue Neuve, au

(1) Les Hersent ont laissé leur nom à un hameau de Boiscommun, de même que les Diard ont laissé le leur à une ferme de Flotin, la Diarderie ou Guiarderie.

(2) La plupart de ces baux sont emphitéotiques,.au terme de trois vies et cinquante ans, ou de trois cents ans. Il y est observé qu'ils doivent finir en 1843, etc.

(3) La Noue-aux-Prêtres (ou l'Hermitage), la Pâture-aux-Boeufs, la pièce de l'Etang, la Garenne (ou bois des Conins), la Franchise (ces deux derniers hors gruerie).

(4) Sous le nom de Réserve de Flotin.


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Champ de la Ville, àConsecourt, près de la porte du cimetière.

■ • A Saint-Sauveur, quelques terres, les prés dits de Cosnon, le moulin Charrié et un cens de trente-deux sous et deux poules apercevoir sur la Faucharderie (1).

A Nibelle, une rente sur le moulin des Bigeaux.

A Nesploy, la dîme, et des droits de cens sur le Fretoy.

A Montliard, moitié de la dîme, une portion du moulin du Croc, des prés à Molière, et diverses terres.

A Chemault, la dîme, une rente sur le moulin à eau et des terres.

A Barville (2), divers droits de cens, et redevances.

A Fréville, moitié de la dîme; le territoire de Montesson. - A Yèvre, les domaines du grand et du petit Martinvault. ; A Charmont, en Beauce, le fief d'Armeville.

A Givraines, le domaine du Portail, le domaine de Varennes.

A Puiseaux, la seigneurie d'Essarville (3).

Les dîmes d'Etouy (4), d'Orvan, de Villereau, de la Narville (5).

(1) Ferme exploitée par un certain Fauchard et située dans la dépendance de la seigneurie de Beaulieu, à la Maltoute, entre la Noue et le chemin de Chemault à Beaulieu.

(2) La seigneurie de Barville finit par se joindre à la seigneurie de Beaumont, et par devenir comme celle-ci, la propriété des Montmorency, princes de Tingry.

(3) Acquise depuis par les Harlay, seigneurs de Beaumont, au xvne siècle.

(4) Au moins en partie ; le reste appartenait à l'abbaye de la CourDieu, et au chapitre de Pithiviers : elles étaient au xvr 2 siècle de la mouvance des seigneurs de Saint-Michel.

(5) La dîme et les possessions de la Narville ne sont guère mentionnées que dans la bulle d'Alexandre III, et dans un bail passé pour trois cents ans à un nommé Simon Poisson, en 1543. Le nouveau fermier s'y installa et jamais il ne songea à'en sortir, ni à en payer les redevances.


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Enfin diverses rentes à Amilly, Saint-Michel, Batilly et Nancray.

Les redevances stipulées dans les baux consistent d'ordinaire en cierges de cire blanche, en quartiers de boeuf, en pâtés d'alouettes, en chapons, entiers ou par portions, en poules, poulets, etc.

L'administration financière était donc excellente, et cependant la décadence du prieuré allait toujours croissant. Bientôt son enceinte ne renferma plus que six religieux : les premières années du xvne siècle en trouvèrent deux seulement, et de ces derniers survivants des temps monastiques l'un ne vécut que jusqu'en 1615, l'autre laissa à sa mort en 1622 un couvent vide, abandonné par son prieur, et privé d'entretien. Tel le monastère resta durant vingtcinq années. C'est alors que, dans ces ruines solitaires que chaque jour rongeait davantage, se vint réfugier un pauvre prêtre septuagénaire, nommé Paricouche, que l'on avait envoyé finir ses jours au prieuré-cure de Saint-Sauveur, pasteur malheureux auquel la rareté de ses ouailles faisait de bien longs loisirs, et qui préférait un triste séjour dans le sombre Flotin où quelques messes par semaine lui valaient une faible rétribution, à l'existence plus misérable encore qu'il se voyait condamné à traîner au fond de son presbytère. C'est de lui que parle dom Morin lorsque, visitant le prieuré à cette époque de délabrement, il déclare n'y avoir aperçu qu'un prêtre qui « pour vivre va célébrer la messe à Boiscommun et dans les autres paroisses voisines. »

Témoins de tant de misère et d'abandon, les habitants du Gâtinais, chez lesquels on remarquait alors une rapacité peu commune, ne négligèrent aucun effort pour en profiter. Ils se portèrent à cette entreprise avec ardeur.

Chacun voulut accaparer tout ce qui se trouvait à sa portée : ce fut une curée générale à laquelle tout bon


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voisin s'empressa d'accourir. Mais, cette fois, le prieur veillait. H sut combattre, et tout le xvnc siècle se consuma dans des procès, indéfinis mais heureux quand, enfin, on en touchait le terme.

Les locataires des maisons de Boiscommum prétendent qu'ils y sont chez eux. Sous prétexte de défaut d'hommage, les d'Humières et les Balzac d'Entragues seigneurs de la Grange saisissent le fief d'Armeville. Ailleurs, les seigneurs de Manchecourt se verraient volontiers remis en possession des bois de la Galée, présent de leur trop généreuse aïeule. La justice donne raison au prieur, mais alors le roi saisit ces bois et les met en gruerie. Un siècle et demi de procédures suffit à peine pour convaincre les curés de Fréville qu'ils doivent payer leurs fermages de Montesson ; pendant soixante ans, les curés d'Armeville oublient sans cesse que la dîme de leur paroisse ne leur appartient pas. Les scrupules du curé de Montliard ne vont pas jusqu'à l'empêcher de mettre la main sur la dîme de ce pays. Plus heureux, plus habile peut-être, le curé de Nesploy s'empare si bien de la sienne que jamais on ne put la lui faire rendre : et il est vrai que les frais du moindre procès se fussent élevés bien au-dessus de la valeur de l'objet en litige. Saint-Euverte d'Orléans usurpe les deux prieurés de Saint-Martin d'Abat.

Les Fauchard, les Galendeau, détenteurs de diverses terres, s'imaginent en être les pleins-propriétaires. Enfin il faut mettre à la porte du moulin du Croc la famille Pellard qui, pour se défendre, épuise en vain tous les degrés de' juridiction depuis le bailliage de Boiscommun jusqu'à la cour de parlement.

Loin de mettre un terme à cet état de trouble, la mort deLaffilé, depuis longtemps souhaitée, vint donner carrière à toutes les ambitions. Qu'elle était alors déchue, l'antique demeure de Guillaume, et qu'elle se trouvait dans une


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singulière position, sans un seul religieux, mais avec une foule de prieurs qui surgissent de toutes parts ! Voilà Pajot qui reparaît: ses prétentions n'ont pas changé. Voici le neveu de Laffilé, qui, par esprit de famille, croit devoir succéder à son oncle. De son côté,-Alexandre Gravour, profès, est pourvu du prieuré par l'ordinaire. Mais Pierre de Mouchy, prêtre du diocèse de Rouen, entré en lice . il y est suivi par un conseiller au Parlement, décoré d'un nom considérable, le sieur Louis Feydeau (1). Enfin le désordre est à son comble : les revenus, chacun les réclame ; les charges, personne ; de sorte que, de plus en plus, le • prieuré, objet de tant de convoitises, tend à disparaître C'est Pierre de Mouchy qui paraît l'emporter. H reçoit ses bulles de provision, et aussitôt le 5 avril 1646, il fait prendre possession en son nom. On expulse Gravour, et malgré l'opposition désolée du curé de Saint-Sauveur, le procureur de Mouchy, avec toute la solennité possible à Flotin, en présence d'un notaire de Boiscommun et de quatre témoins, asperge d'eau bénite toute la chapelle, se prosterne devant le grand autel et le crucifix, s'assied à la place du prieur, accomplit en un mot toutes les cérémonies d'usage. L'encens fume, les cloches résonnent, les baux (on n'oubliait jamais les baux) les baux se renouvellent : une ère heureuse semblait s'ouvrir. Trois mois après, et probablement à la demande du nouveau prieur, on déclare la conventualité rétablie, et au commencement de l'année 1647 le P. de Vincent, supérieur claustral de Saint-Jean, délègue trois chanoines, les Pères Graillet, Merlier, Des(1)

Des(1) était issu sans aucun doute de la famille qui a illustré ce nom dans l'Eglise et dans la robe, famille qui produisit notamment le président Feydeau et Mathieu Feydeau, l'ardent janséniste, connu par sa résistance opiniâtre à Louis XIV. On pouvait bien dire de Louis Feydeau : « Vous ne démentez point une race funeste... »


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champs, pour venir habiter Flotin, et y reconstituer le monastère. Paricouche, l'infortuné ! est renvoyé définitivement au milieu de son troupeau ; il regagne douloureusement ses pénates, tandis que, sous la conduite du P. de Vincent en personne, arrive la nouvelle colonie.

"On s'installe, on prend toutes les dispositions qu'entraîne le dessein bien arrêté de passer là le reste de ses jours; puis, il s'agit de faire revivre les vertus antiques, et surtout de se rendre nécessaires. En fait de vertus, si nous en croyons les nouveaux moines, aucune ne leur manque : ils deviennent l'édification du pays entier, l'appui de tous les curés. Leur temps se passe (c'est ce que plus tard ils feront certifier par les notaires de Boiscommun) à pratiquer stricp tement les observances de leur règle, à célébrer la messe pour les fondateurs et bienfaiteurs, à entendre les confessions, ce qu'ils disent être alors une grande occupation, à « enseigner à la jeunesse la doctrine chrétienne et les lettres humaines, » et enfin à porter secours aux curés des environs qui avaient, assurent-ils, grand besoin de leur aide et la réclamaient formellement, ajoutant qu'après tout puisque les religieux dé Flotin percevaient les dîmes de leurs paroisses, ils avaient bien droit aussi à une partie de la peine.

H semblait que la paix fût revenue ; mais non : tant de vertus ne purent fléchir le destin toujours aveugle.

Quelques jours avant la solennelle prise de possession de Pierre de Mouchy, un arrêt du Parlement avait conféré le même Flotin au conseiller Feydeau, homme entreprenant et énergique, parlementaire qui sentait sa Fronde. Aux tranquilles aspersions d'eau bénite qu'avait employées son compétiteur, il résolut d'opposer des moyens plus expéditifs.

Depuis deux mois et demi que les religieux du P. de Vincent édifiaient le voisinage, certainement le calme de


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leur âme avait dû être plus d'une fois troublé par les sommations de l'impitoyable Feydeau. Mais confiants, selon le conseil du Sage, dans la paix de leur conscience, ils n'y prirent point garde et restèrent sourds. Il fallait agir.

Le 5 août, le Père de Vincent s'était rendu avec deux des frères à Boiscommun : quel frissonnement n'éprouventils pas en se voyant, au retour, suivis d'une troupe de gens dont les sentiments de vénération pouvaient, hélas ! être mis en doute ! De là, grande frayeur : plus pieux que braves, ils n'hésitent pas et s'enfuient à travers bois, de toute la vitesse de leurs jambes. Les voilà qui arrivent à Flotin, haletants, et fort pressés de fermer la porte derrière eux. Mais deux jeunes hommes, le fusil sur l'épaule, s'étaient détachés du gros de la troupe et avaient couru, eux aussi, pour essayer de couper la retraite aux fugitifs : ils surviennent au même instant, trouvent la porte close, la frappent à coups redoublés, menacent le portier et font tapage Ce pauvre portier (qu'on l'excuse!) peu belliqueux de sa nature et habitué déjà au calme des forêts, se sent défaillir et ouvre tout tremblant. Les deux jeunes hommes prennent une échelle et escaladent la fenêtre du premier pignon. On se précipite, on met l'épée à la main, on circule , on court partout, on fouille les corridors et les dortoirs , on cherche les malheureux qui s'y pourraient trouver. Au fond d'une chambre, à l'autre extrémité du couvent, un homme était blotti : il est découvert et accablé d'injures, malgré sa dignité de prieur de Saint-Jean. Feydeau , en habits courts, un gourdin à la main, et accompagné du lieutenant-général d'Orléans, survient pendant cette scène de désordre, et loin de s'y opposer, il y semble présider, non sans satisfaction. Le Père de Vincent l'aperçoit dans le corridor : il se précipite à son avance et lui prodigue les salutations les plus humbles. Le conseiller ne lui répond que par du mépris, lui demandant « ce qu'il


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faisait là, dans son bénéfice, et qui l'avait fait si hardi d'y entrer. » Un notaire dresse, séance tenante, un procèsverbal par lequel il est constaté que « Vénérable et discrète personne Messire Louis Feydeau » a pris possession du prieuré qui lui appartient. Cela fait, les religieux reçoivent l'ordre de « déguerpir. 5) Ils répliquent en sommant leur ennemi de présenter ses titres ; sur son refus, ils déclarent faire opposition et disent a être dûment en possession du sous-prieuré ainsi que des mille livres qui y sont attachées, et que la sentence du lieutenant-général ne les regarde en rien. » Transporté de colère, Feydeau s'en va jurant que, d'une manière ou d'une autre, ils sortiront.

Le lendemain, le lieutenant retourne à Flotin et veut se faire ouvrir : le portier revenu à de meilleurs sentiments refuse avec fierté. Le lieutenant ordonne d'enfoncer la porte. Deux jeunes inconnus se présentent. Armés d'une pertuisane, et d'une grosse pièce de bois, ils la frappent et la brisent, pendant que Feydeau tenait au collet le frère Deschamps qui, effrayé des conséquences de sa courageuse résistance, s'était dévoué à sortir en paiiementaire, et essayait, fort inutilement, de faire entendre raison à l'envahisseur, lui exposant que pour une foule d'excellents motifs il ne fallait point expulser les religieux c et aultres remontrances justes et raisonnables. » Mais Feydeau absolument insensible aux charmes de l'éloquence unie à la raison, persistait à violenter l'orateur : il l'aurait même « frappé de deux ou trois coups de poing, lui déchirant, (assure-t-on,) son long manteau, et lui arrachant le bouton du porte-manteau. .. »

Le siège du couvent dura ainsi cinq longues heures, durant lesquelles on vit les assaillants se promener autour des murailles le fusil à la main, menacer de rompre toutes les portes et les fenêtres, guetter et coucher en joue par les créneaux les ombres timides qu'on apercevait se glissant à


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l'intérieur. Feydeau lui-même prenait la part la plus active à ces démonstrations, et feignait de vouloir mettre à l'épreuve sur ses infortunés prisonniers son talent de tireur.

Enfin, la nuit qu'invoquaient les plus ardentes prières s'étendit sur le champ de bataille, et une pluie abondante se chargea de la victoire. Devant cet auxiliaire inattendu, il fallut battre en retraite, tout en maugréant bien, et en menaçant de faire venir la maréchaussée.

Quelle résistance opposer à un si impétueux prieur ?... On céda. Le dix août, les chanoines découragés réunissent encore tous les notaires de Boiscommun pour célébrer en bonne forme la pureté de leur vie. Mais depuis lors, il n'en est plus question. Ils se résignèrent donc à reprendre le chemin de Sens, interrompus bien subitement dans leurs beaux projets. Le Père de Vincent en fut pour ses émotions, et Pierre de Mouchy pour ses aspersions inutiles.

Ce brillant avènement ne fut pas le début d'un règne bien prospère. Dès que le nouveau prieur, botté, la carabine au bras, eut pris possession de sa conquête, il se garda bien d'y reparaître et envoya y demeurer pour lui, avec le curé de Saint-Sauveur qui, à la faveur des troubles, s'était hâté de réintégrer domicile, un pauvre vieux prêtre, le sieur Baudan, et ensuite l'abbé de Galliffet, du diocèse d'Avignon, qui héritèrent du soin de dresser les baux et de guerroyer contre les voisins. Aussi l'entretien des bâtiments fut-il fort négligé, et cependant de promptes réparations étaient nécessaires si l'on ne voulait assister à la ruine totale de l'édifice. Le procès-verbal d'une visite faite en 1651 nous montre une scène de désolation : ce ne sont que pierres tombées, que niurs lézardés ; l'air un peu humide de Flotin a changé en pourriture tout ce qui en était susceptible. La porte d'entrée, après les rudes assauts qu'elle a dû subir, n'existe plus.

Le portail est abattu, le mur de clôture tout penché, la


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métairie et ses dépendances étayées de toutes parts, si bien que le fermier s'était enfui dans une chambre du prieuré où il vivait pêle-même avec son personnel de tout genre.

Le portail de l'église est fort endommagé ; ce qui reste de la voûte au-dessus du maître-autel est brisé d'un bout à l'autre : les clefs de la voûte sont fendues; les portes, les stalles, les lambris du choeur, les meubles pourris et en morceaux. La chapelle qui sert de sacristie menace ruine.

Quant au cloître, il fallut l'abattre dans les premières années du xvmc siècle : on leva alors les tombes qu'il renfermait, et on les entassa dans la chapelle, non sans en briser plus d'une. L'escalier de pierre qui mène au dortoir est tout délabré.

Parcourt-on les dortoirs, les cellules, les greniers, on n'y trouve que des ruines ou peu s'en faut. Le toit doit être refait. La belle galerie qui conduisait vers la salle haute réclamait aussi de grandes réparations, faute desquelles elle ne tarda pas à tomber. Plus de vitres, presque pas de serrures. Au bord d'un des étangs, on remarque les restes d'un colombier disparu depuis quinze ans. A la Petite-Brière, on ne distingue presque plus la place qu'occupait la ferme. Les fondements même en sont arrachés, les fossés comblés; le jardin reste en friche.

Le luxe de l'ameublement répondait dignement à la misère du dehors (1). La chapelle était à peine garnie de quelques objets indispensables au culte, tous en mauvais état et sans nulle valeur. Le moyen-âge n'y avait laissé que de rares manuscrits d'une écriture antique, un missel de 1556 et un petit livre gothique imprimé sur parchemin. La liste des meubles du prieuré, quoiqu'elle entre, bien

(1) V. Etat des meubles et bestiaux livrés à Guille Bodant, le 18 avril 1650. — Inventaire des meubles de Flotin en décembre 1715 (Arch. de l'Yonne).


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conciencieusement, dans le détail de ces objets de l'usage le plus intime que Ton ose à peine nommer, n'est pas beaucoup plus longue. Si, à quelques débris de literie et de la vaisselle la plus vulgaire, on ajoute l'énumération de plusieurs coffres de bois oe qui sont de tout temps audit prieuré », et trois vaches, un cochon et un tas de foin, l'on aura une idée du palais où Feydeau délégua le sieur Baudan pour tenir sa place, du presbytère si envié par le curé de Saint-Sauveur. Et cependant telle était la vénération dont on avait entouré Flotin pendant des siècles, telle était la puissance des souvenirs et de la tradition chez nos pères que ce sanctuaire désolé, ce monastère sans moines, cet asile de la paix troublé par les combats d'un parlementaire, attirait encore de nombreux pèlerins. Néanmoins, en 1665, certaines personnes des alentours, sous le voile de l'anonyme, élèvent enfin la voix et viennent se plaindre par-devant les notaires de Boiscommun c que les bastiments destinés pour le logement des relligieux, reffectoire et dortoyr et mesme l'église sont proffanés, servent de logement pour les boeufs, vaches et autres bestiaux, les foings, pailles et fourrages du fermier : s'est commis audit prieuré de Flotin quantité d'actions vilaines et infâmes... » Ce n'est plus qu'un lieu servant « de retraite à toutes sortes de personnes vicieuses et de femmes impudiques, ce qui est cause de désordres et que tout le voisinage est scandalisé, au lieu que cy-devant c'était un couvent de religieux qui vivaient en bon ordre, et où l'on avait accoutumé trois ou quatre fois l'année tant de cette ville, Montbarois, Saint-Loup, Chemault, Montliard, Nibelle qu'autres paroisses circonvoisines d'aller en processions, faire stations et dévotions es jours de fête... » et cela « à cause qu'il n'y a plus aucuns prestres ny religieux et qu'il ne s'y fait aucun service, synon une messe ou deux pendant un mois. . et, lorsque l'on y a esté de.cette ville en procest.

procest. ' 10


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sion, on a trouvé quelquesfois la porte de l'église fermée, d'autres fois que Ton y est entré, il ne s'est trouvé aucuns . ornemens pour y dire la messse, l'autel très-mal orné et plein d'ordures. Disent aussi que les murailles qui enfermoient ledit couvent et la ferme qui y étoit comprise sont tombés par terre en ruyne, et mesme une fort belle gallerie qui estoit dans le cloistre devant les bastiments, servant à aller des ungs aux autres... (1) »

Cette plainte resta sans écho. Le rôle moral et religieux de Flotin était désormais fini. Quant à l'administration de ses biens, Feydeau suivit les traditions de son prédécesseur,

Les procès continuent. En 1666, on voit arriver un certain Isaïe de la Rivière, ancien soldat, aveuglé et tout estropié au service, présentant des lettres du roi qui le nomment frère-lai à Flotin et ordonnent de pourvoir à ses besoins comme si c'était un religieux. Or, le prieuré de Flotin n'étant point de fondation royale ne devait pas se soumettre à l'obligation de recevoir un frère-lai : plusieurs arrêts lui avaient reconnu cette franchise. Feydeau se borne à ne rien payer. Assignation devant le Grand Conseil. Mais l'affaire n'eut pas de suites.

Les curés de Montliard, de Chemault ne sont pas devenus plus traitables.

Les forestiers, avec l'ardeur qui les caractérise, viennent saisir le troupeau du prieuré, pâturant paisiblement dans ses propres bois de franchise.

La fabrique de Boiscommun, malgré des condamnations successives, ne peut se décider à payer un fermage de trente sous pour le Champ-de-la-Ville.

(1) La pièce ne va pas plus loin : elle n'a pas été achevée. Son style, la précaution prise par les plaignants de ne se point nommer, le soin de rédiger un document officiel et authentique au lieu d'une simple requête adressée au prieur, tout laisse soupçonner l'intervention de quelque ennemi de Feydeau, de quelqu'un de ses compétiteurs évincés.


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Basly, chirurgien de Boiscommun, doit vingt-neuf ans d'arriéré sur les cens du moulin de Chemault.

n s'agissait aussi de 29 ans d'arriéré pour les seigneurs de Beaulieu, François de Sanlec, et Dominique son fils

Grâce aux créances dont ces personnages étaient prodigues, Beaulieu ne tarda pas du reste à passer entre les mains de M. de Forcade, commissaire aux saisies judiciaires.

Les possessions du grand et du petit Martinvault s'étaient anéanties, victimes des entreprises de MM. de Machault et de Crévecoeur qui avaient fini par se les approprier et par les vendre avec leurs terres de Rougemont et de Montbernaulme. Enfin depuis que le procureur général de Harlay avait acquis Varennes, il s'était tout-à-fait dispensé d'en payer les redevances.

Tel était l'état de Flotin lorsque, en 1673, Feydeau mourut, et eut pour successeur le P. Lefebvre, visiteur des chanoines de Champagne (procureur, César Pierre de la Court-Dauvail) 1673-1683. Les derniers prieurs furent :

Les pères Couaslier 1683-1704. Chocquet 1704-1725.

Rogier, aussitôt démissionnaire en faveur du P. Hub. Franc. Caron, curé de Bresle, près Beauvais, qui en 1760 résigna de même son bénéfice au profit du P. Rfasselet, curé de Cloyé près Chàteaudun, puis de SaintValérien-de-Ruan, près Blois Louis Riffault clôt la série en 1784.

L'état des bâtiments empire toujours. Le 30 avril 1732, dans une requête adressée à l'archevêque de Sens, le P. Caron lui expose que l'église de Flotin « tombée de vétusté » dit-il, depuis trois mois, est trop vaste : que, vu sa position « au milieu d'une forest éloignée de toute ville « elle est fréquentée seulement « par le fermier qui en est voisin : » il déclare que le revenu de plusieurs années serait néces-


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saire pour la réparer : il demande donc qu'on lui permette plutôt de la démolir pour la remplacer par une petite chapelle de six toises de long sur deux de large, ce « qui serait plus que suffisant pour contenir les peuples que la dévotion y pourrait attirer. »

Chargé par l'archevêque de faire un rapport à ce sujet, le curé de Fréville se rend sur les lieux avec des experts : il trouve le pignon tombé, « le côté du nord ébranlé par la chute et menaçant ruine prochaine... comme le reste des bâtiments de ladite chapelle, lesquels sont d'une étendue très-vaste et d'une hauteur excessive. » EL s'enquiert « s'il y avait quelque concours de peuple pour certaines dévotions, et à certains jours de fête. » On n'y voit, lui est il répondu, que le curé de Nibelle (1) qui vient y dire la messe deux fois par semaine et le fermier : une réduction lui semble donc convenable. L'archevêque permet en effet d'y procéder. Mais on se ravisa et on préféra encore, en 1732 et 1733, réparer l'ancienne église, ce qui, malgré les calculs du P. Caron, ne coûta que 2,302 livres.

Les prieurés fondés par Flotin n'étaient pas moins en décadence. N.-D. des Grès, Dorlot, Saint-Fiacre-Fontaine, Ghevannes, Sainte-Véronique subsistaient seuls dans leur état primitif (2). Quant à N.-D. des Cormiers, Saint-Sul. pice de Malesherbes et au prieuré du Rozoi, leur existence était véritablement plus que problématique.

Si Saint-Fiacre de Briarre s'était évanoui, il avait du

moins laissé son souvenir, et aussi quelques arpents de

terre que possédait sans remords le curé de la Neuville.

. N.-D. d'Amilly se composait d'une simple chapelle reven(1)

reven(1) Prieurés-cures de Saint-Sauveur et de Nibelle ayant été réunis, le prieuré de Nibelle plus important que l'autre et non moins ancien (il existait avant l'an 1132) avait seul gardé son nom.

(2) Grâce à un arrêt du Parlement, de 1657,


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diquée par le curé du lieu. Enfin Saint-Caprais possédait beaucoup de papiers, mais rien au-delà. Ainsi le prieuré de Flotin n'était plus qu'un petit bénéfice ; sans importance, et d'un revenu de 2,000 livres (1), lorsque la révolution éclata, et vint terminer sa longue agonie. Les biens furent saisis et comme biens nationaux vendus à un sieur Mezuré, pendant que Saint-Caprais, qui jusqu'au bout partagea les destinées de Flotin, devenait, par la même voie, la propriété de M. de Secval. Tous les bâtiments du prieuré se convertirent en ferme : l'église servit de grange. Ce nouvel état ne dura pas longtemps. Dans les premières années de l'empire, un nouveau possesseur, le général Landrieu, pressé d'argent, abattit les arbres séculaires qui ornaient ces ruines; puis il porta la main sur les constructions et sur l'église, dont les débris servirent, à paver les faubourgs de Boiscommun.

Et maintenant l'on peut dire que rien ne subsiste plus de l'ancien monastère, rien du moins qui le rappelle immédiatement. Des ossements sans nom déterrés çà et là et transportés au cimetière de Nibelle ; deux grands piliers, beau spécimen de l'art Orléanais au début duxnie siècle, qui supportent une grille de jardin; quelques têtes grimaçantes, telles que le ciseau au moyen-âge se plaisait à en façonner, encastrées dans les murs de la petite chapelle que le pieux souvenir d'un homme de bien, M. Cayol, a élevée sur les ruines de l'ancienne ; une seule tombe encore entière, celle de Jean d'Aulnay ; une autre, brisée et grossièrement taillée pour un usage vulgaire, représentant une dame ;

(1) D'après le Pouillé général du diocèse de Sens. Paris Alliot 1648 — 2,210 liv., d'après un Poleanus dioc. Sen. manuscrit de 1761 (Bibliothèque de l'Arsenal, à Paris). Cependant en 1725 le P. Chocquet, prieur, prétendait que, déduction faite des non-valeurs, frais, dîme du clergé, etc., il ne lui restait plus guère que 500 livres.


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quelques débris de la tombe ' du prieur Hugues ; un ancien bénitier qui longtemps servit à désaltérer les animaux ; enfin deux ou trois chapiteaux mutilés, des éclats de colonnettes et d'inscriptions, voilà ce que nous a légué, après une vie de six siècles, le monastère sorti du fond des forêts à la voix d'un saint solitaire. Tout a disparu, et ses fondements même sont couchés sous le gazon.

Octobre 1887.


RAPPORT

SDR

LE MÉMOIRE QUI PRECEDE;

Par M. BOUTET DE MONVEL.

Séance du 19 juin 1868.

Notre premier devoir en commençant l'examen du mémoire qui porte l'épigraphe : « Vox quoque per lucos

exaudita silentes ingens, » a du être de nous référer aux conditions tracées pour le concours, et de soumettre à la section qui nous a délégué la question toute naturelle que voici :

« L'auteur du manuscrit sur le prieuré de Flotin, aujourd'hui hameau et manoir forestier, dépendant de la commune de Nibelle (Loiret, arrondissement de Pithiviers, canton de Beaune-la-Rolande), a-t-il consacré les efforts de son talent et ses recherches consciencieuses à un des principaux établissements religieux de notre localité ? »

La question nous semble jusqu'à un certain point délicate à résoudre. La piété de nos pères, l'esprit de paix qui les a toujours animés, même lorsqu'ils luttaient avec tant de persévérance pour le maintien de notre nationalité, la beauté


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calme de nos sites jointe à la fertilité du sol, ont peuplé l'Orléanais de tant d'établissements conventuels d'ordres différents, que, à part Micy et les deux grandes ruches de Fleury-sur-Loire et de Ferrières dont la gloire et les services rayonnent encore d'un éclat impérissable, il serait aujourd'hui fort difficile d'apprécier des titres presque effacés, et qui pourtant se traduisent peut-être encore de nos jours par l'esprit d'ordre intelligent, calme et laborieux de nos honnêtes populations. Ce serait un travail que d'énumérer seulement les congrégations établies dans Orléans avant 1789; que serait-ce si on tentait d'y ajouter celles que comprenait son arrondissement, celles de Gien, de Pithiviers et surtout celles de Montargis, où les plus magnifiques ruines de cloîtres s'exploitent en ce moment par une bande noire blasonnée? Que serait-ce s'il fallait les classer et leur assigner leur rang d'importance et de mérite ?

N'entreprenons donc pas une tâche dont les détails feraient reculer un collège de bénédictins, et bornons-nous à examiner le mémoire que votre délégation m'a confié.

La Société prononcera.

Ce que nous remarquerons d'abord dans le mémoire sur Flotin, c'est l'ordre. Une première partie est consacrée à la fondation (1169-1200); une seconde (1200-1336) constate les progrès et en quelque sorte l'épanouissement de cette pieuse retraite ; la troisième partie (1336-1444) nous en fait déjà pressentir la décadence, complète dans la quatrième (1444-1646), malgré et peut-être attendu l'intervention pontificale, qui succédant à l'élection, ne tarde pas à créer des conflits de promotions, et à introduire avec la foule des compétiteurs celle des commandataires, cette ruine de toutes les institutions claustrales. Enfin la cinquième partie (1646-1789) nous fait assister à l'agonie du moribond dont la révolution vend à vil prix la dépouille inutilisée par la main-morte et dont l'industrie libre va centupler la valeur.


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Dans la première partie, la fondation de l'ordre est exposée avec une clarté, une simplicité attachantes, et nous ne saurions y reprendre qu'une certaine exagération des prouesses complètement ignorées de Guillaume, le fondateur, et peut-être aussi des mérites de ce xir 3 siècle, suivant l'auteur, un des plus heureux pour la France. Pourquoi donc l'anathématiser plus bas, en le traitant de scientifique et de financier, qualifications qu'il est bien loin de mériter ?

Cette partie intéressante comprend la règle de la sainte maison, qui offre du reste une grande analogie avec toutes les constitutions de ce genre, sauf la nuance de mondanité que comportait la tolérance du cheval, et nécessairement à sa suite, celle des chiens et des faucons. Aussi regrettonsnous un assez mauvais concetti sur le frère cuisinier, seul oisif parmi tous les religieux. N'exagérons jamais. Sans doute l'homme ne vit pas seulement de pain, mais encore lui en faut-il peu ou prou, et la lingerie de toile, luxe si grand à cette époque, prouve que le renoncement des bons pères n'était pas aussi absolu que l'auteur semble le croire.

Nous aurions aimé à trouver, au lieu d'un jeu de mots, quelque développements sur les services rendus par Flotin à l'agriculture et aux lettres. La sagacité qui a su rétablir sur des documents péniblement recueillis tous les détails de la distribution des cloîtres, dont il ne reste plus de traces, aurait pu nous initier aux travaux de leurs pieux habitants, et nous lui en aurions su un gré infini.

Cette lingerie nous semble aussi donner lieu à quelques critiques, adressées non à la règle que l'auteur a puisée, comme on dit, à la source, mais à son interprête. Le statut


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cité, bien loin de prescrire le linge pour le vêtement, le proscrit au contraire, et ne le tolère que pour les caleçons et la chemise, suivantle sens que Ducange (Edit. Henschell; 1845, tom. vi, p. 446, col. 3), donne aux mots superpelliceum. Les draps de toile sont expressément défendus par le statut : linea stramenta non habebunt (V. Ducange, t. vi, p. 363, col. 3, stramen). Le même statut interdit aussi les culcitras (coultes ou couettes), lits de plumes, et ne permet le linge que pour la taie d'oreiller, cenicalia tanlum adrelevationem capitis. Hya loin de là au grand saint Martin pour qui le coucher sur de la paille était une mollesse condamnable. Au fond quelques contre-sens n'ôtent rien de son intérêt à la citation textuelle de la règle que l'auteur emprunte au Cartulaire de l'Yonne, par M. Quantin.

II

Consacrée aux développements rapides de la pieuse institution, la seconde partie n'offre pas moins d'intérêt, et c'est assurément une preuve habilement choisie de la prospérité de Flotin et de l'estime qu'avait méritée la sainte vie de ses habitants que l'empressement des familles du pays à confier à leurs prières et à la terre bénie de leur champ de repos les restes de ceux qu'ils avaient aimés, d'autant plus que, comme le marque l'auteur, le droit de sépulture dans l'intérieur d'un couvent se compensait par d'abondantes aumônes. Nous applaudirons de grand coeur à cette remarque judicieuse que si les noms gravés sur ces tombes ne se font pas, ou se font du moins rarement admirer par leur éclat historique, ce sont tous noms des bonnes familles de la localité, et des témoignages éloquents encore bien


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que muets du renom des Pères et des affections que leurs vertus leur avaient conquises dans la contrée. Cette démonstration se complète par l'énoncé des nombreux rejetons que la sainte maison propage autour d'elle, dès le premier siècle de sa fondation et dans les trois Gâtinais de Pithiviers, de Montargis et de Gien, et ces deux preuves sont à nos yeux bien plus concluantes que les indulgences, dont l'auteur convient lui-même qu'on faisait abus, et que les donations qui dénoteraient plutôt un esprit de lucre et d'envahissement peu compatible avec le cloître quoiqu'il en ait été presque toujours inséparable. Si nous voyons les richesses affluer, ne doutons pas que nous touchons à la décadence et qu'elle va bientôt se réaliser.

Mais ce que nous ne saurions concilier avec la justesse d'aperçus que nous avons jusqu'ici reconnue dans l'auteur, c'est l'indignation qu'il exprime contre ceux des pères de Flotin K à qui la retraite n'avait malheureusement pas fait perdre le goût des lettres. » Non que nous trouvions bonnes les épitaphes blâmées, mais nous regrettons seulement que le goût des lettres se soit dégradé à ce point chez les saints reclus qui avaient reçu entre autres missions providentielles, celle de conserver et de nous transmettre, bien souvent à leur insu, le trésor des connaissances et des chefs-d'oeuvre de l'antiquité, que le cloître, où le respect du manuscrit s'entretenait religieusement et sous les sanctions les plus sévères, dérobait à la main dévastatrice des barbares et du temps. Dieu a voulu que le moine copiât, comme l'abeille fait son miel, celui-ci suivant les prescriptions de la règle, celle-là suivant les lois primordiales de l'instinct. Soyonsen reconnaissants envers Dieu, mais ne vilipendons ni le moine, ni l'abeille, et pardonnons aux moines d'avoir été parfois de leur siècle, en faveur de ce qu'ils nous ont transmis des siècles passés.


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III

Avec la troisième partie du mémoire nous voj^ons, avonsnous dit, commencer la décadence et elle a pour motif, suivant l'auteur, l'incertitude qu'apporte dans les destinées de la France la terrible guerre de Cent-Ans. Sans rien préciser, faute de documents authentiques, ce dont nous devons le louer, il suppose, avec toute apparence déraison, que, dans ce cataclysme où le Gâtinais a été sillonné dans tous les sens par les Anglais, par les Bourguignons, et par les écorcheurs de toute nationalité, la pieuse institution, non-seulement a subi le ravage universel, mais encore a perdu presque tout moyen de réparer ses pertes par la mort glorieuse ou la ruine de ses bienfaiteurs ordinaires. Cependant la dévastation de Flotin ne fut pas si complète que l'ordre n'ait reçu des secours de divers seigneurs entre 1347 et 1349, de Philippe d'Orléans, quatrième fils de Philippe de Valois, en 1356. Ces secours sont assez importants pour permettre à l'abbaye de se rédimer des droits du sire de Barville et de Saint-Sauveur. H s'y ajoute même encore en 1395 une donation importante de dame Marie de la Taille ; mais nous sommes alors dans les jours de répit qui séparent les deux périodes désastreuses de cette guerre, si miraculeusement terminée pour la France ; Charles V et le bon connétable ont purgé des Anglais la presque totalité du sol national, et, dans l'année- qui précède Azincourt, un don du sieur Dutertre atteste encore la richesse domaniale de Flotin ; mais à partir de 1415, on peut dire avec l'auteur que Flotin n'existe plus guère, comme réunion conventuelle, qu'à titre de souvenir.

Quelques efforts généreux, surtout ceux du cardinallégat d'Estouteville, tentent bien de relever de ses ruines le


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pauvre prieuré, mais aux bulles succèdent les collations par ordonnance royale, conséquences du concordat de 1516, et avec ce régime les promotions de commandataires, c'està-dire de prieurs non résidents, séculiers, parfois même hérétiques, qui mangent de fait la totalité des revenus du prieuré, quoiqu'ils n'aient droit qu'aux deux tiers, laissant un prieur claustral ou un sous-prieur faire vivre ses moines comme il se pourra.

Cependant, jusqu'à l'invasion de la réforme, dont nous sommes surpris que l'auteur n'ait pas dit un mot, quelques donations de loin en loin, quelques baux attestent encore l'existence d'une ombre de réunion conventuelle, que D. Morin (Edit. de 1630) réduit à six moines, comme le dit notre auteur. Mais au début du xvif siècle, le couvent est réduit à deux pères, dont l'un meurt en 1615 et le dernier en 1622, pendant qu'une foule de prieurs se disputent les revenus de l'abbaye que D. Morin, à peu près à cette époque, évalue à plus de 3,000 livres. Cette désertion des couvents était un fait général et très-significatif, et le 8 janvier 1581 une visite solennelle ne constatait que 10 religieux dans les vastes bâtiments de Fleury-saintBenoît(M. l'abbé Rocher, Hist. de St.-Benoît, p. 385).

C'est alors que commence le règne du bonhomme Paricouche, curé sans ouailles de St.-Sauveur, et que les restes du jardin de Flotin nourrissent encore mieux que sa cure déserte. Paricouche, réfugié plutôt qu'intrus, laisse chacun tirer de l'abbaye chômant, non pas faute d'un moine, mais faute de tous ses moines, ce qui peut être à sa convenance, et aux paysans, qu'effraie encore la crainte des aspirants prieurs, qui, mettant sur les dents les relais de poste, réalisent le dicton : « Ce sont les chevaux qui courent les bénéfices et les ânes qui les attrapent, » viennent se joindre les grands seigneurs, comme les d'Humières, les d'Entrague, et même les curés du voisinage, tous gens bien endentés,


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et craignant peu une foule de commandataires, nommés qui, par un pouvoir, qui par un autre, et par conséquent ' s'annulant réciproquement.

IV

Nous voici parvenus à la quatrième partie du manuscrit et, comme nous l'avons dit, aux derniers jours de Flotin, comme maison conventuelle. Ainsi qu'il arrive souvent ces suprêmes moments sont précédés d'une lueur d'espoir pour le pauvre couvent, sans un seul religieux, mais riche de quatre ou cinq prieurs. La foule des baux et des actes judiciaires dont fourmillent, dit l'auteur, les papiers du xvie siècle atteste que ces prieurs ne se demandent plus s'ils ont ou non charge d'âmes, mais qu'ils cherchent à tirer de leur bénéfice le plus de revenu possible. Nous sommes en 1646. Le pape intervient en lutte contre l'ordinaire, dont le protégé a expulsé le vieux Paricouche et est expulsé à son tour par un sieur de Mouchy, prêtre du diocèse de Rouen, qui a décidé à le suivre trois chanoines délégués par le prieur claustral de St-Jean, de Sens, la maison-mère de Flotin. Mais ce triomphe de l'élection régulière et conforme aux statuts ne dure que quelques mois En vertu du concordat, le Parlement de Paris, lui aussi, a fait sa désignation à rencontre de celle de l'abbé de St-Jean, de celle de l'évêque, et même de celle du Pape, et il a fixé son choix sur un de ses membres, le sieur Louis Feydeau, des Feydeau de Fleureux, dont, grâce à la sagacité de notre cher collègue, M. Loiseleur, nous avons pu constater l'identité, dans Hubert (Généalogies Orléanaises, tom.vni), et dans La Chesnaye (tom. vi, p. 337). Ce membre de l'illustre famille


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des Feydeau, originaire de la Marche, famille qui a donné son nom à un passage et à un théâtre de Paris, et son dernier comte à Gien, paraît avoir eu une nature des plus bouillantes. Les prodromes de la Fronde exaltaient alors toutes les têtes" parlementaires ; aussi, escorté de bandits et non de moines, le belliqueux conseiller s'empare à main armée de ce qu'il appelle son prieuré, après avoir fait endurer aux pauvres chanoines les terreurs et les angoisses d'un siège qui serait risible s'il n'était révoltant.

Paricouche, protégé de Feydeau, est rentré avec lui à titre de prieur claustral, mais il aime bien mieux manger les choux de Flotin que d'y nourrir des moines. Louis Feydeau, moins paisible, car on veut, contre tout droit, il est vrai, lui imposer pour frère-lai un soldat invalide, meurt en 1673 sur son siège parlementaire, et sans doute précédé par Paricouche, qui aura rendu son âme à Dieu en méditant le verset de Sexte : « Omnis consummationis vidi finem. » Après ce digne couple, les titulaires de Flotin tiennent au moins à l'église, jusqu'à Louis Riffault, dont le mémoire ne nous fait pas connaître la qualité, et qui, pourvu en 1784, fut nécessairement le dernier prieur. Mais que pouvaient pour la prospérité de la pauvre abbaye le Visiteur des chanoines de Champagne, le curé de Bresles, près Beauvais, ou celui de Cloye, près Châteaudun, que d'adjoindre aux revenus de leur mense ceux de Flotin qui étaient encore alors d'environ 2,400 livres?

Tout a trouvé aujourd'hui possesseur actif, intelligent, industrieux, tout a centuplé sa valeur depuis qu'à des titulaires insouciants a succédé, comme au temps du pieux Guillaume, ce que La Fontaine appelle l'oeil du maître, et au lieu de nourrir, avec leurs main-mortables peut-être une trentaine de moines, à en juger parla longueur que l'auteur suppose au dortoir, ces domaines épars, et revenus à l'état de friche en 1784, entretiennent aujourd'hui dans l'aisance


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plus de dix mille habitants libres, et heureux parce qu'ils sont libres. Ils nous enseignent hautement à bénir Dieu qui sait toujours tirer le bien du mal, même quand il renouvelle la face de la terre parla tempête des révolutions.

L'auteur couronne son ouvrage par des appendices tirés la plupart du riche trésor des archives de l'Yonne, aujourd'hui transférées à Auxerre, et qui réunis aux authentiques nombreux dont il a parsemé son récit donnent à son oeuvre le sceau d'un travail aussi sincère que consciencieux.

En résumé, quoiqu'il faille aider un peu à la lettre pour reconnaître dans le prieuré de Flotin un des principaux établissements religieux de l'Orléanais, nous devons reconnaître pourtant que son histoire se rattache réellement à celle de notre pays et. par des points multipliés, à celle des principales familles du Gâtinais.

Encore bien que ce travail ne constitue pas une histoire proprement dite, le récit est simple, clair, facile, intéressant dans de nombreux passages. L'auteur n'affirme jamais qu'en nous mettant sous les yeux des preuves qui, si les moyens de, contrôle nous échappent parfois, attestent également la sincérité et l'étendue de son travail.

Le style laisse quelquefois à désirer; l'auteur consulte souvent le jugement plus que l'oreille du lecteur. Nous n'aimons pas certaines consonnances, comme date antique; la rudesse de caractère est toujours vice tandis que l'austérité est une vertu nécessaire à un fondateur. Enfin, tout ce qui porte le nom de femme est une femme et a droit à un respect tel que nous n'employions pas de circonlocution pour prononcer le mot femme. Mais ces défauts de forme passent inaperçus dans un ouvrage étendu et consciencieux comme celui que nous avons sous les yeux ; trop clair-semés pour nuire à l'ensemble, ce sont, comme dirait l'indul-


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gent Horace, grains de beauté sur un corps éclatant de

blancheur.

« Velut si

Egregio inspersos reprendas corpore noevos. »

Au demeurant, que demandait notre programme?

Un travail original, inédit, intéressant l'histoire locale, sincère avant tout.

Le mémoire que nous venons de lire remplit-il ces conditions? Pour n'hésitons pas à répondre par l'affirmative.

Et d'abord est-il original? Le mémoire cite, mais sans les nommer précisément, les historiographes de Flotin. Cette expression d'historiographes appliquée à un établissement aussi obscur que cette annexe de St-Jean de Sens est un peu ambitieuse sans doute, et peut-être l'auteur aurait-il dû se borner à indiquer ses sources, ce qu'il a fait du reste en nommant Dom Morin et le Gallia Christiana, documents élémentaires que nous avons consultés, ainsi que beaucoup d'autres, et nos recherches nous démontrent la solidité des bases sur lesquelles s'appuie le mémoire. Mais ce ne sont pas là des historiographes copiés. En même temps- l'auteur a su, à l'aide des textes sommaires du Gallia Christiana, relever et rectifier les solécismes, les contre-sens, et les erreurs qui fourmillent dans le texte de D. Morin. Le recueil de ce dernier lui a fourni la règle de Flotin et la bulle d'Alexandre LTI, déjà indiquées dans le Gallia Christiana, mais tout porte à croire qu'il aura trouvé à Auxerre les textes originaux bien plus purs que ceux de D. LMorin. Notre auteur, à moins d'inventer, ce que vous réprouveriez infailliblement, ne pouvait que recueillir, juger, comparer et classer des documents qu'il a ensuite mis en oeuvre avec un discernement dont il est juste de lui savoir gré.

Reste la question d'intérêt. H est moindre sans doute que celui qu'offriraient ces grandes abbayes royales dont l'éclat se reflète à chaque époque dans les pages de notre histoire, T. xn. 11


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et qui ont rendu de si glorieux services à la religion comme aux lettres, au travail des champs comme à la civilisation; mais. cependant, ces récits sont souvent attachants par leur simplicité même, il y règne un ordre remarquable et en lisant l'exposé de la fondation de Flotin, on reconnaîtra avec une certaine émotion que cette grande voix dont l'auteur a réveillé l'écho sous les arceaux mystérieux de notre forêt ne rappelle rien de sinistre et qu'elle a été pour nos aïeux la voix de la prière et aussi celle du bon conseil.

Ce qui recommande surtout ce mémoire c'est l'abondance et le caractère des pièces justificatives. Elles sont au nombre de 55 parmi lesquelles 6 bulles pontificales. L'importante charte d'^Egidius en 1335 est citée dans nos deux éditions du Gallia Christiana et est en outre inscrite tout entière dansD. Morin. La reconnaissance par le prieur et les religieux de Flotin qu'ils ont obtenu, en 1202, permission royale de vendre leurs bois pour bâtir leur église est tirée du trésor des Chartes ; elle porte toutes les indications voulues pour le contrôler aux archives de l'Empire, et nous avons pu en trouver copie aux archives de la préfecture.

Quant aux lettres patentes de Philippe-le-Bel (1299), de Charles-le-Bel (1322), aux nombreux mandements du grandmaître des eaux et forêts, aux ordres de menstrée, aux lettres patentes de 1651 et au règlement de 1671, nous avons pu les vérifier à la bibliothèque d'Orléans, où ces pièces réunies forment le manuscrit sur Flotin.

Comme on le voit, nous avons pu sur cette collection, on ne peut plus recommandable, de matériaux à l'appui, en vérifier le plus grand nombre, sauf les bulles qui manquent dans nos recueils si incomplets que nous y cherchons en vain les plus célèbres, telles que celle Ausculta fili (Boniface VIH. 1301), et In coena domini (Paul LU. 1536) Quant aux actes privés, il nous aurait fallu recourir à MM. les notaires de Sens et de Boiscommun, et encore avons-nous


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pu en vérifier sept ou huit des plus importants à la préfecture du Loiret, grâce à l'obligeance de M. Maupré, archiviste du département.

Nous avons donc toute garantie de la sincérité du travail, et nous sommes assuré que cette sincérité répond à l'étendue des recherches, ce que nous devons surtout encourager.

Terminant ici ce rapport dont nous craignons qu'on nous reproche l'étendue, et négligeant quelques incorrections de style, quelques imperfections de détail ; en présence d'un ensemble solide, quoique la matière en soit d'importance secondaire, reconnaissons que nous avons sous les yeux un travail original, inédit, respirant partout une sorte de parfum d'intérêt local, et appuyé sur de nombreux et authentiques documents ; aussi n'hésitons nous pas à engager la section des Lettres qui nous a délégué comme rapporteur, à proposer pour la médaille mise au concours l'auteur du mémoire sur le prieuré de Flotin qui porte pour épigraphe :

« Vox quoque per lucos exaudita silenies

Ingens. » (VmG. Georg,, lib. 1).


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PROCÈS-VERBAUX.

Séance du 3 avril 1868.

Présidence de M. DE SAINTE-MARIE.

Après l'adoption du procès-verbal de la dernière séance, il est donné communication des ouvrages que la Société a reçus et dont suit la liste :

1° Mémoires de la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts, du département de la Marne, années 1865 et 1866, 2 vol. in-8° ;

2° Une brochure in-12, offerte par l'auteur, M. Trimaux, et intitulée : Principe universel de la vie, de tout mouvement et de l'état de la matière ,•

3° Bulletin de la Société protectrice des animaux;

4° Bulletin de la Société départementale d'Agriculture de la Brome, 2e édition, n° 26.

M. le Président communique une lettre qu'il a reçue de M. Parrot, secrétaire-archiviste de la Société académique de Maine-et-Loire, à Angers, par laquelle cette Société propose l'échange de ses publications contre celles de la Société des Sciences et Arts d'Orléans. Aussitôt cette proposition acceptée, elle offre de faire parvenir â Orléans, par l'intermédiaire de M. le Ministre de l'Instruction publique, sa collection qui se compose de 22 volumes.

La Société consultée décide que la demande d'échange est acceptée et que les 10 volumes publiés de la 2e série des mémoires qu'elle fait paraître seront adressés incessamment à la Société de Maine-et-Loire.


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M. Perrot annonce que le 7 mai prochain, à l'occasion du Concours régional, une soirée sera offerte par le comice agricole d'Orléans, dans la salle de l'Institut, aux agriculteurs des sept départements formant la région. Le Comice agricole accueillera avec plaisir ceux des membres de la Société qui seraient disposés à participer aux frais de cette soirée et à y assister.

Depuis la dernière séance, la section de Médecine et celle des Sciences et Arts se sont seule réunies. Toutes deux ont examiné les questions qu'elles doivent mettre au concours pour les deux prix nouveaux que la Société décernera l'an prochain, conformément à la décision prise dans la dernière séance. La section de Médecine n'a point encore terminé son travail à ce sujet et a ajourné sa décision. Quant à la section des Sciences et Arts, elle a résolu de proposer à la Société de choisir entre trois questions ci-après et qui ont été classées dans l'ordre suivant :

N° 1er. — Etude sur la corrélation qui existe entre le caractère architectonique des constructions dans les différentes contrées de la France et les matériaux employés ;

N° 2, — Etude théorique et pratique sur la conservation des vins en général et ceux de l'Orléanais en particulier ;

N° 3. — Etude sur les causes de l'infériorité de l'Art en province, et sur les moyens à employer pour les faire cesser

La discussion est ouverte sur le choix à faire entre ces questions.

Examinant la première question, M. de Buzonnière déclare la trouver très-belle et féconde en développements utiles, mais il se demande, si elle ne sort pas un peu, par sa généralité et son étendue, du cercle de questions que peut poser, avec chance de succès, une Société de province qui n'a à sa disposition que des récompenses d'une valeur assez modeste.

M. Sainjon répond que la section regrette en effet que la Société ne puisse pas réunir deux médailles ou l'argent qu'elles représentent, afin de donner une récompense importante et susceptible d'attirer des coneurrents de mérite.


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M. le Président fait remarquer que, si l'on entrait dans cette voie, les autres sections ne manqueraient pas de faire une proposition semblable, et qu'alors les ressources de la Société seraient bien vite dépassées.

M. Sainjon réplique que la Société pourrait se borner à décerner seulement un prix tous les deux ans.

M. Loiseleur fait observer que cela ne se pourrait faire que si le Conseil général y consentait, et il pense qu'il serait à souhaiter qu'il voulût bien laisser la Société libre de disposer de l'allocation qu'il lui accorde, au mieux des intérêts de la science.

M. Sainjon adhère à ces observations et propose de ne statuer sur les concours à ouvrir, qu'après que le Conseil général aura été consulté sur la question de savoir s'il veut laisser la Société libre de disposer des fonds qui lui sont alloués comme il lui conviendra.

Cette proposition est agréée et en conséquence, la décision est ajournée au moins de novembre prochain.

M. Mignon obtient ensuite la parole et entretient la Société du projet de dérivation des eaux de la Loire sur Paris. Il se demande si la Société, qui compte dans son sein des hommes distingués dans la science et la jurisprudence, n'a pas, elle aussi, son mot à dire sur une question qui émeut si profondément toutes les populations des rives de la Loire.

M. Gojard pense que ce n'est pas le rôle d'une Société savante, qui n'a aucun caractère politique, de s'immiscer dans une question que le gouvernement a soumis aux enquêtes publiques. Si la Société avait quelques observations à faire, c'est dans l'enquête qu'elle aurait dû les produire.

M. Perrot soutient au contraire que, dans l'état actuel de la question qui est encore à l'étude, la Société peut l'examiner sans sortir de son rôle ni manquer à aucune convenance.

M. Sainjon parle dans le même sens que M. Gojard ; la question, suivant lui, n'est portée devant la Société que parce qu'elle passionne les Orléanais ; mais il n'est pas de l'essence des Sociétés savantes de se


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lancer ainsi dans l'arène des questions publiques. Si la Société intervient pour la dérivation des eaux de la Loire, il n'y a pas de raison pour qu'elle ne s'occupe pas aussi des divers projets de chemins de fer auxquels Orléans est intéressé.

M. Mignon répond qu'il ne s'agit pas ici de politique, mais de science. C'est au point de vue purement scientifique qu'il faut se placer, pour examiner la question, sans faire invasion dans le domaine de la politique à laquelle, du reste, cette question ne touche qu'indirectement. Il faut savoir si le projet est réalisable, tant au point de vue scientifique qu'au point de vue légal.

M. Frémont pense qu'après les enquêtes qui ont eu lieu, rien d'utile ne reste plus à dire sur le projet. Tout a été dit, aussi bien pour que contre, par les parties intéressées ; la Société n'aurait donc rien de neuf à ajouter. L'honorable membre soutient de plus que, quoi qu'on en dise, il y a, au fond de l'affaire, une question qui touche de bien près à la politique, puisqu'elle intéresse la salubrité de la Capitale et qu'il ne convient pas que la Société intervienne.

M. Bimbenet fait observer que cette intervention serait d'autant plus compromettante pour la Société que le projet soulève un point de droit fort délicat, à l'examen duquel il serait bien difficile d'échapper et qui, d'ailleurs, est au fond du débat. Il s'agit de savoir si la dérivation des eaux de la Loire peut être décidée par un décret, ou s'il ne faut pas une loi pour l'établir. C'est là qu'est le véritable côté politique de la question.

M. le Président adhère à ces observations dont il fait ressortir la justesse, et la Société décide qu'il n'y a pas lieu d'accueillir la proposition.

M. Baguenault, en son nom personnel donne ensuite communication d'une notice intitulée : Etude de bibliographie littéraire.

Le renvoi de cette étude à la section des Lettres est prononcé par la Société.

M. Sainjon, au nom de la section des Sciences et Arts, fait ensuite un rapport[verbal sur la notice de M. Nouel quTa été lue dans la séance


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précédente et qui est relative à diverses plantes découvertes dans le département du Loiret, au cours de l'année dernière.

La section, par l'organe du rapporteur, propose l'insertion de cette notice dans les mémoires de la Société : cette insertion est prononcée. . M. Ludovic de Vauzelles obtient ensuite la parole pour donner lecture d'un morceau de poésie qu'il a composé à l'occasion de la fête du, 8 mai prochain. Préliminairement, il fait des réserves pour la publicité de cette pièce de vers, attendu qu'elle perdrait son à-propos si elle ne paraissait qu'à l'époque où elle pourra trouver place dans les mémoires de la Société.

Séance du 17 avril 1868.

Présidence de M. DE SAINTE-MARIE.

En l'absence de M. Loiseleur, secrétaire, M. de la Touanne est appelé au bureau pour le suppléer.

Après la lecture du procès-verbal de la dernière séance, il est donné communication des ouvrages que la Société a reçus et dont suit la liste :

1° L'agronome praticien, journal delà Société d'Agriculture de Compiègne, n° 57, novembre 1867 ;

2° Mémoires de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers, tome X, 3e et 4e trimestres ;

3° Comice agricole d'Orléans, bulletin n° 45, avril 1868 ;

4° Bulletin de la Société d'Agriculture de l'arrondissement de Mayenne, 10e année, 2°, 3e et 4e trimestres ;

Depuis la dernière séance, la section des Lettres s'est réunie pour entendre un rapport de M. de Monvel sur le concours ouvert par la Société sur une question d'histoire.

M. le docteur Charpignon, en son nom personnel, donne ensuite communication d'un mémoire intitulé : Notice sur les anciens chirurgiens d'Orléans, extraite des archives de la Société.


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Le renvoi de ce mémoire à la section de Médecine est prononcé.

M. le Président dit alors qu'il a dernièrement lu dans l'un des journaux auxquels il est abonné, un article sur l'une des questions traitées dans le mémoire du docteur Charpignon. L'auteur se demandait s'il y avait eu des chirurgiens-barbiers et concluait à l'absurdité d'une pareille assertion, disant que les plats échancrés placés à la porte des premiers maîtres en chirurgie se rapportaient seulement à la-pratique de la saignée. Les faits contradictoires du travail si intéressant du docteur Charpignon viendront donc fort utilement à la connaissance du public et des intéressés.

Séance du 1" mai 1868,

Présidence de M. DE SAINTE-MARIE.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté ; après quoi il est donné communication des ouvrages adressés à la Société :

1° Maître Jacques, journal d'agriculture publié à Niort, numéros de mars et avril 1868 ;

2° Bulletin des travaux de la Société départementale d'Agriculturt de la Brome, 2e série, n° 27 ;

3° Revue des Sociétés savantes des départements, 4e série, t. vi, n° de décembre 1867 ;

4° Mémoires lus à la Sorbonne dans les séances extraordinaires du Comité impérial des travaux historiques et des Sociétés savantes ; Histoire philosophie et Sciences morales, 1 vol. in-8°, 1867 ;

5° L'Agronome praticien, journal de la Société d'Agriculture de Compiègne, n° 61, avril 1867.

M. le Président donne communication d'une lettre, à lui adressée par M. le Président de la Société centrale d'agriculture de Nancy, qui


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demande que les Mémoires de la Société d'Orléans soient adressés à l'avenir à M. Bécus, archiviste de la Société d'agriculture de Nancy.

Depuis la dernière séance, la section de Médecine s'est seule réunie. M. Lepage, président de cette section fait connaître qu'elle a pris connaissance du travail de M. Charpignon, lu dans la dernière séance et relatif à l'ancien collège de chirurgie d'Orléans. La décision de la section a été ajournée.

M. Frot obtient ensuite la parole. Il voudrait que quelques membres de la Société se chargeassent de l'entretenir, selon leur spécialité, des découvertes et des expériences scientifiques les plus récentes. Ces communications faites verbalement, sans l'appareil et les préparations qu'exigent les mémoires destinés à l'impression, auraient l'avantage de tenir la Société au courant du mouvement scientifique. Pour commencer, il demande la permission d'entretenir la Société d'une invention récente bien modeste, mais qui a un côté très-réel d'utilité pratique. Il s'agit de la cuisine Suédoise, dont les journaux ont parlé dernièrement à propos d'une nouvelle ascension de M. Flammarion qui avait emporté ce petit appareil dans son ballon. L'idée première appartient au célèbre chimiste Liébig : l'inventeur de l'appareil qu'on a pu voir à l'Exposition Universelle est M. Leclere. Cette invention repose sur ce principe que, pour que les viandes cuisent, il suffit que le liquide où elles sont plongées soit maintenu à une température de 70 degrés, après avoir été toutefois porté à la température de l'ébullition complète, c'est-à-dire à 100 degrés. Un pot-au-feu dont toutes les parties ont été élevées à cette température et qui est ensuite introduit dans l'appareil, dont le double fond et, les parois sont bourrés de feutre, cuit à merveille et conserve encore, après 6 ou 7 heures, de 70 à 80 degrés de chaleur. Il en est de même des légumes et de beaucoup d'autres plats. Cette invention réalise donc à la fois une économie de bois, de temps et surtout de surveillance.

Un membre de la Société a proposé de faire de cette intéressante communication l'objet d'une courte note qui serait insérée dans les Mémoires,


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M. de Vauzelles obtient ensuite la parole, et lit une pièce de vers, pour la publication directe de laquelle il déclare faire des réserves.

Séance du 15 mai 1868.

Présidence de M. DE SAINTE-MARIE.

Après la lecture et l'adoption du procès-verbal de la dernière séance, M. le Président prend la parole.

Il félicite la Société de la bonne fortune qui lui est échue, lors de la visite que LL. MM. l'Empereur et l'Impératrice ont faite à la ville d'Orléans, le 10 mai dernier. Quatre de ses membres ont reçu, l'un la croix d'officier (1), trois autres celle de chevalier de la Légion d'honneur (2).

M. le Président exprime les sympathies que ces distinctions méritées ont rencontrées parmi tous les membres de la Société et remercie l'Empereur de la marque de bienveillance qu'il a donnée à ce corps savant.

La Société déclare s'associer aux sentiments de M. le Président et décide que mention de ses paroles sera faite au procès-verbal.

M. Noiiel, au nom de M. le secrétaire-général, donne ensuite communication à la Société des ouvrages qui lui ont été adressés depuis sa dernière séance, et qui sont :

1° Mémoires de l'Académie du Gard, de novembre 1865 à août 1866, lvol. in-8°;

2° Tome XVI des Bulletins de la Société Académique de Laon;

3° Bulletin de la Société protectrice des animaux, n° de janvier 1868;

4" Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, t. XI, 1er trimestre de 1868 ;

(1) M. Perrot.

„2) MM. Loiseleur, Gaucheron et Masure.


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.5° Bulletin des Séances de la Société impériale et centrale d'Agriculture de France, 3e série, t. III, nos 3 et 4 ;

6° Les Villageoises, poésies par M. Arsène Thévenot, 1 vol. in-18 ;

7° Une brochure intitulée : Nouvelles études sur l'inscription romaine récemment trouvée àMesve (département de la Nièvre) ; Conséquences de cette découverte pour la détermination géographique de Genabum, par M. Boucher de Molandon. Extrait des mémoires lus à la Sorbonne en 1867.

La Société charge M. le Secrétaire général de transmettre ses remercîments à l'auteur.

M. de Vauzelles, obtient la parole et donne lecture de deux pièces de vers dont il est l'auteur, l'une ayant pour titre : La Noce champêtre ; l'autre, La Gardeuse de chèvres du. Pausilippe.

Séance du 5 juin 1868.

Présidence de M. DE SAINTE-MARIE.

Depuis la dernière séance, les ouvrages suivants ont été adressés à la Société :

1° Mémoires de la Société d'Ethnographie. — Revue orientale, 2e série, t. 1er, n° 1 ;

2° Mémoires de l'Académie impériale des Sciences, Arts et BellesLettres de Caen, 1868,1 vol. in-8° ;

3° Tome XLVII, n°s 2 et 3, des Annales de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-lettres du département d'Indre-et-Loire ;

4° Mémoires lus à la Sorbonne dans les séances extraordinaires du comité impérial des travaux historiques et des Sociétés savantes tenues en avril 1867. —Archéologie ; — 1 vol. in-8° ;

5° Note sur une machine à ammoniaque, par M, Frot, membre de


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la Société — Extrait des mémoires de la Société des ingénieurs civils, brochure in-8°.

La Société vote des remercîments à M. Frot.

6° Bulletin de la Société protectrice des animaux, mars 1868 ;

7° Revue des Sociétés savantes des départements, 4e série, t. VII, n° de janvier 1868;

8° Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d'Agriculture de France, 3G série, t. III, n° 5 ;

9° Bulletin n° 46, n° de mai 1868, du Comice agricole de l'arrondissement d'Orléans ;

10° Les finances de l'Empire, par Auguste Vitu, brochure in-8°.

Depuis la dernière séance, la section des Lettres s'est seule réunie. Elle a entendu : 1° un rapport de M. Loiseleur sur la notice de M. Baguenault, ayant pour titre : De la variabilité des goûts littéraires ; 2° le rapport de M. de Monvel relativement au concours ouvert par la Société sur une question d'histoire.

M. Loiseleur, au nom de la section des Lettres, donne lecture de son rapport sur la notice de M. Baguenault, dont il vient d'être question.

M. l'abbé Desnoyers, fait ensuite connaître les conclusions de la section qui tendent à l'insertion dans les Mémoires de la Société de la notice et du rapport. Ces conclusions sont adoptées.

Séance du 19 juin 1868.

Présidence de M. DE SAINTE-MARIE.

Le procès-verbal de la dernière séance ayant été lu et adopté, M. Mignon demande la parole au sujet de la brochure de M. Frot, offerte


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à la Société, ainsi qu'il a été constaté par ce procès-verbal, et publiée par la Société des ingénieurs civils. M. Mignon pense que cette publication ne fait point obstacle à ce que la note qui en est l'objet trouve place dans les Mémoires de la Société. C'est la Société d'Orléans, en effet, qui a reçu les prémisses de l'importante invention de M. Frot, la substitution de l'ammoniaque à la vapeur d'eau dans les machines motrices. Il est donc naturel que les Mémoires de la Société, contiennent le développement complet de la pensée de l'inventeur.

Tout en reconnaissant la convenance de cette publication, M. le Président fait remarquer qu'elle ne pourrait avoir Heu que par dérogation à l'article 19 du règlement, et sur un vote formel de la Société consacrant cette dérogation.

La question est mise aux voix, et la Société décide que, par exception aux dispositions du règlement, le mémoire de M. Frot intitulé : Note sur une machine à ammoniaque, trouvera place dans ses Annales.

M. Frot remercie la Société de ce vote et demande que l'expression de sa reconnaissance soit consignée au procès-verbal.

Depuis la dernière séance, la Société a reçu les ouvrages suivants -.

l°Le tome XXIX de Y Annuaire de la Société philotechnique, année 1867;

A ce volume est jointe une demande d'échange qui est renvoyée à l'examen du bureau ;

2° Le n° 65, 2e trimestre de 1868, des Annales de la Société d'Agriculture de Châteauroux ;

3° Les circulaires nos 5 et 7 de l'Office général de chirurgie près le Ministère de la guerre des Etats-Unis, l'une relative à l'épidémie du choléra, l'autre aux amputations dans les rencontres de guerre, texte anglais.

A cet envoi est jointe une lettre par laquelle l'Office général de chirurgie réclame, en échange de ses publications dont plusieurs sont déjà parvenues à la Société, l'envoides Mémoires qu'elle publie.

L'examen de cette demande est renvoyée à la section de médecine.


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Depuis la dernière séance, la section de Médecine s'est seule réunie. M. Lepage, son président, fait connaître qu'elle a entendu une seconde lecture du mémoire de M. Charpignon, sur la corporation des anciens chirurgiens d'Orléans : l'auteur a fait à ce mémoire quelques modifications et M. le docteur Mignon a été chargé d'en faire le rapport.

M. de Monvel donne lecture du rapport qu'il a été chargé de faire au nom de la Section des Lettres sur le concours ouvert par la Société sur une question d'histoire.

Sur les conclusions conformes du rapport et de la section des Lettres, la Société décide qu'une médaille d'or de 400 francs sera décernée à l'auteur du mémoire sur l'ancien Prieuré de Flotin.

Elle remet à la séance prochaine, tant pour l'ouverture du pli cacheté qui contient le nom de l'auteur que pour déterminer l'époque et le mode de remise du prix.

La Société décide ensuite que le mémoire et le rapport qui le concerne seront insérés dans ses annales.

Séance du 3 juillet 1868.

Présidence de M. DE Sainte-MARiE.

La séance est ouverte à 8 heures, par la lecture du procès-verbal de la

précédente séance, lequel est adopté. Depuis cette dernière séance, la Société a reçu les ouvrages suivants : 1° Mémoires de la Société académique de Maine-et-Loire, dix-huit

vol. in-8°, numérotés de 1 à 20.


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2° Le n° 7 du tome II, du Bulletin de la Société d'Agriculture d'Orléans ;

3° Le n° de février 1868 de VAgronome praticien;

4° Bulletin des travaux de la Société départementale de la Brome ; 2« série, n°28;

5° UAgriculture en France, discours prononcé dans la cathédrale d'Orléans, le 9 mai 1868, par M. l'abbé Bougaud.

La Société vote des remercîments à l'auteur au sujet de cet envoi.

6° Bulletin de la Société protectrice des animaux.

Depuis la dernière séance, la section de Médecine s'est seule réunie. Elle a examiné la demande d'échange adressée à la Société par l'Office de chirurgie de Washington et a entendu le rapport de M. le docteur Mignon, sur l'étude de M. Charpignon relative aux chirurgiens-barbiers.

M. Mignon donne lecture de ce rapport, et M. Lepage, président de la section de Médecine, fait connaître les conclusions de cette section qui tendent à l'insertion de l'étude et du rapport dans les Mémoires de la Société. Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

M. Lepage présente ensuite une courte analyse des deux mémoires envoyés par l'office de chirurgie de Washington, à l'appui de la demande d'échange dont il vient d'être question. Au nom de la section de médecine, il propose d'accepter cet échange ; ce qui est adopté.

La séance est alors convertie en séance administrative, et M. le président décacheté le billet renfermant le nom de l'auteur du mémoire sur l'ancien prieuré de Flotin, auquel le prix du concours ouvert par la Société a été décerné dans la dernière séance.

Le nom inscrit dans le billet est celui de M. René de Maulde, élève de l'école des Chartes, demeurant à Paris, rue du Dragon, 10.

La Société décide que ce travail, ainsi que le rapport dont il a été l'objet, trouvera place dans ses annales et que le prix sera remis à l'auteur dans la séance du 8 janvier 1869.


LE CHATEAU DU HALLIER

Par M. JULES LOISELEUR.

Séance publique du 8 janvier 1869.

I.

DESCRIPTION.

Qui connaissait le Hallier, avant que les plans et dessins de M. Pensée, exposés pendant quinze jours à la vitrine d'un marchand d'Orléans, eussent appelé l'attention sur ce vieux manoir (1)? Quelques archéologues savaient vaguement qu'il y avait, dans l'arrondissement de Pithiviers, aux environs de l'ancienne châtellenie royale de Boiscommun, une ruine imposante, perdue au milieu des bois de Nibelle; quelques érudits avaient parfois rencontré, en feuilletant les mémoires des xvie et xvif siècles, le nom

(1) Les planches annexées à la présente monographie sont une reproduction trèsréduite de ces plans et dessins dont elles ne donnent qu'une idée bien imparfaite, par suite de leur faible dimension et des imperfections que présente encore l'exécution et le tirage de la lithographie en province. La couleur, les tons chauds et harmonieux qui font le charme de la vue originale ne pouvaient d'ailleurs être reproduits par la lithographie. /

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du Hallier mêlé aux souvenirs de guerre et à la chronique galante de ces deux époques ; mais nul assurément n'avait interrogé en historien ces tours à demi-détruites ; nul ne leur avait demandé le nom de leurs constructeurs, de leurs propriétaires successifs, les événements dont elles avaient été les muets témoins. Le crayon de M. Pensée a été, pour le Hallier, la baguette enchantée qui, dans le conte de Perrault, tire le château de la Belle au bois dormant de. son sommeil séculaire. Voilà l'heureux privilège du talent : il donne ou rend la vie à tout ce qu'il touche.

J'ai hâte de le dire, à la justification des archéologues du Loiret: à proprement parler, le Hallier n'a pas d'histoire; il ressemble aux peuples heureux. Ses modestes annales n'ont à enregistrer ni siège célèbre, ni légendes, ni aventures touchant par quelque côté à de grands événements. S'il mérite d'attirer l'attention, c'est bien plutôt par l'illustration de quelques-uns de ses détenteurs, que par les faits dont il a été le théâtre. On a même ignoréjusqu'à ce jour la date de sa construction : les affirmations hasardées dont j'aurai occasion déparier plus loin étaient bien faites pour égarer l'opinion sur ce point. H y a toujours quelque témérité à prétendre déterminer exactement la date d'un monument d'après les détails de son architecture. Il en est dé l'art comme de la nature: il ne procède pas par sauts brusques, mais par transitions presque insensibles. Les caractères des monuments, au commencement d'un siècle, sont, à peu de chose près, ceux de l'architecture dans la seconde moitié du siècle qui précède, et l'oeil le plus exercé peut souvent se tromper de cinquante ans sur la date exacte d'une oeuvre architecturale. Mais ici l'erreur était beaucoup plus forte: en reportantlaconstruction du Hallier à une époque antérieure à 1420, et à l'usage des armes à feu, on se trompait de plus d'un siècle


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et l'on méconnaissait absolument les indices très-significatifs fournis par la forme des curieuses meurtrières de ce château.

Comme on peut le voir par le plan, aussi exact que détaillé, qu'a dressé M. Pensée (1), le Hallier forme un long parallélogramme à peu près régulier. Ses deux grands côtés ont 68 mètres d'étendue : des deux petits, l'un a 50 et l'autre 51 mètres de longueur; c'est la seule et très-légère irrégularité que présente cette vaste construction.

Bâti sur un terrain plat et peu défendu par la nature, ce château ne l'est pas beaucoup plus par les moyens artificiels que ses fondateurs ont employés et l'on peut dire qu'il a plutôt l'apparence que la réalité de la force. Ses murailles sont ceintes de fossés, aujourd'hui^, peu près comblés, qu'alimentaient autrefois les eaux d'un étang voisin. Deux cours vastes et régulières s'étendent à l'intérieur : on accède à la première (2) par un pont de deux arches que prolongeait jadis un pont-levis, à l'extrémité duquel s'ouvrait la grande porte qui est à plein cintre ainsi que la poterne (3) et qu'encadrent deux pilastres étroits et plats, l'un et l'autre surmontés d'un cartouche sur lequel je reviendrai. Cette première cour contenait les communs. Le sol de la seconde (4), qui renferme l'habitation seigneuriale, est d'un mètre environ plus élevé que celui de la première. Cet exhaussement est factice et provient probablement de l'amoncellement des terres des fossés, car le rez-de-chaussée de l'habitation se trouve au niveau de l'avant-cour.

Les bâtiments de maître étaient de médiocre importance; ils occupent la face ouest où se trouve l'entrée, et il est

(1) Voyez planche 2.

(2) Cour B, planche 2.

(3) Planche 3, figure 3.

(4) Cour A, planche 2.


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remarquable que les fenêtres hautes et symétriquement percées qui éclairent la galerie du premier étage (1) ouvrent directement sur la campagne (2). Cela montre, à première vue, que ce château appartient à une époque de sécurité relative, où l'on redoutait peu les surprises et les coups venus de l'extérieur. La galerie dont j'ai parlé, joue, comme on le verra, un certain rôle dans la petite histoire du Hallier : elle donnait accès aux appartements, lesquels prenaient jour sur la cour. Les salles du rez-de-chaussée sont couvertes de voûtes en briques. On peut voir par l'un des dessins de M. Pensée (3), que ces voûtes, soutenues par de courts piliers de pierre, n'affectent point la forme ogivale ni celle du plein cintre, mais offrent un arc surbaissé (4). Destinées sans doute à la garnison, les salles basses dont il s'agit ici sont éclairées sur les fossés par des jours étroits et carrés percés entre les meurtrières (5). Elles communiquent avec la galerie ou chemin de ronde qui régne, ou plutôt qui régnait tout autour des bâtiments et des cours (6).

Chacun des angles du château est terminé par une tour en saillie, légèrement engagée dans la construction (7). Deux autres tours se dressent à l'extrémité de la ligne extérieure qui délimite l'habitation seigneuriale et la première cour (8). Quatre demi-tours saillantes complètent ce

(1) Galerie C, planche 2.

(2) Voyez la vue générale, planche 1".

(3) Planche 4, figure lre.

(4) Il faut excepter toutefois celles du chemin de ronde qui sont k plein cintre. La figure première de la planche 4 montre, l'une à côté de l'autre, la voûte à plein cintre et celle à arc surbaissé.

(5) Voyez planche 3, figure lre. ' (6) Planche 4, figure 2.

(7) Planche 2, numéros 1, 3, 4 et 6.

(8) Planche 2, numéros 2 et 5.


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ystème de défense : deux occupent le milieu du petit côté du parallélogramme ; les deux autres protègent l'avantcour (1). Je conjecture, et c'est aussi l'avis de M. Pensée, que l'escalier qui conduisait de cette avant-cour à la cour proprement dite était, lui aussi, défendu par une construction quelconque dont il ne reste plus trace apparente. Ainsi que les bâtiments et les murs du chemin de ronde, toutes les tours et demi-tours sont en briques : les soubassements seuls ont été construits en pierres de taille, et c'est la pierre aussi qui forme l'encadrement des fenêtres et des meurtrières. Dans l'état actuel, tours et demi-tours n'ont plus qu'un étage au dessus du rez-de-chaussée ; mais les tuyaux des latrines, béants au sommet de deux des tours pleines, montrent que ces conduits prenaient naissance à un second étage. C'est un fait remarquable que ce second étage ait disparu partout également: j'appuierai, en terminant, sur la régularité systématique avec laquelle l'enlèvement de tous les faîtes semble avoir été accompli, et qui exclut, à priori, l'idée que cette destruction savante et raisonnée soit due à la main du temps ou au ravage d'un siège.

La dimension des tours est médiocre : elles ont cinq mètres de dehors en dehors et leurs murailles, comme celles des bâtiments, n'ont guère plus d'un mètre d'épaisseur; mais elles sont défendues par deux rangées de meurtrières percées, les unes au rez-de-chaussée, les autres au niveau des fenêtres de la galerie (2). D'autres meurtrières en grand nombre défendent les bâtiments et le chemin de ronde : on n'en compte pas moins de 153 encore existantes dans l'ensemble des constructions et il devait s'en trouver d'autres dans l'étage détruit.

(1) Planche 2, numéros 7, 8, 9 et 10.

(2) V. plaiîehe lrc et planche 3, figure 1".


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Toutes ces meurtrières se composent d'une longue et étroite fente percée au fond d'une niche angulaire pratiquée dans le parement intérieur de la muraille, qui se trouve ainsi évidée et réduite à une mince épaisseur. C'est la forme ordinaire de ces ouvrages défensifs, forme trop connue pour qu'il soit nécessaire d'y insister. Toutefois, à la différence de celles qu'on remarque à droite de la porte d'entrée (1), les meurtrières des tours et des bâtiments d'habitation sont pourvues, à leur base, d'un trou rond qui mérite une attention particulière: il est percé à un mètre 20 cent, du sol, et à 25 cent, de l'extrémité inférieure de la fente longitudinale, dans le parement de la pierre qui termine l'angle coupé de la niche (2). A l'extérieur, cette pierre est évidée. Vu de la campagne, le trou rond se dessine au fond d'une série de cordons de pierre rectilignes qui vont en s'élargissant et l'entourent comme d'un cadre rectangulaire, en sorte que l'ensemble présente l'apparence de la moitié inférieure d'un appareil de photographie, quand la plaque qui reçoit l'empreinte est enlevée et qu'on voit briller au fond de l'appareil le verre rond de l'objectif (3). Ainsi la muraille, déjà évidée à l'intérieur par l'emplacement de la niche, l'est encore à l'extérieur par l'encadrement du trou. Cette disposition permettait aux armes des assiégés de s'incliner vers le sol extérieur et de défendre ainsi les bords et même le fond du fossé (4); mais elle avait deux graves inconvénients : elle décuplait, à l'avantage des assaillants, l'étendue du point de mire, et le mur, à l'entour de l'orifice circulaire, n'offrait plus qu'une résistance insignifiante.

(1) Planche 3, figures 11, 12 et 13.

(2) Planche 3, figure 9.

(3) Planche 3, figures 5 et 7.

(4) Planche 3, figure 8.


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II.

DATE DU HALLIER DETERMINEE PAR SON ARCHITECTURE. L'ANCIENNE FORÊT D'ORLEANS.

Dans la description qui précède, j'ai essayé de mettre en relief tous les détails d'architecture propres à permettre de déterminer l'époque à laquelle appartient le Hallier. Construction en pays plat ; forme presque exactement rectangulaire; emploi à peu près exclusif delà brique; tours peu épaisses, d'égale dimension, et, par suite, absence de donjon; fenêtres distribuées avec régularité, et éclairées sur l'extérieur ; voûte présentant un cintre surbaissé : ce sont là les caractères de l'architecture militaire à la fin du xve siècle et au commencement du xvi% à l'époque qui précède immédiatement l'introduction, dans les constructions, du style mixte de la Renaissance. Les meurtrières surtout ont une forme caractéristique. « L'artillerie à feu, dit M. Viollet-le-Duc, vint modifier de nouveau la forme des meurtrières. Celles-ci ne se composèrent plus que de trous ronds pour passer la gueule du mousquet, avec une mire au dessus (1). » Au Hallier, la mire, qui n'est autre que l'ouverture étroite et longue dont j'ai parlé, ne se lie pas au trou ; elle en est distincte et peut encore servir pour des armes de trait, ce qui semble indiquer que ce château appartient à une époque de transition où l'usage des armes à feu commence à se répandre, mais où l'architecture n'est pas encore exclusivement adaptée à cet usage : au dessus du trou destiné à la gueule du mousquet, on a

(1) Dictionnaire de l'architecture française, T. VI, p. 395.


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conservé les anciennes archères, en vue sans doute de les utiliser au besoin pour des armes de trait.

Cette époque, l'histoire de l'artillerie permet de la fixer approximativement. En 1495, lorsque Charles VIE envahit l'Italie, sur les 46,000 hommes de pied qu'on comptait dans son armée, deux mille seulement avaient des bombarbes à main ; le reste était armé d'arbalètes, de piques et de hallebardes (1). Ces deux mille hommes étaient des Suisses, commandés par un capitaine du duché de Gueldre. Jusqu'à François 1er, les fantassins français conservèrent l'arbalète. C'est seulement sous ce prince, dont le règne commence en 1515, qu'une partie de l'infanterie reçut des arquebuses (2). C'est aussi à la même époque que l'emploi des bombardes à main et des arquebuses, pour la défensedes places, devint à peu près général en|France, bien qu'on rencontre, dèsla fin du xvc siècle, quelques spécimens de meurtrières combinées pour de la mousqueterie (3). Les meurtrières du Hallier, les grandes surtout, offrent donc un intérêt particulier et donnent approximativement la date de la construction de ce château. Je parle ici de celui dont les restes subsistent, car on verra tout-à-1'heure qu'il a succédé à un petit manoir plus ancien, détruit pour faire place aux bâtiments actuels.

Je le répète, malgré son vaste périmètre, malgré ses dix tours, ses larges fossés et ses nombreuses meurtrières, le Hallier n'a que l'apparence de la force. Je n'y vois que la villa d'un puissant seigneur du commencement de la Renaissance, qu'une sorte de grand rendez-vous de chasse, bâti par des maîtres opulents, désireux de se mettre à l'abri d'un coup de main, mais où rien n'est disposé pour

(1) M. BOUTARIC, Institutions militaires de la France, p. 369.

(2) Id. p. 358.

(3) M. VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire d'architecture, T. VI, p. 396.


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soutenir un vrai siège, pas plus que pour recevoir une forte garnison. C'est bien plutôt pour résister à des attaques de routiers et de bandits qu'à des troupes réglées que ces légères fortifications ont été construites. Grâce aux tours savamment espacées, aux créneaux qui les surmontaient, aux nombreuses meurtrières qui défendent tout le périmètre des bâtiments, une poignée de braves pouvait suffire à la défense du château contre des assaillants peu nombreux et mal armés. Mais une troupe pourvue de canon aurait eu vite raison de murailles si peu résistantes. Ceux qui ont lu le traité de Plinguet sur la réformation des forêts, ouvrage publié en 1789, ceux qui savent ce qu'était encore la forêt d'Orléans à la veille de la Révolution, ne s'étonneront pas du mélange de précautions et de preuves de confiante sécurité dont témoigne l'architecture du Hallier. Sur les 140,000 arpents que cette forêt « la plus grande et la plus compliquée du royaume » comptait au temps de François Ier (1), il en restait encore, sous

(1) Une réformation de la forêt', faite en 1671, indique qu'à cette date elle contenait encore 121,000 arpents (Plinguet, p. 77). C'est donc à tort que M. Alfred Maury, dans son livre sur les Forêts de la Gaule, p. 260, affirme , sur la foi du vieil historien d'Orléans, François Lemaire, qu'au milieu du xvne siècle, la forêt d'Orléans était déjà réduite à 70,000 arpents. L'erreur de Lemaire provient manifestement de ce que, dans ces 70,000 arpents, il ne comprend pas les bois en gruerie, tandis qu'il les comprend au contraire dans les 140,000 qu'il assigne à la forêt au temps de François Ier, d'après l'arpentage fait sous ce prince. Il faut évidemment, pour se faire une idée juste de la superficie de cette immense forêt à une époque quelconque, joindre aux bois royaux ceux en gruerie, appartenant à de grandspropriétaires et dont le roi ou le prince apanage partageait par moitié les coupes ; dans les bois de l'abbaye de, Saint-Benoît (plus de 5,000 arpents), le droit du roi était même des deux tiers.

Je regrette que M. Maury, dont le livre témoigne de vastes recherches et d'une prodigieuse érudition, n'ait pas connu l'ouvrage de Plinguet, si spécial et si concluant. Que mon illustre confrère me


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Louis XVI, 89,000, percés seulement de 52 lieues de routes : encore ces routes étaient-elles mal entretenues, impraticables par leur étroitesse, l'humidité d'un sol glaiseux et les bruyères qui les envahissaient (1). Les choses ont bien changé aujourd'hui : la forêt d'Orléans est réduite à 35,000 hectares que desservent mille kilomètres de routes forestières, sans compter 64 kilomètres de routes impériales, départementales et vicinales. Mais, en 1789, on y trouvait encore des massifs de 800 à 1,200 hectares qu'aucune voie praticable ne pénétrait et dans lesquels aucun agent des forêts n'osait se risquer (2).'De temps immémorial, ces sombres profondeurs servaient d'asile à de vastes associations de malfaiteurs qu'on retrouve sous des noms divers à toutes les époques de notre histoire, depuis les Cotereaux et les Malandrins jusqu'aux fameux Chauffeurs d'Orgères, que le Directoire eut tant de peine à exterminer. L'un des historiens de

permette de lui signaler un autre point sur lequel je suis en désaccord avec son opinion. Comme lui, je crois volontiers qu'au XIIIE siècle , et même longtemps après, la forêt s'avançait jusqu'aux portes d'Orléans ; mais la preuve qu'il donne de ce fait me semble inadmissible. Il croit que l'abbaye de Saint-Euverte, dont l'église subsiste encore dans l'enceinte actuelle d'Orléans, était bâtie dans le bois dit de Saint-Euverte, et il en conclut que ce bois touchait à la banlieue de la ville. Le compte de saint Louis, sur lequel il s'appuie (Historiens de France , t. xxi, p. 272), ne dit rien de pareil. Ce compte parle simplement, en une courte ligne, des bois de Saint-Lyé et de SaintEuverte, mais il ne dit pas un mot de l'abbaye. De plus, le bois de Saint-Euverte existe encore : il se trouve à 14 kilomètres d'Orléans, entre Chevilly et Saint-Lyé , et il était séparé de l'abbaye de SaintEuverte par les bois de la commanderie de Saint-Marc et de SainteCroix , preuve irréfragable que l'abbaye n'était point bâtie sur le bois qui lui appartenait et qui portait son nom.

(1) Voyez le Traité sur les réformations et-, les aménagements des forêts, par PLINGUET, ingénieur en chef du duc d'Orléans, pages 32, 77, 80, 93, 107, 109 et 169.

(2) PLINGUET, p. 94.


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ces brigands, greffier du Tribunal qui les jugea en l'an vn, estime que l'origine de cette horde homicide remontait au malheureux règne de Charles VI (1). C'était une société dans la société, ayant, comme celle avec laquelle elle était en guerre, ses traditions, son gouvernement, ses écoles, son état civil, son Code criminel, son mode particulier de mariage. Le jour où la République proclama le divorce, la bande d'Orgères l'adopta pareillement. Elle avait son curé, dit curé des pingres, ses chirurgiens , ses courtiers, ses entrepositaires, ses affiliés de divers degrés répandus dans les campagnes et aussi dans les villes, les bourgs, les villages épars sur son domaine. Ce domaine (il faudrait dire ce royaume), dont le dernier chef de la bande, Fleur-d''Epine, reforma la carte, n'avait pas moins de cent cinquante lieues de circonférence (2). A Chartres, à Orléans, à Pithiviers, dans Paris même, la redoutable association avait des entrepôts et des traités passés avec des marchands peu scrupuleux : c'est ainsi qu'elle assurait l'écoulement des produits de son industrie. Des souterrains pratiqués en divers points de la forêt servaient d'abri provisoire aux objets volés, de refuge à la bande en cas d'attaque. Plusieurs étaient immenses. Ces cryptes, qui sillonnent en divers points le sous-sol de l'antique forêt, mériteraient d'être étudiées : nul doute que l'archéologie n'y fasse d'intéressantes découvertes le jour où elle dirigera ses investigations de ce

(1) Histoire des brigands, chauffeurs et assassins d'Orgères, par P. LECLAIR, Chartres, brum. an vin, et Histoire de la bande d'Orgères, par COUDRAY-MAUNIER, Chartres, 1858.

(2) Il ne se bornait pas, en effet, à la seule forêt d'Orléans : il englobait aussi la forêt de Montargis et celles du pays Chartrain, du Blaisois et du Vendômois. Toutes ces forêts se joignaient par quelques pointes et se reliaient même, au moyen-âge, *à celles de la Touraine et de l'Anjou.


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côté. Quelle est leur origine, leur destination première, leur topographie? Remontent-elles, suivant une hypothèse que j'ai entendu émettre, aux Pastoureaux et même aux Bagaudes d'Amandus? Sont-elles d'une date plus moderne et simplement destinées, comme celles de tant de forteresses du moyen-âge, aux sorties d'une garnison assiégée, à son ravitaillement ou à ses communications avec les défenseurs de quelque manoir voisin ? Tel serait le souterrain de Vitry-aux-Loges, l'un des plus vastes de la forêt d'Orléans, qui reliait, dit-on, le château de Vaux avec l'ancien château de Jarnonce, dont on voit encore les fossés et la double enceinte au nord de Vitry, entre cette commune et celle de Seichebrières.

Si c'était là encore l'état de la forêt d'Orléans en l'an vu, qu'on juge des dangers qu'elle devait présenter deux siècles et demi auparavant, à l'époque où fut bâti le Hallier ! Bourgs, villages, châteaux, abbayes, prieurés étaient fortifiés. Malheur aux locatures éloignées des centres, aux habitations isolées, à celles, en bien petit nombre, il est vrai, qui n'étaient pas sous la protection efficace d'un château. Leurs habitants n'avaient que le choix entre deux périls : l'incessante menace d'une attaque nocturne ou l'association secrète aux bandes. Beaucoup préféraient ce dernier parti. Pauvres fermiers de manoeuvreries isolées, locataires insolvables d'auberges suspectes, de mauvais cabarets perdus dans les bois, voilà ce qu'étaient ces Francs de campagne qui, dans la bande d'Orgères, avaient mission d'aller à la découverte, d'étudier, de préparer les coups. On les nommait ainsi par opposition aux Francs de maison, presque tous habitants des villes et des gros bourgs : ces derniers hébergeaient les Chauffeurs en tournée , les cachaient, recelaient les produits de leurs larcins et les transmettaient ensuite aux courtiers des grands entrepôts.


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Qu'on ne m'accuse pas de m'éloigner de mon sujet : ce qui précède explique clairement au contraire l'architecture du Hallier, ses fortifications à la fois savantes et légères. Quand il fut bâti, les Armagnacs, les Écorcheurs, toutes ces compagnies de gens d'armes et de mercenaires qui passaient alternativement du service du roi à l'exploitation des grandes routes, avaient fait leur temps. Aux Villandrado, aux Alexandre de Bourbon, aux Antoine de Chabannes succédaient d'ignobles gredins, sans naissance et sans énergie, qui n'avaient plus rien de l'insolente et superbe hardiesse de leurs prédécesseurs armoriés. Us faisaient leurs coups la nuit et par surprise, bien différents de ces capitaines, comme Lahire et Amaury de Sévérac, qui, las de servir Charles VII gratuitement ou à peu près, lui déclaraient un beau jour qu'ils allaient travailler un peu à leurs propres affaires, en mettant à contribution quelque riche cité ou même une contrée entière (1). Dès le commencement du seizième siècle le banditisme a oublié ces illustres traditions : il a perdu son blason ; il s'encanaille. La grande clarté de la Renaissance semble percer toutes les ténèbres, celles des forêts comme celles des esprits. Mal disciplinés, mal armés, plus experts à se servir du couteau que de l'épée, les routiers ne sont plus réellement dangereux que par leur nombre. Ce n'est pas qu'au besoin ils ne s'enhardissent encore jusqu'à faire le siège d'un château; mais il faut pour cela qu'ils le sachent mal fortifié et mal défendu, comme celui de Faronville, par exemple, que les Chauffeurs se préparaient à assiéger le jour où ils furent surpris par trahison. Encore ces coups d'audace étaient-ils rares, même au seizième siècle où les guerres de

(1) Voyez mon mémoire sur le recrutement et le pied de solde des troupes sous Charles VII, en tête du Compte des dépenses faites par ce prince pour secourir Orléans pendant le siège de 1429.


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religion absorbaient d'ailleurs toutes les énergies. Qu'un village ou un manoir fût assez solide pour résister à un coup de main, pour tenir au besoin un jour ou deux, cela suffisait. Le découragement gagnait vite les routiers, dont beaucoup, surtout parmi les affiliés, étaient contraints de rentrer le matin au logis, afin de dissimuler leur métier nocturne.

Je dirai tout-à-1'heure l'origine probable du droit de haute justice dont jouissait le Hallier. Ces hautes juridictions conférées à de très minces seigneuries ne sont pas rares dans l'histoire de la féodalité ; mais elles remontent à un temps très ancien et leur concession par les rois ou les grands feudataires dut avoir une cause qu'il est intéressant de rechercher. Pour ce qui concerne les petits fiefs enclavés dans de vastes forêts, telles que celles d'Orléans, de Montargis, de Blois, d'Àmboise, de Dourdan, cette cause me semble, sinon certaine, au moins vraisemblable. Dans mon Histoire de la pénalité, j'ai exposé la suite des mesures prises, depuis les premiers temps de la monarchie, contre le brigandage. A une époque où aucune route n'était sûre, il fallait qu'une justice rapide et sommaire protégeât le voyageur et l'habitant des campagnes. Aussi tout gentilhomme ayant voirie, c'est-à-dire basse justice, avait-il droit d'arrêter et de juger sur-le-champ le larron pris sur ses terres, de le mutiler, de le pendre, de le traîner même sur la claie. Il fallait quelque chose de plus, le droit, pour le petit vassal exposé aux attaques fréquentes des routiers, de frapper même leurs complices, les dépisteurs, les receleurs, les femmes attachées à leur fortune. De là ce plaid de la mort attaché à des seigneuries dites médiocres ou petites, car la haute justice consistait surtout à juger à mort sans appel.

La lutte des magistrats royaux contre les justices seigneuriales porta un coup funeste à la sécurité des cam-


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pagnes. Profilant du conflit des juridictions et des lenteurs introduites par l'appel, les vagabonds s'enhardirent. Quand toutes les sentences capitales prononcées par les justices seigneuriales se.virent soumises à la confirmation des juges du souverain, quand l'extension continuelle des pouvoirs conférés aux baillis et la. théorie des cas royaux eurent rendu à peu prés illusoire le droit du glaive appartenant aux seigneurs hauts justiciers, on sentit que la société allait se trouver désarmée devant l'audace croissante des gens sans aveu. C'était désormais à la royauté de pourvoir à la police des routes, des forêts et des habitations isolées. Rôle difficile et qui ne fut jamais qu'imparfaitement rempli"! Auxjustices seigneuriales amoindries, désarmées, mais non détruites, François Ier donna pour auxiliaires les prévôts des maréchaux, juges d'épée établis pour battre la campagne avec leurs archers, et connaître, sans appel, des vols accompagnés d'effraction, des assassinats, des séditions. Dés lors l'effroi d'une répression énergique, foudroyante, indiscutable, sans recours possible, pesa sur les ennemis de l'ordre social et répondit à l'effroi perpétuel qu'ils faisaient peser sur les malheureux habitants des ibrèt.s et des campagnes. La maréchaussée n'était pas présente'partout en temps opportun, le vagabondage osait parfois entrer en lutte avec elle ; mais, en définitive, il était rare que force ne restât pas à la discipline et à la loi. Tout en continuant à ceindre leurs demeures de fossés, de meurtrières et. de créneaux pour se garantir des surprises, les seigneurs purent donc diminuer l'importance et l'épaisseur de leurs fortifications auxquelles les progrès croissants de l'artillerie enlevaient d'ailleurs leur mérite principal.


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III.

ORIGINES DU HALLIER. SES PREMIERS SEIGNEURS ET SA

MOUVANCE FÉODALE.

Malgré les réminiscences d'une époque antérieure dont son architecture porte les empreintes, on voit que, dans ma pensée, le Hallier ne remonte pas plus haut que la première moitié du xvie siècle. Je suis donc en complet désaccord avec l'opinion qui assigne à ce manoir la date du xive siècle; aussi essaierai-je de joindre, à la preuve toujours contestable tirée des formes architecturales, l'autorité plus probante des anciens chroniqueurs et des ' documents.

La bibliothèque d'Orléans possède de nombreux manuscrits du chanoine Robert-Hubert, mort le 22 juin 1694 et auteur de l'Histoire de l'Église de Saint-Aignan, imprimée en 1661. Au nombre de ces manuscrits se trouve une histoire de l'Orléanais en deux volumes et un recueil en huit tomes des généalogies de 950 familles tenant par un lien quelconque à cette province.

Dans le premier de ces deux manuscrits, Hubert a consacré quelques lignes au Hallier. Il est remarquable qu'il ne commence la liste des propriétaires de ce domaine qu'à partir de Charles de l'Hôpital qui, dit-il, « en était seigneur environ l'an 1525. » On ne peut supposer que Hubert ait agi de la sorte par ignorance de la généalogie de cette famille, car il avait sous les yeux dom Morin qui l'a donnée dans son histoire du Gratinais et qu'il cite souvent. Au tome II du second des manuscrits dont j'ai parlé, lui-même reproduit toute cette généalogie depuis l'an 1314 jusqu'à Louis XIII, et c'est seulement quand il


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arrive à Charles de l'Hôpital, par lequel commence la branche des seigneurs de Vitry, qu'il ajoute ces mots : « Il fut aussi seigneur du Hallier. » Nulle indication de propriétaires antérieurs, ni dans ce passage, ni en d'autres parties des manuscrits d'Hubert: il est clair que, pour cet écrivain, le Hallier, du moins en tant que château et tel qu'il existait de son temps, ne commence à faire figure dans l'histoire de l'Orléanais qu'à partir de Charles de l'Hôpital, seigneur de Vitry.

Voyons maintenant si les titres de propriété et les aveux, rapprochés et examinés de près, confirmeront les déductions qu'il est permis de tirer des deux textes d'Hubert et du style architectural de l'édifice.

Le Hallier s'appelait anciennement Mignyet renfermait, dans l'enceinte close de fossés où s'élevaient les bâtiments, une motte qui existait encore en 1541 sous le nom de « Motte du Hallier ; » ce qui laisse supposer qu'il y avait là, dans l'origine, un donjon détruit à une époque inconnue.

Aussi loin que les titres permettent de remonter, ce petit fief relevait des religieux, abbé et couvent de Saint-Denisen-France, à cause de leur châtellenie de Beaune en Gâtinais, châtellenie dont ces religieux étaient seigneurs dès avant l'année 862, ainsi que le prouve un titre de cette date cité par Hubert (1) : ils la tenaient, au dire de cet historien, de la générosité d'un petit neveu de Charlemagne.

H est probable que c'est aussi à un acte de libéralité royale qu'ils durent le Hallier, et que ce petit fief fut détaché, à une époque très-éloignée, de la châtellenie

(1) Hist. mss. de l'Orléanais, t. Ier, page 161. Un titre de 832 prouve même que l'abbaye de Saint-Denis était propriétaire de Beaune antérieurement à cette époque.

T. XII. 13


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royale de Boiscommun, avec les droits de haute et basse justice dont il était pourvu. On ne peut douter, en effet, que cette mince seigneurie n'ait été investie, comme d'autre petits fiefs voisins, notamment celui de Gaudigny, d'une pleine juridiction, soit qu'elle la dût au roi, soit qu'elle l'eût reçue des religieux de Saint-Denis au moment où ils inféodèrent le Hallier à son premier détenteur, et cela par voie de démembrement de leur justice de Beaune. Dans tous les cas, la pleine juridiction dont jouissait le fief du Hallier avait évidemment passé par les mains des religieux de Saint-Denis, et procédait d'eux d'une façon médiate ou immédiate, puisque les appels de cette justice ressortirent toujours à leur châtellenie de Beaune (1). Le plus vraisemblable est que l'abbaye avait reçu originairement le Hallier avec tous les droits qu'ils lui laissèrent en l'aliénant, car il est peu probable qu'ils eussent attaché de semblables droits à ce domaine si déjà il n'en eût été pourvu avant d'arriver en leur possession.

Quoi qu'il en soit, le privilège d'une justice dans toute son étendue, l'existence, à une date très-reculée, d'une motte et d'un donjon au Hallier, ce sont là deux faits qui témoignent de la haute ancienneté de ce petit fief. IL resta jusqu'à la révolution dans là mouvance de Beaune. Cet état de choses ne fut point modifié par la vente de cette dernière châtellenie que les religieux cédèrent vers 1596 au seigneur de Beaumont, Achille de Harlay, premier président au Parlement de Paris. Lorsqu'en 1656, le petitfils de ce magistrat obtint que les appellations du comté de Beaumont et de la châtellenie de Beaune seraient

(1) On verra par les pièces justificatives que, jusqu'à la veille de la Révolution, les seigneurs du Hallier firent aveu à la châtellenie de Beaune, non-seulement pour leur fief en lui-même, mais aussi et spécialement pour raison de la haute, moyenne et basse justice dont il jouissait.


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portées directement au Parlement de Paris, cette faveur ne changea rien, en ce qui concerne le Hallier, à l'ancienne hiérarchie des juridictions. Cette seigneurie était alors réunie à celle de Nibelle : les appellations de leur prévôt commun continuèrent de ressortir à la châtellenie de Beaune (1), sauf, sans doute, pour ce qui concerne les crimes qualifiés cas royaux, qui durent suivre la règle commune.

Le plus ancien titre du Hallier qu'il m'ait été donné de consulter porte la date du 6 novembre 1430. H nous apprend qu'à cette époque, ce domaine fut vendu par Pierre Le Vicomte, seigneur d'Aunoy-sous-Bresses, à Jean Rosserolles, écuyer. H consistait alors uniquement, <c en une maison, habergement, eaux, étangs, bois, prés et pâtures. » Le 25 septembre 1457, le Hallier entre dans la famille de Visy. C'est encore une simple maison, entourée de fossés. Seulement le titre ajoute ces mots à la désignation : & avec justice, telle comme audit lieu du Hallier appartient, »

De la famille de Visy, le Hallier passe à Guillaume d'Huisy, qui le vend, le 24 janvier 1537, à M. de l'Hôpital. Quatre ans après, le 24 août 1541, ce dernier rend foi et hommage au couvent de Saint-Denis, duquel il avoue tenir en fief « le lieu seigneurial du Hallier, consistant en maison, court, estables, granges, le tout clos de

(1) C'est donc à tort que Hubert, dans les quelques lignes qu'il a consacrées au Hallier, prétend que ce château était « de la mouvance féodale de la châtellenie de Boiscommun, même pour la haute, moyenne et basse justice. » (Hist. mss. de l'Orléanais, t. n.) Cela n'a pu être vrai qu'à l'époque extrêmement éloignée où ce fief n'était point encore entre les mains des religieux de Saint-Denis. Les pièces justificatives qu'on trouvera à la fin de cette notice, notamment l'aveu du 24 août 1541, celui de mai 1601, et le contrat de vente du 15 janvier 1647 démontrent clairement l'erreur de Hubert.


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fossez , qui anciennement s'appelloit la motte du Hallier , et tout droit de haute justice , moyenne et basse. »

Point de mention encore d'un château : les termes que je viens de citer contrastent avec ceux qu'on emploiera plus tard dans un aveu de 1601 où il est question du « château du Hallier, consistant en plusieurs corps de logis, galeries, etc. »

Le château ne semble donc pas encore bâti en août 1541, à l'époque où M. de l'Hôpital, son récent acquéreur, en fait hommage aux religieux de Saint-Denis. Trois ans après, le 6 décembre 1544, ce seigneur marie sa fille cadette à Jacques Lucas, seigneur de ' Courcelles, et le contrat qui est reçu par deux notaires d'Orléans, Pasquier et Herpin, est passé au château du Hallier (1).

Il semble donc bien que c'est dans ce court intervalle de trois ans que la construction a été accomplie, ou du moins commencée et que le constructeur n'est autre que ce Charles de l'Hôpital, inscrit par Hubert en tête de la liste des détenteurs successifs du Hallier. L'historien Orléanais, comme on voit, ne s'est trompé que de douze ans en fixant à l'année 1525 l'époque où ce fief passa entre les mains du seigneur de l'Hôpital, qui n'en fut réellement propriétaire qu'en janvier 1537. De tous les détenteurs de cette seigneurie dont les noms viennent d'être cités, celui-là est le seul dont le rang et l'opulence puissent expliquer la construction d'une pareille demeure. Le fait qu'il y mariait sa fille prouve que le Hallier n'était plus alors un modeste manoir, un simple habergement, comme parlent les titres antérieurs, mais un véritable château pourvu d'une chapelle et des appartements indispensables

(1) HUBERT, Généalogies manuscrites, T. II, p, 172, et minutes de Me Nouvellon, notaire à Orléans, successeur de Pasquier.


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pour de nombreux invités et les apprêts de noces somptueuses.

Ainsi tombent toutes les affirmations de l'érudit Orléanais qui a vu dans ce château un édifice a antérieur à 1420 » et qui lui a donné pour auteur un aïeul de Charles de l'Hôpital. Selon ce respectable, mais fantaisiste archéologue, le Hallier appartenait originairement aux de Braque, seigneurs deBellegarde, sous le roi Jean, lesquels le tenaient de la libéralité du duc d'Orléans : à la fin du xiv" siècle, Userait passé par alliance dans la famille de l'Hôpital dont un des membres aurait bâti le château actuel vers 1427. Les titres prouvent, comme on voit, que le Hallier n'entra réellement dans la maison de l'Hôpital que plus d'un siècle après cette date ; et, d'accord avec l'architecture, ils montrent que sa construction appartient à la première moitié du xvie siècle. Mais il est juste de dire, à la décharge de l'écrivain dont je viens de parler, que l'architecte du Hallier était loin d'être en avance sur son époque : ce n'est pas le style pur de la Renaissance, mais un style mixte, mélangé de réminiscences de l'époque précédente, qui caractérise l'oeuvre de cet architecte inconnu.

Je rejette à la fin de cette notice l'analyse détaillée des anciens titres sur lesquels je viens de m'appuyer et celle de plusieurs autres documents de date postérieure sur lesquels je baserai ce qui me reste à dire des diverses mutations que le Hallier a subies. Ces titres m'ont été communiqués par le propriétaire actuel de ce domaine, auquel je suis heureux d'en témoigner ici ma reconnaissance. Hs prouvent avec la dernière évidence que pendant cent dix ans, de 1537 à 1647, le Hallier ne sortit point de la famille de l'Hôpital.

Je ne saurais donc m'expliquer sur quoi repose une sorte de tradition populaire, encore répandue dans le Gâtinais, qui veut que ce château ait été offert par Charles IX


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à Marie Touchet, sa maîtresse. Un auteur d'extraction orléanaise, M. Lesguillon, dans un drame représenté à l'Odéon en-1833, et dont un des actes se passe au Hallier, a donné une sorte de consécration à cette légende :

Charles IX, étalant sa nouvelle conquête, Passa dans Orléans les jours, les nuits en fête, Lui donna pour sa dot le château du Hallier, Et le père Touchet fut nommé chevalier.

Le Hallier ne fut pas plus donné en dot à Marie Touchet que le titre de chevalier ne fut le prix de la condescendance de son père. Jean Touchet qui n'exerça jamais la profession d'apothicaire à Orléans, comme tant d'auteurs l'ont imprimé, prenait qualité, au dire du Laboureur, de sieur de Beauvais et du Quillart, conseiller du roi et lieutenant particulier au bailliage et siège présidial d'Orléans. Il ne reçut point la noblesse pour prix de son abjuration, comme M. Lesguillon l'affirme dans ce vers :

Et le roi l'anoblit le jour qu'il abjura.

H était catholique, il n'eut point à abjurer et il mourut sans avoir jamais été autre chose qu'un robin d'extraction bourgeoise, vivant noblement, sans être pour cela gentilhomme, et portant simplement, ajoutés à son nom plébéien, les noms des fermes qu'il possédait (1). On voit que l'auteur de Charles IX à Orléans a trouvé moyen de commettre en trois vers trois erreurs historiques.

(1) Voyez HUBERT, Généalogies manuscrites, t. u, f° 274, LE LABOUREUR, Additions aux Mémoires de Castelnau, t. n, p. 656, et BAYLE, Art. Touchet.


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IV.

LE HALLIER DANS LA FAMILLE DE L'HÔPITAL.

Charles de l'Hôpital, qui construisit le Hallier, appartenait à une famille illustre et ancienne. Son père, Adrien, commandait l'avant-garde de l'armée à la bataille de SaintAubin-du-Cormier, en 1488. Le duc de Bourbon, dont il était chambellan, le nomma, en 1499, gouverneur et bailli de Gien. Adrien de l'Hôpital mourut quatre ans après, laissant à son fils aîné, Aloph, sa seigneurie de Choisy, domaine qui, dans la suite, fut érigé en duché sous le nom de Bellegarde. Charles, qui était le cadet, forma la-branche des marquis et ducs de Vitry. Le père Anselme lui donne les titres de grand-maître enquêteur et général réformateur des eaux et forêts au département d'Orléans (1).

J'ai quelques raisons de supposer que son fils, François, termina la reconstruction du Hallier, ou du moins y fit quelques embellissements. C'est ce que semble attester le cartouche sculpté au-dessus de chacun des deux piliers plats qui encadrent la grande porte, cartouche dans lequel on distingue, à côté d'un H, le jambage d'un F. La forme cintrée de cette porte et de la poterne qui lui touche, trahit d'ailleurs nettement une oeuvre de la Renaissance.

François de l'Hôpital avait épousé Anne de la Châtre, fille ou soeur du maréchal de ce nom. De ce mariage naquit Louis, baron de Vitry et seigneur du Hallier. Après avoir pris parti pour la Ligue, Louis de l'Hôpital se rallia à la bannière de Henri TV et remit entre les mains de ce prince la ville de Meaux, par traité du 4 janvier 1594. H

(1) La généalogie de l'Hôpital se trouve dans le père Anselme, dans La Chesnaye-Desbois, Moreri, dom Morin et Hubert : c'est ce qui me dispense d'y insister.


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devint gouverneur de cette ville, capitaine de Fontainebleau , lieutenant de la vénerie et de la fauconnerie, l'un des capitaines des gardes-du-corps, chevalier des ordres en 1597. H mourut à Londres en 1611.

Au courant de l'année 1595, il avait acheté de Lorenz Arroquier, chevalier et colonel suisse, le domaine de la ville de Boiscommun, engagé par le roi au profit de ce dernier, et réunissant cette châtellenie à ses fiefs du Hallier et de Nibelle, il avait composé du tout un vaste domaine (1). On trouvera, aux pièces justificatives de cette monographie, un projet d'aveu en date de mai 1601, fourni par Louis de l'Hôpital à Messire Achille de Harlay, premier président au Parlement de Paris, seigneur de Beaumont et de la châtellenie de Beaune, pour raison des terres et seigneuries de Nibelle et du Hallier, mouvantes de cette châtellenie que M. de Harlay venait d'acquérir des religieux de Saint-Denis.

De tous les aveux relatifs au Hallier que j'ai pu consulter, celui-là est le premier où ce manoir soit désigné sous le nom de château et où il soit parlé de galeries : ce sont probablement celles qui entourent les bâtiments et où étaient percées les meurtrières du rez-de-chaussée (2). Ce même titre fait mention d'une chapelle. Selon toute jvrai(1)

jvrai(1) Hist. mss. de l'Orléanais, t. n. — Ce même Lorenz Arroquier, que Pellieux appelle Laurent Arrogues, avait aussi acquis la terre de Beaugency. — V. Essais historiques sur la ville et le canton de Beaugency, par PELLIEUX, continués par M. LORIN DE CHAFFESJ, t. Ier, p. 246.

(2) Il est dit dans ce titre que les divers biens qui y sont mentionnés appartenaient à Louis de l'Hôpital, par succession de ses père et mère, aïeul et bisaïeul. C'était Nibelle, ou même quelques-unes de ses dépendances seulement, qui pouvaient être depuis si longtemps dans la famille de l'Hôpital. On a vu 1 que le Hallier n'y était entré qu'en 1537 et par le fait du grand-père de Louis de l'Hôpital, et non de son aïeul ou bisaïeul.


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semblance, cet appendice ordinaire de toute demeure seigneuriale s'élevait en dehors de l'enceinte, comme semblent l'attester quelques ruines qu'on rencontre à l'est de cette enceinte, non loin des bâtiments modernes d'exploitation.

Revenons à Louis de l'Hôpital. C'est pendant que ce capitaine des gardes était seigneur du Hallier que Henri IV vint y réclamer l'hospitalité. Dans une histoire aussi peu riche en événements que l'est celle que j'essaie de ressusciter, ce séjour du Béarnais est un fait assez important pour qu'on s'y arrête. H est d'autant plus intéressant de l'établir qu'il a été contesté récemment: je fais ici allusion à un article sur le Hallier publié dans le Journal du Loiret, du 18 décembre 1868, par M. Vergnaud, l'archéologue dont je signalais tout-à-1'heure les erreurs d'appréciation touchant la date à laquelle remonte le château qui nous occupe.

a On a imprimé, dit-il, que Henri IV se rendait au Hallier près de sa maîtresse si connue, Henriette d'Entragues, marquise de Verneuil. Comme si Balzac d'Entragues, époux de Marie Touchet, mère d'Henriette, avait possédé le Hallier du chef de sa femme, tandis qu'il ne possédait, dans le Gâtinais, que le beau château de Malesherbes dont le Hallier n'a jamais dépendu... Malesherbes, dénommé aussi Choisy et où Henri IV est venu réellement. »

De ce que Balzac d'Entragues possédait le château de Malesherbes où sa fille reçut plusieurs fois Henri IV, de ce que le Hallier n'était point la propriété de Marie Touchet, il n'en résulte pas que l'amant de la marquise de Verneuil n'ait jamais séjourné dans ce dernier château. On va voir, au contraire, par des documents irrécusables, qu'il y résida au moins une fois, et cela justement au début de sa liaison avec Henriette d'Entragues. Quoique les faits généraux qui amenèrent cette visite soient connus, les circonstances en sont assez curieuses pour être établies avec plus de précision qu'on ne l'a fait jusqu'à présent.


— 202 — V.

HENRI IV AU HALLIER.

On était au mois de juin 1599 : Gabrielle d'Estrées, quoique morte depuis moins de deux mois, était déjà remplacée dans le coeur aussi mobile qu'aisément inflammable de son amant. Les complaisants qui vivaient des faiblesses du monarque s'étaient ingéniés pour lui chercher des consolations, et le comte du Lude, intendant des menus-plaisirs, avait maintefois dirigé ses chasses du côté de Malesherbes où résidait Henriette d'Entragues.

Ceux qui ont lu les mémoires de Sully savent à quel prix élevé M. et Mad. d'Entragues mirent les faveurs de leur fille et les résistances que cette coûteuse fantaisie rencontra de la part de l'économe surintendant des finances. L'affaire fut négociée comme un mariage véritable et les d'Entragues, en effet, comptaient bien en arriver là ; seulement ce fut le fiancé qui, au lieu de la recevoir, paya la dot de la future. H fallut que Sully trouvât cent mille écus pour appâter ce bec affilé, comme il l'appelle. Le ministre qui comptait sur cette grosse somme pour acheter le renouvellement de l'alliance des Suisses, gens qui, eux aussi, ne se donnaient pas sans argent, le ministre crut frapper l'esprit du prince en faisant apporter les cent mille écus dans le cabinet royal et en les étalant sur le parquet. Henri recula d'étonnement en voyant tout l'espace qu'occupait le prix d'un caprice. Mais la passion fut plus forte que l'intérêt politique : il passa outre et fit porter l'argent au château de Malesherbes, persuadé que la clef d'or lui en ouvrirait toutes les portes, y compiis celle de la chambre d'Henriette. Mais il trouva au seuil les père et mère, plus rogues et-plus exigeants que jamais : ils ne pouvaient


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livrer leur fille qu'à un mari ou du moins à un fiancé. C'est alors qu'intervint cette promesse de mariage que le prince eut l'imprudence de montrer à son ministre dans une galerie du château de Fontainebleau et que Sully indigné mit en pièces : toute cette scène est bien connue et je n'en rappelle ici que ce qui est essentiel à mon sujet.

« Le Roy, dit l'auteur des OEconomies, sortit de la galerie, entra dans son cabinet, demanda de l'encre et du papier au sieur de Loménie, et y ayant demeuré environ deux quarts-d'heure à faire un autre pareil escrit de sa main, il en ressortit, monta à cheval sans dire un mot et s'en alla chasser vers le Bois Malesherbes, où il séjourna deux jours entiers ou environ (1). »

Sully se trompe assez notablement sur la durée de ce séjour du roi à Malesherbes, séjour qui fut d'une semaine au moins, comme le prouvent les lettres datées de ce château et que M. Berger de Xivrey a publiées : la première porte la date du 7 juin 1599 ; la deuxième est datée du 11, et il y a ensuite une lacune de quatre jours pour laquelle aucune lettre n'a encore été mise au jour; mais le supplément à la collection de ces documents que prépare en ce moment M. Guadet, comblera probablement cette lacune.

Quoiqu'il en soit, c'est pendant ce séjour de Henri IV au Bois Malesherbes que fut conclu, non sans de lents préliminaires et de longues discussions d'intérêt, l'accord par lequel François de Balzac d'Entragues et Marie Touchet consentaient à donner leur fille pour « compagne au roi » (ce sont les termes de ce pacte étrange), à condition que, si elle devenait enceinte dans les six mois et qu'elle mît au monde un fils, Henri la prendrait « à femme et légitime épouse. » C'est ainsi, comme l'écrit Bayle, que furent

(1) OEconomies, coll. PETITOT, 2e série, T. m, p. 315.


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levées les traverses du père et de la mère, que la fille faisait intervenir à propos et qu'elle déclara insurmontables, si l'on n'amenait ces bonnes gens à un point si délicat, en mettant, par cette promesse leur conscience à couvert envers Dieu et son honneur envers le monde (1) » Ce petit morceau de papier qu'elle réclamait, disait-elle, en échange de la chose la plus précieuse qu'elle possédât et comme un préliminaire insignifiant, n'y ayant point en France huissier ni sergent assez osé pour citer en justice son signataire, ce papier n'en fut pas moins, quelques années plus tard, le prétexte de la conspiration des Entragues, fondée sur l'illégitimité prétendue du Dauphin né du mariage du roi avec Marie de Médicis, mariage accompli au mépris des droits de la marquise de Verneuil.

L'engagement qui devait avoir de si graves conséquences ne fit point taire les scrupules intéressés du père d'Henriette. EL fallait maintenant que le roi donnât à sa fille un train royal et lui achetât un château, celui de Beaugency, qui était à mi-chemin d'Orléans dont M. d'Entragues était gouverneur, et de Blois, résidence royale. Harcelé par ces exigences et pressé d'y échapper, Henri leva le camp un beau matin et vint s'installer au Hallier, chez son capitaine des gardes, pendant que Madame d'Entragues, plus accommodante que son mari, se rendait avec sa fille à Chemault qui n'était qu'à une lieue du Hallier. Ce beau château de Chemault, récemment démoli, avait alors pour détenteur Guillaume Pot, premier écuyer tranchant, qui le vendit, quatre ans après, à Marie Touchet (2), laquelle le céda à sa seconde fille, Marie Charlotte. On a longtemps

(1) Dictionnaire de Ëayle, article TOUCHET.

(2) Le 25 février 1604. Voyez, sur Chemault, une notice de M. de Langalerie, au tome rv, p. 20, des Mêm. de la société arch. de l'Orléanais, s


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conservé à Chemault, dans la chambre dite du roi, le portrait de cette digne soeur de la marquise de Verneuil et celui de Bassompierre qu'elle prétendait avoir épousé et qui lui avait souscrit un engagement analogue à celui qui liait le Béarnais à Henriette d'Entragues : on voit que ces sortes de promesses étaient une tradition de famille.

Du Hallier, le roi fit naturellement de fréquentes visites à Chemault. « H y allait à toute heure, » nous dit Bassompierre qui était du voyage. Toutefois le monarque trouva le temps d'expédier les affaires les plus pressées : il adressa au baron des Alymes, son intermédiaire auprès du duc de Savoie, une longue lettre relative au recouvrement du marquisat de Saluées et qui se termine par ces mots : «Escript au Hallier le XVje de juin 1599. » Le lendemain; il en rédigea une autre pour le chevalier de Berton et qui a trait à la même affaire. (1) La lettre qui suit immédiatement celle-là, dans le recueil des missives de Henri IV, est datée d'Orléans le 24 juin, ce qui laisse supposer que le prince usa pendant quatre ou cinq jours de l'hospitalité du Hallier : sa suite était petite et l'on s'explique ainsi comment il put trouver à se loger dans le peu de pièces que possédait ce manoir. « Nous n'étions que dix ou douze avec lui, écrit encore Bassompierre, mangeant ordinairement à sa table, couchés dans le même château. » L'amant de Charlotte d'Entragues ajoute ici un détail assez obscur pour nous, mais qui, dans sa pensée et pour les lecteurs du temps, avait sans doute une signification fort claire. <t Le roi, dit-il, eut au Hallier une grande prise avec M. le comte d'Auvergne, en présence de SainteMarie-du-Mont et de moi, dans la galerie, et il s'en alla de là à Châteauneuf. » (2)

(1) Recueil des lettres missives de Henri IV, t. v, p, 137 à 140.

(2) Mêm. de Bassompierre, coll. Petitot, 2e série, t. xix, p. 265. La galerie dont il s'agit ici est la galerie C, planche 2.


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Le comte d'Auvergne, fils naturel de Charles IX et de Marie Touchet, était le frère utérin d'Henriette : sa querelle avec le roi, dans la galerie du Hallier, avait trait vraisemblablement aux questions d'intérêt qui se rapportaient à cette coûteuse beauté, laquelle (Bassompierre nous le dit positivement), n'avait point encore capitulé, quoique le prix de la capitulation fût déjà entre les mains de ses parents (1).

Pour plus de liberté et n'avoir point à rougir de ses ruineuses condescendances devant des gens sérieux, Henri avait envoyé son chancelier avec son Conseil à Orléans, « faisant dessein, dit Cheverny, qui nous a laissé ce détail, de passer le reste de l'été à Blois, à cause qu'il avait acheté et donné à la dite damoiselle d'Antragues la terre de Bois-Jancy où il la faisoit venir pour la retirer des mains de ses père et mère et la posséder, ce luy sembloit, plus à son aise; et elle, prenant advantage de l'affection extrême que luy portoit le roy, ne manqua pas d'artifice et d'industrie pour s'en prévaloir (2). »

Cheverny était déjà malade et affaibli par l'âge quand il traça la substance de ces lignes qui figurent aux dernières pages de ses mémoires. Ce fut son fils qui les transcrivit et qui sans doute y ajouta une erreur de son cru : comme cette erreur touche à l'histoire de l'Orléanais, je crois utile de la rectifier en passant.

C'est seulement après la mort de Cheverny, arrivée le 30 juillet 1599, que la marquise de Verneuil devint propriétaire de la terre de Beaugency : Henri, sur ce point, résista longtemps à ses désirs et aux exigences de ses parents. H lui écrivait le 6 octobre : « J'ay assez montré la

(1) Mêm. de Bassompierre, p. 276.

(2) Mêm. du chancelier Hurault de Cheverny, coll. Petitot, lrc série, t. xxxvi, p. 395.


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force de mon amour aux propositions que j'ay faictes, pour que, du costé des vostres, ils n'y apportent plus de difficultez : ce que j'ay dict devant vous, je n'y manqueray point, mais rien de plus. » Et le 13 du même mois, en accusant réception d'une lettre d'elle : « J'ay veu par icelle l'étonnement de votre père ; il a bien raison ; car sa procédure m'a alliéné de toute sorte de traictés avec lui... Je vous supplie à mains jointes, ma chère ame, que je n'aye plus affaire à luy... L'argent pour vous achetter une terre .est tout prest; rien ne vous manquera (1) s Au moment où il écrivait ces lignes qui trahissent une sourde révolte, les négociations pour l'acquisition de la terre de Beaugency étaient déjà commencées. Elles avaient été entamées dès la fin de juillet 1599 et Cheverny, en effet, avait pu en avoir connaissance. A cette époque, Henriette mena sa royale victime à Beaugency (2), pour s'aboucher avec le maréchal de la Châtre auquel cette seigneurie était engagée : mais le contrat ne fut signé que le 25 avril 1600 (3), lorsque la grossesse, déjà très-apparente de Mlle d'Entragues, permit de croire que la condition mise par le roi à son mariage avec elle était sur le point de se réaliser. Le tonnerre, en tombant dans la chambre de la favorite, lui causa une frayeur qui la fit accoucher avant terme et brisa pour un temps ses espérances.

Revenons au Hallier. Cette visite de Henri IV dont je viens de préciser les circonstances, est la seule qui soit attestée par des documents irrécusables. Mais il y a de fortes raisons de penser qu'il dut la renouveler plusieurs

(1) Ces lettres ont été publiées au t. rv, p. 443 et 445 du Journal de l'Estoile, édit de La Haye de 1744.

(2) Mêm. de Philippe Hurault, coll. Petitot, t. xxxvi, p. 412 et suiv.

(3) Mss. de l'abbé Pataud, n° 442 de la bibl. d'Orléans.


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fois pendant les dix ans que dura sa liaison avec la marquise de Verneuil, liaison qui fut suspendue pendant quelques mois seulement, après la condamnation à mort du père et du frère de cette perfide maîtresse. Une tradition soigneusement conservée dans les environs du Hallier et qui m'est revenue de plusieurs côtés, veut que ce soit dans ce château qu'elle ait arraché à son faible amant la grâce des deux coupables. On va même jusqu'à préciser l'endroit où cette rémission aurait été signée : ce serait au premier étage de la tour qui fait l'angle nord-ouest du château. Le journal de l'Estoile et les mémoires de Bassompierre protestent malheureusement contre cette légende (1). Elle prouve du moins combien sont encore vivaces les souvenirs que le roi vert-galant a laissés dans ces contrées et les fréquentes excursions qu'il y fit, dans ses brouilles et ses raccommodements incessants avec sa fantasque maîtresse. Que de fois, pendant la longue durée de cette passion dont il rougissait, il battit les bois de Malesherbes et de Boiscommun et vint chercher un gîte dans les châteaux des environs ! Lui-même l'atteste dans une de ses lettres, placée par M. Berger de Xivrey, à la date du 22 mai 1608 (2) : « Votre mère et votre soeur sont chez Beaumont, où je suis convié de disner demain. Un lièvre m'a mené jusqu'aux rochers de Malesherbes, où j'ay esprouvé

Que des plaisirs passez doulee est la souvenance.

(1) C'est à Paris que la grâce fut signée au commencement de l'année 1605. V. Mêm. de Bassompierre, coll. Petitot, t. xrx, p. 342 et Journal de l'Estoile, même coll. lre série, t. XLVIII, p. 485.

(2) Lettres missives de Henri IV, t. vu, p. 557. La lettre n'a pas de date, mais M. Berger de Xivrey la place à la date du 22 mai 1608. Si l'on s'en rapporte à l'itinéraire des rois de France qu'à publié le marquis d'Aubais, ce serait à la fin d'août 1607 qu'elle devrait êtr placée ; car on voit par cet itinéraire que ce fut à cette époque que roi se rendit à Chemault et de là à Beaumont.


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Je vous ay souhaitée entre mes bras comme je vous y ay veue. Souvenés-vous-en, en lisant ma lettre; je m'asseure que ceste mémoire du passé vous fera mespriser tout ce qui vous sera présent ; pour le moins en fériés ainsi en traversant ces chemins où j'ay tant passé, vous allant voir. » Ces lignes durent être expédiées de Chemault où le roi logea avant de se rendre à l'invitation de Beaumont, dont son billet fait mention ; mais, ainsi que beaucoup d'autres lettres de Henri IV, ce billet n'indique ni le jour ni le lieu où il fut écrit.

VI.

CHARLOTTE DES ESSARTS.

Nous n'en avons pas fini avec la chronique scandaleuse . du Hallier. Il se rattache encore, par une autre maîtresse du Béarnais, à cette histoire intime et secrète qui, de tout temps, a côtoyé l'histoire publique et sans laquelle cette dernière serait souvent inintelligible. Je rappelais tout-à-1'heure la conspiration du comte d'Auvergne et de Balzac d'Entragues, et la rupture momentanée qui s'ensuivit entre le roi et sa maîtresse. L'interrègne fut rempli par la comtesse de Moret et la comtesse de Romorantin. Cette dernière était, au dire d'un de ses biographes, « une personne toute charmante, une de ces femmes auxquelles on ne donne pas volontiers son estime, mais à qui l'on ne saurait presque refuser son coeur, au moins pour quelque temps (1). Î=

Charlotte des Essarts, pour qui Henri IV érigea la terre de Romorantin en comté, et qui devint ensuite dame du Hallier, était fille du seigneur de Sautour et de Charlotte de

(1) DREUX DU RADIER, Reines et régentes de France, t. vi, p. 22. T. XII 14


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Harlay-Chanvallon. Elle eut de son royal amant deux filles : la première, qui devint abbesse de Fontevrault, fut légitimée en 1608, au dire du père Anselme.

Après la mort de Henri IV, la comtesse de Romorantin mena une vie d'intrigues et de scandales. Elle prétendit avoir contracté mariage avec Louis de Lorraine, cardinal de Guise, duquel elle eut cinq enfants : c'était le fils du fameux duc de Guise, tué aux États de Blois. Le contrat qui réglait cette prétendue union et qui portait la date du 4 février 1611, fut produit par un des enfants nés de ce commerce , dans le procès qui s'éleva pour la succession de Mlle de Guise, succession qui fut adjugée au prince de Condé, au détriment des droits très-problématiques de Charlotte des Essarts. Je glisse sur la liaison non moins scandaleuse qu'elle forma ensuite, et j'arrive immédiatement au mariage, très-authentique cette fois, qui la fit dame du Hallier.

Le 4 novembre 1630, la comtesse de Romorantin épousa François de l'Hôpital, comte deRosnay, seigneur du Hallier et de Beine, qu'on appela Monsieur du Hallier pendant les deux premiers tiers de sa vie : c'était le second fils du capitaine des gardes que nous avons vu recevoir Henri IV dans son château.

Louis de l'Hôpital, en effet, avait laissé deux fils : l'aîné, Nicolas, qui devint duc de Vitry et maréchal de France, céda le Hallier, en même temps que Nibelle et Boiscommun, à son frère François (1).

(1) HUBERT, Hist. Mss de l'Orléanais, t. u. La cession ou le partage qui rendit François de l'Hôpital propriétaire du Hallier et de Nibelle, dut avoir lieu peu de temps après la mort de son père, arrivée en 1611 ; car, dès le 4 novembre 1613, il rendait, pour raison de ces deux seigneuries, foi et hommage à Christophe de Harlay, conseiller du roi, comte de Beaumont et seigneur châtelain de Beaune-en-Gâtinais. (Voir aux pièces justificatives.)


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Ce dernier est une des figures militaires les plus caractérisées de ce xvne siècle qui en a produit de si remarquables, et mériterait mieux que la courte esquisse que je puis lui consacrer ici. D avait, comme son aîné, participé au meurtre de Concini, et ce fut même de sa main que partit le coup de pistolet qui mit fin à la vie de ce malheureux favori (1). Nommé, pour ce service, capitaine des gardesdu-corps, aux lieu et place de son frère, il fut, en cette qualité, chargé d'arrêter à Blois les princes de Vendôme (2). A partir de ce moment, son courage et ses talents militaires lui valurent un rapide avancement : il se distingua aux sièges de Rouen et de La Rochelle en 1628, à la conquête de la Savoie en 1630, et à la prise de Corbie en 1626. Créé lieutenant-général l'année suivante (3), et envoyé en Lorraine pour combattre le duc Charles IV, il vit l'essor de sa fortune entravé par les intrigues de sa femme, qu'il avait eu l'imprudence d'emmener à sa suite.

« En l'an 1640, disent les mémoires trop peu connus du marquis de Beauvau, il se fit un projet de paix par Monsieur du Hallier, à la sollicitation de Madame des Essarts qu'il avait épousée et qu'il aimait passionnément. "Cette dame avait un fils au service du duc de Lorraine, qu'elle avait eu d'un mariage clandestin du cardinal de Guise. Comme ce mariage avait toujours été caché et que, par Intérêt, les parents du cardinal ne l'ont jamais voulu reconnaître pour légitime, elle crut que le moyen d'élever

(1) Mêm. de La Force, t. iv, p. 37.

(2) Mêm. de Fontenay-Mareuil, coll. PETITOT , lre série, t. LI , page 12.

(3) Lettres missives de Henri IV, t. vu, page 490, note de M. BERGER DE XIVEEY. Du Hallier remplaça le maréchal de Brézê à la tête de la troisième armée des Pays-Bas, et prit d'assaut le Catelet le 8 septembre 1638. (V. les Mêm. de Montglat, coll. PETITOT, 2e série, t. XLIX, p. 204.)


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ce fils, qui se faisait appeler le chevalier de Roniorantin, était d'obliger le duc en travaillant à sa réconciliation avec le Roi et de le faire rétablir ensuite dans ses droits, espérant ' qu'il en aurait un ressentiment proportionné à l'obligation (1). »

Sur les instances de sa femme, M. du Hallier engagea donc le cardinal de Richelieu à écouter les propositions du duc de Lorraine qui rompit avec les Espagnols. H s'en suivit un traité conclu à Saint-Germain en 1641. Mais Charles IV trouva moyen d'éluder ses obligations et colora son refus en alléguant que Mad. du Hallier l'avait averti du dessein qu'avait le cardinal de le faire arrêter. Il adressa même au ministre un billet écrit par cette dame à la supérieure des filles de la Congrégation de Nancy où le projet était révélé. Richelieu n'était pas homme à pardonner une si coupable indiscrédion : la punition ne se fit pas attendre. M. du Hallier eut ordre de venir à la cour rendre compte de sa conduite et de celle de sa femme et d'expédier cette dernière dans une de ses terres d'où il lui serait défendu de sortir. Cet exil dura tant que vécut le cardinal. Est-ce au Hallier qu'il s'écoula ? H est permis de le supposer. Ce domaine était, de ceux que possédait François de l'Hôpital, le plus rapproché de Paris : Charlotte des Essarts, qui prévoyait la fin prochaine du ministre, dut tenir à s'éloigner le moins possible de la cour. Son mari resta dans une sorte de défaveur pendant les deux ans que vécut encore Richelieu. Mazarin rendit plus de justice à ses talents et à son courage : il lui fit confier la conduite de l'aile gauche de l'armée à la bataille de Rocroi et le nomma maréchal de France aussitôt après cette victoire, puis gouverneur de Paris en 1649.

Le maréchal de l'Hôpital perdit sa femme en 1653 et,

(1) Mémoires de Beauvau, p. 70.


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comme s"!i sut été prédestiné aux unions singulières, il épousa en secondes noces la célèbre Françoise Mignot, fille d'une blanchisseuse, celle-là même qui, après la mort du maréchal, arrivée en 1660, devint presque reine par son mariage avec Casimir V, l'ex-roi de Pologne.

Du vivant de Charlotte desEssarts et par acte du 15 janvier 1647 dont on trouvera l'analyse aux pièces justificatives, François de l'Hôpital avait vendu sa terre du Hallier, ainsi que le domaine-de Boiscommun", à Michel Particelli, sieur d'Emery, surintendant général des finances, lequel mourut en 1650. Sa veuve, Marie Lecamus, par acte du 17 mai 1661, céda le Hallier et le domaine de la ville de Boiscommun à son gendre Louis Phelipeaux, seigneur de la Vrillière et de Châteauneuf-sur-Loire, mort le 25 mai 1681, après avoir vendu à son fils aîné, prénommé Louis comme lui, ses fiefs du Hallier et de Nibelle, par acte du 28 mai 1678. (Voir l'aveu du 2 mai 1679.) Ce dernier étant décédé sans postérité, ce fut son frère Balthazar qui hérita de ces deux seigneuries, ainsi que de la terre de Châteauneuf où il mourut le 27 avril 1700. La seigneurie du Hallier passa alors à son fils, Louis, mort en 1725, laissant pour principal héritier, son fils, Louis Phelipeaux de la Vrillière, comte de Saint-Florentin, ministre-secrétaire d'Etat, en faveur de qui la terre de Châteauneuf fut érigée en duché dans le courant de l'année 1777. Elle lui avait été attribuée, ainsi que les seigneuries de Nibelle et du Hallier, aux termes d'un partage en date du 30 mars 1726 (1), par ses soeurs, les comtesses de Maurepas et de Plelo. A la mort du duc de la Vrillière, et par contrat du 8 mars 1778, Mad. de Maurepas, sa soeur, et la duchesse d'Aiguillon, sa nièce, fille unique de Mad. de Plelo, vendirent les seigneuries du Hallier et de

(1) 11 est énoncé dans l'acte de vente du 8 mars 1778. (Voir aux pièces justificatives.)


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Nibelle à M. Pèlerin delà Buxière, médecin consultant du roi aux colonies, dans la famille duquel le Hallier est resté jusqu'à ce jour. Le titre constate que ces seigneuries relevaient encore à cette époque de Beaune-en-Gâtinais : cette châtellenie appartenait alors au prince de Tingry, par suite du mariage de son auteur, Christian Louis de Montmorency-Luxembourg , avec la fille d'Achille de Harlay, quatrième du nom.

Vers 1816, le Hallier fut affermé par un industriel intelligent, M. Mathelin, associé à M. Denière, l'un des plus célèbres fabricants de bronzes de Paris. Tous deux jugèrent la terre du pays propre à la fabrication de la poterie ; ils établirent des fours dans les tours décapitées du château, auxquelles ils appliquèrent la toiture sommaire qui les défigure aujourd'hui. J'ai vu chez M. Jules Pèlerin, propriétaire actuel du Hallier, des carreaux d'appartement vernissés et émaillés sortis de ces ateliers. H m'a montré, de plus, de petits médaillons en terre cuite, d'un travail assez fin et représentant Louis XVTH et Charles X : ils sont faits en terre du Hallier et englobés dans une petite boule de cristal à superficie convexe, à la façon de ces serre-papier, dont le débit eut tant de vogue il y a quelques années (1). L'enceinte du Hallier renferme encore en ce moment une fabrique de poterie : là, comme presque partout, l'industrie s'installe en souveraine dans les restes d'une grande demeure féodale.

(1) L'art d'incruster divers corps dans le verre est aussi ancien que l'art même de la vitrification : un auteur spécial le fait remonter jusqu'aux Phéniciens. (L'art de la vitrification, par Bastenaire d'Audenart, p. 383). Mais ce n'est guère que sous le premier empire qu'il a acquis la perfection qu'on lui voit aujourd'hui. A cette époque, les figures incrustées, telles que croix, fleurs, portraits, étaient formées d'une pâte de porcelaine, composée de sable de Nevers, de soude d'Alicante et de terre calcaire. MM. Mathelin et Denière entreprirent de substituer à ce mélange une pâte de leur invention, composée en forte partie de terre du Hallier.


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VIL

LES PRETENDUS SIEGES DU HALLIER. — CAUSE PROBABLE DE SA

RUINE.

Voilà toute l'histoire du Hallier, si cela peut s'appeler une histoire. Très-peu d'événements, comme on voit; encore moins de bons exemples : ce n'est pas là, assurément, qu'on peut chercher un supplément aux Lettres édifiantes. On comprendra sans peine, après l'avoir lue, pourquoi tous les écrivains qui se sont spécialement occupés de l'Orléanais, ont été si sobres de renseignements sur le Hallier. Seul, M. Vergnaud, jaloux sans doute d'illustrer ses modestes annales , le gratifie d'une sorte de siège dont il se garde bien d'indiquer la date. « Ce château, dit-il, démantelé lors des ravages des reîtres en Gâtinais, ne paraît pas avoir été restauré depuis ce temps. » Mais les ravages des reîtres sont antérieurs à l'époque où Henri IV séjourna au Hallier, et personne n'admettra que Louis de l'Hôpital ait reçu son maître dans un château démantelé et ouvert à toutes les injures du vent et de la pluie, comme l'est aujourd'hui le Hallier.

A quelle époque aurait eu lieu ce siège ou cette quasidestruction du Hallier par les reîtres ? Je ne vois que deux dates possibles. Serait-ce après la bataille de Vimory, livrée le 29 octobre 1587? Les reîtres, défaits dans cette bataille, se dirigèrent de Montargis sur la Beauce et puisent, en effet, passer près du domaine des l'Hôpital. Mais, poursuivis l'épée dans les reins par le duc de Guise, qui les extermina près du bourg d'Auneau (1), ils n'avaient pas

(1) Journal de l'Estoile, coll. PETITOT, t. XLV, p. 341.


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le loisir de s'amuser au siège d'un château comme le Hallier, incapable de les défendre contre les troupes victorieuses qui marchaient sur leurs talons ; et ils n'avaient pas le temps surtout de procéder à la destruction de ses toitures avec la lenteur et la régularité qu'on semble avoir déployées pour cette opération. Serait-ce onze ans plus tôt, au moment du combat de Boiscommun , qu'il faudrait reporter les ravages dont le Hallier aurait été victime ? Le combat très-peu connu de Boiscommun eut lieu le 14 mars 1576 (1). A cette époque, une bande de reîtres faisant partie de ceux que Jean Casimir et le prince de Condé avaient amenés d'Allemagne, vint camper dans les environs de cette petite ville où elle fut attaquée par trois régiments envoyés d'Orléans sous les ordres de Crillon , Martinengues et Brichanteau. Deux compagnies de lansquenets s'étaient logées dans un moulina vent, près deNancray : c'est autour de ce moulin que le gros de l'action s'engagea. D'Aubigné, qui nous en a transmis le récit (2), ne fait nulle mention du Hallier : les détails circonstanciés dans lesquels il entre semblent même indiquer que les reîtres ne se portèrent pas du côté de ce château qu'ils laissèrent sur leur droite. Dans tous les cas, si les reîtres avaient pris le Hallier, soit en 1576, soit en 1587, soit à toute autre date, ils ne l'auraient pu faire sans que la brique des tours et des murailles conservât quelque trace encore, visible de leurs coups.

Je tiens donc pour très-probable que ce château n'a point été pris par ces troupes étrangères, et que si, dans leurs incursions aux environs, ils abattirent quelques pans de ses murailles, ces dommages étaient réparés lorsque

(1) L'abbé PATAUD , Mss. 446 de la Bibl. d'Orléans : c'est à tort que d'Aubigné range ce combat à la date de 1575.

(2) Histoire, t. H, p. 19.1,.édit. in-folio. .


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Henri IV y reçut l'hospitalité et, à plus forte raison, lorsque le maréchal de l'Hôpital en fut propriétaire.

J'ai indiqué plus haut la cause probable de la ruine. Dès la fin .du xvne siècle, le Hallier était déjà livré à ces lentes dégradations qui sont la conséquence de l'abandon. « C'est un très-beau château, nous dit Hubert, qui écrivait à cette époque, mais abandonné, pour avoir appartenu à de trop grands seigneurs qui en avaient de plus considérables dans les environs. » Quand le Hallier fut entré dans la famille de la Vrillière où il resta plus d'un siècle, les riches détenteurs du domaine de Châteauneuf se lassèrent du coûteux entretien de cette petite seigneurie, perdue au milieu des bois, loin de leur résidence princière. L'acte de vente fait à M. Pèlerin delaBuxière, en mars 1778, constate que le Hallier ne consistait plus alors qu'en « un ancien château à présent démoli et ne formant plus qu'une ferme. » Cette description, rédigée par un notaire éloigné du domaine dont il constatait la vente, ne doit pas être prise au pied de la lettre : démoli est là sans doute pour démantelé; car il ne se peut pas que l'oeuvre de destruction du Hallier fût alors plus avancée qu'elle ne l'est aujourd'hui; mais les termes employés par le notaire rédacteur prouvent du moins qu'elle était commencée. Ds montrent de plus que cette destruction fut bien le résultat d'une opération systématique, d'une démolition, et non des ravages du temps.

C'est donc à un La Vrillière que revient, selon toute vraisemblance, la responsabilité de cette entreprise vandale. Les pierres étant assez rares dans la contrée, ce seigneur imagina sans doute d'enlever avec soin et de vendre toutes celles qui formaient le couronnement des tours et des mâchicoulis, n est remarquable, en effet, qu'on ne rencontre plus guère d'autres pierres au Hallier que celles qui servent de base aux tours et aux murailles et


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qu'on ne pouvait enlever sans faire crouler tout l'édifice. Et comme on n'en trouve pas de gisantes dans les cours et les fossés, ainsi que cela devrait être si la ruine était l'oeuvre lente du temps, on peut conjecturer hardiment qu'elle est le fait volontaire et raisonné d'un des propriétaires de ce château, mystérieux encore dans sa chute comme il l'est dans ses origines.

PIECES JUSTIFICATIVES.

PREMIÈRE PIÈCE.

INVENTAIRE DES TITRES DE LA TERRE ET SEIGNEURIE DU HALLIER, ASSISE EN LA PAROISSE DE NIBELLE, MOUVANTE PAR PLUSIEURS TITRES DE BEAULNE, ET, PAR D'AUTRES, DE BEAUMONT EN GAST1NOIS.

Cette pièce sans date paraît être de la fin du dix-septième siècle.

I. — 6 novembre 1430. — La grosse en parchemin d'un contrat de vente passé pardevant Pierre Marque, tabellion juré â Boiscommun, fait par Pierre Levicomte, seigneur d'Aunoy-sous-Bresses, à Jean Rosserolles, escuyer, du lieu appelé le Hallier, assis en la parroisse de Nibelle, consistant en maison, hab ergement, terres, bois, prez, pastures, et génërallement tout ce qui appartenoit audit vendeur en ladite parroisse, tenu en fief de messieurs de Saint-Denis-en-France, sans autres charges.

II. — 25 septembre 1457. — La grosse en parchemin d'une autre vente passée pardevant Me Jean Girard, curé de Bresses-en-Gastinois, et tabellion juré audit lieu, par Jean Ravenel, seigneur d'Aunoy-sousBresses et damoiselle Jeanne de Blargis, sa femme de luy autorisée, à Geoffroy de Visy, du lieu, seigneurie", hameau et manoir du Hallier, ainsi qu'il se poursuit et comporte, consistant en maison, granges, habergement, court, espace, fossez, avec la justice telle comme audit lieu du Hallier appartient, trois étangs tels qu'ils sont, les fiefs,


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riers-fiefs, vergers, terres labourables et arrables, prez, bois, buissons, hayes, gastines, pastures, rentes, oblies, roitures, champarts, dixmes et autres quelconques revenus, appartenances et dépendances d'iceluy lieu du Hallier, et usages en la forest d'Orléans, tel comme à iceluy lieu appartient.

Et avec ce lieu, un autre lieu hereau et appartenances, nommée La Motte-des-Planches, ensemble toutes appartenances et dépendances d'iceluy lieu, ainsi qu'il se comporte, consistant en maison, masures, terres, vergers, bois, buissons, fiefs, riers-fiefs, cens, rentes, revenus et générallement tout ce que ausdits lieux du Hallier et de La Mottedes-Planches appartient, et de quelques seigneurs dont ils sont tenus et mouvants, sans en rien réserver ne retenir, soit en parroisse de Nibelle ou ailleurs.

III. — 20 may 1517. — La grosse d'une transaction passée pardevant Jean Delarue, notaire à Boiscommun, entre Jean Recuson, escuyer, d'une part, et Guillaume de Visy, escuyer, d'autre part, par laquelle le sieur de Recuson abandonne au sieur de Visy tout le droit, part et portion, noms, raisons et actions qu'il avoit et pouvoit avoir en la seigneurie du Hallier et ses dépendances, en la motte, fossez, manoir, court, étables, jardins, étangs, terres, prez, garennes, vignes, bois, buissons, pastures et toutes autres appartenances, sans aucune chose excepter, réserver ne retenir.

IV. — 21 mars 1506. — Foy et hommage présenté en la justice de Beaulne-en-Gastinois, par Guillaume de Visy, pour raison de son fief anciennement appelé de Migny, et lors le Hallier, assis à Nibelle, mouvant de la seigneurie de Beaulne.

V. — 8 novembre 1514. — Reconnoissance de frère Simon Benoistlequel a receu du sieur de Visy un aveu et dénombrement du 19 octobre 1508, pour raison du fief du Hallier.

VI. — 22 août 1521. — Réception de foy et hommage par les officiers de la justice de Beaulne, de la personne du sieur de Visy, pour raison d'un fief assis à Nibelle, anciennement appelé de Migny et lors le fief du Hallier, mouvant de la chastellenie de Beaulne.

Vil. — 24 janvier 1537. — La grosse d'un contrat d'eschange passé pardevant Jean Chasles, notaire substitué et étably à Nibelle sous Louis Boillève, notaire à Beaulne, par lequel Guillaume Dhuisy et Catherine Manoury, sa femme, Guillaume Dhuisy et Germaine Boussier, sa femme, Iesdites femmes de leurs maris autorisées, vendent, à titre d'échange, à monsieur de l'Hospital, le lieu, terre et seigneurie


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du Hallier, assis en la parroisse de Nibelle, avec ses aisances et appartenances, consistant en maison, granges, estables, bastiments, court, jardins et motte, le tout clos de fossez, trois étangs, quinze arpents de prez ou environ, cinq arpents de garenne, avec les vignes et terres labourables qui sont des appartenances dudit lieu du Hallier, le tout contenant cent sept arpents . ou environ à vingt pieds pour corde et cent cordes pour arpent.

VIII. — 11 mars 1537. — Procuration passée pardevant le notaire de Lorry, donnée par Etienne Marcelle, escuyer, fils émancipé de noble Charles Marcelle, escuyer, seigneur de Bénigne et de damoiselle Catherine de Visy, sa femme, âgé de quinze ans, à Monsieur de l'Hospital, pour transporter les droits et actions de retrait qu'il pouvoit avoir contre telle personne que ce soit, même contre iceluy sieur de l'Hospital, pour raison et à cause de la terre et seigneurie du Hallier que ledit seigneur de l'Hospital avoit depuis peu acquise.

IX. — 24 août 1541. — Aveu et dénombrement sous signature privée, fourny par monsieur de l'Hospital, pour raison du fief, terre et seigneurie du Hallier, appartenances et dépendances, assis en la parroisse de Nibelle, tenu en fief des relligieux, abbé et couvent de Saint-Denis-en-France, à cause de leur chasteEenie de Beaulne-enGàstinois :

1° Le lieu seigneurial du Hallier, consistant en maison, court, estables, granges, le tout clos de fossez, qui anciennement s'appelloit La Motte-du-Hallier ;

Item, une pièce de terre, etc.

Item, tout droit de haute justice, moyenne et basse.

X. — may 1601. — Projet en parchemin d'un aveu et dénombrement que devoit fournir M. de l'Hospital à messire Aehilles de Harlay, premier président au Parlement de Paris, seigneur de Beaumont et de la chastellenie de Beaulne-en-Gastinois, pour raison des terres et seigneuries du Hallier et Nibelle, mouvant de ladite chastellenie de Beaulne, qui fut autrefois aux relligieux de Saint-Denis-en-France, consistant en terres, prez, vignes, bois, estangs, cens, rentes, poules, chapons et autres droits dont la déclaration s'en suit :

1° Le chasteau du Hallier, consistant en plusieurs corps de logis : galleries, basse-court contenant grange, étable, le tout joint ensemble et clos de fossez avec les ponts-levis; lequel chasteau et maison est au-dedans d'une pièce de terre partie en labour, partie en vigne, prez,


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estangs et pastures, dedans laquelle pièce est situé ledit lieu du Hallier avec la chapelle, le tout contenant 99 arpents 2 perches.

Item, une autre pièce de terre labourable, etc.

Plus avoue tenir en fief comme dessus toutes et chacunes les terres étans en la censive dudit sieur avouant en la paroisse de Nibelle, et les maisons-manoirs étans au village de Nibelle et lieux circonvoisins en toute la parroisse d'icelle, montans en 29 ou 30 livres parisis de cens, ensemble 49 mines de bled et 49 poules de rente, avec les droits de foirage, rosnage, tonlieu, banc à vendre vin six semaines durant, quand il plait audit seigneur, au village de Nibelle, comme semblablement tout droit de haute, moyenne et basse justice, d'instituer prévost, greffier, procureur fiscal ; fors et excepté toutefois que le droit de tabellionnage est réservé audit seigneur de Beaulne, comme aussy les appellations duprêvost de Nibelle ressortissent en la chastellenie de Beaulne ; les départs, limites et étendue de ladite haute justice, moyenne et basse sont et apartiennent audit sieur avouant à cause dudit eschange par tout le territoire et selon les mêmes endroits et enclaves de ladite parroisse de Nibelle, même tous les fiefs seis et enclavez en ladite seigneurie et parroisse de Nibelle, tenus en fief dudit sieur avouant et en arrière-fief de ladite chastellenie de Beaulne.

XI. — 4 novembre 1613. — Réception de foy et hommage, passée pardevant Jean Driard, notaire et tabellion à Beaumont, faite par messire Christophle de Harlay, chevalier, conseiller du Roy en ses Conseils d'Etat et privé, capitaine de cinquante hommes d'armes de ses ordonnances, bailly du palais à Paris, comte de Beaumont et seigneur chastelain de Beaulne-en-Gastinois, de la personne de messire François de l'Hospital, chevalier, enseigne de la compagnie du Roy, capitaine de Fontainebleau, pour raison du fief, terre et seigneurie de Nibelle et du Hallier, circonstances et dépendances, appartenant audit seigneur de l'Hospital par succession de son père, relevant lesdites seigneuries de Nibelle et du Hallier en fief dudit seigneur comte, à cause de son chastel et chastellenie de Beaulne.


222 ^

SECONDE PIECE.

VENTE DU HALLIER PAR FRANÇOIS DE L'HÔPITAL AU SEIGNEUR D'ÉMERY. — CONTRAT PASSÉ DEVANT MOREL ET OGIER , NOTAIRES A PARIS, LE 15 JANVIER 1647.

Pardevant les notaires garde-nottes du Roy, nostre Sire, en son chastellet de Paris, soubssignez, furent présents en leurs personnes,

Hault et puissant seigneur Mre François de l'Hospital, comte de Ronay, mareschal de France, chevallier des ordres du Roy, conseiller en ses conseils d'Estat et privé et son seul lieutenant-général en Champagne et Brie , et haulte et puissante dame Charlotte des Essarts, comtesse de Romorantin, son espouse, de luy autorisée, demeurant en leur hostel, seis rue des Fossez-de-Montmartre , parroisse Saint-Eustaehe, d'une part ;

Et Mre Michel Particelli, chevalier seigneur d'Émery, Ventay, Tantay, la Chevrette et autres lieux, conseiller du Roy en ses conseils d'Estat et privé, controlleur général des finances de France, secrétaire de Sa Majesté , maison et couronne, demeurant en son hostel, rue Neufvedes-Petits-Champs, sus dite parroisse, d'autre part ;

Lesquels volontairement ont recongneu et confessé, recongnoissent et confessent avoir fait et font entre eux les échanges et permutations qui en suivent :

C'est à sçavoir que le d. seigneur mareschal de l'Hospital et la dame son espouse ont ceddé, quitté et transporté, à titre d'échange du tout, dès maintenant et à toujours au dit sieur d'Émery, à ce présent et acceptant, pour luy, ses hoirs et ayant cause, la terre et seigneurie du Hallier, appartenances et dépendances, consistant en château, maisons, basse-court, fossez revestus remplis d'eau, jardins, grange, écurie, coulombier à pied, basse-court estant hors et proche le château, neuf métairies en la parroisse de Nibelle et Saint-Sauveur et deux en la parroisse de Nesploy, moulin à eau et un autre à vent en la parroisse de Nibelle, cinq arpents de vignes à Barville, etc.;

La terre et seigneurie de la Nerville, seize en la parroisse de Nancray, etc.;


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Justice haute, moyenne et basse, vassaux , arrière-vassaux, cens, rentes, champarts, etc.;

Plus les d. seigneur mareschal de l'Hospital et dame, ont encore

baillé, ceddé, quitté et transporté au dit sieur d'Emery, le domaine

de Boiscommun, les huit et vingtième du d. lieu de Boiscommun, les eensives de Gerizy et généralement tous les domaines, rentes et revenus aux dits seigneur mareschal de l'Hospital et dame son espouse appartenans sur le Roy dans l'étendue des bailliages d'Orléans et de Montargis, etc.;

Pour et en contre échange de quoy le d. sieur d'Émery a baillé, ceddé, quitté et transporté au d. titre d'échange au d. seigneur mareschal de l'Hospital et dame son espouse , ce acceptant, six mille livres tournois de rente au denier dix-huit, racheptables de cent huit mil livres, au d. sieur d'Émery appartenant et à lui vendues et constituez par haut et puissant seigneur Messire Nicolas de Neufville , chevalier, marquis de Villeroy, comte d'Alineourt, conseiller du Roy en ses conseils, gouverneur de la personne de Sa Majesté , mareschal de France , gouverneur de la ville de Lyon en pays de Lyonnois , Forrets et Baujollois, par contrat passé pardevant Morel et Ogier, notaires au d. chastelet, le septième jour du présent mois de janvier, etc.

TROISIEME PIECE.

Ce document dont je donnerai seulement l'analyse est un acte passé devant Charles de la Roye, notaire tabellion juré au bailliage et châtellenie de Beaune , le 20 juin 1650 , par lequel le mandataire de Mre Michel Particelli, seigneur de Thoré., président aux enquêtes du Parlement de Paris, fils aîné et principal héritier par bénéfice d'inventaire de Mre Michel Particelli, seigneur d'Emery, en son vivant surintendant des finances , tant pour lui, comme fils aîné, que pour dame Marie Particelli, épouse de Mre Louis Phelypeaux, chevalier, seigneur de la Vrillière, a offert à M. de Harlay, seigneur de Beaune et de Beaumont, de luy porter la foy et hommage que le d. seigneur de Thoré, au d. nom, était tenu de lui faire pour raison de la seigneurie du Hallier.


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QUATRIÈME PIÈCE.

VENTE DU HALLIER PAR LA VEUVE DU SEIGNEUR D'ÉMERY A LOUIS PHELIPEAUX. — CONTRAT DU 17 MAI 1661.

Pardevant Etienne Thomas et Jacques Rillard, notaires gardenottes du Roy au Chastellet de Paris, soubsignez,

Fut présente dame Marie Le Camus, veufve de feu Messire Michel Particelli, vivant chevalier, seigneur d'Hémery et autres lieux, conseiller du Roy en ses conseils et surintendant des finances de France ;

Laquelle a volontairement recongneu et confessé avoir vendu, ceddé et transporté à hault et puissant seigneur Messire Louis Phillipeaux, chevalier, seigneur de la Vrillière, Saint-Florentin, Hervy, Chasteauneuf et autres lieux, etc. ;

La terre et seigneurie du Hallier, consistant , etc.;

Le tout appartenant à la dite dame tant par le moyen de l'acquisition que le dit feu seigneur d'Hémery en a faite de M. le mareschal de l'Hospital et de Madame son espouse, par contrat passé pardevant Morel et Ogier, notaires au dit Chastellet de Paris, le quinziesme jour de janvier 1647, qu'en conséquence d'une transaction faite et passée entre elle et Messieurs ses enfants pardevant Remond et son compagnon, notaires au dit Chastellet de Paris, le vingt-uniesme jour d'octobre 1654.

CINQUIÈME PIÈCE.

Ce document dont je donnerai seulement l'analyse est un acte passé, devant Sainfray et Chuppin, notaires à Paris, le 2 mai 1679, par lequel le seigneur de Châteauneuf porte foi et hommage à Mgr de Harlay, procureur général au parlement de Paris, pour raison des terres, fiefs et seigneuries du Hallier et de Nibelle, mouvantes du dit seigneur de Harlay, à cause de son comté de Beaumont, le tout appartenant, est-il dit, au dit seigneur de Chasteauneuf « comme l'ayant acquis de Monseigneur de la Vrillière, son père, par contrat d'eschange passé pardevant Thomas et Chuppin, notaires à Paris, le 28 may 1678. »


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SIXIÈME PIÈCE.

VENTE DU HALLIER PAR MESDAMES DE MAUREPAS ET D'AIGUILLON A M. PÈLERIN DE LA BUXIÈRE.

Cette pièce est l'expédition en parchemin d'un acte reçu par Cordier et Doillot, notaires au châtelet de Paris, le 8 mars 1778, par lequel :

Très-haut , très-puissant seigneur , Monseigneur Jean-Frédéric Phelypeaux , comte de Maurepas et de Pontchartrain, conseiller du Roy en tous ses conseils, ministre d'Etat, chef du conseil royal des finances et commandeur des ordres du Roy, et très-haute, très-puissante dame Madame Marie-Jeanne Phelypeaux de la Vrillière, son épouse, demeurant en leur hôtel, rue de Grenelle, faubourg SaintGermain, paroisse Saint-Sulpice;

Et le mandataire de Monseigneur Emmanuel-Armand DuplessisRichelieu, duc d'Aiguillon, pair de France, comte d'Agenois, Condommois et de Plelo , baron de Pordie, etc., chevalier dos ordres du Roy, lieutenant-général de ses armées, gouverneur de la haute et basse Alsace, etc., et de très-haute, très-puissante dame Madame LouiseFélicité Bréhan de Plelo, duchesse d'Aiguillon, son épouse;

Ont vendu à M. Louis-Jean Pèlerin de la Buxière, médecin consultant du Roy aux Colonies, demeurant à la Javelière, paroisse de Monbarois-en-Gâtinois,

« Les terres et seigneuries de Nibelle, Le Hallier et Saint-Sauveur, sises en Gâtiûois, consistant, savoir :

« Celles du Hallier et de Nibelle :

« En un ancien château qui étoit environné de fossez ; le dit château à présent démoli et ne formant plus qu'une ferme appelée la ferme du Château, qui consiste dans les bâtiments qui dépendent de la basse-cour du dit château, en terres labourables, prez, pâtures et un étang ;

« 2° En la ferme de la Billauterie, etc.;

« 9° La haute, moyenne et basse justice du dit Nibelle et le Hallier, greffe et notariat, etc.;

« Lesquelles terres et seigneuries sont tenues en fief, savoir : celle de Saint-Sauveur de la seigneurie de Lorcy-en-Gâtinois, deux pièces de

T. XII. 15


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terre faisant partie de la ferme de la Billauterie, du fief de laCouiche, appartenant à Mlle Sauveur, les terres composant la ferme de la PetiteRochelle, de la châtellenie de Boiscommun, et tout le surplus des d. terres et seigneuries du Hallier et de Nibelle de M. le Prince de Tingry, à cause de sa terre de Beaune en Gâtinois ;

« Appartenant les dites terres et seigneuries à mes dits seigneurs comte et comtesse de Maurepas, duc et duchesse d'Aiguillon, du chef des dites dames, en qualité de seules héritières, chacune pour moitié, sauf les portions avantageuses de ma dite dame comtesse de Maurepas, sçavoir : ma dite dame comtesse de Maurepas de son chef, et ma dite dame duchesse d'Aiguillon par représentation de deffunte trèshaute , très-puissante dame Madame Louise-Françoise Phelypeaux de la Vrillière, sa mère, décédée épouse de très-haut, très-puissant seigneur Monseigneur Louis-Robert-Hypolite de Bréhan de Plelo , comte de Plelo, de deffunt très-haut, très-puissant seigneur Monseigneur Louis Phelypeaux, duc de la Vrillière, comte de St-Florentin, baron d'Ervy et autres lieux, ministre et ancien secrétaire d'État, frère de ma dite dame comtesse de Maurepas et oncle de ma dite dame duchesse d'Aiguillon;

« Auquel seigneur duc de la Vrillière elles appartenoient tant en qualité de principal héritier de deffunt très-haut, très-puissant seigneur Louis Phelypeaux, marquis de la Vrillière, son père, que comme luy ayant été délaissées et abandonnées à titre de partage par ma ditte dame comtesse de Maurepas et par ma ditte feue dame comtesse de Plelo, par acte devant Durant et son confrère, notaires â Paris, le 30 mars 1726. »


RAPPORT

SUR

LA BIOSCOPIE ÉLECTRIQUE de M. le D' CRIMOTEL,

Comme moyen de distinguer la mort réelle de la mort apparente

ET

D'ÉVITER LES INHUMATIONS PRÉMATURÉES, Par M. le Docteur LEPAGE.

Séance du 6 novembre 1868.

S'il est, en médecine, une question dont l'importance ne saurait être mise en doute puisqu'elle intéresse au plus haut degré l'humanité tout entière, mais en même temps si peu étudiée, si délaissée, et presque toujours envisagée avec tant d'insouciance et de légèreté qu'on hésite à la remettre de temps en temps en discussion, c'est bien, assurément, celle du danger des inhumations précipitées. Cette question, si grave pour les uns, et, pour les autres si peu sérieuse que c'est à peine s'ils admettent la possibiltéde l'erreur qu'on paraît craindre et ne vous accueillent qu'avec le sourire de l'incrédulité ; cette question, disonsnous, a été tour-â-tour, prise, reprise ou abandonnée, tant l'homme est peu sensible à ce qui ne touche pas ses intérêts positifs et matériels. Le malheur de l'abbé Prévost,


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les péripéties de l'histoire du fameux capitaine François de Civille, de Rouen, et tant d'autres faits semblables, ont passé pour nous presque à l'état légendaire ; on n'y croit pas, on n'en parle plus. Ce n'est pas qu'il faille ajouter une foi robuste/à tout ce qu'on peut entendre raconter de ce genre et vivre dans une appréhension continuelle ; mais nous dirons comme Horace : est modus in rébus, et le modus, ici comme toujours, c'est la raison. Jly a bien loin, en effet, de la panique de cette riche anglaise qui demandait à être conservée pendant trente ans dans une bière à-demi-vitrée, à la crainte bien naturelle et bien légitime d'être déposé vivant dans la tombe. On a cherché à révoquer en doute aussi le fatal accident qui faillit coûter la vie à André Vesale, premier médecin de Charles-Quint et de Philippe II, ainsi que l'émotion profonde qu'éprouva Thouret, devenu depuis doj^en de la Faculté de médecine de Paris, lorsque préposé, en 1786, aux fouilles nécessaires pour la destruction du charnier des Innocents, il put constater la position de certains squelettes dans leurs bières ne pouvant s'expliquer que par des mouvements opérés dans la tombe. Croirat-on pouvoir nier également les faits consciencieusement rapportés par tant d'hommes recommandables, parmi lesquels nous nous contenterons de citer Louis, secrétaire de l'ancienne Académie Royale de chirurgie, Devaux, Barthez, Bennati, Desessarts, Capuron, Mojon, etc., dont les noms seuls suffisent pour en garantir l'authenticité?

Quoi qu'il en soit, Messieurs, la question des inhumations précipitées offre en ce moment un degré d'intérêt et d'actualité que, peut-être, elle n'a jamais eu. La catastrophe arrivée il y a quelques années, à Paris, à un jeune officier dont.on allait célébrer les obsèques à Notre-Dame de Lorette; l'affreux événement dont a été victime à Rome, dansées premiers jours d'octobre 1866, Mad. la comtesse Amalia Bennicelli ; l'aventure d'un jeune séminariste qui


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assistait, sans pouvoir faire aucun mouvement ni proférer la moindre parole, à tous les préparatifs de son enterrement et ne se réveilla de sa léthargie qu'au moment où on allait le déposer dans la bière, cette aventure, disonsnous, communiquée au Sénat dans sa séance du 27 février 1866, par Mgr. le cardinal Bonnet, Archevêque de Bordeaux, qui racontait ainsi sa propre histoire ; enfin le triste événement qui s'est passé récemment à Morlaix, dans les premiers jours d'octobre 1867, et rapporté, le 16 du même mois, dans le Moniteur du soir qui en relate avec détails les moindres circonstances en donnant les noms de tous ceux qui ont été acteurs dans ce lugubre drame ; tous ces faits ne viennent-ils pas attester une fois de plus encore l'importance du sujet qui nous occupe? Qui pourrait, en effet, lire sans une douloureuse émotion l'histoire de la jeune et infortunée Philomène Jouêtre, inhumée encore vivante, à 25 ans, et trouvée dans son cercueil, mais malheureusement trop tard, déjà à moitié débarrassée de son suaire. On avait entendu ses plaintes; mais on n'avait pas osé la secourir ! Quand donc la voix de l'humanité parlera-t-elle plus haut que celle d'un préjugé stupide ou de la peur, et n'attendra-t-on plus la présence de l'autorité pour couper la corde à l'aide de laquelle un individu cherche à se détruire, ou pour ouvrir la bière dans laquelle des gémissements se font entendre ?

En présence de tant de faits déplorables et authentiques, la presse française et l'opinion publique se sont émues et réclament des mesures promptes et efficaces pour en empêcher le retour. Ce triste sujet est donc aujourd'hui à Tordre du jour, et l'on ne doit plus craindre d'aborder franchement la question et de lui chercher avec ardeur une prompte et heureuse solution. Cette solution est d'autant plus à désirer que les signes de la mort indiqués par la plupart des auteurs sont loin d'être toujours des indices


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certains, et que les moyens d'investigation que la science met à la disposition du médecin ont été jusqu'à ce jour assez insuffisants et quelquefois même bien trompeurs.

Frappés nous-même dès longtemps de ce que doit avoir d'horriblement indicible la position de l'homme qui se réveille dans la tombe pour y mourir bientôt au milieu des tortures morales les plus inouïes, nous avons, dans un mémoire lu en 1836, au Congrès de Blois, et inséré dans le compte-rendu des travaux de cette session, signalé à l'autorité le vice de l'article 77 de notre Code comme inexécutable et illusoire, et demandé sa révision et l'adoption d'une nouvelle législation funéraire. Combien d'autres, depuis, ont réclamé la même réforme ; mais les réformes, même les plus utiles, n'arrivent jamais qu'avec lenteur. Aujourd'hui l'article 77 n'est pas encore abrogé, mais il n'est plus en vigueur. Ce sont les médecins que la loi charge, avec raison, de la constatation des décès, au lieu des officiers de l'état civil, complètement incompétents pour cette mission.

C'est donc toujours avec un profond sentiment de satisfaction que nous voyons paraître des hommes dévoués à la science et à l'humanité, et qui ne reculent devant aucun effort, devant aucun sacrifice pour perfectionner l'une dans le but de se rendre utile à l'autre. M. le docteur Crimotel, Messieurs, dont nous sommes chargé de vous faire connaître le travail, est un de ces hommes. Pénétré comme nous du triste résultat, de l'affreux malheur que peut entraîner une erreur, malheur qu'il ne cherche pas à dépeindre puisqu'il n'y a pas de mots pour le faire, notre confrère s'est mis depuis longtemps à la recherche d'un moyen sûr, prompt et irréfragable de distinguer la mort réelle de la mort apparente, et à force de patience, de travail et de persévérance, il croit avoir atteint le but tant désiré. Dans un mémoire dont le style comme la pensée révèlent l'homme de


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bien en même temps que l'homme de lettres et le savant médecin, M. Crimotel, après avoir appelé l'attention sur la haute importance de son sujet, dit que les anciens reconnaissaient comme nous l'incertitude des signes de la mort, et à quel danger cette incertitude pouvait souvent exposer. H rappelle que Platon, Bèmocrite, Plutarque, Apulée, Pline, Celse, Quintilien, Saint Augustin, en parlent dans leurs écrits en racontant des faits plus ou moins curieux de personnes crues mortes et qui ne l'étaient pas. Pline, en particulier, dit-il, cite les noms du consul Acilius Aviola et du préteur Lucius Lamia qui se réveillèrent sur le bûcher, mais trop tard pour être rappelés à la vie. H parle aussi d'un certain Celius Tubero qui, donnant quelques signes de vie à l'instant où on le déposait sur le bûcher, eut ainsi le bonheur d'échapper à la mort. Et de nos jours, ajoute notre auteur, depuis Winslow et Bruhier qui, les premiers, se sont sérieusement occupés de la grave question de l'incertitude des signes de la mort, combien d'autres n'ont pas essayé de la résoudre ? Mais tous les travaux de Marc, de Nysten, Hector-Chaussier, Julia-Fontenelle, Orfila, Bevergie, n'ont abouti à autre chose qu'à démontrer que la rigidité cadavérique et le commencement de la putréfaction sont les seuls signes certains de la mort. M. Crimotel fait observer assez judicieusement qu'il n'est pas toujours possible d'attendre, sans quelque inconvénient, le développement de la putréfaction. Puis, passant successivement en revue tous les autres - signes ordinaires de la mort indiqués par les auteurs, il fait voir que, pris isolément, ils ne sont d'aucune valeur puisqu'ils n'existent pas toujours sur le cadavre et qu'onles a rencontrés souventchez des personnes crues mortes et qui ont pu être rappelées à la vie ; et qu'enfin, pris collectivement même, ils n'en acquièrent une véritable que dans les cas où une maladie longue et accompagnée de lésions organiques profondes, a com-


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plètement épuisé les forces du malade et rendu impossible toute espèce de réaction de la nature, et alors, enfin, que la mort est prévue et attendue pour ainsi dire à chaque instant. Mais ils ne doivent être comptés pour rien dès qu'il s'agit d'une mort subite par asphyxie, apoplexie, syncope, èpilepsie, hystérie, ou toute autre maladie nerveuse.

M. Crimotel fixe surtout son attention sur deux signes auxquels on attache plus d'importance qu'à tous les autres et qu'il discute avec beaucoup de sagacité; la cessation des battements du coeur et l'absence de la contractilité électro-musculaire. Il dit que la cessation complète des battements du coeur doit être, assurément, un signe certain de la mort, mais qu'elle est infiniment difficile et quelquefois même impossible à constater, et il fortifie son opinion de celle de praticiens distingués, comme M. Brachet, de Lyon et M. Girbal, de Montpellier, qui déclarent n'avoir jamais pu reconnaître aucun battement du coeur dans certaines syncopes. Il cite aussi à l'appui de cette assertion l'opinion du docteur 3osât (voir son ouvrage, page 77), (1) et celle du célèbre Louis qui dit formellement : « Qu'il ne faut pas conclure qu'une personne est morte de «- ce que toute recherche du côté du coeur aurait été infructueuse. » De plus, ajoute encore notre auteur, M. Bepaul et d'autres célèbres accoucheurs ont vu des enfants nouveau-nés chez lesquels l'auscultation la plus minutieuse n'avait pu faire reconnaître le plus léger frémissement du coeur, et dont la mort, pourtant, n'était qu'apparente.

H établit ensuite, d'après de nombreuses expériences, que la contractilité musculaire, sous l'influence de Félectri(1)

Félectri(1) la mort et de ses caractères. Mémoire couronné par l'Institut, 1854.


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cité ou du galvanisme, existe toujours, chez l'homme comme chez les animaux, dans toutes les conditions physiologiques normales ou morbides de l'individu, et ne s'éteint jamais complètement qu'après la mort. Il est donc ainsi amené à conclure, d'une manière péremptoire, que l'épreuve galvanique paraît être jusqu'à présent le moyen le plus sûr, ou, pour parler plus exactement, le seul moyen sûr pour reconnaître si la mort est réelle ou apparente. Cette opinion est à peu près aujourd'hui celle de tous les médecins.

Cette vérité une fois bien reconnue, on a dû s'occuper et Ton s'est occupé, en effet, des moyens les plus convenables d'employer l'électricité pour arriver au but désiré. Hector Chaussier, le premier croyons-nous, puis Marc, Nysten, Julia Fontenelle, au commencement de ce siècle, et, plus récemment, Orfila et le docteur Bouchut, en ont tenté l'application dans les cas douteux que présentent si souvent les morts subites par asphyxie, apoplexie, ou diverses affections nerveuses. Mais, comme l'observe avec raison M. Crimotel, ce qui a empêché jusqu'à ce jour la prompte et utile application de ce moyen dans une infinité de circonstances où il eût été désirable de pouvoir en faire usage, c'est la difficulté, souvent même l'impossibilité pour le médecin de porter constamment, sur lui ou avec lui, et parfois à des distances fort éloignées, des appareils en général volumineux, pesants et toujours très-embarrassants; puis, en second lieu, probablement aussi, le prix généralement assez élevé de ces sortes d'instruments. C'était donc rendre un véritable service à la science comme à l'humanité que de chercher à modifier un appareil galvanique de manière à le rendre moins volumineux, moins lourd et par conséquent plus portatif, en même temps que moins dispendieux. C'est ce à quoi, Messieurs, M. Crimotel a appliqué toute son attention, tous ses efforts et tous ses soins


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depuis un assez grand nombre d'années ; et à force d'essais de toute espèce et de persévérance, il croit être parvenu à trouver la solution du problême. Il a imaginé un petit instrument électrique, très-portatif, de la forme et de la dimension d'un volume in-18, et beaucoup moins coûteux que tous les appareils connus jusqu'à ce jour. Il a donné à son instrument le nom à& Bioscope, de deux mots grecs : Bi'oç, vie, et SXOTTE'W, j'examine, j'explore; et il désigne sous le nom de Bioscopie le mode d'expérimentation auquel il se livre, à l'aide du Bioscope, pour s'assurer de la réalité de la mort.

Voici la description, aussi succincte que possible, du Bioscope de M. Crimotel. C'est un appareil très-simple, à pile et à induction. Il se compose d'une pile, d'un multiplicateur et de deux rhéophores ou excitateurs. Chacun de ces objets occupe une case dans une petite boîte dont la longueur n'est que de 15 centimètres, la largeur de 10 centimètres et l'épaisseur de 35 millimètres. La case de droite contient la pile, petit baquet à deux compartiments, en gutta percha,, à fond de cuivre, avec deux plaques de zinc. La case gauche contient la bobine du multiplicateur, et celle du milieulesdeux excitateurs, un petit balai métallique, plus un petit flacon rempli de bisulfate de mercure pulvérisé. Pour charger la pile, on met dans chacun des compartiments du baquet la grosseur d'une petite noisette du sel mercuriel, puis on y ajoute une cuillerée d'eau, environ, de manière à ce que l'eau recouvre un peu les éléments zinc, et l'appareil fonctionne à l'instant. Il faut laver et essuyer soigneusement les baquets de la pile chaque fois qu'on s'en est servi. Il est inutile d'expliquer ici l'usage des excitateurs, qui, comme on sait, doivent être garnis d'épongés mouillées pour être portés ensuite sur le trajet des muscles que l'on veut électriser. Cet appareil ne contient aucun acide, ce qui, sous certains rapports, n'est pas sans quelque avantage. L'épreuve bioscopique se fait sans incision ni


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de la peau, ni même de l'épidémie, mais par la simple application de l'excitateur sur le trajet d'un muscle, et par conséquent sans douleur. Les muscles où l'on obtient, en général, le plus de résultats sont les adducteurs du pouce et de l'index, dans la paume de la main, à l'éminence thènar, et les orbiculaires des lèvres et des pau-. pières.

L'appareil étant en activité, et les excitateurs garnis de leurs éponges, et tenus par leur manche en bois, si on les applique sur les muscles d'un individu vivant, bien portant ou malade, on obtient aussitôt, selon la force du courant électrique, depuis le simple frémissement de la fibre musculaire jusqu'aux mouvements de flexion et d'extension les plus prononcés. Un graduateur glissant à volonté dans la bobine du multiplicateur, permet de donner au courant le degré de force que l'on désire avoir. L'appareil offre trois courants : 1° Courant inducteur, en plaçant les cordons conducteurs aux deux bornes ou boutons de gauche (les bornes étant tournées du côté de l'opérateur); c'est le plus faible. 2° Courant induit, en plaçant les cordons aux deux bornes de droite ; c'est le moyen. 3° Courant total ou mixte, en plaçant ces mêmes cordons aux deux bornes extrêmes; c'est le plus fort. En outre, chacun de ces courants peut encore être modifié à volonté.

Le travail que nous analysons a été soumis, vers la fin de 1852, à l'examen du Conseil d'irygiène et de salubrité de la Seine, et un rapport favorable a été fait à son sujet par MM. Payen, de l'Institut, Devergie et Guérard, de l'Académie de Médecine. Puis plus tard, en 1866, le même Conseil a exprimé la pensée que l'épreuve galvanique proposée par l'auteur pouvait être un moyen d'éviter les inhumations prématurées.

M. Crimotel affirme que cette épreuve donne absolument, les mêmes résultats dans la mort apparente par asphyxie,


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syncope, empoisonnement, léthargie, etc., que dans l'état de santé, attendu que tant que la vie existe, aucune maladie ne peut détruire la contractilité électrique des muscles qui reste toujours entière et au même degré, et qui parfois même paraît augmentée, l'insensibilité du malade n'opposant aucune résistance à l'action du fluide électrique. A cette assertion on a fait l'objection que voici : Ne pourraitil pas se rencontrer, disait-on, quelque affection insolite, rare, qui, à l'instar du curare, ferait perdre à tous les muscles la propriété contractile, bien que l'individu fût encore vivant, en sorte que, par l'épreuve galvanique, on serait alors induit en erreur. Notre confrère répond à cette objection par le résultat des recherches de MM. Magendie et Rayer sur des chiens et des lapins empoisonnés par l'oxyde de carbone et l'hydrogène sulfuré, où ils ont vu la contractilité électro-musculaire se conserver jusqu'à la mort, et même se manifester encore après que l'ouverture de la poitrine eut démontré que les battements du coeur avaient complètement cessé. (Rapport à l'Institut, 29 mai 1848.) Il s'appuie encore sur les belles expériences du savant professeur M. Claude Bernard, desquelles il résulte que chez des grenouilles empoisonnées par le curare, le courant électrique porté sur les nerfs moteurs ne produit pas de mouvements, il est vrai, quoique l'animal vive encore, mais que si l'on électrise les muscles eux-mêmes, on obtient des contractions très-vives. Il ne faut donc pas confondre , dit M. Claude Bernard, l'excitabilité des nerfs moteurs, que quelques causes peuvent suspendre ou éteindre , avec la contractilité musculaire que l'on voit subsister toujours (1).

(1) M. Crimotel, après avoir observé les effets de la bioscopie électrique chez l'homme , s'est livré à des expériences comparatives sur les animaux, et les résultats qu'il a obtenus ne sont pas sans intérêt, ils contiennent évidemment des vérités physiologiques et thérapeutiques qu'il se propose d'étudier et de faire connaître plus tard.


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Des nombreuses recherches et des expériences faites par M. Crimotel pendant plus de seize ans, il résulte :

1° Que la propriété qu'ont les muscles de se contracter sous l'influence du fluide électrique existe chez tous les individus dans l'état de santé comme dans les maladies, même les plus graves, ne s'éteint pas complètement avec la vie et persiste quelque temps encore après la mort ;

2° Que la durée de l'existence de la contractilité électromusculaire après la mort, varie selon l'âge et le genre de maladie ou de mort du sujet sur lequel on opère;

3° Que cette durée chez le nouveau-né est de quinze à soixante minutes, les contractions allant en diminuant par degrés; et que chez l'enfant comme chez l'adulte, la contractilité dure beaucoup plus longtemps , et ne s'éteint, en diminuant progressivement aussi, que dans un délai qui peut varier d'une demi-heure à deux heures, deux heures et demie, mais jamais trois heures;

4° Que lorsque les muscles ont complètement perdu leur contractilité et ne répondent plus à l'action du bioscope, on peut affirmer que la mort a lieu.

Cependant, pour plus de sûreté et afin d'éviter toute erreur possible, M. Crimotel conseille, et surtout s'il s'agit de mort subite, d'appliquer successivement le bioscope sur tous les muscles des membres, de la face et du tronc, quelques muscles, dans certains cas de paralysie, pouvant ne pas obéir au galvanisme. Il ne prétend pas dire qu'il se fasse beaucoup d'inhumations prématurées. Il se plaît et, comme lui, nous nous plaisons à croire le contraire. Cela n'arriverait-il qu'une seule fois chaque année en France, que ce serait encore un bien grand malheur; mais il pense et il nous serait difficile de ne pas penser aussi comme lui, qu'on laisse quelquefois mourir paisiblement dans leur lit, ou partout ailleurs, des malades que l'on croit perdus et que des soins plus intelligents, mieux dirigés et plus longtemps


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prolongés , auraient pu rappeler à la vie. C'est là surtout, c'est dans ces cas douteux de mort subite dont plusieurs fois, déjà, nous avons énuméré les causes, que l'épreuve bioscopique de M. Crimotel peut devenir éminemment utile. La contractilité musculaire persistant encore, comme nous l'avons dit plus haut, quelque temps après la mort, sa présence ne dit pas que l'individu est vivant, mais son absence complète et prolongée affirme positivement qu'il est mort. Si elle s'affaiblit par degrés, on devra continuer l'épreuve et la réitérer à de courts intervalles, tout en employant les moyens propres à la ranimer s'il est possible. Si, au contraire, elle ne diminue pas et reste toujours à peu près la même, on doit supposer que le malade est encore vivant et lui administrer tous les secours nécessaires en pareille circonstance, et dont l'électricité elle-même est déjà l'un des meilleurs et des plus efficaces.

Nous avons fait, conjointement avec MM. Jules Besson et Antonio José de Jésus Naranjo, élèves internes de l'Hôtel-Dieu d'Orléans, que nous nous plaisons à remercier publiquement ici de leur bienveillante coopération, une série d'expériences comparatives sur des sujets des deux sexes et de tous les âges, à l'aide d'un bioscope que M. le docteur Crimotel a bien voulu mettre à notre disposition, et les résultats que nous avons obtenus ont été parfaitement identiques avec ceux qu'il annonce dans son Mémoire. La contractilité musculaire, en effet, lorsqu'elle a commencé à diminuer, cesse complètement de se faire sentir avant la fin de la troisième heure. Nous allons faire connaître, dans un aperçu rapide, les phénomènes observés pendant le cours de ces diverses expériences.

OBSERVATION Ire. •— Grangeon (Jacques), 57 ans, taiHeur de pierres. Entré à l'Hôtel-Dieu le 10 février 1868, mort le 15 du même mois, à une heure du soir (phthisie pulmonaire).


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lre Épreuve. Une heure un quart (un quart d'heure après la mort). — On constate l'absence de contractions dans tous les muscles, excepté à l'éminence thénar où elles paraissent un peu, mais bien faibles.

2e Epreuve. Une heure et demie (demi-heure après la mort). — On ne constate plus absolument rien nulle part.

OBSERVATION II 0. •— Germeron (Charles), 44 ans, journalier. Entré le 10 février 68, mort le 28 du même mois, à deux heures du matin (phthisie pulmonaire).

lre Épreuve. Soumis au bioscope à deux heures et demie (demi-heure après la mort). — Il présente des contractions à l'éminence thénar, à l'orbiculaire des lèvres et à ceux des paupières. Nulles contractions ailleurs.

2e Épreuve. Quatre heures (deux heures après la mort).

— Toutes les contractions ont complètement cessé de se produire.

OBSERVATION IIP.—Leroy (Léon), 27 ans, ouvrier. Entré le 28 mars 68, mort le lendemain 29 mars 68, à deux heures du soir (chute).

lre Épreuve. Deux heures dix minutes (dix minutes après la mort). —Contractions très-fortes à l'avant-bras et à l'éminence thénar, flexion des doigts. A la face, plissement des lèvres, contractions fortes aux orbiculaires des paupières.

2e Épreuve. Quatre heures (deux heures après la mort).

— On trouve encore toutes ces contractions, mais plus faibles. Les plus marquées sont celles des lèvres.

OBSERVATION IVe. — Desalyes (Jacques), 62 ans. Entré le 9 mars 68, mort le 4 avril 68, à sept heures du soir (plaies ulcéreuses).

ire Épreuve. Sept heures un quart (un quart d'heure après la mort).—Contractions faibles à l'avant-bras; à la face, aux paupières seulement, encore la paupière supérieure n'offre-t-elle qu'un léger sillon.


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2' Épreuve. Huit heures (une heure après la mort). — Mêmes contractions aux orbiculaires des paupières. L'orbiculaire des lèvres a paru se contracter une fois, mais si faiblement qu'on ne saurait l'affirmer.

3e Épreuve. Huit heures et demie (une heure et demie après la mort). — Résultat nul.

OBSERVATION Ve. — Xavier (Joseph), 24 ans. Entré le 3 mars 68, mort le 9 avril 68, à trois heures du soir (abcès rétro-pharyngien).

lr 0 Épreuve. Trois heures un quart (un quart d'heure après la mort). — Contractions très-fortes à l'avant-bras, flexion des doigts et delà main. Le poignet se courbe brusquement en plaçant les rhéophores ou conducteurs à la partie interne de la main. A la face, plissement très-marqué des lèvres, contractions assez sensibles aux paupières.

2e Épreuve. Cinq heures et demie (deux heures et demie après la mort). — Plus de contractions nulle part.

OBSERVATION VP. — Péricouche (Rosalie), 35 ans. Entrée le 10 avril 68, morte le 18 du même mois, presque subitement , à onze heures du matin (apoplexie cérébro-spinale).

lre Epreuve. Onze heures dix minutes (immédiatement après la mort). — Contractions nulles sur tous les points de la face, du tronc et des membres où l'on a porté les rhéophores.

Une 2e épreuves, été regardée comme inutile.

OBSERVATION VIIe. — Veuve Joly (Joséphine), 70 ans, journalière. Entrée le 15 avril 68, morte le 9 mai suivant, à cinq heures du soir (maladie du coeur).

lre Épreuve. Cinq heures dix minutes (presque immédiatement après la mort). — On constate de faibles contractions sur quelques points de l'avant-bras et à l'éminence thénar. A la face, les orbiculaires des lèvres et des paupières se contractent faiblement aussi.

2e Epreuve. Cinq heures et demie (demi-heure après la


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mort). — On ne remarque plus rien, si ce n'est à la paupière supérieure où l'on aperçoit encore quelques légers plissements.

OBSERVATION VIIIe.— Caranton (Sylvain), 79 ans.Entré le 9 mai 68, mort le lendemain 10 mai 68, à quatre heures et demie du soir (hernie étranglée).

lre Epreuve. Quatre heures quarante minutes (dix minutes après la mort). — Contractions à l'avant-bras et à l'éminence thénar, mais très-faibles. Elles sont beaucoup plus fortes à la face. Les paupières se ferment presque complètement, les sourcils se froncent, la bouche se plisse fortement.

2e Epreuve. Cinq heures et demie (une heure après la mort). — Contractions nulles.

OBSERVATION IXe. —■ Janvier (Emile), 28 ans. Entré le 25 mars 68, mort le 26 mai 68, à cinq heures du soir (nécrose des os du bassin).

lre Épreuve. Cinq heures un quart (un quart d'heure après la mort). — Contractions médiocres à l'avant-bras, flexion légère des doigts. Contractions plus fortes à l'éminence thénar avec adduction du pouce. A la face, plissement prononcé des lèvres et contractions aux orbiculaires des paupières.

2e Épreuve. Six heures et demie (une heure et demie après la mort). — Contractions nulles.

OBSERVATION Xe. — Bruneau (Octavie), 30 ans, domestique. Entrée le 25 mai 68, morte le surlendemain 27 mai 68, à quatre heures du soir (fièvre typhoïde).

lre Épreuve. Quatre heures un quart (un quart d'heure après la mort).— On obtient des contractions aux muscles de l'avant-bras, à l'éminence thénar, à l'orbiculaire des lèvres et à ceux des paupières.

. 2e Épreuve. Cinq heures (une heure après la mort). — T. XII. 16


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On produit encore un plissement très-sensible de la paupière supérieure.

3e Épreuve. Cinq heures et demie (une heure et demie après la mort). — Ces légères contractions ne se manifestent plus.

OBSERVATION XIe. — Sansier (Marie), 15 ans, ouvrière. Entrée le 12 novembre 67, morte le 1er juin 68, à une heure du soir (myélite chronique).

lrc Épreuve. Une heure et demie (demi-heure après la mort). — On constate des contractions aux muscles de la face, particulièrement aux orbiculaires des paupières et de la bouche; des contractions faibles aux muscles de l'avantbras, et fortes à l'éminence thénar.

2e Épreuve. Trois heures (deux heures après la mort). ■— Il n'y a plus, nulle part, la moindre apparence de contraction.

OBSERVATION XIIe.— Faillard (Marie), 30 ans. Entrée le 10 avril 68, morte le 14 juin 68, à quatre heures du soir (myélite chronique avec ataxie locomotrice).

lre Épreuve. Quatre heures un quart (un quart d'heure après la mort). — Contractions nulles aux bras, aux jambes et au tronc. Mais il s'en manifeste d'assez sensibles à l'éminence thénar et aux orbiculaires des paupières et des lèvres.

2e Épreuve. Cinq heures un quart (cinq quarts d'heure après la mort). — On produit encore des contractions à l'orbiculaire des paupières, et nous ferons remarquer à ce sujet que, dans toutes nos expériences, c'est toujours dans ce muscle que nous avons trouvé les contractions les plus faciles à produire et en même temps les plus persistantes.

3e Épreuve. Six heures et demie (deux heures et demie après la mort). — Absence complète de contractions partout.

OBSERVATION XIIIe. —Groo (Léontine), 32 ans. mariée.


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Entrée le 17 juin £8, morte le 27 du même mois, à cinq heures du soir (apoplexie cérébrale).

lre Épreuve bioscopique. Cinq heures (immédiatement après la mort). — Elle donne pour résultat : fortes contractions à la face, de manière à produire un abaissement et une élévation de la mâchoire très-sensibles ; fortes contractions à l'orbiculaire des paupières et aux muscles de l'éminence thénar; contractions faibles aux muscles de l'avant-bras.

2e Épreuve. Sept heures (deux heures après la mort). — L'orbiculaire des paupières offre encore quelques contractions.

3e Épreuve. Huit heures (trois heures après la mort). — Tout a disparu.

OBSERVATION XIVe. — Friareau (Ephrem), jeune ouvrier âgé de 23 ans, d'une forte constitution. Il va se baigner dans la Loire le 30 juin 68, à 5 heures du soir. Peu de temps après il disparaît, et à 6 heures on le trouve noyé. On appelle M. le docteur de Clinchamp qui lui prodigue inutilement tous ses soins et le fait transporter à l'HôtelDieu où il arrive à 8 heures du soir. Soumis immédiatement à l'épreuve bioscopique, il offre les résultats suivants : fortes contractions aux muscles de l'avant-bras et aux orbiculaires des paupières et des lèvres ; rien à l'éminence thénar, probablement à cause des callosités qu'offrent les mains. On s'empresse de chercher à ranimer, par tous les moyens possibles, l'action du coeur et les mouvements de la respiration, mais malheureusement sans succès, et les contractions vont en diminuant d'intensité.

2e Épreuve. 8 heures et demie (et par conséquent plus de deux heures et demie après la mort). — On n'aperçoit plus absolument aucune contraction. Il est à regretter que ce jeune homme n'ait pu être retiré de l'eau qu'au moment où déjà, probablement, l'asphyxie était complète.


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OBSERVATION XVe. — Grassin (Julien), 69 ans. Entré le 2 juillet 68, mort le lendemain 3 juillet, à huit heures du matin (oedème-malin des paupières).

/« Épreuve. Huit heures un quart (un quart d'heure après la mort).—Résultat presque négatif. A part quelques faibles contractions à l'éminence thénar, on n'obtient rien sur quelque partie du corps que l'on porte les excitateurs. Nul mouvement à la face; mais on doit observer qu'elle est considérablement tuméfiée, ce qui peut empêcher les contractions ou de se produire, ou d'être facilement appréciables.

2e Épreuve. Neuf heures (une heure après la mort).— Résultat complètement nul.

OBSERVATION XVIe. —Goury (Adolphe), 23 ans. Entré le 8 juillet 68, mort le lendemain 9 juillet 68, à deux heures du soir (péritonite traumatique avec perforation de l'intestin).

jra preuve. Deux heures un quart (un quart-d'heure après la mort). — Contractions très-fortes aux lèvres, plissement très-prononcé qui fait presque fermer la bouche, et plus sensible à la lèvre supérieure. Contractions trèsvives à l'avant-bras. Si l'on place les rhéophoresà sa partie inférieure et externe, on fait fléchir immédiatement l'index et le médius, et, en se rapprochant de la partie interne, l'annulaire et le petit doigt. En agissant tout-à-fait sur le bord interne, on voit le poignet se couder fortement. On dirait que le bras veut fuir le courant électrique.

S" Épreuve. Quatre heures (deux heures après la mort). — Contractions nulles.

OBSERVATION XVIIe et dernière. —Tiget (André), 54 ans. Entré le 17 juillet 68, mort le 29 du même mois, à trois heures du soir (hernie étranglée).

1re Épreuve. Trois heures et demie (demi-heure après la mort). — Contractions nulles à l'avant-bras. A l'émi-


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nence thénar, léger plissement de la peau. Contractions légères aux orbiculaires des paupières et des lèvres.

2e Épreuve. Quatre heures (une heure après la mort). ■— Tous les muscles restent complètement insensibles à l'action du bioscope.

En présence de ces résultats, en tout conformes à ceux obtenus par M. Crimotel, et qui viennent confirmer ses propres observations, on ne peut que provoquer des expériences semblables de la part des médecins de tous les pays, en France comme à l'étranger; puis si les effets se montrent constamment et partout les mêmes, le publier par la voie de la presse médicale et propager, par tous les moyens possibles, la méthode de M. Crimotel, en engageant les autorités municipales et les sociétés de sauvetage à faire figurer son appareil dans toutes les boîtes de secours.

Avant de terminer son travail, M. Crimotel jette un coup d'oeil rapide sur les précautions des peuples anciens pour éviter les inhumations prématurées, et il dit que chez les Hébreux, du temps de Moïse, chez les Egyptiens, les Perses, les Grecs et les Romains, on n'y procédait qu'au bout de soixante-douze heures. H aurait pu dire aussi, en parlant des temps modernes, qu'en Angleterre on garde les morts 4, 6 et souvent 8 jours ; qu'en Allemagne la loi exige3 jours; qu'en Espagne et enPox'tugal (ainsi que l'attestent des lettres du médecin de la chancellerie du consulat français à Cadix et du médecin de la cour de Lisbonne, que j'ai sous les yeux), on conduit les morts à leur dernière demeure dans des bières ouvertes (en feretros abiertos) et à visage découvert, afin de pouvoir étudier jusqu'au dernier instant les moindres indices d'une vie qui ne serait pas encore complètement éteinte.

En France, M. Crimotel trouve, et avec raison, notre


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législation funéraire fort imparfaite. L'autorité, il est vrai, dans sa constante sollicitude pour le bien-être et la sécurité des populations, prend bien toutes les mesures qui lui paraissent les plus convenables pour éviter le danger que nous signalons; mais ces mesures restent le plus souvent sans effet. M. Rouland, aujourd'hui sénateur, alors qu'il était Ministre de l'Intérieur, prit des arrêtés, envoya des instructions dans les départements pour éviter les inhumations précipitées. On n'en a tenu aucun compte. En 1867, M. le Marquis de la Valette, son successeur, envoya dans toutes les préfectures une circulaire prescrivant des mesures dans le même but. On lit, en

effet, dans la France Centrale de Blois, du 27 mars 1867:

«■ Le dernier numéro du Recueil des Actes Adminis«■

Adminis«■ de la préfecture de Loir-et-Cher contient une

« circulaire de M. le Ministre de l'Intérieur prescrivant.

« des mesures pour empêcher les inhumations précipitées.

« Parmi les prescriptions qu'elle renferme il est dit : « 1° La figure du défunt devra rester à découvert

« jusqu'au moment de sa déposition dans la bière. <■<■ 2" Il ne pourra être procédé à l'inhumation qu'après

« vingt-quatre heures révolues depuis la déclaration faite

« à la Mairie.

« 3° Pour acquérir la certitude d'un décès, il faut cons«

cons« sur le corps la présence des deux signes suivants :

« La rigidité cadavérique et la,putréfaction menaçante. « 4° C'est surtout dans les cas de mort subite que

« l'incertitude peut exister et qu'il faut attendre. » Rien de plus sage que ces mesures, assurément. On

n'en a fait aucun cas. Je suis allé m'informer à l'état civil

de notre ville si Ton avait reçu ces instructions; on n'avait

entendu parler -de rien de semblable.

Que fait-on donc en France pour éviter l'erreur qui

nous préoccupe si légitimement? Malheureusement rien,


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ou bien peu de chose. On a hâte de se débarrasser des morts On ne craint pas de faire souvent des déclarations mensongères pour avancer l'instant de l'inhumation, et il nous a fallu plus d'une fois menacer les familles du Procureur impérial pour obtenir le retrait de certificats contenant des indications reconnues fausses pour le jour ou l'heure du décès.

M. le docteur Gustave Lebon, dans une monographie intéressante et complète sur les inhumations prématurées, cherche aussi quelque moyen de salut en cas d'erreur, et il propose de laisser, après l'inhumation, et la fosse et la bière elle-même complètement ouvertes. Une telle proposition ne saurait, ce nous semble, supporter un examen bien sérieux, et il suffit de quelques instants de réflexion pour comprendre tout ce qu'elle pourrait avoir d'inutile ou de dangereux. Son auteur n'a tenu compte ni de l'intempérie des saisons, ni des impressions morales fâcheuses, tant pour l'individu cru mort qui viendrait à se réveiller dans sa tombe, que pour les personnes qui peuvent venir visiter les sépultures.

Sans parler des maisons mortuaires qui sont loin de pouvoir remplir le but qu'on se propose, et déjà presque tombées en désuétude en Allemagne même où elles ont pris naissance, la législation funéraire de ce pays qui exige un délai de trois jours avant l'inhumation des morts, paraît encore la plus prudente et la plus sage au docteur Josat, envoyé par le Ministre pour l'étudier en détail et donner son avis sur les avantages ou les inconvénients qu'elle présente. En y réfléchissant bien, il est difficile de ne pas partager l'opinion de ce savant médecin, car dans l'état actuel de la science et avec tous les agents chimiques qu'elle met à notre disposition, que peut-on sérieusement avoir à craindre du léger commencement de la putréfaction ?


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Mais, Messieurs, nous le demandons franchement à tout homme de sens, que peuvent toutes les sages mesures de l'autorité, tous les prudents conseils de la science, et quels résultats est-il raisonnablement permis d'en attendre tant qu'on laissera subsister en France l'usage déplorable, incompréhensible, barbare, d'ensevelir les corps aussitôt que l'on croit qu'ils ont cessé de vivre ? N'est-il pas évident que cette opération, en les privant à la fois d'air, de lumière et de chaleur, ne peut manquer de leur ôter le peu de vie qui pourrait leur rester encore et de les asphyxier sur-le-champ. Veut-on un exemple de l'empressement qu'on met à s'acquitter de ce triste devoir ? Au cours du mois de mai 1855, je fus appelé en toute hâte, rue des Fauchets, n° 4, chez Mme veuve Bourgine, rentière, âgée de 93 ans, à laquelle je donnais des soins pour une cholérine. On la crut morte, et elle venait de se réveiller, en baillant et en ouvrant largement les yeux, au moment où les deux femmes mercenaires, préposées à sa garde, se disposaient à attacher sous le menton et sur la tête les dernières épingles de son suaire. Je passe sous silence mes sévères admonestations et laisse à deviner la scène d'épouvante qui eut lieu dans cette maison. La malade a vécu 24 heures encore et n'est morte que le lendemain. D. est- assez rare, du reste, que le médecin, quand il se présente pour constater un décès, puisse éprouver le moindre doute, le corps étant presque toujours, déjà, enseveli depuis plusieurs heures ! On devrait comprendre, pourtant, combien, dans certaines circonstances, une heure, un quart d'heure même d'existence de plus, peuvent apporter de consolations aux familles, tant sous le rapport des sentiments affectueux que sous celui des précautions religieuses ou des dispositions testamentaires.

Ce funeste usage d'ensevelir promptement les morts,


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cet usage plus fort que la raison, et que réprouvent également le bon sens et l'humanité, est tellement enraciné dans nos villes et dans nos campagnes, qu'il subsistera probablement toujours tant qu'une loi sévère et la crainte d'un châtiment rigoureux ne viendront pas y mettre un terme. Cette loi tant désirée qui défendrait de procéder à l'ensevelissement avant 24 heures révolues depuis la constatation du décès par l'homme de l'art, et en maintenant le visage découvert pendant tout ce temps, cette loi sans laquelle toutes les autres mesures de l'autorité, toutes les prescriptions de la science sont, nous ne saurions trop le répéter, complètement inutiles et illusoires, ne cessons pas de l'appeler, de la réclamer de tous nos voeux et de toutes nos forces. Pour moi, à la fin de ma longue carrière médicale, je m'estimerais heureux d'avoir pu contribuer dans la mesure de mes faibles moyens et pour une part si minime qu'elle puisse être, à la solution heureuse et définitive d'une question qui touche de si près aux intérêts les plus sacrés de l'humanité. Espérons donc que les efforts réunis de la science et de l'autorité parviendront à faire cesser un état de choses qui contraste si singulièrement et, osons le dire, si honteusement, avec les moeurs et les habitudes d'une nation considérée, à juste titre, comme le centre et le point de départ de toute civilisation.

Résumons-nous : la possibilité de l'erreur fatale que nous redoutons, et ses tristes résultats, quoique rares, sont avérés. Il est désirable, il est urgent d'y apporter un remède efficace afin qu'elle ne puisse plus se renouveler. Du consensus de tous les médecins, l'électricité, jusqu'à ce jour, offre un des meilleurs moyens de distinguer la mort réelle de la mort apparente. Le volume embarrassant, la pesanteur, le prix élevé des appareils électriques, et l'impossibilité de les porter constamment avec soi, ont long-


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temps empêché d'avoir recours à leur usage lorsqu'il paraissait indiqué. M. Crimotel a imaginé un petit appareil très-portatif, et offrant un moyen simple, facile et prompt de faire l'épreuve désirée chaque fois qu'elle peut être utile, et surtout dans les cas de mort subite. Ha donc rendu un éminent service à la science et à l'humanité. Le mémoire qu'il a publié à ce sujet a reçu l'approbation du conseil d'hygiène et de salubrité publique de la Seine, et a mérité un rapport favorable de plusieurs membres de l'Institut et de l'Académie Impériale de médecine. Associé déjà, comme membre correspondant, à plusieurs sociétés savantes françaises et étrangères, M. Crimotel, Messieurs, sollicite l'honneur d'appartenir aussi à la vôtre. Nous l'en croyons digne, à tous égards et de tous points (1).

(1) A l'instant de relire ce rapport avant de le livrer à l'impression, nous apprenons par le Journal officiel que le Sénat, dans sa séance du 29 janvier dernier, s'est occupé sérieusement de la question des inhumations précipitées. M. le comte de Salignac-Fênêlon, rapporteur de la commission des pétitions, en a présenté cinq demandant des réformes dans notre législation funéraire. Il a fait connaître les conclusions de la Commission qui sont le renvoi au Ministre de l'Intérieur ; et M. Genteur, Conseiller d'Etat, Commissaire du gouvernement, ayant adopté l'avis de la Commission, le renvoi a été ordonné par le Sénat. Cette nouvelle, nous n'en doutons pas, sera favorablement accueillie par le public.

Dans cette même séance, deux exemples nouveaux delà fatale erreur que l'on redoute ont encore été signalés, l'un par Mgr le Cardinal Bonnet, l'autre par M. le Sénateur Tourangin. Dans le premier cas, l'erreur a eu un résultat funeste ; dans le second, trois médecins de Paris, réunis en consultation, ont eu le malheur de se tromper; mais grâce à la fermeté et au dévouement d'une soeur de la jeune malade, il n'y a pas eu de suite fâcheuse.


NOTICE

SUR LES

MAITRES EN CHIRURGIE de la Ville d'Orléans, jusqu'en 1789,

Par M. le Docteur CHARP1GNON.

Séance du 3 juillet 1868.

Notre bibliothécaire, en rangeant les livres de la Société, mit la main sur une dizaine de grands in-folio manuscrits, ayant appartenu à l'ancienne École de chirurgie d'Orléans. M. l'abbé Desnoyers, pensant qu'il devait y avoir là quelque chose d'intéressant, voulut bien me charger d'examiner ces registres. J'ai secoué la poussière de ces pages séculaires, et je viens vous faire part de quelques détails curieux sur les coutumes et sur les travaux des chirurgiens d'Orléans, aux xvne et xvnie siècles. Ces détails vous intéresseront d'autant plus que, sous certains rapports, vous êtes les successeurs de ces hommes qui s'assemblaient dans cette même maison, qui siégeaient dans cette même salle, pour s'occuper des mêmes questions que votre Section de Médecine.

Ces registres contiennent : 1° Les inscriptions des garçons des veuves de chirurgiens, pour être autorisés à continuer l'art du défunt, pendant deux ou trois ans (1725-1760) ; 2° les inscriptions d'apprentissage, actes d'examens, chefsd'oeuvre, des aspirants à l'art de chirurgie (1740-1793) ;


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3° les actes de réception des maîtres en chirurgie (17261758) ; 4° les délibérations de la compagnie des chirurgiens et de l'Ecole de chirurgie (1758-1783).

Pour donner un corps à des faits intéressants, mais disséminés dans des procès-verbaux- sans lien, j'ai dû recourir à des sources historiques diverses ; c'est ainsi que j'ai pu reconstituer les principaux traits de la vie scientifique et pratique de nos anciens chirurgiens.

I.

Quoique le plus ancien des registres ne date que de 1725, la nature des actes qui y sont inscrits révèle une organisation fonctionnant en vertu de règlements très-anciens, et les documents puisés dans les historiens locaux, constatent l'existence régulière de la corporation des chirurgiens d'Orléans. Ainsi nous voyons en septembre 1676, Jean Roubaut, maître en chirurgie, convoquer les étudiants pour élire leur Abbé (1).

A cette époque les étudiants en chirurgie formaient une corporation administrée par un Abbé, choisi à l'élection, et par un lieutenant, quatre conseillers, un trésorier et un greffier, ceux-ci nommés par-l'Abbé.

La corporation des maîtres était administrée de la même manière, moins l'Abbé, et le lieutenant était nommé par le premier chirurgien du Roi.

L'abbé des écoliers n'était plus qu'un laïque depuis que les canons de l'église avaient défendu aux ecclésiastiques de faire de la chirurgie. Mais le nom était resté, et il n'était plus qu'un souvenir d'une organisation qui datait du temps où le christianisme avait remplacé et modifié les institutions romaines qui régissaient la Gaule

(1) Essais sur Orléans, par Beauvais de Préau, 1778.


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pendant les premiers siècles de l'invasion franque. Jusqu'à ce temps, en effet, l'exercice de la médecine et de la chirurgie, en France, comme dans l'empire romain, avait été absolument libre (1). Province romaine, la Gaule avait pris les coutumes de l'empire, et médecins et chirurgiens y exerçaient avec la plus complète liberté. « Derrière les médecins venaient les subalternes, d'une condition trèshumble, dont ils se servaient comme d'aides ou plutôt comme d'instruments. Chacun d'eux avait son rôle. Galien énumère quelques-unes des fonctions qu'ils se partageaient : recueillir des herbes, préparer des onguents, faire chauffer les remèdes, poser les cataplasmes, administrer les clystères, les affusions, les bains, scarifier, saigner, ventouser. » (Docteur Réveillout.) Presque toujours ces serviteurs des médecins étaient des esclaves, mais la plupart ne tardaient pas à être affranchis et à exercer plus en grand, pour leur propre compte, acquérant souvent une fortune considérable. .Les riches de diverses conditions, avaient leurs esclaves pour pratiquer chez eux la chirurgie ou la médecine (2).

En remontant à ces origines on comprend la division de la médecine et de la chirurgie, ainsi que la démarcation qui existait entre les médecins, hommes libres, savants, rhéteurs, et ceux qui; serviteurs et aides, étaient chargés d'appliquer les moyens exigeant des procédés manuels. A ces causes, il faut ajouter la puissance des idées qu'un spiritualisme exagéré et inintelligent vint, plus tard, opposer à la dignité de la chirurgie, en disant qu'étant l'oeuvre de la main, elle devait être soumise à la médecine, travail de l'intelligence, comme le corps est soumis à l'âme.

(1) De la Profession médicale sous l'empire romain. Docteur RÉVEILLOUT, 1867.

(2) Fragment. Scoevol. in diges. de fi.de. et liber. I. 41. 6,


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Au milieu de la confusion politique et sociale que la domination franque apportait, le christianisme, par son esprit de charité, prit naturellement une grande part dans l'exercice de la médecine. Prêtres, moines, hommes religieux et femmes pieuses, soignèrent les malades. Une espèce de tiers-ordre se forma au vc siècle (1), pour porter secours aux malades et panser les infirmes, sous la direction d'un abbé. Peu à peu les évêques, les papes, et depuis Charlemagne, presque tous les rois, réglementèrent la pratique de la médecine et de la chirurgie. Un moment effacée par l'idée chrétienne, la séparation de la médecine et de la chirurgie reparut et s'accentua de plus en plus par les lois et ordonnances.

Les corporations se formèrent avec leurs privilèges et leurs règlements. Les chirurgiens, laissant en dehors delà chirurgie certains moyens, tels que les bains, les étuves, la préparation des remèdes, constituèrent leur corpoi'ation sous le nom de Chirurgiens-Barbiers.

H.

Les droits des maîtres en chirurgie sont nettement spécifiés dans les actes du registre de 1725. On y lit en effet : « X..., jugé capable d'être mis au nombre et catalogue des maîtres en chirurgie d'Orléans (2), exercera la chirurgie en ladite ville ; il pendra bassins, ouvrira boutique et jouira des privilèges accordés audit art, à la charge d'être

(1) De Episco. eccles. et cleri. cod. Justi. lib. 11. m. 15.

(2) « Frais de réception : 1° Examen de physiologie : 50 liv. 2° Examen d'ostéologie : 50 1. 3° Examen des maladies des os et chirurgicales : 74 1. 4° Examen d'anatomie : 50 1. 5° Examen pour les opérations : 58 1. 6° Examen des saignées : 50 1. 7° Examen des médicaments : 66 1. 8° Réception et brevet : 59 1. Total : 457 livres. »


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bon et fidel serviteur de Dieu et du Roi et de Son Altesse Royale, de vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine, de porter honneur et respect aux anciens, de payer sa part des dettes de la compagnie. »

Ouvrir boutique, pendre bassins, mettre une enseigne, était chose importante. On a discuté si les petits bassins indiquaient que le chirurgien faisait la barbe ou la saignée. Selon moi, c'était une enseigne de barberie, destinée à contrebalancer la concurrence envahissante de la corporation des perruquiers. Que signifierait, en effet, la boutique ouverte? On n'entrait pas si souvent, dans une boutique de chirurgien, pour se faire saigner, tandis que, comme nous le verrons bientôt, les chirurgiens d'Orléans faisaient la barbe et la perruque.

Le chirurgien était aidé par un ou plusieurs garçons, qu'il prenait en apprentissage pour trois, quatre et cinq ans, moyennant 200 ou 300 livres de pension annuelle. Le contrat très-détaillé qui engageait les deux parties, était inscrit au registre de la compagnie. Cette coutume de l'apprentissage créait au maître zélé et dévoué des disciples, et faisait de lui comme un chef d'École. A la mort du chirurgien, sa femme était autorisée à continuer la boutique pendant quelque temps, par l'intermédiaire d'un de ces apprentis qu'elle présentait à la communauté.

Ainsi : « Le 6 mars 1725, est comparue à la chambre commune de juridiction des maîtres chirurgiens d'Orléans, sur les billets et mandements du sieur Noël, lieutenant du premier chirurgien du Roi au baillage d'Orléans , Madame veuve Berruier, vivant maître chirurgien audit Orléans, et sieur Daniel Lhomme, natif de Brou-en-Beauce, son garçon. Les maîtres en chirurgie l'ayant interrogé, le jugent capable d'exercer, sous ladite veuve, aux conditions portées par les édits, arrêts, règlements et statuts faits touchant l'art de chirurgie. »


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La corporation des chirurgiens d'Orléans avait ses armoiries qui étaient d'azur avec un saint Cosme et un saint Damien en or, sur terrasse de même. La corporation conférait elle-même les lettres de maîtrise. Avant 1736, ces lettres étaient données aux chirurgiens de beaucoup d'autres villes par le premier chirurgien du Roi. Voici la formule d'une de ces lettres de maîtrise en 1732 :

« François de la Peyronie, écuyer, seigneur de Marigny et autres lieux, conseiller, premier chirurgien du Roi, chef de la Chirurgie et de la Barberie du Royaume, garde des chartes et privilèges du dit art : sçavoir faisons que sur la requête présentée par N..., etc., contenant qu'il s'est appliqué à l'étude de la chirurgie, qu'il a fait son apprentissage pendant deux années sous le sieur X..., chirurgien juré à XX..., suivant le brevet passé devant R..., dûment enregistré, et désirant parvenir à la maîtrise..., ayant porté ses billets de convocation chez tous les maîtres, supplié l'assemblée générale, subi l'examen..., ayant subi les trois semaines d'ostéologie , anatomie et des saignées et médicaments,... s'étant présenté en notre chambre de juridiction sous la conduite de X..., chirurgien juré, il a été interrogé et examiné par notre lieutenant et prévôt et gardes en charge, à quoi a été mandé A..., médecin de la Faculté de Paris, le dit aspirant retiré, pris les avis de l'assemblée qui l'a jugé capable, nous avons reçu et admis le dit N... maître chirurgien en la ville de..., pour y exercer la chirurgie, pendre enseigne... »

Ce n'est que le 3 septembre 1736 qu'une déclaration royale autorisa le premier chirurgien du roi à nommer ses lieutenants dans les villes du royaume (1).

(1) Corporation des Chir.-Barb. à Valenciennes. BOUTON, 1867.


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III.

Les chirurgiens d'Orléans abusaient sans doute de leurs privilèges, car nous les voyons soutenir des procès : 1° avec les médecins qui veulent leur interdire les visites en dehors de celles nécessaires pour opérer, et qui prétendent avoir le droit de régler les mémoires des chirurgiens ;

2° Avec les apothicaires qui s'opposent à ce qu'ils préparent et vendent des remèdes, emplâtres, pommades ;

3° Avec les perruquiers qui exigent que les chirurgiens cessent de faire la barbe, friser et poudrer les perruques.

Les chirurgiens d'Orléans résistèrent le plus qu'ils purent. On les voit en effet, dépenser beaucoup d'argent, envoyer à Paris, auprès du Parlement et auprès du premier chirurgien du Roi, des délégués pour soutenir leurs droits et demander protection.

Dans leurs difficultés ils ont souvent recours au duc d'Orléans, protecteur des intérêts de la ville dont il était apanagiste, et sympathique à tout ce qui était science et art.

Une marque de la protection de ce prince envers les chirurgiens d'Orléans est inscrite sur les registres de la compagnie. En 1735, le duc d'Orléans avait fondé à l'HôtelDieu de la ville une salle pour l'opération de la pierre. Un maître chirurgien fut nommé lithotomiste et payé 300 livres par le prince. En 1773, la place était devenue vacante; le duc d'Orléans étant sollicité par Mes Leblanc, Ballay et Bertrand, décida « que l'opération de la taille étant une des plus délicates et des plus difficiles de la chirurgie, lien ne faisait plus honneur à l'Ecole d'Orléans que de voir trois de ses membres se proposer. Son Altesse avait consulté le maire et les échevins sur le mérite des aspirants, et voulant donner à la ville et à ses vassaux des

T. xii. 17


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marques particulières de sa protection, Monseigneur ordonnait qu'à l'avenir l'opération de la taille serait confiée à Mes Leblanc, Ballay et Bertrand, et que la gratification de 300 livres serait distribuée aux trois chirurgiens, non pas à raison du nombre de malades qui auront été taillés, mais à raison du nombre de ceux qui auront été guéris. En sorte que si, sur 15 opérés, 10 seulement ont guéri, chaque chirurgien recevra 30 livres... Les sujets destinés à être opérés seront tirés au sort par les trois chirurgiens.

« Quarante jours après l'opération, il sera dressé

procès-verbal du nombre de malades guéris ou décédés, avec le nom des chirurgiens qui auront opéré, et ce procèsverbal sera envoyé à M. le procureur du Roi... »

Quant aux difficultés avec les perruquiers, ce fut pour les chirurgiens une affaire trèsTsérieuse.

Les perruquiers ne dataient que de 1630, époque où Louis XHI adopta la mode des faux cheveux, qui avaient été jusqu'alors défendus par le clergé. Cette nouvelle mode donna lieu à des artistes nouveaux qui se trouvèrent en rivalité avec les chirurgiens-barbiers.

Les registres de nos maîtres en chirurgie consignent les procès qu'ils ont soutenus à ce sujet, mais ils ne portent pas la sentence que j'ai trouvée ailleurs, et qui leur était défavorable.

« A tous ceux qui ces présentes lettres verront, Georges Vandebergue, conseiller du Roi et de S. A. Mgr le duc d'Orléans, lieutenant-général de police de la ville, faubourgs et banlieue d'Orléans, salut : savoir faisons qu'en la cause mue et pendante par devant nous, entre la communauté des Mes perruquiers , barbiers, baigneurs, étuvistes de la ville d'Orléans..., demandeurs aux fins de l'exploit de Beaulieu, huissier, portant^ assignation à la communauté des Chirurgiens de cette ville, à comparaître devant Nous, pour répondre aux demandeurs sur ce qu'au


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mépris des statuts de la communauté des perruquiers, barbiers, baigneurs, étuvistes de la ville et faubourgs d'Orléans, registres au Parlement le 28 juin 1725, qui portent qu'aux seuls barbiers , perruquiers , baigneurs, étuvistes, appartiendra de faire le poil, bains, perruques, étuves et toutes sortes d'ouvrages de cheveux, tant pour hommes que pour femmes, sans qu'autres puissent s'entremettre, à peine de confiscation des ouvrages, cheveux, ustensiles et de cent livres d'amende, sans préjudice du droit que les chirurgiens ont de faire le poil et les cheveux et de tenirbains, étuves pour leurs malades seulement, les Chirurgiens ont chez eux des fers à friser, fers à toupet, têtes à perruques, poudres, pommades et huiles'dont ils se servent journellement, à l'exception de quatre ou cinq. C'est pourquoi..., concluent contre la communauté des dits maîtres chirurgiens, à ce que défense soit faite à tous les dits maîtres de ne plus friser, accommoder les perruques et de friser les cheveux ou de le faire faire par leurs garçons, ou aller ou envoyer chez les bourgeois, en auberge, à peine de 2,000 livres de dommages-intérêts envers la communauté des maîtres perruquiers,...

« Parties ouïes, au jour assigné, notre siège ordinaire de police tenu en l'hôtel commun de cette ville, à trois heures après midi,... ayant égard à la demande de la communauté des maîtres perruquiers, barbiers , baigneurs, étuvistes, Nous avons maintenu les chirurgiens d'Orléans dans le droit de faire la barbe et de tailler les cheveux seulement, mais faisons défense aux dits maîtres en chirurgie de friser, pommader, poudrer et accommoder les cheveux et perruques, tant en leur boutique que chez les bourgeois et en auberge, et de le faire faire par leurs garçons, à peine de confiscation des perruques, têtes à perruques, fers, huiles, poudres, pommades dont ils se serviraient pour autres que pour eux-mêmes, et de cent livres


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d'amende... Le coût des présentes sera porté par la communauté des chirurgiens.

« Orléans, le 31 mai 1747, signé CHANGEUX, greffier. »

Suit l'arrêt de la Cour du Parlement, confirmatif de ladite sentence de police, daté du 4 juin 1749.

Un arrêté du Roi, du 12 décembre 1773, vint fixer les attributions de chaque corporation. On y lit en effet : « Ordonnons, voulons, et nous plaît que dans toutes les villes et lieux du royaume , la frisure et accommodage des cheveux naturels et artificiels des hommes et des femmes, comme aussi l'exercice de la barberie, appartiennent sans aucune exception aux seuls maîtres perruquiers, à l'exclusion de toutes sortes de personnes quelconques, sans préjudice toutefois du droit dont sont en possession les chirurgiens de nos provinces qui n'ont pas renoncé à la barberie, d'en continuer l'exercice comme par le passé, sans s'entremettre dans aucune des autres fonctions dépendant de l'état de perruquier. » (Arch. départ., L. A.)

Malgré cette décision, nos chirurgiens demandèrent au Roi ce qu'il leur fût permis, pendant leur vie, de continuer à friser et poudrer les perruques de ceux qu'ils rasent. »

Jamais les chirurgiens n'avaient cru déroger en faisant la barbe, en frisant et poudrant les perruques, car nous avons vu de la Peyronie, premier chirurgien du Roi, en 1730, prendre, dans ses actes officiels, le titre de chef de la chirurgie et de la barberie du royaume (1). Cependant,

(1) Je lis dans la Traduction des Statuts de la Faculté de Parist 1754, le passage suivant : « Les fonctions de barbier et de chirurgien sont encore indifféremment exercées par les mêmes personnes en France, tandis qu'à Londres elles sont divisées depuis les patentes de la reine Elisabeth. Cette bonne reine voyant que les maladies vénériennes étaient très-communes, et craignant que ses sujets ne


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si les chirurgiens perdaient une prérogative lucrative , on avait voulu les dédommager par le droit de bourgeoisie et le titre de notable qui leur furent accordés par ordonnance de Louis XV, en date du 10 août 1756.

Les travaux de Guy de Chauliac, Fallope, Ambroise Paré, Guillemeau, Mauriceau, Maréchal, Lamartinière, avaient successivement perfectionné l'anatomie et le manuel opératoire; les principes de la chirurgie se rattachaient de plus en plus à ceux des sciences physiques et chimiques qui progressaient chaque jour. Les chirurgiens étaient donc dignes de la faveur qu'on leur accordait.

Voici le texte des lettres-patentes :

ce Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France

Sur ce qui nous a été représenté par notre cher et bien amé le sieur de la Martinière, notre premier chirurgien,

que les progrès que la chirurgie a faits depuis

plusieurs années sont dûs aux prérogatives et distinctions que nous avons accordées depuis le commencement de notre règne à ceux qui se sont adonnés à cet art..

que par notre déclaration du 24 avril 1743, nous

avons donné des marques signalées de notre protection aux chirurgiens de notre bonne ville de Pains, que notre déclaration a rendu à cet art le lustre et la considération qui lui sont propres et qui cependant étaient presqu'entièrement effacés par l'avilissement dans lequel il était tombé, qu'elle a ranimé le zèle et l'application des chirurgiens de notre bonne ville de Paris, les Écoles en sont devenues plus célèbres, les élèves qui y ont été formés ont répandu dans nos provinces l'esprit d'émulation qu'ils

reçussent quelque dommage en se faisant manier et laver le visage par les mains de ceux qui sont accoutumés de se servir de mercure et qui pansent les ulcères véroliques , défendit aux chirurgiens de raser et aux barbiers de pratiquer aucune partie de la chirurgie. »


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y avaient puisé ; les chirurgiens des autres villes de notre royaume, ont bientôt été animés du même esprit ; on a vu s'établir des Écoles publiques à Montpellier, Toulon, Bordeaux, Rouen Nous avons par différents arrêts déclaré

les chirurgiens de plusieurs villes dans lesquelles ils exercent purement et simplement la chirurgie, notables bourgeois des villes de leur résidence qu'il nous suppliait de vouloir bien expliquer nos intentions en faveur de ceux qui s'adonnent entièrement et sans aucune restriction à cet art dans les autres villes de notre

royaume Et désirant exciter encore plus, s'il est

possible, le zèle et l'émulation de ceux qui s'adonnent à un art si nécessaire pour la conservation de nos sujets,.... à quoi nous avons pourvu par l'arrêt d'aujourd'hui.... Nous ordonnons que les maîtres en l'art et science de chirurgie des villes et lieux où ils exerceront purement et simplement la chirurgie, sans aucun mélange de profession mécanique et sans faire aucun commerce ni trafic, soit par eux ou par leurs femmes, seront réputés exercer un art libéral et scientifique.... Voulons que les dits chirurgiens soient compris dans le nombre des Notables bourgeois, défendons de les compter dans les rôles d'arts et métiers, ni de les assujétir à la taxe de l'industrie, et seront lesdits chirurgiens exempts de la collecte, de la taille, du guet et de garde, de corvée et de toute autre charge de ville et publique; permettons aux dits chirurgiens d'avoir un ou plusieurs élèves, soit pour être aidés dans leurs fonctions, soit pour les instruire des principes de la chirurgie, lesquels élèves, au nombre de deux, seront exempts de tirer à la milice. » (Arch. dép., L. A.).

Cette réforme des anciennes coutumes froissait les intérêts de certains chirurgiens plus soucieux d'argent que d'honneurs; aussi voit-on quelques maîtres en chirurgie


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d'Orléans, protester contre l'innovation qui leur interdisait les pratiques et manipulations du commerce ; ainsi je transcris :

ce Aujourd'hui, lundi 7 septembre 1761, les maîtres de l'École royale de chirurgie d'Orléans étant assemblés en leur salle ordinaire... pour procéder au dernier examen général, réception et prestation de serment du sieur Clément Chipaut, à quoi il a été procédé de la manière qui suit, savoir : M. le lieutenant l'a interrogé sur les rapports, M. Forel sur la curation des aposthèmes, M. Thevenaut sur la curation des plaies, M. Cullembourg sur les accouchements, M. Desjean sur la curation des ulcères; auxquels il a parfaitement répondu. A deux heures de relevée, en continuant, il a été interrogé par M. Macé sur la thérapeutique, par M. Fauvin sur les plaies d'armes à feu, par M. Leblanc sur les pansements, par M. Prévôt sur la gonorrhée. Les avis pris de tous les maîtres assemblés, le dit sieur Clément Chipaut a été unanimement reconnu capable d'exercer la chirurgie. A quoi il a été reçu et admis, conformément aux statuts, règlement touchant l'art de chirurgie. Pourquoi il lui sera délivré des lettres de maîtrise, après que ledit sieur Chipaut aura prêté serment.

t Le soussigné consent et souscrit à l'ordonnance ci-dessus et renonce par ces présentes à tout art illibéral qui pourrait se pratiquer en l'art de chirurgie. Signé: Delacroix, Forel-Delacroix, Thevenau. »

Puis on lit la protestation suivante : ce Les soussignés n'ayant pas égard à la clause dans laquelle l'aspirant s'interdit tout exercice illibéral. Signé : Fauvin, Macé, Cullembourg, Ballay, Prevot, Raby, Leblanc, Sergent, Dejean. » Le récipiendaire entraîné par la majorité, ajoute à sa signature : Pour ma réception ; ce qui annulait la formule de renonciation à tout art illibéral.


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Comme on vient de le voir, la majorité des chirurgiens d'Orléans tenait encore fortement, en 1761, à ses anciens privilèges, déjà bien diminués par les sentences, arrêts, lettres-patentes qui leur avaient interdit la barberie et les perruques.

Pour faire disparaître de l'exercice de la chirurgie la barberie, l'entretien des perruques et autres pratiques mercantiles, il fallut encore un article obligatoire dans les lettres patentes que le Roi donna le 2 septembre 1763, pour réglementer l'École récemment instituée à Orléans. Cet article 10 est ainsi conçu : « Ceux qui seront reçus maîtres, ne pourront exercer aucun art illibéral, commerce, ou profession étrangère à la chirurgie, pas même la barberie. S'ils se trouvent en contravention, ils seront privés des droits et privilèges accordés aux chirurgiens d'Orléans. Pourront néanmoins, ceux qui seront reçus avant l'enregistrement des présentes, exercer la barberie. »

IV.

La communauté des chirurgiens d'Orléans, encouragée sans doute par le voisinage de la célèbre Université qui enseignait avec éclat depuis plusieurs siècles, se distinguait par ses travaux. Elle avait produit des chirurgiens remarqués, tels : Jacques Gmillemeau, qui devint chirurgien de Charles IX, de Henri III et de Henri IV, qui traduisit las oeuvres d'Ambroise Paré et qui publia un traité des maladies de l'oeil, des tableaux anatomiques et un traité de chirurgie (1) ; Nicolas Rabicot qui en 1613, lorsque la

(1) Né en 1550 à Orléans, où son père et son grand'père exerçaient la chirurgie, Jacques G. alla finir ses études chirurgicales à Paris et s'y fixa. En 1860, le dernier des Guillemeau mourut à Paris. Tous avaient exercé la médecine ou la chirurgie. (Y. Gazette des hôpit., 1860).


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plupart des savants admettaient l'authenticité des ossements trouvés près Lyon, comme démontrant une race d'hommes géants, fit paraître son a Discours sur les os du prétendu géant dont Masure, chirurgien, montre les os, dents et vertèbres, extraits d'une tombe de i8 pieds, » (On sait qu'il s'agissait de fossiles d'éléphant;) Habicot, publia encore un livre d'enseignement : Semaine anatomique; — Louis Leblanc, membre de l'Académie de chirurgie, auteur d'un Traité des opérations chirurgicales (1760) et d'un Traité des hernies qui fixa l'attention des chirurgiens par l'instrument que Leblanc proposait pour substituer la dilatation au débridement dans l'opération de la hernie. Mais ce procédé fut mal jugé à l'Académie de chirurgie, où Louis en parla en ces termes : ce n y a treize ou quatorze ans, on a proposé de ne pas inciser l'anneau, mais de le dilater par l'introduction du doigt, et si cela n'était pas possible, d'employer un instrument dilatateur. Malgré l'assertion de l'auteur et la dilatation graduée qu'il recommandait,

on n'a remarqué dans son projet que de fausses vues

Les faits qu'on rapporterait en faveur de cet instrument prouveraient qu'il est inutile de s'en servir, et peut-être même que l'opération n'était pas indiquée » {Mémoires de VAcad. dechir., ni, p. 60). Le temps a, du reste, sanctionné l'appréciation de Louis.

La science et la renommée de ces hommes distingués avaient rejailli sur la corporation des chirurgiens d'Orléans, et la protection du duc d'Orléans venant en aide, on n'est plus surpris de voir nos chirurgiens déclarés notables et bourgeois, puis, trois ans plus tard, de la distinction par laquelle une École royale de chirurgie est instituée à Orléans.

Voici le texte des « lettres patentes du Roi, portant établissement d'une École de chirurgie dans la ville d'Orléans, donnée à Versailles le 23 juin 1759.

ce Louis, parla grâce de Dieu, Roi de France salut:


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ce Notre très-cher et très-amé cousin le duc d'Orléans... nous a fait représenter que depuis vingt-cinq ans, les maîtres en chirurgie de la ville d'Orléans, en exécution de leurs statuts, dûment autorisés par nous et enregistrés en notre Cour du Parlement, font tous les ans des cours et leçons publiques..., que rien ne serait plus capable d'exciter leur zèle et de soutenir entr'eux une noble émulation que d'accorder aux maîtres en chirurgie, la même faveur que nous avons accordée aux maîtres des villes les plus considérables de notre royaume, en nommant trois sujets pour remplir les places de professeurs, et que pour nous y engager ils ont fait construire un amphithéâtre à leurs frais et dépens.

ce Aces causes..., voulant donner à la ville d'Orléans des marques particulières de notre protection, témoigner aux maîtres en chirurgie de la dite ville, la satisfaction que nous avons de leur zèle et de leur application, et les traiter de la même manière que les maîtres en chirurgie de Paris, Rouen, Montpellier, Toulon, Bordeaux et autres villes, nous avons statué et ordonné :

ART. 1er — Il sera fait choix par le sieur de la Martinière, notre premier chirurgien, de trois sujets, entre les maîtres en chirurgie d'Orléans, lesquels seront par lui présentés à notre dit cousin le duc d'Orléans, pour, sur son agrément, être par nous nommés professeurs démonstrateurs royaux en chirurgie, et enseigner entr'eux trois, les différentes parties de la chirurgie.

ART. 2. — L'un d'eux fera le cours des principes de chirurgie, traitera de la physiologie, de l'hygiène, des plaies, des aposthèmes, de la saignée, de l'application des cautères, des ventouses, des sangsues, des vésicatoires et des médicaments, tant simples que composés. Un autre ouvrira un cours d'ostéologie, traitera des maladies des os et des opérations qui y conviennent, fera la démonstration et appli-


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cation de tous les bandages et appareils, et terminera par le cours d'accouchement. Enfin celui qui fera le cours d'anatomie fera la démonstration des instruments de chirurgie, traitera des viscères, des nerfs, des vaisseaux, des glandes et. généralement de toutes les parties du corps humain dont il démontrera la structure, la situation et les usages, donnera en outre un traité particulier des maladies chirurgicales et des opérations qui y conviennent.

ART. 3. — Les démonstrations et leçons dont les trois professeurs seront chargés se feront dans la grande salle ou amphithéâtre des maîtres en chirurgie, et seront annoncées par des affiches.

ART. 8. — Les cours se feront gratuitement et publiquement; enjoignons à ceux qui y assisteront de s'y comporter avec décence et respect ; faisons défense aux élèves de s'y trouver avec des épées, cannes ou bâtons.

ART. 11. ■— Voulons que les maîtres en l'art et science de chirurgie exerçant en la ville d'Orléans, jouissent des mêmes droits et privilèges accordés par arrêt de notre

conseil du 10 août 1756 Voulons en outre que les

trois professeurs par nous nommés et leurs adjoints, soient exempts de logement de gens de guerre, comme aussi nous entendons que les étudiants et élèves inscrits sur les registres, qui aspirent régulièrement aux dites Écoles, soient exempts de tirer à la milice. » (Arch. dêp. L. E. et registres).

V.

Le temps avait amené de grands changements dans les vieilles coutumes de la communauté des chirurgiens d'Orléans ; les uns avaient appelé les réformes, les autres avaient cherché à les arrêter. Mais rien n'avait pu anéantir le mouvement d'expansion qui devait détruire les corporations, pour livrer à tous les privilèges, les


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bienfaits, la lumière qu'elles gardaient comme un avare garde un trésor laborieusemt amassé.

Le 21 février 1760, nos maîtres en chirurgie commencent un nouveau registre. La première page consigne l'ouverture de l'École et la vente d'anciennes chasubles et tuniques. La rédaction des actes est désormais modifiée; on sent que le souffle de l'indépendance et le libre examen ont pénétré dans la compagnie.

Jusqu'alors les actes de réception avaient été invariablement terminés par cette formule : ce Ledit sieur *** est reçu maître en chirurgie d'Orléans, à la charge de vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine, d'être bon et fidèle serviteur du Roi et de son Altesse M. le duc d'Orléans, de faire bon et fidèle rapport dans les 24 heures de l'état d'une blessure, soit qu'il y ait procédure ou non. »

A partir de 1760, on ne voit plus figurer l'engagement de vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine : il est remplacé par la déclaration que l'aspirant fait profession de la dite religion; puis peu à peu, cette formule disparaît, et la loi de Tan XI, conféra le diplôme de médecin, sans avoir égard à la foi religieuse. Il en fut de même pour l'obligation de faire à la justice le rapport des blessures, que les actes de maîtrise cessent de mentionner. A cette époque où tout noble et franc bourgeois portait l'épée, et où les ruelles et carrefours étaient le repaire des truands et des voleurs, les attaques nocturnes et les duels étaient fréquents; aussi les chirurgiens avaient souvent occasion de soigner des blessés intéressés au secret, et il leur était ce ordonné d'annoncer en justice les blessés qu'ils médicamentent, dès qu'ils y ont appliqué le premier appareil.... sous peine de 50 liv. d'amende pour la première fois, du double pour la


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deuxième, et en cas d'ultérieure contravention d'être privés de la faculté de leur art. »

L'art. 378 de notre Code pénal a consacré, en partie, le secret médical : je dis en partie, car ce même article dit que le médecin est obligé au secret ce hors le cas où la loi l'oblige à se porter dénonciateur. »

Que penser d'un médecin qui par ses soins sauve la vie d'un homme, conspirateur ou même assassin, et qui en même temps, livre cette vie aux suprêmes rigueurs de la loi? H vaudrait mieux refuser de suite de panser le blessé ; on ne serait au moins que barbare ! Que de familles, que de personnes, que d'intérêts, une révélation du médecin peut perdre ou compromettre ! La restriction de notre Code pénal disparaîtra un jour, comme l'ordre de dénonciation imposé à nos vieux chirurgiens, a disparu.

Transcrivons maintenant le procès-verbal de l'ouverture de l'École de Chirurgie :

a Aujourd'hui 13 mars 1760, dit un des registres, le collège assemblé pour l'ouverture des Écoles établies par lettres patentes du roi, à laquelle ouverture avaient été invités par les députés du collège, en conformité de l'arrêté du 7 du présent mois, les corps ci-après savoir : le chapitre de la cathédrale, celui de l'Église royale de Saint-Aignan, celui de Saint-Pierre-Empont, le Présidial, l'Université, le Collège des Avocats, celui de Médecine, le bureau de l'Hôtel-Dieu, les Maires et Échevins, les Présidents et Chefs de compagnies, le Procureur du Roi et Avocat du Roi; Mgr l'Évêque et M. le Lieutenant étant à la Cour, n'ont pu être invités.

« Cette ouverture s'est faite cejourd'hui à trois heures après midi, dans la salle amphithéatrale des Écoles, par un discours sur l'utilité de cet établissement prononcé par Me Leblanc, l'un des professeurs.


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ec Le cours d'anatomie a été annoncé pour lundi prochain, à deux heures et demie après midi. H sera fait par M. Leblanc professeur démonstrateur royal en chirurgie, chirurgien lithotomiste de l'Hôtel-Dieu, associé de l'Académie royale des sciences, belles lettres et arts de Rouen, correspondant de celle de chirurgie de Paris, aux Écoles de chirurgie, rue du Petit-Sanitas, derrière le grand cimetierre. »

Sans m'étendre sur les principes qui guidaient nos anciens chirurgiens dans leur pratique, il n'est pas sans intérêt de signaler un fait qui montre avec quel entraînement ils employaient la saignée. Un soir de novembre 1773, on apporta à l'Hôtel-Dieu un individu qui venait d'avoir le bras et la cuisse fracturés par une roue de voiture. M" Ballay, chirurgien de l'Hôtel-Dieu, étant venu et ayant reconnu que ce la fracture du bras était compliquée de plaie par la sortie de l'os et que la cuisse était très-enflée, remit seulement les os à niveau, fit couvrir de .fomentations et de cataplasmes anodins et émollients, appliqua un appareil contentif par le drap roulé et fit pratiquer quatre saignées dans la nuit, puis le matin il appliqua le bandage à dix-huit chefs. »

Quatre saignées en douze heures ! voilà une caractérisque de la doctrine qui régnait alors, mais qui avait aussi ses contradicteurs, car le registre nous apprend que ce Me Ballay étant revenu quelques heures après, il ne trouva plus son malade. On l'avait engagé à quitter l'hospice où il serait fort mal soigné. » Ceci se passait en 1773, et un siècle avant, Louis Xni, malade d'une dyssenterie, était saigné sept fois dans une semaine et dans cette même année 1631, il le fut quarante-sept fois (1). On pourrait expliquer ces nombreuses saignées, en disant

(1) Lettre du P. Suffren; Masque de fer, Loiseleur, 1867,


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qu'elles étaient petites; mais Guy-Pattin nous éclaire, quand il s'écrie : ce Où ces gens là ont ils appris la médecine ? Saigner très-peu ou point du tout, n'est-ce pas être plutôt bourreau que médecin ? »

VI.

Je pourrais encore raconter quelques faits intéressants ; je pourrais montrer les soins dont nos vieux maîtres entourèrent cette maison que les Échevins avaient achetée en 1580 pour en faire une maison de santé, destination qui fit changer le nom de la rue du Pommier Rouge en celui de Sanitas; je pourrais retracer les querelles de certains maîtres, et en faire ressortir combien l'ascendant moral et les règlements dont la corporation enlaçait ses membres étaient insuffisants pour réprimer l'essor des passions ; mais il faut finir.

Le dernier registre des délibérations s'arrête à décembre 1783. A dater de cette époque, il m'eut été impossible de suivre nos chirurgiens, sans l'épisode de l'établissement de Consultations gratuites, dont Antoine Petit dota la ville d'Orléans.

Antoine Petit était un enfant d'Orléans, il était devenu un des plus célèbres médecins de Paris, et, favorisé par la fortune, il avait légué, en 1786, à sa ville natale, 78,000 livres pour organiser un établissement confié à quatre médecins et à quatre chirurgiens, chargés de consulter et de visiter les malades pauvres de la ville et des faubourgs. Il donnait à chaque médecin 500 livres par an, et à chaque chirurgien 250 livres ; mais il stipulait que les quatre médecins, nommés par les échevins, choisiraient à leur tour les chirurgiens.

La nature humaine est si bizarre, qu'on a souvent beaucoup de peine à faire accepter le bien qu'on veut faire ;


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ainsi la fondation généreuse d'Antoine Petit ne put arriver à sa réalisation qu'après deux années d'obstacles. Ce seraitsortir de mon sujet que d'entrer dans les détails de cette histoire d'un intérêt médical tout particulier et tout local; j'en ai parlé dans ma Notice sur l'assistance médicale (1860).

Mais, pendant ce temps, la révolution avait marché, et l'Assemblée constituante, dans la nuit du 4 août 1789, avait aboli tous les privilèges. Les corporations n'existaient plus.

Or, il y avait trop, longtemps que les chirurgiens supportaient la supériorité légale des médecins. En vain leurs travaux les avaient élevés dans l'opinion, en vain des privilèges et des distinctions leur avaient été accordés, ils restaient toujours les ministres des médecins qui s'appliquaient à faire sentir la distance qui séparait les deux corps. Rien ne donne mieux une idée de ces luttes et de ces haines que les lettres de Guy Pattin.

Lors donc que le 30 octobre 1789, le maire d'Orléans convoqua le collège de médecine à l'effet de nommer quatre médecins pour remplir les vues du docteur Petit, et que ces quatre médecins eurent choisi quatre chirurgiens, tous les maîtres répondirent par la délibération suivante, qui fut imprimée et répandue :

ce Extrait du registre des délibérations de l'École royale de chirurgie d'Orléans, du 10 décembre 1789 :

ce-Les maîtres qui composent la chambre de l'Ecole de chirurgie, assemblés sur les billets de convocation du lieutenant du premier chirurgien du Roi, pour délibérer sur l'établissement fondé par M. Petit, médecin de Paris, il a été arrêté que cette fondation était avilissante pour la chirurgie... tendant à rappeler l'ancienne servitude sous laquelle la chirurgie a trop longtemps gémi, et dont nos contemporains ont si glorieusement secoué le joug... Les mai-


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très soussignés s'engagent solennellement à n'accepter aucune des quatre places fondées par M. Petit.

a LAMBRON, lieutenant, FOUGEEON, greffier, etc.. »

Certes, les chirurgiens de 1789 étaient plus fiers que ceux de 1761, qui préféraient les bénéfices de leur boutique aux privilèges de bourgeoisie !

A la date du 22 janvier 1790, A. Petit faisait un nouvel acte devant Me Jullien, notaire à Orléans. On y lit : ce Malgré les refus des quatre chirurgiens, entendant laisser subsister les donations faites par actes du 24 décembre 1786 et 5 mai 1788, je modifie les dits actes en ce que l'établissement sera seulement Conseil de médecine en faveur des pauvres. Les quatre médecins ayant seuls accepté, auront leurs honoraires fixés à 800 livres. »

En 1791, l'École royale de chirurgie d'Orléans, comme toutes les autres institutions, fut supprimée.-

Bientôt des lois nouvelles réorganisèrent l'exercice de la médecine et confondirent dans un même individu, par un seul diplôme, des connaissances, des devoirs et des droits, restés, bien à tort, séparés pendant tant de siècles.

Cependant la loi du 19 ventôse de l'an xi a créé un ordre de médecins qui, sous le nom d'officiers de santé, peuvent exercer la médecine et la petite chirurgie dans des circonscriptions déterminées. Cette institution, qui était nécessaire à son origine, pour permettre l'élévation graduelle des études des chirurgiens exerçant alors, et pour répondre aux besoins de certaines localités, l'est beaucoup moins aujourd'hui; aussi elle ne tardera pas à disparaître, effaçant le dernier vestige de ces anciens Chirurgiens dont, je viens d'esquisser l'histoire. Àp^

T. XII. 18 fe"

.Ha-. „


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CORPORATION

DES MAÎTRES EN CHIRURGIE D'ORLEANS, EN 1758.

Blason .d'azur à un saint Côme et un saint Damien d'or, sur une terrasse de même (1).

Le 27 septembre, jour de la Saint-Corne , la compagnie célèbre sa fête en l'église des Jacobins (caserne de l'Etape) (2). Président : DELACROIX , lieutenant du premier chirurgien du Roi, chirurgien en chef et lithotomiste de l'Hôtel-Dieu , rue de la Levrette. Prévôts : THURMEAU, doyen, près les Quatre-Coins;

MACÉ, chirurgien de la ville, rue Bannier. Trésorier : THÉVENEAU, rue Bannier. Greffier : RABY, Vieux-Marché. Maîtres : VASQUES, faubourg Bannier ;

FOREL, rue de la Hallebarde;

BALLAY aîné, rue de Recouvrance ;

BALLAY jeune, rue de la Cerche;

DURIC, rue des Grands-Carmes;

FAUVIN, rue des Grands-Ciseaux;

LEBLANC, lithotomiste de l'Hôtel-Dieu, près Saint-Maclou;

CULLEMBOURG, rue Pille-Verjus (rue du Grenier-à-Sel) :

SANTERRE, rue de Bourgogne;

RUBY, à la Croix-Morin ;

BALICHON, Portereau-Tudelle;

BEAUDOIN, Portereau-Capucins;

DEJEAN, derrière le Séminaire ;

GUILLON aîné, rue Bannier;

GUILLON jeune, chirurgien de l'Hôtel-Dieu, place de l'Étape ;

RABY fils, rue de Recouvrance;

DURIC fils, rue d'IUiers;

PRÉVOST, rue du Bourdon-Blanc;

GUIGNEUX, Portereau-Saint-Marceau;

DARDONVILLE, rue de Bourgogne;

DUCREUX, rue de la Charpenterie;

SERGENT, rue Sainte-Catherine ;

MACÉ fils, rue des Carmes.

Tous les jours, à deux heures après midi, consultations et pansements pour les pauvres, en la chambre commune des Chirurgiens . rue du Pommier-Rouge, près le Mail.

(1) Armoriai manus. CTHOZIER, cabinet des titres à la Biblioth. ïmpér.

(2) n 30 septembre, payé aux Jacobins 36 liv. pour le service de Saint-Cosme. »


RAPPORT

SUR

L.'iÉTUr>E QUI PRÉCÈDE,

Par M. le Docteur J. MIGNON.

Séance du 7 août 1868.

Monsieur le docteur Charpignon vous a lu, sur les maîtres-en-chirurgie de la ville d'Orléans, une notice que vous avez renvoyée à l'examen de la Section de Médecine. C'est le résultat de cet examen que nous venons vous soumettre aujourd'hui.

Notre honorable collègue M. Charpignon, a puisé les matériaux de sa notice dans les registres de notre Société ; il ne s'est adressé à des sources étrangères, qu'autant que cela fut nécessaire, soit pour la clarté de l'exposition, soit pour l'exactitude et la filiation des faits historiques.

M. Charpignon commence par établir que l'exercice de la médecine était libre dans l'empire romain; que les Gaulois suivirent les coutumes des Romains, et que ce n'est qu'à partir du Ve siècle que la médecine fut réglementée.

Les chirurgiens qui ne furent d'abord que des aidesmédecins, qu'une main — pour parler le langage étymologique —- au service du maître ou du médecin, étendirent peu à peu leur intervention en médecine et abandonnèrent ■— en s'élevant, — le métier de barbier (le mot de coiffeur n'était pas encore inventé;) et ils sont arrivés à


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prendre place dans le corps médical, d'abord sous le nom de chirurgiens-barbiers; puis, beaucoup plus tard, sous celui de maîtres-en-chirurgie.

Le barbier était l'homme né pour être la main habile du médecin. Habitué à manier le rasoir et les ciseaux, il était, par cela même, plus apte que qui que ce soit, à se servir de la lancette. Ce sont là, bien certainement, les raisons capitales qui ont déterminé les médecins à se servir des barbiers pour la pratique d'opérations qu'ils regardaient généralement comme au-dessous d'eux.

Cette transformation des barbiers en chirurgiens-barbiers puis en maîtres-en-chirurgie, si bien exposée par M. Charpignon, et enfin leur incorporation dans la grande famille médicale, n'est-ce pas là la marche de toutes les institutions humaines, l'image, en petit, d'une Société qui se crée, se développe et se perfectionne ? Tout art manuel a pu être, à son berceau, pratiqué par le premier venu; il devait suffire d'être adroit, pour être capable ; mais, si les progrès, dans les choses que la main exécute, révèlent, démontrent que la manoeuvre n'est que le corps brut de l'art, que la science en est non-seulement l'âme, mais aussi la lumière, il arrive nécessairement que la partie intellectuelle de l'acte prend sa vraie place et exerce son empire : elle règne et gouverne. Et en même temps qu'elle élève l'ouvrage de la main à la hauteur d'un principe de science, elle soulève l'ouvrier de bas en haut, jusqu'à l'échelon social qui lui est assigné et par droit de conquêtes utiles et par droit de services rendus.

Ce n'est pas en quelques années seulement, comme nous le fait bien voir M. Charpignon, que le barbier est devenu chirurgien, que l'art s'est fait science. Les coutumes, les préjugés,les intérêts qui en naissent ont une ténacité de fer, et il n'y a que la rouille du temps qui puisse 'les corroder et en avoir raison. Il fallut sept à huit siècles, pour que la


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chirurgie, en dehors des médecins (1), fût autre chose qu'une oeuvre manuelle. C'est seulement vers le milieu du xvine siècle, ainsi que le rapporte M. Charpignon que, — à Orléans, — le chirurgien conquit droit de cité officiel, dans la science médicale et eut, comme le médecin, ses chaires d'enseignement, ses professeurs et ses élèves.

Il faut remonter au xvf siècle pour voir poindre déjà, dans les arts dits libéraux, l'esprit d'indépendance, de liberté et d'examen qui envahissait toutes les classes de la société, couche par couche. C'est l'époque où, dans les sciences médicales, brillent du plus vif éclat : Paracelse, le prétendu possesseur de la pierre philosophale ; Nostradamus, le prophète astrologue ; Vigo, le premier chirurgien du pape Jules II, presque l'inventeur du traitement des maladies vénériennes par le mercure; Paré, le chirurgien de Henri II, et que Charles IX fit cacher dans sa chambre pour le sauver du massacre de la Saint-Barthélémy; Servet, qui fut brûlé vif à 44 ans et qui, avant Harvey, avait décrit , — imparfaitement, il est vrai, — la circulation du sang; Vésale, premier médecin de Charles-Quint, que l'inquisition envoya en terre sainte pour avoir fait l'autopsie d'un homme dont le coeur battait encore ; Copernic, l'inventeur de notre système solaire ; Rabelais, le scepticisme fait homme, l'esprit sous la forme d'une satire; Guillemeau, d'Orléans, disciple de Paré, etc., pléiade de médecins et de chirurgiens célèbres à divers titres, et qui ont apporté, dans les sciences physiques et naturelles, cet esprit de méthode et d'observation qui a été comme le fil d'Ariane des problèmes considérés alors comme insolubles, et qui fut le point de départ des plus grandes découvertes.

M. Charpignon ne néglige pas, loin de là, de nous mon(1)

mon(1) n'ignore que bon nombre de médecins ont exercé la chirurgie d'une manière fort remarquable.


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trer, dans sa Notice, cette transformation successive d'une pratique exclusive de la main, en un art privilégié d'abord et revêtant ensuite tous les caractères d'une véritable science. C'est grâce surtout, comme il a bien soin de le faire remarquer, aux travaux des Paré, des Guillemeau (d'Orléans), des Lamartinière que la science chirurgicale se dégage de l'ornière d'un art purement manuel.

Signalons à l'attention de la Société deux faits capitaux que M. Charpignon a exposés avec quelque détail dans sa Notice.

Jusqu'au milieu du XVIII" siècle, le maître-en-chirurgie

n'était reçu qu'autant qu'il s'engageait à vivre et mourir

dans la religion catholique, apostolique et romaine, et à

faire bon et fidèle rapport, dans les vingt-quatre heures ,

■ de l'état des blessés auxquels il avait donné des soins.

Mais, à partir de 1760, le récipiendaire ne contracte plus aucun engagement ; il déclare seulement qu'il est catholique; puis, peu à peu, la formule de cette déclaration se modifie, disparaît, et la loi de l'an x ne parie plus ni d'engagement. ni de déclaration. La religion reste désormais ce qu'elle doit être : elle n'intervient plus dans la réception du chirurgien ; elle s'élève ainsi au-dessus de nos petites misères sans nom, dans une région épurée où l'âme humaine s'attache, non à ce qui passe, mais à ce qui demeure ! Le nouveau législateur ne demande plus au futur maître-en-chirurgie ce qu'il croit, mais ce qu'il sait.

Il en est de même de ce fait immoral : la dénonciation par le médecin du blessé confié à ses soins. Les actes de maîtrise cessent peu à peu de le mentionner.

Il nous semble possible d'expliquer ces obligations imposées aux maîtres-chirurgiens, et qui nous paraissent maintenant si étranges.

Si les lois sont l'expression, sous une formule concise, abrégée, mais rigoureuse, des moeurs et des coutumes d'un


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peuple, l'engagement des maîtres-en-chirurgie d'être et de rester catholiques et de dénoncer les blessés qu'ils soignent, traduit, pour nous, une mesure de précaution du pouvoir ou de l'autorité contre la société qu'elle gouverne. Il y avait là, incontestablement, une lutte; et l'autorité, qui ne peut succomber sans cesser d'être, devait nécessairement mettre de son côté les membres ou citoyens qui tenaient d'elle certains privilèges. Après la réforme et jusque sous Richelieu, la foi religieuse, en France, avait des oscillations inquiétantes pour le pouvoir. Sans parler de ces guerres fratricides qui ont ensanglanté le sol français, que de haines et de vengeances n'a-t-elle pas engendrées ! Qui ne se rappelle ces duels en plein jour, en pleine place publique, malgré le terrible édit de Richelieu ! Qu'y a-t-il, dès lors, d'étonnant que les maîtres-en-chirurgie, forcément mêlés, par leur profession, à toutes ces luttes quotidiennes, ne fussent comme gardés à vue par l'autorité menacée, désobéie , et forcés, — de par la loi de la nécessité, — de prendre part aux combats en amis ou en ennemis? Et cela est si vrai, que les obligations imposées aux maîtres-en-chirurgie tombent en désuétude par la seule disparition des causes qui les avaient rendues nécessaires.

Quoi qu'il en soit, les deux grands faits que nous venons de chercher à expliquer, constituent deux progrès immenses. Ce sont d'importantes conquêtes d'une véritable et bienfaisante civilisation sur la barbarie des premiers âges. Sans les attribuer exclusivement aux maîtres-en-chirurgie du xvme siècle, il faut toutefois reconnaître qu'ils y ont beaucoup contribué ; ils ont ainsi devancé, dans la pratique chirurgicale, ce qui n'est passé dans le domaine de la loi qu'en Tannée 1802; et encore, ainsi que le fait remarquer M. Charpignon, le Code pénal, peut — dans certains cas déterminés, — délier le médecin du secret de sa profession.


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Mais, heureusement que cette disposition du Code est rarement invoquée; grâce à l'extrême réserve et à la grande circonspection des magistrats et grâce aussi aux résistances honorables qu'on a toujours rencontrées^ à cet égard, parmi les membres du Corps Médical.

Le secret professionnel du médecin doit être aussi inviolable que celui du confesseur. Les misères du corps et de l'esprit blessent plus profondément, peut-être, notre orgueil que les misères de l'âme! Et, forcer celui, à qui elles ont été révélées volontairement, avec confiance et abandon, à les divulguer, à les rendre publiques, c'est, à notre humble avis, commettre un crime de lése-humanité.

Il ne faudrait pas croire que M. Charpignon, en faisant l'histoire du chirurgien, ait eu l'intention de la confondre avec celle du médecin. Il sait, aussi bien que nous, que l'origine de celui-ci se perd dans la nuit la plus obscure des temps les plus reculés ; tandis que le chirurgien, officiellement reconnu, ne date que d'hier. Sans doute, l'exercice de la partie essentiellement chirurgicale de la médecine est aussi ancienne que le monde; mais le passage de la chirurgie de l'état de corporation à celui de science professé 8 ayant'—à Orléans et probablement dans toute la France,— sa place marquée dans l'enseignement à côté de la médecine, ainsi que la réglementation de son exercice, ne remonte qu'au XVII° siècle ; voilà ce que nous tenions à bien établir (1).

Le médecin, le législateur et le prêtre, n'ont été, dans les premiers âges, qu'une seule et même personne. Il suffit, pour s'en convaincre, de consulter le PentoÂeuque, le Lévitique et l'Exode. Moïse s'y montre très-nettement, sous ce triple aspect. Dans les premiers temps de l'ère

(1) C'est en 1688 que Mareschal fut reçu maître-en-chirurgie ; le collège de Saint-Côme est antérieur à cette époque.


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chrétienne, les ministres chargés du salut de l'âme sont aussi presque les seuls qui soignent nos infirmités corporelles.

Le chirurgien — nous l'avons vu plus loin ■— n'a été admis dans le Corps Médical, que tout récemment. On commet donc \me erreur de fait et d'histoire, en faisant descendre les médecins, des barbiers ou des étuvistes. Ceux-ci ne sont pas plus les ancêtres des médecins que le simple manoeuvre ne l'est de l'ingénieur. Les véritables ancêtres du médecin, ce sont, nous venons de le dire, le prêtre ou l'homme de la foi et du devoir, le législateur ou l'homme du droit et de la loi. Voilà quels sont les premiers parents de la grande famille médicale.

Les médecins, avant le décret du 18 août 1792, qui a supprimé les Universités, les Facultés et les corporations savantes, avaient une organisation bien différente de celle des chirurgiens.

Ainsi il existait, en France, 15 collèges, •—• dont un à Orléans, — qui n'étaient que des corporations, et 18 Facultés, qui conféraient des degrés et recevaient des docteurs en médecine.

Et quant à ce qui concerne Orléans en particulier,, voici ce qu'on lit dans un rapport du 1er mai 1790, en réponse à une circulaire du Ministre de l'Intérieur, sur l'instruction publique, dans le district d'Orléans :

OE COLLÈGE DE MÉDECINE. — Le Collège de Médecine « n'est, à proprement parler, qu'une corporation à laquelle * sont obligés de se faire agréer ceux qui veulent exercer « la médecine dans la ville d'Orléans. Ils ne font aucunes a leçons publiques sur cet art et n'ont point de profesE seurs (1). »

(1) C'est à l'extrême obligeance de M. Maupré, archiviste du département du Loiret, que nous devons la communication de ce document officiel.


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Les Collèges de Médecine ont disparu en 1792, et les 18 Facultés ont été réduites à trois. Puis est venue la loi du 19 ventôse an xi (10 mars 1802) qui a maintenu les Facultés de Paris, Montpellier et Strasbourg, et a réorganisé la médecine, telle, — à peu près, — qu'elle existe aujourd'hui.

Nous avons pensé qu'il n'était pas sans intérêt de faire connaître en quelques mots quelle était, — dans son ensemble, — l'organisation du coi*ps médical à Orléans avant le fameux décret de 1792.

Nous avons terminé l'examen de la Notice de M. Charpignon. Cet opuscule, fort bien fait, sobre de détails, mais rempli de faits historiques intéressants, mérite de prendre place dans nos Annales. Telle est la conclusion finale que la Section de Médecine vous prie d'accueillir par un vote favorable.


LES PETITES CULTURES,

Par M. BAGUENAULT DE VIÉVILLE.

Séance publique du 8 janvier 1869.

O quando faba Pytkagorw cognala simulque Uncta salis pungui ponunh'.r oïuscula Jardo! HOBAT., Mb. II, sat. VI.

Quand verrai-je apporter sur ma table frugale des fèves qu'aimait tant Pythagore, et des légumes de mon jardin assaisonnés d'un lard savoureux !

Au moment du concours régional qui a eu lieu à Orléans au mois de mai dernier, on savait que l'inspecteur général de l'agriculture chargé d'organiser et de présider le concours, devait interroger les élèves des écoles sur les éléments d'agriculture qui doivent, conformément à l'arrêté du Ministre, faire partie du programme de l'instruction primaire. En conséquence, les élèves avertis s'étaient préparés à subir cet examen. Par les soins du bureau du Comice agricole, des examens préparatoires avaient été faits aux classes des instituteurs du canton ; une composition écrite avait été donnée sur l'aptitude à la production des différentes natures de terres et le parti qu'on pouvait en tirer, sur la culture du blé en première ligne, la préparation du sol destiné à recevoir le grain, les engrais et amendements propres à sa belle venue, sur les récoltes qui pouvaient succéder avantageusement au blé, les assolements, etc., etc. La composition était satisfaisante, quelques vues sur l'importance de l'azote et sur


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l'emploi des phosphates, attestaient que les éléments de chimie n'étaient pas étrangers aux élèves, et qu'ils avaient profité des excellentes leçons de notre honorable collègue M. Gaucheron. Chacun était donc bien préparé; maîtres et disciples attendaient pleins de confiance et de pied ferme, l'interrogatoire de l'inspecteur général. Celui-ci vint exactement, se fit indiquer les sujets les plus avancés, et s'adressant à l'un d'eux : « Mon ami, dit-il, entretenez nous de la culture du chou, du chou vulgaire, du chou du pot-au-feu. » L'élève interdit regarda ses camarades, et demeura muet. Un second élève interpellé ne répondit pas davantage. Pour sauver l'honneur de l'école, on fit connaître les savantes compositions qui avaient été faites. M. Boitel fit observer que la grande culture et la production du blé n'étaient pas les seules nécessaires ; que la culture maraîchère avait une très-grande importance et une utilité presque aussi générale. Il avait parfaitement raison.

En effet, la culture des céréales et des fourrages est généralement l'apanage des grands domaines : la culture légumière peut être admise chez tous ceux qui possèdent quelques ares de terres, et c'est le grand nombre; elle est la ressource du pauvre, du manoeuvrier ; elle s'exerce dans tous nos faubourgs, dans tous nos villages, dans toutes nos campagnes. C'est elle qui fait la fortune et l'aisance des environs des grandes villes. Les exploitations importantes ne peuvent elles-mêmes s'enpasser. Autrefois, cependant, les fermiers de la Beauce mettaient une négligence impardonnable à entretenir et soigner leurs jardins ; il n'était pas rare d'en voir le terrain labouré à la charrue; mieux avisés aujourd'hui et plus éclairés sur leurs intérêts, beaucoup d'entre eux ont un jardinier spécial, et les produits qu'ils en retirent pour le ménage couvrent bien au delà les dépenses de la culture.


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Les jardins de fermes et de manoeuvreries de la Sologne sont l'honneur et le triomphe de la contrée ; ils ont toujours été bien soignés, et sont devenus de tout temps la ressource du pays, à l'époque même où le sol était le plus négligé ; le soin des jardins n'y a pas été d'une médiocre influence sur les progrès agricoles, en l'évélant le trésor d'une terre bien travaillée. Le solonais n'ignore pas le parti qu'il en peut retirer. Lorsque nous avons une habitation, une locature à donner, celui qui se présente pour l'occuper, regarde à peine le logement; il court de suite au jardin, et si le jardin lui convient, le marché est bientôt conclu. C'est en effet le jardin qui assure son existence et son bien-être; c'est l'objet de tous ses soins; chaque matin avant l'heure du travail, chaque soir après le labeur de la journée, il bêche sa terre, arrose ses légumes, sarcle ses carrés ; il trouve même le moyen d'y avoir quelques fruits, des groseillers, une bordure de fraisiers, une vigne qu'il fait courir sur ses perches tendues et qui lui procure une boisson sinon délicate'/ au moins saine et rafraîchissante. Le jardin lui donne l'avantage inappréciable d'avoir une vache qui fournit aux besoins du ménage, et la possibilité d'élever un porc. Ce coin de terre est donc sa providence, surtout s'il peut encore y faire venir du chanvre pour renouveler ses vêtements. C'est donc au jardin qu'il doit d'élever sa nombreuse famille ; s'il a assez d'aisance pour consommer la viande du porc qu'il a nourri, on sent de quelle ressource importante il est pour lui de l'assaisonner avec des choux ou autres légumes ; combien cet accessoire prolonge la durée du mets principal; combien le don d'une pomme-de-terre à un enfant qui crie la faim, ménage le pain de la huche ; combien cette diversion et cette variété dans l'alimentation, et cette nourriture plus aqueuse dans les grandes chaleurs est favorable à la santé, car dans l'ordre matériel comme dans l'ordre moral, l'homme ne vit


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pas seulement de pain. Un fait bien évident fera ressortir cette vérité.

Lors de l'expédition de Crimée, en 1855, nos soldats, indépendamment des fatigues du siège de Sébastopol, avaient grandement à souffrir sous le rapport sanitaire : Non seulement les ambulances qui recevaient les blessés, mais les hôpitaux étaient remplis de malades ; et cependant le pain et la viande ne manquaient pas. Les chefs de corps émus de cet état de choses, s'adressèrent au docteur Baudens inspecteur en chef du service médical, qui déclara que le régime alimentaire était insuffisant, qu'il fallait au soldat des légumes. Or, il était très-difficile de s'en procurer; un chou coûtait 10 francs. On fut obligé d'en faire venir à grands frais des marchés de Constantinople. On créa même des jardins potagers; sous cette nouvelle alimentation rafraîchissante, les maladies diminuèrent, et le salut de l'armée cessa d'être compromis. Voici en quels termes M. Baudens motive son opinion dans son trèsintéressant mémoire intitulé : Une* Mission médicale en Crimée.

' « Les physiologistes modernes séparent les aliments en deux genres: aliments azotés qui, selon M. Dumas, satisfont aux besoins de l'assimilation, et aliments non azotés, qui donnent les produits combustibles consommés par la respiration, et que Liébig appelle respiratoires. L'absence des légumes, aliments privés d'azote, gêne donc l'exercice de la fonction respiratoire et nuit à l'hématose, n est démontré que la conséquence assez prochaine de ce régime serait... la mort. »

Puisque nous vous entretenons, Messieurs, des petites cultures au point de vue de leur utilité, pourquoi ne vous en parlerions-nous pas au point de vue de leur agrément.


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Dans nos promenades hors des villes, dans les faubourgs et les campagnes, nous avons toujours été frappés de la négligence, pour ne point dire de la malpropreté qui entoure les maisons d'artisans et les habitations rurales ; des flaques d'eau, des brins de paille et des feuilles mortes apportés par le vent, auxquels viennent s'ajouter chaque jour les balayures de la maison, voilà ce qu'on trouve communément au seuil de leur demeure. -

Transportez-vous en Angleterre ; au sortir des villes, dans les campagnes les plus éloignées, pas de modeste chaumière, pas le plus humble cottage qui n'ait devant sa porte un petit jardin bien tenu, un gazon tondu tous les cinq jours, quelques corbeilles de fleurs, un sentier toujours sablé et ratissé, quelques pieds de lierre, de clamatite ou de jasmin qui encadrent de leurs verts festons toutes les ouvertures, et cachent la nudité des murailles.

On croit encore en France que la culture des fleurs est le monopole exclusif de la fortune ; nos voisins sont bien revenus de cette idée; ils savent que les fleurs les plus simples et les plus communes ne sont ni les moins belles ni les moins parfumées. Chacun les aime et les recherche,' leur vue repose l'ouvrier de ses travaux, réjouit ses yeux, lui fait oublier ses fatigues, l'attache de plus en plus à sa demeure. Plus on aime sa maison, plus on aime son pays, plus on a de coeur pour le défendre. C'est le foyer le plus ardent du patriotisme. Les anglais le savent bien, aussi toutes leurs revues sont elles remplies d'articles sur le gardening, sur l'horticulture mise à la portée de toutes les classes. Combien il serait à désirer qu'en France un goût et une disposition semblable entrassent dans le coeur de nos ouvriers ; quelle influence n'aurait-elle pas sur les habitudes et l'économie de la vie ! L'ordre, la propreté, la bonne tenue du jardin n'invitent-ils pas, à l'ordre, à la propreté, à la bonne tenue de la maison? Les moments


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consacrés à la culture des fleurs ne sont-ils pas enlevés au désoeuvrement, aux distractions coupables, aux orgies du cabaret? Le temps et l'argent de l'artisan ne sont-ils pas mieux employés ? leur santé mieux affermie ? leur famille plus rassurée et plus heureuse? C'est ce qu'ont senti en France, quelques sociétés de bienfaisance ; plusieurs d'entre elles cherchent a propager le goût et la connaissance de l'horticulture chez les pauvres ménages de campagne ; elles fournissent des graines et des plants à ceux qui sont hors d'état de s'en procurer. Elles ont institué des primes de jardinage ; c'est une heurese idée qui ne peut manquer de porter de bons fruits. Déjà même le succès a couronné leurs efforts. Neuf jardins ont été primés cette année dans le canton de Valognes.

Si la richesse est le privilège de quelques-uns, les fleurs sont le patrimoine de tous, l'homme les voit naître partout sous ses pas, dans le sentier qu'il traverse, sur le champ qu'il féconde, dans les fentes du rocher, au bord des eaux et sur leur surface même ; le pauvre et l'artisan qui les cultivent ne regrettent plus d'être sevrés des délicatesses du luxe, car ils savent que Salomon dans toute sa gloire n'était pas vêtu comme la plus humble d'entr'elles. Il leur est donné encore de les rassembler, de les embellir, de varier leurs nuances et d'assortir leurs couleurs.

Un coin de terre et quelques fleurs, c'est l'ambition du Sage, c'était le voeu d'Horace. C'était aussi celui du poète anglais, Samuel Rogers. « Donnez-moi, disait-il, un jardin bien tenu quelque petit qu'il soit, l'ombrage de deux ou trois arbres, et le contentement du coeur, et je défie le monde et tous ses trésors. J>

L'Angleterre est aujourd'hui le pays où le goût des fleurs est le plus répandu, partout on les voit en remontant de la chaumière du "pauvre aux riches demeures de l'aristocratie, jusqu'aux splendides serres vitrées du duc de Devonshire à •


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Chatsworth, dans lesquelles on peut circuler en voiture ; c'est le pays où les îichesses naturelles du sol sont le mieux appréciées. Une grave revue, Quaterly review, la revue trimestrielle, à la fin d'un article sur l'horticulture, émet un voeu auquel nous nous associons ; cette citation sera la conclusion de notre travail.

« Dans le monde, nos folies, nos fêtes, nos bals empruntent volontiers aujourd'hui aux jardins leurs décorations. Nous voudrions qu'on allât plus loin, et que nos dames substituassent dans leurs toilettes les fleurs naturelles aux fleurs artificielles. Le camélia, l'hoya et d'autres fleurs bravent très-bien la chaleur des grands salons, et elles éclipsent tout ce que peut créer de plus délicat l'art des Forster et des Natier. Nous promettons un bon partenaire pour la valse, et peut-être pour la vie, à la première danseuse qui donnera l'exemple d'adopter la fleur naturelle dans ses blonds cheveux. ■»

T. xii.


LA SURVEILLANCE

DE

LA HAUTE POLICE DE L'ÉTAT

DE SA SUPPRESSION ET DES MOYENS D Y SUPPLEEE.

« Je vois dans l'étude du droit criminel un sujet * d'améliorations indéfinies digne de fixer les plus « graves méditations de quiconque aspire à se « rendre utile à l'humanité. »

(Lettre de FRANÇOIS CARRAKA , professeur de l'Université de Pise , Recueil de l'Académie de législation de Toulouse, 1863.)

Personne ne peut soutenir que notre législation pénale soit immobile, puisque des modifications incessantes basées sur le changement de nos moeurs, les progrès de notre civilisation et la marche de nos institutions politiques viennent sans cesse la modifier.

Les lois pénales sont le reflet fidèle des moeurs de la société qu'elles sont appelées à protéger. Si les esprits sont pervertis par les mauvaises doctrines, si les coeurs sont agités par les passions révolutionnaires, le législateur se montre sévère et cherche à inspirer des terreurs salutaires qui arrêtent, ou, tout au moins, effraient les malfaiteurs. -Mais à mesure que l'ordre se rétablit, que les esprits se calment et se moralisent par les progrès de la civilisation, la rigueur des lois pénales devient inutile et chacun en demande l'atténuation.


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Ces idées, qui dans tous les temps ont régi le monde, se sont produites d'une manière bien manifeste de nos jours.

Au moment de la promulgation de notre Code pénal de 1810, la sévérité dans la répression était extrême ; aujourd'hui les idées de miséricorde et de pitié se révèlent par les sentences de la magistrature et les verdicts du jury.

En effet, si la torture avait été abolie par l'infortuné Louis XVI, si, dès l'aurore de la révolution française, le grand principe de l'égalité devant la loi était proclamé, et si chaque accusé devait être assisté d'un défenseur, le législateur avait maintenu d'effroyables peines afflictives et infamantes.

Le condamné aux travaux forcés était marqué sur l'épaule d'un fer rouge; les autres condamnés à des peines criminelles étaient exposés au carcan sur la place publique; le parricide, avant de subir le dernier châtiment, avait le poignet droit coupé ; la peine de mort était prononcée en matière politique.

Toutes ces tristesses, toutes ces tortures, toutes ces exagérations inhumaines ont été successivement abolies sur la provocation et aux acclamations de tous les coeurs généreux qui se sont trouvés mêlés à la marche de nos lois pénales.

Plus d'exposition publique, plus de stigmate indélébile par le fer rouge ; le parricide se rendra simplement sur le lieu de son supplice la tête couverte d'un voile noir ; enfin la peine de mort en matière politique sera abolie aux applaudissements de tous.

Certainement voilà de nobles et belles conquêtes remportées par la civilisation sur les rigueurs de notre ancien Code pénal, mais les meilleurs et les plus sévères esprits en demandent une nouvelle.

Je veux parler de la suppression de la surveillance de la haute police de l'État.


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SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLICE DE L'ÉTAT.

La surveillance de la haute police de l'État, qui ne figurait pas dans notre ancien droit, est manifestement en opposition avec nos idées de liberté. C'est le 19 ventôse an XIII qu'elle fit sa première apparition au milieu des troubles enfantés par notre révolution française, et depuis lors elle n'a cessé d'être modifiée par le législateur. Elle est un embarras, et tous les hommes qui s'occupent de droit criminel cherchent les moyens de la rendre supportable sans pouvoir y parvenir.

Cette rigueur des temps modernes perd à tout jamais les malheureux qui en sont frappés, de plus elle jette dans notre société une perturbation incessante. La surveillance exercée sur une moyenne de 30 à 40,000 condamnés est une charge et un danger pour l'État, un aliment permanent pour les récidives.

Dans ces derniers temps, un ouvrage sorti du cerveau d'un homme de génie a représenté, sous des couleurs exagérées que je ne puis absolument accepter, le sort du condamné placé sous la surveillance de la haute police de l'État; mais dans ces exagérations d'une âme aigrie, il y a du vrai (1).

Il est certain que le condamné qui rentre dans la société après avoir subi une peine afflictive et infamante n'est pas dans les conditions d'une réhabilitation facile, et que le plus ordinairement il donnera un libre cours à ses mauvais instincts. .La statistique criminelle nous apprend d'ailleurs d'une manière irrécusable que les plus grands et les plus

'1). Les Misérables, par VICTOR HUGO.


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audacieux crimes sont commis par ces malheureux que l'État essaie de protéger et que la société repousse en même temps.

Comment peut-il en être autrement? je le demande à tous les hommes pratiques. Qu'on se représente par la pensée le séjour de nos anciens bagnes, et qu'on médite un instant sur la promiscuité corruptrice de nos maisons centrales.

Dans nos anciens bagnes, le condamné portait la casaque rouge et jaune; il traînait le boulet au pied, il avait une planche pour dormir; la chaleur, le froid, la chiourme, les coups de bâton, la double chaîne étaient son partage.

On l'a dit avec assez de raison : au milieu de toutes ces tortures le condamné méditait sur sa triste position et se transformait en une espèce de bête féroce, n ne pensait plus qu'à une chose, c'était à se venger de la société qui pourtant l'avait justement puni, et quand il avait recouvré sa liberté, il rentrait en ennemi dans le monde et capable des plus sinistres actions.

Il en est à peu' près de même aujourd'hui pour les condamnés qui reviennent en France après avoir subi la peine de la transportation, ou pour ceux qui sortent de nos maisons centrales et même de nos prisons départementales, lorsqu'ils ont à subir la surveillance de la haute police fie l'État ; en effet, la vie commune dans nos prisons et dans nos îles de transportation empêche toute moralisation.

Dans ce milieu triste et corrompu, que deviennent les bonnes pensées, les meilleurs sentiments sous l'influence continuelle de mauvais discours, de conseils funestes et de pernicieux exemples? Non, ce n'est pas dans la communauté d'êtres faibles et déchus comme on l'est soi-même, enclins au mal et ayant déjà payé de honteux tributs aux passions, qu'on peut aisément trouver la paix intérieure et se réconcilier avec soi-même et avec la société.


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Tous les repris de justice, quels qu'ils soient, quand ils sont condamnés à la surveillance de la haute police de l'État, entrent donc nécessairement en lutte avec une société qui momentanément les a repoussés de son sein et n'a pas su les moraliser. Le- gouvernement a le droit de déterminer certains lieux dans lesquels il sera interdit au condamné de paraître après qu'il aura subi sa peine. Il reçoit une feuille de route d'une nature particulière réglant l'itinéraire dont il ne peut s'écarter et la durée de son séjour dans chaque lieu de son passage : triste passe-port d'infamie et de honte sur lequel se trouvent son signalement et des initiales qui indiquent sa condamnation.

Dans le cas de désobéissance à ces étroites prescriptions, l'individu mis sous la surveillance de la haute police est condamné par les Tribunaux correctionnels à un emprisonnement qui ne peut excéder cinq ans. Il y a encore le décret du 8 décembre 1851 qui donne au gouvernement le droit de transporter les contrevenants dans une colonie pénitentiaire, à Cayenne ou en Algérie.

Le surveillé, traqué de toutes parts, est donc obligé, lorsqu'il entre dans une ville ou dans un village, de faire viser son passe-port soit à la mairie, soit au commissariat de police, et de suite il est signalé comme un malfaiteur.

S'il habite la campagne, il ne peut se procurer du travail que chez les cultivateurs résolus, qui manquent de bras pour rentrer leurs moissons; s'il habite la ville, ce n'est que dans ces garnis mal famés, bouges impurs où les vices se donnent rendez-vous, où presque tous les crimes s'éla-borent et se décident, qu'il prend gîte, et le plus souvent il ne peut trouver d'ouvrage parce que sa position de repris de justice qu'il cherche à cacher est bien vite découverte et que personne n'est désireux d'introduire dans sa maison un pareil homme.. > - : Qu'un crime soit commis sur une route où un repris de


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justice placé sous la surveillance aura passé, dans une auberge où il aura séjourné, aussitôt et de prime-abord le soupçon tombera sur lui ; comme il a été criminel une fois, on le soupçonne coupable cette fois encore : on l'arrête, on l'emprisonne; la prudence de la justice et la rumeur publique créent contre lui une présomption terrible.

Ce n'est le plus ordinairement qu'en rompant son ban, ou en déchirant le passe-port qu'il tient de l'autorité administrative et en en volant un autre à un honnête ouvrier qu'il parvient à cacher son identité et à pouvoir se placer convenablement quand il a le désir de gagner honnêtement sa vie, ou bien à commettre de nouveaux crimes sous un nom d'emprunt.

Tous les criminalistes qui ont examiné sérieusement les effets désastreux de la surveillance de la haute police de l'État, s'accordent à en demander l'abolition ou, tout au moins, voudraient qu'elle fût profondément modifiée. Ils ont tous reconnu que le condamné libéré ne rencontre pas de plus grand obstacle à sa réhabilitation, au retour à des habitudes d'ordre et de travail, que cette mesure accessoire de la peine, qui est cent fois plus cruelle que la peine elle-même.

Jamais la surveillance n'a pu empêcher un repris de justice de commettre un nouveau crime. L'effet le plus fréquent de la mise en surveillance est d'enlever au libéré le moyen de trouver du travail et de le pousser invinciblement vers le vagabondage, la:mendicité ou le crime.

On l'a dit fort énergiquement, en conservant la surveillance, on laisse, sans s'en douter, subsister la peine de la marque ; seulement on ne se sert plus de la main du bourreau et du fer rouge.

Envisagée au point de vue économique, il est certain que la surveillance est onéreuse pour l'État. Les condamnations pour rupture de ban s'élèvent à un chiffre consi-


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dérable attesté par la statistique criminelle, ce miroir fidèle de la répression judiciaire en France et que toutes les nations de l'Europe nous envient (1).

Au nom de la civilisation, effaçons de nos Codes la surveillance de la haute police de l'État ; inspirons-nous de la pensée chrétienne qui a substitué partout, dans les dogmes comme dans la morale, la rédemption à la vengeance et la réhabilitation à la flétrissure. Il faut que la justice humaine participe en quelque sorte de cette miséricorde divine qui tient pour racheté et pour innocent celui qui a expié sa faute dans le repentir.

Ces idées sont, du reste, passées dans nos moeurs judiciaires. Le plus ordinairement, le jury admet des circonstances atténuantes uniquement pour que la peine de la surveillance ne soit pas appliquée, et les Cours d'assises, s'associant de grand coeur à cette tendance du jury, ne prononcent que fort rarement la peine de la réclusion, mais bien celle de l'emprisonnement simple sans surveillance. Si le crime d'infanticide, par exemple, est si peu souvent réprimé, c'est, le plus ordinairement, parce que la jeune fille coupable devra, aux termes de notre Code pénal, être condamnée, au minimum, à cinq ans de travaux forcés et à la surveillance pendant toute sa vie. Si une simple peine d'emprisonnement était possible, le plus grand nombre de ces mères coupables et dénaturées ne seraient pas acquittées comme elles le sont aujourd'hui ; je n'en fais, pour mon compte, aucun doute, et il en serait de même pour bien d'autres crimes si la peine de la surveillance n'était pas prononcée de droit.

(1) Le compte général de la justice criminelle en France a paru .pûiitda;-.'première:, fois:en -.1825 sous les; auspices" de M. le comte de ;Peyronnet, alors garde des sceaux. Le bureau de la chancellerie où s'élabore chaque année cet intéressant travail est dirigé aujourd'hui par M. Yvernès. "-


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L'opinion du pays et de la magistrature devance donc la modification de notre Code pénal sur ce point, et je crois que le moment est venu où le législateur devra supprimer la surveillance de la haute police de l'État.

Mais, me dira-t-on, comment remplacer une mesure évidemment indispensable pour maintenir la sécurité publique et pour empêcher trente à quarante mille repris dejustice de se livrera de nouveaux crimes?

Je crois qu'il est plus facile qu'on ne le pense, peut-être, de trouver le moyen d'y arriver, et je vais bien simplement exposer mes idées à ce sujet, idées longuement méditées dans un exercice fréquent des Cours d'assises et de la surveillance des prisons.

Et d'abord, je partagerais tous les coupables, quels qu'ils soient, en deux grandes catégories: la première, je l'appellerais -la catégorie des bons, autrement dit celle de ces hommes égarés qu'on peut ramener au bien par les moyens, de moralisation qui sont en notre pouvoir; la seconde, je l'appellerais la catégorie des mauvais, c'est-à-dire celle de ces hommes profondément corrompus dont l'amendement n'est plus possible et qu'il faut envoyer à tout jamais dans nos colonies de transportation.

En adoptant cette division qui, dans la pratique, serait faite par la justice répressive, déjà entrée dans cette voie par le pouvoir conféré au jury et aux tribunaux d'admettre des circonstances atténuantes, il est évident que la surveillance de la haute police de l'État n'aurait plus de raison d'être, puisque les repris de justice dangereux et incorrigibles seraient bannis du territoire français et que ceux qu'on aurait pu ramener au bien en les moralisant sérieusement ne seraient plus à craindre.

Il est bien entendu que dans l'ordre d'idées où je me place, la peine de mort que je ne propose point d'effacer de nos Codes, est maintenue pour ces grands coupables que la


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société, d'accord avec la conscience publique et dans le but de la plus légitime défense, doit à tout prix rejeter de son sein.

Mais, pour faire bien comprendre mon système, il est indispensable que je dise franchement ce que je pense de notre régime pénitentiaire en France, et que je fasse, le plus rapidement possible, l'historique encore peu connu de notre régime de transportation soit à la Guj'ane, soit à la Nouvelle-Calédonie.

§11.

DU REGIME CELLULAIRE.

Au commencement de ce siècle, nos prisons offraient le plus triste aspect. On y trouvait, jetés pêle-mêle, hommes, . femmes, enfants, prévenus, condamnés, sans distinction de sexe, d'âge et de crime. Le cynisme des conversations qui corrompent, l'oisiveté qui déprave, l'assemblage, en un mot, de tous les vices et de toutes les immoralités, tel était le spectacle affligeant de nos prisons en France.

Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis cette époque, ont été effrayés de cet état de choses, et la question des prisons a été étudiée avec le plus grand soin par les hommes les plus compétents.

Il a été reconnu et proclamé, en principe, que la société a le droit de punir, afin de détourner du mal et de porter au bien, mais qu'elle n'a pas le droit d'exposer les condamnés à se cQrrompre les uns les autres pour tout le reste de leur vie.

En effet, la communication des détenus entre eux rend impossible leur réforme morale et devient même la cause inévitable d'une affreuse corruption. Point de bon sys-


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tème pénitentiaire sans séparation des criminels. Il existe nécessairement une influence funeste des uns sur les autres, et, dans l'association des méchants, ce n'est pas le moins coupable qui agit sur le criminel, mais le plus dépravé qui exerce une action mauvaise sur celui qui l'est moins.

Le système cellulaire, avec isolement de'jour et de nuit, auquel on a donné le nom de système de Pensylvanie et qui nous vient des États-Unis, obtint le patronage du gouvernement du roi Louis-Philippe ; le système d'Auburn, qui a tiré son nom de l'une des prisons les plus renommées de l'État de New-York, et qui consiste dans la réunion des détenus pendant le jour et leur séparation pendant la nuit seulement, fut repoussé d'une manière absolue.

Une loi sur la réforme des prisons fut présentée à la Chambre des députés en 1840 ; elle fut même votée, après des débats fort animés, le 18 mai 1844, et toutes les cours souveraines consultées sur son opportunité et sur son principe lui donnèrent .une éclatante approbation ; mais, avant que la Chambre des pairs eût le temps de l'examiner à son tour, la l'évolution de 1848 éclata, et depuis lors la question des prisons, qui présente un grand intérêt social et humanitaire, a sommeillé au milieu de nos agitations politiques de toutes sortes.

Elle n'a pourtant pas cessé depuis cette époque d'être envisagée à tous les points de vue dans les congrès, dans les revues scientifiques, et, comme pour hâter son couronnement, une souveraine dont le grand coeur est accessible à toutes les douleurs et à toutes les. souffrances vient de la raviver par ses visites dans plusieurs de nos maisons pénitentiaires ; elle a certainement compris que le temps était arrivé où la société devait venir au secours de ces pauvres êtres égarés, qui ont droit, comme tous les hommes qui portent une âme immortelle, à l'assistance et à la pitié publiques.


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On se fait généralement une idée très-inexacte du système cellulaire de jour et de nuit, et j'ai entendu, pour mon compte, les raisonnements les plus faux sur ce sujet, tenus par des hommes occupant des positions élevées même dans la magistrature, mais qui n'avaient jamais mis les pieds dans une maison cellulaire.

On se figure que la cellule est la résurrection des oubliettes d'autrefois. On peuple à plaisir cette solitude des spectres et des fantômes les plus noirs. On croit que chaque détenu ne tarde pas à devenir un squelette, qu'il va se suicider ou devenir fou.

C'est la théorie de ces personnages auxquels on donne la qualification assez plaisante de philanthropes enragés.

Toute cette fantasmagorie disparaît au grand jour de la réalité, et il suffit d'avoir visité le premier pénitencier venu pour être convaincu que ceux qui accusent la cellule avec autant d'acrimonie ne le font que par ignorance ou légèreté.

Au surplus, l'utilité du système cellulaire est tellement bien constatée aujourd'hui que le gouvernement, qui avait éprouvé quelques hésitations sur l'application du système cellulaire de jour et de nuit, revient à d'autres idées; il n'a pas cessé de faire construire des édifices destinés à cet usage, et, au moment où je m'occupe de cette étude, le nombre en est porté à quarante-sept, répartis dans Paris et dans les quatre-vingt-neuf départements de l'Empire.

J'ai donc l'espérance fondée que la circulaire du 27 août 1853, qui a fait faire un pas en arrière à la question des prisons et qui revient à l'ancienne division des détenus, sera rapportée. Depuis son apparition, on a fait de nouveaux essais, mais ils ont démontré delà façon la plus claire que la réunion des détenus, même pendant le jour seulement, malgré la plus active surveillance, ramenait


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invinciblement les anciens abus et les anciens périls. On l'a si bien senti que , depuis quelques années , des quartiers spéciaux dits de préservation et à'amendement ont été créés dans plusieurs maisons centrales. A leur arrivée dans ces établissements, les condamnés à l'emprisonnement, non récidivistes, sont placés en observation et soumis à l'isolement. On étudie leurs dispositions, leur caractère; on s'enquiert de leurs antécédents, de la situation de leurs familles, et quand cette instruction est terminée, une commission composée du directeur, de l'inspecteur et de l'aumônier de la maison, prononce leur admission dans l'un des quartiers spéciaux ou les fait passer dans celui de la détention commune (1). On revient donc timidement, il est vrai, au système de Pensylvanie, mais on y revient.

Je crois utile de donner ici la description exacte de nos pénitenciers, tels qu'ils ont été établis en France pour y installer le système cellulaire de jour et de nuit, et je suis persuadé qu'on sera surpris du bien-être matériel qui règne dans les établissements où les coupables expient les fautes qu'ils ont commises.

La longueur de chaque cellule est généralement de 2 mètres 40, sa largeur de 1 mètre 80 et sa hauteur de 3 mètres.

Un calorifère placé au centre du pénitencier chauffe au moyen d'une bouche de chaleur chaque cellule, qui est toujours maintenue à une température égale de 15 degrés centigrades.

Les détenus couchent dans des hamacs garnis d'un matelas , d'un drap en forme de sac, de deux couvertures et d'un oreiller.

Ce hamac est placé au milieu d'une des parois du mur, et pendant la journée il est relevé et fixé à une attache, de manière à ne plus occuper que le moins de place possible.

(1) Circulaire de M. le Ministre de l'Intérieur, du 24 juin 1868.


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Une petite table qui est vis-à-vis du hamac est également fixée et se rabat le long de la muraille, dès que le détenu n'a plus à s'en servir. Un tabouret en bois est retenu par une chaîne également scellée au mur, afin qu'on ne puisse en faire un mauvais usage. Une planchette qu'on aperçoit dans l'un des angles de la cellule, à la hauteur de la main, est destinée à recevoir les objets de toilette et autres que le prisonnier veut y déposer. Un siège en marbre, placé à un autre angle de la pièce, sert de lieux d'aisance. Un système particulier et fort ingénieux l'entretient dans un état constant de propreté en même temps qu'il permet de retrouver les objets compromettants que les prisonniers seraient tentés d'y jeter pour les faire disparaître.

Dans le cas où quelque prisonnier aurait besoin de secours , il suffit, pour prévenir, de presser un bouton placé dans l'embrasure de la porte. Cette pression produit l'abaissement bruyant d'une bande de métal qui forme indication dans la galerie où circulent les gardiens.

Afin de pouvoir exercer dans l'intérieur de chaque cellule une surveillance incessante sans exciter l'attention de celui qui l'habite et sans l'éveiller quand il repose, on a ménagé au milieu de la porte une double plaque métallique percée d'un trou ; un bouton saillant à l'extérieur fait mouvoir au gré du surveillant une autre plaque qui glisse entre les deux précédentes, couvrant ou découvrant à volonté la petite ouverture.

Chaque cellule est pourvue d'un bec de gaz à l'un de ses angles, et auquel le détenu ne peut atteindre. Elle est parquetée, aérée par des ventilateurs invisibles, et les murailles sont peintes à l'huile.

A chaque étage des cellules supérieures, une petite table fixée extérieurement à la balustrade de la galerie où se promène le surveillant, s'avance comme un chariot tout le long de cette galerie au moyen de rainures ; sur cette table


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mobile sont placées, à l'heure des repas, les rations de tous les prisonniers du même étage, ce qui rend plus facile la distribution des vivres.

Tous les deux jours, chaque détenu reçoit une ration de viande, les autres jours du bouillon, des légumes et du pain d'une excellente qualité. Le vin et le tabac sont prohibés.

Au bout de chaque galerie se trouvent de grands lavabos en marbre, où les prisonniers sont conduits séparément chaque matin pour faire leur toilette.

Des préaux, ayant chacun environ un are et demi de superficie, sont installés pour procurer de l'exercice aux détenus.

Au centre du pénitencier, et dans la partie la plus élevée, est placé l'autel consacré à la célébration de l'office divin, et du pied duquel l'aumônier, envoyant à chaque détenu des paroles de consolation et d'encouragement, les exhorte à la résignation et au repentir.

Pendant tout le temps que dure la messe, la porte extérieure de chaque cellule reste entrebâillée par un ingénieux appareil qui vient s'adapter au pêne de la serrure, et les prisonniers, sans apercevoir leurs compagnons de détention, sans en être aperçus, peuvent voir et entendre ce qui se passe et se dit à l'autel.

Dans chaque pénitencier, il y a des cellules d'infirmerie qui sont semblables aux cellules ordinaires, si ce n'est qu'elles sont carrelées et un peu plus vastes que les autres. Le médecin, les soeurs, les gardiens rivalisent de zèle pour prodiguer des soins aux malades, ce qui arrive rarement, car l'état sanitaire est généralement excellent dans ces maisons, où la régularité en toutes choses préserve de bien des maladies.

Je le demande, est-il possible que les esprits les moins bien disposés ne reconnaissent pas, dans ces soins maté-


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riels, un bien-être qui doit surprendre tous ces repris de justice, qui, pour la plupart, n'ont connu de la vie que les tourments de la misère et les angoisses de la faim?

Mais je sais que les adversaires du système cellulaire, ces philanthropes dont je parlais tout-à-1'heure, prétendent que tous les bienfaits matériels du monde ne valent pas la liberté et la vie en commun pour lesquelles nous sommes créés.

N'exagérons rien ; il est certain que le détenu, livré à un isolement complet, aura plus à souffrir, dans les commencements surtout,que s'il était réuni aux autres prisonniers: voilà le châtiment.

Mais au moins il n'aura pas à subir un contact funeste et déshonorant, puisqu'il n'aura aucun rapport avec ses compagnons de captivité ; il sera inscrit et connu sous un numéro d'ordre et son nom ne sera même pas prononcé par» les surveillants; c'est le moyen d'empêcher les condamnés de se reconnaître après leur mise en liberté et de rompre ainsi les associations criminelles et redoutables, qui ont leur germe et leur foyer dans les maisons communes; voilà la moralisation.

Toute pénalité bien entendue doit avoir pour but l'amendement de celui qui s'est rendu coupable, l'intimidation de celui qui serait tenté de le devenir. Or, quel mode d'emprisonnement peut être aussi propre à produire ces deux résultats que la détention cellulaire ? quel autre peut agir avec autant d'énergie sur l'âme d'un condamné? Dans les longues heures de la solitude, cette âme revient au sentiment du devoir, au repentir, ou tout au moins elle perd de son audace et se plie sous le poids de la nécessité ; l'orgueil du coupable s'abaisse quand il ne rencontre plus ni écho ni sympathie.

Dans les premiers temps, le prisonnier s'abandonne à des sentiments d'un ennui profond, mais, au bout de quelques


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semaines sa contenance annonce plus de calme et de résignation. Chez plusieurs, le souvenir du passé se présente avec horreur à leur esprit. Au jour de leur jugement, lorsqu'ils sont prévenus ou accusés, ils font presque toujours des aveux complets, et l'on dirait que la honte et les remords se transforment pour eux en une source de consolation , et ils cherchent promptement un refuge dans les soulagements et la paix de la religion.

On parle des horreurs de l'isolement; mais il 3'a, pour l'homme qui n'a pas perdu tout sens moral, quelque chose de pire que la solitude la plus cruelle, c'est la société des. méchants.

« Supposez, disait fort justement à la tribune de la

« Chambre des députés M. Duchàtel, alors ministre de l'ine

l'ine supposez un père de famille dont l'enfant aura

« commis un léger délit et se trouvera arrêté ; demandez à

1 ce père de famille, qui ne sera pas un repris de justice,

« qui aura des sentiments d'honnêteté, demandez-lui de

« choisir pour son fils entre les deux systèmes, demandez1

demandez1 auquel des deux il donnera la préférence, ou la vie

« en commun avec son immoralité, ou l'emprisonnement

1 séparé avec ses rigueurs, vous verrez s'il hésitera au

1 choix (1). »

L'emprisonnement cellulaire épargne aussi aux malheureux, qui ne sont que préventivement détenus, le danger et la honte du contact avec les coupables les plus dangereux. H ne faut pas qu'un honnête homme, qu'une erreur de la police aura jeté un jour en prison, soit exposé à rencontrer plus tard un misérable qui le traitera de camarade.

(1) Moniteur du 14 novembre 1843.

T. °xn. 20


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Cependant, quels que soient les avantages de l'emprisonnement solitaire, il faudrait se hâter d'y renoncer s'ils étaient achetés au prix de la santé ou de la raison des détenus ; ce serait une législation à la fois perfide et barbare que celle qui, en ne condamnant qu'à la perte de la liberté, conduirait lentement le prisonnier à la perte de l'existence ou à celle de la raison. Mais il est démontré, par les statistiques de tous les États de l'Europe et par les documents les plus authentiques, que, loin d'être contraire à la vie, l'emprisonnement cellulaire de jour et de nuit est préférable, sous ces deux rapports, à l'emprisonnement en commun. Les cas de folie sont peu nombreux dans ces maisons; il y a bien quelquefois des signes d'abattement d'esprit et de mélancolie qui se guérissent par les encouragements et les conseils, tandis qu'on a remarqué en tout temps que, parmi les détenus en commun, il y a un bien plus grand nombre de ces cas.

On a fait la même remarque à l'égard du suicide. Ce dénoûment d'une vie de débauche et de perversité est loin d'être rare parmi les détenus en commun et même parmi les hommes qui sont en liberté. Comment pourrait-on l'empêcher absolument dans la cellule ?

EL y a plus, l'Académie de médecine de Paris, consultée deux fois par le ministre de l'intérieur, au cours des années 1835 et 1839, et après examen d'une commission, composée de MM. Parisot, Villermé, Louis Marc et Esquirol, a émis l'avis que le système de Pensylvanie, c'est-. à-dire la réclusion solitaire, continue de jour et de nuit, mais avec travail et conversation avec les chefs et les insp.ect.eurs, n'abrège pas la vie des prisonniers et ne compromet pas leur raison.

Ainsi l'expérience' et la doctrine, proclamées par les princes:de.la science,' repoussent les deux plus grandes inculpations dont le: système cellulaire-ait pu être l'objet, et


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il ne leur paraît pas de nature à porter atteinte ni à la vie ni à la raison.

On a encore soutenu que l'isolement de jour et de nuit portait les détenus à se livrer sur eux-mêmes à des habitudes déplorables, qui pouvaient également compromettre leur santé et leur vie.

Je dirai d'abord que rien de pareil n'a été constaté par les statistiques de nos prisons; mais cela fût-il, que je soutiendrais que la vie en commun a engendré bien d'autres immoralités que la surveillance la plus active n'a pu vaincre.

Reconnaissons, toutefois, que si les dangers qu'on redoute existent pour le système d'isolement de jour et de nuit, il existe également pour l'isolement de nuit seulement.

Mais on n'a pas oublié la surveillance continue exercée dans la cellule du condamné, qui est constatée par la description que j'ai donnée de nos pénitenciers. A chaque instant du jour, les gardiens peuvent plonger l'oeil dans la cellule et se rendre parfaitement compte des moindres mouvements des condamnés. On ne peut rien faire de pareil dans la vie en commun de nos prisons, telles qu'elles sont organisées aujourd'hui.

L'isolement du détenu, qui frappe de terreur certaines imaginations timorées et irréfléchies, sera beaucoup moins difficile à supporter qu'on ne le suppose. Le travail viendra au secours du condamné ; autrement, une solitude absolue, que rien ne distrait ou n'interrompt, serait au-dessus des forces de l'homme : elle consume, comme on l'a dit fort justement, le criminel sans relâche et sans pitié; elle ne le réforme pas, elle le tue.

Le travail remplira donc la cellule solitaire d'un intérêt, il fatiguera le corps et reposera l'âme ; il fera aimer au détenu le seul moyen qu'il aura un jour de gagner sa vie.


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Il faut de plus admettre que la cellule sera une place publique dans laquelle n'entreront que d'honnêtes gens.

Les premières personnes à mettre en rapport avec les condamnés sont les ministres du culte et les soeurs de charité. Viennent ensuite l'instituteur, le médecin, les membres de la commission de surveillance, les parents, les associations de charité et de patronage, les agents des travaux, et enfin toutes les personnes honorables ayant une permission spéciale de l'autorité compétente.

Comme aux États-Unis, les hommes les plus distingués par leur position sociale ne tarderont pas à ambitionner la faveur de faire partie de cette association moralisatrice, et des récompenses honorifiques, très-justement méritées, entretiendront le zèle de tous ces dévoûments.

Dans chaque pénitencier il y aura une bibliothèque peu nombreuse et bien choisie à l'usage des détenus.

La lecture distrait, instruit et moralise.

Dans les pénitenciers d'Amérique, la seule lecture permise aux détenus est celle de la Bible. Quelque bonne et substantielle que soit cette lecture, elle ne peut distraire un pauvre reclus; il lui faut des livres de morale, des histoires touchantes, qui montrent les tristesses du crime et les joies de la vertu.

Le travail et la lecture viendront donc instruire et distraire le détenu ; afin de rompre de plus en plus la monotonie de la cellule, il pourra entretenir une correspondance fréquente avec sa famille ; il sortira plusieurs fois pendant lé jour pour aller se promener et prendre l'air dans l'un des préaux-du pénitencier; en un mot, je ne puis trop le répéter,- "lai- cellule deviendra une espèce de foyer public qui moralisera forcément-1'hommer dont Te coeur sera Encore ■accessible au bien.'-."'. -"■":'-.'■_-'...?.■: - ...

'Si sa conduite est bonne, si son repentir est sincère, l'exercice du droit de grâce hâtera l'époque de sa libéra-


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tion, et lorsque le détenu rentrera dans la société, il apportera un petit pécule, fruit de son travail ; il n'aura plus à redouter les vengeances et les dénonciations de ses anciens codétenus auxquels il sera resté complètement inconnu, mais il trouvera à sa sortie du pénitencier ces admirables sociétés de patronage, qui ne seront plus, comme aujourd'hui, indignement trompées par ces repris de justice frappés , mais non corrigés , et elles pourront alors rendre des services réels aux libérés véritablement régénérés.

Il est évident que le travail, toujours si nécessaire à l'homme, et en particulier au détenu dans l'isolement, est difficile à installer dans chaque cellule; mais l'expérience a démontré que c'est très-praticable, tandis qu'il est impossible de réunir les prisonniers pour un travail commun pendant le jour, sans le danger des mauvaises conversations , des conspirations et des associations criminelles après l'expiration de la peine, malgré la surveillance la plus active.

Mais le travail n'est pas tout pour arriver à la réforme morale des détenus. Ces malheureux sont des hommes qui ont perdu tout sentiment du bien et dont il faut refaire absolument l'éducation, et le système pénitentiaire avec isolement de jour et de nuit, que je préconise avec une profonde conviction, doit, pour être efficace, reposer sur les bases de la religion ; sans cette source de toute résignation et de tout amendement durable, les précautions de la loi seraient stériles.

Il faut le reconnaître, l'oeuvre de la régénération des prisons est au-dessus des forces ordinaires ; qu'on appelle donc le concours des sociétés religieuses et morales dont le dévoûment ne manquera certainement pas.

Dans le système cellulaire, l'instruction religieuse est le plus puissant moyen de moralisation des détenus. Le prêtre a bientôt gagné la .confiance du prisonnier; sa parole a


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d'autant plus d'autorité qu'elle n'a plus à lutter contre de funestes influences ; la prière soulage et console les plus grandes souffrances : des frères et des soeurs de charité, qui seront comme les auxiliaires naturels de l'aumônier, seront placés près des détenus.

Je comprends très-bien qu'à un certain point de vue politique on redoute l'influence des corporations religieuses sur l'ensemble de l'instruction publique, c'est une thèse que je ne veux pas aborder; mais, dans nos prisons, il s'agit uniquement de l'appeler dans la voie de la morale des individus égarés. D'ailleurs les frères et les soeurs de charité sont sortis pour la plupart de la classe ouvrière, et se trouvent ainsi plus sj^mpathiquement rapprochés des détenus, lesquels appartiennent presque tous à la même classe; mieux que personne , ils sauront leur donner la foi, l'espérance, et leur inspirer de bons sentiments.

A la tête de chaque pénitencier sera placé par le gouvernement un directeur ferme, moral et éclairé, contrôlé lui-même par des inspecteurs généraux; l'impulsion sera uniforme sur tous les points de la France et les abus impossibles (1).

Mais je dois dire ici toute ma pensée : je ne crois pas que le système cellulaire avec l'isolement de jour et de nuit soit réalisable, si le nombre des détenus est de plus de cinquante par chaque pénitencier. Je sais par expérience que, pour être bien dirigée, une prison ne doit pas contenir un trop grand nombre de condamnés ; il faut, au contraire, qu'elle atteigne le chiffre le moins élevé possible, pour que chaque détenu ne reste pas dans l'isolement, pour qu'il

(1.) On a vu M. Eïam Lynds, ancien capitaine des États-Unis, et le juge Powers, magistrat d'un rare mérite, s'honorer dans l'opinion et à leurs propres yeux en remplissant les fonctions de directeurs du pénitencier d'Auburn. -.--_ .


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puisse être surveillé et visité à toute heure du jour; c'est ainsi que la solitude deviendra supportable, et que le directeur et l'aumônier connaîtront à fond la moralité de chaque détenu.

Pour arriver à ce résultat, qui serait, à mon sens, le couronnement de tout ce qu'on a écrit et essayé sur le régime cellulaire, il faudrait qu'un pénitencier fût convenablement installé dans chaque chef-lieu de département et dans chaque chef-lieu d'arrondissement. De cette manière, les maisons centrales n'auraient plus leur raison d'être; ces grands foyers de corruption seraient détruits comme l'ont été nos bagnes de triste mémoire, et chaque arrondissement se trouverait investi du droit et de l'obligation de moraliser les individus condamnés sur son territoire.

Si certains de nos arrondissements étaient tristement privilégiés par le nombre des coupables détenus dans leur pénitencier, alors on en diminuerait le nombre en envoyant l'excédant des condamnés dans un autre arrondissement, de manière à laisser toujours une moyenne uniforme et la plus faible possible dans chaque maison cellulaire.

Ce serait le système américain de Pensylvanie avec tous ses avantages, et miséricordieusement modifié dans les rigueurs suprêmes de l'isolement.

Quiconque a vu fonctionner le système cellulaire à Mazas, par exemple, avec son personnel considérable, a dû sortir de ce lieu d'expiation profondément convaincu que l'isolement dans un gouffre pareil est chose intolérable.

Quiconque a vu fonctionner le pénitencier de Tours, au contraire, dont l'installation remonte au 14 novembre 1843, a dû se rattacher au système d'isolement qui n'a cessé d'y produire les meilleurs effets (1); mais la moyenne de'cette

(11 Le pénitencier de Tours a pour aumônier, depuis sa fondation.


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maison cellulaire en temps ordinaire n'a pas été au-dessous de 37 détenus et n'a pas dépassé 97.

Ce second chiffre est évidemment trop élevé, et il faudrait l'abaisser pour que chaque détenu reçut des visites plus fréquentes et pour qu'il fût instruit et moralisé avec plus de soin.

Il est certain que l'établissement d'une maison cellulaire dans chaque chef-lieu de département et dans chaque cheflieu d'arrondissement serait une dépense assez considérable pour l'État; mais toutefois il ne faut rien exagérer. Nous avons en France 89 chefs-lieux de département et 284 chefs-lieux d'arrondissement. Nous avons déjà 47 maisons cellulaires établies à Paris et sur les différents points de l'Empire. Les anciens terrains et les anciens matériaux de nos prisons actuelles viendraient diminuer d'autant les sommes à dépenser.

Il est bien entendu que je place en dehors de toutes ces combinaisons le département de la Seine, qui est pourvu de prisons de toute nature et auquel il reste peu à faire.

Paris serait, comme toujours, dans l'exception, et donnerait l'exemple sans qu'il fût besoin de faire de bien grandes dépenses. Seulement il faudrait, pour que l'isolement fût possible là comme ailleurs, augmenter le personnel, la surveillance, et multiplier certainement les maisons cellulaires.

Chaque département ayant son pénitencier dans tous ses arrondissements, Paris devrait aussi les avoir dans chacun des siens. C'est logique et ce serait indispensable pour

M. l'abbé Bluteau, dont le. zèle éclairé a produit des résultats de moralisation incontestables-, pendant dix années.. La circulaire du -27 aoû 1853"~qui a substitué le système d'Auburn à celui de Pensylvanie lui a causêiiit grand'décourageme'nt,' et il m'a dit bien des fois que, depuis cette.;époque,' là.moralisation dés détenus n'était plus possible. Je le crois comme lui. -"',.--


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éviter l'accumulation des détenus; d'ailleurs, si l'encombrement devenait trop considérable, il serait facile d'envoyer un grand nombre de condamnés dans nos pénitenciers de province.

La question fiscale paraît préoccuper certains esprits, mais elle doit s'effacer devant les intérêts d'un ordre plus élevé. Le gouvernement se plaçant au point de vue moral et politique, ne peut reculer. Quand il s'agit d'extirper un mal qui ronge le pays au coeur, il n'y a plus d'hésitation possible, et cela a été si bien compris que la transportation a été, dans ces derniers temps, substituée au régime barbare et dangereux de nos bagnes, malgré de grands sacrifices d'argent. Aujourd'hui on ne pense plus qu'au résultat obtenu. Il en sera de même pour le système cellulaire.

Au surplus, pour calmer les inquiétudes à cet égard, je puis indiquer d'une manière approximative la dépense que nécessiterait l'installation générale de pénitenciers sur tous les points de la France, en prenant pour terme de comparaison ce qu'a coûté le pénitencier de Tours.

Il contient 114 cellulaires; la dépense de la construction, y compris les bâtiments de l'administration, le logement du directeur, ceux de l'aumônier et des soeurs, plus le prix d'acquisition du terrain sur lequel on l'a construit, s'est élevée à la somme importante de 316,000 fr.

Mais les inspecteurs des prisons ont été unanimes pour dire que le pénitencier de Tours avait été construit à frais trop élevés. On pouvait choisir un emplacement moins central et qui eût nécessité un chiffre d'acquisition beaucoup moins considérable; chaque cellule pouvait être faite avec des murs moins épais: de fortes cloisons en briques;" doubles sur champ auraient suffi pour former les. cellules ; celles de Mettray et de la Roquette sont un exemple frappant delà vérité de ces observations. En effet, la cellule


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n'a pour but que d'isoler les détenus les uns des autres et de les empêcher d'avoir entre eux des communications. Or, pour atteindre ce résultat, il n'est pas nécessaire que les murailles des cellules aient un mètre d'épaisseur et soient construites avec des moellons comme à Tours.

IL faut encore ajouter, pour être dans le vrai, que nonseulement le pénitencier de Tours, mais encore le logement du directeur, du gardien-chef et des soeurs sont bâtis avec l'élégance d'un établissement modèle; que les cours et les jardins sont vastes, remarquablement plantés et entretenus. C'est un luxe qu'on pourrait supprimer dans lés autres établissements de ce genre.

D'après ces données positives, il sera facile d'établir, d'une manière à peu près certaine, à quelle somme totale s'élèverait la construction de pénitenciers sur tous les points de la France.

Un pénitencier de 50 cellules pour chaque chef-lieu de département, un autre de 25 pour les arrondissements, seraient bien suffisants.

Au reste, lorsque je vois la civilisation moderne distribuer à profusion l'instruction sur tous les points de ma patrie, j'applaudis aux énormes dépenses qui sont faites dans le but d'éclairer et de moraliser les masses ; mais pourquoi ne ferait-on pas de même pour ces classes déchues de la société qu'on peut aussi éclairer et rendre meilleures?

Ll n'est pas douteux, du reste, que, comme compensation, le système cellulaire de jour et de nuit amènerait de notables économies dans les frais de justice criminelle. Les peines prononcées par les tribunaux correctionnels et les Cours d'assises devraientnécessairement être d'une moins longue durée que celles qui sont'édictées par'notre Code pénal. L3ëmprisônne'hiënt subi dans la cellule solitaire malgré tous les1Wmpéfament.s dont j'ai parlé, ' ne peut être compare, à


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cause de sa rigueur, à l'emprisonnement en commun. Il faudrait l'abréger autant que possible. Les frais d'entretien des condamnés payés par l'État seraient donc beaucoup moins considérables.

D'ailleurs, l'intimidation résultant, je le reconnais, de l'emprisonnement solitaire, la crainte d'y être soumis de nouveau, la moralisation qui arriverait au coeur du détenu n'ayant plus de contact avec les malfaiteurs, empêcheraient les libérés de retomber aussi fréquemment dans la pratique des crimes et des délits; de sorte que, naturellement, le. nombre des condamnations diminuerait, et le chiffre de la dépense de nos prisons deviendrait plus faible.

Il n'y a pourtant pas de règle sans exception, quelque inflexible qu'elle soit. Ainsi le régime d'isolement absolu ne devrait point être appliqué aux enfants au-dessous de l'âge de seize ans, qui seraient envoyés dans l'une de nos colonies agricoles dont Mettray restera le véritable modèle.

Les vieillards, les infirmes, les faibles d'esprit pourraient être détenus dans un pénitencier où l'isolement de nuit seul serait exigé. Le système d'Auburn n'a plus d'inconvénients pour de pauvres déshérités sur le point de disparaître et ne pouvant par conséquent faire aucun mal à la société.

On me permettra, en terminant sur ce point, de citer un fait constaté de la manière la plus authentique et qui fera bien ressortir l'opinion des détenus eux-mêmes sur la détention cellulaire.

Peu de temps avant l'apparition de la fameuse circulaire du 27 août 1853, un président d'assises que j'ai beaucoup connu et qui était justement..alarmé des attaques incessantes dont le système d'isolement de jour et de nuit était l'objet, fit sa visite du pénitencier de Tours après la clôture d'une session d'assises, ainsi que son devoir l'y obligeait-i


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il voulut constater par lui-même l'impression que produisait sur l'esprit des détenus l'emprisonnement cellulaire. Il prit le nom et l'âge de tous les individus de l'un et de l'autre sexe que contenait alors cette maison cellulaire, posant à chacun d'eux la même question : Lequel préférez-vous, rester en cellule, isolé comme vous l'êtes des autres détenus, ou bien aller dans une prison où tous les prisonniers vivent en commun, travaillent dans le même atelier, se promènent ensemble dans les mêmes com*s, mangent dans le même réfectoire et couchent dans les mêmes dortoirs ?

Ce président d'assises a tenu note de la réponse de chacun des détenus, et, à son grand étonnement, a constaté qu'une majorité imposante s'était prononcée en faveur de la détention cellulaire ; mais ce qui l'étonna davantage, ce fut que ceux qui se prononçaient le plus énergiquement pour le système du pénitencier étaient les plus jeunes détenus, c'est-à-dire ceux à qui l'âge semblait faire un besoin impérieux du mouvement et de la distraction.

Au surplus, il y aura toujours, je le reconnais, des natures perverses qui se montrent rebelles à tous les enseignements et à tous les moyens de moralisation ; mais s'il faut désespérer de ces pauvres êtres et les bannir à tout jamais de la mère patrie en les envoyant comme incorrigibles dans nos colonies de transportation, c'est un devoir, pour une société civilisée comme la nôtre, de préserver de leur contact les condamnés qu'on n'a pu encore ramener au bien. On l'a fort justement dit, la lèpre de l'âme est aussi dangereuse que celle du corps ; elle doit provoquer les mêmes mesures de prudence et d'isolement.

Je suis parvenu, je crois, à établir qu'un bon système de moralisation dans des prisons cellulaires de jour et de nuit:esttrès-praticable et que le plus grand nombre des détenus qui/y auront été soumis devront l'entrer au milieu de nous complètement régénérés; maintenant il me reste à


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parler de notre système de transportation qui devra être infligé d'une manière absolue à tous les coupables dont le coeur est à tout jamais perverti. J'exposerai, avec des documents officiels, son installation définitive à la Guyane française et dans la Nouvelle-Calédonie.

§ m.

DE LA TRANSPORTATION.

Comme le système cellulaire, le système de transportation a rencontré à son origine des partisans et des adversaires très-convaincus.

Dès 1825, plusieurs voix éloquentes et autorisées se firent entendre en faveur de la transportation des condamnés, mais elles furent de suite couvertes par celles de contradicteurs acharnés. Ils représentaient ce système de pénalité, adopté par l'Angleterre, comme une monstruosité du xixe siècle. Ils exagéraient à plaisir ses rigueurs; on disait qu'il violait toutes les lois de la morale et de la justice ; on allait jusqu'à compter le nombre de coups de fouet appliqués aux malheureux condamnés, le nombre des blessures et le sang versé.

On constatait officiellement qu'aux colonies pénales de l'Australie il avait été, dans le courant d'un mois, bien et • dûment distribué aux insolents, paresseux, ivrognes et insubordonnés 9,934 coups de fouet, ce qui, multiplié par le nombre de mois de l'année, produisait le chiffre énorme de 119,208 coups de fouet donnés chaque année dans ces malheui'euses- colonies •d'Angleterre, v . . .:.... ;.:.._.::.

Il y avait même quelques.fortes têtes politiques de.cette époque, aj'ant grande autorité sur la question, qui allaient jusqu'à soutenir que la présence des condamnés aux tra-


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vaux forcés dans nos ports était tellement nécessaire que, les en retirer pour les déporter, était frapper d'un coup mortel notre marine !

Ces objections ne furent pourtant pas les seules qu'on formula; on parlait avec inquiétude de trouver un lieu convenable pour une colonie de cette nature et des dépenses considérables et ruineuses que nécessiterait un pareil établissement. En un mot, comme pour le système cellulaire, on trouvait une foule de résistances plus ou moins raisonnées, plus ou moins réfléchies.

Mais l'opinion publique marchait quand même ; un grand nombre de conseils généraux se prononcèrent en faveur de la transportation, et des publicistes habiles en proclamèrent les bons effets.

De toutes les peines, disait-on, celle de la transportation est la seule qui, sans être cruelle, délivre cependant la société de la présence du coupable. Le criminel emprisonné peut briser ses fers ; remis en liberté à l'expiration de sa peine, il devient un juste sujet d'effroi pour tout ce qui l'environne; le déporté ne reparaît que rarement sur le sol natal; avec lui s'éloigne un germe fécond de désordres et de nouveaux crimes.

Cet avantage est grand sans doute, et il ne pouvait manquer de frapper les esprits chez une nation comme la France où le nombre des criminels forme tout un peuple de malfaiteurs.

^ Malgré ces excellentes raisons, les adversaires de la transportation tenaient bon, comme le font aujourd'hui les adversaires du système cellulaire. Il a fallu deux révolutions et la volonté ferme du chef de l'État pour que nos bagnes fussent supprimés et remplacés par des colonies de transportation.' - J'ai déjà dit un mot de nos bagnes, qui étaient une véritable anomalie au milieu des idées de liberté et de misé-


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ricorde de notre société moderne. L'homme y était ravalé au niveau de la brute. C'était odieux avoir; le condamné aux travaux forcés était tondu, ferré, numéroté, bouclé, accouplé. Chaque forçat était attaché à un autre forçat au moyen d'une lourde chaîne qui tenait d'un bout à la manille et de l'autre à la ceinture que, par une amère dérision, on appelait une guirlande. Pour les moins redoutables, la manille était remplacée par la chaussette, c'est-à-dire. par un anneau plus léger. A la moindre faute, on les frappait comme de vils animaux; on les gardait à vue; des canons chargés à mitraille étaient constamment braqués sur eux.

Aujourd'hui, toutes ces cruautés, qu'on croyait nécessaires, ont été remplacées par la transportation dont tout l'honneur revient au gouvernement de l'Empereur.

L'idée sérieuse des établissements de transportation a pris naissance, et à plusieurs reprises, dans la multiplicité, dans l'audace des récidivistes et surtout dans nos troubles politiques. Justement effrayé des périls que pourraient faire courir à notre société la présence des hommes pervertis et audacieux qui avaient, aux journées de juillet 1830 et aux journées de juin 1848, mis, sans exagération, une armée au service de la désorganisation sociale, le gouvernement avait, dès 1848, cherché un moyen d'éloigner ces éléments dangereux.

La loi du 6 juin 1850 fut le point de départ de la nouvelle voie dans laquelle on allait résolument entrer. Elle désigna l'île Noukaïva et la vallée de Waïtahu - cpmmesiége de déportation pour ces hommes qui avaient juré une haine implacable à nos. institutions politiques et sociales, ' Vers cette époque, le gouvernement eut.;la, pensée bien; arrêtée de réaliser une réforme pénale et dsinstaller,,sur unpoint quelconque de nos possessions françaises, une véritable colonisation à l'instar de._, celles :,qui ont été fondées


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par l'Angleterre, mais avec d'importantes modifications sur le régime à faire subir aux détenus transportés.

Le 12 novembre 1850, un message présidentiel annonça la réforme pénitentiaire de nos bagnes, et, dès le 21 février suivant, une commission fut instituée pour étudier la question au point de vue du choix d'une colonie de transportation.

La commission se mit de suite à l'oeuvre et opta pour la Guyane.

Un décret du 8 décembre 1851 donna au gouvernement la faculté de transporter pour cinq ans au moins et dix ans au plus les condamnés aux travaux forcés, soit à la Guyane, soit en Algérie.

Le 20 février 1852, on offrit, en vertu de cette loi, la transportation comme une faveur aux forçats en cours de peine, et trois mille d'entre eux l'acceptèrent spontanément.

Le 27 mars de la même année, le gouvernement ouvrit enfin la porte de tous les bagnes aux forçats disposés à se rendre volontairement à la Guyane.

Tous ces essais amenèrent naturellement un système de transportation qui devait être organisé deux ans plus tard par la loi du 30 mai 1854.

La Guyane, qui avait été choisie, est cette vaste contrée de l'Amérique équinoxiale qui est comprise entre l'Orénoque, l'Amazone, le Rio-Negro et la mer. Le Rio-Negro, qui la limite à l'ouest, sert en même temps de trait d'union aux deux grands fleuves qui la bornent au nord et au sud.

Aujourd'hui ce grand territoire est partagé entre quatre nations : le Brésil qui, en sa qualité d'héritier du Portugal, possède la rive gauche de l'Amazone et revendique la propriété du pays compris entre ce fleuve et l'Oyapock ; la France, dont les possessions s'étendent de l'Oyapock au Maroni ; la Hollande, du Maroni au Corentin ; et l'Angleterre enfin, du Corentin à l'Orénoque.


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La Guyane est presque située sous la ligne équinoxiale, mais elle n'a pas à souffrir d'un climat aussi brûlant qu'on pourrait le croire. La moyenne du thermomètre, à l'ombre, y est de 27 degrés centigrades, hauteur qui, dans les plus grandes chaleurs de l'été, monte de 30 à 32, et baisse, pendant la nuit, de 2 à 3 degrés.

De l'insalubrité indéniable de certains points de la Guyane, il serait injuste de conclure à l'insalubrité absolue et universelle du pays, comme il serait absurde de juger de l'Italie par les marais Pontins et de la France par la Sologne. Il y a dans la Guyane des lieux insalubres et des lieux sains. Il s'agit de borner la colonisation à ces derniers points.

Les baumes, les essences, les bois d'ébénisterie et de construction, en un mot le règne végétal et ses mille produits, voilà les vrais trésors de la Guj^ane, et notre dernière Exposition universelle a vu figurer dans ses galeries une collection aussi complète que possible de toutes les espèces de bois qui ont été tirées de la Guyane et qui peuvent être utilisées, soit pour l'ébénisterie, soit pour l'industrie du bâtiment, soit pour les constructions navales.

Dès que le décret du 8 décembre 1851 fut promulgué, Te département de la marine se mit à l'oeuvre, et un grand nombre de tentatives d'installation eut lieu.

Un dépôt temporaire fut créé aux îles Saintes, dépendance de la Guadeloupe ; puis, des barraquements furent installés aux îles du Salut, en face des côtes de la Guyane. Ces îles sont au nombre de trois : l'île Royale, l'île SaintJoseph et l'île du Diable.

L'îlot la Mère fut, peu de temps après l'occupation des îles du Salut, également affecté à la transportation.

Tous les moyens propres à conjurer les dangers du climat tropical de la Guyane furent-employés. Le trousseaûde chaque transporté renfermait des vêtements de laine -pour T. XII. 21


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combattre les effets de l'humidité; des appareils étaient envoyés pour fournir de l'eau filtrée, et la colonie passait des marchés pour l'achat de viande fraîche.

Malgré toutes ces précautions, qui témoignent de la sollicitude du gouvernement pour les transportés, il fut impossible de combattre efficacement les influences paludéennes. Bientôt, aux fièvres intermittentes vint s'ajouter la fièvre jaune, qui prit un caractère tellement pernicieux qu'il n'était plus possible de conserver la moindre illusion. Il fallait chercher pour la transportation une contrée nouvelle.

On s'établit d'abord dans un lieu nommé la Montagned'Argent, situé sur l'embouchure de l'Oyapock; puis, à SaintGeorges, sur la rive gauche du Haut-Oyapock, à 191 kilomètres de Cayenne.

On créa ensuite des pénitenciers-pontons avec des bâtiments de la marine hors de service, en rade de Cayenne, à l'embouchure du Kourou.

Un autre établissement, commencé à la même époque, est celui de la Comté, quartier de la Guyane, à proximité de l'île de Cayenne ; on y créa deux grands pénitenciers : l'un fut nommé Sainte-Marie et l'autre Saint-Augustin.

Mais les maladies continuaient à sévir, et, dès 1857, après six années d'épreuves, les établissements furent transférés vers la région appelée le Maroni, qui confine la Guyane hollandaise.

A la fin de 1858, l'établissement de la transportation française à la Guyane pouvait être considéré comme créé. La supériorité sanitaire de ce quartier s'était affirmée de la manière la plus évidente ; l'administration recueillait enfin la récompense des efforts qu'elle avait tentés inutilement depuis le début.

Il est constant aujourd'hui que la transportation, établie définitivement au Maroni, présente moins de cas de mor-


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_talité les établissements pénitenciaires en France. L'obstacle le plus grave à la transportation a donc été écarté.

L'idée de faire également un essai de transportation à la Nouvelle-Calédonie prit naissance à l'époque où les établissements de la Gujrane subissaient les plus rudes épreuves et où le gouvernement, justement ému, se demandait s'il pourrait dominer les obstacles qu'il rencontrait.

Des études furent ordonnées dès 1859, et l'on constata qu'il était facile de se livrer, sur les terres de l'Océanie, aux cultures européennes et à celles des tropiques. La douceur et la salubrité du climat ôtaient toute idée de mortalité.

Le 2 janvier 1864, le département de la marine fit partir de Toulon un premier convoi de 350 condamnés aux travaux forcés à perpétuité, et il arriva le 9 mai à Nouméa. Déjà le gouverneur avait choisi pour dépôt général l'île Nou, située en face de la rade de Nouméa.

Un deuxième convoi partit de France le 6 janvier 1866 et arriva dans la colonie en juillet. Il se composait de 200 forçats.

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a sollicité l'envoi immédiat de nouveaux convois, et, à la fin de l'année dernière, l'effectif de la transportation était porté à 1,000 hommes.

L'éloignement de cette nouvelle colonie est le seul obstacle à son développement. La distance à franchir est considérable et les frais de transport très-onéreux; cependant il paraît certain que de notables économies peuvent être faites sur les frais d'entretien des transportés, et qu'alors les dépenses se rapprocheraient beaucoup de celles qui sont nécessaires à la Guyane. C'est, du reste, une étude à faire ; cette étude, il est bon de le constater ici, est poursuivie sans relâche par le gouvernement de l'Empereur.


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En effet, en 1868, M. le ministre de la marine annonçait au Corps législatif qu'on avait reconnu l'insalubrité pour les déportés européens, du climat de la Guj^ane, qu'il avait résolu de les transporter à l'avenir à la NouvelleCalédonie et de ne plus envoyer à la Guyane que les condamnés arabes, parce que le climat de la Guyane est favorable à ces derniers, tandis que celui de la Nouvelle-Calédonie leur est contraire.

Depuis 1867 les condamnés européens sont donc dirigés sur la Nouvelle-Calédonie.

Cependant M. le ministre de la marine dans une occasion récente a déclaré au Corps législatif, que si le climat de la Guyane s'améliorait, s'assainissait, comme il s'assainit en effet dans certaines parties, notamment sur les bordsdu Maroni, il serait possible de reprendre la transportation des condamnés européens dans cette colonie.

Les transportés, c'est le nom officiel substitué à celui de forçat et par lequel ils sont tous désignés, les transportés travaillent aux routes, aux constructions de l'île, au déchargement des navires, aux ateliers de confection où l'on fait des sabots, chapeaux, effets, meubles pour le service général. Ils sont employés aux forges, à la menuiserie, à la fonderie, et acquièrent des grades dans le travail avec une rémunération qui varie de 5 à 10 centimes par jour; de plus, ils ont quelques heures de liberté, pendant lesquelles ils travaillent pour leur propre compte.

Le gouvernement a voulu que rien des habitudes ni du régime des bagnes ne suivît le condamné au delà des mers ; il a voulu pour lui une vie nouvelle et un pays nouveau. Les signes extérieurs de l'infamie ont été supprimés ; le garde chiourme a disparu pour faire place à un corps de surveillants militaires, qui n'ont ni l'esprit ni la tradition du bagne. L'uniforme des transportés se compose d'une chemise,


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d'un pantalon de toile grise et d'un chapeau de paille. La ration de chaque homme est la même que celle de la troupe.

Le peloton de correction porte seul la chaîne et le costume traditionel rouge et jaune. Il se recrute dans les hommes incorrigibles, les évadés, les paresseux ; il est chargé des travaux les plus pénibles et des plus rudes corvées. C'est une punition plus ou moins longue, qui, avec le cachot et les coups de corde, forme le système répressif au moyen duquel on cherche à assouplir les natures rebelles ; car, pour maintenir la discipline, l'administration a été forcée, bien à regret, de continuer d'appliquer les peines corporelles prévues par l'ordonnance de 1748.

Les transportés sont vêtus de laine pendant la nuit, malgré l'élévation de la température, pour les soustraire à l'humidité ; leurs logements sont élevés à un mètre et demi du sol.

De 1857 à 1863, c'est-à-dire en six années, un grand résultat a été obtenu à la Guyane : le temps a été bien employé ; on avait fait du provisoire, maintenant on arrive à quelque chose de définitif; on avait fait des cabanes, on les convertit en édifices durables. Une grande et belle ville se construit au Maroni ; elle se nomme Saint-Laurent, et sera un jour le chef-lieu de la transportation.

De vastes hôpitaux, solidement construits, viennent d'être établis au Maroni. Il existe un personnel de 33 médecins, exclusivement affecté à la transportation, et 43 soeurs de Saint-Paul de Chartres, qui remplissent dans les hôpitaux pénitenciaires leur pieuse mission avec le dévouement qu'elles savent mettre partout au service de la souffrance et du malheur.

L'enseignement religieux a été confié aux Pères de la compagnie de Jésus. Cette mission, toujours pénible et souvent dangereuse, est remplie avec un grand zèle. Des


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édifices ont été appropriés aux besoins du culte, et le service religieux se fait régulièrement dans tous les pénitenciers.

C'est aux soeurs de Saint-Joseph de Cluny qu'on a confié le soin de veiller sur les femmes envoyées à la Guyane et de commencer dans des salles d'asile, au profit des enfants, une éducation qui les préserve de l'hérédité du mal.

Enfin, pour compléter cet enseignement moral, des bibliothèques ont été créées à l'usage des condamnés.

On a même trouvé parmi les transportés les éléments d'un corps musical, qui est parfaitement organisé et qui figure dans toutes les fêtes de la transportation.

Au Maroni, les premiers efforts, après la période d'installation, furent dirigés vers la production du sol. Aux plantes potagères, comprenant les plantes d'Europe et celles qui sont propres au climat tropical de la Guyane, vint s'ajouter la culture du tabac, du maïs, du riz, de la canne à sucre, du manioc, du caféier, du cacaoyer. L'élevage des animaux de basse-cour se fait avec succès ; celui du gros bétail est entrepris sur une assez grande échelle à la Pointe-Française, à l'embouchure même du fleuve du Maroni.

A côté des cultures, l'administration a trouvé une autre branche de travail et de revenu dans l'exploitation des richesses forestières de la Guyane, dont j'ai déjà parlé; l'usage des bois de ces forêts vierges a été introduit dans l'ébénisterie française, dans les constructions navales et dans l'exploitation des chemins de fer.

Les transportés sont donc employés aux travaux de la terre et aux travaux d'utilité publique; c'est l'accomplissement de la peine.

Après deux ans de bonne conduite, ils peuvent travailler comme engagés hors des pénitenciers et obtenir une con-


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cession de terrain ; après dix années, la concession peut être définitive et le forçat devient colon.

Quand le temps d'épreuve est achevé, le transporté est donc élevé à la position de concessionnaire urbain ou rural. L'administration lui vient en aide pour la construction de sa case, le défrichement de son champ ; elle lui achète le bois qu'il exploite; elle fournit au cultivateur les éléments de la basse-cour, du bétail, et se rembourse par le croît ; enfin elle lui donne des vivres pendant deux ans, à compter du jour de la mise en possession de sa concession.

Ce n'est pas tout : le décret du 30 mai 1854 ouvre aux familles que les condamnés ont laissées en France la faculté d'aller les rejoindre. De cette façon ces malheureux, que la faute de leur chef chasse pour ainsi dire des lieux qui ont été témoins de leur honte, vont trouver un refuge contre le mépris public.

La loi a donc réorganisé la famille du transporté ; elle a judicieusement pensé que c'était le seul moyen de lui faire oublier, autant que possible, sa patrie perdue.

A la fin de 1858, un premier convoi de femmes partit pour la colonie. Ces malheureuses, prises parmi les condamnées aux travaux forcés, étaient transportées, sur leur demande, pour aller contracter mariage avec les déportés.

Depuis, les femmes réclusionnaires et celles même qui ne sont condamnées qu'à l'emprisonnement, sollicitent la transpoi^tation comme une faveur. Le sentiment de leur avenir perdu les pousse à quitter un pays où la misère et le mépris les attendent à leur sortie de prison.

Ainsi donc, si le déporté désire peupler sa solitude, si l'idée de la paternité sourit à son coeur, il demande une femme et l'État lui vient en aide.

Chose étrange! le plus grand nombi'e de ces femmes a


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subi sa condamnation pour crime d'infanticide , et pourtant elles font généralement d'excellentes mères de famille. On dirait que le sentiment de la maternité, qu'elles ont étouffé d'une façon si terrible, renaît plus ardent, plus vivace pour leurs enfants légitimes ; elles ont été le plus souvent poussées au crime par la honte, par le besoin de cacher leur faute; aujourd'hui ce sont des femmes transformées et régénérées.

La transportation porte donc en elle les effets de la plus haute importance. La société métropolitaine est purgée d'éléments dangereux et menaçants; le repentir du coupable est encouragé et récompensé.

Il faut pourtant reconnaître que l'expatriation répugne extrêmement à l'esprit français, et, à ce point de vue, on peut être assuré que la transportation définitive sera toujours une véritable peine et non, comme on a pu le craindre, un encouragement au crime,

Mais le décret du 30 mai 1854 n'est pas allé assez loin. En effet, si les transportés qui ont été condamnés à huit ans de travaux forcés et au-delà doivent, après l'expiration de leur peine, rester toute leur vie à Caj^enne ou en Australie , ceux qui ont été condamnés à moins de huit ans ne sont tenus de rester dans le lieu de leur transportation que le temps égal à la durée de leur peine ; mais ils reviennent ensuite en France, où ils rencontrent les mêmes difficultés et les mêmes mépris que les forçats d'autrefois, et deviennent un véritable fléau pour leur patrie. Il serait beaucoup plus rationnel et plus sage de les laisser pour toujours dans la colonie où ils ont été transportés et où ils ont pu se constituer une famille et une propriété.

Mais il faut être juste, si un transporté se conduisait d'une manière exemplaire, s'il avait conservé le souvenir de la France, et s'il désirait ardemment d'y rentrer, il y aurait des moyens de réhabilitation légale, et il pourrait


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alors revenir parmi nous sans danger, puisqu'il serait moralisé et régénéré

La transportation est donc, en principe, substituée au bagne depuis la promulgation du décret du 30 mai 1854, et tous les condamnés aux travaux forcés subissent leur peine dans nos colonies pénitentiaires de la Guyane et de l'Australie ; un grand nombre d'anciens forçats, à l'égard desquels ce décret n'a pas d'effet rétroactif, ont accepté volontairement la transportation comme un adoucissement à leur sort. Il n'en reste plus que 1,500 environ à Toulon, qui ont refusé de consentir à cette ^modification de leur sort, ou que le gouvernement n'a pas encore pu transporter; mais, dans quelques années, ce bagne, le dernier qui ait été conservé, ne sera plus qu'un dépôt provisoire.

§ IV.

CONCLUSION.

En terminant mes recherches sur la transportation, j'aurais voulu faire connaître le chiffre des dépenses qu'elle a occasionnées à l'État depuis le 3 juin 1850, date de la loi qui désignait l'ile Noukaïva et la vallée Waïtahu comme premiers asiles offerts aux transportés. J'aurais désiré mettre ce chiffre en regard de celui qui serait nécessaire pour établir un bon système cellulaire ; mais les documents m'ont manqué, et je ne puis que résumer la situation économique des établissements de la Guyane telle qu'elle a été présentée dans un intéressant travail publié l'année dernière par les soins de M. le ministre de la marine.

Le budget de la transportation à la Guyane s'élève à 5,009,000 francs. Sur cette somme, une économie annuelle, assez importante, a pu être réalisée jusqu'à ce jour à cause


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de l'impossibilité où l'on était de tenir les effectifs prévus au complet. D'une part, il y avait dans les installations des lenteurs, qui obligeaient de. retarder les convois; d'autre part, les nécessités du service de la marine ne permettaient pas d'affecter au transport des hommes autant de bâtiments qu'il eût été nécessaire.

Ces économies, constatées dans les différentes lois des comptes qui ont été successivement présentées à la sanction du Corps législatif, ont servi, dans une certaine proportion, à couvrir des augmentations de dépenses sur d'autres services du département, et, pour le reste, ont donné lieu à des annulations de crédit.

En 1865, la dépense totale pour la Guyane s'est élevée à 3,762,660 fr. 31 cent., ce qui donnerait par chaque journée d'homme, pour un effectif moyen de 7,595, la somme de 1 fr. 36 cent.; mais si l'on déduit de la dépense totale la valeur de quelques produits réalisés en argent, soit ,129,018 francs, le prix de la journée se trouve ramené à 1 fr. 30 cent.

La valeur totale de la main-d'oeuvre cédée et des produits vendus par la transportation, en 1865, soit aux particuliers, soit aux autres administrations publiques, s'élève à la somme de 282,692 fr. 75 cent.

Le département de la marine ne cesse d'exercer la surveillance la plus sévère sur les dépenses, et, sauf ce qui touche au régime alimentaire et à l'hygiène, tous les frais de transportation sont renfermés dans les bornes les plus étroites.

En résumé, j'ai mis en relief, dans cette trop longue étude, toutes les tristesses morales et toutes les flétrissures physiques du condamné à la surveillance de la haute police de l'État; j'ai démontré, je crois, que sa présence au milieu de nous était un danger permanent.

Je me suis efforcé de reproduire les arguments les plus


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saisissants en faveur du système cellulaire avec isolement de jour et de nuit, et j'espère avoir victorieusement prouvé qu'il est le seul qui puisse moraliser les condamnés.

J'ai raconté l'installation de notre système de transportation dans nos colonies, où le coupable le plus endurci peut retrouver une existence nouvelle sous un ciel qui n'est pas celui de sa patrie.

Je puis donc répéter en terminant ce que je disais en commençant : Moi^alisons sérieusement les condamnés que nous pouvons sauver encore ; bannissons à tout jamais ceux qui sont profondément corrompus ; conservons la peine de mort pour les grands coupables, et nous pourrons, sans danger, supprimer la surveillance de la haute police de l'État.


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PROCÈS-VERBAUX.

Séance du 18 juillet 1868.

Présidence de M. DE SAINTE-MARIE.

La lecture du procès-verbal de la précédente séance ne donnant lieu à aucune observation, ce procès-verbal est adopté.

Depuis cette séance, la Société a reçu les ouvrages suivants :

1° Bulletin de la Société d'Agriculture de l'arrondissement de Mayenne, 10e année, 1er trimestre ;

2° Annales de la Société d'Agriculture, Industrie, Sciences, Arts et Belles-Lettres du département de la Loire ; t. XI, année 1867, 4 n"" ;

3° Discours prononcés par S. Exe. M. Duruy, Ministre de rinstructioD publique et M. Charles Robert, secrétaire-général de ce Ministère, au sujet d'une Pétition relative à l'enseignement supérieur ;

4° Bulletin agricole du Puy-de-Dôme, revue périodique de la Société centrale d'agriculture de ce département, mai 1868, n° 5 ;

5° Des principales causes de la mortalité des enfants du premier âge au point de vue hygiénique, par le docteur Reboulleau, membre correspondant de la Société.

La Société vote des remercîments à l'auteur au sujet de cette offre.

6° Revue des Sociétés savantes des départements, t. VII, nos de février à mai 1868 ;

"i° Maître-Jacques, journal d'agriculture publié à Niort, n° de mai et juin 1868;


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M. Loiseleur, secrétaire-particulier, donne lecture d'une lettre qu'il a . reçue de M. René de Maulde, par laquelle ce dernier remercie la Société de l'honneur qu'elle lui a accordé en couronnant son mémoire sur le prieuré de Flottin et prie qu'on lui envoie son manuscrit pour y faire quelques corrections et retouches.

Un membre fait observer que la Société ne peut, sans inconvénient, se dessaisir du manuscrit et que l'auteur qui dit avoir conservé l'original, peut y faire les corrections qu'il juge utiles et les transmettre ensuite à la Société qui en sera juge.

Ces observations sont accueillies de la Société, qui décide qu'une réponse dans ce sens sera adressée à M. de Maulde.

Depuis la dernière séance, aucune section ne s'est réunie.

Un membre signale le danger que présentent les chiens non muselés en tout temps et surtout par les grandes chaleurs de l'été. Il voudrait qu'on exécutât rigoureusement les règlements qui prescrivent de museler ces animaux ou tout au moins qu'ils fussent munis d'un collierportant le nom de leur propriétaire.

On répond que le chienne respire que par la langue et que, le muBeler, c'est augmenter les causes de rage.

A cet argument, il est répliqué que le propriétaire du chien peut, à son gré, le laisser libre dans son domicile, mais que s'il préfère le promener dans les rues, ce doit être à la condition d'exécuter les règlements et de ne pas porter atteinte à la sécurité publique.

Dans tous les cas la majorité des membres pense qu'il serait bon que la municipalité astreignît tous les propriétaires de chiens à leur mettre un collier portant le nom de leur maître.

Une conversation s'engage ensuite sur un événement récemment arrivé dans la commune de Saint-Cyr-en-Val, où la foudre a tué 39 moutons réfugiés sous un arbre. Ces moutons ont été enfouis immédiatement par ordre du propriétaire. Un membre demande si la chair de ces moutons n'aurait pas pu être mangée sans inconvénient. Plusieurs médecins, présents à la séance, répondent que la chair des animaux tués par la foudre


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ne renferme aucun élément nuisible, mais qu'elle se décompose -trèsvite ; il aurait fallu que ces animaux fussent pendus immédiatement par las pieds et qu'on leur coupât la tête afin de les faire saigner. La séance est levée à neuf heures.

Séance du 7 août 1868.

Présidence de M. DE SAINTE-MABIE.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. Depuis cette séance, il a été adressé à la Société les ouvrages suivants :

1° Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, 2e série, t. XI, second trimestre de 1868 ;

2° Revue des Sociétés savantes, 4e série, t. VII, nos d'avril et mai 1868 ;

3° Une brochure intitulée : Le labourage à vapeur, ses frais, par X. Pinta;

4° Bulletin des séances de la Société impériale et centrale de France, compte-rendu par M. Payen, 3e série, t. III, n° 6 ;

5° Le volume de 1867 des Mémoires du comité archéologique de Senlis;

6° Le n° 5 (mai 1868), des Archives de l'agriculture du Nord de la France, publié par le Comice agricole de Lille ;

7° Le bulletin des travaux de la Société départementale de la Drame, 2e série, n° 20 ;

8° Acta universitaiis Lundensis, 3e année, 1866-67, complète eu 4 nos in-4°;

9° Revue de l'Exposition Universelle rétrospective qui a eu lieu dans l'hôtel de la mairie d'Orléans, en mai 1868, par M. l'abbé Desnoyers, broch.in-8°;

Des remerciements sont votés à l'auteur :


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10» Jeanne-d'Arc, poëme par M. Ludovic de Vauzelles;

La Société vote des remercîments à l'auteur ;

11° Bulletin de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, n°s 181 à 186, in-4° ;

12° Bulletin de la Société de médecine de Besançon, 2° série, n° 2, année 1867 ;

13° Essai sur la métaphysique des forces inhérentes à la théorie de la matière et introduction à une nouvelle théorie analomo-dynamique, par Alexandre Schyanoff, lieutenant-capitaine de l'armée russe, demeurant à Kiew, rue Schyanoff.

La Société renvoie l'examen de cet ouvrage à la Société des sciences et charge M. le Secrétaire-Général d'en accuser réception à l'auteur.

La Société renvoie de plus à l'examen de sa section de médecine le Bulletin de la Société do médecine de Besançon, inscrit sous le n° 13, parce que ce Bulletin contient les mémoires sur le concours relatif à la rage ouvert par cette Académie.

A ce sujet, M. Vallet rappelle que, dans le but de détourner le public d'ajouter foi à certain remède empyrique récemment préconisé, l'Académie impériale de médecine a créé dans son sein une commission spéciale qui vient d'adresser à tous les préfets une instruction destinée à montrer l'inanité de tous les remèdes journellement indiqués contre la rage, et à indiquer les soins à donner en cas de morsure par des animaux atteints de cette maladie.

14° Enfin la Société a reçu le prospectus de la traduction du Bulletin d'archéologie chrétienne de M. Jean-Baptiste Rossi, bibliothécaire du Vatican, auteur de la Roma cristiana sotterranea. La Société décide qu'elle souscrira à cette importante publication à partir de janvier 1868 et que la souscription sera adressée, par les soins de son trésorier à M. l'abbé Martigny, chanoine de Belley (Ain) directeur de la traduction Française.

Aucune section n'ayant de rapport à faire, la séance est levée à neuf heures.


— 336 — Séance du 21 août 1868,

Présidence de M. DE SAiNTE-Marie.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté, sauf la réclamation de M. Perrot, qui rappelle qu'un membre a été désigné par la Société pour la représenter au Comice agricole de Gien, le 23 août prochain.

En l'absence de M. Loiseleur, Secrétaire particulier, M. le docteur Lorraine est prié par M. le président de rédiger le procès-verbal de la séance.

Depuis la dernière réunion, M. le secrétaire-général a reçu les ouvrages suivants :

1° Mémoires de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts du département de l'Aube, t. VI, 3e série, 1867 ;

2° Mémoires de la Société des Sciences naturelles de Cherbourg, t. XIII, 1868 ; 3° La Morale des Académies par M. de la Codre. 4° Bulletin agricole du Puy-de-Dôme, juin 1868; 5° Maître-Jacques, journal d'agriculture, juillet 1868 ; 6° Société d'encouragement, t. XV, juillet 1868. De toutes les sections, celle de médecine s'est seule réunie pour entendre le rapport de M. le docteur Lepage sur un mémoire de M. le docteur Crimotel, touchant l'application de la pile électrique pour prévenir les inhumations précipitées et l'emploi d'un appareil particulier. M. le docteur Charpignon, chargé par M. Lepage, absent, donne lecture de ce rapport.

Plusieurs membres regrettent que ce travail, d'ailleurs très-savamment écrit, ne traite pas assez directement la question proposée par M. Crimotel et demandent qu'il soit renvoyé à la section pour être complété. Après une discussion portant sur la légalité de cette mesure, le renvoi est prononcé.


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Séance du, 6 novembre 1868.

Présidence do M. DE SAINTE-MARIE.

Le procès-verbal de la séance du 21 août dernier est lu et adopté sans observations.

M. le Président donne connaissance à la Société des ouvrages qui lui ont été adressés depuis cette séance et dont suit la liste :

1° Bulletin de la Société Nivernaise des Sciences , Lettres et Arts. 2° série, 3e trimestre ;

2° Annales de la Société d'Agriculture, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire, t. XLVII, numéros d'avril, mai et juin 1868;

3° Tomes XV et XVI des Mémoires de la Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales;

4° Tome XXVIII. 1866-67, des Annales de la Société d'Agriculture

du Puy; 5° Mémoires de l'Académie du Gard, un volume s'étendant de

novembre 1866 à août 1867 ;

6° Bulletin de la Société protectrice des animaux, numéros de mai. juin, juillet, août et septembre 1868;

7° Revue des Sociétés savantes des départements, numéros de mai, juin et juillet 1868 ;

8° Tome VI des Mémoires de l'Académie des Sciences. BellesLettres et Arts du département de la Somme:

9° Tome XI, n° 1er des Mémoires de la Société d'Agriculture. Sciences et Arts d'Angers ;

10° Numéros d'août, septembre et octobre de Maître Jacques, journal d'agriculture publié à Niort ;

11° Annales de la Société académique de Nantes, 1867, l'' 1 et 21' trimestres;

T. XII. 22


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12° Tome XXII des Mémoires de la Société académique de Maineet-Loire :

13° Lettrés à M, Barrai sur trois (liantes martyrisées par l'homme et guéries par elles-mêmes, par M. Leroy-Mabille, broch. in-8°;

14° Archives de l'agriculture du Nord de la France, publiées parle Comice agricole, n° 7, juillet 1860;

15° Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d'agriculture de France, compte-rendu mensuel par M. Payeu, 3e série. 1, III, n»s 9 et 10;

16° Bulletin de la Société archéologique de l'Orléanais , n° 59 du tome V ;

17° Essai sur les espèces du genre verbascum, par M. Franehet. broch. in-8°;

La Société renvoie cette brochure à l'examen de sa section des Sciences.

18° Rapport sur le choléra et la fièvre jaune dans les armées durant l'année 1867, broch. in-4° publiée par l'Office de chirurgie près le département de la guerre des Etats-Unis, texte anglais;

19° Bulletin des travaux de la Société départementale de la Drôme, 2e série, nos 30 et 31 ;

20° Bulletin agricole du Puy-de-Dôme , n° 7, juillet 1868.

M. Nouël, trésorier delà Société, donne lecture d'une lettre qu'il ■à reçue de M. Parrot, secrétaire de la Société académique de Maineet-Loire.

Par cette lettre , M. Parrot remercie la Société de l'envoi qu'elle a fait à celle de Maine-et-Loire de la série des Mémoires actuellement en cours de publication. Il charge de plus M. Nouël d'offrir en son nom. à la Société d'Orléans, les trois opuscules suivants dont il est l'auteur :

1° Abolition du tierçage en Anjou ; 2° Histoire de la ville de Nice;

3° Notice sur l'École épiscopale et l'Université d'Angers au MovenAge.


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Depuis la dernière séance, la section de Médecine s'est seule réunie : elle a pris connaissance des additions faites, sur sa demande, par M. le docteur Lepage à son rapport sur l'instrument inventé par M. le docteur Crimotel.

M. Charpignon, au nom de M. Lepage, donne lecture de ces additions et fait connaître que la section de Médecine propose l'insertion du rapport de ce dernier dans les Mémoires et l'admission de M. le docteur Crimotel au nombre des membres correspondants de la Société.

La Société décide que l'insertion aura lieu et remet à la prochaine séance pour statuer sur la proposition d'admission.

M. le docteur Mignon fait ensuite connaître qu'il a rédigé une note complémentaire de son Mémoire sur la prophylaxie de la rage, inséré au dernier numéro du tome XI des Mémoires de la Société. Il a donné connaissance de cette note à la section de Médecine qui en propose l'insertion au procès-verbal des séances.

La Société décide l'insertion de cette note qui est ainsi conçue i

« La Société de Médecine de Besançon qui, en 1866, a mis au concours une question sur la rage , a reçu plusieurs Mémoires sur ce sujet. Elle en a fait seulement imprimer trois dans son Bulletin. L'un des trois mérite spécialement d'attirer l'attention. M. le docteur Plinir. Schivardi, de Milan, qui en est l'auteur, y a exposé des idées qui imposent une sage réserve.

o M. Schivardi considère la rage comme une véritable intoxication s'exprimant symptomatiquement par doux ordres de phénomènes constituant deux phases successives distinctes. La première se caractérise par des désordres nerveux : ce sont les accès de rage; la seconde^ se traduit par une altération de sécrétions, une viciation du sang.

o II appuie cette façon de voir sur des faits similaires , en quelque sorte, empruntés à des maladies dans lesquelles le sang est évidemment altéré, aux affections charbonneuses. Il assimile le principe inconnu qui a vicié le sang dans l'un des cas de rage qu'il a observf-s


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aux bactéries du sang-de-rate, aux animalcules ou ferments invisibles des maladies contagieuses épidémiques.

« Si l'altération du sang manque dans la rage, c'est que la maladie tue le malade dans la première phase pathologique.

» Cette théorie est séduisante ; mais quelle philosophie sur les causes génératrices n'a pas de côtés entraînants ? M. Schivardi est-il bien sûr que l'altération du sang, que seul il'a rencontrée jusqu'à ce jour, ne dépende pas d'une organisation tout individuelle, de la médication elle-même, ou de la profonde influence de l'électricité sur le système nerveux qui tient sous sa dépendance toutes les actions organiques?

« Après la théorie, passons à la pratique, ou au traitement de la rage institué par M. Schivardi.

« C'est à l'électricité par induction qu'il a eu trois fois recours, sans succès il est vrai, mais non sans résultats scientifiques pourtant.

« Notons que c'est en présence et sous le contrôle d'une Commission de savants et de médecins, chargée de l'étude et du traitement de la rage au Grand Hôpital de Milan , que M. Schivardi a fait l'application de l'électricité.

« Nous résumerons en deux mots le fait capital qui est toute la base sur laquelle repose le Mémoire de M. Schivardi :

« Enfant mordu le 15 mars 1866. Premiers symptômes le 27 avril: application de l'électricité le 29.

« Sommeil paisible dès la nuit suivante ; disparition des symptômes rabiques. Le 30, le malade mange , boit, est calme et tout-à-fait mieux. Puis, coma le 4 mai, et mort tranquille le 6.

« A partir du 4, suspension de l'excrétion de l'urine, exhalation de gaz ammoniacé par le malade. La salive, l'urine qui réapparaît à la fin, deviennent alcalines. Sur la couverture, dans les draps, sur la bouche du malade, on constate l'exhalation ammoniacale.

« L'électricité a guéri la première phase. La seconde, qui a amené la mort, n'a pas de moyens curatifs connus.


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« La Société jugera sans doute que le travail de M. Schivardi mérite bien les quelques lignes que la section de Médecine nous a chargé d'écrire en son nom.

« Encore un mot, sinon sur la rage, au moins sur l'efficacité incontestable delà cautérisation dans les morsures violentes.

« Voici le fait : M. Delahaye, dessinateur, est piqué par le crochet venimeux d'un crotale mort : on cautérise de suite la piqûre et toute crainte disparaît. Pour s'assurer du danger qu'avait couru M. Delahaye, on pique un lapin avec la même dent qui s'était introduite dans l'index de cet artiste : une demi-heure après, le lapin mourait dans d'affreuses convulsions.

« Cet exemple prouve, une fois de plus, que la cautérisation est le meilleur des remèdes à opposer aux dangers possibles des morsures violentes.

« Nous avons toujours employé avec succès, contre les morsures d'animaux enragés, la cautérisation avec le beurre d'antimoine. »

Après la lecture de cette note, M. Ludovic de Vauzelles obtient la parole et lit trois pièces de vers qui doivent faire partie d'un Recueil de poésies qu'il compte prochainement publier : l'une a pour titre : le Battage ; l'autre : sur la Montagne ;. la troisième est adressée à un ami qui critiquait la fable de La Fontaine, intitulée : le Rat de Ville et le Rat des champs.

La Société décide que ces trois pièces trouveront place dans ses Mémoires.


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Séance du W novembre 1868.

Présidence de M. DE SAINTE-MARIE.

Après la lecture du procès-verbal de la séance précédente , M. le Président annonce que le seul envoi qu'il ait reçu depuis cette séance est celui du Bulletin de la Société protectrice des animaux, numéro d'octobre 1868.

Aucune section ne s'est réunie dans la quinzaine qui vient de s'écouler.

M. Charpignon obtient la parole et entretient la Société de fouilles par lui opérées dans la cave de la maison qu'il habite à Orléans, rue Sainte-Anne, n° 15.

« Si la suite de ces fouilles, dit-il, vient confirmer ma manière de voir, j'aurai découvert des fosses, ou puits à sépultures gauloises. Or, jusqu'à ce jour, aucune sépulture de ce genre n'a été trouvée sur le sol d'Orléans , et l'absence de tombes gauloises est pour beaucoup dans l'hésitation de certains archéologues à reconnaître Genabum dans Orléans. L'intérêt que présentent mes fouilles, au point de vue de l'histoire et de l'archéologie, est donc incontestable. Mais, avant de rien conclure , je dois les pousser plus loin et chercher au fond des puits les ossements humains ou le vase funéraire qui, seuls, peuvent assurer un caractère certain à ma découverte. Toutefois, je n'ai pas voulu attendre plus longtemps pour communiquer mes recherches à la Société.

« A dix centimètres au plus du sol de la cave, j'ai rencontré un carrelis de ces grandes et grosses briques, à coches caractéristiques, qui indiquent par leur texture grossière qu'elles remontent, pour le moins, aux premiers temps de l'invasion romaine. Ces briques étaient liées


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par un mortier rougeàtre et développaient une surface circulaire de lm 30 de diamètre.

« Je trouvai, sous cette voûte, un cercle de très-grosses pierres laissant au centre un vide rempli de terre et mesurant 45 centimètres. La terre enlevée et les pierres aussi, un second lit de grosses pierres, frustes comme les premières, apparut. J'enlevai ce second lit, comme j'avais fait du premier et alors un véritable puits se révéla. Le revêtement de ce puits est fait de grosses pierres posées à sec, les intervalles entre ces pierres brutes sont comblées par de la terre et des fragments de briques. J'ai fouillé jusqu'à la profondeur d'environ 2 mètres et non sans peine, à cause de l'étroitesse du puits. A cette profondeur le diamètre est d'environ 30 centimètres dans un sens et de 45 dans un autre. La fosse, comme on voit, n'est pas régulièrement circulaire et les pierres forment souvent des saillies ou des enfoncements.

« Dans la terre extraite, se trouvent, dans une proportion'considérable, des moellons, des fragments de briques à rebord, des petits débris de poteries reconnues de l'époque romaine. J'y ai rencontré un gros poids en terre cuite, de forme pyramidale et percé à son sommet d'un trou régulier: il pèse environ 2kilog. 500 grammes. J'ai extrait de plus de nombreux fragments d'os d'animaux, de moutons, de porcs, de rongeurs; la terre, de nature argileuse, retenait de nombreuses paicelles de charbon.

« Au dire des personnes compétentes que j'ai consultées et qui partagent mon avis, ce sont bien là les caractères ordinaires des puits funéraires. Avant d'aller plus loin, je réfléchis que, si j'avais effectivement découvert un cimetière gaulois, ce puits ne devait pas être unique. Je fis donc des recherches aux alentours et, à un mètre seulement de son orifice, je mis à jour deux pierres, grosses, longues, se superposant seulement par une de leurs extrémités. Les ayant enlevées ainsi que quelques centimètres de terre, j'aperçus une autre pierre énorme, large, brute. Sous cette pierre se présenta une autre couche de


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terre dans laquelle je trouvai un poids en terre cuite semblable à celui do la première fosse, mais ne pesant que 500 grammes environ, puis quelques os de mouton, de porc, et des débris de poterie dite romaine. Enfin une quatrième pierre se montra, plus grosse encore que les précédentes et bombée en forme de couvercle. Il fallut recourir à une machine pour soulever ce bloc énorme. Le puits formé par ces enlèvements successifs mesurait à peu près 1 mètre 50 centimètres; les parois étaient de terre, mais présentaient des cailloux, des morceaux de tuile, du mortier, le tout semblant indiquer que la véritable circonférence du puits est plus considérable que celle que j'ai mise à nu et qui n'est que de 60 à 70 centimètres. Continuant à creuser, j'amenai de la terre meuble, moins argileuse que celle du puits voisin, mais mêlée aussi d'os brisés soit à la main, soit par l'action corrosive de la terre : il y avait des os de mouton, de porc, de cheval, des dents de porc, de vieux cheval, de rongeur.

« Mes fouilles s'arrêtent là pour le moment ; je les continuerai et en ferai connaître le résultat à la Société. Mais dès à présent, je puis dire que tout indique qu'elles révèlent des fosses à sépultures gauloises. L'exiguitô du trou pierre exclut l'idée d'un puits à eau ou à carrière, bien qu'il existe d'anciennes carrières dans ce quartier d'Orléans. La voûte en briques indique un ouvrage gallo-romain fait sur le sol, et ce sol a dû s'exhausser de 3 mètres 80 centimètres ; car telle est aujourd'hui la distance qui sépare le niveau de la cave de celui de la rue. D'autre part, le puits principal est comblé de terre mélangée de débris divers, jetés pêle-mêle, et ce désordre semblerait indiquer qu'il a déjà été fouillé. S'il en est ainsi, si rien d'humain ne se trouve au fond, soit ossements, soit vase funéraire, ne serait-ce "pas que des gallo-romains l'ont exploré et l'ont ensuite recouvert de briques de leur époque, dans le but d'asseoir là quelque construction ? Alors à quelle antiquité serions-nous reportés et ne faudrait-il pas conclure de ce fait et de l'exhaussement considérable du sol de la rue, que nous nous trouverions en présence d'un ouvrage celtique ? »


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M. le Président donne acte à M. Charpignon de sa communication dont plusieurs membres font ressortir l'intérêt; il l'engage vivement à continuer ses fouilles, et la Société, sur sa proposition, décide que. les explications qui viennent d'être fournies trouveront place au procès-verbal.

La Société est ensuite appelée à voter sur l'admission de M. le docteur Crimotel au titre de membre correspondant. Un membre demande si l'honorable postulant s'est obligé à remplir tous les engagements imposés aux membres correspondants. M. Lepage répond que M. le docteur Crimotel a pris cet engagement et que cela résulte de plusieurs lettres qu'il a entre les mains. Sur cette déclaration, la Société procède au vote et M. le Président déclare que M. le docteur Crimotel est admis au rang de membre correspondant. Avis lui en sera donné parles soins de M. le Secrétaire-Général.

Séance du 4 décembre 1868.

PRÉSIDENCE DE M. DE SAINTE-MARIE.

La séance est ouverte à huit heures par la lecture du procès-verbal de la précédente séance, lequel est adopté sans observation.

M. le Président fait connaître les ouvrages envoyés à la Société et dont suit la liste :

1" Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, 2e série, t. XI, 3e trimestre de 1868 ;

2° Bulletin de la Société d'Horticulture d'Orléans, n" 8 du t. II;


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3° L'Agronome praticien, journal de la Société d'Agriculture de l'arrondissement de Compiégne, n° de novembre 1868 ;

4° Bulletin des Travaux de la Société d'Agriculture de la Drame, 2e série, n° 32 ;

5° Maître-Jacques, Journal cVAgriculture publié à Niort. n° de novembre 1868;

6° Revue Agricole et Horticole, Bulletin de la Société d'Agriculture et d'Horticulture du Gers, n° 11, novembre 1868;

7° Observations de la Société d'Horticulture d'Orléans sur le hannetonage, brochure in-18* ;

8° Voyage du roi François Iev à Angers, par M. Armand Parrot, peintre d'histoire, brochure in-18;

9» Bulletin médical de l'Aisne, publié par la Société de médecine du département de l'Aisne, 1868, nos 2 et 3.

Depuis la dernière séance, aucune section ne s'est réunie.

M. de Sainte-Marie entretient la Société d'une nouvelle maladie qui s'attaque à la vigne. Il rappelle les ravages qu'a exercés l'oïdium et les nombreux remèdes, presque tous également impuissants, qu'on a tenté d'y apporter. Au moins cette maladie ne détruisait-elle pas le corps de la plante, et, en coupant soit la branche malade, soit la tige près de la racine, on pouvait y porter remède. Il n'en ' est pas de même de la maladie nouvelle qui envahit des clos entiers; elle s'attaque d'abord aux racines et au chevelu, et bientôt le corps de la plante entière se dessèche et passe à l'état d'amadou. Ce fléau n'a paru encore que dans le Midi, mais il est à craindre qu'il n'étende bientôt ses ravages dans d'autres contrées.

M. Jullien dit que cette maladie a été étudiée par M. Blanchon de Montpellier, lequel pense qu'elle est due à un puceron de la famille des aphis qui se loge dans les radicules de la vigne.

M. Rabourdin fait connaître qu'un champ de colza, appartenant à l'un de ses frères, ayant été envahi par des pucerons, il a conseillé de


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l'arroser avec du coltar (goudron de houille) mélangé de plâtre ou de sciure de bois. Ce mélange est très-peu coûteux, car le coltar se trouve à très-bas prix dans le commerce. L'essai a parfaitement réussi. Sans vouloir rien affirmer, M. Rabourdin pense toutefois qu'il serait bon de faire un essai semblable sur les vignes envahies par les pucerons, et cela vers le mois d'avril, avant la pousse. On aurait soin de déchausser légèrement les racines.

Contre la maladie de l'oïdium, le mémo membre dit avoir retiré un très-bon effet d'un badigeonnage sur les branches et parties atleinlcs. fait avec du lait de chaux uni à du sulfure de sodium.

Séance du 18 décembre 1868.

PRÉSIDENCE DE M. DE SAINTE-MARIE.

Après la lecture et l'adoption du procès-verbal de la séance précédente, M. Mignon demande la parole.

Il rappelle la discussion qui s'est élevée dans cotte dernière séance au sujet des divers moyens de préserver la vigne des maladies et des divers fléaux qui la menacent, en particulier de la gelée. A cette occasion il a été question de la quantité de ceps que pouvait contenir un arpent ou un hectare, et du prix des diverses espèces d'échalas. M. Mignon a pris, à ce sujet, près de plusieurs vignerons des environs d'Orléans, des renseignements qu'il fait connaître.

Il en résulte qu'un hectare de vignes contient 19,600 ceps et un arpent de 42 ares 21 centiares 8,273. Quant au prix des échalas et à leur durée, l'un et l'autre diffèrent suivant l'essence employée : on eu jugera par le tableau suivant :


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PRIX

ESSENCE. les 50 demi-bottes ou DURÉE. OBSERVATIONS, les 1,250 échalas.

[coeur de 11C, fr à 120 f^près Indéfinie. so*?Z\ZlkV7e

I de 10 cent, pièce \'&nbiev, qu'on remI

remI peu à peu par

1 le coeur de chêne.

r.T-TlK'F / ordinaire. 75 fr. ou 6 c. pièce. L'aubier On ne compte que 1/3

C11E.AL, i dure de coeur de chêne. C'est

I 5 à 6 ans. le chêne ordinaire

j qu'on emploie pour ies

I jeunes vignes ; il coûte

F moins que le coeur et

[ excite moins la conI

conI

CHATAIGNIER 85 f. ou 6 c. 1/2 la pièce. 16à20ans »

i Coeur de 110 fr. à 120 fr., près Indéfinie. Plus rare encore que

de 10 c. pièce. le coeur de chêne,

ordinaire. 75 fr. à 80 fr., 6 à 7 20ou22ans

cent, pièce. »

SAPIN 55 fr. à5S fr., 4 cent. 4 à 5 ans. Ce prix n'est que

1/2 pièce. moitié de celui du coeur de chêne.Le sapin dure 6 à 8 fois moins.

Après cette communication, M. le Président fait connaître les ouvrages envoyés à la Société depuis sa dernière séance :

1° Revue des Sociétés savantes des départements, t. VIII, n° d'août 1868;

2° Bulletin de la Société protectrice des animaux, n° de novembre 1868;

3° Mémoires d'Agriculture, d'économie rurale et domestique, publiés par la Société centrale d'Agriculture de France; année 1866, lre partie;

4° Mémoires de la Société d'Agriculture. Commerce, Sciences et Arts du département de la Marne, année 1867;

5° Bulletin de la Société d'Agriculture de Melun, n° 1er, 1868 ;

6° Journal de la Société impériale et centrale d'Horticulture de France, 2e série, t. II ; octobre 1868 ;


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7° Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d'agriculture de France , compte-rendu mensuel par M. Payen, 3" série, t. III, n°ll;

go Procès-verbaux de l'Académie des Sciences naturelles de Philadelphie, quatre numéros embrassant toute l'année 1867;

9° Rapport annuel du bureau des directeurs de la Société Smitlisonnienne, Washington, 1867, texte anglais;

10° Rapport annuel des conservateurs du Musée de .zoologie comparée du Collège d'Hartvard, à Cambridge, 1866 ;

11° Programme du Congrès celtique international qui doit ouvrir à Brest le 20 septembre 1869, et invitation d'y souscrire.

M. le Président donne lecture d'une lettre par laquelle M. le docteur Crimotel, demeurant à Paris, rue des Feuillantines, 90, accuse réception du diplôme qui lui a été délivré comme membre correspondant do la Société.

Depuis la dernière séance, aucune section ne s'est réunie.

M. Masure obtient la parole et donne lecture du travail dont il a déjà entretenu la Société dans la séance du 6 mars dernier, et qu'il n'a pu lire, comme il en avait annoncé le projet, à la réunion des Sociétés savantes tenue à la Sorbonne au mois d'avril suivant ; îl fait connaître son intention de lire à cette réunion, au mois d'avril prochain, ce travail qui est un extrait de son livre intitulé : Leçons élémentaires d'agriculture. Cet extrait a pour titre : De l'utilité de la classification des terres arables.

L'examen de cette étude est renvoyé à la section d'Agriculture.

Après ce renvoi, M. de Vauzelles donne lecture de quatre pièces vers.

Séance publique du 8 janvier 1869.

Présidence de M. DE SAINTE-MARIE.

Au mois de juillet dernier, la Société ayant arrêté que la remise de la médaille d'or décernée à l'auteur d'une Notice sur l'ancien prieuré


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de Flottin aurait lieu le 8 janvier 1869, en séance publique, elle s'est réunie aujourd'hui dans le heu ordinaire de ses séances.

L'insuffisance du local a contraint le bureau de restreindre les invitations dans des limites fort étroites. Sont présents à la séance : M. le Premier Président de la Cour impériale d'Orléans, M. le Préfet du Loiret, M. le Maire d'Orléans, M. de Nazon, adjoint au Maire d'Orléans ; M. Richault, président du Tribunal de commerce ; M. Petau, membre du Conseil général du Loiret; M. Tranchau, proviseur du Lycée d'Orléans ; M. Boucher- de Molandon, président de la Société archéologique de l'Orléanais ; M. Bouchet, directeur des contributions directes ; M. de la Taille.

M. le Premier Président et M. le Préfet du Loiret sont successivement invités à accepter la présidence. Tous les deux ayant décliné cet honneur, M. de Sainte-Marie les convie à s'asseoir au bureau , ainsi que M. le Maire d'Orléans, et déclare la séance ouverte.

Lecture est donnée du procès-verbal de la séance précédente, qui est adopté sans observations, et M. le Trésorier fait ensuite connaître les titres des ouvrages envoyés à la Société et qui sont les suivants :

1° Charte d'Agius, évêque d'Orléans au IXe siècle; l'ancienne chapelle Saint-Aignan, par M. Boucher de Molandon;

2° Notice sur quatre colliers et plusieurs autres objets galloromains trouvés dans la commune de Saint-Viatre, par M. L. de Buzonnière ;

3° La surveillance de la haute police de l'Etat; de sa suppression et des moyens d'y suppléer, par M. Frémont, conseiller à la Cour impériale d'Orléans.

Des remercîments sont votés par la Société aux auteurs de ces trois mémoires.

M. de Sainte-Marie, président, donne ensuite lecture de la copie transmise par M. le vice-recteur de l'Académie de Paris d'une lettre de M. le Minisire de l'instruction publique à la Société des sciences et arts d'Orléans. Dans cette lettre, M. le Ministre expose la proposition


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qu'il a faite à l'Empereur de fonder, dans chaque ressort académique, un prix de mille francs à décerner chaque année au meilleur travail d'histoire politique ou littéraire, d'archéologie ou de science, spécial à 1 étendue de ce ressort. Son Excellence réclame l'avis, à bref délai, de la Société sur ce projet et sur les meilleurs moyens d'y donner suite.

La question est renvoyée à l'examen d'une commission, composée du bureau de la Société et des présidents et secrétaires des quatre sections, et il est convenu que M. le Président écrira à M. le Ministre, de l'instruction publique pour lui faire connaître cette décision et l'impossibilité où est la Société de répondre à ses demandes dans le bref délai qui lui est imparti.

M. Frot, membre titulaire, consulte ensuite la Société sur l'opportunité qu'il y aurait à soumettre à sa section de médecine les questions suivantes :

1° Quel est, au point de vue de l'hygiène, le rôle que joue l'alcool dans le vin, dont il est un des éléments constitutifs?

2° Quelle est la proportion maximum d'alcool au-delà de laquelle le vin cesse d'être une boisson saine et hygiénique?

Invité à développer sa proposition, M. Frot le fait dans les termes suivants :

« L'alcool contenu dans le vin avait toujours été considéré comme remplissant deux rôles différents : d'une part il contribuait à donner à cette boisson ses qualités hygiéniques; de l'autre,il en constituait l'élément éminemment conservateur. Cette seconde propriété de l'alcool, connue de tout le monde, devait même, dans beaucoup de circonstances, être prisée à l'exclusion delà première. Tel était, entre autres, le cas des approvisionnements de la marine. Exposé à de très-longs voyages dans les latitudes chaudes, le vin expédié dans les colonies se conservait difficilement; aussi tous les marchés de la marine demandent-ils 14 degrés d'alcool. On sait que nos vins de France les plus chargés n'ont jamais au-delà de 12 degrés ; quant à la moyenne, elle est comprise


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entre 9 et 10 degrés. Il fallait donc additionner le vin naturel d'une assez grande quantité d'alcool pour répondre aux exigences du cahier des charges. Il en résultait une boisson moins franche, trop excitante et partant moins salubre ; mais c'était à ce prix seulement qu'il devenait possible de lui faire subir de longues traversées.

« Depuis les belles découvertes de M. Pasteur, cette propriété conservatrice de l'alcool mélangé au vin a perdu toute sa valeur. M. Pasteur a démontré que chaque maladie du vin provenait exclusivement de l'existence d'un mycoderme spécial à cette maladie, dont le développement était en raison directe de la multiplication de ce mycoderme. L'origine de la maladie une fois reconnue , deux remèdes se présentaient : ou arrêter le développement du parasite, ou, ce qui était plus radical encore, le détruire. Jusqu'à présent, les opérations consistant dans le soutirage , le collage, l'ouillage, le soufrage , le vinage , etc., avaient, je ne dirai pas pour but (ces diverses pratiques n'étant pas alors raisonnées), mais pour résultat d'arrêter le développement du mycoderme. Los circonstances changeant, la maladie dont le germe existait toujours , bien qu'à l'état latent, reprenait son essor. Aussi M. Pasteur, reconnaissant l'insuffisance des moyens employés, s'attacha-t-il non à paralyser le développement du mycoderme, mais à l'anéantir. Ses belles expériences sur les générations spontanées lui ont immédiatement fourni la voie dans laquelle il devait s'engager. C'est ainsi que ce savant fut amené à appliquer au vin la méthode déjà employée pour beaucoup de matières alimentaires : à savoir, le chauffage à une température déterminée par l'expérience.

« Beaucoup de grands industriels ont adopté cette pratique et s'en trouvent bien. En un mot, il est maintenent hors de doute que le vin, chauffé au préalable à 55° environ et conservé, autant que possible. hors du contact de l'air, se conserve indéfiniment.

« Dans ces nouvelles conditions, il est évident que le vinage devient inutile, du moins au point de vue de la conservation. Le rôle que joue l'alcool dans le vin se simplifie beaucoup, et l'on doit, avant tout, se


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préoccuper de constater ses propriétés hygiéniques. Les savants rédacteurs des Annales de chimie et de physique, MM. Dumas , Regnault, Wurtz, etc., ont prétendu qu'au-delà d'un certain degré relativement faible, 9 à 10 degrés, l'alcool mélangé au vin devenait nuisible. D'autres, M. Boussingault entre autres , regardent l'alcool comme un corps non assimilable à notre organisme et, partant, comme jouant uniquement le rôle d'un excitant. Il serait extrêmement utile , au point de vue de la santé publique, que l'on pût avoir sur ce sujet l'avis raisonné d'un certain nombre de médecins #qui, unissant à la science une pratique longue et reconnue, peuvent, avec plus d'autorité que des chimistes ou des physiciens, trancher la question. La section de Médecine de notre Société réunit toutes les conditions nécessaires pour résoudre cet important problème d'une manière définitive. »

Après avoir entendu cet exposé, la Société consultée décide que les questions posées par M. Frot seront renvoyées à l'examen de sa section de médecine laquelle se réunira à cet effet, le plus tôt possible.

M. Baguenault fait connaître que, depuis la dernière séance, la section d'Agriculture a renouvelé son bureau, et a nommé pour Président M. Perrot, et pour Secrétaire M. Poucin.

La parole est ensuite donnée à M. de Monvel, qui fait lecture de son rapport sur le concours ouvert par la Société sur une question d'histoire. A la fin de ce rapport, M. de Monvel annonce que le prix, consistant en une médaille d'or du prix de 400 francs, a été décerné à M. René de Maulde, élève de l'école des Chartes, auteur du mémoire couronné, lequel est une notice sur l'ancien prieuré de Flotin.

M. de Maulde, présent à la séance, reçoit la médaille des mains de M. le premier Président de la Cour impériale, et M. le Président de la Société lui adresse préalablement l'allocution suivante :

« En France toutes les Sociétés savantes ne suivent pas la même

ligne de conduite. Il en est qui, â l'époque des concours, posent des

questions précises et ne laissent à ceux qui descendent dans l'arène

aucune liberté pour le choix du sujet à traiter. Instruite par l'expéT.

l'expéT. 23


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rience, la Société que j'ai l'honneur de présider agit aujourd'hui différemment. Quand elle ouvre un concours d'histoire, elle laisse â chaque concurrent la liberté de choisir la question vers laquelle l'appellent ses aptitudes ou ses études préliminaires : elle accueille tous les sujets, qu'il s'agisse de la biographie d'un homme célèbre, de l'histoire d'une ville ou de celle d'une abbaye ou d'un prieuré. Elle n'exige qu'une chose, se conformant en cela aux intentions du Conseil général : c'est que le sujet, quel qu'il soit, ait trait à notre département. Pensée judicieuse, si je ne m'abuse, puisque, dans un grand nombre de communes, existent des monuments, des édifices, de vieux et vénérables restes, que l'action du temps détruit peu à peu et qu'il serait important de connaître, ou de mieux connaître, d'abord au point de vue historique, soit à raison des événements dont ils furent témoins, soit à cause de la divergence des opinions qu'ils ont soulevées. En outre, n'offrent-ils pas souvent l'occasion de mettre en relief des constructions où se reflètent les inspirations d'un goût éprouvé, où brille le sentiment de l'art toujours sobre .et mesuré même dans son épanouissement?

« Au cas particulier, vous avez dû, Monsieur, vous livrer à des recherches nombreuses et qui n'étaient pas sans difficultés. Le rapport dont vous venez d'entendre les principaux passages me dispense de faire ressortir le mérite de votre travail. Je tomberais dans des redites, et l'avantage serait pour un collègue qui sait proclamer la vérité sans qu'elle devienne blessante, et décerner l'éloge sans qu'il tourne à. la complaisance. Vous me permettrez du moins un conseil. Vous jouissez d'un heureux privilège : vous êtes jeune encore. Persévérez courageusement dans les études qui semblent avoir toutes vos préférences ; et vous aurez place parmi les hommes sérieux, dont les productions forment, au temps où nous vivons, un contraste si frappant avec certains écrits auxquels la presse donné trop souvent une regrettable publicité.

« J'ai-fini; mais pour que la médaille que vous obtenez ait à vos


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yeux plus de prix, je tiens à ce que vous la receviez des mains du premier magistrat de la cité. »

La Société décide que cette allocution sera insérée au procès-verbal.

La parole est ensuite donnée à M. Loiseleur, qui fait lecture d'une étude sur le château du Hallier, situé près de Boiscommum, dans l'arrondissement de Pithiviers. Les ruines de ce château, ainsi que son plan par terre et les divers détails de sa construction ont été reproduits par M. Pensée, Membre de la Société, dont les dessins ont été exposés dans la salle des séances à l'occasion de cette lecture.

M. le Président propose, par exception à l'art. 30 du règlement, et conformément à ce qui s'est précédemment pratiqué pour d'autres lectures faites en séance publique, que la notice de M. Loiseleur soit insérée dans les mémoires, sans être renvoyée à l'examen de la section des lettres.

M. Sainjon abonde dans le sens de M. le Président, et prétend même que le règlement permet l'insertion d'un mémoire, sans renvoi préalable à la section des lettres. Il demande que son opinion, contre laquelle M. le Président proteste, soit mentionnée au procès-verbal.

La Société décide que l'étude sur le château du Hallier trouvera place dans ses Mémoires, ainsi que les trois dessins de M. Pensée dont ce dernier veut bien offrir de faire gratuitement la réduction.

La même décision est prise ensuite à l'égard de quatre pièces de vers, dont M. de Vauzelles, leur auteur, fait lecture.

M. Baguenault obtient alors la parole et donne lecture d'une note sur l'utilité des petites cultures.

Il sera statué, dans la prochaine séance, sur l'insertion de cette note dans les Mémoires, ou sur son renvoi à la section compétente.

A la fin de la séance, M. le premier Président, M. le Préfet et M. le Maire d'Orléans adressent des compliments à la Société et aux auteurs dont les études viennent d'être entendues.

La séance est levée à neuf heures et demie.


356

TABLE.

Pages. TROISIÈME NOTICE sur quelques plantes du département du Loiret, par M. NOUEL 5

DE LA MOBILITÉ DES GOÛTS LITTÉRAIRES , par M. BAGTJENAULT DE

VlÉVTLLE 19

RAPPORT sur cette étude, par M. LOISELEUR. 35

NOTE SUR UNE MACHINE A AMMONIAQUE, par M. FROT 40

POÉSIES, par M. LUDOVIC DE VAUZELLES 71

NOTES HISTORIQUES SUR L'ANCIEN PRIEURÉ DE FLOTIN, par M. RENÉ DE MAULDE 79

RAPPORT SUR CE MÉMOIRE , par M. B. DE MONVEL 151

PROCÈS-VERBAUX des séances de la Société du 3 avril au 3 juillet 1868 164

LE CHATEAU DU HALLIER, par M. JuLES LOISELEUR 177

RAPPORT par M. le docteur LEPAGE sur la BIOSCOPIE ÉLECTRIQUE de M. le docteur CRIMOTEL , comme moyen de distinguer la mort réelle de la mort apparente et d'éviter des inhumations prématurées 225

NOTICE SUR LES MAÎTRES EN CHIRURGIE DE LA VILLE D'ORLÉANS

jusqu'en 1789 , par M. le docteur CHARPIGNON 251

RAPPORT sur l'étude qui précède, par M. le docteur J. MIGNON . 275

LES PETITES CULTURES , par M. BAGUENAULT DE VEÉVILLE 283

LA SURVEiLLANCE DE, LA .HAUTE POLICE, DE L'ÉTAT, DE SA SUPPRES.

SUPPRES. DÈS-MOYENS ;D 7 Y SUPPLÉER, par M. FRÉMONT . . 290

PROCÈS-VERBAUX des s'éaàces là Société du 18 juillet 1868 au 8 janvier 1869 .. .:i'::?:v'.VÎ. Y.. '.'... I'. -^"v^if. .i..-;......... 332