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Titre : Le Pays bas-normand : société historique, archéologique, littéraire, artistique et scientifique : revue trimestrielle

Auteur : Le Pays bas-normand. Auteur du texte

Éditeur : Le Pays bas-normand (Flers)

Date d'édition : 1911-04-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32834385n

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32834385n/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 1802

Description : 01 avril 1911

Description : 1911/04/01 (A4,N2)-1911/06/30.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Basse-Normandie

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k57217214

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-223992

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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Qautrième Année. N° 8

Avril - Mai - Juin 1911

LE PAYS BAS-NORMAND

ET ENVIRONS

Société historique historique

REVUE TRIMESTRIELLE

Hier et Aujourd'hui

A. des R.

REDACTION ET ADMINISTRATION ABONNEMENTS



LE PAYS BAS-NORMAND


SOMMAIRE

A. SURVILLE. — Histoire féodale de Saint-Bômer (Suite).

R. GALLET. — De Souk Arras à Tunis.

Ed. DE MARCÈRE. — Jules Simon et la Bretagne.

A. SURVILLE. — Les Armes de Flers.

G.-G. MAUVIEL. — Labeur de Poète (Poésie).

Mme Marguerite HAMARD. — Les Rameaux.

Ch. PORQUET. — La Révolution de 1830 à Vire.

Mme F. SCHALCK DE LA FAVERIE. — Romance (Poésie).

A. LEMAITRE. — Vire et la Région Viroise (Suite).

BIBLIOGRAPHIE : La Normandie, par Henri Prentout.

ILLUSTRATION : Les Armes de Flers, en couleurs, hors

texte.


Revue Trimestrielle

FLERS (ORNE)


Bureau du « PAYS BAS-NORMAND "

MM.

Président d'honneur J. SALLES, Maire, Conseiller Général.

Président Auguste LELIÈVRE.

Vice-Présidents.. RENAULT, Professeur.

Eugène FOUCAULT.

Secrétaire-Archiviste. SURVILLE, Bibliothécaire.

Secrétaire de la Rédaction. Pierre CAILLOT, Professeur.

Trésorier H. GRAINDORGE, Imprimeur.

Membres MOREL, Notaire.

Louis AMIARD, Architecte.

W. CHALLEMEL, de la Ferté-Macé

L'Abbé HAMARD, de Chanu.


Histoire féodale de Saint-Bômer

(Suite)

PIECES JUSTIFICATIVES

I

28 Février 1490. — Aveu du fief de Saint-Bômer, rendu à René duc d'Alençon par Ancelme de Saint-Bômer.

De très haut et très puissant prince et très redouté seigneur Monseigneur René duc d'Alençon, comte du Perche, vicomte de Beaumont, en sa chastellenie de Dompfront en Passais, confesse et advoue tenir à foy et hommage Ancelme de Saint-Bosmer, chevallier, pour luy et les siens et ses puisnés et tenants, c'est ascavoir : le fief, domeine et territoire de Saint-Bosmer et tenemens qui en dépendent ès environs du bourg, comme autresfois fut à mes devanciers, avec ses dignités, franchises et privilèges, contenant deux cens journées de terre ou plus, tant en manoir, bois de futaye, garennes à connilz, terres et hebergemens, le tout en un tenant, assis en lad. paroisse de Saint-Bosmer, et sont mes puisnés desnommés comme il ensuit : Thomas Morel escuyer, Collin Blondel, Michel Nobis, Pierre Barbotte, messire Robert Bidaut pbre, Robin Pellier, Simon Fourray, Jacob Vivier et Jean Hamard. Et sont assis en iceluy fief l'église paroissiale, chapelle monsieur Saint-Pierre, et cymettière, attenant les estraiges de mondit manoir, le presbytère, granges dixmeresses et aumosnes du don de mes devanciers jadis fondeurs du tout et du tiltre. Avec ay libertés, droictures et prééminences en ladite églize et chanceau devant les aultres communs, subrogé au droict, tiltre et ligne du fondeur que autrement, et sy ay droict d'enterraige au chanceau pour les causes dessus. Sont en moud. fief trois estangs sur chemin royal à bonde levée, bois de haulte futaye, garennes à connilz. Ay droict de prendre, cueillir et lever es environs dud. cymettière la coustume et estallages des marchandz qui estallent


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et vendent leurs marchandizes and. fief et sur toutes et chascunes les pipes de vin et de cildres en aultres vaisseaux à l'advenant, qui seront vendus en destail and. fief, c'est asscavoir : la première pinte de vin et le premier pot de cildres chascun en son esgalité, qui seront apreciés et mins à prix convenable chacun à sa raison et sy mesd. tenants et puisnés pouvons aller mouldre les bledz croissantz sur le fief et fouler les sarges et bureaux où il nous plaist, francs et quittes de coustumes par toute la chastellenie dudict Dompfront, francs et libres en la forrest d'Andeine à prendre tout bois pour amesnager et réparer sans merc, montrée ny livraige du maistre ny du verdier de lad. forest, et à tout bois brisé, versé et voilé, bois mort et mort bois, pierre sur terre et fourrée, droict de segreer (segriées ou segrées = s'égarer, parcourir), francs aux pasnages et herbaiges de lad. forest d'Andeine, pourveu que les bestes porchines soient de leur nourriture ou par eux achaptées auparavant la fête de saint Jean-Baptiste précédent ledit parnage. Et à raison des choses dessusdites, sont tenus d'en fere et payer d'an en an, à la recepte ordinaire de mondit seigneur, dix huict deniers de rente au ternie de Toussaincts, passants par la main du prevost dud. fief, sans plus en fere ny payer. Et ne prennent l'abbé et couvent de Lonlay aucunes droictures ny dixmes sur ledit fief et dépendances d'icelluy, sinon dud. lieu de SaintBosmer, par aumosnes de mes prédécesseurs. Et sont mesd. domeines comprins, jouxtés et bornés par les chemins qui fourchent au bout de l'aumosne Morel près Fonteine-Bouillant, tendant l'un des deux chemins jusques à un petit chemin tendant de Vaujuois à l'église, par entre les aumosnes maintenant possédées par messire Nicolle Poussard, curé de Saint-Bômer, rendant entre les terres de la Maignannière à la Fonteine de Roubesnier, et de lad. fonteine le ruisseau issant d'icelle se pourporte par la planche Le Maignan à la planche Barbotte jusques à viron les maisons de la Villandière rendant au chemin qui tend des Forges à SaintBosmer, et dudit chemin rendant par entre les terres de la Maladrie et le grand chemin de dessus, comme il se pourporte, rendant à l'autre grand chemin qui tend dud. lieu des Forges à Dompfront par le bois Blondel, et d'autre costé à l'autre grand chemin qui fourche à Fonteine-Bouillant comme devant predict. Rem, outre les terres cy dessus, en sont tenus deux autres heritaiges dépendant dud. fief, l'un nommé la Brionnière, dont ledit Le Breton est tenant à pourport de fief, contenant trente journées de terre ou environ, joignant d'un heur aux terres de Courière, d'autre aux terres aux Hamards, d'un bout au bois Houdet, d'autre au chemin de Dompfront ; et l'autre nommé la Maignannière dont led. Robin Pellier est tenant à cause de sa femme, contenant vingt cinq journées de terre ou environ, tant à labour qu'en prey, aussy à pourport de fief, jouxte d'un costé aux terres dud. domeine de


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Saint-Bosmer et les aumosnes et prey au pbre, d'autre costé les terres de la Bouverière, d'un bout aux terres de Launay Barbotte, d'autre costé au grand chemin tendant au Vaudepréaux.

Lequel adveu presenté par moy fut signé le derrain jour de febvrier l'an de nostre salut mil CCCC IIIIXX et dix.

(Signé) A. de Saint-Bosmer, avec paraphe.

Es assises de Dompfront tenues aud. lieu par nous Jean Cousin, escuyer, lieutenant en lad. vicomté de noble seigneur monsieur le bailly d'Alençon, et commins pour lesd. assizes tenir, le treziesme jour de may l'an mil quatre cent quatre vingts unze, l'adveu dud. de Saint-Bosmer, escuyer, fut confessé, recongneu et déclaré, dont lettre luy fut octoyée. Receu saouf à blasmer.

(Signé) Coignard, avec paraphe.

(D'après une copie du XVIIe siècle, provenant du chartrier de la Bouverière).


II

22 Juin 1404. — Aveu du fief de la Nocherie, rendu au Comte d'Alençon par Jean de la Poterie, seigneur du lieu.

De noble et puissant prince Monseigneur le Comte d'Alençon, avoue a tenir Jehan de la Poterie, escuier, seigneur de la Nocherie, à cause de Penette Rousée, sa fame, c'est ascavoir : ledit fieu de la Nocherie, avecques toutes ses appartenances, tenu franchement à court et usaige et gage pleige, lequel je tiens de mond. seigneur à foy et homaige par un fieu de haubert, et en suys tenu fere à cause dud. fieu quarante jours de garde à la tour de la Poterne, en la ville de Dompfront. Et ainsy je suys franc ès forez de Passays et d'Andaine tant advoir boys brisé et voilé, pierre sur terre et à la fougère, que pour mettre mes bestes porchines et aumailles sans nombre, en la pesson et herbaige desdictes forez sans en poier pasnages ne herbages. Auquel fieu il y a domaine, rentes eu deniers, oyseaulx, oeufs, corvées et places de moulins tant à blés que foulleur, avecques plusieurs estangs et pescheries. Duquel fieu est tenu le fieu de Torchamp, avecques toutes ses appartenances, tenu franchement à court et usaige et gage plege, par un tiers de fieu de haubert, et moy en suys tenu fere foy et homaige et tous les droitz adce appartenans. Rem dudit fieu de la Nocherie est tenu le fieu de Sainct Denis, avecques toutes ses appartenances à gage et plege pour un fieu d'escu et de lance ; duquel fieu moy est tenu fere foy et homaige et tous les droitz adce appartenans, et se aucun desditz fieuz cheoient en garde, laquelle m'en appartient. Et suys tenu à cause de mondit fieu à estre present et apprecier les pasnages desdictes forestz et aux prochains pieds des pasnages ensuivents iceux pasnages, pour ayder à adjuger les matières offrantes auxd. pieds à cause desd. pasnaiges, et doiz avoir pour chascun jour de pasnage quatre solz tournois et le jour des pieds autant. Item semblablement tenu franc èsd. forez pour cause et par raison de ma metairie de la Mansellière, assise en la parroisse de Sainct Bosmer ; de laquelle métairie de la Mansellière, je suys tenu à amener le boys du pont du chastel avecques les autres franchers, qui sont semblablement subjectz à aider amener le boys quand le cas s'offre. Rem je. avoue à tenir de mond. seigneur, à la cause dessus dicte, le fieu du Fougeray, avecques


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toutes ses appartenances, tenu franchement à court et usaige et gage piège, lequel je tiens de mond. seigneur à foy et homaige par un quart de fieu de haubert, et en suys tenu fere à mond. seigneur, à cause dud. fieu quatre solz tournois de rente au terme de l'Angevine. Auquel fieu il y a rentes en deniers, oyseaulx, oeufs et moulin à blé.

Donné sous le sceel de Guillaume Bigot, lieutenant général de Jehan Guesny, bailly d"Alençon, le XXIIe jour de juign l'an mil quatre cent et cinq.


III

1664. — Inventaire des titres produits par dame Marie des Moulins, veuve de Henry de Jumilly. écuyer, seigneur du lieu et des fiefs. nobles de la Nocherie, Brésil, Saint-Bômer, et à cause de ce dernier fief fondateur et seigneur honoraire des églises de ladite paroisse, conseiller du Roy, lieutenant général du bailly d'Alençon en la vicomté de Domfront. tutrice ayant la garde noble de Henri-Claude de Jumilly, son fils, reprenant le procès en l'état qu'il avait été laissé par le feu sieur son mari ;

Contre Gabriel de Neuville, appelant de sentence rendue par le bailly d'Alençon au siège de Domfront le 6 mai 1656 ;

En la présence des sieurs prieur, religieux et couvent de l'abbaye de Lonlay, ajournés instance dudit sieur de Neuville ;

Pour faire dire et juger que ladite dame de Jumilly et son fils seront maintenus en lap ossession et jouissance des prééminences, prérogatives et droits honorifiques de ladite paroisse de Saint-Bômer ; ce faisant, permis à eux faire apposer leurs armoiries sur la cloche qui a donné lieu au procès ; faire défenses audit de Neuville et tous autres de les troubler à l'avenir, à peine de 3.000 livres d'amende, et envoyer les religieux de Lonlay hors de cour et de procès (1)

ORIGINE DU CONFLIT. — Une contestation survint en 1656, entre les paroissiens cl le curé de Saint-Bômer, qui était pour lors procureur-marguillier et syndic, louchant la refonte et nomination d'une des cloches qui était cassée, plusieurs paroissiens prétendant faire apposer leurs noms sur ladite cloche. La contestation fut portée à l'audience du bailliage de Domfront. Le sieur Jumilly, patron fondateur, intervint, revendiquant la prérogative de faire placer ses qualités et armoiries sur ladite cloche, privativement à tous autres. Par sentence du 6 mai 1656, le sieur de Jumilly obtint gain de cause. C'est de cette sentence que les sieurs curé, paroissiens et seigneur de la Fresnaye ont porté appel.

Cet appel lait que depuis plus de huit ou neuf ans entiers, le public d'une paroisse qui a sept grandes lieues de circuit, en pays

(1) Nous nous sommes borné à mettre un peu d'ordre dans ce long Factum, et à en élaguer les répétitions et les passages étrangers à l'histoire,


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de bocage, où les maisons sont éparses çà et là, ne souffre pas peu d'incommodité et le culte divin de préjudice par la privation des trompettes qui doivent incessamment appeler et avertir les fidèles. Une grande église paroissiale est réduite à l'imitation des monastères mendiants.

EXPOSÉ HISTORIQUE.— En la paroisse de Saint-Bômer, située à une lieue de Domfront, il y a plusieurs fiefs nobles de différentes qualités, tous mouvants de la châtellenie de Domfront, autrefois possédés par les vidâmes du pays de Passais, puis par les comtes d'Alençon et du Perche, et enfin par les rois depuis la réunion du duché d'Alençon à la couronne. Entre lesquels fiefs celui de la Nocherie est de la plus grande étendue, plein fief de haubert, duquel relèvent trois autres fiefs formés en autres paroisses, du nombre des sept premiers qui sont les membres formant la châtellenie de Domfront, appelés tous les ans en rang et ordre aux ventes et adjudications des bois, glands et panages des forêts, comme jugeurs anciens.

Celui de Jumilly a aussi toutes les marques d'une terre noble bien qualifiée, soit à raison de ses mouvances, qui s'étendent en domaines fieffés et non fieffés le long de ladite paroisse et en colle de la Haute-Chapelle, soit à cause de ses bois de haute futaye et autres décorations, qui sont autant de témoignages apparents de la dignité de ladite terre ; laquelle sert de corps principal aux fiefs nobles de Saint-Bômer et du Brésil, réunis à icelle par les formes requises, et qui composent présentement un plein fief de haubert.

Celui du Brésil comprend sous sa mouvance une autre partie de ladite paroisse, depuis le ruisseau qui lui donne le nom jusqu'à la rivière de Varenne, qui sépare la vicomte de Domfront de celles de Vire et Argentan ; l'antiquité duquel fief se peut induire du procès-verbal dressé en l'an 1177, sous le règne du roi Louis VII, par les doyen, chanoines et chapitre de l'église collégiale et chapelle royale de Saint-Fraimbourg de Senlis, présence de Henri, évoque de Senlis, Simon, évoque de Meaux, des abbés de Longpont, Châlis etPortian, et du cardinal de Saipt-Chrysogone, légat du Saint-Siège, touchant la canonisation et translation des reliques et ossements du bienheureux Bômer, fils de Villeraire, duc d'Aquitaine, lequel vécut sous le règne de Clotaire 1er, et habita plusieurs années en la paroisse maintenant appelée de son nom, sur le bord du ruisseau de Brésil, près le Val-Saint-Bômer, où il édifia une petite chapelle en l'honneur de Saint-Pierre. Saint-Bômer fut inhumé au pied de l'autel, après avoir souffert le martyre pour la foi qu'il planta dans le pays, par jugement de Rioult. de La Ferrière, Flambart de Monchauveau et Vinfer de la Filochère. Ce qui est justifié par les actes de la vie de ce saint, l'extrait du martyrologe anglican les titres généalogiques de l'ancienne maison de La Ferrière, dans lesquels est fait mention d'un vieux registre de l'an 868,


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où est rapporté que le martyre du pieux saint Borner fut ordonné par les nobles susnommés, qui avaient pour lors le pouvoir de juger, comme barons et sénéchaux.

Et pour le fief appelé Saint-Bômer, qui est de constitution première un demi-fief de haubert divisé, dont l'autre démi-fief fut possédé par Aveline-le-Maignan, auquel il avait passé par alliance de femme, il est le plus ancien de tous ceux de la paroisse ; l'église paroissiale, le cimetière, le presbytère, la grange dîmeresse et les aumônes de la cure y sont assis. Il fut possédé par la famille du même nom jusqu'à ce qu'il fut divisé une seconde fois entre les demoiselles Ernière, Jeanne, Françoise et Marguerite de SaintBômer, soeurs, filles de Jean de Saint-Bômer, chevalier, seigneur dudit lieu, Saint-Elienne de La Carneille et Heudicourt, en Picardie; ses deux fils, Guyon et Michel; s'étant contentés de prendre en partage ces dernières terres et seigneuries éloignées, éloignées, du nombre desquelles la Carneille fut confisquée en l'an 1600 sur Gabriel de Saint-Bômer, seigneur dudit lieu, de Mille-Savates, de Landigou et autres lieux, petit-fils dudit Jean, pour avoir brisé à main forte les prisons du comte de Harcourt, son suzerain. Duquel Gabriel sortit Nicolas de Saint-Bômer, naguère bailli vicomtal de lad. terre de la Carneille, sous la mouvance de laquelle il a toujours possédé celle de la Bourdonnière et tout son patrimoine restant du débris de la confiscation, jusqu'à sept ou huit ans en çà qu'il est décédé et n'a laissé pour héritier qu'un frère prêtre, encore vivant.

POINTS DÉTERMINANTS. — Le fief de Saint-Bômer est celui qui donne lieu à la question pendante entre les parlies, laquelle se réduit à trois points, savoir : 1° si les anciens seigneurs de ce fief étaient patrons de la paroisse; 2° si la dame de Jumilly et son fils possèdent les parties qui composent ledit fief; 3° s'il était au pouvoir du roi de le rétablir dans ses prérogatives originaires.

I. — Sur le premier point, il est justifié par titres authentiques et certains que depuis l'an 1200 et auparavant, jusqu'après 1513, il y a eu une famille appelée de Saint-Bômer, qui a toujours pris et porté le litre de seigneur de ladite paroisse; que depuis 1513, époque à laquelle décéda Jean de Saint-Bômer, chevalier, seigneur dudit lieu, surnommé le Picard, à raison du long séjour qu'il avait fait en sa terre de Heudicourt, en Picardie, dépendant du patrimoine de la dame sa femme, ceux qui épousèrent leurs filles, les More), les Juhé de la Perruche et les Çochard de la Cochardière, ont toujours porté la qualité de seigneurs de Saint-Bômer, joui des honneurs, commandé pendant les troubles et réclamé la paroisse comme la leur, quoiqu'il y eût d'autres gentilshommes puissants possédant des fiefs dans la paroisse, tels que les d'Harcourt,


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d'Oilliamson, de la Potterie, de Jumilly et autres, capables de contester les qualités et prééminences des propriétaires du fief de Saint-Bômer, si ces derniers n'avaient pas été les vrais seigneurs et légitimes patrons honoraires de ladite paroisse dès l'instant qu'elle fut fondée, et auparavant que l'érection des fiefs fût connue.

II. — Le second point s'appuie sur ce que l'église, le cimetière, le presbytère et ses dépendances, ainsi que tout le bourg, étant situés dans l'enclave de l'ancien fief, l'apparence est tout entière que les possesseurs anciens de ce fief sont les patrons fondateurs, auxquels les honneurs et prééminences appartiennent, privativement à tous autres possédant fiefs dans la paroisse. Preuves à l'appui :

1° Un titre sur vélin, en lettres gothiques, daté du 4 des idès d'avril 1307, par lequel se voit que l'église ou chapelle Saint-Pierre, qui est la primitive de la paroisse de Saint-Bômer, étant tombée en ruines de fond en comble par la vétusté, les paroissiens présentèrent leur requête au doyen de Passais, parce que pour lors il n'y avait point encore d'officialitô à Domfront ; ensuite de quoi il avait été conclu et arrêté par une délibération publique, faite au son de la cloche, dans le cimetière, que messire Yvon de Saint-Bômer, chevalier, et Ancelotte (ou Nicole) de la Potterie, son épouse, seigneur et dame temporels dudit lieu de Saint-Bômer, à l'exemple de leurs prédécesseurs, feraient réédifier de leurs facultés et de leurs biens propres ladite église primitive, en laquelle seraient faites à perpétuité prières et oraisons pour le salut de leurs âmes, dont acte public leur serait délivré pour monument à la postérité ;

2° Une donation, passée devant Gaudin et Rabaut, tabellions, le 5 août 1485, en faveur des églises Saint-Pierre et Saint Bômer, par noble chevalier Anselme de Saint-Bômer, seigneur dudit lieu ;

3° Donation de 100 sous de rente sur le domaine de SaintBômer, qui fut à Jean le Picard, faite par dame Marguerite de Saint-Bômer, par contrat d'août 1541 ; avec plusieurs autres dons faits aux églises dud. lieu par les ancêtres de ladite dame :

4° Liasse de vieux contrats beaucoup effacés, faisant mention des dons et aumônes faits par les anciens seigneurs de SaintBômer ; les uns en latin, les autres en français, au nombre de 13.

Et pour faire voir que les prérogatives des patrons fondateurs ont toujours été attachées au fief de Saint-Bômer, la dame de Jumilly produit plusieurs autres pièces, savoir :

1° Un aveu rendu par ledit Anselme de Saint-Bômer à René, duc d'Alençon, le dernier février 1490, lequel contient le dénombrement du fief de Saint-Bômer, avec ses libertés, droitures et prééminences, et fait voir en outre que les religieux de Lonlay ne prélèvent aucune dîme sur ledit fief ;

2° Un accord, daté du 29 avril 1505, passé devant Gaudin,


tabellion, entre Jean de Saint-Bômer, seigneur dudit lieu, SaintEtienne de la Carneille, Heudicourt et autres lieux, étant pour lors en son manoir seigneurial de Saint-Bômer, et Colin Fourré, son fermier, touchant les jouissances de la Petite-Métairie. Jean étant décédé en 1513, ses quatre filles se partagèrent Saint-Bômer ; mais Marguerite, l'aînée, n'ayant point été mariée, trois lots seulement subsistèrent. Le premier, composé de la Petite-Métairie, passa, comme on le verra dans la suite, aux Cochard de la Cochardière, puis aux Royers de la Brisollière ; le second, qui regardait la porté du presbytère, passa en la famille des Julie de la Perruche; et le troisième, comprenant le manoir seigneurial, passa en celle des Morel, lesquels pour celle raison ont toujours pris le nom et titre de seigneurs de Saint-Bômer, jusqu'à il y a 25 ans qu'André Morel, écuyer, frère de René et fils de Pierre, et petit-fils de Jean, décéda sans enfants. Ses biens ont été dissipés: les fiefs de Fresne et de la Goulande ont passé à Guillaume Coupel, procureur du roi à Domfront, et l'ancien fief de Saint-Bômer à maître Etienne Ralluau, conseiller élu, puis au sieur de Jumilly, lieutenant général du bailly d'Alençon, lequel eut en outre, à droit successif, l'héritage des Juhé de la Perruche, et, par acquisition, celui des Cochard et des de Royers. De sorte que ledit sieur de Jumilly étant avec le temps devenu propriétaire des trois parties intégrantes, qui composaient le corps du demi-fief de haubert auparavant le partage fait entre les demoiselles de Saint-Bômer, obtint des lettrespalentes, remembrant et rétablissant l'ancien fief en sa dignité primitive, en y comprenant ceux du Brésil et de Jumilly, pour ne composer à l'avenir qu'un seul plein fief de haubert, sous le nom et titre de Jumilly. Les sieurs de Poillé, d'Oilliamson et de Prince, alors propriétaires de la Nocherie, formèrent opposition à l'enregistrement desdites letlres-palenles ; mais ils furent déboulés et condamnés aux dépens, par arrêt contradictoire du 27 juin 1654;

3° Enfin, un aveu rendu au duc d'Alençon, par messire Guillaume de Saint-Bômer, prêtre, seigneur du fief ayant appartenu à Aveline-le-Maignan,, avant sa forfaiture; sur lequel fief, y lit-on, sont assis l'église paroissiale, chapelle, cimetière et presbytère, et à raison duquel ledit Guillaume a liberté et prééminence en 'église, et droit d'enterrement au chanceau.

III. — Quant au troisième point, celui de savoir si le roi avait le pouvoir de remembrer l'ancien fief de Saint-Bômer avec ses prérogatives, l'affirmative est démontrée par une longue dissertation, étrangère aux faits historiques.

Explications complémentaires. — Jean Morel et Françoise du Pin, sa femme, seigneur et dame de Saint-Bômer, donnèrent à l'église, en 1530, une pièce de terre dite depuis l'Aumône-Morel. Le


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jeudi avant la fête de Toussaint 1478, Jean Ernoull, l'aîné, vendit à Nicole Pouchard, curé de la Paroisse, deux pièces de terre, situées sous le bourg, joûtant le jardin du presbytère ; lesquelles pièces furent données par ledit curé à Robert Bidault, son neveu et successeur, par acte du 14 février 1496.

Les seigneurs de Saint-Bômer jouissaient de foires, marchés et étalages, tant aux fêtes Saint-Pierre, Saint-Bômer et SaintLaurent, qu'aux jours de dimanche, sur le bord du cimetière, entre l'église Saint-Pierre et le manoir seigneurial ; de droits sur les boissons et denrées, poids et mesures ; d'érection d'un poteau ou pilori public, surmonté de leurs armoiries ; enfin, du droit de juridiction féodale dans tout le fief.

Le sieur de la Fresnaye ne possédait, lui, qu'un fief sans glèbe, composé de 12 masures seulement, en l'extrémité de la paroisse, sans domaine non fieffé, sans maisons, et dont tout le revenu certain consistait à environ 10 livres de rentes sieuriales, quelques poules, 40 livres de renies foncières, 10 sous d'une part et 10 livres par autre, sans dignité de fief, sous la mouvance du domaine de Domfront. Pour appuyer ses injustes prétentions, ajoute le Faclum, il n'a pu trouver d'autre moyen que d'appeler en cause les moines de Lonlay, sous prétexte que la faculté de présenter à la cure donnait le titre de patron honoraire.

L'aumône de la présentation au bénéfice de Saint-Bômer fut faite à l'abbaye de Lonlay après 1418, lorsque Aveline-le-Maignan, seigneur en moitié de la paroisse, à cause de dame Gilonne de Saint-Bômer, son épouse, tomba en forfaiture pour avoir suivi le parti de Jean II, duc d'Alençon, son seigneur féodal, lequel adhéra à celui des Anglais contre Charles, dauphin de France, depuis le décès du duc Jean I, son père, tué à la journée d'Azincourt. Pour raison de quoi, le dauphin ayant recouvré ses Etats, avait, par déclaration du 13 novembre 1459, fait donation à un sieur Du Hamel, des biens confisqués sur les Anglais et ceux de leur parti, dans l'étendue de la seigneurie de Domfront.

Il est vrai qu'au mois de mars 1461, Louis XI avait rétabli le duc et ses partisans en la possession de leurs biens ; mais, comme Aveline-le-Maignan était mort les armes à la main auparavant ladite restitution, sans laisser d'enfants, personne ne poursuivit la revendication de son fief, uni au domaine de Domfront.

Néanmoins, l'aumône de la présentation à la cure faite à l'abbaye de Lonlay aurait dû cesser, vertu desdites lettres de restitution, et retourner aux représentants légitimes d'Aveline-leMaignan, c'est-à-dire à Guillaume de Saint-Bomer et ses frères, copatrons et présentateurs avec ladite dame Gilonne de Saint-Bomer, leur tante, d'autant que ledit Guillaume et ses frères, et après eux Anselme et Jean de Saint-Bomer, ont conservé leur partage entier,


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avec ses dignités et prérogatives, jusqu'à ce qu'il ait été derechef partagé entre les enfants dudit Jean.

La vérité de ce que dessus paraît assez par les déclarations des rois Charles VII et Louis XI, par les aveux de Guillaume et Anselme de Saint-Bômer, et surtout par le jugement de l'Echiquier, du 14 juin 1458, contre David Eston, anglais, qui avait envahi le fief de Jumilly, rendu à Jean, seigneur du lieu, père de Guillaume, tué à la bataille d'Azincourt, après que Charles VII eut chassé les Anglais et abrogé tout ce que ces usurpateurs avaient fait sur les terres de France, y compris les prétendues lettres du 11 avril 1430, portant donation à l'abbaye de Lonlay des patronages de la meilleure partie des églises et paroisses de la vicomte de Domfront et lieux circonvoisins, par Henri VI, roi d'Angleterre, sous la régence du duc de Bedfort, données au château de Rouen, alors que ce roi n'avait que dix ans.

C'est là le seul litre des moines de Lonlay sur l'église de Saint-Bômer, l'acte de fondation de leur abbaye, pas plus qu'aucun autre titre ancien, n'en faisant nulle mention (1).

Il est constant, par les productions de la dame de Jumilly, que le feu sieur de la Brisollière, père de M. de la Brisollière, conseiller en la Cour, quoiqu'il ne fût possesseur que d'une des trois parties intégrantes du fief de Saint-Bômer, fit planter, il y a environ 30 ans, des piliers en la place publique du bourg des Forges, avec écussons de ses armoiries et de celles des alliés de sa maison, avec colliers ou carcans, en signe de justice et juridiction supérieure; qu'au pied desdits piliers se sont toujours faites les vendues de biens et meubles, les proclamations et bannies, les appositions d'affiches publiques; et que, par autre droit de supériorité, il fit réédifier les halles et rétablir un marché public sur le bord du grand chemin royal, au jour du jeudi de chaque semaine, avec deux foires, aux jours Saint-Pierre, ancien patron, et Saint-Bômer, second patron.

Un inventaire du 15 décembre 1585, concernant une action intentée par le sieur de la Brisollière à Georges de Grimouville, baron de Larchamp, possesseur de quelques métairies en SaintBômer, fait connaître que le poursuivant agissait à la représentation de Guillaume Cochard, sieur de la Cochardière, époux de Françoise de Saint-Bômer.

Pierre, Jean, René et André Morel, écuyers, ont successivement pris la qualité de seigneurs, et leurs femmes celle de dames de

(1) Erreur. Par une charte de 1188, donnée à Tinchebray par Henri II roi d'Angleterre et duc de Normandie, les dîmes de Saint-Bômer. avaient déjà été octroyées à l'abbaye de Lonlay. Cette donation avait été confirmée par le pape Grégoire X, en 1272.


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Saint-Bômer, comme propriétaires du manoir seigneurial, clos en pourpris, en murailles et tourelles, en défenses percées de canonnières, au milieu du bourg, sur le bord du cimetière, à huit ou dix pas proche de la chapelle Saint-Pierre, église primitive, au droit et représentation de Ernière de Saint-Bômer, fille aînée de Jean de Saint-Bômer, suivant les actes et contrats louchant les partages d'entre les demoiselles soeurs et le testament de leur père, où il se voit que celui-ci était riche de beaux domaines, seigneuries, fiefs, etc., de 60,030 écus et plus, et de beaux meubles.

André Morel, seigneur de Saint-Bômer, ayant consommé la plus grande partie de ses biens au service du roi pendant les guerres-, et devenu pauvre en sa vieillesse, avait néanmoins conservé ses prérogatives anciennes de seigneur honoraire, le pas à la procession, le premier aux prières, en vertu d'un acte signé de tous les autres nobles, lequel il faisait lire aux fêtes solennelles, au prône de la grand'messe, pour la conservation de ses droits. Lorsque ce seigneur se trouva dans l'indigence, par le défaut d'assistance de ses proches, il fut secouru par l'église d'une partie des fruits et revenus de la cure, faveur qui n'appartenait qu'à ceux qui étaient vrais patrons fondateurs, et reconnus comme tels.

Les sieurs de Jumilly, fondés au droit des Juhé de la Perruche, en la famille desquels avait passé Jeanne de Saint-Bômer, ont joui des honneurs et fait construire, en 1610, une chapelle attachée au chanceau de l'église paroissiale, du côté de l'épître, séparée seulement du choeur par une balustrade de bois ; en laquelle il y avait un autel avec écussons de leurs armoiries, banc clos et accoudoir au droit des marches du principal autel : et à l'entour extérieur, une ceinture d'un pied et demi de large, avec carrés pour peindre armoiries et écussons.

Et depuis le remembrement du fief de Saint-Bômer, les sieur et dame de Jumilly ont continué la possession et jouissance des droits honorifiques de la paroisse fail réédifier à leurs frais la chapelle Saint-Pierre, église primitive, laquelle était derechef tombée en ruines, et joui de tous les avantages des patrons fondateurs des églises paroissiales de la province.

La dame de Jumilly, ayant perdu son mari au mois d'août 1662, ne trouva pas de consolation plus forte, dans sa douleur, que de lui rendre tous les hommages de respect et de tendresse qu'elle devait à la mémoire d'un homme de sa qualité. Par l'avis et conseil des proches parents de son pupille, elle fit peindre une litre funèbre au-dedans de l'église, n'estimant pas choquer ainsi le sieur de la Fresnaye.

PRODUCTION DE PIÈCES. — 1° Un titre de l'an 1200, émanant de la reine Eléonore, duchesse de Normandie et d'Aquitaine, par


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lequel se voit que Gillot de Sainl-Bômer, seigneur du lieu, avait quantité de privilèges, tant en la paroisse qu'aux forêts de la vicomte de Domfront ;

2° Contrat de mariage de Pierre Morel, écuyer, fils aîné de Jean, avec demoiselle Françoise du Pin, sieur et dame de SaintBômer, portant date du 23 mars 1533;

3° Lettres de sauvegarde, données par Gabriel, comte de Montgommery, portant exemption de logement de gens de guerre dans les terres, maisons, métairies et appartenances du capitaine de Saint-Bômer, du 3 décembre 1615 ;

4° Lettre du chevalier La Fin, capitaine aux gardes du roi, écrite au sieur de Saint-Bômer, par laquelle, le traitant de cousin, il le prie d'exempter de logement le jeune curé de Saint-Denis ;

5° Commission du duc de Vendôme, du 13 janvier 1610, par laquelle, en qualité de gouverneur et lieutenant général pour le roi en Bretagne, il ordonne au sieur de Saint Borner de lever une compagnie de 50 carabins, signée au camp de Mondoubleau ;

6° Une seconde sauvegarde du comte de Montgommery pour la paroisse de Saint-Bômer, à cause qu'elle appartenait à des gens d'honneur, qui lui faisaient la faveur de l'assister, entendant parler du sieur André Morel, écuyer.

Si toutes les pièces justificatives ne sont pas représentées, c'est que, dit le Factum, quantité ont été perdues pendant les guerres des Anglais, qui occupèrent longtemps la ville de Domfront ; pendant les guerres des religionnaires, qui prirent et reprirent ladite ville en 1571 ; par le changement des marguilliers, qui ont perdu, diverti ou supprimé beaucoup desdites pièces ; et enfin par la malice de certains particuliers, qui veulent servir ledit de Neuville, et, par les moines réformés, qui ne manquaient pas.d'intriguer dans le pays. Il avait été permis au défunt sieur de Jumilly d'user des censures ecclésiastiques et de faire publier des moniloires ; mais sa mort survint sur ces entrefaites.


IV

19 Mai 1664. —Mandement de fulmination, lu en l'église de SaintBômer, contre des malfaiteurs qui avaient dévasté les biens de Etienne Le Court, sieur du Bois-Hallé.

Nous avons receu la complainte d'Etienne Le Court, sieur du Bois-Hallé, suivant qu'il est authorisé par justice, contre certain malfaiteur et complices qui, le dimanche 22 avril dernier, la nuit d'entre led. jour de dimanche et le lundy ensuivant, luy ont pelé un beau sapin, un petit pommier, partie d'un gros noyer proche sa maison. Plus contre ceux qui ont pelé dans la mesme nuict, dans la haie d'entre le petit Désert, deux poiriers, rompu un petit cerisier et pelé un jeune fousteau dans la mesme haye, et pelé un jeune pommier dans ladite pièce de ferre. Plus qui ont pelé dans la rangée d'arbres qui est dans une pièce de terre nommée Entre les Bois, la mesme nuict, huit beaux chastaigniers et un gros pommier. Plus qui ont encore pelé la mesme nuict trois beaux jeunes poiriers et deux beaux chastaigniers dans les jardins du petit Bois-Hallé.

Item se plaint contre ceux qui ont cognoissance que un certain quidam que on prétend qui a pelé et faict peler les arbres, fut. trouvé led. jour de lundy cy dessus, fort matin, un fusil en sa main dans les jardins du petit Bois-Hallé, où partie desd. arbres cy dessus venoient d'estre pelés.

Item contre ceux qui scavent que led. Le Court plaintif et partie de ses enfans ayant trouvé led. malfaiteur aurait crié tout hault et ses enfans aussy : Au voleur qui vient de peler nos arbres, lequel malfaiteur échappa à travers la pièce nommée le Clos Gauterel, et se sauva vers sa maison. Contre ceux qui le virent s'enfuir et tourner la teste fort souvent, par la crainte qu'il avoit d'estre suivy et arresté.

Item contre certaine personne qui auroit dit que estant sortie elle avoit vu accourir led. malfaiteur, un fusil en sa main, et refuse d'en dire la vérité. Contre ceux qui ont couppé par deux diverses nuitz un pied de chesne abatu, au travers à plus de la moitié avec une scie, pour empescher le plaintif d'en faire faire un fust de pressoir. Contre ceux qui ont presté lad. scie et ceux qui l'ont vu rapporter par une servante et refusent d'en déposer. Contre ceux qui ont cognoissance que le jeudy 12 juillet dernier, certains malfaiteurs prirent la cavale du plaintif, la menèrent proche


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l'abreuvoir des Forges, et luy couppèrent le poil de la queue, de la leste et du col, afin de la rendre sy laide qu'elle ne peust mener le plaintif à ses affaires. Contre ceux qui ont vu led. malfaiteur, un fusil à la main, courir après le chien du plaintif pour le tuer, ce qu'il fîst le mardy suivant. Contre ceux qui ont cognoissance que le samedy 18 février 1662 led. malfaiteur a desrobé deux oies dans l'eslable du petit Bois Hallé, et tiré un coup de fusil sur six des porcs du plaintif, et iceux tous blessés. Contre ceux qui scavent que led. malfaiteur a tiré un coup de fusif sur le chien du fermier du plaintif, et l'a tué, pour obliger le fermier à quitter la ferme.

Contre ceux qui scavent que le 1er avril, l'on a desrobé deux autres oies, et ceux qui ont entendu dire que le plaintif feroit bien de garder son mâtin de bien près, car il seroit tué. Contre ceux qui scavent que le mesme jour led. malfaiteur a tué d'un coup de fusil deux des boures du plaintif, et icelles emportées, et fait tomber partie de la muraille de la grange.

Item contre ceux qui ont rompu un beau jeune poirier, et essayé de mettre le feu à la grange du plaintif.

Item contre ceux qui estant un jour chez l'un des malfaiteurs l'ont entendu dire qu'il avait tué le chien du plaintif. A quoy fut reparty que c'estoit mal fait Lequel malfaiteur dit tout hault qu'il voudroit avoir tué le plaintif. Ce que entendant, la mère dud. malfaiteur dit que sy le plaintif avoit esté tué dès il y a longtemps, ilz auroient esté bien heureux.

Et généralement contre ceux qui scavent et ont cognoissance de ce que dessus.

(Signé) COUPPEL, official de Domfront.


V

TITRES DE LA FAMILLE ROUSSEL

1°. — 22 Juillet 1398. — Echange d'héritages, situés à la Brionnière, Berardière et environs, entre Jehan Roussel et Perrette, sa femme, et Perrin Furon.

A tous ceuls qui ces lettres verront ou orront, Roger Habelay, prestre garde des sceaulx des obligations de la chastellenie de Danfront en Passais, salut. Sachent que par devant Thomas Le Hericé, clerc tabellion juré et à ce estably, furent presens Jehan de Roussel escuier et Perrette, sa femme, de la paroisse de SainlBômer, lad. femme suffisamment auctorisée de sondit mary, d'une partie. Et Perrin Furon, d'icelle parroisse, d'aultre, qui recongnurent et confessèrent avoir fait eschange par entre eulx d'aucuns de leurs héritages en la manière qui ensuit. C'est asscavoir : que lesd. mariez baillent audit Furon affin deheritaige pour luy et pour ses hoirs tous et tieulx héritages comme lesd. mariez ont au temps de présent à cause de lad. femme es fieux de la Brionnière et de la Theboudière, assis en ladite paroisse de SaintBosmer, comme lesdiz heritages se pourportent en toutes choses, sans rien y retenir ne excepter. Et en contreschange de ce, led. Furon baille auxd. mariez affin deheritage pour eulx et pour leurs hoirs tous et tieulx heritages comme led. Perrin avait au temps de present ou fieu de la Berardière, avecques une pièce de terre appelée l'Eschange et une vergée de terre ou environ assise au fieu de la Goucaudière, comme lesdiz heritages se pourportent en toutes choses, sans riens y retenir ne excepter, sauf et excepté demye journée de prey ou environ assise près la maison Lorens Ruaut que il retient affin deheritage. Et fera chacun les rentes des heritages que il tiendra pour le temps advenir. Et pour ce que les héritages que baille led. Perrin auxdiz mariez vallent plus et sont de greigneure revenue que ceulx que ilz luy baillent, iceulx mariez promisrent et sobligèrent tant pour eulx que pour leurs hoirs faire et poier par chacun an aud. Furon ou au porteur de ces lettres dix soulz tournois de rente frans et quittes au terme de Pasques. Et partant lesdiz mariez se dessaisirent présentement desdiz heritages ainsi baillés en eschange pour eulx et pour leurs hoirs et en baillèrent saisine et possession aud. Furon et aux siens affin deheritage par la teneur de ces lettres lesquelles ilz veullent qu'elles soient oyes à paroisse ou ailleurs autre lieu qui soit porte, et iceulx heritages luy promisrent garantir, dzlivrer et deffendre vers tous


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et contre tous saucun supposait au contraire. Et quant aux choses dessus dictes et chacune d'icelles tenir, enterigner ellesdiz héritages garantir ce que dit, et semblablement lad. rente faire et poier par chacun an aud. terme, sans aller encontre, lesdiz mariez obligèrent par la foy de leur corps eulx et leurs hoirs leur corps pour tenir prison, et tous leurs biens meubles et héritages presens et advenir pour estre venduz et despenduz doffice de justice, ainsi que pour les couslz et dommaiges sur ce faiz comme pour le principal, renonçant à toutes choses qui contre ces lettres pourraient estre proposées. En tesmoing de ce, nous avons scellé ces lettres desdiz sceaulx à la rellalion dud. tabellion sauf aultruy droit. Donné l'an de grâce mil IIIe IIIIXX et dix-huit, le XXIIe jour de juillet. Presens à ce Jehan Hodeboust et Thomas Dauvel tesmoings.

(Signé) : T. LEHERICÉ.

2°. — Dernier février 1512. — Commission d'exempt-archer du duc d'Alençon, délivrée à Mathurin de Roussel.

Charles, duc d'Alençon, pair de France, comte du Perche et vicomte de Beaumont, aux gens de nos comptes à Alençon, salut. Scavoir faisons que sur le bon rapport qui nous a esté l'ail de la personne de nostre cher et bien-amé Mathurin de Roussel, escuier, sieur de la Berardière, et en considération des services qu'il nous a rendus et à noire très honorée dame et mère, nous avons icelui de Roussel, pour ces causes et autres à ce nous mouvans, receu et recevons en l'état et office de l'un des exemts archiers de nostre personne et de nostre garde, pour nous y servir, aux honneurs, droits et privillèges accoutumés et audit état appartenans. Si donnons en mandement à nos féaux conseillers et à nostre trésorier de nos finances audit lieu que d'icelui nostre exemt prins et receu le serment en tel cas requis, il le fasse jouir dudit office pleinement et paisiblement, car ainsi il nous plaist. En tesmoing de quoy nous avons fait signer cesdites présentes par nostre cher et féal Conseiller secrétaire, et icelles scellées de nostre grand scel. A Alençon, le dernier jour de février l'an mil cinq cens et douze.

Par le Conseil,

(Signé) LE COUTELIER.

.3°. - 14 Juillet 1587. — Charles de Roussel, sieur de la Bouverière, guidon d'une Compagnie de cavalerie, sous le Duc de Retz.

Albert de Gondy, duc de Retz, pair de France, Conseiller du Roy en son Conseil privé et d'Estat, chevalier de l'ordre dud.


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seigneur, Commandeur en l'ordre du Saint-Esprit, Cappitaine de cent hommes d'armes, general des gallères et mareschal de France. A nostre cher et bien amé le sieur Bouverière Roussel, guydon de nostredite compaignie d'hommes d'armes, salut. Comme ainsy soit que Sa Majesté, par ses lettres publiées à Meaulx le vingt neufme jour de juing dernier, nous ayt enjoinct de nous rendre avec nostre dicte compaignie en la ville de Saincl Florentin dedans le premier jour d'aoust prochain, pour les causes et ainsy qu'il est plus au long contenu èsdictes lettres de publicquation que nous vous envoions, avec la coppie des lettres que Sad. Majesté nous en a escript à ceste fin, pour vous servir à la conduicle et passaige des sieurs gentilzhommes de nostredicte compaignie, avec le meilleur nombre d'arquebuziers à cheval que vous pourrés amener avecques vous. A ces causes, nous desirans satisfaire de tout nostre pouvoir au voulloir et intention de Sad. Majesté, et nous rendre aud lieu dedans le temps porté par sesd. lettres avec nostre dicte compaignie la plus complaitte et au meilleur équipaige qu'il nous sera possible, et lesd. arquebuziers à cheval, vous mandons que vous ayez incontinant la réception des présentes signées de nosre main à faire tadvertir lesd. sieurs gentilzhommes et arquebuziers à cheval, pour avec iceulx vous acheminer tous ensemble le plus lost et par les plus droictz et courtz chemins et au meilleur équipaige que faire se pourra vers laditte ville de Sainct Florentin dedans led. temps, faisant advertir par homme exprès les mareschaulx de camp envoyez par Sad. Majesté sur les lieulx quatre ou cinq jours devant qu'y arriver, de vostre venue et du nombre de ceulx que vous amenerez avec vous pour scavoir ce que vous aurez à faire selon et ainsi qu'il est plus au long porté par lesd. lettres de publicquation, que nous vous enjoignons de suivre de poinct en poinct, et de les faire vivre par les chemins le plus doulcemcnt et le moings à la foule du peuple, que faire se pourra, prians en oultre tous ceulx que dcbvons et à ceulx que pouvons mandons très expressément de vous laisser passer avec lesd. sieurs gentilzhommes de nostre dicte compaignie et arquebuziers à cheval, sans vous faire ne permettre estre faict, mis ou donné aulcun trouble ou empeschement quelconque, ains vous prester tout secours et ayde se meslier estoit, offrant faire le semblable quand requis en serons. Faict à Paris, le XIIIIe jour de juillet, l'an mil cinq cens quatre vingtz sept.

(Signé) GONDY.

Par mondict seigneur le Duc de Retz (Signé) LETENNEUR.


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4°. — 21 septembre 1616. - Brevet de capitaine d'une compagnie de 100 hommes d'armes à pied, délivré par Louis XIII à Nicolas Roussel, sieur de la Bouhordière.

Louis par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre, à notre cher et bien amé le capitaine La Bouhordière Rouxel, salut. Ayant naguères fait et constitué le sieur Comte de Fiers maistre de camp d'un régiment de dix compagnies de gens dé guerre à piedfrançois, de cent hommes chacunes, et désirant remplir lesdites compagnies de bons et expérimentés cappitaines de l'affection et fidellité desquels ayons entière assurance. A ces causes, à plein confians de vos sens, suffisance, loyaulté, prudhommie, expérience, et bonne dilligence, nous vous avons donné et octroyé, et par ces présentes signées de notre main donnons et octroyons la charge, conduite et capitainerie de l'une desd. compagnies, composée comme dit est de cent hommes, lesquels vous lèverez et mettrez sus ou plustôt, des meilleurs, plus vaillants et aguerris soldatz que vous pourrez choisir et trouver, pour iceux conduire et exploicter sous l'authorité de notre cher cousin le duc d'Epernon, pair et colonel de l'infanterie de France, là par et ainsy qu'il vous sera par nous ou nos lieutenans généraux commandé et ordonné pour notre service. Et nous vous ferons payer et eux aussy des soldes, étatz et appointemens qui vous seront dus et à eux, suivant les montres et reveues qui en seront faites par les commissaires et commandeurs de nos guerres, tant et si longuement qu'ils seront sus pour nostredit service. De ce faire vous avons donné et donnons plein pouvoir, puissance, autorité, commission et mandement spécial ; mandons et commandons à tous qu'il appartiendra qu'à vous en ce faisant soit obéi. Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris le vingt et une jour de septembre l'an de grâce mil six cens seize, et de nostre règne le septiesme.

(Signé) Louis. Par le Roy (Signé) MANGOT.

5°. — 26 Septembre 1657. — Résignation de la cure de SaintBômer, par Me Jacques Roussel, curé, en faveur de Me André Roussel, son neveu.

Le 26e jour de septembre 1657.

Furent presentz en leurs personnes Me Jacques Roussel pbre curé des église et chappelle de la paroisse de St Baumer, diocèse du Mans, doyenné de Passays, licentié és droicts, d'une part ; et Me André Roussel aussy pbre dud. diocese du Mans et demeurant en lad. parr. de St Baumer, d'autre part. Lesquelz ont faict, nommé et constitué leurs procureurs generaulx et spéciaulx Mes .... ...


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Ausquelz ilz ont ou à l'un d'eulx donné et donnent pouvoir et puissance, et pour et en leurs noms, scayoir : led. Sr Roussel curé de resigner lad. cure de St Bosmer, dont la presentation apartient au Sr révérend abbé de Lonlay, avec les fruicts et revenus quelquonques d'icelle entre les mains de nostre sainct père le pape, monseigneur son vice chancelier ou autre ayant à ce pouvoir canonique, en faveur dud. Me André Roussel et non autrement, à la reserve toutesfois de la somme de deux cents livres tournois de pension annuelle, à prendre et se faire paier sur les fruicts et revenus de lad. cure et bénéfice dud St Baumer. Icelle pension exempte, franche et quite de tous decimes, charges, subsides, droicts de visite, de kalendes ordinaires et extraordinaires, et tous autres droictz imposés ou à imposer sur led. benéfice pour quelque cause que ce soit. Icelle pension paiable aud. sieur curé sa vie durante ou à son procureur ou autre ayant de luy pouvoir par led. Me André Roussel et ses successeurs à deux termes egaulx, qui seront Noël et sainct Jean Baptiste ; et sera le premier terme de paiement aud. jour de Noël que l'on contera 1658, et l'autre aud. jour monsr sainctJean ensuivant, et à la charge de continuer d'an en an lad. pensionaulx susd. termes, et de demander et requérir par lesd. procureurs ou l'un d'eux lad. résignation estre adminse et consentir à l'expédition de provision sur ce nécessaire. Et de la part dud. Me André Roussel consentir à la création de la susd. pension de 200 livres sur lad. cure de St Baumer, fruictz et revenus d'icelle, et à la signature de provision sur ce requise ; jurer et affirmer es âmes desd. srs constituants qu'en la présente résignation n'est intervenu ny interviendra aucun dol, fraude, simonie ny autre paction illicite. Et généralement promettants, renonceants, obligeants.

Et à ce est intervenu François Lecointe, sr de la Picaudière, paroissien de la Haulte Chapelle, lequel a plegé et cautionné led, Me André Roussel de faire, paier et continuer à l'avenir lad. pension cy dessus aux termes susd. par chacune année; et ce soubz le bon plaisir de notre St pere le pape.

Presentz Jean Delozier, do St Georges, et Jean Buffard, de Fiers, tesmoingtz.

(Suivent les signatures).

6°. — 16 Octobre 1662. — Provisions de secrétaire ordinaire de la Chambre du Roi, octroyées par Louis XIV à Thomas de Roussel, sieur de la Bouverière.

De par le Roy.

Grand Maistre de France, premier Maistre et Maistres ordinaires de nostre hostel, et maistres et couleurs de nostre chambre


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aux deniers, salut. Scavoir faisons que pour le bon et louable rapport qui nous a esté faict de nostre cher et bien amé Thomas de Roussel, sieur de la Bouverière, licentié ès droits, advocat en nostre Grand Conseil, et notaire du Saint-Siège apostolique, de ses sens, suffisance et capacité, expérience, intégrité et bonnes vie et moeurs, joinct au zèle et affection singullière qu'il a tousjours tesmoigné pour nostre service. Pour ces causes, luy voullant tesmoigner l'estime que nous laisons de sa personne, nous l'avons cejourdhuy retenu et retenons par ces présentes signées de nostre main pour l'un de nos secrétaires ordinaires, pour doresnavant nous servir et ledit estat et charge exercer, en jouir cl user par led. de Roussel aux honneurs, autorités, prérogatives, prééminences, franchises, libertés, gages, droicts, fruicts, profils, revenus et esmolumens y appartenans, tels et semblables que les ont et prennent nos autres officiers pourveus de pareilles charges, tant qu'il nous plaira. Si voulons et vous mandons que dud. de Roussel pris et receu le serment en tel cas requis et accoustumé, vous ayez à faire registrer ces dites présentes ès registres, papiers et escrits de nostred. chambre aux deniers, et du contenu en icelles le faire jouir et laisser user plainement et paisiblement, obéir et entendre de tous ceux et ainsy qu'il appartiendra es choses touchans et concernans led. estat et charge. Mandons en outre aux Trésoriers generaulx de nostre maison que les gages et droicts à lad. charge appartenans qu'ilz payent, baillent et dellivrent comptant aud. de Roussel doresnavant par chacun an aux termes et en la manière accoustumez, suivant les estatz qui en seront par nous signez et arrosiez Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris, soubz le scel de nostre secrétaire, le XIIIe jour d'octobre mil six cens soixante deux.

Signé : LOUIS. Par le Roy (Signé) DE GUÉNEGAUD.

(A suivre A. SURVILLE.


(A Cheval en 1877)

PAGES DE JOURNAL

Au moment où M. le Président Fallières parcourt en chemin de fer et en auto, les routes aujourd'hui praticables de la Tunisie, peut-être serait-il intéressant pour les lecteurs du Pays Bas-Normand de recueillir les impressions de voyage d'un simple bourgeois de leurs amis, qui a parcouru à cheval depuis Oran jusqu'à Tunis, le pays, alors, sous l'administration du Bey de Tunis, mais non encore sous notre protectorat.

Je résume donc, pour ceux qui voudront bien me lire, ce que, jeunes époux, épris de voyages lointains et amis du cheval arabe, délicieux coursier que nous montâmes pendant trois mois, Madame G... et moi, avons ressenti, dans ces pays ensoleillés et merveilleux qui seront, quand l'amour de la colonisation aura fait place à la veulerie française à cet égard, la plus belle plume de nos ailes avec l'Algérie. Je retrace donc à grands traits les images, déjà bien anciennes, hélas, de nos impressions et de nos souvenirs

R. G.


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Souk Arras — Aïn Guettar

Au mois de mai 1877, grâce à l'obligeant concours de MM. Luyzel cl Rapp, commandants à Souk Arras et Aïn Guettar, nous arrivons au Bordj Sidi Youseff, dernier poste français sur la frontière Tunisienne. Le fortin bâti sur remplacement d'une ville romaine, montrait, disséminés dans la maçonnerie, des fragments de colonnes brisées, des chapiteaux délicatement fouillés, et d'amères reflexions naissaient en nous: sur la nécessité, trop dure loi, mais aussi sur l'incurie et le mépris coupable du vainqueur pour ces restes précieux.

Une plaine interminable s'étale entre Sidi Youseff et Le Kef (M. Fallières vient de visiter Le Kef en auto) mouchetée de temps à autre par quelques lentes d'Arabes pasteurs, où nous trouvons au passage du Leben. ou lait aigre, et de l'ombre. Les geais bleus et les chasseurs d'Afrique, ces oiseaux aux ailes diaprées que le soleil dore s'enfuyaient devant nous, moqueurs, et se raillant, hélas ! de nos pauvres moukalas (fusils). De grands vautours blancs décrivaient leur courbes magnétiques autour d'une proie invisible à nos yeux, et si l'un d'eux fondait tout à coup sur elle, nous lancions au galop nos rapides chevaux, la fièvre de la poudre s'emparait de nos spahis d'escorte qui poussaient à l'envi les ha ! ha ! gutturaux de leurs fantasias. Mais, à peine à portée, le vautour déployait tranquillement ses ailes blanches sur le ciel bleu, au milieu de notre mousquetade impuissante. De longues files de chameaux indolents apportaient à nos marchés d'Algérie les dattes et les tapis d'Orient. Le Kef est le point d'arrêt habituel de ces caravanes dont les produits sont un élément important du commerce de notre colonie.


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Les créneaux de la vieille Kasbah découpaient leur silhouette sur le ciel déjà sombre quand nous arrivâmes au vallon étroit, véritable bois d'oliviers et de grenadiers au milieu duquel serpente le sentier ardu qui mène à la porte de la ville. A huit heures nous étions au Consulat où nos Arabes avides plongeaient leurs cuillères guillochées dans une énorme jarre de couscouss fumant.

Le lendemain M. Roy, agent consulaire au Kef (et actuellement consul à Tunis) veut bien nous présenter au gouverneur de la ville, Sidi Rechid. Il est mameluck d'origine, a grandi dans le Sérail, et son enfance et sa jeunesse sont enveloppés de ces voiles qu'une morale scrupuleuse a toujours intérêt à ne pas soulever. Il s'est élevé, de faveurs en faveurs, à cette haute dignité qui semble peser gravement sur sa tête alourdie. Aujourd'hui, du reste (nous dit-il), il a la tête dans une muselle (petit sac dans lequel les Arabes suspendent à l'arçon de la selle leur tabac et leur café) mais quand le spleen l'abandonne, il ne ménage pas les coups de matraque à ses humbles administrés. Un jeune serviteur qui en est, parait-il, aux premiers échelons de la carrière d'un gouverneur, nous sert en souriant, un délicieux sirop de violettes tandis que M. Roy nous traduit les formules cérémonieuses que le prophète a mises, si abondantes, dans la bouche de ses croyants.

Un colonel, dont la tunique graisseuse porte le resplendissant Nicham, nous accompagne solennellement dans les ruelles étroites de cette ville, autrefois importante, aujourd'hui si abandonnée. Les mosquées, encore nombreuses, y dressent leurs minarets blancs. Plusieurs secles musulmanes y sont en lutte ouverte, chacune d'elles a ses Khouan ou affidés et son grand chef auquel des offrandes en nature constituent de larges revenus.


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Sidi-Rechid nous fait transmettre l'assurance que demain, dès l'aurore, noire escorte sera prête à partir pour Teboursouk (actuellement gare de chemin de fer). Nos hamacs suspendus nous invitent au repos, le bruit d'une noce arabe arrive adouci jusqu'à nous, les you-you suraigus des femmes dominent la mélopée traînante des chanteurs somnolents et nous rêvons dans l'atmosphère attiédie.

Le lendemain, dès 4 heures, les cavaliers du Goum nous attendent, tranquillement drapés dans leurs haïcks de soie, tenant en main leurs longs fusils aux crosses incrustées de nacre et de corail. Les selles de maroquin rouge et les oeillères de velours brodé d'or et d'argent, étincellent sur la robe lustrée des chevaux. Nous nous arrachons avec peine à l'hospitalité généreuse du Consul et après cinq heures de soleil, arrivons au Bordj Messaoudi où nos guides sont forcés, pour nous faire recevoir, de prendre au collet le maître récalcitrant de ce fondouk enfumé. Rien ne saurait donner l'idée de ces bouges infects. De longues lanières de chair de mouton sèchent, sur les murs, exhalant une odeur insupportable. Après une sieste de quelques heures, nous nous empressons de fuir ce logis empesté.

La voie romaine qui unissait à Carthage l'antique Sicca (le Kef), est encore nettement indiquée. Comme à Pompeï, le passage des chars a tracé son sillon dans les dalles usées. Une ville entière est sous nos pas, les portes des maisons, veuves de leurs lintaux, dressent tristement leurs moulants, érodés par les ans. Un pont romain, que l'incurie arabe délaisse, tombe en ruines dans le lit du torrent, et, plus loin, un marabout vénéré laisse envahir sa blanche coupole par une folle végétation de lianes.

Les moissons dorées rutilent sous un soleil brûlant ; au détour du sentier, une troupe bariolée de femmes


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arabes vient puiser de l'eau à la source voisine. Elles se querellent et glapissent en emplissant leurs outres de peaux de bouc, puis, courbées sous le fardeau, regagnent péniblement le douar. La source sort d'un rocher escarpé sur lequel trône un Arabe tranquille qui semble, Dieu des eaux, régner, placide, au-dessus de ces orages.

Le jour va bientôt finir, après cinq heures de cheval, quand nous gagnons Bordj Brahim d'où nos spahis prétendent, mais en vain, nous faire voir Teboursouk. La lune se lève et éclaire les flancs de la colline qui porte cette ville où nous entrons enfin à neuf heures. Le caïd prévenu nous fait ouvrir la maison des hôtes, repaire affreux de tous les insectes connus.. Un chien féroce est commis à notre garde et ses longs hurlements nous valent une nuit d'insomnie.

Le lendemain malin, après trois sommations d'autant moins respectueuses qu'elles se réitèrent, nous venons à bout de l'apathie de nos guides et descendons à la plaine au milieu d'un bois d'oliviers où nos chevaux évitent avec peine des silos cachés dans le sentier. Nous suivons le cours d'un torrent dont les rives déroulent à nos yeux ravis un long ruban de lauriers roses. Les tamaris secouent leurs brindilles frissonnantes et les palmiers nains craquent sous les pieds des chevaux. D'immenses ruines se dressent sur un mamelon voisin. C'est l'antique Dougga (que vient précisément de visiter notre président Fallières, je ne me flatte pas d'avoir découvert ces ruines, mais toujours estil que mes notes feront foi de mon admiration pour ces restes splendides, aujourd'hui mis à l'abri des barbares).

« Un oppidum déploie son enceinte, encore nettement circonscrite, puis, un théâtre merveilleux atteste, par la grandeur de son hémicycle, une vaste agglomération. D'énormes colonnes, dignes en tout point des plus beaux


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types de Rome, jonchent le sol, abandonnées à l'esprit pillard des Arabes. »

Après cette digression, je reprends ma narration :

Nous contournons la colline au pied de laquelle nous pensons retrouver noire escorte. Grande est noire surprise cl, je dois le dire, notre émotion, quand aucun cri ne répond à nos appels réitérés. Nous prenons le parti, seul raisonnable, de revenir sur nos pas et nous trouvons nos Arabes dormant du sommeil du juste près d'une source que les débris d'une nymphée antique avaient dérobée à nos yeux.

Une dernière croupe franchie, nous arrivons au bord de la Siliana qu'il nous faut passer pour gagner Testour (Testour est actuellement desservie par le chemin de fer Bonc Guelma et prolongements jusqu'à Tunis).

Un orage a grossi le cours de la Siliana et de nombreux groupes de cavaliers piquent leurs tentes sur ses bords, tandis qu'un caïd nous donne l'assurance que la Medjerdha est guéable en amont de cet affluent impétueux, et que nous pouvons par la montagne gagner Mcdjcz-el-Bab (aujourd'hui station). Malgré de violentes récriminations, nos guides se décident à nous suivre. Le convoi se compose d'une centaine de cavaliers aux burnous blancs, coiffés de ces immenses chapeaux doublés de cuir rouge, qui donnent à leur tête bronzée un aspect terrifiant. Le caïd, grand nègre au caftan brodé d'or, monte un superbe cheval noir richement caparaçonné et, le long des pentes escarpées qui mènent au gué, se déroulent les zig-zag capricieux de celte foule bigarrée.

Les mules qui portent nos bagages sont à demi submergées, et seraient, à coup sûr. entraînées par le torrent si nos spahis ne les relevaient (l'eau à la ceinture), de leurs bras aux tendons brunis.

Enfin, nous apercevons Medjez-el-Bab, où M. Belvise, agent des postes, nous donne une hospitalité précieuse.


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Le jour éclaire à peine les koubkas blanches de nombreux marabouts, que déjà nous suivons le cours de la Medjerdah. Des villages pittoresques s'échelonnent le long de ses rives. Au Bordj El Amri, notre dernière halle, nous pendons nos hamacs sous un portique frais. C'est l'heure de la sieste. Dans une salle basse, dont j'ouvre, par mégarde, la porte entrebaillée, une femme ravissanle, à demi étendue sur les nattes brillantes, agite mollement son chasse-mouches brodé. Elle rattache, honteuse, son haïk aux épingles d'argent et relève son voile jusqu'à ses grands yeux estompés de koheul.

Elle passe ainsi tristement ses jours, sans pensées, sans désirs peut-être, sans amis, instrument de plaisir d'un arabe jaloux. Heureusement, son maître est bien loin dans la plaine ; il ne verra pas nos sourires attendris.

Nous reprenons notre route, laissant à gauche La Mornakia, villa du Bey, nid de verdure entouré de palmiers, puis la Manouba et le Bardo. Au loin, nous apercevons la rade de La Goulette el dans une brume vaporeuse Carthage, Utique, pleines de leurs grands souvenirs.

Où êtes-vous, fantômes du passé, si merveilleusement évoqués par la fantaisie étincelante de Flaubert ? Et toi, palais de Mégara, où Salamboo frémissante, adresse à Tanit cettte sublime invocation : « Oh ! je voudrais me perdre dans la brume des nuits, dans le flot des fontaines, dans la sève des arbres, sortir de mon corps, n'être qu'un souffle, qu'un rayon, et glisser, monter jusqu'à loi, ô mère ! »

Où Matho, dévoré d'amour, vient, après avoir volé le voile sacré de la déesse, murmurer à l'oreille de la brune fille d'Hamilcar :


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« Parlons ! Il faut me suivre, ou, si lu ne veux pas, je vais rester, que m'importe ! Je l'aime ! Noie mon âme dans le souffle de ton haleine et que mes lèvres s'écrasent à baiser les mains. »

La nuit descend lentement, aidant nos illusions de son ombre, et Tunis la blanche s'endort, près de son lac aux flamants roses.

R. GALLET.


CHAPITRE I

L'Enfance de Jules Simon. — Saint-Jean-Brevelay. — La Maison de Kerjau. — Moeurs et Portraits des Bas-Bretons

Dans un porlrail qu'il trace de Renan, Jules Simon rappelle que son compatriote, toujours cependant bienveillant, « riait un peu de tout, de trop de choses peut-être ». Certains en concluaient qu'à sa nature de Breton s'ajoutait une parcelle de l'esprit des enfants de Gascogne. A ce propos, Jules Simon déclare qu'il se permet de ne tenir aucun compte de l'atavisme. « Je veux bien reconnaître qu'on hérite de la force physique de ses pères et qu'on profite de leurs économies, parce que je vois clairement la transmission; mais pour l'âme au contraire, je ne le vois pas et cela n'existe pas. Où la conscience ne voit rien dans le monde de l'esprit, la continuité est chimérique. Renan pouvait rire et rester Breton. Ceux qui ne savent pas que la Bretagne est partagée entre le rire et la mélancolie ne connaissent pas les mystères de Brocéliande. La Bretagne est comme la mer qui a ses tempêtes et ses accalmies et qui n'en est pas moins éternellement semblable à ellemême.»

Si Jules Simon se borne à dire par là qu'il ne croit pas à la transmission héréditaire de la pensée, sou opinion


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est soutenable. Mais, s'il conteste l'influence que l'éducation, les traditions de famille recueillies à travers les âges, le milieu ambiant, les souvenirs de jeunesse exercent inévitablement sur le développement intellectuel et moral de l'homme, il sert lui même par son exemple de démenti à la thèse qu'il prétend soutenir. Il est imprégné de l'esprit de la Bretagne. Le voudrait-il, il ne pourrait pas plus que Renan renier son pays natal. Il le dit lui-même. « Comme nous étions Bretons tous les deux, et Bretons profondément dévoués à la vieille province, il arrivait que nous allions ensemble, pendant les vacances, bénir quelque statue. Tantôt on nous appelait tous les deux ; quand on n'en appelait qu'un, l'autre allait par amitié el si c'était moi, par dilettantisme.» Il se compare à ces joueurs d'instruments chers à l'oreille des Bretons. L'un faisait entendre les sons charmants et affriolants du biniou ; trop modeste, il se réserve sans doute la bombarde, un peu assourdissante, qui donnait la note de basse.

Etudiant, professeur, philosophe, moraliste, homme politique, littérateur, Jules Simon dans les différentes phases de sa longue et glorieuse carrière, n'a pas échappé à l'influence des impressions qu'il avait reçues dans son enfance, à cette époque où s'éveillent les premiers sentiments. Ses muscles ne se sont pas seulement fortifiés dans ses jeux, avec ses camarades, les petits paysans de SaintJean Brevelay et les élèves du collège de Vannes. La Bretagne a marqué de sa forte empreinte sa vaste intelligence en développant chez lui, à un rare degré, les meilleures qualités de ses enfants. N'eût-elle que contribué par les souvenirs qu'elle éveillait à lui faire écrire, au soir de sa vie, tant de pages charmantes où il raconte « ses Premières Années ». les moeurs naïves et louchantes d'un pays qui semble aujourd'hui si loin de nous, elle aurait déjà enrichi la littérature française d'une oeuvre qui lui fait honneur, parmi celles de tant de grands écrivains.


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Simon, (Jules-François-Suisse), est né à Lorient le 27 décembre 1814 Son père, ancien soldat de la République, était d'origine lorraine; mais sa mère, cette pieuse femme dont il parle toujours avec une affection profonde el dont l'influence fut si puissante sur son développement moral, sortait d'une vieille famille bretonne de Belle-Isle-en-Mer ; elle avait perdu plusieurs parents pendant la Révolution, clans les hécatombes de celle affreuse époque.

Comme Victor Hugo dont le père avait été aussi soldat sous la République, puis général de l'Empire el donL la mère était la fille d'un armateur royaliste de Nantes, il pouvait se dire :

« Né d'un père lorrain et d'une mère bretonne ».

Jules Simon passa son enfance dans un pays perdu au fond des terres, petit bourg bas-breton, à St-Jean-Brévelay où son père et sa mère étaient allés se fixer, en 1818, à la suite de revers de fortune. Il s'est plu à nous décrire dans tous leurs détails les lieux où se sont écoulées ses premières années avec une précision dans les souvenirs qui le montrent profondément attaché à la terre qui l'a vu naître et qu'il a voulu revoir à plusieurs reprises. Il nous dépeint le pays bas-breton, tel qu'il était encore à cette époque où l'absence des voies de communication l'isolait presque complètement du reste du monde. Il nous fait entrer dans les demeures de ses compatriotes, comme on peut en voir encore quelques-unes dans nos campagnes de Basse-Normandie et de Bretagne. Un toit de chaume abritait un rez-dechaussée obscur, éclairé seulement par la porte. Une lucarne était un luxe à cause de l'impôt des portes cl fenêtres. Un ou deux lits à deux étages fermés par des rideaux servaient, sur la terre battue, à abriter toute la famille. Un coffre contenait la vaisselle et les provisions, le pain qu'on cuisait une fois par semaine. Des pierres posées de chaque côté de la vaste cheminée permettaient au maître et à la maîtresse de s'y reposer ; ces places leur


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revenaient de droit. Une chandelle de résine dans un grand chandelier de fer-blanc, quelquefois une armoire de chêne sur laquelle les brocanteurs n'avaient pas encore mis la main, de petits miroirs, un rosaire à gros grains, une image coloriée représentant la Passion ou le Juif-Errant, complétaient le mobilier.

Ces demeures étaient bien rustiques, mais les paysans y vivaient heureux. Ils étaient tous propriétaires de leur maison et de quelques lopins de terre. Leur nourriture était frugale : du pain de seigle, du lait, la soupe aux choux. Les plus riches avaient un verger et un pressoir.

A la première heure du jour, tout ce monde s'éveillait au son de l'Angelus. Les hommes allaient aux champs, par les chemins creux, avec leurs grands chapeaux, une courte pipe à la bouche, la main appuyée sur le cou de leurs boeufs. Il ne restait plus dans le village que les plus jeunes enfants et quelques femmes âgées qui filaient et tissaient au logis. Mais, à certaines époques de l'année, pendant les foins, à la cueillette des pommes, des noix et des cerises, temps heureux pour l'enfance, l'émigration aux champs était générale.

La maison où demeurait Jules Simon était la plus importante du village. Elle était en pierre. On l'appelait le château de Kerjau et elle avait servi autrefois d'auberge, à l'enseigne du Cheval Blanc. Elle était au chevet de l'église et, comme Jeanne d'Arc à Domrémy, Jules Simon pouvait de sa chambre entendre les chants des prêtres.

Le cimetière tout voisin jetait une note triste sur l'entourage et un grand sapin, refuge des corbeaux du voisinage, projetait son ombre sur l'entrée. Mais, derrière la maison, il y avait un jardin tout fleuri, rempli de fruits délicieux.

Il faut lire dans Jules Simon ces descriptions qui sont autant de petits tableaux, chefs-d'oeuvre du genre, pour en saisir tout le charme et l'art.


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Et quelles joies quand Jules Simon faisait des promenades avec sa mère et ses soeurs au milieu de cette belle nature ! « Le chemin de Saint-Jean à Pontécouvrant était si étroit et si profondement enfoncé entre les deux haies qu'on était obligé de marcher dans l'eau ; heureusement que nous avions tous des sabots. Il fallait s'arrêter à chaque instant pour cueillir du chèvrefeuille et des églantines et en faire des bouquets à ma mère. Elle arrivait toute fleurie au bord de l'eau et puis distribuait ensuite ses fleurs qu'elle même mettait dans ses cheveux et nous autres hommes à nos boutonnières. J'étais un homme de dix ans dans ce tempslà. Oh, l'heureux temps ! Le Recteur était quelquefois de nos parties. Il nous racontait des histoires de la Révolution. Il lui arrivait aussi de nous mener manger des crêpes au Presbytère. »

Quel est l'enfant ayant séjourné à la campagne qui ne se retrouve dans celle description des travaux des champs. « Si vous avez toujours vécu à la ville, vous ne savez pas le plaisir qu'on éprouve à visiter les journaliers sur les cinq heures, à leur apporter du pain et du cidre bien frais, à botteler avec eux la paille et le foin, à monter sur le haut des meules et à y trouver un camarade qui vous fait dégringoler plus vite que cela. J'avais une fourche de ma taille pour aller jouer avec les autres. Comme on chantait! Les filles savaient autant de chansons qu'il y a de jours dans l'année. Il y en avait quelques-unes en français qu'on me faisait répéter et on poussait en m'écoutant de grands éclats de rire. » Les petits Bretons riaient de son français qui sonnait mal à leurs oreilles.

Puis le repos venait après des journées si bien remplies. « Quand j'avais bien couru toute la journée, c'était un moment délicieux pour moi que celui où je sentais venir le sommeil. Je pensais que tous le monde m'aimait et que j'aimais tout le monde. Je pensais qu'on m'aimerait encore plus quand je serais grand, parce que je ferais plus de bien.


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Le sommeil bienfaisant venait par là-dessus. Je me réveillais le matin gai comme un pinson et je commençais par embrasser tout le monde pour me mettre en train. »

Ainsi s'écoulait insouciante et heureuse l'enfance de Jules Simon dans cette maison qu'à la fin de sa vie il voyait encore telle qu'elle était réellement. « Une pauvre maison, niais on y était si heureux. On s'y aimait tant. On y faisait tant de bien. C'était la maison des pauvres et des malades. On la disait dans le pays la maison du Bon Dieu. Ma mère passait sa vie à consoler et à soigner. »

Avec « les Premières Années » nous connaissons des moeurs vieilles d'un siècle, mais qui paraissent beaucoup plus anciennes encore. Quelques réjouissances rompaient dans le cours de l'année la monotonie de cette vie champêtre. Il y avait une foire de deux jours, le dimanche et le lundi, quinze jours après Pâques. On y vendait tout à la fois pains d'épices, bigorneaux, boudins, saucisses, toiles de chanvre, draps et cotonnades, chapeaux d'hommes, coiffes et bétail. On y faisait les approvisionnements de l'année. On y venait de loin, de Locminé. de Bignan, de Ploërmel, de Plumelec.

Quand on tuait le porc une ou deux fois par an, on offrait un grand dîner qui durait la moitié du jour.

Un mariage était une grande fête à laquelle prenaient part des centaines de convives qui ne cessaient de boire et de manger pendant trois jours ; ils apportaient leurs verres et leurs couverts en bois. Des pièces de cidre étaient mises en perce aux bouts de la table. Pendant le repas, binious et bombardes faisaient rage. On jetait un drap sur le chemin qui conduisait les fiancés de leur demeure à l'église. Les invités y déposaient leur offrande plus ou moins riche suivant leurs moyens. C'était quelquefois une petite pièce de monnaie. « C'est trop, disait la fiancée. — Jamais assez pour ma douce amie. »


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On ne parlait que le breton, sauf dans la famille de Jules Simon.

Il y avait aussi les fêtes politiques et religieuses qu'entretenait soigneusement le clergé tout puissant alors el qui faisait accepter son intervention dans toutes les affaires publiques et privées par l'esprit charitable qui l'animait, par le bien qu'il répandait autour de lui.

A la Saint-Louis, le juge de paix, Monsieur de la Goublaye qui avec sa robe, sa ceinture blanche, son ruban rouge et sa perruque poudrée était bien plus décoratif que le sous-préfet, allumait le feu de joie pendant que le Recteur entonnait un cantique qui avait pour refrain :

Vive la France, Vive le Roi, Toujours en France Les Bourbons et la Foi.

On chantait « Vive Henri IV » el le Recteur à l'église lisait en breton le Testament de Louis XVI qui arrachait des larmes à toutes les femmes.

Il y avait un tir où s'exerçaient les paysans dont quelques-uns avaient acquis une habileté extraordinaire dans les guerres de la Chouannerie. Il y avait notamment un Cadoudal qui, tous les ans, gagnait un mouton offert par le père de Jules Simon.

On a beaucoup écrit et disserté sur les causes de la Chouannerie. Jules Simon les explique tout naturellement. Les Bretons se soulevèrent sur l'ordre de leurs curés. S'il y avait un motif, c'était le respect inné des habitudes consacrées et des usages établis. « Nous n'avons pas besoin de changer », disaient ces paysans plutôt apathiques et doux qui faillirent, par leur résistance obstinée, faire sombrer la Révolution.

Chateaubriand dont l'imagination avait été aussi frappée par le souvenir des cérémonies religieuses de la Bretagne en fait revivre la poésie dans le Génie du Christia-


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nisme, celle oeuvre qui contribua à relever la religion de ses ruines par l'influence qu'elle exerça sur les esprits au début du siècle dernier. Jules Simon quand il les décrit à son tour n'est pas inférieur au grand écrivain.

Il nous montre celle pauvre église de campagne dans laquelle on entrait par une porte de côté, en passant sous un ossuaire, spectacle qui l'effrayait horriblement, mais que les paysans affrontaient avec une parfaite indifférence. Vieille, lézardée, penchée et soutenue d'un côté par des troncs d'arbres posés en arcs-boutants, l'église était ornée à l'intérieur de statues en plâtre coloriées et dans le milieu s'élevait une table de pierre qu'on appelait le tombeau de Saint-Jean et qui avait été peut-être un cromlech. La pauvreté de l'église, son misérable aspect disparaissaient devant la grandeur de celle foule croyante de femmes à genoux au bas de la nef, où avec leurs cornettes empesées elles formaient comme une nappe immense, d'hommes debout devant elles, ayant la foi robuste et profonde. Ils étaient très fiers de leur église et soutenaient qu'elle était plus belle que celle de Bignan et de Plumelec.

La voûte était peinte. On y voyait le Paradis et un Enfer effrayant qui chaque année fournissait au recteur, dans le sermon de la Passion, le motif d'un de ses plus beaux mouvements d'éloquence. « L'Enfer, le voilà ! » s'écriait-il en se tournant vers la voûte, au grand effroi de ses auditeurs.

La messe de Noël était une grande solennité. Le carillon tintait depuis l'Angélus du soir jusqu'à minuit. Quelque fût le temps, les groupes de paysans quittaient leurs chaumières souvent fort éloignées pour se rendre à la messe, marchant silencieux à travers la lande, suivis des femmes et des enfants babillards. Sous le ciel brumeux de la Bretagne, l'étoile des Mages ne les guidait pas toujours. Vers onze heures, le bruit des sabots dans toutes les directions annonçait leur arrivée. Ils venaient jusqu'à la maison de


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Jules Simon où les femmes seules entraient. Les hommes restaient au dehors. On se réchauffait devant un grand feu où étincelait la bûche de Noël, tronc d'arbre non débité ni dégrossi, que quatre boeufs avaient amené tout exprès et qu'on avait recouvert de guirlandes de fleurs sauvages.

Au coup de minuit, les cloches sonnaient à toute volée. Le recteur, que des paysans avaient accompagné en tirant des coups de fusil en signe d'allégresse, se découvrait et, debout sur le perron, il disait les prières de l'Angélus, « Angélus Domini nuntiavit Mariae. » Le peuple répondait, puis il montait le haut escalier de pierre qui conduisait au cimetière et entrait dans l'Eglise suivi de la foule qui chantait des cantiques en langue bretonne. Suivant un usage traditionnel, les fidèles déposaient leur offrande sur le tombeau de Saint-Jean.

Trois gendarmes, sabre au clair, entourant l'autel, le maire avec ses deux adjoints debout du côté de l'Evangile, ceints tous les trois d'une écharpe de soie blanche, une musique composée d'un fifre et d'un tambour, ajoutaient encore à l'éclat de la cérémonie.

On réveillonnait ensuite avec des crêpes de blé noir arrosées de cidre.

Celle nuit de Noël a donné à Jules Simon la matière d'une de ses plus jolies pages. « Je savais de science certaine que l'Enfant Jésus allait descendre au milieu de nous au moment de l'élévation, mais je savais aussi qu'on ne le verrait pas, ce qui diminuait singulièrement ma joie. Sa figure m'était familière, car mes soeurs avaient eu soin de me donner son portrait fait en cire par un artiste de Lorient. Je n'en regrettais pas moins de ne pouvoir lui baiser la main en signe de tendresse et d'admiration. Je me sentais le coeur plein de reconnaissance pour lui, surtout quand je songeais qu'il n'oublierait pas une paire de souliers que j'avais placée dans la cheminée de ma chambre »


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Il ajoute, parlant de ses parents : « Que n'ai-je pu garder les témoins de ma longue vie. Ils me rendraient aujourd'hui les mêmes services qu'autrefois. Je leur rendrais la même amitié. Nous constaterions avec un peu de honte et peut-être aussi avec une secrète joie que l'âme, ne change pas autant que le corps. Je sais bien parbleu, que je suis un vieillard, mais quand je réfléchis le matin quelques instants à l'heure où ma mère venait me baiser, je me dis quelquefois que je suis encore son enfant ».

Le jour de la Saint-Jean, on jouait la Tragédie, la Passion ; on représentait quelquefois l'Histoire d'un Martyr. Nous sommes alors reportés non plus à la Restauration, mais en plein moyen-âge, à l'époque des Mystères. Ces représentations donnaient lieu à de longs préparatifs dont s'occupait toute la commune. Les acteurs précédés de tambours et de fifres, portant des branches d'arbres enrubannées, allaient de ferme en ferme faire la quête.

Au calvaire de Kerinnec, on attachait Jésus-Christ à la croix ; on le laissait sous la surveillance de deux soldats et on ne le détachait qu'après les Vêpres, si ses forces lui permettaient d'attendre sa délivrance. Après récartèlement de Saint-Damien, on amenait le martyr sur la scène où l'attendait un choeur dans lequel Jules Simon, costumé en ange, chantait des cantiques.

Nous n'écoutons pas seulement clans « les Premières

années » le récit des moeurs d'une époque disparue. Jules

Simon nous trace encore les portraits des contemporains

de son enfance et il complète ainsi le tableau si curieux

qu'il nous a laissé de la Bretagne de la Restauration.

Il nous a montré sa mère « La Providence du Pays ». Il parle aussi de son père qu'il représente un peu trop grand, ayant près de six pieds, un peu gros, d'une force herculéenne, d'une santé inaltérable. Sa figure était belle et noble malgré une calvitie presque complète. Il portait


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le costume du temps, culotte courte, veste de piqué blanc, habit bleu clair à la française, orné de boutons immenses et très historiés. Il était taciturne, restant quelquefois des journées sans parler, n'ayant d'autre distraction que la pêche. Cette tristesse qui assombrissait l'enfance de Jules Simon, n'était peut-être pas seulement maladive ; elle avait aussi pour cause les revers qui avaient frappé sa famille.

M. Simon père était considéré comme un bleu dans un pays où il n'y avait que des blancs, non pas qu'il manifestât bruyamment ses préférences politiques, mais n'étant pas d'origine bretonne, ayant servi sous la Révolution, il avait le tort, pour les gens de son entourage, de n'avoir pas été chouan. Jules Simon, à un. âge où les premières impressions sont si durables, subit ainsi des influences contraires, celle de sa mère dont les sentiments étaient royalistes et profondément religieux, celle de son père, qui était un libéral. Celui-ci avait toujours sur lui une tabatière qui portait sur une de ses faces la Charte imprimée en caractères microscopiques. « Quelle imprudence! » disait Madame Simon.

Les libéraux se défendaient presque d'être partisans de la Charte. « Où est le crime ? » avaient-ils coutume de dire. « Le roi l'a voulu ».

Avec M. Simon père, le principal personnage de Saint-Jean-Brevelay était le Maire, M. Ozon, le plus riche propriétaire de la commune, le seul qui sût lire et écrire avec M. Ohio qui, aux fonctions de greffier de la justice de paix joignait celle de maréchal-ferrant, maniant indifféremment la plume et l'enclume. Le maire, légitimiste ardent, attaché aux anciens usages, vêtu de la veste bleue brodée en soie rouge et jaune avec un grand soleil au milieu du dos, trouvait que l'instruction était inutile pour le peuple et qu'elle ne pouvait que favoriser la Révolution. Selon lui, l'éducateur du peuple devait être le recteur et


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en fait, l'abbé Moizan, vieux prêtre qui avait été l'aumônier et le pourvoyeur de ce qu'on appelait l'armée de Cadoudal et qui à partir de 1802, depuis les troubles, n'avait pas quitté ses paroissiens, se chargeait à merveille de leur inculquer les principes chers au maire. Il n'y avait aucun nuage entre le pouvoir civil et le pouvoir ecclésiastique, ce dernier absorbant l'autre. Le recteur était le seul, qui parlât aux paysans de leurs devoirs ; ils avaient tous en lui une confiance aveugle. C'était d'autre part un excellent prêtre faisant en quelque sorte parlie de toutes les familles, donnant comme la plupart des curés bretons tout ce qu'il avait, pratiquant la charité et la fraternité. Le refrain de ses sermons était: « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres ».

Puis que de figures attachantes ! Marion la servante avec qui Jules Simon faisait le tour du champ de Colas et dont il racontera l'histoire; Jean le Flo qui deviendra l'instituteur de Saint-Jean-Brevelay et qui sera le héros de son livre sur l'instruction gratuite et obligatoire; tante Gabrielle, cousine que son père avait recueillie et dont il était si choyé et celle touchante petite tante Vincente, à qui l'Académie Française décerna plus tard un prix de vertu ! Jugez s'il lut mérité ! Tante Vincenle sans ressources, était venue un jour après la mort de son père, enseigne de vaisseau retraité, demander un abri au maire, M. Ozon, amenée-là, disait-elle, par Madame Sainte-Anne pour y accomplir sa destinée. Le maire l'installa dans une vieille maison couverte en chaume qu'il possédait dans le bourg. Préoccupée du sort des enfants qui ne recevaient aucune instruction, elle eut l'idée de créer une école. Le maire, devenu moins hostile à l'enseignement, l'y aida. Quelques planches servirent de cloison pour la classe où vinrent d'abord six ou sept petites filles. Les habitants se cotisèrent pour nourrir l'institutrice. La mère de Jules Simon donna par semaine une miche de pain et du bois


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de chauffage ; quelques fermiers y ajoutèrent du lait et des légumes. Quant à l'argent, il n'y fallait pas songer dans un pays où toutes les transactions se faisaient par échanges. Néanmoins tante Vincente était toujours gaie. On entendait de loin son rire sonore et les femmes du pays aimaient à plaisanter avec elle le soir, à la veillée. Il fallait excepter les hommes, « car pour nous autres, dit Jules Simon qui note ici un trait du caractère breton, nous sommes toujours graves et taciturnes dans toute la presqu'île ».

Tante Vincente partageait ses modestes repas avec les enfants qui n'avaient pas à manger. Elle recueillit un jour une petite fille abandonnée ; charitable comme SainlMarlin, elle lui donna un merceau de sa couverture, une méchante couverture à moitié déchirée. A celte pensionnaire vinrent se joindre quelques autres petites filles. Elle en eut bientôt douze, sans compter l'instruction qu'elle donnait aux enfants du village et les soins qu'elle prodiguait aux malades. Voilà tout le bien qu'elle réussit à faire dans un pays où elle était venue vivre en mendiante, trente-deux ans anparavant. Quand elle mourut, Jules Simon l'assista à ses derniers moments avec M. Ozon et l'abbé Moizan qui vivaient encore. « Je dois tout à l'intercession de la bonne Madame Sainte-Anne d'Auray el à votre bonté, dit-elle, en regardant ceux qui l'entouraient, puis, attirant à elle Jules Simon, et à ma bonne chère sainte Marguerite ». C'était le prénom de la mère de Jules Simon.

En nous racontant les souvenirs de son enfance, en nous faisant pénétrer dans ce coin perdu de sa province natale où comme il aimait à le redire, il avait passé les meilleurs moments de sa vie, Jules Simon nous lègue un tableau instructif de la Bretagne telle qu'elle était de 1815 à 1830, avec ses moeurs naïves et qui nous paraissent aujourd'hui si lointaines, il nous fait connaître ce monde


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si pittoresque qui tend de plus en plus à disparaître, il ajoute à l'histoire un chapitre qui par la grâce et l'émotion du style est un hymne à la gloire de sa chère province. Mais, il fait plus encore. En nous révélant les premières impressions que sa conscience recueillit dans ce milieu calme et heureux où, ainsi qu'il le dit, « tout le monde s'aimait », il nous permet de suivre l'influence qu'elles exercèrent sur le reste de sa vie, à partir du jour où il quitta la maison paternelle de Saint-Jean-Brévelay pour aller étudier au collège de Lorient, puis à celui de Vannes et commencer son apprentissage d'homme.

(A suivre). Ed. DE MARCERE.


LES ARMES DE FLERS

De gueules, à deux navettes d'or posées en sautoir, accompagnées de trois bobines d'argent, 2 et 1, au chef de France. Comme accessoire, une couronne murale à trois tours d'or.



Les Armes die Flers

Fiers n'étant, sous l'ancien régime, qu'une bourgade de médiocre importance, ne pouvait avoir de blason, à l'instar des vieilles cités, comme Vire et Domfront, qui avaient rempli un rôle politique cl joui de franchises municipales.

En 1863, M. Canel, l'auteur de l'Armoriai des Villes de Normandie, prit sur lui d'en composer un, dont le mérite, comme on le verra, n'était pas la simplicité. Il s'exprime ainsi :

« L'important chef-lieu de canton FLERS ne possède pas d'armoiries particulières. Il n'a jamais connu que celles de ses seigneurs, — les suivantes :

« Armes des d'Aunou : D'argent, à la fasce de gueules, accompagnée de trois aigles, du même, deux en chef et une en pointe ; — pendant deux siècles environ ;

« Armes des d'Harcourt : De gueules, à deux fasces d'or ; — vers 1383 ;

« Armes des Grosparmy : De gueules, aux jumelles d'argent, et, en chef, le lion passant, du marne ; — vers 1404 ;

« Armes des Pellevé : De gueules, à une tête humaine d'argent, au poil levé d'or ; — de 1547 à 1738 ;

« Armes des La Motle-Ango : D'azur, à trois annelets d'or ; — jusqu'à la Révolution ;

« Il est à remarquer qu'Ange-Hyacinthe de La MotteAngo, qui devint seigneur de Flers à la mort de sa mère, Antoinette de Pellevé, n'employait pas simplement le blason de sa famille. Voici le détail de son écu : Aux premier et quatrième, de gueules, à la tête humaine


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d'argent, le poil levé d'or (qui est de Pellevé) ; aux deuxième et troisième, de gueules, à neuf macles d'or (qui est de Rohan) ; sur le tout, d'azur, à trois annelets d'or (qui est de La Molle-Ango). — Les quartiers 1 et 4 venaient d'Isabeau de Rohan, femme, en 1593, de Nicolas de Pellevé.

« Les Pellevé, dont le nom est cité dans l'histoire, ont contribué à donner de l'importance à la ville de Flers, surtout en obtenant de Louis XIII l'établissement de nouvelles foires et de notables privilèges pour les écoles du lieu. Peut-être serait-ce un prétexte pour que la ville se mît en mesure pour obtenir la concession de ce blason ?

« Pourquoi, d'ailleurs, ne revendiquerait-elle pas le suivant : Eeartelé, au premier, d'argent, à la fasce de gueules, accompagnée de trois aigles du même; au deuxième, de gueules à deux jumelles d'argent, et en chef le lion passant, du même; au troisième, de gueules, à une tête humaine d'argent, le poil levé d'or ; au quatrième, d'azur, à trois annelets d'or ; enfin, brochant sur le tout, de gueules, à la navette d'or ?

« Pour le passé, les emblèmes attribués aux quatre anciennes et puissantes familles, qui ont principalement.' aidé aux développements successifs de la localité ; pour le présent, l'emblème de son industrie si importante des coutils et du linge de table. »

Sur-le-champ, l'idée suggérée par M. Cânel ne trouva pas d'écho. Mais quelques années plus tard, M. Toussaint, maire, la reprit pour son compte personnel, et retint là navette dont le choix lui avait paru judicieux. On était en 1868. Lesassises.de l'Association Normande devaient, l'année même, être tenues à Fiers ; une exposition industrielle, artistique et agricole était annoncée; de hautes notabilités accompagneraient sans doute le distingué Président, M. de Caumont, un des hommes les plus érudits du temps. Fiers devait en conséquence préparer


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sa toilelte des beaux jours pour faire honneur à ses hôtes de marque. M. Toussaint s'adressa à M. Belloir, peintredécorateur à Paris, pour la partie décorative et l'installation des locaux; après avoir pris l'avis de M. le Comte de La Ferrière, il le chargea par la même occasion de composer des armoiries pour la jeune cité, en y faisant entrer la navelle et les bobines, symbole de son industrie.

On a dit à celte occasion : « Fiers, ville moderne, n'avait pas besoin de blason. Heureux les peuples qui n'ont pas d'histoire. Fiers est dans ce cas. » A cela on pourrait objecter que les peuples jeunes s'empressent d'adopter un drapeau spécial, qui devient pour eux un signe d'union, de ralliement. Pourquoi une ville, qui. en somme est une petite pairie, n'en ferait-elle pas autant, en se créant un écusson particulier, c'est-à-dire une marque distinclive ?

Fiers eut donc son blason, et c'est à l'occasion des fêles de l'Agriculture et de l'Industrie, données dans la circonstance précitée, qu'il fut inauguré. Quelque temps après, la Fanfare municipale le fit broder sur sa bannière, et le produisit dans de nombreux concours, où il fut témoin de ses succès. Plus lard, en mars 1877, M. Toussaint, désirant le faire graver sur le sceau de la mairie, s'adressa à l'autorité préfectorale, qui, à la date du 3 avril de la même année, en approuva la composition, savoir : fond rouge, avec deux navettes d'or en sautoir, accostées de trois bobines d'argent, le chef de France.

Le choix des fleurs de lys fut critiqué. On les regardait alors comme un emblème séditieux. Certains auraient préféré les abeilles, symbole du travail ; mais on leur objectait que l'Empire s'en étant emparé, elles étaient également séditieuses. D'autres voulaient trois croissants d'or, avec celte devise : Crescendo, en rapport, disait-on,


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avec les constants progrès de la cité. M. Toussaint répondait aux contradicteurs qu'il avait adopté les fleurs de lys en souvenir des lettres royales, revêtues du sceau fleurdclysé, créant le marché de Fiers. Il entendait parler sans doute des foires, car le marché du mercredi remonte si haut dans la nuit des temps qu'aucun document n'en fixe l'origine. Quoi qu'il en soit, la déclaration de M. Toussaint esta retenir ; c'était l'écu de France qu'il avait voulu introduire dans les armes de Fiers. Quant à l'émail du champ , l'écarlate convenait d'autant mieux qu'elle rappelait la couleur portée par plusieurs anciennes familles seigneuriales, notamment les Pellevé, qui avaient tant fait pour l'augmentation et la prospérité de la localité. En outre, le gueules s'applique, d'après un très vieil auteur, Sicille, qui écrivait du milieu du XVe siècle, aux vertus de hardisse et de persévérance, qui conviennent si bien à nos commerçants, et au jour de mercredi, qui est le rendez-vous de nos agriculteurs.

Ainsi, à partir de 1877, grâce au cachet municipal, tous les documents émanant de l'hôtel-de-ville répandent la connaissance des armoiries adoptées. De plus, on les exhibe dans foules les cérémonies publiques, dans les fêtes et banquets du 14 Juillet, de la Saint-Gilles, des Comices, des réceptions officielles. Enfin, on les arbore sur la façade des édifices publics, hôtel-de-ville, théâtre, écoles, collège, marché-couvert, etc.

Mais pourquoi faut-il que l'écusson du sceau de la mairie, le plus ancien en date el le seul rationnel et dûment approuvé, lequel par conséquent aurait dû servir de type aux reproductions subséquentes, n'ait pas été fidèlement imité? Voici probablement l'origine de cette regrettable: erreur, qui fait que l'étranger s'étonne à bon droit de l'anomalie existante. Il y a juste trente ans, un journal local publiait ceci : « Nous avons remarqué dans la salle de


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la Bibliothèque municipale un tableau représentant les armes que la Ville s'est données : un écusson portant deux navettes en sautoir et trois bobines d'argent sur fond d'azur. Le chef est de gueules, avec trois fleurs de lys d'or. » Celte citation prouve que, dès 1880, figurait ostensiblement, dans un édifice public, une contrefaçon du type officiel de la mairie. L'auteur du blason de la Bibliothèque, par inadvertance ou ignorance, peut-être par un simple caprice, avait transposé les émaux, mettant le bleu ou azur, que l'on représente sur les dessins non coloriés par des traits horizontaux, à la place du rouge ou gueules, représenté par des traits verticaux, et vice-versa. Il est cependant bien notoire que l'écu de France se compose de trois fleurs de lys d'or sur fond d'azur, et les villes qui l'ont inséré dans leurs armoiries ne s'y sont pas trompées, telles, par exemple, Rouen, Le Havre, Evreux, Laigle, Verneuil, Carentan, et une infinité d'autres. Si quelquesunes, comme Les Andelys, ont dérogé à cette règle, leur choix est sujet à caution, et, en tout cas, n'est pas à imiter.

Pour ce qui nous concerne, l'erreur signalée s'est manifestée en maintes circonstances. D'abord au Théâtre, où l'écu inexact est accompagné de la devise de Gambelta : Labor, Pax, Libertas ; ensuite au Marché-Couvert, aux Ecoles, au Monument Jules-Gévelot, à l'Hôtel-de-Ville. Oui, même au Château, le superbe écusson émaillé qui orne la laçade est erroné. Larousse, dans son Nouveau Dictionnaire illustré, et les commerçants qui, comme lui, ont copié les édifices publics, reproduisent la même inexactitude (1).

(1) Plusieurs brochures, parues dans ces derniers temps, sont dans le même cas, notamment l'Inauguration de l'Hôtel-de-Ville et les Bulletins du Pays Bas-Normand, dont les écussons vont être rectifiés. De son côté, M. Auguste Lelièvre reconnaît volontiers que la description donnée par lui, dans son Fiers au XIXe siècle, p. 71, est défectueuse. C'est même à sa demande que nous signalons le fait.


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Dans le but de mettre un terme à cette divergence, répétons encore que seul est exact le sceau de la mairie, qui doit se lire ainsi : De gueules, à deux navettes d'or posées en sautoir, accompagnées de trois bobines d'argent, 2 et 1, au chef de France. Comme accessoire, une couronne murale à trois tours d'or.

Conclusion. — Il est vivement à souhaiter que les armoiries ornant nos édifices publics soient rétablies suivant les dispositions du sceau municipal, conformes aux dessins qui accompagnent cette notice.

A. SURVILLE.


LABEUR DE POÈTE

Le métal est en fusion ;

Il faut qu'il coide, Brasillante confusion

Où de l'or roule Avec du sang, avec des pleurs....

De la fournaise Des flammèches, comme des fleurs,

Des fleurs de braise, Eclosent sous le tisonnier,

Incandescentes, Et les révoltes du brasier

Sont mugissantes

Des grands fondeurs les torses nus Rougeoient et fument.

Leurs ombres de brouillards ténus, Roses, s'embrument...

Les moules baillent, préparés :

La fonte y coule. Le tumulte des flots pourprés

Flamboie et roule... L'oeuvre est grandiose et sublime

Que l'ouvrier Affine et polit à la lime

Dans l'atelier...

O les imaginations,

Forges sublimes. Feux d'où les évocations

Sourdent en rimes !

Le poète souffre et combat Dans leurs fournaises

Lorsque l'idée en son coeur bal Au vent des braises...

Jaillie, elle brûle ses yeux

La fonte rouge, Serpent de feu, souple el soyeux

Qui toujours bouge ; Il l'entrave dans chaque anneau

D'or de sa phrase La tord, acier que le marteau

Pesant écrase...

Puis l'affine joyeusement,

Puis la cisèle El la fixe à son firmament,

Etoile frêle...

Alors il marche à sa clarté

Dans la nuit noire Les yeux tendus vers la Beauté

El vers la Gloire...

G.-G. MAUVIEL.


LES RAMEAUX

« Elle fut, elle aussi, une déracinée, c'est-à-dire un être transplanté de sa campagne, de son pays natal, dans la fournaise des villes ».

RENÉ BAZIN (La Terre qui meurt).

Yannik a seize ans... son teint est clair et rosé comme un pêcher en fleurs, ses cheveux d'un blond- chaud la coiffent d'or vivant, ses yeux ont la couleur du flot, de ce bleu-vert indécis qui, parfois devient si foncé, que les vieilles femmes du pays disent qu'elle a des yeux, qui changent de couleur. Tout en elle respire une grâce saine, elle est comme ces brins d'ajoncs qui ont poussé drus et fermes balayés par tous les vents vivifiants du large. Elle a été élevée à la dure ; le père, marin, comme ils le sont presque tous dans l'île de Sein, il lui a fallu toute petite assumer la tâche de remplacer la mère morte trop jeune et donner la béquée aux deux garçonnets, aussi n'a-t-elle jamais connu l'ivresse des longues journées ensoleillées où les gamines du port s'en vont, sous couleur de pêche, se poursuivre pieds-nus sur les galets et quémander des sous aux touristes nombreux dans ces parages. Cette enfance laborieuse lui a fait ce calme visage et mis dans ses yeux celle lueur sérieuse que connaissent seuls ceux qui ont souffert de bonne heure de la vie. Aujourd'hui, c'est une tiède fin de journée de septembre, le soleil descend sur la mer, une grande paix plane sur la côte si sauvage et si tourmentée ; le recueillement du soir rose des lumières du couchant semble apaiser le fracas des flots qui, même aux jour les plus calmes, battent inlassablement les grèves. L'église de Saint-Corentin


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dresse dans la nue son fier clocher et à l'extrémité de l'étroit chemin de douane, tout juste large pour le passage d'une chèvre. Yannik s'avance recueillie et grave. Elle marche dans un rêve, ses yeux ne quittent la mer que pour se poser sur les rochers de la pointe de Gador dont on aperçoit les silhouettes découpées, elle a mis sa coiffe des dimanches et les grandes ailes lui font une auréole.

Pourquoi votre regard, jeune fille, semble-t-il emporter comme pour un adieu le paysage tout entier ? Ne le retrouverez-vous pas demain ? Non, Yannik ne le verra pas de longtemps et c'est pour cette raison que ce soir elle en emplit son âme avant de le quitter.

L'été qui vient de finir, tentée par les gros gages que lui ont offert un ménage riche qui villégiaturait sur la côte, elle a accepté, presque sans lutte, une place de femme de chambre et c'est son dernier soir de Bretagne, demain elle rejoindra ses nouveaux maîtres. Oh ! que son coeur lui semble lourd à porter, comme ses yeux s'embrument de larmes, mais elle est vaillante fille de marin, habituée aux départs, personne ne la verra pleurer. Son petit trousseau dans une modeste valise, elle grimpait le lendemain à côté du chauffeur sur la limousine de luxe qui ramenait ses maîtres à Paris ; les yeux secs, la bouche serrée, elle ne regardait plus rien... l'ivresse de la vitesse, le changement de sites firent une diversion à son chagrin.

On arriva... dès la première heure, elle connut les moqueries du personnel qui, la trouvant paysanne et gauche, ne se fit pas faute de le lui faire sentir. La patiente douceur, le charme infini qui se dégageait de son pur visage, n'arrivèrent pas à les désarmer : elle subissait tous les affronts sans se plaindre. Madame, cependant, la traitait assez bien, c'était une fine parisienne prise dans l'engrenage des mondanités à outrance, et malgré sa vie agitée qui ne lui permettait guère de s'occuper de son intérieur, trouvant cependant le temps de reprocher à


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Yannik son peu de travail, et pourtant Dieu sait si la pauvre petite était laborieuse.

Elle connut les longues veillées sur les banquettes de l'antichambre, à moitié endormie, à attendre jusqu'au petit jour, dans la chaleur malsaine du calorifère, que Madame rentrât de soirée. Elle s'étiolait, ses yeux seuls vivaient trop brillants dans son visage pâle, car en dehors de son service, elle ne prenait aucun repos, elle brodait parfois jusqu'à l'aube des gilets et des coussins, mêlant sur le drap fin les arrabesques de points jaunes qui font comme des buissons d'ajoncs sur le ciel bleu, et le produit de ce travail s'en allait là-bas pour donner un peu de bienêtre à la maisonnée. Elle devint un jour si pâle, si transparente, qu'elle attira enfin les regards du maître de la maison.

« Denyse, dit-il à sa femme, vous devriez prendre garde à votre femme de chambre, ne voyez-vous pas comme cette petite dépérit? elle regrette certainement sa Bretagne, c'est le mal du pays, vous savez que l'on peut en mourir. » Et Madame de répondre: « Ne vous inquiétez pas, mon cher, je la trouve infiniment plus distinguée ainsi », et l'on parla d'une première très en vogue, d'un chansonnier Montmartrois auquel un établissementvdes boulevards offrait un pont d'or pour se faire entendre... et l'on n'y pensa plus...

Les jours ont passé... la petite Bretonne, l'anti-veille du dimanche des Rameaux, a tout d'un coup perdu connaissance dans sa lingerie ; comme un grand lys pâle dont la tige est trop faible pour le soutenir, sa tête s'est inclinée sur le travail qu'elle achevait. On l'a transportée à l'hôpital, car la convalescence sera longue si elle guérit a dit en hochanl la tête le médecin qui l'a examinée, et Madame n'entend pas que ses domestiques meurent chez elle. Dans son lit blanc, Yannik repose... Il y en a douze comme le sien adossés au mur et autour desquels des


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religieuses en cornettes blanches glissent comme des ombres. On entend à peine leurs pas ouatés ; par la fenêtre grande ouverte, entre une bouffée de printemps, la rumeur du grand Paris ne transperce pas ces murs épais, une paix profonde, une ambiance de douceur flotte dans l'atmosphère de recueillement particulier à ces maisons pieuses et les bruits du monde s'arrêtent sur le seuil.

C'est aujourd'hui Pâques fleuries, le dimanche des Rameaux. Par la grande porte vient d'entrer une religieuse tenant une brassée de lauriers et de buis, elle laisse après elle une odeur amère, saine et vivifiante, elle s'arrête auprès des lits des malades et sur la couverture elle dépose une branche bénie qu'elle attachera, le soir venu, à chaque crucifix, elle a un sourire tout particulier pour Yannik que sa jeunesse attendrit ; le jeune fille s'est redressée, le bruit si faible fût-il, l'a tirée de l'espèce de demi-sommeil où elle était plongée, elle a aperçu les rameaux qui lui rappellent son pays. Toute l'âme exquisement mystique de la Bretagne passe en elle, avidement elle plonge ses lèvres dans les brins de buis, elle croit sentir le soufle amer de la brise, elle revoit ces dimanches où chaque année, toute petite, puis jeune fille, elle allait par les sentiers déjà dorés d'ajoncs, porter en procession au calvaire qui domine la mer, les grandes branches de rameaux bénis. Toute la longue théorie des femmes, aux mantes de veuves et aux coiffes de lin, semblent entourer son lit, elle met un nom sur tous ces visages qui lui sont familiers et lui sourient... Dans son cerveau affaibli les cloches chantent, ses yeux s'ouvrent toujours plus grands... ils prennent une expression d'extase ; plus fort maintenant ses doigts se crispent sur le buis vert et luisant, et les feuilles craquent avec un bruit sec de chose brisée qui fait mal à entendre. Un rayon de soleil vient nimber de lumière les cheveux de l'agonisante, car Yannik est à la fin de sa vie... elle croit voir la mer dans ce lambeau de


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ciel bleu qu'on entrevoit par la fenêtre, la mer de son pays... dont les vagues l'appellent et lui tendent les bras.

La religieuse s'est approchée, elle connaît bien poulies avoir vus, hélas trop souvent, ces regards qui'n'appartiennent presque plus à la terre.,, elle attend recueillie... Le rameau a glissé doucement des mains qui se sont ouvertes, Yannik, dans un soupir, vient de s'en aller finir son rêve là-haut... La soeur de Charité lui ferme les yeux, puis pieusement elle croise les mains à jamais immobiles sur la branche bénie qui vient d'aider celle enfant à mourir et au pied du lit elle s'agenouille et prie.

Marguerite HAMARD.

L'Auvraire. Avril 1911.


La Révolution de 1830

A VIRE

PAGE D'HISTOIRE CONTEMPORAINE

par

Ch. PORQUET

« Au seuil du Vingtième Siècle nous avons pour juger les événements de 1830 des éléments d'information et des qualités de sang-froid qui de toute nécessité faisaient défaut aux contemporains. »

THUREAU-DANGIN. (Histoire de la Monarchie de Juillet).

Les publications, parues dans la forme ou sous le litre de Journal, Annales, Mémoires et Notices quelconques, nous ont fait connaître l'histoire sommaire de Vire depuis les temps les plus reculés jusqu'après la Révolution, c'est-à-dire jusqu'au dix-neuvième siècle.

Grâce aux manuscrits conservés dans les archives publiques et aux travaux des Seguin père et fils, des Dubourg d'Isigny, Cazin, Fraitot, nous connaissons, plus ou moins exactement, les événements principaux qui ont précédé la création de la ville que nous voyons aujourd'hui et nous pouvons suivre ses transformations successives au cours de son existence dix lois séculaire.

Ne convient-il pas aujourd'hui de noter et de préciser pour nos futurs historiens les événements qui se sont déroulés au cours du siècle dernier ?


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C'est dans ce but et avec le désir d'assurer la conservation et le souvenir de documents trop exposés à disparaître, que nous voulons écrire cette page d'histoire contemporaine et locale.

Sans retracer ici les crises sociales, politiques et religieuses qui se traduisirent dans le Bocage Normand, et tout particulièrement à Vire, par les occupations Anglaises de 1368, 1412 et 1418, l'insurrection de 1437 contre les Anglais, la reprise de la ville au nom du Roi de France le 26 août 1450, après la victoire de Formigny, les insurrections, calvinistes et catholiques de 1562, 1563 et 1568, le pillage de 1590 par de Vicques, gouverneu d'Avranehes, la révolte des Va-Nu-Piéds du 12 août 1639, la Terreur panique du 10 octobre 16S8 qui facilita très probablement la création de la Milice bourgeoise en 1694, nous arrivons à la fin du dix-huitième siècle pour rappeler les incursions de la Chouannerie Normande qui troublèrent si longtemps les environs de Vire et se manifestèrent notamment par l'affaire du Champ-de-Tracy du 7 juin 1796, et le combat du Clos-Fortin du 27 octobre 1799.

Il paraît donc naturel que la population Viroise, facile à émouvoir au souvenir de toutes ces tragédies, de toutes ces horreurs, se soit impressionnée vivement des bruits sinistres qui circulaient à Paris, au début de l'année 1830, et dont le général Lamarque s'était fait l'écho à la tribune parlementaire. Déjà, d'ailleurs, les incendies ou tentatives d'incendie se succédaient journellement depuis le mois de mars 1830, et l'autorité supérieure était intervenue pour rassurer les populations, rechercher les coupables et prévenir de plus grands malheurs.

Le Comte de Montlivaut, alors Préfet du Calvados, n'hésita pas à venir à Vire pour s'enquérir : lui-même auprès du Sous-Préfet et des maires des causes de tous ces désordes, et, de retour à Caén, il lança la déclaration suivante :


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Caen, le 25 Mai 1830.

Préfecture du Calvados.

« Le Conseiller d'Etat, Préfet du Calvados, gentilhomme de la Chambre du Roi, etc,

Aux habitans du Département.

Le Roi, touché des malheurs qui affligent une grande partie du département, vient d'ajouter encore de nouvelles mesures à celles que, pour y remédier, il avait précédemment ordonnées sur la demande unanime de toutes les autorités.

Une force militaire imposante est en route pour se rendre dans les départemens du Calvados et de la Manche. Outre les renforts qui nous sont déjà parvenus, le 4e régiment de ligne, qui devait partir aujourd'hui pour l'armée de réserve, a reçu l'ordre de suspendre son départ. Deux régimens de la garde royale, l'un d'infanterie, l'autre de cavalerie, seront ici dans quelques jours.

Un des lieutenans-généraux les plus distingués de l'armée vient prendre le commandement de la 14e division militaire et la direction des troupes. Leur nombre considérable permettra d'envoyer de forts délachemens sur tous les points où ils deviendront nécessaires pour défendre les propriétés et poursuivre les coupables.

Ainsi se montrera d'une manière éclatante l'intervention du Gouvernement. Ainsi seront démenties d'absurdes et perfides imputations que votre premier magistrat ne croit pas devoir combattre, parce qu'elles blessent à la fois le bon sens et l'honneur d'un département toujours fidèle. Aussi ne sont-elles pas votre ouvrage; c'est encore une machination de ces lâches incendiaires qui veulent ainsi exciter un mal moral plus grand que le fléau dont ils frappent ces contrées.

Rappelez donc votre sagesse accoutumée, et défendez-vous de ces criminelles suggestions, comme vous vous défendez des torches qui menacent vos habitations.

Sachez apprécier la sollicitude paternelle de ce Roi protecteur, dans le coeur duquel résident la justice et la bonté : confiezvous à vos magistrats ; vous les voyez tous rivaliser de zèle et d'efforts pour vous soulager et parvenir à la rigoureuse et juste punition des coupables... vous reconnaissez en eux des gardiens vigilants ; ne cherchez donc pas à repousser ni leurs conseils ni leur autorité.

Des troupes fidèles et braves, sous le commandement de chefs aussi expérimentés que sages, vont être chargées de la garde de vos propriétés. Bannissez donc ces alarmes qu'on excite avec tant de perfidie pour vous pousser au désordre, et, dans l'intérêt de vos familles, retournez à vos paisibles travaux.


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Ecoulez la voix de celui qui ne vous a jamais trompé, qui place son bonheur dans le vôtre, et rappelez-vous que hors de l'ordre établi par les lois, il n'y a plus ni repos, ni honneur; ni sûreté.

Comte de MONTLIVAUT.

Ces promesses d'intervention furent tenues par le Gouvernement, et Crespin (1) dans ses Annales, après avoir noté la visite du Préfet, mentionne à la date du 27 mai 1830, l'arrivée à Vire de 300 hommes de troupe, bientôt suivie d'un nouvel envoi de 100 hommes du 59e régiment de ligne.

La présence de ces détachements ne paraissant pas suffire, le Préfet, dûment autorisé à recourir à d'autres moyens peut-être plus habiles, s'adressa de nouveau à ses administrés dans les termes ci-après :

Caen, le 11 Juin 1830.

Préfecture du Calvados

Le Conseiller d'Etat, Préfet du Calvados, s'empresse de porter à la connaissance des habitans du département une preuce nouvelle du vif intérêt que le Roi prend aux alarmes et aux malheurs qu'ils éprouvent...

D'après ses ordres, le Gouvernement autorise la publication d'une promesse de récompenses considérables, à ceux qui procurereront l'arrestation de toute personne qui aura fait « des propositions, donné de l'argent ou fourni des matières inflammables pour provoquer et faciliter la consommation du crime d'incendie ».

Celle récompense sera de mille francs, lorsque l'individu signalé aura été reconnu coupable, et pourra même être beaucoup augmentée, en raison de l'importance des révélations.

Le Gouvernement se réserve de solliciter de la bienveillante : justice du Roi des grâces d'une autre nature, quand il y aura lieu.

Ces dispositions, faites pour effrayer la malveillance et ouvrir une voie au repentir, ne peuvent laisser aucun doute sur la ferme volonté du Gouvernement de déchirer le voile dont s'enveloppent les instigateurs de ces crimes odieux, et de les livrer à là fois à l'indignation publique et au glaive de la loi.

Comte DE MONTLIVAUT.

(1) Bibliothèque de Vire. Manuscrit du Journal de Crespin, Etienne, 3 vol. in-4°. Annales de Vire, 2e vol.


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Cependant, les événements politiques se succédaient à Paris ; le 16 mai, le Roi signait l'ordonnance de dissolution des Chambres, prorogées depuis le 10 mars précédent. Les élections du 23 juin assuraient à l'opposition une majorité imposante et auraient du éclairer le Gouvernement sur la volonté exacte du pays. Mais il crut suffisante la diversion due à la Prise d'Alger, qui s'était rendu le 5 juillet, et aux fêtes officielles qui suivirent la publication de cet heureux événement.

A Vire aussi, la municipalité fit chanter un Te Deum d'actions de grâces, et la population répondit à l'appel de son maire, M. Huillard-Daignaux. Le petit Journal Judiciaire, publié à Vire par l'imprimeur Adam et qui était alors le seul journal officiel de l'arrondissement, rendant compte dans son numéro du 22 juillet de cette manifestation religieuse et royaliste, s'exprimait ainsi :

« M. le Maire n'a point parlé en vain.

« Dès le 17, le son de toutes les cloches, des tambours et des trompettes a électrisé tous les coeurs et fait désirer le lendemain. Le 18, de nouveaux sons et de nouvelles fanfares se sont fait entendre.

« A 5. heures, toutes les autorités, escortées des militaires de la garnison et des pompiers de notre ville, précédées des musiques bourgeoise et militaire, et suivies de la presque totalité de la population, se sont rendues à l'église Notre-Dame. Le clergé et les musiques ont réuni leurs voix et leurs sons pour chanter avec plus de solennité le Te Deum et le psaume Exaudiat, qui ont été suivis de la bénédiction du Saint-Sacrement.

« La joie était peinte sur tous les visages et rendait parfaitement les sentiments du coeur. A la sortie de l'église, la troupe s'est rendue sur la place du Château et a manoeuvré, au son de la musique, en présence des autorités. Des distributions de vin ont été faites aux militaires. L'enthousiasme a été généralement partagé.


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« A 9 heures, le son de la grosse cloche a annoncé l'illumination; elle a été générale et spontanée. Beaucoup de maisons ont été pavoisées de drapeaux blancs ; et nous pouvons assurer que, malgré le mauvais temps et la pluie, qui tombait en abondance, les rues étaient encombrées de spectateurs, et des groupes se promenaient en chantant des chansons analogues. Si le temps l'eût permis, d'autres divertissements auraient complété une fête dont les Virois n'ont point eu le bonheur de jouir depuis longtemps ».

Quel enthousiasme ! Quel zèle officieux!

A ces réjouissances de la prise d'Alger, allaient bientôt succéder le mécontentement général, les protestations, l'émeute, la l'évolution.

Charles X, en effet, cédant aux mêmes inspirations qui lui avaient fait constituer le ministère Polignac, n'hésita pas à signer les fameuses Ordonnances du 29 juillet, qui suspendaient la liberté de la presse périodique, prononçaient la dissolution de la Chambre des députés des départements, fixaient les conditions nouvelles du Cens, le mode et l'élection des députés et convoquaient les Collèges électoraux pour les 6 et 13 septembre 1830. )

On sait l'effet produit par ces mesures arbitraires : les sanglantes journées des 27, 28 et 29 juillet précipitèrent les événements, et Paris ne se contenta pas du retrait des Ordonnances. Dès le 28 juillet, le drapeau tricolore avait été arboré; le duc d'Orléans était prêt à prendre la direction du Gouvernement provisoire, et le 1e 1' août, Charles X, réfugié à Rambouillet, sur les instances de la Duchesse de Berry, signait une ordonnance qui nommait Philippe d'Orléans Lieutenant général du royaume.

Mais la journée du mardi 3 août est mémorable.

L'arrivée du courrier, anxieusement attendue, réunit le peuple en foule dès six heures et demie du matin sur la place du Château où les plus zélés lisent à haute et intelligible voix les feuilles publiques.


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Un Comité directeur se forme sous la présidence de M. Le Nouvel, ancien Maire ; le Sous-Préfet, M. de Chantereau, effrayé par l'effervescence populaire, se relire et prudemment ne reparaît point.

Le Maire, M. Huillard-Daigneaux, donne sa démission et est remplacé provisoirement par M. Moulin, premier adjoint, qui cède aux sollicitations du Comité directeur.

Enfin se forme cette « Association Viroise pour le maintien de la tranquillité publique », dont l'existence déjà oubliée par la génération qui nous a précédé, resterait complètement ignorée pour notre histoire locale, si le document, que nous sommes heureux de reproduire, n'avait été retrouvé par nous dans des papiers de famille (1).

Nous transcrivons donc cette pièce curieuse en rapportant toutes les signatures dont elle est revêtue, ou tout au moins celles que nous avons pu identifier :

« Les soussignés, pénétrés de la gravité des circonstances présentes, et craignant que quelques mal-intentionnés ou quelques imprudens n'essayent d'en profiter pour troubler la tranquillité publique, ont arrêté ce qui suit et se sont engagés à l'exécuter :

Art. 1er

Appel est fait à tous les citoyens propriétaires ou chefs de maison et à ceux, qui, n'ayant ni l'une ni l'autre de ces qualités, seront présentés par deux propriétaires ou chefs de maison, aux fins de former une association ayant pour objet de conserver et maintenir la tranquillité publique.

Un registre va être ouvert pour recevoir les signatures de ceux qui désirent faire partie de cette association. En signant l'acte d'association, chaque associé déposera cinq francs entre les mains du caissier. Ces fonds seront employés à acheter des munitions pour l'association.

Art. 2

Tous les signataires se réuniront sous trois jours pour nommer leurs chefs auxquels ils s'engagent à obéir en tout ce qui tendra à remplir le but de l'association.

(1) Papiers Rocherullê-Deslongrais.


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Art, 3 L'asociation une fois organisée, les chefs nommés s'assureront par eux-mêmes si chacun des membres de l'association s'est muni d'armes.

Art. 4 L'association, sur l'ordre de ses chefs, se réunira en armes Loutes les fois qu'ils croiront utile de déployer l'appareil de la force pour maintenir la tranquillité.

Art. 5 L'association se portera partout où besoin sera pour protéger la liberté, la propriété, la sûreté de tous les citoyens indistinctement et sans aucune exception

Art. 6 L'association fera connaître à l'autorité son organisation, son but et se mettra à sa disposition pour concourir avec elle et sur sa réquisition, à assurer en tout l'exécution de la loi.

Art. 6 La présente association n'existera que tant qu'il n'y aura pas de garde nationale établie suivant les lois de l'Etat ; car de ce moment l'association sera dissoute de plein droit.

Vire, le 3 Août 1830.

R. Lenormand

A. Deslongrais

Angoville

L. Marie

L. Dupont

Charles Brouard

G. P Marie

J. F. Alais

Jules Maurice avocat

Legonpil-Juhellé.

Legrain

Pichard

Scrard fils avocat

Bronard-Lesmarais

Richard jeune

Leconte Vivier

Robert fils aîné

Chotel fils

Gomonl fils jeune

Pineau

Bouchard d. m.

Barbol V. Chatel G. La Louel Ballé Le Clerc Courtoise Chatel fils Levergeois David Boscher R. Marie Thre Gosselin J. Degournay Sicot

Juhel Robert Louis Lechericey Lemercier L. Collin fils Lefebvre Gomonl fils aîné Saint Gosselin Thle

Boivin G. F. Désétables Mury De Nicolaïs

Saillofest R. Le Montier

Delise

Besnard

Richard

Lenouvel

Degournay

Alais

Le Besnerais Vergeois

Debré

Debaise

Brisoler Desprès


149 -

Juhellé Richard

Bayeux

Dupont Cotelle

Chatelain

Etienne

Despréault

P. Arsène

Masurie Peltie

P. R. Roger fils

Jean François

Delarue

Robert Quille .

Germain Queillé

Jean François Drouet

Drouet Debaise

Rault

Jehenne

Savarie

Leroy

Duchemin Quentin

Victor Roger fils Morice régent Léonard Le Masurais Barbot-Besnerais Lemansel P. Tumcrel Aze Baumeng L. Aze Le Coq M. Laurent

Prevel

J. A. le Normand

R. Marie

Juhellé Raisin

Le Large Chemin

Guilbert Queruel

Lahaye

J. L. Levergeois

Hamel Lecoq

Alphse Aze Raumeny

Chemin

»

»

Jacques Le Masurais

Chancerel

Le Peltier

Ballière d. m. p.

Le Mardeley

A. l. Lechevrel

Barbot fils libraire

»

Durandière

Belliard Queillé

Delouey Queillé

Vivier Deloué

Venard

Joseph Leconte Paschal

Ledresseur

L'an mil huit cent trente le quatre Août à onze heures du matin, a été pris l'arrêté suivant :

Attendu que la municipalité de Vire se trouvant organisée, elle va s'occuper de suite de la formation de la garde nationale,

La Présente Association est suspendue de ce moment. Le mot suspendu surchargé et approuvé ».

R. LENORMAND. DESLONGRAIS (1).

Ainsi donc, ce groupement du 3 Août qui avait réuni près de 120 noms appartenant aux plus honorables familles de la cité, était déjà dissous le lendemain.

En réalité, il n'avait plus d'objet : la Municipalité était organisée et la Garde Nationale allait se former avec les premiers éléments déjà réunis par M. RocherulléDeslongrais, un des hommes dont la personnalité allait bientôt se mettre hors de pair.

(1) Nous avons rapporté les signatures avec toutes leurs particularités en suivant autant que possible la disposition qu'elles occupent sur le manuscrit. Nous aurions préféré les reproduire par la photogravure, mais la nature du papier a compromis gravement l'état de ce document et nous n'aurions obtenu qu'un résultat défectueux.


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A cet effet, le jeudi 5 Août fut affiché un appel fait aux habitants de Vire de 18 à 60 ans par M. Moulin, faisant fonction de Maire, avec déclaration que les Gardes Nationaux nommeraient leurs officiers jusqu'au grade de capitaine et que les officiers nommeraient le commandant et î'adjudant-major.

Environ 400 bourgeois se firent inscrire, et le samedi 7 août ils se réunirent à neuf heures du matin sur les Halles pour choisir leurs officiers. M. Delise fut nommé chef de bataillon, M. Lavigne, adjudant-major, et M. AlaisPorquet, adjudant sous-officier.

La Garde Nationale de Vire, ainsi formée et provisoirement armée de sabres, d'épées et de fusils de chasse, se trouva régulièrement constituée grâce à un Arrêté préfectoral daté du 6 Août, mais qui ne fut connu et affiché dans la ville que le 9 août.

Elle allait prendre son service d'ordre pour se rendre, sans armes, au passage du Roi Charles X et de sa famille, dont l'arrivée fut annoncée le mardi 10 août par une proclamation de M. Moulin « invitant les habitants à se tenir calmes et à ne pas insulter le Roi dans son malheur ».

Mais nous laissons la parole à l'annaliste Crespin :

« Le 11 août, dit-il, M. Moulin fit publier que les bourgeois logeraient les militaires qui escorteraient le Roi, les nourriraient et ne pourraient les mettre à l'auberge.

« Sur les 1 heure et demie le Roi arriva à Vire avec sa famille composée du duc d'Angoulême (dauphin), la Duchesse, son épouse, la Duchesse de Berry, sa demoiselle et le Duc de Bordeaux, son fils, accompagné du duc dé Raguse qui avait commandé les troupes à Paris et d'autres généraux avec quatre commissaires du nouveau gouvernement. Il y avait à sa suite 12 à 1.300 hommes, dont 1.000 hommes tant en gardes du corps que gardes royaux


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et gendarmes de chasse, et le surplus en domestiques et autres, tous à cheval et en voiture, venant de Condé-surNoireau.

« Le Roi était à cheval le long de la route et monta en voilure à Vaudry (1).

« Le Roi saluait le peuple qui était en foule le long des rues jusque chez M. Roger, au Colin (2), où il logea avec sa famille.

« Le duc d'Angoulême entra à cheval et fut peu reconnu. Ce qui loucha le plus tous les coeurs, c'est la petite duchesse de Berry, âgée de 11 ans, qui se tenait debout dans la voilure, saluait tout le monde avec respect et d'un air humble. Elle en fit autant le lendemain en s'en allant.

« Le Roi, sa famille et son cortège, partirent le lendemain sur les 7 heures du matin pour Saint-Lô ; tous les habitants de la ville de Vire, en foule le long de la route de Neuville jusqu'à la Graverie, se tinrent comme la veille dans le plus grand calme.

« Les Gardes du Roi furent très bien accueillis par les Bourgeois de tous les partis ; ils les en félicitèrent et s'en allèrent très satisfaits.

« Le Roi paya la dépense qu'il fit chez M. Roger.

« Il se fit procurer la proclamation de M. Moulin, relative à la manière dont les habitants devaient se comporter envers lui et ses troupes, il en fui très satisfait, en emporta des exemplaires, et dit qu'il se ressouviendrait toujours de Vire.

« Le Roi Charles X et sa famille s'embarquèrent à Cherbourg le lundi 16 août 1830, vers 1 h. après midi ; de suite, ses gardes furent licenciés. »

(1)Village à 1.500 m. de Vire.

(2) L'hôtel de M. Roger, situé rue du Calvados, existe toujours et est occupé depuis vingt ans environ par une maison de commerce; le parc qui l'entourait a été morcelle, mais en 1830, la propriété du Cotin constituait une très belle et très agréable résidence.


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Rappelons ici, avec M. Fraitot, dans « Vire autrefois » que le Comte d'Artois avait déjà traversé Viré:le 10 mai 1777 et une seconde fois en 1782.

La Révolution de 1830 était accomplie et depuis sept jours le duc d'Orléans était devenu Louis-Philippe I, roi des Français.

Le nouveau gouvernement ne perdit pas un jour pour réorganiser ses administrations et deux Ordonnances Royales, datées de Paris du 16 août 1830, nommèrent l'une M. Lemansel, Sous-Préfet de Vire (1), et l'autre, M. Moulin, maire, avec M. Rocherullé-Deslongrais, comme premier adjoint.

Leur installation eut lieu le 28 août et M. Lemansel prononça le discours suivant :

« Messieurs,

« La charte sera désormais une vérité » ; ces paroles émanées d'une bouche auguste ont retenti d'un bout de la France à l'autre. Elles nous annoncent que le règne des lois commence, qu'à l'avenir l'administration sera ce qu'elle doit être, protectrice et juste, et ne s'appuyant que sur la franchise et la loyauté.

En arrivant sous de tels auspices au poste où la bonté du Roi m'appelle, je me félicite que ce soit de préférence dans ce paisible arrondissement de Vire, dont l'excellent esprit a tant de fois été mis à l'épreuve, parmi des hommes qui me connaissent, que je connais, au milieu de collaborateurs que le bien public a constamment inspirés.

A cet égard, Messieurs, combien il m'est doux d'interroger mes souvenirs. Elevé parmi vous, nos destinées ont été pareilles. Témoins des mêmes événements, nous avons partagé les mêmes travaux, quelquefois les mêmes périls. Dans tes rudes oscillations qui ébranlent les sociétés, et dont nous sommes sortis purs, nous avons éprouvé les mêmes craintes, souri aux mêmes espérances ; en un mot, un même sentiment a souvent fait battre notre coeur, et ça toujours été au profit de la paix, de l'ordre et de la liberté.

(1) Lemansel (François-Julien), né à Bernières-le-Patry, le 8 octobre 1784, décédé à Vire, le 2 janvier 1856. Avocat, juge auditeur près le Tribunal Civil de première instance de Vire dès 1814, il démissionna en 1816. Sous-Préfet de Vire de août 1830 à juiu 1840, il fut brutalement destitué. Cette mesure n'était pas justifiée et produisit la plus mauvaise impression dans l'arrondissement de Vire où son caractère droit et ferme lui avait attiré l'estime non seulement de ses amis, mais même de ses adversaires politiques.


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C'est à celte communauté de rapporls et d'idées que je dois une chose bien précieuse pour moi, votre indulgente affectionVeuillez meta conserver, mes chers concitoyens; m'en priveriezvous au moment même où elle m'est le plus nécessaire, lorsque fesant les premiers pas dans une carrière inconnue, je n'ai pour soutien que mon courage et celte bienveillance à laquelle vous m'avez habitué.

Je pourrais ici comme beaucoup d'autres me confondre en belles promesses, contracter des engagements solennels. L'expérience m'a tant de fois prouvé ce qu'ils valent qu'elle m'en a dégoûté tout à fait. Je me tais donc. Je cherche à me pénétrer de mes devoirs, et je laisse au temps le soin de me juger. Mes précédents me dispenseraient aussi peut-être de protester de mon attachement au nouvel état de choses ; toutefois, j'aime à le répéter, j'ai juré fidélité au roi Louis-Philippe I, obéissance à la charte constitutionnelle, ma conscience me dit que je tiendrai mes serments.

Je vais maintenant, Messieurs, procéder à l'installation de vos nouveaux magistrats. Vous les connaissez d'avance. Pour eux le passé répond de l'avenir. Leur modération, leur honorable caractère, la belle conduite qu'ils ont tenue et les services essentiels qu'ils ont rendu dans ces dernières circonstances, nous présagent des rapports empreints d'une confiance douce et expansive en même temps qu'ils nous promettent à un haut degré leur concours au bien public dans les nobles fonctions où ils se trouvent placés, et où vos voeux et votre gratitude avaient devancé pour eux la volonté royale. Une allure franche, une justice égale pour tous, une marche sage, mesurée et ferme, tels seront leurs traits dis tinctifs ; en un mot, ils seront dignes de vous, dignes de la généreuse population qui leur est confiée, et c'est le complément de leur éloge.

Après avoir ainsi fait leur juste part dans notre estime, qu'il me soit permis en terminant d'exprimer de sincères regrets sur l'absence de celui qui naguère figurait avec tant de distinction dans cette enceinte et que j'y cherche en vain aujourd'hui, de celui qui nous administra longtemps, toujours avec talent, toujours avec sagesse, souvent avec courage. Il a pensé devoir se retirer de nous, sa retraite m'afflige, je le plains de l'avoir crue nécessaire. Qu'il reçoive du moins ce faible tribut de l'amitié. La politique change la position des hommes. Mais ce qu'il ne lui appartient pas de changer, ce sont les habitudes du coeur et l'expression des vieux sentiments qu'il éprouve ».

Si nous voulons compléter l'historique de cette période agitée, que Vire n'a d'ailleurs jamais revue depuis plus de 80 ans, et pendant laquelle la population Viroise fit preuve


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de prudence et de sagesse en confiant sa défense et ses intérêts à d'honnêtes citoyens, nous n'avons plus qu'à ouvrir les registres des délibérations du Conseil municipal.

La dernière délibération avait été prise le 16 juillet ; le procès-verbal de la séance du 29 août, après avoir constaté l'absence de dix conseillers (royalistes intransigeants sans doute), la démission de trois autres et la prestation de serment des Membres présents, donne le texte de l'Adresse au Roi qu'une Députation, composée de MM. RocherulléDeslongrais, premier adjoint, Delise, commandant de la Garde Nationale, Courtoise et Maurice, avocats, fut chargée de porter à Paris.

Celle Adresse, volée par acclamation, était ainsi

conçue :

Sire,

Au milieu des hommages qui environnent votre Majesté, daignez entendre la voix de la ville de Vire.

Fille du commerce et de l'industrie, elle ne peut prospérer qu'avec la liberté.

Avec quelle joie aussi, n'a-t-elle pas salué l'avènement au trône du Roi citoyen dont les premières paroles furent : que la charte serait désormais une vérité !

Nos coeurs, Sire, ont reçu avec confiance celte royale promesse.

• Unis par les mêmes sentiments, les Français et le Roi partageront les mêmes destinées.

Fiers de vivre libres, à l'abri d'un trône protecteur de nos institutions, notre amour pour elle se confondra avec celui que nous devons à votre majesté, et nous verrons renaître pour notre belle pairie ces jours de gloire et de bonheur dont naguère elle semblait déshéritée.

Le maire de Vire, M. Moulin, conserva ses fonctions jusqu'en 1834, et fut remplacé par M. Deslongrais qui dirigea la municipalité jusqu'à son décès arrivé à Paris le 23 Mai 1849, en assumant en même temps la charge de conseiller général, de député et enfin de Membre de l'Assemblée constituante.

Charles PORQUET.


ROMANCE

Sur un air ancien

(En retrouvant des Portraits oubliés depuis longtemps.)

O mes amis jeunes et beaux ! Peintres joyeux ! gentils Trouvères !

Combien de fois, sur leurs tombeaux, Ont refleuri les primevères !

Tous caressaient de fiers espoirs ; Ils couraient à l'horizon rose Où scintillaient des encensoirs Et des rêves d'Apothéose!

Et plus haut, et plus loin encor, Ils voyaient resplendir la gloire Tendant vers eux la Coupe d'or Et le breuvage qu'il faut boire.

Sans attendre le lendemain, Trouvant la Coupe trop amère, Plusieurs sont tombés en chemin Sous la griffe de la Chimère

L'un d'eux, épris des fleurs du Ciel Que le pinceau ne peut atteindre, De l'Hymette cueillait le miel, Chantait ce qu'il ne pouvait peindre.

Il chantait le chant des oiseaux, La chaste caresse des vierges, Le bruit d'une aile sur les eaux Et la pâle clarté des cierges.


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Puis, changeant d'allure et de ton, Quelquefois sa verve assouplie Par des refrains de mirliton, Du rire éveillait la folie.

Un beau jour... d'amour il m'aima Et me célébra sur sa Lyre Mais jamais il ne me nomma Et jamais ne voulut le dire.

Et je devins son univers ! Je fus le Dieu de cet Archange.... Il m'apportait des fleurs, des vers Et n'attendait rien en échange.

Que de mots divins j'entendis ! D'autres aussi venaient entendre Ce langage de paradis Que moi seule devais comprendre !

Or, un soir d'hiver froid et dur, Brisant la strophe commencée, Sur la page couleur d'azur, La mort posa sa main glacée....

Sur ce conte, ont passé les ans, Et nul ne pourrait reconnaître Aies cheveux bruns... devenus blancs, Qui captivaient le jeune maître

O mon poète aux cheveux roux ! Rêveur au regard de colombe !.... Son nom ?

Hélas ! le temps jaloux L'efface même sur sa tombe.

F. SCHALCK DE LA FAVERIE.


VIRE et la REGION VIROISE

DANS LA

Derrière Moitié du Quatorzième Siècle

Compte-rendu des conclusions de Richard d'Enfernet

(Suite)

Ajoutez à cela que Jean de Rivière, bien que n'étant pas encore le lieutenant du bailli de Caen, assisté dudit Goyer et de plusieurs autres complices, avait interrogé Belechose au sujet de l'ouverture dudit guichet. Comme celui-ci niait le fait et affirmait qu'il n'était pas coupable, Jean de Rivière qui n'était qu'une personne privée, l'avait fait soumettre, sans aucune information, à de dures et cruelles questions: c'était, par exemple, la question du feu qui pourtant était interdite et réservée, Belechose avait eu la plante des pieds brûlée. Si Belechose eût confessé avoir trahi et vendu la ville aux ennemis, comme l'alléguait Jean de Rivière, comme il eût pu y être amené par les cruelles souffrances qu'il endurait, afin d'être plus promptement débarrassé de ses tortures, il eût ainsi fait un aveu mensonger qui eût mis en péril le salut de son âme. Il offrit bien de prouver qu'au moment où le guichet fut trouvé ouvert, il était déjà depuis longtemps dans le lieu et avec les personnes qu'on vient d'indiquer, mais il ne parvint pas à se faire écouter.

Belechose resta ainsi en prison pendant l'espace d'un an et demi et, pendant ce temps, Guillaume des Marchières, bailli de Caen, avec lequel Jean de Rivière était intimement lié et dont il devait devenir un peu plus tard le lieutenant, était venu à Vire et avait interrogé ledit Belechose, détenu prisonnier au sujet de ladite trahison. Belechose nia constamment, en disant que s'il eût dû avouer, il l'eût fait alors qu'il endurait les plus atroces tourments. Néanmoins, et parce que Belechose se prétendait pur et innocent de tout crime, le bailli, arguant contre lui, prétendit que


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l'accusé avait avoué son crime dans une autre circonstance et il offrit de le prouver. En effet, il appela et cita devant lui pour prouver ce soi-disant aveu de Belechose, certains témoins : à savoir, Jean de Rivière et Guillaume Goyer et quelques autres complices. Ces témoins affirmèrent et soutinrent que Belechose avait avoué sa trahison. Le bailli ne demanda pas même à ces témoins si l'accusé avait ou non fait cet aveu au milieu des tourments de la question ; mais, grâce à la déposition de ces témoins, foulant aux pieds les règles du droit, de la justice et de la vérité, il condamna Belechose au dernier supplice. Bien que celui-ci eût eu auparavant les deux jambes coupées et qu'il connût clairement qu'il ne pouvait éviter la mort, il s'écria, en présence de toute la foule, et jura, sur le salut de son âme, qu'il mourait injustement et sans motif, qu'il n'était pas l'auteur d'une prétendue trahison de la ville de Vire ou du Roi, qu'il ne l'avait jamais conçue ni exécutée et qu'il avait déclaré au milieu des tortures tout ce qui avait eu lieu.

Après cette déclaration et malgré de telles paroles, on lui avait tranché la tête. Jean de Rivière dit alors à Goyer : « Maintenant te voilà vengé de ce que Relechose t'avait fait jeter en prison à Caen ». Ils se réjouirent d'être arrivés à leurs fins et de ce que Richard d'Enfernet ne pourrait plus leur nuire avec l'aide de Belechose, car Belechose était, de l'avis de Richard, un homme honnête et fidèle, et il passait pour tel auprès du peuple même ; ils se réjouissaient aussi de ce que Richard ne pourrait plus porter secours à Belechose en sa prison. En ce disant, ils faisaient malignement allusion aux visites que l'épouse de Richard rendait, en sa prison, à Belechose, auquel elle apportait ce dont il avait besoin pour sa nourriture et son entretien. Or, de tout ceci, la vérité était que l'épouse de Richard d'Enfernet, qui avait toujours été bonne, honnête, catholique et charitable, s'était accoutumée à faire parvenir et transmettre, par l'entremise des geoliers, et avec la permission de son mari, une bonne partie de ses biens, aux prisonniers qui étaient détenus dans la prison où se trouvait renfermé, Belechose ; ce n'était donc pas ce dernier seul qu'elle avait secouru. D'ailleurs, il n'était pas vraisemblable que Belechose eût pu, lors même qu'il l'eût voulu, livrer la ville de Vire, car, les gens d'armes qui en formaient la garnison, étaient quatre fois plus nombreux que les Anglais de Vaudry, même au moment où ceux-ci furent en plus grand nombre.

Pour ce qui est du fait des cordes qu'on l'accusait faussement d'avoir fait parvenir à Minot, et aussi pour l'expédition de Jean d'Aunay sus-nommé, et pour ce que Jean de Rivière prétendait qu'ils avaient été tous les deux dénoncés par Belechose comme complices de sa trahison, Richard affirmait que jamais, lui-même, n'avait su que Minot et Jean d'Aunay eussent été inculpés dans cette trahison, ou en eussent été ou complices ou suspectés même :


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qu'il n'avait jamais livré de cordes à Minot, qui, du reste, ne s'était jamais enfui de la ville de Vire, et était simplement allé à sa demeure, dans la paroisse de Neuville, à une demi-lieue de Vire ; enfin, qu'il n'avait dans aucun temps, comme on le lui avait imputé, favorisé Jean d'Aunay.

Pour ce qui se rapportait à un certain Jorret, voici ce qui s'était passé : Après que Richard d'Enfernet eut été, comme nous le verrons plus loin, fait prisonnier par les Anglais, il fut remis en liberté sous la condition de payer une forte rançon et il revint à Vire. C'est alors qu'il aperçut, dans la ville, le susdit Jorret qui y était venu avec un compagnon, muni d'un sauf-conduit et que Richard avait remarqué parmi les Anglais occupant Vaudry. Tout aussitôt il les avait fait arrêter et jeter en prison par le Viconte de Vire, comme étant les ennemis de la France. Quelques temps après, par deux sente-nces du bailli, rendues, pour Jorret, à Caen,- et pour son compagnon, à Vire, ces deux espions avaient été livrés au dernier supplice, comme ennemis du Roi de France. Mais, avant la prononciation des jugements et pendant que Jorret était en prison, Jean de Rivière alla le trouver à plusieurs reprises, selon le rapport qu'en avaient fait à Richard d'Enfernet d'autres prisonniers, compagnons de captivité de Jorret. C'est alors que Jean de Rivière avait engagé et exhorté frauduleusement Jorret à accuser Richard d'Enfernet de quelque crime, lui promettant, s'il consentait à le faire, de lui épargner la mort. C'est de là que Jean de Rivière avait pu obtenir que ledit Jorret fût transporté dans les prisons de Caen, en affirmant au malheureux prisonnier que, s'il voulait persister dans son accusation contre Richard d'Enfernet jusqu'à la fin, même quand on ferait semblant de lui trancher la tête, il n'aurait rien à craindre, car à ce moment-là même, lui, Jean de Rivière, accourrait et le délivrerait. Cependant, malgré toutes ces exhortations et ces sollicitations, lorsque Jorret fut conduit au dernier supplice et qu'il comprit clairement qu'on allait lui trancher la tête, se voyant indignement trompé par Jean de Rivière, il s'écria à haute voix que ce dernier n'avait pas tenu les promesses qu'il lui avait faites, comme il vient d'être dit. En marchant au supplice, Jorret affirma, sur. le salut de son âme, que tous ceux qu'il avait accusés étaient innocents et qu'il avait été séduit de la manière sus-indiquée, pour l'engager à les accuser, par Jean de Rivière. C'est en raison de cet aveu de Jorret, que Guillaume de Carville et Jean Rivaud, retenus prisonniers à Vire, par suite de la fausse accusation dudit Jorret, avaient été sur le champ mis en liberté.

En outre, bien que le bailli précédamment nommé, eût séjourné dans le bailliage de Caen et même à Vire, à l'époque de ces événements et même longtemps après, et y eût fait bon nombre d'exécutions d'ennemis et de malfaiteurs, néanmoins il n'avait jamais inculpé


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en rien Richard d'Enfernet. Bien au contraire, un jour, qu'après toutes ces circonstances, Richard et lui allaient ensemble à Rouen, le bailli lui dit que Jean de Rivière était un homme fourbe et méchant et qu'il avait fait tout son possible pour que lui, Richard d'Enfernet, fût affligé de quelque façon dans son corps, dans ses biens et son honneur. Le bailli ajouta que si le demandeur n'eût été clerc (1), il l'eût fait punir pour les infamies qu'il avait commises ;

Après tous ces faits, voyant que malgré toutes ses perfidies et ses machinations, il ne pouvait parvenir à faire mettre en accusation Richard d'Enfernet, le demandeur, Jean de Rivière, prit le parli de dissimuler, el il se montra humble et plein de complaisance envers Richard. Il le supplia de ne point le regarder en mauvaise grâce ; il confessa et avoua que tout ce qu'il avait dit contre lui manquait complètement de fondement et était injuste. Il alla jusqu'à lui promettre par serment de ne jamais proférer contre lui quelque méchante parole, ou quelque blâme, car, du reste, il n'avait jamais su ni remarqué que du bien de Richard d'Enfernet. Toutes ces affirmations, Jean de Rivière les avait confirmées par un serment qu'il avait prêté sur le corps consacré de Jésus-Christ, sans que d'Enfernet l'eût requis de le faire, dans l'église de Notre-Dame de Vire. Alors à la requête de Jean de Rivière qui l'en suppliait, Richard d'Enfernet croyant que les promesses et les serments que Jean venait de faire étaient sincères et qu'il se repentait, lui pardonna. En même temps, afin de montrer d'une manière plus éclatante qu'il ne lui conservait pas rancune, Richard d'Enfernet. à la supplication et requête de son épouse que Jean de Rivière avait priée d'intercéder instamment en sa faveur, embrassa Sur la bouche ledit suppliant en signe de vrai et parfait amour, amitié et indulgence. C'est pourquoi Richard avait cru fermement que jamais, dans la suite, Jean de Rivière ne voudrait lui faire le moindre mal.

Pour le fait de la capture de Richard d'Enfernet que le demandeur l'accusait d'avoir simulée, voici en toute sincérité ce qui s'était passé : comme pendant une certaine nuit, des allemands et des gens d'armes français avaient été attaqués dans la. Maison-Dieu de Vire, située dans un faubourg decette ville, ceux-ci avaient repoussé l'attaque et même poursuivi l'ennemi avec ardeur, mais ils avaient été faits prisonniers à l'aurore du lendemain. Pour les venger, des hommes d'armes, au nombre de quarante, au moins, sortirent de Vire la nuit suivante, dans l'intention d'aller combattre les Anglais. Aussitôt que Richard apprit cette sortie, lui qui était déjà couché, se leva en toute hâte, endossa son armure et sortit de Vire, acconi(1)

acconi(1) clercs figurant parmi les gens d'église, jouissaient du privilège de juridiction, c'est-à-dire qu'ils ne relevaient même pour les causes temporelles, que des tribunaux ecclésiastiques et ne pouvaient être jugés par des tribunaux laïques. (Encyclop. universelle V° Clerc).


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pagné seulement d'un domestique bourgeois de la ville, afin de rejoindre ceux qui étaient sortis avant lui. Alors tous ensemble, (Richard d'Enfernet et les gens d'armes), se ruèrent sur les ennemis et se battirent si courageusement que tous les habitants de Vire délivrés purent retourner chez eux. En cette circonstance, Richard d'Enfernet se conduisit si bien et combattit avec tant d'acharnement, que sans sa courageuse intervention deux cents Virois eussent été massacrés ou faits prisonniers en ce combat. Cependant en dépit de son héroïsme et sans doute aussi parce que seul il tenait tête à l'ennemi, Richard d'Enfernet fut frappé de sept blessures fort graves. Il eut un bras, une jambe et la main gauche transpercés. C'est alors que, fait prisonnier, il fut emmené dans la forteresse d'Aunay, où il languit pendant deux jours et deux nuits, entre la vie et la mort, sans que le sang cessât de couler de ses blessures qui mettaient sa vie en danger. Enfin ses plaies se refermèrent, mais il dut demeurer longtemps à Aunay, dans un tel état que l'on désespérait qu'il guérît jamais. Il obtint sa liberté moyennant la rançon exorbitante de huit cents réaux d'or, d'un coursier de la valeur de cent vingt francs, de cent francs de divers droits, de dixhuit aunes de toiles, de plusieurs plats (ou plates) (1) d'argent de la valeur de cinquante francs et de deux fourrures de Menu-Vair (2). Après avoir consenti à payer cette rançon, Richard d'Enfernet avant d'être élargi pour aller la chercher, dut promettre de livrer aux ennemis, six queues de vin, en déduction de la dite rançon. De plus il avait été obligé de donner en otage son propre fils, son neveu, et le frère de son épouse. Ces otages étaient restés à ses frais dans la forteresse pendant quatorze semaines. Pour toutes ces raisons, il apparaît clairement que la captivité de Richard n'avait été ni feinte ni simulée. — Puisque Jean de Rivière disait que Richard d'Enfernet pendant sa captivité avait promis aux Anglais, pour sa rançon, de leur faire parvenir des queues de vin, c'est pour s'exécuter, du moins en partie, qu'il en avait acheté une première, qu'il ne put payer qu'en empruntant seize florins. Jean de Rivière eut cette queue de vin quelque temps sous sa garde, il en tira quarante quarterons qu'il remplaça par du tartre ou lie de vin ; et dans cet état, il la

(1) Le mot latin plata employé dans le texte de l'arrêt veut aussi bien dire plats ou vaisselle d'argent que plates ou plaques d'argent pièces aplaties de métal, monnaie espagnole.

(2) Menu-Vair (Munutus Varius), nom donné autrefois à la fourrure de la peau d'une espèce d'écureuil appelé aujourd'hui petit-gris à pellure de couleur variée. (Voir Dictre Littré aux mots Vair et Menu-Vair). La définition que donne de ce petit animal, le Dictionnaire de basse-latinité de Du Cange, correspond parfaitement à la description que les naturalistes font du Petit-Gris : « Varias est bestia parva paulo amplior quant mustella ; a re nomen habet, in ventre enim candidus, in dorso habet colorem cinerum. Varius licet, et parrus,

propter nobilitatem pellis animale excellentissimun est » (Le Menu Vair,

bien que tout petit, à cause de la beauté de sa peau, est un animal très estimé... »


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livra aux anglais du fort de Coulonces qui, après y avoir goûté refusèrent de la recevoir. C'est de là que, plus tard el sur la demande de Jean de Rivière, d'Enfernet fit tant qu'il obtint que celle queue de vin tînt lieu de douze florins dans la rançon de Jean de Rivière luimême. Comme Richard d'Enfernet avait promis dans les conditions de sa rançon plusieurs plats d'argent d'une valeur de cinquante: francs d'or, qu'il n'avait pas livrés, le susdit Le Bourcq de Lusse lui manda qu'il eût à s'exécuter. Ajoutons que les habitants de Vire avaient été désolés et non réjouis de la captivité de Richard d'Enfernet, comme le prétendait Jean de Rivière. La preuve, c'est qu'ils lui avaient donné cent cinquante francs d'or pour lui aider à payer sa rançon.

Richard d'Enfernet répondait encore à une autre accusation de Jean de Rivière, en disant que, lorsqu'ils s'étaient trouvés ensemble prisonniers dans la forteresse d'Aunay, il avait proposé a Jean et aux Anglais de les mettre d'accord pour sa rançon. Les Anglais y avaient consenti et Jean de Rivière devait la payer spécialement en vivres et en vin. Sur ce fait avancé par Jean de Rivière que Richard d'Enfernet avait quitté subitement Aunay pour ne pas lui laisser apercevoir l'amitié qui le liait avec les Anglais, Richard d'Enfernet déclarait que c'était absolument faux, et voici d'après lui ce qui s'était accompli: Quand Richard eut été élargi et remis en liberté, ainsi qu'on l'a vu, il revint se fixer à Vire. C'est alors que Nicolas de Rivière, frère de Jean et l'un de ses parents, nommé Mathias, tous deux prêtres, vinrent le trouver et lui racontèrent que les Anglais n'avaient pas voulu accepter l'un d'entre eux (Nicolas), pour otage, dans la forteresse d'Aunay où était détenu Jean. Ils priaient et suppliaient, en conséquence, Richard d'Enfernet d'aller dans ladite forteresse et de tout tenter, peines et démarches, pour faire délivrer Jean de Rivière. Richard refusa longtemps ce que les deux prêtres lui demandaient ; il céda, enfin, à la requête de notre féal et amé Chancelier, Pierre de Omont, chevalier, qui, à celle époque, était détenu prisonnier par les Anglais, dans la même forteresse d'Aunay (1). Pierre de. Omont avait écrit à Richard de venir le

(1) il avait été arrêté au cours d'une mission en Normandie, à lui confiée par le Roy de France. Celui-ci contribua jusqu'à concurrence de mille francs au paiement de sa rançon, ainsi que nous l'apprend un mandement daté à Paris, du vingt-six novembre 1364, compris dans le recueil de M. L. Delisle, énoncé plus haut et que ce savant écrivain analyse comme suit : Mandement au Vicomte de Caen et au bailli, touchant, le paiement de mille francs qu'il avait donnés le 2 juin 1363, à son amé et féal Chevalier et Chambellan Messire Pierre de Omont pour aider à payer sa rançon à laquelle il a naguaire. esté mis par les ennemis de Monseigneur et de nous. Ces expressions ont été tirées de la lettre du 2 juin précitée. Par le Roy, art. III. Orig. Clairambaux et Sceaux 138, page 247. Signé François.


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trouver, qu'il avait quelque communication à lui faire, et lui promettait dans le cas où il serait, retenu prisonnier, de le faire remettre, sain et sauf, en liberté. C'est alors que Richard et notre cher Jean du Bois-Yvon qui l'accompagnait étaient entrés dans la forteresse munis d'un sauf-conduit. Là ils avaient retrouvé, en prison, Jean de Rivière. Ce dernier et son frère, Nicolas, vinrent les supplier, les mainsjointes. Alors Richard d'Enfernet et Jean du Bois-Yvon avec le susdit prêtre, Nicolas de Rivière, avaient répondu de deux queues de vin et d'une certaine somme de florins que Jean de Rivière avait promis de payer aux Anglais, pour sa rançon, avant l'espace de quinze jours ; ils s'étaient établis ses cautions vis-à-vis de l'ennemi. De plus, Richard d'Enfernet, pour la sûreté de ladite caution, avait donné en otage, aux ennemis, son fils et son neveu. Ce n'est qu'après ces formalités que Jean de Rivière fut élargi et mis en liberté. Au départ de Jean, Richard d'Enfernet lui donna un attelage pour aller chercher et acquitter sa rançon. Jean se rendit à Caen et sur certaine somme que Richard avait en cette ville, il toucha quarante francs d'or ou l'équivalent.

Mais comme Jean de Rivière n'acquitta pas, ainsi que c'était son devoir et qu'il l'avait promis par serment, la queue ce vin et la somme de florins, dans l'espace dé quinze jours et qu'ainsi, il ne délivrait pas Richard d'Enfernet et Jean de Bois-Yvon, les Anglais rédigèrent deux actes sur parchemin, l'un sous le nom et l'autorité de Richard d'Enfernet et l'autre sous le nom et l'autorité du chevalier Jean de Bois-Yvon ; et en signe de la mauvaise foi et du parjure dé Jean de Rivière, ils firent publiquement attacher, à l'une des portes de la forteresse d'Aunay, les deux actes sur parchemin, tournés au rebours (1). Tout ce qui précède, donnait une réponse claire et facile au sujet de l'arrestation de Nicolas de Rivière, frère du demandeur, car il habitait une campagne ouverte sans aucune forteresse, conquise par l'ennemi et où les Anglais pouvaient pénétrer quand il leur plaisait. De plus Nicolas de Rivière s'était, ainsi qu'il a été dit, porté caution de son frère, pour la rançon qui n'avait pas été payée.

Pour ce qui regardait la captivité et la mort de Jean de Rivière père, Richard d'Enfernet avait bien appris que les ennemis occupant le Bois-de-Maine, forteresse éloignée de vingt lieues du château d'Aunay, l'avaient emmené prisonnier. Mais si ce malheureux vieillard avait été jeté en prison, s'il était mort dans son cachot, ce n'était pas la faute de d'Enfernet. Celui-ci, en effet, n'avait jamais eu de relation d'amitié avec ces ennemis-là, il n'avait jamais visité leur forteresse. En admettant, comme cela était

(1) En signe de mépris.


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vrai, du reste, que ledit père et son fils eussent été faits prisonniers, ainsi qu'il vient d'être raconté, ce n'était pas un indice, suffisant pour que Richard d'Enfernet pût être provoqué en gage de duel.

Quanta tous les autres faits invoqués et allégués par le demandeur dans l'accusation, que l'on reprochait faussement à Richard et auxquels il n'avait pas répondu formellement et expressement, Richard d'Enfernet déclarait en nier catégoriquement l'authenticité. Il ajoutait que le demandeur, Jean de Rivière, ainsi qu'il est ci-dessus déclaré, l'avait accablé, lui, Richard d'Enfernet, de tous les crimes ci-dessus, par jalousie, rancune et inimitié implacable et non point poussé par zèle pour la justice, mais dans l'unique dessein de faire triompher la méchanceté et l'iniquité. Car tous les faits que le demandeur avait inventés, rassembles et dont il avait chargé Richard d'Enfernet, ne touchaient en rien aux intérêts de Rivière, et l'on ne pouvait invoquer le gage de duel pour aucune de ces circonstances. Au contraire, tous les faits et tous les cas invoqués par les deux parties, pouvaient être clairement établis par témoins. Et alors, comme aucune des quatre conditions sur le gage de duel édictées par les ordonnances royales touchant ces matières et qui ont été observées jusqu'à ce jour, dans notre Parlement, ne pouvaient être appliquées dans ce cas-ci ; comme toutes les accusations formulées par le demandeur n'étaient appuyées d'aucune information ou autre preuve ; comme l'inculpé n'était ni soupçonné, ni accusé de ces faits, en Normandie, par indices, présomptions ou conjectures vraisemblables, — Richard d'Enfernet concluait et roquerait, en qualité de défenseur en cette cause de gage de duel, que par arrêt ou jugement de notre Parlement, il fût statué que lui, Richard d'Enfernet, n'avait point été légalement ajourné dans cette cause, par le demandeur et n'était point tenu de comparaître audit ajournement ; et qu'en conséquence, il fallait donner et concéder à Richard d'Enfernet contre ledit, demandeur, des dommages intérêts pour tous ses frais et dépens.

Il demandait subsidiairement que si, d'après le droit, on devait statuer le contraire et que, lui, Richard fût obligé de comparaître ultérieurement pour cette cause, il fût déclaré par ce même arrêt ou jugement, que la nature des faits sus invoqués par le demandeur contre lui, et la manière dont on les avait exposés, eu égard à toutes les raisons mentionnées précédemment, ne pouvaient tomber dans le cas de gage de duel.

Pour le cas où le gage de duel serait appliqué dans cette cause, d'Enfernet demandait qu'il fût statué que Jean de Rivière, le provocateur, serait obligé, comme non noble, à combattre à pied, en la forme et manière ordinaires usitées par les gens qui observent les coutumes de France; tandis que lui, Richard d'Enfernet, en sa qualité de noble, serait admis à combattre en armes


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et à cheval, ainsi que d'usage et de coutume pour les personnes nobles. Tout en faisant expressément toules les protestations et réserves d'usage, de la part du défendeur dans les cas de gage de duel, le demandeur serait quand même condamné à payer à Richard d'Enfernet, en dédommagements et en dommages-intérêts, tous les frais faits et qui pourraient encore être faits dans la poursuite de ce procès.

Telles étaient les conclusions, les faits, raisons et motifs de défense établis, avec beaucoup d'autres encore, de la part de Richard d'Enfernet.

Jean de Rivière répliquait en disant que d'après les lettres du Roi, Richard d'Enfernet avait été, à la requête de lui, Jean de Rivière, appelé à comparaître pour cette cause par devant la Cour de notre Parlement. Ces lettres déploraient expressément, disait-il, que Richard d'Enfernet eût consommé une foule de trahisons, de crimes et de maléfices contre nous et Notre Royale Majesté, l'Etat et lui-même Jean de Rivière. Ce dernier offrait de convaincre Richard d'Enfernet de tous ces crimes, ainsi qu'on pouvait, du reste, le vérifier ; et il était constant que Richard avait été duement ajourné d'après le gage de duel, et qu'il était tenu d'y répondre.

En conséquence, de Rivière prétendait que ledit ajournement était légal et valable et qu'il le tenait pour tel, par diverses raisonsqu'il formula; il concluait comme ci-dessus.

Richard d'Enfernet répliqua en alléguant plusieurs raisons contre les dires du demandeur, et il maintenait également ses conclusions.


ARRÊT

Entendu pleinement les parties susdites dans toutes et chacune des raisons qu'elles ont voulu alléguer à l'appui des faits sus-mentionnés.

Vu par noire Parlement nos susdites lettres faites au sujet dudit ajournement, et les raisons des parties formulées à l'appui devant le Parlement et inscrites et rédigées en forme de Mémoire par ladite cour.

Considéré el attendu, par le Parlement, dans une sage cl scrupuleuse délibération, les lettres et raisons des parties, et toutes les autres choses qui pouvaient éclairer la Cour.

Par arrêt du Parlement, il a été déclaré que le susdit ajournement était bon et valable, et qu'en conséquence, Richard d'Enfernet était tenu de comparaître dans la cause susdite.

Par le même arrêt, il fut déclaré que le gage de due ne pouvait s'appliquer aux choses dessus dites. C'est pourquoi le Parlement déclarait absous Richard d'Enfernet de toutes les charges et conclusions de Jean de Rivière, et condamnait ce dernier, demandeur, à payer à Richard d'Enfernet fous les frais de ce procès; la course réservant, toutefois, d'en fixer le montant.

Prononcé le 5 janvier 1365. LA VACHE OU LA GACHE.

Secrétaire.

A. LEMAITRE.


CORRECTIONS ET ADDITIONS

Bulletin des Mois de Janvier-Février-Mars 1911

PAGES LIGSES

66e Renvoi du bas de cette page à rétablir ainsi :

(1) Coulonces-Dicto quoque anno (1562) fortalicium de Colonchiis per dictos inimicos (de Alnayo prodotorie captum et furatum fuerat. Et de ipso fortalicio quidam, nuncupatus le Bourc de Lusse... capitaneus factus fuerat (arch.-Nat. sect jud X207 f° 219). 66e 6e Lire admises au lieu de admis.

16e Lire : Vu les crimes, etc. au lieu de : Les crimes, etc.

69e 24e Lire: Un sergent ou huissier expérimente du temps, au lieu

de : un sergent ou huissier du temps expérimenté. 70e 7e Lire pût au lieu de sût.

71e 31e Supprimer une simple , au lieu du : après le mot mort.

71e (Note 2 du bas de page). Toute la dernière ligne de cette

note, se rapporte au premier paragraphe de la page suivante (72) et devrait former la note première de cette page, et la note actuelle devrait, elle, porter la note 2. — Nota : Rectifier l'évaluation des 1500 florins, prix de la rançon en question, et porter à 10.900 francs environ de notre monnaie, au lieu de 3.600). 72e 13e Lire (in-fine), de au lieu de a.

17° Supposer un guillemet fermé après le mot fois.

21e Lire mille au lieu de mil.

73e 21e Lire feu Henri de Rivière au lieu de Jean H. de Rivière.

30e (Ie ligne du 3e paragraphe), lire : De plus, jamais, Jean de

Rivière, etc., au lieu de: De plus, Jean de Rivière etc. 74e 1e Lire qui étaient au lieu de qu'étaient.

17e Lire des Marchières au lieu de Marchières.

77° 1e Lire: l'eussent au lieu de l'eurent.

43e Ajouter une . finale au mot enlevé.

78e 10e Lire: (de char mot à mot) et non de chav. mot à not.

79e 19e Lire de d'autres garnisons.

Bulletin des Mois d'Octobre-Novembre-Décembre 1910

PAGES LIGNES

316e 29e Supposer un après le mot patrie et un T majuscule au

mot tout suivant et commençant l'autre phrase

317e 12e Lire avaient acheté au lieu de avait acheté.

22e Effacer les virgules encadrant le mot : lui-même.

318e 5e Remplacer le premier mot essayé par envové.

24e Lire à Boissy au lieu de Boissy.

31° Eflacer l's du mot emparés.

319e dernière ligne Remplacer le ; après le mot aumônier par une simple ,

322e 34e Lire des Marchières au lieu de: de Marchières.

323e 37e Lire avaient eu des relations, au lieu de avaient des relations.

36e Lire comme il leur plairait, au lieu de lui plairait.


BIBLIOGRAPHIE

Henri PRENTOUT, La Normandie. —Caen, L. Jouan, 1910, 126 p. in-8° (4fr. 80).

Sous la forme la plus succincte, l'auteur a condensé et mis air pointée que les travaux antérieurs permettent actuellement de connaître de l'histoire de notre province : à côté des « résultats » ainsi coordonnés, il a tracé le programme des « desiderata » et indiqué les instruments de travail qui aideront toutes les bonnes volontés à défricher l'immense inconnu qui subsiste.

Cette synthèse sera le vade mecum indispensable à ceux qui se sentiront attirés vers les recherches personnelles : ils y trouveront à la fois un point de départ sûr, et des conseils précis sur la voie à suivre; un semblable guide était désiré aussi bien par les amateurs zélés de nos sociétés savantes que par les étudiants ou jeunes maîtres astreints professionnellement à ces études. Il leur épargnera les tâtonnements fastidieux et décourageants. Tousceux qui savent avec quelle conscience l'éminent professeur d'histoire de Normandie de l'Université de Caen prépare son enseignement, reconnaîtront dans cespages sonérudition informée. Mais ils apprécieront mieux encore. La pratique consommée qu'il a acquise des documents de nos archives, la largeur de ses vues l'ont insensiblement amené, tout en se renfermant strictement dans son cadre, à définir les grandes lignes de cette histoire provinciale qui restait encore à écrire. M. Prentou en a admirablement indiqué les caractéristiques : le problème de la race, d'une part, l'avance singulière de la civilisation dans le duché, la conquête française, la double invasion anglaise, l'effort de laifiéndissance, la Ligue, le Fédéralisme pour faire la part de l'« événement » au cours de ces dix siècles de l'histoire normande accessible, et, en dehors de ces secousses, la reposante étude de la vie quotidienne dans celle province la plus pacifiée et probablement la plus heureuse.

Ce manuel, destiné aux « travailleurs » s'adresse aussi bien à tout esprit cultivé,

Flers. — Imp. FOLLOPPE. Le Gérant : Auguste LELIEVRE