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Notice complète:

Titre : Mémoires de la Société d'agriculture, sciences, belles-lettres et arts d'Orléans

Auteur : Académie d'Orléans. Auteur du texte

Éditeur : [s.n.] (Orléans)

Date d'édition : 1863

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344123693

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344123693/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 27234

Description : 1863

Description : 1863 (T7,SER2,N1)- (T7,SER2,N6).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Centre-Val de Loire

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k57319606

Source : Académie d'Orléans, Z-28604

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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MEMOIRES

DE LA

SOCIETE D AGRICULTURE ,

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS U'0RLÈ4I\S.

SECONDE SERIE.

%0M vu, __ db° i:

(4e Série des travaux de la Société. — 38e Vol. de la collection.)

1863.

Ces MÉMOIRES pararissentpar cahiers de trois à quatre feuilles d'impression. Six numéros i cahiers forment on volume. Om s'abonne pour deux volumes, qui se publient ordinairement t deux ans. Le prix de l'abonnement, FRANC oe TORT, est de 10 fr. pour Orléans, de 42 fr. uir toutes les villes de la France, et de 15 fr. po-r les pays étrangers.

On souscrit, â Orléans, chez M, PELLETIEïA-SAUTELET, docteur en médecine, SecrétairciuéraldelaSoeu !i:, et chez Emile .PDG ET et Cî 0, imprimeurs, rue de la Viciile-ï'otLTic, 9, iclusivement chargés de l'envoi des MÉMOIRES.

LES ABOJSWiïMKNS SE jPArENT ÏÏ'AVANCK.

VOUÏ obtenir le titve Ae Correspondant Se la Société,

faut 4° Être présenté par trois membres titulaires; — 2° taire hqm,m,a,gc y hi So ouvrage ou mémoire manuscritou imprimé; — 3° S^bonner'à ses MÉMOIRE. i° S'engager à fournir chaque année un IravsiJ à la Société.


Des Membres correspondans nationaux et étrangers de la Société.

JIM.

ADUCHARRO (d'), à Tolosa. ANDRADA(Alvarès d'), à Paris. ALVOT, A Limoges.

BAILLY, a Châteaurenard. BALME, A Lyon. BARD, à Pans. BAUDOUIN, à Eisenacli. BEAUCHÊNE, à Romoranlin. BEAUVALLET, à Villeny. BEAUVILLIERS, à Gaubertin. BÉHAGUE (DE) , à Dampierre. BELL, a Londres. BERGERON d'ANGUY, A Paris. BOBÉE , à St-Denis de-l'HÔlel. BOISSARD, A Châteauroux. BOVCHARLAT, à Paris. BOUCHERDE PERTHES, Abbeville. B. BOUTET DEMONVEL, à Paris. BRUNAUD, auBlanc.

OAILLAUX, à Bordeaux. CHABERT, à Mexico. CHARPENTIER, à Guérigny. CHARPENTIER, à Valenciennes. CHAUFTON, à Persac. CHOLET, à Beaune la-Rolande. CIVIALE, A Paris. CORNAZ, à Ncufchâtel {Suisse). COUDRET, à Paris.

COUTY DELArOMMERAIS, à Neuville.

Neuville. à Narni.

DANOT, à Lorient. DARDÉ, à Curcassonne. DAVEZAC, à Oury. DEBREUZE, à Melun. DELACROIX, à Cuutommiers DESCOURTILS, à Paris. DESMARETS, « Paris. DESSIAUX, à Issoudun. DOUBLET DE BOISTIIIBAULT , à

Chartres. DOYEN, à Paris. DUCHF.SNE, à Paris. DUVAL, à Paris.

MM.

VAyE,àBourOon-l'ArchambauU. FÉE, à Strasbourg. FERCOQ, àHam. FISCHER, à Saltzbourg. FONTENELLE (de la), à Poitiers. FORMEY, à Berlin. FRANCK, à Wilna.

GABION, à Paris.

GATIAN DE CLÉRAMBAULT ,

Tours. GALLISSET, à Paris. GENDIION, à Vendôme. GILLET-DAMITTE, à Autun. GILLEBERT, A Lyon. GIRAUDY, à Pans. GISTEL, à Ratisbonne. GIROUARD, à Chartres. GRASSET, A La Charité.

HÉRÉ, à Saint-Quentin. HÉRICART-FERRAND, A Paris. HERPIN, A Metz. HOSSEINE, à Téhéran. HUBERT-VALLEROUX, à Paris. HURTADO, à Madrid.

JACQUEMYNS, à Dadizeete. JEHAN-DE-ST-CLAVIEN. JOURDAN, à Paris.

KERAUDREN, à Pans. KIRKHOFF. à Anvers.

LAPEYROUSE, à Troyes.

LAURENT, à Paris.

LEGRAND, à Paris.

LEJEUNE, à Chartres.

LELIÈVRE, à Paris.

LEROY, à Nangis.

LESAGE, A Evr'eux.

LIETARD , à Plombières.

LOISELEUR, à Paris.

LORINDE CnAFFii-', à Beaugency.


MÉMOIRES

DE

LÀ SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE,

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS D'ORLÉANS.


NOTE BIBLIOGRAPHIQUE. — TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ.

La première série des travaux de la Société, sous le titre de BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES PHYSIQUES, etc., renferme tout ce qu'elle a publié depuis son établissement, en avril 1809, jusqu'aux événements politiques de la fin de 1813, par suite desquels ses réunions ont cessé.

Dans la seconde, dont le premier volume a pour titre ANNALES DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS, et dont le second et les suivants portent celui de ANNALES DE LA SOCIÉTÉ ROYALE, etc., sont contenus tous les travaux qu'elle a adoptés depuis sa réorganisation, en janvier 1818 jusqu'en 1837, où cette série dût être close, beaucoup de ses livraisons se trouvant épuisées.

La troisième, intitulée MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ ROYALE, etc., et à partir du tome vm, MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES, etc., s'étend jusqu'à la fin de 1852, où' la Société crut devoir modifier son titre et changer le format de son Recueil.

La quatrième, qui se publie sous le titre de MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE, etc., a commencé avec 1853.

Le BULLETIN, qu'on ne trouve plus en librairie depuis 181S, et dont les exemplaires complets sont rares, se compose de sept volumes formés de 43 numéros qui ont paru de mois en mois, le premier en juin 1810, et le dernier en décembre 1813. Chaque volume comprend six cahiers. Le seul tome in a de plus un supplément ou un septième numéro, ce qui élève le nombre des pages à 364. La pagination du tome vi recommence pour les deux derniers numéros. Cette seconde partie, avec répétition du titre du volume et la table des deux parties, contient 108 pages ; la première en a 184. Le BULLETIN n'a qu'une planche, elle appartient au tome v.

Les ANNALES forment 14 volumes composés chacun de six numéros, dont le premier a paru en juillet 1818.

Le premier et le troisième volume ont chacun une planche, le quatrième en a deux, le sixième une, le septième trois, le neuvième deux, le onzième sept, le douzième neuf, le treizième huit et le quatorzième une. Le titre du premier volume, qu'on trouve en tête du sixième ou dernier cahier, porte par erreur la date de 1819; c'est 1818 qu'il faut lire.

Les MÉMOIRES (1837-1852), qui ont paru aussi par| livraisons, comprennent dix volumes; le premier renferme cinq planches, le deuxième en a huit, le troisième une, le quatrième trois, le cinquième sept, le sixième deux, le septième une, le huitième trois, le neuvième deux et le dixième dix-sept.


MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE,

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS D'ORLÉANS,

TOME SEPTIÈME.

ORLEANS,

IMPRIMERIE D'EMILE PBGET ET C!c, RDE VIEU.LE-POIERIE . U.

1863.



MEMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE, SCIENCES, BELLES-LETTRES

ET ARTS D'ORLÉANS.

ÉTUDE

SDR LES EXPÉDITIONS DE J. CÉSAR DANS LES CARNUTES (*);

Par M. DE MONVEL.

Séance du 22 novembre 1861.

La Société d'agriculture, sciences, belles-lettres et arts d'Orléans a reçu, l'année passée, une circulaire de Son Excellence M. le Ministre de l'instruction publique et des cultes contenant une invitation, pour toutes les sociétés littéraires et savantes, de soumettre aux recherches de leurs membres les diverses questions d'histoire et de géographie ancienne ou moderne, qui pourraient intéresser leurs localités. Membre de la commission désignée dans ce but par la Société d'Orléans, nous avons entrepris un travail sur les origines de notre glorieuse cité; mais nous n'avons pas tardé à reconnaître que nos recherches prenaient dès les premiers pas une direction plus large, et nécessitaient un cadre plus vaste que le but que nous nous étions d'abord proposé.

(*) La Société, en votant l'impression de ce travail dont elle n'admet pas les conclusions, a voulu rendre hommage à l'érudition profonde que M. de Monvel a déployée dans l'examen d'unequestion qui se recommandait surtout à elle, par son importance et son actualité.

[Note de la Section des lettres.)


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En effet, pour trouver l'origine d'Orléans, qui joue dans l'histoire de France un rôle si important, que, dès l'enfantement de notre nationalité, elle n'est rien moins qu'un royaume, il faut remonter à travers le dédale des Césars jusqu'à la grande époque où la Gaule palpitante se débat sous l'étreinte de cette Rome, dont elle avait un jour failli anéantir les grandes destinées; il faut s'efforcer de démêler à travers une tradition de vingt siècles où se sont accumulés les récils contradictoires, la part que cette cité a pu ou n'a pas pu prendre dans cette grande lutte, et tâcher de saisir avec précision le moment où elle secoue la suprématie chartraine pour s'acheminer à son rôle glorieux quoique éphémère de royaume d'Orléans.

Il y a donc dans ce problème historique deux faces distinctes. Nous entendons quant à présent ne traiter que la première ; la seconde étant l'objet d'un concours (1) ouvert par notre Société, et auquel notre titre de membre nous interdit de prendre part.

Combattue par de graves autorités, par la savante société de Trévoux, par l'abbé Lebeuf, un des membres les plus doctes et les plus laborieux de l'ancienne Académie des inscriptions et belles-lettres, par le savant géographe Maltebrun, et par beaucoup d'autres, mais soutenue par Adrien de Valois, par Lancelot, par l'illustre d'Ànville, par le savant professeur et éditeur E. Lemaire, ici même par feu notre collègue M. Jollois, par M. Amédée Thierry, et en dernier lieu par M. Henry Martin dans sa belle Histoire de France, l'opinion qu'Orléans ait été, sous le nom de Genabum, la cité gauloise qui a donné le signal de la dernière lutte, semble avoir triomphé définitivement et sans, appel. Sans appel, non ; car cette opinion, malgré notre profonde obscurité, nous allons, quoique Orléanais de coeur, sinon de naissance, chercher, dans l'intérêt de la vérité seule, à en démontrer le peu

(1) Ce concours a été fructueux et nous a valu le beau et intéressant travail de M. Auguste Baillet, couronné et inséré tome v des Mémoires de la Société, p. 241.


de fondement, persuadé qu'on a fait fausse route dans ce débat, de peu d'importance d'ailleurs pour tout autre qu'un Orléanais, pour y avoir introduit une foule d'autorités étrangères et suspectes, quand on avait sous les yeux, et dans l'écrivain le plus pur peut-être de tout le grand siècle latin, le summus auctorum, et jugé tel par Tacite (1), un narrateur aussi élégant, aussi clair qu'exact et circonstancié.

Un des écrivains que nous nous efforcerons de réfuter (2) en est venu jusqu'à dire presque que César devait être écarté de la question, se faisant fort, pour ainsi dire, de la résoudre avec d'Anville, Cassini et l'itinéraire d'Antonin. Quant à nous, dans un récit fait par César, nous ne prendrons d'autre guide que César lui-même, non pas dans tel ou tel chapitre isolé, mais dans son récit tout entier, où les faits s'enchaînent avec tant d'art et de sincérité tout ensemble, que tous les livres et tous les chapitres y sont en quelque sorte solidaires I'UD de l'autre. Suivant le précepte du savant M. de Saulcy, nous nous sommes familiarisé avec la disposition des lieux, et si quelque explication nous est nécessaire sur des usages particuliers aux Romains ou aux Gaulois, nous n'irons pas la chercher dans les commentateurs, qui, le plus souvent, éludent les difficultés sérieuses, et, à force d'explications et de détails oiseux, rendent obscurs les passages les pins clairs, nous recourrons simplement aux auteurs romains ou grecs les plus rapprochés de César et de son temps, écartant, avec soin et combattant les savants qui semblent avoir pris à tâche de confondre l'époque gallo-romaine avec celle de J. César.

Pour éclaircir cette étude et rendre plus sensibles les aberrations, l'Odyssée vagabonde que, faute de s'appuyer sur son texte, ou en l'interprétant mal, on a imposée à César, nous complétons notre travail par une Carte de l'expédition dans les Carnutes, dressée sur les indications comparées de César, de Pline et de d'Anville, et nous avons soin de n'y faire figurer que les contrées

(1) TACIT. Gcrmania, cap. xxvin.

(2) M. JOLLOIS, Mémoires sur les antiquités d'Orléans, p. 87.


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et les villes expressément désignées dans les Commentaires. En nous resserrant dans ces limites, nous croyons avoir compris et nous nous sommes efforcé de remplir de notre mieux les intentions de l'auguste volonté qui, en provoquant les études et les recherches sur la Gaule au temps de Jules César, a fait appel à toutes les intelligences, les plus humbles comme les plus renommées.

I. — Situation et étendue des Carnutes.

Les Carnutes qui, dans le temps de J. César, occupaient le centre de la Gaule (1) encore insoumise, couvraient de forêts presque ininterrompues ce que nos géographes appellent aujourd'hui le plateau d'Orléans. Cette sombre et sauvage contrée, riche actuellement de vignobles et de moissons si fertiles qu'elles lui ont valu le surnom de grenier de la France, se hérissait alors de bois presque impénétrables dont les forêts actuelles d'Orléans, de Rambouillet, de Dourdan, etc., ne sont plus que les vestiges. Couvrant le sol bien au-delà des limites de l'Orléanais et du pays Chartrain que leur assignent le commun des auteurs et notamment l'Orléanais F. Lemaire, ces forêts réunissaient une fois l'an l'assemblée du collège des Druides (2), qui y terminaient tous les différends de la contrée et des pays voisins par des jugements et des décrets sans appel.

Prenant sa base au sud sur la rive droite de la Loire, dont elle gardait les passages, cette contrée s'étendait au levant jusqu'au point déprimé où la Trézée, canalisée en 1628, marquait la séparation entre les derniers contreforts de la chaîne du Morvan et de la montagne de Gien, où commence le plateau d'Orléans. Suivant l'inclinaison du sol, elle se dirigeait ensuite vers le nord, laissant aux Senonais, ses voisins, le cours du Loing, et prenant sur ce

(1) Commentarii, lib. VI, cap. xm. Qum regio totius Gallioe média habelur.

(2) Commentarii,\ih. VII, cap. xm. Eorumquejudiciis decrelisque parent.




point pour limite le village de Feins, Fines, d'où elle se dirigeait par un angle au nord-est sur Pithiviers-le-Vieil, Fines, sur Saclas (Salioclita), en longeant le territoiredes Parisii, puis sur Rambouillet, su.TT)oxivàan(J)ivodurum), où elle atteignait son point le plus septentrional. Là elle revenait à l'ouest sur Dreux, (flurocasses), sur Séez (Sesuviî), plateau où prennent leur source, l'Eure qui traversait les Carnutes dans plus de la moitié de son cours, et l'Iton qui appartenait tout entier aux Aulerques Eburovices. De Séez, les Carnutes suivaient le cours de l'Huisne qui leur servait de limite pendant près de 52 kilomètres, puis ils venaient couper le Loir qu'ils laissaient aux Aulerques Cénomans, s'arrêtaient à quelques kilomètres de Baugé(/mes), puis traçant un angle aigu à l'est venaient prendre fin sur la rive droite de la Loire, en face d'Amboise ÇAmbacia). Ces limites, tracées en quelque sorte par la configuration naturelle des lieux, conformes à celles indiquées par la carte de d'Anville (1), sauf réserves, se rapportent d'un autre côté parfaitement aux excellentes cartes physiques de France données par MM. Dussieux et Drioult, et

(1) Lorsque, par exemple, d'Anville soutient que Gien n'a pu faire partie des Carnutes, parce que de son temps il faisait partie du diocèse d'Auxerre. Il est vrai que les diocèses ecclésiastiques ont été généralement conformes aux diocèses impériaux. Mais cette règle a subi de nombreuses exceptions, surtout pour les diocèses épiscopaux comme Auxerre qui n'est que du vie siècle, et Gien, séparé du Nivernais par le bassin de la Trézée est évidemment et géographiquement la tête du plateau d'Orléans ou des Carnutes. De plus, quelques fluctuations qu'il ait éprouvées dans les temps féodaux, sous le rapport de l'attribution diocésaine, Gien, sous celui de l'attribution civile, n'a pas cessé de faire partie de l'Orléanais. C'est ainsi qu'en 561, Gien est compris dans le royaume d'Orléans et de Bourgogne. (MARCHAND. Mémoire sur la Ville et les Seigneurs de Gien. p. 6). Cédé comme fief^r Gontran à saint Aunairea évêque d'Auxerre, il est repris par Charles-Martel en 715, l'évêque d'Auxerre ne gardant plus que la suzeraineté spirituelle qu'il conserve jusqu'en 1791. Mais Gien n'en fait pas moins partie du gouvernement général de l'Orléanais, dès que l'état de la France se régularise, c'està-dire sous le règne de Charles VII. (Id. p. 33.)


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aux indications de J. César. (1) Us n'avaient nul territoire audelà de la Loire ; Pline est formel à cet égard.

Les Carnutes comprenaient ainsi dans les départemens du Loiret et de Loir-et-Cher tout ce qui est au nord de la Loire, sauf le bassin du Loing, une partie des déparlements de Seine-etOise, de l'Eure, de l'Orne, de la Sarthe et la totalité du département d'Eure-et-Loir.

A raison même de l'étendue de leurs forêts, les Carnutes étaient un pays pauvre, obligé de se placer sous la clientèle des Rèmes, Rémi (2) et comme, à raison de cette pauvreté, ils avaient plus besoin des autres que les autres n'avaient besoin d'eux, ils avaient été forcés, pour ne pas obliger les riches peuplades des Senonais et des Eduens à s'engager dans leurs interminables forêts, à placer leur marché {Vt> ipitâpiov KapvuQuv — Strabon) à leur extrême frontière, et sur la Loire.

Leurs villes devaient être peu nombreuses, et c'est un fait digne de remarque que César n'en nomme qu'une seule, Genabum. Cela donne lieu de conclure, comme nous prétendons le faire, que cette ville était sur la limite extrême du territoire Carnute. Plus centrale, sa prise eût entraîné celle d'autres places ou bourgades, car il y en avait certainement d'autres, et H. Pansa (3) dit expressément que, à la suite de l'affaire iïÀlesia, les Carnutes avaient été forcés à l'abandon d'un certain nombre de places fortes. Les Romains prenaient ainsi position autour de ce centre forestier, redoutable par son impénétrabilité, jusqu'au jour où, sous le règne de Claude (4), ils firent invasion dans les Carnutes, qui n'opposèrent aucune résistance, pour y renverser les autels Druidiques.

(1) Commentant,lib. II, cap. xxxv, lib. VI, cap. H et m.

(2) Ibid., lib. VI, cap. iv. Usi deprecatoribus Remis, quorum erant in clientela.

(3) Commentant, lib. VIII, cap. v. Nuper enim devicti comphira oppida dimiseranl.

(4) SUETON. Claud. cap. xxv. Druidarum religionem apud Gallos, diroe immanitatis... penilus abolevit.


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La constance ou, si l'on veut, l'opiniâtreté de cette grande peuplade celte est remarquable, quoique son esprit militaire soit douteux, au moins en ce qui concerne les Genabes. En effet, battus et dispersés à plusieurs reprises, les Carnutes n'en sont pas moins les derniers à accepter la domination de César (1); mais en même temps la résistance ouverte et à main armée leur est presque inconnue, et après avoir pour toute déclaration de guerre, commis une série d'assassinats qu'excuse peut-être la série de vexations et d'artifices qui les avait, sans combat, dépouillés de tous leurs droits, ils n'ont pas même l'idée d'une démonstration de résistance contre l'armée chargée de venger et de. punir ces attentats (2). Ce sont des barbares dans toute la force du terme, et des barbares endoctrinés et avilis par des prêtres sanguinaires, dont on s'efforce aujourd'hui de faire une sorte de conseil d'amphictyons néoplatoniciens.

SI. — Premiers rapports de J. César avec les Carnutes.

Mais, malgré leur pauvreté, les Carnutes, par leur position centrale qui commandait les abords de la Loire, ne pouvaient être laissés de côté par le conquérant des Gaules, et c'est un spectacle curieux à suivre, dans les Commentaires de J. César, que les vexations successives par lesquelles il les pique, les provoque, les harcèle pour les acculer en quelque sorte à l'acte brutal de violation du droit des gens qui devait consommer leur ruine. Il développe ici toute l'astuce, toute la sagacité et toute la feinte modération de sa nature si franchement romaine.

Son premier appel de pied, si l'on veut nous permettre cette expression d'escrime, c'est d'aller placer ses légions en quartier d'hiver sur leur territoire, encore intact et étranger pour lui, pour surveiller de là les Sézuviens, et les Aulerques, Eburovices

(1) Commentant, lib. VIII, cap. xxxi.

(2) Ibid., lib. VII, cap. xi. Veritus ne noclu ex oppido préjugèrent.


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et Cenomans (1), encore frémissants sous le joug inaccoutumé que venait de leur imposer son lieutenant Crassus. Etre voisin de César, c'était être son sujet ; aussi non content de la violation de territoire, il ne manque pas d'intervenir aussitôt dans les querelles intestines de la peuplade, et de s'y poser en arbitre souverain. Il avait plu aux Carnutes de déposer leur chef de clan Tasgetius (2) ; il plaît à César de le rétablir et, les Carnutes s'étant défaits, par le meurtre, de ce roi imposé, César d'envoyer incontinent un lieutenant et une légion pour faire office d'instructeur, de juge et d'exécuteurs. (3)

Ces provocations incessantes, cette ingestion intolérable dans les affaires d'un peuple qui se croyait encore libre, puisqu'il n'avait pas encore été attaqué, devaient porter leurs fruits. Et cependant, plus modérés alors et mieux conseillés qu'ils ne le furent plus tard, les Carnutes s'abstinrent de tout acte de violence, et se bornèrent à s'associer conjointement avec les Senonais, et plutôt de voeux que de fait, à la levée de boucliers dTnduciomarus (4). Celui-ci vaincu et tué par Labienus (5), les Carnutes qui, comme nous l'avons dit, n'avaient rien compromis, se bornent à continuer leurs intelligences avec les Senonais (6), et leur seul acte significatif est de s'abstenir, de concert avec ceux-ci, du grand conseil que César avait convoqué à Lutèce(7). L'absence volontaire de ces derniers, déjà soumis, était un refus d'obéissance formel, aussi César n'hésite-t-il pas à entrer en armes sur le territoire Senonais, et à faire pressentir pareille

(1) Commentant, lib. II, cap. xxxv. Ijjsein Carnutes, Andes Turonesque, quoe civitates propinquoe his lociserant ubi bellum cesserai, legionibus in hiberna deductis, in llaliam profectus est.

(2) Commentant, lib. V, cap. xxv.

(3) Il est fort à regretter que César ne désigne pas par son nom la ville, témoin de cette révolution. Est-ce Chartres, ou Dreux, ou Nogent-leRotrou ? car les Carnutes, suivantPline, formaient une confédération.

(4) Commentant, lib. V, cap. LVI.

(5) Ibid., lib. V, cap. LVIII.

(6) lbid., lib. VI, cap n.

(7) lbid., lib. VI, cap. m.


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exécution aux Carnutes, sur qui cependant Rome n'avait encore acquis aucun droit. Grande terreur dans les deux clans Gaulois, fuite d'Accon qui, plustard(l), devait payer de sa tête le conseil de refus d'assistance à l'assemblée de Lutèce (2), puis grande comédie de clémence de la part de César qui, pressé d'en finir avec les Trévires soulevés par Induciomarus (3), feint de pardonner à la fois aux Senonais et aux Carnutes, à la prière des Eduens et des Rèmes. Les Carnutes devront comprendre par ce pardon que, sans avoir été ni combattus ni soumis, ils sont désormais dépendance de Rome, et forcés de fournir leur contingent (4) contre la Gaule et contre eux-mêmes.

III. — Soulèvement de toute la Gaule celtique et meurtre des citoyens Romains à

Genabum.

César, après avoir châtié et soumis les Trévires (S) était revenu présider un grandoconseil4à Durocortorum (Reims), peuple tout dévoué à Rome. Après avoir disposé ses légions de telle sorte qu'en se refaisant dans de bons quartiers d'hiver, elles pussent contenir le pays (6), et se flattant d'avoir pacifié les Gaules (7), il était retourné dans la Cisalpine pour y remplacer les vides que fait toujours la victoire dans la meilleure armée. Mais la pacification des Gaules n'était encore qu'une illusion. Le système de perfidies mêlées de violences qu'avait jusque-là employé César, surtout avec les peuplades centrales, appelait une réaction inévitable. Elle éclate en effet et terrible dans les populations

(1) Commentant, lib. VI, cap. XLIV.

(2) lbid., lib. VI, eap. iv.

(3) lbid., lib. VI, cap. v.

(4) lbid., lib. VI, iv. équités imperat civitatibus.

(5) lbid., lib. VI, cap. v ad cap. XLIV.

(6) lbid. 2 légions dans les Trévires, 2 chez les Lingons, 6 à Agendieum. Les Carnutes, trop pauvres de ce côté, étaient contenus par les 36,000 h. de Sens.

(7) Commentarii, lib. VII, cap. î. quieta Gallia.


u -

intactes d'Outre-Loire, qui voyaient se resserrer autour d'elles l'inexorable cercle de fer, et chez les Carnutes, indignés des manoeuvres dont, sans défaite subie, ils se trouvaient victimes.

Les Senonais, écrasés par la garnison de six légions qui pesait sur leur capitale Agendicum (Sens), les Lingons, contenus par les deux légions placées dans leur ville principale, étaient obligés de feindre une obéissance qui était bien loin de leur coeur. Les Eduens, le peuple le plus important du centre, étaient maintenus dans une fidélité, apparente seulement, par les égards calculés que leur avaient toujours montrés les Romains. Mais les Carnutes, plus loin de la surveillance, s'affranchissent en vrais barbares, et, imitant, sur une moindre échelle, l'exemple donné quelques années avant par Mithridate (1), à jour donné ils égorgent, dans Genàbum, tous les citoyens romains que le négoce avait attirés dans cette ville (2), et entr'autres un chevalier Colta que César avait, délégué aux achats de vivres de l'armée (3).

A ce signal meurtrier répond un homme de grand coeur, et de talent à lutter sans désavantage contre César, Vercingetorix l'Arverne (4) qui lui du moins lève noblement l'étendard de l'indépendance Gauloise. Ses premiers efforts sont paralysés par l'inertie de ses propres compatriotes, tremblants à la seule idée d'appeler sur leur territoire encore vierge les armes Romaines, et avec elles la servitude. Banni de sa ville natale par le propre frère de son père, Vercingetorix ne désespère pas de sa cause. Il la prêche en plein champ, sous le ciel de ses montagnes, et voit bientôt accourir à lui non-seulement tous les peuples d'OutreLoire jusqu'à l'Océan, mais même les Senonais et les Parisii, malgré les formidables garnisaires d'Agendicum (S). Les Bituriges vont bientôt se joindre à la ligue (6). Les Eduens seuls gar(1)

gar(1) avant J. C.

(2) Nous avons dit, chap. Ier, quel était ce négoce.

(3) Commentant, lib. VII, cap. m.

(4) lbid.,\ib. VII, cap. iv.

(5) lbid.

(6) lbid., cap. v.


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dent aux Romains une foi suspecte (1), ainsi que les Sequanes trop éloignés. Les Renies seuls restent alliés sincères. Quant aux peuplades du Nord, écrasées par les désastres de la dernière campagne, elles attendent les événements.

Le plan des confédérés était aussi hardi que sagement combiné. Profiter de l'absence de César pour détruire ses légions sans chef, en les attaquant successivement dans leurs quartiers, et en même temps saccager la province Romaine, d'où César ne pourra plus tirer ni secours ni ravitaillements. Aussitôt à l'oeuvre, le lieutenant de Vercingetorix, Lucterius le Gadurque, s'affilie une partie des Ruthènes (2), les Nitiobriges (Àgenois), les Gabales, (Gévaudan) et la Narbonnaise est menacée d'invasion, pendant que Vercingetorix, cherchant à se rapprocher des Carnutes, s'est établi dans les Bituriges entièrement soulevés (3).

IV. — Retour de César.

Quoique les troubles de Rome, apaisés par le concours encore amical de Pompée, rendissent à César sa liberté d'action, celui-ci n'en était pas moins dans une conjoncture perplexe. S'il appelait à lui ses légions, il les exposait à combattre en son absence ; si de son côté il partait pour les rejoindre, il risquait d'être enlevé chemin faisant par des alliés dont il connaissait parfaitement les dispositions douteuses (4). Mais aussi prompt à percevoir les difficultés qu'à y trouver le remède, il arrive à Narbonne par le chemin de la Corniche, rassure par sa présence les indécis, double les garnisons chez les Ruthènes provinciaux, chez les Volques Arécomiques, chez les Tolosates, et donne rendez-vous chez les Helviens (Vivarais) tant aux troupes qu'il a déjà levées en Pro(1)

Pro(1) lib. VII, cap. V.

(2) ROUERGUE. L'autre partie était comprise dans la province Romaine.

(3) Commentarii, lib. VII, cap. v et vu.

(4) lbid., lib. VII, cap. vi. Ne iis quidem, qui eo lempore pacali viderentur, smm salutem recte committi videbat.


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vence qu'aux recrues qu'il amène d'Italie (1). Ces premières mesures suffisent pour faire rétrograder Lucterius. Mais, peu sûr de ses nouvelles troupes et jugeant impraticable avec elles sa jonction ouverte avec les garnisons des Lingons et d'Àgendicum, César se rend de sa personne chez les Helviens, franchit, au plus fort de l'hiver, grâce au dévoûment infatigable de ses conscrits, les Cévennes couvertes de six pieds de neige, et il tombe à l'improviste au milieu des Arvernes, qui se croyaient abrités par les Cévennes comme par une muraille, et qui ne pouvaient croire qu'un homme, fût-il seul, pût, dans cette saison, en franchir les gorges(2).

Effrayés de cette apparition, les Arvernes conjurent le proscrit Vercingetorix de venir les défendre, et celui-ci, oublieux des injures comme tous les nobles coeurs, quitte son campement dans les Bituriges, et vient prendre position sur les versants d'Arvernie. Mais César était déjà loin. Prévoyant le mouvement du chef Gaulois, et dans le but de l'isoler de ses confédérés, il était parti, sous prétexte de réunir un renfort de cavalerie, laissant ses légions de recrues sous le commandement du jeune Brutus, avec l'ordre d'étendre le plus loin possible les ravages de sa cavalerie, et promettant, pour mieux dérober sa marche, d'être de retour sous trois jours (3). Pendant ce temps, il se rend à Vienne (Dauphiné) à marches forcées, et trouvant là la cavalerie fraîche qu'il avait eu soin d'y convoquer à l'avance, il repart immédiatement avec cette nouvelle escorte, et chevauchant jour et nuit, il arrive dans le pays Lingon où il rejoint ses deux vieilles légions encore paisibles dans leurs quartiers d'hiver. Avec ces douze mille hommes de troupes aguerries, il était assuré de prévenir toute entreprise des Eduens dont il connaissait les dispositions chancelantes (4). 11 rappelle aussitôt à lui les jeunes légions laissées chez les Helviens sous D. Brutus et faitsacon(1)

faitsacon(1) lib. VII, cap. vu.

(2) lbid., lib. VII, cap. vin.

(3) lbid., lib. VII, cap. ix.

(4) lbid., lib. VII, cap. v.


— il —

centration avant que les Arvernes aient seulement soupçonné son mouvement (1). Puis il va rejoindre les six légions qu'il avait cantonnées àAgendicum.

Nous ne devrons pas dissimuler qu'ici nous interprétons le texte et que César ne parle pas positivement de cette marche sur Agendicum. Mais d'un côté, il dit qu'il laisse à Agendicum deux légions (2), ce qui suppose qu'il y est allé, autrement il emploierait l'expression envoyer et non celle de laisser. D'un autre côté, et en nous reportant aux opérations subséquentes (3), nous voyons qu'il parvient à Genabum en quatre marches. Or que Genabum soit Orléans ou Gien, la distance de Langres à Orléans étant de 86 lieues métriques, et celle de Langres à Gien de 48 lieues, il aurait été matériellement impossible à l'armée de César de franchir de telles distances en quatre marches. Ce serait en effet supposer chaque marche de quatorze, ou tout au moins de onze lieues, ce qui est inadmissible, comme nous le démontrerons plus loin.

Mais, pendant cette marche sur Agendicum, Vercingetorix, informé du mouvement de l'armée romaine, se hâte, pour se rallier à ses confédérés Carnutes et Senonais, de ramener ses troupes dans les Bituriges et, traversant cette contrée, inde profectus (4), il va mettre le siège devant Gergovia (5), place des Boïens, clients des Eduens, nomades que César avait vaincus dans sa campagne contre les Helvètes (lib. I, cap. xxvm) et qu'il avait placés là, quos ibi collocaverat, après leur avoir accordé la vie et la liberté à la prière des Eduens, sous la dépendance desquels il les avait mis, Mduis attribuerai.

Cette entreprise de Vercingetorix jetait César dans un grande perplexité. S'il maintenait ses troupes en quartiers pendant le

(1) Commentarii, lib. VII, cap. ix.

(2) lbid., cap. x. Duabus Agendici legionibus relictis.

(3) lbid., cap. xi.

(4) lbid., cap. ix.

(5) Il ne faut pas confondre cette place, comme beaucoup l'ont fait, avec Gergovia Boïorum Arvernorum, mentionnée au même liv. Vil, ch. xxxvi.

T. vu. 2


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reste de l'hiver, et que ces clients des Eduens fussent forcés, toute la Gaule ne ferait-elle pas défection, voyant que lui, César, prenait si peu de souci de ses alliés ; si au contraire il tirait trop tôt ses légions de leur camp, n'était-il pas à craindre que l'état des chemins (1) ne rendît fort précaire l'approvisionnement de l'armée.

\. — César part à'Agendicum, se dirigeant vers les Boïens. Il s'empare chemin faisant de Vettauiwdunum, de Genabum. et de Noviodunum, où il change sa direction pour marcher sur Avaricnm.

- Il préfère cependant toutes les difficultés et toutes les privations à l'affront de se voir enlever une ville amie et de s'aliéner ainsi tous ses alliés. Ayant donc vivement engagé les Eduens à faire coûte que coûte des envois réguliers de vivres (2), il expédie aux Boïens des officiers, chargés de leur annoncer son arrivée et de les exhorter à rester fidèles et à tenir ferme contre la furie gauloise. Puis, ne laissant à Agendicum que deux légions à la garde des dépôts de l'armée, il part pour la Boïe : Ad Boïos proficiscitur.

Cette expédition sur la Boïe devait entraîner la première apparition de César dans les Carnutes, où, jusque là, ses lieutenants Crassus etPlancus avaient seuls pénétré. Elle prend alors au point de vue que nous nous sommes proposé une importance toute particulière.

César, dans le récit qu'il fait de cette courte et décisive expédition, semble ajouter encore à son exactitude et à sa précision déjà si remarquables. Non content d'indiquer le point de départ, les lieux par où il passe, et le point d'arrivée, en déterminant le nombre de ses marches, il semble en quelque sorte mesurer les distances et fixer la direction de tous les points, et cependant il n'est peut-être pas de passage de ses mémoires qui ait donné lieu à plus de controverse.

(1) On voit bien ici que César prenait les chemins du pays tels quels.

(2) Cela seul implique une grande simplicité dans son itinéraire, et exclut les excentriques qu'on lui fait parcourir.


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Parti d'Agendicum, César arrive à sa seconde journée de marche devant Vellaunodunum, place des Senonais. On se rappelle que les Senonais, sauf Agendicum maîtrisé par six légions, avaient pris parti dans la ligue commandée par Vercingetorix. (V. pag. 14). César ne voulant pas laisser sur ses derrières une place ennemie qui pouvait gêner et intercepter ses communications, malgré sa hâte d'arriver à Gergovia, se résout à assiéger Vellaunodunum, et consacre deux jours à en faire les approches. Le troisième jour la place capitule, remet ses armes, fournit des transports, jumentaproducit (1), et dépose entre les mains de César 600 otages. Celui-ci, pressé d'en finir, laisse un lieutenant pour veiller à l'exécution du traité et marche sur Genabum.

Cette ville Carnute avait eu bruit du siège de Vellaunodunum, et ne présumant pas que les affaires seraient conduites avec cette célérité, elle apprêtait pour Vellaunodunum un secours qui avait surtout pour but principal de se couvrir elle-même. César y arrive également dès sa seconde journée, cette journée n'étant même pas encore close, mais le jour étant trop bas (on était au fort de l'hiver) pour qu'il pût commencer les approches de la place. Il remet donc les opérations au lendemain. Mais sachant que Genabum était contigu à un pont sur la Loire, et craignant que ses habitants, dont le petit nombre sans doute lui faisait suspecter le courage (2), ne profitassent de ce pont pour fuir pendant la nuit, il fait rester deux de ses légions sous les armes.

En effet, à peu près vers le milieu de la nuit, les Génabes, sortis en silence de la place, ex oppido egressi (3), commencent à

(1) A quoi bon ces transports, si, comme on le prétend, l'armée était sans bagages ?

(2) En effet, jusque là rien n'avait donné lieu à César de suspecter le courage des Gaulois. Il fallait que contrairement à l'opinion qu'on s'est efforcé de donner, en amplifiant sur les termes plus que modestes de Strabon et de Ptolèmée (JOLLOIS, p. 75.), Genabum fût une fort petite ville. Car quelle ville un peu importante prétendrait évacuer en une demi-nuit hommes, femmes, enfants, vieillards, meubles et troupeaux ?

(3) Ce qui prouve que le pont était à quelque distance de la place.


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traverser le fleuve. César, averti du fait par ses éclaireurs, fait mettre le feu aux portes, lance ses deux légions à travers la ville, la cerne avec le reste de ses troupes, et sans grande effusion de sang, fait captifs presque jusqu'au dernier les habitants que leur foule, jointe au peu de largeur des chemins et du pont, pontis atque itinerum angustioe (1), avait d'avance cloués sur place. Il saccage la ville, la brûle, la livre en proie aux soldats, puis traverse la Loire. Le voilà sur le territoire Biturige.

Où se dirige-t-il ? Comme rien dans son texte n'indique un changement de direction, force nous est d'en conclure qu'il suit toujours le but qu'il s'était fixé dans le chapitre X : Ad Boios proficiscitur. Il marche donc toujours sur Gergovia, et tout ce que nous pouvons induire c'est que, pour y arriver, il fallait ou traverser, ou longer le Berri. Mais sur le chemin de Genabum à Gergovia se trouvait, positum in via, un oppidum, une place biturige que César avait résolu d'enlever par les mêmes motifs qui lui avaient fait réduire Vellaunodunum. Cette place était appelée Noviodunum, et il ne faut pas la confondre avec Noviodunum, ad ripas Ligeris positum, Neuvy-sur-Loire, dont il est question au chapitre LV du livre VII. César ouvrait déjà la tranchée, lorsque la ville députe pour traiter de sa reddition, et César, pour en finir aussi promptement qu'il avait fait jusque là, lui accorde les mêmes conditions qu'à Vellaunodunum.

Mais au milieu des pourparlers, comme on avait déjà remis les otages, et au moment où les centurions romains prenaient livraison des armes et des bêtes de somme stipulées, paraît au loin un corps de cavalerie gauloise. C'était l'avant-garde de Vercingetorix. Celui-ci, averti de l'approche de César, s'était hâté de lever le siège de Gergovia et de marcher à la rencontre de César. A la vue de ce secours inattendu, les Noviodunais poussent le cri de guerre, courent aux armes, ferment leurs portes, volent à la muraille. Mais les centurions romains, conjecturant d'après tout le mouvement des Gaulois qu'il se tramait quelque chose de nou(1)

nou(1) confirmation de l'existence d'une sorte de défilé entre la place et le pont, ce que M. Jollois conteste, p. 73.


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veau, tirent l'épée, s'emparent des portes et se retirent, sans perte d'un seul homme (1).

César fait aussitôt sortir ses chevaux des retranchements et engage sa cavalerie. La voyant près d'être ramenée, il détache un renfort d'environ quatre cents cavaliers germains que, dès le début de la campagne, il avait pris pour escorte personnelle. Les Gaulois ne peuvent soutenir leur charge et après des pertes sensibles se replient sur la colonne de marche de Vercingetorix, qui, sans doute, ne se sentant pas en force, passe outre.

Les Noviodunais, témoins de cet échec, et effrayés du sort qui les attend, se hâtent de saisir et d'amener à César ceux qu'ils soupçonnent d'avoir soulevé la populace, et demandent de nouveau quartier. César les reçoit comme déditices et, n'ayant plus affaire à Gergovia délivrée, se dirige immédiatement sur Avaricum (Bourges), la place la plus importante et la plus forte des Bituriges et le centre de leur territoire le plus fertile. Il se flattait que, cette ville réduite, toute la nation Biturige se soumettrait à son autorité (2).

VI. — Causes des divergences dans l'interprétation de ce récit.

Voilà le récit de César, dépourvu de son charme sans doute, mais dans toute son exactitude, si nos efforts ont réussi.

On se demande comment un exposé si net, si précis, et en même temps si détaillé, a pu donner lieu aux plus étranges divergences.

Ces divergences nous semblent tenir aux causes suivantes :

1° Eu général on a, par une irréflexion singulière, cherché mille combinaisons pour faire suivre à Jules César les chemins aujourd'hui dits de César, sans se rendre compte que, pendant six siècles, rien ne s'est fait dans le vieux monde soumis aux Romains qu'au nom et sous l'autorité des Césars ; sans prendre

(1) Commentant, lib. VII, cap. xn.

(2) lbid., cap. xm.


garde non plus que, tout à l'oeuvre de la soumission des Gaules, César parcourait les chemins tels qu'il les trouvait (V. p. 18 et Commentant, lib. VII, cap. x), mais n'avait certainement pas le temps de les construire, et sans réfléchir qu'une armée de cinquante mille hommes, car César n'avait pas moins avec lui (1), ne suit pas une piste, comme une bande d'Indiens sur le sentier de la guerre, mais que, pour pouvoir subsister et s'affourager, elle marche le plus souvent en colonnes distinctes et séparées, ayant à la vérité un but commun et désigné d'avance, mais toujours prêtes à s'étendre ou à se concentrer suivant les occurrences de toute expédition.

Et ce qu'il y a de bien étrange c'est que, en même temps qu'on s'asservit aux voies romaines indiquées par des documents plus ou moins authentiques, on laisse de côté les perrés, empierrements grossiers, véritables routes gauloises, et les seules qu'ait pu suivre César.

2° Presque tous ceux qui ont traité ces questions ne se sont pas assez préoccupés de l'ensemble des opérations de César, et, n'étudiant que tel ou tel chapitre relatif à l'objet de leurs recherches, ils sont tombés dans des contradictions palpables.

3° D'autres n'ont cherché qu'à mettre la Gaule décrite par César en accord avec des documents très-postérieurs, tels que l'itinéraire dit d'Antonin et les tables de Peuttinger, sans tenir compte des changements considérables amenés par un laps d'au moins cinq siècles, et surtout de ce fait que les documents en question ne traitant que de routes stratégiques ou postales, ont passé sous silence toutes les localités que ne traversaient pas ces routes.

4° On ne s'est pas non plus, et cela a été la source de

(1) Deux légions prises à Langres (lib. VII, c. ix), soit 12,000 hommes. Six prises à Sens (lib. VI, cap. XLIV), soit 36,000 hommes remplacés par les troupes levées dans la Narbonnaise et les recrues amenées de la Cisalpine (lib. VII, cap. vu). En tout 48,000 hommes, auxquels il faut joindre la cavalerie légionnaire de Brutus (lib. VII, cap. ix), celle qu'il avait prise à Vienne {ibid.), plus l'escorte germaine de 400 hommes (lib. VII, cap. xm). Tout cela fait au moins 50,000 hommes.


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graves erreurs, on ne s'est pas suffisamment édifié en consultant les stratèges anciens, et en les contrôlant par les historiens contemporains, sur la longueur et la durée des marches militaires, et on est arrivé à des résultats inadmissibles.

8° Beaucoup ont négligé ou omis certains points des stations indiquées par César.

6° Enfin tous les commentateurs, tous ceux du moins qu'il nous a été possible de consulter, en préférant aux indications de César et des auteurs romains les plus rapprochés de son temps, des traditions mal fondées ou des cartes dressées à la légère, se sont étrangement mépris sur la situation des Boïens et de Gergovia Boïorum, point de la plus haute importance, puisque c'est celui de la direction de César. Tous les ont placés dans une foule de localités inconciliables avec le texte, et le plus grand nombre sur l'Allier et à Moulins, sans prendre garde que cette contrée, qui d'ailleurs appartenait aux Arvernes, comme nous l'établirons, a été sillonnée par César, qui n'y fait nulle mention de Gergovia ni des Boïens, dont il avait à reconnaître et à encourager la fidélité et le dévouement.

Ces observations admises, nous allons passer à la discussion de chacun des points de l'itinéraire que nous venons de décrire.

Nous commencerons par nous fixer sur le point de départ de César, Agendicum. Nous suivrons sa direction, le pays des Boïens, et cette direction nous amènera naturellement à trouver la position probable de Vellaunodunum, celle de Genabum, puis subsidiairement celle de Noviodunum.

VII. — Situation d'Agendicum.

La détermination de ce point de départ a été l'objet de beaucoup de controverses. Quoique l'opinion générale se soit prononcée pour Sens, beaucoup ont cherché à faire prévaloir soit Langres, soit Milly, chef-lieu de canton de Seine-et-Marne, soi même Autun. Toutes ces localités, à raison seule de leur distance de la Loire, sont en opposition manifeste avec le texte de César,


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qui fixe quatre journées de marche jusqu'à Genabum qui a un pont sur la Loire, oppidum ponsfluminisLigeris continebat. Autun d'ailleurs, est fréquemment dénommé par César sous le vocable de Bibracte.

Une troisième opinion, plus discutable, et soutenue par de graves autorités, Scaliger, et M. Letrosne, de l'Institut, reproduite par M. E. Lemaire, dans sa traduction de Jules César, t. iv, indiquerait Provins. Scaliger, suivant son habitude, soulève le doute, mais sans le résoudre, et il inclinerait aussi volontiers pour Sens que pour Provins. M. Letrosne est plus explicite. Il s'appuie sur la forme et la construction évidemment romaines de l'enceinte du vieux Provins. Il insiste sur ce que l'expédition de Labienus sur Lutèce, mentionnée au chapitre LVII du livre VII, a dû se faire avec plus de facilité de Provins que de Sens. Enfin il prétend que la tour de Saint-Quiriace à Provins est une construction qu'il faut attribuer à Jules César, et que c'est par corruption et par barbarie que le nom de César a dégénéré en SaintQuiriace.

Quelque autorité justement méritée qu'ait en pareille matière le nom de M. Letrosne, il ne nous semble pas que les raisons alléguées par cet illustre savant soient de nature à prévaloir sur une tradition solidement basée.

Nous ne nions pas l'origine romaine de Provins, mais on ne saurait refuser à Sens la même origine, et nous en avons été témoin nous-même, il y a quatre ans, en voyant renverser avec la mine des pans entiers de l'enceinte romaine de cette ville pour l'agrandissement de son lycée. C'était bien la vraie pierre essemillée, intercalée à peu près de mètre en mètre d'une triple rangée de brique aplatie, c'était bien le ciment romain, et la poudre renversait les murs entiers, sans en désagréger les assises admirablement régulières. La place Drappet, située aux environs de la cathédrale, est pour Sens une nouvelle et puissante preuve de son identité avec Agendicum, et nul de nos lecteurs n'a oublié Drappès, ce fameux partisan senonais (1), qui

(1) Commentarii, lib. VIII, cap. xxx.


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tint encore la campagne après la réduction d'Àlesia, et après ht défaite de Dumnacus (1), qui s'unit à Lucterius dans son entreprise d'Uxellodunum (2), et qui, fait prisonnier dans cette dernière tentative (3), aima mieux sagement se laisser mourir de faim que d'encourir la clémence romaine (4).

L'expédition sur Lutèce était certainement aussi facile de Sens que de Provins. Elle était même plus facile, les Romains étant maîtres de l'Yonne et de son embouchure, car alors il n'y avait qu'à suivre le cours de l'eau, jusqu'aux marais formés par la Bièvre, qui furent pour Lutèce un rempart infranchissable (5). II y a plus, c'est que le passage et le retour par Melodunum, indiqués au chapitre LVIII du livre VII ne sont indispensables qu'en partant de Sens, et pouvaient aisément s'éviter en partant de Provins. La distance de Paris à Provins, à vol d'oiseau, est de 16 lieues métriques ; jusqu'à Sens elle est de 23. Cela ferait une différence de deux journées. Mais le nombre de marches n'étant pas indiqué, dans les six chapitres consacrés à l'expédition de Labienus, ce détail devient insignifiant, et le contrôle est impossible.

Enfin la raison tirée de la tour de Saint-Quiriace semblera, nous le pensons, de peu de poids. Laissons saint Quiriace à la place glorieuse qu'il a conquise dans le martyrologe, et n'oublions pas que le nom de César est trop fortement imprimé dans le souvenir de nos populations, même les plus grossières, pour faire place à un autre nom.

Nous objecterons à notre tour que Provins est éloigné de la Loire de huit lieues de plus que Sens, et ici l'objection a de la valeur, parce que les marches sont comptées. Quand nous aurons justifié, comme nous le ferons plus bas, de la longueur de chemin que comporte la journée de marche, on reconnaîtra que la seule

(1) Commentarii, lib. VIII, cap. xxx.

(2) lbid., cap. xxxn.

(3) lbid., cap. xxxvi.

(4) lbid., cap. XLIV.

(5) lbid., lib. VII, cap. LVH.


question de dislance doit faire écarter Provins. De plus, pour se rendre de Provins à Genabum, que celui-ci soit à Orléans ou à Gien, César, s'il eût exécuté le passage de la Seine au-dessous de Montereau, aurait eu à franchir ce fleuve, enflé de l'Yonne, puis le Loing, près du confluent ; s'il l'eût exécuté plus haut, il avait à passer successivement la Seine, l'Yonne et le Loing, tous obstacles sérieux à cause de la saison, et César n'eût pas manqué d'indiquer, suivant sa coutume, les opérations nécessitées par ces trois obstacles.

Pour conclure sur cette question, Agendicum, qu'on l'appelle Agredicum ou Àgetincum, Agendicum n'est et ne peut être autre que Sens, chef-lieu de diocèse sous les empereurs, ensuite grande métropole ecclésiastique, et sans qu'il y ait jamais eu d'interruption. Comme tous ou presque tous les chefs-lieux des provinces gauloises, il a, dans la suite des temps, changé son nom contre celui de la peuplade dont il était capitale, et d'Agendicum, ville principale des Senones, il est devenu Sens, comme Lutetia, capitale dés Parisii, est devenue Paris; Samarobriva, capitale des Ambiani, Amiens ; Durocortorum, capitale des Rémi, Reims, etc. Nous nous arrêtons là pour éviter une nomenclature fatigante.

VIII. — Les Boïens et Gergovia Boïorum.

De tous les peuples sortis de la vieille souche Gauloise, les Boïens ou Boïes sont sans contredit un des plus remarquables, par le nombre et la hardiesse de leurs entreprises,par leur courage indomptable et aussi par les étranges vicissitudes de leur fortune. Sortis de la Gaule centrale, qu'ils abandonnent en 1800 avant J.-C, troublés qu'ils étaient dans la jouissance de leurs terrains de chasse par l'esprit belliqueux des Belges, au nord, et par les turbulents Vascons, au midi, ils quittent de concert avec quelques bandes de Lingons et de Senonais le terroir qu'ils occupaient et qui était, suivant toute probabilité, le Gâtinais Montargois, entre le Loing et la Rimarde, dont le bassin compte


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les communes de Boësses, de Boynes, de Bouilly, et le château de Bouville. |Tous ces noms offrent la racine Boii. On présume, d'après de nombreux et d'importants restes Celtiques, que leur cité principale devait être Montbouy (Mons Boii), sur le Loing. Montbouy a été aussi, quinze siècles plus tard, un riche municipe Gallo-Romain qu'attestent les bains magnifiques qu'ont mis en évidence les recherches aussi actives qu'entendues de M. Dupuis, conseiller à la cour impériale d'Orléans, et notre collègue. Tout porte à conclure que là fut, avant la venue d'Attila, l'Aquis Segeste qu'on avait si mal à propos fixé à Fontainebleau.

Si l'émigration des Lingonset des Senonais ne fut que partielle, celle des Boïens semblerait avoir été complète et sans esprit de retour, ce qu'expliquerait l'occupation par les Senonais et les Carnutes du territoire abandonné. Sous César du moins les Carnutes et les Senonais sont limitrophes et sans intermédiaires (1).

Toute cette horde de pionniers audacieux, Boïens, Lingons, Senonais va planter ses huttes au nord-est de l'Italie, où les Boïens, appuyés sur les Lingons au nord, sur les Senonais au sud, fondent avec le temps Bologne et Rimini.

Ce sont ces Senonais qui, vainqueurs à la bataille d'Allia, s'emparent de Rome, en 390, la brûlent, et viennent échouer devant la fermeté de Manlius Capitolinus et la ligue des trente villes alliées de Rome, laissant derrière eux une telle terreur qu'à l'annonce d'une attaque des Gaulois, tous les habitants du territoire romain devenaient soldats de par la loi.

A leur tour les Boïens devinrent l'âme de la ligue Cisalpine, en 192 avant J.-C. (2). Refusant d'accéder au traité de 191, ils préférèrents'expatrier.Ils passent le Reno,envahissent la Norique, s'emparent de Noria (3), fondent Boïodurum et forment la souche des deux peuples Bavarois (Boiarïï), et Bohèmes (Boïohomines) (4). Sous César, soit qu'ils eussent déjà repris le cours de

(1) Vellaunodunum Senonais et Genabum Carnute ne sont qu'à deux marches de distance. Commentarii, lib. VII, cap. xi.

(2) Tit.-Liv., lib. XXXVI, § 39.

(3) Innstadt, faub. de Passau. Commentarii, lib. I, cap. v.

(4) TACIT. Germ,, cap. xxvm.


leurs émigrations, par l'effet de l'agression des Marcomans (1), soit que, par haine des Romains ils soient entrés dans la ligue helvétique (2) que combat César, à son entrée dans les Gaules, ils remontent la vallée d'Engaddi et s'affilient aux Rauraques(3). César, après avoir écrasé cette ligue (4), renvoie dans leurs foyers tous les peuples helvètes dans l'appréhension que les Germains ne viennent occuper leurs territoires vacants (8). Quant aux Boïens, trop éloignés de leur point de départ, et qui, étant au nombre de 32,000, n'auraient pas manqué dans une si longue retraite de mettre tout le pays en feu, il leur laisse la vie, à la prière des Eduens, frappés de leur courage, et les leur cède à titre de butin. Les Eduens les recueillent, comme captifs d'abord, leur concèdent un territoire (6), déterminé par César (7), et, dans la suite, les affranchissent, et les admettent à jouir des mêmes droits qu'eux-mêmes.

Il est probable, quoique César, ne le dise pas, que cette émancipation fut la récompense des services rendus à la cause romaine (8). César nomme pourtant des Boïens dans la ligue formidable qui vient l'assiéger à Alésia. Mais ce ne sont pas les nôtres ; il les associerait aux Eduens, au lieu qu'il nomme ceuxci avec les Rauraques, et le contingent qu'il leur attribue ne répondrait pas à la qualification qu'il donne aux nôtres dans le même livre : Civitas exiguaet infirma (9). César, après sa victoire

(1) TACIT. Germ., cap. XLII.

(2) Ils avaient déjà des rapports avec les, colonies helvètes établies dans la forêt noire, entre le Rhin et le Mein. TACIT. Germ. cap. xxvm.

(3) Gens de Bâle.

(4) Commentairii, lib. I, cap. xxvm.

(5) lbid., cap. xxvm. Quelle admirable perspicacité !

(6) lbid., cap. xxvm.

(7) lbid., 1. Vil, cap. ix.

(8) lbid., cap. x etxvii. C'était d'usage chez les Romains. V. TACIT., Annales, lib. IV, cap. xxxvi. Cy%iceni... amisere liberatem quam bello Mithridatis merueranl, circumsessi, nec minus sua ■ constanlia quam proesidio Luculli, pulso rege.

(9) Commentarii, lib. VII, cap. xvn.


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d'Alesia, ne s'est montré impitoyable qu'envers le seul Vercingetorix, et il est probable que les débris de cette seconde bande Boïenne sont venus augmenter la population et les ressources des Boïens fidèles, ou bien ont formé le noyau d'une seconde colonie Boïenne, établie à l'ouest de l'Aquitaine seconde, sur le bassin d'Arcachon, au point où se trouve aujourd'hui la Teste de Buch. (1)

Déterminer, avec toute l'exactitude que comporte un intervalle de deux mille ans, le point du territoire gaulois où il convint à César et aux Eduens d'établir ce peuple client est un problème intéressant dans la question qui nous occupe, puisque c'est vers ce point que se diririge César en partant d'Agendicum, mais nous ne nous en dissimulons pas la difficulté.

Une foule de combinaisons ont été imaginées sur ce point épineux. L'abbé Lebeuf et Walcknaër, en parfait désaccord sur la position de Genabum, placent Gergovia Boïorum à Entrains (Nièvre) ; d'autres à Vertaud (Côte-d'Or); d'autres à Arzembouï ou à Saint-Révérien (Nièvre); d'autres à Boïn, entre Roanne et Montbrison, sur la rive gauche de la Loire; d'autres encore en plein pays Arverne, à Montluçon, à Bourbon-l'Archambault, à Souvigny, à Thiel, à Chantenay, enfin le plus grand nombre à Moulins, sur l'Allier.

Nous commencerons par écarter Vertaud, Entrains, Arzembouï, Saint-Révérien, etc., enfin tous les points situés sur la rive droite de la Loire, sillonnés de voies romaines dont les relevés (2) sont muets sur Gergovia. En effet, si on s'appuie sur ces titres, on doit en accepter les décisions. D'ailleurs on ne s'est pas aperçu que tous ces points feraient accuser Vercingetorix de la faute énorme de s'engager dans un siège, avec un adversaire comme César, en ayant à dos la Loire et l'Allier, ou seulement la Loire.

Boën, Montluçon et les autres points au sud de Bourges appar(1)

appar(1) est à remarquer que le récit de César s'interrompt après la prise d'Alesia, et qu'il n'est plus continué que par son lieutenant H. Pansa.

(2) L'itinéraire d'Àntonin et les tables de Peultinger.


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tiennent à l'Aquitaine, et Pline met expressément les Boïens dans la Lyonnaise. Ces points doivent d'ailleurs être écartés par la raison que nous déduirons plus tard. Reste Moulins, qui, nous l'avons reconnu, a réuni le plus grand nombre de suffrages, et dont nous allons discuter les titres.

Les Eduens avaient la Loire pour limite. Pline est formel à cet égard. Il asseoit la Lugdunaise (il n'y en avait qu'une de son temps) entre la Seine au nord et la Loire au sud, et y comprend les Eduens Intus Mdui (Hist. munii, lib. IV, cap. xxxn, n° 18), Boii, Carnutes, Senones.

De son côté César nous dit (lib. VII, cap. v) que, àla première apparition chez eux de l'Arverne Vercingetorix, les Bituriges demandent secours au gouvernement Eduen pour réprimer cette insurrection dès son début. Les Eduens, après avoir pris l'avis des lieutenants que César avait détachés près d'eux, envoient un corps d'infanterie et de cavalerie au secours des Bituriges. Mais ce corps arrivé à la Loire, frontière des Eduens, quod Bituriges ab Mduis dividit(Commentarii, lib. VII, cap. v) (1) n'ose pas ou ne veut pas la franchir, et revient, donnant pour prétexte aux lieutenants romains qu'il a craint une perfidie des Bituriges, qui se seraient concertés avec les Arvernes pour les cerner et les écraser aussitôt le passage effectué.

Il n'entre pas dans notre plan d'examiner si cette prudence excessive et peu commune chez les Gaulois était feinte ou réelle, mais nous insisterons sur ce qui ressortit à l'objet de notre étude.

Un corps parti pour les Bituriges de Bibracte (Autun, car c'était dans cette ville, séjour du Sénat Eduen, — Commentarii, lib. VII, cap XXXIII, — que Gésar avait envoyé ses lieutenants), devait projeter son passage de la Loire sur un point fort rapproché du Bec-d'Allier, soit en amont, soit en aval. En amont, si les Boïens eussent occupé le terrain compris entre la Loire et l'Allier, c'étaient des soldats capables d'opposer aux Arvernes une haie assez impénétrable pour garantir leurs patrons, les Eduens,

(1) Sous Pline, les Bituriges appartiennent aussi à l'Aquitaine et non à la Celtique.


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de toute surprise. En aval, est-il supposable que, pour s'embusquer sur la rive gauche de la Loire, les Arvernes risquassent en face d'adversaires aussi renommés que les Boïens une marche de flanc de 25 ou 30 lieues, n'étant couverts que par l'Allier, dont les ponts étaient nombreux, et ne furent détruits par Vercingetorix qu'après la prise d'Avaricum (1).

Nous sommes donc dès à présent autorisés à conclure que, du temps de César, les Boïens n'étaient pas placés où se trouve aujourd'hui le Bourbonnais, et que tout au contraire ce territoire appartenait aux Arvernes, qui pouvaient ainsi facilement tomber sur la gauche des Eduens, encore dans le désordre du passage, tandis que les Bituriges les attaqueraient en face ou par la droite.

Sous l'empereur Aurélien, c'est-à-dire à une époque plus rapprochée de nous d'un peu plus de trois cents ans, le Bourbonnais faisait encore partie de la nation Arverne. C'est du moins ce qu'attesterait une pierre miliaire trouvée à Tréteau, commune du département de l'Allier, canton de Jaligny, arrondissement de La Palisse, environ à sept lieues S. S. E. de Moulins. Cette pierre porte l'inscription suivante :

IMP. CAESARI. L. DVMETIO. AVRELIANO. M. GERMANICO. TRIBVNITIE. P. V. CO. SS. III. P. P. CIAR. LXXXVI.

Que M. Marius Clairefonds, de la Société d'émulation de l'Allier lit, et que nous lirons avec lui :

Imperatori CoesariLucio DumetioAureliano,Maximo, Germanico, tribunitioe potestatis (annd) quinto, consuli tertio, patri patries, civitas Arvemorum, Leucoe 36 ou plutôt 86 milles, si l'on tient compte de ce que le mille, point de départ pour les Gaules, était à Lyon, à cette époque, et de Lyon à Tretau il y a en effet 86 milles de 1 m. 47. ou un peu plus de 31 lieues métriques. (2)

(1) Commentarii, lib. VII, cap. xxxiv.

(2) Extrait du Bulletin de la Société d'émulation de l'Allier. Tom. VII, 3e livraison, p. 290.


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M. Clairefonds voit ici, et nous ne comprenons pas comment, une preuve que les Boïens étaient, établis dans l'Allier, tandis que nous nous en concluons au contraire que cette pierre nous crie (lapides clamabunt), que l'Allier qui relevait des Arvernes au temps de J. César et de Pline leur appartenait encore au temps d'Aurélien.

Ajoutons qu'à l'époque de l'invasion de Clovis, le Bourbonnais, comme dépendance de l'Auvergne, fait partie del'Àquitaine, aussi bien que du temps de César, de Pline et d'Aurélien, et que ce n'est qu'au xe siècle, en 913, que cette province, sans nom connu jusqu'alors, est détachée de l'Auvergne, pour fonder le fief d'Àimar, premier sire de Bourbon.

Voici le texte du capitulaire, daté de Metz, en 913, par lequel Charles-le-Simple constitue ce fief qu'il détache expressément de l'Arvernie:

« Notum esse volumus regni nostri principibus quoniam ad « hoereditatem fidelis nostri comitis Adhemari conjungimus et « concedimus res quasdam juris nostri prope fluvium Ligerem, « sive Halerem, in pago Augustidunense, sive Arvernense et Bitu«

Bitu« idest Silvianiacum cum ecclesia et cespitatium

« sive castellum de Thermis prope Ligerem. (Ancien Bourbonce nais. Tom. I, p. 161.) »

Que l'on peut traduire ainsi :

Soit fait savoir aux seigneurs de notre royaume que nous cédons et adjoignons à l'héritage de notre fidèle comte Adhémar certaines portions de notre domaine, proche le fleuve de Loire ou l'Allier, au pays d'Autun, d'Auvergne ou de Berry, à savoir Souvigny avec son église (1) (ouSoligny) (2), ou plutôt encore (Soye-1'Eglise) (3) et les glacis ou château des Thermes (Bourbon-Lancy), sur la Loire.

(1) A 10 kilom. ouest de Moulins.

(2) Sur la limite actuelle du Cher et de l'Allier.

(3) A 10 kilom. ouest de la même limite et à 6 kilom. sud-ouest de St-Amand-Montrond.


SSII est évident d'après cet authentique que le point de départ, Souvigny, ou Soligny, ou mieux encore Soye-I'Eglise était alors au pays de Berri, que Bourbon-Lancy était, comme il est ' encore aujourd'hui, dans l'Autunois, et nécessairement que le pays intermédiaire, l'objet de la donation, était Arverne, in pago Arvernense.

Enfin Guy-Goquille dit positivement que ce n'est qu'au quinzième siècle que Moulins fut distrait de l'évêché de Clermont.

Est-il admissible que les Eduens eussent placé leurs clients dans une des parties les plus fertiles du territoire de leurs rivaux les Arvernes?

Il est aisé de démontrer que, dès sa première marche, César ne se dirige ni vers Moulins, ni vers l'Allier. Sens et Moulins sont tous deux par 0 deg. 9' longit. est. Sens par 48 deg. 18', Moulins par 46 deg. 30' lat. nord. César passant l'Yonne sur un pont dont il était maître, ou se bornant à la longer, n'avait qu'une perpendiculaire à suivre, sans obstacle, pour arriver aux monts du Morvan, passer entre les sources de la Nièvre et de l'Aron, franchir la Loire entre Decize et Nevers, deux villes Eduennes et-alliées, et toucher à Moulins. Au lieu de ce tracé si simple, et, pour gagner Vellaunodunum, sur l'emplacement duquel tous sont également incertains, les uns le font diverger de 10 lieues à l'ouest vers Châteaulandon, les autres de 13 vers Sceaux, de 18 vers Beaune-la-Rolande, de 14 à l'est vers Vallan, etc. La divergence est bien plus grande, si, interprétant Genabum par Orléans, on conduit César jusque sous nos murs, et l'armée aurait ainsi parcouru 70 lieues au lieu de 34. Quelque respect que nous professions pour l'autorité de M. Amédée Thierry, ce n'est pas là « un détour de quelque distance » (1), et croit-on que le motif de venger quelques citoyens romains eût pu décider César à imposer à ses légions un tel surcroît de fatigues, et à compromettre l'honneur de ses armes et peut-être le succès de la cam(1)

cam(1) THIERRY. Partie II, ch. vu, p. 110

T. VII. 3


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pagne par la perte de la Gergovie Boïenne? Les Romains n'étaient pas accoutumés de marcher avec cette lenteur au secours de leurs alliés; Lucérie est là pour en témoigner, et, pour expliquer les deux sièges de Vellaunodunum et de Genabum, il faut que ces deux places se rencontrent sur la route d'Agendicum à Gergovia-Boïorum.

Il est étrange que ces raisonnements ne se soient pas présentés à l'esprit de tous les auteurs qui ont traité de ce sujet, et des géographes qui ont tenté de nous donner des cartes de la Gaule romaine, car nous reconnaissons que tous font l'erreur que nous signalons. Le plus illustre de ces géographes, d'Anville, a entrevu la vérité, mais il s'est hâté de fermer les yeux, et plutôt que d'attaquer avec l'autorité de son talent une tradition mensongère, il a mieux aimé accuser Pline d'erreur (1).

Il y a plus. Il résulte du texte même des Commentaires que, encore bien qu'en partant d'Àgendicum, César ait eu pour but de se rendre dans la Boïe, adBoios (2), il n'y est pas allé. Aussitôt après sa rencontre avec Vercingetorix, sous les murs de Noviodunum, il change de direction, marche sur Avaricum (3), et laisse de côté les Boïens et Gergovia délivrés. Or, César a traversé le Bourbonnais, au moins à deux reprises. Il est explicite à cet égard. Parti de Decetia (Decize) (4), il traverse la pointe où se trouve aujourd'hui Moulins, longe l'Allier (5) pendant plusieurs marches, et parvient, grâce à un stratagème dont il donne tous les détails, à franchir cet obstacle sérieux probablement à Vichy, (VICJI) et à S journées de marche de la capitale des Arvernes. Puis il repasse au même point, après son échec devant cette place (6), la seule qui lui ait impunément résisté.

Ainsi donc puisqu'il résulte à la fois du texte et du silence de

(1) D'ANVILLE, Notice de la Gaule, p. 345 et 346. (Paris 1766.)

(2) Commentarii, lib. VII, cap. x.

(3) lbid,, lib. VII, cap. xm.

(4) lbid., lib. VII, cap. xxxm, —V. p. 35.

(5) lbid., lib. VII, cap. xx'xiv et xxxv.

(6) lbid., lib. VII, cap, LUI.




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César qu'il a laissé de côté la Boïe et Gergovia Boïorum, et que au contraire il a traversé à deux reprises le Bourbonnais, il devient de plus en plus évident que tous ceux qui ont placé la Boïe dans le Bourbonnais sont dans l'erreur.

A cette démonstration vient se joindre une considération, morale en quelque sorte, car elle tient aux habitudes, au caractère bien connu de J. César et au soin si remarquable qu'il prend de transmettre tous ses discours. En tenant ferme contre l'attaque de Vercingetorix (1), dans une ville à peine naissante (2), en s'épuisant plus tard en sacrifices, malgré leur pauvreté, pour alimenter et affourager l'armée romaine, si mal approvisionnée par les riches Eduens (3), les Boïens, la civitas exigua et infirma, avaient certes bien mérité de César. Comment alors s'expliquer que César, soit à Decize, si voisine de Moulins, soit à Moulins même, soit dans ses campements le long de l'Allier, n'adresse pas un mot d'encouragement public à ces braves auxiliaires, ne fût-ce que pour piquer d'honneur les Eduens? Une telle négligence n'était certainement ni dans les usages ni dans les intérêts de César, et à cette époque de sa carrière, César était encore trop loin du but pour se laisser soupçonner de l'oubli d'un service. Si donc César se tait sur l'accueil fait par lui aux Boïens, c'est que ceux-ci étaient placés dans quelque partie inférieure au champ de ses opérations, et qu'entraîné par elles vers Àvaricum,le bec d'Allier, la haute Loire, il n'a pu se rendre près d'eux.

Une dernière observation. César en quittant Genabum se dirige toujours sur Gergovia. Cela résulte de son texte, qui n'indique de changement de direction qu'après sa rencontre avec Vercingetorix sous les murs de Noviodunum. Nous verrons plus lard où trouver ce Noviodunum. Jusqu'à présent contentonsnous de constater qu'il faut qu'il soit sur la route de Genabum à. Gergovia, et qu'en outre il soit le sommet d'un triangle au nord d'Àvaricum, dont les deux côtés, Genabum et Gergovia,

(1) Commentarii, lib. VII, cap. xn.

(2) lbid., lib. I, cap. xxvm.

(3) lbid., lib. VII, cap. xvn.


— 36 — forment la base également au nord d'Avaricum, sans quoi deux hypothèses se présenteront qui nous circonscrivent dans les conditions du problème si connu du chou, du loup et de la chèvre. En effet ou César venant du Nord, avant que Vercingetorix ait pu arriver du sud ou du sud-est, s'emparera d'Avaricum, ou Vercingetorix venant du sud, avant que César ait pu arriver du nord ou du nord-ouest, doublera ses forces à Avaricum, et la rencontre sera une bataille en règle et décisive au lieu du simple engagement d'avant-gardes que César a décrit (p. 21).

IX.. — Le Val-de-Loire et Jargeau sont les seuls points qui répondent à la Boïe et à Gergovia Boïorum.

Nous avons établi que la Boïe et Gergovia Boïorum ne sont ni dans l'Allier, ni à Moulins. Nous avons insisté particulièrement pour combattre cette opinion, parce qu'elle est la plus généralement reçue, et qu'elle est appuyée de l'autorité de d'Anville. Notre dernière objection du chou, du loup et de la chèvre subsiste contre ceux qui placent les Boïens dans la Côte d'Or ou à Boën, dans le Forez et au sud de Bourges. Nous avons déjà réfuté, page 29, tous ceux qui leur assignent une position dans la Nièvre, comme imputant à Vercingetorix une faute de stratégie capitale.

Où donc trouver ces Boïens ? La question est ardue, cependant trois auteurs romains, Pline, Tacite et César lui-même vont peutêtre nous donner la solution.

Pline, dans le dénombrement des peuplades Gauloises faisant partie de la Lyonnaise (1), désigne les Boïens comme contigus aux Eduens, aux Carnutes et aux Senonais. Tacite, dans ses Histoires, lib. II, cap. LXI, raconte qu'un certain Mariecus, des dernières classes boïennes, se posant en Dieu venu pour affranchir les Gaules, s'était fait suivre d'environ huit milliers d'hom(1)

d'hom(1) historia mundi, lib. IV, cap. xxxn. n° 18. Intus autem Mdui {aederati, Carnuti foederati, Boii, Senones.


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mes et attirait à lui les villages Eduens contigus (1). D'un autre côté César dit expressément (2) que Vercingetorix, étant dans les Bituriges, y ordonne le ravage dans tous les sens, à partir de la frontière Boïenne. Vicos atque oedificia incendi oportere, hoc spatio a Boia quoquoversus, quo,pabulandi causa, adiré posse (romani) videantur.

Mais un peuple confin à la fois des Carnutes, des Senonais et des Eduens, situés.sur la rive droite de la Loire, et des Bituriges, situés sur la rive gauche, ne pouvait lui-même être assis que dans le lit de la Loire. Et c'est là en effet, nous en sommes persuadé, que, pour concilier Pline, Tacite et César, plus compétents que de Valois, d'Anville, et tous ceux que ces derniers ont traînés à la remorque, il faut aller chercher les Boïens.

Il existe réellement dans le lit de la Loire une contrée des plus fertiles aujourd'hui, qui, tantôt sur la rive droite, tantôt sur la gauche, s'étend de Neuvy-sur-Loire, oppidum Eduen, à Lailly, alors Tourangeau, sur une longueur de plus de 25 lieues et une largeur qui varie de 1 à 5 lieues. C'est le Val qui, dans le seul département du Loiret, offre sur la rive droite Ousson, St-Père, St-Benoît, Germigny des Prés et Bou(3), et sur la rive gauche, Poilly, Guilly, Bouteille, le Bouzeau, Sigloy, les Boins, Ouvrouerles-Champs, Jargeau ou Gergeau, Darvoy, Sandillon, St-Denisen-Val, le Loiret, St-Jean-le-Blanc, St-Pryvé, Mareau-auxPrés, etc. N'avons-nous pas dans cette nomenclature rencontré notre desideratum, et Gergeau ne vient-il pas répondre par une saisissante analogie au nom de Gergovia ?

Ainsi placés les Boïens se prêtaient, admirablement aux vues de César et des Eduens, à qui ils servaient d'avant-poste surveillant

(1) Cette anecdote de Mariccus estun fait très-remarquable. Sa bande fut dispersée par les Eduens, et lui-même amené chargé de chaînes devant Vitellius qui le fit exposer aux bêles. Mais les bêtes le respectèrent, et il fallut l'égorger sous les yeux de Vitellius. M. Martin ne veut voir en lui qu'un druide fanatisé. Cependant ni Tôt ni Hoesus ne l'auraient tiré de la gueule et des griffes des bêtes. Sans le combat relaté par Tacite, ne verrait-or. pas là un martyr chrétien ?

(2) Commentarii, lib. VII, cap. xiv.

(3) Les noms en italique peuvent avoir Boii pour racine.


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les Senonais, les Carnutes et les Bituriges, contre qui ils ont eu à soutenir de nombreux combats qu'attestent les tumulus épars autour de Jargeau sur toute la côte de Sologne, à Saint-Gyr, à Vienne, à Saint-Aignan-le-Jaillard, à Lion-en-Sullias, etc. Les fleuves et leur lit, sous la coutume barbare comme sous la loi romaine, appartenant à tous n'appartenaient à personne, car ce n'est que sous le régime féodal que les droits de péage ont motivé la barrière du thalveeg, citée par M. Jollois, et il était licite aux Eduens d'introduire leurs clients dans des varennes incultes dont aucun Gaulois n'eût soupçonné la valeur. Comme nous venons de le dire, cela était aussi conforme à la loi romaine qu'au droit barbare. Le droit romain dit en effet : « res fera, res nullius » ce qui est à l'état sauvage n'appartient à personne, et les barbares disaient avec moins de précision, il est vrai, par la bouche de Boïocalus (1) : « Quoeque vacuoe terroe, eas publicas esse » les terres sans maître sont au public, c'est-à-dire au premier occupant. TACIT. Annal., lib. XIII, cap. LV.

Ce devait être alors un pays bien misérable, sillonné et souvent couvert en partie par les eaux capricieuses de la Loire, moins dévasté pourtant qu'il ne léserait aujourd'hui, parce que alors le cours du fleuve, n'étant pas entravé par les levées, suivait ses pentes naturelles. Certes il a fallu pour fonder Jargeau un peuple dont l'opiniâtreté égalât l'énergie. Les premiers travaux d'assise sont aujourd'hui le secret des sables qui les recouvrent depuis tantôt deux mille ans, mais enfin ces travaux ont réussi, et nous avons eu bien des occasions de remarquer que la Loire tourne, mais qu'elle n'envahit jamais le Jargeau primitif, et l'inondation de 1886 n'a raviné qu'un de ses faubourgs.

En un mot, des varennes qu'il fallait disputer au fleuve, voilà un territoire tel que César pouvait le désigner, tel que les Eduens pouvaient le concéder à des amnistiés. De telles concessions ont trouvé des imitateurs dans ces mêmes parages, et c'est ainsi que se sont fondées, par ce travail acharné qui vient à bout de tout,

(1) Comme qui dirait le beau Boïen.


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les riches abbayes de Micy, à Saint-Pryvé, au vie siècle, et de Fleury, depuis Saint-Benoît-sur-Loire, au ixe.

Il n'est pas besoin de dire que Gergovia Boïorum ne figure ni sur l'itinéraire d'Antonin, ni dans les tables Théodosiennes. Aucune des grandes voies romaines n'y a jamais jeté les semences du luxe, et ce n'est que de nos jours, au dix-neuvième siècle, en 1825, que Jargeau, pour la première fois, a vu s'ouvrir à ses produits une route carrossable. Au moyen-âge, vassale des évêques d'Orléans, elle avait reçu de la munificence d'un de ces prélats (1) un pont qui fut emporté par la débâcle de 1789, et dont nous avons pu voir les restes, employés dans la construction des cippesdupont suspendu actuel. C'est parce vieux pont qu'elle communiquait avec Saint-Denis-de-1'Hôtel et la route n° 152. C'est par là aussi qu'elle envoyait à l'évêque d'Orléans ses redevances seigneuriales sur les épaules des chanoines de Jargeau, qui avaient droit de halte et de rafraîchissement à Pont-auxMoines. ■

A moins qu'on ne descende dans son remarquable égoût collecteur qui reçoit les eaux ménagères de toute la vieille ville, et qui les déversait naguère encore dans le fossé de l'est, aujourd'hui comblé, égoût dont la construction et la distribution savantes décèlent, sinon l'ouvrier au moins l'architecte romain, Jargeau ne peut montrer aux archéologues aucune ruine Gallo-Romaine. Cela est vrai, du moins jusqu'ici ; mais Gergovia n'est pas Romaine, elle est Boïenne, et, grâce à son isolement, elle est restée telle. Elle fut des premières à embrasser le christianisme, et l'invasion Normande l'a trouvée assez riche pour la piller, et détruire son église primitive, placée sous le vocable de l'Impératrice mère sainte Hélène.

D'autres s'occupent en ce moment à retracer les destinées de cette cité depuis la période Mérovingienne jusqu'à nos jours. Bornons-nous à citer comme unique monument Gaulois, si on peut lui donner ce nom, la chaussée demi-circulaire qui enceint Jargeau au sud, et qui porte actuellement le nom de talus. Parm

(1) Manassèsde Seignelay, en 1220.


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les paysans, les uns l'attribuent comme de raison aux Romains, les autres aux Turcs. Mais comme jamais armée Romaine ni Turque n'a campé devant Jargeau, et que celte chaussée, placée entre Jargeau et le coteau de Sologne, ne peut avoir eu pour but de prévenir les inondations, nous la regarderions volontiers comme une trace du siège de Vercingetorix, un reste de son fossé de circonvallation, ou une partie des retranchements de son camp. C'est ce que des fouilles bien dirigées pourraient seules éclaircir.

En résumé, nous avons démontré que la Boïe et Gergovia n'ont jamais pu être situées dans aucun des lieux indiqués jusqu'ici et surtout dans l'Allier et à Moulins ; que le Val-de-Loire répond seul aux indications comparées de J. César, de Pline et de Tacite, que la configuration de ce terrain répond exceptionnellement à la qualification de civitas exigua que César donne à la Boïe ; signalons aussi ce point essentiel que, par sa position relativement inférieure sur la Loire, Gergovia à Jargeau a été nécessairement laissée à l'écart par César qui, après sa rencontre avec Vercingetorix sous les murs de Noviodunum n'a plus opéré que sur des points fort supérieurs à Jargeau, ce qui est peut-être la seule explication satisfaisante du silence que César va désormais garder sur l'objet d'une entreprise qu'il a pris tant de soin de justifier, lib. VII, cap. x. Ajoutons encore qu'en suivant cette direction l'itinéraire développé par César, dans les chap. x, xi et xu est aussi simple, aussi court, aussi rationnel qu'il était incohérent dans les diverses interprétations que nous combattons.

Nous déclarons cependant qu'en niant positivement qu'on puisse trouver les Boïens etGergovie dans le Bourbonnais et dans les autres points que nous venons d'écarter, nous ne prétendons indiquer Jargeau que comme une probabilité que confirmeront oudétruiront les recherches ou plutôt les hasards de l'avenir.

Portons maintenant la discussion sur les autres points de ce précieux itinéraire, c'est-à-dire Vellaunodunum, Genabum et Noviodunum.


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Vellaunodunum.

Nous ne dirons que peu de chose sur Vellaunodunum, si ce n'est qu'aucun des points désignés jusqu'ici par les commentateurs ne nous semble convenir soit à raison de la direction, soit surtout à raison de la distance.

Ainsi Châteaulandon qui réunit le plus de suffrages et qui n'est éloigné de Sens que de dix lieues métriques et un quart, conviendrait àpeu près pour Sens, mais ne saurait nullement convenir pour Genabum qui, si nous le plaçons à Orléans, se trouverait distant de 16 lieues et demie, et, si nous le plaçons à Gien, serait encore à treize lieues trois quarts. Or ces distances sont inconciliables avec la journée de marche du soldat romain, comme nous le démontrerons plus bas.

Beaune-la-Rolande, dominé de tous côtés, ce qui ne répondrait nullement à l'expression dunum, est à la fois trop loin de Sens (16 lieues métriques) (1), d'Orléans (13 lieues) (2) ou de Gien (15 lieues et demie), et de plus, pour ce dernier point, c'està-dire de Beaune à Gien, il se rencontre une foule de cours d'eau qui auraient ralenti la marche. Il est vrai que de Beaune à Orléans il y a toute la forêt à traverser, mais pour d'Anville, comme pour tous les autres commentateurs, la forêt ne semble pas créer un obstacle appréciable.

Ce même inconvénient des distances se rencontre pour Vallan. Proposé par l'abbé Lebeuf, situé à quatorze lieues et demie de Sens, à 17 de Gien, à 35 d'Orléans, Vallan est inadmissible. On le reconnaîtra tout-à-1'heure. Quant à Beaune (Côted'Or), les distances sont telles qu'il n'est pas même besoin de discuter.

(1) D'Anville ne compte pour Sens que 12 lieues l/5e et pour Orléans que 11 lieues. Il est vrai qu'il emploie la lieue de 2,400 toises. Mais dans ce cas même ses mesures sont inexactes.

(2) Id.


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Bléneau lui-même, à qui personne n'a songé jusqu'ici, et dont le nom semble répondre au vocable Vellauno, est à distance trop longue de Sens (15 lieues et demie), trop courte de Gien (5 lieues) et beaucoup trop longue d'Orléans (23 lieues et demie). D'ailleurs, il n'a présenté jusqu'ici aucun vestige gallo-romain, et Vellaunodunum, conservé par César (1), qui y laisse un lieutenant, a dû tenir un rang quelconque dans les cités gallo-romaines de la Sénonaise.

Il est remarquable que ni l'un ni l'autre des itinéraires, dits d'Antouin et de Peuttinger, ne mentionnent cette localité si notable dans les Commentaires, et évidemment située non loin et au sud-ouest de Sens, puisque, d'après le récit de César, elle le conduit à la Loire. Tout, porte à croire que Vellaunodunum aura disparu, renversé de fond en comble par les invasions barbares, et probablement dans la retraite effectuée par les hordes d'Attila d'Orléans sur Troyes (2).

L'avenir révélera sans doute quelque chose, et peut-être même le présent parle-t-il.

Déjà les recherches de feu M. Jollois, alors membre de la Société, avaient attiré l'attention sur des ruines assez importantes, dénotant d'une manière évidente l'existence d'une ville gallo-romaine détruite dans le terroir de Sceaux, commune de l'arrondissement de Montargis et du canton de Ferrières, située sur le Fusain. Sceaux se trouve bien effectivement sur la route de Sens à Orléans et même Gien, mais l'objection déjà faite se représente, et Sceaux, à 13 lieues et demie de Sens et 15 d'Orléans, offre encore des distances que les armées romaines ne franchissaient pas en deux marches, ainsi que nous avons l'assurance de le démontrer. D'ailleurs Sceaux, assis dans un marais, répond encore moins que Beaune-la-Rolande au sens de l'expression dunum.

Mais, grâce aux investigations patientes de M. l'abbé Guiot, alors curé de la paroisse, grâce aussi aux efforts aussi éclairés

(1) Commentarii, lib. VII, cap. xi.

(2) Les Itinéraires seraient-ils donc postérieurs au v° siècle?


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que persévérants de M. Petit, conseiller général du Loiret et juge de paix de Ghâteaurenard, une ville gallo-romaine tout entière sort des fouilles commencées depuis environ quatre ans à Triguères, sur l'Ouanne, ou, comme disent les gens du pays, la Vouanne, commune du canton de Châteaurenard, traversée par un perré ou voie celtique, qui conduit directement de Sens à Gien.

En 1857 nous avons eu l'honneur de présenter à la Société d'Orléans un rapport sur les restes d'un vaste théâtre romain trouvé dans cette localité à l'angle sud-ouest de la ferme de la Mardelle. Ce théâtre, on se le rappelle, était estimé capable de recevoir neuf mille spectateurs. Mais depuis, le nombre et l'importance des découvertes ont toujours été croissant. Ainsi au sud du théâtre, de l'autre côté de la route et près de l'Ouanne, derrière un moulin dit le Moulin du chemin, on a mis au jour tout un quartier romain,où ont été trouvés en masse et pêle-mêle des fûts de colonnes, des chapiteaux, des corniches, des fragments d'entablements qui, par leur nombre, leurs dimensions et la variété de leurs modules et de leurs formes, indiquent une cité pompeuse, et un saccage dont les démons seuls ou les Huns ont été capables. De l'autre côté de l'Ouanne et à près de huit cents mètres en face, on a trouvé un second quartier également romain, tandis qu'auprès du trilithe gaulois, que nous citions dans notre mémoire de 1857, s'ouvraient, sur une hauteur qui porte le nom du donjon, et où l'on croit retrouver encore les traces d'un fossé de circonvallation (1), seize tombes et fosses garnies et entourées d'ossements et de fragments d'armes, et les cadavres déposés dans leurs tombes portaient encore leurs parures funéraires. Une autre plume, plus exercée que la nôtre, s'apprête en ce moment à publier un travail sur cette intéressante résurrection. Nous nous bornerons à renvoyer nos lecteurs aux planches qui accompagnent cette étude, et à constater que Triguères situé, comme nous venons de le dire, sur le perré de Sens à Gien, à 9 lieues et demie de Sens et près de 9 lieues de

(1) Une fouille toute récente a fait trouver là l'enceinte gauloise*


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Gien, s'accorde parfaitement avec le récit de César, sous le rapport de la direction et des distances, si Genabum est Gien, mais que la convenance n'existera plus si Genabum est Orléans, dont Triguères est distant de plus de 20 lieues en ligne directe.

î XI. — Où trouver le Genabum de César ?

Deux villes de l'Orléanais, le chef-lieu et Gien, ou plutôt l'infime hameau de Gien-le-Vieux, se disputent l'honneur d'avoir donné le signal, chèrement expié, de la grande et dernière lutte de la nation celtique contre l'envahissement romain.

Les deux villes sont situées l'une, Gien, au commencement, l'autre, Orléans, à la fin de la courbure, de l'espèce de genou que forme la Loire lorsqu'elle change la direction de son cours.

Toutes deux présentent des titres et des débris, témoins de leur antiquité et du séjour plus ou moins prolongé des Romains.

César donne d'une manière approximative, circiter (lib. VII, cap. m), la distance de Genabum au territoire Arverne. « Ce qui se passait, dit-il, à Genabum, au lever du soleil, était, par le moyen de cris répétés de bouche en bouche, su, avant la seconde veille de la nuit, dans le territoire Arverne, distant d'environ 160,000 pas. »

Mais César n'a pas déterminé la longueur du pas dont il entend parler, car, ainsi que nous le verrons plus bas (p. 58), les Romains donnaient au pas deux longueurs différentes. Ils avaient le pas milliaire de lm47 et le pas de route de 0m73 (1). Or, il n'est pas présumable que pour apprécier la longueur d'un parcours qui lui était encore inconnu, César ait pris pour base le pas milliaire. Il aura naturellement adopté le pas de marche, le seul qu'aient pu connaître les indigènes près desquels seuls il pouvait se renseigner lorsqu'il recueillit cette note.

Si donc nous calculons le pas sur la base de lm47, la distance exprimée par César équivaut à 88 lieues -~. Si nous prenons

(1) V. BERGIER, 1.1.


pour baseOm73, le parcours ne serait plus que de 29 lieues et demie (1).

Nous suivons le cours de la Loire, puis l'Allier, ce qui est à coup sûr la voie la plus favorable à la transmission du son. Ceux qui ont mesuré l'espace à vol d'oiseau n'ont pas calculé les obstacles résultant des mouvements du terrain, des bois et surtout des échos.

Or par cette voie nous trouvons d'Orléans à Clermont 70 lieues métriques, distance trop forte de 12 lieues, si nous prenons pour base le pas de lm47, et trop forte de 41 lieues si cette base est le pas de 0m73. Une différence de 41 lieues, et même une de 12 lieues, sont trop fortes pour qu'on puisse leur appliquer l'expression approximative, circiter, employée par César.

Mais nous ne pensons pas que, pour traduire fidèlement le mot territoire Arverne, il soit nécessaire de pousser jusqu'à la capitale, et sans aller chercher Riom, comme le fait, on ne sait pourquoi, M. Jollois, attendu que ce territoire, comme nous l'avons démontré (p. 30), commençait au Bec-d'AUier ; c'est là, nous le pensons, que se rencontre ce que César désigne par finibus Arvernorum.

Or, à ce point, c'est-à-dire au Bec-d'Allier, la distance d'Orléans est de 38 lieues et serait par conséquent trop courte de 20 lieues, le pas étant de lm47; mais si le pas est de 0m73, elle sera seulement trop longue de 9 lieues, ce qu'admet jusqu'à un certain point le mot circiter.

Toujours en suivant la Loire et l'Allier, de Gien à Clermont, nous trouvons une distance de 83 lieues métriques, et de Gien au Bec-d'Allier une distance de 23 lieues.

Ainsi, dans le cas où la mesure du pas serait lm47 et le point d'arrivée Clermont, Gien répondrait à S lieues près, circiter, à la distance indiquée par César, tandis que si le pas est de 0m73, Clermont serait 24 lieues trop loin.

Mais, comme nous venons de le dire, il n'y a pas lieu de

(1) Qu'il soit bien entendu que dans le cours de cette étude la lieue équivaut à 4 kilomètres.


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supposer le point d'arrivée à Clermont, et, en admettant le pas de 0m73 et l'arrivée au Bec-d'Allier, la distance de Gien serait trop courte seulement de 6 lieues.

Sous ce point de vue les deux villes restent donc à peu près égales. D'Orléans au Bec-d'Allier, en prenant pour mesure le pas ordinaire, le pas de 0m73, la distance se trouve trop longue de 9 lieues, et de Gien au même point la distance est trop courte de six lieues, et toutes deux se prêtent également à l'expression de circiter employée par César, néanmoins avec quelque avantage pour Gien. Tout reste encore indécis.

Orléans offre des restes romains incontestables dans son enceinte primitive, mais cette enceinte elle-même, par sa forme, annonce qu'elle a eu pour base et point de départ un camp romain. Or Genabum n'est pas d'origine romaine, mais gauloise. Orléans présente en foule les médailles, les débris de monuments romains, ceux d'un cirque, enfin tout ce qui peut attester que, avant de tomber au pouvoir des Francs, elle a été un riche et important municipe gallo-romain, honneur que personne ne cherche à lui contester. Toutes ces richesses prouvent une origine romaine, mais non pas qu'Orléans ait été un oppidum gaulois, saccagé et détruit par César.

En amplifiant sur le texte si simple de Strabon, que nous avons déjà cité (page 10), on a voulu faire de Genabum une ville de la plus haute importance, la seconde des Carnutes. Strabon, contemporain de Jules César, et qui a pu parler de Genabum au moment même de sa destruction, ne lui donne pas tant d'éclat, et dit seulement « qu'elle longe la Loire et que c'est un marché des Carnutes. » Il fallait du reste que la ville fût de bien peu d'importance, un simple clan Celtique, comme le dit avec justesse M. Marchand (1), pour que sa population conçût l'espoir et tentât de se soustraire, corps et biens, par un seul pont, dans l'espace d'une nuit. L'évacuation d'une ville de cinq à six mille âmes prendrait plus de temps, encore que nous n'y ajoutions

(1) Mémoire sur la ville et les seigneurs de Gien, p. 6.


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pas, comme le fait gratuitement M. Amédée Thierry (1), l'entreprise de couper le pont, ce dont César ne dit pas un mot.

Gien n'étale pas tant d'opulence à l'appui de ses prétentions. Il n'offre qu'un pauvre et chétif hameau que les habitants appellent la Génabie, et on y croit voir encore régner la désolation, les traces d'un camp à environ 200 mètres, celles d'une porte dite de César, une collection de débris d'armes, des monnaies gauloises et des médailles romaines, postérieures à Jules César (2), comme celles d'Orléans, mais en bien moindre nombre, deux plaques de ceinturons gaulois, enfin deux moulins à bras, de ceux que portaient les soldats romains pour moudre leur ration quotidienne de blé. Tous ces détails sont empruntés au rapport de M. Jollois, un des adversaires les plus décidés du système qui placerait Genabum à Gien (3).

Nous ne nous arrêterons pas à combatre le système inventé par Adrien de Valois et reproduit par M. Lancelot, savoir : que ce nom de Génabie serait une fiction adoptée par les habitants pour donner à leur pays un relief d'antiquité. Ce serait singulièrement méconnaître les rares vignerons de cette espèce de ravelin que de les prendre pour des archéologues, et d'ailleurs le pouillé de Gien que nous avons consulté, et dont les titres remontent à Charlemagne, consacre ce nom de Génabie et écarte toute idée d'une fraude, inadmissible d'ailleurs pour qui connaît l'esprit du pays. Génabie ou plutôt la rue de la Génabie est située entre Gien-le-Vieux et la ville de Gien, et non pas comme l'a dit à tort M. Jollois, p. 76, entre Gien et Orléans. Adrien de Valois va plus loin, il le place entre Gien sur la rive droite et Sully sur la rive gauche. On en a pourtant fait une autorité, et il est évident qu'il a entraîné Lancelot.

(1) Histoire des Gaulois, t. III, p. 102.

(2) Les soldats de César n'auraient pas eu de médailles au siège de Genabum. Les médailles de César n'ont pu être frappées qu'après sa dictature. Jusque là les récompenses nationales décernées à César ne furent que des supplications. {Commentarii, lib. II, cap. xxxv, lib. VII, cap. xc.)

(3) M. JOLLOIS, Mémoire sur les Antiquités du département du Loiret, p. 53.


L'une et l'autre ville sont, il faut le reconnaître, entourées de voies Romaines, de chemins de /. César. Nous avons déjà dit, (page 18) ce qu'il fallait penser des chemins de J. César. Mais, ce qui est fort important, c'est qu'il existe aujourd'hui encore, et touchant Gien-le-Vieux, un perré, une grande voie Celtique, dont M. Jollois reconnaît et suit le tracé, que nous avons suivi comme lui, de Sens à Courtenai, puis à Douchy ou plutôt Triguères, commune limitrophe, à Chénevière, à Aquis Segeste (Cran) à la Bussière, et qu'il reconnaît aboutir à Gien-le-Vieux (1).

Nous ne savons pourquoi, mais il nous semble au premier abord que toutes ces misères de Gien parlent bien plus haut en faveur de ses prétentions que toutes les richesses accumulées dans le Musée d'Orléans.

Telle n'a pas été, du moins jusqu'ici, l'opinion du plus grand nombre, et comme la victoire, dit-on, reste toujours aux plus gros bataillons, la question s'est généralement décidée en faveur du chef-lieu, infiniment plus riche en hommes de science, en monuments, et qui a de nombreuses salles ouvertes aux débris archéologiques qui lui arrivent de toutes parts, lorsque Gien, loin d'avoir le génie des recherches, laisse tous ses titres s'éparpiller et se perdre.

Espérons que cette question, bien que controversée depuis plus d'un siècle, n'est pas encore jugée sans appel, et que, envisagée sous des points de vue qui n'ont été jusqu'ici qu'imparfaitement indiqués, elle pourra être résolue dans le sens qui nous paraît le plus vrai comme le plus logique.

Avec les renseignements si précis et si explicites que fournit César il nous semble que cette solution ne devrait dépendre que d'un compas. En effet d'Agendicum à Genabum César compte bien nettement quatre journées de marche, rien de plus, et dans une direction que nous pensons avoir bien clairement démontrée. Mais il faut d'abord s'entendre sur la longueur moyenne de la journée de marche du soldat romain, sur les obstacles plus ou

(1) M. JOLLOIS, Mémoires sur les antiquités du département du Loiret, p. 14, 15 et 33.


— 49 — moins insurmontables qui auraient pu entraver ou retarder la marche et aussi sur les diverses circonstances locales particulières aux deux villes.

XII. — Longueur moyenne de la marche du soldat romain.

Si nous consultons le stratège romain Végèce, nous voyons que la marche du soldat romain était de 20,000 pas à l'ordinaire, et de 24,000 pas dans les étapes les plus longues. Nous y voyons aussi que, dans les marches ordinaires, le soldat devait parcourir 4,000 pas à l'heure et 5,000 dans les marches forcées, ce qui donnerait de 4 à 5 heures de marche, suivant que celle-ci serait plus ou moins rapide. Recourons maintenant à Pline, qui dit: (Hist. mundi, lib. IV, cap. xxx, n° 16) en parlant de l'Angleterre : Hcec abest à Gessoriaco Morinorum littore, proximo trajectu, quinquaginta M. Elle est au plus court trajet, distante de cinquante mille pas de la côte de Boulogne, chez les Morins. Or, la distance de Boulogne à Dungeness (1) n'est que de 10 lieues métriques. Donc les 24,000 pas de Végèce donnent un peu moins de o lieues métriques. Voilà pour la théorie, nous allons voir plus loin'ce qu'il en était dans la pratique, précaution qu'il faut toujours prendre. Or ce n'est pas ainsi qu'on a agi jusqu'ici. On n'a pas même songé à contrôler, comme nous venons de le faire, la longueur de la marche par sa durée. On ouvre le premier dictionnaire venu, on y voit que le pas romain (le pas milliaire) était de 1 mètre 40 (2), ce qui établit que la marche ordinaire était de 7 lieues métriques, la marche forcée de 8 lieues 1/3. C'est à peu de chose près l'étape habituelle du soldat français, à l'intérieur. On s'en tient là, et là commence l'erreur.

En effet, tous les officiers que nous avons consultés sont d'accord pour reconnaître que, en pays ennemi, la moyenne des journées de marche est généralement fort inférieure à l'étape, ce qu'ils expliquent par la nécessité des reconnaissances.,, du-choix des

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(2) Première inexactitude. Il faut dire 1 mètr&'iTf,îitiW!' 4 v: '" >•

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positions, et aussi par la difficulté de mouvoir des masses comme celles que nous armons aujourd'hui. Or, César, nous l'avons établi page 22, ne conduisait pas moins de 50,000 hommes, non compris les otagesetles auxiliaires. Ce serait aujourd'hui encore un corps d'armée considérable.

On devait, il nous semble, et précisément à cause de l'analogie apparente des étapes, prendre en considération la différence énorme qui existe entre la charge réglementaire des soldats des deux nations. Le légionnaire romain, l'hoplite de premier rang, portait casque d'airain, cuirasse d'airain, jambière d'airain, ne laissant nu que le coude-pied, bouclier d'airain, le couvrant du sourcil au genou et assez pesant (1) pour résister à la charge d'un, et même de deux hommes armés, lorsque, dans les sièges, on faisait la manoeuvre d'assaut appelée la tortue (2), qu'il ne faut pas confondre avec la machine du même nom. Joignez à cela le baudrier (3) où l'on tenait attachés piques et javelots, la stragule en cuir ou couverte de campement (4), une chaudière d'airain (5), un panier (6) recevant une pierre à moudre le grain, une scie, une bêche une hache, une faulx, une corde, une chaîne (7), le blé pour 17 jours (8), et en outre au moins deux et quelquefois douze gros poteaux équarris pour clore l'enceinte du camp. C'est là ce que César appelle en une foule d'endroits Sarcinoe, et cela correspond au sac de nos soldats (9). Demandons-nous main(1)

main(1) nous raconte qu'on écrasa Tarpeia sous le poids de 5 ou 6 de ces boucliers.

(2) TACIT. Hist. lib. III, cap. xxvn. Elatis super capita scutis,densâ testudine succedunt.

(3) Commentarii, lib. V, cap. xxxxiv. Vopiscus. TACIT Hist. lib. II, cap. LXXXVIII.

(4) Commentarii, lib. VIII, cap. v.

(5) APP. Bell. Hisp. p. 517.

(6) lbid.

(7) JOSÈPHE, De Bello Judaico. 6.

(8) CICÉRON. Tuscul. 11,16.

(9) Cette charge excessive était une cause de sédition. Rogitanles an tam immensa onera libenler ferret. TACIT, Ânn. lib. I, cap. xx.

Nous ne prétendons pas, malgré la précision de nos autorités, affir-


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tenant comment, avec unetelle charge, on pouvait faire des enjambées de 1 mètre 40, et cela pendant 7 à 8 lieues (1).

Rappelons-nous maintenant que, dans la fameuse retraite des Dix-Mille! les Grecs dont les Romains avaient emprunté leur armement, et tout aussi forts, tout aussi lestes, tout aussi exercés à la gymnastique que les Romains, ne font néanmoins, au témoignage de Xénophon, que des marches de trois lieues, et cela dans une retraite.

Consultons César lui-même, qui, dans son livre VIII, aux chapitres xxxv et xxxvi, en donnant les détails de son premier passage de l'Allier, précise la longueur de ses marches.

L'opinion populaire veut que ce passage se soit effectué à Vichy, et ici l'opinion populaire nous semble parfaitement d'accord avec la nature des lieux et les détails donnés par César. Parti de Decize en se dirigeant sur l'Allier, César a dû naturellement arriver au lieu où s'assied aujourd'hui Moulins (2). Un nombre de marches indéterminé par lui, lui prouve que Vercingetorix, ne le perdant pas de vue, suit parallèlement et sur la rive gauche, la même direction que lui sur la rive droite. Ses éclaireurs viennent lui faire rapport que le chef arverne a coupé tous les ponts sur l'Allier, et César exprime son embarras et son appréhension d'être, tout l'été, intercepté par l'Allier qu'on ne peut passer à

mer que telle fut la charge de chaque hoplite. Il est probable que, comme chez nous, tous les ustensiles accessoires, tels que meules, chaudières, scies, bêches, haches, chaînes, etc, se répartissaient entre tous les hommes du même manipule, mais le poids des armes offen - sives et défensives, joint à celui des poteaux et du panier, donnerait seu plus de 50 kilog.

(1) On a cherché à expliquer ces enjambées phénoménales, en supposant un pas qu'on pourrait appeler Composite, et qui nécessite six mouvements. Un pied se lève et se pose.- Le second avance à son tour et se pose. Puis le premier se relève et se repose, et le pas se mesure sur l'espace de terrain qu'a parcouru le premier pied. On n'a pas fait attention au temps donné, 4,000 pas à l'heure ou 5,000, ce qui donnerait plus de 6 pas et 36 mouvements à la seconde. Ainsi on n'évite un ridicule que pour tomber dans un autre et on transforme les jambes romaines en bielles de locomotives.

(2) V. à la page 34.


gué que l'automne venu. C'est alors que profitant de son campement dans un lieu très-boisé, il se décide à rétablir sur ses pilotis laissés debout par Vercingetorix un pont situé dans le voisinage, ce qu'il exécute au moyen du stratagème suivant. Il cache dans ces vallons boisés deux légions (12,000 hommes) qu'il choisitdans toutes les cohortes de manière à présenter toujours aux yeux de Vercingetorix le même nombre de légions, de cohortes, de vexilles et d'aigles, puis, au point du jour, restant sous le couvert avec ses deux légions triées, il fait partir le reste avec l'ordre de faire le plus de chemin possible en vue de l'armée ennemie (1). Puis, lorsque l'heure lui fait présumer que sa colonne de marche est arrivée au lieu du campement, il sort des bois avec son corps de réserve et rétablit un tablier sur les aniciens pilotis. Il passe alors l'Allier, asseoit son camp, et rappelle à lui le reste de l'armée qui profite de la nuit pour se dérober et se replier. Puis de là il arrive en cinq marches devant Gergovie des Arvernes.

Il importe de remarquer que la rive gauche de l'Allier que remontait Vercingetorix est assez boisée, et que la rive droite que suivait César ne l'est pour ainsi dire pas jusqu'à Vichy, et semble même jusque là peu propre à la croissance du chêne. Mais parvenu à Vichy, il trouvait les montagnes couvertes qui, sous le nom de montagne Verte, de Vernet, et de montagne «le St-Amand, forment autour de Vichy un amphithéâtre d'environ huit kilomètres merveilleusement disposé et pour son campement et pour sa ruse de guerre.

Vichy, situé à égale distance de Moulins et de Clermont, est donc presque assurément le point où César a pu exécuter son

(1) Ce détail est on ne peut plus curieux. Il établit d'abord la brièveté de la marche qui ne peut guère excéder 2 lieues et demie à 3 lieues, car il a fallu le temps voulu pour faire un tablier de pont, c'est-à-dire abattre les arbres, les débiter, puis fixer les planches. Cela prouve aussi que si les Romains n'avaient pas d'équipage de ponts au temps de César, ce qui est confirmé lib. IV, cap. xvn, ils apportaient avec eux tous les inslrumens et outils qui servent à construire un pont de bois.




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passage. C'est fort à tort que la table de Peuttinger, et après elle la carte de d'Anville, qui pas plus que Peuttinger n'a vu les lieux, lui donnent le nom d'Aquce Calidoe qui ne lui convient guère, car les eaux chaudes sont loin de dominer à Vichy. Le vrai nom latin de Vichy est Vicus Iulii, qui, abrégé, sera devenu Vic-Iii, puis Vichy.

Or de Vichy aux ruines de Gergovie, la distance bien mesurée sur les cartes du dépôt de la guerre est de 14 lieues métriques. César la parcourt en cinq journées, quintis castris. Il fait alors un peu moins de deux lieues et demie par marche. On observera qu'une fois sur la rive gauche de l'Allier, César, au centre du pays Arverne, trouve jusqu'à Gergovie une contrée à la fois trèsaccidentée et très-boisée, et qui exige par conséquent que les corps de marche soient constamment éclairés, les bois fouillés, etc., enfin toutes les précautions que l'on peut attendre d'un général dont la prudence égalait l'audace. Aussi ne prétendonsnous pas borner la journée de marche du soldat romain à deux lieues et demie. Mais, au retour de Gergovie, César vient regagner le même passage, il y rétablit de nouveau le pont (1), et le paysluiétant connu, il exécute cette marche de retraite en trois jours. C'est alors un peu plus de quatre lieues et demie par journée.

La marche du soldat (2) serait donc, en vertu de ce passage, de trois à trois lieues et demie, en circonstances ordinaires, de quatre et demie à cinq, lorsqu'il fallait déployer une célérité extraordinaire. C'est ce que confirment les passages extraits des Commentaires, liv. I, c. LUI, liv. II, c. xv, liv. V, c. u, c. xxvn, c. XLvu, liv. VI, c. vu, c. xxxiii, enfin tous les points où les indications de César permettent de vérifier la longueur de la marche. Objectera-t-on qu'on aura pu doubler l'étape ?Mais une double

(1) Commentarii, lib. VII, cap. LUI.

(2) Il faut se garder de confondre la journée de marche avec les stations indiquées dans les itinéraires ; celles-ci ne sont que des relais, cl des lieux de halte établis pour les fonctionnaires en mission et les soldats détachés qui faisaient route sans bagages.


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étape ne se fait pas quatre jours de suite, et d'ailleurs les Romains ne connaissaient pas les doubles étapes ; les forces humaines n'y auraient pas suffi ; il fallait toujours le temps de creuser le vallum et d'enclore le camp : mais, dans les circonstances exceptionnelles, il y avait marche de jour et marche de nuit (1), après un long intervalle de repos (2).

Tacite (Hist., lib. II, cap XLIV) cite comme immense, hors de mesure, immensum iter, la traite que, dans leur déroute au confluent du Pô et de l'Adda, firent les Othoniens pour gagner Bédriac. Plutarque a mesuré cette course, et il la fixe à 150 stades. Or, en écartant le stade d'Alexandrie, qui n'était usité qu'en Egypte, il y avait deux stades : le stade Olympique, de 185 mètres, et le stade Pythique, de 148 mètres. Dans le premier cas, ce trajet démesuré serait donc d'un peu moins de 7 lieues métriques, et dans le second de S lieues et demie. Remarquons que ce n'est pas là une marche régulière, mais une déroute où la plupart des soldats ont abandonné armes et bagages.

Citons encore cet autre passage de Tacite (Hist., lib. III, c. LX.) où il dit que les Flaviens n'étant campés qu'a dix mille pas des Vitelliens comptaient sur des rencontres de promeneurs qui permettraient de s'aboucher avec ceux-ci et de les embaucher. Colloquia cum Vitellianis, decem millium spatio distantibus, et proditio sperabatur. 10,000 pas de 1 mètre 47 nous donnent 14 kilomètres 70 ou 3 lieues -rêz; distance que des soldats rebutés de marches et de contre-marches 11e prennent pas pour but de promenade ; car il faut revenir, ce qui ferait une promenade de 8 lieues, ou approchant. Supposons maintenant que le pas soit réduit de moitié, une promenade de 7 kilomètres 30,1 lieue r™ s'admettra facilement, surtout si les promeneurs partis de chaque camp viennent au devant les uns des autres. D'ailleurs à 14 kilomètres 70, on n'entendrait plus les clairons, on neverraitplus les

(1) Commentarii, lib. VII, cap. XLI.

(2) TACIT. Annal, lib. III, cap. XLV. Ne suetam requiem, ne spalia noctium opperiretur.


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Quant à la supposition d'une marche forcée pendant quatre jours, elle nous paraît peu admissible, et on conviendra avec nous que d'abord la saison, et ensuite le terrain d'opération où se placent nos adversaires, c'est-à-dire la forêt d'Orléans, bien plus vaste alors, et bien moins percée déroutes qu'aujourd'hui, s'y seraient peu prêtés. Mais nous ne connaissons démarches forcées romaines au-delà de cinq lieues que celles fournies par la cavalerie seule.

XIII. — De la longueur vérifiée des marches, et des circonstances accessoires, il résnlte que le Genabum de César ne peut être à Orléans et qu'il est nécessairement a Gien.

De tout ce qui précède, savoir : de Pline confronté avec Végèce, des passages extraits de Xénophon, de Plutarque et de Tacite, et de tous les chapitres de César, où ses marches peuvent être vérifiées, nous pouvons conclure que des marches de 7 ou 8 lieues sont inadmissibles. Maintenant donc nous pouvons nous armer du compas et dire : Orléans étant distant d'Agendicum ou Sens de plus de 29 lieues à vol d'oiseau, ce qui donnerait 4 marches de plus de 7 lieues, immensum iter, ne peut être Genabum. Gien n'étant séparé de Sens que par 19 lieues 3/4, ce qui donne en moyenne pour chaque marche un peu plus de 4 lieues 3/4, remplit au contraire exactement les conditions de distance d'une marche rapide telle qu'on est en droit de l'attendre de soldats conduits par César.

Examinerons-nous les circonstances de position. Elles sont également toutes en faveur de Gien, toutes contraires à Orléans.

Les deux villes ont un pont sur la Loire, mais il est de construction récente. On connaît aussi la date de construction du vieux pont, témoin des faits d'armes de la Pucelle. Mais on ne trouve à Orléans nulle trace d'un pont antérieur, qui puisse répondre aux indications de César, tandis qu'au contraire les habitants de Gien, et surtout les mariniers ont toujours affirmé l'existence de piles et de vieux pilotis, situés précisément entre Gien-le-Vieux et Port Galliée. M. Jollois (1) déclare les avoir

(1) Mémoires sur les Antiquités du département du Loiret, p. 54.


— 58 — inutilement cherchés dans la Loire ; ils étaient dans ses cartons, et nous joignons à cette étude le croquis d'une recherche faite en 1818, par le sieur Jusselin, marinier plongeur, sous les ordres de M. Mathieu, agent-voyer, qui lui-même relevait de M. Jollois ou de son prédécesseur.

Ce croquis (1) indique fort nettement deux piles en blocage grossier, C D, du côté de Gien-le-Vieux, à 20 mètres du rivage, distant lui-même, de moins de 700 mètres de la fontaine SaintPierre où s'arrête Gien-le-Vieux (2). Ces piles sont espacées entr'elles de 15 mètres. Du côté de Port-Galliée, parfaitement en ligne droite avec les deux piles C D, est une cage de pilotis F, également à 20 mètres du rivage gauche, et la ligne droite qui partage ces trois piles par moitié aboutit au nord à l'axe du chemin creux et en pente rapide qui descend de Gien-le-Vieux à la Loire. En amont, à environ 120 mètres de ce point, et dans le milieu du cours de la Loire, il existe une ligne de pilotis A, parallèle au cours du fleuve, puis une autre ligne de pilotis B, un peu en diagonale et plus rapprochée du rivage de Gien-le-Vieux semblant indiquer un essai de duict on d'estacade.

On nous a objecté que les piles marquées sur ce croquis n'étaient pas de véritables piles, mais des enrochements sortis du lit même du fleuve. Nous dirons à notre tour : le rocher où est assis Gien-le-Vieux est déjà à la distance de 700 mètres, et il semblera singulier que le hasard ait fait sortir du lit de la Loire des enrochements disposés en ligne parfaitement droite entre Gien-leVieux et Port-Galliée, affectant tous deux la forme ellipsoïde particulière aux piles de pont, espacés entr'eux de la distance voulue pour des piles de pont, et se reliant par une ligne par(1)

par(1) Collin, ingénieur en chef, a fait pour vérifier l'exactitude de ce croquis des sondages qui n'ont amené aucun résultat, mais le sieur Jusselin a toujours persisté à dire que les piles existaient et qu'il les avait vues et touchées.

(2) Cette distance d'un peu plus d'un demi-quart de lieue coïncide avec le texte du récit : ex oppido egressi, et surtout ilinerum angustioe. Commentarii, lib. VII, cap. xi. — V. le post-scriptum p. 104.


- 55 — signaux. Une telle promenade serait considérée comme désertion.

Donnons enfin comme dernier exemple la marche des Flaviens de Vérone à Bédriac. (TACIT. Hist., lib. III, cap. xv.) Il faut à Antonius une prompte victoire, ni festinato proelio victoriam proecepisset. De Vérone à Bédriac la distance est de 30 kilomètres ou 7 lieues et demie. Et, malgré toute la hâte que s'impose Antonius et dont il a besoin, cette route de 7 lieues et demie n'exige pas moins de deux marches. Secundis à Veronâ castris Bedriacum venit. Ainsi chaque marche, en supposant les deux égales, est de 3 lieues et quart. Nous accorderons volontiers que cette armée, ramas de Germains, de Bataves, de Syriens, de Pannoniens, n'a plus le zèle et l'activité de Romains conduits par César, mais la différence ne saurait être de la moitié.

Maintenant recourons à l'excellent Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts de M. Bouillet, que trouvonsnous au mot Pas ?

« Le pas romain, passus, valait 5 pieds romains, c'est-à-dire « 1 mètre 47 ; il ne faut pas le confondre avec le gradus, pas de « marche, ou pes sestertius (1), pas inférieur, qui était la moitié « du passus et ne valait que 2 pieds romains et demi, c'est-à« dire 0 mètre 73. »

Le Dictionnaire savant de M. Dézobry donne la même explication.

Ainsi le pas romain de 1 mètre 47 c'est une mesure itinéraire, celle dont se servait l'agrimensor, chargé de placer sur les voies romaines la colonne milliaire, mais le pas ordinaire, le pas de route, le pas du soldat enfin, était, suivant la mesure commune à tous les hommes de 0 mètre 73. Sur cette nouvelle base les 20,000 pas de Végèce nous donnent une étape de 14 kilomètres 6, soit un peu plus de 3 lieues métriques et demie et les 24,000 pas 17 kilomètres 82 ou un peu plus de 4 lieues métriques et demie.

N'est-on pas frappé du rapport qui existe entre la journée de

(1) Comme pour dire pas soldé.


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marche que nous venons de reconnaître etcelles des Grecs, celles de César et celles d'Antonius, et ne résulte-t-il pas des témoignages réunis de Végèce, deXénophon, de César, de Tacite, de Plutarque et de Pline que la plus longue marche, mais régulière, n'excède pas quatre lieues et demie à cinq lieues.

Mais, nous objectera-t-on, n'est-il pas possible que dans une marche, faite sans bagages, et pour secourir un allié, César n'ait dépassé la moyenne d'étape usitée ?

Dépasser et doubler sont choses bien différentes, et que César soit parti d'Agendicum sans bagages c'est une circonstance que nous n'admettons nullement. Il y a là une grosse erreur qui naît d'une fausse interprétation du texte. Laisser les bagages de toute l'armée, ou laisser tous les bagages de l'armée sont encore deux choses très-différentes. Dans la première forme, qui est celle du texte, impedimentis totius exercitus relictis, César indique simplement qu'il laisse à Agendicum un dépôt de malades, de blessés, un magasin de vivres, d'habillements comme il en avait déjà un à Neuvy-sur-Loire, Noviodunum ad ripas Ligeris positum (1). Quant à la seconde forme, le bon sens la repousse absolument. Comment admettre en effet que, pour une expédition d'une année, qui commence par quatre sièges (2), et où il prévoyait dès le début un contre-siége (3), César parte avec 50,000 hommes sans son équipage de campagne ! Il savait tout aussi bien que Napoléon Ier « que les murailles ne s'enfoncent pas avec des poitrines de grenadiers (4). » Est-ce avec leurs ongles et la pointe de leurs épées que ses soldats creusent la circonvallation de Vellaunodunum ?

(1) Commentaires, lib. VII, cap. LV.

(2) Vellaunodunum, Genabum, Noviodunum, Avaricum.

(3) Celui de Gergovia Boïorum.

(4) THIERS. Hist. de l'Emp. liv. XXVII, p. .521. TACIT. Hist. lib. ni, cap. xix. Gladiis ne et pilis perfringere ac subruere muros ulke manus possunl ?

Ce que vient confirmer le passage du lib. VU, cap. LXII, Labienus reverlilur Agendicum ubi impedimenta totius exercitus rélicta eranU


^èwAe\&. Soc'véVâ (\'k\ï., Scie\VGes,^e\\es-\e\\m e\Ms>. tlOAéaiW

T.7. PL* page 58.

LÉGENDE.

A. Camp.

B Butte de Montfort.

C Fondations de la porte César.

» Emplacement de l'église Saint-Pierre, ancienne porte et limite de Gien le Vieux.

E Vestiges de pont constatés et relevés en 1818.

SïHB^ Vestiges d'enceinte.

<? Substructiontrouvéesous nos yeux le 8 avril 1861

H Mare ou piscine.

1 I Cimetières abandonnés.

O Maison de P. Pierrat.

a NOTE ESSENTIELLE.

La route de Montargis a changé de direction en 1861, elle a maintenant le pont Boucheriot à gauche, le riot des Fondureaux a disparu en majeure partie.

SI) 100 200 300 400 500 G00 700

Faubourg Berry.

\\V£\\\k ^i\ C* t";

ESQUISSE levée sur le plan de M. JOLLOIS (pi. 17) et présentant lès rapports des dispositions entre GIEN et GIEN LE VIEUX et l'indication des points où se trouvent des vestiges importants.



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faitement droite à un pilotis, de la même forme ellipsoïde, et qui, à coup sûr, n'a pas surgi spontanément de la Loire.

C'est dans la persuasion que de nouvelles perquisitions nous apprendraient quelque chose sur les piles intermédiaires, dont nous devions supposer l'existence, que, les 7 et 8 avril 1861, avec M. Petit, à qui nous devons en partie les intéressantes découvertes de Triguères, nous nous sommes transporté à Gien, où, à notre première question, M. Gramain, membre du comité de statistique de Gien, et ancien maire de cette ville, nous a affirmé que, sous les administrations qui avaient précédé la sienne, ces piles intermédiaires, enfouies sous les sables, mais qui, dans les basses eaux, se découvraient au point d'intercepter la navigation, avaient été minées et dispersées dans le lit du fleuve par les soins de MM. Berruyer et Mathieu, agents-voyers de l'arrondissement de Gien, mais que la dépense qu'entraînaient ces travaux d'extraction fit tolérer l'existence des piles restantes, éloignées du chenal, et par conséquent peu gênantes pour la marine. Malheureusement il n'a pas été conservé dans les archives de Gien de procès-verbaux de ces opérations successives, dont celle du sieur Jusselin fut la clôture. Nous aurions voulu consulter ce marinier, mais il était décédé depuis peu.

La réponse si précise d'un homme éclairé et compétent comme M. Gramain nous semble trancher la question dans notre sens. Ce qui est également certain c'est que la configuration ou plutôt le régime de la Loire, devant Orléans au temps de César, n'y permettait guère la construction d'un pont, à moins que ce pont n'eût plus d'une lieue de longueur , car alors les endiguements exécutés depuis dans le lit de la Loire n'existaient pas, et à Orléans le vrai lit de la Loire s'étend du coteau d'Orléans à celui d'Olivet. C'est ainsi qu'ont été exécutés les ponts-chartrains (Loir-et-Cher). Mais si le pont celtique eût existé dans cette forme près d'Orléans on eût signalé l'existence de ses ruines dans tout le Val qui s'étend de la rive gauche de la Loire à Olivet. Or aucune découverte de ce genre n'a jamais été constatée, que nous sachions, entre Orléans et Olivet. À Gien, au contraire, l'exécution d'un pont a toujours été chose facile, à


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cause du rétrécissement qu'éprouve le lit de la Loire par le rapprochement de la montagne de Gien des derniers contreforts de celle de Sancerre. Cela est bien sensible sur la belle carte du Loiret que M. Eugène de Fourcy a extraite du dépôt de la guerre et nous nous sommes efforcé de reproduire ce rapprochement dans la carte que nous joignons à cette étude.

César, pour se rendre de Sens à Orléans, n'eût pas trouvé de route frayée, à moins de se l'ouvrir lui-même, ce qui n'eût pas été expéditif. En suivant la voie romaine, créée par ses successeurs, et même postérieure aux itinéraires, comme le dit M. Jollois, p. 22, il aurait actuellement à traverser au moins huit lieues de forêt, et, de son temps, on peut affirmer sans légèreté qu'il en aurait bien trouvé dix-huit. Or se rend-on compte de ce qu'eussent été 18 lieues de forêts à traverser pour un général qui, dans les bois Ménapiens (lib. III, cap. xxix), ne s'avançait de crainte de l'imprévu que de la longueur des abattis que pouvaient faire ses soldats, qui avaient en même temps l'ordre d'empiler ces abattis à droite et gauche pour tenir Heu de retranchement. Ne quis inermibus imprudentibusque militibus ab latere impetus fieriposset, omnem eam materiam quoe erat coesa, conversam ad hostem collocabat, et pro vallo ad utrumque latus exstruebat. Est-ce là le moyen de faire des marches de sept lieues ? Et les Commentaires ne sont-ils pas remplis de passages qui prouvent combien César hésitait à risquer dans les forêts et l'honneur de ses armes et la vie des légionnaires (1)? La destruction encore

(1) Commentarii, lib. VI, cap. xxix : hasard couru par Ambiorix, cap. xxxiv : Ut potius in silvis Gallorum vita quam legionarius miles periclitetur. Lib. V, cap. LU : Longius prosequi veritus quod silvoepaludesque intercedebant. Lib. VIII, cap LV. Il fait fouiller la forêt d'Orléans par les alliés par suite du principe posé plus haut, etc.

Qu'on joigne à ces citations celles du lib. III, cap. xxxix ; lib. IV, cap. xix ; lib. V, cap. vm; lib. VI, cap. x et xxix. et xxxin, et on conclura que César évitait les forêts avec une prudence calculée, qui lui attire de Suétone cet éloge remarquable : Exercilum nequeper insidiosa ilinera duxil unquani. (SUETON. C. J. Coesar, cap. LVHI.)


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récente de trois armées consulaires surprises ainsi par Viriate (1) n'était-elle pas pour lui un avertissement suffisant?

De Sens à Gien au contraire il trouve une grande voie celtique, un perré (Jollois, p. 17) reconnu et suivi par M. Jollois, p. 14, 15 et 33, depuis Sens jusqu'à Bonnée, et que M. Jollois aurait pu pousser plus loin à travers la forêt, par le buisson-Génois (2), Vieilles-Maisons, la Fosse Blanche, la Verrerie, Charbonnière et Saran jusqu'à l'ancien chemin dit pavé de Chartres (3). En outre point d'autres obstacles que des taillis de quelques arpents de superficie, et de petites rivières toujours guéables, le Cléry, l'Ouanne, l'Aveyron, le Loing jusqu'à Feins (fines Carnulum), où il n'est plus qu'à quatre lieues de Gien etoù il trouve la lande, la Gâtine toute nue.

On conçoit parfaitement que, découvert sur sa frontière de l'Est, Gien ait préparé un corps auxiliaire pour Vellaunodunum qui lui servait d'avant-poste de ce côté. (Proesidium, Genabi tuendi causa, quoi eimitterent, comparabant, lib. VII, c. xi.)La même mesure s'explique peu à Orléans qui avait dans sa forêt un boulevart bien plus sûr que la cité Senonaise. On ne colloque pas d'ordinaire les ouvrages avancés à quinze ou seize lieues du corps de la place.

On s'explique que les habitants de Gien, coupés de la forêt, dont ils sont éloignés de près de trois lieues, par César placé au camp des Marceaux (4), aient eu l'idée de chercher un refuge au-delà de la Loire, dans les hauteurs boisées de Saint-Martinsur-Ocre, appartenant aux Bituriges, et dont il n'étaient distants que d'une demi-lieue à peine. On conçoit moins que les habitants

(1) 149 à 140 avant J.-C.

(2) II est étrange que M. Jollois, qui a vu tant de choses à Bonnée, n'ait pas remarqué un nom aussi significatif.

(3) M. Jollois suit encore (p. 54) un autre embranchement de ce perré qu'il retrouve au-delà de la Loire, au point de Port-Galliée, où aboutissait le pont gaulois, et qui se continue jusqu'à Coulions. Gienle-Vieux était ainsi en communication avec Avaricum et Autricum, sans passer par Orléans, qui n'existait sans doute pas encore.

(4) V. la carte de Gien a.


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d'Orléans, entourés de la forêt de toutes parts, ne lui aient pas demandé asile du côté de Saran ou d'Ingré, si César arrivait du côté de Semoy, plutôt que d'aller s'épandre dans le Val et dans les bruyères de la Sologne, pour y être enlevés ou taillés en pièces par la cavalerie de César, avant d'avoir franchi les huit ou neuf lieues qui les séparent du Berry.

Nous venons de citer comme existant à quelques pas de Gienle-Vieux le bois du camp ou des Marceaux que la voix publique désigne comme l'emplacement du camp de César dont ce bois a précisément conservé les vestiges incontestables, suivant le colonel Paultre (1), douteux suivantM. Jollois, parce que, dit-il, quoiqu'il y reconnaisse en quelque sorte l'emplacement du Prétoire, le fossé (Vallum), encore bien visible et large de cinq mètres, n'est par revêtu de son parapet (2). M. Jollois ne prend pas garde, il nous semble, que César, qui n'a passé qu'une nuit ou deux devant Genabum, n'a dû établir qu'un camp volant, recevant il est vrai toutes les dispositions réglementaires du camp Romain, mais exécutées seulement en terre, et dont les traces ne se sont conservées que grâce aux accrues de chêne et de broussailles qui s'y sont développées.

L'abbé Lebeuf, M. Paultre, et après eux M. Jollois, reconnaissent auprès de Gien-le-Vieux, et entre ce village, si on peut lui donner ce nom, et la fontaine Riot-Dine, un long espace de mur d'enceinte dont il n'existe plus que les fondations (3), mais M. Jollois conteste que ces vestiges soient celtiques, parce que, dit-il, les murs ne sont pas fourrés d'un mélange de pierres et de poutres, et il profite de l'occasion pour donner d'assez longs développements sur le ch. xxm des Commentaires, liv. VII, où César expose le mode de construction des enceintes gauloises. Nous n'examinerons pas le plus ou moins d'exactitude de la traduction de Vigenèré à laquelle M. Jollois s'est entièrement rapporté, mais nous nous étonnerons qu'un homme aussi expert en

(1) Dissertation au t. 24 des Annales des Voyages de Maltebrun.

(2) Mémoires sur les Antiquités de Loiret, p. 55.

(3) M. JOLLOIS, p. 50.


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construction que M. Jollois exige des poutres dans une fondation, et que, partant de cette critique, qu'on peut appeler mal fondée, il en vienne à conclure que ces vestiges d'enceinte appartiennent à l'époque féodale (1). Il est fort difficile d'assigner une date précise à des fondations, car à moins d'être Assyriennes, Cuthéennes ou Pélasgiques, des fondations sont à peu près les mêmes partout, et dans tous les temps, mais il nous semble peu judicieux d'admettre qu'un donjon rival ait pu s'élever près de celui du nouveau Gien, bien plus considérable et prédominant par sa force aussi bien que par sa position. Les savantes recherches sur Gien, de M. Marchand, et de notre collègue M. Loiseleur, ne disent pas un mot de ce fief gênant pour les divers seigneurs de Gien, et il nous semble plus rationnel d'attribuer ces débris à Genabum, dont César précise et date la ruine, qu'à un manoir féodal dont le pouillé de Gien ne fait pas mention et dont cependant les vestiges, bien plus récents, devraient aussi être plus entiers.

La rue de Génabie existe dans Gien actuel et non dans Gienle-Vieux, où elle conduit, comme on peut s'en assurer sur notre plan de Gien. Dans le milieu de son cours elle est croisée par la rue Porte-César. C'est que là effectivement existait une porte par laquelle, suivant la tradition, se sont introduites les deux légions, placées par César, suivant la même tradition, en observation sur Montfort, éminence qui domine toutes ces hauteurs, et qui se relie au bois du camp. Le cintre de cette porte, qui menaçait ruine, a été démoli il y a quarante ans, c'est-à-dire de 1820 à 1821, sous l'administration de M. Lenoir, maire. Cette porte sans battants, avait cinq mètres de baie. Le cintre partait du mur d'enceinte, également démoli. Il naissait à cinq mètres de hauteur, et de sa clef au sol il y avait sept mètres. Il est bien à regretter que le soin de prendre toutes ces dimensions n'ait pas été accompagné d'un croquis ou d'une élévation. Nous tenons tous ces détails de cinq vignerons habitants de la rue, dont le plus jeune a 74 ans et le plus âgé 79. Les mêmes détails nous ont été

(1) M. JOLLOIS, p. 71.


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confirmés le jour même par M. Adrien Lenoir fils, et le lendemain par M. Gramain, un des successeurs de M. Lenoir, et que nous avons déjà nommé. M. Adrien Lenoir a de plus ajouté que les dégradations de la muraille attestaient que les gonds des portes avaient été arrachés violemment et non descellés. Et en effet ils ont dû être enlevés par les Romains qui avaient coutume de faire passer dans la pompe du triomphe les portes des villes prises de force. Ils ont dû y mettre toute hâte pour empêcher ces portes d'être consumées par le feu qu'eux-mêmes y avaient mis (1). Enfin nous devons ajouter que nous avons vu et mesuré nous même les fondations encore saillantes sur ce point. Elles sont en gros silex du pays et offrent 4 mètres 50 dans tous les sens. Une autre déclaration bien importante de M. Lenoir est celle de la mise au jour presque continue, faite dans ses vignes et celles de ses voisins de caves rondes qu'on rebouche aussitôt. Ces caves rondes offriraient tous les caractères de la caborde ou maison celtique, construction analogue à la motte en pierre du moulin à vent et qu'on retrouve à chaque pas dans la Franche-Comté.

Il résulte d'ailleurs, suivant nous, beaucoup moins de ces ruines ou plutôt de ces vestiges de fondations, dont à raison même de leur nature de fondations il serait difficile de préciser l'époque, que de leur corrélation entr'elles, et de la manière dont elles se groupent entre la voie celtique et la Loire, des témoignages bien plus probatifs que les monuments romains d'Orléans, que Gienle-Vieux offre tous les caractères auxquels on peut reconnaître, après deux mille ans, l'emplacement de la ville celtique, du Genabum pris et détruit par César.

XIV. — Noviodunum.

En démontrant, ce que nous venons de faire,.qu'en vertu des distances comparées, et de toutes les circonstances locales rapprochées du texte de César, le Genabum de César ne peut être

(1) Partis incensis. Commentarii, lib. VII, cap. xi.


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qu'à Gien-le-Vieux, nous avons en quelque sorte fixé la direction de la Gergovia Boïorum et sa situation à Jargeau ou Gergeau.

Il nous reste maintenant à déterminer le point où a dû se trouver Noviodunum, nécessairement intermédiaire entre Genabum et Gergovia, si l'on suit fidèlement le récit de César (1).

L'itinéraire'dit d'Autonin, aussi bien que les tables dites Théodoniennes, ont gardé le silence sur Noviodunum, aussi bien que sur Gergovia ; aussi les inventeurs de Gaules romaines, qui aiment mieux consulter les noms que les lieux, ont-ils jeté les yeux sur une foule de localités pour y placer ce point très-important, parce que c'est là que César change la direction qu'il avait suivie jusqu'alors pour se porter sur Avaricum. Mais les étranges positions choisies jusqu'ici pour Gergovia Boïorum devaient amener et ont amené en effet la plus grande divergence sur la détermination de ce nouveau point.

Pour ne citer que les moins excentriques, nommons et discutons seulement six localités, Argent, Nouan-le-Fuselier, Neuvysur-Baranjon, Nouhans-en-Septaine, Dun-le-Roi, et St-Amandde-Monlrond, et commençons par écarter les trois derniers points, qui tous trois situés au sud de Bourges, le laissent à découvert devant César venant du Nord (2). Argent offre des traces incontestables, non-seulement du passage, mais même du séjour prolongé des Romains, et, quoiqu'il ne figure pas, que nous sachions, sur les itinéraires, il est certain qu'il a été gallo-romain. Que Genabum soit à Orléans ou à Gien, il se trouve en réalité sur la route de l'Allier, de la Nièvre, de la Côte-d'Or, du Forez, enfin de toutes les directions que nous avons reconnues et déclarées impossibles, mais il ne saurait être admis si, comme nous le pensons, la Boïe et Gergovia sont dans le val de la Loiret Nouan-le-Fuselier, qui d'ailleurs n'offre aucune trace gallo-romaine, et Neuvy-sur-Baranjon, assez riche pourtant en débris du grand peuple, et qui a jusqu'ici réuni le plus de suffrages, se

(1) Positum in via. Commentarii, lib. VII, cap. xn.

(2) V. pag. 36.

T. Vil. 5


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trouvent dans le même cas, et en s'y transportant César tournerait le dos à sa direction, tandis qu'il déclare lui-même Noviodunum positum in via, Commentarii, lib. VII, cap. xn, placé sur la route qu'il a toujours suivie depuis son départ d'Agendicum (ad Boios proficiscitur, lib. VII, cap. x), et qu'il ne quittera pas sans nous en avertir : (Ad oppidum Avaricum profectus est. Lib. VII, cap. xm.)

Mais il est un Noviodunum positum in via que tous ont négligé jusqu'ici, sans doute à cause de son peu d'importance actuelle et de la faiblesse de sa population, c'est Neuvy-en-Sullias, à 3 lieues 1/4 de Jargeau, 2 lieues 1/4 de Sully et 7 lieues de PortGalliée, assis sur le coteau qui domine la rive gauche de la Loire, dunum, placé de manière à être inévitable sur la route de Genabum (Gien) à Gergovia (Gergeau), et qu'une découverte toute récente révèle comme un des plus riches dépôts d'antiquités romaines et gallo-romaines que possède notre département.

En effet, le 30 mai 1861, la pioche d'un prestataire (1), employé à fouiller du sable pour la route, vient de mettre au jour une dizaine de statuettes en magnifique bronze et de dimensions diverses, un fort beau cheval en bronze coulé de deux jets, de main évidemment romaine, et ne mesurant pas moins de 0 mètre 65 du sabot au garot, un lituus de 1 mètre 44, un trèsbeau taureau, malheureusement fort petit, un véritable élan de la forêt Hercynienne, nul d'exécution, mais justifiant pleinement la description de César (2), et ne pesant pas moins de 10 kilog., des ustensiles de ménage en bronze travaillé ; puis ce qui est bien la partie la plus laide, au point de vue de l'art, mais aussi la plus intéressante de cette collection au point de vue historique, des débris de sangliers, de vaches, de poissons, informes essais „de l'art barbare, mais qui ont eu certainement l'honneur d'être, il y a vingt siècles des enseignes germaniques. Bepromptoe silvis lucisve ferarum imagines ut cuique genti inire proelium mos est.

(1) M. Mahin, fermier-propriétaire, à la Tibardière.

(2) Commentarii, lib. VI, cap. xxvu. Crura sine nodis articulisque habent.


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(TACITE. Hist., lib. IV, cap.xxu et Germania, cap. vu.)Enfin une inscription en caractères magistralement ciselés, d'un seul coup de burin, et dont la correcte exécution accuse la date du premier siècle. Cette inscription se trouvait sur la face antérieure du piédestal armé de deux anneaux en bronze qui supporte le cheval, et lui permettait d'être portatif.

Toute la collection était enfermée dans une loge en briques à rebord, enfouie elle-même dans le sable à 2 mètres 50 de profondeur, et ce n'est que parce que cette sablière est depuis 25 ans ouverte au nord du point où s'est faite la rencontre que les fouilles successives ont amené la tranchée à ce point, et ont permis de faire sans difficulté l'extraction latérale à cette profondeur. La logette qui est détruite aujourd'hui, et dont nous n'avons pu voir que l'emplacement avait 1 mètre 20 dans tous les sens. Elle avait été couverte en petits soliveaux et en briques. Mais les soliveaux étant venus à pourrir par l'effet de l'humidité, la toiture s'était enfoncée et la terre avait rempli la loge sans rien endommager que les sangliers, les taures et les poissons qui, n'étant qu'en bronze extrêmement mince, pour être portatif, se sont disjoints et brisés.

Voici l'inscription :

AVG • RVDIOBO • SACRVM •

CVR • CASSICIATE • D • S • P ■ D •

SER • ESVMAG-rVS ■ SACROVIB • SERIOMAfiLIVS • SEVBRVS F C

En voici la traduction, où nous éviterons d'interpréter Aug. parAugusto, agnomen formidable, s'il n'est appuyé de cinq ou six légions, et qui exposerait le titulaire à une accusation de lèzemajesté, et nous lirons simplement Auguri ou Augurali (onAugustali) Rudiobo sacrum, curante Cassiciate de suis propriis denariis (ou de suis pecuniis dotalibus)Servius Esumagius,Sacrovib, Seriomaglius, Severus fieri curaverunt.


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Nous laissons à la Société d'Archéologie le soin de fouiller les secrets les plus intimes de ce dépôt, car il est évident que ce n'est qu'un dépôt dont les chances contraires des combats auront emporté le propriétaire. Quant à nous, nous nous bornerons à extraire de ce trésor ce qui peut se rapporter à notre étude.

Sur les six noms que porte l'inscription cinq sont des noms celles affublés de terminaisons romaines, un nom même, celui de Sacrowô est resté intact. Quelques années plus tard, et lorsque l'assimilation des races sera plus complète, on en fera Sacrovir (1). Esumaga déjàpris ou reçu le prénom romain Servius. Lesautres n'en ont point. Leurs oreilles ne se sont pas encore assouplies à ce point. Gaudent proenomine molles auriculoe. (HOR. Sermon. II. Sat. V. Tout ici, jusqu'aux essais informes de l'art gaulois qui semblent déparer la collection, indique les premiers temps de la fusion gallo-romaine. Rudiob, le donataire, et le personnage important, dépositaire des vieilles enseignes germaines, est peut-être le fils d'un chef qui a combattu César à Bibracte (2). Réconcilié, il est maintenant augurai (ancien augure) ce qu'expliquerait la présence dans ses Lares d'un Jupiter, très-remarquable malgré ses petites dimensions, ou Augustal (prêtre d'Auguste, divinisé, comme l'on sait, même avant sa mort) (3). Mais s'il exerce ces fonctions de faveur, ce ne peut être à Noviodunum,ville déditice, et par conséquent traitée avec indifférence, c'est à Gergovia, ville alliée de Rome, alliée fidèle et dévouée,et à ce titre choyée d'Auguste, ce qui lui a valu d'être honorée d'un des autels du nouveau Dieu. Les sangliers et les autres reliques guerrières de Rudiob (Dîpatrioe indigetes), indiquent nettement son origine germanique et très-probablement boïenne, car à l'époque où remontent ces bronzes, la Celtique n'a pas encore été foulée par les Germains, à moins que ce ne soient ceux de l'escorte de César. Rudiob serait-il un vétéran, ou le fils d'un vétéran de ce corps ? On pour(1)

pour(1) Ann. lib. III, cap. XL.

(2) Commentarii, lib. I, cap. xxxin.

(3) Quos inter Augusluus recumbens purpureo Mbit ore nectar. HOR. lib. III, Od. m.


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rait l'admettre, etcependant jusqu'à un certain point seulement, car un vétéran n'emporte pas, ne conserve pas chez lui les enseignes de l'escadron, et comme il a auprès de lui trois ou au moins deux compatriotes, Esumag et Seriomagl, car Sacrovib doit être Eduen, cela ferait dans un même lieu trop d'enseignes et trop de vétérans, et il est plus vraisemblable que nous retrouvons là un grand chef des Boïens. Neuvy, comme nous l'avons vu, n'est qu'à 3 lieues 1/4 de Jargeau, dans le rayon des villas de cette sorte de chef-lieu, et on peut admettre que Rudiob ou son héritier, craignant les inondations si fréquentes dans le val, aura fait choix d'un tertre voisin pour y déposer ces bronzes, au moment d'une expédition d'où il ne sera pas revenu.

Cette inscription quoiqu'elle ne porte pas d'indication de lieu, pourrait donc révéler à elle seule l'existence de Gergovia Boiorumà Jargeau, et par conséquent celle de Noviodunum à Neuvy. Mais cette demi-preuve sera corroborée d'autres.

L'endroit où a été trouvé ce dépôt est situé à environ 8 hectomètres ouest du bourg de Neuvy. C'est une sablière assez élevée, dominant le bourg et justifiant ainsi son nom du Mottois. C'était évidemment le cimetière du bourg gallo-romain, car on y trouve journellement des tombes en pierre que l'on brise pour en faire des pierres d'évier ou qu'on emploie comme auges, après en avoir dispersé les os qui tombent en cendre dès qu'ils sont à l'air. Ces tombes de pierre nous fixent à peu près sur l'établissement du cimetière à une époque où avait disparu des moeurs l'incinération, coutume gauloise en vigueur au temps de la conquête et que constate César, lib. VI, cap. xix. Le cimetière serait donc postérieur au dépôt, car qui serait assez peu sage pour placer un dépôt dans un cimetière ouvert au public?.

Le point culminant de la commune est environ à 300 mètres N. E. du Mottois. Il porte le nom très-significatif de Fort-en-Vié, oppidum (in via) (l), et c'est là, nous n'en doutons pas, que des fouilles bien dirigées amèneraient des résultats que n'a pas don"(1)

don"(1) un peu libre, mais usitée chez lès garde-notes il y a trois siècles.


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nésjusqu'ici la charrue de Sologne, qui seborneà égratigner la terre. A 250 mètres à l'ouest du Fort-en-Vié se présente encore, sur l'ancien chemin de Jargeau à Sully, chemin du Berry, un autre point dominant la grande guette, puis dans une contre-pente, après de 1,200 mètres au nord de la grande guette, nous rencontrons le climat des Avant-Gardes, qui aurait tiré ce nom belliqueux de la rencontre de la cavalerie de César avec l'avant-garde de Vercingetorix.

Toutes ces combinaisons de noms ne forment, nous en convenons, que des probabilités, mais ces probabilités deviennent presque une certitude lorsqu'elles coïncident avec une découverte aussi importante que celle qui vient d'avoir lieu, dans un pays dont le nom correspond parfaitement à celui de Noviodunum, et sur un point nécessaire de la route de Port-Galliée à Jargeau. Aussi nous croyons-nous en droit de conclure que nul des lieux indiqués jusqu'ici ne peut à meilleur droit que Neuvyen-Sullias revendiquer le nom de Noviodunum. Qu'on jette les yeux sur notre carte d'ensemble, et l'on reconnaîtra quenotre itinéraire, conforme en tout point au texte de César, est simple, court et logique, tandis que tout est divergence et confusion dans les autres.

Mais il est temps de résumer cette première partie de notre travail, car la victoire de Noviodunum clôt la première expédidion de César dans les Carnutes, qui ne le reverrontplus qu'après la victoire d'Alesia, où, après avoir brisé et dispersé la grande coalition gauloise, il n'aura plus qu'à déjouer et à désarmer des résistances partielles.

XV. - Résumé.

Qu'avons-nous établi dans cette première partie de notre discussion qu'a peut-être démesurément prolongée la démonstration de la juste valeur Au pas, notre unité de mesure?

Qu'il est impossible d'admettre la situation de la Boie dans les localités où jusqu'ici on a imaginé de la fixer. Dans l'Allier, parce que alors et jusqu'au. xe siècle, l'Allier a fait partie de l'Ar-


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vernie ; dans le Langrois ou le Nivernais, parce que ce serait imputer à Vercingetorix une faute incompatible avec ses talents réels; dans le Forez et toutes les régions au sud de Bourges, parce que c'eût été découvrir ce point capital. Nous avons ainsi amené à reconnaître que, pour répondre exactement au texte de César (lib. VII, cap. 10, 11, 12 et 13), Gergovia doit être au nord de Bourges, entre cette ville et la Loire, et sur un point qui puisse être à la fois contigu aux Bituriges (César, 1. VII, cap. 11 etl4), aux Senones et aux Carnutes (Plin., Hist. mund.,\.Vf, cap. 32,18) et aux Eduens (Tacit., Hist., 1. II, cap. 61). La contrée, connue sous le nom de Val de Loire, nous a semblé répondre à toutes ces conditions, et nous y trouvons Jargeau ou Gergeau assise encore peut-être sur les antiques fondations de Gergovia, et les découvertes faites, il y a quelques jours à Neuvy (Noviodunum), sont venues donner un grand poids à notre opinion, en constatant l'existence dans cette contrée, à une époque très-voisine d'Auguste, d'au moins cinq individus, d'origine et de nom germaniques, et ayant, d'une manière ou d'une autre, concouru à un dépôt où figurent en grand nombre les ornements grossiers des enseignes germaniques.

Assuré sur notre point de départ, Sens, sur notre direction, Jargeau, nous avons constaté la parfaite convenance qu'offre Triguères sur la Vouanne avec la première station intermédiaire Vellaunodunum, et nous sommes arrivés en deux marches faciles, et sans perte d'un pas ou d'un instant devant Gien-leVieux.

Là nous avons reconnu :

Qu'Orléans et Gien sont à peu près à égale distance de la frontière Arverne, et répondent à six lieues près (circiter) en plus ou en moins aux indications fournies par César.

Que toutes deux sont entourées de voies romaines, mais que César n'a pu suivre qu'une voie celtique, et que Gien seule possède une voie celtique, qui aboutit à Sens par Triguères et qui traverse Gien-le-Vieux.

Que César fixant à quatre le nombre de journées de marche qui l'ont, conduit d'Agendicum à Genabum, Gien seul, situé à


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19 lieues de Sens, correspond au nombre des marches, ce que ne peut faire Orléans situé à 29 lieues de ce même Sens.

Qu'il est absurde de prétendre que César soit parti de Sens sans un attirail de campagne quand, dès sa seconde journée de marche, il entreprend le siège de Vellaunodunum.

Indépendamment de ce que la construction d'un pont n'était pas alors réalisable à Orléans, que cette ville n'offre aucun vestige de pont qui puisse passer pour celtique, tandis que Gien, où l'assiette d'un pont semble indiquée par la configuration du sol, présente les restes submergés d'un pont, précisément au bout du chemin creux et fort étroit qui correspond de Gien-leVieux à la Loire, et qui par cette position répond parfaitement aux conditions du texte de César.

Orléans, s'il existait alors, eût été couvert, comme il l'est aujourd'hui par sa vaste et épaisse forêt, où César était trop prudent pour s'engager; de Gien à Sens au contraire la route était ouverte, comme elle l'est encore aujourd'hui.

Les habitants d'Orléans, ayant un refuge assuré dans leur forêt, eussent été insensés de se lancer devant une armée victorieuse, dans les plaines du Val et les bruyères de la Sologne, ceux de Gien au contraire, éloignés de la forêt d'au moins 10 kilomètres (1), n'avaient d'autre recours que les hauteurs boisées de Marco et de SainMMartin-sur-Ocre, qui touchent à la rive gauche de la Loire et font partie des Bituriges.

Enfin, la forme même de l'enceinte primitive d'Orléans accuse bien nettement celle d'un camp romain, son cirque, ou plutôt son théâtre, mis un instant au jour (2), et aujourd'hui traversé par le railway du Centre, est romain, les richesses dont s'enorgueillit son musée sont romaines ou gallo-romaines, mais rien dans la ville, ni autour d'elle, n'annonce la dévastation exprimée par les termes diripit, incendit, proedam militibusdonat (Gomm., lib. vu, c. 11). Au contraire, qu'on voie une seule fois le plateau de Génabie, qui pourvoit nos routes de pierres calcinées à deux

(1) Aux Châtelliers, qui bordent ce qu'on appelle le Buisson-Génois.

(2) Quai du Roi, à 70 mètres de la Loire et 70 mètres de la filature,


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lieues à la ronde, ses quelques chaumines éparses, et, indépendamment des fondations de son enceinte qui surgissent sous le pied çà et là, débris qui offrent la forme commune aux débris de toutes les époques, indépendamment des substructions celtiques sans nombre que met continuellement à jour, et que recouvre aussitôt la mare du vigneron (1), on s'écriera instinctivement : César et les Romains ont passé par là.

XVI. — Introduction â la seconde expédition de césar dans les Carnutes.

Il n'entre pas dans le plan que nous nous sommes tracé, et qui ne comprend que les opérations de César et de ses lieutenants dans les Carnutes, de suivre ce conquérant dans son expédition chez les Bituriges. Nous laissons donc de côté les péripéties si émouvantes qui accompagnent la chute d'Avaricum.

De la marche de Decize à Gergovia Àrvernorum, nous avons pris et développé plus haut ce qui pouvait édifier sur la longueur des marches du soldat romain en campagne.

Quant au siège de Gergovia, nous n'aborderons qu'un de ses épisodes qui vient confirmer notre opinion sur ce point si capital de l'étape romaine, en même temps qu'il nous donne l'occasion de relever une étrange erreur du savant M. Lancelot.

XVII. — Erreur singulière de M. Lancelot.

On se rappelle que ce fut pendant ce siège mémorable, où chancela momentanément la fortune de César, que se nouèrent les premières intrigues de la ligue des Eduens qui allait réunir cette fédération formidable à la coalition des peuples du centre et du midi de la Gaule.

A la persuasion de Convictolitan, chef principal de la.tribu éduenne, Litavicus, chargé de conduire dix mille hommes de secours à César, avait soulevé son corps, déjà à 30,000 pas ou

(1) Pour être nié par M. Marchand, p. 5, le fait n'en est pas moins vrai.


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six lieues de Gergovia, en accusant faussement César d'avoir, à dessein, fait écraser la cavalerie et la noblesse éduennes qu'il avait près de lui, et d'avoir, sous prétexte de trahison, fait égorger, sans jugement, deux des princes eduens, Eporedorix et Virdumare.

Mais les Eduens détachés près de César lui étaient restés dévoués, et Eporedorix lui-même, connaissant la trame de Litavicus, était venu la dévoiler à César au milieu de la nuit, au moment précis où Litavicus débitait sa fable tragique (1),

César part immédiatement pour marcher au-devant de ses alliés abusés.

Laissons maintenant M. Lancelot (Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, t. vm, p. 456) nous raconter cette marche à laquelle une distraction de ce savant donne un caractère plus que miraculeux qu'elle n'a pas.

« II part vers la moitié de la nuit avec sa cavalerie, fait « 25 milles pour arriver à l'armée des Eduens, la fait rentrer « dans son devoir, en reçoit un nouveau serment de fidélité, et « après un repos de trois heures (2) qu'il donne à son armée, « sur d'autres nouvelles pressantes qu'il reçoit de Gergovia, il « repart (3), et rentre dans son camp avant le lever du soleil. « Cette marche prodigieuse, dans laquelle il faut qu'il ait fait « 50 milles en une nuit (4), est bien différente de celle de Sens « à Orléans, c'est-à-dire de 25 lieues (5) en quatre jours. »

Nous avons mis, au début de cette discussion, au nombre des causes d'erreur dans l'interprétation de César, la perte de vue même momentanée du moindre détail dans l'enchaînement des opérations de cet incomparable capitaine. C'est pour avoir négligé un de ces points de détail que M. Lancelot, malgré son érudition et sa profonde sagacité, transforme une opération, fort simple en soi, en un prodige tout-à-fait incroyable.

(1) Commentarii, lib. VII, cap. xxxvn, xxxvm, xxxix, XL.

(2) Tribus horis {noctis). M. Lancelot omet de traduire le mot noctis.

(3) Il était déjà en route.

(4) 18 lieues métriques, suivant M. Lancelot.

(5) M. Lancelot a mal mesuré, il y a 29 lieues.


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Si M. Lancelot se fût reporté au chapitre 36 du même livre, il y eût vu qu'une des causes qui déterminent César à dérober le passage de l'Allier, c'est la crainte d'être arrêté par cette rivière la plus grande partie de l'été. « Ne majorem oestatis partem flumine impediretur (1). » C'est donc dans les premiers jours de l'été qu'il a effectué ce passage : cinq marches l'ont conduit sous les murs de Gergovia, dont le siège n'a pas traîné en longueur, puisque avant la fin de la saison César a encore eu le temps de livrer, dans les Sequanes, la bataille où Eporedorix, Cotus et Cavarillus sont faits prisonniers (2) et de triompher ensuite de la résistance acharnée d'Alesia. Son expédition nocturne a donc lieu dans les plus courtes nuits de l'année.

C'est vers minuit, mediâ fere nocte, qu'il reçoit l'avis d'Eporedorix. Il ne prend que le temps d'éveiller et de faire sortir du camp sa cavalerie et quatre légions, que M. Lancelot laisse de côté, parce que, avec la marche fabuleuse qu'il a imaginée, cette infanterie l'embarrasse ; il rencontre le corps Eduen en marche après avoir parcouru lui-même 28,000 pas (3). Ici les troupes sont réellement sans bagages, sans sac, dirions-nous aujourd'hui, et on n'a pas même pris la précaution de plier les tentes et de réduire ainsi les proportions du camp, tant la hâte était nécessaire (4). Les Eduens voyant, au milieu de la cavalerie romaine, Eporedorix et Virdumare, qu'ils croyaient mis à mort, reconnaissent leur erreur, font leur soumission à César qui les accueille comme alliés, les rapatrie à sa propre armée, qui les fête à son tour, puis après avoir complété cette longue halte par trois heures de sommeil, tribus horis noctis (5), il ramène toute sa troupe au camp devant Gergovia, avant le lever du soleil, antè orlum solis.

(1) Commentarii, lib. VII, cap, xxxvi.

(2) lbid., lib. VII, cap. LXVII.

(3) La moitié de la distance de Gessoriacum à Dunge-Ness, soit cinq lieues (V. PLINE) et 5,000 pas à l'heure (V. VÉGÈCE).

(4) Commentarii, lib. VII, cap. XL. '

(5) Sueta requies, spatia noctium. TACIT., Annal., lib. 111, XLV.


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Arrêtons-nous un instant ici, et nous allons voir revenir à des proportions toutes naturelles le prodige qui a ébloui M. Lancelot.

Quoique bien des choses aient changé dans les Gaules depuis J. César, la marche du soleil y est toujours restée la même, et aujourd'hui, comme il y a deux mille ans, les nuits du commencement, ou, si l'on veut, du milieu de l'été, n'ont en moyenne que de six à huit heures. Admettons que les troupes de César, éveillées à onze heures et demie aient pu quitter le camp à minuit précis, elles auraient, suivant M. Lancelot, en quatre heures, parcouru dix-huit lieues et dormi trois heures. G'est bien plus que du prodige!

Mais continuons le récit de César qui, comme on l'a déjà pu remarquer, diffère en quelques points de celui de M. Lancelot.

Les messages, qui ne tirent pas César de son camp, mais qui le rencontrent revenant, étaient d'une nature inquiétante, et la journée (car il faut bien admettre que tant de faits accumulés ne se sont pas accomplis en quatre ou cinq heures), la journée avait été rude pour les deux légions que César avait laissées, sous les ordres de Fabius, à la garde d'un camp construit pour six légions et une nombreuse cavalerie (1). Les Arvernes n'avaient pas tardé à constater le petit nombre de leurs adversaires; ils avaient attaqué le camp avec toutes leurs forces, summis copiis, renouvelant sans cesse leurs assauts avec des troupes fraîches, tandis que les Romains, à raison de leur petit nombre et de l'étendue du camp, étaient forcés de se tenir tous et sans relâche sur le parapet ; une multitude des leurs avaient été blessés ; on n'avait trouvé de ressource que dans les machines ; enfin on avait pris le parti de condamner toutes les portes du camp, sauf deux, et de couvrir de mantelets la majeure partie du parapet ; enfin on se préparait pour le lendemain, in posterum diem (2), à un nouvel assaut. Ce récit double l'ardeur de César et de ses soldats, et tous parviennent au camp avant le lever du soleil.

(1) Commentarii, lib. VII, cap. XL.

(2) Expression que M. Lancelot a encore perdue de vue.


Antèortum solis s'explique par in posterum diem, et le prodige s'évanouit. César, parti de son camp vers minuit, a fait une marche de cinq lieues, a rencontré les Eduens vers cinq heures du matin, a eu toute la journée pour les arraisonner, les convaincre, les ramener, les réincorporer, pendant que Fabius soutenait l'assaut de toute l'armée arverne. Le corps d'armée de César a eu toute la journée depuis cinq heures du matin jusqu'à la nuit, et depuis la chute de la nuit (qui, dans cette saison, arrive sur les huit heures), jusqu'à onze heures, pour faire halte; se rafraîchir, fêter les alliés réconciliés, et enfin dormir, comme on dort à la guerre, et, de onze heures du soir à quatre du matin, il a eu un temps fort raisonnable pour parcourir de nouveau un espace de 25,000 pas ou 5 lieues.

Ici la durée du temps sert à contrôler la distance parcourue, et vient encore une fois consacrer notre opinion sur la longueur moyenne de l'étape romaine. Seulement il faut observer qu'ici le soldat est bien réellement expeditus, sans bagages, sans attirail de guerre, tandis qu'il n'en peut être de même pour la marche d'Agendicum sur Genabum, et ce qu'il y a de plus admirable dans celte marche, qui confond M. Lancelot, c'estbien moins sa longueur et sa célérité, toutes deux assez ordinaires, que la rectitude de vues et en même temps la promptitude d'exécution du général.

XVIII. — Echec de César sous Gergovia. — Double victoire d'Alesia. Distribution des Romains en quartiers d'hiver.

La réconciliation de l'armée éduenne qui se conduisit de son mieux sous Gergovia ne s'étendait pas au peuple et surtout aux chefs de cette influente confédération. Aussi dès que la nouvelle se répand que César, de quelques prétextes qu'il couvre son opération, s'est vu forcé de lever le siège de Gergovia, la conflagration devient générale.

Il sort de notre sujet de nous occuper des opérations de César, jusqu'à la fin du siège d'Alesia, où Vercingetorix se dévoue si noblement pour appeler sur sa tête tout le ressentiment des Ro-


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mains. César, moins généreux, n'épargne entièrement dans cette circonstance que les Eduens et les Arvernes, et cela dans le but intéressé de recouvrer par cette amnistie son influence et son crédit sur ces deux importantes peuplades, puis après avoir cédé à titre de butin un captif des autres clans à chaque soldat de son armée, après avoir pour les Carnutes, qui s'étaient affiliés à la ligne, ajouté à cette peine barbare celle de la cession de plusieurs places que Hirtius ne nomme pas (1), il s'occupe de distribuer ses quartiers d'hiver. Labienus, avec deux légions et la cavalerie se rend dans les Sequanes, avec Sempronius Rutilus pour lieutenant désigné. T. Fabius et L. Minucius Basilus sont placés avec deux légions chez les Rèmes pour les défendre de toute entreprise des Bellovaques, leurs voisins. Reginus, Sextiuset Rebilus sont envoyés chacun avec une légion, le premier chez les Àmbivarètes (Bresse), le second chez les Bituriges, le troisième chez les Rutènes (Rouergue). Cicéron et Sulpicius sont établis l'un à Cabillonum (Châlons-sur-Saône), l'autre à Matisco (Mâcon), pour veiller et pourvoir à l'approvisionnement. César passera l'hiver à Bibracte. Nulle garnison n'est imposée aux Carnutes, sans doute à cause des risques de surprises que pouvaient faire appréhender leurs forêts, pauvres d'ailleurs en ressources.

XIX. — Nouvelle tactique de la coalition. Exécution chez les Bituriges.

Après cette campagne laborieuse, où, contre l'usage des Romains qui se reposaient pendant tout l'hiver, chaque saison avait eu sa part de dangers et de fatigues, César comptait avoir assuré à ses soldats de bons quartiers d'hiver pour se refaire de si rudes épreuves. Il apprend cependant que de nouveaux complots se trament, que de nouveaux efforts se préparent. Les Gaulois ont compris que si leurs troupes réunies ne peuvent nulle part résister aux forces concentrées de l'armée romaine, ils pourront, en suscitant des soulèvements partiels, éparpiller cette formidable masse romaine, et la réduire à ne pouvoir consacrer à tant d'entreprises sur mille points opposés que des forces insuffisantes.

(1) Commentarii, lib. VIII, cap. v.


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« Aucune peuplade ne reculera devant les risques d'un si gé« néreux dévoûment, si, en s'exposant temporairement aux « coups de l'ennemi commun, elle peut procurer l'affranchisse« ment de toutes les autres. »

César, appréciant les résultats probables de cette tactique, et, craignant qu'elle ne prévale, y oppose sa soudaineté de décision, et, ne prenant qu'une escorte de cavalerie, il quitte Bibracte, et rejoint sa 13e légion, qu'il avait placée sur les confins des Bituriges, sous le commandement de Sextius, et sur la lisière des Eduens (1). Là il s'adjoint la 11e légion qui était la plus voisine (2), et ne laissant que deux cohortes à la garde de ses dépôts, il lance ses douze mille hommes dans les riches plaines des Bituriges qui, se fiant dans l'étendue de leur terri - toire et sur le nombre de leurs places fortes n'avaient pu être détournés du complot par le frein insuffisant d'une seule légion.

Les malheureux Bituriges, pris à l'improviste, au milieu de leurs travaux agricoles, se virent écrasés par la cavalerie, avant d'avoir pu demander refuge à leurs places, car le signal ordinaire des incursions ennemies, l'incendie avait été sévèrement interdit par César qui craignait tout ensemble, si la razzia venait à se prolonger, et la disette et la fuite de l'ennemi averti par le feu. Après s'être vu enlever nombre de milliers d'hommes, les Bituriges au comble de l'effroi ne cherchaient qu'à fuir les Romains, qui dans les clans voisins, qui chez des amis ou des complices. Vains efforts. César, marchant à grandes journées, est présent partout à la fois, ne laissant à chacun que le temps de pourvoir à sapropre sûreté, au lieu de veiller à celle d'autrui. Par cette célérité, il maintient ses partisans dans la fidélité, et force les dou(1)

dou(1) doute àSancerre, d'où il commandait Bourges, alors dévasté, et qui n'est séparé que par la Loire de Cosne (Condate) et de Neuvysur-Loire (Noviodunum ad ripas Ligeris positum), toutes deux villes Eduennes, mais Neuvy était alors en cendres. (Commentarii, lib. VII, cap. LV.)

(2) Probablement un corps d'infanterie qu'il avait gardé sous sa main à Autun, distant seulement de six marches ou 26 lieues.


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teux à implorer des conditions de paix. Dans cette situation, les Bituriges, voyant que la clémence de César est toujours ouverte au retour, et les clans voisins admis, sans nul châtiment, à donner des otages et à faire leur paix, font de même.

XX. — Nouveau soulèvement des Carnutes. Seconde expédition sur Genabum et anéantissement de la tribu Genabe.

Six semaines avaient suffi à César pour arrivera ce résultat. Il était de retour à Bibracte, et après avoir distribué presque tout le butin aux soldats et aux officiers qui l'avaient si vaillamment secondé, malgré la brièveté des jours, le mauvais état des chemins et l'intensité du froid, il les avait rétablis dans leurs quartiers d'hiver. Il s'occupait à Bibracte de l'expédition des affaires lorsqu'il voit arriver à son prétoire les envoyés des Bituriges, implorant du secours contre les incursions et les ravages des Carnutes. En effet, en traitant avec César, les Bituriges avaient forfait à l'engagement commun : Non esse alicui civitati sortem incommodi recusandam, si tali mord, reliquaepassent se vindicare in libertatem. Lib. VIII, cap; i. Les Carnutes, leurs voisins limitrophes, se croyaient en droit de les châtier.

César, qui n'avait pas pris plus de dix-huit jours de repos, appelle aussitôt à lui les deux légions qu'il avait cantonnées sur la Saône, sous les ordres de Q. Cicéron et de Sulpitius, et c'est avec ces 12,000 hommes et un corps de cavalerie et d'infanterie auxiliaires, fournis par les Eduens etlesSenones qu'il se meta la poursuite des Carnutes.

Les Carnutes avaient eu vent de ce rassemblement de forces,- et instruits par le désastre de leurs voisins, ils s'étaient dispersés dans leurs forêts, après avoir abandonné les places et les villages perdus dans la dernière défaite (1), où, pour se soustraire à l'excès du froid, ils avaient rebâti à la hâte et comme ils avaient pu de misérables chaumis. César ne voulant pas non plus exposer ses Italiens aux intempéries gauloises qui sévissaient alors

(1) D'Alesia.


— 81 — dans toute leur rigueur, vient asseoir son camp dans les ruines de ce même Genabum, brûlé par lui dans le début de la campagne. Il loge le mieux qu'il peut les légionnaires, milites, sous les débris des maisons gauloises, et sous les huttes que les soldats se construisent eux-mêmes et qu'ils abritent sous les couvertes destinées aux tentes. En même temps il envoie la cavalerie et l'infanterie auxiliaires, plus familiarisées avec les sentiers de la forêt, fouiller les halliers dans tous les recoins où l'ennemi aurait pu chercher asile.

Le procédé réussit. Les auxiliaires rentraient chaque jour chargés de butin, ce qui ne dut pas flatter beaucoup les légionnaires. Quant aux Carnutes, accablés à la fois par les rigueurs de la saison, par l'effroi de rencontres dont ils avaient mesuré le danger, chassés de toutes leurs retraites et ne pouvant trouver nulle part de refuge assuré, pas même dans leurs fourrés qui ne les défendaient pas du froid, car allumer du feu eût été se déceler, ils se dispersent, après avoir vu égorger nombre des leurs, et se fondent dans les clans voisins, dissipantur in finitimas civitates.

Traducteur aussi fidèle qu'il nous a été possible, nous avons employé jusqu'ici la dénomination de Carnutes, adoptée par Hirtius. Mais il est clair qu'ici Carnute veut dire Genabe. En effet, les Genabes, les gens de Gien, étaient les seuls Carnutes qui, en contact immédiat avec les Bituriges, pussent faire aisément l'irruption soudaine dont ceux-ci demandaient vengeance. D'ailleurs les Carnutes ne disparaissent pas; c'était une confédération trop importante pour se fondre dans les peuplades trèsinférieures des Parisii ou des Cenomani, et nous allons les voir reparaître sur la scène, et prendre part à la levée de boucliers de Drappes et de Dumnacus. Peut-être est-ce dans cette fusion qu'il faut chercher l'origine à'Aurelioe (1) (Orléans) mais il est certain que c'est aux Genabes, et aux Genabes seuls que s'appliquent les paroles funèbres d'Hirtius, dissipantur in finitimas civitates.)

Quant à César, satisfait d'avoir dispersé un soulèvement d'où

(1) Les Genabes réfugiés dans un autre clan carnute auraient alors jeté les premiers fondements d'un hameau, devenu plus tard Aurelioe.

T. VII. 6


pouvait naître une conflagration générale, et jugeant que suivant toute probabilité la leçon avait été assez sévère pour que les Carnutes ne tentassent à l'été suivant aucune prise d'armes sérieuse, il quitte Genabum, y laissant eh quartiers et sous les ordres de Trebonius les deux légions qu'il avait amenées avec lui, et il court réprimer la tentative des Bellovaques. Mais ces deux légions ne jouirent pas d'un long repôs.Exigeant de ses soldats l'activité infatigable dont lui-même il donnait l'exemple, César les rappelle presque aussitôt auprès de lui. Qu'advint-il dans ce brusque départ ? Hirtius ne le ditpas,mais il y a tout lieu de croire que ces soldats, mécontents de voir troubler leur repos, mécontents aussi d'avoir Vu passer devant eux le riche butin fait par les auxiliaires, aniihés d'ailleurs contre les Genabes d'une haine telle que, sous les murs d'Avaricum, au milieu de fatigues et de privations telles que César hésitait s'il ne lèverait pas le siège, cette haine leur faisait préférer les épreuves les plus cruelles à la honte de ne pas satisfaire aux mânes des citoyens romains traîtreusement égorgés dans Genabum (1), il y a tout lieu de croire, disons-nous, que ces soldats renouvelèrent avec plus de furie encore le sac de la malheureuse bourgade, et que de cette ruine de ruine il ne resta pas pierre sur pierre (2).

Ainsi se complète la destruction du Genabum de César. Les habitants, ou plutôt leurs débris, perpaucis desideratis quin cuncli caperentur (3), dispersés, fondus dans les clans voisins, dissipantur in finitimas civitates, y perdent jusqu'à leur nom de peuplé (4). La ville est rasée de manière à ne plus s'appeler pour les voisins, et surtout pour les Senons, riches de ses dépouilles, que la Génabie, l'endroit où fut Genabum.

(1) Commentarii, lib. VII, cap. xvn. Prcestare omnes perferre aeerbitates, quam non civibus romanis, qui Gembi perfidifr Gallorum interiissent, parentarent.

(2) Exinanite, exinanite ûsque ad fundamentum in eâ. Ps. 136.

(3) Commentarii, lib. VII, cap. xi.

(4) Et c'est pour cela que Hirtius, vrai Romain, affecte de ne les appeler que Carnutes.


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XXI. — Troisième et quatrième expéditions dans les Carnutes.

Le sac d'une de leurs villes, l'anéantissement d'une de leurs peuplades n'avaient pas suffi à abattre le courage des Carnutes, doués, comme nous l'avons déjà fait remarquer, sinon de la bravoure habituelle aux Gaulois, au moins de l'esprit d'opiniâtreté si fréquent chez les peuples sûrs de leurs retraites, et bien persuadés qu'on ne viendra pas les y forcer. Aussi voyons-nous les Carnutes de l'Ouest prendre part au siège de Lemonum (Poitiers), ville alliée des Romains, sous le commandement de l'Ande Dumnacus, et aussi malheureux contre les lieutenants de César que contre César lui-même, essuyer avec leur nouveau chef le double désastre des Ponts-de-Cé.

C. Fabius commandait les forces romaines dans ces deux journées. Parti du Soissonnais, sur l'ordre de César, pour se rendre auprès de Caninius Rebilus (1), dont les légions n'étaient pas assez fermes pour contenir les Ruthènes, il avait dû prendre par la Senonaise et les Bituriges, évitant les Carnutes de l'Est, ruinés et insoumis, et que César avait laissés tels, parce qu'il les avait mis hors de combat pour le reste de la campagne (2). Fabius avait profité de ce long trajet pour se ménager des auxiliaires et s'assurer des otages, complures civitates in fidem recipit, obsidïbus firmat, et c'est vraisemblablement à la hauteur de Châteauroux qu'il reçut de Caninius l'avis de ce qui se passait sous Poitiers. Sa victoire des Ponts-de-Cé lui ouvre l'accès des Carnutes, par un point tout opposé à celui de la première et de la seconde expédition, mais familier aux soldats qui, deux ans avant, y avaient tenu leurs quartiers (3). Profitant avec habileté du prestige de sa double victoire, et trouvant les esprits mieux disposés que du côté de Genabum, il amène par ses bons pro(1)

pro(1) p. 78.

(2) V. p. 82.

(3) V. p. 11.


cédés les Carnutes à faire leur soumission définitive, et celte soumission entraîne celle de tous les peuples armoricains sur lesquels les Druides carnutes exerçaient un grand empire.

Ce qu'il y a de bien remarquable, c'est que cette soumission fut si complète et de si bonne foi qu'on ne verra désormais ni les Carnutes ni les cités Armoricaines s'associer aux mouvements qui agiteront les Gaules depuis Tibère jusqu'à la conquête des Francs. Suétone nous apprend (Claud., § 25) que Claude proscrivit le culte des Druides, et on ne voit pas que cette usurpation sur les droits de la conscience ait, dans le pays où frémit encore de temps à autre le sang Vendéen, occasionné le moindre trouble, et peut-être ne fit-elle que faciliter l'accès du christianisme. Les Turoni et les Andecavi prennent une part active à l'échauffourée de Sacrovir, mais on n'y voit pas figurer les Carnutes, à moins que ce ne soit par leurs voeux secrets ; car, dit Tacite (Annal., lib. m, cap. 41), il n'est guère de peuplade qui n'ait fomenté quelque germe de cette sédition, « Haud ferme ulla civitas intacta seminibus ejus motûs fuit.»

Enfin la quatrième et dernière expédition dans les Carnutes fut' dirigée par César en personne, et ce fut plutôt une prise de possession toute pacifique qu'une expédition. César revenait du pays des Bellovaques soumis, pour se rendre au siège d'Uxellodunum. Jusque là il n'avait fait qu'effleurer la lisière orientale de cette grande contrée forestière des Carnutes, et la surprise de Genabum est à elle seule une preuve de la situation excentrique de cette place. Fabius, de son côté, avait soumis la partie occidentale. Maintenant César traverse la contrée entière, du nord au sud, calmant les esprits, apaisant les ressentiments, continuant enfin et complétant l'oeuvre de modération de son lieutenant. Cette modération cependant ne fut pas telle que, sous prétexte de faire disparaître toute trace de discorde, il n'exigeât et n'obtint qu'on lui livrât un certain Gutruatus, sans doute convaincu d'avoir inspiré le meurtre de Fusius Cotta, et d'être ainsi le moteur de la guerre, concitatorem belli. (Comm., lib. vm, c. 37.) Le malheureux fut exécuté à l'acclamation des soldats romains,


qui déployèrent un si sauvage acharnement que, mort sous les verges, ils frappaient encore le cadavre de leurs haches (1).

On ne saurait trop regretter que Hirtius, bien moins explicite que César, ne nomme aucune des places traversées dans ces deux dernières expéditions, et il demeure constant, comme nous l'avons affirmé au commencement de cette étude (2), que de toutes les cités Carnutes, les Commentaires ne nomment que Genabum, à la destruction radicale de laquelle nous venons d'assister.

Maintenant, est-il admissible qu'une ville vouée à la ruine par César, en expiation d'un outrage à la majesté du nom romain, soit sortie de ses débris, se soit relevée sur ses fondations par l'ordre ou la permission expresse d'empereurs romains? Ce serait singulièrement oublier ou méconnaître le génie romain, et, à moins de textes formels, de témoignages positifs et irrécusables, nous dirons non.

« Pourvu que les cendres de Priam et de Paris soient foulées « par les boeufs, et que le renard y fouille en paix sa tanière, « que le Capitole se dresse resplendissant !

« Mais je ne promets de telles destinées aux Quiritesbelliqueux « que sous celte loi que, dans l'excès de leur reconnaissance et « fiers de leurs ressources, ils n'entreprennent jamais de relever « les murs de leur aïeule Troie.

« Que trois fois, fût-ce sous la main d'Apollon, se relève « le mur d'airain, que trois fois il s'écroule, sapé par mes Ar« giens (3). »

Dum Pria7ni Paridisque busto Insultet armentum, et catulos feroe Cèlent inultoe, stet Capitolium Fulgens

(1) On voit que nous n'avons rien exagéré en supposant qu'ils ont complété l'oeuvre de la destruction de Genabum. (V. p. 82.)

(2) V. p. 4.

(3) Ce ne sont peut être pas là les preuves historiques que M. Jollois exige, p. 75, de la non reconstruction de Genabum. M. Jollois oublie que c'est à lui et à son autorité de fournir la preuve historique de la reconstruction, et c'est ce dont nous lui mettons au défi.


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Sed bellicosis fata Quiritibus Hâc lege dico : ne nimium pii, Rebusque fidentes, avitoe Tecta velint reparare Trojoe.

Ter si resurgat murus aheneus,

Auctore Phoebo, ter pereat meis

Excisus Argivis

(HOR., Ode, IU, lib. m.)

# Ces imprécations que le poëte met dans la bouche de Junon,

c'était, nous n'en doutons pas, l'expression des sentiments innés

et indéracinables du dernier goujat romain. Comment admettre

qu'ils aient failli chez un César ?

Si Genabum fut à Gien-le-Vieux, ce que nous avons établi par

des preuves de calcul aussi bien que de raison, on n'a qu'à venir

voir, ou plutôt qu'à jeter les yeux sur notre plan, et on verra

que la solitude faite par César existe encore.

XXII. — Appréciation des principales autorités qui prétendent que Genabum fut à Orléans, et qu'Orléans n'est autre que Genabum, restauré par Aurélien.

Mais, nous dit-on, Genabum fut à Orléans, et il y a sur ce point un tel concert d'autorités qu'il faut presque de la folie pour ne pas s'y rendre. Nous nous permettrons cependant de discuter ces autorités, et nous avons le ferme espoir de les dépouiller l'une après l'autre du prestige dont jusqu'ici on s'est complu à les entourer.

Posons d'abord en principe que, pour faire autorité sur cette question, il faut remplir deux conditions : avoir étudié consciencieusement les localités, et, quand il s'agit du Genabum de César, ne jamais perdre de vue le texte très-explicite de César, car, quoi qu'en ait dit M. Jollois, lui seul ici fait autorité. Les tables de Peuttinger, l'itinéraire dit d'Antonin, fussent-ils aussi authentiques qu'ils le sont peu, eussent-ils une date certaine qu'ils n'ont


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pas, les essais d'Adrien de Valois, le travail bien plus complet de d'Anville, ne constateraient que des dispositions bien différentes de celles qu'avait la Gaule au temps de César.

S'agit-il au contraire de chercher l'époque de la fondation d'Orléans, il est naturel et même obligatoire de recourir aux divers historiens des Césars, qui seuls peuvent nous éclairer jusqu'à l'époque de la conquête franque où nous trouvons pour guides Grégoire de Tours et les autres chroniqueurs. C'est le flambeau de l'histoire qui seul jettera du jour sur cette question. Lesgéographes ne peuvent que constater un fait, le plus souvent un oui-dire, et il est rare qu'ils remontent aux sources.

Ceci posé, et pour procéder par ordre de temps, Aimoin (1) et Hugo, cités par Adrien de Valois, page 225 (2), disent le premier, « que dans la celtique il y a des villes remarquables, Lyon, Chartres et Cenabum, où est maintenant Orléans. » Hugo l'a répété et ajoute seulement Sens. Nous nevoyons-là qu'une affirmation, sans discussion, sans preuves. Ce n'est pas une autorité.

Citerons-nous maintenant l'Orléanais François Lemaire, dans son Histoire des Antiquités de la ville et duché d'Orléans ? (Edit. de 1648.)

Voici comme il interprète César :

« Il résulte de César et autres auteurs que Genabum a été « bastie par les Druides. (Ch. i, p. 1.)

« Le même César dit au livre vi de ses Commentaires que les « Gomerites, descendants de Gomer, petit fils de Japhet, seraient « venus en la Celtique, y auraient basli plusieurs villes, enlr'icelles « Chartres, ainsi nommée à cause du châtiment et correction qu'on « faisait à Chartres, durant le règne des Druides. » (Id. p. 2.) Puis suit une citation falsifiée de Strabon qui ferait de Genabum la reine des Gaules.

(i) AIMONUS. De gest. franc. Paris, Drouart, 1603, p. 6.

(2) Adrien de Valois place Aimoin sous le règne de Robert, en 640 ! < Antéannos XLalquesexcentos,regnanleapudFrancosRolberto.» Est-ce par là qu'on prétend faire une autorité historique d'Adrien de Valois.


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Le passage où César mentionne l'assassinat deFusius Cotta subit ce singulier travestissement : (Gh. i, p. 6.)

« Les Chartrains, sous la conduite de Cotuatus et de Coneto« dunus se joignirent aux Aurelianois pour chasser les Romains « de la ville de Genabum ou Orléans, y tuèrent Fusius Cotta qui « y commandait. »

C'est sur des interprétations de ce genre, et sur l'autorité de savants contemporains, parfaitement inconnus aujourd'hui, tels que Dupleix, Guillelmus Britto, iEgidius poëta, Robert Gaguin, Pirrhus Anglebermeus, et Botteraye que Lemaire se fonde pour conclure que Genabum n'est autre et ne peut être autre qu'Orléans.

Il va maintenant se demander « comment cette ville a changé « son nom de Genabe en celui d'Orléans, et comment ce nom « d'Orléans lui a été imposé. »

Il pose et discute trois origines possibles, à son sens, et s'arrête à la dernière qui serait la reconstruction de Genabum par Aurélien. Mais comment procède-t-il ?

Après avoir cité Zonaras, muet sur Genabum aussi bien que sur Aureliae, il invoque le témoignage de Zosime et d'Eutrope, qui se bornent à raconter la soumission de Tétricus, élu malgré lui dans les Trévires (Moselle), et délivré plutôt que vaincu par Aurélien, à Ghâlons-sur-Marne (1). Il ajoute Vopiscus qui ne dit mot ni de Genabum, ni de la fondation d'Orléans, puis il invoque Munster, moine Allemand du seizième siècle, et non historien romain ; celui-ci dit effectivement (2), mais sans citer son autorité, que : « Aurélien a construit en 276 et nommé Orléans. » 11 neprononcepas le nom de Genabum, mais ilajoute gw'o» pense que dans ces parages était autrefois une ville populeuse, que, dans son ignorance des lieux, il attribue aux Cénomans. Cette leçon du reste nous serait favorable, car Gien est bien dans les parages d'Orléans.

(1) Eripe me his, invicie, malis. Treb. Pollio. Vitoe Coesarum, p. 337.

(2) Munster. Baie, 1550, p. 90.


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Puis Lemaire se hâte, sur ce témoignage dont on a pu apprécier l'insuffisance, de conclure :

« De ce que dessus se recueille que Aurélien, étant venu en « France, par deux fois, consulter les Druides (1), a basti plu« sieurs villes et a donné son nom qu'ainsi il a rebasti et acreu « notre ville. »

Nous le demandons, un tel fatras peut-il constituer une autorité ? C'en est une pourtant en ce sens qu'elle a été acceptée, faute de discussion suffisante, par des hommes dont le nom et les écrits jouissent d'une estime méritée.

C'est ainsi que Tillemont dira plus tard : « Lemaire, dans son « Histoire d'Orléans, cite beaucoup de modernes qui croient que « cette ville a été rebâtie par Aurélien, et le nom latin qu'elle « portait dans le cinquième siècle semble ne pouvoir venir que « de lui (2). »

C'est ainsi que plus tard encore l'illustre Grevier, s'appuyant de Tillemont et de Vopiscusque, sur la foi de Lemaire, il n'a pas relu, dira d'Aurélien : « On croit que c'est dans ce voyage « qu'il rebâtitet amplifia l'ancienne ville de Genabum, à laquelle « il donna son nom , qu'elle conserve encore aujourd'hui, « quoique un peu défiguré (3). »

Ne voit-on pas déjà se former le concert d'autorités, mais en somme sur quoi repose-t-il ? Poursuivons.

Scaliger le fils (Jos. Juste.), comme cela lui arrive souvent, a deux avis. Dans une première édition (celle de Leyde, 1687), il tranche résolument la question et, sans discussion préalable, il place le Genabum de César à Orléans. Puis, embarrassé peutêtre de la direction annoncée par César, « ad Boios proficiscitur, » il nie avec non moins de résolution (p. 521) qu'il y ait une Gergovie des Boïens. Nullum est oppidum Boïorum, nomine Gergovia. Il est bien moins affirmatif dans une seconde édition (Amsterdam, Thiboust, 1672). Il est devenu dans cet intervalle

(1) Ce détail est vrai pour une fois et pour une Druidesse. Vopiscus.

(2) Tillemont. Paris. Robustelle, 1702, tom. m. p. 402.

(3) Crevier, 1750, tom. vi, p. 39.


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l'homme le plus conciliant du monde. Il laisse pour Genabum le choix entre Orléans et Gien. Pour Vellaunodunum, entre Châteaulandon, Auxerre, Avallon, et même Villeneuve en Lorraine ! Pour Gergovia Boïorum, qu'il se décide à reconnaître, et qu'il appelle Gergobina, il indique Moulins, suivant l'opinion commune, mais sans aucune discussion. Pour Noviodunum Biturigum, il accepte, toujours sans discussion, Neuvy-sur Baranjon ; enfin pour Agendicum il préférerait Sens, mais il admet comme également possible Provins, comme l'affirme Marlien, ou Milly, comme le prétend Vigenère.

Nous laissons aux habiles, plus versés que nous dans le secret des fraudes bibliographiques, qui se rencontrent si fréquemment du xve au xvme siècle, à expliquer comment Juste Scaliger, mort en 1609, a pu corriger en 1672 son édition de 1657. Nous nous bornons à dire, est-ce bien là une autorité?

Adrien de Valois (Notitia Galliarum. Paris, Léonard, 1675, p. 225 et 226) procède du Scaliger de 1657 et non de celui de 1672. Comme lui, il pose dès l'abord que Genabum est à Orléans. Il a pour garant César commenté par Scaliger. C'est sur la foi de cette première édition qu'il exclut de ses recherches les Boïens, leur Gergovie et Vellaunodunum, moyen sûr de se fourvoyer dans la direction, et comme Scaliger encore, il place Agendicum à Sens et Noviodunum à Neuvy-sur-Baranjon. Gien ne peut, suivantlui, entrer en discussion, car la preuve irréfutable qu'il n'a jamais été Carnute, c'est qu'il est, au temps où écrit l'auteur, du diocèse d'Auxerre (1). Ce sont suivantlui les manants de Gien qui, pour donner du fil à retordre aux Saumaises futurs, ont imaginé d'appeler une de leur venelles du nom de Génabie. Quant à lui, Adrien de Valois, il a si bien connu les localités, qu'il place Gienle-Vieux entre Gien et Sully, un peu plus près seulement de Gien. Or Gien-le-Vieux est contigu à Gien, sur la rive droite de la Loire, et à 28 kilomètres de Sully, sur la rive gauche. D'ailleurs Gien ne peut concorder avec les tables de Peuttinger, qui suivant lui

(1) Argument dont nous démontrons ailleurs le peu de solidité. V. p. 9, à la note.


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doivent être le critérium de la question. Puis s'appuyant sur Aimoin qui (De gestis franc. Paris. Drouart, 1603, p. 73) relate seulement sur ouï-dire, une restauration du château de Dijon, attribuée à Aurélien, il en prend autorité pour affirmer encore plus positivement que Lemaire : « que Aurélien ne fut pas le « fondateur, mais le restaurateur de Genabum des Carnutes, qu'il « orna de monuments, qu'il peupla, qu'il entoura de murs, et à « qui il fit changer de nom pour lui imposer le sien. » Il est bien entendu qu'il ne cite à l'appui de cette assertion si positive aucun des nombreux biographes d'Aurélien, tous muets sur ce détail.

Ne sommes-nous pas encore en droit de dire : Est-ce là une discussion, est-ce là une autorité ?

D'Anville (1), devant le talent de qui nous nous inclinons, discutera avec plus de sérieux. Il étudie le texte de César, il compulse et cite Végèce, mais, faute de le contrôler par les auteurs romains, il fait faire au soldat des pas et des marches impossibles. Du moins voit-on qu'il a cherché la vérité. L'a-t-il trouvée? Non, parce qu'il n'a pas persévéré dans sa première voie. Pline lui dit où sont ces Boïens que César s'efforçait de rejoindre, mais l'indication de Pline contrariait ses idées préconçues, et il accuse Pline d'erreur. Interprétant mal le texte de César, il accepte, et, propage l'énorme bévue de la marche sans équipages. Nous avons répondu avec le simple bon sens à cette erreur qui semble au premier coup d'oeil s'appuyer sur le texte de César. Mais après quelques lignes de discussion historique dignes de son érudition, ses instincts de géographe le trahissent et il finit par embrouiller dans le chaos des chemins de César une question où son talent réel pouvait et devait porter la lumière.

L'érudit Lancelot (2) se laisse à son tour entraîner par cette imposante autorité. Profondément lettré, c'est tout d'abord au

(1) D'ANVILLE, Notice de la Gaule. Paris. Desaint et Saillant, 1760, p. 345 et suivantes.

(2) Mém. de l'Acad. des Inscriptions et belles-lettres. Paris, 1733, t. vin, p. 450 et suivantes.


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texte de César qu'il demande ses arguments, mais il oublie trop facilement, et nous l'avons déjà prouvé, que les faits non plus que la pensée de César ne se résument pas dans le seul chapitre qu'on a sous les yeux, et que, au contraire, tous les points de cet admirable récit sont, comme nous l'avons déjà dit, solidaires l'un de l'autre. Il a bien compris l'importance du point de Vellaunodunum et son intelligence Ta conduit sur la voie celtique et à quelques kilomètres seulement du véritable Vellaunodunum. Chevinières qu'il indique n'est en effet qu'à moins d'une journée de Triguères. Mais c'est là que, ignorant les localités, et perdant de vue la répugnance de César pour les forêts, exprimée comme nous l'avons vu dans tant de passages des Commentaires, il fait fausse route, quitte la voie celtique et va se perdre dans la forêt d'Orléans. N'ayant calculé exactement ni le mille romain, ni le pas de marche, il fait exécuter aux troupes des marches fabuleuses de dix-huit lieues à l'heure. Puis enfin, oubliant la destruction radicale de Genabum par César, il en revient à la donnée mensongère de Lemaire, s'égare avec d'Anville et les autres dans le labyrinthe des voies romaines et cherche à s'étayer d'un témoignage que lui refusent Grégoire de Tours et Adrevald.

Lemaire le professeur (1), qu'il ne faut pas confondre avec notre François Lemaire, et que nous avons réfuté plus haut lorsqu'il place Agendicum à Provins, traite aussi la question, mais toujours par le même procédé. C'est-à-dire en voulant expliquer César, non par César lui-même, ou par les historiens qui lui furent contemporains ou à peu près, mais par Adrien de Valois, par d'Anville et surtout par la tables Théodosiennes, Lemaire ne nous met pas dans la confidence des moyens qu'il a pris pour réduire la leuca en lieue commune. Mais les résultats de ses calculs sont tels que, prenant Fontainebleau pour Aquis-Segeste, et dirigeant la route d'Orléans à Paris par ce point inusité, il arrive à un total de 28 lieues (2). De Nevers à Orléans, il ne compte non

(1) ACHAINTRE et LEMAIRE. Bibl. latina. Paris, 1822, t. iv., p. 263 à 265.

(2) Il y en aurait en réalité 35 3/4.


- 93 — plus que 32 lieues tandis qu'il y en a plus de 40. Tous ses calculs offrent cette incertitude, et il a bien tort de dire que les voies antiques, comme il les comprend, conviennent mieux à Orléans qu'à Gien. La vérité est qu'elles ne conviennent ni à l'une ni à l'autre. Une manque par non plus de donner comme certain, et assez démontré pour qu'il ne s'appuye d'aucune autorité, que Genabum a été ensuite appelée Aurelianum par l'empereur Aurélien qui l'a nommée de son nom.

Quant à feu notre collègue, M. Jollois, qui a publié à peu près dans le même temps l'intéressant mémoire dont il a enrichi nos annales (1), il est facile de voir qu'il a travaillé sur des idées préconçues, et que frappé du nombre et de l'importance des vestiges romains qu'il rencontrait à chaque pas dans notre ville, il est arrivé à une conclusion tout opposée à celle qu'auraient dû lui dicter et cet excès de richesses et les découvertes significatives que son instinct archéologique lui avait fait faire près de Gien, notamment celle de la voie Celtique. Ces découvertes, nous nous en sommes fait une arme contre lui; c'était notre droit. Nous avons lieu seulement de nous étonner que pouvant mieux que personne juger ici du peu d'estime qu'inspirent les billevesées de François Lemaire, il se soit laissé entraîner à l'erreur que celui-ci a propagée.

Ainsi que nous l'avons affirmé, Vopiscus et les nombreux biographes d'Aurélien (2) que nous avons confrontés dans toutes les éditions que renferme notre bibliothèque, ne contiennent rien qui puisse justifier la citation de F. Lemaire, à moins que cène soit ce passage du Vopiscus d'Erasme, p. 362, et de l'édition du Vatican, tom.lp. 428: « Etrurioe,perAureliam,usqueadAlpesmaritimas, « urgentes agrisunt,iique fertilesacsylvosv.Statuerat igitur dominis « locorum incultorum, qui lamen vellent pretia dare.... (lacune « d'un ou deux mots) atque illic familias captivas constituer, « vitibus montes conserere. » « De l'Etrurie jusqu'aux Alpes « Maritimes, en passant par Aurélia (bourg à 2 milles de

(1 ) Mém. sur les antiquités d'Orléans.

(2) Eutrope, Aurélius Victor, Trebellius Pollio, Zonaras et Zosime.


« Rome) ou par la voie Aurélienne, il y a de vastes terrains fer« tiles et boisés. Il avait formé le projet de traiter avec les pro« priétaires de ces terrains incultes qui voudraient leur fixer un « prix et d'y établir des famillesde captifs, qui en auraient planté « les coteaux en vignobles. » Un mot suffit au sage, ditYorick, le bon Lemaire, qui n'était pas fort humaniste, a vu ici son mot, et il a brodé sa petite fable, traitant Vopiscus sans plus de ménagement que César, et sans s'apercevoir qu'Orléans n'a rien de commun avec l'Etrurie et les Alpes MaritimesEt

MaritimesEt ainsi qu'une erreur matérielle, se propageant par les auteurs les plus accrédités, devient une vérité incontestable à ce point que les érudits en viennent aujourd'hui à traiter presque de schismatiques ceux qui s'efforcent de là combattre.

Nous nous résignerons, en bonne compagnie du reste, à encourir cette censure, tant qu'il ne sera pas établi, non pas sur l'opinion publique qu'on a faussée, mais par des citations positives et appuyées du texte, que le Genabum détruit par César a été bien réellement, et sur le même emplacement, reconstruit par l'empereur Aurélien, qui lui a imposé son nom.

Ainsi quelque estime que nous professions pour le talent éminent de M. Henri Martin quand cet historien nous dira aussi positivement qu'il le fait, et sans citer les auteurs dont il s'appuie (1)-:

« Qu'Aurélien revint en Gaule l'année d'après la bataille de « Châlons-sur-Marne, et que, dans ce voyage, il élargit et re« construisit l'enceinte delà ville de Genabum-sur-Loire, la « détacha des Carnutes dont elle avait dépendu jusqu'alors, « l'érigea en cité, et lui donna son nom Aurelianum ou Aure« liani » nous ne verrons-là qu'une réminiscence embellie et peut-être involontaire d'Adrien de Valois, qu'un écho, croissant il est vrai, de l'erreur matérielle de F. Lemaire, mais nullement une preuve historique.

M; Lancelot dans le mémoire déjà cité (2) dit que Grégoire de

(1) Gaule romaine, Paris, Furne, 1858, tom. I, p. 275.

(2) Mémoires de l'A cadémie des Inscriptions et Belles-Lettres, tom. VIII, p. 450.


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Tours appelle une fois Orléans Genabensis Galliarum urbs. Il est à regretter qu'il n'ait pas précisé davantage sa citation, car Grégoire de Tours lu et relu par nous cite bien des fois Orléans et l'Orléanais, et ne les nomme jamais qu'Aurélia ou Aurelianensiscivitas, et son. continuateur Frëdégaire en fait de même(l). La citation d'Adrewald, faite dans le même passage est exacte. Adrewald dit bien effectivement : Omnis Neustria, quce à Genabensi urbe per transversum Lutetiam usque Parisiorum attingit oppidum, Normannioe paruit feritati. Mais qu'on y prenne garde, Vrbs dans le style de cette époque a la signification de cercle, contrée, et, moine de Fleury (St-Benoît-sur-Loire) et à ce titre seigneur de Gien-le-Vieux (2), Adrewald indique seulement que toute la Neustrie, depuis le pays de la Génabie (3), point où s'arrêtèrent les Normands, jusqu'à Lutèce, fut soumise aux ravages des Normands. Partout ailleurs, en effet, et dans une foule de passages des actes des saints de son ordre, Adrewald désigne Orléans sous le nom d'Aurelia (4) ou Àurelianensis Civitas (S).

Il est donc bien établi que, jusqu'ici du moins, aucun document historique ne constate que la ville d'Orléans ait remplacé le Genabum de César, qu'elle se soit élevée sur ses ruines et qu'elle ait porté le nom de Genabum.

(1) Maxima bibliolheca veterum patrum, tom. XI, p. 727, 738, 752, 770,771, 773, 817, 823. Voir cependant Vitaepatrum. Lib. VIII. Ruinart. Mais ici le Genabum cité est Genape en Brabant et non Orléans sur la Loire.

(2) POOLLLÉ, de Gien. Manuscrit de M. Vallet, curé de Gien, p. 100. M. MARCHAND, Mém. sur la ville et les seigneurs de Gien, p. 23, note 1.

(3) Adrewald est de la fin du ixe siècle. Le nom qu'il donne à Gienle-Vieux décharge les braves gens de Gien du tort qne leur impute Adrien de Valois.

(4) Acta sanctorum, sect. VIII, p. 371, 376, 377, 381, 385, 387, 388.

(5) L'abbaye de Fleury est située à peu près à moitié chemin d'Orléans à Gien. (8 lieues 1/2 d'Orléans, 7 1/2 de Gien). Si les Normands se fussent arrêtés à Orléans, ils auraient épargné à Adrewald le sujet de son récit. 11 résulte donc de ce passage qu'au ixe siècle le Giennois s'appelait encore pour les moines de St-Benott,seigneurs de Gien-le-Vieux, Genabensis urbs.


— 96 —

A défaut des historiens, consultons donc les géographes.

Strabon, contemporain de César ou dumoinsde ses plus jeunes officiers, parle évidemment, non pas d'Aurelioe, mais du Genabum détruit par le grand conquérant, et comme nous l'avons déjà fait remarquer (p. 10), il se borne aune simple désignation, convenant tout aussi bien à Gien qu'à Orléans, et qu'on s'est ensuite complu à amplifier.

On ne s'appuiera pas, nous le pensons, sur les cartes dites de Ptolémée, mystification scientifique à laquelle chacun sait que l'astronome grec est étranger et dont l'auteur est Mercator, qui préludait par cette ébauche grossière aux applications de l'ingénieux procédé qui, plus tard, l'a rendu justement célèbre. Quant à Ptolémée il dit effectivement dans saGéographie (1), en termes plus concis et plus secs que Strabon : n«pà Si yfo ar,xoa-jav, Kapvûrai, xae woXiç Aurpwoft, HyjvaSop. Vers la contrée séquanaise, les Carnutes, et les villes Autricum, Genabum. Le marché aurait donc disparu. Mais Ptolémée, qui vivait au ne siècle, travailleur plutôt qu'homme de génie, s'est borné très-probablement à reproduire Strabon, sans s'inquiéter si Genabum dont il inscrivait le nom était en ruines ou debout.

Pline, contemporain de Strabon, nomme les Carnutes dans les peuples de la Lyonnaise, mais il n'indique pas leurs villes (2).

Munster, que nous venons de citer page 62, ne parle nullement de Genabum.

Mais on nous oppose à la fois l'itinéraire ditd'Antonin et les tables dites Théodosiennes ou de Peuttinger.

Nous écarterons d'abord les tables de Peuttinger, par ce seul motif d'ailleurs que nous ne connaissons pas encore de moyen sûr d'apprécier la leuqa ou leuca qu'on est convenu d'appeler lieue gauloise. C'est l'unité dont s'est servi l'auteur ou plutôt le propagateur de ces tables, quoique, au temps d'Honorius, l'unité de mesure itinéraire, fut encore dans tout l'empire, encore intact ou a peu près, le mille romain. Adrewald, cité plus haut, dit

(1) PTOLÉMÉE, Froben, Bâle. 1533, p. 112.

(2) PLINE, Paris, Panckoucke, 1835, lib. IV, cap. xxxii, n° 18, p. 182.


— 97 — encore au ixe siècle (1) que l'abbaye de Fleury était distante d'Orléans de dix-huit milles. Cette distance évaluée aujourd'hui en milles romains de 1 mètre 47 est parfaitement exacte si on part de la Ronce, qui était, avant la révolution de 1789, la limite des terres de l'abbaye, du côté d'Orléans. Nous avons quelque peine à nous expliquer l'emploi d'une unité de mesure barbare dans un titre qu'on donne comme officiel.

M. Alfred Jacobs a soutenu, dans sa Revue européenne, 2e année, 8e volume, 1er avril 1860, que ces tables étaient une reproduction faite vers 1265, par un certain moine de Colmar d'une première table perdue des copies faites pour l'usage des généraux romains de ce qu'il appelle l'Orbis pictus d'Agrippa. On sait que les suppositions à'Orbis pictus furent en quelque sorte une maladie régnante en Allemagne au début du xvne siècle. Il y eut celui de P. Stransky, celui de Comenius, et de beaucoup d'autres. En tout cas, le moine en question aurait.donc de son autorité privée substitué la leuga Lan mille, et cette substitution n'a pu avoir lieu sans entraîner de nombreuses infidélités. M. Jacobs prétend que « l'époque d'Aurélien est le dernier terme que l'on puisse assigner à la rédaction du document original perdu. » Que signifie alors l'emploi de l'ablatif Cenabo au lieu de l'appellatif officiel Aurelioe, sinon un emprunt fait un peu à la légère au texte des Commentaires et dont le résultat serait d'imposer d'une manière barbare à la ville fondée au me siècle le nom de la ville détruite par César.

Examinons maintenant l'itinéraire d'Antonin, et, allant droit au but, prenons pour champ de la discussion l'itinéraire d'Augustodunum (Autun) à Lutetia (2).

Ne nous arrêtons pas à demander si la route d'Autun à Paris se dirige naturellement par Orléans. Nous reconnaissons que mille circonstances ont pu nécessiter un écart, même considérable de la voie directe. Nous n'admettrons pas toutefois comme M. Jollois (p. 109) que cette direction, admissible comme excep(1)

excep(1) sanct. ordinis, sect. II, p. 390.

(2) Edit. de P. Bertius Beverus, Elzevir, 16, 18, tom. II, p. 23,

T. VII. 7


— 98 — tion, fût la grande voie romaine d'Àutunà Lutèce. Les Romains savaient, tout aussi bien que nous, ménager leur temps et leur peine, et ils n'eussent pasfaitinutilementun parcours de35myriamètres au lieu d'un de 25.

Les indications de cet itinéraire sont celles-ci : à'Augustodunum, Autun, que César appelle Bibracte, à Alisincum, où nous voulons bien reconnaître Château-Ghinon, sur la rivière d'Ànisy, delà k Decetia, Decize, nommée par Jules César, puis à Nevirnum, Nevers, à Condate, Cosnes, à Brivodurum, Briare, à Belca, Bonnée, où se rencontre, et sur la route actuelle, ancienne voie romaine, la ferme de Bouzeau, puis à Genabum, qui, sauf l'altération facile du G en G, passera pour le Genabum de César et serait ici nécessairement Orléans, puis à Salioèlita, Saclas, et enfin Lutetia, Paris, également nommé dans les Commentaires.

Les distances sont exprimées en milles romains, comprenant bien ici chacun mille pas de lm47. Dès lors rien n'est plus facile à vérifier, et, en prenant la même unité de mesure, les distances doivent être aujourd'hui les mêmes qu'au moment, quel qu'il soit, de la confection de l'itinéraire.

Nous avons confronté avec les indications de Beverus celles de l'ouvrage de M. Jollois (p. 31 et p. 62), et en outre celles des diverses éditions que renferme la Bibliothèque d'Orléans, nous les avons trouvées identiques.

Voici ces indications :

Mesure en mètres m.,,... Itinéraire. suivant rX

l'Itinéraire. reeue.

1° D'Augustodunum à Alisincum. M.P 22 X lm47 = 32 k 34 en fait : 26 k.

2° D'Alisincum à Decetia 24 35 28 50

3° De Decetia à Nevirnum 16 23 52 30

4° De Nevirnum à Condate 24 35 28 47 5

S0 De Condate à Brivodurum 16 23 52 30

6° De Brivodurum à Belea 15 22 05 31

7» De Belea à Cenabum 22 32 34 41

8° De Cenabum à Salioclita 24 35 28 54 5

9° De Salioclita à Lutetia 24 35 28 57

Totaux comparés 274 89 373


— 99 —

En comparant les totaux, nous trouvons que, sur une distance réelle de 373 kilomètres, les indications de l'Itinéraire offrent un déficit de 98 k. 11. Comme on le voit, la différence est énorme. Elle peut s'expliquer, mais jusqu'à un certain point seulement, par l'incertitude où l'on est encore sur la signification d'Alisincum, et sur sa véritable position. Retranchons donc de nos calculs les deux premières indications, c'est-à-dire les distances d'Augustodunum à Alisincum et d'AIisincum à Decetia. Sûr maintenant de nos localités, et ayant dans des cartes extraites du dépôt de la guerre un contrôle à peu près infaillible, nous trouvons alors pour les indications de l'Itinéraire 207 k. 27, tandis que notre calcul nous donne 291 kilomètres. Tout le monde reconnaîtra qu'une différence de 83 kilomètres sur 207 ne saurait être admissible et ne peut pas s'expliquer par l'incertitude des points de départ et d'arrivée (1), car la ligne subsiste toujours, et ce qui peut se perdre d'un côté doit se suppléer de l'autre. M. Jollois n'est pas de cet avis, mais il a des procédés de calcul qui lui sont particuliers. Ainsi (p. 62), la distance de Cenabum à Salioclita 24 M., est évaluée par lui à 13 lieues T8-$0- (2), tandis que la distance de Salioclita à Lutetia, également de 24 M., est évaluée à. 15 lieues -^-6. Objectera-t-ii les nombreux accidents de terrain qui existent en effet de Saclas à Paris, et qui ne se présentent pas d'Orléans à Saclas. D'accord. Mais si l'itinéraire discuté est réel, les distances n'en ont pas été appréciées à vol d'oiseau, mais sur le terrain, au moyen de pas milliaires, et l'espace mesuré a été marqué d'une borne milliaire à chaque millier de pas.

Il est évident qu'avec de telles erreurs, l'Itinéraire sur lequel on se fonde, tombe naturellement en état de suspicion, et la suspicion ne fait que s'accroître si nous interrogeons la deuxième partie de ce travail, l'Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem. A quelle époque de l'histoire de la Gaule romaine peut correspondre ce document prétendu impérial, qui semble, à priori, fait en vue d'une des croisades? Inexact au plus haut point, sous le rapport

(1) M. JOLLOIS, p. 64.

(2) M. Jollois a employé la lieue ancienne.


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des distances, n'est-il pas plus que probable que ce document l'est encore sous le rapport des noms, comme le reconnaît Bergier, et n'a-t-on pas, parmi tant de fautes, fait celle de donner le nom celtique, cité dans César, à la ville attribuée à tort ou à raison à l'empereur Aurélien.

Quoi qu'en ait dit M. Jollois (p. 77), Bergier (1), d'accord avec D. Bouquet, n'hésite pas à nous dire que cette publication, toute précieuse qu'elle est, est apocryphe et ne peut guère remonter au-delà de Valentinien III (451), attendu qu'elle indique Constantinopolis,DiocIetianopolis,MaximiaDOpolis, etc., toutes dénominations très-postérieures à Antonin, mort en 161. M. Jacobs n'hésite pas à clore cet itinéraire en 364. Mais s'il en est ainsi, notre critique reparaît dans toute sa force et nous sommes encore en droit de dire : que signifie ce nom de Cenabum, attribué en 364 à une ville qu'Aurélien aurait relevée, accrue et nommée Aurélia ou Aurelianum, en 275, et cela dans un document donné comme impérial? Adressez aujourd'hui une lettre à la Roche-sur-Yon, et vous verrez si elle parviendra à Napoléon-Vendée ?

Mais ce précieux itinéraire est, nous dit-on, l'oeuvre de plusieurs siècles. Jules César l'a commencé, les Antonins l'ont continué, et enfin Ethicus lui-même y a mis la main. Ne nous récrions pas plus qu'il ne convient sur cette supposition d'une oeuvre collective, commencée par Jules César et finie par un cuistre barbare comme Ethicus. Nous ferons cette seule observation : si la note que nous avons sous les yeux est de Jules César, le bon sens comme le bon goût, et les Romains ne manquaient ni de l'un ni de l'autre, réclamaient qu'on la laissât telle qu'elle était écrite par une si glorieuse main. Alors Autun se nommerait Bibracte, et si les villes gallo-romaines fondées depuis César y ont été ajoutées, nous devrions y trouver aussi l'itinéraire d'Agendicum à Avaricum, par Genabum, les deux Gergovia, les deux Noviodunum, et tant d'autres localités intéressantes dans les Commentaires et qu'on y cherche vainement. Si la note a été rectifiée pour la dé(1)

dé(1) Bruxelles, 1728, 1.1, liv. ni, en. 6.


— 101 —

signation surannée de Bibracte, elle l'aurait été aussi pour Genabum devenu, par décret impérial, Àurelianum.

Appuyé sur ce dilemme, nous ne nous croirons pas encore assez savant pour adresser à l'inventeur de cet itinéraire les injures que lui prodigue Velserus dans Bergier. La précision de ses indications pour toutes les localités italiennes dénoterait un Italien, et on croit généralement que c'est un certain Antoine, de Plaisance, désigné par Châteaubriant et qui, suivant cette imposante autorité, aurait vécu du xive au xve siècle. Quel qu'il soit, cet itinéraire témoigne d'un immense travail et d'ingénieuses recherches, mais sa condition d'apocryphe et ses inexactitudes ne lui permettent certainement pas de suppléer au silence de l'histoire.

XXIII. — Conclusion.

En écartant le prétendu itinéraire d'Antonin, nous écartons à la fois Àdrien-de-Valois, d'Anville et tous les géographes modernes qui ne se sont guère étayés que sur ce fondement suspect. Ayant clairement démontré plus haut qu'il est impossible qu'Orléans soit le Genabum de César, nous établissons ici qu'aucune preuve fondée n'est donnée quant à présent qu'Orléans ait jamais porté le nom de Genabum.

Notre tâche est terminée, du moins en ce que nous avons fait, comme on dit communément, place nette. Nous avons établi d'abord, en confrontant, comme le réclame M. Jacobs, les textes de Jules César, de Pline et de Tacite, puis, en nous fondant sur la situation relative de la Loire et de Bourges, et sur des témoignages authentiques et irrécusables, ainsi que sur le talent avéré de Vercingetorix, que ni l'Allier, ni aucune des autres localités indiquées jusqu'ici, n'avaient pu recevoir les Boïens et la Gergovie Boïenne. Nous avons assigné à ce débris de peuple le seul emplacement qui puisse répondre aux indications comparées de Tacite, de Pline et de César, laissant aux éventualités de l'avenir le soin de confirmer cette désignation par des preuves matérielles qui commencent déjà à se produire.


— 102 —

Ecartant tout l'étalage de l'érudition moderne qui, par ses investigations sur des voies romaines évidemment postérieures à la conquête, a compliqué et rendu presque impossible la détermination des itinéraires de César, nous n'avons cherché nos preuves que dans César lui-même et dans les anciens historiens, les Xénophon, les Plutarque, les Tacite, pour établir que Gienle-Vieux répond seul aux conditions de distance que César indique avec précision en déterminant la durée de ses marches, puis, interrogeant les traces éparses dans la Génabie, nous y avons trouvé et les fondations de son enceinte, et l'assise du camp de César, et les cabordes celtiques, et le chemin qu'a suivi César, et peut-être les vestiges du pont, qui lui a iivré l'accès du Berri, où nous l'avons suivi, sans lui faire faire un seul pas rétrograde, jusque sous les murs d'Avaricum.

C'est avec la même certitude que nous avons démontré que jamais auteur ancien c'a donné à la ville d'Orléans le nom de Genabum, et que la tradition qui semble s'être formée à cet égard ne repose que sur des commérages indignes de l'histoire, et sûr deux itinéraires dont la sincérité, ou au moins l'exactitude, est plus que suspecte. Enfin, que ce n'est qu'en supposant des textes qui sont introuvables, et en reproduisant ces fictions à la légère, qu'on a professé qu'Aurélien était le restaurateur du Genabum de César, et le fondateur d'Orléans, tandis qu'il résulte plutôt des auteurs que l'on a mis en avant, que, sans qu'ils aient dit un seul mot de Genabum, ils donneraient à penser qu'Orléans doit son origine à un des camps de Probus, dont le nom véritable était Aurelius, et qui aura ainsi nommé à son insu une ville appelée à de hautes et glorieuses destinées.


103

TABLE DES MATIERES.

Pages.

PRÉAMBULE 5

CHAPITRE Ier. — Situation et étendue des Carnutes 8

— II. — Premiers rapports de J. César avec les Carnutes

Carnutes

— III. — Soulèvement de toute la Gaule 13

— IV. — Retour de César..... 15

— V. — César part d'Agendicum, se dirigeant vers

les Boïens, s'empare de Vellaunodunum, de Genabum, de Noviodunum, où il change de direction pour marcher sur Avaricum. 18

— VI. — Causes de divergence dans les interprétations

interprétations ce récit 21

— VII. — Situation d'Agendicum 23

— VIII. — Les Boïens et Gergovia Boïorum. 26

— IX. — Le val de Loire et Jargeau sont les seuls

points qui répondent à la Boïe et à Gergovia Boïorum 30

— X. — Vellaunodunum ,.... 41

— XI. — Où trouver le Genabum de César ? 44

— XII. — Longueur moyenne de la marche du soldat

romain 49

— XIII. — De la longueur vérifiée des marches et des

circonstances accessoires il résulte que le Genabum de César ne peut être à Orléans et qu'il est à Gien 57

— XIV. — Noviodunum 64

— XV. — Résumé 70

— XVI. — Introduction à la deuxième expédition de

César dans les Carnutes 73


— 104 —

Pages.

CHAPITRE XVII. — Erreur singulière de M. Lancelot 73

— XVIII. — Echec de César sous Gergovia (Arverni) 77

— XIX. — Nouvelle tactique de la coalition. — Exécution

Exécution les Bituriges 78

— XX. — Nouveau soulèvement des Carnutes, et

anéantissement de Genabum et de la tribu Genabe.... 80

— XXI. — Troisième et quatrième expéditions dans les

Carnutes et soumission des Carnutes.... 83

— XXII. — Appréciation des autorités prétendant que

Genabum fut à Orléans et qu'Orléans n'est autre que le Genabum de César, restauré par Aurélien 86

— XXIII. — Conclusion 101

PLANCHES.

N° 1. — Plan général, pag. 8 et 9. N° 2. — Itinéraire de Sens à Bourges, pag. 35. N° 3. — Itinéraire de Decize à Clermont, pag. 53. N° 4. — Plan de Gien, pag. 58.

P. S. — Depuis l'adoption de ce Mémoire, dont une circonstance imprévue a beaucoup retardé l'impression, de nouvelles découvertes, qui viennent confirmer nos assertions, ont été faites à Gien-le-Vieux, par M. Bréant.

Quelques érudits, et notamment M. de Buzonnière, notre collègue (tome VI, pag. 255), supposent que les chemins que nous signalons pag. 58, sur la rive droite, devaient, suivant Tordre du texte, se présenter après le pont, c'est-à-dire sur la rive gauche. Cela n'est pas admissible pour qui connaît la configuration de la Loire, depuis La Charité jusqu'à Tours. En effet, la rive droite, où s'assied Genabum, surplombe presque toujours le fleuve et souvent à pic, ce qui motivait un chemin quelconque pour conduire de la place au pont, construit nécessairement de niveau avec la rive gauche, qui, soit à Gien, soit à Orléans, n'offrait et n'offre encore qu'une plage où il ne saurait se présenter de sentiers trop étroits.


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CONSIDÉRATIONS SUR LE GENRE ET L'ESPÈCE , Par M. H. SAINJON.

Séance du 21 novembre 1862.

SOMMAIRE.

L'accord des naturalistes s'est établi sur les divisions principales et même secondaires du règne animal et du règne végétal ; — mais les difficultés qu'ils ont rencontrées dans la détermination de l'espèce ont amené chez eux sur ce point des divergences d'opinion ; — les uns ne voient dans l'espèce qu'un groupe de convention, — les autres croient à la réalité de l'espèce. Les définitions qu'ils ont données de l'espèce et de la race — reposent au fond sur la fécondité ou la stérilité des croisements. — Le but de ce mémoire est d'examiner si la distinction qu'ils font entre l'espèce et la race est suffisamment motivée.

CONSIDÉRATIONS SUR LE GENRE ET L'ESPÈCE.

Grâce au progrès des études anatomiques et aux travaux des savants parmi lesquels la France cite avec orgueil les noms devenus historiques de Buffon, de Tournefort, des Jussieu, de Cuvier, de Geoffroy Saint-Hilaire, les bases de la classification des êtres organisés, qui ont peuplé et peuplent encore la surface du globe, sont aujourd'hui fixées et, on peut le dire, universellement acceptées. C'est ainsi qu'on admet à peu près partout les mêmes familles naturelles, fondées sur des similitudes d'organisation assez décisives pour impliquer une certaine analogie dans les habitudes et jusqu'à des ressemblances caractéristiques dans la forme extérieure des individus qu'on y a réunis. L'accord des naturalistes s'est même établi sur la plupart des groupes secon-^ T. vu. 8 0


— 106 —

daires qui, sous la désignation de Genres, constituent l'ensemble d'une Famille.

Mais, lorsqu'il faut dans chaque genre, au milieu des individualités nombreuses qu'il manque rarement d'offrir, discerner les types à considérer comme principaux de ceux qui n'en sont que des dérivations plus ou moins complexes, déterminer l'espèce en un mot ; lorsqu'il s'agit de plus, pour compléter l'étude de l'espèce, de démêler les modifications héréditaires qui caractérisent la Race de celles qui n'affectent que des personnalités isolées et ne constituent que de simples variétés, les incertitudes et les hésitations commencent, et il se manifeste souvent les plus grandes divergences dans les travaux des classificateurs.

C'est qu'alors les différences anatomiques ne sont plus assez sensibles pour guider dans les dernières recherches. Tout se .réduit à des dissemblances de taille, de forme, de couleur, qui donnent fréquemment des indications trompeuses; tantôt, en effet, ces caractères extérieurs changent avec l'âge ou la saison, au point que, incomplètement observés chez des individus identiques, ils aient fait croire à des espèces différentes quand on n'avait même pas des variétés sous les yeux; tantôt, et c'est une cause d'erreur plus grave et plus difficile à rectifier que la première, tantôt les influences extérieures ont amené des modifications assez profondes pour que les termes extrêmes de ces variations, observées dans diverses contrées, apparaisseut comme des espèces bien tranchées ; puis, les intermédiaires se découvrent, toutes ces prétendues espèces se fondent en une seule, et il ne subsiste plus que des races dont la stabilité elle-même serait douteuse, s'il était vrai qu'elles ne se conservent qu'en vertu de leur isolement et à la condition de ne pas être transportées hors du lieu où elles vivent.

Frappés de ces incertitudes, certains naturalistes se sont pris à douter de la réalité de l'espèce et ont été conduits à ne voir en elle qu'un groupe de convention;

D'autres, sans nier les modifications que les influences de milieu font subir aux êtres organisés, ont cependant persisté à croire à l'existence de types particuliers à chaque espèce ; toute-


— 107 —

fois, éclairés sur la difficulté de la détermination de ces types et des races qui en dérivent, ils ont compris qu'il fallait à leurs travaux la consécration d'un contrôle efficace et rationnel. Ils sont partis de cet axiome que tous les descendants d'une même souche sont nécessairement de même espèce que la souche primitive, et ils se sont guidés d'après les principes suivants :

L'ESPÈCE comprend l'ensemble des individus issus réellement ou que l'on peut, à raison de leurs affinités, considérer comme issus à un degré quelconque de la même souche ou de souches absolument semblables, quelles que soient d'ailleurs les dissemblances qu'ils présentent entre eux;

Lorsque ces dissemblances, au lieu d'être passagères et personnelles à l'individu, ou de s'effacer dans sa descendance, se conservent et se perpétuent de génération en génération, elles constituent les caractères distinctifs de la RACE ;

On considérera, au contraire, comme D'ESPÈCES DIFFÉRENTES, les individus dont il n'est pas possible de faire remonter l'origine à la même souche ou à des souches absolument semblables.

Si la question pouvait être précisée en ces termes, il est évident qu'on n'éprouverait aucune difficulté à classer soit les animaux, soit les végétaux, du moment où l'on posséderait les éléments suffisants pour suivre leur filiation à partir de leurs premiers auteurs. Malheureusement l'homme se trouve aujourd'hui en présence de faits accomplis, pour la plupart, ou loin de ses yeux, ou en dehors de la période des temps à laquelle il appartient; quant aux autres, ils ont presque tous échappé à son attention, et le nombre de ceux sur lesquels il a recueilli des données positives, est, en définitive, infiniment restreint.

Il est donc à peu près interdit de remonter dans le passé; mais on peut, dans le présent, suivre les aptitudes des individus à s'unir entre eux et même hâter la solution du problème en provoquant les croisements.

Si ces unions sont fécondes et donnent des produits capables eux-mêmes de se perpétuer indéfiniment par la génération, il sera acquis, en raisonnant par induction dans l'ordre ascendant comme les faits l'auront démontré dans l'ordre descendant, que


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les individus mis en présence peuvent être de races différentes, mais sont à coup sûr de même espèce.

Si les produits sont stériles ou s'ils paraissent incapables de fonder une race indéfiniment féconde, il pourra y avoir présomption de non-communauté d'origine des premiers parents, mais il n'y aura pas certitude ; car fût-il démontré que leur postérité devra fatalement s'éteindre, il faudrait qu'il fût aussi prouvé que des individus de même espèce donnent toujours naissance à des races que la stérilité n'atteint jamais ; or, on a précisément des exemples du contraire. Pourtant, lorsqu'ils se sont trouvés en présence d'unions infertiles, sinon au premier, du moins au second, au troisième, au quatrième degré, les partisans de la réalité de l'espèce se sont hâtés de conclure que les individus que l'on avait croisés étaient d'espèces différentes, et ils leur ont donné le nom particulier d'Hybrides réservant spécialement la désignation de Métis aux produits des croisements de races de même espèce.

Je me propose d'examiner s'il y a, en effet, des différences tellement radicales entre les métis et les hybrides qu'il y ait lieu de fonder sur elles une distinction absolue entre la race et l'espèce.

Je passerai de là à des faits moins discutés et de nature à établir également de leur côté que les autres caractères différentiels de la race et de l'espèce ne sont pas mieux tranchés. Je terminerai enfin, sous forme de conclusion, par quelques considérations sur le genre et l'espèce que je soumets avec déférence à votre appréciation. J'arrive, on le verra, à donner au mot espèce une signification un peu différente de celle qui est généralement reçue : j'ai dû toutefois, pour plus de clarté, l'employer avec son acception usuelle dans les deux premières parties de cette étude.

Les lecteurs de la Revue des Deux-Mondes se rappelleront avoir trouvé consignés dans ce recueil, quelquefois même presque textuellement, une partie des faits que j'aurai à citer. Je veux parler des remarquables articles publiés par M. de Quatrefages, du 15 décembre 1860 au 15 mars 1861. Ces articles ont du reste été depuis réunis en un seul volume, édité par la maison Hachette, sous le titre de : Unité de l'espèce humaine. J'éprouve quelque em-


— 109 —

barras à dire que les interprétations du savant académicien ne m'ont pas toujours paru acceptables, et en hasardant les miennes j'ai osé compter sur toute votre bienveillance.

I. — Des Hybrides et des Métis.

Lorsque l'on essaie de croiser entre elles des espèces appartenant à des genres différents, l'expérience répond de manière à ne pas laisser de doutes (1) sur leur incompatibilité. Les êtres chimériques dont on a pu parler se sont évanouis au premier examen, et c'est ainsi, par exemple, qu'on a fait justice, il y a déjà longtemps, des jumarts, ces prétendus produits du taureau et de la jument qui n'étaient que des mulets provenant du cheval et de I'ânesse.

Les choses se passent autrement quand on marie des espèces congénères dans des conditions favorables. Les espèces les plus communément répandues ont fourni naturellement les cas les plus fréquents d'hybridation, ainsi : le cheval et l'âne, le loup et le chien, le chien et le chacal, le mouton et la chèvre. Quant à celles qu'il est donné à l'homme d'observer et de réunir plus rarement, les exemples de réussite sont encore relativement si nombreux qu'on peut admettre comme une loi générale qu'elles sont aptes à former entre elles des unions fécondes. Il suffit de citer les hybrides de truites et d'ombres-chevaliers dus à M. Millet ; les léporides obtenus du croisement du lapin et du lièvre par M. Roux, Président de la Société d'agriculture de la Charente ; l'hybride du zèbre et de la jument né en Angleterre; les cinq portées d'une tigresse fécondée par un lion, relatées par M. Paul Gervais, Professeur à la Faculté des Sciences de Montpellier; enfin nous nous rappelons tous avoir vu, il y a quelques années,

(1) M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire admet cependant, aussi bien dans le règne animal que dans le règne végétal, l'existence d'hybrides provenant de genres voisins. Mais ces genres voisins sont-ils réellement des genres différents ? 11 y aurait là, avant tout, un point de classification à débattre.


— 110 —

dans une ménagerie ambulante à Orléans, le produit d'un jaguar et d'une panthère noire.

Ces faits ne sont, du reste, contestés par personne; seulement on signale chez les hybrides un affaiblissement marqué des facultés reproductrices ; les uns, comme le mulet, sont, à de rares exceptions près, incapables d'engendrer à leur tour ; chez les autres, la stérilité survient au bout d'une seconde ou de plusieurs générations.

On fait observer, par contre, que les croisements de races bien constatées de la même espèce donnent naissance à des races métisses indéfiniment fécondes, et, comme nous l'avons déjà dit, on a cru pouvoir fonder sur ce contraste les motifs d'une distinction radicale entre les métis et les hybrides.

Y a-t-il, en effet, entre la fécondité restreinte des uns et la fécondité illimitée des autres, une distance si grande, si infranchissable, qu'on doive y voir l'expression de deux lois distinctes? Ou plutôt, n'y a-t-il là que des manifestations de valeurs inégales d'une loi unique, la faculté de reproduire ensemble, accordée à tous les individus du même genre ?

S'il y a deux lois distinctes, l'altération de la fécondité devra toujours exister dans les races hybrides et elle ne devra jamais au contraire se rencontrer chez les races métisses.

Que répondent les faits sur ces deux points ?

On avouera qu'il est au moins permis de concevoir au premier abord quelques doutes sur le premier point, quand on voit M. Flourens constater jusqu'à la quatrième génération la fécondité des hybrides du chien et du chacal, et recueillir de cinquanteneuf portées obtenues de l'union, soit du loup avec la chienne, soit de la chienne avec le chacal, soit de ces hybrides entre eux ; deux cent quatre-vingt-quatorze petits, c'est-à-dire en moyenne cinq petits par portée. M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire a obtenu de son côté trois générations d'hybrides d'axis et de pseudo-axis. On connaît également l'expérience commencée par le marquis de Spontin-Beaufort et continuée par Buffon : une louve élevée en domesticité et unie à un chien braque met bas, le 6 juin 1773, quatre petits ; on réussit à garder une femelle et un mâle, dont il


— 111 —

naît, le 2 ou le 3 mars 1776, quatre petits, deux meurent après leur naissance. Les deux survivants se trouvent un mâle et une femelle et donnent, le 4 mars 1779, une portée de sept petits ; la mère en mange six, la femelle conservée est accouplée avec son père et produit à son tour, en 1781, quatre petits, sur lesquels deux sont immédiatement dévorés. II en restait encore deux, encore un mâle et une femelle, dont on perd les traces au-delà de l'âge d'un an. Malheureusement Buffon avait alors plus de quatrevingts ans et l'expérience ne fut pas continuée ; à en juger toutefois par la description qu'il donne des deux derniers rejetons, et aussi par le nombre des naissances dans chacune des quatre générations successives, il ne paraît pas que la vigueur de cette race hybride fût épuisée, et tout porte à croire qu'on pouvait espérer la voir durer plus longtemps.

Il en eût été d'ailleurs autrement que, toute considération de mélange d'espèces mise de côté, le fait n'aurait eu en lui rien que de très-explicable. Dans toutes ces expériences, les hybrides qu'on a unis provenaient des mêmes ascendants, on se trouvait donc dans de mauvaises conditions pour observer leur fécondité ; on sait, en effet, avec quel soin on évite, pour nos races domestiques, de marier des individus du même sang. Du reste, chez ces dernières, même en prenant à cet égard toutes les précautions convenables, on sait aussi comment, à force de perfectionner une race animale ou végétale, on arrive souvent à diminuer d'une manière sensible et parfois à éteindre complètement les facultés de reproduction.

Il ne se passe donc pas autre chose chez les races hybrides que ce que l'on a observé plus d'une fois chez les races métisses. Cette analogie, qui permet d'établir une transition toute naturelle entre les unes et les autres, a une importance telle qu'on nous permettra de la corroborer par quelques exemples. Ainsi il est avéré que le croisement des races Durham et des races françaises n'a pas toujours également réussi ; M. de Ginestous , Président du Comice agricole de Vigan, a constaté que des porcs de race anglaise importés en France avaient cessé de reproduire au bout de quelques générations et qu'il avait fallu les croiser avec la race


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locale, plus maigre et moins éloignée du type primitif, pour leur rendre la fécondité. Enfin l'homme lui-même fournirait des résultats du même ordre ; d'après les observations de M. Etwick et de M. Long, les métis à la Jamaïque ne donneraient pas des métis indéfiniment féconds, et d'après le docteur Yvan, ceux de Hollandais et de Malais ne reproduiraient pas au-delà de la troisième génération.

Il est donc démontré que les races métisses elles-mêmes n'échappent pas aux chances de cette stérilité que l'on donne comme le caractère distinctif des raceg hybrides. Cela suffit, je le crois, pour prouver que ce n'est pas une loi particulière à certains mélanges, mais une prédisposition commune à tous.

Je n'ai pas, il est vrai, établi avec la même rigueur que, malgré cette prédisposition, les hybrides ne sont pas toujours inféconds à une génération donnée ; les expériences de Buffon et de M. Flourens n'autorisent à cet égard que des conjectures. On peut cependant faire faire à la question un pas de plus en avant, en montrant que les sources de la propagation ne sont jamais condamnées définitivement chez eux et qu'on peut facilement les raviver.

Je viens de citer l'exemple de cette race anglaise de porcs qu'il a suffi de croiser avec les races locales pour y ramener la fécondité; semblablement et c'est là un fait capital, quand il s'agit d'hybrides, il suffit pour obtenir le même résultat de les croiser avec l'une ou l'autre des espèces qui ont servi de souche. La race hybride y perd, il est vrai, sa personnalité et se fond avec l'une des deux ; mais qu'importe ? La filiation ne s'interrompt pas, et, en définitive, croisée avec l'une des races primitives, elle se comporte comme le font entre elles deux races de même espèce. Ceci n'est contesté par personne, les faits sont trop nombreux. Ainsi, on peut douter de la véracité de tous les exemples où la mule aurait produit avec le mulet, mais on est obligé d'admettre ceux où elle a produit avec le cheval et l'âne. On a pu voir au muséum de Paris l'hybride mâle de l'hémione et de l'âne féconder des ânesses et des hémionesses. C'est par des rapprochements semblables que le Suédois Hellénius a ramené, dès la troisième génération, au type mouton les hybrides provenant du bélier de Fin-


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lande et d'une chevrette de Sardaigne, ou plutôt d'une moufflonne suivant l'opinion de M. Geoffroy Saint-Hilaire ; que M. Flourens a fait, à la quatrième génération, revenir les hybrides du chacal et du chien, soit au type chacal, soit au type chien ; que M. Koelreuter a obtenu avec les végétaux des résultats identiques. Invoquons encore un exemple qui est d'autant plus décisif qu'il est la base d'une exploitation à grande échelle au Chili et au Pérou. On y a créé, en croisant le mouton et la chèvre, une race de chabins ou ovicapres dont la toison est, à cause de sa longueur et de sa souplesse, l'objet d'un commerce important. Voici sur cette race les renseignements que M. Claude Gay, Membre de l'Institut, a rapportés du Chili.

On croise d'abord le bouc avec la brebis (il paraît qu'au Pérou ce serait le plus souvent le bélier avec la chèvre), puis l'hybride mâle demi-sang qui en provient avec la brebis. Ces hybrides quarterons sont féconds ; mais si on les allie entre eux trois ou quatre fois de suite, la toison reprend les caractères du poil de bouc, et, pour mieux fixer les qualités de la laine, on est obligé de croiser une femelle quarteronne avec un des hybrides obtenus directement du bouc et de la brebis. La race est alors créée ; il paraît toutefois qu'au bout de quelques générations il se manifeste un retour vers les espèces primitives et qu'on n'a pas intérêt à les propager indéfiniment. Quoi qu'il en soit, voici une race dont la fécondité est tellement ravivée par un seul croisement avec l'une des espèces primitives, qu'elle ne se trouve même pas ultérieurement altérée par un nouveau mélange avec des hybrides demi-sang. Le phénomène est, on le voit, assez complexe, mais il n'en établit que mieux ce que l'on doit penser de la stérilité fatale des races hybrides.

Arrivé à ce point de la discussion, et avant d'aborder des idées d'un ordre différent, je ne dois pas passer sous silence des objections soulevées contre la faculté reproductrice des hybrides, objections d'autant plus graves qu'elles résultent d'études anatomiques faites par des hommes de valeur, et dont il importe par conséquent d'atténuer la portée.

M. Roelreuter a trouvé que, chez les hybrides végétaux, les


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anthères ne renferment plus de pollen proprement dit, mais seulement des granulations irrégulières et sans caractère; les ovaires contiennent, au contraire, parfois, des ovules en bon état. Il en a conclu que l'élément paternel a disparu, mais que l'élément maternel est moins rudement atteint. De leur côté MM. Adolphe Wagner, Gleichen, Bechetein, Prévost et Dumas, en se livrant à des recherches analogues tant sur les oiseaux que sur les mammifères, sont arrivés à cette même conclusion, que l'élément paternel était toujours plus ou moins altéré, souvent complètement vicié, tandis que les organes femelles étaient moins profondément modifiés.

Cette coïncidence est remarquable ; mais sans nier l'exactitude de ces observations, il est important de leur ôter immédiatement le caractère de généralité qu'elles semblent revêtir. Il me suffit, pour le moment, de rappeler que les générations successives d'hybrides que j'ai signalées ont forcément nécessité l'intervention efficace d'un mâle hybride ; et que, dans des croisements d'un ordre mixte, c'est l'hybride mâle d'âne et d'hémione qui a fécondé des ânesses et des hémionesses, que c'est encore l'hybride mâle du bouc et de la brebis qui intervient deux fois dans la création de la race des chabins du Chili. Je dirai enfin que la facilité avec laquelle M. Naudin, aide-naturaliste au Muséum, a obtenu dans les genres Primula, Datura, Nicotian-a, Pétunia, Linaria, Lusta, Coccinia et Cucumis des hybrides fertiles atténue singulièrement l'importance des travaux de Roelreuter sur la qualité du pollen des plantes données par des croisements d'espèces.

Nous verrons tout-à-1'heure comment on peut expliquer la stérilité des hybrides sans faire intervenir les considérations de race et d'espèce ; mais, comme en dehors de la question de fécondité, on a aussi assigné aux hybrides et aux métis d'autres caractères différentiels, je veux auparavant chercher si on a été fondé à le faire.

Examinons donc si, comme on a cru le trouver, il y a des différences sensibles entre les races hybrides et les races métisses, soit comme ressemblance avec les premiers parents, soit comme fixité du type.


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On peut dire qu'on rencontre également chez les premières comme chez les dernières tous les degrés de ressemblance avec le père et la mère, depuis la fusion à peu près complète des deux types jusqu'à la prédominance plus ou moins marquée de l'un des deux sur l'autre. Les cas de fusion des deux types sont les plus fréquents ; mais aussi, de même que certaines races, la charmoise, par exemple, imposent leur sang aux races, apparemment. moins vigoureuses, avec lesquelles on les croise, de même certains des types qui concourent à la formation des hybrides paraissent jouir d'une supériorité prononcée; ainsi, d'après les appréciations de M. Flourens, le type du chien est plus ferme que celui du loup, mais il l'est moins que celui du chacal.

Si l'on descend dans les détails, on trouve de part et d'autre des faits de ressemblance complètement analogues. S'agit-il du poil, l'influence du croisement sur la qualité de la laine n'est-elle pas absolument de même ordre pour les métis mérinos que poulies chabins du Chili ? S'agit-il de la couleur, l'hybride de panthère noire et de jaguar que nous avons vu à Orléans ne présentait-il pas la teinte fondue de son père et de sa mère (il était noir fauve avec taches plus obscures), comme il naît des daims gris de daims blancs et de daims noirs ; et si l'on veut au contraire des exemples de teintes juxta-posées, n'a-t-on pas obtenu du pigeon noir et de la tourterelle un hybride au plumage en damier noir et blanc, exactement comme on a un produit pie d'un taureau noir et d'une vache blanche.

Il n'est pas jusqu'au caractère dans lequel on ne retrouve toutes les combinaisons possibles des deux types. Il suffit de comparer ce que nous savons de nos chiens domestiques à ce que Buffon rapporte de ces hybrides du chien et du loup qu'il a étudiés avec tantdesoin. Les uns étaient sauvages, d'autres caressants, d'autres enfin présentaient la nuance intermédiaire, ils étaient à la fois doux et craintifs.

Il est cependant à peu près établi, et M. Isidore Geoffroy y a contribué par ses travaux, que les races hybrides ne présentent qu'assez rarement des cas de ressemblance unilatérale, c'est-àdire à l'un seulement des deux types qui leur ont donné naissance.


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Cela s'explique facilement par la même raison pour laquelle on rencontre moins d'exemples de cette ressemblance unilatérale dans les croisements de races que dans les croisements de simples variétés. On conçoit bien, en effet, que plus les individus qu'on rapproche diffèrent entre eux, plus l'un des types éprouve d'obstacles à se substituer à l'autre. Conséquemment aussi, les croisements entre races anciennement fixées, par suite mieux tranchées, doivent offrir les cas les plus rares de ressemblance unilatérale, et c'est précisément ce qu'a constaté M. de Quatrefages ; ce caractère commun aux hybrides et aux métis d'anciennes races mérite d'être signalé.

.T'admets donc volontiers que, dans le produit de l'union de deux espèces différentes, il y ait difficulté réelle à ce que l'un des types absorbe à peu près complètement l'autre, et il n'échappe à personne que, si cette absorption n'est pas apparente dès la première génération, il est plus difficile encore qu'elle se manifeste dans les générations suivantes. Pourtant, plusieurs naturalistes veulent que les races hybrides soient caractérisées par une tendance à revenir naturellement à l'une des deux espèces dont elle sont sorties. Les deux opinions me paraissent inconciliables, en tant du moins qu'on croira avoir affaire à des espèces réellement différentes.

Assurément, on ne peut interpréter dans ce sens les expériences de M. Flourens, qui n'obtient le retour d'une des espèces qu'en la faisant intervenir de nouveau à chaque génération ; il faut ne considérer que les races hybrides qu'on laisse abandonnées à elles-mêmes. Qu'on lise dans Buffon la description de ses chiensloups de quatrième génération, et on ne verra rien qui prouve un retour bien prononcé vers le loup pur, surtout lorsqu'on aura remarqué que le caractère du loup est resté dominant dans toutes les générations précédentes. Toutefois, il ne faut pas se dissimuler que l'altération de la laine qui se manifeste chez les chabins du Chili dans le sens du poil de bouc, malgré deux croisements successifs avec la brebis, ne puisse être invoqué comme un argument sérieux, auquel des expériences de M. Naudin et de M. Lecoq, viendraient encore prêter une nouvelle force.


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Voici ces expériences, je les discuterai ensuite :

M. Naudin sema des graines d'un hybride de la Primevère à grandes fleurs et de la Primevère officinale apporté au Muséum en 1853 par M. Weddel. Il en germa sept; trois d'entre elles produisirent des plantes entièrement semblables à la Primevère officinale, trois autres, des individus que rien ne distinguait d'une variété pourpre bien connue de la Primevère à grandes fleurs ; une seule reproduisit l'hybride dont elle était sortie, hybride infertile d'ailleurs (1).

L'expérience de M. Lecoq n'est pas moins curieuse, je vais citer presque textuellement M. de Quatrefages : Le Mirabilis à longues fleurs, vulgairement appelé Merveille du Pérou, avait été fécondé par le pollen de la Belle-de-Nuit ou Mirabilis faux Jalap ; l'hybride obtenu était d'ailleurs parfaitement intermédiaire entre les deux espèces, mais les graines qui en provinrent, mises en terre, reproduisirent toutes la plante paternelle, c'est-à-dire la Bellede-Nuit.

S'il n'y a eu dans ces diverses fécondations aucun mélange de pollen étranger, si ces faits sont l'expression d'une loi bien établie, loin d'y voir une objection, il faudrait, ce me semble, en tirer une conclusion bien décisive en faveur de l'identité des espèces d'un même genre. Que se serait-il passé? M. Lecoq aurait finalement changé un germe de Mirabilis à longues fleurs en un germe de Belle-de-Nuit, et M. Naudin, du même coup et au choix, soit un germe de Primevère à grandes fleurs en un germe de Primevère officinale, soit un germe de Primevère officinale en un germe de Primevère à grandes fleurs, ou plutôt ils n'auraient rien changé du tout, ces germes seraient identiques.

Toutefois, comme il n'est pas établi que la tendance au retour à l'un des types primitifs soit générale chez les hybrides, je me bornerai à dire que, dans les cas où elle se manifeste, la saine logique veut que les deux types appartiennent à la même espèce,

(1) M. Naudin a également obtenu des résultats du même ordre avec des hybrides de la Linaria vulgàris et de la Linaria purpurea.


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et qu'il faut, par conséquent, les mettre en dehors de la discussion qui nous occupe.

Il résulte, en définitive, des considérations qui précèdent que, s'il existe des races réellement hybrides, le seul caractère qui les différencie des races métisses, c'est qu'elles paraissent destinées à s'éteindre plus ou moins rapidement quand on veut les conserver pures ; mais il reste en même temps démontré, par la vigueur qu'elles recouvrent d'un croisement ultérieur avec les espèces qui leur ont donné naissance, qu'elles ne sont pas irrévocablement condamnées à la stérilité, et qu'il n'y a pas chez elle vice constitutionnel des facultés reproductrices. Il est dès lors rationnel de chercher, ailleurs que dans le mélange de sangs réputés incompatibles, la raison de la fécondité limitée des hybrides, et il est permis de l'attribuer à des causes extérieures analogues à celles qui influent, d'une manière si connue, sur les races notoirement fécondes. Voyons donc ce qui se passe chez ces dernières.

Au nombre des causes qui agissent sur elles, il faut mettre en première ligne le climat.

Il est, tout le monde le sait, des plantes exotiques qui, transportées lors de leur pays et malgré la température artificielle qu'on cherche à leur procurer dans les serres, bien que d'ailleurs assez vigoureuses pour se couvrir d'une abondante végétation, ne parviennent pas à fleurir ou donnent des fleurs qui ne produisent pas de graines. Souvent, il est vrai, la graine se forme, mais souvent aussi elle n'arrive pas à maturité suffisante pour être susceptible de germer à son tour. La plante vit, mais l'espèce ne s'en perpétue pas.

D'autres fois, l'espèce finit par s'acclimater, mais ce n'est pas sans que sa fécondité n'ait été, pendant un certain temps, rudement atteinte. Ainsi le blé d'Europe transporté à Sierra-Leone commence par donner peu d'épis, et l'on peut, dans le même ordre d'idées, sans sortir de France, citer d'intéressantes expériences faites par M. Tessier et répétées par M. Monnier. Ces expérimentateurs ont semé du blé d'automne au printemps; c'était évidemment bouleverser les conditions climatériques dans lesquelles il a l'habitude de se développer, c'était le changer de


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climat. Or, la première année, sur cent tiges, dix ont pu former leur épi et quatre, seulement, venir à maturité. Ces graines mûres ont été semées de nouveau au printemps, et, dans cette seconde expérience, le nombre des tiges dont l'épi a mûri a été de cinquante. A la troisième année, l'acclimatation était obtenue et le blé d'automne changé en blé de printemps.

Des phénomènes identiques s'observent chez les animaux ; tantôt, le changement de climat ne fait qu'apposer une perturbation momentanée dans les fonctions de reproduction ; c'est la Bernachearmêe ou oie d'Egypte, originaire de la Nubie où elle pond au mois de janvier, époque à laquelle le printemps commence dans cette contrée, qui, en France, retarde peu à peu sa ponte jusqu'au mois d'avril ; c'est l'oie qui, transportée à Bogota, c'est la poule à Cusco, qui donnèrent d'abord peu d'oeufs productifs, puis tout rentra dans les conditions normales. D'autres fois les unions sont tout à fait stériles ; à cet égard, j'ai déjà parlé des porcs de race anglaise qui, importés en France, avaient cessé de reproduire au bout de quelques générations, et, dans nos ménageries, on sait combien on constate peu de cas de fécondité chez les animaux originaires des régions tropicales. Souvent enfin les animaux exotiques sont à ce point désacclimatés que la saison des amours n'arrive plus pour eux ; je me sers à dessein de cette phrase, parce qu'elle implique un ordre d'idées qui me paraît avoir une liaison étroite avec le sujet qui nous occupe, et je crois utile de m'arrêter un peu sur cet ordre de faits.

Personne n'ignore que la plupart des animaux ne se recherchent qu'à certains moments de l'année. En dehors des époques fixées par la nature, les facultés génératrices paraissent chez eux temporairement éteintes ; le phénomène est très-marqué pour les oiseaux chez lesquels les organes sécréteurs se flétrissent alors presque complètement ; il est encore plus apparent chez les poissons où la laitance n'apparaît que dans une partie de l'année. C'est évidemment cet état d'impuissance qui persiste chez les animaux qu'on soustrait aux influences climatériques sous lesquelles ils sont destinés à vivre; il explique la stérilité de leurs unions ainsi que leur froideur prolongée.


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Le climat n'est pas la seule cause qui influe sur l'aptitude à la reproduction des êtres organisés ; la domestication exerce aussi quelquefois sur eux une action énergique. Quand il s'agit des végétaux, il faut traduire le mot domestication par le mot culture, et on a pu par la culture stériliser aussi bien les organes mâles de la fleur, les étamines qu'on a transformés en pétales dans les fleurs doubles, que l'organe femelle, l'ovaire, puisqu'on est parvenu à produire des fruits dépourvus'de graines, exemples : la banane, la passoline ou raisin de Corinthe, etc.

On trouve, il est vrai, chez les animaux des cas où la domestication a, au contraire, exalté la fécondité. Ainsi la truie a deux portées par an de dix à quinze petits, tandis que la laie sauvage n'a qu'une portée de six ou huit marcassins. Le cochon d'Inde a cinq ou six portées de six, huit ou dix petits; au contraire, le cobaye le mieux connu, l'apéréa, n'a qu'une portée par an et un ou deux petits. Mais tous ces faits dérivent, en définitive, d'un principe unique, à savoir que la transition de l'état sauvage à l'état domestique, ou réciproquement, a une influence qui n'est pas niable sur la fécondité de l'espèce.

Enfin, ne doit-on pas rapporter exclusivement à une influence de milieu d'une autre nature la stérilité des neutres chez les hyménoptères, puisque l'on peut à volonté transformer en reinemère ou en mâle un neutre d'abeilles, et qu'il suffit, par exemple, pour obtenir une reine de mettre la jeune larve dans une des cellules destinées aux femelles où elle trouve, comme on sait, une plus ample provision de miel et de cire.

On peut comprendre l'ensemble de tous ces faits dans un énoncé unique et dire que le milieu dans lequel vit l'espèce influe sur sa fécondité.

En serait-il autrement pour les hybrides ? Les quelques faits que nous connaissons ne nous autorisent pas à le penser. S'il nous est difficile de faire la part qui convient à la domesticité à laquelle sont nécessairement soumis les individus dont nous provoquons l'union, du moins l'influence des circonstances climatériques se manifeste bien clairement à nos yeux. Je n'insisterai pas sur la fécondité de la mule avec le mulet dans des climats


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plus chauds que le nôtre, fécondité plus ou moins contestée, mais qui a été démontrée au moins une fois, en Algérie, près de Biskra, en 1858 ; M. Schmitt, pharmacien militaire, en a envoyé un foetus non venu à terme à M. Gratiolet, aide-naturaliste au Muséum. Mais je reprendrai l'exemple des chabins, sur la fécondité desquels, comme on l'a déjà vu, on a fondé au Chili et au Pérou les éléments d'une industrie devenue vulgaire. Ces chabins sont, au Chili, le produit du bouc et de la brebis, et cependant, en France, M. Isidore Geoffroy, qui a réussi facilement à rapprocher le bouc de la brebis n'a jamais pu en obtenir une seule union féconde. Au Pérou, on croiserait au contraire le bélier avec la chèvre ; or, ce croisement, qui a réussi une fois à Buffon, n'a pu être obtenu depuis au Muséum, malgré de nombreux essais. L'influence du milieu n'est point ici douteuse ; si elle est réelle dans certains cas, pourquoi ces cas seraient-ils considérés comme des anomalies ? Il faut avouer que l'étude des lois naturelles ne nous a pas habitués à raisonner ainsi d'exceptions en exceptions. Pour mon compte, j'admets donc que les unions qui ne réussissent pas sont celles qui s'accomplissent dans des conditions défavorables, et je suis disposé à ne voir dans l'hybride qu'un individu qui naît ou se développe dans un milieu qui, ne lui convenant pas, altère son aptitude à la reproduction.

Je résume ainsi la première partie de cette étude :

La faculté de former des unions fécondes appartient exclusivement aux individus d'un même genre ;

La seule différence qui apparaisse entre les races hybrides et les races métisses, c'est que les unes ne se perpétuent pas indéfiniment, tandis que chez les autres la fécondité est presque toujours illimitée ;

Toutefois, d'une part, les races métisses ne sont pas à l'abri des chances d'extinction par suite de stérilité, et d'autre part, les facultés reproductrices ne peuvent pas être considérées comme fatalement condamnées chez les races hybrides ;

Enfin, les influences de milieu expliquent suffisamment, chez les unes comme chez les autres, les variations plus ou moins T. vu. 9


— 122 — étendues que présentent les limites de la fécondité, soit de l'individu, soit des races qui en descendent, sans qu'il soit nécessaire d'en chercher la raison dans l'organisation relative des types qui ont été croisés.

Je vais maintenant montrer que les différences de type d'espèce à espèce ne sont pas plus grandes que celles qui existent chez les individus issus de parents de même espèce et de même race. Cette seconde partie ne comportera pas des développements aussi longs que la première, car la question n'est pas controversée.

II. — Des variations de l'Espèce.

Il est indubitable que les êtres organisés tendent à transmettre à leurs descendants les caractères spécifiques qui les distinguent eux-mêmes, surtout quand les conditions du milieu dans lequel ils sont destinés à vivre ne viennent pas à changer. La similitude des blés, des crocodiles, des ibis, des chats retrouvés dans les hypogées égyptiens avec les mêmes espèces vivant en Egypte aujourd'hui, est un fait avéré. L'identité du baobab vu par Adanson, au cap Vert, qui pouvait compter cinq mille ans d'existence et avait vingt-deux mètres de circonférence, ou de celui cité par Golbery qui en mesurait trente-quatre avec les jeunes baobabs croissant auprès de ces colosses fournit un argument de même nature. On peut encore reculer la limite des temps pour lesquels se vérifie la permanence des caractères héréditaires ; ainsi, des graines enfouies dans les sables du diluvium et qui avaient conservé leurs propriétés germinatives ont donné des individus semblables à ceux existant actuellement, par exemple le Galium anglicum observé par M. Michalet aux environs de Dôle ; de même aussi M. Agassiz, qui a étudié les coraux de l'extrême, pointe méridionale de la Floride et les supposait âgés de deux cent mille ans, en a constaté l'identité avec ceux qui se développent encore maintenant dans le golfe du Mexique ; on aurait enfin des exemples appartenant à des époques probablement encore plus éloignées, si les testacées microscopiques rapportés par les officiers américains de l'Atlantique et du Pacifique, dont ils tapissent le sol à


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près de quatre mille mètres de profondeur, étaient reconnus semblables à ceux que l'on retrouve à l'état fossile dans les roches du continent.

Cependant, sans cause apparente, il naît parfois un individu assez peu semblable à ses parents qu'il faille la constatation immédiate de sa généalogie pour qu'il ne soit pas classé à part. Tantôt cet individu est une anomalie absolue, incapable de se perpétuer avec ses caractères, par exemple, l'acacia spectabilis saus épines qui a été rencontré une seule fois au milieu d'un semis d'acacias épineux fait à Saint-Denys, vers 1808 ou 1809, qu'on a depuis reproduit de boutures, mais dont les graines donnent des acacias épineux.

Tantôt les caractères du nouvel individu deviennent héréditaires. Ainsi, vers 1770, dans une province centrale de l'Amérique, naquit un taureau sans cornes ; sa race s'est multipliée depuis à un tel point que, dans certaines provinces, on ne rencontre plus de boeufs cornus. De même, la race ovine dite ancon ou loutre, fort estimée des fermiers américains, provient d'un mouton né en 1790 dans le Massachussets, dont le corps trèsallongé portait sur des pattes très-courtes. On peut encore citer la race Mauchamps qui descend d'un agneau unique, à laine droite et soyeuse, né en 1828 au milieu d'un troupeau de mérinos ordinaires.

Voici d'autres faits du même ordre, qui nous intéressent d'autant plus qu'ils sont empruntés à l'homme lui-même. On a pu observer, de 1717 à 1802, la perpétuation dans une famille d'une singularité qui avait valu à son auteur le nom d'homme porc-épic, porcupine man ; sa peau était couverte d'une carapace brune se fendillant de manière à figurer grossièrement les piquants d'un porc-épic ; tous les ans il y avait une mue à la suite de laquelle la peau reparaissait saine et lisse. Bien que la mère n'offrît rien de semblable, tous les enfauts issus du mariage tinrent de leur père et transmirent la même particularité à leurs descendants. On sait aussi que l'aïeul de Colburn, célèbre calculateur anglais, avait six doigts à chaque main, six orteils à chaque pied, et qu'à la quatrième génération, huit


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enfants sur quatre présentaient encore le même caractère. La persistance de ces anomalies doit faire supposer dans les deux cas que, s'il se fût agi d'animaux dont on eût voulu perpétuer la race, cette race aurait pu être créée sans difficulté.

Mais c'est surtout lorsque l'espèce vient à être changée du milieu dans lequel elle vit habituellement qu'apparaissent les modifications à la loi de permanence des caractères distinclifs dont nous avons pu citer de si frappants exemples. L'individu transporté dans un milieu différent tend déjà lui-même à se modifier, de manière, sans doute, à se mettre mieux en harmonie avec les nouvelles conditions d'existence qui lui sont faites, et l'espèce entière finit à son tour par subir des transformations durables, par présenter, dans son nouveau milieu et sous sa nouvelle forme, la permanence définitive des caractères héréditaires. Il faut donc admettre que, s'il y a des caractères absolument indélébiles, il y en a d'autres qui ne le sont que relativement ; ce sont ceux-là qui s'assouplissent aux circonstances extérieures et permettent à l'espèce de s'acclimater, lorsque les éléments nouveaux contre lesquels elle a à lutter ne sont pas trop meurtriers pour son organisation.

J'ai dit que l'individu était lui-même plus ou moins profondément atteint par un changement de milieu. Un des faits les plus saillants dans cet ordre d'idées est celui que fournissent les salamandres aquatiques; placées dans des conditions telles qu'elles ne reçoivent que très-faiblement l'impression de la lumière, elles restent à l'état de têtard passé le temps où la métamorphose définitive devrait s'accomplir ; cet état est, comme on le sait, caractérisé par la présence de branchies et l'absence de membres, tandis que l'animal parfait jouit de la respiration pulmonaire et possède deux membres antérieurs et deux membres postérieurs. Pour bien comprendre cet exemple d'influence de milieu, il faut se rappeler que le protée (le protée, comme la salamandre et la grenouille, appartient à un groupe bien défini, celui des batraciens), qui vit dans l'obscurité des souterrains de la Basse-Garniole, reste têtard toute sa vie avec sa queue et ses branchies. Tous les faits ne présentent pas un ca-


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ractère aussi tranché, il en est cependant encore quelques-uns de remarquables ; ainsi, les oeufs colorés en jaune d'une truite saumonée pâlissent dans une eau impropre au saumonage, et la jeune truite perd la teinte caractéristique de sa mère.

On comprend qu'il soit le plus souvent difficile de saisir sur un individu isolé ce travail d'acclimatation ; les modifications sont plus sensibles au bout de quelques générations. Le ricin, qui devient une plante annuelle sous nos climats, est un arbrisseau dans des contrées plus chaudes; le chou rouge transporté dans le Midi de la France y perd si promptement tous ses caractères qu'au bout de deux ou trois ans il faut en renouveler les graines; le dindon, introduit en Europe vers le commencement du xvie siècle, n'y présente plus les teintes métalliques des races sauvages.

C'est surtout sur le poil ou le plumage qu'on peut constater l'effet des influences climatériques ; la chaleur exalte les fonctions de la peau et affaiblit d'autant celles des organes producteurs du duvet; le froid produit des effets inverses. En effet, M. Roulin a vu, dans l'Amérique méridionale, à une hauteur de 2,500 mètres, les cochons se couvrir d'un poil épais, crépu, et d'une sorte de laine; par contre, il a remarqué que les jeunes poulets, dont les ancêtres ont vécu depuis longtemps dans les régions chaudes de l'Amérique, naissent avec un duvet trèsrare et très-fin qu'ils perdent bientôt, ils restent nus en ne gardant que les plumes de l'aile. De même, les chevaux sauvages, qui vivent dans des contrées plus chaudes que les nôtres, ont le poil plus court. De même aussi, le boeuf, livré à lui-même, dans les plaines basses de l'Amérique, perd son poil en tout ou en partie.

Au nombre des causes susceptibles de modifier les types primitifs, il faut encore compter l'influence de l'homme aux deux points de vue de la domestication et du choix des reproducteurs présentant certains caractères qu'il veut utiliser.

Parmi les races que l'homme s'est appropriées, il en est dont la domestication ou la création remontent à une époque si ancienne que les phénomènes de transition échappent aujourd'hui


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à notre investigation ; on est alors indécis sur le type primitif auquel on doit les rapporter, et même plusieurs auteurs n'hésitent pas à admettre des souches différentes pour des contrées éloignées les unes des autres. La question est donc loin d'être résolue pour la plupart de nos races domestiques; il en est cependant quelques-unes pour lesquelles on a des données positives.

J'ai déjà cité les boeufs sans cornes de l'Amérique centrale, la race ovine dite ancon ou loutre, la race des Mauchamps. On sait aussi comment on a obtenu les Dishley et les Durham, ces races anglaises si précieuses dont l'ossature est réduite, les muscles développés et l'engraissement rapide. M. Backwell, en partant de la race à longues cornes de Leicester, est arrivé au Dishley; les frères Collins ont pris pour point de départ les races à courtes cornes de la Tees et ont abouti au Durham.

Le serin des Canaries a pénétré en Europe vers l'époque de la conquête des îles Fortunées par les Béthancourt, c'est-à-dire vers le milieu du xve siècle. Il comptait déjà huit races et vingtneuf variétés au temps de Buffon. Le nombre s'en est accru depuis; indépendamment de la couleur, de la panachure, de la huppe, des pattes plus ou moins allongées, chaque variété, tout en conservant, le chant primitif de l'espèce, y a joint des intonations, des reprises, des roulades particulières.

Mais voici qui dénoterait chez l'homme une puissance modificatrice encore plus grande: D'après M. Darwin, un éleveur de pigeons, sir John Sebrigth, se vante de pouvoir produire en trois ans un pigeon de plumage indiqué à l'avance ; il lui faut, dit-il, six ans pour façonner une tête ou un bec.

Les races ainsi obtenues sont quelquefois assez stables pour imposer leur sang dans les croisements où on les admet; les Durham, les Mauchamps, la race charmoise créée par M. Malingié, sont dans ce cas. Mais il peut aussi, et cela n'est pas rare, se manifester chez elles une tendance au retour vers le type primitif, tendance toute naturelle et qui s'explique mieux ici qu'au cas où il s'agit de races hybrides. Ainsi, dans les troupeaux à laine noire d'Andalousie, on lue impitoyablement depuis plu-


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sieurs siècles tout agneau qui porte les moindres traces de laine blanche, et cependant, chaque année, il en naît quelques individus. La race rochemanse blanche de vers à soie, formée par sélection au bout de quatre-vingts ans, conservée pendant vingt ans encore dans les Cévennes, avait un siècle d'existence quand elle fut frappée de cette épidémie qui atteint le germe avant qu'il ne soit développé; chaque chambrée présentait encore des cocons jaunes de la race primitive. Si nous passons aux plantes simplement modifiées par la culture, personne n'ignore que la carotte et le navet abandonnés à eux-mêmes retournent à l'espèce sauvage, et qu'il en est de même d'un grand nombre de nos arbres fruitiers.

Il ressort évidemment de tous les faits positifs que nous venons de citer que les caractères de l'espèce sont susceptibles de se modifier de manière à élargir le cercle de l'habitation de l'individu et à lui permettre de s'accommoder de conditions d'existence souvent très-différentes. Il est également certain que, les conditions d'existence ne vinssent-elles plus à varier, les caractères de l'espèce eussent-ils acquis la plus grande fixité, il peut encore naître, dans ce cas, des individus présentant des particularités, dont les unes ne seraient que superficielles et s'effaceraient d'elles-mêmes dans la série descendante, et dont les autres seraient assez vigoureusement empreintes dans la constitution pour se transmettre par l'hérédité. Cette transmission héréditaire serait même, dans l'opinion de M. Darwin, la seule cause des variations de l'espèce ; ce naturaliste n'accorde, en effet, qu'une très-médiocre importance à l'action du milieu sur l'organisation ; pour lui, l'espèce varie, parce que la nature ne laisse subsister et fonder des races que les individus aptes à prospérer dans des conditions données, tandis que tous les autres s'éteignent peu à peu et finissent par disparaître.

Il est inutile, pour le but que je me propose dans cette étude, d'aborder la discussion des voies et moyens employés par la nature pour faire varier l'espèce, il suffit que le fait existe ; et si maintenant nous cherchons à nous rendre compte des limites dans lesquelles peuvent être renfermées les variations bien constatées


de l'espèce, nous les trouverons plus étendues qu'on ne pourrait le supposer au premier abord. Sans doute, les différences de la taille, de la couleur, de la forme, de la nature du poil ou de la plume, les exemples d'albinisme que fournissent le cheval, le lapin, le chat, le rat ou la souris et enfin l'homme lui-même, le mélanisme chez la panthère ou chez l'homme, ne constituent que des caractères superficiels ; mais on ne niera pas que la disparition des cornes dans toute une race de boeufs, disparition qui suppose la suppression de tout un système d'os, d'artères et de veines, que l'apparition d'un sixième doigt à tous les membres avec tout le cortège d'os, de muscles, de veines, d'artères et de nerfs qu'il comporte, que la permanence des branchies dans les salamandres condamnées à l'obscurité, ne soient des faits qui tiennent de bien près à l'organisme lui-même.

Au surplus, ce qui prouve mieux que tout ce que l'on pourrait dire à ce sujet toute l'étendue des différences que peuvent présenter entre elles les races d'une même espèce, c'est que les naturalistes les plus distingués s'y sont trompés eux-mêmes, et qu'il leur est arrivé fréquemment, de classer comme d'espèces distinctes des individus que la découverte ultérieure d'intermédiaires, reliant entre eux les anneaux extrêmes de la chaîne, a fait depuis reconnaître comme appartenant à une seule et même espèce.

Ainsi, M. de Candolle avait décrit sept espèces de ronces, M. Mûller deux cent trente-six ; M. Decaisne, en cultivant au Muséum toutes ces variétés dans des conditions identiques, a trouvé qu'elles se fondaient toutes les unes dans les autres.

On connaissait vingt espèces de plantain au temps de Linné ; on en a fait ou trouvé depuis cent quinze ou cent trente, dont vingt sont rattachés à la flore européenne. M. Decaisne, choisissant l'une de ces espèces réputées comme bonnes, a obtenu par le semis au moins sept de ces formes considérées comme spécifiques; il a obtenu des individus à feuilles tantôt longues, tantôt ovales et presque arrondies, des tiges tantôt lisses, tantôt lanugineuses et passant au plantain laineux, des racines tantôt annuelles et tantôt vivaces.


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Le hareng de Norwége et celui de France présentent au premier abord des différences assez importantes; M. Valenciennes, en rassemblant les variétés pêchées sur les points intermédiaires, a démontré l'identité de l'espèce.

Le lézard vert, dans le Midi de la France, en Italie, en Sicile, a le veutre jaune, le dos vert et porte une crête bleue; dans les parties occidentales de l'Europe, il est vert avec le ventre liseré de noir ; M. Duméril a pu classer toutes les variétés intermédiaires.

Ainsi encore, F. Cuvier a trouvé, du nord de l'Europe jusqu'en Egypte, sept ou huit modifications du type renard, se liant les unes aux autres de manière à ne pouvoir plus les séparer, comme on l'avait fait avant lui. Mais il ne connaissait pas les intermédiaires entre le chacal de l'Inde et celui du Sénégal, et il en avait fait deux espèces ; depuis, ces intermédiaires ont été découverts, et M. Isidore Geoffroy les a réunies.

Il en est de même de la martre de France et de la martre zibeline.

A cette longue nomenclature, faut—il enfin ajouter l'homme lui-même qui, par exemple, sans sortir de l'Afrique, fournit toutes les transitions possibles entre le type nègre et le type caucasique?

Les explorations et les découvertes faites depuis le commencement du siècle permettraient de faire encore bien d'autres rapprochements, et, qu'on le remarque bien, ceux que j'ai cités sont acceptés même par les naturalistes qui croient fermement à la division du genre en espèces distinctes et indépendantes les unes des autres. Qu'en conclure? C'est que les influences de milieu jouent, avec le temps, un rôle considérable dans l'histoire des êtres organisés ; c'est qu'en-dehors des facultés génératrices, il n'y a rien qui distingue la race de l'espèce, et que des individus d'espèces différentes du même genre ne diffèrent pas plus entre eux que des individus nés de parents de même espèce.


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Conclusion.

En résumé, tous les individus d'un même genre, quelque dissemblance qu'ils présentent, pourraient être sans difficulté considérés comme issus d'une souche unique, si la fécondité limitée des unions de quelques-uns d'entre eux n'apparaissait pas comme un obstacle à la continuité, des anneaux de la chaîne que suppose une origine commune.

Je crois avoir montré, d'autre pari, ce qu'il faut penser de cette impossibilité; la stérilité de certaines unions n'est pas, absolument parlant, inhérente à l'organisation des individus qui les contractent, elle dépend seulement des circonstances extérieures dans lesquelles ils se trouvent placés ; en d'autres termes, tous les individus d'un même genre paraissent aptes à former entre eux des croisements féconds.

Enfin cette aptitude appartient exclusivement aux individus du même genre.

On arrive donc à cette conclusion, et ce sera la mienne, que c'est le genre, et non l'espèce, qui comprend l'ensemble des individus issus réellement ou que l'on peut considérer comme issus, à un degré quelconque, de la même souche ou de souches absolument semblables.

Et comme tous ces individus, et ceux-là seuls, ont un caractère commun, celui de pouvoir reproduire ensemble, le mot Genre, dont l'étymologie (genus, generare) implique l'idée de consanguinité, est alors pris dans sa véritable signification philosophique. Ce n'est plus, comme dans les tableaux de classification, seulement une tête de colonne sous laquelle on inscrit les noms d'êtres plus ou moins semblables, un simple artifice de catalogue bien fait. Il prend un corps, il revêt une sorte d'existence ; car il représente à l'esprit un type général dont nos espèces actuelles ne sont que des dérivations, une souche commune dont elles ont toutes pu descendre.

Quant à l'espèce, dès qu'elle n'a rien d'absolu ni dans ia forme, ni dans l'hérédité, dès qu'elle est fatalement soumise aux


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deux grandes influences du milieu et du temps qui la modifient et la transforment Je mille manières, on ne doit plus se la figurer que comme l'un des termes de la série des individus qui composent le genre à un moment donné, comme un repère auquel il est commode de rattacher, par sous-entendu et pour les besoins du temps présent, les termes les plus voisins de la même série, absolument comme on groupe autour du bleu, du jaune et du rouge toutes les nuances du spectre solaire.

Est-ce à dire pour cela qu'il y ait dans cette manière d'envisager le genre et l'espèce autre chose que des abstractions rendues sous une forme plus saisissante, qu'en d'autres termes, elle soit l'expression des faits eux-mêmes? On reconnaît bien, personne ne le nie, que les phénomènes géologiques ont dû agir énergiquement sur les conditions d'existence des êtres organisés? mais de la possibilité de transformations accomplies chez ceux-ci sous la double influence du milieu et du temps, faut-il absolument conclure à l'existence réelle d'une souche unique ou de souches semblables dont seraient descendues toutes les espèces d'un même genre? Il y aurait évidemment témérité à affirmer qu'une chose a été par cela seul qu'elle a pu être. Cependant, pour ma part, je me sens porté à admettre l'unité du type générique, et à ne voir dans l'espèce que l'effet du temps d'abord, puis de ces révolutions du globe qui ont, à tant de reprises, changé le milieu dans lequel elle s'est développée. Tout s'explique si aisément dans cette hypothèse ! Elle concilie si bien les opinions diverses qui ont été émises sur ce sujet par les grands esprits? Notons en passant qu'elle tranche, ipso facto, la question si débattue des races humaines. Elle me séduit enfin, parce qu'elle permet de renouer sans difficulté la chaîne des temps passés à celle des. temps présents.

Qu'on se rende compte, en effet, de l'influence qu'ont nécessairement exercée sur le climat d'un lieu donné les changements de distribution, à la surface du globe, des continents et des mers, des plaines et des montagnes; qu'on se rende compte aussi des perturbations amenées dans l'existence des êtres organisés, soit par la disparition de continents qui n'ont laissé au-dessus des ni-


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veaux des mers que des lambeaux isolés auxquels s'est trouvée peu à peu réduite l'aire de leur habitation, soit par l'apparition de chaînes de montagnes élevant progressivement des barrières infranchissables entre les êtres qui peuplaient un même continent, soit enfin par l'émersion du sein des eaux de nouvelles terres qui se sont colonisées à leur tour.

On conçoit alors comment des groupes entiers, circonscrits fatalement dans un milieu qui ne leur convenait pas, où ils ne trouvaient même peut-être plus à se nourrir, ont fini par s'éteindre après une lutte inégale pour laquelle ils n'étaient pas armés ; comment d'autres, plus heureux, ont pu émigrer pour chercher sous un climat différent des conditions meilleures; comment d'autres enfin ont dû leur salut à la flexibilité de leur organisation, et se sont conservés au prix de transformations proportionnées aux exigences du lieu où ils se sont accoutumés à vivre. Puis, à la suite de nouveaux changements survenus à la surface de la terre, voilà que les membres, longtemps dispersés, de la même famille se trouvent de nouveau réunis, mais déjà constitués en espèces distinctes ; les affinités se réveillent avec plus ou moins d'énergie, des alliances se contractent ; des races intermédiaires se forment et se perpétuent à leur tour, si elles sont en harmonie avec le milieu où elles prennent naissance.

Quand l'homme paraît enfin, le grand travail de fusion est en partie accompli ; il peut encore réussir à créer de nouvelles races en croisant des espèces qui n'auraient pu franchir sans lui les obstacles opposés à leur rapprochement par la constitution physique du globe ; mais il n'a pas le droit de s'étonner de trouver des alliances rebelles à sa volonté, lorsque la nature elle-même, plus patiente et plus puissante que lui, les avait essayées sans succès antérieurement à son arrivée. Il lui reste encore une part d'influence assez large sur le renouvellement de la face de la terre pour contenter ses désirs ou satisfaire ses besoins, soit qu'il façonne des races en réglant en maître leurs unions, soit qu'il en acclimate ou en asservisse certaines autres, soit enfin que, s'imposant lui et ses auxiliaires à des contrées lointaines qui avaient


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gardé jusqu'à son invasion une physionomie particulière, il y efface, à chaque pas qu'il fait en avant, les derniers vestiges d'un monde antérieur. Mais, pendant qu'il poursuit son oeuvre, il n'échappe pas lui-même à la loi générale des milieux; son type change, suivant que les hasards ou sa volonté l'ont conduit vers l'Orient, vers l'Occident ou vers le Midi ; puis, une fois formées, les races humaines se mêlent lorsqu'elles ne s'entre-détruisent pas. Et, à en juger par les courants d'émigration qui s'établissent dans tous les sens et travaillent sans relâche à mélanger les populations sur tous les points du globe, on peut se demander si, à moins de nouvelles catastrophes, il n'arrivera pas un momeut où la fusion sera consommée, où l'homme ne présentera plus qu'un type unique, type sans doute mixte, mais que cependant l'élément Indo-Germanique paraît, entre tous, destiné à marquer de son énergique empreinte et de sa brillante personnalité.

Il aurait fallu, pour compléter cette exégèse de la nature, montrer les types primitifs, d'où sont sorties toutes nos espèces actuelles, apparaissant successivement sur la terre à partir du moment où la vie commence à s'y organiser. Mais je crains de m'être déjà laissé entraîner à de trop longues excursions dans le domaine des hypothèses, et je me bornerai à en dire deux mots qui ont une étroite liaison avec le sujet que j'ai traité. On s'est demandé si ces types primitifs naissaient formés de toutes pièces ou s'ils n'étaient que des dérivations des formes déjà existantes, question d'autant plus délicate qu'elle touche de bien près aux traditions bibliques. La réponse n'est pas douteuse du moment où il résulte évidemment des faits que nous avons passés en revue, que les variations de l'individu ne sauraient franchir le cercle du genre auquel il appartient. Les types des différents genres n'ont donc pu naître que formés de toutes pièces, et il n'est pas rationnel de chercher dans des transformations impossibles l'explication de leur apparition successive.

Ainsi, qu'on le remarque bien, la variabilité de l'espèce, à quelque point de vue que l'on envisage l'espèce, n'est pas indéfinie, comme on l'a dit quelquefois ; elle est, au contraire, étroitement renfermée dans des limites bien déterminées, celles du


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genre, et c'est, je crois, pour avoir méconnu ce principe fondamental que des hommes d'un talent incontesté se sont égarés dans des théories cosmogoniques sans issue. Il ne.m'a pas paru inutile de terminer cette étude par cette dernière observation.

RAPPORT , AU NOM DE LA SECTION D AGRICULTURE, SUR LE MÉMOIRE DE M. SAINJON, CI-DESSUS ,

Par M. JCIXIEN-CROSNIER.

Séance du 6 février 1863.

M. Sainjon a présenté à la Société un mémoire plein d'intérêt sur la considération du Genre et de l'Espèce. Ces deux mots sont envisagés par la plupart des auteurs sous différents points de vue. Les uns considèrent le genre tel qu'il a été créé par Tournefort et Linnée, c'est-à-dire comprenant tous les êtres ayant entre eux une similitude réelle, les autres lui ont donné une extension beaucoup plus grande ; ils le composent d'une réunion d'espèces rapprochées par des caractères communs et éloignés des autres genres par un ou plusieurs caractères différentiels. Ainsi, dans le premier cas, le genre était établi sur des caractères généraux, tandis que dans le second cas, il est établi sur des caractères communs à toutes les espèces. Pour M. Sainjon, c'est le genre et non l'espèce qui comprend l'ensemble des individus issus réellement ou que l'on peut considérer comme issus, à un degré quelconque, de la même souche ou de souches absolument semblables.

C'est dans le mémoire précité, rempli de nombreux faits et d'aperçus nouveaux non susceptibles d'analyse, que l'on peut voir avec quelle sagacité l'auteur arrive, d'inductions en inductions, à vous présenter la réalisation du fait énoncé. Puisant ses exemples dans l'ouvrage de M. de Quatrefages, sur l'Unité de l'Espèce humaine, dans le livre de M. Darwin, sur l'Origine des Espèces,


— 135 — il démontre par des exemples tirés de toutes les branches de l'histoire naturelle, que, selon le précepte de L'innée, naturanon facitsaltum, qu'elle procède au contraire par degrés successifs, lentement, il est vrai, et non par bonds.

La question de la variabilité des espèces, bien traitée dans l'étude que nous avons mission d'analyser, avait conduit Lamarck à sa théorie de la diversification naturelle et nuancée des êtres organisés, théorie exposée dans sa philosophie zoologique. Lamarck partait de l'hypothèse d'une génération spontanée, assignait aux règnes organiques une origine naturelle, les voyait débuter par une matière informe qui s'organisait de la manière la plus simple, et s'élevait, de modifications en modifications, et par degrés insensibles, du polype à l'homme, d'abord en vertu d'une impulsion naturelle, puis, sous l'influence des circonstances variées du monde extérieur ; celles-ci créaient des besoins, les besoins suscitaient des efforts, et ces efforts déterminaient des développements d'organes, des changements de formes; de là une série à la fois progressive et diversifiée. Cette théorie renfermait, malgré son caractère hypothétique, deux vues fécondes, parce qu'elles expriment deux faits incontestables ; une tendance au développement des organes, et des réactions, puis des habitudes modificatrices de l'organisation et de la forme extérieure.

Un savant naturaliste de Rouen, M. Pouchet, a repris les idées de Lamarck. Après avoir fait des expériences nombreuses pour démontrer la génération spontanée ou hétérogénie, expériences contredites par M. Pasteur, il arrive à conclure à l'absence apparente des conditions de la génération ordinaire (1).

Cette question de l'hétérogénie, très-controversée aujourd'hui, a été soutenue par les plus grands esprits et philosophes des temps anciens et modernes, parmi lesquels nous citerons : Buffon, Guéneau de Montbéliard, Priestley, Burdach, Carus, Cabanis, Treviranus, Tiedemann, Bory Saint-Vincent, Dujardin, etc.

(1) M. Balbiani a mis en évidence, dans un mémoire récent, que les infusoires sont hermaphrodites, et se reproduisent par génération sexuelle.


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D'autres naturalistes suivent les préceptes et l'axiome d'Harvey : Omne vivum ex ovo, aussi les nomme-t-on les ovaristes. Mais Harvey n'entendait pas seulement par le mot oeuf le produit de l'accouplement de deux êtres semblables ; il appelle oeuf tout élément organique.

M. Darwin enfin, fort de ces études, veut à son tour reprendre cette question et le programme de Lamarck. Seulement au lieu de rattacher la filiation des types à une génération spontanée qui serait incessante, il lui assigne pour point de départ un acte initial de la création. Dieu a créé quelques types, un seul peut-être ; toute la diversité des êtres organisés, tant fossiles que vivants, procède des modifications que des siècles innombrables et une suite indéfinie de générations ont imprimées à ces types primordiaux. Tel est le sommaire de la doctrine que M. Darwin a développée dans son livre sur l'Origine des Espèces.

Vous pouvez juger, Messieurs, d'après le peu que je viens de dire, combien cette question qui agite encore aujourd'hui les esprits est difficile et controversée, et que dans l'état actuel de nos connaissances, on ne peut rien préjuger. Ce serait trop présomptueux de vouloir porter un jugement au milieu de tant d'écrits contradictoires.

Quoi qu'il en soit, je n'hésite pas à proclamer que le travail de M. Sainjon ne soit un résumé fidèle des idées émises par plusieurs savants faisant connaître les débats qui s'agitent autour de cette grande question.

PRIX DE POÉSIE,

PROPOSÉ PAR LA SOCIÉTÉ HAVRAISE D'ÉTUDES DIVERSES, POUR 1864. MÉDAILLE D'OR DE 150 FR.

Pour une pièce de plus de cent vers sur un sujet au choix de l'auteur.

L'envoi devra être fait avant le 1er janvier 1S64, aux conditions et avec les formalités d'usage, à M. le président ou à M. le secrétairegénéral de la Société, au Havre.


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NOUVELLE .ÉTUDE SUR LES RUINES CELTIQUES ET GALLOROMAINES DE LA COMMUNE DE TRIGUÈRES ;

Par M. B. DE MONVEL.

Séance du 4 décembre 1862.

Dans une notice soumise à la Société en mars 1857, et insérée tome III de la 2e série de ses Mémoires, nous nous étions efforcé d'attirer l'attention sur la découverte récente alors d'un théâtre antique (PI. X, p. 52), qui, suivant un architecte distingué et ayant passé de longues années en Italie, rappelait par sa forme et ses distributions le théâtre de Pompeï, en même temps que ses dimensions constataient qu'il avait pu admettre de huit à neuf mille spectateurs.

Grâce au zèle patient et éclairé de M. Petit, juge de paix du canton de Châteaurenard, membre du conseil général du Loiret et ancien maire de Triguères, où il réside, cette découverte devait être suivie d'une foule d'autres qui nous font reconnaître, dans la commune de Triguères, tout à la fois un centre de population et même de religion celtique et un important municipe gallo-romain. Ces ruines, qui se répartissent aujourd'hui sur un espace de plus d'une lieue en carré, se présentent en tel nombre qu'on peut dire sans crainte d'être taxé de témérité que, sauf nos régions méridionales, l'ancienne provincia romana, peu de contrées offrent en aussi grand nombre des témoignages évidents du séjour prolongé des Romains.

Outre le théâtre, sur lequel nous nous sommes déjà suffisamment expliqué, on a fait jusqu'ici sortir du sol de Triguères les vestiges ou les fondations bien accusés et bien reconnaissables de treize monuments ou édifices, tant celtes que gallo-romains , et en quelque point du périmètre du bourg que l'on porte la pioche, T. vu. 10


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on verra surgir un débris parlant de l'une ou de l'autre de ces deux grandes nations.

Pour mettre un peu d'ordre dans l'exposition et l'examen de ces pauvres richesses de la tombe de toute une cité, nous y rechercherons et nous étudierons d'abord les monuments celtiques, puis nous viendrons aux débris gallo-romains.

PREMIÈRE PARTIE. — RESTES & DÉBRIS CELTIQUES.

Les restes celtiques ou du moins ceux que nous croyons tels, sont au nombre de trois : 1° Le trilithe dit du vieux garçon, 2° le chemin dit Perré, et encore Ghemin-Verd; 3° le puits funéraire récemment trouvé dans le bourg et dans la maison de M. Leclerc.

Chapitre Iet. — Trilithe du Vieux-Garçon. (PI. 5.)

A deux kilomètres nord du bourg, dans un fond assez sombre aujourd'hui, et à 500 mètres ouest delà ferme de la Marchaiserie, vous trouvez, sur la déclivité prononcée d'un coteau, baigné par les eaux accidentelles d'un petit Rû (1), qui se jette lui-même dans le grand Rû de la Dardenne, coulant du nord au sud et traversant le bourg, une masse étrange, formée par trois énormes blocs superposés d'un grès brun et rougeâtre par places. C'est ce qu'on appelle dans le pays la roche du Vieux-Garçon (2.) D'où lui vient ce nom assez bizarre ? C'est ce qu'il est difficile de déduire des récits sans forme et sans attrait que nous avons pu recueillir. Quant à son origine et à son but, quelques recherches nous en ont bientôt, nous le croyons du moins, révélé le mystère.

Examinons d'abord le gîte et la situation de ces trois blocs : Le supérieur semble en équilibre sur les deux autres ; tous trois sont

(1) On a conservé dans le pays l'appellation celtique rû, pour désigner une sorte de tranchée en pente, creusée par les eaux torrentielles.

(2) La représentation que nous donnons de ce trilithe (PI. S) ne donne que la vue à vol d'oiseau, ce qui n'a pas permis de détacher les trois blocs, comme l'eût fait une élévation.


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assez fortement inclinés vers l'orient, et leur déclivité déverse les eaux pluviales dans le petit rû dont flous avons déjà parlé. Quoiqu'il semble devoir glisser sur la pente du coteau, ce grossier monument est d'une solidité à toute épreuve. Quelques essais, tentés du côté du sud, par les paysans, pour pénétrer sous la roche et enlever les trésors qu'ils y croient déposés, n'ont pas produit plus d'effet que des grattis de lapins; à peine si la pierre garde là une légère empreinte du feu que les pâtres y ont allumé pendant bien des siècles. On se demande alors comment sont venus s'arrêter sur cette pente ces énormes grès, dans un pays où le grès ne se trouve que sous la forme d'ustensiles apportés de loin, car il faut descendre le cours de l'Ouanne et du Loing, jusqu'à Souppes, à 60 kilomètres au moins, pour trouver des blocs d'une dimension équivalente. Les recherches autour du trilithe vous démontrent alors que de puissantes mains ont apporté ici ces trois blocs à dessein.

Les fouilles poussées à une certaine profondeur ont mis à jour une double enceinte de fondations. La première est aux pieds même du trilithe et le supporte à l'ouest de façon à en déterminer l'inclinaison. La construction haute de 0m 30 est en gros silex du pays, pris dans le mortier. L'épaisseur est partout de 0m 93, et le tout repose sur une base en pierre sèche, ce qui confirme que cette base au moins est l'oeuvre des Celtes. La seconde enceinte, aussi parfaitement carrée, à llm de côté, entoure la première, laissant entre les deux un espace vide d'environ 3m. Les murs de celte seconde enceinte, en silex du pays, sont d'inégale épaisseur. A l'Ouest et au Sud, de 0m 67, au Nord et à l'Est de lm. Les deux angles du côté Est offrent une saillie qu'a pu jadis motiver une façade ornée dont il ne reste nulle trace, et l'angle S. E. surtout forme un petit massif de 2m sur lm 70, qui a pu, dans des temps reculés, servir de base à un motif architectural. Nous insistons sur ce détail à raison des objets de décoration que nous retrouverons plus tard (1) nombreux au point de nous embarrasser. L'espace compris entre les deux enceintes est revêtu d'un pavage

(1) V. 2<= partie : Chap. 2.


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en briques, placées horizontalement, mais non carrées et jetées au moule, comme nous les fabriquons aujourd'hui, et comme sont fabriquées celles que nous rencontrons ici en foule dans les ruines gallo-romaines. C'est plutôt une mosaïque grossière en tessons informes qu'un carrelage. Aux points E E du plan que nous donnons de ce singulier monument, on a trouvé quelques pièces de monnaies gauloises (1) et romaines sous un vaste amasde débris de vases enterre et en verre d'époque toute récenteet presque contemporaine. Mais un objet très-significatif a été fouillé au point F, c'est un vase plat, en pierre, avec deux anses, de la forme et de la dimension du bassin qu'on emploie pour les malades alités. On l'a rencontré à une certaine profondeur, tout sillonné d'éclats malgré l'épaisseur et la force de sa matière. Au même point, on vient encore de trouver, mais à une moindre profondeur, un magnifique vase, en cuivre guilloché, de la contenance de trois litres, et une sorte de passoire, corps et manches en cuivre, du poids d'un kilogr. et demi, et d'un travail remarquable par sa régularité et son fini.

Résumons nous. Ne trouvons-nous pas ici de nombreux témoins de trois époques bien distinctes. L'époque celte, accusée par le trilithe lui-même, par son support en pierre sèche, et par ce vase en pierre qui probablement servait aux conjurations et aux aspersions. L'eau du Rû emportait le reste. L'époque gallo-romaine, où, ces horribles sacrifices étant abolis par Claude (2), il fallut peut-être murer cet autel barbare et le mettre sous la consigne d'un gardien qui y logeait avec sa famille. Enfin, la dévastation delà cité gallo-romaine accomplie, et son nom même disparu, un nouvel ordre de choses se lève, et si pacifique, que ce théâtre de sang est devenu celui des plus innocents plaisirs, ainsi que l'atteste l'amas de tessons de verres et de bouteilles dont nous avons déjà parlé.

(1) Ces monnaies gauloises, soumises à M. Rollin, expert numismate de l'hôtel des Ventes , à Paris, ont été reconnues par lui antérieures de 200 ans à l'ère Chrétienne.

(2) Druidarum religionem, apud Gallos, diroe immanilatis, penitùs abolevit. SUTONE. CLAUD, 25.


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Chapitre II. — Chemin Perré. (Plan de la commune, pi. 14, C.)

Cette voie qui, jusqu'en 1825, fut la seule réellement praticable dans tout le pays, dut aux services qu'elle rendait aussi bien qu'à son étendue le privilège de plusieurs noms. De Gien qu'elle traverse en Génabie, comme disent les vignerons de ce quartier, jusqu'à Sens, son point d'arrivée, elle porte, suivant la nature du sol qu'elle traverse, le nom àe Perré ou de Chemin-Verd; fouillée et coupée dans sa largeur, et sous nos yeux, à plusieurs reprises, entre Triguères et Courtenay, elle a toujours et partout présenté les mêmes caractères : un blocage grossier de silex de toutes grosseurs, disposés sans art, sans calcul des dimensions et du poids, et sans ce mélange de pierres plus friables , ce stratum qu'on reconnaît avec Bergier dans tous les chemins d'origine romaine, quelle que soit leur classe. Son épaisseur varie, dans son long parcours, de 40 à 50 centimètres, et elle s'est maintenue telle, grâce à un encaissement où on n'a tenu nul compte des variations de niveau, mais beaucoup de la rectitude de direction qui est remarquable. Tous ces caractères ont été saisis et appréciés par un oeil bien plus expérimenté que le nôtre, par feu M. Jollois, notre collègue autrefois, et alors ingénieur en chef à Orléans. Dans son ouvrage sur les voies romaines, qu'il croyait avoir reconnues dans le Loiret, il mentionne et caractérise la voie dont nous parlons, et que, peu familier avec les localités, il place à Châteaurenard ouàDouchy, communes limitrophes, tandis qu'elle est sur Triguères. (1).

Nous savons qu'aujourd'hui on conteste à ce chemin le titre de voie celtique ; les uns prétendant que les Gaulois n'avaient de chemins publics d'aucune sorte, les autres que ces chemins ne pouvaient être empierrés, la religion druidique défendant le maniement du fer et la taille de la pierre. Nous croyons fermement que les uns et les autres sont dans l'erreur.

Les premiers nous semblent oublier que César déclare, livre

(1) M. JOLLOIS, Mémoires sur les Antiquités du Loiret, chap. I, p, 12, U et 1S et chap. III, p. 33 à S4.


— 142 — VII. Chap. 10 des Gomm. que, pour marcher au secours de Gergovie-des-Boïens, il se résout à suivre tels quels des chemins qui ne pouvaient être que gaulois ; « duris sub vectionibus laborare ». D'un autre côté Horace, dans ses Satyres, liv. I, sat. 6, nous désigne les voitures gauloises faites pour ces chemins. De son temps Rome les employait comme fourgons ; ce sont les comtoises actuelles, et leur nom romain de petorrita semble faire grincer les cailloux de ces dura subvectiones.

Quant aux interprètes actuels des usages et des prohibitions druidiques, nous ne pouvons encore leur opposer que César, mais nous croyons, et nous nous persuadons que beaucoup croiront avec nous, que lorsqu'un homme doué du génie et du coupd'oeil de César a passé dix ans dans une contrée, ne se battant pas toujours, mais au contraire, administrant dans ses moments de trêve la contrée comme en pleine paix, (1) conciliant les différends, dirigeant les élections, enfin mêlé à toutes les passions, à toutes les intrigues, à tous les secrets ressorts de la société gauloise, nous croyons, disons-nous, que les écrits incontestables et incontestés d'un tel homme, nous en apprendront plus sur les usages intimes des Gaulois que des historiens enclins aux fables et qui n'ont jamais mis le pied dans les Gaules, ou bien encore qu'une tradition incertaine, comme toutes les traditions purement orales (2).

(1) Comment, lib. I., c. 43; Iib. IV, c. 2 et 7; lib. V, c. 2S et M; lib. VI, c. 3; lib. VII, c. 33, 39, etc.

(2) On oublie trop, ce nous semble, que les Druides n'écrivaient pas leurs enseignements, « neque fas existimant ea litteris mandare, Ci&s. ; lib. VI. cap. 14, ne permettant pour les rapports officiels et les comptes privés que l'écriture du celte en caractères grées, cùm in reliquis fera rébus publias privalisque rationibus, groecis litteris utanlur (Ibid). Cela ferait aujourd'hui quelque chose d'inintelligible et d'indéchiffrable, et, soit dit en passant, cela semble donner aux graffitis de Neuvysur-Baranjon un caractère d'authenticité qu'on leur conteste peut-être à tort, mais cela ne les rend pas plus intelligibles. Il en faut prendre son parti. Malgré certaines affinités avec le sanscrit, le gaélique et le langage de la Cornouaille, le véritable celte, le celte des Druides ne vit plus aujourd'hui que par ces racines. Qu'on nous passe cette figure en


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Or, il résulte encore du témoignage de ce même César, que le travail du fer était aussi familier aux Gaulois que celui de la pierre. Est-ce sans fer que les Bituriges opposent machines à machines dans le siège d'Avaricum, qu'ils organisent ces longurii, ces musculi, ces falces qui, dans la sortie d'Alesia menaceront, d'anéantir tous les travaux des Romains, eb scientius, dit César, quod apud eos magnoe sunt ferrarioe, atque omne genus cuniculorum notum atque usitatum est. (Liv. Vil. c. 22). Citerons-nous, dans le même pasage (ibid. c. 22) ce que César dit du système de fortification des Gaulois, de cette savante disposition de grands quartiers de roche taillés pour remplir les intervalles des pieux et qu'ils baignent dans un lit de mortier, collocatis et coagmentatis.

Rien n'autorise donc la supposition que les Gaulois s'abstinssent, par principe religieux ou autre, de travailler ou le fer ou la pierre, mais nous admettrons volontiers que, paresseux et imprévoyants, comme le sont toujours les peuples à demi-civilisés, ils préférassent pour les ouvrages usuels le travail en pierre sèche. C'est ainsi qu'ils construisaient leurs cabordes, mais qu'est le chemin dont nous parlons, sinon une construction en pierre sèche et aussi primitive que possible? Ajoutons que l'empierrement s'interrompt dès que le silex cesse d'être le fond du terrain. C'est ainsi que, à Triguères, il s'arrête dès qu'il arrive à la prairie et ne reparaît que dans les contrées pierreuses, notamment à l'ancienne Aquis Segeste, à Montbouy. C'est ainsi encore

faveur de sa vérité ; c'est un idiome que nul ne peut se piquer de connaître à fond aujourd'hui, précisément à cause de l'absence de tradition écrite que César a constatée. Les hiéroglyphes ne seraient qu'un jeu à côté de la langue masquée, que nous auraient ainsi transmise les Druides qui ne savaient pas le grec, ce qui résulte encore du témoignage de César. (Lib. V. cap. 48.) Il est évident, en effet, que dans le ch. 14, l'expression litteris groecis signifie des caractères grecs, et que la môme expression dans le ch. 48, est employée pour te langue grecque. Ici, en effet, César voulant donner à Cicéron un ordre inintelligible pour les Gaulois, n'eût pas choisi le grec, si cette langue eût clé familière aux Druides ou à leurs élèves.


que M. Jollois le perd à Coulions, (1) où ne se rencontrent ni silex ni pierre ; il prend alors le nom de chemin Verd.

On objectera que rien jusqu'ici ne prouve que ce chemin tout ancien, tout petorritant qu'il est, soit gaulois, plutôt que burgunde, goth ou simplement franc. Cela est vrai, et personne n'ignore que, en pareille matière, les preuves affirmatives sont très-difficiles, sinon tout-à-fait impossibles.

Nous insisterons néanmoins sur celte circonstance tout historique que ni les Burgundes, ni les Goths n'ont séjourné dans cette partie de la Sénonaise, et que des luttes acharnées et sans trêve ont tout au plus permis à Gonlran on plutôt à Brunehaut, qui a laissé des traces de son séjour à Gien, de faire quelques travaux d'entretien, conservateurs de ceux des Gaulois, sur cette importante artère entre Sens et le Berry. Quant aux Carlovingiens, on sait assez que leurs soins et leurs fondations se sont presque sâns'exception concentrées entre la Somme et le Rhin. Terminons sur ce point en établissant qu'il résulte d'extraits fort intéressants de la correspondance manuscrite entre d'Anville et l'abbé Leboeuf, que, à raison de son perré, Triguères a appelé plus d'une fois l'attention des savants, mais que ce pays n'ayant point été visité, et ne présentant alors aucun monument, on s'est abstenu de s'y arrêter.

Chapitre III. — Puits funéraire celte.

Ce puits a été trouvé à Triguères en notre absence et pendant le séjour de M. Petit au Conseil général, du 25 au 31 août 1862. Il était déjà, au retour de M. Petit, vidé, recomblé et couvert par uûe construction neuve. Voici comment s'en fit la découverte : M. Leclerc, possesseur et constructeur de la maison située à l'Ouest de la maison d'école des garçons, se faisait creuser une cave , lorsqu'à l'angle Nord-Ouest de la fouille, il rencontra un puits de forme elliptique, qu'il fit immédiatement vider et reboucher, comptant asseoir là un cellier faisant suite à la cave. Ce

(1). JOLLOIS ch. 3. p. Si.


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puits avait près de 2 mètres dans le sens de la longueur et lm 30 de largeur. Il était garni en silex brut et avait 5m 60 de profondeur, et était rempli aux deux tiers de cendres et de fragments de bois brûlé où se trouvaient mêlés des os et des mâchoires de boeuf, de porc, de mouton, des cornes de boeuf d'une grandeur peu usitée et aussi des cornes de bélier. On s'est aussitôt emparé des cornes que nous n'avons pu voir, mais on nous a représenté les os et avec eux un pot qui s'était trouvé au fond du puits, au milieu et rempli de cendres. Ce pot s'était brisé dans l'extraction, mais on nous en a remis les débris, à l'aide desquels nous avons pu le reconstituer. Il a la forme et les dimensions d'un pot-au-feu de grandeur moyenne; mais qu'on ne croye pas à une mystification. Ce pot n'a pas été cuit ; il a été simplement séché et durci au soleil ; sa pâte est aussi grossière que celle de la brique la moins soignée. Il ne doit qu'aux matières en combustion dont il a été entouré sa couleur noire,.qui s'en va au lavage et laisse reparaître la couleur native de l'argile cru, jaune-brun, constellé de blanc par le silex mêlé dans une pâte mal travaillée. L'orifice du pot se termine par une bande plate très-nettement faite au tour et ornée de trois sillons arlistement tracés (1).

Ce pot rempli de cendres, que son défaut de cuisson rend impropre à tout usage vulgaire, grossier dans sa matière, mais tourné avec art et même avec une certaine recherche, ces débris d'animaux domestiques, l'absence d'armes et de tout ornement nous semblent indiquer le lieu de repos d'un simple paysan celte, à qui on aura donné pour compagnons de sépulture les compagnons de sa vie de travail : omniaque, quce vivis cordi fuisse arbitrantur, in ignem inferunt, etiam animalia. (C^ES., Comm., liv. VI. chap. 19). Nous allons maintenant avoir sous les yeux un véritable cimetière, avec tombes où reposent les ossements, mais la dernière heure de l'ère celtique a sonné, pour faire place à la civilisation gallo-romaine, et à l'incinération a succédé l'inhumation.

(1) V. le savant travail de M. le comte DUFAUR DE PIURAC, Mémoires, 2e série, lom. IV, n° 3.


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DEUXIÈME PARTIE. — RESTES ET DEBRIS GALLO-ROMAINS.

Nous ne reviendrons pas sur les détails que nous avons déjà donnés sur le théâtre, et nous renverrons sur ce sujet aux explications et aux développements fournis dans notre Mémoire du 6 mars 1867. Nous nous bornerons à exposer aussi succinctement que possible l'état ancien et actuel des découvertes plus récentes que nous avons eues ou que nous avons sous les yeux. Par l'état ancien nous entendons l'état qui se présentait il y a cinq ans au plus. Nous ne prétendons nullement faire ici de la restauration. Les ruines que nous avons assez étudiées pour en lever le plan sont au nombre de dix, savoir : 1° le cimetière gallo-romain du Donjon ; 2° la grande habitation fouillée au lieu dit le Moulin-du-Chemin ; 3° celle trouvée aux Vallées et qui comprend des bains; 4° l'habitation et l'hypocauste trouvés aux Monts sur Châteaurenard ; 5° les fondations de ce qu'on pense être un temple près du trilithe du Vieux-Garçon; 6° l'aqueduc gallo-romain de Triguères à Douchy; 7° des maisons, caves et le Viens, trouvés dans le champ de M. Fouet fils ; 8° l'île importante de bains qu'on fouille encore aujourd'hui dans le centre du bourg; 9° le caveau sépulcral gallo-romain trouvé dans le nouveau cimetière ; et 10° le four à briques gallo-romain de la Mardelle. Dans le sommaire que nous venons d'exposer nous avons suivi l'ordre successif des découvertes, et nous nous conformerons à cet ordre dans les développements qui vont suivre.

Chapitre I«. — Cimetière gallo-remain du Donjon. (Planche 6.)

Avant d'entrer dans les détails de cette découverte, nous croyons indispensable d'expliquer en quelques mots ce que c'est que le donjon de Triguères, par la bonne raison qu'il n'y a jamais eu à Triguères rien qui ressemblât à ce que, en architecture et en fortification, on appelle un donjon : ' le donjon de Triguères est simplement uu point culminant dans la


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série de coteaux qui forment à gauche, en venant de Châteaurenard, le sous-bassin et la vallée de l'Ouanne. Ce coteau, seulement un peu dominant sur les autres, est cultivé dans tous ses points, et, de temps immémorial, n'a présenté trace de donjon, de fortification, ni de château d'aucune sorte. On appelle, par pure courtoisie, le château, une maison de quelque apparence, bâtie vers la moitié du xvme siècle, pour servir de retraite de plaisance aux dames bénédictines, dont l'abbatiale était à Montargis, et qui étaient alors seigneurs de presque tout le pays de Triguères.

Il est évident cependant qu'à une époque dont on ne retrouve plus trace dans les souvenirs du pays, excepté peut-être dans un chant légendaire (1), un grand mouvement de terres a été exécuté de main d'homme au Nord de ce coteau pour en défendre l'abord du côté de Sens. Nous penserions, en conséquence, que le mot donjon, pour les habitants de Triguères, n'est qu'un souvenir affaibli et francisé du mot dunum, qui, anciennement, à l'époque gallo-romaine, aurait désigné ce point fortifié qui abritait la ville, étagée sur le versant Sud et dans la vallée, contre toute attaque venant du Nord.

C'est dans l'hiver de 1857 que M. Fouet, aujourd'hui décédé et alors maire de Triguères et propriétaire du château, faisant labourer un coin de ce pacifique donjon, pour y planter plus tard des pommes-de-terre, mit à découvert une tombe en pierre, dont les premiers coups de pioche brisèrent le couvercle en quatre morceaux. (PL 6.) A. On souleva le couvercle et on vit les ossements d'un cadavre dans la position où depuis des siècles des mains amies l'avaient déposé. L'éveil donné, on prit plus de précautions, et on découvrit auprès de cette première tombe A' deux autres tombes également en pierre : l'une d'homme, l'autre d'une femme, dont le squelette recelait entre les deux os fémo(1)

fémo(1) grand conquérant, passant par Triguères, A bu du jus du champ des juments.

Le champ des juments est un clos à 100 ou ISO mètres Ouest du donjon.


— 148 — raux celui d'un petit enfant B B. Le terrain tout autour des tombes était littéralement jonché de débris humains qui, comme les os contenus dans les tombes, s'éparpillaient en poussière, non-seulement au contact, mais au moindre souffle. On fut alors arrêté par des constructions. On se porta donc à la tête de la première tombe, et on fouilla aussitôt cinq tombes dont les quatre premières étaient comme couplées deux à deux C. Celle de droite D contenait le squelette d'un homme, ayant au côté gauche une épée en fer, couverte de rouille. Elle était en pointe, mais non triangulaire, longue de 0m65, large à la poignée de 0m06, et par conséquent trop longue pour un glaive romain, trop courte et trop large pour n'être pas antérieure au vme siècle. Près de la colonne vertébrale se trouvait la boucle du ceinturon, en bronze, ainsi que l'attache en bronze du fourreau que les vers avaient détruit, comme le ceinturon et les enveloppes de la poignée. Dans la tombe voisine E, on trouva un squelette de femme. Près des vertèbres du col étaient placées les pierres d'un collier composé, savoir : à droite et à gauche de deux'petits cylindres creux, d'émail jaune, strié de bandes longitudinales noires. Ces cylindres étaient longs de 0m02 et épais de 0m01. Au milieu se trouvaient deux médaillons plats, ayant la forme et la dimension de ces petits os qu'on trouve souvent dans la raie. Us étaient en émail blanc strié de bleu clair. Point de métal. Le collier était seulement attaché avec un fil, rongé ou tombé en poussière.

Les trois autres tombes de la même rangée, également garnies de leurs ossements, n'offrent rien de remarquable que l'immense quantité d'os, dont, comme toutes les autres, elles sont entourées (1). L'incinération a cessé, mais le christianisme n'a pas encore paru dans la contrée. Non-seulement on ne trouve la croix ni sur ni dans les tombes, mais toutes les recherches dirigées par M. l'abbé Guiot et M. Petit ne laissent entrevoir nulle

(1) Cette quantité d'ossements donnerait lieu de croire qu'un massacre a eu lieu dans ce cimetière , et que les tombes trouvées entières n'ont été respectées que parce qu'elles étaient cachées par les cadavres encore sanglants.


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gravure d'oiseau, ni de poisson, ni monogramme. Avancez de deux pas et vous allez trouver une preuve plus concluante encore de l'absence de tout sentiment chrétien. Dix fosses, rangées dans un ordre tout différent des premières, F, ont reçu et nous montrent leur dépouille sans tombe ni bière : Miseroe plebi commune sepulcrum (1). Les Romains de pur sang témoignaient moins de mépris pour leurs esclaves ; conservus vili locabat in arcâ(2). Ici non-seulement la plèbe n'a pas droit à une bière, mais, si les gens comme il faut dorment leur dernier sommeil les pieds au levant, les petites gens, indignes d'une autre vie comme d'une place au conseil, nullo adhibetur consilio (3), feront face au midi, et parmi leurs sépultures on ne craindra pas de placer celle d'un cheval. Nous avons donc raison de le dire, nous ne sommes pas encore en pays chrétien.

Ici encore nous nous trouvons arrêtés par les bâtiments, mais nous avons découvert assez de tombes et d'ossements pour être en droit de conclure que dans cette partie du dunum se trouve un cimetière et un cimetière gallo-romain.

Il est remarquable que ce champ de la mort n'ait donné que les armes et le collier que nous avons décrits plus haut. Point d'obole pour Caron. Mais nous sommes en pays précédemment druidique, et il est à remarquer que ces pays n'ont jamais adopté franchement les puérilités du polythéisme romain.

Chapitre II. — Moulin-du-Chemin. (PI. 7.)

Le théâtre, les tombes, confirmaient le soupçon qu'on était sur les traces d'un établissement gallo-romain d'une haute importance. Plusieurs redans de murs épais qui traversent encore les fossés de la route départementale n° 8, de Châteaurenard à Triguères, donnèrent l'idée de suivre avec la pioche ces indications qu'appuyait la pauvreté de la luzerne, croissant à droite et à

(1) HOR., sat. lib. I, sat. vm.

(2) HOR., sat. lib. I, sat. vm.

(3) CÉSAR, Comment, lib. VI, cap. 13.


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gauche de la route. La permission de fouiller fut octroyée avec la plus grande courtoisie par M. Cachon, propriétaire de la luzerne et du moulin contigu, et aussitôt on se mit à l'oeuvre.

Quoique, par le défaut de fonds, et par le désir bien naturel du propriétaire de rentrer en jouissance de sa terre, les fouilles n'aient pu être qu'incomplètes, on fut splendidement récompensé. On mit bientôt à jour une vaste enceinte d'habitations, sur une longueur de 103m 60 et une profondeur de moitié. A sept mètres on rencontra une seconde enceinte de 81m 70 sur 42 mètres. Le noyau des murs était en silex du pays, mais le revêtement extérieur était en pierre essemillée comme au théâtre, très-voisin d'ailleurs, et comme au cirque de Monlbouy. Entre les deux enceintes régnait un espace libre de 7m (A, A) que l'on prit, peutêtre à tort, pour un promenoir. Dans l'architecture romaine les promenoirs sont à l'intérieur plutôt qu'à l'extérieur. On qualifia de tours les espaces saillants cotés au plan B,B,B, et dont un est en hémicycle. Des recherchés plus approfondies auraient peutêtre montré-là des bains et leurs accessoires, mais on avait hâte d'attaquer le centre de ce vaste parallélogramme. On le fit et on reconnut aussitôt qu'un couloir central, large également de sept mètres, partageait l'îlot en deux carrés égaux. On mit la pioche dans le carré Est et voici ce qu'on y découvrit :

1° A peu près au centre, une petite chambre, contiguë à la route, carrelée en mosaïque blanche et noire. Ce qui restait des murailles était enduit à l'oeuf et à la cire de dessins qu'on a conservés, et du coloris le plus vif, a, a, a, d, d ;

2° Egalement près de la route, qui en couvrait la meilleure partie, un massif de maçonnerie, couvert de dalles dont l'empreinte est encore visible, et dont une était encore en sa place. C. Qu'était ce massif dallé? L'impluvium, une piscine, un vestibule? C'est ce dont on aurait pu s'assurer en mettant à jour tout le monument dont on n'a pas fouillé la dixième partie. Mais le temps et le propriétaire pressaient également. Il fallait avancer en besogne, et par conséquent ne rien conduire à fond ; faire vite plutôt que faire bien. Les témoins engagés dans les fossés de la route permettront toujours de s'y reprendre ;


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3° On mit alors à jour, entre le dallage (c) et la chambre inférieure (d) un espace de 14m 60 sur 10 à llm qu'on trouva rempli par un pêle-mêle effroyable de fûts de colonnes, de chapiteaux, d'entablements brisés, d'ordres tout différents; mais portant tous le sceau grandiose, profond et lourd imprimé par la main romaine. A moins d'admettre que cet espace de 108m sur 50m, dont les neuf dixièmes restaient inexplorés, contînt beaucoup plus de richesses architecturales que le forum lui-même, il fallait reconnaître qu'une dévastation inouïe avait roulé et entassé ici, dans cette ruine touchant à la rivière, toutes les décorations d'art éparses dans les divers monuments et édifices d'un important municipe. Plus de trente fûts d'ordres différents étaient entassés avec des chapiteaux, des embases qui ne leur avaient jamais appartenu. Presque toutes les colonnes étaient cannelées profondément, mais toujours de moulures différentes. Tous les chapiteaux étaient corinthiens, très-ornés, surchargés même, comme à l'époque de Dioclétien ; mais presque aucun ne s'adaptait aux colonnes qu'on avait sous les yeux. Des fragments de basreliefs, beaux quoique lourds, des entablements des styles les plus divers, et un entre autres portant en cartouche une effigie plusieurs fois reproduite, un amour aux jambes croisées, dont on ne trouvait que la partie inférieure, un certain nombre de têtes, de bras, attestaient qu'au massacre des vivants avait succédé la mutilation des pierres.

Parmi tous ces débris on recueillit en nombre considérable des poteries, dont quelques-unes sculptées ou plutôt repoussées, toutes d'une finesse de grain admirable, et généralement d'un rouge brun très-vif et très-brillant au frottement. On n'a trouvé qu'un seul fragment ciselé et doré avec une espèce de mine. C'étaient des patelles de Cumes, ce qu'Horace appelle campana supellex. (Sat., 1. i, sat. vi.) Quelques-uns de ces vases, tous en débris d'ailleurs, portaient sur le fond extérieur le nom de l'artiste (MARTIO.) (FLAVS. FEC.) Quelquefois celui de la fabrique (CREIRO. OF.) \ Puis on trouva en masse les fibules,

* Creiro officina. Serait-ce par hasard un témoin de l'antiquité de l'industrie céramique à Creil (Oise) ?


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dont une avait déjà été recueillie au théâtre, les monnaies gauloises et romaines, et les médailles d'une foule d'empereurs, jusqu'à Arcade, qui clôt brusquement la série. C'est un point que nous constatons ici et dont nous tirerons parti plus tard.

Chapitre III. — Maison gallo-romaine et bains aux VaUées. (FI. 8.)

Toutes les découvertes que nous venons de décrire se faisaient de 1857 à 1860, et bien souvent le défaut de fonds avait paralysé les bras des travailleurs. Maintenant, grâce à une allocation accordée par la munificence du Déparlement, sur la proposition de M. le Préfet, les travaux vont prendre un développement plus rapide à la fois et plus continu.

De nouvelles fouilles s'entreprennent au-delà de la rivière, en aval, à deux kilomètres environ de Triguères et touchant le chemin d'exploitation qui va du bourg à l'endroit nommé les Vallées, renommé auprès des chasseurs par une fontaine qui ne le cède en rien à celle de Blandusie.

A 200 mètres au plus au Nord et au-dessous de cette fontaine les fouilles font paraître, couvertes malheureusement en partie par le chemin de Triguères aux Vallées, les fondations d'une belle villa gallo-romaine. Quoiqu'on n'en ait découvert, que l'aile occidentale, ses proportions grandioses (50m sur 20) dénotent une habitation riche et imposante, mais n'offrant pas cependant le luxe effréné des palais romains. La partie sud, qui contient probablement la façade principale, l'entrée et ses accessoires, est sous le chemin. Nous perdons ainsi l'atrium, l'impluvium, le tablinum, le prothyrum, les cuisines, la pistrine, les carceres et les 'equilia, si toutefois il y avait tout cela. Nous sommes dans le xyste ou cour intérieure (A). Un emmarchement central (B) nous conduit sous un péristyle Est, qui paraît se reproduire au Sud (CGC) pour se continuer à l'Ouest, puis au Nord. Du péristyle nous arrivons à l'exèdre (D), vaste parallélogramme, au nord duquel nous trouvons le frigidarium (E), bain froid, et la scola, promenoir autour du bain (F), l'apodyterium (G), vestiaire où l'on se déshabille, l'apothèque (H), cabinet aux parfums, et l'antichambre


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du service (/). L'absence de fourneaux nous fait conclure que, comme Auguste *, le propriétaire s'en tenait aux bains froids. Au-dessous des bains, un triclinium et un biclinium (J et K); puis au sud de l'exèdre, probablement une bibliothèque (L), puis les chambres à coucher (M et N). Ce n'est guère qu'à Rome et dans les villes où le terrain était hors de prix, qu'on mettait les coenacula au premier étage ou plutôt dans les combles, comme nous avons pu le reconnaître dans le palais récemment découvert à Bourges.

Cette maison, remarquable par l'ampleur et la régularité de ses distributions, n'a offert que ses fondations, et en débris mobiliers on n'y a trouvé que quelques médailles et monnaies.

Chapitre IV. — Bains des Monts sur Châteaurenard. (PI. 9.)

Cet établissement singulier, et que nous ne saurions comparer à aucun analogue, a été rencontré à environ trois kilomètres Ouest de Triguères et un kilomètre Est de Châteaurenard, joignant la route n° 8 et sur la commune de Châteaurenard.

Les fouilles ont présenté d'abord un carré de maçonnerie (A), de 20m50 sur 10m50, subdivisé en 32 petites logettes carrées, également en maçonnerie, et offrant chacune 2m de côté. L'usage de ce singulier quadrilatère ne peut guère s'expliquer que par un ergastulum ou carceres, logements d'esclaves. Ces cases, séparées de deux en deux par un corridor de 2m, pouvaient donner le gîte à vingt-quatre de ces malheureux. Le tout devait être dallé pour éviter l'incendie, ce qui explique les fondations de refend en pierre jusque dans les corridors.

Douze mètres plus bas, on a rencontré un mur de 0m80 d'épaisseur (B), et en suivant celui-ci une sorte de puits ayant 2m50 de diamètre, et une margelle de lm20 d'épaisseur. Cela formait un large tube en maçonnerie, divisé en plusieurs étages distants l'un de l'autre de 0m30, ayant chacun pour plafond de grands carreaux en terre cuite, percés de trous, et reposant sur des

* SDÉTON, August., 81.

T. VII. H


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briques ou plutôt des boîtes en briques creuses. On en comptait ainsi trois étages superposés, et on arrivait à une aire en béton recuit. A l'ouest de cette aire circulaire, s'ouvrait en A2 une gueule de four, et de chaque côté de la gueule étaient placées de grandes briques creuses ayant 0m16 d'évidement. Ces conduits, au nombre de quatre, servaient, les uns, au nombre de deux, à expulser la fumée, les deux autres à introduire de la vapeur d'eau dans l'appareil : C'était un hypocauste.

Le mur se continue pendant 4m et met en communication deux petites chambres carrées ayant chacune 4m de côté (C. C), puis en retour, et longeant le même mur, une troisième chambre de même dimension (D), mais pourvue d'un cheneau servant à rejeter l'eau employée par une ouverture de 0m80 de largeur. L'Ouanne coule effectivement plus bas, au Sud, et à une distance de 214m.

Il y a tout lieu de croire qu'on trouvait là l'appareil de bains d'une riche maison particulière, dont les fouilles ne révélaient qu'une partie. On trouvait bien le chemin par où s'évacuait l'eau; il s'agissait de trouver le point d'arrivée, mais il fallait attendre un résultat heureux du hasard ou plutôt de la persévérance.

Chapitre V. — Substruction près du trilithe du Vieux-Garçon, où on a cru voir un Temple. (PI. 10.)

L'attention de M. Petit se portait déjà, depuis longtemps, sur un tertre, couvert de genêts, à quelques mètres seulement du trilithe déjà décrit, du chemin Perré et de la ferme de la Marchaiserie. Cette infertilité dans le terroir plantureux de Triguères donnait lieu de supposer l'existence de quelques fondations intéressantes. M. Petit y fit commencer des fouilles. Ses efforts furent bien payés.

On mit à jour un vaste quadrilatère de 30 mètres de côté, avec murs de un mètre d'épaisseur, et un revêtement en pierre essemillée à l'extérieur seulement. Au point central du côté Est de ce quadrilatère on commença une profonde et longue tranchée. Déjà au point A, situé à l'angle nord-est, on avait trouvé en


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quantité les statuettes consacrées par le culte gallo-romain, le Dieu-Ris (Jocus) le symbole de la fécondité, une Latone, tantôt assise dans un fauteuil d'osier, d'une forme toute primitive, tantôt debout et soutenue par les plis de son manteau, tantôt une sorte de Vénus, remarquable en ce qu'elle sèche et tord ses longs cheveux. Tous ces modèles sont connus et figurent au recueil de Montfaucon, et c'est par tombereaux que notre collègue M. Dupuis les a ramassées dans ses belles piscines gallo-romaines de Montbouy. Avec ces figurines on recueillit une foule de médailles et de monnaies romaines et gauloises, et de plus deux haches celtiques en silex, dont l'une polie, aiguisée et prête à servir, et l'autre encore à l'état d'ébauche.

Tout cela était encourageant, aussi fouilla-t-on avec ardeur et longtemps, lorsque enfin au bout de llm 30 on parvint aux fondations d'un petit édifice situé au centre du carré et au point culminant du tertre. Etait-ce l'édicule que sembleraient indiquer les Statuettes sacrées trouvées tout-à-1'heure à profusion ? Rien ne répond plus à cette idée. Etait-ce un poste de soldats ? En fait d'armes on ne trouve plus en B que celles de quelque Phryné ou Pholoë gallo-romaine. Des ornements de femme, des bracelets en bronze artistement travaillés, des fibules, dont une en argent et très-bien conservée, une autre avec un médaillon, des épingles de tête en os et en ivoire, des clés, des vases à parfums, et puis encore des pièces de monnaie romaine et gauloise qui viennent peut-être après 1,500 ans affirmer que César n'était pas seul à

prélever tribut dans la contrée Somme toute, c'était encore

un temple, et le Dieu qu'on y adorait :

Qui que tu sois il est ton maître; Il l'est, le fut ou le doit être.

Chapitre VI. — Aqueduc de Triguères à Donchy. (Plan général, pi. 14.)

En sa double qualité de magistrat et d'archéologue, M. Petit est tenu de tout voir et de bien voir. Ainsi fait-il, et depuis longtemps, en se rendant à cette dernière fouille par le chemin Perré,


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son sentier favori, il avait remarqué sur les deux berges de la côte assez rude qu'il lui fallait gravir, deux trous situés parallèlement sur l'une et l'autre berge. Leur forme irrégulière, plus voisine du carré que du cercle, et surtout les broussailles qui en encombraient l'orifice ne permettaient guère la supposition d'un ■terrier. M. Petit sonda ces trous avec sa canne, et le son clair et métallique de la poterie éveillait déjà ses soupçons, lorsque, quelques jours après, en creusant un puits pour une maison qui se construisait à environ 200 mètres plus haut, on fit apparaître un conduit d'eau qu'on put suivre à l'aide de fouilles partielles et jalonnées jusqu'à la route de Triguères à Douchy, à près de deux kilomètres. Là le conduit traversait la route, suivait encore pendant environ deux kilomètres la prairie de Douchy, pour retraverser la route, et aboutir à 200 mètres au-dessus le village où nous l'avons retrouvé dans la cave de la maison d'école de Douchy, et à 50 centimètres du lieu où les anciens du pays se rappellent avoir vu la fontaine Saint-Anne. Cette fontaine, jadis assez abondante pour causer des inondations, a été comblée depuis une quarantaine d'années. Cependant la source ainsi refoulée s'est de nouveau fait jour dans le même Rû, à 150 mètres plus haut. Mais elle coule avec moins d'abondance et a seulement accru celle de la fontaine de Douchy, dont les eaux se perdent dans l'Ouanne. On avait donc sous les yeux un aqueduc de six kilomètres de longueur. Etait-il de construction romaine? Il consiste simplement en une auge faite de dalles d'un silex plat, épais de trois à quatre centimètres, mais étranger à la contrée. L'auge a 33 centimètres de largeur de dedans en dedans et en hauteur 43 centimètres. Le silex est enduit d'une couche fort épaisse du ciment le plus fin et présentant, quand on le brise, les couches suivantes : 1° blanc éclatant ; 2° rose vif; 3° blanc; 4° gris bleu, et 5° blanc. L'auge, toujours recouverte d'une couche de terre dont l'épaisseur est à Triguères de près de trois mètres et à Douchy de 40 centimètres, est partout garantie des terres par une série non interrompue de pierres plates, non taillées pourtant, et telles qu'on les rencontre en immense quantité dans l'Allier. L'aqueduc est évidemment romain, ne fût-ce que par la nature de son ciment.


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La direction se suit de Triguères à Douchy, toujours à micôte, conformément aux pentes du terrain, beaucoup plus élevé à Douchy, sans courbes, mais par longues sections droites se rattachant les unes aux autres par l'angle le plus ouvert possible.

L'aqueduc est interrompu brusquement au donjon, par les constructions relativement récentes du château dont nous avons déjà parlé. Il est évident qu'il doit reparaître plus à l'ouest et aboutir à des bains qu'il s'agit de chercher. Ces recherches amenèrent d'abord la découverte suivante :

Chapitre VII. — Maisons et caves dans le champ de H. Fouet. (PI. 11.)

A M. Fouet, ancien maire de Triguères, qui avait concouru avec tant d'empressement aux fouilles du cimetière gallo-romain, (V. chap. Ier, 2e partie) avait succédé son fils, qui mit, avec non moins de courtoisie, à la disposition de M. Petit, le champ situé à l'ouest du château, où nous-même, il y a vingt-cinq ans, en ramassant des briques d'une certaine forme, nous avions pronostiqué qu'on trouverait quelque jour des bains romains.

Les fouilles faites sur ce point n'amenèrent pas la découverte des bains cherchés, mais elles ne furent pas cependant sans résultat.

On y trouva les fondations de trois habitations gallo-romaines, mais de l'ordre le plus modeste ; et la seule preuve de leur nationalité, s'il est permis d'employer ce terme, c'est l'abondante récolte de figurines, de médailles et de poteries gallo-romaines qu'elles procurèrent.

Le premier groupe, à l'est (A B C), se compose de deux maisonnettes (BA) reliées par un mur qui aboutit à un puits à eau (C). La première maison offre un carré parfait de 3m 20 de côté intérieur. La seconde un carré de 2m 80 de côté, également intérieur. Elles sont réunies par un mur de 5m 10. A lm 50, nord, de la maison (B), s'ouvre le puits qui a lm 50 de diamètre. Il a été vidé et n'a offert que le silex du pays, puis l'eau à une profondeur de trois mètres. Les murs, tant celui de clôture que


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ceux des habitations, présentent une égale épaisseur de 60 centimètres.

Le second groupe se compose des fondations d'une habitation un peu plus considérable (D). Elle consiste en un rectangle de 3m 60 sur 5m 50 de dedans en dedans, puis de deux caveaux, dont l'un (E) pourrait bien être un caveau funéraire. C'est un rectangle de cinq mètres sur trois. Il a sa porte au couchant, et nulle autre ouverture, et sur les deux murs latéraux, à l'est et à l'ouest, reçoit deux niches qui auraient pu abriter des urnes cinéraires. On y a trouvé d'abord une tête d'Atlas ou plutôt de Jupiter olympien, en pierre, brisée et accolée à l'esquisse du bras supportant le globe, le tout à l'état d'ébauche, et évidemment jeté là dans le sac du pays. On y a trouvé encore des mâchoires de boeuf, de porc et de mouton. Cependant, en l'absence d'urnes, il faudrait des preuves plus convaincantes pour admettre l'existence d'un lieu de sépulture dans un centre aussi peuplé d'habitations.

La cave (F) est bien une cave, ce qu'attestent ses deux soupiraux au sud. Elle ne semble pas avoir appartenu à la maison (D), dont elle est séparée par un mur qui paraît se prolonger à l'ouest. Néanmoins il est difficile de déterminer quels sont ici les murs de clôture, puisque l'épaisseur de tous les murs est partout de 60 centimètres.

. Mais les soupiraux de cette cave devaient conduire à une découverte qui, elle aussi, avait bien son importance. En concluant qu'ils devaient prendre jour sur une cour ou une rue on était sûr de ne pas se tromper, et effectivement, en enlevant avec précaution une couche de terre végétale de quelques centimètres, on parvint au slratum de la rue, au vicus gallo-romain (G).

La comparaison avec la voie celtique, suivant nous, et distante seulement de quelques hectomèt., était aussi facile qu'instructive. Au lieu d'un pêle-mêle sans ordre des plus gros cailloux roulés du pays, on trouvait ici la symétrie et tout le calcul de la savante voirie romaine. Un premier lit de gros cailloux, assortis suivant leur volume et leur forme, était séparé par un lit de marne du pays, d'un troisième, composé de cailloux moindres, mêlés avec des fragments de briques et de carreaux brisés, puis un deuxième


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lit de marne et enfin une dernière couche de petits cailloux plats, d'égales dimensions, formaient un toutuni, compacte, résistant et cependant doux au pied comme les allées d'uu jardin, déblayé sur une largeur d'environ huit mètres et une longueur de 35 mètres. C'était un vicus savamment et artistement construit à mettre en comparaison avec une grossière ébauche. Il semblait partir du parc du château et se diriger vers le Moulin-du-Chemin.

Chapitre VIII. — Bains gallo-romains du hourg. (PI. 12.)

Au sud du vicus, on trouvait enfin une série de fondations sur une longueur de 100 mètres et une profondeur de 35 mètres des hémicycles, des pièces carrées, quelque chose enfin de vaste et de confus à la fois dont des recherches, poussées cette fois à une certaine profondeur, allaient donner le nom.

Nous pouvons maintenant, soit sur les lieux, soit le plan à la main, reconnaître toutes les distributions en même temps que les attributions de cet immense édifice.

Entrons par un petit atrium (F) au sud, après avoir toutefois déposé notre quadrans aux mains du portier dans le couloir, nous arrivons dans un prothyrum (F 2) pavé en mosaïque. Il nous conduit à une salle d'attente ou petit cxèdre (E), où nous pourrons, suivant nos dispositions, et le plus ou moins d'affluence des baigneurs, mesurer l'espace (spatiari) dans la scola (D), promenoir de huit mètres sur 9m 50, dont le sol est construit en area, sorte depudding factice de sable et de ciment, ou prendre immédiatement, après avoir quitté nos vêtements dans l'apodytère (A), pièee longue, revêtue d'enduits, où se sont trouvés aussi deux beaux fragments de pilastres ronds, le bain froid, dans une belle cuve, en hémicycle, dallée en larges pierres (B), et dont le diamètre a quatre mètres, ou le bain tiède dans le tepidarium (C) qui présente une sorte d'école de natation longue de 17 mètres et large seulement de 3m 50.

Une douce tiédeur est entretenue ici par deux fourneaux (N N) à eau chaude, situés l'un à l'est, l'autre à l'ouest de cette immense baignoire. La fumée s'échappant par les cheminées (c, c, c, etc.),


— 160 — pratiquées dans le mur nord, une température égale est maintenue par le feu qui circule entre une foule de dés en brique, hauts de 45 centimètres et recouverts d'une area composée d'un ciment particulier et de briques, et soutenue par des hypocaustes dont il reste encore en place un fragment (d d), long de 45 centimètres, large de 35 centimètres et épais d'autant. Elle présente à nu l'aire et les briques. Celles-ci sont réduites, par les alternatives du feu et de l'humidité, à l'apparence d'une pâtisserie feuilletée, et elles s'effritent sous l'ongle. L'eau arrive au point (P) de l'aqueduc dont nous avons parlé. Le réservoir commun est en (0), et de là l'eau est répandue froide dans le frigidarium (B), ou s'accumule chaude dans la cuve (IV). Ces deux réservoirs pourvoient aux besoins de rétablissement par des conduits placés à une certaine hauteur dans le mur sud épais de lm 20. Nous présumons du moins qu'il en devait être ainsi, car si nous trouvons des fragments de tuyaux de conduite, nous ne trouvons pas le passage dans le mur et nous concluons que le passage était au-dessus du niveau des fondations que nous avons seules sous les yeux.

Après et pendant le bain on pouvait se livrer à la promenade dans la scola ou aux exercices du corps dans le sphoeristerium ou salles des jeux (G). Ici, nous le pensons du moins, se termine le bain des hommes, pourvu que nous y ajoutions l'apothèque aux parfums, dans un couloir où ont été recueillies plusieurs ampoules en verre, dont une à peu près entière, et les autres en débris insoudables, mais nombreux.

A l'ouest, nous trouvons probablement le bain des femmes, offrant à peu près les mêmes distributions, mais dans des proportions très-réduites. L'entrée (F) est au nord, par un passage derrière le lepidarium des hommes. On paie le quadrans, on pénètre aussitôt dans une salle (IF) plus petite que la scola des hommes. On choisit alors, après s'être dépouillée dans l'apodyterium (a. 2) entre le frigidarium (b. 2) ou le tepidarium (c. 2) chauffé par la fournaise ouest du bain des hommes, et où la chaleur s'entretient au moyen d'un petit réduit (Y) ménagé dans le tepidarium lui - même. On termine par l'apothèque aux parfums.


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Le service de ces bains se fait, comme on peut le voir, par des agents, des esclaves qui sont bien positivement ici supérieurs et inférieurs. Les supérieurs vivent à l'air libre, vous frottent, vous essuient, vous étrillent même avec des strigiles, dont deux ont été recueillies au point indiqué par une astérisque dans le tepidarium des femmes. Les autres, les inférieurs, sont chargés du chauffage de toutes ces eaux et rampent par des boyaux jusqu'à ce labyrinthe de piliers et de fourneaux.

Les deux étuves que nous venons de décrire sont contiguës et évidemment alimentées par un réservoir commun. Maintenant encore plus à l'ouest et à une distance moyenne de 15 mètres du bain des femmes, nous en trouvons un troisième qui n'est pas encore entièrement fouillé et qui nous semble étranger aux deux autres. Nous y reconnaissons un frigidarium carré avec dalles et enduits (p), un apodyterium (a. 3), un tepidarium ayant à peu près les mêmes dimensions que celui des femmes, ou un sudatorium (K), et chauffé par la fournaise (N). Au fond et tout-à-fait à l'ouest un appareil à bain de vapeur ou laconinon (L). L'eau du tepidarium se perd-elle, ou est-elle reprise pour être réduite en vapeur dans un second fourneau situé en (N. 2) et introduite en cet état dans les conduits du laconinon. C'est ce que nous ne saurions décider. Voici l'aspect du laconinon : sur des conduits en terre à poêlier s'élève une plate-forme demi-circulaire, en area, comme celle des tepidarium, et épaisse de 35 centimètres. La vapeur devait être introduite par un conduit métallique quelconque, venant^lu fourneau (IV. 2) et reposant sur un dé en silex, gâché dans la terre à brique (2"), dans chacun des conduits horizontaux en terre (B S), aboutir par eux aux douze bouches ménagées dans l'épaisseur du mur demi-circulaire, et revenir par là autour des baigneurs assis sur une banquette en pierre, dont il reste des vestiges. Ensuite une eau réfrigérante est lancée sur l'area de la cuve, en minces filets ou même en pluie par un conduit en plomb (M) dont l'issue est disposée de manière à produire un jet très-fort. Cette eau tempérait progressivement l'atmosphère, et permettait aux esclaves d'aborder les baigneurs


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bientôt forcés par l'épuisement à invoquer le secours du masseur et de l'étrilleur

Tanloe molis erat romanam tergere gentem !

Les eaux employées de cette troisième étuve trouvent leur issue en (P) tout-à-fait à gauche et en bas du plan. Quant à leur point d'arrivée, l'état d'avancement des fouilles, qui laissent encore au nord beaucoup de terrain inexploré, ne nous a pas permis de vérifier s'il est commun avec le point (0) de l'établissement supérieur, ou s'il a fallu faire une nouvelle prise à l'aqueduc décrit au chapitre 6.

Enfin, il nous semble très-important de constater ici qu'on n'a trouvé dans cette vaste fouille aucune trace de statuette ou d'exvoto. Ce ne sont donc pas des thermes médicaux comme ceux de Montbouy, où nous reconnaissons toujours Aquis-Segeste, en laissant à nos devanciers la responsabilité de ce nom assez malsonnant.

Chapitre IX. — Caveau dans le cimetière neuf et four à briques gallo-romain. (FI. 13.)

Nous ne parlerons en quelque sorte que pour mémoire, d'un caveau gallo-romain de 2m 50 sur deux, trouvé dès que se sont creusées les premières tombes dans le nouveau cimetière de la commune, inauguré en 1862, et dont l'enceinte, hélas! a été construite en grande partie avec les pierres essemillées, extraites de notre pauvre théâtre romain. Le caveau est précédé d'une petite antichambre de 2ra 50 sur un mètre dont il est séparé par une baie de porte, et qui contient un emmarchement de cinq degrés en pierre, dont l'accès est au nord. Ce caveau ne présente aucune trace d'huis ou de soupiraux. Etait-ce une sépulture, ou, ce qui revient à peu près au même, un cachot ? Un lacrymatoire en verre, d'une forme élégante et d'une admirable conservation, trouvé tout auprès, dans les fossés de l'enceinte du cimetière, nous ferait incliner vers la première des deux hypothèses, que viendrait confirmer un débris de monument en pierre sculptée,


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formé d'un fragment de vase elliptique, sur lequel s'appuie une main d'enfant de grandeur naturelle, d'une savante et délicate exécution, et qui a été trouvé tout près du lacrymatoire.

Nous citerons encore, en terminant, un four à briques romain (K), trouvé dans la cour même de la ferme de la Mardelle contiguë au théâtre, la première de toutes ces découvertes. Ce four, chef d'oeuvre de simplicité et de réduction, présente dans une sorte de boîte en briques, d'une hauteur indéterminée, vu son état de ruine, mais longue de 3m 10 et large de 2m 30, le moyen de cuire les briques de toutes les dimensions que nous avons reconnues dans les bains et les autres constructions romaines, si multipliées à Triguères. Ce qui est fort curieux à noter, il a été trouvé garni de ses briques crues et prêt à fonctionner, ce qui atteste l'imprévu et la soudaineté de l'invasion qui a anéanti la ville.

TROISIEME PARTIE. — RESUME ET CONCLUSIONS.

Ainsi donc un travail persévérant de six années, dirigé avec antant d'intelligence que de ténacité a fait trouver à M. Petit, dans un village du Gâtinais ignoré jusqu'ici, quatorze beaux restes enfouis, les uns celtes, les autres gallo-romains. Pour reconnaître et apprécier tous ces débris intéressants pour l'histoire de notre passé, ces fondations, ces statuettes, ces médailles, ces armes, cesmonnaies celtes, romaines, gallo-romaines (1), M. Petit a fait appel aux Ministres d'Etat et de l'Instruction publique, il a fait appel à l'Empereur lui-même, sollicitant avec instance la visite et l'avis des hommes compétents. Cet appel a été entendu. Outre les visites que les ruines de Triguères ont reçues des notabilités du

(1) Les médailles romaines de belle conservation sont au nombre de 118, les médailles gauloises au nombre de 20 ; plus 27 belles pièces de monnaie gauloise, et deux sacs de la capacité du sac de 500 fr. pleins de médailles et de monnaies gauloises et romaines brûlées, frustes et indéchiffrables.


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pays, de l'arrondissement, du Conseil général, et des membres trop peu nombreux peut-être de la Société archéologique d'Orléans, une sorte de pèlerinage vers ces ruines s'établit aujourd'hui de tous les points de la France. Parmi ces pèlerins de la science nous pouvons compter une des illustrations de l'archéologie, M. Caumont. Plus récemment encore un officier de l'état— major, que de hautes convenances nous empêchent jusqu'ici de désigner autrement, s'est transporté à Triguères, et, dirigeant lui-même les fouilles dans le point culminant du donjon, a fait en un instant apparaître l'enceinte celtique, construite en une nature de pierre étrangère à la localité, grandibus saxis, présentant sur tous les points où le temps et les barbares en avaient respecté les fondations, une épaisseur d'un mètre, et tous les accessoires d'une fortification régulière, la contrescarpe, le fossé, l'escarpe et le talus, planche 15. Ce qui rend cette fouille singulièrement intéressante c'est qu'elle présente, autant que le permet un intervalle de vingt siècles, les caractères que J. César (de bello gallico, lib. Vil, c. 23), signale comme particuliers aux fortifications gauloises. Le rempart a été effectivement construit avec des poutres engagées et reliées dans la maçonnerie. Le bois à la longue a disparu, mais les ferrements nombreux trouvés dans la muraille de mètre en mètre, attestent par leur forme qu'ils servaient à fixer et à rattacher ces poutres noyées dans la muraille et dans l'épaisseur du talus, ce que César loue comme offrant, la double résistance du bois aux machines et de la pierre à l'incendie. (V. lettre B-., pi. 14.) Une espèce de chaussée gauloise construite d'après le même système se présentant encore au sud, dans la prairie actuelle de Triguères, il n'y a plus lieu de douter que nous sommes dans un oppidum gaulois.

Nous avons vu de nos yeux chacune de ces substructions dont nous donnons les planches. Quant à ces planches, les originaux, dus au crayon aussi habile que fidèle de M. Chesneau, arpenteur à Châteaurenard, ont été tirés du cabinet de M. Petit, dont ils sont la propriété.

Quelques personnes ont blâmé M. Petit de n'avoir pas conduit à fin une première fouille avant d'en attaquer une autre. Nous ne


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saurions souscrire à un tel jugement. D'abord M. Petit n'était pas sur son bien, et, si les propriétaires (c'est une justice à leur rendre) se prêtaient à ses recherches avec une obligeance qu'on ne saurait trop louer, il était juste aussi de satisfaire à leur désir légitime de rentrer le plus tôt possible en jouissance de leur terrain. A un autre point de vue, M. Petit s'est dit avec une haute raison que ce qu'un seul monument, quoique complet ne saurait faire, quinze ébauches hardies et bien franchement accusées l'obtiendront. L'événement lui donnera raison en justifiant des prétentions rejetées jusqu'ici faute d'un examen sérieux et sur place.

Triguères peut en avoir en effet, et malgré notre peu d'autorité, nous allons faire notre possible pour les faire valoir. Les juges compétents prononceront.

Nous nous rappelons tous, en consultant seulement nos souvenirs du lycée, que César part d'Agendicum (Sens) pour marcher au secours des Boïens, ad Boios proficiscitur, de manière à traverser ou longer les Bituriges (leBerry), ce qui entrait dans son plan, dès le départ, comme le démontre son expression ad Bituriges pervertit. Il rencontre et enlève, chemin faisant, trois villes : une Sénonaise, Vellaunodunum oppidum Senonum (1); uneCarnule, Genabum Carnutum; une Biturige, Noviodunum oppidum Biturigum. L'itinéraire d'Antonin et la table de Peutinger, tous deux muets sur Vellaunodunum et Noviodunum Biturigum, indiquent tous deux Genabum, un peu défiguré quant au nom (2), d'une manière fort indécise quant à sa position, mais, telle quelle, l'indication a suffi au plus grand nombre, et aussi à des savants qui font autorité, pour y reconnaître Orléans. Ce n'est pas notre opinion, mais nous croyons inopportun de développer ici une discussion qui réclame un champ plus vaste. Nous sommes ici en pleine Sénonaise ; restons-y. Nous le ferons d'autant plus

(1) CiESAR, de Bello-Gallico. Lib. 7, c. 10, 11, 12.

(2) Nous ne ferions pas cette remarque si une foule de scoliasles n'avaient pas ici, comme pour Aquis-Segesle pris l'ablatif pour le nominatif.


— 166 — volontiers qu'il est à notre connaissance que cette discussion est l'objet d'un mémoire que M. Petit vient de livrer à la publicité.

Pour peu qu'on ait suivi ce que nous venons de dire de la situation et des richesses celtiques et gallo-romaines de Triguères, on doit reconnaître que cette localité, pour réclamer le nom de Vellaunodunum, remplit toutes les conditions que l'on peut raisonnablement exiger sauf la plaque « de Vellaunodunum à Agendicum, 36 kilom. » Mais l'usage de ces plaques ne date chez nous que de quelques années, et rien n'a prouvé jusqu'ici qu'il ait été connu des gallo-romains.

Vellaunodunum est celte d'abord, puis gallo-romaine. Nous ne pensons pas, après avoir pris connaissance des fouilles que nous venons de décrire, que personne conteste à Triguères ces deux qualités. Vellaunodunum estsur la route d'Agendicum à la Loire, et à deux marches d'Agendicum. Triguères est traversée par une route qui va, par la direction la plus courte, de Sens à la Loire, route celte suivant nous, romaine de l'avis de quelques-uns, petorritante de l'avis de chacun. Vellaunodunum et à deux marches d'Agendicum. Triguères est à 36 kilomètres de Sens, c'est-àdire à deux marches de quatre lieues et demie, distance coïncidant avec le texte de Végèce, avec les marches de Xénophon, d'Antonius (TACIT. Eist., lib. III, cap. 15); avec l'indication géographique de PLINE. {Eist. mundi., lib. IV, cap. 30, n° 16), et enfin avec les marches calculées de César lui-même (lib. I, c. 43 ; lib. II, c. 15 ; lib. V, c. 2 ; lib. VI, c. 38 ; lib. VII, c. 36 et 40). Parvenu à Triguères, qu'on suive leperré en question, on arrive à Montbouy, à 16 kilomètres, puis à Gien, à 20 kilomètres, en tout 72 kilomètres ou 18 lieues donnant bien quatre marches de quatre lieues et demie par journée. Si l'on quitte le perré à Montbouy, on arrivera à Châteauneuf, à 56 kilom. ou 108 kilom. de Sens (27 lieues ou 6 lieues 3/4 par journée, ou bien encore à Orléans à 80 kilomètres, ou 132 kilomètres de Sens (soit 34 lieues et 8 lieues et demie par journée), distances exorbitantes à notre sens, d'autant plus que ces marches se font au plus fort de l'hiver, dans les jours les plus courts, et avec l'obligation de lever et de


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dresser chaque jour un camp de 50,000 hommes (1); distances accrues encore par l'obstacle de la forêt ; mais quelques savants, n'ayant à faire marcher que leur compas, n'y regardent pas de si près (2).

Nous avouons cependant que, pour ceux qui, dans leurs recherches, s'attachent surtout à l'analogie entre les noms, il serait assez difficile de faire dériver le Triguères actuel du Vellaunodunum antique. Mais ne serait-il pas possible que Triguères soit le nom primitif, qui aurait refleuri sur sa souche celtique, quand a disparu, avec la ville gallo-romaine, le nom déshonoré par la terminaison latine dont l'avait flétri la conquête ?

Nous avons donc entrepris de rechercher les origines celtiques de Triguères, s'il en est pour cet humble village. Notre ignorance des sources où il fallait puiser nous contraignait à demander aide et conseil, car notre savant et obligeant bibliothécaire, M. Loiseleur, était absent. Nous avons trouvé l'un et l'autre auprès de M. Brissaud, professeur d'histoire au lycée Charlemagne, à Paris. M. Brissaud joignait ainsi aux recherches que je pouvais faire ici dans les Dictionnaires celtiques de L. Lepelletier, bénédictin de Saint-Maur (Paris, 1752) et de M. Le Gonidec, de la Société royale des Antiquaires de France (Angoulême, 1821), les indications qu'il puisait à la bibliothèque impériale, dans le Diction(1)

Diction(1) l'on prenne la peine de calculer le temps moral nécessaire pour ces deux opérations, et on verra ce qu'il restera de libre d'une journée de sept heures au plus pour des marches de 6 heures et demie, et8 heures et demie. Objectera-t-on que l'armée est sans équipage de guerre ? Le siège de Vellaunodunum vient lui-môme démontrer que cette objection est erronée et repose sur une fausse interprétation du texte, qui ne parle que des magasins de l'armée mis sous la garde de Labienus.

(2) Exercitus neque per insidiosa itinera duxit unquam, nisi persspeculatus locorum, situs. SUETOH, Coesar, 58. Une reconnaissance en forêt n'est préservatrice qu'autant qu'elle est simultanée avec la marche que dès lors elle ralentit considérablement. Voir au surplus avec quel soin César évite les forêts, de Bello Gallico, lib. III, c. 39 ; lib. IV, c. 19; lib. V, c. 8 etS2 ; lib. VI, c. 10 et 29; lib. VIII, c. 5, 7 ; témoignages de César lui-même.


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naire celtique de Bullet, professeur royal de théologie et doyen de l'université de Besançon (Besançon, 1759), dans Zeuss (1), professeur de philosophie, droit et histoire, à Leipsick (Lipsioe apud Weidmanns, 1853), et enfin dans le précieux ouvrage de l'Ethnologie gauloise, de M. Roget, baron de Belloguet (Paris, 2 vol., 1861.) Des documents positifs, autant qu'on peut les espérer en pareille matière, nous semblaient devoir résulter de ces renseignements combinés qui se contrôlaient réciproquement.

Triguères est un nom celtique, s'il en fut, basé sur la topographie du pays, et qui n'a presque rien changé à ses éléments constitutifs. C'est ce dont ne permet pas de douter l'accord de tous ces lexigraphes, dont aucun assurément n'a connu notre Triguères. Tri, trois, chez tous ; gwer (Bullet) gover et gouer (Lepelletier) gouer (Legonidec), signifient également ruisseau, eau courante, bras de rivière. Quiconque aura vu l'Ouanne, et le triple méandre qu'elle dessine sous les coteaux de Triguères, dira comme nous que Triguères a fidèlement gardé son nom celte.

L'a-t-il gardé ou repris? Là est toute la question. Les trois cours d'eau, ce nom si primitif est-il resté le nom de ce pays, lorsqu'il s'est agrandi, peuplé, et entouré d'une fortification en règle? N'a-t-il pas été donné un nom à la rivière et à la vallée? Toutes ces questions nous ont conduit à chercher si nous ne trouverions pas les origines celtes du nom de Vellaunodunum, dont nous sommes encore bien loin,

M. Zeuss et M. de Belloguet se sont tous deux préoccupés de ce nom d'oppidum inscrit dans les Commentaires.

M. Zeuss n'y a vu qu'un nom d'homme dont on aurait fait un nom de pays. Cassivellaunus, Vellaunodunum. (T. n, p. 103).

M. de Belloguet admet comme possible cette origine qui ne ' nous apprendrait rien, mais il admet aussi l'hypothèse des éléments topographiques, bien plus conforme à nos usages, comme le prouvent les noms de la plupart de nos anciennes provinces

(1 ) Grammatica Celtica è monumenlis veluslis làm Hïbernicoe linguoe, quàm Britannica}, dialecti Cambroei Cornicoe, armoricoe, nec non Gallicoe priscce (2 vol. in-8°).


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gauloises et le système adopté récemment pour les noms de nos départements. En conséquence, il adopte la décomposition suivante : Vel de owel, haut ou de l'Armoricain-Kymrique, Gwel, vue : Launum, du Kymrique lawen et lauen, ou de l'Armoricain laouen qui ont tous trois la signification de riant, joyeux, agréable, étymologie aussi complète et beaucoup plus compréhensive que la première, en ce qu'elle fait mention d'une hauteur, d'un tertre, Owel ou Gwel, et du nom de la rivière Laouen, d'où se dérive tout naturellement le nom actuel l'Ouanne ou la Vouanne (1).

Cette étymologie est en outre concordante avec celle que nous donnent les autres lexigraphes consultés.

En effet, Bullet nous donne Well et Vell, fortification, forteresse, rempart, Lepelletier, Gwel excubioe, poste militaire, et Gwél, vue, aspect de même que Legonidec.

Pour launum, nous trouvons dans Bullet une décomposition qui, pour être très-compliquée, n'en est peut-être pas plus applicable à la question. Lau ou lav, eau, confluent, an, cours d'eau, out, bord, qu'on peut traduire : fortification au bord d'un confluent. Quelque favorable que nous soit cette interprétation, il est à remarquer que les radicaux lau ou lav et an ne se retrouvent ni dans Lepelletier, ni dans Legonidec. Aussi, quelque avantage que nous donnent les indications de Bullet, nous préférons comme plus sûres celles de Lepelletier (p. 513) et de Legonidec (p.300)£aoKé>i, riant, agréable, et out, près, sur, qui sont en parfaite harmonie avec celle de M. Belloguet.

Nous aurons ainsi Gwel-laouën-out, et par l'élision de règle Gwel-laoun' out ; fort ou vue sur la riante, nom qui convient admirablement à la rivière, comme à toute la vallée de l'Ouanne ou Vouanne.

(1) Cette étymologie se reproduit encore pour la Vanne (Morbihan), et pour la Vanne, charmante rivière près de Sens, que les Romains introduisirent dans Agendicum comme ils avaient fait à Rome pour VAqua-Virgo. C'est donc, grâce aux Romains, que la Vanne arrose aujourd'hui les promenades de Sens.

T. VII. 12


— 170 —

Admettons que César ait trouvé ce nom établi lorsqu'il s'est emparé de la ville, comment a-t-il pu le traduire en syllabes latines pour le sénat et pour le peuple ? Il est évident que, conformément au génie de sa langue, qui est aussi le nôtre, il a dû adoucir les consonnes doubles, éviter les hiatus et les diphthongues inconnues au latin, faisant de Gwel VEL de laoun' LAUN de out o, en modifiant la diphthongue ou, inusitée chez les Latins, et en supprimant le t pour faire place à sa caractéristique DUNUM, qui traduisait pour ses concitoyens le sens de Gwel. Ici on ne peut procéder que par inductions, mais toutes les nôtres sont logiques, naturelles et en parfaite conformité avec le génie de la langue latine et la topographie de Triguères et de l'Ouanne.

Vellaunodunum ayant capitulé sans aucune résistance, a été traitée avec douceur, suivant la maxime fière et humaine à la fois « Parcere subjectis et debellare superbos. » César y laisse après lui Trebonius avec une mission toute pacifique (de Bello Gallico, lib. VII, cap. 11) ; et, la Gaule devenue romaine, les Romains s'empressent de venir jouir du calme et des délices de cette vallée charmante, où ils laissent les traces nombreuses que M. Petit vient d'exhumer, et ils y dominent jusqu'au moment du sac qui anéantit ville et habitants.

Ce sac, nous pouvons en préciser la date à l'aide des médailles recueillies dans ce pêle-mêle de débris. La dernière porte, en effet, lachétive effigie d'Arcade, et nous ne pouvons plus renouer la chaîne des temps pour cette contrée qu'avec les médailles et les monnaies d'Henri II.

Il y a donc là une lacune de onze siècles, et au début de cette lacune, la retraite d'Attila, d'Orléans sur Troyes, précisément par la contrée où s'asseoit Triguères, et dans un moment où la concentration vers Châlons de toutes les forces franques, gothes et romaines, privait toutes ces régions de leurs défenseurs. II ne faut pas moins que les Huns, ce peuple pour qui la dévastation était un acte religieux, pour expliquer les ruines qui surgissent partout de nos jours, non-seulement à Triguères, mais dans tout l'arrondissement de Montargis. Puis, peu à peu le paysan gaulois, se souvenant de ses foyers, est revenu en fouiller les cendres, le


— 171 —

village a remplacé l'orgueilleux municipe, et le nom modeste et primitif de Tri-gwer, à son tour, a prévalu sur celui de la ville saccagée et anéantie, comme l'obscurité ne succède que trop souvent à des grandeurs passagères. Le calme a succédé à l'orage et jusqu'aux guerres de religion, où le Gwel, le dunum de Triguères lui rend un rôle attesté par le registre du baptistère de la paroisse (1), le moyen-âge ne laisse guère à ce pays qui a reconquis quelques habitants, que sa joyeuse Ouanne, sa riche prairie, ses coteaux couverts de vignes et de bocages, et la naïve légende de sainte Alpète et de ses moutons, moins dociles à sa voix que les oiseaux du bon Dieu.

Cette légende, qui fera peut-être quelque jour l'objet d'un de nos récits, accompagne la transition, dans cette contrée, du paganisme à la foi chrétienne. Elle précède, dans les traditions du pays, la fondation d'une église remarquable, malgré sa modestie, par les trois âges bien distincts dont elle conserve la trace. Mérovingienne par les piliers de sa nef, le rez-de-chaussée et le premier étage de son clocher, elle a dû subir une première dévastation des Normands, à l'époque du ravage de Troyes et d'Àuxerre par ces derniers (2). Elle dut être restaurée au temps des Croisades, ce qu'attestent à la fois l'ogive naissante entée sur ses piliers romans, sa porte ogivale et le style flamboyant de ses fenêtres. Peut-être dut-elle à cette époque quitter le patronage primitif de saint Martin pour celui de saint Louis, sous l'invocation duquel elle est aujourd'hui placée. Puis les réformés renversèrent son choeur, qui fut reconstruit avec une telle hâte qu'il n'est plus en rapport de lignes ni avec la nef, ni avec la porte d'entrée, et qu'aujourd'hui encore, malgré une intelligente restauration, l'ancien et défectueux état de choses est mal dissimulé. Ces questions, nous l'avouons, passent nos moyens d'investiga(1)

d'investiga(1) Vanderburgh , soldat de la garnison de Triguères , v. à la date du 0 avril 1652.

(2) Vers 859. Peut-être même les Sarrasins en 732. Cependant Eginhardt, autorité plus sérieuse qu'une chanson de gestes ne l'ait franchir la Loire aux Sarrasins.


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tion. Nous ne les indiquons que pour constater que l'humble village sur lequel nous appelons l'attention des savants, offre un riche sujet d'études pour l'archéologue aussi bien que pour l'antiquaire.

TABLE DES MATIÈRES.

PREMIERE PARTIE. — RUINES & DEBRIS CBLTIOUES.

Pages.

CHAPITRE Ier. Trilithe du Vieux-Garçon 138

— II. Chemin-Perrè 141

— III. Puits funéraire celte . 144

DEUXIÈME PARTIE. — RESTES ET DÉBRIS GALLO-ROMAINS.

CHAPITRE Ier. Cimetière du Donjon 146

— II. Moulin du Chemin 149

— III. Maison et bains des Vallées 152

— IV. Bains des Monts 153

— V. Substructions près du trilithe 154

— VI. Aqueduc de Triguères à Douchy 155

— VII. Maisons, caves et vicus . 157

— VIII. Bains du bourg 159

— IX. Caveau et four à briques 162

TROISIÈME PARTIE. — RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.

Enceinte fortifiée 164

Nom celte de Triguères 167

Nom de Vellaunodunum et de l'Ouanne 168

ERRATA.

Page 139, ligne 18, après première, ajoutez, BBBB. __ — — 23, après enceinte, ajoutez AAAA.

— 140, — 4, après mosaïque grossière, ajoutez D.

— 145, — 29, au lieu de liv. VI, chap. 19; lisez lib. VI, cap. 19—

19— — 19, au lieu des styles ; lisez de styles.

— 166, — 2, au lieu de vient ; lisez lisez se propose.


— 173 —

TAJBMEA.U détaillé des principales monnaies et

médailles recueillies par M. Petit dans les

fouilles de Triguères, de 18BÎ- à 186S.

fjos

1. Auguste de 63 av. J.-C. à 14 de J.-C.

Tète d'Auguste à droite, IMP. (LESAU. H), AVGVSTVS. aigle éployée, frappée hors de Rome.

2. Agrippa. Têtelaurée à gauche, M. AGRIPPA, COS. m. itj. s.c.

Neptune debout tenant un dauphin d'une main et un trident de l'autre.

3. Agrippa et Auguste. Têtes adossées, R), Crocodile enchaîné

à un palmier, COL. NEM. Frappée à Nîmes.

4. Tibère de 32 av. J.-C. à 37 de J.-C.

Tête de Tibère adroite, TI. C^ESAR. R]. ROM ET. AVC. Autel. Frappée à Lyon.

5. Néron de 37 à 68 de J.-C.

Tête de Néron à gauche, NERO. CESÀR. R). S. C. Victoire tenant un bouclier sur lequel on lit : s. p. Q. R.

6. Tête nue de Néron à droite. R>. Victoire ailée ; palmiée.

L'autre main sur un globe.

7. Titus 41 à 81 de J.-C.

Tête à droite, a), JVD^EA CAPTA. Judée en pleurs, au pied d'un trophée.

8. Tête à droite, TI. CJESAB. IMP. VESP. F. RJ. Victoire debout.

FELICITAS. SJECVLI.

9. Domitiende51 à 96 de J.-C.

Tête à droite, IMP. CMS. DOMIT. AVC GERM. P. p. R]. Fortune, debout, tenant une corne d'abondance.


— 174 —

JJOS

10. Tête à droite, IMP. CMS. DOMIT. RJ. Valeur casquée.

VIRTVTl AVGVSTI. S. C .

11. Tête à droite. R] . illisible.

12. Trajande98 à 117.

Tête nue à droite. R]. Fortune debout.

13. Tète nue à droite. R], illisible.

14. Adrien. 117-138.

Tête nue â droite, R). Espérance debout, SPES, AVC

15. Adrien, tête nue à droite, R). Fortune debout. Corne

d'abondance.

16. Adrien, tête nue adroite» R]. Fruste et illisible.

17. Antonin. 86 à 161.

Tête laurée à droite. IMP. ANTONINVS. PIVS. AVGVSTVS. P. p. R]. Sénat personnifié, GENIO. SENATVS.

18. Le même. RJ. Illisible et fruste.

19. Faustine, femme d'Antonin. Tète à droite, DIVA.

AVGVSTA. FAVSTINA. RJ. Femme sacrifiant, PIETAS. AVG.

20. La même. DIVA, FAVSTINA. RJ. Eternité debout.

JETERNITAS .

2t. La même. aj. Fruste et illisible.

22. Marc Aurèle. 121-180.

Tête nue. RJ. Fruste et illisible,

23. LuciusVerus. 130-170. RJ. illisible.

24. Le même id.

25. Le même id.

26. Commode. 161-192.

Tête à droite, M. COMMODVS. R). P. M. T. P. VIIH. IMP. vi. cos. nu. P. P. s. c. Rome assise, tenant une victoire. Frappée en 184.

27. Le même. R!. HILARITASO Femme debout.

28. Alexandre Sévère.


- 175 —

Tète adroite, IMP. SEV. ALEXANDER. AVG. R]. P. M. TR. P. vm. P. P. s. c. R). Le soleil debout.

29. Julia Mamaea, mère de Sévère. Tête à droite, IVLIA.

MAM.EA. RJ. Junon assise, IVNO. AVGVSME.

30. Valérien.

Tête à droite. IMP . c. p. Lie. VALERIANVS . AVG , R) . Jupiter tenant un loudre. IOVI. CONSERVA.

31. Gallien.

Tête à droite, GALLIENVS. AVG. R|. Apollon debout.

APOLLO. CONSERV.

32. Le même. Tête radiée à droite, GALLIENVS. AVG, RJ.

Equité debout avec caducée, JÏQVITAS. AVG.

33. Le même. R] . Mars debout tenant lance et globe. VIRTVS

AVG.

34. Salonine, sa femme. Tête à droite, SALONINA. AVGVSTA.

R]. Vénus assise à gauche, VENVS FELIX.

35. La même, RJ. Vesta assise, VESTA. AVG.

36. Salonin, fils de Gallien. Tête nue à droite SAL.' VALERIANVS.

VALERIANVS. R). Aigle enlevant Salonin au ciel.

CONSECRATIO.

9

37. Valérien jeune, autre fils de Valérien. Tète nue à droite.

VALERIANVS. P. F. AVG. RJ. Le Soleil debout.

ORIENS.

38. Postume. Tête radiée à droite. IMP. C. POSTVMVS. P. F.

AVG. RJ La paix debout tenant couronne et sceptre. PAS. AVG

39. Victorin père. Tête à droite, R]. Fortune debout.

40. Le même. Fruste et illisible.

41. Le même. Tête radiée à droite. LMP . VICTORINVS . P . E .

AVG. R] Hygie donnant à manger à un serpent.

SALVS. AVG.

42. Claude n. B). Jupiter debout, IOVI. STATORT.

43. Le même. RJ. Equité debout. JÏQVITAS. AVG.

44. Le même. R]. Aigle, CONSECRATIO.


— 176 —

Nos

45. Le même. sj. Autel, CONSECRATIO.

46. Le même. BJ. Femme debout, CONSECRATIO.

47. Le même. R] . Fruste et illisible.

48. Tetricus. Tête radiée à droite, IMP. TETRICVS. P. AVG,

RJ. Paix debout tenant un rameau, PAX.

49. Le même. RJ. Tetricus debout, PRINC. IVVENT.

50. Le même. R]. La santé debout, SALVS. AVG.

51. Le même. R]. L'allégresse debout, HILARITAS.

53. Le même. R]. Hygie debout nourrissant un serpent.

SALVS.

59 et 60. Deux fois le même. RJ. Apollon debout. 61 et 62. Deux fois le même. aj. Fortune debout. 63. 64. Deux fois le même, frappé en Gaule,

65. Le même. R] . Fruste et illisible.

66. Tetricus fils. Tête à droite, radiée, légende barbare, R).

Femme debout, légende barbare. Gaules.

67. Le même. R]. Allégresse debout. HILARITAS

68. Le même. Gaules.

69. Le même. R] . Fruste et illisible.

70. Maximien Hercule. Tête laurée à droite, MAXI-MIANVS.

IMP. AVG. R/. Le génie de Rome debout, GENIO. POPVLI. ROMANI.

71. Licinius père. Tête laurée à droite. IMP . LICIVINS . AVG .

RJ. Apollon debout tenant une patère.

72. Licinius fils. Tête laurée à droite. LICINIVS. IVN. NOB.

c. R). Rome tenant un bouclier, BOM^E ./ETÉRNJE.

73. Constantin-le-Grand. Tète à gauche, CONSTANTINVS.

AVG, BJ. Femme debout, VIRTVS. AVG.

74. Le même. Tête laurée à droite, CONSTANTINVS. P. F.

AVG. aj. Deux soldats debout au milieu d'un trophée.

GLORIA. MILITVM.


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Nos

75. Le môme. Tête à droite, R]. Le soleil, SOLI INVICTO COSHTI.

76. Hélène, sa mère. Tête à droite, FL. HELENA. AVG. RJ.

Femme debout, tenant un rameau, SECVRÏTAS.

REIPVISLICJE.

77. Constant 1er. Tête laurée à droite, TL. CONSTANS. P. F.

AVG. R). Deux soldats debout, au milieu une enseigne militaire. VICTORIA EXERCITVS .

78. Le même, même légende, R]. Deux victoires debout

chacune avec une couronne. Au milieu D. VICTORLE.

DD KN AVG.

79. Le même. R] . Rome assise. ROMM STERNE .

80. Le même. R] . Victoire debout, dans le champ. OF . in.

81. Constantiusïl. Tête laurée adroite, n. N. CONSTANTÏVS.

p. F. AVG. R). L'Empereur debout sur une galère, tenant un globe surmonté d'un phénix, à gauche une victoire assise, FEL. TEMP. RESPARATIO.

82. 83, 84. Même et même légende, RJ. Victoire écrasant un

cavalier renversé, même légende.

85. Même et môme légende, RJ. VOTA, xv dans une couronne .

86- Même. Fruste.

87. Magnence. Tête à droite. ». N. MAGNENTIVS. P AVG.

RJ. Monogramme du Christ, SALVS. D. D. N. N.

AVG. ET.

88. Même et mêmes tête et légende. R] . Deux victoires soutenant

soutenant bouclier sur lequel on lit VOT. V. MVLT.

VICTORIA DD . NN . AVG . ET . CJES .

89. 90, 91, 92. Quatre pareilles.

93. Mêmes tète et légende. RJ . Monogramme du Clirist et

SALVS.

94. Mêmes tête et légende. R] . VICTORIA DD . NN . AVG . ET .

CiES. Et deux victoires avec bouclier inscrit : VOT. V.

MVLT. X.

95. Décence. Tête adroite, R). Deux victoires» VICTORIA.


— 178 —

Nos

96. Valentinien Ier. Tête laurée à droite- D. N. VALENTINIANVS

VALENTINIANVS P. AVG. R). Victoire debout, SALVS REIPVBLI&E.

REIPVBLI&E.

97. Même, mêmes tête et légende, B). Victoire debout. VICTORIA.

VICTORIA.

98. Même, mêmes tête et légende, B). L'Empereur tenant un

captif par les cheveux, GLORIA ROMANORVM.

99. Même, mêmes tète et légende, B). Victoire SECVRITAS RÉIPVBLI&E.

RÉIPVBLI&E.

100. Valeus. Tête laurée à droite. DN VALENS. P. F. AVG.

B]. Victoire debout, couronnée, palmée, SECVRITAS REIPVBH&E . 10!. Même, pareille en tout point.

102. Gratien. Tête laurée à droite. DN. GRATIANVS. P. F.

AVG. R). L'Empereur debout, tenant une victoire et relevant un captif, REPARÂTIO. REIPVBLICE.

103. Même tête, même légende. BJ. Rome assise, tenant un

globe et une lance renversée. VIRTVS MILITVM .

104. Même tête, même légende, B], L'Empereur, REPARÂTIO

REPARÂTIO

105. Gratien. Blêmes tète et légende, R]. L'Empereur, VIRTVS

ROMANORV.

106. Même, mêmes tête et légende, R] Figures militaires.

GLORIA NOVI SJECVLI .

107. Même, mêmes tête et légende, B]. Figures barbares des

Gaules.

108. Théodore, femme de Constance. Tête à gauche, TL.

MAXTMA. THEODORA. AVG. R). Femme allaitant.

PIETAS ROMANA. '

109. Théodose-le-Grand. Tête laurée à droite. D . N . THEODOSIVS.

THEODOSIVS. F. AVG. B). Victoire debout. VICTORIA.

110. Même, mêmes tête et légende, B). L'Empereur, REPARÂTIO

REPARÂTIO .

111. Même, mêmes tête et légende. B] . Victoire debout. VICTORIA

VICTORIA


— 179 —

112. Magnus Maximus. Tête laurée à droite i>. N. MAG.

MAXIMVS. p. F. AVG. RJ. L'Empereur debout et relevant une ville, REPARATIO REIPVB.

113. Même, mêmes tête et légende, R]. L'Empereur, IIEPARATIO

IIEPARATIO .

114 Victor. Tête laurée à droite, B]. illisible.

115. Ârcadius. Tête laurée à droite. DN. ARCADIVS. P. F.

AVG. B). L'Empereur tenant un captif, GLOUIA

ROMANORVAI 116.- Même, mêmes tête et légende, R]. Victoire écrasant un

cavalier.

117. Mêmes tête et légende, B]. Victoire marchant. VICTORIA,

VICTORIA,

118. Mêmes tête et légende, R], L'Empereur, REPARATIO

REIPVBLICJE .

119 à 125. Six médailles Gauloises frappées à Lucques. Tête d'un chef. B]. Un aigle près d'un arbre, LEVCI.

126 à 139. Treize médailles gauloises anépigraphes. Tête d'un chef. al. Cheval barbare, médailles en potin, antérieures de 200 ans à J.-C. au dire de M. Roilin, expert numismate à Paris.

140. Une médaille gauloise en argent, R]. Cheval au galop, dessous une rouelle.

141 à 167. Vingt-sept monnaies gauloises frappées à I'écrcvisse et au porc-épic, deux ou trois au cheval, et à des signes inconnus. Plus deux sacs du volume d'un sac de 500 fr. pleins de monnaies gauloises frustes et indéchiffrables, et qu'on ne saurait classer.

168. Monnaie frappée à Autissiodurum, Face : croix. Pile:

croix.

169. Monnaie de Henri III. Pile; H. Dans le champ, au

bas trois fl. de lys, légende : DELPH. R]. Croix.

S1T. NOM. DNI. BNE.

170. Agate ayant pu servir de milieu à un collier.


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RAPPORT SUR LE MÉMOIRE PRÉCÉDENT; Par M. DE BUZONNIÈRE.

Séance du 10 avril 1863.

La commune de Triguères, maintenant si flère de ses richesses archéologiques, était, 11 y a peu d'années, parfaitement inconnue des savants. Ses habitants regardaient avec ctonnement certaines zones stériles qui traçaient des compartiments réguliers au milieu de la fertilité du sol, mais ils s'occupaient peu d'en rechercher la cause, lorsqu'en 1854, notre collègue, M. de Torquat, soupçonnant l'existence de substructions qu'il devait être intéressant d'étudier, signala cette remarque à la Société archéologique de l'Orléanais. En 1855, M. Guyot, curé de Triguères, au zèle duquel on ne saurait donner trop d'éloges, annonçait à la même Société la découverte d'un établissement de bains et de vastes substructions qu'il croyait être celles d'un cirque. L'année suivante, un assez grand nombre d'archéologues, parmi lesquels MM. le comte de Brosses, Dupuis, Petit, membre du conseil général, de Lannoy, architecte, Alfred de Mersey, se rendirent sur les lieux et constatèrent l'existence, non d'un cirque, mais d'un théâtre. Ils explorèrent aussi alors le monument druidique connu sous le nom de la Roche du Vieux-Garçon. Les journaux de la localité rendirent compte de cette excursion. Deux ans plus tard vous ordonniez l'insertion, dans vos Annales, d'un mémoire de M. de Monvel sur le théâtre de Triguères, et du rapport de M. Dupuis dont ce travail avait été l'objet. Le même M. Dupuis fit paraître, en 1858, dans les Mémoires de la Société archéologique, une étude approfondie sur le même sujet. Il y mentionnait en outre, mais très-succinctement, la découverte, près le moulin du chemin, de substructions gallo-romaines, et, près le théâtre, de tuyaux de conduite (indiquant des bains), de briques et de meules


— 181 — romaines, de fibules, de statuettes et de médailles. Il en concluait l'existence d'une station romaine. Il signalait aussi des tombes en pierres de Bourgogne.

Dès lors, la curiosité publique fut éveillée. Les propriétaires, sacrifiant leurs intérêts à ceux de la science, s'empressèrent d'offrir leur terrain aux explorations. M. le curé de Triguères, et surtout M. Petit, qui ajoutait de sa propre caisse aux crédits alloués par le Conseil général du département, continuèrent les fouilles si heureusement commencées, et bientôt on put constater que les Romains ont eu dans cet endroit un établissement d'une certaine importance.

Ce sont ces découvertes que M. de Monvel s'est proposé d'explorer, de décrire et d'apprécier. Nous insistons à dessein sur l'ordre logique de ces trois opérations successives, Il semble tout naturel au premier abord et il l'est en effet ; il s'en faut bien cependant qu'il ait été toujours suivi. Combien de fois est-il arrivé, surtout au début de la science, qu'une opinion préconçue, aidée du désir de briller par une révélation neuve et importante, dictait la description et quelquefois précédait l'exploration même. Alors l'archéologue, s'illusionnant comme l'avocat dans l'intérêt de la cause qu'il avait entrepris de soutenir, ne cherchait dans les faits que les moyens de la faire triompher. II s'enlevait ainsi jusqu'à la faculté de bien voir, et ses appréciations étaient d'autant moins justes qu'elles étaient plus ingénieuses. Ainsi se sont produites dans l'origine beaucoup d'erreurs. Heureusement aujourd'hui une méthode plus sûre et plus sévère dissipe successivement celles qui s'étaient accréditées et en permet peu de nouvelles.

Cette critique, hâtons-nous de le dire, ne s'applique pas à M. de Monvel. Ce n'est qu'après de sérieuses études et de profondes réflexions qu'il ose se prononcer, et s'il nous semble parfois trop affirmatif, nous craindrions souvent d'encourir le même reproche en posant en fait qu'il se trompe. Nous désirons donc qu'il soit bien entendu que, dans les appréciations auxquelles nous pourrons nous livrer au cours de ce rapport, notre opinion doit être considérée, non comme la sentence d'un juge parfaite-


— 182 —

ment informé, mais comme la dissidence d'un collègue qui n'a pu baser son opinion que sur des descriptions et des dessins.

Le travail de M. de Monvel, quoique scindé en trois parties, ne se compose que de deux grandes divisions : d'abord la description et l'appréciation successives de chacune des antiquités de Triguères, puis les conséquences générales tirées de leur ensemble. Ces deux divisions seront celles de notre rapport.

Quant à la première, nous devrons suivre pas à pas la marche de l'auteur.

Nous reconnaîtrons avec lui un monument celtique dans la Roche du Vieux-Garçon, mais le quadrilatère qui l'entoure était-il le logement d'un concierge romain ? Nous maintiendrons le point d'interrogation qui termine notre phrase jusqu'à ce que de véritables preuves soient présentées à l'appui de cette opinion.

Dans le second chapitre, notre collègue étudie la structure d'un chemin, nommé le Chemin-Perré. Il n'y reconnaît pas une voie romaine, parce qu'il n'y a pas trouvé ce stratumen qui en est, selon lui, le caractère dislinctif.

Nous remarquerons à ce propos que les termes voie romaine peuvent avoir deux acceptions. Tantôt ils signifient un grand chemin de l'empire ; ainsi l'a compris, au sujet du chemin en question, M. Jollois, qui, après y avoir pratiqué un grand nombre de tranchées à peu de distance de Gien, et avoir constaté en plusieurs endroits l'absence du stratumen, n'a cependant pas hésité à déclarer que c'est une voie romaine. Tantôt ces mêmes mots s'appliquent à l'oeuvre matérielle, et c'est dans ce sens que M. de Monvel soutient que le Chemin-Perré n'est pas romain. Les avis de nos deux archéologues sont donc moins opposés qu'ils ne le paraissent au premier abord, et on peut les concilier en disant que dans le parcours d'une voie romaine il peut se trouver des tronçons qui n'aient pas été construits par les Romains.

Cependant il y a tout lieu de présumer que, dans les cas où, comme à Triguères, le sous-sol était parfaitement solide, les Romains eux-mêmes se sont quelquefois affranchis du stratumen. Bergier ne semble pas de cet avis, mais quelque respectable que soit l'opinion de cet auteur, on doit remarquer qu'il a travaillé


— 183 —

surtout d'après les livres des anciens et que, de son aveu, ses observations personnelles ne se fondent que sur trois tranchées pratiquées l'une près de l'autre dans le même chemin ; tandis qu'un grand nombre de fouilles, récemment opérées sur diverses voies évidemment romaines, ont constaté sur plusieurs points l'absence du stratumen.

Maintenant, lors même qu'il serait démontré que les tronçons en question ne sont pas romains, devrait-on affirmer avec M. de Monvel qu'ils sont gaulois? Pour répondre à cette question, il faudrait bien connaître la structure de ceux-ci, et nous n'avons aucune donnée certaine à cet égard.

Quant au puits funéraire, les très-remarquables découvertes deM. Dufaur dePibrac, d'abord, puisde MM. Parenteau, Baudry et Decarde, ne laissent aucun doute sur sa destination ; nous ne pouvons donc qu'appuyer l'opinion de M. de Monvel; nous regreterons seulement qu'il n'ait pas étudié plus à fond un sujet si neuf et si intéressant.

Nous reconnaîtrons avec lui le caractère gallo-romain dans les tombes découvertes près le Donjon, mais nous hésiterons à voir les restes des esclaves dans ces squelettes sans cercueils orientés du nord au sud. La science ne nous semble pas assez avancée pour tirer une telle conclusion de cette divergence de position, d'ailleurs fort remarquable.

Ce qu'on a pu découvrir des substructions situées près le moulin du chemin appartenait évidemment à un établissement important. Il eût été très-intéressant de reconnaître son plan, de rechercher sa destination. Malheureusement ce résultat ne pouvait.être obtenu qu'en sacrifiant le terrain, et le terrain n'appartenait pas à la science. Quoi qu'il en soit, nous pouvons remarquer cette double enceinte que nous retrouverons bientôt dans l'établissement des vallées et où elle indique un péristyle. Il nous est donc permis de supposer ici un péristyle formant un carré long traversé dans sa largeur par une colonnade à jour.

M. de Monvel voit avec raison dans les fouilles des vallées les restes d'une habitation gallo-romaine. Il va plus loin, il indique le nom et l'usage de chacun des compartiments qui se dessinent


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sur le sol. Cette énumération nous jette dans un certain embarras. Nous répugnons à l'admettre sans preuves et nous ne saurions sur quoi nous fonder pour la critiquer.

Relativement aux substructions qui font le sujet du chap. iv, nous n'hésiterons pas à combattre son avis. Nous ne pouvons voir des carceres ou logements d'esclaves dans des compartiments posés 8 de front sur 4 de profondeur. Une partie de ces cases eût été inaccessible. Supposera-t-on, avec l'auteur, l'existence de couloirs prenant la place de quelques-unes, mais à quoi eussent servi les petits murs de refend qui eussent traversé ces couloirs? À soutenir des dalles, répond-il. Or ces dalles eussent eu deux mètres sur chaque face, proportions inacceptables, soit qu'on les suppose en pierres ou en briques. Quelque adresse, en effet, qu'on reconnaisse aux Romains dans l'art de manoeuvrer l'argile, il est bien difficile d'admettre qu'ils aient pu fabriquer des carreaux de cette dimension. Il faut donc, jusqu'à plus ample informé, se contenter ici de décrire et d'appeler l'attention des savants sur une disposition qui ne nous semble pas avoir jamais été observée.

Nous en dirons autant de cette sorte de puits qui pourrait avoir fait partie d'un établissement de bains. Malgré le dessin et la description qui l'accompagne, il nous est difficile d'en bien saisir la disposition intérieure. Nous y trouvons même des détails difficiles à admettre, tels que l'existence, au milieu d'un foyer ardent, de ces diaphragmes en briques, horizontaux et d'une seule pièce, portant au moins un mètre de long sur 0m75 de largeur.

Quant à l'édifice que supportaient les substructions mentionnées dans le chap. iv, l'auteur s'abstient prudemment de leur assigner aucune destination.

Passons rapidement sur les fondements des maisons trouvées dans le champ de M. Fouet ; donnons un coup d'oeii au chemin incontestablement gallo-romain, sur le bord duquel elles étaient construites, et arrêtons-nous devant les bains les plus complets que possède la France. (P. 12.)

Un plan fort exact en fait connaître toutes les dispositions ;


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une savante dissertation l'accompagne ; mais nous oserons dire à l'auteur que cette dissertation laisse quelque chose à désirer précisément parce qu'elle semble complète. Il faut savoir douter en archéologie : qui veut tout expliquer s'expose souvent à l'erreur, et pour n'en donner ici qu'un exemple, il eût été plus sage de se contenter de décrire certains couloirs étouffés de 20 à 40 centimètres de largeur que d'ajouter qu'ils étaient destinés au service des esclaves chargés d'entretenir le feu dans les hypocaustes. Mais gardons-nous du défaut que nous signalons : évitons les discussions de détails et abordons la question principale.

On sait qu'un établissement de bains se composait, chez les Romains de trois parties principales, dont les noms indiquent la destination. Le frigidarium, le tepidarium et le caldarium ou sudatorium. Nous reconnaissons, avec M. de Monvel, les deux premiers dans les compartiments B et C, mais, contrairement à son avis, nous voyons la troisième dans ceux qui sont désignés par les lettres G*, Y etL 2. Suivant nous, G2 est le caldarium proprement dit ; L2 un hémicycle entouré de gradins qui complétait presque toujours les salles chaudes, enfin Y le laconium, poêle destiné à échauffer l'étuve (1). Une peinture, trouvée dans les bains de Titus (2), donne de ce poêle une image parfaitement conforme à ce que nous trouvons ici. Ainsi nous aurions sous les yeux des bains complets. Suivant M. de Monvel, au contraire, le bain des hommes manque de sudatorium, dans celui des femmes le frigidarium n'est pas séparé du tepidarium, et l'on ne sait à quel usage attribuer le compartiment Y, trop restreint pour être le caldarium, et inutile pour chauffer des bains tièdes.

D'ailleurs, pourquoi chercher les bains des femmes dans cette enceinte, où ils sont mal à l'aise et usurpent une place mieux appropriée à d'autres usages, tandis que nous pouvons les trouver à 15 mètres de distance, complets et convenablement développés. Nous ne doutons pas que ce second établissement, lors(1)

lors(1) liv. V, chap. vm.

(2) Palais de Scaurus, p. 238 et 243.

T. VII. ' 13


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que les fouilles seront terminées, ne se révèle avec des aménagements qui ne laissent rien à désirer, car déjà nous y reconnaissons un sudatorium remarquable, et divers compartiments tracés sur une grande échelle.

En résumé, les bains du bourg méritent une étude approfondie et quoique nous nous soyons permis de discuter quelques-unes des appréciations de l'auteur, nous devons proclamer qu'en les faisant connaître dans tous leurs détails, il a rendu à la science un grand service.

Le four à briques romain, dont la mention trop succincte termine la seconde partie du mémoire, est une relique d'une grande importance, principalement à cause de la disposition des deux voûtes successives dont se compose la fournaise et du peu d'espace qu'elles laissent disponible pour l'empilage des objets destinés à la cuisson. Nous engageons M. de Monvel à l'étudier complètement, à décrire avec détails les formes et les proportions de chacune de ses parties et la manière dont étaient enfournées les briques ou les tuiles de divers modèles. Il y aurait là matière à une notice spéciale d'un grand intérêt.

La description qui ouvre la troisième partie des études sur Triguères aurait mieux trouvé sa place dans la seconde ; nous renouvellerons à son sujet l'observation que nous faisions à l'instant, à propos du four à briques. Si la muraille en question date véritablement de l'époque gauloise, il faut l'explorer avec le soin le plus minutieux, la disséquer, pour ainsi dire, la dessiner exactement sous tous les aspects et la présenter au monde savant comme une des découvertes les plus précieuses de l'époque.

Abordons maintenant le couronnement de l'oeuvre de M. de Monvel, le but vers lequel tendent toutes ses recherches. Il avait reconnu, il nous avait montré un établissement gallo-romain d'une grande importance, mais ce n'était pas assez. Entraîné par ce désir auquel peu d'archéologues savent résister, il lui fallait donner un nom à cet être inconnu que ses recherches venaient de ressusciter. Où le chercher, sinon dans les Commentaires ? De tous les lieux décrits par César, il n'y avait guère que Vellaunodunum qu'on pût essayer de placer à Triguères. Il est vrai que


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M. Jollois s'en était déjà emparé et avait soutenu avec assez de vraisemblance, qu'en supposant Genabum à Orléans, Vellonaudunum devait être à Sceaux, au nord-ouest de Montargis. Mais notre collègue part d'un point différent. Pour lui c'est Gien qui est Genabum : dès lors tous les calculs de M. Jollois deviennent faux et les siens, au contraire, sont incontestables. La question qui s'agite ici .n'est donc que la conséquence de celle que l'auteur a déjà discutée dans son mémoire sur Genabum, et, sans entrer de nouveau dans une controverse qui dure depuis tant d'années, il nous suffira de rappeler à la Société qu'en ordonnant l'impression du travail de M. de Monvel, elle a cru devoir déclarer qu'elle ne se portait pas garant de son opinion.

Quelque assuré que paraisse l'auteur, il ne dédaigne pas d'appeler l'étymologie à son secours. Le terrain sur lequel il est obligé de se poser est assez difficile. Il reconnaît avec raison que le mot Triguères a une physionomie plus celtique que Vellaunodunum, et cependant, d'après nos connaissances historiques actuelles, l'appellation Vellaunodunum est plus ancienne que Triguères. Il faudrait donc faire dériver le celtique du latin, ce qui semble assez difficile. Voici comment M. de Monvel se tire de ce mauvais pas.

Le lieu en question aurait originairement été nommé par les Celtes Triguères, à cause des trois bras qu'y forme l'Ouanne. Plus tard, on ignore pour quelle raison, ce même peuple l'aurait appelé Gwel-laouen-out, c'est-à-dire forteresse, ou vue sur la riante, et de ces trois mots, trop durs pour une langue harmonieuse, les Romains auraient fait Vellaunodunum. Enfin les Huns ayant complètement dévasté ce lieu et un nouveau village ayant été reconstruit sur ses ruines, la haine du nom romain aurait fait revivre le Triguères qui avait précédé la conquête. Si ces déductions ne sont pas concluantes, elles n'en ont pas moins quelque chose de fort ingénieux.

Un catalogue des médailles trouvées par M. Petit dans les fouilles de Triguères, de 1856 à 1862, complète l'important travail dont nous venons de vous rendre compte.

En résumé, les Nouvelles études sur les ruines de Triguères


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sont une oeuvre considérable et digne de l'attention des savants. L'examen minutieux et sévère que nous leur avons fait subir est, dans notre pensée, une preuve non-seulement de l'importance des questions qu'elles soulèvent, mais aussi de l'influence, que doit exercer sur l'esprit du lecteur l'opinion d'un homme aussi savant et aussi consciencieux que M. de Monvel.

PRIX PROPOSÉS PAR LA SOCIÉTÉ CENTRALE DE MÉDECINE

DU DÉPARTEMENT DH NORD.

La Société a arrêté, pour son Concours annuel de l'année 1864, les questions suivantes :

1° Du traitement rationnel de l'hémorrhagie cérébrale, fondé sur l'étude des lésions anatomiques, sur leur nature et sur leur étiologie;

2° De rophthalmie sympathique, tant spontanée que traumatique, et de son traitement ;

Examiner jusqu'à quel point l'excision de l'oeil, le premier affecté et déjà détruit, peut influer d'une manière favorable sur l'état du second. — Appuyer ses assertions, non-seulement sur ses observations propres, mais aussi sur des tableaux statistiques raisonnes, dont on indiquera soigneusement les sources ;

3° Des lésions traumatiques de la main et des doigts ;

4° De la nature du palper abdominal comme moyen de déterminer la position du foetus et surtout de rectifier les présentations vicieuses soit avant, soit pendant le travail de l'accouchement.

Les mémoires lisiblement écrits en français et en latin seront seuls admis à concourir.

Les planches devront être manuscrites.

La Société demande la plus grande exactitude dans les citations, avec indication de la page et môme au besoin de l'édition.

Les mémoires seront envoyés suivant la forme académique, avant le Ie' mai 1864.

Il pourra être accordé pour chaque sujet deux prix :

Le premier sera une médaille d'or et le second une médaille d'argent.


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RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LES PLUS GRANDES QUANTITÉS

D'AIR QU'ON PEUT EXPIRER ET ASPIRER DANS LES GRANDES RESPIRATIONS ;

Par M. MASURE.

Séance du 7 février 1862.

I. — But des Recherches.

Les savants évaluent à 4 litres 1/2 environ le volume d'air contenu ordinairement dans les poumons de l'homme adulte. M. Milne-Edwards (Cours de zoologie, page 96), donne le nombre de 4 litres 580.

On admet que dans les expirations ordinaires les poumons rejettent environ la septième partie de l'air qu'ils contiennent et que, dans les aspirations ordinaires, ils en font entrer la même quantité.

On n'a pas fait, à ma connaissance, d'expériences directes pour déterminer les quantités d'air que les poumons sont capables de rejeter et d'admettre dans les grandes expirations et dans les grandes aspirations. De semblables expériences m'ont paru être intéressantes et instructives ; elles peuvent offrir par leurs résultats numériques d«s données assez importantes dans la science, et fournir peut-être un moyen nouveau d'apprécier la puissance pulmonaire et par suite l'état sanitaire de l'organe de la respiration de l'homme.

C'est dans ce but que j'ai cherché à déterminer, par des expériences nombreuses, quelles sont les plus grandes quantités d'air que l'homme peut d'une seule fois faire sortir et faire entrer dans ses poumons.

Les élèves de la classe de rhétorique (section des lettres), qui suivent mes leçons d'histoire naturelle au lycée d'Orléans, ont bien voulu me prêter leur concours et faire eux-mêmes les expériences sous ma direction. Ils ont mis, je dois le dire, un certain

T. vu. 14


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amour-propre, à respirer de leur mieux, et on doit en conséquence considérer comme les plus grands possibles les volumes d'air qu'ils ont expirés et aspirés.

II. —Éléments de la constitution physique des sujets soumis aux expériences.

Les résultats des expériences devaient dépendre évidemment de la constitution physique plus ou moins forte des sujets et de la capacité plus ou moins grande de leurs poumons.

Il était donc nécessaire d'estimer, de mesurer même, autant que possible, ces deux éléments et d'en tenir compte dans la discussion des résultats numériques des expériences.

Pour apprécier la constitution physique des élèves, j'ai pris note de leur âge, j'ai mesuré leur taille et la hauteur de leur buste, et j'ai noté leur force physique apparente.

Pour mesurer la hauteur du buste, je les faisais asseoir sur un tabouret en bois et je mesurais la hauteur de l'épaule au-dessus du tabouret.

Ces éléments de la constitution physique sont inscrits dans les quatre premières colonnes du tableau annexé à ce Mémoire. Chaque élève y est représenté par un numéro d'ordre.

III. — Détermination approximative de la capacité des poumons.

Il était surtout important de déterminer aussi exactement que possible la capacité des poumons.

Cette détermination présente les plus grandes difficultés.

Après avoir pris l'avis de M. le docteur Pelletier, secrétairegénéral de la Société, qui a bien voulu m'aider de ses conseils, j'ai déterminé approximativement la capacité des poumons de chaque élève de la manière suivante :

1° J'ai mesuré la circonférence du thorax passant par le creux de l'estomac. Les résultats sont inscrits dans la colonne 5 du tableau ;

2° J'ai mesuré la hauteur du thorax depuis la clavicule jusqu'à la dernière côte, parallèlement au sternum (6e colonne) ;


— 491 —

3° J'ai calculé d'après ces données le volume extérieur du thorax, en me servant de l'expression : V = 0,08 x c2 h.

Dans laquelle V exprime le volume en centimètres cubes ; C, la circonférence du thorax (5e colonne) en centimètres ; et H, la hauteur du thorax (6° colonne) en centimètres (l).

Les résultats des calculs sont inscrits dans la colonne 7, sous le titre de volume extérieur du thorax.

Ces volumes sont représentés en litres, et je n'ai inscrit que les dixièmes de litre ; je ne crois pas qu'on puisse compter sur les chiffres décimaux suivants obtenus par cette méthode.

Le volume extérieur dû thorax est de beaucoup supérieur évidemment au volume occupé par l'air dans les poumons. On peut, je le crois, admettre que la capacité des poumons est proportionnelle au volume extérieur du thorax et par conséquent pour déduire la capacité des poumonSi du volume extérieur du thorax, il suffirait de connaître le rapport de ces deux quantités.

On ne peut déterminer directement ce rapport ; mais on peut le choisir convenablement.

Pour choisir ce rapport, j'admets que la capacité moyenne des poumons de mes élèves est de 4 litres. Ces jeunes gens, à l'âge de 16ou 17 ans, n'ont pas encore leur poitrine complètement développée ; je crois me placer aussi près que possible de la vérité, en prenant, comme capacité moyenne des poumons à cet âge, 4 litres au lieu de 4 litres 580 regardés comme étant le volume occupé par l'air dans les poumons de l'homme adulte.

Or, d'après les résultats de la colonne 7, le volume extérieur du thorax des élèves est en moyenne 11 litres 556 ; on a pris

(1) En considérant le volume extérieur du thorax comme un cylindre dont C est la circonférence de la base et dont H est la hauteur, on a pour expression du volume de ce cylindre :


— 492 — 4 litres pour la capacité moyenne de leurs poumons; le rapport de ces deux nombres, n^s est égal à 0,35 très-sensiblement.

C'est donc le nombre 0,35 qui exprime le rapport de la capacité des canaux aériens des poumons au volume extérieur du thorax. En conséquence, pour calculer la capacité des poumons de chaque élève, j'ai multiplié les nombres de la septième colonne par 0,35. Ces produits sont inscrits dans la colonne 8.

Ces nombres peuvent être considérés comme représentant les volumes d'air qui sont à l'état ordinaire dans leurs poumons.

J'ai cru devoir ranger les élèves d'après ces résultats :

Le n° 1 est l'élève dont la poitrine est le plus développée, le n° 32 est l'élève chez lequel le développement est le plus faible.

IV. — Détermination expérimentale du volume d'air rejeté dans les grandes expirations.

Appareil. — Je me suis servi d'une cloche en verre longue et assez étroite, munie d'une garniture en cuivre à robinet.

J'ai gradué à l'avance cette cloche en volumes égaux de un dixième de litre. Les volumes comptés à partir du robinet étaient marqués par des traits à la lime tracés sur les parois de la cloche.

Les expériences étaient faites sur la cuve à eau du laboratoire de chimie du lycée. On remplissait d'abord la cloche entièrement d'eau ; il suffisait pour cela d'ouvrir le robinet et d'enfoncer la cloche sous l'eau. On fermait ensuite le robinet, on soulevait la cloche pleine et on la disposait sur la planchette de la cuve à eau.

L'expérimentateur prenait à la main un tube de verre recourbé légèrement à l'extrémité, pour souffler dans la cloche. Il aspirait d'abord le plus possible d'air et soufflait ensuite le plus possible, sans reprendre haleine.

L'air expiré allait prendre la place de l'eau dans la cloche. On mesurait le volume d'air expiré, ramené à la pression atmosphérique ; une simple lecture le faisait connaître.

La colonne 9 du tableau contient les résultats numériques obtenus pour chaque élève.


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Remarque. — Les expériences sur les volumes d'air expirés ont très-régulièrement marché. Les élèves avaient le droit de recommencer s'ils ne se trouvaient pas satisfaits de leur manière d'opérer. Ils m'ont paru donner tous la mesure du pouvoir de leurs poumons dans l'expiration.

La moyenne des volumes d'air expirés a été de 3 litres. La capacité moyenne des poumons étant de 4 litres, on peut donc en moyenne rejeter des poumons dans les grandes expirations un volume d'air égal aux trois quarts de la capacité des poumons.

V. — Détermination expérimentale du volume d'air introduit dans les poumons, dans les grandes aspirations.

Appareil. — La même cloche graduée a servi à faire les expériences. On adaptait à sa monture en cuivre un tube en caoutchouc muni d'un tube droit en verre.

La cloche était posée remplie d'air et ayant son robinet ouvert sur la planchette de la cuve à eau.

L'expérimentateur expulsait d'abord le plus possible d'air de ses poumons, puis, saisissant le tube en verre dans ses lèvres, il aspirait le plus possible, mais sans reprendre haleine, l'air de la cloche. La pression atmosphérique faisait remonter l'eau dans la cloche au fur et à mesure que l'air était aspiré.

Je suivais attentivement chaque expérience, la main sur le robinet, les yeux sur le niveau de l'eau qui s'élevait le long des parois de la cloche. Dès que le niveau cessait de s'élever, je fermais le robinet. Je ramenais ensuite l'air restant à la pression atmosphérique en enfonçant la cloche dans l'eau et je mesurais ce volume. Je le retranchais du volume total de la cloche et j'obtenais ainsi le volume d'air aspiré. Les résultats numériques de ces expériences sont inscrits dans la colonne 10.

Remarque. — Les expériences sur les grandes aspirations n'ont pas été aussi satisfaisantes que les expériences sur les grandes expirations. Elles étaient plus difficiles à faire pour les élèves ; ils ont souvent recommencé l'épreuve. Il en est résulté que les écarts ont été plus grands, et je pense que les nombres obtenus sont trop faibles dans un assez grand nombre de cas.


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Quoi qu'il en soit, le volume d'air aspiré est en moyenne 2 litres 43. On peut donc aspirer d'une seule fois un volume d'air plus grand que la moitié de la capacité moyenne des poumons.

VI. - Interprétation des résultats numériques des expériences.

A. — Comparaison du pouvoir des poumons dans les grandes expirations et dans les

grandes aspirations.

Dans chacune des 32 expériences le volume d'air expiré a été plus grand que le volume aspiré.

La colonne 11 contient les excès des volumes expirés sur les volumes aspirés.

Dans le plus grand nombre des cas l'excès est plus petit qu'un demi-litre ; dans trois cas seulement il dépasse un litre ; il est en moyenne de 0,6. En conséquence le plus grand volume d'air que les élèves ont pu expirer dépasse de l/5e le plus grand volume qu'ils ont pu aspirer.

Si on tient compte des difficultés qui se sont présentées dans les expériences sur l'aspiration, on voit que cet excès est probablement plus faible encore. Mais il est constant ; il est donc permis de conclure en général que l'homme peut, dans les grandes expirations, rejeter plus d'air de ses poumons qu'il ne peut en faire entrer dans les grandes aspirations. Il lui est plus difficile d'aspirer fortement que d'expirer fortement.

B. — Rapports des volumes d'air expiré et aspiré à la capacité moyenne des poumons. —

Puissance pulmonaire développée dans les grandes respirations

Pour comparer entre eux les résultats numériques obtenus pour chaque élève, j'ai calculé les rapports du volume expiré et du volume aspiré à la capacité moyenne des poumons calculée comme je l'ai dit au chapitre III et inscrite dans la colonne 8.

Ces rapports exprimés en centièmes sont inscrits dans la colonne 12 pour les expériences sur l'expiration; dans la colonne 13, pour les expériences sur l'aspiration. La colonne 14 contient les moyennes de ces rapports. La moyenne générale déduite des nombres de la colonne 14 est 68 p. %.

Cette moyenne exprime le rapport du volume d'air introduit


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et rejeté d'une seule fois dans les plus grandes respirations à la capacité moyenne des poumons, c'est-à-dire au volume occupé par l'air dans les poumons à l'état ordinaire, quand on respire sans efforts.

Enfin, dans une quinzième colonne, j'ai inscrit les écarts de cette moyenne (68 p. %) offerts dans chaque cas particulier. Dans trois cas seulement les écarts dépassent 10 p. % :

1° Le n° 28 s'est montré d'une faiblesse extrême dans l'aspiration et dans l'expiration ;

2° Le n° 24 a été très-faible également surtout dans l'aspiration ; cet élève paraissait très-gêné en aspirant;

3° Au contraire le n° 17, jeune homme de moyenne taille, mais de formes bien proportionnées, a fait preuve d'une vigueur exceptionnelle tant dans l'aspiration que dans l'expiration.

En général les rapports obtenus (colonne 14) ont varié de 60 à 75 p. %. Ces nombres mesurent comparativement la puissance pulmonaire des élèves qui ont pris part aux expériences. Ce ne sont pas toujours les élèves les plus grands, mais plutôt ceux dont le développement bien proportionné des membres et de la poitrine annoncent une constitution robuste qui ont manifesté la plus grande puissance pulmonaire.

Remarque. — Rapprochons ces résultats de ceux que donnent les respirations ordinaires.

Un homme dont la capacité pulmonaire est 4 litres 580, expire et aspire ordinairement 655 centimètres cubes, c'est-à-dire 15 p. % de la capacité pulmonaire. Dans les grandes respirations la proportion varie de 60 à 75 p. % suivant la force de l'individu ; c'est donc quatre à cinq fois plus d'air que nous expirons et que nous aspirons dans les grandes respirations que dans les respirations ordinaires.

C. — Mesure de la capacité des poumons, fondée sur les plus grands volumes d'air qu'on peut expirer.

Les résultats numériques des expériences sur les grandes expirations (colonne 9), comparés à la capacité des poumons à


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l'état ordinaire (colonne 8) donnent des rapports à peu près

constants, dont la moyenne est 75 p. % ou 3/4. On peut donc admettre, sans trop s'écarter de la vérité, que : « Le plus grand volume d'air qu'un homme peut expirer à la

« fois est les 3/4 du volume d'air contenu ordinairement dans ses

« poumons. »

Ce qui fournit une méthode expérimentale très-simple de mesurer la capacité des poumons.

On déterminerait par l'expérience le plus grand volume d'air qu'un homme peut expirer, en opérant comme il est dit au chapitre IV et en multipliant ce volume par -4 on obtiendrait le volume qui représente la capacité des poumons.

Si une partie des poumons n'était pas saine, si, dans cette partie les canaux aériens étaient obstrués ou refusaient leur service, le volume expiré serait d'autant moindre.

Ne pourrait-on pas d'après cela tirer de précieuses indications sur l'état sanitaire des poumons ?

Je soumets cette question à MM. les membres de la section de médecine de la Société.

CONCLUSIONS GÉNÉRALES :

1° Dans les plus grandes expirations, l'homme peut rejeter d'une seule fois les 3/4 environ du volume d'air qui se trouve ordinairement dans ses poumons ;

2° Les très-grandes aspirations sont plus difficiles à faire que les très-grandes expirations ;

Le plus grand volume d'air que l'homme puisse aspirer d'une seule fois est environ les 6/10es du volume d'air contenu ordinairement dans ses poumons ;

3° Les plus grands volumes d'air expirés et aspirés par l'homme, en respirant fortement, dépendent de la capacité de ses poumons, de sa force musculaire et probablement aussi de l'état sanitaire de ses poumons.


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RAPPORT, AU NOM DE LA SECTION DE MÉDECINE SUR LE MÉMOIRE CI - DESSUS ;

Par M. le Docteur GUÉRAULT.

Séance du 20 novembre 1863.

Les méthodes de mensuration extérieure de la cavité du thorax, destinées à en déterminer les dimensions anatomiques, et par suite à servir de base au calcul approximatif de la capacité des poumons et du volume d'air qu'ils peuvent contenir, ont toujours attiré l'attention des physiologistes et des médecins : elles constituent même une science spéciale, la spirométrie, qui a déjà fourni d'utiles déductions au double point de vue diagnostique et curatif. De tout temps oii a constaté chez les phthisiques une respiration très-courte, liée à une étroitesse de la poitrine très-notable et susceptible de s'accroître avec les progrès de la maladie ; depuis longtemps aussi, mais particulièrement dans ces dernières années, on a préconisé avec raison, comme un des moyens accessoires les plus importants dans le traitement de la tuberculisation pulmonaire, la pratique des grandes inspirations, sorte de gymnastique spéciale des organes respiratoires, qui tend à dilater graduellement le thorax et par suite à faire pénétrer l'air le plus largement et le plus profondément possible dans les vésicules du tissu pulmonaire, dont on se propose ainsi de combattre l'induration, l'atrophie et les dégénérescences.

C'est à cette partie intéressante de l'étude de la fonction respiratoire et des variations maximum et minimum de la capacité pulmonaire chez les différents individus, que se rapporte le travail consciencieux et remarquable dont notre collègue, M. le professeur Masure, a fait hommage à la Société.

On évalue généralement à quatre litres et demi le volume d'air contenu ordinairement dans les poumons de l'homme adulte, et l'on admet que dans les expirations et inspirations ordinaires, la septième partie de cette quantité d'air est rejetée dans le premier


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cas, absorbée dans le second. Les expériences de M. Masure ont eu pour but de déterminer quelles sont les plus grandes quantités d'air que l'on peut d'une seule fois faire entrer dans les poumons ou en faire sortir ; elles ont été faites avec le concours et la participation des trente-deux élèves âgés de 15 à 18 ans, qui suivaient en 1862 la classe de rhétorique au Lycée d'Orléans, et dont l'expérimentateur a noté avec le plus grand soin, dans des colonnes Spéciales des tableaux numériques qu'il a dressés à l'appui de son Mémoire, la constitution physique, l'âge, la taille, ainsi que toutes les données nécessaires à la détermination par le calcul algébrique du volume extérieur du thorax.

L'appareil employé par M. Masure est sensiblement analogue à celui que le physiologiste anglais, Hutchinson, a fait construire spécialement pour ce genre d'expériences, sous le nom de spiromètre, et qui a servi également à Donders, d'Edimbourg, et à Escricht, de Copenhague.

C'est une cloche en verre, renversée sur la cuve à eau du laboratoire de chimie, et dans laquelle on fait faire^aux sujets des inspirations ou expirations forcées, par l'intermédiaire d'un tube qui communique avec l'appareil. Les graduations inscrites sur la cloche correspondent à des volumes égaux d'un dixième de litre. Dans les expériences inspiratoires, la cloche est posée, pleine d'air, sur la planchette de la cuve à eau ; les expérimentateurs aspirent le plus longuement possible, par le tube ajusté au sommet de la cloche, l'air qui y est contenu ; la pression atmosphérique fait remonter l'eau dans la cloche, au fur et à mesure que l'air est aspiré. Dans les expériences expiratoires, on opère inversement; la cloche est remplie d'eau et disposée de même sur la cuve ; l'expérimentateur souffle, c'est-à-dire, expire l'air de ses poumons dans un tube de verre recourbé qui conduit cet air dans la cloche, au sommet de laquelle il va prendre place en déprimant l'eau d'une quantité proportionnelle au volume rejeté des poumons.

Telle est la méthode expérimentale très-simple qu'a employée M. Masure et par laquelle, ce qui nous semble ajouter beaucoup de mérite et d'originalité à son Mémoire, il est arrivé à très-peu


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de chose près, aux mêmes conclusions que les physiologistes distingués que nous avons nommés plus haut et dont il ne paraît pas avoir connu les travaux et les procédés. Les très-grandes inspirations ont été constamment plus difficiles à faire que les très-grandes expirations : le plus grand volume d'air que l'on puisse inspirer d'une seule fois, serait, en moyenne, d'après les expériences du Lycée d'Orléans, les six dixièmes du volume d'air normalement contenu dans les poumons ; dans les plus grandes expirations, d'autre part, l'on pourrait rejeter en moyenne les trois quarts de ce volume normal.

Nous n'avons pas besoin de faire longuement ressortir le haut intérêt scientifique et médical qui s'attache à ces recherches et à ces moyens de déterminer la capacité vitale moyenne des poumons. Il est facile de concevoir, comme le dit notre collègue, que si une partie des poumons n'était pas saine, si dans cette partie, les canaux aériens devenaient plus ou moins obstrués, le volume d'air général mis en circulation se trouverait et serait reconnu amoindri. La spirométrie pourrait donc être appelée à prendre une certaine importance en pathologie, si, définitivement constituée et appliquée d'après des principes plus fixes et des méthodes plus faciles, elle pouvait devenir un moyen usuel et pratique de faire connaître que les phénomènes de la respiration . ne s'accomplissent pas comme dans l'état normal, et par conséquent d'appeler l'attention du médecin sur l'état pathologique de la cage thoracique ou de l'appareil pulmonaire.

Le Mémoire savant et approfondi de M. Masure nous paraît marquer un progrès sensible dans cette voie intéressante, et nous sommes heureux d'être l'organe de votre section de médecine pour lui adresser ses remercîments.


— 200 — ANALYSE DES COMPTES-RENDUS DES SÉANCES DE L'ACADÉMIE DES

SCIENCES, DU 27 OCTOBRE AU 15 DÉCEMBRE 1862 INCLUSIVEMENT;

Présentée au nom de la Section des Sciences el Arts, par M. H. SAINJON.

Séance du 16 janvier 1863.

SOMMAIRE.

Le thallium et l'analyse spectrale. — Services rendus aux autres sciences par l'étude des phénomènes optiques. — Les huîlrières de l'île de Ré. — Les dissolvants de la soie. — L'ozone exhalé par les plantes. — Le siège de l'intelligence. — Action de l'émétine sur le système nerveux. — Travaux divers. — Les manuscrits de Lavoisier à la bibliothèque d'Orléans.

Nous sommes déjà un peu loin de l'époque où la découverte d'un nouveau corps simple était presque un événement pour la chimie moderne; aussi, le métal deviné par M. Crookes en Angleterre et isolé pour la première fois par M. Lamy en France, le thallium n'offrirait peut-être pas par lui-même, malgré ses caractères curieux, un intérêt très-grand s'il ne venait pas confirmer la fécondité des principes inaugurés tout récemment avec tant d'éclat par MM. Kirchhoff et Runsen. Nous demandons la permission de rappeler en quoi consistent ces principes.

Si l'on prend une flamme peu éclatante par elle-même et qu'on exalte le pouvoir émissif de cette flamme en y faisant volatiliser un métal quelconque, soit à l'état pur, soit à l'état de sel, la lumière qui en provient, décomposée par le prisme, fournit un spectre où apparaissent toujours à la même place les mêmes raies lumineuses, tant qu'on opère avec le même métal ; le nombre et la position de ces raies changent pour un autre métal, et quand on fait intervenir plusieurs métaux à la fois, on retrouve simplement superposées dans le spectre toutes les raies particulières à chaque métal. Citons : le sodium donne une bande lumineuse jaune; le potassium une bande rouge et une bande violette; l'argent plu-


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sieurs raies au milieu desquelles on remarque une bande écarlate. .

Si, au contraire, on fait traverser des vapeurs métalliques à la lumière émanant d'un foyer, ces vapeurs interceptent au passage, absorbent, en un mot, précisément les rayons lumineux qu'elles sont susceptibles d'émettre avec tant d'énergie quand elles sont elles-mêmes un foyer d'émission, et le spectre obtenu présente par conséquent des raies noires aux points où l'on avait obtenu des bandes brillantes dans le premier cas.

On comprend immédiatement qu'on a là deux manières de constater, par une analyse d'une nouvelle espèce, les traces des métaux qui peuvent se trouver dans les produits naturels, et cette méthode est d'une sensibilité dont n'approche pas l'analyse chimique ordinaire. L'expérience a démontré qu'il suffisait dans une salle de 1/300,000,000" de vapeur de chlorate de soude pour faire apparaître la raie caractéristique du sodium.

La découverte de MM. Kirchhoff et Bunsen a rendu immédiatement entre leurs mains de précieux résultats. Elle leur a donné la raison des raies obscures qui existent dans le spectre solaire et signalé la présence du sodium, du potassium, du calcium, du fer, du cuivre et du zinc dans l'atmosphère du soleil, et au contraire l'absence de l'alumine, de l'étain, du plomb, du mercure, de l'argent et de l'or. Elle leur a appris que, dans la lépidolite de Saxe et les eaux minérales de Leipsick, il devait y avoir un métal encore inconnu, reconnaissable à deux bandes rouges très-brillantes, et dans les eaux-mères de la Saline de Durkheim un autre métal signalé par deux bandes bleues très-fines et éclatantes ; ils se sont mis à l'oeuvre et ils sont en effet parvenus à isoler deux nouveaux métaux, auxquels ils ont donné des noms tirés de leur couleur spectrale, le rubidium et le caesium.

C'est de même une raie verte particulière produite par les résidus de certains séleniums, par des échantillons de soufre de Lipari et de pyrites d'Espagne, trouvée également avec les boues des chambres de plomb où l'on prépare l'acide sulfurique au moyen de pyrites de Belgique, qui a révélé l'existence du thallium, du grec Q«klu> (je verdis). C'est, comme nous l'avons déjà dit,


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M. Lamy qui l'a isolé le premier. Le thallium est un métal qui ressemble au plomb par son aspect physique et sa densité, il a même une densité un peu supérieure, mais que ses propriétés chimiques classent dans le groupe des métaux alcalins, tels que le sodium et le potassium.

L'analyse chimique par le spectre dont tout l'honneur revient à MM. Kirchhoff et Bunsen est une de ces découvertes vraiment merveilleuses qui ne surgissent qu'à de rares intervalles dans l'histoire de l'humanité. Mais ce n'est pas le seul service que l'étude des phénomènes optiques ait rendu aux autres sciences. Ainsi, suivant que la lumière envoyée par un corps est ou n'est pas polarisée, c'est-à-dire suivant qu'elle a perdu ou conservé la propriété de se transmettre, soit par réflexion, soit par réfraction, avec toute son intensité et sous toutes les incidences, on sait préjuger à distance l'état moléculaire du corps d'où proviennent les rayons lumineux et reconnaître s'il est à l'état de vapeur comme nos nuages, ou de gaz comme notre atmosphère. C'est de cette manière que le P. Secchi a pu constater sur la deuxième comète de 1862 que le noyau et les aigrettes vives qui s'échappaient de ce noyau par intermittences étaient de véritables vapeurs, tandis que la nébulosité qui entourait le noyau, les panaches et la queue formées aux dépens des aigrettes dont nous venons de parler, étaient à l'état gazeux (1).

C'est encore l'optique qui fournira le moyen de savoir un jour dans quelles conditions et à quelles températures se sont formées les roches les plus anciennes de notre globe. Voici, en effet, ce qu'annonce M. Descloiseaux :

(1) Le P. Secchi a joint à sa note d'intéressantes observations sur Mars. Les grandes taches blanches qu'on y observait en 1838, et qui n'étaient autre chose que des amas de glace ou de neige condensées pendant la saison d'hiver, étaient dissipées ou fondues au mois de novembre dernier, et la planète n'offrait plus que de beaux continents teintés en rose et sillonnés par des canaux bleus qui ne peuvent être que des mers et des fleuves. Notons en passant que Mars accomplit sa révolution autour du soleil en 687 jours, c'est-à-dire environ en 23 mois, et que par conséquent la durée des saisons y est à peu près double de celle des nôtres.


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On sait que certains cristaux jouissent de la propriété de doubler les images que l'on regarde par réfraction. Il y a toujours toutefois au moins une direction suivant laquelle il n'y a pas de double réfraction ; cette direction est ce que l'on appelle l'axe optique du cristal. Mais il y a des cristaux qui offrent deux de ces directions, et l'angle que forment alors entre eux les deux axes optiques a été jusqu'ici considéré comme toujours bien défini et par conséquent comme caractéristique pour chaque espèce - minérale. Les expériences les plus saillantes de M. Descloiseaux portent sur des feldspaths ; or, il a constaté que l'écartement des axes optiques de certaines variétés d'orthoses (silicates d'alumine et de potasse) varie lorsqu'on chauffe ces cristaux et revient à sa valeur première lorsqu'on les laisse refroidir. Si cependant on les chauffe au rouge sombre ou au rouge blanc, les axes optiques ne reviennent pas à leur position primitive, et la modification qu'ils subissent dans leur situation respective devient permanente. Au contraire, d'autres feldspaths à base de soude, l'albite et l'oligoclase, ou à base de chaux, le labradorite et l'anorthite, ne manifestent lorsqu'on les chauffe aucune variation dans leurs propriétés optiques. Il est donc naturel de supposer que ces feldspaths ont subi à un moment donné une température beaucoup plus élevée que ceux dont l'orthose est le type, et que les uns et les autres, malgré leur association accidentelle, n'ont pas été soumis dans la nature aux mêmes influences.

Au reste, le domaine de l'homme s'agrandit tous les jours aussi bien dans ce qui touche à ses besoins que dans l'ordre purement scientifique. Ainsi, à l'île de Ré, des terrains jusqu'ici improductifs se transforment en huîtrières sous l'impulsion donnée par M. Coste et deviennent pour la population une source inespérée de richesses. Depuis quatre ans, dirigés par M. Tayeau, commissaire de la marine, et par le docteur Kemmerer, les habitants sont occupés à purger leur plage boueuse des sédiments qui la vouaient à la stérilité et à couvrir leurs fonds nettoyés d'appareils collecteurs consistant en de simples brindilles de fagots, ou, suivant la méthode plus parfaite de M. Kemmerer, de tuiles enduites d'une. couche de mastic qu'on peut déta-


cher d'un seul morceau avec les huîtres qui s'y sont attachées. La semence amenée du large, mêlée à celle des sujets reproducteurs importés ou nés sur place, se dépose avec une telle profusion sur les collecteurs, que l'administration locale y compte au minimum en moyenne 72 millions d'huîtres d'un à quatre ans, presque toutes marchandes, et qui représentent, au prix de 25 à 30 fr. le mille, une valeur d'environ deux millions de francs. L'avenir de ces huîtrières est aujourd'hui assuré, car elles sont arrivées à l'état de reproduction, et leur existence n'est plus subordonnée aux gisements du large. L'expérience a d'ailleurs appris qu'il n'y a plus lieu de diviser les gisements d'huîtres en collecteurs ou en reproducteurs ; ils sont tous reproducteurs et ils retiennent ou laissent échapper la semence suivant qu'ils sont bien ou mal aménagés. Le naissain s'attache aussi bien dans les zones élevées que dans celles qui ne se découvrent jamais ; seulement il prospère moins bien dans les premières, parce qu'il y est trop exposé aux variations atmosphériques. Il suffira donc aux éleveurs de baisser le sol de manière à y conserver l'eau le plus longtemps possible pour que les jeunes sujets s'y développent convenablement et deviennent aussi reproducteurs que ceux des terrains constamment immergés.

M. Guérin-Menneville écrit de son côté que des métis des Bombyx de l'Ailante et du Ricin, qu'il a envoyés en 1861 à Montevideo, s'y sont admirablement comportés ; ils s'y sont montrés d'une rusticité remarquable, et on pourrait en espérer six ou sept récoltes par an. Le résultat annoncé par l'honorable sériciculteur serait d'autant plus précieux que le ricin croît spontanément à Montevideo dans toute espèce de terrain et y fait même le désespoir des cultivateurs. Si la soie doit entrer un jour, comme on peut l'espérer, dans la consommation publique, au même titre que le coton et la laine, elle deviendra, à supposer que les prédictions de M. Ozanam se réalisent, l'objet des applications les plus imprévues et les plus utiles. Au lieu de l'employer simplement à peu près comme le ver nous la livre, on arrivera peut-être, au lieu de la tisser, soit à la filer au moyen de filières de dimensions quelconques qui produiront des fils de toute


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longueur et de toute grosseur, soit à la couler immédiatement en étoffes ou en enduits. Il suffira pour cela d'imiter le procédé de la nature en rendant la soie liquide, comme elle l'est dans le ver, et capable de se concréter de nouveau par l'évaporation. Or, un grand pas a été déjà fait dans cette voie. Nonseulement on a trouvé des dissolvants de la soie, l'ammoniure de cuivre, le chlorure de zinc (1) ; mais encore, et c'est à M. Persoz fils qu'est dû ce résultat, on peut, en employant les procédés Graham, l'isoler de sa dissolution métallique, sous la forme d'un liquide incolore et limpide qui donne par l'évaporation un vernis couleur d'or. Le procédé Graham est fondé sur la résistance que les corps poreux opposent au passage de certains liquides, tandis qu'ils se laissent facilement traverser par d'autres. C'est ce qui arrive lorsqu'on plonge un vase de terre de pipe peu cuite dans une dissolution de chlorure de zinc et de soie ; le vase poreux se remplit du liquide qui contient la soie, tandis que le chlorure de zinc reste en dehors.

Lorsque des travaux plus complets auront fait passer le vernis de soie du laboratoire des chimistes dans l'atelier des manufacturiers, on pourra utiliser les soies vieilles et usées, les bourres, les cocons perforés par le papillon naissant, et probablement aussi les cocons de nos bombyx indigènes qu'on a négligés jusqu'ici à cause de leur grossièreté et de leurs imperfections.

Des questions d'hygiène ont été aussi portées devant l'Académie des sciences, on y a lu des fragments de Mémoires de M. Boudin sur le danger des mariages consanguins présentés comme une cause directe de surdi-mutité, sans qu'il soit possible d'attribuer à une prétendue hérédité morbide l'infirmité des enfants qui proviennent de ces mariages, et un extrait des travaux de M. Kosman, de Strasbourg, sur le rôle de l'Ozone.

En 1840, M. Schonbein professeur de chimie à Bâle, déjà

(Ij Nous ferons remarquer qu'au moyen de ces dissolvants ii devient facile de reconnaître immédiatement si une étoffe de soie est mélangée de colon ou de laine. Le procédé est simple et à la portée de tout le monde.

T. vu. 15


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connu par la découverte du coton-poudre, appela l'attention sur un état particulier de l'oxygène lorsque ce gaz est resté soumis pendant quelque temps à un courant électrique ou a été obtenu par la décomposition de l'eau au moyen de la pile. Il lui donna le nom d'ozone, du grec <&, (odeur), parce qu'alors il répand une odeur particulière, odeur analogue à celle du phosphore. L'ozone jouit de propriétés plus oxydantes que l'oxygène; on peut en citer un exemple : mis en présence de l'azote, il se combine directement à lui pour former de l'acide azotique ; mais il revient à l'état d'oxygène ordinaire lorsqu'on le chauffe à une température de 250 à 300 degrés, ou lorqu'on le soumet à l'action de réducteurs énergiques comme le charbon ou le soufre.

Les affinités énergiques de l'ozone ont été utilisées de la manière la plus heureuse par M. Schonbein pour révéler les moindres traces de sa présence ; un papier imprégné d'amidon et d'iodure de potassium bleuit au contact de l'ozone. La réaction est des plus simples : le potassium s'unit à l'ozone et laisse en liberté l'iode qui exerce sur l'amidon son action ordinaire et le colore en bleu. On se procure ainsi facilement un ozonoscope très-sensible, et, qu'on y joigne une échelle de tons commençant au blanc pur et finissant au bleu le plus intense que puisse produire l'iodure d'amidon, on aura de plus, en comparant aux tons de cette échelle la nuance obtenue sur le papier, un moyen d'apprécier la richesse en ozone d'un lieu donné.

Mis en présence d'un procédé d'investigations si simple, savants et amateurs se sont empressés partout de constater la présence de l'ozone, et on n'a pas tardé à attribuer à son plus ou moins d'abondance dans l'air que nous respirons la cause des épidémies qui viennent à certaines époques effrayer les populations. Il n'est pas encore permis de donner raison à ces vues plus ou moins ingénieuses ; mais, en attendant, les recherches continuent et chaque jour des faits nouveaux viennent s'enregistrer. Déjà, d'après les observations faites, il paraît qu'il se développe au printemps et en été plus d'ozone pendant le jour que pendant la nuit, tandis que. c'est l'inverse en automne et en hiver. Ce résultat doit-il être attribué à ce que ce sont les saisons où la végé-


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tation subit un temps d'arrêt? Les expériences de M. Kosman tendent à le faire supposer, s'il est vrai, comme il l'annonce, que l'oxygène dégagé pendant le jour du sein des feuilles et des parties vertes des plantes soit de l'oxygène ozonisé. On sait que cet oxygène est le produit de la décomposition de l'acide carbonique dont les végétaux s'assimilent le carbone, que cette action chimique s'arrête ou tout au moins s'amoindrit dans l'obscurité, que les fleurs se développent au dépens des sucs élaborés par les feuilles et ne dégagent pas d'oxygène ; aussi, comme on devait s'y attendre, M. Kosman a-t-il trouvé que c'est pendant le jour que les parties vertes produisent le plus d'ozone et que les corolles n'en donnent pas.

Cet observateur a aussi constaté d'autres faits non moins intéressants et dont on peut tirer les conséquences suivantes :*

Les plantes de la campagne dégagent plus d'ozone que celles des villes.

Dans la saison de la végétation, saison où il y a dans les campagnes plus d'ozone le jour que la nuit, la quantité d'ozone est tellement affaiblie dans les villes à population concentrée qu'elle y est moindre au contraire peudant le jour que pendant la nuit ; toutefois des plantations en quantité suffisante ont pour effet d'y diminuer l'excès de l'ozone de la nuit sur celui du jour ;

Enfin dans les chambres d'habitation, l'oxygène n'existe généralement pas à l'état ozonisé.

Si l'ozone joue dans notre hygiène un rôle bienfaisant, heureux donc les privilégiés qui peuvent se procurer les douceurs de la villégiature dans ces beaux mois de l'année où la végétation dans toute sa vigueur développe son maximum d'ozone ! Plus heureux encore ceux que leurs occupations si rudes qu'elles

soient, retiennent toute l'année au grand air Sua si bona

nôrint !

Il faut reconnaître que notre pauvre nature présente de singuliers contrastes; quelques atomes d'ozone de plus ou de moins dans l'air que nous respirons suffisent pour compromettre notre santé, et voici que M. Flourens vient démontrer que l'on peut sans danger, du moins pour la vie, introduire dans le cerveau


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Toutes ces curieuses expériences ont été entreprises dans le but de chercher le siège de l'intelligence; M. Flourens admet en dernière analyse que c'est le cerveau proprement dit, lobes et hémisphères cérébraux, et le cerveau proprement dit tout seul. Arrivera-t-on dans l'avenir, par des procédés d'investigation analogues, à faire chez l'homme la part de cette sorte d'intelligence toute physique que les animaux possèdent, à degrés divers, en commun avec lui et de cette autre intelligence qu'on peut par opposition appeler métaphysique et qui est l'attribut spécial de l'âme ? Ce serait certes un beau jour que celui où i'anatomie ne permettrait plus à l'homme de douter de la place spéciale qui lui a été attribuée dans la création.

M. G. Pécholier a étudié , mais à un autre point de vue, l'action de l'émétine, principe actif de l'ipécacuanha, sur le système nerveux. Il a choisi pour ses expériences le lapin et la grenouille, parce qu'ils ne vomissent pas et que dès lors on peut suivre sur eux les effets de l'émétine introduite dans le torrent de la circulation. Il a constaté un amoindrissement de l'activité du système nerveux qui se traduit par la paralysie des nerfs


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sensitifs, tandis que la motricité nerveuse est en partie conservée et la contractilité musculaire seulement affaiblie.

Les comptes-rendus de l'Académie des sciences contiennent encore des travaux intéressants parmi lesquels nous signalerons :

Plusieurs rapports sur l'emploi de l'acide sulfureux pour l'épuration du sucre, qui parait avoir donné d'excellents résultats ;

Des recherches de M. Hoffmann sur les belles matières colorantes, rouges, jaunes et bleues, dérivées de l'aniline qu'on emploie aujourd'hui en teinture et qui proviennent du goudron de houille, et aussi sur la cyanine ou bleu obtenu des alcaloïdes de l'écorce du quinquina ;

Une détermination directe de la vitesse de la lumière au moyen d'un appareil inventé par l'infatigable M. Léon Foucault ; il a trouvé une vitesse de 290,000 kilomètres par seconde, chiffre très-voisin de celui de 310,000 kilomètres que donne un calcul astronomique très-simple basé sur l'observation des éclipses des satellites de Jupiter ;

Une note sur les fouilles faites à Paris, où M. E. Robert établit qu'il y avait sur l'emplacement du Luxembourg, à l'époque gallo-romaine, une fabrique d'instruments à vent semblables à des flûtes ou à des sifflets, que l'on confectionnait avec les extrémités articulaires des os métacarpiens et métartarsiens du boeuf et du cheval convenablement sciés et perforés.

Nous ne terminerons pas cette analyse plus ou moins rapide des séances de l'Académie sans dire quelques mots d'un sujet qui a appelé votre attention, dans l'une de vos dernières séances.

L'intéressant travail de notre savant collègue, M. Loiseleur, sur les manuscrits de Lavoisier qui existent à la bibliothèque d'Orléans et qui ont trait à l'assemblée provinciale de l'Orléanais tenue en 1787, avait suggéré à un autre de nos collègues la pensée que nous pourrions prendre l'initiative de la publication de ces mémoires inédits. On a répondu que M. Dumas était déjà chargé par l'Académie de publier les oeuvres de Lavoisier, et qu'il n'y avait dès lors pas lieu, du moins pour le moment, de nous occuper de cette question.

Voici en effet ce que M. Dumas a répondu, dans la séance


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du 10 novembre 1862, à M. Becquerel, qui venait de signaler les travaux de M. Loiseleur et de demander l'impression des manuscrits de Lavoisier :

« Les oeuvres de Lavoisier, que je suis chargé de

« publier, ne donneraient, je l'ai toujours pensé, qu'une idée in« complète de son activité, si on en retranchait tout ce qui « concerne l'administration ou l'économie politique ; car il ne « fut pas seulement un grand chimiste, mais aussi, tout le « monde le sait bien, un administrateur éminent que l'infortuné « Louis XVI avait appelé au ministère des finances. En ce genre, « ses écrits sont si nombreux pourtant qu'il faudra choisir, lais« sant de côté ce qui fut local et temporaire pour conserver ce « qui, étant d'intérêt durable et général, peut toucher à l'his« toire.

« J'avais présumé, il y a seize ans, après un examen sommaire « mais attentif, qu'un volume de Mélanges et de Correspondance « devait être consacré à faire connaître tout ce qu'il y avait de « vaste dans l'esprit de Lavoisier. Je pense toujours qu'il ne conte vient pas d'aller plus loin. Recueillir avec respect ce qu'il avait « jugé lui-même digne d'être imprimé, choisir avec circonspecte tion et après avoir pris l'avis des hommes compétents toute« fois, parmi les autres documents en très-grand nombre que je v possède ou que je connais, ceux qui peuvent figurer à côté de « son classique ouvrage sur la richesse territoriale de France, « telle était ma pensée et je m'y maintiens.

« Les dépôts de Blois et d'Orléans seront donc conférés, mais « en temps utile, avec les pièces analogues que j'ai réunies pour « le volume des Mélanges qui sera mis sous presse dans deux « ans, et alors je ne manquerai pas de reprendre la note de « notre confrère et de lui donner l'attention qu'elle mérite. »


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NOTICE SUR FRANÇOIS CKEVILLARD, Par M. G. BAGUENAULT DE VIÉVIIAE.

Séance du 20 février 1863.

Combien y a-t-il de personnes en France, même parmi les lettrées, qui connaissent, je ne dirai pas les oeuvres, mais le nom du poète François Chevillard ? Combien y en a-t-il à Orléans, sa ville natale, qui aient lu sa tragédie de la Mort de Théandre ?

Et pourtant cette pièce eut dans son temps un succès dont ne peuvent se glorifier des ouvrages bien plus célèbres ; publiée à Orléans en 1649 par Gilles Hotot, elle fut réimprimée à Rennes en. 1685 par Vincent Poisson ; elle a eu quatre éditions successives à Roueii : l'une sans date, les autres chez Nie. Besongne en 1694, 1701 et 1704. Elle parut à Caen en 1699, chez J.-J. Godes, et à Paris à peu près vers la même époque.

Malgré toutes ces éditions, cette tragédie se trouve difficilement aujourd'hui, et l'on cite les cabinets d'érudits qui la possèdent; il y a peu d'années un exemplaire modestement relié s'est encore adjugé pour 18 fr. à la vente Grattet-Duplessis.

D'où lui vient donc cette célébrité ? Faut-il l'attribuer à son mérite littéraire? Bien que concitoyen de l'auteur, nous n'oserions le soutenir. Est-ce un de ces monuments qui signalent le berceau de l'art dramatique en France ? A l'époque où elle parut, des chefs-d'oeuvre de la scène française avaient déjà formé le goût du public et immortalisé le nom de Pierre Corneille; si ce n'est par les grands effets et la contexture du drame, peut-être se distingue-t-elle par la pureté, la noblesse, la correction du style? Bien loin de là ; le style est d'une simplicité qui approche de la platitude, ou d'une naïveté qui touche au burlesque : c'est même cette naïveté excessive, ce sans-gêne littéraire qui en font l'originalité et qui en ont probablement déterminé le succès.

Ainsi donc, il estbien reconnu et nous sommes avertis qu'il n'y


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a dans le drame ni plan, ni règle, ni style, ni aucune espèce d'art, et l'auteur a la bonne foi d'en convenir.

« Si vous remarquez quelques fautes contre les règles ordi« naires de la tragédie, nous dit-il, soit l'inégale quantité des « vers aux actes, soit le défaut de transition aux scènes, soit l'ex« cessive pluralité des personnages, ou bien l'impolitesse du dis« cours, je vous prie de croire que mon peu d'expérience et « d'étude touchant la tragédie en est la cause. »

Bien plus, cette absence de plan et de règles dans un tel sujet est chez lui l'effet d'un calcul, et même d'un point de conscience, écoutez-le : « Je n'ai pas cru manquer en conformant le plus que « je pouvais la copie à l'original, car dans l'action même que je « ne fais que représenter simplement (le jugement de l'homme« Dieu) on n'observa jamais ni ordre, ni règle de justice, le tout « y étant perverti et eorrompu. »

Ainsi donc, il s'est étudié à mettre dans l'exécution de son oeuvre la plus grande conformité avec le sujet qu'il traite ; la condamnation de Jésus-Christ est irrégulière et absurde, le drame de l'auteur doit être absurde et irrégulier. Il n'y a rien à répondre à une si puissante logique.

Pour nous, que cette dernière raison ne frappe pas aussi vivement, nous nous contenterons d'accueillir la première donnée par l'auteur, à savoir son peu d'expérience et d'étude touchant la tragédie, ce que du reste son éducation et son genre de vie expliquent naturellement.

Né au commencement du xvne siècle, dans une humble condition, fils d'un pauvre tisserand, la piété de sa famille mérita qu'on le fit placer comme enfant de choeur dans l'église cathédrale de Sainte-Croix; là, son heureux caractère et la régularité de sa conduite lui attirèrent les bonnes grâces du chapitre qui le mit en état de faire ses humanités, à la suite desquelles il étudia la théologie ; et il fit preuve dans cette science de tant d'application et de zèle, que ses supérieurs l'engagèrent à embrasser la prêtrise. Une fois dans les ordres, ses protecteurs ne l'abandonnèrent point et lui firent avoir en 1639 une des deux prébendes canonicales desservies à Saint-Mamert; bientôt après il fut pourvu de la cure


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de Saint-Germain à Orléans, qu'il garda assez longtemps, et qu'il ne laissa que pour eu accepter une meilleure qui lui fut donnée en Bretagne. Plus tard, le nonce du pape Rasconi, qui s'était retiré à Orléans lors des troubles de Paris, et qui avait admiré la piété de Ghevillard, lui fit avoir la place d'économe à l'abbaye de Cléracprès Agen, dont les revenus sont annexés au chapitre de Saint-Jean-de-Latran, à Rome.

Dans cette vie exclusivement consacrée à la retraite et à la religion, il négligea naturellement l'étude delà littérature profane pour se livrer plus particulièrement à la polémique sacrée, mais sans renoncer toutefois à quelques travaux littéraires qui lui furent inspirés par la reconnaissance, ou par des pensées d'édification ; c'est ainsi qu'il publia en 1646 les Portraits parlants ou tableaux animés, ouvrage qui se compose d'abord d'hymnes sacrés latins et français, puis de plusieurs pièces sur des sujets tirés du Nouveau-Testament, tels que la Naissance de Jésus-Christ, le Massacre des Innocents, la Circoncision, l'Epiphanie, la Fuite en Egypte, etc., enfin d'une suite de pièces anagrammaliques en l'honneur de tous les chanoines de l'Eglise d'Orléans, ses maîtres et ses bienfaiteurs.

On sait que le talent de l'anagrammatiste consistait à torturer un nom en disposant toutes les lettres dont il se compose de manière a en tirer un sens quelconque qu'on rapportaità une personne désignée ; c'est un jeu d'esprit qui plaisait fort à nos pères ; Chevillard n'est pas très-bien inspiré dans l'application de ce procédé au nom des chanoines de la ville ; il ne trouve pour les flatter que des phrases telles que Casaque d'or massif, Jardin réparé, Tire Ambroisie, etc., une seule est heureuse, celle qui regarde Antoine Beschelande, d'où il tire : Chanoine trèsaimable^).

(1) Chevillard méritait bien qu'on lui rendît le même honneur; aussi ses admirateurs et ses amis parvinrent à sortir de son nom : Celui la fait Ronsard ;ce qui dut le flatter infiniment, bien qu'à celle époque les renommées de Malherbe, de Rotrou et du grand Corneille fissent pâlir celle du poète Vendômois.


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La modestie de notre auteur ne se démentit jamais ; il s'abusait peu sur la valeur de ses écrits poétiques, et en faisant hommage de son livre aux chanoines de la cathédrale, il leur dit :

« Mettez à couvert ce mien petit travail, le recevant bénignece ment et le considérant non pas comme chose digne de votre te grandeur, mais bien comme effet de mon petit pouvoir ; et si te vous le jugez indigne de porter le nom de poésie et de vous, et donnez lui, s'il vous plaît, celui de Rhymes ou de Chevilles qui ce lui conviendra beaucoup mieux, puisque celui qui vous le met « au jour se dit, Messieurs, votre très-humble et très-obéissant te serviteur,

te CHEVILLARD. »

Il en faisait, comme nous voyons, trop bon marché pour qu'on ait le coeur de les lui reprocher.

Tout en se livrant à la poésie il ne renonçait pas à la prose, et quand il louait si volontiers les chanoines de Sainte-Croix, ne devait-il pas rendre un hommage encore plus haut à son évêque? aussi ne manqua-t-il pas de célébrer dignement l'entrée de Monseigneur Alphonse d'Elbène dans sa ville épiscopale ; rien n'avait troublé la cérémonie, tout s'était passé dans un ordre parfait, rien ne gênera donc la liberté de son allure, il peut déployer tous ses moyens et donner carrière à ses sentiments, à son éloquence, à sa noblesse d'expressions. Voici son début :

te L'arbitre de nos jours, l'ouvrier et la ruine des choses, le <e temps, avait déjà noué le quarante-septième cercle après mil et te six cents de cette chaîne d'or qui tient les siècles attachés, deee puis que le Théandre, l'ange du conseil et du testament, lesoute verain pontife et le premier évêque vint faire son entrée au te monde, quand Orléans, après une ennuyeuse attente reçut deet dans son sein avec le grand Alphonse un prélat vénérable, « un digne successeur de tant de saincts, et l'ange tutélaire que te Dieu détachait de sa cour, etc., etc. »

Le reste est sur le même ton, et pour que cet ouvrage pût édifier tous les catholiques, il le fit paraître dans les quatre langues française, latine, italienne et espagnole.


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Quelques années après, un des pieux chanoines qu'il avait déjà glorifié dans ses Portraits parlants étant venu à mourir, il composa en son honneur une pièce de vers intitulée :

Epitaphe du Révérend Père en Dieu- Michel Lefebvre, docteur et compagnon de Sorbonne, Théologal et chanoine de l'Eglise d'Orléans.

Mais cette epitaphe n'a pas la concision du style lapidaire, elle n'a pas moins de deux cent vingt vers dans lesquels il met en relief toutes les vertus du bon prêtre: c'est ainsi que pour vanter son humilité il rappelle que :

« Il a fait mille fois ce qu'un bedeau méprise, « II a chassé les chiens mille fois de l'Eglise, ee Et ne se souvenant du rang qu'il y tenoit, et On le voyait souffrir quand il s'en abstenoit. *

Suivent des vers de la même force parmi lesquels toutefois nous en trouvons deux meilleurs, qui pouvaient tenir lieu de tous les autres, qui suffisaient, il nous semble, à louer dignement le saint personnage, et qu'on pouvait même facilement graver sur sa tombe.

Passant il a vécu : toi commence aujourd'hui Si tu veux bien mourir à vivre comme lui.

Chevillard ne se contenta pas d'édifier, il voulait encore instruire ; c'est dans ce but qu'il composa un ouvrage fort étendu qu'il intitula : Le petit tout, et que ses envieux (qui n'en a pas ?) appelèrent : Le grand rien. L'auteur en s'adressant au lecteur, son frère et son prochain, a quelque prétention de l'initier à la science universelle en ce qui regarde son corps, son âme et sa béatitude avenir, mais il ne l'initie qu'imparfaitement aux règles de la grammaire ; selon son habitude il l'avertit d'avance des défauts de son oeuvre : « Le style, lui dit-il, en est succinct et te laconique, en partie scholastique et en partie positif ; s'il y a te quelques termes rudes et qui semblent barbares, je suppose te que tu sois philosophe, ou naturellement, ou par étude, ainsi te tu les sauras bien digérer. »


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Pour donner au complet la liste des oeuvres de Chevillard, nous mentionnerons encore une Controverse touchant la perpétuité de la foi sur le mystère de l'Eucharistie, in-8°, qui fut son dernier ouvrage.

Notre poète parcourut donc une carrière laborieuse et sanctifiée par les plus pures intentions, toujours avec un parfait désintéressement ; car dans ses dédicaces il n'a nullement en vue de flatter les grands de la terre et de se faire des protecteurs dans cette vie ; il dédie sa tragédie de la Mort de Théandre aux âmes pieuses qu'il appelle mes soeurs ; la troisième partie des Portraits parlants, celle qu'il écrivit en l'honneur des chanoines d'Orléans est dédiée à Jésus-Christ, premier chanoine ; enfin le Petit tout est dédié au Père éternel dans une pièce de vers de seize dizains où il lui dit entr'autres choses :

Permettez, grand original,

G'est-à-dire principe et origine de toutes choses.

Permettez, grand original, Que le moindre de vos ouvrages Vienne baiser le pied de votre tribunal.

Recevez ce petit volume

(Le petit volume comprend trois in-quarto de chacun 600 pages).

Et ce mélange de discours Dont vous avez tracé le cours, Et voulez honorer ma plume. Etc.

Mais il est temps de revenir à la tragédie pour laquelle nous avons esquissé cette notice; cette pièce est donc composée dans un système d'affranchissement de toute règle ; bien que la langue soit déjà formée, elle nous fait reculer pour le style et la conception du drame jusqu'au temps des mystères; malgré la gravité du sujet, la familiarité du langage et du dialogue y excitent souvent le sourire; elle est donc récréative à lire, avantage que ne possèdent pas beaucoup de pièces qui valent infiniment mieux


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qu'elle. Elle est surtout curieuse par le parti que l'auteur tire de plusieurs passages du Nouveau-Testament, et par l'application qu'il en fait dans certaines scènes où il retourne contre Jésus-Christ les miracles qu'il a opérés. Ainsi quand le peuple amène Jésus devant Caïphe, celui-ci reçoit la déposition des témoins qui viennent tour-à-tour exposer les griefs qu'ils ont à lui reprocher ; l'un d'eux commence ainsi :

J'avais un beau troupeau, car j'étais riche alors, Composé, sous respect, de trente jeunes porcs, Etc.

Et il se plaint de ce que Jésus fit entrer les démons des possédés dans le corps de ces animaux, et fut cause de ce qu'ils se jetèrent dans la mer.

Un autre se plaint d'avoir été chassé du Temple avec toutes ses marchandises, et du dommage qu'il en a éprouvé.

Un troisième, de ce que l'accusé a desséché un superbe figuier qu'il possédait.

Un laboureur enfin lui reproche d'avoir

Fait tomber sur son champ une telle tempête, Que ses pauvres épis en perdirent la tête, Etc., etc.

Nous pourrions citer beaucoup de passages de ce genre, mais nous préférons laisser le lecteur les trouver lui-même. Le bon chanoine n'y voyait aucun motif de ridicule, il les écrivait dans toute la naïveté de sou âme, et c'est, je le répète, cette bonne foi qui fit la fortune de sa pièce et qui la fait encore rechercher aujourd'hui. Il ne poursuivait pas la renommée, il ne voyait à traiter qu'un sujet d'édification, et ne s'apercevait pas que le ridicule attaché à la forme perdait le fruit des graves enseignements du fond.

François Chevillard mourut à un âge assez avancé, en 1678, à Bourg-la-Reine, dans un voyage qu'il faisait à Paris. Nous aimons à croire qu'il y allait pour faire amende honorable auprès de Despréaux, qui venait de publier son Art poétique où il établissait des règles dont notre auteur s'était constamment affranchi.


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Nous terminerons cette notice par une courte considération. Lorsqu'à la fin du xvne siècle, au moment où les lettres brillaient en France de leur plus vif éclat, il a été fait huit éditions d'un ouvrage, ne faut-il pas que cet ouvrage excite, en dehors de tout mérite littéraire, un certain intérêt, ne fût-ce que de curiosité?— Pourquoi serions-nous plus difficiles aujourd'hui qu'on ne l'était alors? Sommes-nous tellement inondés de chefs-d'oeuvre, que nous dédaignions de regarder les essais de nos pères ? Faisons donc revivre nos vieux poëmcs, si ce n'est comme des modèles, au moins comme des monuments propres à éclairer les origines de notre littérature. Combien de livres anciens se réimpriment de nos jours qui ne valent guère mieux, littérairement parlant, que ceux de Chevillard, lui sont bien inférieurs sous le rapport moral et n'ont souvent d'attrait que par la licence des pensées et la crudité du langage. Rendons donc ce vieux poëme à la ville qui lui a donné naissance, et si le bon goût en souffre quelque peu, nous aurons fait au moins acte de justice et de patriotisme.

RAPPORT, AU NOM DE LA SECTION DES BELLES-LETTRES, SUR

LA NOTICE PRÉCÉDENTE;

PAR M. DUPUIS.

Séance du 3 juillet 1863.

Notre collègue M. Baguenault, poursuivant ses recherches sur les poètes Orléanais, vous a lu dernièrement une notice sur François Chevillard, chanoine de l'église d'Orléans. C'est un poète assez ignoré, il faut l'avouer, mais dont l'oeuvre principale, La mort de Théandre, est plus connue peut-être qu'on ne le pense : car il n'est aucun de nous qui n'ait vu, jadis au moins, sur le théâtre de la foire la passion de N.-S. Jésus-Christ, jouée par les grandes marionnettes de bois; eh bien ! circonstance, qui a échappé à M. Baguenault, cette pièce n'est autre chose que la tragédie de François Chevillard mutilée, il est vrai, et défigurée, si tant est que l'on puisse défigurer la poésie de Chevillard. Ce n'est


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pas toutefois qu'il n'y règne un ton de simplicité qui a son charme, et si la naïveté y descend souvent jusqu'à une familiarité ridicule, on se voit désarmé par la bonne foi et le sentiment de piété véritable dont on sent que l'auteur est animé. Le style ne manque pas même de temps à autre d'une certaine élégance, et dans les monologues qui, suivant l'usage du temps, sont en stances régulières, il règne un nombre et une cadence qui révèlent l'habileté du versificateur.

Après avoir analysé la tragédie de Chevillard, et fait remarquer la scène fort originale où quelques miracles du Christ sont tournés contre lui par les témoins entendus devant Caïphe, M. Baguenault passe en revue et juge rapidement ses autres poésies, stances religieuses inspirées beaucoup plus par la piété que par la muse, anagrammes où les mots et la raison sont également torturés, et il arrive à un ouvrage en prose de très-longue haleine qui ne se compose pas moins de deux gros volumes in-quarto, et auquel l'auteur a donné, soit par modestie, soit par prétention, le titre singulier de Petit tout.

C'est une sorte d'encyclopédie, où l'auteur prend à tâche, dans un but religieux, de faire connaître à l'homme ce qu'il doit savoir sur Dieu, sur l'église, sur le monde, sur lui-même, et où chemin faisant se rencontre une foule de notions sur les sciences, les arts et trop souvent sur les préjugés et les erreurs qui avaient cours encore à l'époque où cet ouvrage a été écrit.

A ce titre au moins il est curieux : permettez-nous de vous parler quelques instants du plan général et de certains détails de cet ouvrage.

Le premier traité se rapporte à la foi, explique son objet, sa nécessité, montre la divinité de l'Eglise et son infaillibilité.

Au deuxième, l'auteur parle de Dieu, de son existence, de ses perfections, de la grâce, de la prédestination, du salut et de la réprobation.

Le troisième est consacré à la Trinité.

Ces principes fondamentaux posés, l'auteur s'occupe de la durée qui est encore l'image de Dieu, du temps, ce fragment de


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l'éternité, de ses divisions, le siècle, l'année, la semaine, le jour et des diverses manières de le compter.

Puis s'occupant de l'ouvrage de Dieu hors de lui-même et dans le temps, il parle du monde en général, ce qui dans son idée ne s'étend pas au delà de notre terre et de ce qui s'y rapporte ; et à ce propos, il traite des anges et des démons, s'occupe de l'origine de ce monde, du ciel qui, dit-il, est solide en toute sa partie supérieure, comme la superficie d'un fleuve glacé te pourquoi il te se nomme firmament : dans sa partie inférieure, il est tout te fluide comme le fond d'une rivière gelée à sa surface, à la réte serve de sept pièces qui sont les sept planètes, lesquelles ee étant solides sont toujours errant et vagant comme des poistt sons dans la mer ou des oiseaux dans l'air, en haut, en bas, à « droite, à gauche, se rencontrant et se croisant, s'éloignant et se te rapprochant les unes des autres dans le milieu du ciel. »

Il établit ensuite que le ciel est un corps naturel et corruptible, et la preuve assurée qu'il en apporte, c'est qu'il s'y engendre souvent entre les planètes, des corps de feu qu'on appelle comètes.

A propos des planètes, il parle du son que rend chacune d'elles dans l'harmonie céleste, des métaux qu'elles engendrent au sein de la terre, des diverses parties du corps humain sur lesquelles elles influent.'

Delà à l'astrologie il n'y a qu'un pas. Aussi l'auteur traite-t-il ensuite de l'influence des astres sur la destinée humaine. « Les te anciens philosophes, dit-il, ont fait un art qu'ils appellent faste trologie naturelle qui est le moyen d'acquérir certaines con« naissances par l'inspection du rencontre des astres ; ils en ont te fait des règles qu'ils disent certaines et infaillibles : pour dire et le vrai, tout cela n'est que pure vanité, sottise et imperti« nence. »

Qui ne croirait d'après cela, que Chevillard rejette bien loin tout pouvoir des constellations ; mais il se hâte d'ajouter : te II est te vrai que les influences célestes ont quelque pouvoir sur nos te corps immédiatement, et par le moyen de nos corps sur nos « esprits, jusque sur la partie la plus libre de notre âme qui est


— 221 — ee la volonté, laquelle ils peuvent incliner à quelque chose sans la te pouvoir contraindre à la violenter ni même la nécessiter. » Il admet donc que ce que l'influence céleste ne saurait faire directement, elle peut parvenir à l'opérer indirectement.

Aussi, bien qrêil y mette quelque réserve et quelques correctifs, il explique longuement quelles sont les qualités physiques et morales que les hommes peuvent recevoir de l'influence des différents signes du zodiaque ; quels sont ceux qui font les blonds, les noirs et les roux, les maigres et les gras, les courageux et les lâches, les beaux ou les chassieux, les menteurs ou ceux d'un commerce assuré ; quel signe promet des dignités dans l'église, la robe ou la finance ; quel astre crée les hermaphrodites ; quel rend la production difforme par la tête, le bras droit ou le pied gauche ; quel rend éloquent ou stupide ou mêlant son discours de quelques pointes jolies.

L'auteur, par une transition qui lui semble toute naturelle, passe de l'astrologie à la musique, qu'il considère d'abord du point de vue le plus élevé, ee En effet, dit-il, tout l'univers est un « grand concours de musique, mêlé de consonnances et de diste sonances. Il se compose de trois choeurs dont le plus gros est te la nature, le second la politique, et le troisième la morale, ee desquels l'admirable cadence suit le poids et la juste mesure te de la providence divine.

te Reste encore, dit-il plus loin, un troisième monde dans la te nature naturée, c'est le monde idéal, le conclave de la divinité : te j'entends là un concert et une mélodie que jamais oreille n'a te entendus; c'est un divin trio, c'est une concordance admirable, te trois y font la même partie et les trois parties font à l'unisson te toutes les consonnances. Le père comme principe des autres ee personnes, produit son fils par la parole et cette production te étant justement d'un à deux donne la juste octave. Le père et te le fils comme un seul principe spirent le Saint-Esprit, et celte te proportion, étant de deux à trois, la fait la quinte parfaite, ee Ainsi la sainte Trinité fait un parfait diapason qui comprend et tout et dans lequel sont renfermées les consonnances très-parte faites de la musique.

T. vu. 16


L'auteur ensuite explique comme quoi les planètes, dans leur course, rendent des accords éternels.

ee La terre fait un ton depuis elle jusqu'à la sphère de la Lune: te delà Lune jusqu'à Mercure, demi-ton ; demi-ton depuis Merce cure jusqu'à Vénus'; depuis Vénus jusqu'au soleil trois-quarts te de ton, du Soleil à Mars, un ton; depuis Mars jusqu'à Jupiter, te un demi-ton ; de Jupiter jusqu'à Saturne, un autre demi-ton, ee et de Saturne jusqu'au firmament, trois-quarts de ton, reve« nant le tout à six tons moins un comma, qui font justement le ee diapason selon Aritoxine, Pline et les bons musiciens.

C'est, comme on voit, la gamme complète à peu de chose près, gamme, dit-il encore, où Vénus donne le ré, Mars fait le mi, Jupiter le sol, et ainsi de suite.

Redescendant de ces hauteurs à la musique terrestre, Chevillard donne sur le mélange des sons et sur l'harmonie, des notions pratiques et des explications détaillées, qui seraient, il faut l'avouer, peu goûtées aujourd'hui.

Puis, dans son désir de tout ramener à un seul principe, il assimile les perceptions des autres sons à celles de l'ouïe par la musique, et dresse avec des proportions rigoureuses une échelle des couleurs, devançant ainsi le clavier du P. Castel, une échelle des odeurs, des saveurs et des nuances, des impressions qui peuvent affecter le toucher.

Ce n'est pas, comme on le voit l'imagination qui fait défaut à l'auteur du Petit tout.

Il traite ensuite de la lumière et des couleurs, des éléments, de la division de la terre et de la géographie des météores, des minéraux.

Cela le conduit à l'histoire de l'homme : il explique la structure de son corps, l'usage de ses^ens, l'auteur y révèle des connaissances assez étendues en anatomie et dont quelques-unes même semblent assez extraordinaires de la part du bon chanoine.

Le corps une fois connu, suit l'étude de l'âme. Ce qu'il entend par l'âme, c'est le principe de la vie partout où elle se trouve; il en distingue de trois sortes; l'âme végétative qui fait vivre la plante ; l'âme sensitive qui donne le sentiment aux animaux ;


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l'âme raisonnable qui, outre ces choses, y ajoute pour l'homme le raisonnement. C'est surtout cette dernière qu'il étudie et il se livre sur l'entendement et la volonté, sur la mémoire et les passions à des appréciations que la psychologie de notre siècle trouveraient probablement fort peu satisfaisantes.

Il s'occupe assez longuement des animaux et de leurs habitudes, des plantes et de leur utilité. L'étude des maladies vient après celle des remèdes qui les guérissent, celle de la pharmacie et de la chimie qui est pour lui l'art de dissoudre les corps mixtes naturels et de les épaissir et coaguler étant dissous, et dont la fin est double : l'une la transmutation des métaux dont il ne prétend pas parler, l'autre la préparation des médicaments.

La chimie, vous le voyez, a depuis lors bien gagné en importance et en dignité. Ce n'est pas cependant que notre auteur ne la traite comme une science de conséquence. Voici en effet ce qu'il en dit :

ce Toute la nature ne travaille qu'à la chimie. Cette machine te ronde de l'univers en est le fourneau, la zone torride le foyer, te le soleil le feu, les zones tempérées le laboratoire, les zones te froides les réfrigératifs, si nous n'aimons mieux dire et plus te proprement que l'air et ses diverses régions sont les lieux et « comme les vases où la nature exerce son ouvrage duquel l'eau ce et la terre fournissent la matière et dont les effet sont ce que te nous appelons les météores, etc. »

Après avoir ainsi parcouru le cercle des connaissances qu'il croit utile à l'homme de posséder, l'auteur cherche à en faire l'application et il annonce qu'il va chercher à quelle fin l'homme est destiné. Il s'occupe de la gloire éternelle à laquelle nous devons tendre à arriver et des moyens nécessaires pour y parvenir.

Il remonte à la création, au péché originel, il traite du mal, des vices et du remède qu'on doit y apporter. Il prend le monde à sa naissance et en fait l'histoire qui n'est guère que celle des Juifs et de l'Église catholique. Il consacre un chapitre entier à l'Église gallicane, dont il parle avec indépendance et modération.

Tel est ce livre qui bien que contenant une foule de choses, est loin de justifier son titre et d'être une véritable encyclopédie.


— 224 — Bien que les connaissances s'y trouvent accumulées dans un certain désordre et forment une sorte de chaos, l'auteur n'en suit pas moins la ligne qu'il s'est tracée et ne cesse de marcher au but qu'il s'est proposé d'atteindre, celui de conduire l'homme à son salut, lui montrant que tout émane de Dieu, et doit retourner à Dieu, que tout a été créé pour l'homme avec la faculté qui lui est laissée d'en faire un bon ou mauvais usage, et lui indiquant, parmi les connaissances que son esprit peut acquérir, celles qui doivent lui être utiles, celles qui lui seraient fatales. Encore un mot sur ce livre, et laissez-moi, ne fût-ce que pour justifier ce que je vous ai dit du but que s'est proposé l'auteur, vous transcrire le dizain par lequel il termine son ouvrage et prend congé du lecteur.

Enfin les saintes destinées Ont mis heureusement à bout L'assemblage du Petit-Tout, Dans le cercle de six années. Seigneur qui donnas en six jours, Au grand l'infatigable cours Et te reposas le septième, Fais-moi faire un ferme propos De me recueillir en moi-même, Pour jouir avec toi de l'éternel repos.

Il n'y a peut-être pas pour Chevillard une extrême modestie à comparer ainsi son oeuvre à celle du créateur ; il y a au moins dans l'expression une naïveté et dans le voeu final une piété qui, nous avons déjà eu l'occasion de le remarquer plusieurs fois, sont les qualités essentielles du bon chanoine Orléanais.

Ce livre est surtout curieux en ce sens qu'il fait voir quel était encore vers le milieu du xne siècle (Petit tout, 1664, Orléans, chez François Royer) les croyances de la masse des gens adonnés aux sciences dont il n'est ici que l'écho.

N'y a-t-il pas intérêt à voir jusqu'à quel point, à la suite du siècle de Galilée, de Bacon, de Montaigne et de Gharon, dans celui de Pascal et de Descartes, ces idées erronées, ces rêveries imprégnaient encore l'esprit public pour avoir eu tant de pouvoir


sur un homme d'une piété solide, d'une érudition étendue et d'un caractère qui ne manque pas d'indépendance. Tant la vérité et les idées saines ont peine à se faire jour.

Nous ne le connaissions que de nom et nous avouons que nous l'avons trouvé bien supérieur à la réputation assez ridicule qui lui est faite : en le parcourant la plume à la main, nous nous sommes laissé entraîner à vous en parler peut-être trop longuement. Recevez-en nos excuses.

Revenons-donc à ce qui aurait dû faire peut-être le seul objet de ce rapport, la notice que M. Baguenault a consacrée à Chevillard considéré comme poète , et à sa tragédie, de la Mort de Théandre.

Nous ne vous apprendrons rien de neuf, Messieurs, en vous disant qu'on retrouve dans cette courte notice les qualités auxquelles noire collègue nous a accoutumés, un jugement sûr, une critique saine, un style clair et élégant.

Nous lui demanderons seulement, qu'il nous permette de le faire, pourquoi parmi les gens qu'il rencontre sur notre Parnasse, il s'attache à des hommes de si mince valeur. Tirer de l'oubli des auteurs presque ignorés, rendre une certaine justice à des talents oubliés peut offrir quelque tentation ; mais s'attaquer à de vrais mérites, s'occuper de gens qui ont vivement brillé par leur esprit, qui ont laissé leur trace dans la carrière qu'ils ont parcourue, qui ont pris part active aux luttes de leur temps, doit avoir aussi son attrait et à notre gré supérieur au premier ; et les noms de Ducerceau, deMasson, ceux de Delone, ou de saint Hyacinthe, de Dolet, deBongars, de de Cailly, de'Petau ettantd'autresqu'offrent les souvenirs Orléanais ne seraient-ils pas de convenables sujets où trouverait à s'exercer d'une manière tout-à-fait digne d'elle la critique élevée et le jugement éclairé de notre collègue? Vous nous approuverez, je l'espère, et vous vous joindrez à nous, Messieurs, quand nous osons le convier à cette tâche où il rencontrera des sujets plus en rapport avec son talent et où nous trouverons, nous, des Mémoires qui n'auront plus pour but un simple sujet de curiosité, et qui feront un réel honneur à nos annales.


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ANALYSE DES COMPTES-RENDUS DES SÉANCES DE L'ACADÉMIE DES

SCIENCES, DU 22 DÉCEMBRE AU 16 FÉVRIER 1863 INCLUSIVEMENT ;

Présentée au nom de la Section des Sciences et Arts, par M. SAINJON.

Séance du 20 mars 1863.

SOMMAIRE.

Décomposition chimique des substances insolubles. — Géodésie et nouvel appareil pour mesurer la pesanteur. — Ventilation des lieux habités. — Réunion bout à bout des fibres nerveuses sensitives et des fibres nerveuses motrices. — Durée de l'incubation de la rage chez les chiens. — Nouvelles découvertes en hèliochromie. — Prix décernés en 1862 par l'Académie des sciences. — Recherches statistiques sur la valeur des denrées alimentaires à Orléans, du xive au xix* siècle. — Le satellite de Sirius. — Fertilité des hybrides végétaux. — Les générations spontanées et les ferments. — Génération des infusoires.

La variété des éléments dont notre globe est composé, les réactions chimiques provoquées par leur coexistence et leurs affinités, les différences de température des divers points de la masse, l'évaporation continue de l'eau à la surface des continents et des mers donnent, considérées dans leur ensemble, un aperçu des ressources électriques dont dispose la nature, et on doit croire que dans la constitution chimique de nos roches l'électricité a joué un grand rôle, rôle probablement d'ailleurs fort complexe. A cet égard, les travaux de Davy peuvent être considérés comme le point de départ d'une série d'intéressantes études. L'illustre physicien était, dès 1806, arrivé à celte conclusion que des substances insolubles, contenant des éléments acides alcalins ou terreux, pouvaient être décomposées quand, plongées dans l'eau, elles communiquaient avec les deux pôles d'une pile énergique par l'intermédiaire de lames métalliques de platine ou d'or. M. Becquerel a repris et poursuivi les expériences de Davy ; il a


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obtenu des effets très-marqués, même avec des piles de moyenne force, pourvu que les lames métalliques fussent en contact direct avec la substance insoluble. C'est ainsi que le soufre plus ou moins impur du commerce lui a donné, du côté positif de l'acide sulfurique, du côté négatif de l'acide sulfhydrique et, suivant la provenance des échantillons, des sulfhydrates de soude, de chaux, de strontiane, etc. Le sulfure de carbone, certains sulfures métalliques, tels que le cinabre et le sulfure d'argent, fournissent des résultats analogues. Les pyrites de cuivre (sulfures doubles de cuivre et de fer) donnent en peu de temps du cuivre panaché irisé en tout semblable à celui de la nature. Les sulfates, carbonates et arséniates insolubles se comportent de même, et la malachite fibreuse se transforme en cuivre métallique qui conserve la texture du minéral. Dans tous les exemples que nous venons de citer, l'eau est décomposée en oxygène et en hydrogène, et l'électricité n'agit qu'indirectement sur la substance insoluble en lui présentant à l'état naissant des éléments avec lesquels elle se combine suivant les lois de l'affinité.

Il n'est pas nécessaire d'employer une pile constituée suivant la pratique habituelle ; il suffit de mettre en présence des substances solides et liquides qui, en réagissant lentement les unes sur les autres, fournissent l'électricité destinée à solliciter l'action des affinités chimiques. C'est ainsi qu'avec du protochlorure de mercure, de l'eau distillée et une lame de cuivre en contact avec le protochlorure, il s'est déposé au bout de quelques années des cristaux, presque imperceptibles d'abord, d'amalgame de cuivre d'un brillant métallique éclatant et d'une netteté remarquable. •

II n'est pas douteux que des appareils électro-chimiques analogues ne se rencontrent fréquemment dans la nature et. que ce ne soit par des procédés semblables que se sont formées bien des espèces minérales. Les eaux salées qui, à toutes les époques géologiques connues, ont couvert des étendues plus ou moins considérables de nos continents actuels ont dû favoriser ces actions chimiques ; car le chlorure de sodium se rencontre soit à l'état de mélange, soit à l'état de combinaison, dans un grand nombre de corps. Bayen l'a signalé dans les serpentines ; M. Chevreul


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dans le hornbleude ; Davy, lors des expériences qui ont servi de point dé départ à celles de M. Becquerel, l'a retrouvé jusque dans le verre, et il en a tiré cette induction que la plupart des minéraux ont été immergés dans î'eau de la mer ; les nouveaux moyens d'investigation créés par l'analyse spectrale conduisent à la même conséquence. Toutefois on ne doit pas oublier, quand il s'agit de la nature, que c'est par siècles qu'il faut compter avec elle et que les effets produits ne doivent pas se mesurer à l'intensité des forces qu'elle met en jeu, mais à la persistance avec laquelle elle les fait agir pendant des périodes dont on ne saurait assigner la durée.

La détermination exacte de la figure de la terre occupe toujours les savants. Notre planète présente à peu près la forme d'un ellipsoïde aplati vers les pôles ; cet aplatissement est de 1/333 du grand axe de l'ellipse; en d'autres termes, si on représente le rayon de l'équateur par le nombre 333, le rayon qui va au pôle sera représenté par le nombre 332 ; mais il ne paraît pas, d'après les opérations entreprises depuis la fin du siècle dernier par les savants français, anglais, suédois et russes, que le méridien terrestre soit rigoureusement une ellipse, et il y a intérêt à se rendre un compte exact tant de la figure mathématique de notre planète que des irrégularités locales dont cette figure est affectée.

Du moment où la terre n'est pas sphérique, il en résulte que si l'on fractionne de l'équateur aux pôles une ligne méridienne en arcs égaux et qu'on mène en chacun de ces points de division la normale, c'est-à-dire la verticale du lieu correspondant, on ne trouve pas, comme pour le cercle, que ces normales successives fassent entre elles des angles égaux. On comprend dès lors qu'en mesurant par de grandes triangulations à la surface de la terre la longueur d'un certain nombre d'arcs ; qu'en cherchant d'autre part l'angle des verticales extrêmes, soit entre elles, soit avec la verticale qui correspond aux points où ces méridiennes rencontrent l'équateur, ce qui revient autrement dit à déterminer astronomiquement la latitude des différents lieux; qu'enfin, en coordonnant ensemble tous ces documents, on comprend, disonsnous, qu'on ait un moyen de construire la courbe inconnue sur


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laquelle on a cheminé et que, si l'on parvient à recueillir dans les deux hémisphères un nombre suffisant de données, on puisse arriver à trouver exactement la forme de la terre.

De semblables opérations ont déjà été entreprises et menées à bonne fin. Sans parler du grand arc de méridien mesuré par Méchain et Delambre de Dunkerque, à la frontière d'Espagne et continué par Biot et Arago jusqu'à l'île de Formentera, d'autres arcs ont été mesurés en Angleterre, en Russie, en Suède, en Italie, au Pérou, dans l'Inde, au Cap de Bonne-Espérance. L'Allemagne ne possède encore que de grandes triangulations réparties un peu au hasard dans toutes les parties de la Confédération germanique, et une conférence s'est ouverte à Berlin, au mois d'avril 1862, avec le concours des savants de la Prusse, de l'Autriche et de la Saxe, à l'effet de relier ensemble toutes les triangulations de l'Allemagne et de l'Italie. Le résultat final de celle grande opération, dit M. Faye en en rendant compte à l'Académie, serait la mesure d'un arc de méridien égal en étendue à l'arc anglo-français de Greenwich à l'île de Formentera et d'une série d'arcs parallèles échelonnés sur le parcours de cette grande méridienne. Par ces parallèles les triangulations d'Angleterre et de Francese trouveraient bientôt rattachées à la méridienne russe, en sorte que l'Europe serait couverte d'un immense réseau où la science puiserait à pleines mains les éléments numériques des plus importantes recherches.

Les procédés géodésiques et astronomiques ne sont pas les seuls qui puissent donner la figure de la terre. On y arrive également par l'observation des variations de la pesanteur dans les différents points du globe. La gravité est cette force qui attire tous les corps vers le centre de la terre, et son intensité est en raison inverse du carré de la distance du centre d'attraction ; à ce compte, les corps pesants sont moins vivement attirés à l'équateur qu'ils ne le sont aux pôles. En outre, la force centrifuge qui résulte du mouvement de rotation de la terre sur elle-même vient affaiblir dans le même sens l'effet de la gravité, parce qu'étant proportionnelle au carré de la vitesse elle est dès lors nulle aux pôles et qu'elle atteint au contraire son maximum à


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l'équateur. En définitive, la pesanteur telle que nous l'observons à la surface de la terre n'est que la résultante des actions contrariées de la gravité et de la force centrifuge. La valeur de cette résultante dépend, pour chaque lieu, à la fois de sa distance au centre et de sa distance à l'axe polaire, c'est-à-dire, en un mot, de la forme de la terre, et peut servir par conséquent à déterminer celle-ci. La solution du problème dépend uniquement, comme on le voit, du plus ou moins d'exactitude avec laquelle il sera permis de constater les variations d'intensité de la pesanteur. Voici quelques-unes des méthodes employées :

Les vitesses de chute que prend un corps en tombant en différents lieux sont, abstraction faite de la résistance de l'air, proportionnelles à l'intensité de la pesanteur en ces lieux, mais la mesure de ces vitesses n'est guère un procédé pratique ; à Paris, les expériences ont été faites à la tour de Saint-Jacques-la-Boucherie, et il est inutile dédire qu'on n'a pas partout à sa disposition des points aussi élevés desquels on puisse facilement opérer.

On se base avec plus de succès sur l'observation du pendule. Le pendule doit évidemment osciller d'autant plus rapidement qu'il est plus vivement sollicité par la pesanteur ; ainsi un pendule qui dans un temps donné marquerait 1,000 battements au pôle n'en marquerait plus environ que 997 à l'équateur pendant le même temps, ce qui correspond à une diminution de 1/176 dans l'intensité de la pesanteur. L'épreuve de cette méthode a été faite et, des données expérimentales recueillies pendant la grande triangulation française, on a pu conclure pour notre planète à un aplatissement de 1/298, valeur très-approchée de celle que nous avons donnée plus haut et qui a été déduite directement des opérations géodésiques.

Sir John Herschell a indiqué un autre moyen qui consiste à mettre le poids d'un corps en équilibre avec une force naturelle d'espèce différente et indépendante de la position qu'occupe cette force sur le globe, telle par exemple que la force élastique d'un ressort. M. Babinet s'est occupé de réaliser cette idée, et, aidé des conseils du savant anglais, il a construit un appareil dont ii espère les meilleurs résultats. Cet appareil consiste en principe


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dans un fil métallique dont la torsion fait équilibre à un poids fixé à l'extrémité d'un pendule bifilaire. Suivant les lieux et pour la même torsion du fil, il faudra des poids différents pour l'équilibrer, et le rapport de ces poids entre eux sera précisément celui dans lequel aura varié la pesanteur en passant d'une station à l'autre. M. Babinet estime que son appareil sera aussi sensible qu'une bonne balance ordinaire, c'est-à-dire au milligramme. Or, en France la pesanteur varie à peu près d'un décigramme par kilogramme pour un degré de latitude ou pour trois cents mètres de hauteur. En supposant donc l'appareil réglé au point de départ pour un poids d'un kilogramme, on pourrait apprécier des variations d'un centième de décigramme et faire par suite des observations suffisamment exactes en des lieux distants d'un centième de degré (un peu plus d'un kilomètre) aussi bien que pour quelques mètres de hauteur, et cela sans mesures d'angles, ni de longueurs, ni de temps. On doit vivement désirer que l'instrument de M. Babinet réponde dans la pratique aux espérances qu'en a conçues l'inventeur.

Nous avons hâte d'arriver aux prix décernés par l'Académie des sciences, pour l'année 1862, et on nous pardonnera de ne signaler qu'en passant :

1° Un Mémoire où le général Morin établit que nos cheminées constituent d'excellents appareils de ventilation et confirme ce que nous pensons tous de leur organisation déplorable au point de vue du chauffage de nos appartements, et un autre Mémoire où il décrit le système qu'il a adopté pour la ventilation et le chauffage des amphithéâtres du Conservatoire des Arts-et-Méliers et qui paraît avoir parfaitement réussi ;

2° Des expériences de MM. Philipeaux et Vulpian, qui prouvent que, contrairement à l'opinion de plusieurs physiologistes, les nerfs exclusivement moteurs peuvent se souder à des nerfs exclusivement sensitifs, de la même manière que se réunissent entre eux des nerfs mixtes, sujet qui a été traité par M. Flourens, et que la réunion est complète non-seulement au point de vue anatomique, mais encore au point de vue physiologique, en ce sens que les excitations de l'un des bouts se transmettent à l'autre


bout en gardant, suivant les cas, leurs caractères propres de sensibilité ou de motricité ;

3° Une note de M. Renault, dont les observations faites à Alfort, montrent l'inanité des mesures administratives qui limitent à quarante jours la séquestration des chiens que l'on suppose avoir été mordus par des chiens enragés ; sur 68 chiens qu'il lui a été donné d'observer :

31, sont devenus enragés après le 40e jour, 14 — après le 60e

3 — après le 80e

1 — après le 118°

et rien ne peut affirmer que la rage ne puisse se développer après un laps de temps plus considérable; aussi M. Renault conclut-il avec raison à ce qu'on n'hésite pas à tuer les chiens sur lesquels peuvent planer des soupçons.

Nous nous arrêterons un peu plus longtemps sur une intéressante communication de M. Niepce-Saint-Victor relative à la reproduction photographique des couleurs. Bien que l'été dernier n'ait pas été favorable aux expériences dans la chambre obscure, l'héliochromie a été enrichie de quelques nouveaux faits. Aux couleurs simples déjà obtenues précédemment, le rouge, le vert, le bleu, il faut ajouter aujourd'hui le jaune qui n'avait été jusqu'ici reproduit qu'accidentellement. M. Niepce-Saint-Victor attribue son succès à ce qu'il a employé un bain d'hypochlorite de soude, de préférence à celui de potasse. Ses plaques, ainsi préparées, sont ensuite recouvertes d'un vernis composé d'une solution aqueuse de dextrine et de chlorure de plomb. En ajoutant quelques substances, les teintures de benjoin et de siam, du chlorure id'étain, de l'aldéhyde, on parvient même à fixer les couleurs de manière à les conserver trois ou quatre jours dans un appartement fortement éclairé.

Un fait bien remarquable ressort des expériences de M. NiepceSaint-Victor, c'est la décomposition par l'héliochromie des couleurs autres que les couleurs simples. Ainsi quand le vert est naturel comme celui de l'émeraude, de l'arsenite ou du carbonate


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de cuivre, de l'oxyde de chrome, du sulfate de nickel, l'héliochromie le reproduit en vert. Mais un vert composé d'une matière colorante jaune et d'une matière colorante bleue, ou obtenu par la superposition de deux vitres colorées, l'une en bleu et l'autre en jaune, ne donne jamais que du bleu ; il serait intéressant de reproduire le vert de Chine, on verrait s'il est pur ou s'il est composé ; un mélange de rouge ou d'orangé et de bleu ne donne que du bleu. Un feuillage vert pré donne un bleu un peu grisâtre ; si c'est un vert bleu, celui par exemple des feuilles de dahlia, la teinte est plus vive. Une teinte jaune ou rouge, comme celle de certaines feuilles mortes, constituera un jaune ou un rouge plus ou moins pur, suivant qu'il y aura une moins grande ou une plus grande proportion de cette matière bleue qui constitue avec le jaune, ainsi que M. Frémy l'a démontré, la couleur verte des feuilles. Fait plus curieux encore ! L'oeil de la plume de paon se reproduit très-bien dans la chambre obscure, c'est-à-dire que la couleur apparaît sous un certain degré d'incidence tantôt verte et tantôt bleue.

Si l'on rapproche de ces expériences celles daus lesquelles M. Edmond Becquerel a reproduit par l'héliochromie un spectre solaire complet, on arrive évidemment à cette conséquence que chacune des couleurs du spectre est une couleur simple, et on ne peut admettre avec M. Brewster qu'elle soit le produit de la superposition de trois spectres monochromatiques rouge, jaune et bleu.

Voilà, certes, une série de recherches qui ont une grande valeur, et bien que M. Niepce-Saint-Victor, avec une modestie qui l'honore, déclare qu'il ne faut pas encore se faire illusion sur la mesure de ce que l'héliochromie peut aujourd'hui donner, il est permis de dire qu'elle a déjà conduit à d'importants résultats.

C'est la dernière séance de l'année qui vient de s'écouler, que l'Académie des sciences a consacrée à l'audition des rapports des diverses Commissions sur les Mémoires jugés dignes des récompenses proposées pour l'année 1862. Le nombre des prix à décerner était de vingt, mais huit ont dû être ajournés faute de travaux remplissant convenablement les conditions des programmes. Sur


- 234 — ces vingt prix quinze proviennent de donations, et ce nous paraît un devoir de rappeler ici les noms des généreux particuliers qui les ont faites. M. de Montyon, dont la libéralité ne, s'est pas d'ailleurs, on le sait, bornée au domaine des sciences, figure pour cinq prix, M. Bordin pour trois, M. Alhumbert pour deux, M. Bréant pour un legs de cent mille francs en faveur de celui qui aura trouvé le moyen de guérir du choléra asiatique ou qui aura découvert les causes de ce terrible fléau. Prévoyant que ce prix ne serait pas décerné tout de suite, le fondateur a voulu, jusqu'à ce que le prix fût gagné, que l'intérêt du capital fût donné à la personne qui aura fait avancer la science sur la question du choléra ou de toute autre maladie épidémique. Les autres prix sont.dus à l'astronome Lalande, à Mad. la marquise de la Place (c'est celui qui est donné tous les ans à l'élève qui sort le premier de l'école Polytechnique), à M. le docteur Jecker et à M. Barbier, ancien chirurgien en chef de l'hôpital du Val-de-Grâce. N'oublions pas non plus un nom cher aux Orléanais, et particulièrement à notre Société, feu M. de Morogues qui a fondé un prix à décerner tous les cinq ans, alternativement par l'Académie des sciences physiques et mathématiques à l'ouvrage qui aura fait faire le plus grand progrès à l'agriculture en France, et par l'Académie des sciences morales et politiques au meilleur ouvrage sur l'état du paupérisme eu France et le moyen d'y remédier. Le prix de Morogues sera décerné en 1863 par l'Académie des sciences physiques et mathématiques.

Il n'entre pas dans notre programme d'analyser les travaux de tous les lauréats, et nous vous demandons la permission de ne parler que de quelques-uns d'entre eux.

Le prix de statistique a été obtenu par notre compatriote M. Mantellier, pour son Mémoire sur la valeur des denrées à Orléans depuis le xive jusqu'au xixe siècle. On y trouve, entre autres documents curieux, que la ville d'Orléans faisait en 1439 à la mère de Jeanne d'Arc une pension annuelle de vingt-quatre livres tournois qui représenteraient, d'après les recherches rigoureuses de M. Natalis de Wailly, une somme de 287 fr. de notre monnaie actuelle ; mais ce serait, comme le dit fort judicieusement le rap-


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porteur de l'Académie, taxer bien bas la munificence de la ville d'Orléans. On doit, pour mieux se rendre compte de la valeur relative de cette pension, se reporter au prix du blé à cette époque. Il a valu, dans la période de 1437 à 1457, 3 sols 10 deniers tournois la mine d'Orléans ; comme la même mesure pendant les années 1851-1860 a valu en moyenne 6 fr. 03 c, il est permis de dire que la livre tournois de 1439 représentait 34 fr. 46 c. d'aujourd'hui, et que, par conséquent, la pension de 24 livres faite à la mère de Jeanne d'Arc équivalait à 827 de nos francs.

En parcourant les tables dressées par M. Mantellier de 1351 à 1860, on est frappé du renchérissement du prix du blé pendant la période qui s'est écoulée de 1551 à 1600. La moyenne qui était de 7 fr. 41 c. dans la première moitié du xvie siècle s'est élevée dans la seconde moitié à 15 fr. 47 c, plus du double. Le prix du blé a même atteint en 1573 les chiffres de 42 fr. et de 58 fr. l'hectolitre. Cette année-là, nous apprend M. Mantellier, les autorités municipales furent obligées d'acheter du blé pour le revendre aux pauvres, et il faut noter que, dans la même période de 1551 à 1600, le blé n'a valu à Poitiers que 10 fr. 23 c, d'après les travaux de M. Duffaud couronnés par l'Académie en 1860. Il faut sans doute attribuer ce renchérissement aux guerres de religion (1562-1574) pendant lesquelles huguenots et catholiques se disputèrent opiniâtrement la ville d'Orléans que les deux partis regardaient comme la place la plus importante après la capitale. Nos discordes civiles nous coûtèrent alors plus cher que les plus mauvais temps de l'occupation anglaise ; car les tables de M. Mantellier nous font connaître encore que le blé ne valait en moyenne à Orléans que 6 fr. 54 c. de 1401 à 1425, et que 10 fr. 83 c. de 1426 à 1450.

Ces savantes recherches ont été hautement appréciées par l'Académie ; M. Mantellier a déjà dû recevoir les félicitations de ses collègues de la Société archéologique, et nous sommes l'interprète des sentiments de votre section des sciences et arts en lui offrant également les siennes.

Le prix d'astronomie a été décerné à l'Américain M. Clark, pour avoir signalé le premier (le 31 janvier 1862) dans le voisi-


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nage de Sirius, une petite étoile qui avait échappé à tous les astronomes qui ont observé Sirius depuis cent ans. M. Clark s'est servi d'une nouvelle lunette achromatique qu'il a construite et qui mesure 47 centimètres d'ouverture et 7 mètres de foyer.

L'existence du compagnon de Sirius est venue donner raison à l'hypothèse hardie que l'astronome de Koenigsberg, Bessel, avait faite en 1844 pour expliquer un mouvement d'oscillation trèsprononcé qu'il avait observé dans cette étoile, et cette découverte a été accueillie avec enthousiasme, comme un double triomphe de la science et de la précision des observations modernes.

Le grand prix des sciences physiques a été obtenu par M. Naudin pour ses recherches sur les hybrides végétaux ; huit années d'expériences, conduites avec autant de persévérance que de sagacité, ont mis hors de doute leur fécondité, quoi qu'on en ait pu dire jusqu'ici. Sur 38 ou 40 hybrides d'espèces différentes, quelques-uns seulement, peut-être 10, se sont montrés stériles; tous les autres formant les trois quarts du nombre total ont donné des graines qui ont parfaitement germé.

Le prix proposé en 1860 sur la question des générations spontanées et qui devait être décerné en 1862 (un des prix Alhumbert) a été donné à M. Pasteur pour ses travaux sur les corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère. M. Pasteur, on le sait, s'est déclaré contre la doctrine des générations spontanées qui, depuis quelques années, a été soutenue avec ardeur par M. Pouchet, à Rouen, et par MM. Joly et Musset, à Toulouse. M. Pasteur est resté maître du champ de bataille, au moins à l'Académie; car ses adversaires ont successivement retiré du concours les Mémoires qu'ils avaient adressés. L'un d'eux, M. Pouchet, a annoncé l'intention de donner toutefois le sien à l'impression. C'est donc devant le public que se trouvera portée une cause qu'il a sans doute considérée comme perdue devant l'illustre assemblée.

On se rappelle la vivacité avec laquelle la lutte fut soutenue de part et d'autre. M. Pasteur présentait des expériences dans lesquelles, suivant qu'il laissait subsister ou détruisait les germes organisés contenus dans l'atmosphère, il se produisait ou ne se


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produisait pas d'infusoires et de mucédinées. M. Pouchet lui opposait d'autres expériences où, ces germes détruits, il apparaissait cependant et toujours des êtres organisés. M. Pouchet allait même jusqu'à nier qu'il existât de semblables germes dans l'atmosphère, ou tout au moins il n'y en admettait que des quantités si minimes qu'elles ne pouvaient rendre compte de la profusion avec laquelle ils se développaient. Des deux côtés, du reste, on ne marchandait pas sur les moyens employés à les détruire. L'air ne rentrait dans leurs appareils qu'après avoir au préalable traversé des tubes remplis d'acide sulfurique et été calciné à une température rouge.

Il n'est pas possible que des opérateurs aussi exercés se soient, l'un ou l'autre, grossièrement trompés, et à nos yeux le moindre mérite de M. Pasteur n'est pas d'avoir fourni des éléments de nature à expliquer, au moins en partie, la divergence des résultats obtenus.

Et d'abord, il y a un point sur lequel leurs expériences se sont trouvées d'accord, à savoir qu'un liquide dans lequel sont suscep tibles de se développer les corpuscules organisés ne jouit plus de cette propriété du moment où il est préalablement mis en ébullition à la température de 100° dans le ballon qui le contient, que celui-ci soit hermétiquement fermé (Exp. de M. POUCHET. Voir tome 50 des Comptes-Rendus, page 1,017), ou que même on y laisse une petite ouverture de un à deux millimètres, mais à la condition que le col du ballon présente des sinuosités telles que les-germes répandus dans l'atmosphère s'y déposent avant de pouvoir pénétrer dans le liquide lui-même. (Exp. deM. PASTEUR. Ibid., page 306.)

M. Pouchet explique le fait en disant que pour obtenir toujours des organismes avec de l'air même calciné à 150°, il faut prendre la précaution d'éviter les modifications chimiques que l'ébullition leur fait toujours subir, celles-ci ayant pour premier effet d'entraver le mouvement fermentescible qui précède presque constamment chaque manifestation génésique et dont dépend par conséquent tout le succès de l'expérience.

Pour M. Pasteur, au contraire, la fermentation n'est ni la cause T. vu. 17


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ni l'auxiliaire des manifestations génésiques. Elle ne les précède pas, elle les suit comme l'effet suit la cause ; car ce sont précisément ces êtres inférieurs qui sont les agents de la fermentation et qui la déterminent. Dès lors, en les soumettant à une température susceptible de les désorganiser, on empêche par cela même les phénomènes de la fermentation de se produire. Nous reprendrons tout-à-1'heure celle question de la fermentation sur laquelle d'autres travaux de M. Pasteur ont jeté une vive lumière. Nous n'avons pas besoin de dire que ces travaux ont dû être également combattus par M. Pouchet, puisqu'ils attaquent la base de son système. Mais nous voyons dès à présent qu'il reste acquis aux débals que, suivant la manière dont l'expérience est conduite, suivant la température que subissent les matières expérimentées, on obtient ou on n'obtient pas des corpuscules organisés.

On comprend qu'en dehors même d'une décomposition chimique, si par un procédé quelconque on arrive à détruire l'organisme, à rompre les enveloppes des organes de ces êtres microscopiques, on doit nécessairement les faire périr. Un despoinls délicats de la question qui nous occupe est donc de savoir si on peut les surchauffer sans les désorganiser mécaniquement. Il a été admis généralement jusqu'ici qu'aucun oeuf, aucun animal, aucune plante ne résiste à une température humide de 100° ; cependant, l'albumine qui joue un rôle si important dans leur structure et qui commence à se coaguler vers 70° peut supporter, moyennant certaines précautions, une température supérieure à 100° sans perdre la propriété de revenir à son état primitif lorsqu'elle se refroidit ; Spallanzani a fait germer des graines de trèfle chauffées jusqu'à 100°; M. Duhamel a soumis du blé à une température de 110°, et M. Payen, l'oïdium aurantiacum, à une température de 120° sans qu'ils perdissent leurs propriétés germinalives; Spallanzani a même, dit-il, exposé avec succès des spores de mucédinées à la chaleur d'un brasier ardent; sans aller aussi loin, M. Pasteur a montré que ces spores chauffés dans l'air sec ou dans le vide soutiennent impunément des chaleurs de 120° et de 125° pendant une demi-heure, trois quarts


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d'heure, une heure, mais que, quand ils sont humides, aucun d'eux ne peut résister à une température de 100°.

On peut donc aujourd'hui considérer comme probable que les expériences qui ont fourni à M. Pouchet ses générations spontanées sont celles où les germes des êtres inférieurs ont été exposés à des températures très-hautes, on n'en peut douter, mais avec les précautions nécessaires pour ne pas détruire leurs4issus, soit par une vaporisation trop subite de l'eau qu'ils contiennent, soit par une coagulation définitive de leur albumine.

C'est là aussi ce qui explique comment tous ces corpuscules qui flottent dans l'atmosphère, qui pullulent dans la poussière de nos toits, peuvent supporter pendant les sécheresses prolongées de l'été les ardeurs excessives des rayons du soleil ; ils se dessèchent, il est vrai; mais vienne une atmosphère humide, une pluie bienfaisante, ils ressuscitent, les rouages de l'économie vitale se remettent à fonctionner après une léthargie d'une nouvelle espèce. Combien de temps pourrait durer chez eux cette suspension de la vie? Nul ne le sait ; assurément rien n'est plus remarquable que cette vitalité accordée aux êtres inférieurs, vitalité qui leur permet de traverser, sans y périr, les épreuves les plus redoutables.

Maintenant quel est le rôle de ces mucédinées et de ces infusoires dans la fermentation des substances organiques ? Et d'abord quelles sont les modifications qui s'opèrent dans la.substance qui fermente ?

Prenons pour exemple un composé très-simple d'oxygène, d'hydrogène et de carbone, le sucre. Le sucre, par des fermentations successives et convenablement dirigées, donne en premier lieu de l'alcool et de l'acide carbonique, puis de l'acide acétique et de l'acide carbonique, et finit enfin par se résoudre à peu près complètement en acide carbonique et en vapeur d'eau. Si on néglige pour plus de simplicité d'autres produits organiques tels que l'acide succinique, la glycérine et bien d'autres qui se forment en quantités minimes, on peut dire que les phases marquées par la transformation du sucre en alcool, de l'alcool en acide acétique, de l'acide acétique en acide carbonique, ont toutes pour caractère commun une décarburation et l'intervention de l'oxygène dans


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celte décarburation, soit que cet oxygène provienne de la substance même décomposée, soit qu'if ait élé fourni par l'air ambiant.

La fermentation du lait qui produit l'acide lactique, celle qui rancit le beurre et donne l'acide butyrique, sont des phénomènes de même ordre, bien que plus compliqués.

Or, aucune de ces décompositions ne peut avoir lieu sans l'assistance d'agents particuliers qu'on a appelés ferments et dont la levure de bière, la fleur de vin ou de vinaigre peuvent être présentés comme des spécimens ; quand on les examine au.microscope, on les voit grossir progressivement, puis donner naissance à des bourgeons qui se détachent et grandissent à leur tour, accomplir en un mot toutes les évolutions propres aux êtres inférieurs ; on a cependant hésité longtemps à se prononcer sur leur nature, et le mérite de M. Pasteur est d'avoir mis hors de doute que ces ferments sont des êtres organisés qui appartiennent, suivant les cas, soit au règne végétal, soit au règne animal, et qui ne se développent qu'autant qu'ils se trouvent dans un milieu qui leur fournit les éléments dont ils ont besoin pour se constituer, c'est-à-dire des composés azotés, des phosphates minéraux et enfin du carbone et de l'oxygène. Ceci établi, est-ce par suite d'une sécrétion qui leur serait propre qu'ils provoquent la fermentation ? C'est l'opinion de M. Berthelot, le chimiste auquel on doit des travaux si remarquables sur la réalisation dans le laboratoire de séries de composés qu'on pouvait croire se produire exclusivement sous l'action des forces vitales. Est-ce plutôt, comme le croit M. Pasteur, qu'ils déterminent directement la décomposition des matières organiques en y puisant certains principes de préférence à certains autres ? Peu importe au fond, il suffit qu'il soit démontré qu'ils sont indispensables à l'acte de la fermentation et que celle-ci ne peut s'accomplir dès qu'on les détruit ou qu'on gêne leur développement ; nous ne voulons d'ailleurs ici que reproduire les idées de M. Pasteur, et nous pensons qu'il sera intéressant de relater quelques-uns de ses aperçus. La petite plante cellulaire connue sous le nom de levure de


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bière a besoin, comme toutes les plantes, de l'intermédiaire de l'oxygène pour fixer le carbone dans ses tissus. Si elle est placée de manière à pouvoir puiser à profusion de l'oxygène dans l'air, par exemple dans un vase plat rempli seulement sur quelques centimètres de hauteur d'une solution de matières sucrées et albuminoïdes, elle s'y développe avec énergie et sans faire, on peut le dire, fermenter la liqueur ; à peine une partie de levure transforme-t-elle en alcool six ou huit parties de sucre. Qu'on la sème au contraire dans la même solution, mais hors de la présence de l'air, elle se développe encore, mais plus péniblement et à la condition de prendre au sucre lui-même l'oxygène qu'elle doit mettre en oeuvre ; alors une seule partie de levure peut faire fermenter soixante, quatre-vingts et même cent parties de sucre.

Au surplus, il n'est pas nécessaire pour faire développer la levure de la mettre en présence des substances purement organiques ; avec du sucre cristallisé, un sel d'ammoniaque, quelques phosphates, en un mot des matières non réputées fermentescibles, on obtient une masse de globules dont la vigueur annonce qu'ils se sont trouvés dans leurs conditions normales d'existence.

Le ferment lactique, le ferment butyrique, peuvent également prospérer dans des liquides ainsi composés de toutes pièces et y déterminer la formation de l'acide lactique et de l'acide butyrique, qui sont les produits ordinaires de la fermentation du lait. Disons en passant que, pour M. Pasteur, le ferment butyrique n'est pas une plante, mais un infusoire voisin du genre bactérium qui présente une particularité curieuse. On sait que les animaux ne peuvent en général respirer impunément un excès d'oxygène ; or, pour cet infusoire, la proportion d'oxygène contenue dans l'air est trop considérable; un courant d'air le fait périr et il ne peut vivre que par l'oxygène même qu'il emprunte dans la mesure de ses besoins à la liqueur fermentescible.

La fleur de vinaigre qui détermine dans nos fabriques la suroxydalion de l'alcool et sa transformation en acide acétique est une espèce de mucédinée, le mycoderma aceti, comme le désigne M. Pasteur; son action est de telle nature que l'oxygène qu'elle puise dans l'air vient en dernière analyse se fixer sur l'ai-


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cool. Supprimez l'air ou noyez, ce qui en revient au même, les fleurs de vinaigre dans le liquide, elles meurent et l'acétification s'arrête. Donnez-leur une trop faible proportion d'alcool, remplacez par exemple l'alcool par le vin, l'oxydation est si rapide que le point correspondant à la réaction acétique est immédiatement dépassé et qu'on n'obtient pas de vinaigre, mais seulement de l'acide carbonique. Que les anguillules que l'on trouve dans les récipients où se fait le vinaigre, se développent en trop grande abondance, il se passe un fait très-curieux qui peut rendre compte de ce que l'on appelle la maladie des tonneaux. L'oxygène dont ces animalcules ont besoin pour respirer est accaparé par les mucédinées, et leur grande occupation est alors de se rapprocher par masses de la couche supérieure où celles-ci végètent. Dans leurs efforts désordonnés, ils rompent cette couche, en submergent les lambeaux qui une fois noyés ne tardent pas à périr, et réussissent ainsi à arrêter les progrès de leur fatal ennemi. 11 n'est pas douteux que l'espèce de lutte qui s'établit entre les anguillules et les mucédinées ne soit, lorsqu'elle prend des proportions considérables, de nature à compromettre le succès de l'acétification de l'alcool.

Les recherches de M. Pasteur sur le ferment du vinaigre l'ont conduit à un procédé pratique qu'il compte, dit-on, appliquer dans une vinaigrerie à Orléans même. Son procédé consiste à semer le mycoderme du vinaigre sur un liquide alcoolique. Il y ajoute quelques phosphates, particulièrement le phosphate d'ammoniaque, pour lui fournir les éléments azotés et minéraux qui lui sont indispensables ; il s'applique particulièrement à établir un juste équilibre entre l'intensité de la végétation de la plante et la quantité d'alcool qu'il lui donne à consommer, et évite ainsi que sa faculté d'oxydation ne s'applique, d'une part, àj'acide acétique déjà formé qu'elle transformerait en acide carbonique, et, de l'autre, à des principes volatils dont la soustraction rendrait le vinaigre fade et peu aromatisé.

Il est probable que les propriétés que nous venons de passer en revue se retrouvent à des degrés variables chez toutes les mucédinées et peut-être aussi chez les plus petits infusoires, et que,


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dès lors, tous ces êtres inférieurs répandus à profusion dans la nature sont les agents les plus actifs de la décomposition des matières organiques. Si les êtres microscopiques, dit éloquemment M. Pasteur, disparaissaient de notre globe, la surface de la terre serait encombrée de cadavres de tout genre, animaux et végétaux. Ce sont eux principalement qui donnent à l'oxygène ses propriétés comburantes ; sans eux la vie redeviendrait impossible, parce que l'oeuvre de la mort serait incomplète; après la mprt la vie reparaît sous une nouvelle forme; les germes partout répandus commencent leur évolution, et, à leur aide, l'oxygène se fixe en masses énormes sur les substances organiques que ces êtres ont envahies et en opère peu à peu la complète combustion.

On peut juger d'après cet exposé, bien qu'encore trop rapide pour être complet, quelle est l'importance des travaux de M. Pasteur et comment ses recherches sur les fermentations se lient d'une manière intime à celles qu'il a plus spécialement entreprises en vue de combattre la doctrine des générations spontanées ; il a montré comment les prétendues manifestations génésiques de M. Pouchet obéissent aux lois générales de développement des êtres organisés, comment on peut à volonté en semer ou en détruire les germes. Ses expériences n'ont pas, il est vrai, porté sur l'acte même et sur le moment précis de la production de leurs germes ou de leurs spores. Mais tout s'enchaîne si bien dans l'oeuvre de M. Pasteur, qu'à défaut de constatations spéciales sur ce sujet l'esprit se trouve pleinement satisfait de ses explications. La lacune que nous venons de signaler sera-t-elle un jour comblée ? On peut aujourd'hui l'espérer, car M. Balbiani, dont le Mémoire a été également couronné par l'Académie et a obtenu le grand prix de physiologie expérimentale, vient de faire faire un grand pas à la question en observant la génération directe sur un genre d'infusoires qui vivent dans les eaux stagnantes et qui sont connues sous le nom de Paramécie.

Si l'on prend ces paramécies dans les mares où elles habitent et qu'on les place dans des vases avec des fragments des végétaux dont elles se nourrissent et qui forment, bientôt dans l'eau une véritable infusion, sous l'influence de cette nourriture abondante,


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les paramécies ne tardent pas à se développer et à se multiplier par scission avec une prodigieuse activité. Ce mode de multiplication peut durer un temps variable, mais il arrive un moment où cette faculté tend à s'épuiser. C'est alors que les paramécies résultant de la dernière division se recherchent et s'accouplent toutes en moins d'un jour ou deux. Il paraît, d'après les expériences de M. Balbiani, qu'elles sont hermaphrodites, mais que la réunion des deux sexes est cependant nécessaire pour la fécondation. Pendant l'accouplement qui dure de deux à six jours, le développement des oeufs dans l'ovaire et des spermatozoïdes dans l'organe mâle, et enfin l'échange du liquide spermatique s'accomplissent sous les yeux mêmes de l'observateur.

Ainsi la question des générations spontanées se circonscrit de plus en plus à chaque progrès de la science. Réduits successivement des vertébrés aux articulés, des articulés aux mollusques, des mollusques aux infusoires, les cas de générations spontanées se trouvent aujourd'hui relégués par les observations de M. Balbiani au-delà même de la région des infusoires et des parties les plus obscures de l'histoire naturelle.

MÉMOIRE SUR LES FOUILLES DU PUITS DES MINIMES;

Par M. DE PIBRAC.

Séance du 6 mars 1863.

Lorsque l'on se livre à l'étude des siècles éloignés de nous, il faut bien se familiariser avec la vue des ravages du temps. Partout nous retrouvons les traces de son passage, partout sa main cherche à détruire ce que celle des hommes a voulu perpétuer. Si nous parcourons, en effet, ces temples antiques, témoins des cérémonies religieuses des peuples des premiers âges, notre pied ne rencontre que des fûts de colonnes renversées, des chapiteaux mutilés et des pans de murs tombant en ruines. Et ce que nous constatons à la surface de la terre vient encore attrister nos re-


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gards, Iorsqne nous pénétrons dans son sein pour y découvrir les souvenirs des usages et de l'industrie de nos pères. Là aussi, nous voyons que le sol n'a pu les préserver de la destruction, et qu'il ne nous les rend pas toujours tels qu'il les a reçus. Enfin, si nous voulons compulser les annales des siècles plus rapprochés de nous, et les reconstituer en consultant les documents écrits qu'ils nous ont légués, souvent encore nous sommes effrayés des vides que l'incendie et le pillage ont fait parmi eux, à ces époques désastreuses qui agitèrent tant de fois l'existence des peuples ; ou bien nous sommes arrêtés par la disparition presque complète des caractères dont se servirent nos pères, pour confier leurs pensées à nos antiques manuscrits. De tous côtés, en un mot, la plume de l'archéologue trouve à lutter contre la faux du temps.

Aujourd'hui, messieurs, les souvenirs que j'invoque remontent à une époque qui dépasse celle dont, je viens de vous parler en dernier lieu : car ils appartiennent à des âges qui nous ont laissé peu de monuments paléographiques ; leur principal mérite est d'avoir été trouvés dans l'enceinte de cette ville, et dans des conditions qui attestent l'identité de leur origine. C'est, du reste, ce qui va ressortir de l'exposé des faits que je vais avoir l'honneur de vous raconter.

Pour vous mettre à même de les suivre plus facilement, et d'en apprécier plus exactement les résultats, j'ai cru qu'il était nécessaire de joindre au texte de ce Mémoire quelques planches qui lui serviront de complément.

Voici, du reste, la méthode à laquelle j'ai eu recours pour reproduire sur le papier ces décors gravés sur des surfaces hémisphériques. J'avais d'abord pensé à projeter les divers points de ces figures sur un plan vertical passant par le centre du vase ; mais je m'aperçus de suite que ce procédé avait l'inconvénient de rétrécir excessivement les portions de l'hémisphère, qui se trouvaient dans le voisinage du plan de projection, et de m'enlever ainsi une partie de l'espace nécessaire à la reproduction de mes dessins qu'il n'était plus possible de voir qu'en raccourci. Je préférai donc remplacer la surface non développable que présen-


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tent ces vases, par une surface développable, et je substituai à la demi-sphère un cylindre ayant pour diamètre le diamètre moyen de la coupe. Pour corriger ensuite la trop grande inexactitude qui eût résulté du développement pur et simple du cylindre, j'ai eu soin de courber ses arêtes de manière à diminuer les parlies qui correspondent au-dessous du vase. Ce moyen, je le reconnais, n'est pas d'une exactitude mathématique; mais il m'a permis, en raison du peu d'étendue des surfaces sur lesquelles j'opérais, de remplir le but que je m'étais proposé, c'est-à-dire de donner une idée des divers détails qui constituaient ce genre d'ornementation. Quant au galbe de ces produits céramiques, leur coupe et leur élévation rectifieront ce qu'il peut y avoir d'imparfait dans le mode que j'ai adopté pour rendre les figures qui les décorent.

Ceci posé, je reviens à mon sujet :

Vous savez, messieurs, qu'une partie de nos édifices et de nos maisons sont suspendus sur les nombreuses carrières qui fournirent jadis les pierres destinées à construire les demeures des premiers habitants de cette ville. Ce fait se vérifie chaque fois que l'on jette les fondations d'une construction nouvelle, dans certains quartiers d'Orléans.

L'une des galeries de ces carrières antiques, avait été abandonnée après que l'on en eut tiré toute la pierre qu'elle pouvait fournir. Le puHs qui avait servi à son exploitation avait seize mètres de profondeur, et il reçut, à cette époque, pendant plusieurs années, des immondices de toutes espèces parmi lesquels nous avons rencontré jusqu'à des squelettes de chiens et de chats. Puis il arriva un moment où l'on acheva de le remplir presque complètement avec des terres de remblai que l'on y jetait de temps en temps. Il n'avait plus au commencement du xvne siècle que cinq mètres de profondeur, lorsque les Minimes, en bâtissant leur monastère, l'enfermèrent dans l'enceinte de leurs murs ; ils s'en servirent alors pour en faire un puisard au centre même de leur cloître, vers lequel convergent encore les quatre grands tuyaux qui partent des quatre angles de cette cour. Et pour consolider les parois de ce puisard, ils construisirent le


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mur de soutènement qui descend à cinq mètres au-dessous du sol; c'est même cette construction qui m'a permis de constater la limite extrême de la profondeur que lui avaient donnée les moines. Cette perte d'eau se remplit enfin elle-même par l'usage de deux siècles, et depuis quelques mois il devenait nécessaire de la vider. M. Renaudin, supérieur du petit séminaire, fit exécuter ce travail en recommandant bien aux ouvriers de descendre, si cela était possible, jusqu'au sol naturel. On enleva d'abord toutes les matières qui encombraient la perte d'eau des Minimes; puis lorsqu'on fut arrivé jusqu'au pied du mur qu'ils avaient construit tout autour, l'on continua à extraire les terres meubles que l'on rencontrait ; et ce ne fut qu'après plusieurs semaines d'un travail difficile que l'on atteignit enfin la voûte des carrières galloromaines ; on était arrivé à seize mètres de profondeur, et c'est alors seulement qu'apparurent les premiers débris de poteries antiques. L'on rencontra d'abord le vase funéraire que représente la figure 13 de la planche XVI et le morceau de coupe sigillée que j'ai reproduit planche XVII, figure 2. Ces deux objets furent confiés par M. Renaudin à M. l'abbé Cosson, membre de la Société archéologique, qui les présenta à ses collègues dans la séance du 23 janvier 1863. L'éveil était donné, je pensai de suite que ces objets pouvaient bien n'être pas seuls dans l'endroit où on les avait trouvés; et pour m'assurer de ce fait je me fis descendre au fond du puits, le 2S janvier 1863. J'y restai une heure, pendant laquelle je constatai d'après les rapports des maçons et sur mes observations personnelles, qu'il pouvait être utile pour la science de visiter avec soin l'amas de terre que j'avais sous les yeux.

Mais avant de remonter à la surface du sol, je voulus me rendre compte de la forme du caveau que j'avais à explorer, pour savoir de quelle manière je pourrais diriger plus tard mes opérations.

Ces souterrains renferment un premier caveau circulaire ayant quatre mètres de diamètre, sur une hauteur maximum d'un mètre soixante au-dessus du remblai ; plus loin, au nord, se trouve un second caveau offrant une forme moins régulière. Sa plus grande largeur est de six mètres, sa plus petite de quatre et sa hauteur maximum est d'un mètre cinquante ; ces deux caveaux


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sont reliés entre eux par une galerie basse et étroite de neuf mètres de longueur sur une largeur d'un mètre trente, et n'ayant pas plus de soixante centimètres de hauteur sous voûte, dans tout son parcours. Tel fut, messieurs, le théâtre des explorations dont il me reste à vous entretenir.

Elles commencèrent le 27 janvier : je passai, de sept heures du matin à midi, dans le premier caveau, occupé à visiter la portion du remblai qui se trouvait dans la région occidentale; je rencontrai là quelques morceaux de poterie rouge, plusieurs tuiles romaines brisées, une petite hache en bronze et une médaille.

Le 29 janvier je redescendis de nouveau ; je restai quatre heures, et pendant ce temps je dirigeai mes investigations sur un point que mes ouvriers m'avaient désigné comme m'offrant quelques chances de succès : j'y trouvai en effet une assez grande quantité de fragments de vases sigillés, un os percé d'un trou, une petite pièce de monnaie et une hache en pierre.

Ces découvertes partielles me démontraient la nécessité de pousser plus loin mes recherches et de les entreprendre sur une plus vaste échelle, afin de ne rien laisser échapper. Je dus alors prier M. Renaudin de vouloir bien suspendre les travaux d'assainissement qu'il était si impatient de voir terminer, et de me laisser au moins deux ou trois jours pour achever mon oeuvre. Je n'ai eu qu'à me louer, dans cette circonstance, de l'empressement avec lequel il s'est rendu à mes désirs, et je suis heureux de le remercier ici en vous déclarant que c'est à sa complaisance que je dois d'avoir pu réaliser, peu de jours après, le projet que j'avais arrêté.

Je redescendis dans le puits le 6 février à sept heures du matin. J'y passai dix heures consécutives, pendant lesquelles je pus conduire mes opérations avec plus de méthode; je fis, en effet, explorer le caveau à tranchée ouverte, menant la tranchée dans toute sa largeur et la creusant jusqu'au sol même de la carrière. Je visitais les terres avec le plus grand soin ; mais l'humidité qui les imprégnait rendait cette exploration laborieuse et difficile. Ce jour-là, je fus récompensé de ma peine par la quantité de poterie


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rouge que je rencontrai dans la partie qui occupait le fond. Au milieu de tous ces fragments, je découvris une médaille et un couteau gallo-romain auquel le manche était encore adhérent.

Le lendemain 7 février, je consacrai la journé tout entière à terminer mon travail de la veille, et j'employai onze heures à déblayer toutes les terres qui se trouvaient rester encore ; mais ce fut surtout la région de l'Est qui me fournit le plus de poteries sigillées, mêlées à de nombreux morceaux de tuiles romaines et à des restes mutilés de la grosse poterie qui servait à fabriquer ces amphores dont j'ai retrouvé une ouverture intacte ; ce jour-là mes fouilles me donnèrent encore une médaille et le haut d'une lyre en marbre blanc.

Mes recherches étaient terminées. Toute la terre qui m'avait offert quelque chance de succès dans le premier souterrain, avait été soigneusement explorée ; j'avais même remarqué, pendant le cours de mon travail, que c'était à la circonférence du caveau que je rencontrais le plus souvent les objets que je cherchais, ce qui s'expliquait naturellement par la manière dont ils y étaient arrivés. Jetés d'une grande hauteur sur une butte de terre de forme conique, ils roulaient sur la surface de ce cône, et ne s'arrêtaient qu'à sa base, dont la circonférence s'appuyait sur les parois du souterrain dans lequel on les précipitait. Ma tâche était remplie : cependant avant d'abandonner pour toujours ces voûtes séculaires, je voulus m'assurer s'il n'y avait rien dans le second caveau. Je me glissai donc une seconde fois en rampant dans la galerie obscure qui y conduit, emmenant avec moi un maçon armé de sa pioche. Arrivés dans cette nouvelle enceinte, nous fîmes neuf sondages qui n'eurent d'autres résultats que de nous prouver que nous étions sur un mélange infect d'une terre mélangée d'eau grasse de cuisine, et ne renfermant du reste, aucune trace d'objets antiques ; je n'avais donc plus rien à faire. Je remontai dès lors à la surface du sol, emportant avec moi la collection que je venais de ravir à ce musée souterrain. Fermé pendant quatorze cents ans, il allait être encore interdit aux hommes pendant bien des siècles. Aussi j'étais heureux d'avoir pu profiter du peu d'instants pendant lesquels il était


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resté accessible aux archéologues, pour leur offrir ce qu'il avait dérobé si longtemps à leurs regards.

Maintenant, messieurs, qu'il nous est facile d'examiner les divers éléments dont se compose cette découverte, je vais chercher à vous rendre compte du parti que l'on peut en tirer dans l'état actuel de la science, et des avantages qu'elle présente à ceux qui se livrent à l'étude de la céramique. Je n'ignore pas que dans les conditions où je me trouve placé, je dois me tenir en garde contre ce sentiment particulier que l'on éprouve involontairement pour des objets que l'on a été chercher au péril de sa vie, à cinquante pieds de profondeur, dans des cavernes obscures, dout les voûtes surbaissées, formées par un tuf peu solide, ne me permettaient pas de me tenir debout et pouvaient se détacher par fragments sur ma tête ; mais comme je sais aussi que ceux qui visiteront un jour la collection à laquelle ces objets sont destinés, ne sauront pas la peine qu'ils ont coûté à conquérir, et que ceux qui liront ces lignes n'en auraient eu sans doute qu'une idée incomplète, j'ai voulu entrer dans ces détails, pour mettre certains lecteurs au courant des divers épisodes qui ont signalé les premiers pas d'un travail dont je leur exposais les résultats.

Quanta l'homme de la science, qui n'envisage que ce résultat en lui-même, sans se préoccuper des moyens auxquels on a eu recours pour l'obtenir : le récit qui précède lui offrira sans doute peu d'intérêt ; mais je veux lui prouver que j'ai pensé à lui, et voici pourquoi je place à côté de la partie historique de mon expédition souterraine, les observations archéologiques qui peuvent s'y rattacher. C'est le sujet que je vais maintenant aborder. Le nombre des découvertes qu'il renferme peut se diviser en deux classes très-distinctes : dans la première je range toutes les poteries romaines, de quelque nature qu'elles soient; dans la seconde, figurent les objets antiques qui se sont rencontrés au milieu d'elles, ces deux classes composeront les deux chapitres que je vais avoir l'honneur de vous lire.


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Poteries Romaines.

La poterie dite poterie romaine, se partage, suivant M. Brongniart, en quatre sortes différentes :

La première est la rouge, nommée poterie sigillée, à cause des empreintes qui la décorent. Elle se rencontre très-souvent en France et en Angleterre ; c'est celle dont le type est le mieux caractérisé, et c'est la seule qui paraît d'une origine certaine au savant directeur de la manufacture de Sèvres.

La seconde offre une pâle d'un rouge moins vif, et même quelquefois présentant une teinte grise. Elle est recouverte d'un beau lustre noir, et souvent elle est enrichie d'ornements en relief ou bien de simples linéaments.

La troisième est d'une pâte complètement noire, ou d'un gris très-foncé, recouverte d'une engobe épaisse sans glaçure. Elle rappelle les poteries celtiques; mais s'en distingue toutefois plutôt par ses formes gracieuses et délicates que par la substance qui la compose.

La quatrième enfin est difficile à discerner au milieu des poteries gallo-romaines. Elle est d'une pâte très-commune, tantôt blanche, tantôt d'un gris pâle : on l'employait dans la fabrication des jarres, des amphores et des autres vases grossiers destinés aux usages domestiques.

Nous allons passer en revue chacun de ces groupes :

§ 1er. Poteries sigillées. — Quoique mes fouilles m'aient fourni, comme vous pouvez en juger, des spécimens de ces quatre espèces de poteries, je ne compte vous entretenir avec quelques détails que de la première, dite poterie sigillée.

Les vases, composés avec cette terre, n'ont jamais reçu de sujets peints, mais ils sont presque toujours couverts d'ornements et de dessins en relief. Leur pâte se compose de silice, d'alumine, d'oxide de fer et d'un peu de chaux. Quant au vernis qui les couvre, il renferme très-peu d'alumine et un peu plus de


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chaux que la pâle elle-même. Voici, du reste, le résultat des expériences faites sur ces poteries à la manufacture de Sèvres :

Silice. Alumine. Oxide de fer. Chaux, Magnésie. Eau. PATE.... 61 17 77 10 23 4 86 0 00 2 29 VERNIS.. 59 1 00 4 00 10 00 2 20 0 00

Ce vernis est un silicate alcalin terreux, et les écailles qui se soulèvent prouvent qu'il est dû à une vitrification et non à un poli de la pâte humide ; il semble avoir été appliqué au pinceau trempé dans une pâte liquide que l'on désigne sous le nom de barbotine. Ce fait est facile à constater en examinant le pied d'un de nos vases. On voit, en effet, les traces circulaires qu'ont laissées les poils de cet instrument dans l'engobe qui était un peu trop épaisse, lorsqu'on l'appliqua sous cette coupe : c'est le seul exemple de ce fait que fournisse notre collection.

Quant à la destination de ces vases si richement décorés, ils paraissent avoir été le plus souvent consacrés aux usages domestiques et religieux. Martial nous fournit une preuve du premier fait, lorsqu'il nous dit que l'on peut refuser des invitations à des tables somptueuses, quand on est en état de se faire servir de bonnes fèves à l'huile sur un plat de terre rouge :

Si spumet rubrâ conclus tibi pallida testa, Lautorum ccenis soepè negare potes.

Quant au fait de l'emploi de ces coupes dans les cérémonies religieuses, il se trouve confirmé par plusieurs auteurs. Pline d'abord affirme dans son 35e livre que la majorité de l'espèce humaine se sert de vases de terre, et il cite la terre rouge de Samos comme excellente pour la vaisselle. Aujourd'hui même, ajoute-l-il, au sein de notre opulence, nous n'offrons nos libations aux dieux que dans de simples écuelles de terre : « In sacris « quidem inter lias opes, hodiè non murrhenis Crystallinisve, sed « flctilibus prolibatur simpuviis. » Plaute vient encore attester cet usage lorsqu'il dit : « Ad rem divinam, quibus opus est, samiis vasis utitur : » et enfin Cicéron, dans son VIe livre de la République, rappelle un discours où Loelius assure que les grands vases de pontifes et les petits vases de Samos sont très-agréables


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aux dieux : « Oratio exstat Loelii, quam omnes habemus in manibus, quam simpuvia pontificum diis immortalibus grata sunt Samioeque capedines. » Ces citations nous prouvent donc que nos vases figuraient non-seulement dans les repas, mais qu'ils servaient encore à faire des libations en l'honneur des dieux. Leur solidité et leur imperméabilité justifient pleinement leur première destination. Ils ne faisaient, du reste, pas partie de la décoration des appartements. Ce qu'il y a de remarquable, suivant M. Brongniart, c'est qu'on les trouve très-rarement dans les ruines des habitations et encore plus rarement dans les tombeaux ; et il ajoute que c'est aux environs des fonrs romains qu'on les rencontre le plus habituellement. Il a constaté pareillement que, quelque petites que fussent leurs dimensions, il était trèsdifficile d'en avoir d'intacts. Je ne puis m'expliquer cette immense hécatombe de poteries sigillées, que par l'introduction du Christianisme, qui aurait imposé à ses nouveaux disciples l'obligation de faire disparaître des vases ayant servi autrefois au culte des faux dieux, et qui souvent présentaient, dans leur décoration, des sujets et des scènes que ne pouvait laisser subsister la nouvelle religion. Quel que soit, du reste, le motif qui ait engagé à les détruire, il est certain que cette mesure paraît avoir été générale. J'en accepterai donc les conséquences, et ne pouvant appliquer mes observations à des vases entiers, je me servirai, comme mes prédécesseurs, des fragments que le temps nous en a conservés pour les étudier au double point de vue de la forme et de l'ornementation.

Je me suis d'abord demandé comment on exécutait les figures qui décorent ces belles poteries; et, en consultant divers auteurs, j'ai reconnu qu'il existait trois procédés différents pour atteindre ce but, procédés dont je retrouve les traces sur quelques-uns des spécimens que m'ont fournis mes travaux. Le premier était un moulage complet à l'aide d'une hémisphère en terre, où se trouvaient gravés en creux les sujets qui devaient apparaître en relief sur les parois extérieures de la coupe.

Le second consistait dans l'emploi des roulettes pour les dessins continus et des cachets pour les figures isolées.

T. vu. 18


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Le troisième, enfin, s'exécutait à l'aide d'un pinceau ou d'une pipette rempli d'une pâte molle et visqueuse, que nous avons déjà désignée sous le nom de barbotine, et qui servait à tracer les ornements destinés à la décoration du vase. Ce procédé avait une certaine analogie avec celui dont se servent les pâtissiers pour orner le dessus de leurs gâteaux.

Je me suis facilement rendu compte du premier moyen en examinant les magnifiques moules que possède M. l'abbé Desnoyers. Ces moules présentent la forme hémisphérique, et sont au fond percés d'un trou pour faciliter la dessiccation de la pâte. Le résultat de cette dessiccation était un retrait s'opérant dans la' pâte qui permettait ainsi à la coupe de sortir du moule. Telle est l'opinion de M. deCaumont. (l)Mais, tout en mettant en avant cette explication, le savant archéologue ajoute que certains vases présentaient des formes telles, qu'ils n'avaient pu être modelés que dans des moules composés de plusieurs pièces. Il pense qu'il y avait dans les Gaules des fabriques de moules à poteries, et qu'il existait des poinçons en relief qui servaient à y graver en creux les ornements qui les décoraient. Lorsqu'ils étaient ainsi préparés, on les expédiait dans toutes les directions, et voici ce qui expliquerait pourquoi l'on retrouve les mêmes dessins dans des pays souvent très-éloignés les uns des autres. Quant au bord large et uni qui surmonte ces coupes en les complétant, il était à ce qu'il paraît abandonné à l'arbitraire du potier, qui le tirait à la main en dehors du moule, et le façonnait à l'ébauchoir. Les exemples de ces moulages d'un seul jet sont très-fréquents, et la plupart de nos échantillons semblent fabriqués par ce procédé : je citerai entre autres celui de la fig. 6, pi. XVII ; on remarque que l'ébauchoir, dirigé par une main peu habile, a entamé la bordure du lambrequin qui entoure la coupe.

Quant au second procédé, celui des empreintes obtenues par la roulette ou le cachet, il se reconnaît facilement, parce que la pâte est refoulée autour du dessin, et que souvent ce dernier couvre

[i) Eléments d'archéologie, t. II, p. 203.


en partie celui qui existait avant lui : la tête antique que j'ai reproduite pi. XVII, fig. 7, est évidemment une empreinte au cachet ; il en est de même des lambrequins de la poterie, pi. XVII, fig. 8, qui ont été produits par un cachet semblable à celui que M. Brongniart donne pi. XXX, fig. A B. Cela se reconnaît de suite lorsque l'on examine le.contour de ce vase : l'on voit en effet qu'il existe un endroit où la place a manqué, et où les ornements empiètent les uns sur les autres ; ce qui ne fût pas arrivé, si l'on se fût servi d'un moule, où ils se seraient trouvés tracés régulièrement à l'avance. Je pourrais encore citer l'exemple de ce petit coq, dont la crête cache un peu le cordon supérieur du vase, et prouve par là que cette petite figure a été appliquée après coup à l'aide d'une empreinte en creux.

Reste le troisième procédé, celui du pinceau ou de la pipette, combiné avec l'emploi de la barbotine. Je crois le reconnaître dans l'exécution de ces personnages flous et indécis, qui paraissent déposés sur la panse du vase pi. XVII, fig. 9. Ils semblent y être tombés par gouttes, plutôt qu'y avoir été modelés ; je ne serais pas éloignés de penser que les ornements qui les encadrent soient, dus à la même manière d'opérer.

Après avoir examiné les divers moyens auxquels on avait recours pour ornementer les parois des vases sigillés, il me reste, pour compléter ce qui concerne leur, fabrication, à dire un mot sur le mode d'exécution du pied qui les soutenait : l'on voit de suite qu'il ne pouvait être fait dans le même moule que la coupe, car il eût été impossible de l'en faire sortir avec le vase ; lors donc que celui-ci était terminé, et presque sec, on le renversait sur le tour ; et après l'avoir centré avec soin, on traçait sur le fond avec l'ébauchoir une ligne circulaire qui déterminait la place où l'on devait poser le pied. Celui-ci se façonnait à part, on l'enduisait ensuite d'une légère couche de barbotine et on l'appliquait sur le fond de la coupe, où il se fixait par la dessiccation. Cette manière d'opérer résulte pour moi de l'examen des moules de M. Desnoyers, des observations que je dois à l'obligeance de M. Laurent Gilbert, l'un des potiers les plus expérimentés de cette ville ; et enfin de l'examen attentif de l'un des fragments


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que j'ai rencontrés, et dans lequel il est facile de s'assurer que le pied a été appliqué séparément sur le fond du vase.

Avant de terminer le chapitre qui concerne la poterie rouge romaine, je dois vous signaler, messieurs, deux particularités que présentenlles morceaux reproduits pi. XVII, fig. 1 et 4. Ce sont deux genres de frises que je n'ai vus encore dans aucun des ouvrages de céramique que j'ai consultés. Ils se composent d'une série de petits anneaux encadrés dans des couronnes, ou séparés simplement par de petits traits verticaux. Le premier est fort riche, le second est plus simple; mais l'un et l'autre ont du moins le mérite de la nouveauté pour nos collections orléanaises.

Quant aux autres fragments, ils représentent des sangliers, des cerfs, des biches, des coqs, des lièvres, des chiens, des têtes de satire et des feuilles d'arbres. Sur quelques-uns d'entre eux se trouvent des guerriers et des lutteurs. L'un nous offre une femme se drapant dans un voile ; un autre des espèces de chimères avec des queues de dragons, ou bien des génies aîlés se terminant par des feuilles en volute: pi. XVII, fig. 8, 9,10,11. Mais cb qu'il y a de plus remarquable est la tête antique dont j'ai parlé ci-dessus, et que l'on prendrait au premier abord pour un masque de théâtre. M. l'abbé Cochet en aurait trouvé de semblables dans des tombeaux, comme l'atteste un passage de son livre sur les sépultures romaines (1). Enfin, sur le fond de deux vases, nous voyons les noms de deux potiers. L'un d'entre eux ne se trouve ni parmi ceux cités par M. de Gaumont, ni dans ceux connus jusqu'ici dans notre ancienne province. Son cachet porte l'empreinte reproduite pi. XVII, fig. 3, sur laquelle on lit : Indercillus, f., ce qui se traduit par Indercillus fecit. Le nom de l'autre finissait par N V S : le commencement a été enlevé par la pioche de mon terrassier. Les potiers romains écrivaient aussi quelquefois leurs noms au génitif, et dans ce cas ils le faisaient suivre de la lettre M qui voulait dire manu, de la main ; ou magnario du magasin d'un tel.

Je viens d'étudier tous ces produits céramiques au point de vue

(1) Sépult. rom., p. 102.


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de leur décoration ; il ne me reste plus qu'à dire quelques mots de leur galbe et de leurs formes. Il en existe une variété infinie : je n'en connais pas deux qui soient identiques parmi tous ceux que j'ai rencontrés. C'est un fait dont on peut s'assurer en jetant les yeux sur la planche où j'ai relevé mathématiquement et par points ces divers profils, tant pour les bords de ces vases que pour les pieds qui les supportent. Je dois signaler surtout à votre attention, comme type de bon goût, la petite coupe que donne la figure lre de la planche XVI ; puis la tasse dont il reste un segment tout entier, et que j'ai reconstituée, pi. XVI, fig. lre; le fragment d'une patère, à feuilles lancéolées, dont le vernis est d'une conservation remarquable: c'est celle que l'on voit pi. XVI, fig. 2. Vous remarquerez aussi, pi. XVI, fig. 2, un bain-marie autour duquel régnait un large cordon qui permettait de le soutenir au-dessus d'un autre vase rempli d'eau bouillante, et les morceaux d'une grande terrine, à parois unies, qui donnent une juste idée de l'état primitif de ces deux vases domestiques, pi. XVI, fig. 4, 5, 6.

§ 2. Poteries communes. — Après avoir passé en revue les poteries sigillées que je regarde comme les plus importantes, je glisserai rapidement sur les autres; car si je vous en parle ici, c'est plutôt pour compléter mon travail que pour en accroître l'intérêt. J'aborde donc ce second genre de poterie, signalée par M. Brongniart, et dont la pâte, d'une couleur grise, est revêtue d'un beau lustre noir. J'en ai trouvé très-peu dans mes recherches; mais cependant en voici un échantillon qui appartient à cette catégorie, ainsi que ce fragment de poterie ardoise, et celui de poterie blanche si fine et en même temps si sonore. Nous classerons dans les poteries de troisième classe l'urne funéraire que reproduit la planche XVI, fig. 13. Elle est en effet de l'époque gallo-romaine, et on trouve identiquement la même dans l'ouvrage de M. Brongniart (1), pi. XXV, fig. 15, et dans celui de M. Jollois (2), pi. II, fig. 3.

(1) BRONGNIART. Traité des Arts céramiques, 18U.

(2) JOLLOIS. Mémoires sur les Antiquités d'Orléans.


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Enfin, je placerai dans la quatrième catégorie les vases grossiers dont il me reste à vous dire un mot pour traiter à fond le sujet qui nous occupe. Mes fouilles m'ont donné une grande quantité de leurs débris ; mais je n'ai pas cru devoir les retirer tous, je me suis contenté d'en conserver quelques-uns comme échantillons, afin de pouvoir vous présenter des types pris dans chacune des quatre espèces de poteries qui existaient alors : comme il m'était impossible de recueillir toutes les formes de ces vases, j'ai voulu du moins avoir en ma possession un spécimen des diverses terres qui les composaient et qui ont servi à les classer.

CHAPITRE II.

Objets Antiques

Je crains, messieurs, d'avoir peut-être abusé de votre attention en vous retenant aussi longtemps que je viens de le faire, sous l'impression des idées qui m'ont inspiré cette première partie de mon travail ; mais je vous parlais de ce qu'il y avait de plus important dans mes découvertes, et ce qui me reste à vous dire maintenant sur ce sujet n'est plus que d'un intérêt secondaire. Aussi m'étendrai-je peu sur ce chapitre, puisque les éléments qui le composent ne présentent rien de nouveau.

Ce sont d'abord trois instruments tranchants : une hache en pierre calcaire, une hachette en bronze recouverte d'une belle patine, un couteau garni encore des restes de son manche en bois de chêne. Sa lame est brisée en deux; mais ce qu'il en reste suffit pour reconnaître sa forme qui rappelle tout à fait ceux que l'abbé Cochet a reconnus dans les sépultures franques de la Normandie. La conservation de ce manche en bois n'a rien qui doive nous surprendre lorsque nous voyons M. l'abbé Baudry retrouver encore des fragments de planchettes de chêne dans les puits funéraires celtiques qu'il vient de découvrir eu Vendée; et M. l'abbé Cochet, retirer de ces sépultures franques des garnitures de seaux auxquelles des morceaux de planches étaient encore adhérents (1). J'ai reproduit pi. XVI, fig. 14, 15 et 16, les trois objets dont je viens de parler.

1) Sêp. gauL, p. 165.


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Celui que l'on voit pi. XVI, fig. 18, est un sifflet gallo-romain en os sculpté. C'est un instrument trop connu pour qu'il soit nécessaire de nous y arrêter longtemps. Je dirai seulement qu'on lui faisait rendre des sons aigus, en bouchant les deux extrémités avec les paumes des deux mains ; et j'ai tout lieu de croire que celle des deux ouvertures qui était le plus près du trou devait être fermée avec une peau, que retenait une corde engagée dans les deux rainures que l'on remarque à l'extrémité du tube. Cette explication, du reste, motive l'existence de ces deux rainures, et nous donnerait, par un singulier rapprochement, l'origine d'un instrument bien connu de nos jours, sous le nom de mirliton.

Je ne fais que rappeler ici le morceau de marbre blanc que l'on voit pi. XVI, fig. 17. Il présente six cannelures, dont je ne m'explique la présence qu'en le considérant comme la traverse supérieure d'une lyre hexacorde, sur laquelle on voit encore l'extrémité des deux doigts de la main gauche qui la soutenait, pendant que la droite touchait, à l'aide du plectrum, les cordes qui y étaient fixées.

Il m'est difficile de me prononcer sur l'origine des médailles que j'ai rencontrées. Elles sont au nombre de quatre : sur lesquelles une seule a pu recevoir une désignation satisfaisante. Cette médaille est de Gaïus Marcus Cassianus Latinius Postumus, Pius Félix Augustus. Celte légende est représentée sur la médaille d'une manière incomplète par les lettres suivantes :

I M P. C. G A S S. L A T. P 0 S T V.

Le revers représente le dieu Mars casqué, nu, avec un manteau flottant, marchant à droite et portant une haste avec trophée. Autour il devrait y avoir P. M. TR. P. III cos. M. P. P. c'est-à-dire pontifex Maximus tribunitia potestate III. Consul. III., pater patrice. Mais presque toute cette légende manque. V. pi. XVI, fig. 19.

Quant aux trois autres médailles, deux m'ont paru indéchiffrables, et la troisième passe aux yeux des connaisseurs pour un potin d'Alexandrie, frappé parProbus. Voy. pi, XVI, fig. 21.

Tels sont, avec un morceau d'alabastrite que quelques auli-


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quaires pensent avoir pu servir jadis de vitres aux ouvertures des maisons gauloises, les résultats de mes investigations et le fruit de trois jours entiers d'un travail assidu. Avant de me séparer de ces objets que je viens de sauver de l'oubli, je tiens à vous rappeler une dernière fois, qu'outre le mérite d'avoir appartenu à nos ancêtres, ils ont encore à mes yeux celui d'être tous contemporains. Ils ont été jetés là dans le même temps, et les cinquante pieds de terre qui les couvraient attestent l'isolement dans lequel ils ont été pendant quatorze siècles. Disparus ensemble de la surface du sol, ils y reparaissent aujourd'hui dans les mêmes conditions. Sous ce rapport ils offrent donc une simultanéité d'existence que ne présentent pas toujours les découvertes faites à de petites profondeurs, dans des terres de remblai, ou dans un sol livré depuis longtemps à la culture. Ce sont, pour ainsi dire, des enfants du pays, quarante générations ont passé sur leurs têtes sans soupçonner leur existence, et après ce long laps de temps l'occasion s'est présentée de les faire connaître à la nôlre en les rendant à la lumière. J'ai voulu la saisir, et il est probable que si je l'eusse laissée échapper, bien des siècles se seraient encore passés sans qu'ils eussent revu le jour. Peut-être même, pendant cette seconde période, le temps eût-il enfin triomphé de leur résistance. J'ai donc cru qu'il était de mon devoir de les arracher à la destruction ; car ces débris, rapprochés d'autres fragments analogues que le hasard peut faire découvrir encore, serviront peut-être à recomposer des vases entiers ; et c'est précisément parce qu'il est excessivement rare de rencontrer intacts ces produits de la poterie romaine, qu'il est très-utile de recueillir tous les fragments que l'on en trouve. Pourquoi, d'ailleurs, ne ferait-on pas pour ces souvenirs qui se rattachent aux vases antiques, ce que l'on fait journellement pour ceux que nous devons au bronze de nos médailles et aux parchemins de nos vieux diplômes? N'a-t-on pas vu, bien souvent, une médaille double ou un vidimus, servir à compléter ce qui manquait ou ce qui était resté indéchiffrable sur les originaux que l'on possédait ? Oui, je le répète, il est avantageux dans l'intérêt de la science de conserver tous les débris que lui lègue l'antiquité. Pour celui qui


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s'applique à faire revivre ces souvenirs et à retrouver les éléments qui les constituaient, quelques centimètres carrés des débris d'un vase peuvent lui révéler un costume ou un usage inconnu. Voilà ce qui peut, à un instant donné, accroître la valeur d'une découverte qui paraissait dans l'origine avoir peu d'importance. Et à ce sujet qu'il me soit permis de vous rappeler un fait qui s'est passé dernièrement.

A peine avais-je commencé mes travaux, que le lendemain même du jour où je mettais la main à l'oeuvre pour la première fois, le Journal du Loiret publiait un article dans lequel on affirmait que le peu d'objets que j'avais trouvés se rencontraient partout ; et qu'il suffisait d'entr'ouvrir le sol d'Orléans pour en faire sortir à l'instant de semblables. Eh bien, Messieurs, j'ai voulu étudier à ce point de vue l'histoire de ce genre de découvertes, et il m'a été facile de constater qu'on ne les a jamais faites qu'à l'occasion des immenses travaux de terrassement que nécessitaient les entreprises exécutées par la ville. Tels furent, ceux de la Halle au blé dont M. Jollois sut tirer tant de profit pour notre histoire locale. Tels sont, de nos jours, la construction du Lycée et l'établissement des vastes égoûts destinés à assainir notre cité. Et encore, si l'on rapproche le chiffre des objets trouvés de la masse de terre que l'on remue, du temps et du nombre de travailleurs que l'on emploie pour ces grandes opérations, l'on verra que des souvenirs antiques qui ne se présentent le plus souvent que dans des conditions pareilles, ne sont pas encore aussi communs qu'on chercherait à le faire croire. Quant à moi, je ne sache pas qu'en trois jours et avec deux hommes, l'on ait encore découvert à Orléans autant d'échantillons de poteries sigillées que je vous en montre aujourd'hui.

J'eusse désiré, je l'avoue, vous offrir quelque chose de plus complet et de plus séduisant, et c'était cette espérance qui m'a soutenu jusqu'au dernier coup de pioche de mes travailleurs. C'est elle aussi, que j'„ai mise plus d'une fois devant leurs yeux lorsqu'après avoir fouillé, sans trouver quelque chose, au milieu d'une terre humide et infecte, ils se laissaient aller au découragement. Si les voeux que j'ai formés pendant les longues heures


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que j'ai passées dans ces caveaux séculaires, n'ont pas été exaucées ; et si je n'ai pas eu le bonheur de répondre entièrement à votre attente, j'espère du moins avoir la satisfaction de vous avoir montré ma sollicitude pour tout ce qui peut intéresser l'histoire de notre pays. Dans un moment où l'on cherche de tous côtés, dans le sein de la terre, l'extrait de naissance de Genabum, après les ardentes discussions auxquelles ce problème a donné lieu pendant des siècles, je crois que si l'on n'a pas encore trouvé à la surface du sol d'Orléans les éléments nécessaires à sa complète solution, un jour viendra où l'on rencontrera peut-être dans son sein les preuves irrécusables de son antique origine, et dans cette circonstance comme dans tant d'autres le hasard déchirera sans doute ce voile devant lequel la science est restée si longtemps impuissante.

Et puisque me voilà ramené, pour la seconde fois, en présence de cette grande question qui préoccupe les savants de nos jours, et appelle même l'attention du chef de cet empire, je tiens aussi à vous dire un dernier mot à ce sujet. Je laisse, pour un instant, de côté tous les moyens auxquels l'on a eu recours jusqu'ici, et ne me préoccupant plus de l'interprétation des textes, de l'évaluation des distances, des recherches des éiymologies, ni des appréciations de la stratégie, je me place à un point de vue qui domine cette plaine où l'on s'agite depuis si longtemps pour trouver la voie qui conduit à la vérité ; et je me demande si près d'une ville importante et célèbre, il ne doit pas se trouver toujours un lieu qui est là pour attester son existence, un lieu qui sert de dernier asile à ses habitants et qui renferme des monuments sacrés sur lesquels.les siècles passent sans les altérer. A cette question, messieurs, l'expérience et le bon sens me répondent qu'il en a existé un, et que ce lieu est le champ du repos. Là où il y a eu des berceaux, il doit nécessairement se rencontrer des tombes, et si les conquérants peuvent incendier les villes ruinées et dépeupler les campagnes, leur oeuvre de dévastation loin de s'étendre sur les cimetières, ne fait que les peupler et les enrichir. Voilà pourquoi leur ambition a tant de fois causé le malheur des vivants sans jamais troubler le repos des morts.


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Quelle que soit donc la position qu'ait occupée Genabum, Genabum a eu ses habitants. Ils peuplaient encore son enceinte à l'époque où l'on brûlait les corps, puisque cet usage a duré jusqu'à la fin du me siècle de l'ère chrétienne ; leurs restes ont donc été, pendant longtemps, déposés dans des urnes funéraires, et ces vases confiés à la terre doivent s'y rencontrer encore aujourd'hui en grande quantité. Eh bien, je demande où est situé cet immense dortoir dans lequel reposent, depuis des siècles, les cendres de nos ancêtres? Voilà l'importante question à laquelle il faudrait répondre, en cherchant l'endroit qui servait de dernière demeure aux habitants de l'ancien Orléans. Les fouilles exécutées près de Saint-Aignan ont mis à jour des sépultures chrétiennes qui remontaient aux premiers temps de l'inhumation ; mais jusqu'ici, je ne sache pas que l'on ait trouvé près de notre ville, un cimetière païen remontant à l'époque de l'incinération des corps.

Maintenant si j'osais m'appuyer sur mon expérience dans ce genre d'exploration, pour préparer la solution du problème que je viens de mettre en avant, je vous dirais que ce champ de repos doit se trouver autour de Saint-Euverte; et je suis convaincu que des fouilles dirigées avec intelligence au nord de l'église où dans l'espace qui s'étend près de son portail, et qui porte le nom caractéristique de Place du Champ , amèneraient l'exhumation d'urnes cinéraires ; et peut-être même pourrait-t-on rencontrer avec elles quelques renseignements précieux sur le berceau de notre cité.

Quant à la découverte que je viens de faire, quoi qu'en dise l'auteur d'un article qui a été publié la semaine dernière dans le Nouvelliste du Loiret, elle ne prouve évidemment rien en faveur d'Orléans, dans la grande question de Genabum. La présence de ces débris antiques peut parfaitement s'expliquer par l'existence d'une simple villa gallo-romaine située dans le voisinage du puits qui les a reçus. Il n'est donc pas nécessaire de supposer ce dernier placé aux portes d'un grand centre de population pour se rendre compte de ce qu'il renfermait.

Loin de moi la pensée de revendiquer pour mon oeuvre une


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aussi brillante conséquence : je ne veux vous l'offrir que comme une preuve de mon dévouement à une science dont vous avez plus d'une fois encouragé les efforts, en attendant le jour où cette science elle-même pourra tirer parti de ces débris antiques, si d'autres souvenirs du même genre viennent se grouper autour de ceux qui font le sujet du travail que vous venez d'entendre.

RAPPORT, AU NOM DE LA SECTION DES ARTS, SUR LE MÉMOIRE

CI-DESSUS ; PAR M. DESNOYERS.

Séance du 7 août 1863.

Plus on étudie notre ville, messieurs, et plus il est facile de voir le haut rang qu'elle occupait parmi les cités romaines, et traversant de suite les premières pages du Mémoire de M. de Pibrac pour atteindre une de ses conclusions, nous aimons à affirmer avec lui qu'un jour de persévérantes et heureuses recherches nous feront découvrir le dernier et irrécusable caractère de la grande ville, le champ où dorment nos aïeux gallo-romains. 1741 nous a fait connaître les débris du riche temple où ils priaient; 1821, l'amphithéâtre où ils se récréaient ; 1824, la fabrique où ils élaboraient leurs poteries; il nous paraît, avec l'auteur du Mémoire, hors de doute qu'un jour nous serons en possession de leur cimetière.

Votre commission aime donc, messieurs, à rendre hommage au zèle intelligent et courageux de M. de Pibrac qui, saisissant l'occasion d'étudier notre ville dans une de ses nouvelles pages, a consacré son temps, sa plume et son crayon au profit de notre histoire locale, affrontant même, pour obtenir son noble but, les périls d'une exploration souterraine dont rien ne lui garantissait la sécurité.

Le Mémoire de M. de Pibrac se divise en deux chapitres :

Le premier concerne les poteries romaines trouvées dans le puits ;


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Le deuxième les divers objets recueillis dans le même lieu.

L'auteur du Mémoire s'est étendu particulièrement sur les poteries sigillées, et nous le félicitons d'avoir compris tout l'intérêt de cette étude qui effectivement à su, à toutes les époques, captiver l'attention et provoquer les travaux des archéologues : la nature de la terre qui les compose, leur mode de fabrication, la beauté de leur forme, la variété de leurs ornements, la signature de leurs artistes et de leur fabrique, la multitude de pays où on les recueille, offrent un vaste champ à l'érudition et placent bien près la science des poteries sigillées de celle des vases helléniques de l'Etrurie.

M. de Pibrac a su jeter, lui aussi, un intérêt véritable sur ces produits céramiques en nous parlant avec lucidité et science du mode de leur fabrication : nous pensons qu'il reste peu à dire après son travail que des dessins exécutés avec goût et précision rendent plus précieux encore.

Il nous sera cependant, messieurs, nécessaire de vous dire que nous ne sommes pas en accord avec l'auteur du Mémoire sur l'origine de la poterie sigillée et les causes de sa destruction.

L'auteur semble adopter l'opinion que ces vases sont d'origine purement Samienne, se joignant d'ailleurs, il faut le dire, à l'avis de plusieurs archéologues qui, s'appuyant sur l'autorité de Pline et de Cicéron, ont désigné les vases qui nous occupent sous le nom de vases Samiens ; mais nous ferons observer que Pline et Cicéron, tout en parlant des fabrications Samiennes ne les désignent par aucune couleur : Plaute seul parle de vases rouges, mais sans indiquer leur provenance. Nous croyons donc pouvoir adopter l'opinion de Tudot auquel se joint Demmin, que la poterie rouge a pour berceau Arretium en Toscane (Arezzo) où dans les ruines de ses anciennes fabriques se trouvent des vases unis à pâte fine et rouge et des vases sigillés.

L'auteur du Mémoire remarque que les poteries sigillées sont rarement trouvées entières et attribue la cause de leur brisement à l'usage religieux auquel on les destinait. Le Christianisme aurait, dit l'auteur, imposé l'obligation de faire disparaître des vases ayant servi au culte des faux dieux.


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Plaute et Cicéron écrivent, il est vrai, que ces vases étaient employés dans les sacrifices; mais s'il nous faut admettre l'autorité de ces deux écrivains qui devaient connaître les coutumes de leur temps et de leur pays, il ne faudrait pas croire que la consécration de ces vases au culte des faux dieux fût tellement habituelle qu'ils devinssent une partie nécessaire des sacrifices : d'abord Cicéron ne parle que des petits vases de Samos, et nous trouvons souvent de grandes formes dans la poterie sigillée ; ensuite Plaute parlant des vases de Samos, employés aux sacrifices, n'en désigne pas la couleur, et notre observation précédente revient ici dans toute sa force, c'est-à-dire qu'il n'est rien moins que sûr que la poterie de Samos, dont parlent les écrivains latins, soit notre poterie sigillée. Nous ajoutons maintenant que l'immense quantité de poterie sigillée ou simplement rouge que l'on trouve chaque jour et en tout pays, ne permet pas de penser que son usage eût une application aussi restreinte que celle des sacrifices ; il devait avoir pour objet plus habituel la vie civile ; elle devait constituer une espèce de vaisselle de luxe, suivant l'expression de M. de Caumont. La cause de son brisement ne serait donc pas dans une répugnance religieuse pour son ancienne application, mais dans une autre cause fort simple, celle qui atteint tout objet fragile, l'enfouissement et le contact brusque avec des objets étrangers. C'est parmi des ruines qu'ils sont rencontrés, et les ruines conservent mal des choses fragiles.

Nous dirons encore que le' nombre des vases conservés intacts est plus grand que ne le pense l'auteur du Mémoire. Les renduscomptes des nombreuses fouilles exécutées depuis quelques années nous le témoignent, et nous rappellerions ici, au besoin, l'ouvrage de M. Jollois sur le produit des fouilles du Grand-Cimetière.

Nous dirons encore que l'ornementation de ces vases ne représente pas souvent des sujets condamnés par la religion : quelques-uns peuvent et doivent être sans doute reprouvés par elle; mais ils offrent le plus communément des ornements inoffensifs, et que les chrétiens pouvaient conserver.

L'enfouissement et la présence violente de corps étrangers, voici, suivant notre avis, la véritable cause de leur altération.


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L'auteur passe au deuxième chapitre les divers objets trouvés dans les fouilles.

Nous adoptons pleinement l'opinion de M. de Pibrac sur la destination de l'instrument en os troué, planche dessinée par l'auteur. L'opinion autrefois reçue était que cet instrument était un fragment de flûte ou la flûte entière. II était néanmoins difficile de croire qu'un objet laissé à toute sa grossièreté intérieure, quand son extérieur recevait quelque soin de polissage, fût destiné à devenir un instrument de précision tel que le demandent les sons gradués et harmonieux d'une flûte. L'opinion actuelle des archéologues y voit un sifflet de théâtre, ainsi que l'explique M. de Pibrac. La grande quantité de ces instruments trouvés dans les pays romains et gallo-romains en est la preuve. Il fallait également à nos aïeux : Panem et circenses. Or, le sifflet est tout à la fois le plaisir et la puissance du spectateur. Le peuple du BasEmpire se passionnait et versait même le sang pour les conducteurs bleus ou rouges de ses courses, le peuple romain ou galloromain devait éprouver les mêmes émotions et le besoin de les rendre. Il était plus raisonnable, quoique non moins passionné, que le grec dégénéré. Chez lui le sifflet remplaça le coup de poing et l'usage du glaive. Nos observations ne nous empêcheront pas cependant, messieurs, de louer le travail de l'auteur ; il est intéressant, clair et sérieux.

Il est une bonne page de plus ajoutée à celles dont M. de Pibrac nous a enrichis, et qui se joindra à d'autres non moins précieuses.


- 268 — ANALYSE DES COMPTES-RENDUS DES SÉANCES DE L'ACADÉMIE DES

SCIENCES, DU 23 FÉVRIER AU 13 AVRIL 1863 INCLUSIVEMENT ;

Présentée au nom de la Section des Sciences ei Arts, par M. SAINJON.

Séance du 15 mai 1863.

SOMMAIRE.

Expériences sur l'engraissement du bétail à l'étable. — Etudes sur la toison du mouton. — La sériciculture en Orient. — Le ver à soie de l'ambrevate, à Madagascar. — Valeur des influences locales sur le climat d'un lieu donné. — Les bâtiments cuirassés.

Les questions d'alimentation et d'engraissement du bétail jouent un rôle considérable dans notre économie agricole. Mais toutes nos provinces ne sont pas dotées de ces pâturages qui procurent un gain assuré à leurs heureux propriétaires ; là où cette source de richesses n'existe pas, les animaux nourris à l'étable couvrent difficilement par leurs produits les dépenses faites en fourrages et en grains, et le fumier obtenn sur place est bien souvent le seul bénéfice de l'opération. M. Jules Reiset, agriculteur et membre correspondant de l'Académie des Sciences, ne juge pas la situation aussi mauvaise; il justifie son opinion par les résultats de la pratique agricole qu'il a adoptée depuis plusieurs»anuées dans son exploitation, et il pense qu'on peut obtenir à l'étable de bons animaux de boucherie payant largement leur nourriture et laissant en fin de compte un boni réel. M. Reiset repousse tout d'abord un système d'engraissement trop rapide et condamne comme inutile et trop onéreux l'usage des grains et des tourteaux dès le début de l'engraissement. Il est donc en désaccord avec beaucoup de bons esprits qui, frappés de cette pensée que l'animal à l'engrais doit recevoir le plus promptement possible une ration alimentaire supérieure à la ration d'entretien, admettent comme principe incontestable que l'engraissement ne peut être avantageux qu'à la condition d'être mené très-rapide-


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ment, et qu'il faut donner en conséquence, dès le début, des aliments riches eu azote. On ne tient pas, suivant lui, assez compte de l'équilibre naturel de l'économie animale; la nature s'oppose par les sécrétions à un engraissement trop rapide, et la force d'assimilation ne croît pas immédiatement avec une alimentation exagérée ; il faut donc mesurer l'une à l'autre, et une ration composée de betteraves ou de pulpes de betteraves avec de la paille à discrétion lui a très-bien réussi pour amener soit des moulons, soit des bêtes de la race bovine, à un état tel qu'une très-petite quantité de grains suffisait ensuite pour terminer l'engraissement.

M. Reiset a cherché à mettre en lumière les principes qui le guident aujourd'hui ; il s'est proposé d'établir un compte de balance exact entre les principes élémentaires mis en circulation pendant l'alimentation d'une part et, de l'autre, les principes assimilés ou fixés, et les principes qui sont éliminés soit à l'état d'excréments^ soit à l'état de gaz, soit par la respiration, et il s'est livré dans ce buta des séries d'expériences propres à bien établir les conditions économiques de la production de la viande. L'azote, qui de tous lés principes élémentaires est dans l'industrie agricole celui qui possède sous toutes ses formes la plus grande valeur, s'est présenté naturellement à son esprit comme le terme commun de comparaison auquel ses expériences devaient être rapportées, et ce qui ressort nettement de l'analyse à laquelle il s'est livré, ce sont les variations que présentent les quantités d'azote assimilées par des moutons à diverses périodes de l'engraissement, à en juger par les variations en sens inverse des quantités d'azote non utilisées pendant ces mêmes périodes. Il' faut faire deux parts de l'azote des aliments que l'animal n'assimile pas : l'une constitue une perte sèche, c'est celle qui est exhalée par la respiration ; il est difficile, pour ne pas dire impossible, de la doser exactement par jour, mais les expériences de MM. Boussingault, Jorgensen, Regnault, Barrai, mettent le fait hors de doute; M. Reiset l'a évaluée pour la série de ses expériences aux 28/100es de la proportion totale d'azote contenue dans les aliments, soit à 6 grammes en vingt-quatre heures pour T. vu. 19


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un mouton soumis à un régime alimentaire riche en matières azotées ; l'autre n'est pas complètement perdue, puisqu'on la retrouve dans les excréments liquides et solides et qu'elle donne une valeur au fumier, et celle-là on peut la déterminer rigoureusement. Or, voici ce que M. Reiset a constaté pendant une expérience de cent soixante-huit jours faite sur des moutons nés à la même époque et choisis aussi semblables que possible. Disons immédiatement pour mieux comprendre ce qui suit que, par suite des nécessités d'expérimentation, ils ont été tenus pendant tout ce temps à l'étable sans litière.

Dans les quarante et un premiers jours, soumis exclusivement à un régime alimentaire composé d'avoine en grains, de betteraves cuites et de son, ils prospérèrent mal et perdirent de leur poids, ils laissaient une partie notable de leur ration d'avoine ou de betteraves, le son seul était entièrement consommé ; comme il importait de changer au plus vite un régime qui amenait le dépérissement des sujets, M. Reiset se proposait d'augmenter la ration de son, lorsque l'instinct de ces animaux lui révéla ce qui manquait essentiellement à leur alimentation; le jour où on les conduisit à la balance, les moutons trouvèrent sur leur passage un lien de paille qui traînait dans la cour de la ferme ; ils se jetèrent comme des affamés sur cet aliment dont ils ne sont pas friands d'ordinaire, et le lien de paille fut dévoré en un instant. Témoin de ce fait, M. Reiset n'hésita pas à introduire la paille dans leur ration journalière ; ils regagnèrent dès lors assez rapidement ce qu'ils avaient perdu, et leur engraissement marcha convenablement. Or, dans la première et mauvaise période de quarante et un jours dont il a été question, on a retrouvé dans les excréments les 72/100es de l'azote contenu dans les aliments, tandis que, dans les cent vingt-sept derniers jours, la proportion est progressivement descendue, et à mesure que les moutons engraissaient davantage, à 58 et à 50 p. %. Ces chiffres sont significatifs puisqu'ils montrent bien le développement progressif de la puissance d'assimilation au moins quant à l'azote, et il est rationnel d'en conclure qu'il ne faut pas dans la pratique lui demander tout d'abord ce qu'elle n'est pas encore en mesure de donner,


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Nous ne voulons pas suivre M. Reiset dans tous ses calculs et dans toutes ses déductions ; nous nous bornerons à rendre compte du résultat de ses expériences sur la valeur alimentaire comparée de la betterave crue, de la betterave cuite et des pulpes de betteraves fournies par les distilleries agricoles. On sait que la betterave sous chacune de ces formes a trouvé des partisans exclusifs, que même quelques agriculteurs ont été jusqu'à proclamer que les principes sucrés sont nuisibles ou tout au moins inutiles pendant l'alimentation, et qu'à poids égal la pulpe privée de sucre vaut la betterave. M. Reiset a mis à profit l'établissement d'une distillerie agricole sur son exploitation pour faire quelques expériences sur cette question si intéressante et si vivement débattue ; il a composé trois lots de cinq moutons chacun choisis aussi semblables que possible au milieu de produits âgés de vingt-trois mois et provenant d'un premier croisement South-Down. Pendant les cent soixante-six jours qu'a duré l'expérience, il a donné à consommer :

Au premier lot, 3,193 kilog. de betteraves crues ;

Au deuxième lot, 4,052 kilog. de pulpes;

Au troisième lot, 4,159 kilog. de betteraves cuites à la vapeur, représentant 3,466 kilog. de betteraves naturelles.

Les trois lots ont reçu ea outre chacun 167 kilog. de menue paille et 161 kilog. de son.

II paraît que, soumis à ce régime, ils sont tous parvenus à un point satisfaisant d'engraissement et de qualité de viande.

La quantité de son et de menue paille restant invariable pour tous les moutons, on peut attribuer sans erreur aux rations de betteraves et de pulpes les différences observées dans l'augmentation de poids vivant.

Or, l'augmentation de poids du premier lot a été de 45 kilog. 3, soit de 1 kilog. pour 70 kilog. de betteraves crues.

Celle du deuxième lot a été de 39 kilog. 9, soit de 1 kilog. pour 101 kilog. de pulpes.

Enfin celle du troisième lot a été de 58 kilog. 7, soit de 1 kilog. pour 70 kilog. de betteraves cuites à la vapeur, ou pour 59 kilog: de betteraves naturelles avant la cuisson.


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On voit, dit M. Reiset, que les partisans exclusifs de la pulpe de distillerie ont tort de vouloir exagérer sa valeur en disant qu'à poids égal elle vaut la betterave. On fait ainsi trop bon marché des principes sucrés et de leur rôle pendant l'engraissement. La vérité est que, pour obtenir les mêmes résultats, il faut en chiffres ronds 100 kilogrammes de pulpe et 65 kilogrammes de betteraves, en prenant une moyenne entre les betteraves cuites et les betteraves crues consommées avant la cuisson ou, en d'autres termes, que si la betterave vaut 12 fr. les 1,000 kilogrammes à la ferme, il n'y aura bénéfice à employer la pulpe qu'autant que celle-ci vaudra moins de 8 fr.

Il est toutefois juste de dire que la richesse en azote du fumier fourni par les moutons nourris à la pulpe a été, dans les expériences de M. Reiset, supérieure d'un tiers à celle du fumier des deux autres lots, et il faut tenir compte de cette circonstance si l'on veut établir le prix de revient définitif.

Avant de conclure d'une manière positive sur la valeur alimentaire qu'il convient d'attribuer soit à la betterave crue ou cuite, soit à la pulpe, M. Reiset a cru devoir entreprendre une autre série d'expériences dans lesquelles il a supprimé le son qui avait pu jouer un certain rôle dans l'engraissement par son mélange avec les autres aliments ; il a conservé toutefois la ration de paille dont l'expérience lui avait appris le rôle indispensable. En conséquence, trois lots chacun de cinq moutons de même race que les précédents reçurent, en dehors de la paille, pour toute nourriture pendant cent cinquante-six jours: le premier de la betterave crue, le second de la pulpe et le troisième de la betterave cuite à la vapeur; enfin un quatrième lot reçut chaque jour, pendant le même laps de temps, deux kilogrammes de grains avec une abondante ration de pulpe ; comme c'était là le régime auquel étaient précisément soumis alors les moutons de l'exploitation de M. Reiset, il lui importait de savoir d'une manière positive comment les animaux paient la ration de grains et dans quelle proportion elle augmente les produits.

Le premier lot a consommé 4,002 kilog. de betteraves crues et 312 kilog. de paille pour gagner 65 kilog. 25.


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Le deuxième lot a gagné 58 kilog. 75 pour 5,797 kilog. de pulpes et 312 kilog. de paille.

Et le troisième lot, 59 kilog. pour la même quantité de paille, et 5,070 kilog. de betteraves cuites représentant 4,226 kilog. de betteraves naturelles.

Quant au quatrième lot, il a gagné 61 kilog. 5, au prix de 4,588 kilog. de pulpes, 122 kilog. d'orge, 138 kilog. d'avoine, 312 kilog. de paille et 34 kilog. de son.

Il résulte de là que, pour obtenir un accroissement d'un kilog. de poids vivant, il a fallu 61 kilog. de betteraves crues, 98 kilog. de pulpes, 71 kilog. de betteraves consommées après cuisson et 75 kilog. de pulpes avec ration de grains. Ces résultats confirment ceux de la première expérience ; pour obtenir un même accroissement de poids il a fallu, en chiffres ronds, 100 kilog. de pulpes et 65 kilog. de betteraves, en prenant toujours la moyenne entre les betteraves crues et les betteraves cuites. On doit remarquer ici que la ration de grains donnée au lot n° 4 n'a remplacé que 25 kilog. de pulpes, puisque pour obtenir un kilog. de poids vivant il n'a plus fallu que 75 kilog. de ce même aliment ; c'est là évidemment au point de vue économique un assez médiocre résultat, car pour une différence qui n'atteint pas trois kilog. de viande ou a dépensé 300 kilog. de grains ayant une valeur de plus de 50 fr.

De pareils résultats n'ont pas besoin de commentaires, ils prouvent que l'on peut produire à l'étable et économiquement de bons animaux de boucherie ; à ce point de vue l'établissement de sucreries et de distilleries agricoles réalise un grand progrès du moment où il fournit dans les fermes des pulpes à bon marché. M. Reiset a mis à profit les iudications utiles que ses expériences lui ont données, et il a modifié depuis avec avantage l'alimentation de ses moutons. Il fait toutefois sagement remarquer qu'il n'a pas pour cela exclu l'emploi des tourteaux ou des grains, mais il les réserve pour la fin de l'engraissement. « Une « nourriture un peu stimulante, dit-il, dans la dernière période « de l'engraissement, produit un effet utile en augmentant très« notablemeut la force d'assimilation; sous celte influence le bé-


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« tail gagne en finesse et en qualité ; c'est là un fait dont il faut « tenir compte dans la pratique, et, tout en recherchant les con« ditions les plus économiques pour la production de la viande, « on ne doit pas oublier que l'augmentation de poids ne constitue « pas la seule valeur qui sera attribuée à la bête de boucherie. « Par un engraissement convenable, le kilogramme de viande « acquiert une plus-value considérable qui devient le principal « profit de l'opération. »

A côté des expériences de M. Reiset sur la production de la viande de boucherie, se place avec distinction un Mémoire de M. Beaudoin sur la toison du mouton ; la Commission nommée par l'Académie en a fait le plus grand éloge et a su gré à Fauteur d'avoir choisi une méthode qui met en relief la concordance entre les faits de la pratique et les principes de la science. M. Beaudoin a étudié avec le plus grand soin l'influence du sexe, de la castration, de l'âge, de la santé et du régime alimentaire, et il a réuni des observations précieuses de nature à guider les agriculteurs dans leurs spéculations. Voici quelques-unes des conséquences auxquelles M. Beaudoin est arrivé :

Le lainage est une moyenne entre celui du père et de la mère lorsqu'ils sont de même âge ;

Quand la dissemblance entre le père et la mère est très-marquée, le lainage est un mélange de celui du père et de la mère, mais non une combinaison, ce qui diminue la valeur de la toison ;

Lorsque l'âge des parents est différent, c'est le plus âgé qui transmet le plus ses qualités ;

Les parents très-âgés, surtout le mâle, ont une tendance trèsmarquée à donner du jarre au produit ;

Tous ces faits ne manquent pas d'importance, on le voit, et nos agriculteurs du Loiret pourront en tirer profit.

Bien que notre Département ne se prête pas à l'élevage du ver à soie, nous croyons qu'on écoutera avec intérêt une analyse des observations faites en 1860, 1861 et 1862, par M. Dufour, délégué du Commerce français à Constantinople, et faisant suite à


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celles qu'il avait antérieurement recueillies en Orient en 1857, 1858 et 1859.

Les habitudes séricicoles de l'Orient ne ressemblent pas à celles de l'Occident ; on y cultive en général le mûrier sauvage blanc au lieu du mûrier greffé ; on le recèpe tous les ans, et c'est la feuille attachée au rameau que l'on distribue, aux vers établis sur les planchers des magnaneries. M. Beaudoin proclame hautement la supériorité de cette pratique tout en signalant une lacune dans l'élevage oriental, savoir : l'insuffisance des précautions prises contre les intempéries. Là a été la cause des mécomptes de l'Orient pendant les campagnes de 1857 et de 1858 ; mais aussi, les résultats uniques de la campagne de 1859, au milieu des désastres de l'Occident, sont, il faut en convenir, un argument bien puissant en faveur des éducateurs turcs. Le récépage annuel est éminemment favorable à la production de la feuille ; un mûrier sauvage conduit dans de pareilles conditioas produit encore au bout de cent ans de belles pousses bien touffues sur un Irone qui n'est souvent qu'un composé d'aubier et d'écorce, et on ne peut évaluer à moins de 25 p. % ce qu'il rend de feuilles en plus que lorsqu'il n'est pas récépé.

Ce qui paraît également certain, c'est que les vers délaissent la feuille du mûrier greffé pour se jeter avec voracité sur la feuille du mûrier sauvage qui, à cause de sa nature et de sa forme, n'est presque jamais attaquée par la manne et la rouille. M. Dufour apprend en outre que, d'après les remarques faites sur des petites éducations de même race et de inême importance et les expériences qu'il a lui-même suivies avec soin sur des vers de race Lefké, il faut en poids, pour l'alimentation des vers, de 25 à 30 p. % de moins de feuilles de mûrier sauvage que de mûrier greffé même récépé tous les ans ; et comme, à nombre égal, le rendement en soie des cocons est en même temps augmenté de 5 p. %, on peut présumer que la feuille de mûrier sauvage contient aussi 5 p. °/0 de plus en principe soyeux que celle du mûrier greffé.

Si l'on ajoute que l'élevage aux rameaux sur le plancher même des magnaneries n'exige pas plus d'espace que l'élevage occidental et procure une économie de 70 p. % de main-d'oeuvre, la


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pratique orientale paraît de nature à attirer sérieusement l'attention de nos sériciculteurs ; car on pressent immédiatement dans quelle proportion pourrait s'accroître la richesse de la production nationale.

Là ne se borneraient pas, suivant M. Dufour, les avantages de la méthode turque. Tout en constatant que la maladie actuelle des vers à soie est une épidémie héréditaire se compliquant accidentellement de maladies intercurrentes variables, il pose en fait que le fléau n'a apparu en Orient pour ainsi dire qu'à l'état de symptôme et seulement dans quelques localités à plantations de mûrier greffé, notamment à Demerdèche en Anatolie, et à Andrinople en Roumélie ; il conclut, à raison même de ces deux exceptions, quel'immunilé dont jouissent les autres parties de la Turquie ne doit être attribuée qu'au choix du mûrier sauvage et au mode de récépage, annuel qui, en empêchant le développement des fruits, augmente le pouvoir nutritif de la feuille et tourne à l'avantage de l'alimentation des vers à soie. Il semble en conséquence à M. Dufour que l'épidémie pourra disparaître en Occident à la condition d'adopter les habitudes "séricicoles de l'Orient et ses races robustes. Il cite à ce sujet une expérience faite pendant trois années consécutives sur quelques vers, race jaune de Toscane ; il a vu la maladie héréditaire disparaître à la troisième génération, sous l'influence d'un régime de feuilles de mûrier sauvage récépées annuellement et servies avec les rameaux. À mesure que l'économie animale du ver se rétablissait, par une meilleure nourriture, les cocons ont passé du jaune au blanc ; et, suivant l'auteur, le changement de couleur bien constaté du jaune au blanc sur un terrain calcaire, en regard de la transformation contraire du blanc au jaune dans les localités à base argileuse, serait la justification complète de ses doctrines.

Sans admettre toutes les conclusions théoriques de M. Dufour, M. de Quatrefages qui a présenté son travail s'associe à ses vues, et il est convaincu qu'en sériciculture les grands progrès doivent s'accomplir surtout par la simplification des procédés. L'expérience aura à constater si notre pays de France se prête aussi bien que l'Orient au récépage annuel des mûriers et à


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l'élevage aux rameaux ; il est à désirer que des essais soient tentés dans ce sens, et c'est ce que M. Dufour demande tout le premier.

Nous ne quitterons pas le sujet si important de la production de la soie sans parler du bombyx de l'ambrevate que l'on élève à Madagascar, et qui, suivant M. Vinson, pourrait être naturalisé comme les bombyx du ricin, de l'ailante et du chêne. Voici les détails qu'il donne sur cette nouvelle espèce : les Hovas relèvent en plein champ et sans grands frais sur des pieds d'ambrevate, plante du genre des cytises. Ils font de deux à quatre éducations par an, surveillent l'éclosion des jeunes chenilles et les transportent immédiatement après en plein air, où l'éducation s'achève sans grande crainte des oiseaux insectivores qui sont rares dans la contrée. Toutefois certains sériciculteurs préfèrent opérer à couvert afin de parer aux chances d'accidents.

La chenille est épineuse, et les fines aiguilles qu'elle laisse dans les cocons ne permettraient pas de manier ceux-ci sans danger, si on ne les soumettait pas à une ébullition préalable à la suite de laquelle tombent les piquants. La soie est rendue plus lâche et plus facile à carder, car les Hovas ne la dévident pas ; ils se contentent défiler la bourre qu'ils ont obtenue et fabriquent ainsi des étoffes d'une grande solidité.

La couleur naturelle de la soie est un gris clair d'une nuance agréable, et ils l'emploient souvent sans teinture. Quand ils la teignent, ils se servent comme mordant du sulfate de fer ou d'acides végétaux, et la colorent soit en rouge avec le rocou, soit en jaune avec le safran, soit en bleu avec l'indigo, soit en brun en l'enfouissant simplement dans les marais.

Le dévidage de la soie du ver de l'ambrevate ne serait pas une difficulté, et M. Vinson pense que ce bombyx pourrait être utilement introduit dans l'Ile-de-la-Réunion où le ver à soie ordinaire réussit mal, en Algérie, en Corse et peut-être dans quelquesuns de nos déparlements méridionaux. L'expérience serait intéressante surtout si l'insecte pouvait vivre sur un de nos cytises. Il n'y a là rien que de très-possible ; mais on sait qu'en fait d'acclimatation il ne faut pas toujours se laisser séduire par


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la similitude géographique des climats. En dehors de la latitude d'un lieu donné, on doit tenir compte de l'étendue du continent auquel il appartient, de celle des mers qui l'avoisinenl, en un mot, de toutes les circonstances qui peuvent influer sur le rayonnement calorifique de la surface terrestre. Qui ne sait que, malgré la différence des latitudes, le climat de Paris est plus doux que celui de New-York ou de Pékin, que l'Ecosse et l'Irlande jouissent d'hivers tempérés? Dans le nord de l'Irlande, sur les côtes de Glenam, par 54 et 56 degrés de latitude, sous le parallèle de Koenigsberg en Prusse, le myrte végète avec la même force qu'en Portugal ; à peine y gèle-t-il en hiver, et cependant la température de l'été n'y est pas suffisante pour faire mûrir le raisin. Ainsi encore sur les côtes du Devonshire, de l'autre côté de la Manche, on a vu des orangers en espalier rapporter des fruits. Rien de semblable n'a lieu dans l'intérieur des continents, où les hivers sont plus froids et les étés plus chauds.

M. Becquerel a étudié tout particulièrement ces effets d'influences locales, et il a montré qu'on ne saurait les négliger dans les études climatologiques. Il n'est pas jusqu'à la nature du terrain où la distance plus ou moins grande du sol et de bâtimeuls circonvoisins à laquelle sont situés les instruments d'observations, dont il ne faille tenir compte avec le plus grand soin. Il en donne un exemple très-frappant tiré de la comparaison des indications de deux thermomètres placés au nord ; mais l'un à l'Observatoire, à sept mètres au-dessus du sol et à proximité d'un grand bâtiment, et l'autre au Jardin-des-PIantes, à: 1 mètre 33 seulement de hauteur, et éloigné de quelques centaines de mètres des constructions environnantes. Les températures moyennes des années 1861 et 1862 y ont été les mêmes à quelques centièmes de degré près ; mais il n'en est pas de même pour celles des saisons, les étés se sont montrés un peu plus chauds et les hivers un peu plus froids au Jardin-des-PIantes qu'à l'Observatoire. Voici, en effet, ce que donnent pour ces deux années les moyennes déduites des maxima et minima :


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A l'Observatoire. Au Jardin-des-PIantes. Différences.

Hiver météorologique, composé des mois de :

Décembre, Janvier, Février. 3° 12 2° 79 — 0° 33

Printemps 11e 23 11° 23 — 0° 00

Eté 17° 79 18° 38 — 0° S9

Automne 11° 63 11° 32 — 0" 31

L'hiver météorologique de 1863 a donné le résultat suivant :

Température moyenne à l'Observatoire 5° 4(>

Température moyenne au Jardin-des-PIantes 4° 70

Différence .. 0° 76

Quant aux différences soit entre les maxima, soit entre les îainima de chaque jour, elles sont encore plus considérables ; elles se sont quelquefois élevées à 2° 5, à 5° 5 et même davantage.

Ces chiffres montrent clairement la nécessité de prendre en considération les influences locales dans la détermination des températures devant servir à la classification des climats.

Il y aurait sans doute à vous signaler encore bien d'autres travaux soumis à l'Académie des Sciences; mais limité parle temps et l'espace, j'ai cru devoir consacrer la fin de ce compterendu à un sujet unique, sujet du plus haut intérêt et qui a fait l'objet d'une communication de M. le contre-amiral Paris ; je veux parler des bâtiments cuirassés. Il vous fallait, Messieurs, une plume plus autorisée que la mienne pour traiter une semblable question, et j'ai prié mon camarade et ami, M. l'ingénieur de la marine Frot, qui réside à Orléans, de vouloir bien le faire en mon lieu et place. Il s'y est prêté avec une complaisance dont vous lui saurez gré ; dans ces pages où domine le sentiment de la valeur maritime de la France, vous reconnaîtrez l'allure décidée d'un esprit convaincu :

Il y a un an, on soupçonnait à peine en France les grandes et coûteuses transformations qu'avait subies notre marine militaire. On savait vaguement que la vapeur avait détrôné la voile, que l'on bardait de fer quelques bâtiments, que c'était avec des batteries flottantes qu'on avait réduit Kinburn, et l'on ne cherchait


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Le combat naval d'Hampton-Road reproduit par tous les journaux vint, grâce à son étrangeté même, changer cette indifférence en une vive curiosité. On apprit qu'un navire recouvert d'une épaisse cuirasse avait, sans recevoir pour ainsi dire une égratignure, coulé en un instant une des plus belles frégates Américaines, et n'avait pu être arrêté dans son oeuvre de destruction que par un autre bâtiment cuirassé comme lui. Cette journée célèbre avait décrété la fin des navires de guerre en bois depuis longtemps condamnés dans l'esprit des hommes spéciaux. Chose remarquable, on parla beaucoup du Monitor et du Merrimac, on les vanta outre mesure, on se préoccupa des formes plus ou moins excentriques du Monitor qu'on avait baptisé une oeuvre de génie, sans se douter que nous possédions déjà des frégates cuirassées infiniment supérieures. Depuis, un événement désastreux est venu dissiper les illusions : s'étant aventuré en mer, ce bâtiment, hors d'état de résister au mauvais temps, a sombré ; ainsi ont disparu ces deux navires, dont l'un s'est fait sauter et l'autre a été emporté par une tempête.

Laissons-donc de côté les vaisseaux américains qui ne peuvent, pour le moment, nous causer aucune inquiétude, et contentonsnous de jeter un coup-d'oeil sur notre marine et sur celle des Anglais ; c'est ce parallèle, tout à notre avantage, que nous nous proposons d'entreprendre.

Si nous nous reportons au premier Empire, nous voyons notre marine militaire toute composée de bâtiments à voiles tellement inférieure à la marine Anglaise, que ce n'est guère qu'à leur corps défendant que les meilleurs amiraux de Napoléon acceptent le combat. En 1830, nous avions emprunté à l'ingleterre la première machine à vapeur destinée à remplacer les voiles, et \eSphyr>x, qui reçut cette machine, nous aida puissamment dans la conquête d'Alger ; longtemps encore nous fûmes tributaires des Anglais et ce ne fut guère qu'après 1840 que nous nous mîmes sérieusement à construire nous-mêmes les machines qui devaient être montées à bord de nos bâtiments.


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Sur ces entrefaites arrive l'hélice, et c'est de cette époque que date la résurrection définitive de notre marine militaire. L'appareil des roues placées de chaque côté du navire, exposées par conséquent aux boulets ennemis, n'était pas assez sûr pour permettre d'effectuer sans une certaine inquiétude une transformation un peu importante des navires à voiles en navires à vapeur. L'hélice immergée complètement à l'arrière constituait un appareil éminemment militaire et devait mettre un terme à toute hésitation. De ce moment, en effet, nous commençâmes à marcher de pair avec les Anglais. Toutes les constructions nouvelles, à part de très-faibles exceptions, furent faites en vue de recevoir une machine à vapeur; en outre, la plupart de nos anciens navires fureut allongés et munis d'un appareil à hélice. Grâce à cet immense progrès, les bâtiments à voiles ne pouvaient plus être considérés comme engins de guerre ; toute cette nombreuse flotte anglaise, que nous n'aurions jamais pu, malgré les plus coûteux efforts, parvenir à égaler, fut du coup anéantie moralement, et nous n'eûmes plus à compter qu'avec leurs bâtiments à hélice.

Un grand pas restait à faire. On avait bien adopté des deux côtés du détroit la machine à vapeur à quelques vaisseaux, mais en se contentant de leur donner une vitesse de huit noeuds environ. A M. Dupuy de Lôme revient l'honneur d'avoir le premier proposé de mettre à bord d'un vaisseau une machine assez puissante pour lui donner une vitesse supérieure ; son projet fut exécuté, il en sortit le Napoléon dont la vitesse de onze à douze noeuds déconcerta notre rivale de la Mauche, surprise et furieuse, après avoir été si longtemps à la tête des progrès navals, de se voir distancée cette fois par la France. Dès lors nous eûmes l'avance et nous ne la perdîmes pas. Après avoir inauguré chez nous les vaisseaux à grande vitesse, les premiers nous appliquâmes la cuirasse d'abord aux batterie flottantes destinées à agir uniquement contre les forts, et, après les batteries flottantes, aux frégates la Gloire, YInvincible, la Normandie. Kinburn venait d'être réduit quand les Anglais mirent à l'eau leurs premières batteries flottantes, et la Gloire allait être lancée lors-


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que, de l'autre côté du détroit, on se décida à construire le Warrior.

La batterie flottante et la frégate cuirassée sont deux engins de guerre complètement différents. La première est destinée à combattre uniquement les ouvrages de terre. Dans ce but, elle est percée de nombreux sabords lui permettant de mettre en jeu une artillerie puissante ; elle n'a qu'un très-faible tirant d'eau, afin de pouvoir s'embosser très-près du fort qu'elle doit attaquer; elle est cuirassée de bout en bout pour résister aux boulets ennemis. Mais pour réunir tous ces avantages, il fallut lui donner une faible machine, des formes peu effilées. Aussi, la vitesse ne dépassa-t-elle pas quatre à cinq noeuds. Cependant le but fut atteint, on put opposer à la batterie de terre une batterie de mer.

Qu'on s'imagine un bateau plat, presqu'un chaland, recouvert depuis son plat-bord jusqu'à 1 mètre 50 centimètres au-dessous de sa flottaison d'une cuirasse en fer de 10 centimètres d'épaisseur abritant complètement les artilleurs ; sur le pont, un massif en bois, destiné à protéger le commandant qui peut, en tournant autour, tout voir en restant à l'abri ; dans le chaland une machine de 150 chevaux nominaux, soit 400 chevaux de 75 kilogrammètres, faisant mouvoir deux hélices complètement à couvert sous l'arrière-plat et très-allongées du bateau, et on aura une idée assez nette de la batterie flottante.

Les mauvaises qualités nautiques de ce bâtiment n'en font pas, à proprement parler, un navire de guerre. Il peut se mouvoir d'un bout à l'autre d'une rade et, grâce à cette mobilité, être un excellent engin de guerre soit pour l'attaque, soit pour la défense; mais il ne peut tenir la mer, et un navire en bois, voire même à voiles, rencontré par une batterie flottante, aurait tort de se croire en danger. II restait donc un dernier pas à faire ; il s'agissait de construire de vrais bâtiments de guerre, cuirassés comme les batteries flottantes, mais de plus fortes dimensions, à tirant d'eau beaucoup plus considérable, munis d'une puissante machine, et joignant à l'invulnérabilité les meilleures qualités nautiques ; de là, la Gloire. Les Anglais n'avaient pas cru,


— 283 - avant de le voir, au vaisseau à grande vitesse ; ils ne crurent pas davantage à la frégate cuirassée, qui fut traitée d'utopie par les hommes les plus éminents de l'Angleterre. Ce ne fut que pour satisfaire à l'opinion publique, que l'amirauté anglaise ordonna la construction du Warrior. Quand celui-ci fut mis en chantier, la Gloire était terminée.

Si nous avions l'avance sur l'Angleterre, en revanche elle avait pour elle l'expérience de ce qui était fait ; ayant entre les mains tous les documents concernant la construction et l'armement de la Gloire, elle pouvait faire mieux. Elle l'essaya, voyons si elle réussit. Pour comparer plus à notre aise, commençons par décrire en peu de mots le système de construction de la Gloire.

Imaginez l'ancienne frégate à vapeur, c'est-à-dire un bâtiment de guerre garni d'une batterie couverte d'un pont. Supprimez la voilure qui ne peut être qu'un danger dans un combat naval ; agrandissez les dimensions pour permettre au navire de porter une cuirasse et une machine plus puissante; recouvrez le pont supérieur de plaques de tôle, qui auront le double avantage de le consolider et d'empêcher les obus de le traverser pour aller éclater dans la batterie ; appliquez sur le bordage extérieur, depuis le plat-bord jusqu'à 2 mètres au-dessous de la flottaison, des plaques de fer de 10 à 12 centimètres ; munissez cette frégate d'une machine de 900 chevaux nominaux, c'est-à-dire de 2,500 chevaux de 75 kilogrammètres tels qu'on les compte dans l'industrie ; ajoutez à cela sur le pont, pour le commandant, un blockaus également cuirassé, entouré d'une galerie extérieure, et recouvert d'une forte plaque de fer empêchant les obus de pénétrer, et vous aurez la Gloire. L'arrière, d'arrondi qu'il était, sera taillé en coin comme l'avant pour supporter les plaques ; l'avant relevé à la flottaison aura, dans le cas d'un abordage, le .pouvoir d'entr'ouvrir les flancs de son ennemi.

Les abordages ne sont pas rares, et certes les sinistres qu'ils ont occasionnés sont assez nombreux ; mais ce sont des abordages fortuits, des abordages provenant de malentendus. Au lieu de cela, supposez qu'un navire veuille en aborder un autre de


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vitesse à peu près égale, voire même notamment plus faible, l'opinion des hommes les plus compétents est que cela lui sera à peu près impossible. Il parviendra peut-être à le rencontrer et à se faire à lui-même autant ou même plus d'avaries qu'il n'en causera à son ennemi ; mais l'aborder dans de bonnes conditions, c'est-à-dire par le travers, il n'y arrivera pas. Si nous nous étendons un peu sur se sujet, c'est à cause de l'effet produit sur les esprits par le choc mortel que le Merrimac fit subir au Cumberland ; un détail avait été omis dans presque toutes les relations du combat d'Hampton-Road, et ce détail si important, le voici : le Cumberland ne pouvait pas éviter le choc tout simplement, parce qu'il n'était pas sous vapeur.

Loin de nous l'idée qu'il faut renoncer à l'éperon, mais il ne doit être, à notre avis, sérieusement appliqué qu'à des constructions spéciales, à des sortes de béliers marins qui, ne possédant pour toute défense que la cuirasse, pour toute arme que l'éperon, pourront être réduits à des dimensions assez faibles pour évoluer rapidement, et munis de machines assez puissantes pour leur imprimer une vitesse supérieure à celle de tous les autres bâtiments de guerre. Dans ces conditions l'abordage par le travers sera non-seulement possible, mais facile.

Revenons à la Gloire. Elle est armée de 36 canons rayés de 30, dont 2 sont sur le pont. La voilure n'est pas complètement nulle ; mais est réduite à trois voiles goélettes, destinées à conduire la frégate dans un port de relâche dans le cas où de graves' avaries surviendraient à la machine ; du reste, cette mâture est amenée immédiatement en cas de combat et ne peut gêner en rien la manoeuvre ; le gouvernail, qui dans nos vaisseaux à vapeur était exposé aux coups de l'artillerie ennemie, dans la frégate cuirassée est complètement abrité sous l'eau. Les seuls points vulnérables sont les sabords, par lesquels peuvent entrer les projectiles ennemis.

On croit assez généralement qu'un petit nombre de boulets traversant la muraille d'un vaisseau doivent le faire couler; c'est là une grande erreur. Sur un bâtiment en bois on craint peu les boulets, mais beaucoup les obus. Un vaisseau peut recevoir deux


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et trois cents boulets dans sa coque sans risque d'être submergé ; chaque trou se referme en partie par suite de l'élasticité du bois; en outre, on bouche l'ouverture avec une cheville garnie d'étoupes, et tout est dit. Un obus traversant la muraille et pénétrant dans la batterie produit, par son explosion, des effets terribles ; s'arrêtant dans le bois et y éclatant, il peut mettre le feu au vaisseau et, dans tous les cas, faire à la muraille une brèche autrement dangereuse que celle d'un projectile plein. Il résulte de ce fait qu'il n'importe pas tant d'empêcher le boulet de pénétrer que d'offrir à l'obus une résistance assez considérable pour le forcer à retomber à l'eau. C'est là surtout, qu'on ne l'oublie pas, le but de la cuirasse ; ajoutons qu'il suffit de bien comprendre cette inefficacité relative du boulet pour n'avoir plus à craindre ces canons monstrueux dont les Anglais font tant de bruit.

La Gloire a une vitesse moyenne de 12 noeuds, ce qui correspond à 18 kilomètres environ par heure ; elle possède 675 tonneaux de charbon ; il en résulte qu'elle peut franchir à toute vitesse 3,400 kilomètres en six jours environ. Comme la consommation du charbon varie en raison directe du cube de la vitesse, on conçoit qu'on puisse, en se contentant d'une moindre vitesse, fournir avec la même quantité de combustible une course plus longue. SI l'on n'allume que la moitié ou le tiers des trente-deux foyers composant la chaudière, on peut, avec une vitesse de 10 noeuds dans le premier cas, de 8 noeuds et demi dans le second, parcourir un espace beaucoup plus grand : 5,840 kilomètres en douze jours et demi avec la moitié des feux allumés, 7,080 kilomètres avec le tiers.

C'est un beau résultat sans doute; mais quand on songe qu'au bout de six jours la machine devient d'une inutilité complète faute de combustible, on ne peut s'empêcher de trouver cette limite bien étroite et de souhaiter ardemment de voir remplacer et le combustible et la machine par quelque chose de plus parfait.

La Gloire est construite en bois ; dans la partie où elle doil être cuirassée, elle est recouverte d'épais bordages de teak qu'on a reconnu plus élastique que le chêne ; c'est sur ce blindage que T. vu. , 20


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sont fixées, par des chevilles et des vis à bois, les plaques de fer.

Cette frégate est extrêmement stable; mais comme on devait s'y attendre, en reportant un poids si considérable sur les côtés du navire, les mouvements du roulis d'une faible amplitude sont un peu durs. En revanche, elle se comporte admirablement à la mer et ne souffre pas du tangage, grâce à l'égale répartition des poids de l'avant à l'arrière.

Voilà la frégate cuirassée française; passons maintenant à l'examen du Warrior. A l'époque où cette frégate fut mise en chantier, le Great-Eastem, de funeste mémoire, était dans toute sa splendeur. Les Anglais, lancés dans le gigantesque, voulurent que le Warrior fût pour la marine militaire ce que devait être le Great-Eastem pour la -marine marchande. La Gloire avait 78 mètres de longueur sur 17 mètres de largeur ; on donne au Warrior 105 mètres de longueur sur 17 mètres 70 cent, de largeur. On voit immédiatement qu'au point de vue de la stabilité, d'autant plus considérable dans un navire que le rapport de la largeur à la longueur est plus grand, le Warrior est de beaucoup inférieur à sa rivale. Il résulte encore de cette faible largeur qu'il évolue difficilement, roule et tangue beaucoup et que, dans une mer un peu houleuse, la Gloire, aux prises avec le Warrior, pourrait toujours prendre la position relative qui lui conviendrait le mieux.

Disons tout de suite que ce qui distingue surtout la frégate anglaise de la frégate française, c'est qu'elle est en fer, cuirassée seulement dans une partie de sa longueur et munie d'une machine beaucoup plus puissante, 1,250 chevaux nominaux. Les plaques de fer sont comme dans la Gloire portées par un blindage en bois de teak ; elle est armée de 50 canons dont 28 seulement sont abrités derrière la cuirasse ; enfin elle a reçu la voilure d'un vaisseau de ligne.

Autant de différences, autant d'erreurs de la part des Anglais. Leur bâtiment est en fer ; or, si le boulet, traversant une muraille de bois, ne cause presqu'aucun dommage, il n'en est pas de même lorsqu'il rencontre une muraille en tôle. Les rivets reliant les feuilles de tôle entre elles se sont entièrement transformés en fer


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extrêmement granuleux, soit par le travail même du rivetage, soit par suite des mouvements tourmentés du navire; tel rivet dont on n'aurait pu faire sauter la tête qu'avec les plus grands efforts devient, après quelque temps de travail à la mer, extrêmement cassant et se brise sous une pression relativement trèsfaible. Il arrive ainsi qu'au lieu d'un simple trou on a des plaques entières de tôle arrachées par le choc du boulet. Aussi avonsnous renoncé à employer le fer dans la construction de nos bâtiments de guerre (1). Les Anglais eux-mêmes ont reconnu leur erreur et font en bois leurs nouvelles frégates cuirassées.

Pour donner au Warrior une grande vitesse, on l'a muni d'une machine puissante, et, dans le but de l'alléger et de ne pas trop exagérer son tirant d'eau, on ne l'a cuirassé que dans la partie du milieu. Il en résulte que l'avant et l'arrière sont complètement à découvert et que 22 canons sur 50 deviennent inutiles en cas de combat. Le Warrior n'aurait donc que 28 canons à opposer aux 34 de la Gloire.

La vitesse du Warrior a été trouvée, aux essais, un peu supérieure à celle de la Gloire; mais il faut observer que sa coque était alors très-propre ; or, le fer a encore ce grave inconvénient de se couvrir très-promptement d'herbes et coquillages, ce qui diminue très-notablement la marche d'un navire (2).

Le gouvernail n'est pas protégé, et il suffira d'un boulet de canon bien dirigé pour le briser.

On a voilé le Warrior comme un vaisseau de ligne. Or, nous l'avons déjà dit, une voilure un peu complexe non-seulement est inutile dans le combat, mais est nuisible, maintenant surtout qu'on combattra à courte distance. Les agrès tombent sur le pont où ils empêchent toute circulation, glissent à l'eau, s'enroulent dans l'hélice et peuvent arrêter complètement la machine.

(1) Une seule de nos frégate cuirassée, la Couronne, a été construite en fer, mais elle est cuirassée de lavant à l'arrière.

(2) Les frégates cuirassées en construction dans nos porls recevrons des machines plus puissantes que celles de la Gloire : 1,000 chevaux nominaux au lieu de 900.


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Les deux nouvelles flottes sont en présence : d'un côté la marine française représentée par la Gloire, de l'autre la marine anglaise avec le Warrior pour champion. De quel côté serait la victoire? La réponse, à notre avis, est facile : nul doute que dans un combat corps à corps, la Gloire ne l'emportât sur le Warrior.

Voilà pour le présent. Voyons maintenant quelle influence cette transformaton si radicale peut avoir sur l'avenir.

Il y a dans toute marine militaire deux éléments bien tranchés : le matériel et le personnel. Sans bons matelots le meilleur navire ne vaut rien, et les marins les plus exercés ne tireront jamais un bon parti d'un mauvais vaisseau. Mais pour qu'un peuple soit puissant sur mer, il ne suffit pas qu'il ait de bons bâtiments et de bons marins, il faut encore que sa flotte soit assez nombreuse pour défendre son propre rivage et attaquer au besoin celui de son adversaire; il faut qu'il puisse toujours être sûr de trouver à un moment donné assez d'hommes pour armer les vaisseaux qui, en temps de paix, n'ont qu'un équipage restreint ou même n'en ont pas du tout. C'est sous ces divers points de vue que nous allons comparer l'Angleterre, autrefois maîtresse de l'Océan, avec les autres nations, la France en tête.

Les»Anglais, confinés dans une île, eurent nécessairement de très-bonne heure une marine marchande considérable. Obligés par-dessus tout de protéger leur commerce maritime, sans lequel ils n'eussent pu exister, ils cherchèrent naturellement à conquérir la royauté des mers ; ils y parvinrent, et tant que les progrès navals furent insignifiants, ils purent facilement la conserver. Nous venons de voir comment les trois révolutions survenues depuis trente ans à peine dans l'art des constructions navales leur firent perdre l'avantage du nombre ; de ce côté, l'invention des frégates cuirassées a été pour nous une véritable victoire gagnée sur l'Angleterre.

Quant au personnel naviguant, avouons tout d'abord que sous ce point de vue nous serons toujours bien inférieurs aux Anglais. Ils sont tous plus ou moins marins, sinon de fait, du moins de coeur; tous leurs intérêts sont engagés sur les mers. Notre marine marchande n'est rien comparée à la leur, et, si ce n'est dans nos


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grands ports de commerce qui représentent une bien faible partie de la France, on s'inquiète peu chez nous de voir nos navires circuler librement. Aussi ne trouvions-nous personne pour monter nos anciens bâtiments à voiles. Sous Napoléon on manquait de matelots, et ceux qu'on s'était procurés à grand'peine, simples pêcheurs pour la plupart, restant à bord de vaisseaux bloqués dans nos.portsde guerre, ne savaient et ne pouvaient apprendre leur métier. Avec l'hélice, la voilure a été diminuée, le personnel de l'équipage réduit. En outre, et ce que nous allons dire se rapporte surtout aux nouvelles frégates dont le gréement est à peu près nul ; cène sont plus, à proprement parler, des matelots qu'il faut, mais de bons chauffeurs, de bons mécaniciens, de bons artilleurs. Sur la Gloire, l'équipage se compose de 570 hommes, nombre bien supérieur à celui qui serait nécessaire pour la manoeuvre et le tir des pièces, mais dans lequel on a compris une réserve en cas d'abordage. Or, la Gloire a remplacé l'ancien vaisseau de ligne monté par 1,200 hommes ; chaque nouveau bâtiment de ce genre nous donne donc une économie de 550 matelots; et remarquons qu'on pourrait facilement, en cas de nécessité, surtout si l'on avait pour but unique l'attaque des ports de mer, réduire cet équipage à 450 hommes seulement.

Ainsi cette cause, qui nous plaçait dans une si grande infériorité relativement aux Anglais, n'existe plus ; le recrutement de notre flotte deviendra de plus en plus facile. Ajoutons que les autres nations pourront aisément se créer une marine toujours respectable, quel que soit le nombre des bâtiments qui la composeront, et que, si la guerre venait à éclater entre les deux nations si longtemps rivales, l'Angleterre ne pourrait plus, sans s'exposer à de terribles représailles, exercer ce droit de visite qu'elle s'était tyranniquement arrogé pendant le premier Empire.

Ce n'est pas tout.' On a bien supprimé les lettres de marque ; mais nous ne renoncerons jamais à faire la course avec nos navires de guerre. Si l'on ne permet plus à un simple particulier de poursuivre les bâtiments marchands pour son propre compte, tout en arborant le pavillon national, on n'a pas renoncé pour cela au droit de se servir du matériel de l'Etat pour faire à l'en-


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nemi le genre de guerre le plus efficace. Une prise en elle-même importe peu; ce qui importe, c'est d'arrêter le commerce de la nation avec laquelle on est en guerre, pour arriver pluspromptement à une paix honorable. Si un conflit s'élevait entre nous et nos voisins d'outre-mer, leurs relalions commerciales avec tous les peuples de la terre se trouveraient immédiatement interrompues, un bâtiment marchand ne pouvant en aucune façon échapper à un navire à vapeur qui l'apercevrait.

Ainsi, de tous côtés, dans ce rapide coup d'oeil que nous jetons sur les changements survenus dans la marine, nous n'apercevons qu'avantages pour la France. L'Angleterre, si haut placée au commencement de ce siècle que nous ne pouvions espérer l'atteindre, a été au moins égalée, et il est probable que si ces progrès avaient été accomplis il y a soixante ans, l'histoire n'aurait pas eu à enregistrer Waterloo.

Il serait curieux d'examiner quelle pourrait être l'issue d'un combat naval entre deux flottes composées de frégates cuirassées. Nous ne nous aventurerons pas dans cette délicate question ; disons seulement qu'il est probable qu'à l'avenir on évitera tout conflit sur mer comme inutile, et que les navires de guerre se borneront à faire la course et à attaquer les ports ennemis.

Là, nous trouvons une lacune à combler dans notre marine militaire. Grâce aux canons à longue portée et à l'invulnérabilité des nouveaux bâtiments, nos ports peuvent, comme ceux de nos voisins, être facilement incendiés. II leur faut donc de nouveaux moyens de défense. A l'avenir de résoudre ce problème! Nous avons voulu, dans cette courte notice, résumer ce qui était fait; nous nous arrêtons là où rien n'a été décidé encore. »


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TABLE

Pages.

ÉTUDE sur les expéditions de Jules César dans les Carnules ; par M. B. DE MONVEL S

CONSIDÉRATIONS sur le Genre et l'Espèce ; par M. H. SAINJON 105

RAPPORT sur ce mémoire ; par M. JULLIEN-CROSNIER 134

NOUVELLE ÉTUDE sur les ruines celtiques et gallo-romaines de la

commune de Triguères ; par M. B. DE MONVEL 137

RAPPORT sur cette étude ; par M. DE BUZONNIÈRE 180

RECHERCHES EXPÉRIMENTALES sur les plus grandes quantités d'air qu'on peut expirer et aspirer dans les grandes respirations ; par M. MASURE , 189

RAPPORT sur le mémoire ci-dessus ; par M. le docteur GUÉRAULT. 197

ANALYSE des comptes-rendus des séances de l'Académie des Sciences, du 27 octobre au 15 décembre 1862 inclusivement ; par M. H. SAINJON 200

NOTICE sur François Chevillard ; par M. G. BAGUENAULT DE VIÉVILLE 211 RAPPORT sur cette notice ; par M. DUPUIS 218

ANALYSE des comptes-rendus des séances de l'Académie des Sciences, du 22 décembre 1862 au 16 février 1863 ; par M. H. SAINJON 226

MÉMOIRE sur les fouilles du puits des Minimes; par M. DE PIRRAC. 244 RAPPORT sur ce mémoire ; par M. DESNOYERS 264

ANALYSE des comptes-rendus des séances de l'Académie des Sciences, du 23 février au 13 avril 1863 inclusivement ; par M. H. SAINJON 268



■MM.

MACARIO, à Lyon, MALLE, â Strasbourg. MARCHANT, à Gien. MARÉCHAL, à Paris. MEIRIEU, à..... MELI, àRavenne. MILLET, à Tours. MONFALCON, à Lyon

NAUCHE, àParis.

OLIVIER, àCaen.

PASQUIER, à Paris. PEIXOTO, O Rio de Janeiro. PELLIEUX, à Beaugeticy. PESCHE jeune, à Farts. PETIT, à Paris. PIERRE (Isidore), à Caen. PIHAN-DUFEILLAY,à Nantes. PILLIEN, à-La Charité. PINET, à La Rochelle. PLANCHON, à Montpellier. PONGE, à Paris.

- MM.:

RAFFETOT (de), à Versailles. RAYNAUD, à Aix. ROCQUES, à Paris. RosNY(de), à Paris. ROUILLÉ, aux Sables-d'Olonne. ROUTHIER, à Paris. Roux, à Châtéaurenard. ROY, à Amsterdam.

SAUVEUR, à Liège. SCARPA, à Pavie. SHEA, à ..... SIMON, à B/ow. Soumm, à Nîmes. Sous-PRÉFET (le) de Gien.

— deMontargis.

— de Pithiviers. SOYÉR-WILLEMET, à Nancy.

TESTEAU-MARCHAIN, à Chûteauroux.

Chûteauroux. à Montargis. TONNELIER, à Paris. TREMERY (de), à Paris.

VAINAT DE SOLIGNAC, « ......

VIGUERIE, à Toulouse. VILLEMIN à Paris.

E. WATRLED, à Oran.


Orléans. — Imp. d'Emile Pugct et Cic.

TABLE.

SECTION D'AGRICULTURE.

• - Pages.

SECTION DE MÉDECINE.

SECTION DES BELLES-LETTRES.

ÉTUDE sur les expéditions de Jules César dans les Carnutes; par

M. B. DE MONVEL. S

SECTION DES ARTS.


MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE.,

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET hmSÊËÊÊâgk

SECONDE SÉRIER

®oi«e VU.9to° 2.

(4e Série des travaux de la Société. — 38e Vol. de la collection.)

1863.

Ces MÉMOIRES paraissent par cahiers ds trois à quatre feuilles d'impression. Six numéros ou cahiers forment en volume. Oa s'abonne pour deux volumes, qui se publient ordinairement en deux ans. Le pris de l'abonnement, FRMTG DE PORT, est de 10 fr. pour Orléans, de 12 fr. pour toutes les villes de la France, et de 13 fr. po'^r les pays étrangers.

On souscrit, à Orléans, chez M. PELLETIER-SATJTELET, docteur en médecine, Secrétairegénéral de la Société; et chez Emile PUGET et C!o, imprimeurs, rue de la Vieille-Poterie, 9, exclusivement chargés de l'envoi des MÉMOIRES.

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ouvrage ou mémoire manuscrit ou imprimé ; — 3<? S'abonner à ses. MÉMOIRES ; "',-,;

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et étrangers de la Société.

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ABUCHARRO (d'), à-Tolosa. A»DRADA(Alvar6s d'), à Paris. ALVOT, à Limoges.

BAILLY, a Châteaurenard. BALME, à Lyon. -BAED, .à'.Pam. BATOOUÏN, à Eisenach. BEÀDCHÊNE, àRomoranlin. BÉAUVALLET, à Vilfehy-.- BEAUVILLÏERS, à GauberUn. BÊHAGtiE (DE) , àbainpierre. BELL, a'Londres. •.■■■■' BERGERON d'ANGUï, à Paris. BOBÉE , à St-Denis-de-l'Bôtel. BoissAnD, à Chûleauroux. BOUCHARLAT, à Paris. BOUCHERDE PERTHES, Abbevitlc. B. BOUTET DE MONVEL, à Paris. BRBNAUD, au Blanc.

OAILLAUX, à Bordeaux. CHABERT, à Mexico. CHARPENTIER, à Guérigny. CHARPENTIER, à Valenciennes. CHAU'FTON, à Persac. CHOLET, à Beaune la-Rolande. CIVIALE, à Paris. CORNAZ, à Ncufchâtel [Suisse). COUDRET, à Paris.. COUTY DELAPOMMERAIS, à Neuville. CROLLALANZA, à Narni.

DANOT, à Lorienl. DARDÉ, à Carcassonne. DAVEZAC, à Oury. DEBREUZE, à Melun. DELACROIX, à Coulommiers. DESGOURTILS, à Paris. DESMARETS, à Paris. DESSIAUX, à Issoudun. DOUBLET DE BOISTHIBAULT , à

Chartres. DOYEN, à Paris. DUCHESSE, à Paris. DUVAL, à Paris.

MM.

FAYE,àBourbon4'Archambaull. FÉE, à Strasbourg. FERCOQ, à Ham. FISCHER, à Saltzbourg. FONTENELLE (de la), à Poitiers. FORMEY, à Berlin. FRANCK, à Witna.

GABION, à Pains.

GATIAN DE CLÉRAMBAULT

! Tours. GALLISSET, à Paris. GENDRON, à Vendôme. ' GILLET-DAMLTTE, à Autun. GILLEBERT, à Lyon. GIRAUDY, à Paris. GISTEL, à Ratisbonne. GIROUARD, à Chartres. GRASSET, à La Charité.

HÉRÈ, à Saint-Quentin, HÉRICART-FERRAND, à Paris. HERPIN, à Metz. HOSSEINE, à Téhéran. HUBERT-VALLEROUX, à Paris. HURTADO, à Madrid.

JACQUEMYNS, à Dadizeele. JEHAR-DE-ST-CLAVIEN. ÏOURDAN, à Paris.

KERAUDREN, à Paris. KjRimoFF, à Anvers.

LAPEYROUSE, à Troyes. LAURENT, à Paris. LEGRAND, à Paris. LEJEUNE, à Chartres. LELTÈVRE, à Paris. LEROY, à Nangis. LESAGE, à Evreux. LIETARD , 'à Plombières. LOISELEUR, à Paris. LonïNDF. CBAFFIN, à Beaugency.


MM.

MACARIO , à Lyon. MALLE, âStrasbourg. MARCHANT, à Gien. MARÉCHAL, à Paris.

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MELI, à Ravenne. MILLET, à Tours. MONFALCON, à Lyon.

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PASQUIER, à Paris. PEIXOTO, à Rio de Janeiro. PELLIEUX, à Beaugency. ' PESCHE jeune, à Pans. PETIT, à Parie. PIERRE (Isidore), à Caen. PIHAN-DUFEILLAY, à Nantes. PILLIEN, à La Charité. PINET, à La Rochelle: PLANCHON, à Montpellier. PONCE, à Paris.

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RAFFETOT (de), à Versailles. RAYNAUD, à Aix. ROCQUES, à Paris. RosNY(de), à Paris. ROUILLÉ, auxSables-d'Olonne. ROHTHIER, à Paris. Roux, à Châttaurenard. ROY, à Amsterdam.

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TESTEAU-MARCHAIN, « Châteauroux. TROUILLET, Ô Montargis. TONNELIER, à Paris. TREMERY (de), à Paris.

VAINAT DE SOLIGNAC, à .... VIGUERIE, à Toulouse. VILLEMIN à Paris.

E. WATBLED, à Oran.


TABLE.

SECTION D'AGRICULTURE.

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SECTION DE MÉDECINE.

SECTION DES BELLES-LETTRES.

ÉTUDE sur les expéditions de Jules César'dans les.Carnutes; par

M. B. DE MONVEL [suite) -i9

SECTION DES ARTS.

Orléans. — Imp. d'Emile Pugct cl C".


MÉMOIRES

DE LÀ

SOCIETE D AGRICULTURE,

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS D'ORLfiANS.

SECONDE SÉRIE.

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(4* Série des trayaus de la Société. — 58° Vol. de la collection.)

Î865.

Ces MÉMOIRES paraïssentpar cahîers d? trois à quatre feuilles d'impression. Six.numéros ou cahiers forment un volume. On s'abonne pour deux volumes, qui se publient ordinairement en. deux ans. Le prix de l'abonnement, fiiANO TORT, est de iO fr. pour Orléans, de 12 fr. ■pour toutes les villes de la France, et de 15 fr. poT les pays étrangers.

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DANOT, à Lorient. DARDÉ, à Carcassonne. DAVEZAC, à 0 ury. DEBREUZE, à Melun. DELACBOIX, à Coulommiers DESCOURTILS, à Paris. DESMAÛETS, à Paris. DESSIAUX, à Issoudun. DOUBLET DE BOISTHIBAULT , à

Chartres. DOYEN, à Paris. DUCHESNE, à paris. DUVAL, à Paris.

MM.

FAYE,à Bourbon l'ArchambauU. FÉE, à Strasbourg. FEKCOQ, à Ham. FISCHER, à Saltzbourg. FONTENELLE(de la), A Poitiers. FORMEY, à Berlin. FRANCK, à Wilna.

GABION, à Paris.

GATIAN DE CLÉRAMBAULT ,

Tours. GALLISSET, à Paris. GENDRON, à Vendôme. GILLIÎT-DAMITÎE, à Autun. GILLEBERT, à Lyon. GIRAUDY, à Paris. GISTEL, à Ratisbonne. GIROUARD, à Chartres. GRASSET, à La Charité.

IIÉRÉ, à Saint Quentin. HÉRICART-FERRAND, à Parte. HERPIN, à Metz. HOSSEINE, à Téhéran. HUBERT-VALLËHOUX, à Paris. HURTADO, à Madrid.

JACQUEMYNS, à Dadizeele. JEHAN-DE-ST-CL AVIEN . JOURDAN, à Paris.

KERAUDREN, à Paris. KIP.KHOFF, à Anvers.

LAPEYBOUSE, à Troyes.

LAURENT, à Paris.

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LEJEUNE, à Chartres.

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PASQUIER, à Paris. PEIXOTO, à Rio de Janeiro. PELLIEUX, à Beaugency. PESCHE jeuue, à Paris. > PETIT, à Paris. PIERRE (Isidore), à Caen PIHAN DUFEILLAY, A Nantes. PILLIEN, à La Charité. PINET, à La Rochelle. PLANCHON, à Montpellier. PONCE, à Paris.

MM.

RAFFETOT (de), à Versailles. RAYNAUD, à Aix. ROCQUES, à Paris. RosNY(de),-à Paris. ROUILLÉ, amSables-d'Olonne. ROUTHIER, à Paris. Roux, à Chûtiaurenard. ROY, à Amsterdam.

SAUVEUR, à Liège. SCARPA, à Pavie.

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SIMON, à Blois.

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Sous PRÉFET (le) de Gien.

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■ TESTEAU-MARÇHAIN, à Châteauroux. TROUILLET, A Montargis. TONNELIER, à Paris. TREMERY (de), à Paris.

VAINAT DE SOLIGNAC, à .. ■. VIGUERIE, A Toulouse. VILLEMIN A Paris.

E. WATBLED, à Oran.


TABLE.

SECTION D'AGRICULTURE.

,. Pages.

RAPPORT sur le Mémoire de M. Sainjon ; par M. JULLIEN-CROSNIER. Vài SECTION DE MÉDECINE.

SECTION DES BELLES-LETTRES.* ,

SECTION DES ARTS.

CONSIDÉRATIONS sur le Genre et l'Espèce; par M. H. SAINJON.... 105

Orléans. — Imp. d'Emile Puget et C'«.


MÉMOIRES

■DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE ,

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS D'ORLÉANS.

SECONDE SÉRIE.

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(4« Série des travaux de la Société. — 38e Vol. de la collection.)

1863.

Ces MÉMOIRES paralssentpar cahiers de trois à quatre feuilles d'impression. Six numéros ou cahiers forment un volume. On s'abonne pour deux volumes, qui se publient ordinairement ;; en deux ans. Le pris de l'abonnement, FRANC DE PORT, est de 10 fr. pour Orléans, de ii fr. pour toutes les villes de la France, et de 18 fr. pour les pays étrangers.

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LISTE

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BAILLY, a Châteaurènard. BALME, à Lyon. BARD, à Paris. BAUDOUIN, à Eisenach. BEAUCHÊNE, à Romorantin. BEAUVALLET, à Villeny. BEAUVILLIERS, à Gaubertin. BÉHAGUE (DE) , à Dampierre. BELL, à Londres. BERGERON d'ANGuy, à Paris. BOBÉE , à St-Denis-de-l'BÔtel. . BOISSARD, à Châteauroux. BOUCHARLAT, à Paris. BOUCHERDE PERTHES, Abbeville. B. BOUTET DE MONVEL, A Paris. BRUNAUD, au Blanc.

CAILLAUX, à Bordeaux. CHABERT, à Mexico.. CHARPENTIER, à Guérigny. CHARPENTIER, à Vatenciennes. CHAUFTON, à Persuc, ÇHOLET, à Beaune la-Rolande. CIVIALE, à Paris. GORNAZ, à Neufchâtel [Suisse). COUDRET, à Paris. COUTY DELAPOMMERAIS. à Neuville. CROLLALANZA, à Narni.

DANOT, à Lorient. DARDÉ, à Carcassonne. DAVEZAC, à Oury. DEBREUZE, à Melun. DELACROIX, à Coulommiers. DESCOURTILS, à Paris. DESMARETS, à Paris: DESSIAUX, à Issoudun. DOUBLET DE BOISTHIBAIJLT , à

Chartres. DOYEN, à Paris. DUCHESNE, à Paris. DUVAL, à Paris.

MM.

?A\-EtàBOurbon-l'Arcliambault. FÉE, à Strasbourg. FERCOQ, àHam. FISCHER, à Saltzbourg. FONTENELLE (de la), à Poitiers. FORMEY, A Berlin. FRANCK, à Wilna.

GABION, A Paris.

GATIAN DE CLÉRAMBAULT , à

Tours. GALLISSET, à Paris. GENDRON, à Vendôme. GILLET-DAMITTE, à Aulun. GILLEBERT, à Lyon. GIRAUDY, à Paris. GISTEL, à Ratisbonne. GIROUARD, à Chartres. GRASSET, à La Charité.

HÉRÊ, A Saint-Quentin. HÉRICART-FERRAND, à Paris. HERPIN, à Metz. HOSSEINE, A Téhéran. HOUDAS, à Saint-Claude (Jura). HUBERT-VALLEROUX, A Paris. HURTADO, à Madrid.

JACQUEMYNS, à Badizeele. JEHAN-DE-ST-CLAVIEN, à SaintCiran

SaintCiran JOURDAN, à Paris.

KERAUDREN, à Paris. KIRKHOFF, à Anvers.

LAPEYROUSE, à Troyes.

LAURENT, A Paris.

LEGRAND, A Paris.

LEJEUNE, à Chartres.

LELIÊVRE, à Paris.

LEROY, à Nangis.

LESAGE, à Evreux.

LIETARD , A Plombières.

LOISELEUR, à Paris.

LORIN DE CHAFFIN, à Beaugency.


MM.

MACARIO , à Lyon. MALLE, à Strasbourg. MARCHANT, à Gien. MARÉCHAL, à Paris.

MEIRIEU, à

MELI, à Ravenne. MILLET, A Tours. MONEALCON, A Lyon

NAUCHE, AParis.

OLIVIER, à Caen.

PASQUIER, à Paris. PEIXOTO, à Rio de Janeiro. PELLIEUX, à Beaugency. PESCHE jeune, à Paris. PETIT, à Pans. PIERRE (Isidore), A Caen PIHANDUFEILLAY, A Nantes. PILLIEN, à La Charité. PINET, à La Rochelle. PLANCHON, A Montpellier. PONCE, à Paris.

SIM.

RAFFETOT (de), à Versailles. RAYNAUD, à Aix. RocauES, à Paris. Rosrrï(de), A Paris. ROUILLÉ, auxSables-d'Olonne. ROUTHIER, à Paris. Roux, à Châtt aurenard. B.OY, à Amsterdam.

SAUVEUR, à Liège. SCARPA, à Po.vie.

SHEA, A

SIMON, à Blois.

SOLIMANI, à Nîmes.

Sous -PRÉFET (le) de Gien.

— deMontargis.

— de Pithiviers. SOYER-WILLEMET, à Nancy.

TESTEAU-MARCHAIN, à Châteauroux. TROUILLET, à Montargis. TONNELIER, à Paris. TREMERY (de), A Paris.

VAINATDE SOLIGNAC, A ....

VIGUERIE, à Toulouse. VILLEMIN A Paris.

E. WATBLED, à Vran.


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SECTION D'AGRICULTURE.

Pages.

SECTION DE MÉDECINE.

SECTION DES BELLES-LETTRES.

NOUVELLE ÉTUDE sur les ruines celtiques et gallo-romaines de la

commune de Triguères ; par M. B. DE MONVEL 137

RAPPORT sur le Mémoire ci-dessus ; par M. DE BUZONNIÈRE 180

SECTION DES ARTS.

Prix proposés par la Société centrale de médecine du déparlement du Nord 188


MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE,

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS D'ORLÉANS.

SECONDE SÉRIE

«Soute VII, _ d& 5.

(4e Série des travaux de la Société. — 58e Vol. de la collection.)

1864.

Ces MÉMOIRES paraissentpar cahiers &? trois à quatre feuilles d'impression. Six numéros ou cahiers forment un volume. On s'abonne pour deux volumes, qui se publient ordinairement en deux ans. Le prix de l'abonnement, FRANC DE FORT, est de 10 fr. pour Orléans, de 12 fr. pour tontes les villes de la France, et de 15 fr. pour les pays étrangers.

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BAILLY, a Châteaurenard. BALME, à Lyon. BARD, à Paris. BAUDOUIN, A Eisenach. BEAUCHÈNE, à Romorantin. BEAUVALLET, A Villeny. BEAUVILLIERS, à Gaubertin. BÉHAGUE (DE) , à Dampierre. BELL, A Londres, BERGERON d'ANGUY, à Paris. BOBÉE , à Sl-Denis-de-l'BÔtel. ' BOISSARD, à Châteauroux. BOUCHARLAT, à Paris. BOUCHERDE PERTHES, Abbeville. B. BOUTET DE MONVEL, A Paris. BRUNAUD, au Blanc

CAILLAUX, A Bordeaux. CHABERT, à Mexico. CHARPENTIER, à Guérigny. CHARPENTIER, à Valenciennes. CHAUFTON, à Persac. CHOLET, A Beaune la-Rolande. CIVIALE , o Paris. CORNAZ, à Ncufchâtel [Suisse). COUDRET, à Paris. COUTY-DELAPOMMERAIS, à Neuville. CROLLALANZA, à Narni.

DANOT, à Lorient. DARDÉ, à Carcassonne. DAVEZAC, à Oury. DEBREUZE, à Melun. DELACROIX, à Coulommiers DESCOURTILS, à Paris. DESMARETS, A Paris. DESSIAUX, à Issoudun. DOUBLET DE BOISTHIBAIJLT , à

Chartres. DOYEN, à Paris. DUCHESNE, à Paris. DUVAL, à Paris.

MM.

¥Am,àBourbon-l'Arcliambault. FÉE, à Strasbourg. FERCOQ, àBam: FISCHER, à Saltzbourg. FONTENELLE (de la), à Poitiers. FORMEY, à Berlin. FRANCK, à Wilna.

GABION, a Paris.

GATIAN DE CLÉRAMBAULT .

Tours. GALLISSET, à Paris. GENDRON, A Vendôme. GILLET-DAMITTE, à Autun.

GlLLEB.ERTj A LyOll.

GIRAUDY, à Paris. GISTEL, à Ratisbonne. GIROUARD, à Chartres. GRASSET, A La Charité.

HÉRÈ, à Saint-Quentin. HÉRICART-FERRAND, à Paris. HERPIN, à Metz. HOSSEINE, à Téhéran. HOUDAS, à Saint-Claude (Jura). HUBERT-VALLEROUX, à Paris. HURTADO, à Madrid.

JACQUEMYNS, à Dadi%eele. JEHAN-DE-ST-CLAVIEN, A SaintCiran

SaintCiran JOURDAN, à Paris. ,

KERAUDREN, à Paris. KIRXHOFF, à Anvers.

LAPEYROUSE, à Troyes. LAURENT, à Paris. LEGRAND, à Paris. LEJEUNE, à Chartres. LELIÈVRE, à Paris. LEROY, A Nangis. LESAGE, A Evreux. LIETARD , à Plombières. LOISELEUR, à Paris. LORIN DE CHAFFIN, à Beaugency.


MM.

MACARIO , à Lyon. MALLE, â Strasbourg. MARCHANT, à Gien. MARÉCHAL, à Paris.

MEIRIEU, à

MELI, à Ravenne. MILLET, à Tours. MONFALCON, A Lyon

NAUCHE, A Paris.

OLIVIER, A Caen.

PASQUIER, à Paris. PEIXOTO, à Rio de Janeiro. ' PELLIEUX, A Beaugency. PESCHE jeune, à Paris. PETIT, à Parie. PIERRE (Isidore),: à Caen

PlHAN DUFEILLAY,à2Va«?eS.

PILLIEN, A La Charité. PINET, à La Rochelle. PLANCHON, A Montpellier. PONCE, à Paris.

MM.

RAFFETOT (de), c Versailles. RAYNAUD, à Aix. ROCQUES, à Pons. RosNY(de), A Paris. ROUILLÉ, aux Sables-d'Olonne. ROUTHIER, A Paris. Roux, â Châteaurenard. ROY, à Amsterdam.

SAUVEUR, à Liège. SCARPA, à Pavie.

SHEA, à

SIMON, à Blois.

SOLIMANI, A Nîmes.

Sous -PRÉFET (le) de Gien.

— deMontargis.

— de Pithiviers.

SOYER-WlLLEMET, à Nancy.

TESTEAU-MARCHAIN, A Châteauroux. TROUILLET, Û Montargis. TONNELIER, A Paris. TREMERY (de), A Paris.

VAINAT DE SOLIGNAC, à .... VIGUERIE, d Toulouse. VILLEMIN â Paris..

E. WATBLED, à Oran.


TABLE.

SECTION D'AGRICULTURE.

Pages. NOTICE sur François Clievillard ; par M. G. BAGUENAULT DE

VlBVILLE 211

SECTION DE MÉDECINE.

RAPPORT sur le Mémoire de M. Masure, intitulé : Recherches expérimentales sur les plus grandes quantités d'air qu'on peut expirer et aspirer dans les grandes respirations; par M. le docteur GUÉRAULT 197

SECTION DES BELLES-LETTRES.

RAPPORT sur la Notice de M. Baguenault sur François Clievillard; par M. DUPUIS 218

SECTION DES ARTS.

RECHERCHES expérimentales sur les plus grandes quantités d'air qu'on peut expirer et aspirer dans les grandes respirations ;

- par M. MASURE. . 189

ANALYSE des comptes-rendus des séances de l'académie des sciences, du 27 octobre au 15 décembre 1862 inclusivement; par M. SAINJON - ■. .200

ANALYSE des comptes-rendus des séances de l'académie des sciences, du 22 décembre 1862 au 16 février 1863 inclusivement ; par le même .. 226

Orléans. — Imu. d'Emile'Puget et O,


MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE ,

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS D'ORLÉANS.

SECONDE SEKIE.

<g0Hie VII. __ %° 6.

(4e Série dos travaux de la Société. — 58e Vol. de la collection.)

\m.

Ces MÉMOIRES paraissentpar cahiers ùi trois à quatre feuilles d'impression. Sis. numéros °u cahiers forment un volume. On s'abonne pour deux volumes, qui se publient ordinairement en deux. ans. Le prit de l'abonnement, FRANC DE PORT, est de 10 fr. pour Orléans, de 42 fr. pour tontes les villes de la France, et de 15 fr. pour les pays étrangers.

On souscrit, à Orléans, chez M. PELLETIER-SA.UTELET, docteur en médecine, Secrétairegéuéral de la Société; et chez Emile PUGF.T et 0*, imprimeurs, rue de !a Vieille-Poterie, 9, exclusivement chargés de l'envoi des MÉMOIRES.

1,1 S ABONSEMEKS SE TAXENT D'AVANCE,

VoiVv obtenïv le, titre ûe. CovvesDOntlant i\e la Société,

II faut 1° Être présente par trois membres titulaires; — 2° Faire hommage à la Sodélé d'un ouvrage ou mémoire manuscrit ou imprimé; — 3° S'abonner à ses MÉMOIRES; *0 S'engager à Fournir chaque année un travail à la Société. £


IJISTE:

Des Membres correspondons nationaux et étrangers de la Société.

MM.

ABUCHARRO (d'), à Tolosa. ANDRADA (Alvarcs cl"), à Paris. AI.VOT, à Limoges.

BAILLY, a Châteaurenard. BALME, A Lyon. BARP, à Paris. BAUDOUIN, à Eisenach. BEAUCHÊNE, à Romorantin. BEAUVALLET, « Villeny. BEAUVILLIERS, à Gaubertin. BÉHAGUE (DE) , A Dampierre. BELL, Û Londres. BERGERON (TANGUY, à Paris. BORÉE , à St-Denisde-l'Bôtel. BOISSARD, à Cliâteauroux. BOUCHARLAT, à Paris. BOUCHERDE PERTHES, Abbeville. B. BOUTET DE MONVEL, «Paris. BRUKAUD, au Blanc.

CAILLAUX, à Bordeaux. CHABERT, à Mexico. CHARPENTIER, à Guérigny. CHARPENTIER, à Valenciennes. CHAUFTON, à Persac. CHOLET, à Beaune la Rolande. CIVIALE, à Paris. CORNAZ, à Ncufchâlel [Suisse). COUDRET, à Pans. COUTY DELAPOMMERÂIS, à Neuville. CROLLALAKZA, à Narni.

DANOT, à Lorient. DARDÉ, à Carcassonne. DAVKZAC, A Oury. DEBREUZE, à Melun. DELACROIX, à Coulommiers. DESCOURTILS, à Paris. DESMARETS, à Paris. DESSIAUX, à Thiers. DOUBLE* DE BOISTHIBAULT, «

Chartres. DOYEN, à PaiHs. DUCHESNE, A Paris'. DUVAL, à Paris.

MM.

¥A?z,àBourbon-CArchambaul!.

FÉE, à Strasbourg. FEKCOQ, à llam. FISCQER, à Sallzbourg. FONTENELLE (de la), à Poitiers. FORMEY, à Berlin. FRANCK, à Wilna.

GABION, à Paris..

GATIAN DE CLÉRAMBAULT ,

Tours. GALLISSET, A Paris. GENDRON, A Vendôme. GILLET-DAMITTE, à Autun. GILLEBERT, A Lyon. GIRAUDY, à Paris. GISTEL, à Ratisbonne. GIROUARD, à Chartres. GRASSET, à La Charité.

HÈRE, à Saint Quentin. HÉRICART-FERRAND, à Paris. HERPIN, à Metz. HOSSEINE, à Téhéran. HOUDAS, à Saint-Claude (Jura). HUBERT-VALLEROUX, À Paris. HURTADO, à Madrid.

JACQUEMYNS, à Dadfacele. JEHAN-DE-ST-CLAVIEN, à Saint ■

Ciran (Indre). JOURDAN, à Paris.

KERAUDKEN, A Paris. . KIRSHOFF, à Anvers.

LAPEYROUSE, à Troyes.

LAURENT, à Paris.

LEGRAND, à Paris.

LEJEUNE, à Chartres.

LELIÈVRE, à Paris.

LEROY, à Nangis.

LESAGE, à Evreux.

LJETARD , à Plombières.

LOISELEUR, à Paris.

LORIN DE CHAFFIN, à Beaugency.


MM.

MACARIO, à Lyon. MALLE, a Strasbourg. MARCHANT, à Gien." MARÉCHAL, A Paris.

MEIBIEU, à

MELI, à Ravenne. MILLET, à Tours. MONFALCON, à Lyon

NAUCHE, à Paris.

OLIVIER, à Caen.

PASUUIER, à Paris. PEIXOTO, A Rio de Janeiro. PELLIEUX, à Beaugency. PESCHE jeune, à Paris. PETIT, à Parie. "PIERRE (Isidore), â Caen PIHAN hvFEiLLAy, à Nantes. PILLIEN, à La Charité. PINET, à la Roclielle. PLANcnoN, à Montpellier. PONCE, à Parts.

MM.

RAFFETOT (de), à Versailles* RAYNAUD, à Aix. ROCQUES, à Paris. RosNY(de), à Paris. ROUILLÉ, aux Sables-d'Olonne* ROUTHIER, à Paris. Roux, à Châkaurenard. ROY, A Amsterdam.

SAUVEUR* à Liège. SCARPA, à Pavie.

SHEA, à .-

SIMON, ABlois.

SOLIMÀNI, à IVÎÎHÊS.

Sous PRÉFET (le) de Gien.

— deMontargis.

— de Pithiviers. SOYER-WILLEMET, à Nancy.

TESTEAU-MARCHAIN, à Châteauroux. TROUILLET, à Montargis. TONNELIER, à Paris. TREMERY (de), à Paris.

VAINAT DE SOLIGNAC, « ....

VIGUERIE, d Toulouse. VILLEMIN à Paris.

E. WATBLEDJ à, Oran.


TABLE.

Pages.

SECTION D'AGRICULTURE.

SECTION DE MÉDECINE.

SECTION DES BELLES-LETTRES.

SECTION DES ARTS.

MÉMOIRE sur les fouilles du puils des Minimes ; par M-. DE PIBRAC. 244

RAPPORT sur le Mémoire ci-dessus; par M. DESNOYERS. , 264

ANALYSE des comptes-rendus des séances de l'Académie des Sciences, du 23 février au 13 avril 1863 inclusivement; par , M. H. SAINJON . .. 268

Orléans. — Irnp. d'Emile Puget et O.