296 THI-SEN
très vite ses appels vains, la barque du mandarin emmenant leur rameur. Il décrivit le fleuve, si droit jusqu'au village qu'on aurait dû voir les sampans de leurs amis. Aucunes craintes, aucun doute même, n'avaient encore balancé sa grande confiance.
Sen venait de comprendre les raisons de leur abandon : son père fuyait pour attester son loyalisme par sa présence dans son village, les Annamites ayant du subir encore un échec. Elle gardait l'espoir que les camarades de son frère passeraient là et la prendraient avec eux. Elle dit à Méo le contraire de sa pensée : son père allait surveiller le bas du fleuve, organiser la résistance si lea blancs venaient par là, prendre les chaloupes de ravitaillement. D'autres viendraient les chercher, très certainement. Ce raisonnement lui parut si absurde qu'elle le corrigea avant qu'un soupçon ne vint à Méo. Elle ajouta qu'ils iraient le soir au village si personne ne venait vers eux.
Derrière son regard, que l'effroi grandissait et rendait fixe, des pensées très différentes venaient. Thi-Sen avait deviné toute la vérité... Pour qu'on les abandonnât ainsi, il avait dû se produire quelqu'évônement inattendu qui avait bouleversé les prévisions. L'attaque repoussée, Méo et elle devenaient encombrants et inutiles. Le mandarin, soucieux de continuer encore son double jeu, devait les abandonner ; leur présence chez lui ou auprès de lui l'eût compromia. Il partait donc en cachette, ainsi qu'il était venu... sans avoir, comme il le devait faire, pillé le magasin du Chinois.