84 THI-SEN
saient avec une telle force que leurs racines consolidaient la terre.
Sen n'avait jamais quitté son village. Ses plus grandes promenades n'avaient dépassé ni les lisières de la forêt, ni les flancs de la montagne. Elle devait s'étonner en voyant des cases bien alignées, construites avec solidité sur un modèle à peu près uniforme. Elles ne se différenciaient guère des autres cases de pêcheur perdues dans la brousse ; les nattes, les treillages, les toits étaient plus soignées. Bonneaud avait lui-même marqué les emplacements et exigé quelque soin dans la construction. Elles dataient d'une année à peine et néanmoins paraissaient fort anciennes à côté des maisons de pierres. Toutes s'ouvraient par un panneau entier soutenu par deux bambous sur la rue, qui se trouvait ainsi élargie par vingt retraits sombres où se montraient des têtes curieuses.
Thi-Sen avait déjà sa légende, à la vérité assez différente de l'exactitude ; — la vérité stricte n'a rien à voir avec les légendes, elle nuirait aux ornements dont il est coutume de les parer et à l'ensemble desquels chaque nouvelle bouche apporte son tribut.
Le marché était bien ce que Sen avait vu jusqu'ici de plus vaste. Les bambous royaux, hauts comme des arbres, soutenaient un toit très élevé. Tous les produits de la campagne, tous ceux du fleuve s'y trouvaient représentés sous la surveillance de corps accroupis entre chaque tas. On ne distinguait d'abord qu'une chevelure 'et des pieds nus, une tête se relevait au premier mot