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Titre : Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe

Auteur : Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe. Auteur du texte

Auteur : Commission météorologique (Sarthe). Auteur du texte

Éditeur : Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe (Le Mans)

Date d'édition : 1909

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343786176

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343786176/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 24224

Description : 1909

Description : 1909 (SER2,T34,FASC1)-1910.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Pays de la Loire

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5724288h

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 01/12/2010

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BULLETIN

DE LA SOCIETE

D'EGRICULTURE, SCINCES ET ARTS

DE LA SARTHE

FONDEE EN 1761

IIe SÉRIE — TOME XXXIV

LXIIe TOME DE LA COLLECTION

ANNEES 1909 et 1910 — 1er FASCICULE

IMPRIMERIE MONNOYER

1909


SOCIETE D'AGRICULTURE. SCIENCES ET ARTS

DE LA SARTHE

Boulevard René-Levasseur, 13, au 2e étage.

CONDITIONS D'ABONNEMENT ET DE SOUSCRIPTION

Le Bulletin paraît par tomes, renfermant chacunles Mémoires de deux années, la liste des membres et le compte réndu de leurstravaux. Chaque tome est publié par fascicules, en nombre indeterminé, contenant, outre les mémoires publiés in extenso, une analyse des procès-verbaux des séances. Le prix de l'abonnement annuel est de 5 fr., payables a l'avance.

La souscriotion doit être faite au plus tard de 5 fr., payble à l'avance

janvier et de fevrier de chaque année.

La cession des volumes entiers est seule autorisée , celles les livraisons séparées est interdite.

S'adresseri, franco, soit pour avoir le volumes comoplets, soit pour souscrire et retirer les livraisons dues aux abonnés, a M. CH, MONNOYER, place des Jacobins, au Mans.

MM. les membres titulaires et associés sont priés de remettre à

M. le Trésorier le montant de leur cotisation annuelle, au commencement

commencement chaque année, avant la fin de février ; passé ce delai M. le trésorier

trésorier la cotisation à leur domicile.

NOTA— la Bibliothèque est ouverte aux Societés deux fois par

semante, le Dimanche et le Mercredi, de 9 heures à midi.


BULLETIN

DE LA SOCIETE

D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS

DE LA SARTHE

SOCIETE DES ARTS



BULLETIN

DE LA SOCIETE

D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS

DE LA SARTHE

IIe SERIE — TOME XXXIV

XLIIe TOME DE LA COLLECTION

1909 et 1910

LE MANS

IMPRIMERIE MONNOYER, 12, PLACE DES JACOBINS 1909



LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ

Bureau pour 1909 et 1910.

Président MM. GENTIL Q I.

Vice-présidents... LECLEUE ^, PLU.

Secrétaires DEAN LAPORTE, ||, *, DELAUNAY,

DESCHAMPS LA RIVIÈRE.

Trésorier GANDOIN.

Archiviste ....... GUÉRIN §1.

Archiviste adjoint. REBUT ||.

Commission de Rédaction.

MM. les MEMBRES du Bureau, ITNSPECTEUR d'Académie, GUY, LÉVEILLÉ Q, SURMONT ►&, TRIGER &.

Commission des Finances.

MM. CÔME #, &, MORANCÉ 0 I, ROULLEAU %, SÉGUIN èfë, Ql,

SINGHER »^, YZEUX.

Membres d'honneur.

M. le GÉNÉRAL commandant en chef le 4e Corps d'armée.

M. le PRÉFET de la Sarthe.

Mgr TÉVÊQUE du Mans.

M. le RECTEUR de l'Académie de Caen.

M. le PRÉSIDENT du Conseil général de la Sarthe.

M. le MAIRE de la ville du Mans.

M. L'INSPECTEUU d'Académie résidant au Mans.


6 —

Membres titulaires.

Date de la réception MM.

7 juill. 1871. SURMONT (Armand), >j<, avocat, rue de la Motte, 2.

19 janv. 1872. DE BROUSSILLON, (le comte), <%, o, rue de Tascher, 45, au Mans, et rue de Bellechasse, 17, Paris.

6 déc. 1872. D'ELBENNE (le vicomte Samuel), 0-, **, au château de Couléoi), en La ChapelleSaint-Remy.

24 janv. 1873. D'ANGÉLY-SÉRILLAC, anc. conseiller général,

au château de Sérillac, à Doucelles.

25 avril 1873. DE GRANDVAL (Georges), maire de Trangé,

rue du Cirque, 2.

3 déc, 1878. GENTIL (Ambroise), QI, professeur du Lycée en retraite, ruede Flore, 86. — Président de la Société,

& avril 4878. BESNARD, @, conseiller municipal, viceprésident de la Société communale de secours mutuels du Mans, rue Hoche, 16.

— DEMONTCUIT, p, professeur du Lycée en retraite,

retraite, la Vendelée (Manche).

—. GUERRIER, ancien inspecteur des Forêts, rue

Robert-Garnier, 6. '

— MAICHE (Louis), ^, pi, ingénieur, rue

Péreire, 3, à Saint-Germainen-Laye, (Seine-et-Oisej. -

4 juin 1878. HÉDIN,'^, ^,#,ingénieur, à Montreuil-leChétif.


Datede la recéption. MM.

4 juin 1878. TRIGER (Robert), ■%*, président ; de la Société historique du Maine, correspondant de l'Académie royale d'archéologie de Belgique, aux Talvasières, route de Laval, près Le Mans.

17 février 1881. CARRÉ, propriétaire, avenue de Paris, 87.

18 mai 1881. FONTAINE, sous-ingénieur des Ponts et

Chaussées, rue Lenoir, 35.

29 déc. 1881. BEAUGÉ, propriétaire, à Écommoy.

15 février 1882. GUY, propriétaire, rue Sainte-Croix, 10.

30 nov. 1882. ROUSSET, ©I, directeur de l'École pratique

de commerce et d'industrie du Mans.

— GUÉRIN, Q I, conservateur de la Bibliothèque

de la ville du Mans, rue Jeanne-d'Arc,7.

2 mai 1883. SÉGUIN, ^, # I, directeur de la Compagnie

du gaz, rue des Plantes, 11.

31 janv. 1884. DESCHAMPS LA RIVIÈRE (Robert), avocat,

rue Pierre-Belon, 47.

1er juillet 1885. ROQUET, instituteur à Laigné-en-Belin.

3 fèv. 1886. ROZÉ, f|, receveur principal des Postes en

retraite, rue Chanzy, 71.

3 mars 1886. LECLERE, ^, ingénieur en chef des mines, rue des Fontaines, 1.

— DE LA BOUILLÉRIE (le baron), au château

de la Bouillérie, à Crosmières.

7 avril 1886. SINGHER (Adolphe), %>, directeur honoraire de la Société d'assurance mutuelle mobilière, rue. Chanzy, 37.

14 avril 1886., CÔME, Q, #, médecin vétérinaire, rue du Père-Mersenne, 14.


— 8 —

Date de la réception. MM.

4 avril 1888. DUPONT, @, propriétaire, rue du Rempart, 9.

10 oct. 1888. LÉVEILLÉ (Mgr), @, %, secrétaire perpétuel de l'Académie internationale de géographie botanique, rue de Flore, 78.

2 juillet 1890. YZEUX, propriétaire, rue d'Hauteville, 8.

8 oct. 1890. GALPIN (Gaston), député de la Sarthe, conseiller général, maire d'Assé-le-Boisne, rue de la Boétie, 61, Paris, et rue Richebourg, 30, au Mans.

8 oct. 1890. MORDRET (Ernest), docteur-médecin, avenue de Paris, 58.

11 fév. 1891. LE CERCLE DE L'UNION, place de l'Étoile.

4 avril 1892. BOLLÉE (Léon), ^, Q, ingénieur, avenue de Paris, 107.

14 juin 1893. LAMOUREUX (l'abbé), curé de Etival-lezLè Mans.

18 juillet 1894. GAULLIER, sculpteur, ruede Flore, 112.

16 janvier 1895. EDELINE (Abel), propriétaire, à Ecoirmoy.

— DAGUET, II, économe de l'Asile de la Sarthe,

rue Etoc-Demazy, 2.

8 avril 1895. REBUT, @, prf. au Lycée, rue des Chalets, 15.

9 oct. 1895. DÉAN-LAPORTE, *,<£$, négociant, adjoint au

maire du Mans, rue du Bourg-Bele, 46.

il déc. 1895. ROULLEAU, ^, conservateur des Forêts, en retraite, rue Champgarreau, 20.

13 janv. 1897. Poix, docteur-médecin, rue Chanzy, 3:6.

8 fév. 1898. PLU, docteur-médecin, rue Auvray, 20.

12 avril 1899. GUITTON, docteur-médecin à Saint-Calais.

10 mai 1899. MONNOYER (Charles), imprimeur, place des Jacobins, 12.


— 9 —

Date de la réception. MM.

14' juin 1899. CHENON (le chanoine), rue Voltaire, 23.

1 juillet 1900. CHARBONNEAU, phar., place Saint-Vincent.

3 oct. 1900. MORANCÉ, (Joseph),^|I, architectehon. de la Ville du Mans, Président de la Société d'Horticulture, rue des Fontaines, 32..

— GANDOIN, directeur du Comptoir d'Escompte

de la Sarthe, rue Saint-Dominique, 13.

6 février 1901. LEGROS, ©, doc.-méd., rue du Cirque,14.

20 juill. 1904. LEMOINE, méd.-vét., rue Auvray, 28.

9 nov. 1904. FLEURY (Gabriel), Q, impr-éditr, à Mamers.

— LEFEUVRE, Q I, artiste peintre décorateur,

conseiller municipal, rue Jacob, 1.

8 janv. 1905. D'AILLIÈRES (Louis), conseiller général au château d'Aillières, près Mamers.

— BRIÈRE, C #, directeur du syndicat des agriculteurs,

agriculteurs, du Gué-de-Maulny, 30.

— GASSELIN, 0 &, lieut.-colonel d'artillerie en

retraite, maire de St-Jean-des-Echelles, au château de Courtangis, par Lamnay. et rue de Paris, 13.

— Goussu (Paul), nég., pl. de la Républiqiïe, 30.

— DE LINIÈRE (Raoul), rue de Tascher, 23.

— DE LORIÈRE (Edouard), maire d'Asnières,

au chat, de Moulin-Vieux, par Avoise et rue Victor-Hugo, 20 (Ass. du 15 janv. 1902).

8 janv. 1905. MOULIÈRE, avocat, rue Montauban, 7.

29 janv. 1905. DELAGENIÈRE,^, doctr-raéd., rue Erpell, 15.

10 déc. 1905. GASNOS (Xavier), docteur en. droit, rue de l'Herberie, 1.


— 10 —

Date de la réception. MM.

14 janv. 1906. LE COMTE, #, ancien conseiller énëral, maire de Montigny.

11 mars 1906.. DELAUNAY,dr-méd., rue de la Préfecture, 14.

13 mai 1906. BELLANGER, ingénieur des mines, rue Victor-Hugo, 44.

8 juill. 1906. AUGUY, doctr-méd., maire de St-Denisd'Orques.

St-Denisd'Orques.

9 déc 1906: DE L'ECLUSE, O *, professeur départemental

départemental avenue Rubillard, 30.

27 janv. 1907. CHARDON (Charles), propriétaire, à Marolles-les-Braults.

— ERARD (Denis), prop., rue des Maillets, 36.

9 juin 1907. AVICE, propriétaire, au château de La Forêterie, près d'Allonnes.

— CHAUSSON, pharmacien, rue Prémartine.

10 nov. 1907 Goussu (Georges), propriétaire, rue Gastelier, 58.

8 déc. 1907 LASNE, Q I, professeur honoraire, rue des

Maillets, 72.

— LAVOIPIÉRE, @ I, inspecteur honoraire de

l'enseignement primaire, rue Prémartine, 159.

12 janv. 1908 LABICHE, O i$J, .# I, colonel d'artillerie en retraite,,rue des Fontaines, 80.

— RODTON, G ^, colonel d'ârtilleriëén retraite,

retraite, de l'Etoile, 19.

26 janv. 1908 MABYRE, conseiller municipal, avenue de l'Abattoir, 67.

9 fév. 1908 GALENDINI (l'abbé Paul), curé de Saint-Éarsd'Outillé,

Saint-Éarsd'Outillé, de la Société d'Histoire, Lettres, Sciences et Arts de la Flèche.


Date de la réception. MM.

8 mars 1908 CANDÉ, docteur-médecin au Lude. 14 juin 1908 DE SAINT-DENIS, libraire, rue St-Jacques, 1. 27 sept. 1908 AVICE, pharmacien, rue Gougeard, 23.

— BERTHAULT (Edouard), notaire, rue SaintCharles

SaintCharles du 4 avril 1878).

— LE BIHAN (Albert), directeur d'assurances,

rue de Flore, 15.

— GOUSSAULT, èfë, chef de division des chemins

de fer de l'Ouest-Etat, av. de Paris, 86.

8 nov. 1908 THIBAUDIN, juge au tribunal civil, boulevard Négrier, 18.

13 déc. 1908 CHAROY, notaire, rue Gougeard, 15.

— PORROT, juge au tribunal civil, rue, SainteMarie,

SainteMarie,

— SINGHER (Gustave), ft, directeur de la Société

d'assurances mutuelles mobilières, rue des Fontaines, 69.

10 janv. 1909 THÉTIER, administrateur des ardoisières de Renazé, rue Joinville, 2.

— BUISSON, directeur de la pharmacie Dallier,

carrefour de la Sirène.

31 Janv. 1909 MITON, Q I, contrôleur de la caisse d'épargne, boulevard Levasseur, 13.

25 avril 1909. MARCHÂDIER, ©, $, directeur du laboratoire de surveillance des eaux du Mans, àt'Épau.

16 mai 1909. MAINGAIT, herboriste de lre classe, rue Na■ tionale, 96.

— MORANCÉ (Emile), ingénieur-chimiste, ave-.

nue de Paris, 90.


12

Membres associés.

Date de la réception. . MM. .'•

4 avril 1878. CHELOT (Emile), rue longe, 82, Paris.

— POIVET, i|, ancien professeur à l'École normale,

normale, des Maillets, 52.

7 nov. 1878. LÉGUÉ (Léon), propriétaire, carrefour de l'Ormeau, à Mondoubleau (Loir-et-Cher).

— REICHERT, 0 ^, >ï<, »Js, intendant militaire,

militaire, de Paris, 54.

.8 juill. 1880. LAUNAY, instituteur à Cré-sur-Loir.

5 mai 1886. MONGUILLON, instituteur a la Ferté-Bernard.

6 oct. 1891. ROMMÉ (Edouard), à Sougé-le-Ganelon.

12 juin 1895. LETACO, (l'abbé), aumônier des Petites--

Soeurs des pauvres, rue du Mans, 151 bis, à Alençon (Orne).

2 oct. 1895. COILLIOT, professeur, rue Crochardière, 28.

11 déc. 1895. ALEXANDRE, juge de paix à Mondoubleau (Loir-et-Cher).

11 avril 1900. DENIS, expert - géomètre, à MaroTles-les;Braults.

13 déc. 1901. DE MONTESSON (le vicomte Charles), ^,

chef de bataillon retraité des mobiles du Mans, au château de Montauban, par Neuville-s-Sarthë (Tit. du 17;avril 1874),

11 mars 1903. MUSÉE-BIBLIOTHÈQUE HEURTELOUP-CHEVALLIER, à Château-du-Loir, .

7 oct. 1906. DUPAS,*, vétérinaire au 28e dragons,

à Sedan (Ârdennes).

— BLIN (Constant), rue Montbarbet, 10.

14 juin 1908. LEROY, instituteur, à Marolles-les-Braults.


13 —

MIGRATIONS D'OSE BIBLIOTHÈQUE

NOTES POUR SERVIR A L'HISTOIRE De la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe

Par M. GENTIL, membre titulaire.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, pour répondre à de pressantes sollicitations, l'autorité royale prit l'importante décision de créer un certain nombre de Sociétés d'agriculture.

L'une des premières fut celle de la Généralité de Tours, établie par un arrêt du Conseil d'Etat, en date du 24 février 1761, avec trois bureaux : Tours, Angers et Le Mans (1). Chacun d'eux, composé de vingt membres titulaires, pouvait s'adjoindre des associés, qui furent au nombre de soixante pour la province du Maine, dont les titulaires étaient :

L'abbé Belin de Béni, chanoine et archidiacre de l'Eglise du

Mans. UaMbéBucquet, Chanoine et archidiacre de l'Eglise du Mans. L'abbé de la Briffe-Ponsan, chanoine. Le R. P. Hébert, prieur de l'abbaye de Beaulieu (2). Dora Guillou, cellérier et ancien procureur de l'abbaye de

Saint-Vincent. Le V. Parizis, lazariste, procureur du séminaire de Coëffort. Le comte de Maillé de la Tour-Landry, à Entrâmes. De Fontenay, chevalier de Saint-Louis, à Montreuil-le-Henry. De la Goupillère, chevalier de Saint-Louis (3).

(1) Bibliothèque de la Société, n° 4140 (318-1).

(2) Elu le 10 mai, en remplacement de Dom Joly, prieur de l'abbaye de l'Epau, nommé par le Conseil d'Etat, mais non acceptant.

(3) Elu le 21 avril, en remplacement de M. de Neuvy, décédé avant lapremière réunion.


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Le marquis de Courceriers, au château des Bordeaux, à Amné. Le comte de Vanssay, chevalier de Saint-Louis, au château de Chêne- de-Coeur, en Saint-Pavace.,

Samson de Lorchère, lieutenant général au Présidial. Neveu de Rouillon, lieutenant criminel au Présidial. De Blanchardou, ancien maître particulier des Eaux et Forêts. Leprince d'Amigné, conseiller au Présidial. Fanaa de la Touche, ingénieur des Ponts et Chaussées. Prud'homme de la Boussinière, bourgeois. Desportes de Linière, maître de forges. De Courteille, négociant. Véron du Verger, négociant.

Le Bureau du Mans se réunit pour la première fois, le mardi

14 avril 1761, Grande-Rue, 97, en l'hôtel de M. de Lorchère,

lieutenaut-général au Présidial et maire perpétuel de la ville, à

qui M. l'Escalopier; intendant de la Généralité de Tours, avait

écrit le 3 avril :

« En attendant qu'il ait été pourvu par le Conseil sur le lieu où doivent se tenir les assemblées, il faudra que vous ayez agréable de leur donner chez vous un endroit propre à cet usage, comme je le fais moi-même à Tours (1) ».

M. de Lorchère fut élu Directeur. Comme ses successeurs, il ne devait conserver son mandat que pendant une année. Le Secrétaire perpétuel, nomnié par le roi, était Vérôn du Verger, alors âgé de 66 ans, qui remplit ces fonctions, avec une admirable exactitude, jusqu'à sa mort en 1780.

En l'absence de M. de Lorchère, pendant ses séjours à la campagne, les assemblées se tenaient chez l'un ou l'autre de ses collègues, en particulier MM. Belin et Bucquet.

Bientôt fatigué de cette vie quelque peu nomade, le 7 décembre 1761, le Bureau rédige un mémoire, « pour représenter au Ministre la nécessité de pourvoir à un logement pour tenir les réunions de la Société », réclamant en même temps les ressources pécuniaires indispensables cour le chauffage et les frais du secrétariat.

(1) Procès-verbaux, séance du 14 avril 1761.


— 15 —

A défaut de domicile particulièrement à son usage et craignant d'incommoder M. de Lorchëre, « vu l'état de sa santé », le Bureau décide, le 20 avril 1762, que « la prochaine séance se tiendra à l'Hôtel de Ville, conformément à l'offre qu'en ont bien voulu faire MM. les officiers de Ville, à la prière de M. l'Intendant ». En conséquence, le 27 avril suivant, la Société recevait l'hospitalité dans la petite maison, située place du Gué-de-Maulny (aujourd'hui place Hallai), prise en location par les échevins pendant les reconstructions qu'on faisait à l'ancien palais des comtes du Maine (1).

Mais, la salle servant aux réunions n'était pas toujours libre et le Bureau d'agriculture se trouvait encore assez souvent obligé de chercher un refuge chez quelques-uns de ses membres, MM. Bucquet, de Rouillon, de la Goupillère ou Belin.

Enfin, le 5 mars 1765 « pour la première fois, la Société s'est assemblée dans la nouvelle salle qui lui avait été destinée dans l'enceinte du palais », au 2e étage, au-dessus du secrétariat de la mairie actuelle. Elle en eut la paisible jouissance jusqu'à la Révolution et y tint ses réunions le mardi de chaque semaine, sauf pendant les vacances, avec une régularité parfaite, que vint seul troubler un événement douloureux.

On lit en effet au procès-verbal de la séance du 30 janvier 1781 :

« M. le Directeur (2) a observé que la mort de M. Véron, Secrétaire perpétuel, avait suspendu pendant quelque temps (3) les opérations de la Société, que les papiers nécessaires, notamment le plumitif et le registre courant, étant détenus sous l'inventaire de la succession, ce retardement aurait été cause que Messieurs n'auraient pas été convoqués pour la séance de rentrée au jour ordinaire, qui est le 1er mardi d'après la Saint-Martin. Il a ajouté que ces papiers lui avaient été remis exactement par MM. les héritiers de mon dit sieur du Verger, ainsi que leca(1)

leca(1) Robert Triger, l'Hôtel de Ville du Mans, p. 39.

(2) M. Rottier de Moncé, chanoine de l'Eglise collégiale de Saint-Pierrela-Cour.

(3) Depuis le 8 août 1780.


— 16 —

chetde la Société et les clefs des archives, pourquoi ils en demeurent déchargés ».

Ce fait met en lumière toute l'importance des fonctions du Secrétaire perpétuel, qui était l'âme de la Société, et le choix de son successeur prouve qu'elle s'en rendait parfaitement compte. En effet, dans cette même séance on nomme pour le remplacer M. de Moncé qui, sur les instances de ses collègues, donne sa démission de Directeur pour accepter le titre de Secrétaire.

Il en exerça la charge jusqu'au 20 novembre 1787, date à laquelle il dut la résilier, en raison de ses nombreuses occupations par ailleurs, et fut remplacé par M. Nioche de Touruay, inspecteur général des manufactures, qui devait continuer avec le même soin que ses prédécesseurs la rédaction des procès-verbaux des délibérations de la Société, dont nous possédons sept gros registres.

Le septième se termine par le procès-verbal de la séance du 23 décembre 1788. Il devait en exister un huitième, car il est certain que la Société continua à s'assembler pendant les années qui suivirent. Nous en avons la preuve par la correspondance de Necker avec le Bureau d'agriculture du Mans, en 1789, que notre savant collègue, M. Robert Triger, a publiée dans le tome 32e de nos Bulletins. Au surplus, nous trouvons dans l'Almanach du département de la Sarthe (1), pour l'année 1793, imprimé vers la fin de 1792, la liste des membres de la Société, avec l'indication de leur domicile, et c'est seulement pendant la tourmente de 1793 qu'ils furent dispersés.

Le huitième registre des délibérations a donc disparu et nous avons à déplorer sa perte, qui doit nous priver de documents d'un réel intérêt pour l'histoire de cette époque. Toutefois, il est vraisemblable que, si la Société continua d'exister, au moins virtuellement, les événements qui suivirent la convocation des Etats-Généraux ne pouvaient manquer de la détourner de ses

(1) C'est l'ancien Almanach du Maine, dont le titre fut changé en 1791.


— 17 —

occupations ordinaires qui, pendant les dernières années, perdirent sans doute de leur régularité.

En outre de ses registres des délibérations et de nombreuses pièces manuscrites, la Société possédait une bibliothèque assez importante, dont les livres sont encore pour la plupart sur nos rayons. Parmi eux se trouvent :

Le Recueil des délibérations et mémoires de la Société royale de la Généralité de Tours pour l' année 1761, qui doit être le premier livre entré dans cette collection ;

La Gazette de l'Agriculture, dont la lecture occupait « Messieurs », en attendant l'ouverture des séances ;

Le Journal de l'Agriculture et du Commerce, dont le premier volume porte, au bas de la page de titre, la mention manuscrite : « Société d'agriculture, Bureau du Mans »;

Le Traité du Chanvre, par Marcandier, 1758, avec la même mention ;

L' Agronomie ou les principes de l' Agriculture réduits en pratique, dont le tome I, daté de 1761, porte la signature de Véron du Verger ;

L'Art de s'enrichir promptement par l'Agriculture, 1763, avec la signature de Livré;

Et d'autres, étrangers aux questions agricoles, parmi lesquels un exemplaire de Pline, gros in-folio donné par M. de Foisi. Le premier catalogue, que nous conservons dans nos archives, rédigé par Véron du Verger en 1767, comprenait déjà 71 numéros.

En 1793, le tout fut confisqué et mis au dépôt central. Ce fut la première migration.

Cependant, les pouvoirs publics ne tardèrent pas à comprendre, l'utilité de grouper les hommes d'étude et, le 5 germinal an II (25 mars 1794), le Conseil général de la Commune du Mans nommait les citoyens Chaubry, ingénieur en chef, Deshourmeaux, ingénieur en second, Ruillé l'aîné, Clairsigny, Chesneau, Mortier-Duparc, pour composer la Commission des Arts, « qui

SOCIÉTÉ DES ARTS 2


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doit proposer les plans des divers établissements, tant utiles qu'agréables, qui doivent avoir lieu dans la commune» (1).

Cette Commission se réunit le 23 germinal suivant (11 avril 1794) à l'Hôtel de Ville, « au lieu indiqué parle citoyen Juteau, agent national de la commune », chargé de l'installer. GhesneauDesportes fut élu président à l'unanimité (2).

De son côté le Directoire du district créait, au mois d'août de la même année, une Commission bibliographique et du musée et, peu de temps après, on avril 1795, un Bureau consultatif de commerce et d'agriculture (3).

Mais, bientôt une lettre des administrateurs du département, en date du 8 vendémiaire an IV (27 septembre 1795), provoqua la réunion de ces différentes commissions en une seule société, chargée d'étudier les questions « relatives à l'agriculture, aux arts, aux fabriques, au commerce, à l'industrie et à d'autres branches d'économie politique», transmises par le Comité de Salut public (4).

Un arrêté du 19 vendémiaire an IV (11 octobre 1795) lui donnait le titre de Bureau central de correspondance des Arts (5) qui, quatre ans plus tard, le 28 ventôse an VII (18 mars 1799) devait être remplacé par celui de Société libre des Arts (6).

Plus prévoyante que le Conseil d'Etat en 1761, l'Administration centrale prenait soin de pourvoir aux dépenses :

« Pour achat de bois, chandelle et autres menus frais de bureau, il sera provisoirement délivré aux dites Commissions réunies un mandat de deux mille livres, qui sera payé, sur l'acquit de leurs président et secrétaire, par le receveur du district du Mans, sur le fond des dépenses imprévues comprises dans les dépenses variables du département » (7).

(1) Procès-verbaux, séance du 23 germinal an II.

(2) Procès-verbaux, ibid.

(3) Bulletin de la Société, tomel, p. 5.

(4) Procès-verbaux, séance du 10 vendémiaire an IV.

(5) Archives de la Société.

(6) Archives de la Société, collection des règlements.

(7) Archives de la Société.


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C'était assurément généreux. Reste à savoir si le receveur versait la somme en bonnes espèces sonnantes et trébuchantes ou en assignats.

Le 12 vendémiaire an IV (4 octobre 1795) avait eu lieu la première séance à laquelle étaient présents : Leprince d'Ardenay, Véron, Rajon, Tourna), Desportes-Gagnemont, du Comité de commerce et d'agriculture; Doigny, Bordier, Ledru, Renouard, La Houssaye, de la Commission du musée et bibliothèque; Chaubry, Deshourmeaux, Mortier-Duparc, Leprince-Clairsigny, Maulny, Chesneau, du Comité des arts, auxquels étaient adjoints plusieurs citoyens notables: Livré, de Feumusson, Tascher, Dumesnil-d'Hauteville et Vaultier.

Deux d'entre eux, Leprince d'Ardenay et Livré, avaient été Directeurs, trois autres, de Feumusson, Maulny, Véron, membres associés du Bureau d'Agriculture (1), dont le secrétaire perpétuel, Nioche de Tournay, le devenait également de la Société nouvelle (2), qui ne faisait en réalité que continuer l'ancienne avec des attributions plus étendues.

Aussi, dès le 26 frimaire suivant (17 décembre 1795), elle en demandait l'héritage aux administrateurs du département :

« Citoyens, le Bureau central vous expose que tous les registres, mémoires et papiers du cy-devant Bureau d'agriculture ont été déposés à la bibliothèque. C'est une source abondante dans laquelle il pourrait puiser bien des connaissances utiles au travail important dont il est chargé et qu'il serait très utile à cet effet que le dépôt en fut fait au Bureau central. Par ces considérations, Citoyens, vous rendrez un service essentiel à la chose publique en autorisant la Commission bibliographique de remettre au dit Bureau, tous les registres, mémoires et papiers, relatifs à l'agriculture, sous le récépissé que donneront le président et le secrétaire » (3).

L'Administration centrale s'empressa d'acquiescer à cette demande (4) et c'est ainsi que revinrent à la mairie, où se tenait

(1) Almanack du département de la Sarthe pour 1793, p. 60 et 61.

(2) Procès-verbaux, séance du 5 brumaire an IV. (3). Procès-verbaux, séance du 26 frimaire an IV.

(4) Procès-verbaux, séance du 17 nivôse an IV.


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le Bureau central des arts, en janvier 1796, les archives et la bibliothèque de notre Société. C'était la deuxième migration.

Deux ans après, elle s'augmentait par le don que lui fit un

arrêté de l'Administration centrale, en date du 9 ventôse an VI

(27 février 1798) d'une partie des livres confisqués aux anciens

couvents, qui lui furent remis par les soins de Renouard.

Nous possédous un manuscrit catalogué comme suit:

« 4162. — Catalogue des livres formant la bibliothèque de la Société libre des Arts établie au Mans, remis par le citoyen Renouard, bibliothécaire de la bibliothèque nationale du département de la Sarthe, le 29 messidor an VII. Manuscrit pet. in-fol. de 51 feuilles, renfermant environ 963 nos » (1).

Ce libellé est inexact. Le véritable titre du n° 4162 est :

« Etat des livres qui forment la bibliothèque de la Société des Arts remis par le citoyen Renouard, bibliothécaire de la bibliothèque nationale du département de la Sarthe, d'après l'autorisation de l'Administration centrale du même département, desquels livres a été donné reçu au citoyen Renouard par les président, secrétaire et archiviste de la Société, le 29 messidor an 7 et jours suivants ».

Comme on le voit, il ne s'agit pas du catalogue de notre bibliothèque, telle qu'elle était à la date du 29 messidor an VII. (17 juillet 1799), mais simplement de l'état des livres remis par Renouard et c'est à tort que notre regretté collègue, Louis Brière, a écrit dans sa notice sur les archives et la bibliothèque de notre Société, p. 19 :

" Le premier qui entreprend ce travail (de dresser un inventaire de nos livres) est Renouard. Son catalogue, resté manuscrit, se compose de 51 feuilles in-fol. renfermant 963 numéros et fut présenté à la Société dans sa séance du 29 messidor an VII».

D'abord, il n'en est aucunement fait mention au procès-verbal de la dite séance, non plus qu'à ceux des séances qui précèdent ou qui suivent. Ensuite, Renouard n'a pas rédigé le catalogue de

(1) Cf. Catalogue de la bibliothèque de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, p. 380.


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notre bibliothèque, ce qui du reste eut été la tâche de notre, archiviste, Négrier de la Crochardière et non la sienne. Mais, il a remis des livres, dont il a fait signer un état par les président, secrétaire et archiviste de la Société, pour décharge.

Ce que nous possédons, sous le n° 4162, n'est qu'une copie de cet état, ne comprenant d'ailleurs que 579 numéros et non pas 963, chiffre erroné, dont voici l'explication :

Immédiatement après l'état en question est transcrit un Rapport sur la bibliothèque de la Société, fait par Ledru à la séance du 8 novembre 1808, avec un supplément comprenant 108 numéros. Puis, vient une suite au supplément, du n° 109 au n° 384 inclus, lequel n° 384 est indiqué comme étant entré le 14 septembre 1847, bien après la mort de Renouard et de Ledru.

Si l'on additionne ce chiffre 384 avec celui de l'état qui précède, on trouve en effet 963, comme l'indique Brière. Mais, il ne s'agit plus du prétendu catalogue de Renouard qui, n'étant pas archiviste de la Société, n'avait pas eu d'ailleurs à s'en occuper. Nous avons dit que le manuscrit catalogué sous le n° 4162 n'est qu'une copie de l'état des livres remis par Benouard. Mais, l'original est aussi dans nos archives. Son titre exact est : « Etat des livres que le citoïen Renouard, bibliothécaire de la bibliothèque nationale du département de la Sarthe, a remis à la Société libre des Arts du Mans, d'après l'autorisation de l' administration centrale du même département » (1).

C'est effectivement un cahier de 51 pages (et non 51 feuilles) portant 584 numéros (au lieu des 579 de la copie), qui comprennent 1792 volumes.

Mais, ce serait une erreur de croire que Renouard en était l'auteur. Dans son rapport du 8 novembre 1808, Ledru nous

(1) L'administration centrale avait écrit à la Société des Arts, le 17 floréal an VII (6 mai 1799) : « Nous croirons avoir rempli un devoir en vous authorisant (sic) à faire dans le dépôt central des livres du département le choix de ceux qui, étant doubles, pourraient vous être nécessaires ». — Archives de la Société.


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renseigne exactement à ce sujet : « M. Renouard, dit-il, fit transporter dans une salle, que nous devons au zèle obligeant de la municipalité, tous les livres qu'il destinait à la Société des Arts. MM. Chesneau-Desportes, président, N. de Tournay, secrétaire et Négrier de la Crochardière, archiviste, en dressèrent le catalogue sur un registre de 50 pages et y apposèrent leur signature ».

Ce document, où se trouvent énumérés pêle-mêle les ouvrages le plus disparates, sans le moindre classement méthodique, est d'ailleurs écrit tout entier de la main de Négrier de la Crochardière, de même que la copie portant le n° 4162. La liste des ouvrages est immédiatement suivie du récépissé que voici :

« Nous soussignés, président, secrétaire général et archiviste de la Société libre des Arts, reconnaissons que le citoyen Renouard, bibliothécaire de la bibliothèque nationale du département de la Sarthe, nous a, d'après l'autorisation de l'administration centrale du même département, remis les livres portés en l'état ci dessus, formant ensemble la quantité de dix sept cent quatre vingt douze volumes, pour être déposés au lieu des séances de la dite Société des Arts et y former une bibliothèque, comme aussi nous reconnaissons que le dit citoyen Renouard, autorisé comme dit est, nous a également remis neuf corps de bibliothèque en forme de dressoirs, lesquels ont été pris à la cidevant -bibliothèque de Saint-Vincent et sont construits en bois de sapin, fors les montans qui sont en chesne (1). Au Mans, le vingt-neuf messidor, an 7 de la République française». Signé : CHESNEAU, NIOCHE DE TOURNAY, NÉGRIER DE LA GROCHAIIDIÈRE.

La libéralité de l'administration centrale ne se bornait donc

pas au don des livres, elle fournissait encore les dressoirs et

même en faisait payer les frais d'installation par le ministre de

l'intérieur, comme l'établit la lettre suivante :

« Paris, le 12 germinal an 8 de la République française, une et indivisible. Le Ministre de l'intérieur aux membres com(1)

com(1) 2a prairial an VII (13 juin 1799), l'administration centrale avait écrit à Renouard: « Nous, vous prévenons, citoyen, que nous venons d'autoriser la Société des Arts du Mans à envoyer un commissaire vers vous pour faire choix et dresser inventaire des tablettes dont ils ont besoin pour placer les livres au lieu de leurs séances, s'il en existe qui soient inutiles aux nouvelles distributions de la bibliothèque ». — Archives de la Société.


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posant la Société libre des Arts, séante au Mans. J'ai fait mettre à votre disposition, citoyens, la somme de quatre vingt quatre francs soixante-dix centimes, destinée à rembourser le citoyen Négrier de pareille somme qu'il a avancée pour les frais d'établissement d'une bibliothèque à l'usage de la Société que vous composez ». — Signé : Lucien BONAPARTE.

Les montants en chêne, dont parle le récépisséci-dessus, forment en grande partie l'ossature de notre bibliothèque actuelle; où se trouvent encore bon nombre des étagères en sapin provenant de Saint-Vincent, dont plusieurs, il est vrai, sont quelque peu vermoulues.

Vers la fin de cette même année 1799, notre bibliothèque fut, paraît-il, mise au pillage. Dans son rapport du 8 novembre 1808, Ledru dit que les rebelles, ayant envahi la ville du Mans, le 15 octobre 1799, nous enlevèrent 42 ouvrages clairement énoncés au catalogue. Plusieurs de ceux qu'il indique, par exemple les oeuvres de Rabelais et celles de Scarron, nous manquent en effet. Mais d'autres, tels que les Mémoires des comtes du Maine, par Trouillard, et les Coutumes du Maine, de Bodreau, sont encore en place et, par conséquent, n'avaient pas été dérobés, à moins qu'ils ne soient rentrés depuis.

Dans ce même rapport, Ledru signale les inconvénients que présente le dépôt des livres dans une salle distincte de celle des séances :

« Vous me permettrez, Messieurs, de vous énoncer une idée sur le meilleur moyen d'utiliser cette collection précieuse.

« Tant qu'elle restera séparée du lieu de vos séances et pour ainsi dire mise sous les scellés, vous n'en retirerez que de bien faibles avantages. Car, du moment que votre bibliothécaire en aura pris la clef, comment voulez-vous que les sociétaires puissent la consulter dans l'intervalle qui s'écoule d'une séance à l'autre.

« Les membres du Bureau de bienfaisance tiennent leurs séances dans cet appartement et s'y servent des mêmes objets qui sont à notre usage. Je pense qu'il serait plus convenable


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que chaque Société ait son cabinet distinct. Le Bureau de charité peut, sans en être aucunement gêné, occuper le local où sont maintenant déposés nos livres. L'appartement où nous siégeons, rendue sa première destination, servira uniquement à la Société des Arts » (1).

Adoptant les conclusions de Ledru,

« La Société décide de prendre les moyens convenables pour faire transporter, avec l'autorisation de M. le Maire (2), notre digne collègue, la bibliothèque dans la salle même où elle tient ses séances ordinaires, après avoir invité MM. du Bureau de bienfaisance à se réunir dans celle où sont maintenant nos livres » (3).

Notre bibliothèque fut donc transportée au 2e étage de l'Hôtel de Ville, au-dessus de la salle actuelle du Conseil, où elle devait demeurer pendant 70 ans. Ce fut la troisième migration.

Devenue Société royale des Arts, par autorisation en date du

21 décembre 1814 (4), la Société changeait encore de nom en

1825, pour prendre celui de Société d'Agriculture, Sciences

et Arts, comme le constate le procès-verbal de la séance du 28

juin 1825 :

« M. le Président a communiqué une lettre de M. le Préfet, en date du 18 courant, qui annonce que, par décision du 26 mai dernier, S. Exc. le ministre de l'intérieur autorise la Société à prendre le titre de Société d'Agriculture, Sciences et Arts».

La même année, sa bibliothèque s'enrichissait d'une, collection précieuse que Lédru, décédé le 11 juillet 1825, avait léguée par testament (5), celle des Almanachs du Maine et des Annuaires de la Sarthe, qu'il possédait et que depuis nous a libéralement continuée la Maison Monnoyér.

C'est aussi pendant le premier quart du XIXe siècle que fut constituée l'intéressante collection de portraits, dont ; notre

(1) Bibliolhèque de la Société, n° 4162 (984 bis). — Le rapport de Ledru est transcrit à la suite de l'état dont il est question ci-dessus. (2) Négrier de la Crochardière.

(3) Procès-verbaux, séance du 8 novembre 1808,

(4) Archives de la Société, lettre du préfet datée du 30 décembre ,1814. (3) Cf. Rebut, André-Pierre Ledru, in Palmarès du Lycée; 1905, p. 16.


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honoré collègue, Henri Chardon, a publié l'Histoire et critique dans le 40e volume de nos Bulletins (1).

En 1829 survient une réclamation du maire, Bouteiller de Châteaufort, faite à l'instigation de Richelet, bibliothécaire de la ville, présentée à la séance du 22 décembre :

« M. le Président communique une lettre de M. le Préfet, en date du 18 courant, transmissive d'une autre de M. le Maire de cette ville, datée du 9, ayant pour objet la réintégration dans la bibliothèque publique d'un grand nombre de livres, dont le catalogue est joint à la lettre du maire, que celui-ci prétend avoir été distraits de cette bibliothèque pour former celle de la Société des Arts, ce qui serait l'oeuvre de Renouard » (2).

Après un examen approfondi, qui prit trois longues séances, la Société répondait que Renouard n'avait pas remis de son propre mouvement les livres dont il s'agissait, et qu'il n'avait été que l'exécuteur d'un arrêté de l'administration centrale du 9 ventôse an VI. Ces livres d'ailleurs ne pouvaient être réclamés à titre de restitution, n'ayant pas été distraits de la bibliothèque publique qui n'existait pas et n'était même pas projetée à cette époque. La Société en était légitimement appropriée, tant en vertu de la concession de l'autorité qui avait le droit d'en disposer que par une possession plus que trentenaire. Toutefois, considérant qu'en la gratifiant des livres en question l'administration centrale n'avait entendu lui accorder que des doubles exemplaires, la Société consentait à remettre ceux qu'elle possédait qui manqueraient à la bibliothèque publique, demandant en compensation les doubles que celle-ci pouvait avoir.

(1) Voici la liste de ces' portraits : Auvray, Barbeu-Dubourg, Belin de Béru, Belin de la Euye, Pierre Belon, Charles Blondeau, Julien Bodreau, Jean Boisnard, Antoine Bondonnet, Jean Bondonnet, Chesneau-Desportes, Chouët de la Gandie, Claude Chappe, Cureau de la Chambre, Thomas Dalibard, Nicolas Denisot, Fréart de Chambray, Robert Garnier, La Mothe le Vayer, Bernard Lamy, Antoine Le Corvaisier de Courteille, Louis de Malicottes, Louis Maulny, Marin Mersenne, Louis Morin, Germain Pilon, David Rivault, Trouillard de Montferré, de la Vergne de Tressan, Véron de Forbonnais, Véron du Verger.

(2) Les lettres en question et le catalogue y annexé sont dans nos archives.


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Il semble donc que la bibliothèque-municipale obtenait satisfaction. Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres. Treize ans après rien n'était fait et, par lettre du 28 avril 1843, le maire du Mans, Trouvé-Chauvel, se plaignait que la décision prise le 19 janvier 1830, ne fut pas encore exécutée.

Consultée par son président sur le parti qu'il convenait de prendre en Cette occurrence, la Société nomme une commission pour étudier la question et préparer une réponse. Le 20 juin suivant, M. Landel, chargédu rapport, se bornait à déclarer qu'il n'était pas prêt. Oncques depuis il n'en fut parlé. Du moins les procès-verbaux sont muets à cet égard, etla phrase suivante d'un rapport de l'abbé Voisin, dont nous parlerons - tout à l'heure, donne à penser que la Société garda ses livres: « Lorsqu'à diverses reprises, on vous a demandé des ouvrages imprimés qui manquaient à la bibliothèque publique, vous n'avez rien

accordé ».(1).

Brière (Op. cit., p. 12) dit que la compagnie prit en 1833 le litre de Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, en même temps qu'elle commençait à publier un bulletin périodique. C'est en effet de 1833 que date le premier volume de nos Bulletins, mais avec le titre de « Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts du Mans » (2). En 1839 seulement, par l'article 1er du règlement délibéré le 9 juillet, elle prit le titre définitif qu'elle porte aujourd'hui (3).

Elle était toujours sous l'autorité du Ministre de l'intérieur, ce qui permit au préfet Ménard d'intervenir 7 ans après pour dépouiller nos archives d'une partie importante de leurs richesses. Voici le fait, d'après le procès-verbal de la séance du 4 août 1846 :

« M. le Préfet demande que les chartes et autres pièces manuscrites provenant d'établissements religieux supprimés et déposées actuellement dans la bibliothèque de la Société, soient

(1) Bulletin de la Société, t. VII, p. 286.

(2) La collection comprend aujourd'hui 41 volumes, avec la tablé générale, par ordre de matières, pour les 40 premiers.

(3) Bulletin de la Société, t. IV, p. 1.


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transférées aux archives publiques du département. II est' décidé que la délibération à ce sujet sera mise à l'ordre du jour de la séance suivante. »

Ne voulant prendre aucune désision sans être parfaitement éclairée sur ses droits, le 25 août la Société invite la commission qui s'occupe du catalogue à rechercher l'origine de la possession des pièces réclamées par le préfet: Elle prit cinq mois pour cette recherche, sans aboutir à rien de précis au sujet de l'entrée de ces documents dans notre bibliothèque.

« Ces manuscrits, dit le rapport, n'ont point été donnés à la Société par les administrateurs du dépôt central, de qui nous tenons une partie de nos ouvrages imprimés. Nous avons de fortes raisons de croire que ces titres nous ont été légués par quelques-uns de nos collègues et de toute manière nous les possédons à bon droit » (1).

Néanmoins, la Société conclut à leur dépôt dans les archives départementales, où ils seraient plus facilement consultés.

L'intéressant rapport de l'abbé Voisin, imprimé dans le tome VII de notre Bulletin, fait connaître qu'il y avait 385 pièces, placées sans ordre dans trois cartons. Les établissements religieux qu'elles concernent sont les abbayes de Beaulieu, de SaintVincent, de la Couture, du Pré, de l'Epau, de Champagne, le prieuré de Grammoni, le chapitre de Saint-Pierre-la-Cour, plusieurs églises du diocèse et enfin la Prévôté du Mans, toutes antérieures au XVIe siècle et la plupart datant du XIIIe.

MM. Leprince et Voisin furent chargés d'en opérer la remise. Mais, ils ne se pressèrent pas et le transfert ne fut accompli qu'après plus de deux ans, comme en témoigne le reçu de l'archiviste Bilard, dont voici le texte :

« Je soussigné, reconnais que M. Leprince, bibliothécaire de la Société des Arts du Mans, m'a fait la remise de diverses chartes anciennes ou titres sur parchemin destinés à être déposés aux archives départementales. Ces pièces sont au nombre de 94. Au Mans, le 14 août 1849. » — Signé : Ed. BILARD, archiviste départemental (2). .

(1) Bulletin de la Société, tome VII, p. 287.

(2) Archives de la Société.


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Quelques mois avant s'était produite une importante innovation dans les usages de la Compagnie. Jusqu'alors elle se réunissait, chaque quinzaine, à la lueur pâlotte de quelques bougies, dans l'appartement plutôt exigu qu'occupait sa bibliothèque. Le 25 novembre 1848, une délibération du Conseil municipal vint l'autoriser à tenir ses séances dans la salle même du Conseil, splendidement éclairée par huit becs de gaz(l).

Eblouie sans doute par ce brusque passage à la grande lumière et se pénétrant d'une profonde estime de soi-même, la Société prend bientôt les allures d'une Académie, où ne peuvent entrer que difficilement de rares privilégiés. Le règlement du 3 juin 1856 limite à 50 le nombre des membres titulaires, dont, le domicile doit être au Mans ou dans un rayon de trois kilomètres. Ils ne sont admis que sur le rapport favorable d'une commission sur leur passé littéraire ou scientifique et tous sont obligés de présenter chaque année un travail, dont toutefois le sujet est facultatif.

Ces exigences ne pouvaient qu'entraver le recrutement. On ne tarda pas à s'en apercevoir. Aussi le règlement du 8 janvier 1869 supprime l'obligation du travail annuel. Par ailleurs, il étend le domicile des membres titulaires à tout le département de la Sarthe, sans en limiter le nombre. Le président, élu pour deux ans, ne peut être réélu qu'après une nouvelle période. Mais, le secrétaire général, nommé pour cinq ans, est indéfiniment rééligible (2).

C'était confiera ce dernier la direction effective. On revenait au système du secrétaire perpétue! de l'ancien Bureau d'agriculture et de la Société libre des arts. En un mot, on reconnaissait que la continuité de vues est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement d'une société.

On a dit:que les peuples heureux n'ont pas d'histoire. La nôtre n'a pas été toujours une suite de félicités. Nous arrivons

(1) Archives de la Société : lettres de la Mairie.

(2) Archives de la Société, collection des règlements.


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à une époque critique, marquée par des difficultés qui provinrent en partie de la création en 1871 de deux commissions permanentes, l'une d'agriculture, l'autre d'archéologie.

C'était une faute.' Ces commissions, avec président, vice-président et secrétaire, fonctionnant en quelque sorte à côté de la Société, devaient fatalement se trouver conduites au schisme un jour ou l'autre.

La première défection fut celle de la commission d'archéologie, qui devenait en 1875 Société historique et archéologique du Maine (1), Deux ans après (2) la commission d'agriculture se transformait en Société des agriculteurs de la Sarthe (3),

A la même époque surgissait un autre sujet d'inquiétudes. La municipalité, se trouvant à l'étroit, se préoccupait d'agrandir ses bureaux et, le 28 décembre 1877, nous étions officieusement avisés que, selon toutes probabilités, la Société serait obligée, dans un délai assez rapproché, d'abandonner le local qu'elle occupait (4).

La situation se compliquait à ce point que personne ne voulait plus de la présidence (5).

En présence de ces difficultés, le Bureau imagine une solution aussi radicale qu'imprévue. Le 18 janvier 1878, le vice-président Clouet, faisant fonctions de président par intérim, « donne lecture de propositions de fusion avec la Société archéologique du Maine présentées par la majorité du Bureau ».

Ne pouvant en accepter les conditions, qui comprenaient entre autres l'exclusion des travaux scientifiques, après une longue et vive discussion, la Société nommait une commission de cinq membres, chargée d'étudier les questions relatives à son

(1) Procès-verbaux, séance du 19 novembre 1875.

(2) Procès-verbaux, séance du 23 novembre 1877.

(3) Les circonstances, d'ordre économique, qui préludèrent à cette dernière séparation, sont résumées dans les Extraits des procès-verbaux des séances, imprimés dans nos Bulletins, t. XXIV, p. 95 et 97, et t. XXV, p. 156.

(4) Procès-verbaux des séances, 28 décembre 1877.

(5) Procès-verbaux, séance du 12 janvier 1877.


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organisation et d'élaborer un projet qui la ferait vivre, au lieu de celui du Bureau qui la faisait mourir.

Ce projet se traduisit par un nouveau règlement, voté le 8 mars (1), qui simplifiait les formalités de l'adinission des membres titulaires et associés en la confiant au Bureau. En outre, les fonctions de secrétaire général étaient supprimées et dès lors la direction réelle incombait au président, nommé pour deux ans, mais toujours rééligible.

Le 4 avril suivant, le Bureau provisoire, nommé pour achever la période biennale en cours, prononçait l'admission de 76 nouveaux, membres (2), appartenant à la Société des Sciences naturelles, récemment fondée en réponse à l'ostracisme dont elles' avaient été menacées et qui, n'ayant plus désormais Sa raison d'être, renonçait à son autonomie (3). C'était pour notre vénérable centenaire un regain dé jeunesse, présageant une nouvelle période d'activité.

Mais, entre temps, était survenue la mise en demeure de quitter la mairie (4), avec promesse d'une subvention annuelle de 500 fr. allouée par le Conseil municipal, à titre d'indemnité de logement (5).

Il fallait donc chercher un asile pour notre bibliothèque. On le trouva place de la République, 30. Le déménagement se fit en juin-juillet 1878 et la première séance dans le nouveau local eut lieu le vendredi 19 juillet (6). C'était la quatrième migration.

Sauf une légère alerte en 1904, causée par la tentative de ce que son auteur appelait « une révolution de palais », qui n'eut pas de succès, la Société devait passer, dans cette hospitalière

(1) Archives de la Société, collection des règlements. Voir aussi le rapport de M. Bédorez, Bibliothèque de la Société n°4204 (873-26). (2.) Archives de la Société, procès-verbaux des séances du Bureau.

(3) Société des Sciences naturelles, séance du 26 mars 1878.

(4) Procès-verbaux, séance du 1er mars 1878.

(5) Conseil municipal, séance du 12 février ,1878.

(6) Archives de la Société, collection des ordres du jour.


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maison, trente années d'une vie calme et paisible, féconde en travaux littéraires et scientifiques, parmi lesquels ceux qui concernent l'histoire naturelle de notre département tiennent une place importante.

Dans cet intervalle, plus de 2,000 volumes, provenant d'achats ou d'hommages et surtout de l'échange de nos publications avec celles des sociétés correspondantes, ont augmenté notre bibliothèque (1), qui s'est encore accrue par le don généreux que nous fit en 1895, le docteur Ambroise Mordret, notre vice-président, d'environ 700 volumes, ce qui porte à plus de 15,000 ceux que nous possédons.

D'autre part, l'obligeante intervention de notre distingué et dévoué collègue, M. Léon Légué, nous a fait hériter en 1903 de l'important herbier du docteur Henri Rendu, comprenant plus de 4,000 espèces françaises (phanérogames et cryptogames vasculaires), représentées par environ 9,000 pages, en 60 cartons (2).

La place commençait à manquer pour loger convenablement toutes ces richesses, un peu confusément entassées dans différentes salles manquant du confort moderne.

C'est alors que la Municipalité, dont notre honorable secrétaire, M. Déan-Laporte, fait partie comme adjoint, eut la bonne inspiration de nous venir en aide et de nous donner un logement,' au lieu d'une subvention.

Le 26 mars 1908, le Maire du Mans écrivait au Président de la Société :

« J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que, par délibération du 24 courant, le Conseil municipal m'a autorisé à signer le bail du local qui sera mis par la Ville, à partir du 1er novembre 1908, à la disposition de la Société d'Agriculture,

(1) Nous devons à Louis Brière, la publication du catalogue, portant état au 1er juillet 1877, qui fut terminée en 1881.

(2) Procès-verbaux, séance du 11 février 1903.


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Sciences et Arts, au 2e étage des nouveaux bâtiments de la Caisse d'épargne ». — Signé : le Maire, Tironneau (1).

Le déménagement et l'installation devant prendre nécessairement plusieurs semaines, eu y mettant toute l'activité possible, le maire, M. Légué, par lettre du 9 juillet, voulut bien nous autoriser à les effectuer dès le milieu du mois d'août.

Le transport de la bibliothèque, dont c'était la cinquième migration, commencé le 17 août 1908, fut terminé le 19 septembre et la première séance, dans la nouvelle grande salle, eut lieu le Dimanche 11 octobre suivant.

L'appartement est assez spacieux pour suffire pendant cinquante ans aux apports qui se font chaque année. Si donc, une sixième migration devenait nécessaire dans un demi-siècle, nous laisserons à nos petits-fils ou petits-neveux le soin de s'en occuper.

(1) Archives de la Société, lettres de la Mairie.

Amb. GENTIL.


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L'OBSTÉTRIQUE DANS LE MAINE

ET DANS

LE DÉPARTEMENT DE LA SARTHE

Aux XVIIIe et XIXe siècles

Les COUPS provinciaux et départementaux d'Obstétrique ( 1)

Par le Dr Paul DELAUNAY, membre titulaire

CHAPITRE PREMIER

Les débuts de René Levasseur et le Bureau d'Agriculture du Mans. — La mission de Mme du Coudray et les cours d'obstétrique dans le Maine au XVIIIe siècle.

I. — § 1. Les débuts de R. Levasseur. — Ses propositions au Bureau d'Agriculture au sujet d'un cours de sages-femmes (1771). — Pourparlers avec les chirurgiens du Mans. — Plan de Levasseur. — Intervention du Bureau d'Agriculture auprès du ministère. — Son échec.

§ 2. Goutard reprend le programme de Levasseur. — Les cours de la communauté des chirurgiens du Mans (1772). — Goutard nommé démonstrateur royal (1774). — Son insuccès.

(1) Nous désignons en note par D. B. A. les délibérations du Bureau d'Agriculture du Mans, dont les registres sont conservés dans tes archives de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe. — Par A. S. les Archives départementales de la Sarthe. — Par A. H. M. les Archives des Hospices du Mans. — Par D. B. H. V. les délibérations du Bureau de l'Hôtel de Ville du Mans (Arçh. Sarlhe). — Par A. I. L. les Archives départementales d'Indre-et-Loire. — Par A. M. A. les Archives municipales d'Angers. — Par A. N. les Archives nationales. — Par A, A, P. les Archives de l'Assistance publique à Paris. — Par A. M. G. les Archives du Ministère de la Guerre.

SOCIÉTÉ DES ARTS 3


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— § 3. La mission de Mme Le Boursier du Coudray. — Elle est mandée par l'Intendant de Touraine. — Organisation laborieuse du cours des sages-femmes au Mans. — Opposition de Goutard ; intervention du ; Bureau d'Agriculture. —Ouverture des leçons (15 décembre 1777). — Examens terminaux; diplômes et faveurs. — Mesures contre les empiriques (1778). — Cours pour les chirurgiens démonstrateurs du Maine (mai 1778). — Frais du cours. — Départ de Mme du Coudray.

§ 4. Mme du Coudray à Angers.

§ 5. Mme du Coudray à Tours.

§ 6. Manuels à l'usage des élèves sages-femmes. — Ouvrage de Chevreul. — Un manuscrit de Levasseur. — Ses mésaventures.— Un peu de réclame. — Levasseur elles avariés. III. — Organisation des cours d'accouchements dans le Maine et les régions limitrophes.

§ 7. Goutard sollicite. une place de chirurgien-démonstrateur. Son échec. — Nomination des démonstrateurs; arrêt du Conseil d'État {7 mai 1779). — Chevreul promu inspecteur général (5 juillet 1779): — Ajournement des cours au Mans, à Laval. — Cours de Château-Gontier, deSillé-le-Guillaume.—Prétentions particuIaristes à La Flèche. —Décadence et extinction des cours provinciaux (1783). — Persistance de l'empirisme.

§ 8. Maintien des leçons de Goutard. — Sa mort.

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§ 1. — Le mardi 26 février 1771, le Bureau d'Agriculture du Mans étant assemblé au lieu ordinaire de ses séances, M. Véron du Verger, Secrétaire perpétuel, donna lecture d'une lettre du Sr René Levasseur « Elève de l'Ecole de chirurgie de Paris», « jeune homme dont les moeurs et les talents sont connus par plusieurs de MM. les membres et associez (1) ».

René Levasseur, qui ne comptait alors que 24 ans, venait de rentrer dans sa ville natale, après avoir étudié la chirurgie aux Écoles de Saint-Côme à Paris. Jadis élève, au Mans, des Pèresde l'Oratoire, chassé de leur maison dès la troisième, pour indiscipline, il avait mis à son apprentissage professionnel un zèle plus souple et une volonté plus docile. Ses préférences le portaient vers les études obstétricales : il suivit, aux Ecoles, le cours de l'accoucheur Péan (1768). Attaché pendant quatre ans

(1)D. B. A., Reg. 3, f° 535-537.


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à l'Hôpital général de Paris, tant à la Salpêtrière qu'à Bicêtre, il y fut successivement élève de Faguer l'aîné, son compatriote, et de Martin, chirurgiens principaux (1). A Bicêtre, il s'initia sous Faguer le jeune (2) alors gagnant-maîtrise, au traitement des

(1) Gagnant-maîtrise.

(2) Pierre Faguer l'aîné, né au Mans en 1733, fit ses études au Collège de l'Oratoire de cette ville, dont il fat plusieurs fois lauréat (1748, 1750, 1751) et conquit la maîtrise-ès-arts.. Ayant acquis quelques notions de chirurgie auprès du chirurgien de l'hôpital du Mans, Faguer gagna Paris et entra comme élève à la Salpêtrière le 1er décembre 1752. Il échoua au concours pour une plàce de gagnant-maîtrise en 1757, mais réussit au concours de 1763, et se vit investi du titre de chirurgien principal de la Salpêtrière. Ce stage lui mérita la maîtrise, selon l'usage. Le 1er juillet 1769, il soutint aux Ecoles de chirurgie de Paris, sous la présidence d'A. Louis, sa thèse pour la maîtrise : De methodi Hawkinsianoe in calculosorum sectione proestàntia (Paris, A. Le. Prieur, 1769, 10 pp. in-4° et 1 pl. h. t.). Cette thèse fut dédiée au duc de Villeroy dont Louis lui avait procuré la faveur. Entre temps, Faguer s'était fait recevoir maître devant la communauté des chirurgiens du Mans. En 1770, nous le trouvons encore,à Paris, rue de SeineSain t-Victorr mais, à partir de 1771, il est tantôt à Paris, Hôtel de Villeroy rue de Bourbon, tantôt à Châlons-sur-Mârne en qualité de chirurgien-major aux gardes, du corps, compagnie de Villeroy. En 1777 et 1778, il prit ses grades en médecine devant la Faculté de Reims, qui lui conféra le bonnet doctoral le 18 avril 1778, La thèse de licence qu'il y soutint en 1778 sous la présidence de Le Camus est dédiée au duc de Villeroy et porte ses armés (An rabies imminens praecaveri an proesens sanari possit ? Aff.) Faguer est mort à Paris le 27 août-1787, membre de l'Académie de chirurgie. II a laissé, outre ses thèses, deux obs, de hernie étranglée, dans un mém. de Goursaud sur la différence des causes de l'étranglement dans les hernies, in Mém. de l'Acad. Roy. de chirurgie, Paris 1819, T. IV, p. 296-297, et quelques expériences entreprises à l'instigation de Louis sur les effets de l'insufflation rectale de fumée de tabac dans l'étranglement herniaire. Faguer possédait une riche bibliothèque et une belle collection d'instruments de chirurgie.

René. Alexandre-Faguer-Desperrières, frère cadet du précèdent, né au Mans, d'abord destiné au commerce, suivit l'exemple de son aîné. Reçu maître-ès-arts à Paris, il entra comme élève en chirurgie à l'Hôpital général (Salpêtrière) en 1765, et comme gagnant-maîtrise à Bicêtre le 1er mars 1775; il en sortit le 1er mars 1781, et passa comme chirurgien principal à l'Hospice des Vénériens de Vaugirard, créé en 1780 par le Lieutenant de police Lenoir, avec Colombier et Doublet comme médecins. Le 29 juillet 1782, Faguer soutint aux Ecoles de chirurgie sa thèse pour la maîtrise (De lue venerea in recens natis (Paris, Michel Lambert, 1782, 28 pp. in-4°) sous la

présidence de son frère ; cette thèse est dédiée à Lenoir, et à ses armes.

R. A. Faguer avait également pris le titre de maître en chirurgie devant la Communauté des chirurgiens du Mans. Il mourut le 4 janvier 1785, « en peu d'heures, suffoqué par une esquinancie gangreneuse », à l'âge de

45 ans. L'éloge des frères Faguer a été prononcé par Louis à l'Académie de chirurgie (Voy. Eloges lus dans les séances publiques de l'Acad. Roy. de Chir. par A. Louis, publ.par Dubois d'Amiens, Paris 1859, in-8°, p. 374-377).


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vénériens. A la Salpêtrière, il s'appliqua, sous l'impulsion de Martin, à l'étude des accouchements; il y fit, aux élèves en chirurgie, un cours de tocologie avec manoeuvres sur le mannequin, et s'en tira à son éloge si nous en croyons l'attestation que lui délivra son maître le 23 mars 1771. Enfin, pendant neuf mois, il fut, avant Baudelocque, le prévôt de Solayrès de Renhac dont la science obstétricale déplora la mort prématurée. Sans doute l'assistant suppléa-t-il plus d'une fois le professeur : Solayrès fut souvent éloigné de sa chaire par les progrès de la phtisie pulmonaire et laryngée à laquelle il devait succomber (1) avant même d'avoir pu soutenir sa thèse d'agrégation au, Collège de Saint-Côme, Levasseur fut-il supplanté par Baudelocque auprès de Solayrès? Il semble avoir gardé au Picard quelque rancune (2).

Démuni d'argent, Levasseur renonça à conquérir à grands frais ses grades dans la capitale, et revint au Mans, non sans quelque embarras pour le choix de sa résidence. Il rêvait, faute de mieux d'une installation économique de chirurgien de campagne, à la Ferté-Bernard. Il eût préféré le Mans, mais il fallait se faire agréger à beaux deniers comptants au collège des chirurgiens manceaux : or, l'auteur de ses jours, Gabriel Levasseur, tailleur d'habits (3), n'avait sans doute point acquis dans le commerce des culottes 'une générosité ou une fortune suffisantes pour y faire face. C'est alors que le jeune homme s'avisa de proposer au Bureau d'Agriculture du Mans de fonder, de concert avec MM. les Officiers

(1) Le 3 avril 1772.

(2) Voy. sa Dissertation sur la symphyséotomie.

(3) D'après l'abbé Esnault (Mém. de R. P. Nepveu de la Manouillère, Le Mans, 1877, in-8°, T. 1, p. 14, note) et M. Chardon (Les députés de la Sarthe : à la Convention, Bull. Soc. Agr. Sc. Arts, 1869, p. 31), il n'y à aucun lien de parenté entre le conventionnel et là famille Le Vasseur qui fournit, aux. XVIIe et. XVIIIe siècles, toute une lignée, de médecins et d'apothicaires : René Le Vasseur fut, au XVIIe siècle, maître apothicaire du Roi en son artillerie à Paris. Jean Le Vasseur, mentionné en 1672, exerça la médecine au Mans, paroisse du Crucifix. Son fils Charles mort en 1722, son petit-fils Charles, mort en 1759, continuèrent la tradition et' furent également médecins au Mans.


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municipaux, une « Ecolle publique et gratuite pour enseigner la théorie et la pratique des acouchemens à l'avantage de Thuniahité et de la population, principalement pour les sages-femmes des campagnes où Tineptie et l'ignorance autant que l'imprudence causent des malheurs trop fréquens ». Il se flattait, ajoutait-il, « d'estreen état d'instruire des sages-femmes et par attachement à sa patrie il désir[ait] s'y fixer par préférence à tout autre lieu » . Ajoutons que là récompense de cet attachement eût singulièrement allégé ses embarras de débutant.

La compagnie, dit le procès-verbal, parût « goûter l'importance d'un pareil établissement, et se flattant qu'il doit estre acuilly par .les bons citoyens, elle pouroit en se réunissant aux autres compagnies, obtenir cette grâce dans un temps où le gouvernement paroit s'occuper très sérieusement de cette partie puisqu'il a chargé M. Rollin médecin du Roy, dans l'année dernière, de faire un traité des accouchemens à portée des sages-femmes uniquement pour leur instruction (1). Mais la Société considérant que la théorie seule vis-à-vis des femmes de campagne et d'autres, n'est pas suffisante et peut même devenir plus dangereuse quand elle n'est pas soutenue de là pratique, il a été délibéré qu'elle emploiera ses bons offices pour engager les citoyens à seconder ses efforts auprès du Ministre, protecteur de cette partie et de la population, pour le suplier de protéger un si louable et si utile projet de l'Ecole pratique et gratuite proposé par le Sr Vasseur ; que cependant elle croyoit une première démarche nécessaire à faire par le Sr Vasseur auprès du

(1) Instructions succintes sur les accouchemens en faveur des sages-femmes des provinces, faites par ordre du ministère, par M. Raulin, Paris, ln-12, 1769 et 1780. — Dès le 27 mars 1770 (D. B. A. Reg. III, f° 345) le Bureau d'Agriculture du Mans avait reçu communication, de la part de M. Verrier, secrétaire perpétuel, d'une délibération du Bureau d'Agriculture de Tours du 1er mars 1770, prêchant la propagande du livre de Raulin et sa distribution, par les pouvoirs publics et les curés, aux chirurgiens et accoucheuses des campagnes. La Société observa que cette dépense était une des plus utiles que le gouvernement pût entreprendre pour la conservation de l'humanité,


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corps de la chirurgie de cette ville dans la forme ordinaireret

M. le Secrétaire perpétuel ayant bien voulu se charger de l'accompagher

l'accompagher M. leur Lieutenant, il l'engagera au nom de la

Société de prier la compagnie de traiter le Sr Vasseur le plus

favorablement possible du côté de l'interrest. pour esnuite en

faire le raport à la compagnie à huitaine et présenter les certificats

certificats Sr Vasseur».

MM, de Saint Corne firent probablement à M. l'abbé Pichon,

secrétaire,qui remplaça Véron du Verger un accueil très réservé,

observant qu'il convenait avant tout que le postulant se fit recevoir

recevoir selon les rites ordinaires. Car M. l'abbé Pichon fut

chargé par ses cosociétaires, le 5 mars: 1771, de suivre cet te

affaire afin de « ménager au possible un arrangement entre les

parties (1). » Elle demeura dès lors au programme, et la Société

se tint soigneusement au courant des institutions analogues qui

commençaient à fleurir un peu partout. Le 24 avril 1770 (2),

elle apprend l'existence d'une école, de sages-femmes, à Vattenburg

Vattenburg Le 7 mai 1771, c'est rétablissement, à Weimar d'une

école d'accoucheuses où les élèves sont gratuitement entretenues

aux frais du gouvernement, école « comme « Bureau en propose

propose pour cette ville (3) ». Le 5 mai 1772, On annonce

(1) D. B. A. Reg. 3, f° 541.

(2) D. B, A. Reg. 3, f° 355. — Wittenberg ? (dont l'Université a été réunie en 1815 à celle de Halle).

(3) D. B. A. Reg. 4, f° 12, 7 mai 177J. Information; prématurée et en tout cas inexacte. Il n'y a eu d'école de ce genre quà Iéna. Un document du 24 mai 1771 prévoit biem la création de l'établissement, mais ce n'est que le 21 novembre 1778 que la Direction de la Police de Weimar, la Faculté de médecine d'iéna entendue, en règle l'organisation ; et une circulaire du 2 décembre 1778 ordonne de percevoir une taxe de 1 groschen sur chaque personne admise à la communion, en faveur de l'école des sages-femmes. Cette école fut établie, dit Wiedeburg a par S. A. le duc de Weimar sur la proposition de son médecin ordinaire, conseiller secret Hufeland, de Weimar, et de M. le Conseiller et médecin ordinaire Loder [Juslus Christian Loder, professeur d'anatomic, de chirurgie et d'obstétrique]. Elle est sous la direction de M. le Conseiller Loder directeur et de M. le conseiller Starke sous-directeur [Johann Christian -Starck]. Et depuis la complète installation de la deuxième institution en avril 1779, 169 femmes y sont accouchées ; dans la première 167 sages-femmes ont été instruites. On doit placer dans l'établissement obstétrical non seule-


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l'institution à Arras, par les Etats d'Artois, d'un enseignement analogue pour 6 boursières de 18 à 25 ans, avec 4 places supplémentaires pour le cours de Lille (1). Enfin, le 23 mars 1773, ces Messieurs renouvellent leurs voeux à l'annonce de l'ouverture, en Lorraine, d'un cours de sages-femmes sous l'impulsion de l'intendant Calonne (2) ; et ces voeux étaient aussi nécessaires qu'impuissants.

Le Vasseur s'était présenté de nouveau devant MM. les Sociétaires, en la séance du 3 décembre 1771, avec un plan plus étendu, qui fut pris en considération, « étant maintenant entré dans le corps de chirurgie de cette ville et sur le point de terminer ses études (3). » Au préalable, le Secrétaire se chargea d'en conférer avec MM. les médecins et apothicaires ; MM. Vétilllard du Ribert, docteur en médecine et Livré, apothicaire, membres associés, furent chargés dans la séance du 10 décembre de dresser un rapport sur cette affaire. Ils s'en acquittèrent consciencieusement, et lecture en fut donnée à l'assemblée de la Société de 14 janvier 1772 (4).

Frappé des « malheurs qui suivent partout l'ignorance des sages-femmes », Levasseur proposait de créer dans la ville du Mans une « Ecole Royalle gratuite pour l'instruction des sagesfemmes » sous la protection et la surveillance de MM. les Officiers municipaux, représentés par un directeur choisi pour six ans,

ment les filles-mères du lieu, mais encore toutes celles du cercle d'Iéna et du pays de Weimar. » (J. E. B. Wiedeburg, Beschreibung der Stadt Jena, léna, 1785, in-8°, p. 622. Communication de M. le Dr Pfeiffer de Weimar, due à l'obligeance de M. le Dr Wickersheimer). — La circulaire ordonnant aux filles-mères d'aller accoucher à cette école, sous peine de s'y voir amenées de force et punies, est du 4 avril 1779. Dans les premiers mois de la grossesse, les femmes habitant au dehors recevaient 6 groschen par semaine pour se laisser examiner. Les vénériennes et contagieuses étaient soignées à domicile (Ed. Martin, Die Gebàranstalt und die geburtshülflichen Klinicken der Universitat Jena, Jena, Frommann, 1848, in-8°. Communic, du Dr Wickersheimer.)

(1) D. B. A. Reg. 4, P 21-2.

(2) D. B. A. Reg. 4, f° 426.

(3) D. B. A. Reg. 4, f° 104-105, 3 décembre 1771.

(4) D. B. A. Reg. 4,3 décembre, 1771, f° 104.— 10 décembre 1771, f° 116. : — 14 janvier 1772, fos 134-135.


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en assemblée générale, dans leurs rangs ou parmi;les notables. Le professeur, membre de la Communauté des chirurgiens du lieu, serait choisi par MM. de. l'Hôtel de ville, pensionnaire de la ville, taillé d'office, et exempt de charges. Il donnerait pendant cinq mois consécutifs quatre leçons hebdomadaires de deux heures chacune, avec démonstrations sûr deux cadavres féminins, aidé dans .cette tâche par un élève en chirurgie faisaritfOnctions de prévôt ; les corps seraient fournis par l'Hôlel-Dieu sur requête du directeur de l'Ecole.

Les élèves, âgées de vingt ans au moins, et sachant .déjà lire et écrire, seraient immatriculées au greffe de la ville sur présentation d'un certificat de bonne vie et moeurs, ainsi qu'au greffe du lieutenant du premier chirurgien du Roi en la Communauté dès chirurgiens du Mans.

« Lorsque, continue Levasseur, le professeur sera apellé pour accoucher quelque pauvre femme, il mènera avec luy une ou deux des Elèves alternativement affin de les instruire; dans la pratique ». —A la fin de chaque cours il y aura un examen théorique et pratique, subi, en présence du directeur et de deux officiers municipaux, par devant le chirurgien professeur, deux délégués du Collège des médecins, le lieutenant, le prévôtet un maître de la Communauté des chirurgiens, chaque interrogateur disposant d'une demi-heure, et les chirurgiens de la ville; invités, ayant droit de suffrage.

Un prix — un ouvrage d'obstétrique aux armes de la ville, offert par M. l'intendant — et un accessit seraient décernés aux deux meilleures élèves.

« Toutes les femmes qui auront été instruites à l'école du Mans et à qui il aura été délivré un certificat signé de M. le Directeur, du Professeur et des Examinateurs auront droit de pratiquer les accouchemens dans la province sans que les Communautés des chirurgiens dans le département desquelles elles seroient établies puissent en empêcher et exiger aucun droit. Pour exciter l'émulation entend S. M,, que les femmes qui auront remporté le


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prix auront seules le droit de pratiquer dans les villes où il y a Communauté à moins qu'elles ne le veulent pas. Celles qui auront eu un accessit pouront s'établir dans les villes où il n'y a point de Communauté; les autres pratiqueront dans les bourgs et vilages. »

Pour réprimer l'exercice illégal, il serait interdit à toute femme n'ayant pas obtenu le dit certificat de pratiquer les accouchements dans la province, à peine de 300 livres d'amende, exception faite toutefois pour les accoucheuses reçues dans les formes anciennes par devant les Communautés de chirurgiens; celles-ci pouvant d'ailleurs continuer à recevoir à l'avenir des sages-femmes selon les statuts de 1730, mais à charge de s'y conformer strictement et d'exiger des postulantes un certificat d'apprentissage de deux ans auprès d'un maître en chirurgie.

Enfin, pour tenir les sages-femmes sorties de l'Ecole sous une sorte de tutelle scientifique, et fournira leurs clientes plus de garanties, on leur imposerait la tenue d'un relevé de tous les accouchements pratiqués par elle, avec les détails utiles, relevé communiqué tous les trois mois au professeur, afin qu'il les puisse a avertir des fautes qu'elles auraient pu faire ; et, en cas de négligence de leur part ou sur des plaintes portées contre elles et bien et dûment prouvées, elles seraient, sur les représentations faites par le directeur, interdites par une sentence des juges de la ville du Mans » (1).

Le Bureau, ayant ouï attentivement le rapport de ses commissaires, et le plan présenté par Levasseur, décida de le faire aboutir, tant à cause des «. fréquents malheurs qui résultent de l'impéritie des sages-femmes de tout le plat pays » que « pour le bien et l'accroissement de l'agriculture en général, laquelle manque de bras dans beaucoup de cantons ». C'est pourquoi la

(1) Ce Projet entièrenient écrit de la main de Levasseur, et signé par lui, se.trouve, ainsi que la correspondance relative à cette affaire, dans les Archives de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, Carton : Sciences médicales.


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compagnie fut d'avis de solliciter à cet effet M. Berlin, M. de la Martinière, chirurgien de S. M., le comte de Mellet, gouverneur de la province, sans compter ceux que Levasseur proposait de faire agir ou dont il invoquait le témoignage : M. Parent, premier commis de M. Bertin, M. l'intendant, MM, de l'Hôtel

de ville, M. Raulin, médecin de S. M., M. Louis, secrétaire perpétuel et M. Houstet directeur de l'Académie royale de chirurgie; enfin ses anciens maîtres : les deux Faguer, Martin, et Solayrès.

Solayrès.

M. Véron du Verger, secrétaire perpétuel, fut chargé de transmettre le tout à M. l'abbé Pichon, chantre de la Sainte Charpelle de cette ville, et secrétaire aux correspondances de la Société. L'abbé se trouvant alors à Paris fut prié d'intercéder pour l'heureuse issue de cette affaire.

Il faut croire que M. Berlin, ministre et secrétaire d'Etat au département de l'Agriculture, n'était pas souvent dans ses bureaux. M. l'abbé Pichon ayant fait antichambre à maintes reprises, et sans succès, prit le parti de l'aller voir en Cour, et put enfin le joindre le 6 avril 1772. M. l'abbé Pichon fut éloquent, abondant, et pressant; il lui démontra avec chaleur la nécessité d'un établissement si avantageux, que les talents et le patriotisme de M. Levasseur ne sauraient manquer de conduire à sa perfection. Le ministre montra une bienveillance évasive; il gémit sur le déficit, dit qu'au reste les chirurgiens avaient depuis longtemps le droit de former des sages-femmes, que l'exercice illégal par les matrones des campagnes devait être réprimé par la police aux termes des lois existantes et finalement déclara ne pouvoir grand chose en cette occurrence. Il conseilla au postulant d'aller voir plutôt M. le duc de la Vrillière, et même le frère Côme dont le crédit avait souvent « fait réussir de pareilles entreprises ».

M. l'abbé Pichon quitta le ministre sans effusion, et écrivit immédiatement à ses mandataires manceaux pour les tenir au


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courant de. ses démarches : « Quand on voit toutes choses si peu d'accord, dit-il tristement, on se sent furieusement attiédi et je conçois que les âmes ordinaires renoncent sans peine à se tourmenter pour avancer les progrès du bien public ».

Mais M. l'abbé Pichon n'entendait point être une âme ordinaire et s'entêta. Put-il joindre le due de la Vrillière? Vit-il je frère Côme ? Je ne sais. Mais il est probable qu'il tenta quelque chose auprès du premier chirurgien du Roi, Germain Pichault de la Martinière ; et ce fut même un pas de clerc. Le premier chirurgien avait trop lutté dans son existence pour la conquête et le maintien des: droits et prérogatives de la chirurgie, pour goûter une institution qui échappait, en fait, à sa juridiction. Et il envoya le 10 mars 1772, de Versailles, cette lettre peu encourageante à M. Véron du Verger :

Monsieur,

« L'établissement d'une Ecole destinée à l'instruction des sages-femmes ne peut avoir lieu dans la forme que le présente le sieur Levasseur. Ce ne peut être que dans le sein même de la Communauté des Maîtresen chirurgie du Mans et sous son inspection que cette Ecole peut subsister, parce que ce n'est qu'au corps des chirurgiens, et aux membres qui le composent, auxquels appartient conformément aux Règlements le droit d'enseigner publiquement quelque partie que ce soit de cet art important.

Lé .projet proposé par le Sr Levasseur contredit trop formellement les dispositions reçues sur ces sortes d'objets pour qu'il soit possible de le faire adopter » (1).

Ainsi s'évanouirent, dès le début de sa carrière, les espérances et les rêves pédagogiques du chirurgien Levasseur, Cependant, il demeura au Mans, végétant dans de médiocres logis, place Saint-Pierre (1772), puis aux Petits Fossés (1773), puis cul-desac de la Grand'Rue. Il était réduit à la maigre clientèle des débutants et aux ressources apportées par sa femme, Marie Reine Lafosse, fille du fermier général du prieuré de Pont-de(1)

Pont-de(1) de la Soc. d'Agr. Sc. et Arts,. Carton : Sciences médicales.


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Gennes, qu'il venait d'épouser le 11 février 1772. Il ne fut reçu maître en chirurgie que le 27 mars 1773.

§ 2. — Il y avait alors dans la ville du Mans un chirurgien non moins entreprenant, et plus habile à l'intrigue : c'était JulienMathurin Goutard, maître ès arts et en chirurgie, lieutenant du premier chirurgien du Roi en la communauté des chirurgiens manceaux. Julien-Mathurin avait trouvé l'idée de son confrère excellente, tant pour la province que pour lui-même. C'est pourquoi laissant Levasseur méditer le Sic vos non vobis, il la reprit pour son propre compte, mais avec les formes et l'estampille officielle qui devaient lever les hésitations de M. de la Martinière.

Goutard manifestait depuis longtemps un zèle méritoire pour le bien public et pour le sien propre. Une quinzaine d'années auparavant, étant prévôt de sa communauté, il s'était trouvé compromis avec ses confrères Pierre de Villiers et Jacquin de la Barre, dans une affaire de chantage contre un aspirant chirurgien, Maurice Renault. Il s'agissait 'd'en tirer la forte somme pour son admission à la maîtrise. M. d'Arcy, lieutenant-général de police, reçut une plainle et M. de la Martinière avisé, adressa au lieutenant-général civil Samson de Lorchëre une lettre fort dure pour la corporation mancelle (1) ce qui ne l'empêcha pas, d'ailleurs, d'accepter ledit Goutard pour lieutenant, en 1769, après la disparition du précédent titulaire Marigné.

Pour se faire pardonner sans doute, Goutard appliqua ses talents aux progrès de l'art obstétrical ; le 4 octobre 1767, il prit part à une intervention dont le principal mérite semble d'ailleurs revenir à son ancien, Thibault-Desbois : une gastrotomie ou opération césarienne, pour rupture utérine, et à laquelle par rare fortune, la femme survécut. Ce beau succès, obtenu contre

(1) Arcb. de la Sarthe, fonds municipal, 516. — L. a. de la Martinière à de Lorchëre, 11 décembre, 1756.


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l'avis des bons auteurs, fit du cas de Thibault, Goutard et Devilliers

Devilliers observation longtemps classique (1).

Goutard prit une part plus personnelle à une autre cause :

l'instruction des sages-femmes, cause pressante, si Ton pense

qu'en 1765, la ville ne possédait qu'une accoucheuse légalement

reçue par les chirurgiens manceaux, Mme Rousseau, des Rues

basses.

Dès 1766, Goutard se mit en devoir d'inculquer à la femme Dutertre les principes de l'art obstétrical, et pour en assurer la perfection, il la fit envoyer comme apprentisse, aux frais de la ville, à l'Office des accouchées de THôtel-Dieu de Paris (2). Elle y demeura trois mois, et il en coûta 300 liv. (3) ; après quoi, l'ingrate se déplût au Mans, et alla exercer sa profession dans un autre endroit !

Sans se décourager de cette fugue, Goutard songea à former d'autres élèves-, il fit venir à ses frais, de la capitale, un mannequin ou phantôme, pour éduquer quelques femmes. En pré(1)

pré(1) s'agissait d'une rachitique de 25 ans, 3-pare. Les deux premiers enfants amenés morts, par le moyen de la version podalique. Au troisième, rupture prématurée de la poche des eaux, présentation du sommet, puis subite rupture de l'utérus et fuite du foetus en position transversale, la tête à gauche. Thibault appelé envoya chercher les médecins de la malade, MM. Lehoux père et fils, et ses collègues Goutard et de Villiers; il incisa la paroi, trouva l'enfant mort avec 2 circulaires du cordon autour du cou, le placenta décollé pendant au bout, retira le tout, vida le sang épanché, fît 3 points de suture, pansa avec un plumasseau imbibé de vin chaud et d'huile rosat. L'opération avait duré 4 minutes. Lé lendemain, il y eut une hernie par la plaie : l'intestin fut réduit, l'épiploon lié et réséqué. La cicatrisation commença au 9e jour, la malade se leva le 30e et guérit parfaitement. — Thibault peut se donner le plaisir de réfuter l'opinion du grand Moriceau qui n'admettait la césarienne que post mortem ; — Cf. Opération gastrotomique faite avec succès peu après la rupture de la matrice au terme de l'accouchement, par le Sr Thibault-Desbois, maître en chirurgie au Mans, in Journal de médecine, chirurgie, pharmacie, T. XXVIII. mai 1768, pp. 448459. —Un résumé en est donné in Almanach ou Calendrier du Maine p. l'année bissextile 1768, Le Mans, Ch. Monnoyer, p. 57. — Citation en est

encore faite par Gardien, Traité complet d'accouchements... Paris 1816, in 8°, t. III, p. 99.

(2) En 1766, selon Cativin : Je ne trouve pas mention de son passage dans les Délibérations du Bureau de l'Hôtel-Dieu de Paris. (3) Cauvin (Ext: des Reg. de L'Hôtel de Ville du Mans, Le Mans, 1835,

in-:l6, p. 177), dit 2401. Il s'agit de la femme Letertre qui habitait en 1767, rue Saint-Flaceau, Elle ne demeura au Mans que six ans.


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sence de si grands desseins, la Communauté des chirurgiens du Mans, ayant décidé le 25 mai 1772, d'ouvrir un cours gratuit d'accouchements, l'en nomma démonstrateur et lui adjoignit, comme substituts, en cas de maladie, Desbois et Sallien. Quant à Levasseur, il dut se contenter de voir son projet obtenir par emprunt, une fortune si éclatante.

Goutard s'empressa de donner à cette institution la publicité désirable et fit insérer l'Avis suivant dans les Affiches du Mans.

Comme la vie des Femmes enceintes et de leurs enfans dépend de Thabilété ou de l'ignorance des Sages-Femmes, le sieur Goutard, Lieutenant de M. le Premier; Chirurgien du Roi, instruit de ce principe qu'un Chirurgien est comptable au Public de tous ses momens ; que toutes ses actions, toutes ses études doivent avoir son avantage pour objet, a cru ne pouvoir mieux le remplir qu'en se proposant de faire un cours d'accouchement gratis en faveur des femmes de cette province qui auraient du goût pour cette profession aussi honnête qu'utile.

Il s'appliquera surtout à donner à ses élèves les lumières nécessaires pour connaître : 1° si une femme est grosse ou si elle ne l'est pas. 2° Si l'accouchement est proche ou éloigné. 3° S'il est aisé ou difficile. 4° Si l'enfant est bien ou mal situé. 5° Si les douleurs que ressent la femme sont celles du travail ou si elles sont nuisibles à l'accouchement. 6° Ce qu'elles doivent faire dans les accouchemens naturels. 7° Comment elles doivent se comporter dans ceux qui sont laborieux et difficiles. On exige de celles qui désireront se faire instruire qu'elles ayent au moins 20 ans; qu'elles présentent leur extrait de Baptême et un certificat de vie et moeurs signé de leur Curé, Le cours commencera le 4 novembre 1772 et ne finira qu'en février 1773. On a cru devoir l'annoncer six mois avant pour donner à MM. les Curés et aux habitants de leur paroisse le temps de trouver des sujets convenables et leur faciliter les moyens de se procurer l'avantage inappréciable d'une sage-femme instruite » (1).

La déclaration royale du 12 avril 1772, bientôt transmise à nos Manceaux, allait leur permettre de faire oeuvre plus ample

(1) Annonces, affiches et avis divers pour la ville du Mans et pour la province, n° 22, du 1er juin 1772, p. 88.


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d'enseignement ; car les leçons régulièrement données et suivies dans les Communautés de chirurgiens dispenseraient à l'avenir les candidats à la maîtrise de l'avilissante sujétion de l'ancien brevet d'apprentissage (1).

Les maîtres en chirurgie assemblés pour en délibérer à l'appel du lieutenant le 25 novembre 5 772 décidèrent l'ouverture d'une série de cours annuels; Goutard choisit les accouchements et les principes de la chirurgie, avec Sallien comme substitut; Desbois prit la pathologie, Levasseur la thérapeutique et l'anatomie, Faribault l'ostéologie et les maladies des os, Sallien le cours d'opérations. Copie de cette délibération tut transmise au premier chirurgien du Roi, et Faribault en compagnie de Goutard, alla demander à MM. de la ville un local oratoire convenable ;, les leçons devaient commencer six mois après l'installation (2).

Il ne semble pas que celles d'obstétrique aient souffert ce délai. En tout cas, elles reprirent régulièrement les années suivantes (3) comme il appert de cette annonce pour 1773 :

« M. Goutard commencera le 25 novembre un cours gratuit d'accouchement en faveur des femmes de campagne qui désireront prendre la profession de sage-femme. Le Ministre et M. l'Intendant auquel il a rendu compte de ses travaux dé Tannée dernière et des sujets qu'il a formés, voyent avec satisfaction cet établissement aussi avantageux à la Société que fa(1)

fa(1) du Roi concernant les Etudes et les Exercices des Elèves en chirurgie. Versailles, 12 avril 1772 (Paris, Impr. Royale, 1772, 6 pp., in-4°).

(2) Les chirurgiens attendirent sans doute longtemps le local municipal : car Faribault et Levasseur prirent le parti de commencer dès le 1er octobre 1773, dans l'amphithéâtre de leur communauté, près Saint-Benoît, la série des cours, qui devaient se prolonger jusqu'au 1 septembre 1774 ( Annonces, affiches et avis divers p. la ville du Mans, 19 juillet 1773, p. 115-116,

(3) Goutard prit soin d'en faire annoncé dans les périodiques médicaux. On lit dans la Gazette de santé de J. J. Gardane, du 22 décembre 1774, p. 317.

Du Mans, le 12 décembre.

« M. Goutard, maître en chirurgie de cette ville, doit commencer incessamment un cours sur les accouchements, qui durera environ trois mois dans lequel il se propose de joindre la démonstration au précepte. Il conduira ses Ecoliers chez les pauvres femmes qui seront prêtes d'accoucher et, c'est par cette expérience continuelle qu'il espère faire des Elèves capables de soutenir sa réputation et de répondre à la confiance publique ».


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vorable à la population. En effet, combien de femmes périssent ou languissent dans les douleurs de l'enfantement parce qu'elles sont privées du secours d'une sage-femme dans ces momens critiques, combien de celles qui ont les secours d'une sage-femme qui n'est ignorante que parce que l'instruction lui a manqué, sont, ainsi que leurs enfans, les tristes victimes de l'ignorance? (1).

Tant de zèle allait trouver sa récompense : un brevet du 10 mars 1774 fut décerné à Goutard par S. M., à la présentation de son premier chirurgien, le nommant professeur et démonstrateur royal des accouchements, pour « iceux démontrer: et enseigner gratuitement par chaque année tant aux élèves; en chirurgie qu'aux sages-femmes, dans la salle commune des Maîtres en chirurgie». Et Goutard, tout heureux d'afficher ses titres, annonça son futur cours pour le 3 janvier 1775, insistant pour que les seigneurs des paroisses, curés, décimateurs, procureurs-syndics et magistrats employassent leur autorité « pour obliger les femmes ignorantes à se faire instruire avant que d'exercer un art d'où dépend le sort de l'espèce humaine », en faisant, si elles ne le peuvent, les légers frais de cette instruction. Il annonce que son cours durera environ trois mois, « que les sages-femmes conduiront les élèves chez les pauvres femmes qui, pendant ledit temps seront dans le cas d'accoucher et leur feront connaître sur les sujets à quels signes on reconnaît qu'une femme est en travail et quelle est la manoeuvre qu'une sagefemme doit tenir pendant et après le travail ». Enfin, Il promet, afin d'exciter leur émulation, de solliciter des privilèges pour celles qui suivront cet enseignement et qui exerceront dans les campagnes (2).

La parole du conférencier n'avait sans doute pas le don de convaincre les foules : très entiché de sa science et de sa personne, affectant d'employer des termes techniques, incompréhen(1)

incompréhen(1) affiches et avis divers, n° 37, 13 septembre 1773, p. 142. (2) Affiches du Mans, 7 novembre et 5 décembre 1774.


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sibles au vulgaire, il avait, dit le subdélégué de la Boussinière, une « méthode trop compliquée et trop relevée d'enseigner pour des personnes grossières et bornées » (1). Il fut, ou peu s'en faut, la vox damans in deserto : en six ans, de 1772 à 1778, il forma tout juste quatre élèves sages-femmes, chacune en trois cours de quatre mois (2). Et c'était à désespérer de la vulgarisation obstétricale dans le Maine, lorsque la venue de Mme du Coudray vint provoquer dans l'opinion le revirement le plus, inattendu.

II

§ 3. — Sous l'ancien régime, les plaintes relatives au défaut de sages-femmes instruites étaient unanimes dans les provinces. Sauf dans les grandes villes et les cités universitaires, on l'on trouvait des accoucheuses légalement reçues, après apprentissage, l'obstétrique était aux mains de matrones empiriques, dénuées de toute instruction, qui commellaieni, par ignorance, les pires méfaits ou invoquaient au besoin le secours non moins meurtrier de hongreurs, rebouteurs ou bergers. Les règlements des Communautés de chirurgiens sur l'apprentissage et la réception des sages-femmes, les statuts de 1730 sur l'enseignement et l'exercice de la chirurgie, demeuraient lettre morte, faute de sujets ou d'organisation. Il n'y avait alors que de très rares centres où les aspirantes pussent approfondir leur art : depuis

(1) Goutard est l'auteur d'un Exercice sur l'Art des accouchemens, Le Mans, 1775, 6 p., in-4°, signalé par Desportes (Bibliographie du Maine, p. 318) et que nous n'avons pu retrouver.

(2) Ce furent : 1° Mme Dubout, qui exerça à Alençon; 2° Mme Gagé qui se. fit recevoir s. f. pour la ville du Mans par devant la 'Communauté des chirurgiens de Tours, le 19 octobre 1773; les examinateurs, Barbier, lieutenant etBobierre, greffier, félicitèrent Goutard de la science de son élève ; 3° Mme Rousseau-Levannier ; 4° Mme Gaignon-Le Roy, qui « s'est adonnée particulièrement aux maladies du sexe » si j'en crois une annonce des Affiches du Maine du 2 juillet 1781.— Les exercices auxquels Goutard les avait soumises, sous la surveillance de M. le Subdélégué, furent couronnés par un triomphant examen public, présidé par Prudhomme de la Boussinière, en présence de MM. de la ville et des magistrats. (A.. I. L. (C. 355).

SOCIÉTÉ DES ARTS 4


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1630, ou environ, trois ou quatre apprentisses étaient instruites

par trimestre à l'Hôtel-Dieu de Paris. Dès 1728; à Strasbourg, J.-J. Fried formait des sages-femmes pour l'Alsace, dans une

des meilleures institutions obstétricales que la France ait connues au XVIIIe siècle ; car les cours inaugurés en 1745 à la Faculté de médecine de Paris, et ceux fondés en 1748 aux Ecoles de

chirurgie de Paris par le testament de La Peyronie furent trop exclusivement théoriques, et purement locaux. Tout, ou presque tout était à faire en province lorsque survint le grand mouvement philanthropique de la fin du règne de Louis XV, et de l'époque de Louis XVI.

Le branle fut donné par une maîtresse Sage-femme reçue à Paris, établie d'abord dans la capitale pendant treize ans, la dame Angélique Marguerite Le Boursier du Coudray. Un grand seigneur philanthrope, M; de Tiers, ému de la grande mortalité des femmes et des enfants de son pays, l'ayant appelée en Auvergne, elle se mit en devoir d'instruire les matrones par ses discours et par des, démonstrations sur de grossiers mannequins.

Elle réussit assez bien pour attirer l'attention de l'intendant d'Auvergne, La Michodière, qui la chargea de dégrossir des sages-femmes illettrées, en quelques leçons dont le roi filles frais. Le Nain, intendant du Bourbonnais, la manda à Moulins, avec un succès grandissant. Récompensée par un brevet royal du 19 octobre 1759, confirmé par un nouveau brevet du 18 août 1767, pensionnée par S. M., recommandée par les contrôleurs généraux, patronnée, réclamée par plusieurs intendants, elle parcourut sa province d'Auvergne, puis tout le royaume, donnant dans les villes principales des leçons pour l'instruction des sages-femmes et des élèves en chirurgie, ou la formation des futurs démonstrateurs à l'aide d'un mannequin de son invention. « Sa Majesté l'a nommée, disait le brevet de 1767, pour enseigner l'Art des accouchemens dans toute l'étendue de son royaume, lui permet à cet effet de tenir des cours publics et particuliers sur tout ce qui y a rapport », lui accorde


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pendant ce temps 8.000 livres de pension annuelle, et lui promet, pour sa vieillesse, une retraite de 3.000 livres.

Elle avait ainsi visité Clerraont, Moulins, Limoges, puis Poitiers .(1764-65), Niort (1765), les Sables-d'Olonne (1765), Rochefort (1766), Bourges (1768), Agen (1769), Grenoble (1772), Besançon, Châlons (1772-73), Verdun (1773), Neufchâteau (1773), Amiens, Lille (1774),Caen (1775), Rennes (1775-76). Nantes (1776), et partout avec applaudissement. L'intendant de Rouen, Thiroux de Crosne l'avait alors chargée de faire deux coursa Evreux aux sages femmes de sa province, et un autre, de quinze jours, aux chirurgiens de la généralité de Rouen (1777), quand M. du Cluzel, intendant de Touraine, pensa, lui aussi, à profiter de son voisinage pour la mander sur son territoire (1).

M. l'Intendant de Touraine était un administrateur économe et prudent ; il voulut se renseigner au préalable, et reçut sans doute de Moulins des avis défavorables, car Mme du Coudray lui écrivit le 5 mars 1777 pour affirmer le beau succès qu'elle avait eu en Bourbonnais et lui adresser en même temps quelques mémoires à sa louange, imprimés sur ce sujet (2), avec un exemplaire de son brevet. En tout cas, du Cluzel entendit d'autres cloches, et d'autres sons : le 14 mars 1777, Rouillé d'Orfeuil, son collègue de la Champagne, lui recommanda chaleuleureusement la du Coudray, entrant dans les plus grands détails sur la manière dont il avait organisé ses cours à Châlons. Thiroux de Crosne, le frère Côme lui-même, qui décidément était un homme puissant, écrivant à du Cluzel en faveur de la sage-femme, ne furent pas moins élogieux et prodigues de renseignements ; en sorte que l'intendant n'hésita plus. Il décréta

(1) Voy. sur toute cette affaire A. I. L. C. 355.

(2) Lettre d'un Citoyen amateur du bien public à M. *** pour servir de défense à la mission de la dame du Coudray qui forme des sages-femmes par tout le Royaume, de la part du Roi, attaquée dans un écrit public, etc. [Paris], s, d.] Impr. Simon, 22 p., in-8°. — Mémoire sur les cours publics d'accouchements faits à Moulins par Madame Du Coudray, Nantes, Impr. Vatar, 20 juill. 1776,8 pp. in-4°.


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que les cours auraient lieu au Mans, à Angers et à Tours, et commença immédiatement les arrangements préliminaires. Des' circulaires en date du 31 octobre furent adressées à: tous les curés de la province pour battre le rappel des postulantes et annoncer l'ouverture des leçons au Mans pour le 15 décembre 1777.

Le bruit en parvint jusqu'à Berlin qui écrivit de Versailles le 24 juin 1777 à son subordonné, pour le féliciter de cette décision. M. du Cluzel, pour son compte, ne s'en félicitait plus du tout devant les tracas qu'il en retirait: il avait longuement médité, ruminé, élaboré et perfectionné le plan des cours de sages-femmes, rédigé et envoyé ses instructions : et voilà qu'un beau jour Mme du Coudray lui écrivait que mieux vaudrait peutêtre ne faire qu'un cours pour former des chirurgiens démonstrateurs, qui s'appliqueraient à leur tour à éduquer les sagesfemmes : « On éviterait par là, disait-elle, de faire venir aux, cours de Mme du Coudray une quantité de femmes souvent imbéciles et sans aptitude, qui ne retireront aucun fruit de ses leçons et qui ne laisseront que le regret des dépenses inutiles qu'on aura fait pour elles » (1).

M. du Cluzel, se fâcha tout net et maintint ses décisions (2). La bonne dame lui avait donné suffisamment d'embarras pour se prêter à ce qu'on attendait d'elle. Encore n'était-il pas au; bout de ses peines. Madame du Coudray voyageait à ses frais ; mais, une fois sur place, on devait la loger, défrayer, entretenir, et la bonne dame avait ses exigences ; il lui fallait un « train assés important » et une « maison montée de la cave au grenier ; » il lui fallait une salle assez grande pour faire son cours, mais assez rapprochée de son domicile pour épargner des efforts à son âge et à sa corpulence ; il lui fallait être sous le même

(1) Mme du Coudray à du Cluzel, 14 octobre 1777. (A. I. L. C 356). (2) La lettre de du Cluzel annonçant l'arrivée de la du Coudray: fut lue par Cureau, lieutenant dentaire, à MM. de l'Hôtel de ville le 8 novembre, 1777. (D. B. H. V. f° 127).


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toit que sa suite — cinq personnes — dont ses neveu et nièce, le ménage Coutanceau, quijouaient à ses côtés le rôle de répéli teurs et de suppléants. En novembre 1777, le subdélégué Prudhornme de la Boussinière, membre associé du Bureau d'agriculture, échangeait à ce sujet force lettres avec son collègue d'Evreux, et suait sang et eau à trouver dans le Mans un gîte pour Mme du Coudray. Et l'un des bureaucrates de Tours écrivait; à bout de forces, ces lignes mélancoliques : « Il seroit sûrement plus facile de caserner une compagnie de cavalerie que de faire le logement de Madame du Coudray et de ses élèves » (1).

On y parvint cependant : le corps des marchands manceaux consentit à céder gratuitement, pour les leçons, la salle ordinaire de ses assemblées. Le bureau de l'Hôtel de ville, d'accord avec le subdélégué, fit annoncer l'événement au prône dominical de toutes les paroisses ; et pour éviter aux habitants, à l'arrivée des élèves, la charge du casernement, ou du logis forcé, pria les personnes désireuses de fournir un gîte à ces demoiselles, de s'inscrire chez M. de la Boussinière. Le receveur de l'Hôtel de ville leur paierait 3 sols par jour (6 liv. pour deux mois) pour un lit de deux places, et 2 s. 6 d. par jour (4 liv. 10 s. pour deux mois) pour un lit à une place (2). D'ailleurs on décida, pour économiser locaux et matelas, d'en coucher autant que possible deux ensemble, ce qui serait encore assez bon pour des femmes habituées à dormir sur la paille (3).

Enfin les élèves devaient toucher 12 liv. par mois pour leur subsistance, aux frais publics.

Toutes ces nouvelles plongèrent Julien-Mathurin Goutard dans le désespoir : la dame du Coudray allait évidemment marcher sur ses brisées. Il commença par en dire beaucoup de mal. Il

(1) A. I.L., C 355.

(2) D. B. H. V., 28 novembre 1777, f° 129-130.

(3) Genty à La Boussinière, 29 novembre 1777. A. I. L., C 355. — Les reg. de l'H. de V. du Mans disent que la ville paya les frais de logement sur les revenus patrimoniaux. D'après les Etats de compte de l'Intendance, il semblé que ces liais furent définitivement soldés par le Trésor public.


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cria plus haut encore quand, au lieu de l'oratrice attendue, et retenue dans la capitale par quelques affaires imprévues, arrivèrent le chirurgien-major et Mme Goutanceau, qui avaient pris les devants. Et comme ces intrus manifestaient l'intention subversive de commencer le cours à la date fixée, et de pérorer sur le territoire de la Communauté des chirurgiens du Mans, M. Goutard, lieutenant, courut faire face au neveu et demanda le verbe haut, à suivre son enseignement, « d'une façon à annoncer qu'il n'y viendroit que pour faire des questions qui téndroient à interrompre ses instructions et à troubler la confiance des élèves.» Goutanceau brisa là, répondant « qu'il ne croyoit pas que cela convint à sa mission et au fruit qu'un en doit retirer ». Et Goutard de protester qu'en l'absence de Mme du Coudray, c'est à lui, démonstrateur royal, qu'il appartenait de faire la suppléance, Goutanceau dut aller s'expliquer devant le subdélégué, avec deux représentants du corps des chirurgiens. Mais il produisit un brevet royal de 1774, attribuant à sa femme, nièce de Mmedu Coudray, la survivance de la tante ; il exhiba, pour son compte, des certificats et attestations des capacités par lui déployées dans les villes où il avait enseigné avec elle, et une lettre du duc d'Aiguillon, ci-devant ministre de la guerre, marquant qu'en considération de ses bons services S. M. lui permettait de porter l'uniforme de chirurgien-major (1). Devant ces témoignages, M, de la Boussinière ne put qu'engager les gens de Saint-Côme à le laisser vaquer à sa mission.

De leur côté, MM. du Bureau d'Agriculture s'étaient émus de l'arrivée du ménage Goutanceau, et de la prétention qu'on lui

(1) L'habit des chirurgiens-majors des armées est de drap gris mêlé vulgairement appelé gris d'épine, la doublure est de couleur assortie ; les parements sont de drap rouge; la patte de la poché est en long garnie de trois boutons. La veste et la culotte sont de drap rouge. Les babils et vestes sont bordés d'un galon d'or guilloché large de 8 lignes, et il est ajouté un second galon de la largeur de 16 lignes aux parements et aux poches seulement ; les boutons sont de métal jaune, de dessin guilloché, (Règlement du 2 septembre 1775.)


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prêtait d'échapper au contrôle des gens de Tart (1). M. Livré, médecin, se proposa comme ambassadeur le 16 décembre 1777, à l'effet de « savoir de ces artistes leurs dispositions à cet égard et d'en faire part à la compagnie. » M. Livré trouva M. Goutanceau fort accueillant, « très disposé à recevoir dans ses séances, les personnes de l'art comme spectateurs et auditeurs, » et déclarant « qu'ils lui feroient même plaisir, » En conséquence il assista à la leçon du 23 décembre au matin ; les instructions qu'il entendit lui parurent « conformes aux règles de l'art » et les réponses des élèves « très convenablement » faites et de nature à promettre quelque « avantage pour la population des campagnes. » M, Vétillard, lui aussi, rencontra chez M. Goutanceau les dispositions les plus conciliantes à conférer avec les gens compétents, « pourvu que ce ne fût pas pendant le cours de ses instructions, qui sont de nature à n'être pas interrompues. » Vétillard promit de faire ses efforts pour assister à quelques-unes; Les élèves, si rares au cours de M. Goutard, affluaient par centaines pour entendre Mme du Coudray, et leur foule débordante plongeait M. le subdélégué dans les plus cruels embarras.

« Le 13 et le 14, dit-il à l'intendant, il arriva une si grande quantité d'élèves à la fois pour avoir des logements, que je fus obligé d'avoir recours aux cavaliers, afin d'établir un certain ordre et faciliter l'expédition des logements. Le lendemain 15, le nombre augmenta. Comme il étoit bien au delà de ce qu'on pouvait en admettre, je pris le parti de renvoyer les élèves des paroisses les plus voisines, et jusqu'à 5 ou 6 lieues pour faire place aux plus éloignées, à cause des frais de voïage. On fit même parmi celles-là des réformes tant à cause de l'âge, que par la délicatesse de tempérament, ou deffaut de la main. Ce triage dura toute la journée du 15 et une partie du 16.

Le sieur Coutanceau prioit qu'on n'en conservât tout au plus mil, et par la nécessité des circonstances, il s'est vu forcé d'en recevoir cent trente cinq ce qu'il m'assure n'avoir jamais fait. Comme depuis la clôture du Cours, il s'en présente encore de très éloignées

(1) D. B. A. Reg. 6, f° 206-207.


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qui sont sans secours, je me suis cru obligé de leur en procurer, ainsi que j'avois fait précédemment, vis-à-vis des plus misérables renvoyées. J'ai usé avec le plus grand ménagement de ces grâces dont je vous enverrai un état quand il cessera de sen présenter.

Je vois monseigneur par le relevé que je viens de faire de celles qui n'ont pu être admises qu'il y en a 110, sans compter celles pour lesquelles les curés m'écrivent tous les jours, en m'assurant qu'ils ne viennent que de recevoir votre lettre. Je suis persuadé qu'en raison de l'utilité d'un pareil établissement le nombre eut été beaucoup pins grand si vos lettres eussent été plutôt distribuées, ce qui vous prouve la pécessité d'accorder un second cours. Ce n'a été que sous cette promesse que j'ai pu un peu calmer les cris de celles qu'on renvoyoit. J'espère Monseigneur que vous voudrez, bien continuer pour les paroisses qui ont répondu à votre invitation, les mêmes avantages qu'on a accordéa leur préjudice, aux paroisses éloignées.

Je prie donc de faire connaître vos intentions à cet égard, affin que je puisse répondre d'une manière satisfaisante ; aux différentes lettres qui m'ont été adressées pour l'admission des sujets et que je n'ai pu me dispenser de refuser. Je calmerai du moins par l'espérance des mêmes avantages la sensation désagréable qu'a occasionné un déplacement infructueux de cette multitude de personnes.

J'ai l'honneur d'être avec un profond respect,

Monseigneur Votre très humbleet très obéissant serviteur,

[Signé] PRUDHOMME DE LA BOUSSIERE (1).

Cependant Mme du Coudray, avisée dès tribulations dE ses neveu et nièce, laissait ses affaires en suspens et quittait Paris en toute hâte pour venir leur prêter main-forte. Elle arriva au Mans le 7 janvier 1778, commença sur le champ ses exercices pédagogiques et ne s'interrompit que le 15 février. L'officieux contrôle de la Société d'agriculture continua à s'exercer sur elle, par l'entremise de MM. Vétillard et Livré médecins ; M. Livré alla entendre ses instructions et en revint enthousiasmé : les élèves « les ont rendues, dit-il, avec autant de précision que les ;

(1) Arch. d'Indre-et-Loire C. 355; Communication de M. Boutineau.


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maîtres de l'art, à la vérité sur des machines ou inventions si artistement faites, qu'elles peuvent a peu près supléer à la pratique même. » (1) Il prodigua également l'éloge aux Coutanceau. — « J'ai raisonné, écrivait de son côté M. de là Boussinière, avec un des médecins députés de la Société d'Agriculture pour suivre cet exercice et s'assurer de la bonté des principes : il m'a rendu le meilleur témoignage, tant sur la clarté de l'enseignement, que sur l'intelligence à le rendre sensible par les manoeuvres. » D'ailleurs, M. le subdélégué entendit s'en assurer par lui-même :

« J'ai dernièrement assisté à une démonstration de manoeuvre où il falloit toute la dextérité et la réunion des principes discutés dans nombre de leçons précédentes. Le prix étoit une cocarde pour chacune de celles qui auroient réussi : Quarante et quelques le méritèrent; le surplus des autres en eut tant de douleur que la séance devint une scène de pleurs et de gémissements qu'on ne pouvoit calmer ; c'est par nombre de pareils moyens qu'elle ranime leur activité. Ce. qui m'a beaucoup intéressé encore ce sont les leçons de morale dont Mme du Coudray assaisonne les enseignements affin de leur inspirer des moeurs pures, du zèle et du désintéressement pour le soulagement des pauvres. Elle leur a même donné les jours derniers un exemple de piété, leur faisant dire une messe où elle communia à la tête de la plus grande partie de ses élèves » (2).

Cependant, il fallait s'occuper du deuxième cours; mais les ressources étaient limitées, et M. l'Intendant dut restreindre ses générosités: il fut décidé que les élèves n'auraient plus droit qu'au logis, et que les 12 liv. nécessaires à leur subsistance leur seraient allouées par les seigneurs ou communautés de paroisse ou quelques personnes charitables. Une nouvelle circulaire fut répandue dans le Haut et le Bas-Maine, convoquant les nouvelles adhérentes, et aussi celles qu'on avait refusées au premier tour.

(1)D. B. A. Reg. 6. f° 211.

(2) Prudhomme à l'intendant, 5 février 1778.


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Au Mans, ce 14 janvier 1778. Monsieur,

« Le grand nombre d'Elèves qui se sont présentées à la fois pour profiter des leçons de Madame Ducoudray, Maîtresse SageFemme dont le Cours s'est ouvert le 15 du mois dernier, n'a pas permis de les admettre toutes quoiqu'on en ait reçu 135, ce qui est bien au-delà des cours ordinaires. Forcé de renvoyer le surplus, il m'a paru juste d'épargner aux plus éloignées les frais dispendieux d'un double déplacement; parce que, dans le cas d'un second cours les plus voisines seraient plus à portée d'en profiter. Sur le compte que j'en ai rendu à M. l'Intendant, il a été d'autant plus sensible à l'empressement que les Paroisses avaient montré dans celte circonstance qu'il ne peut pas continuer pour toutes les mêmes secours qu'il avait d'abord accordé; parce que, devant partager les mêmes grâces dans les autres Provinces de sa Généralité, il ne pourrait plus les y faire participer s'il les épuisait pour la seule Province du Maine ; cependant, pour donner de nouvelles preuves de sa bonne volonté, il veut bien accorder un second Cours, à la charge que les Paroisses qui voudront y envoyer, fourniront à leurs Elèves les 12 liv. par mois qu'il avait d'abord accordé, tandis que de son côté il leur procurera le logement gratuit et continuera la dépense du séjour de Madame Ducoudray. Vous devez sentir, Monsieur, combien il en coûte à M. l'Intendant, d'être obligé de mettre des bornes à sa bienfaisance. La multitude des charges auxquelles il est tenu de faire lace dans sa Généralité, lui en impose la nécessité. Il espère, ainsi que moi, que ce retranchement dans ses bienfaits ne ralentira pas votre zèle et qu'en raison de l'utilité d'un pareil établissement vous vous efforcerez à en faire jouir votre Paroisse, soit en procurant par vous-même, soit à l'aide de votre Seignenr ou même de vos Habitants, la subsistance convenable à l'Elève que vous enverrez à ce second Cours.

Comme il ne peut avoir lieu qu'autant qu'il se présentera des sujets en nombre suffisant pour le remplir, je vous prie, Monsieur, de me marquer sur le champ votre intention, devant rendre compte à M. l'Intendant de votre réponse affirmative ou négative, afin qu'il puisse prendre assez à tems les arrangemens en conséquence.

J'ai l'honneur d'être avec respect. Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

PRUDHOMME DE LA BOUSSINIÈRE, subdélégué.


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L'expérience, Monsieur, ayant fait connaître que les anciennes Sages-Femmes ne pouvoient que très difficilement détruire leurs mauvaises habitudes, il est bien essentiel pour le progrès de l'instruction, que les Elèves à envoyer n'ayent pas quarante

ans (1).

Les nouvelles restrictions entravèrent un peu le recrutement; le curé de Ballon, pourvu de maigres revenus, déjà débordé d'aumônes, fit une quête infructueuse pour réunir les fonds nécessaires à l'envoi d'une élève ; le curé de Voutré, paroissedéjà grêlée en 1774, et encore éprouvée en 1777 par une mauvaise récolte, démuni de secours en l'absence du seigneur, vint également Crier misère auprès du subdélégué qui en référa à l'Intendant: « Si vous consentiez, dit-il, à admettre les élèves de ces deux paroisses, je tirerais des Curés ce que je pourois en leur annonçant que pour seconder leur bonne volonté j'intéresserai quelques âmes charitables pour fournir le surplus. Je crois qu'avec trois à quatre louis je ferois face aux besoins imprévus ».

Le deuxième cours ne commença que le 9 mars 1778. Mme du Coudray et les Coutanceau, fatigués de pérorer depuis le matin jusqu'à 8 heures du soir, avaient demandé une quinzaine de répit. On réunit 85 auditrices de la campagne, et 5 de la ville. Sur ce nombre, 7 avaient suivi le premier cours et désiraient se perfectionner encore. Elles servirent de répétitrices aux nouvelles. Un apprenti chirurgien, élève de Laroche, Lesage, y vint aussi. Le succès répondit aux efforts. La clôture eut lieu le 9 mai.

A cet enseignement il fallait une sanction. Devant le Bureau d'Agriculture, M. Livré l'apothicaire, considérant le nombre énorme des élèves et la brièveté des leçons, observa qu'en pareil cas le certificat du sieur Coutanceau ne constituait pas une garantie suffisante, que les femmes pourraient à grand tort en tirer

(1) Bibl. munie, du Mans, Catalogue: Maine 1477, n° 42, 2 pp. in piano.


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quelque présomption, et qu'il conviendrait de leur faire subir un examen complémentaire « en présence de deux médecins et deux chirurgiens experts dans cet art » (1). De son côté, le Collège des médecins du Mans assemblé le 22 avril 1778, émit l'avis que pour donner un état légal aux élèves de la du Coudray on les fit interroger par elle à la fin du cours, par devant M, le Subdélégué, deux représentants du corps médical et deux du corps chirurgical: delà sorte, on éviterait « les difficultés et les frais que les réceptions ordinaires par les Maîtres Chirurgiens de chaque Communauté pourraient entraîner pour chacune de ces femmes ».

Un examen public, soutenu en présence du Subdélégué et du Dr Livré, termina donc chaque série de cours ; et des certificats signés de Mme du Coudray et visés par l'Intendant furent remis à chaque élève. Pour bien prouver que ce n'était pas là un vain simulacre, on y vit la paresse punie et la vertu récompensée. Jadis, en Bourbonnais, l'intendant Le Nain avait fondé trois prix pour les meilleures élèves de Mme du Coudray ; mais il y eut des scènes de jalousie. Mme du Coudray, pratique, conseilla à du Cluzel, pour éviter des récriminations, de consacrer cette somme à l'achat d'un exemplaire de son ouvrage pour chaque élève. Les lauréates en reçurent sans doute de plus riches, car la bonne dame ajoute : lorsque l'exemplaire « est donné par vous, Monsieur, on y ajoute les armes du Roy, ce qui fait que l'exemplaire coûte 6 liv. 10 s. » (2).

En outre de cet opuscule, du Cluzel avait promis aux plus méritantes, à l'exemple dé Calonne pour les diplômées de Verdun (1773), et de Rouillé d'Orfeuil pour celles de Châlons (1772-73), l'exemption de la taille et de la corvée pour elles

(1) D. B. A. Reg. 6, 23 décembre 77, f° 207-208.

(2) Mme du Coudray à du Cluzel, 11 janv. 1778. — La Bibliothèque de la Société d'Agriculture, Sc. et Arts de la Sarthe, possède un de ces exemplaires, dans le fonds Mordret.


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et leur maris (1). Les candidates furent réparties, selon leur valeur, en 4 classes ; il s'en trouva, au premier cours, 30 dans la première et 50 dans la deuxième ; mais les 9 élèves de la dernière catégorie (celles de Bourgon, du Bourgneuf, de Brée, Andouillé, Avezé, Courcité, Hercé, La Bigottière et Couture) ne furent point jugées dignes des bontés et exemptions de M. l'Intendant. Ce fut aussi le cas de Marie Paneton, veuve Le Couturier. Elle en pleura amèrement, et de retour en son pays, alla trouver son haut et puissant voisin, M. de Barberé, Seigneur de la Bermondière en St-Julien-du-Terroux. M. de Barberé essuya les larmes de Marie Paneton, et fort du témoignage de toute la paroisse de Couterne et de St-Julien, écrivit à Mgr l'Intendant et à Madame du Coudray pour mettre sur le compte de la timidité l'échec de sa cliente, et redemander en sa faveur le brevet d'exemption perdu.

Ces mesures n'étaient pas suffisantes pour enrayer efficacement l'exercice illégal : déjà plusieurs postulantes avaient fait défaut au second cours parce que, dit Prudhomme de la Boussi. nière, « la difficulté d'empêcher les anciennes sages-femmes ignorantes de continuer les accouchemens dans les paroisses même où il y en a maintenant d'instruittes décourage celles qui avoient la volonté de venir à l'enseignement. C'est pourquoi je reçois de fréquentes représentations delà part de MM. les curés et seigneurs ». Mais que faire contre les préjugés et la routine des paysannes, trop favorables aux matrones empiriques ? On proposait bien, à l'exemple de l'Intendant Le Peletier de Mortefontaine pour les sages-femmes du cours du Soissonnais, et de Blossac en Poitou, de conférer aux diplômées, dans leur paroisse, un monopole exclusif. Prudhomme demandait entre autres mesures coercitives applicables aux contrevenantes, une amende

(1) Promesse qui ne fut tenue que partiellement, et pour l'exemption de corvée seulement. Chevreul se plaint en 1780 de cette resiriction, à cause de laquelle « il n'y a que dés malheureuses qui veuillent se prêter à se faire instruire ».


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de 50 liv. Mais M. Thébaudin de la Rozelle, lieutenant particulier civil au Siège présidial du Mans, craignait que les élèves de Mme du Coudray ne profitassent du défaut de concurrence pour se faire payer bien cher, et délaisser les pauvres ; il voulait qu'on demandât, à ce propos, l'avis de la Faculté : et le Collège des médecins du Mans, assemblé le 22 avril 1778, opina qu'il y avait lieu de. défendre l'exercice de l'obstétrique aux femmes n'ayant pas suivi le cours de la du Coudray.

Il fallait encore assurer la persistance de cet enseignement selon le voeu de la Société d'Agriculture (1) et perpétuer les effets du passage de Mme du Coudray par. un continuel recrutement d'accoucheuses instruites. L'intendant prévit la nomination, dans les principales villes de la province, de démonstrateurs en l'art des accouchements, formés à l'école de Mme du Coudray et initiés au maniement de son phantôme ou mannequin. Il fut convenu, que les corps municipaux achèteraient un exemplaire de ce mannequin pour servir aux démonstrations, et délégueraient à leurs frais au Mans un représentant de leur communauté de chirurgiens, pour assister au cours que MmeduCoudray voulait bien leur consacrer spécialement, et dont l'ouverture était fixée au 12 mai 1778.

En femme avisée, Mme du Coudray avait prié l'Intendant de ne convoquer ces Messieurs qu'après la clôture du registre d'inscription des femmes pour le second cours, afin qu'ils ne fussent point tentés de les en détourner pour se les réserver ultérieurement; d'autre part, elle l'engagea à éviter, dans les circulaires, le mot leçons, afin de ménager les susceptibilités des gens de Saint-Côme. Ces précautions oratoires ne suffirent pas, cependant, à désarmer leur méfiance, et le chirurgien Hubert, de Laval, disait à qui voulait l'entendre, qu'il avait manié jadis le mannequin de son maître Levret, et qu'il ne voyait pas la nécessité de faire vingt lieues pour aller contempler une machine

(1) D. B. A, Reg. 6, 14 juill. 1778, 13 janv. 1778.


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analogue. Mais la ville lui ayant alloué ses frais de voyage et de séjour (qui montèrent à 89 liv. 6 sols), il consentit à se rendre au Mans, par pure complaisance.

La ville de Mayenne envoya le jeune Georget-Bretonnière, que recommandait, pour ses capacités et ses diplômes parisiens le médecin de l'Hôtel-Dieu. Ce ne fut pas d'ailleurs sans soulever les protestations des autres chirurgiens, ses aînés ; le maire Le Plat fut accusé de favoritisme, dans des lettres anonymes, qui furent dédaignées.

On vit encore débarquer au Mans Bourgine de l'Etang, de Sillé-le-Guillaume, Boucher chirurgien-inoculateur de l'Ecole militaire de La Flèche, Le Camus fils de Château-du-Loir (1), Loiseau de Mamers. L'occuliste Bisjeux chirurgien |de THôtelDieu de Mondoubleau (2), retenu par une clientèle alors grossie par la maladie de son confrère, arriva en retard, rappelé à l'ordre par un exprès du subdélégué, et dut repartir avant la fin. Enfin, la ville du Mans, désigna le 23 février 1778, Jean-François Laroche, chirurgien de l'Hôtel-Dieu, concurremment avec le Docteur Livré, médecin de cette maison (3).

Le cours ne put commencer que le 18 mai et fut clos le 30. MM. les chirurgiens en eurent pour leur peine; les démonstrations prenaient les journées entières, à peine interrompues par les repas. Le subdélégué Prudhomme, avisé de leurs préventions, surveilla les séances de très près: « J'ai assisté fréquemment, dit-il à du Cluzel, aux différentes opérations parce que j'avois été prévenu que quelques-uns d'entre eux venoient avec un certain préjugé de connaissances supérieures à celles de Mme du Coudray sur le compte de laquelle partie du corps de chirurgie avoit cherché à élever des doutes par esprit de parti. Mais bientôt ils reconnurent leur erreur et rendirent justice à son expérience et à l'industrie de son invention pour rendre sensibles

(1) Fils du lieutenant du premier chirurgien à Château-du-Loir.

(2) Ou Bizieux.

(3) D. B. H. V. 23 février 1778, f° 135-136.


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aux gens les plus grossiers les manoeuvres délicates de l'art. L'élocution et l'addresse de son neveu les étonna. »

Enfin nos chirurgiens, ayant ainsi ravivé leurs souvenirs obstétricaux, allèrent retrouver leur gîte et leurs clients, tandis que les mannequins prenaient le chemin des villes auxquelles ils étaient destinés. Et le subdélégué se mit en devoir de régler toute la comptabilité de cette entreprise. Les frais atteignirent. les chiffres suivants (1) :

Pour la subsistance des élèves..... 3.260 1.

Pour le logement des élèves 969 1. 4 s.

Pour le logement de Mme du Coudray et

de sa suite...... , 1.785 1. 16 s. 4 -d.

(dont 36 1.8 s. de « menues réparations pour la commodité de la Dame Ducoudray) »

Pour 209 exemplaires de l' Abrégé de l'Art des accouchemens de Mme du

Coudray........... 1.358 1. 10 s. :;

Pour 108 paires de pessaires distribuées aux élèves 124 1. 16 s.

Pour 8 machines, destinées aux villes, et

8 exemplaires de l'Abrégé de Mme du

Coudray, distribués aux 8 chirurgiens démonstrateurs., 2.652 I,

Pour frais extraordinaires, impression de circulaires, etc. 14 .1..

Gratification au Sr Goutanceau....... 600 1.

Frais de sacs payés au receveur des tailles

du Mans. .. 1 l. 8 s. 6d.

Au total, le passage de la du Coudray au Mans revînt à 10.7651, 14 s, 10 d, Il est vrai que 7 villes, sur les 8 pourvues de démonstrateurs, y apportèrent pour les machines et livrés fournis à ceux-ci, une contribution de 2.345 1. 10 s.;: seule la ville de Château-du-Loir confessa que l'état précaire de ses finances (150 1. de revenu), ne lui permettait pas de trouver les 3001,

(1) A. I. L., C. 356.


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nécessaires à l'achat d'un mannequin, et limita ses débours aux frais de route de son chirurgien. Il fut convenu qu'on lui ferait cadeau du reste, mais en secret, pour éviter d'autres sollicitations. La ville du Mans fut la mieux partagée. Mme du Coudray lui fit cadeau d'une machine du type ordinaire pour les démonstrations courantes; mais elle eut soin de lui faire acheter, pour 5001. au lieu de 300 1., un type de luxe, une superbe machine montée en soie, afin de servir de modèle à l'occasion et qui fut déposée à l'Hôtel de Ville, avec un exemplaire de son ouvrage. (1).

Déduction faite de l'apport des municipalités (2.3451. 10 s.), les frais furent soldés sur les fonds libres de la capitation, et la dépense fut approuvée par M. Necker à Versailles le 30 juillet 1778.

Après un séjour de 5 mois et 5 jours dans la ville du Mans, Mme du Coudray s'occupait de déménager. A son départ, Messieurs de l'Hôtel de ville lui offrirent une bourse en velours cramoisi, brodée aux armes de la cité, et contenant 50 jetons d'argent (2) générosité approuvée, d'une voix unanime, dans leur délibération du 4 juin 1778 (3).

« Messieurs convaincus des aventages que cette ville et la province vont retirer et retireront parla suitte des instructions de laditte Dame Du Coudray témoins d'ailleurs du zelle qu'elle a montré pour l'avencement de ses Elevés, désireraient a l'exemple des autres villes ou elle adonné de semblables instructions luy témoigner toutte la satisfaction et la reconnoissance dont ils sont pénétrés ainsi que leurs concitoyens. Mais la modicité des Revenus de cet hôtel ne leur permettans pas d'en suivre les mouvements, ils ont été unanimement d'avis de luy faire présenter une Bourse de Jetons d'argent comme une légère preuve de leur gratitude.

CUREAU. DAGUES. PEAN DU CHES[N]AY.

POUSSET DE LA VOVE.

(1) D. B. H. V.,4 juin 1778, f° 143, et 12 septembre 1778, f° 152.

(2) Il en coûta à la ville 120 1. 14 s. 6 d. (D. B. H. V. 27 mars 1779, f° 177).

(3) D. B. H. V. 4 juin 1778.

SOCIÉTÉ DES ARTS 5


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§ 4 — Mme Le Boursier du Coudray, son neveu (1), ses malles et ses mannequins ayant pris la routé d'Angers, y débarquèrent vers le 6 juin; et leur installation fut laborieuse. Le subdélégué y avait pris grand'peine, et fait courir sans succès, pendant plusieurs jours, les quatre gardes delà ville, d'Angers:. en quête de maisons et appartements à louer. Enfin le logis découvert, arrêté, aménagé (2), la bonne dame s'avisa qu'il était trop éloigné de la grand'salle de l'Hôtel de Ville qu'on voulait affecter à ses leçons ; et l'organisateur de donner au diable l'exigeante passagère, en remarquant, pour sa vengeance, que son objection était justifiée «vu son âgé et sa taille ». Enfin Me Martin, prêtre, principal du collège de Biieil, offrit une salle, aussi convenable et plus rapprochée, et le cours put être inauguré, le 15 juin (3).

140 femmes étaient armées à Angers, pour entendre la bonne parole obstétricale; on commença par en renvoyer une quinzaine, qui furent jugées trop vieilles ; d'autres se découragèrent au cours des leçons; finalement, il en demeura 109, dont 3 du Maine, à savoir : Marie Lecoq, femme du chirurgien Lecoq, de Gorron; et Marie Monnier, veuve Tardif, de Beaulieu, qui, déjà initiées, désiraient se perfectionner par une nouvelle scolarité! Enfin 4 apprentis chirurgiens de l'Hôtel-Dieu d'Angers vinrent grossir l'assistance (4). Les leçons durèrent jusqu'au 15 août, et le Bureau d'agriculture du Mans fut averti de leur nouveau succès. Un curé du diocèse d'Angers, enthousiasmé, imagina, composa et écrivit un cérémonial de prestation de serment à l'usage des sages-femmes, devant leur pasteur, et le dédia à Mme du Coudray (5).

(1) Mme Coutanceau était partie prendre les eaux à Forges et ne rejoignit la caravane qu'au milieu de juillet.

(2) Chez un sieur Place, qui logea la du Coudray du 6 juin au 28 août.

(3) Voy. sur ce cours A. I. L., C 356.

(4) A. M. A. GG 360.

(5) A. I. L. C357.


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Le 24 août, Mme du Coudray recommença un cours de 15 jours à l'usage des chirurgiens-démonstrateurs (1). Ce furent Chevreul d'Angers, Drouault de Beaugé, Phelypeau de Sàumur, Fol de Cholet, Guérif de Saint-Florent-Ie-Vieil, Legris de Saint-Dënis-de-Candé. Hillerin de Pouancé, qui avait entendu Mme du Coudray douze ans en deçà, lors de son passage à Rochefort, demanda à rafraichir ses souvenirs. Et Le Vayer de Château-Gontier, arrivé avec des préventions, repartit avec admiration. Ces Messieurs furent logés gratuitement et touchèrent 80 1. pour leur déplacement, aux frais de leurs concitoyens.

Comme dans le Maine, les villes pourvues de démonstrateurs achetèrent la machine.- Lecercler, maire de Château-Gontier, demanda à l'Intendant l'autorisation de faire, à cet effet, un virement de fonds de 300 l. sur les 400 1. attribuées aux travaux de charité. Le mannequin destiné à Angers fut déposé au greffe de l'Hôtel de Ville; les autres furent expédiés à destination de Saumur, Beaugé et Château-Gontier.

Lès frais du cours, machines comprises, s'élevèrent à 5.4861. Il s. 6 d. dont 1.2001. furent soldées par les 4 villes qui achetèrent des machines, et le reste sur les fonds libres de la capitation. La ville d'Angers paya, pour Mme du Coudray, au sieur Place, son logeur, la somme de 83 1. pour charbon, bois et chandelle; plus 390 1. de location de meubles, literie, draps, et vaisselle, dont « douze tasses à caffé » et « 8 pots de chambre » ! Et il fallut encore rembourser à Me Martin 96 1. pour les dégâts commis dans sa salle par les auditrices (2).

§ 5. — Pendant ce temps, Mme du Coudray gagnait le lieu

(1) Cependant le logement de Mme du Coudray ne fut payé que jusqu'au 28. Son cours fut-il abrégé, ou commença-t-il plus tôt ?

(2) A. M. A., CC 37. — BB 128 f° 76. — Cf. Dr G. Mareau, Quelques documents sur Michel Chevreul, Archives médicales d'Angers, 20 avril 1902, pp 147-155.


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de sa troisième étape : elle commença son cours à Tours lé 15 novembre 1778, et le termina en février 1779 (1).

Il y eut également des répétitions pour les chirurgiens : Moreau fut désigné pour Tours, Viau pour Loches, Gilles de la Touretle pour Loudun, Challuau pour Chinon. Malvost, d'Amboise, trop occupé, demanda à n'y assister qu'à deux reprises, de trois jours chacune; l'intendant refusa sèchement, et le praticien dut s'incliner.

Les dépenses du cours de Tours furent évaluées à 5815 liv 3 s. (2).

Enfin Mme du Coudray quitta la généralité de Tours, pour aller promener sous d'autres cieux sa science errante. Son passage avait valu aux trois provinces de Touraine, d'Anjou et du Maine, environ quatre cents sages-femmes, et l'espoir de nouvelles recrues grâce aux institutions dont elle avait posé les bases. Pour le Maine seulement, l'étal des élèves qui suivirent régulièrement ses deux cours comprend 213 noms; résultat insuffisant, sans doute, à considérer l'étendue du mal et la pénurie médicale des campagnes, mais bien remarquable en regard des efforts antérieurs, et qui témoigne, chez Mme du Coudray, d'une force de persuasion et d'une vocation d'éducatrice très remarquables (3).

§ 6. — La création des cours d'accouchement en diverses parties de la France, soit par Mme du Coudray, soit à son

(1) Voy. A. 1. L. C 356.

(2) Pour plus de détails sur le cours de Tours, je renvoie le lecteur à la consciencieuse étude que M. le Dr L. Dubreuil-Chambardel va-donner incessamment sur ce sujet dans la Gazelle médicale du Centre (1909).

(3) « Le nombre d'environ 300 élèves dans celui de plus de 800 paroisses de la province n'a point paru étonnant à la Société puisqu'il s'en trouve peut-être plus de 1000 ignorantes qui se mêlent de cet art, lequel devient affaire réciproque de voisin à voisine, ce dont on éprouve journellement de grands malheurs. » (D. B. A. 18 janv. 1778).

Parmi les paroisses du Haut et du Bas Maine qui envoyèrent des élèves, je relève au hasard les noms suivants : Pontlieue, Yvré-l'Êvéque, Ecom-


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exemple, fit éclore une certaine quantité d'opuscules de vulgarisation obstétricale à l'usage des élèves sages-femmes. Le gouvernement en fit tirer à ses frais un bon nombre, qui furent donnés aux accoucheuses des campagnes. Plus d'un démonstrateur, subitement ému par l'amour de la gloire, sollicita du Pouvoir l'honneur d'être imprimé. Parmi les manuels les plus répandus, il faut citer le fameux Catéchisme de Baudelocque, qui fut édité à des milliers d'exemplaires ; le Catéchisme sur l' Art des accouchemens d'Augier Dufot de Soissons (Soissons, 1775); les Instructions succinctes de Raulin, et le Précis de l'Art des accouchemens en faveur des sages-femmes, rédigé par Chevreul d'Angers (Angers, Le Mans, Paris, 1782), qui fut distribué par ordre et aux frais de l'Etat dans la généralité de Tours (1). C'est probablement dans la même intention que René Levasseur du Mans rédigea un Manuel des accouchements destiné aux élèves en chirurgie et aux sages-femmes. Ayant conquis l'assentiment de M. Lambert, l'imprimeur de la rue de la Harpe, il se fit inscrire le 6 juillet 1779 au Bureau de la Librairie pour obtenir l'indispensable visa du censeur royal. Cet examen fut confié à Louis, qui égara par malheur le précieux manuscrit et ne le retrouva qu'en 1781. Aussi l'oeuvre de Levasseur ne connut jamais les honneurs de la publicité, ce dont Louis s'excusa tout poliment dans la lettre suivante :

A Paris, le 5 avril 1781. J'ay enfin retrouvé, Monsieur, le manuscrit de votre composition sur le manuel des accouchemens. Il n'est pas étonnant que

moy, St-Calais, Bonnétable, Couture, Beaumont, Lombron, Vallon, Mamers, Parce, Teloehé, Courdemanche, Saint-Léonard-des-Bois, Fresnay, Sillé-leGuillaume, Saint-Denis-d'Orques, Vaiges, Evron, Bourgon, Andouillé, Jublains, Aron, St-Baudelle, St-Fraimbault-de-Prières, St-Denis-de-Gastines, Bais, Brée, Trans, Pré-en-Pail, Javron, Gorron, Ernée, Hercé, La Bigottière, Le Bourgneuf, Grez-en-Bouère, Voutré, Hardanges, Contest, etc. (A. I. L.C.355). (1) En 1781, Chevreul insistait auprès de l'Intendant de Touraine sur la nécessité de distribuer un manuel à ses élèves, et proposait le sien, alors tout prêt pour l'impression. En 1783, on en avait déjà distribué 189 exemplaires au prix de 340 l. tous frais compris. Le manuel de Mme du Coudray était déjà jugé un peu arriéré.


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s'étant trouvé dans les embarras d'un déménagement,,il ait été mis avec trois voitures de papiers dans ceux de l'Academie ; je ferai de votre ouvrage l'usage que vous m'indiquerés. Il est bon de vous prévenir que Ton .a imprimé depuis que j'ay été chargé de l'examen de vôtre manuscrit deux ou trois traités sur Tes accouchemens et entre autres celui de M. de Leurye et tout récemment celui de M. Baudelocque. en deux volumes in-8°. Peut-être trouversés vous à propos de voir surtout ce dernier ouvrage ou pour retravailler le vôtre ou peut-être pour le retirer car celui qui a une école ouverte et accréditée sur celte partie est sûr du débit de son livre et un libraire se chargera difficilement à faire les frais de l'impression du vôtre à moins qu'il ne soit transcendant ce qu'il est difficile de persuader, sur une matière si rebattue. Dans tout état de cause je crois que le délai vous aura rendu un plus important service que la précipitation dont vous auriez usée si votre manuscrit n'avoit pas été égarée. Je vous fais très sincèrement mes excuses de cet accident involontaire et n'en serai que plus disposé à vous être utile dans l'occasion et de vous prouver à quel point j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Louis (1).

Le manuscrit de Levasseur subit encore des fortunes bizarres et diverses, et finit par entrer à la Bibliothèque municipale du Mans où il est aujourd'hui. Il s'inspire entièrement des idées de Solayrès, et la complication méthodique des posrtions foetales; dont un autre de ses disciples, Baudelocque, devait assurer l'adoption classique pendant près d'un demi-siècle, se retrouve là dans toute sa splendeur.

Levasseur n'énumère pas moins de 23 positious foetales, subdivisées elles-mêmes en situations (par rapport aux repères pelviens) en temps (par rapport à l'engagement) cl en cas particuliers, pour aboutir au total respectable de 180 situations. M. le Dr Hervé a fait récemment une étude assez détaillée de l'oeuvre de Levasseur (2). Supérieure au petit Catéchisme

(1) Cette lettre autographe est insérée, en tête du Manuscrit du Manuel des accouchemens de le Vasseur (Bibl. municipale du Mans, Mss. n° 478.)

(2) Dr Paul Hervé, René Levasseur chirurgien accoucheur du Mans, ancien conventionnel, 1747-1834, Angers 1899, 40 pp. in-8°, portr. (Extr. des Arch. médicales d'Angers.)


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publié par Baudelocque en 1775 en faveur des sages-femmes, elle est, par contre, de bien moindre importance que le grand ouvrage de ce dernier.

« Les sages-femmes de l'instruction desquelles on doit sérieusement s'occuper, dit Levasseur, trouveront dans ce traité tout ce qu'elles doivent savoir pour aider une femme en travail. Quant aux instrumens elles ne doivent point s'en servir, mais elles doivent connaître les cas où il convient de les employer, afin d'appeller à propos un chirurgien » (1).

Pour joindre l'exemple à la théorie, Levasseur conseillait de répéter les manoeuvres sur un cadavre de femme éviscéré, dans le bassin de laquelle on introduisait un foetus inclus dans une sorte de bourse ou matrice faite avec la peau du cadavre. Nous verrons ultérieurement comment il reprit et perfectionna plus tard ces essais.

La carrière de Levasseur, jusqu'ici, n'avait pas été fort heureuse : une regrettable éviction, un livre manqué, tel était le bilan de ses efforts pour faire oeuvre d'enseignement et de vulgarisation. D'autre part, l'intransigeance de ses opinions antiesclavagistes, — peut-être aussi un procès au sujet de la succession d'un parent (2) — le brouillèrent avec son oncle David de la Brosse, qui possédait de riches plantations à Saint-Domingue, et lui firent perdre sa part d'héritage ; cet appoint n'eût pas été inutile dans une situation pécuniaire plutôt gênée. Levasseur n'eut rien à attendre que de lui-même et de ses succès de. praticien; aussi ne fut-il pas toujours ennemi d'une douce réclame, et trouva-t-il parfois une hospitalité complaisante dans les colonnes des Affiches du Mans. Et la ville apprit un beau jour que le nez de Mlle de Courteille lui avait dû la restauration de son esthétique (3), et connut le « grand succès »

(1) Levasseur, mss, f. 1.

(2) Linus Lavier, Le conventionnel René Levasseur, Le Mans, 1876, in-12, p. 65-66.

(3) Affiches du Mans, 16 mai 1774.


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d'une opération de cataracte par lui pratiquée sur un oeilignivome! (1).

La seule place officielle qui ait échu à Levasseur sous l'ancien régime fut celle de vénéréologiste, qui lui fut attribuée par l'Intendant. En 1775, en effet, les Affiches donnèrent au public l'avis que voici :

Traitement populaire des maladies vénériennes fait par ordre: dû Gouvernement.

Le mal vénérien est une des principales causes de la dépopulation, le Gouvernement attentif à tout ce qui peut contribuer au bonhenr des peuples a recherché les moyens d'arrêter les progrès de cette cruelle maladie, qui attaque indifféremment tous les états et tous les âges, porte des coups destructeurs jusques dans les générations futures. M. de Sartine dont le zèle pour le bien public est connu, a établi dans la Capitale des secours publics contre la maladie vénérienne. MM. les Intendans des Provinces, frappés des avantages que le public doit retirer de pareils établissemens les ont procuré à leurs Généralités. La ville du Mans en jouira sous la conduite de M. Le Vasseur cidevant chirurgien à l'Hôpital général de Paris, qui pendant quatre ans a suivi le traitement des maladies vénériennes à Bicêtre. Les remèdes seront gratis pour les pauvres et les enfans. Les Artisans et autres payeront simplement le prix des drogues et des bains lorsqu'ils seront nécessaires (on prendra les bains chez M. Le Vasseur). Dans le plus grand nombre de cas, les malades pourront vaquer à leurs affaires, obligés seulement observer un

(1) Voici cette étrange observation :

« M. Le Vasseur chirurgien de cette ville a fait le 10 du mois précédent l'opération de la cataracte au nommé Pierre Esnaux de la paroisse de Neuville, logé chez Mlle Le Due, Hôtesse du Petit Dauphin. Dès que la section de la cornée transparente fut faite, le cristallin fut chassé par un cône lumineux assez sensible et qui fut également aperçu de M. Faribault son confrère. Pendant une heure le malade croyoit voir des étincelles de feu. La crainte de l'opération l'avoit mis dans un état de trouble et d'agitation considérable. Cet effet peut-il être rapporté à une autre cause qu'à l'électricité? M. Le Vasseur n'a rien vu de pareil chez un assez grand nombre de sujets à qui il a fait cette opération. Ce phénomène donna quelques inquiétudes sur les suites de l'opération, qui malgré cela a eu. le plus grand succès (Aff. du Maine 15 mai 1780 p. 80, n° 20).


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régime. L'avantage des plus importants qui doit résulter de cet établissement est demeure fin à toutes les friponneries auxquelles la clandestinité du traitement a donné lieu. Il est étonnant de voir combien on rançonne des malades et surtout combien on opprime les malheureux. La classe de ces sangsues publiques n'est que trop nombreuse. On a peine à concevoir quelle est la quantité de ces gens sans aveu qui sans titre et sans connoissance s'ingèrent de traiter les maladies vénériennes, n'administrant le plus souvent que des remèdes dont ils ne connoissent ni la nature ni les propriétés ; ils font chaque jour de nouveaux essais sur les malheureuses victimes de leur avarice et de leur ignorance. Laissons à ces âmes de boue la sordide avidité d'aracher un honoraire dans des momens de douleurs ; abandonnons ces harpies qui craindraient de perdre leur proie à la honte et au mépris qui deviennent presque toujours leur récompense » (1).

La méthode thérapeutique adoptée par Levasseur était le trailement par les fumigations, préconisé'par le Docteur Lalouette ! « Le malade renfermé dans une boëte excepté la tête, reçoit pendant 12 à 15 minutes la vapeur d'une poudre mercurielle » (2).

Ainsi le Gouvernement, en sa sollicitude, étendait une main bienfaisante tant sur les avariés que sur les femmes en gésine, octroyant généreusement à ceux-là des fumées hydrargyriques, et à celles-ci l'assistance de sages-femmes instruites, formées par des démonstrateurs éloquents, dont nous allons étudier les efforts.

III

§ 7. — L'établissement du cours des sages-femmes dans la ville du Mans, n'alla point sans difficultés (3). Le chirurgien Goutard, qui avait commencé par chercher noise au ménage Coutanceau et à la du Coudray, et par en dire pis que pendre,

(1) Annonces, affiches et avis divers pour la ville du Mans, 13 mars 1775.

(2) Affiches du Mans, 10 juin 1776. — Cf. P.- Delaunay, Le monde médical parisien au XVIII° siècle. Paris, 1906, in-8. Chap. VII. Les Cypridologistes, pp. 24-7 et 248.

(3) Voy. A. I L., C. 355-356-337.


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se découvrit tout-à-coup à leur égard des trésors de bienveillance, Ce fut le jour où il entendit parler de la nomination des démonstrateurs qui devaient continuer leur oeuvre dans la province; et il se flatta de conquérir ces fonctions. Quand il fallut désigner un chirurgien pour assister au cours, MM. de l'Hôtel de ville hésitèrent longtemps entre le jeune Levasseur, dont on appréciait les talents, et son aîné Goutard qui avait sur lui l'avantage d'une plus longue carrière et de son titre de démonstrateur royal. ■Mais M. Goutard s'était fait des ennemis : il avait le verbe haut, et grande foi dans sa science : son indépendance, ses allures tranchantes vis-à-vis des médecins; son refus d'accepter ces messieurs en consultation, l'avaient brouillé avec la Faculté, qui le mit à son tour à l'index. On lui reprochait, aussi la trop haute portée, partant le peu de succès de son cours d'obstétrique. Finalement, et faute de pouvoir s'entendre, les officiers municipaux ne prirent ni Goutard ni Levasseur : et ils élurent Jean-François Laroche, homme fort simple et modeste, chirurgien résidant de l'Hôtel Dieu : ce titre lui permettait d'y trouver plus facilement un local pour ses cours et pour les élèves sagesfemmes ; des cadavres pour des démonstrations ; et en outre la collaboration du docteur Livré, médecin de la maison. Enfin on espérait que la charité publique en prendrait occasion pour fonder à l'Hôtel Dieu, une salle d'accouchées dont la création était fort souhaitable.

Goutard, évincé, faillit périr de male rage. Il sollicita et obtint de ses clientes reconnaissantes, par devant notaire, d'élogieuses attestations sur papier timbré, vantant les capacités dont il avait fait preuve à leur égard en qualité d'accoucheur. Il tailla sa bonne plume et rédigea un mémoire énumérant les services rendus par Jui à l'enseignement obstétrical dans la ville du Mans. Enfin les curés de la ville, et des clientes satisfaites, délivrèrent des certificats non moins enthousiastes en faveur des sages-femmes formées par ses soins : les curés de la Couture, de Gourdaine, de Saint-Pavin, du Pré, du Crucifix, louèrent la


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femme Gaignon et la femme Le Vannier, et la femme Gagé, cidevant élèves du Sr Goutard ; unelettre d'éloges arriva d'Alençon en faveur de la femme Dubout, établie en cette ville. Ainsi armé, Goutard écrivit à Amelot pour protester contre la délibération municipale qui dit-il, « porte atteinte à mon honneur, jette des soupçons sur ma réputation » (1). — ce Ce qui met le comble, ajoutait-il, à la mortification du suppliant, c'est que l'on annonce même de la. part du Gouvernement que le sieur de la Roche aura des appointemeus, » pour ses élèves des privilègeset des secours, et il déclarait que six années d'enseignement public étaient un titre suffisant pour diriger les munificences du pouvoir vers sa poche, plutôt que vers celle de son voisin.

Amelot en référa à M. du Cluzel, qui s'adressa à son. subdélégué Prudhomme, lequel exposa les motifs qui avaient dicté le choix des magistrats de la cité. Et Laroche fut maintenu.

Cependant, il fallait régulariser la nomination et les fonctions des démonstrateurs établis dans la généralité de Tours après le passage de la du Coudray. Un arrêt du Conseil d'Etat du Roi, en date du 7 mai 1779, vint-proclamer officiellement l'existence de démonstrateurs « pourvus de commissions de M. l'Intendant», chargés de continuer les cours de la dame du Coudray « suivant la méthode et l'enseignement par elle employés ». Et défenses furent faites « aux Collèges de chirurgie et à tous autres d'en empêcher, ou autrement troubler lesdits démonstrateurs dans l'exercice de leurs fonctions » (2).

L'Intendant se chargea de régler les détails de cette organisation (3). Il demanda à Amelot, et obtint que les démonstrateurs fussent pris, en principe, non seulement parmi les chirur(1)

chirur(1) à Amelot, 13 mai 1778.

(2) Voy. A. M. A. AA6, f. 222, et Arrest du Conseil d'Etat du Roi portant qu'il sera établi en différentes villes et lieux de la Généralité de Tours des Démonstrateurs pourvus des commissions de M. l'Intendant pour tenir des cours d'instruction dans l'art des accouchemens pour les femmes de campagne, 7 mai 1779.

(3) Voy. A. I. L. C. .356.


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giens, mais encore parmi les médecins (1), chacun d'eux eut la charge d'un district, d'un certain nombre de paroisses, dont la répartition topographique fut soigneusement faite; il devait donner chaque année un cours de deux mois, former au minimum 4 élèves sages-femmes ; celles-ci seraient seulement logées aux frais publics pendant la durée du cours, leur subsistance demeurant à la charge des seigneurs ou communautés de paroisse, ou des personnes charitables qui voudraient s'y intéresser. Des circulaires, adressées aux curés, devaient battre le rappel au moment propice. Les certificats délivrés aux postulantes seraient signés par le démonstrateur et l'inspecteur général, visés par l'intendance, et leur vaudraient pour la suite, les mêmes privilèges qu'aux élèves de la du Coudray.

On promit aux démonstrateurs une somme de 30 livres par élève et par an, et l'exemption de la corvée tant pour eux, que pour leur cheval et à leur choix pour un de leurs enfants ou de leurs domestiques.

Pour assurer l'exactitude et la bonne tenue des cours, l'Intendant nomma le 5 juillet 1779 Michel Chevreul, docteur en médecine de la Faculté de Reims et maître en chirurgie à Angers, inspecteur général des cours d'accouchement de la généralité de Tours. Necker s'était d'abord opposé à cette nomination pour des raisons budgétaires, qu'il retira par la suite : car l'inspecteur général devait toucher 120.0 L, à charge de faire une tournée dans chaque province au moment des cours, d'interroger les élèves, de faire réparer les machines, et détenir un état détaillé de ses observations. Et pour faciliter son contrôle, on décida que les cours des trois provinces auraient lieu non passimultanément, mais successivement : en Touraine, du 1er mars au 30 avril ; dans

(1) « Un médecin reçu dans l'une des Facultés du Royaume est dans le cas d'exercer beaucoup mieux ces sortes de commissions que le commun des chirurgiens. » (L'intendant à Amelot, 8 juin 1779).


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le Maine, du lr avril au 31 mai; en Anjou, du 1er mai au 30 juin. Et M. Chevreul fut certainement un homme occupé, étant chargé pour son propre compte du cours d'Angers : il y devait former annuellement 5 élèves. Il commença ses leçons l'année suivante en la maison de son onclele chirurgien Gilles Chevreul, ruedes Grandes Ecoles, et les continua jusqu'à la Révolution (1). Les démonstrations furent également inaugurées en 1780, à Tours, Richelieu, Loches, Chinon, Loudun, Satimur, Baugé, Cholet, Saint-Florent-le-Vieil, Mondoubleau, Château-du-Loir, Mayenne, Château-Gontier, La Flèche et Mamers (-2).

Dans quelques autres localités, cependant pourvues de chaires, les cours n'eurent pas lieu. Au Mans surgirent des difficultés : il avait été convenu que le Docteur Livré et le chirurgien Laroche s'occuperaient conjointement de l'enseignement, le premier se chargeant plus spécialement de la médecine obstétricale, des soins à donner aux nouveau-nés et aux nourrices, le second de l'obstétrique proprement dite ; et Livré consentait à faire aban-- don à son collaborateur de la totalité des appointements. Au dernier moment, Laroche changea d'avis, demanda une commission personnelle à l'Intendant, fut refusé, se |fâcha, déclara que la tutelle médicale lui pesait, que c'était là une marque de défiance, qu'il n'entendait pas prêter à rire à Goutard, et qu'il ne tenait point à cette charge, dans de pareilles conditions.

La place avait pourtant quelques privilèges : Monsieur, frère du Roi, qui n'était pas très généreux à l'égard de son apanage, avait daigné accorder, en son conseil, un brevet de démonstrateur aux deux chargés de cours; brevet qui, d'ailleurs, ne lui coûtait rien. Ces honneurs ne suffirent pas à les concilier, il fallut que le subdélégué s'en mêlât et parvint, à force de diplomatie, à calmer l'irascible chirurgien et à maintenir un accord amiable. Chevreul dans son inspection de 1780, ne trouva per(1)

per(1) Ecole de médecine et de pharmacie d'Angers, Centenaire, 18071907, Angers, 1907, in-4°, pp. 141 et sqq.

(2) Sur le fonctionnement de ces cours. Voy. A. I. L., C 357.


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sonne. Laroche était allé calmer son ire à la Campagne ; le cours ne débuta qu'en 1781, et encore en retard. Les élèves furent logées chez la dame Leprince, fripière, et l'intendant paya pour chacune d'elles 6 deniers par jour. Chevreul arrivé avant la fin, laissa aux deux collaborateurs les brevets en blanc, à leur jugement. L'examen n'eut lieu qu'après son départ, sous la présidence du subdélégué Prudhomme.

A Lavai, le chirurgien Hubert faisait de la critique: il écrivait à l'intendant pour lui faire part de diverses remarques et remontrances sur le mode d'organisation des cours, trouvait trop peu d'élèves, exposait la nécessité d'examiner et de surveiller les sages-femmes précédemment reçues par Mme du Coudray, etc., etc. L'intendant ayant négligé de répondre à ces bbsérvalions, Hubert piqué, déclara à Chevreul qu'il n'avait pas cru devoir donner de leçons cette année là (1780). Il se fit rabrouer vertement par l'Intendant et forma, en 1781,4 élèves qui furent jugées bien instruites (1).

A Cliâteaû-Gontier en Anjou, Le Vayer déploya une louable activité, et mérita les meilleures notes. Il réunit en 1780 4;élèves nouvelles (dont une fit défection), et 4 anciennes^ deux de Château-Gontier, une de Châtelain, une de Miré, toutes .quatre déjà diplômées sous là du Coudray. Et il recruta toujours,, en 1781 et 1782, les 4 élèves réglementaires. :

A Sillé-le-Guillaume, le vieux Bourgine de l'Etang témoignait d'un grand zèle, sinon de capacités didactiques, et pérorait, en son logis, devant 4 élèves; mais il profitait de l'occasion pour assaillir Tintendant de demandes de dégrèvements fiscaux dans des lettres où il n'omettait point les services par lui; rendus à l'Assistance publique (2). Par malheur sa mémoire était; moins fidèle quand il s'agissait d'obstétrique, et Chevreul, à son pas(1)

pas(1) mauvaise volonté d'Hubert provenait en réalité dé prétentions non satisfaites : au lieu d'exemption de corvée, et de logement des gens de guerre, il aurait souhaité-une exemption de tarif.

(2) Bourgine, 1. du 15 juin 1780.


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sage, dut lui rappeler quelques-uns des principes de cet art, et redresser quelques notions fausses chez son élève (1783) (1).

La mission de l'Inspecteur général n'allait pas sans difficultés : il avait quelque peine à s'imposer à l'hostilité des coteries locales : les lieutenants du premier chirurgien souffraient avec dépit qu'une autorité étrangère pût s'exercer à un titre quelconque sur un de leurs subordonnés, après leur avoir déjà ravi, en fait, leur juridiction sur les sages-femmes. D'autre part, les démonstrateurs avaient des ambitions particularistes et des velléités d'indépendance.

A La Flèche, Boucher était souvent en route, et principalement quand il apprenait l'arrivée de l'inspecteur. Chevreul, dans sa tournée de 1780, ne put mettre une seule fois la main sur ce démonstrateur fantôme; il ne parvint même pas à pénétrer dans la salle des cours, dont Boucher avait eu soin d'emporter la clef. Enfin, après un cours de deux mois qui fut suivi non seulement par les aspirantes, mais encore par les médecins, chirurgiens, apothicaires, et bon nombre de curieux, Boucher pria la communauté des chirurgiens fléchois d'examiner ses élèves, sans souci de son supérieur hiérarchique. Sur les -certificats transmis au subdélégué, la signature de l'inspecteur général était absente. Chevreul irrité de celte méconnaissance de ses droits, se plaignit à l'Intendant qui menaça Boucher d'une suppression d'appointements. Aussi, les années suivantes, Chevreul trouva le professeur à son poste et les cadres scolaires au complet.

Les cours se prolongèrent ainsi pendant deux ou trois années, avec une prospérité déclinante : en 1782, on compte au Mans 3 élèves, à Mamers 3, à Château-du-Loir 4, à La Flèche 4, à Laval 4, à Château-Gontier 4, à Tours 4, à Beaugé 4; mais Georget Bretonnière à Mayenne (2) et Bourgine à Sillé,

(1) Bourgine mourut vers 1789 ; sa maison et boutique, à Sillé, en la Grand'Rue furent mises en vente le 3 août 1789, chez Bachelier, notaire royal à Sillé.

(2) Il avait eu une élève en 1780, et 4 en 1781.


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pas plus que Bisjeux à Mondoubleau, ne font de leçons, faute d'auditrices. En 1783, on a encore 4 élèves à Laval, 4 à La Flèche, 4 à Mamers, 4 à Saumur, 3 à Richelieu, 2 à Beaugé ; mais Moreau à Tours n'a plus qu'une élève, de même que Viau à Loches, et Bourgine à Sillé ; enfin à Mondoubleau, au Mans, à Mayenne, à Château-Gontier, à Loudun, le registre d'inscription reste tout blanc; et les démonstrateurs de Château-du-Loir et du Mans espèrent avoir des aspirantes... l'année suivante.

Dès 1782, dans son rapport d'inspection, Chevreul se montre pessimiste. Il y a trop de démonstrateurs, pas assez de talent ou de ressources. La misère des paroisses, l'indifférence des curés; ou leur impuissance à réunir les frais de subsistance des élèves, la diminution croissante de ces dernières, devant la victorieuse concurrence des matrones, tarirent bientôt presque partout le recrutement des sages-femmes. Il ne, semble pas que ces cours aient persisté dans le Maine après l'année 1783, et les campagnes retombèrent sous le joug désastreux de l'empirisme (1).

§ 8. Cependant, un professeur subsistait au Mans : et ce fut M. Goutard. Déçu dans ses espérances pédagogiques, il avait pris le parti de soutenir la concurrence; et de continuer ses fonctions de démonstrateur royal, se bornant à faire demander, — sans succès — par son ami l'apothicaire Livré, au Bureau d'Agriculture, les mêmes privilèges pour ses auditrices que pour celles de la du Coudray (2). Il voulait aussi que ces dernières fussent contraintes, pour leur perfectionnement, de suivre ultérieurement un de ses propres cours (3), déclarant. urbi et orbi,

(1) Le Roi ayant ordonné en 1786 une vaste enquête sur le corps médical et l'épidémiologie, Galonné pria l'Intendant de Tours de dresser un état des femmes pratiquant l'obstétrique, légalement ou illégalement, par subdélégations. Le nombre des empiriques est énorme. (Voy. AIL C 357).

(2) D. B. A. 23 décembre 1777, Reg. 6 f°209. (3) D. B,A. ibid.


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dans l' Almanach du Maine, qu' « il n'est pas même, vraisemblable que les sages-femmes de campagne qui ont fait un seul cours d'accouchement de deux mois sous feue Mme du Coudray, maîtresse sage-femme, (— Goutard était, semble-t-il, assez pressé de l'enterrer —) (1) ayent pu acquérir dans un si court espace déteins les connoissances nécessaires » (2). La disparition du cours rival de l'Hôtel-Dieu lui laissa bientôt le champ libre, -et chaque année l'Almanach du Maine porta l'annonce de ses leçons à l'usage des sages-femmes et des étudiants en chirurgie. Notons seulement qu'en 1781, il ajouta à son programme l'étude et le traitement des suites de couches pathologiques.

Une nouvelle addition vint corser son enseignement de 1787 : il déclare qu'il « sera d'autant plus utile et instructif pour les élèves qu'à l'aide d'une machine représentant le corps d'une femme et d'un enfant artificiel flexible, dans toutes les parties, le Dr Goutard pourra leur faire voir toutes les attitudes et situations contre nature que l'enfant est susceptible de prendre dans le sein de sa mère » (3).

Le cours de 1787 fut probablement le dernier professé par Goutard. Il mourut vers cette époque, doyen de sa corporation ; ayant partagé sa longue carrière entre l'exercice de la chirurgie et le commerce des vins (4). Il ne semble pas avoir fait, dans sa longue carrière de démonstrateur, beaucoup de prosélytes; en 1779, il n'y a que 3 sages-femmes au Mans dont 2, il est vrai, MMmes Le Vannier et Gaignon, sont ses élèves. En 1780, le nombre des sages-femmes mancelles passe à 5, mais il demeure stationnaire jusqu'en 1787. Ce n'est qu'en 1788 que la dame Thoré vient grossir, sur la liste des matrones, le groupe de

(1) En 1790, Mme du Coudray sollicitait de l'Assemblée constituante te maintien de sa pension, voeu que le comité compétent exauça le 24 mars 1791.

(2) Almanach ou Calendrier du Maine, 1787.

(3) Almanach ou Calendrier du Maine, 1787, p. 110.

(4) Il annonce dans les Affichés du Maine du 31 mai 1773, d'excellents vins de Saint-Cyr en Touraine à 12 sols la pinte. Même annonce en 1783. — Le chirurgien Goutard avait-il des goûts artistiques? II figurait au nombre des actionnaires de la Salle de Spectacle du Mans (1775).

SOCIÉTÉ DES ARTS 6


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Mmes Gagé, Rousseau - Le Vannier, Gaignon, Avis et Alard. Encore cette dernière est-elle ancienne élève de Mme du Coudray.

Les leçons d'obstétrique de Goutard furent sans doute lès dernières données dans le Maine avant la Révolution (1). Levasseur chercha bien à attirer l'attention sur sa personne en se proclamant dans les Affiches du Maine, le défenseur heureux et convaincu du forceps (2); mais, quelle que fût sa valeur, le brevet vacant de démonstrateur royal ne lui fut point transmis, seul, le nouveau régime put satisfaire, comme nous le verrons,

ses légitimes ambitions.

Br Paul BELAUNAY.

(1) L'annonce des cours disparaît de l' Almanach du Maine en 1788. et 1789.

(2) Affiches, 8 octobre 1787.


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IMPRESSIONS POÉTIQUES

Par M. DAGUET, Membre titulaire.

LE VETERAN

(Vieille fable).

Hier, je rencontrai sur ma route un soldat

Bronzé par le soleil d'Afrique, Seul, et l'air abattu ; je vis sur sa tunique

Briller, modeste en son éclat, Ce signe respecté dont la présence indique Un" coeur brave et loyal qui servit bien l'Etat; Un héros des beaux faits chers à notre mémoire ! Pourquoi semblait-il triste,accablé de regrets? Lui qui, jadis, marchait joyeux à la victoire ; Dont le coeur se grisa dans le sein du succès ;

Lui qui, des présents de la gloire

Savoura les divins attraits ; Lui qui, simple mais grand, peut lever haut la tête ? Pourquoi?. C'est qu'arrivé bien près de sa retraite, L'esprit morne, le corps las, pauvre vieux grison, Il sent que ce fatras n'était rien qu'un vain son, Qu'il a poursuivi l'ombre et, dédaignant la proie, Pris l'aride sentier d'où s'écarte la joie. Il a cherché la gloire, il trouve le néant Qui, pour l'ensevelir, est sous ses pas béant! Pour la gloire il a fui sa paisible demeure ; Il a quitté lés champs où dorment ses aïeux, Et le clocher natal aux carillons joyeux,


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Et tant d'êtres chéris, qu'il regrette à cette heure. Sa mère, dans les pleurs, un jour, il la laissa Pour suivre follement une creuse chimère ; A celle qu'il aimait d'un amour bien sincère, Pour les dangers, il renonça.

Aujourd'hui, vétéran qui connut la victoire ;

Qui conquit dans le sang les palmes de la gloire ;

Qui fut de son pays le noble défenseur ;

Isolé, triste et las aux confins de son âge, Il pleure son petit village Et la compagne de son coeur.

La gloire est, bien souvent, l'opposé du bonheur. 1869.

SOUVENIR DES ALPES

J'ai vu les glaciers du Mont-Blanc Sous le soleil étincelant ; J'ai vu le lac bleu de Genève ; J'ai vu la superbe Jung-Frau, Gel incomparable joyau De la Suisse, pays du rêve !

De Chamonix, Interlaken, De Vernayaz, Lauterbrunnen, Des pics, des gorges, des cascades, J'ai vu, panorama mouvant, L'aspect grandiose, émouvant, Dans le cours de mes promenades.


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Circulant par chemin de fer, Passant sous des tunnels d'enfer, Perché sur d'effrayantes cimes, J'ai vu, spectacle merveilleux, Rouler des torrents furieux Sur les rocs, au fond des abîmes.

L'alpenstock en main, j'ai gravi Jusqu'à des sommets d'où, ravi, J'admirais la verte campagne ; Sur la glace j'ai dû marcher, Puis, pendu le long d'un rocher, J'ai pu contourner la montagne.

J'ai navigué sur plus d'un lac

Aux flots d'azur... du trümmelbach

J'ai vu la chute formidable...

Devant cette trombe en fureur

On se sent pénétré d'horreur :

Ce gouffre a l'air d'un trou du diable !

Quel contraste avec ces vergers ! Avec ces chalets si légers Qui s'étagent dans la verdure ! Avec ces prés où les troupeaux S'en vont, agitant leurs grelots, Chercher, l'abondante pâture !

Que ces hameaux sont reposants,

Semés au bas des pics géants

Et des cascades furibondes !

En admirant ce frais décor,

Notre âme évoque l'âge d'or,

Les dieux, les nymphes vagabondes !.


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Salut, beaux pays enchanteurs Où, sur les lacs et les hauteurs, L'on goûte une suprême extase ! Alpes, aux glaciers immortels, On vous dresserait des autels Tant votre grandeur nous écrase...

De mon séjour auprès de vous Je garde un souvenir bien doux : Jung-Frau, Mont-Blanc, que l'on encense, Sommets qui menacez les cieux, Vos noms acclamés, glorieux, Illustrent la Suisse et la France !

24 septembre 1908.

AUX POETES BRETONS

(A M. Louis TIERCELIN, auteur du Parnasse breton).

J'admire les beaux vers des chantres dé l'Annor, Ces glorieux enfants de la terre celtique, Je comprends leur amour pour ce sol granitique. Berceau du chêne altier, du genêt aux fleurs d'or.

Poètes, vous chantez les marins au coeur fort

Qui bravent les fureurs de l'Océan tragique,

Puis, rentrés au foyer, sur le biniou rustique,

Bercent leur âme en deuil de maint compagnon mort.

Votre recueil breton, c'est la Bretagne entière Avec ses chants, ses pleurs, sa fervente prière, Ses croyances d'antan, ses fidèles amours.

Ce culte du passé, cet orgueil de la race,

Près de vos vieux dolmens s'ils.renaissent toujours,

Illuminent les vers de votre beau Parnasse !

27 septembre 1908.


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MES SOIXANTE ANS

Ma muse, comme une marmotte, Dort maintenant tous les hivers ; J'hésite à composer des vers ; Dans le brouillard mon esprit flotte. Où sont mes rêves de printemps ? Mes beaux espoirs aux ailes roses?... — Chassés par les soucis moroses : Hélas ! j'arrive à soixante ans.

Sans être riche je m'apprête

A renoncer à mes travaux ;

Je voudrais goûter le repos

Dans une paisible retraite.

En profiterai-je longtemps ?

C'est le point noir qui me chagrine :

Promptement, sans doute, on décline

Lorsqu'on arrive à soixante ans.

C'est pourtant d'hier, il me semble, L'époque où nous allions par deux, Main dans la main, gais amoureux, Tout émus de marcher ensemble. Près de nos belles palpitants, Notre plaisir était extrême .. Qu'il fut court ce divin poème ! Hélas ! j'arrive à soixante ans.

Plus tard, quand dans le mariage J'ai fixé mon coeur vagabond, Je connus le bonheur profond De l'époux et du père sage. Aujourd'hui, celui que j'attends C'est d'être enfin nommé grand'père Ce doux litre-là, je l'espère, Couronnera mes soixante ans !


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J'ai beau vieillir, je me rappelle Que mon luth a souvent chanté Pour la France et la liberté : A leur culte je suis fidèle ; Il était sacré de mon temps... Hélas ! une engeance funeste Veut l'abolir... mais je proteste, Bien que j'arrive à soixante ans !

C'est vrai, ma muse encor frissonne Aux noms de Patrie et d'Amour : Il n'est pas mort le troubadour Qui chez moi s'éveille et claironne ! Mes vers peuvent être hésitants : S'ils n'ont plus l'éclat des fanfares Ni la tendresse des guitares, Pardon !... j'arrive à soixante ans !... 23 décembre 1908.

PRIÈRE A WILBUR WRIGHT

L'aviateur nous a quittés Emmenant sa blanche nacelle... Que ferons-nous de nos étés ? Qu'un tel vide est chose cruelle !

— O grand Wilbur, homme-hirondelle, Dont les exploits furent fêtés Par tous les manceaux transportés, Reviens-nous vite à tire-d'aile !

Lorsque renaîtront les beaux jours, Viens planer sur le camp d'Auvours] En bourdonnant comme une abeille.

Et nous battrons encor des mains, En criant tous : Bravo ! merveille !

Gloire au vainqueur des airs, nouveau dieu des humains!

8 janvier 1909.


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LE GÉNÉRAL

FRANÇOIS-ROCH LEDRU

BARON DES ESSARTS (1766-1844)

Par M. REBUT, membre titulaire

(suite)

LETTRES INÉDITES ET DOCUMENTS DIVERS

Observations soumises au général de Division Baraguey d'Hilliers, Inspecteur général d'Infanterie, par le chef de la 55e demi-Brigade (1)

L'administration d'un corps est sans contredit la partie la plus essentielle et la plus difficile des devoirs d'un officier, et est en même temps l'objet le plus important pour le gouvernement ; c'est donc par elle que doivent commencer ces observations.

Comptabilité.

Le but de toutes les loix sur la comptabilité doit être (de la rendre simple, précise et facile à vérifier. La marche suivie jusqu'à ce jour porte l'empreinte de l'irrésolution dans les opérations, dont le mode varie sans cesse.

La base de la comptabilité repose sur la tenue exactement

(1) Vers Brumaire an X. Ces observations permettront au lecteur d'apprécier les qualités d'organisateur de notre héros.


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suivie des contrôles annuels, et sur les revues de solde qui se passaient tous les trois mois avant l'arrêté des Consuls du 13 brumaire dernier, qui prescrit maintenant de les passer tous les mois. Sans prétendre condamner une mesure que de puissants motifs ont sûrement fait adopter, plusieurs personnes ont cru qu'elle ne pouvait que difficilement atteindre le but que le gouvernement s'est, sans doute, proposé.

1° Quand on passait lès revues par trimestre, ce n'était que quelques mois après leur confection qu'on pouvait obtenir des décomptes. Quepeut-on espérer quand le travail se trouve triplé? Il est de fait qu'il faut presque autant d'ouvrage pour le décompte d'un mois que pour celui de trois; les opérations sont les mêmes.

2° Du côté de la vérification, il est difficile de croire qu'en multipliant les papiers dans les Bureaux du Comité vérificateur, et triplant également son ouvrage, on parvienne à en obtenir un résultat plus satisfaisant. Un Corps qui a à coeur de se bien administrer, désire la prompte vérification de ses décomptes; elle-est, envers le gouvernement, le garant de sa conduite et de ses opérations.

3° Ce dernier mode offre encore l'inconvénient de contrarier la netteté et la précision des comptes des corps, telle qu'elle est prescrite par la loi du 8 floréal an 8, en ce que les revues commençant du 15 au 30 de chaque mois, pour un Corps qui a des détachements, il est indubitable que pendant cet espace de temps, il arrivera des mutations, et qu'il en peut même survenir de très conséquentes soit en plus soit en moins. Le montant de la solde, ne cadrera donc pas avec la revue. On en tient compte, il est vrai, en rapport ou en déduction, sur la suivante; mais cette mesure est indéfinie, et l'apurement des comptes n'a plus cette précision qu'il est pourtant aussi intéressant que satisfaisant de maintenir.

On paraît craindre que les Corps n'abusent du laps de trois mois pour confondre, supprimer ou tronquer des mutations. Ne


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pourrait-on pas exiger la reprise des mouvements comme le prescrit l'arrêté du 13 brumaire, et ne passer les revues que tous les deux mois échus ? Ce terme moyen éviterait aussi l'inconvénient de confondre les exercices, une revue passée ne renfermant que les mouvements des 15 aux 20 premiers jours de celui pour lequel elle est passée, et ceux des 15 derniers jours du précédent.

Quant à la rédaction des feuilles d'appel, suivant l'arrêté précité, il est certain que le grand nombre des capitaines, excellents militaires d'ailleurs, n'est pas capable de les remplir exactement.

Solde.

Il peut se trouver quelques garnisons où la modicité des prix des denrées permet au soldat de faire, avec sa paye, un ordinaire sain et nourrissant. Mais Rouen, Le Havre, et généralement toutes les villes de la XVe Division militaire, ne sont pas de ce nombre. Le prix exorbitant du pain qu'on emploie pour la soupe, et surtout celui de la viande, surpassent les moyens du soldat qui n'a pas la ressource des légumes. Ils sont peu communs, de médiocre qualité, et une nombreuse population, obligée d'en faire sa principale subsistance, en augmente considérablement la valeur. Il n'est peut-être pas inutile de dire qu'à Rouen une tête de boeuf coûte 45 à 50 sols, et qu'au Havre on la paye 3 francs. Le soldat est donc obligé de laisser tout son prêt à l'ordinaire, et il est rare qu'en prélevant les frais de blanchissage, il lui revienne quelques centimes au bout de ses cinq jours.

Linge et chaussures.

Les 0,05 par jour, destinés à former la masse de linge et chaussures de chaque homme, ne suffisent point à son entretien, en y apportant même la plus grande économie. Personne.n'ignore que toutes les marchandises sont à un prix beaucoup plus élevé qu'avant la guerre. Le soldat n'a cependant que la même


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somme pour s'entretenir ; il est d'ailleurs presque entièrement privé du service des travailleurs qui jadis était un objet très conséquent.

Les gardes et les postes s'étant multipliés outre mesure, même dans les villes de l'intérieur, les militaires n'ont pas plus de quatre nuits de repos. Celui qui fait le service d'un de ses camarades, n'en a donc que deux; il ruine sa santé, détériore son habillement, et n'a plus le temps de s'instruire, l'un autre côté, les ouvriers sont en très petit nombre dans les corps; les jeunes gens des villes ayant trouvé moyen de se soustraire aux loix sur le recrutement actuel, il n'est presque resté sous les drapeaux, que la classe la plus pauvre des cultivateurs.

Ceux qui sont pénétrés des besoins du soldat et qui connaissent l'impossibilité où il est de s'entretenir, ne peuvent s'empêcher de témoigner le désir de voir le Gouvernement lui fournir, soit en nature, soit en argent, une partie des effets du petit équipement. Ce serait un acte de justice; autant que de bienfaisance, et qui pourrait être modifié par la suite, en raison de la baisse des marchandises.

Chauffage.

En payant aux Corps les chauffages en argent, le Gouvernement a apporté une grande économie dans cette parue de l'administration, et il serait de son intérêt de l'étendre à d'autres objets qui sont encore entre les mains des fournisseurs.La somme allouée pour le chauffage pendant l'hiver pourrait être suffisante, si le nombre des corps de garde était moindre. Les petits postes, les plantons, qui coûtent presque autant qu'une grande garde, ruineront toujours cette masse, tant qu'un^règlement ne; mettra pas un terme à l'arbitraire des commandants d'armes, qui augmentent ou diminuent le service à leur gré.

50 cent, par homme et par mois pour le chauffage d'été ne pourront jamais fournir à la dépense des combustibles nécessaires à la cuisson des vivres, et de la lumière des Corps de


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garde dans la XVe Division. A Rouen, le bois de la plus mauvaise qualité vaut 36 fr. la corde, le bois de hêtre en vaut 70, et la chandelle coûte 0,80 c. la livre.

Masse d'entretien.

L'insuffisance de celte masse est assez prouvée. Comment croire en effet qu'avec la modique somme de 8 fr. par homme et par an, et la très faible ressource des hommes morts, désertés, etc., un Corps puisse suffire aux dépenses de confection d'habillement et achats des objets nécessaires, réparations d'ornement-et d'équipement, frais de Bureau et d'Administration, et à l'équipement des hommes et des recrues ?

Ce dernier objet absorberait, et au-delà, la masse d'un Corps à 2 bataillons, qui recevrait dans l'année 300 à 400 recrues, ce qui devient très possible dans ce moment, par l'incomplet des cadres et le licenciement du 8e de l'effectif. Si le Gouvernement refuse d'augmenter cette masse, il ne ferait rien de trop en faveur des Corps en leur accordant le prix des effets de petit équipement de chaque homme de recrue. Le mode de payement le plus sûr à cet égard serait de l'allouer aux recrues arrivées d'une revue de solde à l'autre et présentes. Les Inspecteurs aux revues régleraient cet article avec une parfaite connaissance.

Recrutement.

Cet article, très délicat à trait ter (sic), serait susceptible d'un grand développement, mais qui ne pourrait se faire sans choquer bien des opinions.

Beaucoup de personnes en place et à la tête des affaires regardent la conscription comme le moyen le plus juste et le plus certain de recruter l'armée. Il peut, il doit même paraître tel à ceux qui ne vivent que dans leurs cabinets, parce que les contraventions à la Loi, les injustices, les abus étant commis dans es communes par des parents et amis en faveur d'autres parents et amis, ne sont jamais dénoncés au Gouvernement. Pour bien


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juger, il faut voir arriver au Corps des jeunes gens conduits par la gendarmerie; il faut surtout entendre leurs.plaintes amères. « On nous arrache, disent-ils, du sein de nos familles, on nous « force de servir, parce que notre pauvreté nous ôte les moyens «de nous soustraire à la Loi, tandis que nos voisins qui sont « riches et qui, comme nous, sont sujets à la conscription, « insultent à notre misère en restant tranquillement dans leurs « foyers ».

Il résulte de ce mécontentement que ces jeunes gens, dégoûtés du service, ne tardent pas à déserter et achèvent ainsi de; ruiner la masse d'entretien d'un corps, en emportant les effets qu'ils ont reçus. Dira-t-on que les Loix y ont pourvu en condamnant le déserteur à l'amende et au remboursement des effets emportés? Mais personne n'ignore que cette mesure n'a encore réparé les pertes d'aucun corps, et que les jugements rendus contre les déserteurs sont tellement multipliés que dans la plupart des départements on n'en fait malheureusement aucun cas. Il y a plus : c'est que les condamnés vivent librement sous la protection des autorités civiles de leur commune, et disent hautement qu'à la paix générale une amnistie les libérera entièrement d'inquiétude. On ne saurait nier que les conscrits ne se croyent point liés par la loi qui les appelle au service, et que cette opinion est celle de toutes les autorités civiles. Le soldat qui abandonne ses drapeaux est donc certain de trouver chez lui la protection la plus condamnable. Ces vérités sont de fait et ne peuvent être contestées que par des personnes mal instruites.

La conscription est cependant très bonne en elle-même; mais, sans parler des nombreuses modifications qu'elle exige, on se, contentera de dire un mot sur les enrôlements volontaires.

Cette mesure offre l'avantage de lier plus intimement le jeune homme qui s'engage, et de l'attacher à un état qu'il s'est librement choisi ; elle le prive encore de l'appui des autorités de sa commune qui se croyent intéressées à le maintenir à son poste dans la crainte d'être obligé de l'y remplacer.


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Pourquoi ces enrôlements sont-ils devenus si rares ? C'est que deux choses sont absolument nécessaires pour les multiplier : 1° fixer la durée du service; 2° provoquer cet enrôlement par l'appât d'une solde quelconque. — Un jeune citoyen, que la loi n'atteint pas encore, désire contracter un engagement, mais il est effrayé par l'incertitude de sa durée ; il est retenu par la crainte de se lier pendant un temps trop considérable. Serait-il injuste d'assurer à ce jeune homme qu'il ne restera que quatre ou six ans sous les drapeaux ?

Personne ne peut nier que l'appât d'une somme d'argent ne soit capable de déterminer beaucoup de jeunes gens, sans parler de nos principes que cette mesure ne saurait blesser. Examinons la sous le point de vue économique. Si le gouvernement voulait se faire rendre compte de ce que lui ont coûté les frais de conduite, de geôle, d'habillement et d'équipement d'une grande partie des conscrits, dont beaucoup avaient été habillés, équipés, arrêtés et conduits plusieurs fois et qui, en dernier résultat, sont désertés, il reconnaîtrait aisément que le trésor public eût moins souffert en enrôlant volontairement un pareil nombre d'hommes. Ce moyen, une fois adopté, on pourrait, comme jadis, ne laisser à la disposition de l'homme de recrue qu'une faible portion du prix de son enrôlement ; le reste serait consacré à ses besoins. Ce mode aurait encore l'avantage de retenir sous les drapeaux bon nombre d'anciens soldats qui profitent de leurs congés absolus.

Avant de finir cet article, il reste encore à faire une légère observation. Les lois sur l'enrôlement et la conscription n'exigent point, comme jadis, qu'un homme ait au moins 5 pieds 1 pouce pour entrer dans un corps militaire, de manière que, lorsque les autres armes ont prélevé leurs recrues, il reste à l'Infanterie un grand nombre de soldats mal tournés, trop faibles et trop petits pour pouvoir manoeuvrer dans le rang. Qu'il soit permis de hasarder une idée à cet égard. La grande taille est non seulement inutile, mais encore nuisible pour le service des vaisseaux.


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Ne pourrait-on pas destiner les petits hommes à la marine, et en former des corps particuliers pour la garde des colonies ? Ne lés dispensons pas de servir, puisqu'ils sont aussi courageux que les autres, mais laissons sur le sol natal les hommes de belle taille, dont l'espèce diminue sensiblement.

Habillement.

Le gouvernement a le plus grand intérêt à changer l'uniforme actuel de l'Infanterie de ligne : des motifs d'économie, de discipline et deproprelé réclament impérieusement celle mesure.

Le drap bleu est fort cher, à raison de sa couleur. Celle qui convient aux officiers est hors de prix; celui qu'on employepour le soldat est presque toujours d'un mauvais teint. Qu'on jette un coup d'oeil sur un bataillon babillé seulement depuis un mois, on sera surpris de ne pas voir deux habits qui ayent conservé la même nuance: l'un sera devenu gris ou violet, l'autre tirera sûr le verd (sic) ou le rouge. Sous les armes, le bleu est désavantageux ; le fantassin déjà trop petit-est écrasé par cette couleur.

Du côté de la propreté, le drap bleu offre aussi de graves inconvénients : une fois malpropre, il ne peut être lavé ni détârché sans perdre son teint.

Considérons maintenant cet uniforme sous les divers rapports de discipline et d'esprit de corps. Plusieurs demi-brigades sont réunies dans une ville; une seule est mal disciplinée. Ne sera-til pas. fort désagréable pour celles qui se conduisent bien, que l'habillement, qui ne peut distinguer les cadres, confonde toute la garnison dans la mauvaise opinion et le mépris que lui inspirent les excès de quelques mauvais sujets? L'officier pourra-t-il reconnaître, le soir ou à quelque distancé, les soldats qui manquent à leur devoir? Combien de fois n'est-il pas arrivé dans la dernière guerre que des [fuyards arrêtés par ordre de généraux ont dit appartenir à tel corps, tandis qu'ils servaient dans un autre? Ils n'auraient pu faire cette dangereuse réponse si l'habit de l'Infanterie n'eût pas été partout le même. Il y a mieux : la


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crainte de déshonorer l'uniforme de son corps eût empêché plus d'un lâche de quitter son rang.

L'uniforme actuel fut créé pour la garde nationale; rien n'empêche de le lui conserver. Mais il est très vrai de dire que le gouvernement fera plaisir à toute l'Infanterie en changeant le sien, et qu'il n'est pas un corps qui n'attende cette époque avec impatience.

On sait quelle est l'influence des modes et du goût sur l'esprit de la jeunesse française. L'uniforme dont il est question lui déplaît généralement, et c'est peut-être une des causes principales de sa répugnance à servir dans la première et la plus méritante des armes. Pourquoi tous les jeunes gens sont-ils si empressés à entrer parmi les chasseurs ou hussards ? C'est que l'uniforme de ces corps est élégant.

Armement.

Nos armes de jet étant excellentes, on se contentera de dire un mot sur la Bayonnette française.

Il est nécessaire de lui donner une forme plate et tranchante, dont les. coups soient plus meurtriers, et de la rendre assez longue pour que le soldat puisse non seulement être à l'abri dû coup de sabre du cavalier, mais encore l'attaquer avec avantage. Les Russes ont depuis longtemps senti l'importance de cette mesure et l'ont; adoptée; les Autrichiens viennent de les imiter.

Veut-on un exemple récent de la supériorité de la bayonnette longue et tranchante sur celle dont se sert le Français? A la bataille de la Trebbie, sous Plaisance, le 1er messidor de l'an 7, le 55e de ligne en vint aux mains avec un régiment russe composé en grande partie de grenadiers. L'acharnement fut tel que de part et d'autre il n'y eut pas un militaire qui n'eût à soutenir un combat corps à corps. La bayonnette russe faisait des blessures terribles, tandis que la française portait des coups plus contondants que meurtriers. Le soldat français sentit si

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bien cette différence, que, dès qu' un de ses adversaires tombait, il s'emparait de son armeet s'en servait pour, continuer le combat. Cette présence d'esprit valut à la 55e la gloire d'être victorieuse dans ce moment.

Un escadron du 5e régiment de cavalerie, qui fondit alors sur les Russes pour achever la dispersion, éprouva encore combien cette bayonnette est redoutable. Il y perdit deux officiers et plus de quarante cavaliers, sans qu'il fût tiré un seul coup de fusil.

La manière actuelle de croiser là bayonnette est élégante, mais tellement vitieuse (sic) et dangereuse dans une action, que jamais nos soldats ne sont arrivés à s'y soumettre.

Il reste à parler de la coiffure, qui peut être considérée ici sous le rapport de l'armement.

Le chapeau en usage pour l'infanterie doit être supprimé pour plusieurs raisons. Il est ordinairement de très mauvaise qualité; il devient galeux et déformé avant d'avoir atteint la moitié de la durée prescrite; il coiffe irrégulièrement la troupe et lui est Inutile dans une action. Le casque n'aurait aucun de ces deffauts (sic) ; il produirait en troupe le coup d'osil le plus satisfaisant, et serait 1 pour la tête une arme défensive bien -précieuse.

Il est inutile de dire que le casque devrait réunir l'élégance à la solidité, et ne pas ressembler aux casquettes ridicules autant que mal faites de 1793, que tout le despotisme d'alors ne put parvenir à faire adopter pour l'Infanterie.

Grand Equipement.

L'expérience a démontré que la giberne, telle qu'elle est disposée maintenant, devient inutile dans un combat. Dans la chaleur de l'action, le soldat ne s'amuse pas à prendre sa cartouche derrière lui; il dispose, toujours ses munitions plus à sa portée, en les enveloppant dans son mouchoir, ou les mettant dans les poches de sa veste, ce qui, faute de précautions, lui


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cause souvent des accidents funestes. Il serait donc à propos défixer la giberne par devant au moyen d'un ceinturon, ainsi que le pratiquent déjà plusieurs régiments étrangers. Pour cela, il ne serait point nécessaire de supprimer le baudrier, qui a si bonne grâce sous les armes ; il servirait à porter la bayonnette devenue plus pesante et plus longue, et qui, tenantlieu dé sabre au fantassin, devrait plus rarement être mise au bout du fusil.

Rorte-Drapeaux et Sapeurs.

Les porte-drapeaux étaient fort utiles. Cette place était une récompense accordée à d'anciens militaires. On les choisissait parmi les plus instruits parce qu'il est toujours important dans une manoeuvre, et surtout dans la marche en bataille, que le pas du porte-drapeau soit aussi précis que régulier. Le drapeau d'un bataillon est maintenant confié à un sous-officier qui, obligé de quitter en ligne le rang que lui prescrit l'ordonnance, fait un videdans sa compagnie.

Le Premier Consul, étant général en chef d'Italie, ordonna, en l'an V, la création, dans les corps à ses ordres, de quatre sapeurs par bataillon, avec rang et solde de caporaux de grenadiers. Ils sont supprimés par les derniers règlements. Tous les militaires conviennent cependant que les sapeurs, bien costumés, donnent la tournure la plus imposante et la plus martiale à une tête de colonne, et tous les chefs de corps désirent qu'on rétablisse avec une haute, paye des hommes qui peuvent rendre les plus grands services, et, en temps de paix, sont utilement employés comme ordonnances.

On ne saurait mieux terminer ces observations qu'en émettant le voeu de voir paraître un code de lois et d'ordonnances militaires, dont on élaguerait celles que d'autres temps, d'autres principes ont rendues inutiles. Ce code bien rédigé faciliterait singulièrement l'instruction des jeunes officiers. Il serait surtout à propos d'y fixer d'une manière précise, mille petits détails de


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discipline et de tenue sur lesquels on n'a pas encore prononcé, et de déterminer le rang que les différentes armes doivent occuper entre elles.

Le premier pas sera sans doute rendu à l'Infanterie de ligne. L'ancienneté de sa création, la gloire immortelle dont elles est couverte, et les services signalés qu'elle n'a cessé de rendre pendant tout le cours de la plus mémorable dès guerres le lui assureront pour jamais.

1er DIVISION Au camp, le £ Messidor, an-XII de

du camp de Saint-Omer. , la République Française.

Le Colonel du 55e régiment d'Infanterie de Ligne à son oncle Lenoir.

.... Vous n'apprendrez, sans doute, pas sans quelque plaisir, que je viens d'être nommé au grade d'Officier dans la Légion d'Honneur.

Si vous n'étiez éloigné que de trente à quarante lieues, j'éxigérais de votre amitié, mon cher oncle, que vous vinssiez me voir. Il n'exista jamais de plus beau camp, ni de plus belles troupes. Il n'est pas possible de jouir d'un spectacle plus noble et plus imposant.

Du même au même.

18 Thermidor, an XII.

Le 25 de ce mois, toute l'armée du camp de St-Omer, des\ détachements de celle defflontreuil, et des grenadiers des camps d'Arras et d'Amiens, en tout 60.000 hommes, se réuniront dans la plaine près de Boulogne, pour la grande cérémonie de la Légion d'Honneur. Sa Majesté y distribuera les nouvelles décorations.; On fait, pour cette fête des préparatifs immenses.


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Le Mans, 23 Pluviose, an XII. André Ledru à son frère.

Mon ami,

Nous avons appris, sans en être étonnés, que le gouvernement t'avait décoré d'un titre auquel tes longs services te donnaient, depuis longtemps, des droits. Cette nouvelle nous a étéfort agréable, et, quoique la République n'admette plus que des distinctions personnelles, il. n'en est pas moins flatteur, pour ta famille, d'appartenir à un brave, membre de la Légion d'Honneur.

Cette promotion a fait sensation dans notre cité, et, s'il faut en croire certains bruits, le préfet de la Sarthe, qui ne jouit pas encore de la qualité que tu viens d'obtenir, n'a pu se deffendre {sic) d'un léger sentiment de jalousie

Au camp de Boulogne-sur-Mer, ce 20 Thermidor, an XIII. De M. Leprou, beau-frère du colonel Ledru, à sa femme.

L'Empereur est arrivé à Boulogne le 15 du courant, au..

malin ; c'était précisément le jour où nous avions retenu nos places à la diligence. Nous allâmes sur le champ contremander notre départ et le reculer jusqu'au 20.

Le lendemain, 16, Sa Majesté a passé une revue générale des armées d'Ambleteuse, Vimereux et Boulogne. Dès 8 heures du matin, 60 régiments d'Infanterie, composant cent vingt mille hommes, étaient rangés en bataille sur le bord de la mer et occupaient une ligne de plus de trois lieues, depuis Boulogne jusqu'au delà d'Ambleteuse. Nous nous rendîmes de bonne heure en avant du camp, sur les hauteurs qui dominent la Manche. Là, nous jouîmes à Taise du plus beau spectacle que nous ayons jamais vu. La mer était calme, le temps clair et fort beau; nous voyons distinctement à l'horizon les côtes d'Angleterre, blanches et sablonneuses, à l'ouest de Douvres, et qui réfléchissaient les


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rayons du soleil levant. Douze vaisseaux anglais restaient à l'ancre, à deux lieues de nous, au nord, et hors de la portée des batteries françaises. Leurs équipages ont pu entendre la musique, et voir le spectacle que Bonaparte leur donnait alors. Du point où nous étions placés, notre vue plongeait sur l'armée rangée en bataille à nos pieds, depuis Boulogne, a gauche, jusqu'à une lieue au delà d'Ambleteuse, à droite. A 10 heures, l'Empereur, suivi d'une escorte nombreuse, a parcouru au galop le front des Bataillons; nous le vîmes passer à nos pieds. Parvenu à l'extrémité de l'aile droite, il ordonna un feu général de bataillon sur toute la ligne de l'armée, ce qui fit (à raison de 60 régiments) 120 décharges successives, chacune de 900 coups de fusil. Ces feux de bataillon furent remplacés par des feux de file, qui parcoururent deux fois le front de la ligne. Nous eûmes alors une image sensible de la guerre ; c'était réellement un spectacle sublime. Chacun ne formait qu'un voeu, celui de voir une aussi formidable armée rangée en bataille de l'autre côté de la mer.

A 4 heures, l'Empereur donna l'ordre de retraite, parce que la marée montait alors, et, plus tard, aurait rendu le retour difficile.

Cette revue est une des plus belles qui aient eu lieu depuis longtemps. La plus part (sic) des militaires n'en ont point vu d'aussi nombreuse ni d'aussi brillante. En effet, elle se composait de 120 bataillons d'Infanterie, de 900 hommes chaque, de sept Maréchaux d'Empire, douze Généraux de Division, vingtquatre Généraux de Brigade, soixante colonels et douze adjudants-généraux, sans compter les officiers supérieurs de la Marine et les Ministres. La cavalerie et l'artillerie n'en faisaient point partie.

En revenant au camp vers la baraque de ton frère (FrançoisRoch), ton frère aîné (André-Pierre) s'occupait à botaniser, et moi à regarder la grande mer, lorsque nous aperçûmes de loin l'escorte de l'Empereur, qui remontait de la falaise sur les dunes.


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Nous courûmes à sa rencontre, et nous arrivâmes assez à temps pour nous trouver sur. son passage, à quatre pas de distance. Bonaparte précédait son escorte, tantôt au trop, tantôt au galop. Rien de plus simple que son costume : chapeau tricorne sans bordure, habit, veste et culotte de colonel, bottes à l'écuyère ; il montait un cheval arabe de la plus grande beauté; il portait l'aigle d'or de Prusse et celui de la Légion d'Honneur. .

Le même jour, à 5 heures du soir, nous revîmes encore l'Empereur, lorsqu'il partit du camp en voiture pour se rendre à son quartier-général de Pont-de-Brique, à une lieue de Boulogne.

Hier matin, Bonaparte a visité la flotte de Boulogne ; il est resté dans le port pendant quatre heures et a parcouru en détail toutes les chalouppes (sic), canonnières et autres bâtiments de guerre. Une foule immense se portait sur son passage et obstruait les quais. Nous courions, comme les enfants, après lui et nous l'avons vu très à notre aise..,..

GRANDE ARMÉE.

4e COUPS.

1re Division.

Vienne, 19 Frimaire, an 14.

Le colonel du 55e Régiment d'Infanterie de Ligne, Officier de la Légion d'Honneur, à son frère.

Je t'écris pour t'apprendre que je suis échappé sain et sauf aux dangers de la célèbre bataille d'Austerlitz, et que j'en ai été quitte pour la perte d'un cheval. II serait trop long de te donner les détails de cette journée ; ils seront consignés dans les rapports du Ministre de la Guerre.

La Division du général Saint-Hilaire, dont je fais partie, formait tête de colonne et a commencé l'attaque. Tout ce qui s'est présenté devant elle a été culbutté (sic). J'étais sur la gauche avec mon régiment et le 2e. bataillon du 43e, pour enlever une batterie de six pièces, deffendue (sic) par deux régiments Russes. Dans un instant, mon général de brigade et mes trois chefs de bataillon ont été mis hors de combat. Je n'en ai pas moins chas-


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se les Russes et pris leur artillerie. L'ennemi, en fuyant, est allé, se rallier à un corps d'armée d'environ 4000 hommes, occupant une hauteur avantageuse, avec huit' pièces. J'ai marché sur lui sans hésiter, quoiqu'il fût deux fois plus nombreux que moi, en faisant faire des feux de bataillon. En avançant, j'ai emporté cette position aussi rapidement que la première. La plupart des canonniers ont été tués sur leurs pièces, et cette seconde artillerie est encore tombée au pouvoir de mou régiment ; mais ce deuxième avantage m'a coûté cher, puisqu'on moins de cinq minutes la mitraille et la mousquéterie m'ont fait perdre plus de 300 hommes. C'est là que mon cheval a été frappé. Je croyais qu'en arrivant sur la hauteur, ces Russes si terribles marcheraient sur moi avec la bayonnette ; mais ils gagnaient en désordre le village de Prazen (sic). Un feu roulant les abattait par centaines, et la terre était couverte de leurs morts. J'allais entrer dans le village et détruire entièrement cette colonne, lorsque les cuirassiers de la Garde-Impériale de Russie, se sont montrés pour me charger. Je n'ai eu que le temps de me former en colonne ; ils se sont arrêtés, et quoique mes voltigeurs allassent à cinquante pas pour leur tuer dû monde, ils n'ont osé m'attaquer. C'est alors que le Maréchal Soult est arrivé avec la division Vandamne. J'ai reçu de lui les compliments les plus flatteurs.; J'ai ensuite rejoint le général Saint-Hilaire pour forcer l'ennemi dans Sokolnitz. Vers 4 heures, après avoir obligé les Russes à se rendre ou à se jeter dans le marais de Menitz, l'Empereur est passé près de moi, m'a appelé par mon nom, m'a dit en souriant qu'il savait comment je m'étais comporté, et m'a raconté familièrement les détails de la charge que sa garde Impériale venait d'exécuter contre celle de Russie. Tu juges si je devais être satisfait.

La journée d'Austerlitz met le comble à la gloire de l'armée française. C'est le corps du Maréchal Soult qui a joué le plus beau rôle, et dans ce corps, c'est la Division. Saint-Hilaire qui s'est le plus distinguée. Dans cette Division; les généraux Saint-


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Hilaire,. Thiébault et Varé ont été blessés. Le colonel Majir du 14ea été tué; les colonels La Motte, Vivien et Poujet, légèrement blessés ; deux chefs de bataillon tués, et les huit autres blessés gravement. Le général Morand et moi-sommes les seuls qui n'ayons pas été touchés.

Mon régiment a perdu 354 hommes, dont 18 officiers. Le chef de bataillon Robié a eu le bras droit cassé près de l'épaule; le chef de bataillon Robillard a reçu un coup de feu à l'épaule et un autre au bras gauche.

Je viens d'arriver a Vienne, garnison de faveur, où j'espère goûter quelque repos. Je loge dans une belle auberge ou la ville me paye une table de six couverts, deux domestiques, un carosse et une entrée aux théâtres. Tu vois que je ne suis pas trop malheureux. Je t'écris à la hâte, je suis rendu de fatigue .....

GRANDE ARMÉE. 4e CORPS. Division Saint-Hilaire.

A Ips, en Autriche, 24 janvier 1806.

Le Colonel du 55e régiment d'Infanterie de ligne, officier de la Légion d'honneur, à. M. Lenoir, son oncle.

Vous avez sans doute appris que mon régiment s'était distingué d'une manière particulière à la célèbre bataille d'Austerlitz, que partout il avait culbuté les Russes, pris 14 pièces de canon, plusieurs drapeaux, et qu'il avait mérité d'être glorieusement cité dans les rapports de l'armée.

J'ai eu, sur le champ de bataille, l'honneur de recevoir des Compliments flatteurs de la part du Maréchal Soult et de l'Empereur lui-même. Sa Majesté, voulant récompenser ma conduite, vient de me nommer général de brigade, et, pour témoigner son estime au Régiment, elle a bien voulu lui accorder 25 croix de la Légion d'honneur et beaucoup d'avancements. Mon premier chef de bataillon est nommé colonel, deux capitaines sont promus au grade de chef de bataillon, etc.

Je suis persuadé, mon cher oncle, que ces détails vous feront


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plaisir ; on aime à voir le bien-être et l'avancement de ses parents. Je compte être en France au mois d'avril. Ma santé a résisté jusqu'ici aux fatigues et aux privations de toute espèce, et je continue à me bien porter.

Du même à Mme Leproux, sa soeur.

A l'abbaye de Kremsmunster, 1er février 1806.

.. . Leprou ne t'a point trompée en t'annonçant que j'étais général de Brigade. L'Empereur a bien voulu me conférer ce grade par décret du 3 Nivôse. C'est le troisième avancement que j'obtiens sur le champ de bataille. Mon successeur n'est point encore arrivé. Je reste provisoirement dans le corps d'armée du Maréchal Soull, et j'ignore absolument quelle sera la destination que me donnera Sa Majesté. Je désire aller à Paris au mois de mai, parce que, delà, je m'échapperai pour visiter les bords, de la Sarthe et du Loir.

Il y a environ quinze jours que j'ai quitté Vienne. Je loge avec les généraux Saint-Hilaire et Morand, dans une riche abbaye de Bénédictins, où nous menons assez joyeuse vie.

Mon grade de général ne me donne point celui de commandant dans la Légion : l'Empereur n'accorde qu'une faveur à la fois; à la première affaire sérieuse, j'espère obtenir cet honneur.

3° DIVISION 1re Brigade.

Au quartier général, à Tarerau (?) Le 12 juillet 1806.

Ordre du jour.

Messieurs les officiers et sous-officiers de la 1re Brigade doivent surveiller leurs cantonnements avec la plus scrupuleuse attention, pour maintenir la bonne harmonie entre les habitants et les militaires ; cette surveillance doit être d'autant plus active qu'il y a lieu de présumer que des malveillans (sic) cherchent à indisposer les habitants, contre les Français et à les porter à l'insurrection. Si les militaires ont des sujets réels de mécontente-


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ment contre des paysans, ils doivent porter leurs plaintes aux commandants des cantonnements, mais ne jamais, sous aucun prétexte, entamer de querelles avec les habitants, afin de déjouer les complots des agitateurs.

Les militaires doivent surtout s'abstenir avec le plus grand soin ,de passer au travers des champs cultivés et de cueillir aucune espèce de fruits, pour éviter tout murmure de la part des propriétaires.

Les appels doivent être faits bien exactement en présence des officiers.

Dans chaque chef-lieu de cantonnement, la retraite sera battue au coucher du soleil ; un quart d'heure après, la garde de police fera une patrouille et arrêtera tout sous-officier ou soldat qui se. trouverait hors de son logement.

Messieurs les chefs de corps et de bataillon visiteront journellement les cantonnements, afin de s'assurer par eux-mêmes si le bon ordre y est maintenu ; ils ordonneront à Messieurs les capitaines de voir souvent les logements des militaires de leurs .compagnies, et prendront toutes les mesures qu'ils croiront convenables pour que la tranquillité ne soit aucunement troublée.

Le présent ordre sera lu pendant deux jours de suite aux Compagnies assemblées.

Le général de Brigade. LEDRU.

GRANDE ARMÉE.

4e CORPS.

3e Division.

quartier général à Wismar. 10 nov. 1806.

Le général Ledru à son frère.

Depuis notre entrée en campagne, nous avons marché si

rapidement que je n'ai pas eu le temps de t'écrire. Maintenant

qu'il n'existe plus d'armée Prussienne, et que l'Empereur nous

accorde quelques jours de repos, j'en profite pour te donner de

.nies nouvelles,


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La Brigade que je commande a eu quatre engagements avec l'ennemi : à Greussen, à Nordhaussen, à Magdebourget Lubek. J'ai peu combattu à Iéna, quoique la Division ait marché vingtsix heures sans s'arrêter; mais elle est encore arrivée assez à temps pour faire faire une manière de retraite aux Prussiens et leur prendre beaucoup de monde et contribuer au succès de cette journée célèbre.

La prise de vive force de la ville de Lubek, le 7 de ce mois, a été chaude et meurtrière, et le résultat en est très important. C'est un des plus beaux faits d'armes de la guerre actuelle.

Le général prussien de Blucher, commandant un Corps d'environ 30.000 hommes, dont huit à neuf mille de Cavalerie, voulait gagner Stralsund, ou repasser l'Elbe et rentrer dans le Hanovre; mais trop pressé par notre marche et perdant chaque jour cinq à six cents hommes de son arrière-garde, il s'est jeté dans Lubek et y a laissé 7.000 hommes de bonne infanterie, 40 pièces de canon, et un régiment de cavalerie, espérant nous retarder de quelques jours. La ville est entourée d'un rempart et d'un canal profond rempli d'eau. Pour y entrer, il fallait nécessairement rompre les portes sous une grêle de mitraille et de balles.

Le Maréchal Soult ayant décidé de rompre la porte qui conduit à Ratzebourg, son avant-garde, que je commande, a commencé l'attaque à 11 heures du matin. J'ai d'abord engagé une vive fusillade avec l'ennemi, dont on ne découvrait que la tête derrière les remparts, et que le canal mettait à l'abri de nos bayonnettes. Mais l'artillerie légère de ma Brigade ayant rompu une barrière qui défend le pont aboutissant à la porte, les chasseurs corses, du Pô et du 26e régiment s'y sont précipités, et, sei glissant à droite et à gauche, entre le canal et les fortifications, ont grimpé sur le rempart en poussant de grands cris, sont tombés sur la ligne prussienne qui s'est déconcertée, ont tué beaucoup de monde, pris deux généraux, une centaine d'officiers, 1.500 soldats, 7 drapeaux, 12 pièces de canon, sont entrés dans la ville, ont fusillé tout ce qui a voulu résister et ont ouvert les


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portes au Corps d'armée. Dans le même temps, l'avant-garde du Maréchal Bernadotte a forcé la porte du côté de Wismar, a tué ou pris tout ce qui la deffendait, et en moins d'une heure, Lubek et les 7.000 Prussiens sont tombés en notre pouvoir.

La ville a souffert. Quel dommage que M. de Blucher, par une manoeuvre mal entendue, ait sacrifié une cité si belle, si intéressante, et totalement étrangère à nos querelles !

Après un échec aussi considérable, M.. de Blucher a perdu la tête et n'a plus songé qu'à se rendre. Le 8, à 9 heures du matin, il a capitulé, et dans l'après-midi, il a défilé devant l'armée française, avec 27 bataillons, 53 escadrons et 60 pièces de canon attelées, avec tout son parc d'artillerie. Les Prussiens ont ensuite déposé les armes, remis leurs drapeaux et étendards, et sont. partis, sous escorte, pour Mayence, comme prisonniers de guerre.

Ce combat a fait beaucoup d'honneur à ma Brigade; et j'en ai reçu des félicitations. Je n'ai pas perdu beaucoup de monde, parce que l'attaque a été poussée si brusquement qu'après quelques volées de mitraille, j'étais trop près pour craindre le canon. Mais le colonel d'artillerie Montcalvier, officier de la plus grande distinction, a été tué près de moi, en disposant le canon qui a brisé la barrière; il était mon ami, et sa mort m'a affligé.

Il ne reste plus aux Prussiens qu'un corps d'environ 15,000 hommes, en Silésie; il ne tardera pas à être pris ou détruit. Ainsi s'est anéantie, dans une campagne de vingt-six jours, une puissance naguère si formidable, et qui faisait trembler toute l'Europe. Que n'existez-vous encore, Français qui fûtes battus à Rosbach, à Minden ! Vous goûteriez le plaisir d'une vengeance bien légitime, vous applaudiriez à nos triomphes ! Les officiers Prussiens paraissent humiliés et confondus ; ils sont naturellement fanfarons, ce qui leur avait valu, de la part des Autrichiens, le sobriquet de gascons du Nord. Mais ils ne font plus de rodomontades; plusieurs des plus qualifiés m'ont abordé, la larme à l'oeil, en déplorant leurs désastres.


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Je ne te parle point des autres opérations de la Grande Armée ; elles sont mieux connues en France qu'ici; car nous ne recevons pas nos journaux, les courriers ne sachant où nous trouver. Je pense qu'après quelques jours de repos sur la Baltique, notre corps d'armée va se porter sur l'Oder, sur la ligne d'opération, et de là, vraisemblablement, en Pologne, où déjà nous avons 30,000 hommes. Il est digne dé notre Empereur de relever une nation brave et généreuse, de lui donner un chef, et d'opposer, par là, une barrière aux incursions des Russes et des Cosaques,

Je désire voir Berlin, Postdam, et tous les lieux célèbres par le séjour du grand Frédéric, Combien sa cendre doit être irritée!

Je dois te dire, mon cher ami, que je me porte tien, et que, malgré toutes espèces de fatigues et de privations, ma santé n'a point été altérée. Pendant 20 jours, nous avons marché, depuis 4 et 5 heures du matin jusqu'à 10 et 11 heures du soir, sans autre nourriture que du pain bien noir, des pommes de terre et quelques morceaux de porc cuits à la hâte. Pendant tout ce temps nous n'avons pas quitté nos bottes, ni changé de linge, et notre barbe était longue d'un pouce et demi. Nos équipages né pouvaient nous suivre. Messieurs les Prussiens n'étaient pas plus beaux que nous.

J'en ai été quitte pour une balle qui a percé mon habit, lorsque à 9 heures du soir, le 16 octobre, j'ai délogé de Greassen, avec mes chasseurs, M. de Kalkreutz qui voulait y coucher après avoir cherché inutilement à tromper le Maréchal Soult.

Ma brigade est composée de 4 bataillons d'Infanterie légère, d'une compagnie d'artillerie à cheval et d'une compagnie de sapeurs, en tout, 4,069 hommes. C'est la plus belle avantgarde de l'armée.

GRANDE ARMÉE. 4e CORPS. — 3e Division.

Au quartier général, à Eylau. Le 10 février 1807.

Le général Ledru à son frère. ... Les cantonnements de la Grande-Armée sont levés depuis


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quinze jours, les Russes ayant fait un grand mouvement offensif sur notre gauche. Pendant six jours de suite, le Corps du Maréchal Soult a eu de sérieux engagements, qu'il serait trop long de te faire connaître et dont tu verras les résultats dans le Moniteur. Je me contenterai de t'indiquer rapidement ceux où ma Brigade a joué un rôle important.

Le 6 de ce mois, l'arrière-garde russe fut jointe, à 3 heures' après-midi, près de Landsberg, par le 4e Corps, une partie de la cavalerie du grand-duc de Berg et quelques escadrons de la Garde-Impériale. Je fus aussitôt chargé par le Maréchal et par Sa Majesté elle-même, qui vint me parler, d'emporter un plateau deffendu par une longue ligne d'infanterie et 4 pièces de canon. Avant d'arriver à ce plateau, je devais déposter {sic) les tirailleurs russes de plusieurs bouquets de bois d'où ils incommodaient beaucoup noire cavalerie. Je fis mes dispositions et j'eus le bonheur de réussir; mais ce ne fut pas sans perdre beaucoup de monde, ayant affaire à un ennemi bien supérieur en forces. Deux fois, je dus céder le plateau; mais à la troisième attaque, j'en demeurai définitivement le maître, ainsi que des .4 pièces de canon et de 6 caissons, dont tous les canoniers et les chevaux furent tués. Je reçus et repoussai sept à huit charges de cavalerie. Les dragons russes s'abandonnèrent, une fois, avec tant de fureur, sur le 26° régiment formé alors en colonne, que je me vis contraint de parer plusieurs coups de sabre, entre les deux bataillons où j'étais placé. Ceux qui me suivaient de si près furent tués à bout portant par la seconde compagnie de carabiniers. L'ennemi a laissé plus de 300 cavaliers et autant de fantassins sur mon petit champ de bataille. Mon infanterie fut la seule qui combattit ce jour-là, et eut de plus l'avantage de maltraiter par son feu, un très gros corps de cavalerie qui s'ébranlait pour charger nos cuirassiers. Mes deux aides de camp ont été blessés; M. Pindray (?) l'est dangereusement, M. B'ascar, légèrement. Un cheval a été tué sous moi ; cinq balles ont percé mon habit sans me toucher; mais deux coups de feu m'ont for-


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tement contusionné la hanche et la cuisse. J'ai combattu sous les yeux de l'Empereur. Le grand duc de Berg et, le Maréchal Soult m'ont témoigné leur satisfaction. .. Le 7, au soir, ma Brigade, après avoir harcelé pendant tout le jour l'ennemi dans sa retraite, eut ordre de s'emparer de la ville à'Eylau. Un tiraillement assez meurtrier et une charge faite à propos me rendirent maître de cette place à 8 heures, et les Russes m'abandonnèrent deux pièces de canon. A peine l'ennemi était-il chassé, que l'Empereury entra et fit préparer: son logement. Pendant la nuit, la ligne russe avalises feux à 300 pas des nôtres.

Le 8, à la pointe du jour, l'ennemi prit l'offensive et nous attaqua vigoureusement, mais ne put jamais pénétrer en ville, quoiqu'elle ne fût, dans ce moment, gardée que par la Division du général Legrand. Ma Brigade, embusquée dans un petit faubourg sur la droite, eut à soutenir toute la journée des feux de mousqueterie et de canon les plus violents que j'aye entendus de ma vie. Jamais, malgré tous leurs efforts, les colonnes russes ne purent déposter la Division Legrand. L'Empereur vint deux fois au milieu de mes tirailleurs. J'avais à ma droite la Division Saint-Hilaire, la cavalerie et le corps d'Augereau, à ma, gauche quelques, régiments d'infanterie et de cavalerie légère. L'ennemi déployait devant nous 70.000 à 80.000 hommes. Sur la fin de cette sanglante journée ; l'armée russe a dû se retirer en désordre, laissant un immense champ de bataille jonché de ses cadavres, abandonnant 25 à 30 pièces de canon et 7.000 à 8.000 blessés. Vers les 3 heures, un boulet me rasa la poitrine et sa commotion me renversa sans connaissance; on me crut mort et on m'emporta à quelque distance, Je revins bientôt à moi, mais pendant sept à huit heures je de meurai tout étourdi, Le devant de ma capote est brûlé comme si on. y avait appliqué un fer chaud ; ma poitrine et mon bras droit sont totalement équimosés (sic), mais sans aucun danger, et je me porte bien.


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L'armée se concentre, et je crois qu'une grande bataille ne tardera pas à avoir lieu du côté de Koenigsberg.....

GRANDE ARMÉE.

4e CORPS.

3e Division.

An quartier général à Koenigsberg, Le 20 juin 1807.

Le général Ledru à son frère,

Je te marquais, dans ma dernière lettre (1), que l'armée russe, nous savait laissés tranquillement faire le siège de Dantzig. A peine cette place importante était-elle en notre pouvoir, que l'ennemi s'est mis en mouvement et a attaqué la grande armée sur toute la ligne ; partout, il a été reçu avec vigueur et n'a pu franchir le passage, quoique faible et souvent guéable. Le Maréchal Ney, qui faisait pointe à Gutslad, poussé par des forces triples, a été obligé de céder le terrain, mais sans éprouver d'échec. Dès le 6 juin, toute l'armée française était réunie et a pris l'offensive, le 7, au matin. Les Russes, poussés à leur tour, ont abandonné leurs camps, et toutes leurs forces se sont concentrées dans les fortes positions retranchées de Heilsperg (2). Le 10, au matin, le grand duc de Berg, avec un corps de 10.000 hommes de cavalerie soutenu par la Division du général Legrand, dont je fais partie, a fait une reconnaissance sur cette ville; au bout de quelques heures, les escarmouches sont devenues un combat sérieux. L'ennemi a jeté beaucoup d'infanterie dans les ravins et sur la lisière des bois; je l'en ai délogé avec mes. chasseurs et mon artillerie légère. Le Maréchal Soult arrivant avec tout son corps d'armée, suivi par la garde et l'Empereur en personne, et Benningen renforçant considérablement sa ligne,: le combat, s'est changé en une bataille opiniâtre et meurtrière . Je ne t'en donnerai pas les détails, la fumée, la poussière et les accidents de terrain m'ayant empêché d'en voir l'ensemble. Obligé plusieurs fois de former le carré contre la cavalerie, j'ai

(1) Je n'ai pas trouvé cette lettre. (2) Ou Heilsberg.Voy. p, 27.

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eu le bonheur de n'être jamais entamé, et j'ai eu celui de recevoir au milieu de ma troupe le grand due de Berg, le Maréchal Soult et leurs Etats-Majors dans un moment où notre cavalerie pliait devant un nombre trop supérieur ; ces généraux Couraient le risque d'être pris. C'est dans cet instant que mon 26e léger, s'est particulièrement distingué, ne tirant qu'à propos et laissant approcher les hulans et cuirassiers russes jusqu'à dix pas de ses rangs, et cessant le feu, comme à l'exercice, aussitôt que je l'ordonnais. J'ai reçu, à ce sujet, de grands compliments. On se battait avec tant d'acharnement qu'à minuit le feu était encore très violent : il est bon de t'observer qu'ici nous n'avons presque pas de nuit; à 11 heures on peut lire, et à 1 heure il fait jour. ? Le résultat de cette bataille a été de chasser l'ennemi d'une partie de ses positions sur la rive gauche de la Alle et de le rejeter-sur la rivé droite, en lui tuant une quantité énorme de monde et surtout d'officiers généraux et supérieurs, qui, pour rallier leur troupe, se sont exposés aux premierscoups. Ma Brigade seule a dans celte journée perdu près de 600 hommes. Le colonnel du 26e régiment et trois chefs de bataillon ont été blessés. J'en suis sorti sain et sauf; mon cheval et mes habits n'ont pas même été touchés. Le colonel de mon ancien régiment (le 55e) a été lue; c'est le deuxième colonel que le corps perd depuis que je l'ai quitté, le premier ayant été frappé à Eylau. Le 11, nous avons séjourné sur le champ de bataille au milieu des cadavres. Tous les Corps d'armée se sont concentrés, et du point élevé où je me trouvais, on pouvait voir près de 200.000 hommes, en comptant les cavaliers russes qui n'étaient séparés de nous que par la rivière. Sur le soir, les Maréchaux Davoust et Mortier ont descendu là Alle pour menacer le flanc droit de l'ennemi, et dans la nuit, l'Empereur Alexandre a évacué ses formidables positions et ses camps retranchés de Heilsperg, en incendiant ses baraques.

Le 12, toute la grande Armée a suivi l'ennemi. Le Maréchal Soult s'est dirigé sur Eylau, et ce n'est pas sans émotion que


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j'ai revu ce Champ célèbre où reposent tant de braves. Chargés de côtoyer la Baltique et de combattre le corps prussien du Maréchal de Lestacq, nous avons appuyé à gauche et sommes venus, le 13, bivaquer en avant de Kremsbourg. Le 14, avant le jour, le 4e Corps était en marche, et nous n'avons pas tardé à rencontrer les postes ennemis, qui se sont repliés devant ma Brigade d'avant-garde jusqu'à la vue de Koenigsberg, où le Mare-, chai Lestacq a voulu tenir ; mais sa ligne ayant été enfoncée dans un instant, il est rentré précipitamment dans la place, laissant 4 pièces de canon et environ trois bataillons en notre pouvoir.

1 La marche du Maréchal Soult avait été si rapide qu'un corps prussien de mille chevaux, six bataillons et huit pièces de canon, qui, la veille, s'était porté à sa rencontre, s'est trouvé coupé et est venu déboucher sur notre gauche, pour rentrer dans Koenigsberg au moment où la division Legrand en occupait les issues. La division Saint-Hilaire, renforcée de quelques bataillons et de ma compagnie d'artillerie légère, a marché sur ces Messieurs, et après une canonnade d'un demi quart d'heure, leur a prouvé qu'ils s'étaient levés trop lard en leur faisant mettre bas les armes. Ce spectacle m'a beaucoup réjoui et a fait rire le soldat. La ville a été sommée de se rendre; mais, étant à l'abri d'un coup de main, elle a refusé. J'ai alors reçu l'ordre d'emporter le faubourg de Kremsbourg et de tâter les fortifications avec mes chasseurs, ce que j'ai exécuté sans éprouver beaucoup de perte. Mes chasseurs corses, s'étant glissés le long d'une digue, sont arrivés jusque sous les palissades à l'autre extrémité du faubourg sans être aperçus, et ont coupé la retraite à 300 hommes du régiment de Rûchel, que j'ai fait prisonniers. Dans cet instant, mon bataillon corse, s'étant éparpillé pour tirailler et donner moins de prise au boulet, a été chargé par un escadron de gardés du corps du roi de Prusse, qui, d'abord l'a un peu poussé, mais à 100 pas de là, j'ai arrêté cette cavalerie avec une seule compagnie de carabiniers ; mes tirailleurs sont alors sortis des allées


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où ils s'étaient réfugiés et ont fusillé à droite et à gauche; dans un instant, la grande rue du faubourg a été couverte de chevaux et de cavaliers, et, de cette belle troupe, il n'est pas rentré dix hommes en ville. Je suis retourné au camp au commencement de la nuit. Le lendemain, tout se disposait pour un assaut, où ma brigade d'avant-garde devait jouer le premier rôle, lorsque la nouvelle de la bataille de Friedland a forcé l'ennemi à évacuer précipitamment la ville en y laissant 7000 à 8000 blessés ou malades et des magasins immenses. Je pourrais te transmettre sur cette bataille quelques renseignements que le maréchal Savari, aide de Camp de Sa Majesté, me donna hier en dînant chez lui, mais les Bulletins de l'armée t'en instruiront mieux. L'ennemi se retire vers la Memel, ou Niémen, et la Grande Armée est à ses trousses.

Brennsberg, le 23 octobre 1807 (1).

Monsieur l'ambassadeur de Russie, le lieutenant-général comte Tolstoï, accompagné du comte de Liéven, aide de camp de l'Empereur Alexandre, est passé ici avec une nombreuse suite, le 14 de ce mois, se rendant en poste à Paris, et m'a fait l'honneur de descendre chez moi. Je lui ai offert un très beau déjeuner, où le bon vin n'a pas été épargné. Une compagnie de carabiniers et une compagnie d'élite de chasseurs à cheval ont formé sa garde d'honneur. J'avais invité les colonels, chefs de bataillon et d'escadron de ma brigade. Une excellente musique a exécuté des airs et des marches charmantes pendant tout le temps que nous sommes restés à table. Son Excellence a été enchantée des honneurs que je lui ai fait (sic). C'est un bel homme, d'environ 45 ans. Il a fait les deux dernières campagnes, où il a toujours eu un commandement important, et il a eu un plaisir extrême à en parler avec des acteurs qui, comme moi, y avaient pris une part aussi active. Il commandait au célèbre

(1) Celte pièce est la copie d'une note sans signature, mais écrite évidemment par le général Ledru.


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combat de Hoff, où ma belle jument normande fut frappée de quatre coups de feu, et il s'est trouvé que ce furent des hommes de ma brigade qui, deux jours après, à la bataille d'Eylau, lui tuèrent un cheval de 90 louis, lorsqu'il vint un peu trop près reconnaître un poste pour le faire enlever.

Ce rapprochement nous a fait rire. M. l'ambassadeur est remonté en voiture à 2 heures, en me disant les choses les plus obligeantes et les plus amicales.

Le général Ledru à son frère.

Dirschau, 20 avril 1808.

...Tu apprendras sans doute avec plaisir que l'Empereur vient de me donner en Westphalie un domaine qui vaut dix mille francs de revenu, exempt de toute charge et de tous frais. Dans le mois dernier, Sa Majesté a daigné me faire un cadeau de 25.000 francs. En obtenant permission, je pourrai vendre ma terre de Westphalie, à la charge d'en employer le fonds à Tachât d'un autre domaine en France.

Le repos dont j'ai joui pendant tout l'hiver sur les bords de la Vistule m'a entièrement rétabli des fatigues de la dernière campagne. Je n'ai plus qu'un désir, c'est celui de faire un voyage dans mon pays. J'ignore quand les circonstances me le permettront.

Le général Ledru à sa soeur.

Au camp de Môwe, 25 septembre 1808. .

...J'ai quitté mes cantonnements le 1er juillet pour venir camper sur le plateau de la petite ville de Môwe, en face de la Vistule. La Division s'y trouve réunie depuis cette époque. Notre camp est très beau, les étrangers viennent l'admirer. Nous avons célébré la fête de Sa Majesté l'Empereur avec la plus grande pompe. Un grand nombre d'officiers supérieurs prussiens avaient demandé la permission de venir voir la manoeuvre.


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Toutes les dames polonaises et prussiennes des environs s'y sont rendues, moins encore pour voir la troupe que pour figurer au bal, qui a été magnifique. J'ai eu table ouverte pendant trois jours.

Depuis une quinzaine de jours, un bruit vague annonçait que les deux plus grands souverains du monde devaient se réunir à Erfürt, pour une conférence; nous n'ajoutions pas grande foi à ces nouvelles, lorsque, le 18 de ce mois, le général de division Legrand reçut un courrier extraordinaire qui lui annonçait officiellement l'arrivée de Sa Majesté l'Empereur Alexandre et de Son Altesse le grand-duc Constantin. Les dispositions furent prises sur le champ pour recevoir et rendre les honneurs à ces illustres voyageurs.

Le 19, à 4 heures du matin; je partis du camp avec le 26° régiment et une batterie de six pièces de 8, pour me rendre à Neuenbourg (six lieues de distance). A peine y avais je pris poste qu'un officier de hussards vint au galop m'annoncer l'arrivée du Grand-Duc. Un quart-d'heure après le Prince parut. Je le fis saluer par 21 coups de canon. Son Altesse Impériale fit arrêter sa voiture à 50 pas de ma droite et descendit ; je mis aussitôt pied à terre et j'allai La recevoir. Les tambours battaient au Champ, la troupe avait l'arme présentée. Le Prince passa la revue du régiment. Je fis défiler, et exécuter quelques maniements d'armes et mouvements qui parurent lui faire beaucoup de plaisir. Je présentai le corps d'officiers, qui fut parfaitement accueilli. Le Granid-Duc daigna ensuite agréer mon dîner, et nous nous rendîmes à mon logement.

Le repas fui très gai et assez bon, parce que j'avais eu la précaution de faire suivre mon caisson et mon cuisinier avec des provisions. Les officiers supérieurs et les capitaines de la garde d'honneur avaient eu la permission de se mettre à table avec nous. Nous parlâmes de nos campagnes d'Italie, de la bataille de la Trebbie, de celle d'Austerlitz, Eylau, Heilsberg, etc., où le Prince avait combattu contre nous. Il reconnut deux


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officiers du 26e prisa Austerlitz, auxquels il avait fait rendre la liberté. Pendant près de quatre heures qu'il s'arrêta dans mon logement, l'excellente musique du régiment ne cessa de jouer. Il était accompagné d'un jeune prince russe dont j'ai oublié le nom, officier général et son aide de camp. A 5 heures et demie, Son Altesse Impériale monta en voiture, m'y fit placer à côté d'elle et me permit de l'accompagner jusqu'au premier poste. En nous séparant, le Grand-Duc me serra affectueusement les mains et me dit à plusieurs reprises qu'il espérait bien que nous ne nous ferions plus la guerre. Ce prince a 29 ans, il est parfaitement bien fait et à peu près de ma taille. Il aurait une très jolie figure, si son nez un peu court ne la défigurait un peu.

Le 21, à 2 heures de l'après-midi, on m'annonça l'Empereur Alexandre. Je le fis saluer par une salve de 15 coups par pièce. Je mis pied à terre et j'allai recevoir Sa Majesté au moment où Elle descendait de voiture. L'empereur passa la revue de la troupe qui lui rendit les mêmes honneurs qu'à son frère. Il se récria plusieurs fois sur la beauté des hommes et la belle tenue du régiment. Je fis défiler. A deux pas en deçà de Sa Majesté, chaque peloton la salua en criant : Vive l'Empereur Alexandre ! et à chaque peloton, l'Empereur mettait la main à son chapeau pour rendre le salut. J'obtins ensuite la permission de lui présenter les officiers. Lorsque le demi-cercle fut formé. Sa Majesté jetant un coup d'oeil sur moi et sur les officiers, nous dit : « Je « suis charmé, Messieurs, d'avoir le plaisir de vous voir et de « vous exprimer de vive voix combien je porte d'estime à l'ar« mée française ».

L'Empereur, accompagné de son Grand Maréchal du. Palais, daigna entrer dans mon logement et prendre quelques fruits, des biscuits et un verre de vin, ce qu'on juge ici et ce qui est en effet un honneur insigne. Dans la conversation, S. M. me dit entre autres choses que c'était sur le champ de bataille que les deux nations avaient appris à s'aimer et à s'estimer. On ne peut


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se faire une idée du ton de, bienveillance et d'aménité de l'Empereur envers moi. Sa Majesté a 30 ans, et 5 pieds 9 à 10 pouces de stature ; c'est un des plus beaux hommes que j'aie vus. Il n'est pas possible d'avoir une figure plus noble et plus intéressante. Les deux Princes sont blonds et ont les cheveux coupés; ils ont les manières françaises et parlent très bien notre langue sans aucun accent. Ils avaient passé la Vistule près de Mariewerder et avaient d'abord été reçus par le Général de Division Legrand.

Puisse l'entrevue des deux augustes Empereurs accélérer la paix générale !

Le général Ledru à M. Leprou, son beau-frère.

Vienne, 14 mai 1809.

L'armée française est encore une fois maîtresse de la capitale de l'Empire autrichien. Messieurs les Viennois ont voulu arrêter notre marche, et notre Empereur a eu la générosité de ne pas les perdre, comme il le pouvait; mais ils ont bientôt eu peur d'être brûlés et pillés, et hier, à midi, les portes ont été livrées à nos troupes ; nous occupions déjà les faubourgs, beaucoup plus considérables que la ville.

Il y avait, justement, un mois que je ne m'étais déshabillé; aussi m'a-t-il paru tout extraordinaire de coucher la nuit dernière dans un bon lit. Je n'avais pas fait de campagne plus fatigante, particulièrement sous le raport (sic) des marches. En quittant ses cantonnements, l'armée fit 22 lieues en 26 heures sans s'arrêter, pour aller surprendre l'ennemi dans sa position de Pfafen" hofen. Le lendemain, elle fit 12 lieues, et le surlendemain 15, pour passer l'lser à Landshaut avant le prince Charles. C'est ainsi que ce général a été déconcerté et son armée battue.

Le Corps du Maréchal Masséna a plus manoeuvré que combattu en Bavière, où il n'a eu que des affaires d'avant-garde ; mais ses manoeuvres ont amené les victoires d'Egmühl (sic) et de Ratis-


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bonne, en divisant, en coupant l'ennemi, en lui prenant ses magasins, ses bagages, etc., etc.

Le passage de l'Inn à Schärding par la 1re Division (Legrand), dont je commandais la 1re Brigade, a réussi sans, presque, aucune perte. Les Autrichiens en pleine retraite n'ont osé deffendre (sic) ni Offerding, ni Lintz ; mais ils ont tenté de nous arrêter au passage de la Traun, dans la position formidable d'Ebersberg, où ils avaient réuni 35.000 hommes et une nombreuse artillerie. Le 3 mai, vers midy, les grenadiers de la Division Claparède (corps d'Oudinot), faisant l'avant-garde, atteignirent l'arrière-garde ennemie au pont d'Ebersberg, la poussèrent, l'empêchèrent de couper ce pont et le passèrent avec la plus grande intrépidité en tuant ou jetant dans l'eau tout ce qui faisait résistance; mais, parvenus dans la ville qui n'offre d'autre débouché qu'une rue longue et étroite et dont l'extrémité est défendue par un vieux château bâti sur une hauteur à pic, fusillés, mitraillés à droite et à gauche, ils s'arrêtèrent. L'ennemi reprit l'offensive, et allait les culbuter dans la Traun et s'emparer du pont qui est étroit et long de plus de 200 toises, lorsque j'arrivai avec ma Brigade. Le Maréchal était venu luimême à ma rencontre pour hâter ma marche et m'avait expliqué en quelques mots ce que je devais faire.

Je passe le pont sous une grêle de balles et de boulets qui me tuent une centaine d'hommes. Le 18e régiment de ligne a ordre de tourner la petite ville par un sentier à droite. Avec le 25e d'Infanterie légère, je monte au château. Environ 1000 hommes du régiment de Jordis et de Croates remplissaient la cour, les galeries, les appartements et faisaient un feu terrible, sans aucun danger de leur part, par les fenêtres et les murs qu'ils avaient crénelés. Il fallait déboucher sous une voûte longue et étroite. La pluspart (sic) des premiers braves qui se présentèrent furent abattus, les trais officiers et 56 carabiniers de la 1re compagnie furent j tués ou gravement blessés. Le passage fut forcé, les portes des escaliers et des chambres enfoncés à


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coups de haches et de crosses, et tous les Autrichiens passés au fil de la bayonnette ou faits prisonniers. Je passe alors sous la deuxième voûte et je me développe dans la plaine.

Je n'avais encore que 3 bataillons, et l'ennemi me présentait, sur 5 lignes, à peu près 1500 hommes et plusieurs batteries. Deux charges de cavalerie font effort pour me culbuter : je les repousse; le général Legraud me joint alors avec deux bataillons du 18e et les chasseurs badois. Cependant les obus avaient incendié le château et la ville, au point qu'il était impossible de faire retraite et de recevoir du renfort ; l'artillerie et 4800 cuirassiers qui nous suivaient ne peuvent passer. Les Divisions Saint-Cyr, Taraud et Boudet, sont également arrêtées sur la rive gauche. Les Autrichiens, avec tant soit peu de résolution, devaient prendre toute ma brigade et ce qui restait des grenadiers Claparède, mais notre audace les avait démoralisés au point que leurs officiers ne pouvaient les décider à prendre l'offensive.

Je n'étais qu'à trente pas de leur première ligne ; nos voltigeurs éparpillés liraient à coup sûr dans leurs masses et y tuaient beaucoup de monde. Le 18e marche en bataille et l'arme au bras pour soutenir ses tirailleurs ; un bataillon du 26e et les chasseurs badois gagnent la lizière. du bois pour tourner et déborder, et nous avons le plaisir de voir toute l'armée autrichienne marcher en grande hâte par sa droite pour gagner la chaussée d'Enns, que nous menacions de lui couper. Sa retraite n'est bientôt plus qu'une déroute ; avec une batterie d'artillerie légère et une brigade de cavalerie, on pouvait lui prendre la moitié de son armée. La nuit a mis fin à cette action. Le 9e de hussards est arrivé, mais il était trop tard. Cette journée coûte à l'ennemi plus de 4000 prisonniers, sans compter ses tués et ses blessés. De mon côté, j'ai perdu plus de 600 hommes hors de combat, parmi lesquels un chef de bataillon, 4 capitaines et une dizaine de très bons officiers. J'ai été couvert du sang de mes braves, qui tombaient près de moi et me roulaient autour des jambes, au passage de la première voûte du château, mais je


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n'ai point été touché. Ma Brigade s'est acquis le plus grand honneur; les généraux des autres Divisions m'ont félicité et embrassé.

Le 5 mai, l'Empereur a passé la revue de la Division et lui a dit des choses flatteuses. Il a accordé des décorations, des pensions, des domaines en Westphalie et des titres de noblesse. M. Marphy, mon aide de camp, a obtenu la croix de la Légion; deux croix ont été données au bataillon de chasseurs badois.

Depuis cette époque, l'ennemi n'a osé tenir nulle part, et nous sommes arrivés presque sans coup férir sous les murs de Vienne. Je désire pouvoir m'y reposer quelques jours. La santé la plus robuste peut à peine tenir contre tant de fatigues et de privations, et cependant je commence à me casser ; toujours sous les drapeaux, jamais dans les Etats-majors, que j'ai dédaignés. J'ai fait la guerre d'une manière trop active pour mes forces.

(Adresse : à la 1re Division du 4e Corps de l'armée d'Allemagne).

Extrait du 5e Bulletin.

« Le 3 (mai), le duc d'istrie et le général Oudinot se dirigè«

dirigè« sur Ebersberg et firent leur jonction avec le duc de Ri"

Ri" Ils rencontrèrent en avant d'Ebersberg l'arrière-garde « des Autrichiens. Les intrépides bataillons des tirailleurs du Pô

« et des tirailleurs corses poursuivaient l'ennemi qui passait le

« pont, culbutant dans la rivière les canons, les chariots, 800 à

« 900 hommes, et prirent dans la ville 8000 à 9000 hommes

« que l'ennemi y avait laissés pour la défense. Le général Cla«

Cla« dont les bataillons faisaient l'avant-garde, les suivait;

« il déboucha à Ebersberg et trouva 30.000 Autrichiens occu«

occu« une superbe position. Le Maréchal duc d'istrie passait

« le pont avec la cavalerie pour soutenir la Division, et le duc

« de Rivoli ordonnait d'appuyer son avant-garde par le Corps

« d'armée. Ces restes du Corps du prince Louis et du général


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« Hisser étaient perdus sans ressource. Bans cette extrémité, « l'ennemi avait mis le feu à la ville, qui est construite en bois. « Le feu s'étendit en un instant partout ; le pont fut bientôt en« combré, et l'incendie gagna même jusqu'aux premières travées ce qu'on fut obligé de couper pour le conserver. Cavalerie, in« fanterie, rien ne put déboucher, et la Division Claparède, « seule, et n'ayant que 4 pièces de canon, lutta pendant trois « heures contre 30.000 ennemis. Cette action d'Ebersberg est « un des plus beaux faits d'armes dont l'histoire puisse conser« ver le souvenir.

« L'ennemi, voyant que la Division Claparède était sans « communications, avança trois fois sur elle, et fut toujours « arrêté et reçu par les bayonnettes. Enfin, après un travail de « trois heures, on parvint à détourner les flammes et à ouvrir « un passage.

« Le général de Division, avec le 25e d'Infanterie légère et le « 18° de ligne, se porta sur le château que l'ennemi avait fait « occuper par 800 hommes. Les sappeurs (sic) enfoncent les « portes, et l'incendie ayant gagné le château, tout ce qu'il ren« fermait y périt.

« Le général Legrand marcha ensuite au secours de la Divi« vision Claparède. Le général Durosnel, qui venait par la rive ce droite, avec un millier de chevaux, se joignit à lui, et l'ennemi « fut obligé de se mettre en retraite en toute hâte. Au premier ce bruit de ces événements, l'Empereur avait marché lui-même « par la rive droite avec les Divisions Nansouti et Molitor.

« L'ennemi, qui se retirait avec la plus grande rapidité, arec riva la nuit à Enns, brûla le pont et continua sa fuite par la ce rouie de Vienne. Sa perte consiste en 12.000 hommes, dont ce 7.800 prisonniers, 4 pièces de canon et deux drapeaux.

« La Division Claparède, qui fait partie des grenadiers d'Ouce dinot, s'est couverte de gloire, etc., etc.. »


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Lettre du général Ledru, du 6 mai 1840 (1).

Messieurs,

Je lis dans votre biographie du général Claparède, publiée dans la... livraison de votre ouvrage, un passage contre lequel je suis intéressé à réclamer. L'auteur de la notice attribue à la Division Claparède l'honneur de la prise du château d'Ebersberg, honneur que je revendique pour la Brigade que je commandais. Je vois que cet auteur se fonde sur un Bulletin de la grande Armée, qui, ayant été publié officiellement, peut avoir été accueilli comme un document authentique; mais j'affirme et je suis en état de prouver par les témoignages les plus dignes de foi : 1° que les faits consignés dans le Bulletin sont inexactement rapportés en ce qui concerne la prise de vive force du château ; 2° que le Bulletin lui-même ne peut émaner d'une autorité compétente, car aucun rapport n'a été fait par le général Legrand, commandant la Division dont ma Brigade faisait partie.

La vérité sur cette affaire se trouve toute entière et sans altération dans les notes ci-jointes, dont vous pouvez faire usage dans la notice que vous vous proposez de me consacrer. Je recommande ces renseignements à votre impartialité.

(Cette protestation du général Ledru m'a semblé assez énergique pour dissiper tous les doutes. On peut la comparer avec le récit de celte affaire d'Ebersberg que l'on trouve dans le Moniteur du 8 mai 1844, et qui est tout à la louange de notre général) (2).

Le général Ledru à sa soeur.

Au Camp, sous Vienne, 27 mai 1809. J'ai dernièrement écrit une lettre détaillée à Leprou. Depuis

(1) Je donne cette lettre telle que je la trouve dans le dossier ; elle ne contient pas d'autres indications que celles qu'on va lire.

(2) Cf. Thiers, Le Consulat et l'Empire, liv. XVIIe, intitulé WAGRAM ; et la lettre suivante.


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cette époque, le corps d'armée du Danube, de réserve, a passé sur la rive gauche du fleuve, et a eu, dans les journées des 21 et 22, un engagement aussi meurtrier qu'opiniâtre avec l'ennemi six fois plus nombreux et muni d'une immense artillerie. Notre pont de bateaux ayant été rompu, notre artillerie n'a pu passer qu'en très petite quantité, et plusieurs corps d'armée, que nous avions sur la rive droite ont été spectateurs du combat sans pouvoir venir y prendre part. L'ennemi a fait tous ses efforts pour nous forcer dans nos positions et n'a pu réussir à nous faire perdre un pouce de terre. Des colonnes de 7000 a 8000 hommes se lancèrent contre un seul régiment et ne l'entamèrent point. Jamais l'armée française n'a mieux prouvé sa supériorité d'audace, de manoeuvre et d'énergie.

Ma Brigade a pendant deux jours combattu à la gauche de l'armée. C'était le point capital, celui par où les Autrichiens se sont constamment efforcés de pénétrer pour arriver à la petite branche du Danube sur laquelle était notre troisième pont. Le village d'Aspern, qui faisait en cet endroit le grand sujet de la querelle, n'est plus qu'un monceau de cendres encombrées de cadavres. Cinq fois j'en chassai l'ennemi, avec les 26° et 18° régiments.. A la fin, les flammes n'ont permis à personne de l'occuper. Les deux colonels de ma Brigade sont gravement blessés ; mes meilleurs officiers ont été moissonnés, et pourtant notre perte n'est pas considérable. J'ai reçu deux contusions, mon cheval deux balles. Je me porte bien.

Nous sommes toujours en présence. Le Bulletin te donnera les détails. A propos du Bulletin, M. le Maréchal Masséna, duc de Rivoli, a témoigné son mécontentement sur l'infidélité de celui qui rend compte du combat d'Eb.... (ersborg), où il semblait que son corps, c'est-à-dire ma seule Brigade, n'a fait que peu de chose, tandis que c'est elle qui a sauvé la Division Claparède, qui n'est point allée au delà du pont. C'est moi qui ai forcé le château et débouché dans la plaine avec cinq bataillons devant une armée. L'incendie n'a éclaté qu'après mon passage.


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800 hommes ont été faits prisonniers dans le château; ils n'ont point été brûlés; les flammes n'ont atteint que les morts et les blessés. Les détails que j'ai donnés sont d'une exacte vérité.

Je m'ennuie depuis longtemps, ma chère amie, de te parler de guerre. Je, vieillis et ma santé s'en va. Il me tarde de devenir le compagnon de ton mari et de rivaliser avec lui de jardinage, de planter. Tu me parles de châteaux auxquels je n'ai jamais songé. Je crois que ma valise me suffira, n'ayant besoin que de repos. Tu le sais, je n'ai jamais eu un instant de loisir et de tranquillité. Si l'honneur me le permettait, je me retirerais pour jouir un peu de l'existence et me livrer à mes goûts particuliers.

Le général Ledru à son frère.

Au camp, sous Vienne, 8 Juin 1809.

L'Empereur en passant dernièrement près de ma Brigade, m'aperçut, détourna son cheval, vint à moi et daigna me dire des choses extrêmement obligeantes, entre autres : « On m'a ce dit que vous étiez blessé, j'en étais fâché, je suis bien aise de ce vous voir bien portant ». Deux jours après, le prince viceconnétable m'écrivit que sa Majesté m'avait nommé Chevalier de l'ordre royal de la Couronne du Fer. Ainsi, je porte à présent deux décorations. Ma nouvelle croix est très jolie : c'est un aigle tenant une couronne dans ses serres. Le ruban est orange, liseré de vert. Si je trouve un bon graveur à Vienne, je ferai faire un nouveau cachet pour ajouter cet ornement à mes armes. Lorsque le grand chancelier m'aura fait passer mon titre, je te l'adresserai et tu en seras dépositaire.

M. le docteur Fion, qui a épousé une demoiselle de La Flèche, est venu me voir ; il a fait hier un mauvais dîner dans ma barraque (sic). Nous avons cependant bu une bouteille de bon vin rouge de Hongrie à la santé de Mad. Fion et à la tienne...


— 128 — Du même au même.

11 Juillet 1809.

Après la bataille d'Esling, où j'avais reçu une contusion à la poitrine, je fis l'arrière-garde pour entrer dans la grande isle du Danube et je ne passai le bras de ce fleuve que le 23 (juin) à 7 heures du matin, c'est-à-dire le dernier, et le pont fut rompu presque sous mes pieds. Lorsque l'Empereur a voulu recommencer les opérations offensives le 30 juin, c'est encore ma Brigade qui a eu l'honneur de passer le fleuve la première et de tirer le premier coup de fusil. Mais cet honneur m'a valu cette fois d'être emporté sur deux fusils 'par quatre carabiniers jusqu'à ce que je fusse un peu revenu à moi. Tout ce qui me fâche, c'est qu'une méchante affaire, où je n'ai pas eu 30 hommes touchés, m'ait privé de l'avantage de me battre aux journées célèbres des 5 et 6, dont le Bulletin t'a maintenant rendu compte.

Le général Ledru à son beau-frère.

Vienne, 24 Août 1809.

Le 15 Août, jour de la fête de l'Empereur, je me suis présenté au cercla de la Cour, C'était aussi le jour de ma naissance. Sa Majesté a daigné m'accueillir avecune distinction et une bienveillance extrêmement honorable, en s'informant de ma santé et des détails de ma blessure, et de ma convalescence.

Une foule immense remplissait les appartements du palais et présentait des pétitions. Je n'ai rien demandé pour moi ; mais, ce jour-là, l'Empereur a rendu un décret qui m'accorde un domaine de 10.000 livres de rentes. Son Altesse le prince viceconnétable vient de me l'annoncer officiellement. Tu peux juger de la surprise et du plaisir que cette nouvelle m'a causé. Je pense qu'elle te fera éprouver la même sensation, ainsi que ma bonne soeur; aussi m'empressè-je de te l'apprendre.


Ouvrages offerts à la Bibliothèque en 1909.

Delaunay. - La Maternité de Paris.

Dupas. - Le vétérinaire militaire Constant-Pierre-Louis Chauvin

(1825-1870). Sa correspondance de campagne.

Duval. - La Société royale d'agriculture de la Généralité d'Aleçon.

Erard. - Souvenirs d'un Mobile de la Sarthe, 2e édition.

Fleury. - Nouveaux portraits de la famille Denisot.

Grosse-Duperon. - Album de Mayenne.

- Documents sur la ville de Mayenne. - Deux excursions au pays de Saulges.

- Excursion à la chapelle de la Vallée, près de

Mayenne.

- La Madeleine, à Mayenne.

- La Triballe, à Mayenne.

- L'ancien Hôtel-Dieu de Mayenne.

- Le château d'Aron et ses grosses forges.

- Le couvent des Capucins, à Mayenne.

- Le duché de Mayenne.

- Le manoir de Torbechet.

- Le préau du château de Mayenne avant la RevoXIXe

RevoXIXe

- Les chapelleries de Mayenne avant la Révolution.

Révolution.

- Les usages de la forêt de Mayenne. - Noms des chefs de maison des paroisses de Mayenne à la veille de la Révolution.

- Souvenirs du vieux Mayenne. Ville et pays de Mayenne.

Grosse-Duperon et Gouvrion. - L'abbaye de Fontaine-Daniel. - - Cartulaire de l'abbaye cistercienne

cistercienne Fontaine-Daniel.

Léveillé. - Carices et Filices Sachalinerses novae. - Decades plantarum novarum. - Les thyms à odeur de citronelle.

Monnoyer. - Annuaire administratif de la Sarthe pour 1909. Société français d'Archéologie. - Congrès archéologique de

France, 74e session, tenue à Avallon en 1907.


TABLE DES MATIERES

DU 1er FASCICULE (1909 et 1910)

Pages

Liste des membres de la Société .... ............... 5

Migrations d'une Bibliothèque, par M. GENTIL, membre titulaire. 13

L'Obstétrique dans le Maine et dans le département de la Sarthe

aux XVIII° et XIX° siècles, par M. DELAUNAY, membre titulaire. 33

Impressions poétiques, par M. DAGUET, membre titulaire ........ 83 Le général François-Roch Ledru, baron des Essarts, par M. REBUT, membre titulaire (suite)................... .......... 89