AU LECTEUR
Frappé du nombre considérable.de termes et de noms fantaisistes donnés aux aliments composés, sur les cartes du restaurant etsur les menus de la salle à manger, depuis longtemps j'ai pensé qu'un classement en forme de dictionnaire, comprenant l'étymologie, l'histoire, la chimie culinaire elles propriétés des aliments naturels et composés, serait un ouvrage des plus utiles:à la société.
Le plan tracé, je me trouvais devant les vastes domaines de la science que pas à pas je devais conquérir sous peine de renoncer à mon projet : Cesser de fumer pour conserver la sensation délicate du goût; reprendre mes anciennes études pour ne plus les cesser; renoncer aux pertes de temps qu'entraîne la jeunesse ; réunir en moi toutes les connaissances nécessaires pour élaborer un code alimentaire complet et le présenter au public sous forme d'un Dictionnaire universel d'alimentation, tels furent depuis bien des années mon rêve et mon labeur.
Dans le cours de mes études, j'ai été conduit à diverses observations, qui m'ont démonlré que tout est adhérent à la matière ; l'être subissant l'influence du climat el de l'alimentation se modifie avec une étonnante rapidité. C'est ce qui, sans doute, a fait dire à Brillai-Savarin : « Dis-moi ce que lu manges, je te dirai ce que tu es », aphorisme qui ne présente qu'un côté de la question et auquel j'ajouterai : Dis-moi ce que tu bois, je te dirai ce que tu penses, la consommation liquide ayant une influence encore plus immédiate sur les organes de la pensée.
Je ne dirai point les forces employées, l'énergie dépensée, les observations et expériences pratiquées sansrelâche pour frayer uoevoiepleine d'obstacles el réaliser le problème(jusqu'icilétlre close) de la Cuisine scientifique. En effet, de toutes les sciences, celle qui s'attache à l'art de bien préparer les aliments est, malgré son incontestable utilité, la moins comprise de nos jours.
La pharmacie a son codex, la linguistique, la politique, la bibliographie, la biographie, la géographie, ont leur dictionnaire"; les arts, les sciences, la médecine, l'hygiène ont le leur; la cuisine ou l'alimentation en général n'avait point le sien.
On chercherait vainement dans les dictionnaires généraux de la langue française la définition exacte des termes techniques culinaires; comme en vain l'on parcourt les traités de cuisine, compilations ordinairement peu lucides.
Veut-on connaître où en est arrivée, la perfection d'un peuple quelconque? On n'a qu'à étudier leurs, ustensiles de cuisine et dé table, leur mode de manger, les formules de leurs mels nationaux ; là science étymologique nous indiquera leur sens et l'importance qu'on leur attache, nous saurons ainsi les associations d'idées, les relations sociales elle degré moral d'une nation. Le mot de BrillâtSavarin « dis-moi ce que tu manges » s'applique aux sociétés plus encore peut-être qu'aux individus.
Il estremarquable que, parmi les nombreuses espèces d'animaux, l'homme soitle seul qui cuise ses aliments. N'est-ce point avec raison qu'onl'a défini V animal cuisinierl Grâce à l'art culinaire qui a décuplé les ressources de sa nourriture, l'homme s'est dégagé peu à peu de l'animalité. Les provisions alimentaires, farineuses et albuminoïdes renfermées dans les semences des céréales et