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Titre : Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse

Auteur : Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres (Toulouse). Auteur du texte

Éditeur : Imprimerie Douladoure (Toulouse)

Éditeur : Imprimerie Douladoure-PrivatImprimerie Douladoure-Privat (Toulouse)

Date d'édition : 1905

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32813155h

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32813155h/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 16409

Description : 1905

Description : 1905 (T5,SER10).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Midi-Pyrénées

Description : Collection numérique : Bibliothèque Rosalis (Toulouse)

Description : Collection numérique : Presse locale

Description : Collection numérique : Revues savantes

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5719203p

Source : Académie des Sciences Inscriptions Belles-Lettres de Toulouse, 2008-246794

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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MÉMOIRES

DE

INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

DE TOULOUSE

DIXIÈME SÉRIE. — TOME V.

TOULOUSE

IMPRIMERIE DOULADOURE-PRIVAT

RUE SAINT-ROME, 39

1905



MEMOIRES

DE

L'ACADÉMIE DES SCIENCES

INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

DE TOULOUSE



MÉMOIRES

DE

L'ACADÉMIE DES SCIENCES

INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

DE TOULOUSE

DIXIEME SERIE. — TOME V.

TOULOUSE

IMPRIMERIE DOULADOURE-PRIVAT

RUE SAINT-ROME, 39 1905


AVIS ESSENTIEL

L'Académie déclare que les opinions émises dans ses Mémoires doivent être considérées comme propres à leurs auteurs, et qu'elle entend ne leur donner aucune approbation ni improbation.


ETAT DES MEMBRES DE L'ACADEMIE

PAR ORDRE DE NOMINATION.

OFFICIERS DE L'ACADEMIE

COMPOSANT LE BUREAU.

M. GARRIGOU (Félix), I., chargé de cours à la Faculté de médecine

de Toulouse, Président. M. LÉCRIVAIN, I., professeur à la Faculté des lettres, Directeur. M. ROSCHACH, I., correspondant de l'Institut, membre non résidant

du Comité des travaux historiques et scientifiques, Secrétaire perpétuel. M. MATHIAS, l., professeur à la Faculté des sciences, Secrétaire adjoint. M. MAUREL, 0. A., professeur agrégé à la Faculté de médecine,

Trésorier perpétuel.

ASSOCIÉS HONORAIRES.

Mgr l'Archevêque de Toulouse.

M. le Premier Président de la Cour d'appel de Toulouse.

M. le Préfet du département de la Haute-Garonne.

M. le Recteur de l'Académie de Toulouse.

Membres-nés.

1893. M. BERTHELOT, G. C. , I., membre de l'Institut, à Paris.

M.N

M. N

M.N

M.N

M.N


VIII ETAT DES MEMBRES DE L ACADEMIE.

ASSOCIES ETRANGERS.

1869. DON FRANCISCO DE CARDENAS, ancien sénateur, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, calle de Pizzaro, 12, à Madrid. 1878. SIR JOSEPH DALTON HOOKER, ancien directeur du Jardin-Royal de botanique de Kew, associé étranger de l'Institut de France, à Londres.

M. N

M. N

ACADÉMICIEN-NÉ. M. le Maire de Toulouse.

ASSOCIÉS LIBRES.

1859-1889. M. Ad. BAUDOUIN, ancien archiviste du département, place des Carmes, 23.

1880-1894. M. PRADEL, A., rue Pargaminières, 66.

1873-1896. M. FORESTIER, 0. I., professeur honoraire au Lycée de Toulouse, rue d'Alsace-Lorraine, 36.

1886-1897. M. MOQUIN-TANDON, I., professeur à la Faculté des sciences, allées Saint-Étienne, 4.

1854-1902. M. D. CLOS, I, correspondant de l'Institut, professeur honoraire à la Faculté des sciences, directeur du Jardin des Plantes, allée des Zéphyrs, 2.

1873-1904. M. SALLES, 0. , I., ingénieur en chef des ponts et chaussées en retraite, rue Fermat, 5.

ASSOCIÉS ORDINAIRES.

CLASSE DES SCIENCES.

PREMIÈRE SECTION. — Sciences mathématiques.

MATHÉMATIQUES PURES.

1884. M. LEGOUX (Alphonse), I., professeur, ancien doyen de la Faculté des sciences, rue Raymond-IV, 19.


ETAT DES MEMBRES DE L ACADEMIE. IX

1886. M. ROUQUET (Victor), , I, professeur honoraire de mathématiques spéciales au Lycée de Toulouse, rue Valade, 17.

1893. M. COSSERAT, I., professeur à la Faculté des sciences de Toulouse, rue de Metz, 1. M. N

MATHÉMATIQUES APPLIQUÉES.

1885. M. ABADIE-DUTEMPS, ingénieur des arts et manufactures, rue Ingres, 21.

1895. M. QUINTIN, ingénieur des ponts et chaussées, à Périgueux. 1901. M. JUPPONT, A., ingénieur des arts et manufactures, allées

Lafayette, 55. 1904. M. CAMICHEL, I, professeur à la Faculté des sciences, rue André-Délieux, 29.

M.N

M. N

PHYSIQUE ET ASTRONOMIE.

1881. M. BAILLAUD, 0. , I, correspondant de l'Institut, ancien doyen de la Faculté des sciences, directeur de l'Observatoire de Toulouse.

1885. M. SARATIER (Paul), I, correspondant de l'Institut, professeur à la Faculté des sciences, allée des Zéphirs, 11.

1896. M. MATHIAS, I, professeur à la Faculté des sciences, allées

Lafayette, 44. 1896. M. MARIE, A., professeur agrégé à la Faculté de médecine, rue de Rémusat, 11.

DEUXIÈME SECTION, — Sciences physiques et naturelles.

CHIMIE.

1873. M. JOULIN (Léon), 0. , rue des Arts, 7.

1885. M. FRÉBAULT, I, professeur à la Faculté de médecine, boulevard Carnot, 75.

1895. M. FABRE, I, professeur adjoint à la Faculté des sciences, rue Fermat, 18.

1905. M. JOB, A., professeur à la Faculté des sciences, rue SaintBernard, 15.


X ÉTAT DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE.

HISTOIRE NATURELLE,

1892. M. CARALP, I, professeur à la Faculté des sciences, rue de

Rémusat, 21. 1897. M. ROULE, I, professeur à la Faculté des sciences, rue

Saint-Etienne, 19.

1900. M. NEUMANN, , , correspondant de l'Académie de médecine,

professeur à l'École vétérinaire de Toulouse, rue Riquet, 90. 1902 M. LAULANIÉ, , A., 0. , directeur de l'Ecole vétérinaire

de Toulouse. 1903. M. LECLERC DU SABLON, I, doyen de la Faculté des sciences,

rue du Taur, 79.

MÉDECINE ET CHIRURGIE.

1869. M. BASSET, I, professeur honoraire à la Faculté de médecine, rue Peyroliéres, 34.

1886. M. PARANT (Victor), A., docteur en médecine, directeur de la maison de santé des aliénés, allées de Garonne, 17.

1888. M. MAUREL (Edouard), 0. , A., professeur agrégé à la Faculté de médecine, boulevard Carnot, 10.

1891. M. GARRIGOU (Félix), I., chargé de cours à la Faculté de médecine, rue Valade, 38.

1901. M. GESCHWIND, 0. , A., directeur du service de santé du

17e corps d'armée, allée des Demoiselles, 29.

CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

1865. M. ROSCHACH, , I, correspondant de l'Institut, membre non

résidant du Comité des travaux historiques et scientifiques,

place Saint-Michel, 3. 1880. M HALLBERG, , I., , professeur à la Faculté des lettres,

rue Benjamin Constant, 3. 1884. M. PAGET (Joseph), , I,1., ancien doyen de la Faculté de droit,

allées Lafayette, 34. 1884. M. DUMÉRIL (Henri), I, bibliothécaire honoraire de l'Université,

professeur adjoint à la Faculté des lettres, rue Montaudran, 80. 1886. M. LAPIERRE (Eugène), I., bibliothécaire honoraire de la ville,

rue des Fleurs, 18.


ÉTAT DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. XI

1890, M. LÉCRIVAIN, I., professeur à la Faculté des lettres, rue des Chalets, 37.

1890. M. CROUZEL (Jacques), S I, bibliothécaire de la Bibliothèque universitaire,

universitaire, des Trente-six-Ponts, 82.

1891. M. MASSIP (Maurice), I, bibliothécaire de la ville, rue de la

Pomme, 30. 1894. M. le baron DESAZARS DE MONTGAILHARD, rue Merlane, 5. 1897. M. DELOUME (Antonin), , I, doyen de la Faculté de droit,

place Lafayette, 4. 1899. M. PASQUIER, I., archiviste du département, rue Saint-Antoinedu-T,

Saint-Antoinedu-T, 1899. M. CARTAILHAC, , L, correspondant de l'Institut et du Ministère

de l'Instruction publique, rue de la Chaîne, 5. 1901. M. DE SANTI, , médecin principal à l'Hôpital militaire, rue

Deville, 11. 1903. M. F. DUMAS, I, professeur à la Faculté des lettres, PorteMontgailhard,

PorteMontgailhard,

M. N

M. N

COMITÉ DE LIBRAIRIE ET D'IMPRESSION

1904. M. MARIE.

— M. LECLERC DU SABLON.

— M. DUMAS.

1905. M. LEGOUX.

— M. NEUMANN.

— M. DE SANTI.

COMITE ECONOMIQUE.

1904. M. SABATIER.

— M. GESCHWIND.

— M. PASQUIER.

1905. M. CAMICHEL.

— M. FABRE.

— M. CROUZEL.

BIBLIOTHECAIRE.

M. le baron DESAZARS DE MONTGAILHARD (nomination de 1902).

ÉCONOME. M. PASQUIER.


XII ETAT DES MEMBRES DE L ACADEMIE.

ASSOCIES CORRESPONDANTS.

Anciens membres titulaires devenus associés correspondants.

CLASSE DES SCIENCES.

1874. M. LÉAUTÉ, 0. , membre de l'Institut, ingénieur des manufactures de l'État, boulevard Malesherbes, 141, à Paris.

1895. M. D'ARDENNE, docteur en médecine, à Malirat par Villefranchede-Rouergue

Villefranchede-Rouergue 1900. M. MAILLET, ingénieur des ponts et chaussées, répétiteur à l'École

polytechnique, 11, rue Fontenay, à Bourg-la-Reine.

(Seine-et-Oise). 1904. M. LE VAVASSEUR, maître de conférences à la Faculté des sciences

de Lyon, 143, avenue de Saxe.

CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

1878. M. LOUBERS (Henri), , avocat général à la Cour de cassation, rue

Cassette, 27, à Paris.

1879. M. BRÉDIF, I., recteur honoraire de l'Académie de Besançon. 1881. M. COMPAYRÉ, C. , I. , Inspecteur général de l'Instruction

publique, à Paris. 1889. M. THOMAS, , I, professeur à la Faculté des lettres, 10, rue Léopold-Robert, à Paris.

1896. M. FABREGUETTES, 0. , conseiller à la Cour de cassation, rue Richelieu,

Richelieu, à Paris. 1898. Mgr DOUAIS, I., évêque de Beauvais.


ÉTAT DES MEMBRES DE L'ACADEMIE. XIII

CORRESPONDANTS NATIONAUX.

CLASSE DES SCIENCES.

1844. M. PAYAN (Scipion), docteur en médecine, à Aix (Bouches-duRhône).

1848. M. BONJEAN, pharmacien, ancien président du Tribunal de commerce,

commerce, Chambéry (Savoie).

1849. M. HÉRARD (Hippolyte), , docteur-médecin, place Laborde, 12 bis,

à Paris.

1850. M. BEAUPOIL, docteur en médecine, rue de l'Association, 4, à

Châtellerault (Vienne).

1861. M. NOGUÈS, ingénieur civil des mines, professeur de physique industrielle à l'Université de Santiago (Chili).

1861. M. DELORE, ex-chirurgien en chef désigné de la Charité, professeur adjoint d'accouchements à la Faculté de médecine, place Bellecour, 31, à Lyon.

1861. M. RASCOL, docteur en médecine, à Murat (Tarn).

4 872. M. CHAUVEAU, 0. , inspecteur général des Ecoles vétérinaires, membre de l'Institut, avenue Jules-Janin, 10, Paris-Passy.

1872. M. ARLOING, 0. directeur de l'École vétérinaire, à Lyon.

1880. M. BASTIÉ (Maurice), docteur en médecine, à Graulhet (Tarn).

1888. M. BEL (Jules), A., botaniste, directr du Musée ,à Gaillac (Tarn).

1888. M. SICARD, docteur en médecine, avenue de la République, 1, à Béziers (Hérault).

1890. M. BOUILLET, docteur en médecine, place Capus, 1, à Béziers

(Hérault).

1891. M. WILLOTTE (Henri), , ingénieur en chef des ponts et chaussées,

lauréat de l'Académie, rue de Brest, 6, à Quimper (Finistère).

1898. M. SCHLAGDENHAUFFEN, directeur de l'École supérieure de, pharmacie, rue de Metz, 63, à Nancy.

1898. M. E. REEB, pharmacien, rue Sainte-Odille, 6, à Strasbourg.

1898. M. DEBEAUX, médecin principal de l'armée, en retraite, rue Auber, 23, Toulouse.

1901. M. Emile BELLOC, chargé de missions scientifiques au Ministère de l'Instruction publique, rue de Rennes, 105, à Paris.


XIV ETAT DES MEMBRES DE L ACADEMIE.

CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

1848. M. TEMPIER, avoué près le Tribunal civil, à Marseille.

1863. M. ROSSIGNOL, homme de lettres, à Montans, par Gaillac (Tarn).

1865. M. GUIBAL, , I, doyen honoraire de la Faculté des lettres, à Aix.

1872. Dom DU BOURG (Antoine), religieux bénédictin, à Paris.

1875. M. SERRET (Jules), avocat, homme de lettres, rue Jacquart, 1, à

Agen. 1879. M. DE DUBOR (Georges), attaché à la Bibliothèque nationale, place

de Valois, 5, à Paris.

1881. M. CHEVALIER (Ulysse), , I, chanoine honoraire, à Romans

(Drôme).

1882. M. l'abbé LARRIEU, ancien missionnaire apostolique en Chine, membre

membre plusieurs Sociétés savantes, curé à Montbardon, par Saint-Blancard (Gers).

1882. M. TARDIEU (A.), Officier et Chevalier de plusieurs Ordres étrangers,

étrangers, de plusieurs Sociétés savantes, etc., à Herment (Puy-de-Dôme).

1883. M. CABIÉ (E.), à Roqueserrière, par Montastruc (Haute-Garonne). 1885. M. ESPÉRANDIEU (E.-J.), , , I, correspondant de l'Institut,

capitaine d'infanterie, 59, route de Clamart, à Vanves (Seine). 1887. M. le marquis DE CROIZIER, , I., président de la Société académique indo-chinoise de France, grand'croix du Christ du Portugal et grand - officier de plusieurs ordres étrangers, boulevard de la Saussaie, 10, parc de Neuilly, à Paris.

1887. M. ANTONIN SOUCAILLE, président de la Société archéologique, scientifique

scientifique littéraire, avenue Saint-Pierre, 1, à Béziers (Hérault).

1888. M. Ed. FORESTIÉ, archiviste de l'Académie des sciences, lettres

et arts de Tarn-et-Garonne, rue de la République, 23, à Montauban.

1891. M. H.-P. CAZAC, I, C. , 0. , , de l'Académie de Mâcon, ancien vice-président de la Société académique des Hautes-Pyrénées, proviseur du Lycée de Bayonne (BassesPyrénées).

1901. M. BARRIÈRE-FLAVY, A., membre de plusieurs Sociétés savantes, homme de lettres, au château de Puydaniel, par Auterive (Haute-Garonne),


ÉTAT DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. XV

CORRESPONDANTS ETRANGERS.

CLASSE DES SCIENCES.

1856. M. PAQUE (A.), professeur de mathématiques à l'Athénée royal de

Liège (Belgique), rue de Grétry, 65. 1871. M. BELLUCCI (Giuseppe), docteur en histoire naturelle, professeur

de chimie à l'Université de Perugia (Italie). 1897. M. CABREIRA (Antonio), , membre de l'Académie royale des

sciences de Lisbonne et de l'Institut de Coïmbra, 36, rua da

Alegria, Lisbonne. 1899. M. PILTSCHIKOFF (Nicolas), professeur de physique à l'Université

d'Odessa.

CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

1859. M. LEVY MARIA JORDAO, avocat général à la Cour de cassation du Portugal, à Lisbonne.


XVI ,ETAT DES MEMBRES DE L'ACADEMIE.

NEGROLOGE

(AU 15 NOVEMBRE 1905.)

ASSOCIÉS ORDINAIRES. M. ANTOINE (Ferdinand), I, professeur à la Faculté des lettres.

CORRESPONDANTS NATIONAUX.

CLASSE DES SCIENCES.

M. ROBINET, professeur, rue de l'Abbaye Saint-Germain, 3, Paris.

M. LIAIS, astronome à Cherbourg.

M. MORETIN, docteur en médecine, rue de Rivoli, à Paris.

M. LE JOLIS, rue de la Duché, 29, Cherbourg.

M. VÉDRENES, inspecteur du service de santé en retraite, à Lyon.

CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

M. DE BARTHÉLÉMY, ancien auditeur au Conseil d'État, rue de l'Université, 80, à Paris.


MÉMOIRES

DE

L'ACADÉMIE DES SCIENCES

INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

DE TOULOUSE

FAIT D'AUBIER PHOSPHORESCENT

CHEZ UN MERISIER

PAR LE Dr D. CLOS 1.

Au sein de la Montagne Noire, à 600 mètres d'altitude, à la métairie de la Jasse, près le village de Verdun (Aude), non loin des limites du Tarn, on débitait le 6 septembre dernier un gros pied mort de Merisier (Gerasus avium), lorsque à l'entrée de la nuit, l'aubier de l'arbre, après l'enlèvement de l'écorce, se montra tout phosphorescent laissant distinguer l'heure aux aiguilles d'une montre.

Le phénomène se reproduisit les soirs suivants, au grand ébahissement des curieux de la contrée attirés par lui. Il était augmenté par le frottement, persistait dans l'eau, s'éteignait en présence d'un flambeau allumé, émettant une odeur de moisissure. D'abord généralisée à toute la surface de l'aubier, la phosphorescence, à partir de la sixième nuit, ne se montra plus que par plaques, dont les dimensions allè1.

allè1. dans la séance du 15 décembre 1904.

10e SÉRIE. — TOME V. 1


2 MÉMOIRES.

rent môme en diminuant jusqu'à leur disparition totale survenue la quinzième nuit.

Ces bûches lumineuses étaient au dehors, exposées à l'humidité de l'air; mais remisées dans un bûcher couvert, elles n'ont pas tardé, de même que des fragments de cet aubier renfermés dans des bocaux, à perdre leur propriété lumineuse. La phosphorescence de certains champignons, de l'Agarie de l'olivier (Agaricus olearius) 1 et de ces Mycelium formés de filaments, pris jadis sous le nom de Rhizomorpha pour des plantes autonomes, est bien connue; Tulasne l'a vue sur des feuilles et des branches de chêne (in Annal, sc. natur., Bot., juin 1848). Le bois l'a souvent offerte; mais je n'ai pas connaissance que des auteurs en aient spécifié l'aubier. Cependant, si la phosphorescence se montre, comme on l'a dit, pendant la lutte qui a lieu entre les forces de la nature organique et celles de la nature inorganique, pour cesser complètement quand celles-ci l'emportent, l'aubier, par sa moindre compacité, doit donner plus de prise que le coeur de bois à l'action combinée de l'eau et de l'oxygène sur le carbone pour sa combustion lente. M. Crié n'hésite pas à comparer cette phosphorescence à celle que dégage à l'air le phosphore en s'oxydant.

Non prévenu à temps, je n'ai pu aller observer le phénomène sur les lieux, mais je suis en état de garantir l'entière exactitude des faits sus-énoncés.

La phosphorescence est une propriété particulière à certains êtres de l'un et de l'autre règne organique, et qui a suscité de nombreuses interprétations. Me bornant ici à mentionner les manifestations lumineuses des plantes, je rappellerai qu'on peut les rapporter à deux groupes : ou continues, comme dans la phosphorescence proprement dite, ou par éclats, sous l'aspect de luminosités intermittentes dé1.

dé1. espèces d'Agaries ont dû leur dénomination spécifique à cette particularité, tels les Agaricus igneus, d'Amboine, noctilucens, de Manille et Lampas, d'Australie. M. Crié dit avoir vu aussi phosphorescents d'autres champignons, le Polyporus citrinus, et l'Auricularia phosphorea. (Nouv. Elém. de botanique, p. 264.)


FAIT D'AUBIER PHOSPHORESCENT. 3

terminées peut-être par un état électrique de l'atmosphère ambiante.

Depuis la fille du grand Linné qui, en 1762, observa un fait de ce dernier genre sur des fleurs de Capucine, bien d'autres cas analogues ont été successivement inscrits dans les annales de la physiologie : Haggren dit l'avoir vu sur des fleurs de Souci, d'OEillet d'Inde, de Lisbulbifère; Johnson, en outre, sur celles de l'Hélianthe ou Tournesol, et même de la Tubéreuse peu après le coucher du soleil, l'air étant serein et chaud. Remarquez qu'à part la dernière citée, toutes ces fleurs ont en commun la couleur jaune. Toutefois, le phénomène était mis en doute et rapporté à une illusion par des botanistes distingués, qui, contrairement à leurs recherches et à leurs désirs, n'avaient pu en constater l'existence, bien que, dès le seizième siècle, il ait été l'objet d'une dissertation spéciale par un des pères de la botanique, Conrad Gesner (De lunariis, 1555l).

Mais voici deux témoignages qui ne sauraient laisser le moindre doute et dus à deux de nos confrères. Au mois de juin 1857, M. Fries, professeur et directeur du Jardin botanique d'Upsal, y observa la luminosité sur la fleur d'un Pavot d'orient, où le fait fut constaté par plus de cent cinquante personnes. Elle se montrait à nouveau plus récemment sur la Capucine à M. le professeur Crié dans son jardin de Rennes, par un temps orageux. (V. Compt. rend, de l'Inst. du 21 novembre 1881, p. 853.)

1. Le titre de cette dissertation sur plusieurs sujets commence ainsi : « De raris et admirandis herbis, quae sive quod noctu luceant, sive alias ob causas lunariae nominantur, commentariolus : et obiter de aliis etiam rébus quoe in tenebris lucent »


MEMOIRES.

APPAREIL A DISTILLATION

Pour enlever les gaz dissous dans les eaux minérales, et pouvant aussi servir à la concentration, pasteurisation et rectification des vins et des alcools.

PAR LE Dr F. GARRIGOU 1.

Depuis l'année 1871, guidé par mes études sur la concentration des eaux minérales, je me suis attaché à l'étude du vin et de l'alcool, de manière à produire soit du vin concentré, soit des vinasses sans goût de cuit, soit de l'alcool éthylique d'une pureté remarquable, conservant le bouquet du vin qui l'a fourni.

C'est en me basant sur mes recherches hydrologiques, et prenant pour base les appareils spéciaux destinés à ces études, que je suis arrivé à la combinaison des appareils que je présente aujourd'hui à l'Académie, comme appareils pouvant servir à l'extraction des gaz dissous dans les eaux minérales, et, secondairement, à la préparation de l'alcool éthylique et à celle du vin concentré.

Voici la description de ces appareils :

Un cylindre en métal résistant, non attaquable par les liquides à distiller, est la pièce essentielle qui supporte tout l'appareil.

Sur ce cylindre repose, au moyen d'un joint spécial, à

1. Lu dans la séance du 19 janvier 1905.


APPAREIL A DISTILLATION. 5

côté mâle et côté femelle, que le vide fera adhérer à plat sans boulon et par l'intermédiaire d'une simple plaque de caoutchouc, un col de cornue portant le côté mâle du joint, tandis que le cylindre porte le côté femelle.

Le col de cornue aboutit à un serpentin enfermé dans son réfrigérant et conduisant les liquides distillés et condensés au fond d'un baquet de réception fermé et n'ayant qu'une seule ouverture de sortie supérieure au fond d'un vase, et placée à 11 ou 12 mètres au-dessous du cylindre.

Sur un point quelconque du tube précédent, on place un appréciateur d'écoulement en verre, sur lequel vient se fixer un aspirateur dont il sera question plus loin.

Dans l'intérieur du cylindre se trouve un système de sphères creuses, en métal épais (cuivre étamé, argent, aluminium), reliées l'une à l'autre par un tronc de cône creux et fixées les unes aux autres par des supports latéraux. On peut en mettre plusieurs.

Un tube métallique arrive jusqu'au centre de la sphère la plus élevée, portant à son passage, au centre des autres sphères, une tubulure ouverte, et se trouvant lui-même ouvert à son point terminus.

Ce tube part d'un vase générateur de vapeur, et porte un robinet.

Au bas de la sphère la plus basse s'ouvre un tube qui descend dans un vase de vidange des sphères. Il porte un robinet, à 50 centimètres du fond.

Le bas du cylindre est fermé par un fond à travers lequel est soigneusement soudé à son passage le tube précédent, et ce fond porte un joint pareil à celui du haut, en même temps qu'un tube d'écoulement descendant à 11 ou 12 mètres de profondeur, dans un baquet d'écoulement, ayant une seule ouverture d'écoulement, supérieure.

A côté du cylindre est un serpentin enfermé dans son réchauffeur, qui peut être chauffé par la vapeur. Ce serpentin communique avec le bac contenant le vin à distiller, et vient s'ouvrir au-dessus, et presque au contact, de la première sphère du cylindre.


6 MÉMOIRES.

Du côté opposé, il y a deux autres serpentins : l'un est destiné à refroidir les vapeurs venant du cylindre distillateur, et à les conduire, en passant par l'appareil surveilleur de l'écoulement, à 11 ou 12 mètres dans le bas, dans un baquet récepteur de l'alcool; l'autre est le tube d'aspiration par lequel on obtient le vide dans tout l'appareil; il traverse en long serpentin un vase réfrigéré au moins à — 20° d'une manière permanente.

Le tube d'aspiration communique soit avec une trompe, soit avec une pompe aspirante.

L'appareil ainsi décrit est prêt à fonctionner, et il peut fonctionner sans le vide, avec le vide ou sous pression.

Ce qui nous intéresse le plus dans la communication actuelle, c'est de connaître son fonctionnement dans le vide.

Pour faire fonctionner dans le vide, il faut d'abord joindre les deux serpentins de droite (n'en faisant qu'un, pour ainsi dire, A et B — 1) avec l'aspirateur.

Les sphères sont mises, par leur tube central, en communication avec le générateur de vapeur.

Egalement, est mis en communication avec le générateur de vapeur le serpentin réchauffeur déjà décrit.

L'extrémité inférieure du tube de ce serpentin réchauffeur, est plongée dans l'eau ou dans le vin à distiller, placés à une hauteur suffisante pour que la colonne de liquide qui sera soulevée par le vide puisse venir se déverser sur la première sphère.

On fait plonger le tube d'amenée de la vapeur d'eau produite ou de l'alcool distillé, et le tube de décharge de l'eau non vaporisée ou de la vinasse produite, dans les baquets respectifs à chaque sorte de liquide. Ces baquets devront contenir d'avance une certaine quantité soit d'eau, soit de vinasse, soit d'alcool, pour qu'au moment de l'opération ces liquides puissent s'élever dans leurs tubes respectifs, et former deux colonnes barométriques, l'une d'alcool, l'autre de vinasse.

Dans ces conditions, lorsque l'on fait le vide, les trois liquides (eau ou vin à distiller, alcool de réserve, et vinasse


APPAREIL A DISTILLATION. 7

de réserve) montent dans leur tube. L'eau ou le vin à distiller se réchauffent dans le serpentin. Les boules étant chauffées d'avance par leur jet de vapeur, reçoivent à leur surface le liquide à distiller. Les gaz contenus dans l'eau minérale, ou l'alcool, se volatilisent instantanément, sont entraînés vers l'aspirateur, pendant que l'eau non volatilisée ou la vinasse, tombant sur leur colonne barométrique correspondante, s'écoulent dans leur baquet. L'alcool entraîné arrive dans un premier serpentin dans lequel il se condense en étant refroidi par la température de 12 à 15° d'un courant d'eau, et tombe en colonne barométrique dans son baquet de réception. Les gaz provenant des eaux minérales sont rendus libres et aspirés dans des récipients spéciaux pour être étudiés.

Dans le cas où il s'échapperait des éthers, ceux-ci sont refroidis dans le serpentin supérieur à l'appareil surveilleur, serpentin refroidi à — 20°; les éthers ainsi liquéfiés rejoignent l'alcool et descendent avec lui dans le baquet.

On a donc, d'un côté de l'eau minérale non distillée, ou de la vinasse (qui contient presque tous les alcools lourds), et de l'autre les gaz, ou de l'alcool éthylique très pur, contenant le bouquet du vin.

La vinasse passée plusieurs fois sur les boules perdrait la quantité d'eau qu'on voudrait lui enlever et se concentrerait. Si on lui rendait son alcool, on ferait ainsi du vin concentré.

Mais ce n'est pas là le seul but que l'on peut atteindre au sujet de l'alcool.

C'est la préparation de l'alcool pur, et à un taux des plus élevés, qui va m'occuper maintenant.

Pour arriver à avoir de l'alcool aussi rapproché que possible de 100° (Gay-Lussac), j'ai conçu l'appareil suivant :

Dans une caisse en cuivre, cylindrique, sont enfermés deux cônes superposés et séparés l'un de l'autre par un espace suffisant pour qu'un serpentin puisse s'enrouler en spirales dans cet espace vide. Appelons ce serpentin, serpentin B.

La partie supérieure de ce serpentin, s'élargissant en


8 MÉMOIRES.

cornet acoustique, vient s'ouvrir, tous bords étant parfaitement soudés aux parois de la partie supérieure du cône inférieur, dans cette partie de ce cône. Appelons b la portion indiquée de cette partie du serpentin.

La portion inférieure de b, que nous appellerons b', se continue dans un réfrigérent cylindrique en forme d'anneau, dont le milieu reste vide, et ne faisant qu'un avec le cylindre décrit, et dont il occuperait la base. Il en sort pour permettre la réception de l'alcool liquide.

L'espace intra-conique dans lequel circule le serpentin B, communique avec un réservoir rempli d'alcool à concentrer.

Cet espace se termine à la partie supérieure par un tube servant de départ à un autre serpentin, qui, descendant contre la paroi interne du cône intérieur, se termine à la partie inférieure de l'appareil, par une branche verticale dont l'extrémité inférieure occupe le centre du plan inférieur de l'appareil.

La chambre cylindrique et en anneau, dans laquelle circule la partie inférieure du serpentin b, peut être refroidie par un courant d'eau froide.

Tout cet ensemble est fixé par un de mes joints sans boulons, sur la portion inférieure de la partie inférieure de mon appareil, dont voici la description.

Cotte deuxième pièce est constituée par une colonne circulaire métallique, portant à chaque extrémité l'une des portions (mâle en bas, femelle en haut) de mon raccord sans boulon.

Dans cette colonne sont placées, soit mobiles, soit fixes, des calottes métalliques que nous allons décrire.

Ces calottes métalliques sont concentriques et en demisphères, reliées par un fond annulaire, sur lequel elles sont soudées, de manière à former une chambre demi-sphérique close.

Elles sont traversées par de larges tubes, avec lesquels elles sont soudées, ces tubes les traversant par les côtés. Ils mettent ainsi en communication les espaces inférieurs avec les supérieurs.


APPAREIL A DISTILLATION. 9

Ces calottes sont soudées sur le bord inférieur d'une dalle circulaire, du bord interne de laquelle partent les canaux un peu inclinés, se rencontrant sur l'axe de la colonne cylyndrique, en un point où ils se déversent dans un canal vertical, court, s'ouvrant au-dessus de la partie la plus élevée et par conséquent centrale de la calotte inférieure.

Le dernier de ces canaux verticaux s'ouvre dans la partie inférieure de l'appareil, qui constitue une chambre de réception générale des liquides distillés, pour leur évacuation à l'extérieur.

Chaque calotte porte deux tubes placés aux deux extrémités d'un même diamètre, l'un étant le tube d'entrée, l'autre celui de sortie de la vapeur qui doit chauffer les calottes.

Cette vapeur est prise sur un petit générateur, constituant la partie inférieure de l'appareil, et elle y est constamment ramenée sous forme d'eau concentrée, par son passage dans les calottes et par sa réfrigération avec l'alcool qui se volatilise en tombant sur les calottes.

Cette description étant faite, voici le jeu de l'appareil en marche.

On commence par chauffer les calottes au moyen du jet de vapeur spécial à chacune. On fait alors arriver sur ces calottes un filet très lent de l'alcool à distiller au moyen de l'alimentateur d'alcool.

L'alcool venant de cet alimentateur monte dans l'espace intra-conique décrit plus haut, et tombe par le serpentin intérieur, sur les calottes, où il se volatilise. Il chauffe ainsi tout l'intérieur de la partie supérieure de l'appareil; les vapeurs alcooliques à 80° s'engagent dans le serpentin intraconique, s'y condensent, en réchauffant l'alcool qui entoure le serpentin, et l'alcool ainsi distillé, achevant de se refroidir dans la portion du serpentin baignée dans l'eau froide courante, coule à l'extérieur où on le reçoit.

Lorsque tout l'appareil est ainsi chauffé à 80° par la marche incessante de l'opération, la distillation marche rapidement.

Les calottes peuvent être chauffées intérieurement par les


10 MÉMOIRES.

vapeurs provenant d'un mélange d'eau et d'alcool fournissant de la vapeur à 80° ou 85°. A cette température, l'alcool mélangé à l'eau, et destiné à être distillé, ne laisse volatiliser que l'alcool, et celui-ci passe à la distillation avec un maximum de concentration, atteignant près de 100° Gay-Lussac. L'eau qui lui était mélangée s'écoule au dehors, comme résidu de cette distillation.

Il se passe là le même phénomène que dans l'appareil Ménard; mais celui-ci, vu le mode de chauffage, ne peut donner que de l'alcool à 90°, tandis que mon appareil fournit de l'alcool entre 98° et 100°.

J'étudie en ce moment une modification qui permettra d'obtenir de l'alcool à 100°, avec un abaissement de prix des plus considérables, et par conséquent des plus importants pour le commerce et pour l'État lui-même.

Ce dernier appareil, construit spécialement pour obtenir dans un état parfait de pureté les gaz contenus dans une eau minérale, peut, comme le précédent, servir, ainsi qu'on vient de le voir, pour obtenir des alcools éthyliques parfaits, absolument purs, et permettant de faire faire un pas considérable à l'hygiène, relativement à la diminution du nombre des alcooliques, dont les écarts moraux sont provoqués surtout par les alcools supérieurs toujours abondants même dans les eaux-de-vie les plus pures.

Je crois, en donnant l'idée de ces appareils, avoir atteint un double but utile à la science hydrologique et à l'hygiène.


TRAITEMENT DU CANCER PAR LES RAYONS X. 11

TRAITEMENT DU CANCER

PAR LES RAYONS X.

RÉSUMÉ DES RÉSULTATS OBTENUS A TOULOUSE PENDANT L'ANNÉE SCOLAIRE 1903-1904.

PAR LE DOCTEUR T. MARIE 1,

Professeur à la Faculté de Médecine.

L'emploi des agents physiques s'étend de plus en plus en thérapeutique; chaque année marque un pas en avant. L'étape actuelle est particulièrement importante, car les maladies dont le traitement est à l'étude depuis ces dernières années sont précisément celles devant lesquelles le médecin est le plus souvent désarmé. Pour le démontrer, il suffit de citer les diverses formes de lupus, le sycosis, les teignes tondante et laveuse, les tumeurs malignes, épithélioma, cancer, sarcome, au moins dans leurs formes peu profondes, la pelade, les cicatrices étendues, etc. La préoccupation du public au sujet de ces diverses maladies est très grande, aussi les premiers succès ont-ils trouvé un écho dans les journaux les plus divers, et tout le monde connaît déjà la possibilité de leur guérison. Il est donc inutile d'insister sur l'importance de ces conquêtes nouvelles de la thérapeutique physique.

Je ne puis songer à faire une étude générale, même succincte, de l'emploi des radiations en thérapeutique, car le sujet est beaucoup trop vaste; je me contenterai de passer en revue les résultats obtenus par l'emploi des rayons X

1. Lu à la séance du 26 janvier 1905.


12 MÉMOIRES.

dans le traitement des tumeurs malignes, dont l'étude est toute d'actualité. J'insisterai en particulier sur les cas qui ont été soignés à Toulouse d'après mes indications et dont le nombre voisin de cent, pour la seule année scolaire 1903-1904, forme un champ d'expérience très étendu. Le traitement du sycosis, de la teigne, de la pelade, etc., sera laissé de côté, car les résultats sont établis, la radiothérapie étant actuellement la méthode de choix pour la guérison de ces affections. Pour le lupus, on s'est servi tantôt des rayons X, tantôt des rayons chimiques de l'arc électrique, tantôt enfin du radium. Ce dernier produit une action analogue à celle des rayons X; mais comme l'intensité de son action est difficilement mesurable et le faisceau de radiations émises plus complexe encore que pour les rayons X, son emploi ne s'est pas généralisé. De nombreuses guérisons de lupus ont été publiées, soit par l'emploi des rayons X, soit par l'emploi des rayons chimiques de l'arc électrique; les expériences comparatives que j'ai faites dans ces derniers temps me font donner la préférence à ces derniers, parce que leur action est plus certaine, plus régulière, plus rapide, et que leur emploi, quelque intensif qu'il soit, est toujours sans inconvénient. Cependant, lorsque le lupus est situé profondément ou bien superficiellement, mais dans des régions où les compresseurs de l'appareil photographique s'appliquent difficilement, telles que l'oreille, les rayons X deviennent un excellent adjuvant des rayons chimiques de l'arc électrique, auxquels on doit toujours réserver la préférence.

Technique des applications radiothérapiques.

Cette question de technique a une énorme importance. En effet, tandis que l'action des rayons chimiques de l'arc électrique n'est jamais nuisible, quelles que soient l'intensité et la durée de leur action, nous savons qu'il n'en est pas de même pour les rayons X dont l'action devient rapidement destructive dès qu'on dépasse une certaine limite. Le danger est encore aggravé par ce fait que les escharres et ulcérations


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obtenues ont très peu de tendance à guérir et peuvent durer des années ou même être inguérissables. Le danger est donc grand et le moindre devoir des opérateurs est de faire des applications radiothérapiques très précises, soit comme durée, soit comme intensité d'action. C'est surtout la peau qui est visée, car les phénomènes généraux que l'on a quelquefois signalés se produisent d'une manière très irrégulière, et je n'en ai personnellement jamais observé bien que dans certains cas j'aie cherché à les obtenir. Les opérateurs euxmêmes ne doivent pas oublier qu'ils ne sont pas à l'abri du danger, et un exemple récent, dans lequel des ulcérations très anciennes ont pris une allure maligne, a montré la réa lité de ce danger. Pour les opérateurs, les organes à protéger sont surtout les yeux et les mains. Pour les yeux, il suffit d'employer des verres en flint; pour les mains, je me sers de lames métalliques fixées sur des gants de peau et imbriquées les unes au-dessus des autres à la manière des gantelets d'armes. Cette disposition protège les mains d'une manière efficace et en même temps laisse toute liberté aux mouvements des doigts. Les précautions à prendre pour les opérés sont de deux sortes :

1° Protection des régions avoisinant la région soumise à l'action des rayons X ;

2° Mesures exactes, au moins autant que possible, de l'action des radiations sur la surface traitée, de manière à obtenir le maximum d'action possible tout en évitant la destruction des tissus.

Pour protéger les organes avoisinant la région traitée, le procédé le plus ancien et le plus simple consiste à placer sur la peau une lame de plomb suffisamment grande de 1/2 à 1 millimètre d'épaisseur et à faire dans cette lame une ouverture convenable. C'est le procédé dont je me sers. Les lames sont recouvertes sur leurs deux faces de plusieurs couches de vernis, ce qui les isole de la peau et permet facilement leur lavage au sublimé après chaque opération. On a indiqué un grand nombre d'autres solutions plus élégantes, par exemple celle de supports de formes variables, mais


14 MÉMOIRES.

présentant tous une cavité à paroi métallique dans laquelle on place le tube producteur de rayons X. Cette cavité présente une ouverture, en face de l'anticathode, sur laquelle on fixe des manchons de diamètre et de longueur appropriés et dont l'autre extrémité s'applique sur la peau, il est évident que le malade et l'opérateur sont ainsi parfaitement protégés. Mais cette capacité assez considérable que l'on place à une distance assez faible du tube modifie la répartition des potentiels dans l'intérieur, même lorsqu'un diélectrique tel que rébonite est placé entre la lampe métallique et la paroi du tube, et peut nuire à son fonctionnement. D'autre part, la lame de plomb que l'on découpe pour chaque malade permet plus facilement d'adapter exactement l'ouverture, c'est-àdire le champ d'action des rayons X, à la surface malade de forme souvent très irrégulière. C'est pour ces deux raisons que j'ai adopté la première solution.

La mesure exacte de l'action des rayons X sur la région malade s'impose pour les raisons données plus haut. C'est une nécessité reconnue par tous les médecins s'occupant de rayons X. Le grand danger des applications radiothérapiques résulte de ce que pendant la séance le malade n'éprouve aucune impression, même lorque la dose employée dépasse de beaucoup la dose compatible avec l'intégrité des tissus. Ce n'est qu'après un laps de temps variable, quatre à cinq jours et au delà, que les phénomènes réactionnels commencent. En outre, des séances insuffisantes pour produire chacune une action nuisible peuvent devenir très dangereuses lorsqu'elles sont trop rapprochées.

L'action accumulative des rayons X est actuellement démontrée et on doit toujours laisser entre deux séances consécutives un intervalle suffisant pour que l'action de la séance précédente soit terminée. En pratique, un intervalle de huit jours suffit habituellement. Pour réaliser cette mesure, on ne peut se contenter de noter les conditions de fonctionnement du matériel producteur des rayons X. Pour le montrer, il suffît de passer en revue les principaux moyens de productions.


TRAITEMENT DU CANCER PAR LES RAYONS X. 15

1. Machine statique. — On se sert habituellement de machines à dix plateaux. La quantité d'ozone qu'elles produisent est si considérable qu'on ne peut pas les mettre sous cage, car les organes métalliques sont rapidement altérés. Dans ces conditions, elles sont beaucoup plus sensibles aux variations d'état hygrométrique de l'air et leur débit est très variable, même lorsqu'on maintient à une température à près constante l'air de la pièce dans laquelle elles sont placées.

2. Bobine de Rhumkborff. — Pour une intensité et un voltage déterminés aux bornes du circuit inducteur de la bobine, les mêmes valeurs dans le circuit induit varient suivant qu'on se sert d'un interrupteur à mercure ou de l'interrupteur de Wenhelt. Avec l'interrupteur à mercure, on doit ajouter les variations qui résultent de la manière dont les interruptions se font, suivant que la surface du mercure est plus ou moins propre ou suivant le choix du métal, platine, fer ou cuivre. Avec l'interrupteur de Wenhelt les coefficients de transformation sont beaucoup plus constants, et lorsqu'on a mesuré l'action des rayons X par des procédés que j'indiquerai plus loin, on peut, sans répéter ces mesures à chaque traitement, obtenir des actions parfaitement constantes.

3. Matériel de Gaiffé. — Ici, les considérations de fonctionnement sont beaucoup plus sûres, étant donné que le voltage des courants induits est donné par le voltage de la source électrique et le coefficient des transformateurs et que leur intensité est mesurée par un milliampéremètre spécial placé directement sur le circuit d'utilisation. Il reste cependant encore une importante cause de variation, c'est le tube à rayons X (cause de variation commune à toutes les installations électriques), qui, suivant la manière dont il a été construit, donne pour un même courant électrique, un faisceau de radiations de pénétration et d'intensité variables. D'ailleurs, un tube producteur de rayons X déterminé quoique maintenu dans des conditions de résistance électrique constantes, donne un faisceau de radiations de propriétés varia-


16 MÉMOIRES.

bles par le fait du noircissement du tube qui rend son réglage beaucoup plus difficile et supprime du faisceau émis des radiations de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que le dépôt de platine augmente d'épaisseur. Ce noircissement est considérablement retardé par l'emploi du courant électrique produit par les machines dites statiques dont le sens est constant ou par l'emploi de soupapes de Villard soigneusement réglées qui suppriment le courant induit inverse lorsqu'on se sert des transformateurs, mais il se produit fatalement au bout d'un temps plus ou moins long. On ne peut donc pas se contenter en radiothérapie de mesurer exactement le courant électrique qui sert à actionner le tube producteur de rayons X (bien que cette connaissance soit déjà très utile), il faut encore mesurer le degré de pénétration et l'intensité du faisceau de radiations employées. Je ne veux pas étudier les appareils qui ont été proposés dans ce but, car ils sont devenus classiques, je me contenterai de dire que pour mesurer le degré de pénétration des rayons X on se sert : 1° du spintermètre qui donne la longueur d'étincelle équivalente à la résistance électrique du tube. Ce procédé de mesure n'a qu'une valeur relative, mais il est précieux cependant, lorsqu'on se sert toujours du même courant électrique et du même tube, à cause de sa grande simplicité; 2° du radiochromètre de Benoist, dont les indications sont très précises surtout avec le nouveau modèle dans lequel les épaisseurs d'aluminium varient par demi-millimètres. Dans les modèles de tube que l'on emploie actuellement, le réglage du degré de pénétration des rayons X se fait avec la plus grande facilité; on peut donc limiter l'action des rayons X à des couches de tissus plus ou moins épaisses et, par exemple, dans les formes cutanées limiter l'action radiothérapique à peu près exclusivement aux couches atteintes par la maladie. Lorsque les tissus altérés sont situés profondément, nous ne pouvons malheureusement pas opérer aussi simplement, car le faisceau rendu plus pénétrant par un réglage préalable du tube est complexe et contient des radiations peu pénétrantes qui agissent sur les tissus sains


TRAITEMENT DU CANCER PAR LES RAYONS X. 17

traversés et ne permettent pas toujours d'agir avec une énergie suffisante sur les tissus profonds, même en se maintenant à la limite d'action que les tissus sains superficiels peuvent supporter sans être détruits. C'est la cause principale des échecs de la radiothérapie dans les cancers profonds, échecs non constants, il est vrai, mais qui font contraste avec les résultats admirables qu'elle donne dans les formes superficielles. On cherche de tous les côtés à supprimer ces radiations peu pénétrantes dans la radiothérapie des organes profonds; mais si théoriquement le problème n'est pas insoluble, il n'a pas reçu encore de solution satisfaisante. D'ailleurs, il restera toujours un autre écueil, d'importance peutêtre moins grande, il est vrai, qui ne pourra être évité, c'est la transformation des rayons très pénétrants en rayons secondaires moins pénétrants sous l'influence des tissus sains traversés. Aussi peut-on dire que si la radiothérapie a définitivement fait ses preuves pour les organes superficiels dont la guérison est la règle, elle est encore à l'étude pour les organes profonds (cancers de la matrice, du tube digestif, du médiastin, etc.). On a publié des guérisons de cancer de l'estomac, de la matrice, de la prostate; mais si les symptômes cliniques étaient bien ceux de ces maladies, je ne connais aucune observation dans laquelle on n'en ait donné la preuve histologique évidente.

La mesure de l'intensité d'action du faisceau de rayons X est au moins aussi importante que celle du degré de pénétration de ces rayons, soit au point de vue des accidents cutanés à éviter, soit au point de vue des guérisons à obtenir. Pour réaliser cette mesure, on se base sur les phénomènes de coloration que produisent les rayons X lorsqu'ils agissent sur certaines substances salines et dont l'intensité est directement liée à la quantité de rayons qui a agi. Le premier appareil de ce genre date seulement de l'année 1902 et est dû à Holzknecht qui l'a appelé le chromoradiomètre. Le mélange salin qu'il emploie, et dont il n'a pas donné la composition, se colore en vert sous l'influence des rayons X. L'unité de coloration, et par suite d'action des rayons X, a

10e SÉRIE. — TOME V. 2


18 MÉMOIRES.

été représentée par lui par la lettre H. Le point important des recherches d'Holzknecht, c'est que la peau ne manifeste aucune réaction inflammatoire tant qu'elle n'a pas absorbé une quantité de rayons X équivalente au moins à 5 H et que la destruction ne se produit que pour une quantité voisine de 10 H. Il existe des variations suivant l'âge, la région du corps considérée, mais les chiffres précédents représentent une moyenne générale. Grâce à cet appareil, on peut faire des applications radiothérapiques sans danger ou en produisant une réaction inflammatoire prévue à l'avance. Malheureusement, le produit Holzknecht est d'un prix très élevé; aussi a-t-on été très reconnaissants en France à MM. Sabouraud et Noé, dont les travaux sur la guérison de la teigne par les rayons X sont déjà classiques, d'avoir montré que le platinocyanure de potassium pouvait rendre les mêmes services que les pastilles de composition inconnue de Holzknecht. Le prix vingt fois moins élevé des pastilles Sabouraud rendra leur vulgarisation très facile, et leur emploi s'impose à tout médecin radiographe consciencieux.

L'étude que je viens de faire sur la technique des applications radiothérapiques montre que malgré la complexité du problème à résoudre, il est maintenant possible de prévoir avec certitude l'action que produiront ces applications. C'est un point très important, car le premier devoir d'un médecin c'est, tout en cherchant à être utile à son malade, d'éviter tout accident. Les moyens dont nous disposons actuellement permettent d'atteindre toujours ce double résultat.

La technique que j'ai adoptée s'inspire des indications précédentes. Ordinairement, j'emploie la bobine et l'interrupteur à mercure, mais en maintenant constants le courant inducteur, la résistance intérieure du tube, sa distance à la peau. Des mesures de quantité faites de temps en temps suffisent pour connaître exactement le nombre d'H que l'on fait absorber à la région traitée dans un temps donné. J'emploie beaucoup moins l'interrupteur de Wenhelt, car si celuici est précieux lorsqu'il s'agit d'obtenir un faisceau très


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puissant permettant de faire un cliché en très peu de temps, il présente en radiothérapie l'inconvénient de modifier rapidement la résistance intérieure des tubes. Comme ici la durée de la séance a moins d'importance pour le diagnostic, je donne la préférence à l'interrupteur à mercure dont la surveillance est plus facile, ce qui permet de confier la conduite de l'opération à un infirmier. Suivant les cas, la technique varie un peu; j'indiquerai ces différences dans l'étude des diverses catégories de cancer que je vais passer en revue maintenant.

Applications cliniques.

Cancers cutanés. — Epithéliomas. — Ce sont les plus fréquents parmi les cancers que j'ai eus à traiter, près de soixante-quinze pour la première année, ce qui est un chiffre considérable. La technique est très facile. Séances toutes les semaines. Degré de pénétration des rayons correspondant à 5-6 du radiochromomètre de Benoist ou ordinairement à 4-5 cm d'étincelle équivalente. A la première séance, on fait absorber 5 H, et aux séances suivantes de 3 à 5 H, suivant l'état de la peau. Pour obtenir une guérison rapide, il est souvent nécessaire de produire une réaction inflammatoire assez accentuée sans atteindre l'ulcération. Le traitement exige seulement quelques séances, dix au maximum, surtout lorsqu'on a soin de débarrasser la peau des croûtes résultant soit de la maladie, soit de la réaction inflammatoire. La guérison est la règle, et jusqu'ici je n'ai rencon tré aucune difficulté pour l'obtenir. D'ailleurs, tous les auteurs sont d'accord sur ce résultat, et il serait oiseux de passer eu revue les cas particuliers. C'est à la face que les manifestations cancéreuses sont les plus fréquentes, et c'est à la face qu'elles guérissent le plus facilement, même quand elles sont très graves, pourvu que la généralisation n'ait pas eu lieu encore. Quelques photographies de malades prises avant le traitement vous seront un exemple des cas que l'on peut traiter avec succès.

Épithélioma de la lèvre inférieure. — Il est considéré


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comme beaucoup plus grave que le précédent. Cependant, les six cas que j'ai soignés ont tous guéri sans la moindre difficulté et en employant la technique très simple que j'ai exposée dans le paragraphe précédent. Il est donc intéressant de résumer en quelques lignes les observations des malades que j'ai traités :

1° Homme de cinquante ans. Cancer des fumeurs très ancien ; deux fois opéré et récidivé. Toute la lèvre est atteinte et, vers le milieu, se trouve une profonde ulcération ayant 1 cm 1/2 de long sur 1 cm de largeur. La lèvre inférieure est empâtée jusqu'au bord du maxillaire' inférieur. Le sifflement est impossible depuis longtemps. Des douleurs lancinantes s'étendent jusqu'au milieu des joues. La guérison se maintient depuis un an.

2° Homme de cinquante-cinq ans. Epithélioma datant de sept mois. Toute la lèvre est atteinte et, au milieu, se trouve une ulcération profonde recouverte d'une croûte noire, gangréneuse, de plus de 1 cm d'épaisseur. En raison de la probabilité d'un envahissement rapide des ganglions, on enlève au bistouri la partie centrale de la tumeur et on traite par la radiothérapie le reste de la lèvre ulcérée. La guérison obtenue depuis trois mois se maintient sans incident.

3° et 4° Deux cancers de fumeur de gravité analogue et existant l'un chez un homme de quarante-cinq ans, l'autre chez un homme plus âgé de trois ans, ont été traités uniquement par la radiothérapie. La guérison pour l'un d'eux se maintient depuis six mois; la guérison de l'autre est plus récente et le malade est encore en surveillance. Si dans ces deux derniers cas et dans ceux qui suivent j'ai cessé de faire appel au chirurgien, c'est parce que l'expérience déjà acquise m'avait donné la certitude que la radiothérapie seule suffisait.

5° et 6° Femme de soixante ans. Cas semblable au premier. Guérison avec disparition de l'ulcération. Cette malade peut être considérée comme guérie bien que la fin de son traitement soit toute récente. Le dernier cas était


TRAITEMENT DU CANCER PAR LES RAYONS X. 21

beaucoup moins grave et la guérison a été très facile.

En résumé, six cas d'épithélioma de la lèvre inférieure, dont deux deux fois récidivés et deux autres ayant envahi de 3 à 4 cm la muqueuse buccale, ont guéri sans difficulté par la radiothérapie et avec un nombre de séances qui n'a jamais dépassé 15. Grâce à la précaution que j'ai prise de laisser les malades en surveillance pendant plusieurs mois, je n'ai eu jusqu'ici aucune récidive.

Cancer du sein. — Avec eux nous commençons la série des cancers dans lesquels les tissus malades sont séparés de l'extérieur par une couche plus ou moins épaisse de tissu sain et pour lesquels les conditions de traitement deviennent moins bonnes. Dans les premiers temps, je soignais ces malades comme pour les cancers cutanés, me basant sur ce que les tissus interposés étaient des tissus mous et, par suite, facilement traversables par les rayons X; malheureument, l'expérience n'a pas confirmé ce raisonnement théorique. Dans trois cas de cancer du sein opéré et récidivé, et par conséquent très graves, j'ai obtenu une guérison locale avee disparition à peu près complète des ganglions axillaires, mais je n'ai pas empêché la généralisation soit vers le cou, soit vers le médiastin. Aussi ai-je modifié complètement ma technique pour ces malades. Au lieu d'employer des rayons d'un degré de pénétration correspondant à 5 cm d'étincelle équivalente, je me sers maintenant de rayons X beaucoup plus pénétrants correspondant à 10 et même 15 cm d'étincelle équivalente, et les résultats ont été tout autres. Deux cancers, l'un avec des ganglions à l'aisselle et une ulcération considérable sont en très bonne voie de guérison, et les résultats, sans être encore définitifs, sont très encourageants. Vous voyez ici un exemple de l'influence capitale de la technique sur les résultats obtenus. Je ne signale que pour mention une dizaine de malades soignés immédiatement après l'extirpation du sein et simplement dans le but de diminuer les chances de récidive. Le bon résultat obtenu peut, en effet, être dû uniquement à l'opération.


22 MÉMOIRES.

Cancers profonds. — J'ai déjà signalé les difficultés que l'on rencontre dans le traitement de ces graves affections et le peu de certitude des succès que l'on a publiés. La question est à l'étude, et l'expérience clinique seule peut nous fixer sur les cas que l'on pourra traiter avantageusement par la radiothérapie. Je n'ai soigné encore que deux malades et mon opinion n'est pas définitivement établie. Il est probable qu'on ne pourra réussir qu'en employant un faisseau très pénétrant et en enlevant méthodiquement de ce faisceau les radiations peu réfrangibles, ce qui permettra sans danger une action profonde très intense.


LES IDÉES PÉDAGOGIQUES DE GOLDSMITH. 23

LES

IDÉES PÉDAGOGIQUES DE GOLDSMITH

(SUITE ET FIN.)

PAR HENRI DUMÉRIL.1

III.

Nous savons ce que Goldsmith pensait des écoles anglaises de son temps; nous avons dit les changements qu'il réclamait, soit dans le recrutement du personnel, soit dans la situation faite aux professeurs et aux sous-maîtres. Je continue à passer en revue ses idées sur l'éducation de l'enfance et de l'adolescence.

Un mot d'abord sur l'éducation physique. Il se prononce énergiquement contre Locke et la doctrine de l'endurcissement à outrance. On fortifie ou on tue, ou bien encore on amène ainsi une viellesse anticipée. « Le nombre de ceux qui survivent à ces rudes épreuves, dit-il, est sans proportion avec le chiffre de ceux qui y succombent. Si on avait tout dûment considéré, on n'aurait pas tellement vanté une éducation commencée par les fatigues et les privations. Pierre le Grand, désirant habituer les enfants de ses marins à une vie pénible, ordonna de ne leur faire boire que de

1. Lu dans les séances du 2 mars et du 4 mai 1905. — (Voy. Mémoires de l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-lettres de Toulouse, 1904, pp. 123-139.)


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l'eau de mer; malheureusement, ils en moururent tous1.» Mais il n'est pas non plus partisan d'une éducation amollissante; il recommande la sobriété, la diète lactée : plus occidit gula quam gladius; il faut habituer les enfants à la tempérance, à l'économie, presque à l'avarice.

Passons aux programmes. Notre auteur est très partisan des études classiques : il en écrit un long panégyrique dans son treizième Essai, et il en fait ressortir l'utilité, tant pour former le goût de l'enfant que pour développer chez lui les sentiments moraux. C'est, en effet, au double point de vue de la morale et de l'esthétique littéraire qu'il entend faire étudier l'antiquité grecque et romaine, d'accord en cela avec la plupart des pédagogues de son siècle, qui négligeaient d'ordinaire le point de vue archéologique et philologique. Il n'est pas exclusif d'ailleurs : les sciences exactes, la philosophie, la géographie, l'histoire surtout ne doivent pas être laissées de côté. Le but est de donner à l'enfant des clartés de tout, un esprit large, ouvert à toutes les idées, « a libéral turn of thinking. » Ce n'est pas qu'il se dissimule l'écueil à éviter lorsqu'on nourrit une si haute ambition : « On est porté aujourd'hui, dit-il, à faire apprendre aux enfants toutes choses — les langues, les sciences, la musique, les exercices physiques et la peinture. —De celte manière l'élève sait bientôt parler de tout, mais il ne sait rien à fond. Il a pour tout un goût superficiel, mais il ne montre que son ignorance quand il veut faire parade de son savoir 2. » Jack of all trades, master of none, dit un proverbe anglais. Approfondir un ordre particulier de connaissances, avoir une légère teinture de beaucoup d'autres, voilà l'idéal que recommandent volontiers nos voisins et qui paraît être celui de Goldsmith.

Pour le bien d'une instruction générale, et même les études classiques mises à part, il ne place pas tous les

1. The Bee, On Education (Works, édition J. W. M. Gibbs. t. II, p. 404).

2. T. II, p. 408.


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autres genres d'études sur la même ligne. Il paraît même plutôt hostile à l'enseignement de la rhétorique, funeste, suivant lui, à la véritable éloquence 1. « On n'apprend guère plus aux hommes à être orateurs qu'à être poètes 2. » En certain endroit de ses oeuvres, il parle assez dédaigneusement des mathématiques, « science accessible aux plus médiocres intelligences. » Ce dédain est peut-être celui du renard pour les raisins trop verts. Notre auteur avait peu réussi luimême dans les sciences exactes, et de plus son professeur de mathématiques à Trinity College ne lui avait guère laissé que de mauvais souvenirs. Ailleurs, il est plus juste. « Les mathématiques, écrit-il, vous apprendront à penser avec clarté et précision, et les poètes anciens développeront votre imagination; ce sont ces deux ordres d'études, non les subtilités de la logique ou les spéculations métaphysiques, qui fortifient et perfectionnent l'esprit. La logique et la métaphysique peuvent vous donner la théorie du raisonnement; mais la poésie et les mathématiques vous font faire des progrès dans la pratique et vous rendent aptes à toute sorte de recherches rationnelles 3. »

Il conseille l'étude des sciences physiques dans les écoles, mais d'une manière purement expérimentale. Le maître montrera aux élèves les phénomènes sans en rechercher les causes : il suffit d'éveiller leur curiosité. Encore cette étude sera-t-elle purement facultative 4. Tel est, au demeurant, son système général : il faut enseigner aux enfants le plus de faits possible et ne remonter aux causes que lorsqu'ils manifestent d'eux-mêmes le désir de les connaître. A la sortie de l'école, l'adolescent, dont l'esprit sera meublé par le souvenir des simples expériences de la science, sera le mieux disposé du monde à l'enseignement supérieur5.

L'histoire est de toutes les études celle qu'il recommande

1. T. II, p. 408.

2. Ibid.

3. History of England. Letter I, t. V, p. 255.

4. T. II, p. 406.

5. T. II, pp. 406-407.


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le plus chaudement, et par histoire il entend, non pas une sèche énumération de faits et de dates, mais l'histoire considérée comme science morale. « La seule connaissance des faits mérite à peine le nom de science; la véritable sagesse consiste à remonter des effets aux causes. Comprendre l'histoire, c'est comprendre l'homme qui en est le sujet. Etudier l'histoire, c'est peser les motifs, les opinions, les passions de l'humanité, afin d'éviter vous-même les erreurs déjà commises et de profiter des exemples de sagesse. L'étude de l'histoire ainsi comprise peut être commencée à n'importe quel âge : on ne peut traiter trop tôt les enfants comme des hommes 1. » Il conseille de consulter les sources. « Les abréviateurs, les compilateurs, les commentateurs et les critiques ne sont bons, en général, qu'à remplir l'esprit d'anecdotes inutiles ou à donner aux recherches une mauvaise direction. » Remarquons, en passant, que Goldsmith affiche assez souvent le mépris des vulgarisateurs. Cette attitude peut paraître étrange; lui-même n'a pas été autre chose. Si ses histoires de Grèce, de Rome, d'Angleterre ont longtemps gardé une popularité à certains égards méritée, ce n'est ni par le souci méticuleux de l'exactitude, ni par l'originalité des recherches qu'elles brillaient. Mais, comme le dit Macaulay, généralement assez sévère pour lui, « ses compilations ne ressemblent en rien aux compilations ordinaires des faiseurs de livres. Il possédait peut-être plus qu'aucun autre écrivain l'art de choisir et de condenser. A ce point de vue, son Histoire romaine, son Histoire d'Angleterre, et surtout les résumés qu'il fit lui-même de ces histoires, méritent qu'on les lise avec soin. En général, rien n'est moins attrayant qu'un Abrégé; mais les abrégés de Goldsmith sont toujours amusants, même lorqu'ils sont le plus concis, et pour des enfants intelligents ce n'est pas une tâche de les lire, mais un vrai plaisir 2. »

« Ce n'est pas l'histoire des rois, mais celle des hommes

1. T. V, p. 256.

2. Essais littéraires, trad. G. Guizot, p. 291.


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à laquelle il faut s'attacher », poursuit notre auteur 1. Quelques années auparavant, Voltaire, dont l'influence sur Goldsmith est assez souvent visible 2, s'était exprimé d'une façon analogue au début de son Siècle de Louis XIV.

L'idée qu'il se fait de l'histoire est très haute. « Qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée. Je ne voudrais pas que l'histoire consistât seulement en d'arides spéculations sur les faits, exposées avec placidité, poursuivies sans intérêt ni passion. Je ne voudrais pas que votre raison se fatiguât sans trêve à des recherches critiques. Tout ce que je demande, c'est que l'historien exerce autant le jugement que l'imagination du lecteur. C'est autant son devoir de faire acte de philosophe ou d'homme politique dans ses récits que de rassembler des matériaux pour la narration. S'il n'a une certaine intelligence philosophique, ses exposés mêmes seront forcément souvent faux, fabuleux, contradictoires; s'il n'a point de sagacité politique, ses caractères seront mal dessinés; le vice et la vertu seront distribués sans discernement et sans vérité3». Il propose comme modèles dans l'antiquité, Xénophon, Tite-Live, Salluste et Tacite 4. Il avait composé un abrégé des Vies de Plutarque et, dans une courte préface, avait fait ressortir l'intérêt des biographies historiques, la meilleure introduction peut-être à l'étude de l'histoire pour l'enfance et la jeunesse jusqu'à douze ou treize ans. On sait l'admiration que le dix-huitième siècle professait pour Plutarque, et Goldsmith paraît l'avoir partagée. Mais ce n'est pas sur la seule antiquité qu'il appelle l'attention des maîtres et des élèves. Dans une lettre consacrée à l'étude de l'histoire d'Angleterre, il veut que ceux-ci s'intéressent tout spécialement à la période la plus récente de cette histoire, à celle de la naissance des libertés an1.

an1. t. V, p. 257.

2. Goldsmith a composé une Etude sur Voltaire, vers 1759. Il avait, dès 1757, publié un compte rendu de l'Essai sur les moeurs et des Siècles de Louis XIV et de Louis XV.

3. T. V, p. 258.

4. P. 259.


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glaises. « Tout homme demeurant dans ce royaume a sa part des libertés dont il jouit, de même que la généralité du peuple est en dernier ressort investie du pouvoir législatif. Aussi est-ce le devoir de tout homme de connaître cette constitution que par droit de naissance il est appelé à administrer; un freeholder dans un état libre doit certainement se rendre compte du pacte en vertu duquel il est investi d'une tenure si précieuse 1. » L'histoire, entre autres usages, doit donc servir à l'éducation civique des adolescents.

L'étude des langues appelle quelques réflexions. Goldsmith ne croit pas qu'elle puisse être rendue attrayante, et il exagère même la sévérité de cet enseignement. « Quelques peines qu'un maître prenne pour rendre l'étude des langues agréable à son élève, il peut compter qu'elle sera d'abord extrêmement désagréable. Aussi les rudiments d'un langage doivent-ils être donnés comme une tâche, non comme un amusement. » Et il ajoute que la crainte seule peut triompher de la paresse naturelle d'un enfant 2.

Sur les méthodes à employer, peu de choses à signaler. Notre auteur critique l'usage des traductions fort à la mode alors en Angleterre. « Ce n'est qu'en exerçant l'esprit qu'on apprend une langue; mais une traduction littérale sur la page en face n'exerce nullement la mémoire. L'enfant ne se donnera pas la fatigue de se rien rappeler s'il lui suffit d'un coup d'oeil pour lever tous ses doutes. Au contraire, s'il doit chercher tous ses mots dans un dictionnaire, il tâchera de s'en souvenir pour s'épargner la peine de les chercher à l'avenir 3. » J'ajouterai que, même sans faire ce petit calcul, l'écolier pendant le temps qu'il compulse son lexique avant d'arriver au sens d'un vocable inconnu ou douteux, est forcé de le garder dans sa mémoire; cela contribue à l'y graver, et c'est

1. T. V, p. 263.

2.T. II, p. 409. Il y a dans ce passade quelques phrases où il excuse ou même recommande un usage discret des verges et que j'aurais dû citer au chapitre Ier de ce mémoire.

3. T. II, p. 408.


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une erreur, tout au moins une grosse exagération de croire, comme on le dit souvent, que le temps employé à chercher dans un dictionnaire soit complètement perdu. Je n'insiste pas sur la dépense d'intelligence nécessaire pour choisir entre les diverses significations indiquées. Le dictionnaire est la bête noire de nombre de pédagogues contemporains. Il a été à peu près banni des classes de langues vivantes. Un jour sans doute, grâce à l'éternel retour des choses d'ici-bas, quelque haute autorité universitaire en redécouvrira les bienfaits et en présentera l'emploi constant comme une innovation ingénieuse autant que hardie. Les thuriféraires applaudiront et les résignés se tairont, et il n'y aura rien de changé que les programmes et les méthodes. Ces sortes de changements sont si fréquents chez nous qu'on s'étonnerait de ne pas les voir se renouveler au bout de périodes de plus en plus courtes.

Dans la dernière partie du dix-neuvième siècle, les recueils de morceaux choisis ont été, eux aussi, fort critiqués 1. Il est vrai qu'ils ont été aussi vigoureusement défendus 2. Goldsmith ne doutait guère de leur utilité; on en doutait peu de son temps; de plus, il en tirait quelque profit. — Plusieurs de ses biographes racontent à ce sujet l'anecdote suivante : Un éditeur, Griffln, lui avait commandé un choix de poésies classiques anglaises pour l'usage des écoles, choix qu'il devait faire précéder d'une de ces préfaces qu'il savait si bien faire. En marquant les morceaux pour l'imprimeur, Goldsmith nota un conte graveleux de Prior qui, inséré en conséquence dans le livre, le rendit invendable. — Goldsmith était fort étourdi, tous s'accordent à le reconnaître; mais ici l'étourderie eût passé toute mesure. Les

1. Voyez, par exemple, la circulaire de Jules Simon, alors ministre de l'instruction publique, du 27 septembre 1872 (Bull, administr., 1872, p. 581).

2. Voyez E. Hallberg, Bulletin de l'Académie des Sciences de Toulouse, 1897-98, pp. 59 et s.; P. Stapfer, Des réputations littéraires, t. I, p 114, etc.; A. Vessiot, La question du latin de M. Frary et les professions libérales, pp. 41-43, etc.


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biographes en question ont confondu deux recueils différents, tous deux composés par le pauvre manoeuvre de lettres: l'un, destiné, en effet, aux pensions de demoiselles, et qui ne contient aucune pièce de Prior; l'autre, composé, nous dit l'auteur, « pour ceux qui n'ont pas de loisir, de discernement ou de fortune pour faire eux-mêmes leur choix », contient plusieurs pièces licencieuses. J'avoue volontiers d'ailleurs que là même elles ne sont pas à leur place.

Ces compilations ne coûtaient pas grand travail à Goldsmith qui se contentait d'écrire quelques lignes d'introduction et de marquer au crayon les passages à imprimer.. Les éditeurs lui payaient cette besogne assez généreusement. Ce n'était que justice, observait notre auteur, car, disait-il, « par un choix judicieux un homme montre son goût et souvent il lui a fallu vingt ans pour former ce goût. »

Si les morceaux choisis lui paraissent éminemment propres à l'éducation de la jeunesse, en revanche il est sévère pour la méthode catéchistique, pour les manuels par demandes et par réponses, dont le principal défaut, d'après lui, est de charger la mémoire sans exercer le jugement 1. Il ne faut certainement pas abuser de cette méthode. Je n'oserais pourtant la condamner d'une façon absolue; avec des maîtres intelligents, elle peut donner quelques bons résultats, et tel est sans doute l'avis d'un de nos anciens ministres de l'instruction publique, ancien inspecteur d'académie, qui n'a pas hésité jadis à donner son nom à une collection de petits catéchismes scolaires pour les candidats au certificat d'études primaires.

Disons pour terminer que l'auteur du Ministre de Wakefield considérait la lecture des romans comme tout à fait dommageable pour la jeunesse. « Par-dessus tout, écrivaitil en 1759 à son frère, le Révérend Henry Goldsmith, que votre fils ne touche jamais à un roman quel qu'il soit 2. Ces sortes d'ouvrages représentent la beauté sous des couleurs

1. T. V, p. 254.

2. « Let him never touch a romance or a novel.


LES IDÉES PÉDAGOGIQUES DE GOLDSMITH. 31

plus séduisantes que la nature elle-même et décrivent un bonheur que l'homme ne goûte jamais. Comme elles sont trompeuses, comme elles sont dangereuses ces peintures d'une félicité parfaite! Elles enseignent à un esprit jeune à soupirer après une beauté et un bonheur qui n'ont jamais existé, à mépriser le peu de douceur que la fortune a mêlé à notre coupe en attendant d'elle plus qu'elle n'a jamais donné. En général, croyez-en la parole d'un homme qui a vu le monde et qui a étudié la nature humaine plus par l'expérience que par les préceptes, croyez-en ma parole, dis-je, les livres nous apprennent fort peu du monde 1. » Cette attaque contre les romans est renouvelée, avec plus de vigueur encore, dans le Citoyen du monde, lettre LXXXIII 2. Il faut reconnaître que les romans du milieu du dix-huitième siècle, quelques qualités qu'ils pussent avoir d'ailleurs, n'étaient guère faits pour la jeunesse. Goldsmith aurait voulu qu'il fût écrit pour elle des ouvrages spéciaux, voeu qui depuis a été réalisé. « Au lieu de romans d'aventures où sont loués les jeunes gens entreprenants — lesquels passent par toutes sortes de péripéties et trouvent, au bout d'une existence de folie, de dissipation et d'extravagance, un mariage opulent, — des hommes d'esprit devraient composer des livres qui n'auraient pas moins d'intérêt pour notre jeunesse. Tel personnage serait loué pour avoir résisté aux entraînements de l'adolescence et deviendrait enfin lord-maire après avoir épousé une jeune fille riche, intelligente et belle. Pour m'expliquer aussi clairement que possible, la vieille histoire de Whittington — en laissant le chat de côté — serait plus utile à un esprit encore malléable que Tom Jones, Joseph Andrews 1 et cent autres livres où

1. T. I, p. 449.

2. T. III, p. 311.

3. Je rougis, pour l'Université de France, d'avoir à constater ici que Joseph, Andrews est inscrit cette année même au programme du certificat d'aptitude à l'enseignement de l'anglais dans les lycées et collèges, examen auquel beaucoup de jeunes filles commencent à se préparer dès l'âge de dix-huit ans. Je ne demande pas, bien entendu,


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la tempérance est la seule bonne qualité que ne possède pas le héros. Si nos pédagogues, si quelques-uns d'entre eux avaient assez d'intelligence pour faire de tels livres, ils rendraient un plus grand service à leurs élèves qu'avec toutes les grammaires et tous les dictionnaires qu'ils peuvent publier pendant, dix ans 1 ».

A première vue, il peut paraître étrange que Goldsmith ait fait appel aux professeurs pour la composition de tels ouvrages. Nous aurions tort pourtant de nous en étonner. Si au dix-neuvième siècle comme aujourd'hui, ils n'ont pas été les seuls à écrire pour la jeunesse, beaucoup d'entre eux ont réussi dans ce genre sans que leurs livres fussent le moins du monde ennuyeux et rébarbatifs. A Toulouse même, j'en trouverais des exemples. — L'histoire de Whittington — sans le chat — que l'honnête Goldsmith proposait comme idéal, a été bien dépassée.

IV.

S'il est vrai que l'expérience instruit, Goldsmith devait connaître à fond les questions relatives aux Universités. C'est à Trinity College, Dublin, qu'il entra d'abord, à l'âge de quinze ans. Il y fut admis en qualité de sizar ou boursier. Les sizars ne payaient rien ; ils étaient logés, mal logés, dans les mansardes de l'établissement, et nourris des restes de la table des autres étudiants. Mais en retour ils portaient un costume particulier et devaient s'acquitter de certaines tâches domestiques, balayant les cours et servant

que l'on n'inscrive à ce programme que des livres pour enfants. Mais en anglais on n'a guère que l'embarras du choix des ouvrages, et il est si facile de trouver des romans moins remplis de grossièretés que ceux de Fielding, dont je ne nie pas d'ailleurs les incontestables mérites! — Le même manque de tact dans la désignation des auteurs pour les examens se révèle depuis bien des années. Voyez une lettre insérée dans la Revue de l'enseignement des langues vivantes, t. IV, p. 163. 1. The Bee, t. II, pp. .405-406.


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leurs camarades à table. Le jeune Olivier, condamné par la pauvreté de sa famille à cette situation humiliante, ne l'accepta qu'avec répugnance. Le malheur voulut par surcroît qu'il tombât sur un maître connu par la violence de son caractère et sa passion pour les sciences exactes : l'élève était médiocre mathématicien, et, comme tel, fut assez malmené. Il fut compromis dans une émeute d'étudiants où il y eut mort d'hommes et soumis à une réprimande publique « quod seditioni favisset et tumultuantibus opem tulisset. » Peu de temps après, pour célébrer un succès scolaire, il donnait dans sa mansarde une petite fête dont la présence du sexe aimable rehaussait l'éclat. A peine le son du violon se fit-il entendre sous les toits, que le Révérend Theaker Wilder fit irruption chez l'imprudent amphytrion, dispersa les invités terrifiés et alla jusqu'à frapper le délinquant. Celui-ci s'échappa avec ses livres qu'il vendit immédiatement, erra quelque temps dans Dublin, partit pour Cork avec un shilling en poche, ayant quelque vague idée d'émigrer en Amérique, puis, mieux inspiré et mourant de faim, se décida à retourner auprès des siens. Son frère aîné le réconcilia avec l'alma mater, et, tant bien que mal, il arriva au grade de bachelier es arts en février 1749. Quelques années après, il écrivait à ce même frère aîné : « Si votre fils est laborieux, sans passions fortes, il peut réussir dans votre collège; car, il faut le reconnaître, peut-être y encourage-t-on les travailleurs sans fortune plus que dans toute autre Université d'Europe. Mais s'il a de l'ambition et de fortes passions, s'il ressent vivement les dédains d'autrui, gardez-vous de l'y envoyer, à moins qu'il ne puisse embrasser d'autre profession que la vôtre. »

Lui-même avait peu de goût pour l'état ecclésiastique ; quoique fils, petit-fils et frère de pasteurs, il ne sentait pas en lui l'étoffé d'un pasteur. On le décida, néanmoins, à se présenter devant l'évêque d'Elphin pour recevoir l'ordination. Mais, soit qu'il n'eût pas subi d'une façon satisfaisante l'examen préliminaire, soit, comme on l'a écrit, que l'évêque eût été choqué de voir le postulant comparaître devant lui

10e SÉRIE. — TOME V. 3


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avec une magnifique et peu sacerdotale culotte rouge, soit pour toute autre cause, il ne fut pas agréé et mena quelque temps une existence décousue. Un oncle bienveillant songea à lui faire faire son droit; un autre parent déclara qu'à son avis il ferait un excellent médecin. Nous le voyons bientôt à Edimbourg suivant les cours d'anatomie du professeur Munro. Mais déjà son humeur vagabonde le travaille; il sollicite de son oncle et bailleur de fonds l'autorisation d'aller à Leyde où il arrive après diverses aventures et qu'il quitte ensuite pour Louvain; là , s'il faut en croire une tradition, il est reçu bachelier en médecine 1. Puis il va à Paris où il suit les leçons de chimie de Rouelle; il fait ce tour de l'Europe occidentale qui nous a valu le poème du Voyageur et le chapitre XX du Ministre de Wakefleld, et, après un an d'absence, revient en Angleterre avec quelques sous pour toute fortune. Employé d'abord chez un apothicaire, il le quitte pour s'établir comme médecin dans un faubourg.

Le titre de docteur que lui donnaient ses contemporains et qu'on trouve encore de nos jours accolé à son nom n'était qu'affaire de courtoisie, somble-t-il, et il n'eut d'autre grade en médecine que celui qu'il avait rapporté de ses pérégrinations sur le continent. Quelque temps après, lorsqu'il avait déjà commencé à écrire pour se procurer des ressources qu'une maigre et indigente clientèle ne lui donnait pas suffisantes, il se faisait refuser à un examen pour une modeste place d'aide dans un hôpital.

Plus tard, déjà connu comme écrivain, nous le trouvons logé au Temple, séjour consacré des étudiants en droit et des légistes; il y occupe même un appartement au-dessus de celui du jurisconsulte Blackstone, plus d'une fois troublé, dit on, dans la composition de son grand ouvrage sur le droit

1. Certains biographes placent ce succès universitaire de Goldsmith à Leyde, d'autres à Padoue. J'ai suivi Austin Dobson dans sa Vie de Goldsmith, Lond., 1888, p. 37. Cf. la biographie placée par J. W. M. Gibbs en tête de son édition des oeuvres de notre auteur, p. 11.


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anglais par les joyeuses réunions tenues chez son voisin.

En 1709, Goldsmith fut nommé professeur d'histoire ancienne à l'Académie royale; il y avait pour collègue son ami le docteur Johnson, qui était professeur de littérature ancienne. Je dois ajouter que les titres de ces deux hommes de lettres furent purement honorifiques; ni l'un ni l'autre ne professèrent ni ne touchèrent aucun émolument.

Je n'ai donné ces détails que pour montrer qu'en matière d'enseignement supérieur, Goldsmith pouvait dire, comme il l'a dit, en effet, quelquefois, « Haud inexpertus loquor », et ses expériences n'avaient pas toujours été d'une nature agréable. Voyons si elles lui ont servi.

Nous ne nous étonnerons pas qu'il se soit déclaré l'ennemi des distinctions sociales entre étudiants; il en avait trop souffert. « C'est l'orgueil lui-même qui a inspiré aux agrégés de nos collèges ce désir absurde d'être servis à leurs repas et dans d'autres occasions, devant le public, par de pauvres diables qui, désirant acquérir la science, entrent à l'Université et profitent de quelque fondation charitable. Gela implique contradiction; comment les mêmes hommes peuvent-ils à la fois étudier les arts libéraux et être traités comme esclaves, faire l'apprentissage de la liberté en même temps qu'ils subissent la servitude 1? »

En ce qui concerne les éludes, Goldsmith range en trois classes les Universités de son temps. Nous trouvons d'abord, dit-il, « celles qui sont organisées suivant le vieux type scolastique, où les élèves sont cloîtrés, ne parlent que latin et soutiennent tous les jours des argumentations syllogistiques sur la philosophie de l'école. Ne serait-on pas porté à s'imaginer que c'est là l'éducation la plus propre à faire d'un homme un sot? Telles sont les Universités de Prague, de Louvain et de Padoue. Viennent ensuite celles où les élèves ne sont sujets qu'à un petit nombre de restrictions, d'où le jargon scolastique est banni, où ils prennent des grades quand

1. An Enquiry into the Présent State of Polite Learning, ch. XIII, t. III, p. 526. Ce chapitre est consacré tout entier aux Universités.


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ils le jugent à propos et demeurent non dans leurs collèges, mais en ville. De ce genre sont Edimbourg, Leyde, Goettingue, Genève. Dans d'autres, enfin, il y a une combinaison des deux systèmes : les élèves ne sont pas libres, mais ils ne sont pas non plus cloîtrés; beaucoup d'absurdités de la philosophie scolastique, sinon toutes, sont supprimées; le premier grade est pris après quatre ans d'immatriculation. Telles sont les Universités d'Oxford, de Cambridge et de Dublin... 1. »

Dans quelle mesure les Universités contribuaient-elles au progrès ou à la diffusion des connaissances humaines au dix-huitième siècle? Goldsmith répond : « Nous leur attribuons trop ou trop peu d'influence. Les uns voient en elles les seuls endroits où l'on puisse faire avancer les sciences; d'autres en nient l'utilité même pour l'éducation. — Les deux idées sont également erronées. La science progresse surtout dans les villes populeuses où souvent le hasard s'unit au travail pour le faire avancer; les membres de cette grande Université, si j'ose l'appeler ainsi..., étudient la vie, non la logique, et ont le monde pour correspondant. C'est toujours dans les temps de plus profonde ignorance qu'on a fondé le plus grand nombre d'universités. Les progrès récents de la science ne sont guère adoptés dans les collèges que quand ils ont été admis partout ailleurs. Et il est bon qu'il en soit ainsi; il faut soigneusement éviter d'enseigner aux jeunes générations des conjectures pour des vérités. Quoiqu'on ait vu trop souvent les professeurs s'opposer aux progrès de la science, une fois qu'ils sont acquis, ce sont les gens les plus propres à les répandre. C'est dans les collèges que l'on apprend le mieux les éléments du savoir; c'est dans le monde qu'on le cultive le mieux. Un trop long séjour dans les écoles nous rend instruits, mais non sages. » Goldsmith voudrait qu'on quittât l'Université vers l'âge de vingt et un ans 2.

Je ne puis ici commenter ces réflexions. Il est certain que

1. Ibid., t. III, p. 523.

2. Ibid., t. III, pp. 522-523.


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les Universités du dix-huitième siècle n'ont pas contribué dans une large mesure au progrès des connaissances humaines; la part des Sociétés savantes, en France surtout, a été plus belle.

Une des questions qui préoccupent le plus notre écrivain est celle de savoir quels sont les moyens les plus propres à faire travailler les étudiants. Si, au sens étymologique du mot, étudiant veut dire homme qui étudie, nous savons que* ce mot a été souvent bien détourné de sa signification primitive; il veut dire aussi jeune homme qui n'est ni ouvrier, ni soldat, ni commis de magasin, qui n'étudie pas, mais se livre à des récréations plus ou moins variées et coûteuses, suivant l'argent de poche que lui octroient ses parents et son crédit auprès des fournisseurs et des usuriers; il est enfin tout simplement le masculin d'étudiante. Ces trois significations se mêlent et se confondent perpétuellement. C'est notre constant souci, à nous professeurs, de ramener le mot à son sens étymologique. Pour ce faire, Goldsmith croit à l'efficacité des examens : ce sont les examens qui contraignent les élèves à travailler. «L'enseignement par des cours, comme à Edimbourg, peut faire des étudiants des savants..., s'ils jugent à propos de le devenir; mais les examens, comme ceux d'Oxford, les rendront souvent instruits contre leur propre gré. Edimbourg ne fait que disposer l'étudiant à recevoir la science; Oxford la lui donne effectivement 1. »

Il est tout à fait opposé à l'exigence d'une longue scolarité. « L'habileté professionnelle s'acquiert plus par la pratique que par les études théoriques. Deux ou trois ans peuvent suffire pour apprendre les éléments d'une science. » Il en conclut qu'il vaut mieux délivrer les diplômes aussitôt que les étudiants sont en mesure de les obtenir, sans exiger d'eux un séjour prolongé à l'Université, d'autant mieux que ce séjour retarde pour les travailleurs le moment de jouir des avantages que doit leur procurer leur labeur 2. Cette

1. Ibid., t. III, pp. 524-525.

2. Ibid., pp. 523-524.


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thèse a été rarement populaire parmi les professeurs d'Universités. Nous lui opposons volontiers les inconvénients d'études hâtives. Et comment admettre que le temps passé à nous entendre puisse être du temps perdu? L'assiduité aux cours, à la bonne heure; voilà ce que nous désirons avant tout. Il nous faut des auditeurs et nous ne voulons pas prêcher dans le désert. Les opinions soutenues par Goldsmith ont pourtant trouvé quelques défenseurs, même en France; je citerai entre autres un homme politique dont on ne parle plus guère aujourd'hui, M. Raudot (de l'Yonne). M. Raudot a joué à plusieurs reprises, dans nos assemblées législatives, le rôle ingrat de Cassandre. On peut ne pas partager toutes ses idées, mais il n'est guère possible de méconnaître la droiture de ses intentions, l'étendue de ses connaissances et la netteté de ses argumentations. Il s'étend assez longuement sur le sujet qui nous occupe dans son livre De la décadence de la France 1. « En vain, écrit-il, aurait-on appris parfaitement la médecine ou le droit, en étudiant les meilleurs livres de science, en recevant des leçons théoriques et pratiques des hommes les plus habiles, professeurs libres; en vain aurait-on les connaissances d'un d'Aguesseau ou d'un Vicq-d'Azyr, on ne peut être admis à passer des examens et à prouver que l'on mérite le diplôme de médecin ou d'avocat si l'on ne peut prouver avant tout qu'on s'est fait inscrire pendant des années aux cours de l'école officielle.— Tous ces jeunes étudiants, aux passions ardentes, exilés de leurs familles, livrés à eux-mêmes dans de grandes villes, foyers de corruption, et dont l'ardeur pour le plaisir s'augmente par leur agglomération, se trouvent ainsi souvent, de par la loi, à l'école du libertinage, de la paresse, de la politique turbulente d'estaminet, au lieu d'être à l'école de la science, des bonnes moeurs et des études fortes et sévères. » Ce que les Universités doivent surtout redouter, d'après Goldsmith, c'est la richesse, mère de l'indolence. Ces dotations de toutes sortes, que de magnifiques fondations offrent

1. Troisième édition, pp. 87 et suiv.


LES IDÉES PÉDAGOGIQUES DE GOLDSMITH. 39

comme primes aux jeunes gens dans les Universités anglaises, « enrichissent la prudence plus souvent qu'elles ne récompensent le talent. » Il compare l'homme dont la jeunesse s'écoule dans la tranquillité que lui procurent les succès universitaires à un liquide qui ne fermente jamais et qui reste par conséquent toujours trouble. « Les talents médiocres sont souvent récompensés dans les collèges par une existence facile. Les candidats pour de semblables bénéfices regardent fréquemment leur succès comme un brevet d'indolence pour l'avenir, de sorte qu'une vie commencée dans l'étude et le travail se continue souvent dans l'aisance et le luxe 1. » « Dans les Universités étrangères, ajoute-t-il, j'ai toujours observé que les richesses et la science étaient en proportion inverse; la stupidité et l'orgueil croissent avec l'opulence. Un jour, causant avec Gaubius de Leyde, je mentionnai le collège d'Edimbourg. Il se plaignit de ce que les étudiants anglais, qui venaient autrefois à son Université, se rendissent maintenant, à Edimbourg, et le fait le surprenait d'autant plus que Leyde avait d'aussi bons maîtres que jamais, excellents dans leurs spécialités respectives. Il conclut en demandant si les professeurs étaient riches à Edimbourg? Je répondis que le salaire d'un professeur y était rarement supérieur à 30 livres par an. « Pauvres gens, dit-il, je désirerais vivement qu'ils « fussent mieux rémunérés; jusqu'à ce qu'ils soient riches, « nous ne pouvons plus nous attendre à voir des étudiants « anglais à Leyde 2. » Mesurant le mérite à la pauvreté, quelle considération Goldsmith n'aurait-il pas professée pour les Universités provinciales en France au début du vingtième siècle ! En quelle estime surtout n'eût-il pas tenu notre Académie des Sciences toulousaine !

1. Ibid., t. III., p. 501.

2. Ibid., t. III., pp. 501-502. Leyde n'avait en tout, quand Goldsmith y passa, que quatre étudiants anglais. La vie y était très chère, et la plupart des professeurs y travaillaient fort peu. Lettre au Rév. Thomas Contarine, 1754, t. I, p. 429.


40 MÉMOIRES.

L'ACTION POPULAIRE

ET LES

PRIES AUX DENONCIATEURS DANS LE DROIT GREC

PAR M. CH. LÉCRIVAIN 1.

Dans ses Lois 2, Platon établit plusieurs fois des primes aux dénonciateurs; par exemple contre la violation des règlements sur les lots, l'auteur d'une cpiciç touche la moitié de l'amende; l'esclave obtient sa liberté quand il dénonce par la iJ.Yjvucç la découverte d'un trésor ou les mauvais traitements infligés aux père et mère ; le dénonciateur obtient toute l'amende infligée aux parents d'une victime qui tolèrent la présence du meurtrier dans des lieux fréquentés ; quand le tuteur qui a négligé les intérêts du pupille est condamné au quadruple de l'estimation, la moitié revient au pupille, l'autre moitié au dénonciateur; l'esclave ou le métèque qui a dénoncé la vente de denrées falsifiées obtient tout le produit de la confiscation. Les Lois de Platon sont un mélange de droit réel et de droit imaginaire. On va voir que sur ce point particulier il a souvent reproduit la législation d'Athènes et d'autres villes.

A l'époque historique, dans le droit pénal de la Grèce,

1. Lu dans la séance du 9 mars 1905.

2. 5, 745 A; 11, 914 A ; 932 D; 928 C; 917 C; 9, 808 B.


PRIMES AUX DÉNONCIATEURS DANS LE DROIT GREC. 41

l'action populaire a eu un développement immense. Dans ces démocraties ou ces oligarchies jalouses, soupçonneuses, tout citoyen pouvait intenter une action, non seulement pour les affaires publiques, mais pour toute affaire privée qui intéressait plus ou moins directement l'Etat. Il n'y a guère que la poursuite des meurtres qui ait été laissée aux parents et aux représentants des victimes, et encore certaines procédures spéciales, par exemple l'apagogè, permettaient l'intervention des étrangers. A Athènes, Solon avait établi la règle, adoptée vraisemblablement par la plupart des autres villes, que tout citoyen pouvait se porter défenseur de l'opprimé : ÈÇeïvat tû (3ouÀs|j.év(;) Tt[j,upeîv urèp TWV aSty.ouij.evwv 1. La dénonciation, surtout en matière politique, satisfaisait si bien les haines et les passions, ouvrait si largement aux sycophantes l'accès des honneurs et des fonctions publiques qu'en général il ne fut pas nécessaire de la favoriser par l'appât de primes pécuniaires. Aussi le système des primes a-t-il été moins étendu qu'on ne le croirait de prime abord 2.

I.

ATHÈNES.

1° On y trouve des primes dans les cas suivants : 1° La Ypaçïj contre l'étranger qui épouse une citoyenne et l'étrangère qui épouse un citoyen ou contre le citoyen qui marie frauduleusement à un citoyen une étrangère en la faisant passer pour citoyenne comporte, dans le premier cas, la confiscation des biens et la vente comme esclave, dans le

1. Aristot., Ath. pol., 9, 1.

2. Ce sujet a déjà été traité par Ziebarth, Popularklägen mit Delatoren proemien nach griechischem Recht (Hermes, 1897, pp. 609628)

609628) mais quelques textes nouveaux nous permettent de le compléter.


42 MÉMOIRES.

second cas, la confiscation et l'atimie : le dénonciateur a le tiers des biens confisqués 1.

2° La U.ÏJVUCK; 2, simple dénonciation, où le dénonciateur n'est pas accusateur, est surtout employée par les personnes qui ne sont pas autorisées à déposer une plainte publique, étrangers, esclaves, quelquefois par les complices d'un crime qui s'assurent auparavant l'impunité par l'âcsta 3. Elle, est portée soit devant le Sénat, soit devant le peuple, quelquefois devant l'Aréopage 4. Elle provoque souvent ou suit la nomination d'enquêteurs spéciaux, de ç-r-r^xi 5. Elle a lieu surtout pour les crimes de haute trahison 6, d'impiété 7, mais aussi pour la détention illégale, le détournement de biens, de sommes appartenant à l'Etat 8. Elle vaut généralement, sans doute légalement, comme prime à l'esclave son affranchissement 9. Il peut y avoir en outre des primes pécuniaires. Dans l'affaire des Hermocopides où la plupart des dénonciations vinrent d'esclaves et de métèques, on avait promis des primes de 1,000. 6,000, 10,000 drachmes 10; le dénonciateur de Phidias obtient l'atélie 11.

1. Dem., 59, 16, 52.

2. V. Meier-Lipsius, Der attische Process, pp. 138, 140, 330-332, 355. Il y a une Sfoj jj^vusécoç à Erythrée (Newton, Greek Inscr., 3, 418), et la pîvucii; en matière politique dans le traité entre Smyrne et Magnésie (Michel, Recueil, 19).

3. Lysias, 13, 18, 21, 30, 55.

4. Affaire d'Harpale (Dinarch., in Dem., 4-5).

5. Dem., 24, 11.

6. Dinarch.; in Dem., 9.

7. Affaire des Hermocopides.

8. Plut., Per., 31 (accusation de détournement de fonds publics intentée à Phidias par Ménon, sans doute métèque); Lys., 29, 6.

9. Lys., 7, 16; 5, 15.

10. Andoc, 1, 11-15,16-17, 27-28; Thucyd., 6, 28, 1. Le nom de la prime est pivu-upa.

11. Plut., Per., 31. Un discours d'Antiphon (5,34) fait croire que de simples particuliers pouvaient aussi plus ou moins légalement récompenser par des primes pécuniaires ou par l'affranchissement des dénonciateurs, libres ou esclaves, dont le témoignage leur était favorable dans un procès criminel. Une fausse dénonciation entraînait la peine de mort, au moins avant l'archontat d'Euclide (Andoc, 1, 20).


PRIMES AUX DÉNONCIATEURS DANS LE DROIT GREC. 43

3° La çâsiç 1 désigne toute dénonciation en général 2, mais en particulier une dénonciation portée d'après les règles de la Ypâçï], c'est-à-dire par écrit, et avec emploi des espèces d'huissiers dits-/.Avspîc, et remise soit aux magistrats compétents, soit aux prytanes du Sénat 3. Elle vise généralement l'intérêt public et, dans un cas, l'intérêt privé. Elle est surtout employée pour la protection des intérêts fiscaux contre ceux qui détiennent illégalement un bien de l'Etat 4, contre ceux qui empiètent sur les terrains miniers réservés à l'Etat ou qui en dégradent les pilliers dans leurs propres lots miniers et compromettent l'exploitation 5; peut-être contre ceux qui ont détérioré des bâtiments et des objets publics; mais surtout contre ceux qui ont violé des règlements douaniers, commerciaux ou relatifs aux impôts. C'est cette dernière classe de délits que la phasis a le plus fréquemment poursuivie. Elle frappe l'importation de denrées, d'objets provenant de pays ennemis 6, ou inversement l'exportation dans un pays ennemi d'armes ou de matériel naval 7; les fraudes en matière de douanes

1. V. Meier-Lipsius, l. c, pp. 61, 70, 99, 226, 240, 294-302; Pollux, 8, 47-48; Eustath., ad Odyss., 4, 254; Harpocr., s. h. v., lex Cantabr., 667, 7: Etym. magn., 788, 50 ; lex seg., 313, 20; 315, 16; Phot. Suid., .s. h. v.; Lysias, Fragm., 203 (éd. Didot).

2. Xénoph., Cyrop., 1,2, 14. Le mot fcocpstvsiv a le même sens général, par exemple dans la formule du serment des sénateurs qui s'engagent à dénoncer toute cause d'indignité des nouveaux sénateurs (Lys., 31, 2). A Opus, un délit comporte une s;j.ï>aaiç devant le Sénat (Inscr. gr. sept., 3, 267).

3. Dem., 58, 5; Aristoph., Eq., 300. Cf. Dem., 25, 87; 39, 14; Andoc, 1, 88.

4. Isocr., 6, 3; 18, 5-6; Harpocr., l. c: Gregor., Corinth., Rhet.-gr., VII, 2, 1119 (éd. Walz) ; peut-être le fragment a C. bis. alt., 2, 14.

5. Lex. seg., l. c; Schol.. Dem. (éd. Didot), p. 736; Harpocr., l. c.; Vil. Dec. orat., Lyc, 34; Hyper, in Eux., 45. V. Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, art. Metalla, pp. 1869-1870.

6. Isocr., 17, 42; Boeckh, Seeurkunden, p. 230; Aristoph., Acharn., 819, 908; au vers 542, il faut sans doute lire oijva;, qui fait allusion à une phasis. Dans ce cas, il y a confiscation de tous les objets; le dénonciateur peut les saisir provisoirement.

7. Aristoph., Eq., 278; Ran., 362; cf. Dem., 19, 286.


44 MÉMOIRES.

et d'impôts 1 ; la violation des règlements sur l'importation et l'exportation de certains produits 2; sur le commerce du blé 3. Enfin, elle frappe également ceux qui arrachent sur leurs terrains plus d'oliviers que la loi ne le permet annuellement 4, et les sycophantes eux-mêmes, probablement pour fausse dénonciation dans des affaires de douanes, d'impôts, de commerce et de mines 3. Le seul délit privé poursuivi par la phasis est la mauvaise gestion de la fortune du pupille par le tuteur (çâsiç u.'.sOwccw; :1V.ÎU6).

La phasis est portée, pour les procès de tutelle, devant l'archonte 7; pour les procès de mines, d'impôts et contre les sycophantes, devant les archontes thesmothètes 8 ; pour les procès commerciaux et douaniers, devant les chefs de l'emporium 9; pour la détention illégale de biens publics, au moins pendant quelque temps après 303, devant les commissaires extraordinaires dits CTJVOP/.SI 10. Le Sénat peut recevoir aussi la dénonciation 11, mais c'est par exception qu'une fois il la juge lui-même sous le régime des Dix, après les

1. Aristoph., Eq., 300. C'est probablement la dénonciation de ce délit qui a amené le mot sycophante; voir tous les textes sur l'origine de ce mot dans le Thesaurus d'Etienne Dindorff.

2. C. ins. att., 1, 31. Dans le règlement d'Hadrien sur la fourniture de l'huile à la ville, la dénonciation des contrevenants, soit indigènes soit étrangers, s'appelle (Arguai;, niais c'est en réalité une phasis (ibid., 3, 38, 1.39).

3. Dem., 35, 51; 56, 6; 58, 12. Voir l'article Emporikos nomos (Dictionnaire des Antiquités).

4. Le délinquant paie pour chaque pied d'olivier 100 drachmes à l'Etat et autant au dénonciateur (Dem., 43, 71).

5. Pollux, 8, 48; lex. seg.. 310, 14 ; Aristot., Ath. pol., 59, 3.

6. Harpocr., l. c; Dem., 38, 23; Lysias, Frag., 203. Voir l'article Epitropos, p. 731 (Dictionnaire des Antiquités).

7. Pollux, 8, 47; Is., 6, 32; 9, 34; Dem., 30, 6.

8. Dem., 37, 34; Isocr., 15. 237, 314. Voir sur les autres formes de poursuites contre les sycophantes, Meier-Lipsius, l. c, p. 413, et Aristot., l. c, 43, 5.

9. Dem., 35, 51 ; cf. 58, 8 où l'objet de la phasis n'est pas indiqué.

10. Harpocr., Suid. Phot., s. h. v.: Lysias, Frag., 67: 16,7; 17, 10; 19, 32. Voir Schoell, Quaestiones fisc. jur. att., p. 4; Meier-Lipsius, p. 124,

11. Aristoph., Eq., 300.


PRIMES AUX DÉNONCIATEURS DANS LE DROIT GREC. 45

Trente 1. Sauf dans le cas de la destruction des oliviers 2, la phasis comporte une peine appréciable, presque toujours pécuniaire 3. Le dénonciateur qui n'obtient pas la cinquième partie des suffrages est frappé de l'amende de 1,000 drachmes et de l'atimie partielle 4; le montant de la condamnation est partagé entre le dénonciateur et le Trésor s, sauf pour les procès de tutelle où il paraît revenir entièrement au pupille 6. On trouve également la prime de la moitié dans la phasis qu'aux termes de l'accord de 3777 les alliés peuvent intenter devant le synédrion d'Athènes contre tout Athénien qui acquerrait une propriété foncière par achat ou hypothèque sur le territoire fédéral.

4° L'ATCvpasïj 8 est une plainte publique qui a pour but de revendiquer soit un bien de l'Etat illégalement détenu par un particulier, soit un bien qui revient également à l'Etat comme dette échue ou comme tombant sous le coup d'une confiscation 9. Elle peut donc être remplacée, le cas échéant, par la Ypaor, vXct&c, oïifwcfwv xp-^.âTuv qui a des conséquences plus graves 10. Elle est intentée soit par des commissaires

1. Isocr., 18, 5-6.

2. V. note 4 à la page précédente.

3. Cependant la violation des lois commerciales peut entraîner l'atimie et même la mort (Dem., 34, 37; Lyc, 1, 27).

4. Dem., 58, 6; lex. cantabr., 677, 10. Il paie peut-être aussi dans tous les cas les prytanies; c'est attesté pour le cas des oliviers (Dem., 43, 71). L'abandon de l'accusation comporte aussi l'amende des 1,000 drachmes (Dem., 58, 6, 13).

5. Dem., 58, 13; C. ins. att., 2, 203 b, 1. 5-7; 3, 38. Il y a peut-être une phasis avec une prime des trois quarts dans le fragment d'inscription sur la clérouquie d'Hestiaea (C. ins. att., 1, 28, 1. 12); mais la restitution est très hypothétique.

6. On le conclut de Pollux, l. c.

7. C. ins. att., 2,17, 1. 41.

8. Meier-Lipsius, l. c, pp. 302-312.

9. Lys., 9 et 19; 13, 65; 18, 26: 21, 16; 17, 6; 24,166; 39, 22; 59, 7; Hyper., pro Eux., 43; C. ins. att., 2, 476, 1. 13; 809; Lex. seg., 198, 31.

10. C'est ce que paraît dire Lysias (29, 8). A mon avis, il y a aussi une apographè dans le discours où Lysias défend un client accusé devant l'Aréopage d'avoir arraché des oliviers sacrés (7, 2: i.r.z^â.-ar^...). Dans la loi de Samos (Hermes, 1904, pp. 604-610, 1. 70), les Exetastai font également l'àva^pao^ des biens d'un débiteur public.


46 MÉMOIRES.

extraordinaires créés à différentes époques sous le nom de GUÂÂOVSÏÇ', Zï|TYji:aî 2, devant les o6voiy.oi, quand cette magistrature existe, plus tard, régulièrement devant les Onze 3. Le dénonciateur court les mêmes risques que dans la phasis 4 ; il obtient comme prime les trois quarts du bien à confisquer 5.

II.

Nous n'avons pour les autres villes que peu de renseignements sur les primes. On peut les ramener à sept catégories principales :

1° Pour la protection des biens des temples et des intérêts religieux. Ainsi, la violation des règlements sur les domaines sacrés à Paros, à los 6, ouvre l'action populaire sous forme de phasis, là devant les theoroi, ici devant les hiéropes, avec la moitié de l'amende au dénonciateur. Une loi de Delphes 7 défend d'apporter du vin dans le sanctuaire d'Eudromos sous peine d'une amende de 5 drachmes dont la moitié au dénonciateur. Le règlement sur l'oracle d'Apollon de Coropé promulgue des amendes avec la même prime 8. Dans le règlement des Mystères d'Andania 9, la dénonciation a lieu avec la même prime, sous la forme de YàTM^-q, devant les ma1.

ma1. s. h. v.; lex. seg., 304, 4.

2. Lys., 21, 16; Dem., 24, 11; Phot. Suid., s. h. v.; lex. seg. 261, 4.

3. Aristot., l. c., 52, 1, qui confirme Etym. magn., 338, 35. A mon avis, le texte d'Aristote (43, 4) ne signifie pas, comme l'a cru Meier (d'après lex. cantabr., 672, 9, et Pollux, 8, 95; cf. aussi Recueil des Inscriptions juridiques grecques, n° 26, pp. 1-153), qu'on lisait les propositions de confiscation à la première assemblée de chaque prytanée, mais qu'on lisait les listes des biens déjà confisqués.

4. Dem., 53, 1; Lys., 18, 14.

5. Dem., 53, 2; C. ins. att., 2, 2, 811, 1. 120 (où la quote-part n'est pas indiquée).

6. Dittenberger, Syllage, 2e éd., 569; Rangabé, Antiq. hell., 752 (amende fixe de 100 drachmes).

7. Bull, de corr. hell, 23, 611.

8. Dittenberger, 790.

9. Ibid., 653, 1. 78.


PRIMES AUX DÉNONCIATEURS DANS LE DROIT GREC. 47

gistrats dits hieroi. Le bail des terres de Zeus Temenites à Minoa d'Amorgos1 défend aux étrangers de faire paître des troupeaux sur le domaine sacré; la dénonciation comporte la même prime et la forme de l'Ivoet?ic 2 ; en outre, si les magistrats dits neopoioi n'adjugent pas le recouvrement des amendes éventuelles, ils sont menacés eux-mêmes de la dénonciation avec la même prime. À Héraclée, c'est le fermier des terrains sacrés qui fait constater certaines contraventions et il a pour lui toute l'amende 3. A Magnésie, le règlement sur la fête d'Artémis Leukophryene comporte en un cas une phasis avec la prime de la moitié devant les euthynes 4. A Delphes, dans la loi de 380 5, les hiéromnémons infligent, pour la protection de la terre sacrée, des amendes dont la moitié va aux dénonciateurs (v.axa^ùJ^'.iq). On a trois inscriptions 6 en l'honneur de personnes qui avaient fait recouvrer des biens enlevés au temple, deux fois par une ^vusiç, une fois par une phasis, i^r^av-dç); dans ces trois cas, les récompenses sont les privilèges de irpoSaîa, d'àcsâXsta, d'èmTiu,i; dans le troisième cas, il y a, en outre, l'asylie.

2° Pour garantir le maintien des clauses de fondations en faveur des villes. Ainsi, il est défendu de changer l'affectation d'une fondation sous peine de grosses amendes, et l'action populaire est ouverte à Érétrie 7, devant les archontes, avec une prime du tiers, sous une forme appelée sans doute improprement à-z-ruYcr-, à Lampsaque 8, avec une prime de la moitié; à Téos 9, avec la même prime, en employant soit

1. Ibid., 531.

2. Voir sur cette procédure à Athènes l'article endeixis du Dictionnaire des Antiquités.

3. Inscriptions juridiques grecques, I, pp. 205, lit. 2, § 8.

4. Kern, Inschrift. von Magnesia, n° 100. Au n° 99, il y a aussi une phasis, mais la prime n'est pas indiquée.

5. C. ins. att., 2, 545.

6. Bull, de corr. hell., 7, 413, 410, 424.

7. Rangabé, l. c, 689.

8. C. ins. gr., 3641 b, 1. 25-30.

9. Dittenberger, 523.


48 MÉMOIRES.

l'action publique, soit l'action privée; à Aphrodisias, avec la prime du tiers 1.

3° Pour faire respecter des règlements corporatifs. Dans son règlement, la phratrie des Labyades à Delphes autorise l'action populaire avec la prime de la moitié contre les négligences de ses chefs, les Tagoi 3.

4° Pour assurer l'exécution de décrets, de règlements publics soit par les magistrats, soit par les particuliers. Ainsi, à Thasos, les magistrats dits apologoi s'exposent à une dénonciation et à une amende de 2,000 drachmes dont la moitié pour le dénonciateur 3; à Astypalaea, le scribe public négligent s'expose à une phasis avec la prime de la moitié devant les logistes 4; à Myconos, c'est l'episcopos qui risque, pour certaines négligences, une amende de 1,000 drachmes dont la moitié pour le dénonciateur qui a employé la forme de l'eisaggélie 5 ; à Nisyros 6, les prostatai qui contreviendraient à la défense d'ensevelir dans le pays les restes d'un tyran encourent la phasis avec la prime de la moitié. Dans la loi des astynomes de Pergame 7, tout citoyen peut arrêter ceux qui contreviennent aux règlements sur les fontaines publiques et celui qui amène devant les astynomes les objets saisis, bêtes, vêtements, touche la moitié du prix de vente. Cette procédure ressemble à l'apagogè d'Athènes. Dans la loi de Mylasa sur le monopole du change, certaines infractions sont punies d'une amende de 500 deniers pour le fisc impérial, de 250 deniers pour la ville et de 100 deniers pour le dénonciateur 8.

1. Le Bas, Voy. arch., 1011.

2. Bull, de corr. hell., 1895, 1, col. c, 1. 10.

3. C. ins. gr., 2161.

4. Bull, de corr. hell., 16, 140.

5. Fragment cité par Ziebarth, p. 617.

6. Dittenberger, 830; cf. Inscr. jurid. gr., II, p. 41.

7. Ath. Mittheil., XXVII, 1-2. pp. 47-77, no 71, col. 4,1. 11-13. Voir Lécrivain, la Loi des astynomes de Pergame (Mémoires de l'Acad. des Sc. de Toulouse, 1903, p. 374).

8. Bull, de corr. hell., 1836, pp. 523-548. La dénonciation est une

u-^vuan;.


PRIMES AUX DÉNONCIATEURS DANS LE DROIT GREC. 49

5° Pour assurer l'exécution de traités internationaux. Un traité entre la ville crétoise d'Hierapytna et le roi Antigone 1 prévoit des amendes de 10,000 drachmes contre les chefs, de 1,000 drachmes contre les soldats crétois qui serviraient contre le roi ; la dénonciation a le nom d'Ivoîiçtç avec la prime de la moitié. Dans un traité d'arbitrage entre les deux villes crétoises d'Hierapytna et de Priansos 2, tout citoyen peut se plaindre d'une violation des clauses devant le tribunal commun, fixer le chiffre de l'amende et en obtenir la moitié. Les traités conclus par les deux villes de Koressia et de Julis, dans l'île de Geos, avec Athènes 3, pour accorder le monopole de l'exportation du vermillon au port d'Athènes, prévoient contre toute violation des clauses la dénonciation par phasis ou endeixis; à Koressia devant les astynomes, à Julis devant les prostatai, avec la prime de la moitié; l'esclave, dénonciateur, obtient sa liberté et une part de l'amende;

6° Dans les chartes d'affranchissement, sous forme de vente à une divinité. Dans les innombrables textes delphiques, l'action populaire est admise pour protéger la liberté du nouvel affranchi; mais il n'y a pas de prime. Elle existe, au contraire, dans d'autres villes. A Daulis, à Stiris, à Tithora, à Hyampolis, à Elatée 4, tout citoyen qui intervient comme %poatârrt<; touche en général la moitié de l'amende; et l'Etat, surtout à Delphes, fait probablement respecter ces prescriptions. Poulies affranchissements ordinaires on a deux textes de Gortyne. Dans une première loi très obscure", si les garants de l'affranchi (TITOI) ne le protègent point contre une reprise, chacun d'eux paie à l'affranchi 100 statères et en outre le double des biens qui leur ont été saisis et doit probablement aussi la même somme au dénonciateur. Dans la grande loi

1. Museo italiano, 3, 605.

2. Cauer, Delectus, 2e éd., 119.

3. C. ins. att., 2, 546, 1- 10, 28-29, 37. Pour l'esclave, il y a les mots ivoetEaç et iA7jY'itjaç qui paraissent synonymes.

4. Inscr. gr. sept., 3, 187-193, 42, 66, 86.

5. Inscr. jurid. gr., I, p. 403.

10e SÉRIE. — TOME V. 4


50 MÉMOIRES.

de Gortyne 1 tout citoyen peut être le vindex, l'adsertor libertatis de l'homme libre emmené comme esclave avant jugement et c'est probablement lui qui touche l'amende.

7° Dans des règlements divers. Ainsi un bail de construction publique, de Tégée 2, ouvre en certains cas l'action populaire avec une amende de 50 drachmes et une prime de la moitié, sans doute sous la forme de la phasis, devant les magistrats dits àXtac-ai, contre les entrepreneurs.

8° Dans le droit funéraire. Les amendes sépulcrales 3, destinées à protéger les tombeaux contre la destruction, les dégâts, les usurpations, les transformations apparaissent en Orient dans la Carie et la Lycie dès le troisième siècle avant Jésus-Christ 4. Sous l'Empire, dès le milieu du deuxième siècle après Jésus-Christ, on les trouve très nombreuses en Orient, en Italie, à Rome; il n'y en a presque aucune trace dans l'Espagne, la Gaule, la Bretagne. Le fondateur du tombeau édicte donc une amende. Il en informe sans doute au préalable l'autorité compétente, à Rome les pontifes 3, ailleurs les magistrats locaux, car en Asie Mineure le dépôt de l'acte aux archives est essentiel et peut-être obligatoire 6. En dehors de Rome, toute personne peut faire la dénonciation; la prime va de la moitié au quart 7.

En somme, si les Grecs ont abusé de l'action populaire, de la dénonciation surtout en matière politique, ils ont fait un emploi relativement modéré des primes et, toutes proportions gardées, le métier des sycophantes a été moins lucratif en Grèce que celui des délateurs dans la Rome impériale.

1. § 70 (ibid., p. 389) et § 1 (pp. 354-355).

2. Le Bas, Voy. arch. Pelop., 200, 1. 22 (ifioatvEiv).

3. Voir la bibliographie du sujet à l'article Multa, p. 2019 (Dictionnaire des Antiquités).

4. C. ins. gr., 4,300 v.; 4295.

5. Conjecture de Mommsen d'après C. ins. lat., 6, 10812, 14413.

6. C. ins. gr., 2829, 4247.

7. C. ins. lat., 5, 8305, 952, 3, 884; C. ins. gr., 4247, 4293, 3915.


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HISTOIRE DE L'ACADÉMIE

LES LANTERNISTES PAR M. LAPIERRE 1

CHAPITRE PREMIER. ORIGINE : 1640

LUCERNA IN NOCTE, une lampe dans la nuit : telle est la devise des LANTERNISTES, nos ancêtres, académiciens encore à l'état embryonnaire, en quête d'une forme définitive, d'une existence régulière. Ils cheminaient dans un dédale de ruelles, plongées dans la plus complète obscurité, lorsque la lune ne prêtait pas ses rayons conducteurs, se dirigeant sans escorte, une lanterne à la main, vers un bel hôtel au fronton armorié. La grande porte s'ouvrait pour eux et était soigneusement refermée d'une façon presque mystérieuse. Pourtant rien de secret ni de mystérieux dans les conciliabules de quelques hommes d'élite, épris de belles et bonnes choses, et voulant en causer entre eux. On entrevoit déjà les réunions académiques, la lecture de travaux et de mémoires, les conférences littéraires et scientifiques... tout le bagage actuel.

Mais il importe d'abord de rétablir le milieu de ce passé si lointain, de ranimer un quartier original de notre vieux Toulouse, et d'y voir vivre, si c'est possible, les personnages

1. Lu dans la séance du 16 mars 1905.


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du temps. Comparons. Tableau d'aujourd'hui : — La place des Carmes, entourée de rues larges et droites, avec de belles perspectives ménagées vers les quartiers nouveaux d'Alsace-Lorraine et de Languedoc; d'un coté, un coin merveilleux de la Renaissance, respecté par les nouveaux alignements; de l'autre côté, un clocher de briques dont la flèche pique le ciel; au milieu de la place, une construction de verre et de fonte représentant aussi bien un marché qu'un palais; une foule grouillante et multicolore, va-et-vient continuel de gens affairés ou de flâneurs inoccupés; voitures en mouvement, automobiles qui mugissent et marquent trop bruyamment le progrès; de tous côtés une vie active, intense, débordante, vraie ruche aux proportions humaines. Aspect d'autrefois : — Un sombre et vaste monastère avec des murs élevés et de rares ouvertures, une belle église imposante, un cloître aux ogives fleuries dont les derniers arceaux, encore bien conservés, disparaissent en 1808; sur un flanc du monument, une chapelle luxueuse, dédiée à Notre-Dame du Carmel; sur un des murs du cloître, une' fresque rappelant un voeu de Charles VI.

Autour du monastère des ruelles tortueuses : la rue de l' Arc des Carmes, établissant une communication entre le couvent et les jardins de la rue d'Aussargues. au débouché de celle du Vieux-Raisin; la rue du Crucifix ou du Pro1.

Pro1. de l'Académie devra être précédée d'une Introduction générale, qui ne pourra être écrite que lorsque le travail sera à peu près complet pour les diverses périodes de cette histoire : Origine; Société des sciences : Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres : Epoque de transition; Rétablissement de l'Académie en 1807.

Nous n'indiquons pas, au bas de chaque page, la source des citations, des phrases ou des mots soulignés. Nous avons reproduit, avec une exactitude scrupuleuse, les emprunts aux documents, aux ouvrages du temps, en laissant aux phrases, aux mots cités la valeur, la physionomie des textes eux-mêmes.

A la fin de la période Origine, nous donnerons une Bibliographie détaillée et complète de tous les documents, ouvrages, brochures où nous aurons puisé. Il sera fait de même à la suite de chacune des parties de cette Histoire.


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vençal, longeant le cloître, dans l'axe des rues d'Aussargues et des Prêtres, anciennement des Capelas ; la grande rue des Carmes, reliant les rues des Filatiers et Pharaon, qui constituaient autrefois la grande rue de la ville jusqu'au Palais; la rue des Jouglars ou de Notre-Dame, allant vers la rue du Canard et se confondant avec elle.

Ce quartier des Jouglars ou jongleurs devait avoir une physionomie bien particulière. Ils allaient de ville en ville, récitant des vers, disant la bonne aventure, jouant de divers instruments, ménétriers, montreurs de bêtes, foule remuante, désordonnée; voisinage équivoque et peu rassurant. On a poétisé et chanté de nos jours le Jongleur de Notre-Dame. Tels, sans doute, les jongleurs de Toulouse s'abritaient sous les murs protecteurs du couvent des Carmes et avaient droit d'asile en ce quartier.

Et si on aime les antithèses un peu brusques, en voici un bel exemple. Dans cette rue, dite tour à tour des Jouglars, de Notre-Dame-du-Carmel et du Canard — agrémentée d'un cul-de-sac encore existant, ancienne ruelle de Bracoal ou carreyrou, — étaient de beaux hôtels aristocratiques portant les grands noms de Caumels, de Montesquieu, d'Orbessan, de Malapeire.

Le rendez-vous des Lanternistes était l'hôtel de Malapeire, occupant le moulon actuel compris entre la rue du Canard, l'impasse (Bracoal) et la rue d'Aussargues. La porte d'entrée existe encore rue du Canard, n° 8. En cette noble demeure, sous des plafonds à poutrelles symétriques, assis devant de hauts lambris de chêne, de belles tapisseries à sujets, nos ancêtres, qui avaient certainement de l'esprit, causaient ou lisaient; mais l'écho de ces causeries et de ces lectures n'est pas arrivé jusqu'à nous. Aucun écrit, aucun procès-verbal des séances; nous n'avons que des noms. Tout à fait au début, en 1640, c'étaient Malapeire, les deux frères Pélisson, Massoc père et fils, Caumels, Falguières, Darailh, Garréja, Lagarde, Desegaux, Azéma, Palarin.

M. DE MALAPEIRE, qui groupait ces personnages autour de lui, était sous-doyen du Présidial ; il s'occupait à la fois


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de poésie, de physique et d'astronomie. Le Mercure du mois d'octobre 1689 faisait un grand éloge de ses mérites scientifiques et de ses vertus privées.

Les deux PÉLISSON étaient fils d'un conseiller à la Chambre de l'Edit de Castres. L'aîné fut reçu, à l'âge de dix-huit ans, dans une réunion académique que les protestants tenaient dans cette ville, mais à la condition assez originale « qu'il parlerait toujours le dernier, parce que lorsqu'il parlait avant les autres il ne leur laissait rien de bon à dire, au lieu que lorsqu'il parlait après les autres il trouvait toujours du bon que personne n'avait dit. » (Mémoriaux.)

Ce jugement nous paraît aussi peu flatteur pour les autres qu'il est exagéré sans doute pour Pélisson aîné.

Pélisson cadet devint un des membres les plus connus et l'historien de l'Académie française.

M. MASSOC, fameux avocat au Parlement, « faisait paraître dans ses compositions beaucoup de politesse dans le langage et de force dans ses expressions. Ces rares talents brillaient avec non moins d'éclat dans son fils, aussi avocat, et dont les discours académiques ont attiré l'admiration de tout le monde. »

FALGUIÈRES, avocat au Parlement, rimait à ses heures. En tête de l'édition de 1.647, du Ramelet de Goudelin, il inscrivait la dédicace dont nous donnons la première et la dernière strophes :

Godelin, j'ay veu ton travail, Tu peux l'avouer sans vergogne ; Car, quoy qu'il sorte de Gascogne, Il sent plus tost l'ambre que l'ail.

Mais si l'advis que je te donne Peut sur toy faire quelque effet, Je t'asseure que ton bouquet Te vaudra mieux qu'une couronne.

M. DE LAGARDE, qui présida ces premières assemblées, faisait facilement les vers. Il avait soixante ans à cette époque et s'intéressait beaucoup aux découvertes et aux progrès


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de la physique. Tous ces petits détails biographiques sont très insuffisants, mais où trouver de plus amples informations?

Les petits cénacles littéraires se tenaient tantôt chez M. de Malapeire, tantôt chez les Pélisson, bien qu'il n'y eût entre eux aucun esprit de jalousie ou de rivalité. M. DE GARRÉJA, conseiller au Présidial, offrit sa maison pour fusionner tous les clans et organiser des conférences académiques. Le mot faisait une première apparition. Il n'y avait pas encore le grand attrait des projections... L'institution se maintint pendant quelques années, mais avec des intervalles inégaux.

Les Lanternistes, dispersés par des circonstances diverses, se retrouvent, en 1667, dans l'hôtel du président à mortier GARAUD DE DONNEVILLE 1.

Les documents de l'époque ne tarissent pas sur la profonde connaissance du président dans les sciences et dans les lettres. Il parlait plusieurs langues, entretenait des relations avec tous les savants de l'Europe; il avait collectionné une très riche et très nombreuse bibliothèque qu'il laissa aux Gordeliers.

Chapelle et Bachaumont, voyageant en Languedoc, célèbrent le président de Garaud, qui leur fit visiter et admirer les curiosités de Toulouse.

« Il était originaire de cette ville, disent-ils, et pourtant

C'est le seul Gascon qui n'a pris Ni l'air ni l'accent du pays ; Et l'on jugerait à sa mine Qu'il n'a jamais quitté Paris.

1. Jean-Georges de Garaud-Duranti, sieur de Donneville, avait une maison faisant coin et face sur la rue lolosane, avec une issue sur la rue Bourdalèze (rue des Tisserands, Merlane) (cadastre du dixseptième siècle, 26e moulon, capitoulat de Saint-Etienne).

M. le président de Donneville habita également une maison faisant coin rue Perchepinte et retour sur la rue Donne-Coraille (cadastre, 12e moulon, capitoulat de la Pierre). Dans le Département des chambres du Parlement (bibliothèque de la ville), on lit successivement


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A côté du président, il faut placer : Fermat fils, conseiller au Parlement; Médon, conseiller au Présidial ; ChoiseulPralin, évêque de Comminge; Marmiesse, évêque de Couzerans ; Montagut, conseiller au Présidial; l'abbé Maury; Dumay-Cahuzac, conseiller au Parlement; Malapeire fils, conseiller au Présidial; Druille-Gravil, écuyer.

FERMAT fils, dont les poésies latines rivalisaient avec celles d'Horace et de Catulle. Pierre Fermat, le père, le grand mathématicien, sous le patronage duquel nous sommes placés, et dont l'effigie est gravée sur nos médailles, eut deux fils, l'un et l'autre conseillers au Parlement. Il est certain que Pierre Fermat ne compta jamais au nombre des Lanternistes.

MÉDON, conseiller au Présidial, esprit encyclopédique, disciple de Descartes et de Gassendi, poète auquel Nicolas Heinsius, son ami, dédia une longue élégie. Lui-même, Bernard Médon, était un latiniste distingué; on a de lui un livre intitulé : « Viri illustri Petri Gasanovoe vita per Bernardum Medonium. Tolosae Tectosagum, apud J. Budeum, occitaniae typographum, M.D.C.LVI. »

Pierre Cazeneuve était surtout connu comme jurisconsulte et l'auteur du Traité sur le Franc-Alleu.

Il faut nous arrêter plus longuement sur le nom et la personne de GABRIEL VENDAGES DE MALAPEIRE, né à Toulouse en 1624 et qui succéda à son père dans la charge de magistrat au Présidial. Très savant, Malapeire avait aussi des goûts artistiques remarquables et variés. Collectionneur passionné de gravures, il en avait formé un ensemble incomparable; elles se rattachaient toutes à la vie et à la personne de Marie, la Mère de Dieu, pour laquelle il avait un culte tout particulier. C'est à la Vierge qu'il consacrait et dédiait toutes ses oeuvres, même un Traité sur la nature des comètes, imprimé à Toulouse en 1665. Sur le tard, vers la soixantaine,

les deux adresses : rue Tolosane, à la Perchepinte, et de nouveau, vers 1671, rue Tolosane. Que les Lanternistes se soient réunis rue Tolosane ou place Perchepinte, ils ne quittaient pas le quartier d'origine.


HISTOIRE DE L ACADEMIE. 57

le goût des vers le prit, et il célébra les louanges de la Mère de Dieu dans plusieurs centaines de sonnets. Il avait l'inoffensive ambition d'en faire un par jour. Le Livre des sonnets et le Psautier de Notre-Dame, imprimés à Toulouse, attestent l'enthousiasme religieux de Malapeire. Mais ce n'est pas tout. Il fit construire à ses frais, vers 1671, une magnifique chapelle qui devint une annexe de l'église des Carmes et prit le vocable de Notre-Dame-du-Carmel. Cette chapelle a fait l'objet d'un travail très détaillé de M. le baron Desazars, notre savant confrère. Elle était édifiée dans l'axe de la rue du Canard, sur l'un des côtés de la place des Carmes, où s'était perpétuée la tradition, aujourd'hui oubliée, d'une cérémonie religieuse annuelle.

Les oeuvres d'art, en grand nombre, qui se trouvaient dans cette chapelle sont conservées dans notre musée.

Malapeire conçut et poursuivit l'idée de la formation d'une véritable académie, organisée sur des bases définitives. L'idée n'était pas encore mûre et l'exécution devait se faire attendre.

Nous sommes à l'année 1670. Nouveau groupe de Lanternistes; aux noms anciens viennent s'ajouter quelques noms nouveaux : MM. de Nolet père, de Nolet fils,. Polisson cadet, Massoc fils. Malapeire fils, Darailh, Druille-Gravil, de Choiseul, Montagut, abbé Maury.

Les réunions ont lieu à l'hôtel de M. DE NOLET, trésorier de France (rue des Vieilles-Hunyères, puis des Chapeliers, aujourd'hui de Languedoc), ancien hôtel de l'évêque de Pins, démoli et reconstruit. On y remarquait des têtes et médaillons d'une sculpture élégante et ornant les arcades du rez-de-chaussée. Une partie de ces arcades a été utilisée sur place au moyen d'une construction dans le goût de la Renaissance (rue de Languedoc, 46). Les autres arceaux, avec les médaillons à figures, ont été rétablis dans la belle cour de la maison n° 10 de la rue Saint-Etienne.

M. de Nolet attirait autour de lui la société la plus distinguée de Toulouse, et il la retenait surtout par des concerts qui faisaient les délices de tous ceux qui aimaient la bonne


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musique. Il voulut, en outre, que quelques beaux esprits se réunissent dans sa maison pour y faire des conférences littéraires. Elles devinrent en peu de temps si célèbres, qu'on eût cru que « les Muses, auparavant errantes et vagabondes, s'étaient fixées dans ce lieu qui leur avait été consacré. »

Ce n'était pas là le monde où l'on s'ennuie.

Stimulé par l'entourage, le fils de la maison, le jeune DE NOLET, se distingua par des vers faciles. Il remporta le prix du sonnet des Lanternistes. Nous parlerons plus tard des divers concours qu'ils avaient créés; ce sera l'objet d'un chapitre spécial. Mais qu'on nous permette une digression qui a ici sa place.

La présidente DE DRUILLET, qui s'était fait une célébrité poétique, imagina de féliciter le vainqueur du concours, et voici les vers adressés à Nolet fils :

Vos vers charmants peuvent être loués

Par la bouche la plus sincère;

Ils sont dignes d'être avoués par les plus beaux esprits, même par votre père :

Aussi m'a-t-on dit qu'aujourd'hui

Apollon prétend qu'au Parnasse

Auprès des Muses et de lui

Vous alliez désormais occuper une place. J'approuve son dessein; mais, sans vous offenser, Si les neuf doctes soeurs étaient un peu plus belles, Je doute que ce Dieu fit bien de vous placer

Parmi tant de pucelles.

Cette présidente d'humeur assez folâtre, malgré la haute situation de son mari, le président à mortier, n'hésitait pas à braver l'honnêteté dans les mots, si poétiques qu'ils fussent.

Dans le concours ouvert par les Lanternistes en 1694, la noble dame entra bravement dans la lice et se mêla au tournoi sur les bouts-rimés proposés. Voici les vers :

Je vous adorerais n'eussiez-vous que le Buste,

Fussiez-vous tout pétri de neige et de Glaçons;

Ne pussiez-vous cueillir d'amoureuses Moissons,

Je vous sacrifirois l'amant le plus Robuste.


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Eussai-je à mes genoux le Roi le plus Auguste

Par ma fidélité je ferois des Leçons

Aux beautés qui, traitant leurs serments de Chansons,

Pensent qu'un changement, s'il est heureux, est Juste.

De mon sexe pour vous j'ai dépouillé L'orgueil

Je veux bien l'avouer, un rebutant Accueil

Serait même à mes feux une inutile Digue.

Ne pussiez-vous d'amour faire agir les Ressorts,

Mon coeur en sentimens, eu tendresse Prodigue,

Du seul plaisir d'aimer soutiendrait les Transports.

Nous voudrions savoir à qui étaient adressés ces vers et quelle fut l'opinion de M. le Président à mortier? Il y avait, sans doute, des jours où les Lanternistes se livraient à ce bon rire gaulois si bienfaisant. Cependant, les mécomptes inévitables se produisaient souvent, les intermittences dans les réunions étaient fréquentes. Nous sommes en 1680. L'ABBÉ MAURY, qui avait fait partie du groupe de GaraudDonneville, se fixe à Toulouse, où il devient le protégé du premier président de Fieubet. Celui-ci, connaissant le désir très vif qu'avait l'abbé de reprendre les conférences académiques, lui fit donner par la ville un appartement commode pour tenir ces réunions. On désigna une maison de la place du Pont-Neuf, dont la ville était propriétaire 1. Voilà un premier fait d''encouragement municipal aux Académies. Ces nouvelles séances littéraires eurent un si grand succès que le public y fut admis, avec le droit, pour chaque auditeur, de demander des éclaircissements, de proposer des solutions sur toutes les matières qui faisaient le sujet des discussions habituelles. L'abbé Maury, qui présidait, avait le don de stimuler et retenir les assistants.

1. La ville possédait les maisons occupant le côté gauche de la place du Pont-Neuf, en regardant la rivière. Sur l'entablement de la porte de l'une de ces maisons, celle peut-être qui nous occupe, on lit, gravées dans la pierre, ces deux dates :

C : 1637. F : 1658.

Des galeries de la cour intérieure de cette maison on voyait tout le commerce et le mouvement de la halle aux poissons.


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Il était fort âgé et vivait péniblement d'une pension de 300 livres que lui faisait le clergé. La ville augmenta la modeste somme, et le bon abbé répondit à cette munificence capitulaire par une poésie latine célébrant un projet de conduite d'eau dans Toulouse qui, naturellement, ne fut jamais réalisé. Voici le titre et la dédicace du poème :

NAIS TOLOSANA

nobilis, sapientissimis et vigilantissimis octo-viris capitolinis tolosanis (1683).

Il adressa aussi des vers au premier président, à sa femme Éléonore de Lavalette, à Samuel de Fermat.

La faveur ne dura pas toujours. Lorsque l'ingratitude officielle arriva, le pauvre abbé, abreuvé de dégoûts, quitta la ville, la Société des Lanternistes, et se retira à Villefranche-de-Rouergue, où il mourut à un âge très avancé. La Biographie toulousaine donne une longue liste des oeuvres latines de l'abbé Maury; elle avait puisé largement dans les Mémoriaux, et, à notre tour, ne pouvant faire autrement, nous avons pris nos renseignements dans ces deux sources qui ne seront pas taries de si tôt.

M. DE MALAPEIRE tenait essentiellement à maintenir le goût des conférences. Un nouveau groupe se forme, en 1688, avec MM. Tournier, les frères de Carrière, l'abbé Guillemot, Rocoles, Dupuy, Richebourg, Massoc fils, Montaudié, Courtial, Martel, secrétaire des assemblées.

On essaie de mettre de l'ordre dans les travaux. La séance hebdomadaire commençait par la lecture d'un petit ouvrage en prose ou en vers, dont le sujet était presque toujours la louange du Roi, puis venaient des remarques sur la langue française : — on prévoit déjà la confection du Dictionnaire et les réformes de l'orthographe. On lisait quelques morceaux d'éloquence sur lesquels était ouverte la discussion; de l'échange des idées sortait certainement un enseignement profitable : les sciences et les lettres progressaient dans ce milieu.


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MM. DE CARRIÈRE donnèrent l'appartement le plus commode de leur belle maison, qui était près du Collège de Périgord (Séminaire diocésain actuel), pour tenir les réunions.

Les méchantes langues et les envieux avaient prétendu qu'elles étaient sans aucun éclat. Si nous en croyons les Mémoriaux, le cadre était cependant bien séduisant :

« C'est un plein-pied de bois de sapin, lambrissé, orné de plusieurs pilastres qui soutiennent des voûtes, embelli de miniatures et de tableaux de plusieurs peintres fameux de France et d'Italie. On a vue sur un très beau jardin, rempli d'un grand nombre d'arbres fruitiers et de très rares fleurs, et bordé de caisses d'orangers, de citronniers. On voit au milieu de ce jardin un bassin où il y a un triton qui vomit une grande quantité d'eau, de sorte qu'il semble qu'on ait trouvé le secret de goûter dans un milieu si délicieux les douceurs d'un printemps continuel. »

Les Lanternistes ne se laissaient pas entamer et bravaient les critiques.

TOURNIER, prieur de Clairvaux, conseiller au Parlement, était devenu un éloquent conférencier à Paris et à Toulouse.

L'ABBÉ GUILLEMOT, docteur en théologie, avait, par ses calculs, provoqué plusieurs belles découvertes scientifiques, surtout en optique. Avec son frère, savant physicien et très versé dans la philosophie hermétique, ils possédaient des secrets merveilleux et avaient collectionné des lunettes, des miroirs, des microscopes et autres appareils ingénieux.

ROCOLES, historiographe de France, à la fois homme de lettres et très versé dans les sciences, a élevé de jeunes seigneurs qui ont rempli les premières charges de l'État; il a lui-même joué un rôle considérable auprès des princes. Il a fait connaître la description du monde de l'abbé Botero. Dans les réunions des Lanternistes, il prononça l'éloge de Pélisson, écrit en latin. Le Roi, rendant hommage à sa grande science, retint Rocoles en France au moyen d'une rente viagère.

DUPUY, latiniste distingué, jurisconsulte savant en droit


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canonique, a fait aussi des traductions de poètes grecs, un panégyrique du Roi.

RICHEBOURG, avocat au Parlement, a inséré dans le Mercure des éloges et des fables.

MONTAUDIÉ a lu aux Lanternistes un bel éloge du duc du Maine, fils de Louis XIV, gouverneur de Languedoc, protecteur des conférences académiques.

COURTIAL, docteur en médecine, professeur à l'Université, physicien, anatomiste (travaux sur le foie, la rate).

MARTEL, secrétaire des réunions, donna une impulsion très féconde aux conférences. Il était en relations suivies avec tous les savants étrangers et provoquait leurs communications. Il s'occupa avec persistance d'un projet de création à Toulouse d'une Académie des Belles-Lettres; il fit imprimer, à ce sujet, un Mémoire, document d'une extrême importance et qui répondait victorieusement aux arguments, aux attaques intéressées des adversaires du nouveau projet.

Les Mémoriaux ont fait de très nombreux emprunts à ce Mémoire, qui a paru à Montauban, en 1692, sans nom d'auteur.

Ce petit volume n'oublie aucun fait ni aucun nom. Il est comme le guide obligatoire dans ce que nous pouvons appeler notre pays d'origine. C'est dire que nous y recourons souvent.

L'idée de la formation d'une Académie des Belles-Lettres avait fait du chemin.

Les Jeux Floraux, qui régnaient souverainement par le droit de l'âge, ouvrirent le feu des hostilités en 1689.

M. GUYONNET DE VERTRON, historiographe du Roi, dans une lettre aux Lanternistes, dénonça les Jeux-Floraux comme étant un amusement puéril...

La discorde s'insinua et fit de sourds ravages dans les deux camps littéraires. On arriva à l'insulte; on déclara' que les éloges de dame Clémence n'étaient que des rapsodies et du galimatias... Les plus tolérants dans la lutte appelaient un rapprochement entre les Jeux-Floraux anciens et la nou-


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velle Académie des Belles-Lettres en projet; on dirait aujourd'hui les deux Académies soeurs.

D'où vient donc, s'écriaient les Lanternistes (Mémoire de 1692), un si furieux entêtement contre les conférences académiques?... On a écrit que, à Toulouse, on ne s'attache guère à d'autres sciences qu'à celles qui peuvent servir à l'avancement, soit dans les charges de judicature, soit dans le barreau ou l'Université, et qu'on ne pratique pas les lettres humaines; mais on oublie donc les noms de Dufaur, de Chalvet, de Maussac, de Maynard, de Cazeneuve, de Fermat, de Doujat, illustrations toulousaines qui, pour la plupart, tiennent brillamment leur place à l'Académie française. Une compagnie composée de personnes ayant déjà paru avec éclat aux conférences académiques ferait grand honneur à la ville de Toulouse.

Qui sait même si, oubliant les injures et pratiquant le pardon évangélique, on ne se tendrait pas la main de part et d'autre pour fusionner certains éléments rebelles?

Les vieux mainteneurs venant siéger à côté des académiciens de nouvelle formation, cela s'est vu plus tard, et a eu lieu sans secousses.

En attendant, et en dépit des jaloux, on travaillait aux conférences, on y lisait de bons discours : plusieurs éloges du Roi, celui de Christine de Suède, celui du duc du Maine.

Ce prince s'était déclaré le protecteur des conférences. De son côté, l'intendant Lamoignon de Baville encouragea puissamment la création d'une Académie. Les hautes alliances arrivaient; que ne faisait-on pas pour les retenir?

Eloges, dédicaces, hommages en prose et en vers abondaient dans les réunions et dans les brochures. Nous parle rons du prix fondé en l'honneur du Roi et de la belle mé daille frappée à ce sujet.

Nous entrons dans une période de réglementation. Les Lanternistes, encouragés par de si hautes approbations, dressèrent un premier règlement. En tête, il portait le nom du duc du Maine, protecteur. M. le premier président était


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chancelier. Le président prenait le titre de vice-chancelier. Les séances devaient avoir lieu chaque trois mois, et un jour était choisi pour prononcer l'éloge du Roi.

L'auteur du projet de règlement donnait à entendre que l'Académie serait vile organisée « si la ville fournissait un local fixe et un très petit fond, pour le feu et les autres frais, qui ne pourraient monter à plus de 200 livres. Il y aurait 60 livres pour le feu et la bougie pendant l'hiver; pour les soins de l'appartement, 40 livres; pour frais généraux, 60 livres; outre cela, elle devrait donner tous les ans un prix pour un morceau d'éloquence ».

« Il faudrait aussi assigner dans une des maisons du PontNeuf qui appartiennent à la ville un appartement qu'on avait accordé déjà à l'abbé Maury, sur la recommandation du premier président de Fieubet.

« Quand MM. les capitouls auraient goûté l'honneur que l'Académie leur attirerait, ils trouveraient bien moyen d'ajouter quelque plus grande libéralité, telle que : une tapisserie aux armes du Roi et de la ville, des tableaux, un ameublement...; plus tard, il leur serait facile de recevoir l'Académie dans un appartement de l'hôtel de ville. »

Celui-ci ne devait s'ouvrir que bien longtemps après à l'Académie définitivement fondée; mais ne vous semble-t-il pas ressentir un avant-goût de notre régime actuel et des phases successives de notre existence académique, depuis cette petite maison du Pont-Neuf jusqu'à notre entrée officielle dans les dépendances de l'hôtel de ville, rue Lafayette, et puis en cette merveilleuse installation définitive, — il faut le croire, — dans ce joyau de la Renaissance que nous devons à la générosité magnifique de M. Ozenne?

Il était facile de faire des règlements, de mettre en tête des noms influents, de former des voeux pour une installation fixe et confortable; mais, en realité, on ne parvenait pas à s'asseoir complètement dans un bon logis, à établir une suite d'années d'existence. On n'avait pas la certitude, la sécurité du lendemain. Nous voyons chaque groupe changer de place et vivre au jour le jour grâce au bon vouloir


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des plus zélés ou des plus opulents promoteurs de ces cénacles d'autrefois.

Revenons donc aux Lanternistes errants et aux renseignements biographiques sur eux et leurs mérites.

Les conférences étaient marquées souvent par des discours de haute éloquence selon la mode du temps; les communications scientifiques et les discussions qu'elles occasionnaient occupaient ensuite les séances.

C'était alors FRANÇOIS BAILE, le savant professeur en médecine, qui enseignait aussi les arts libéraux en l'Université de Toulouse ; c'était lui qui ouvrait la séance par un exposé très érudit des questions à l'ordre du jour. On appréciait beaucoup ses ouvrages imprimés et notamment ses dissertations sur la médecine et la physique.

Il mourut à un âge très avancé (87 ans).

A côté de lui se faisait distinguer PIERRE-SYLVAIN RÉGIS, rédacteur au Journal des Savants, philosophe cartésien et propagateur des idées philosophiques nouvelles. Il a écrit plusieurs ouvrages : sur l'usage de la raison et de la foi ; une réfutation de Malebranche, etc.

Le P. MAIGNAN, religieux minime, était un des plus savants de son ordre; sa réputation s'étendait au loin; sa science lui valut un buste dans la salle des Illustres. Louis XIV voulut visiter en sa cellule le célèbre moine.

Le P. D'ARDENNE, jésuite, physicien éminent, à qui l'on doit plusieurs découvertes; il était qualifié de sublime génie.

PARISOT, le plus fameux avocat du Parlement de Toulouse, dont l'épitaphe est célèbre :

PIAE MEMORIAE

D. NICOLAI DE PARISOT

CELEBERRIMI CAUSARUM IN FORO TOLOSANO PATRONI,

QUI SEPELIRI VOLUIT IN COEMETERIO

PAUPERUM QUOS PACUNDIA,

CONSILIIS ET OPIBUS TUERI SOLEBAT.

10e SÉRIE. — TOME V. 5


66 MÉMOIRES.

M. CHAUBARD, conseiller au Parlement, dont les beaux esprits de la Cour avaient fort admiré les poésies.

M. MASADE, l'un des plus distingués des hommes de lettres du temps (nous sommes à l'année 1689), organisa des conférences dans le collège de Foix (église et couvent de la Compassion), où les savants et les lettrés affluèrent. Il se fit remarquer par ses études sur la langue française et devint un critique des plus judicieux et des plus goûtés; il charmait par sa conversation. Sa présidence s'imposa pendant longtemps.

Le groupe devenait toujours plus nombreux et se maintint jusqu'en 1692. Dans ces réunions d'élite on comptait :

M. MARCEL, né à Toulouse en 1647, consul de France, chargé de plusieurs missions en Egypte, auteur de plusieurs ouvrages sur la monarchie française, la chronologie des rois et des princes ;

M. SAINTUSSANS, l'auteur du Supplément du Dictionnaire de Moréri;

Le P. DUMAS, prêtre de la doctrine chrétienne, a rendu la physique et les mathématiques accessibles à tout le monde. Il avait un esprit si fin et si délicat qu'il faisait l'enchantement de toutes les compagnies ;

M. CHAVIRAND DE MENOGRAVE, employé dans les finances de Languedoc, accusé de malversation, fut emprisonné à Toulouse. Il dédia plusieurs poésies à l'archevêque de Toulouse, Montpezat de Carbon. Il porta chez l'imprimeur Boude un petit poème intitulé le Papillon et que — ironie bizarre — il avait composé pendant sa captivité.

Le poète prisonnier donnait congé à ses vers en ces termes :

Allez, mes chers enfants, vous présenter au Roi ; Heureux si vous avez le bonheur de lui plaire !

Faites ce voyage pour moi,

Car je n'ai pas de quoi le faire.

D'AUTERIVE DE MONTIRAT, conseiller au Parlement. La présidente de Druillet, que nous retrouvons, lui a dédié un sonnet en bouts-rimés, dont voici les premiers vers :


HISTOIRE DE L'ACADÉMIE. 67

Occupé des leçons qu'on donnait au Portique,

Tu n'en sais pas moins plaire au sexe à Falbala ;

A peine eus-tu quitté le métier D'Attila

Qu'auprès de toi Cujas eût passé pour Bourrique.

Décidément la dame n'avait aucun respect.

Citons quelques noms encore qui venaient accroître le groupe :

Le CHEVALIER DE BEAUFORT-FRÉZALS, qui devint membre de la Société royale de Londres;

M. DELON-GARAC, conseiller au Parlement;

M. DE LUCAS, conseiller au Parlement ;

M. MONTLAUR, trésorier général de France ;

M. CALVET, trésorier général de France;

M. DE SEVIN, abbé de Verdous ;

M. L'ABBÉ DE CLÉRAC;

M. LAGNY, gouverneur du fils du premier président de Fieubet;

M. DE VILLESPASSANS, neveu du premier président de Montrabe;

Le P. DE LA BLANDINIÈRES, religieux de la Merci ;

M. CATELAN, fils du président aux enquêtes;

Le CHANOINE COMPAING ;

M. D'AUTESSERRE, écuyer ;

M. LALOUBÈRE. écuyer;

M. LOUBAISSIN, religieux du Carmel ;

M. PECHANTRÉ, docteur en médecine ;

M. CAMPISTRON, écuyer, le frère du poète connu;

M. PALAPRAT, une illustration toulousaine, l'auteur de l' Avocat Pathelin, du Grondeur et de diverses comédies devenues classiques.

Il est inutile de poursuivre cette nomenclature de noms. D'ailleurs, on peut se reporter à la liste des Lanternistes donnée par le Dr Desbarreaux-Bernard (Mémoires, 1849) et à celle du Dr Armieux (Mémoires, 1876). Ces listes, complétées, rectifiées et mises au courant, figureront dans notre Histoire de l'Académie.


68 MÉMOIRES.

CHAPITRE II.

LES CONCOURS ET LES PRIX DES LANTERNISTES.

Dans une des vitrines de la bibliothèque publique de la ville, on remarque un grand volume couvert d'un velours bleu dont le temps a amorti la couleur. orné de coins et de fermoirs en cuivre et portant sur les plats, et en un relief aussi en cuivre doré, les armoiries et les devises des Lanternistes.

Un Apollon à peu près nu, la tête couronnée, une lyre, à la main, et ces mots :

APOLLINI TOLOSANO LUCERNA IN NOCTE.

La lampe de la devise est devenue une étoile (dans la nuit).

Nous ouvrons le volume et sur la première page nous voyons une enluminure, d'un dessin médiocre, représentant un lourd portique de marbre veiné de couleurs. Au fronton, entre les colonnes et à la base, sont disposés des écussons aux armes des Lanternistes titrés. Dans le haut, sur une banderolle, on lit : REGISTRE DES LANTERNISTES et la date 1693.

L'ouverture du portique laisse voir, dans un décor théâtral, Pégase s'élançant de l'Hélicon. Au-dessus de l'entablement sont groupés la Renommée, Apollon et Minerve. Au bas du dessin, la signature I. Gras fecit.

Dès les premières lignes du manuscrit, les Lanternistes font appel aux beaux esprits, les conviant aux concours, promettant, avec parole d'honneur, de faire l'examen rigoureux des ouvrages envoyés et de n'écouter d'autre sollicitation que le mérite.


HISTOIRE DE L'ACADÉMIE. 69

Pourquoi ces hommes de goût, les meilleurs juges des oeuvres de l'esprit, nous laissent-ils croire qu'ils pouvaient être influencés par l'intrigue et sensibles aux recommandations?... Voilà qui est déjà bien près de nous et très moderne, si on en croit les méchantes langues.

Admettons la scrupuleuse honnêteté des concours et attribuons même à ce fait la grande affluence des concurrents dès le début.

Les Lanternistes avaient fait choix des bouts-rimés pour provoquer l'ardeur et l'émulation des poètes. Tous les ans, ils lançaient un programme dans lequel ils donnaient les rimes. Les plus bizarres étaient celles qui embarrassaient le moins et qui fournissaient les plus belles pensées. Les boutsrimés, ajoutait le programme, sont comme les anciennes modes qui reviennent. Combien de fois n'ont-ils pas égayé nos soirées et réjoui les muses que nous allions visiter à la faveur des étoiles. N'est-il pas juste que nous tâchions de les tirer de l'obscurité où ils commençaient de rentrer... Les concurrents étaient libres de choisir leur sujet, mais les Lanternistes déclaraient qu'ils recevraient toujours avec plus d'inclination les vers faits à la louange du Roi.

Célébrer le grand Roi, chanter en vers emphatiques ou proclamer en prose redondante son faste, ses victoires, ses splendeurs rayonnantes, tel était le sujet unique digne d'occuper les lettrés du dix-septième siècle, et les récompenses proposées aux beaux esprits d'alors n'avaient d'autre but que de magnifier le Roi-Soleil.

En 1691, M. GUYONNET DE VERTRON, historiographe de France, qui avait assisté aux réunions des Lanternistes, leur proposa de donner un prix à celui qui ferait le plus beau sonnet sur ce sujet : Parallèle de Sa Majesté avec les Princes surnommés grands. La réponse ne se fit pas attendre. Le P. MOURGUES, jésuite, obtint la récompense promise. Stimulé par ce succès, M. de Vertron proposa de nouveau un prix pour le concurrent qui enverrait la plus belle devise, accompagnée de vers en l'honneur du Roi, sur quelque


70 MÉMOIRES.'

événement du règne. On prenait goût à l'innovation. Le mouvement littéraire s'affirmait.

En 1694, l'assemblée générale des Lanternistes décida qu'une médaille d'or serait décernée à l'auteur du meilleur discours à la louange du Roi. Cette médaille, qui a été lithographiée par Raynaud, d'après les croquis de Bida, pour lés Mémoires de l'Académie en 1849, présentait, d'un côté, le portrait du Roi avec celte inscription :

LVDOVICO MAGNO SEMPER INVICTO, EVROPAE PACEM PIE OFFERENTI M.D.CXCIV.

Au revers, Pallas casquée et empanachée, revêtue d'une tunique et d'une cotte de mailles, d'une main tenant une corne d'abondance avec des fleurs et des fruits, s'appuyant de l'autre bras sur un bouclier portant les armes de Toulouse avec cette devise : OLIM FLORES, NUNC FRUCTUS. AU bas, on lisait ces mots : RESTAURATORES COETUUM ACADEMICORUM DEDERUNT

DEDERUNT KALENDAS JULII ANNI M.D.CXCIV.

Revenons au manuscrit des Lanternistes et au premier concours de 1693 pour lequel un appel si engageant avait été publié.

Les bouts rimés furent donnés et les concurrents devaient faire avec ces rimes un SONNET à la louange du Roi en l'agrémentant d'une devise et d'une prière en quatre vers. Il fallait se soumettre à cette réglementation et les Lanternistes n'eurent qu'à se réjouir hautement du succès de leur concours.

PREMIER SONNET COURONNÉ :

Qu'on ne me parle plus de ce héros, Antique,

Dont l'Univers jadis admira la Vertu;

Malgré tant de beaux noms dont il est Revêtu,

Alexandre ne fut qu'un brigand Magnifique.

Louis seul peut braver la plus noire Critique ;

Quand sa valeur foudroie un ennemi Têtu,

Son coeur, pour l'épargner, a longtems Combattu,

Et toujours l'équité règle sa Politique.


HISTOIRE DE L'ACADÉMIE. 71

Habile à manier le sceptre et le Sponton,

Maître de l'élément qu'habite le Triton,

Pour endosser le fer il a quitté l' Hermine.

A gagner tes marais, Batave, sois Dispos,

Ou, sans craindre son bras ni son auguste Mine, Viens chercher à ses piez un éternel Repos.

Nous faisons de l'histoire et non de la critique littéraire, aussi ne mettrons-nous en doute le goût impeccable des Lanternistes.

Le vainqueur de ce concours se nomme CAMPISTRON, le frère du poète connu, un illustre Toulousain qui projetait sans doute sur l'auteur du sonnet couronné un reflet assez puissant pour éblouir les juges.

En 1694, nouveau concours, nouveaux bouts rimés accompagnés d'un retentissant programme. Les Lanternistes déclarent qu'ils se tiendront toujours en dehors de toutes sollicitations et de toutes influences compromettantes.

Pourtant, se méfiant d'eux-mêmes, craignant quelques défaillances, ils font appel à des personnages recommandables par leurs goûts littéraires et poétiques.

En cette année, et devant de si alléchantes promesses, les concurrents furent très nombreux. Jamais, d'après les Lanternistes, il ne s'était vu une pareille émulation sur le Parnasse... On aurait peine à imaginer, ajoutaient-ils, combien les bouts-rimés ont fait fortune... C'est un divertissement louable, un amusement honnête, où les plus beaux esprits s'appliquent.

BOUTS-RIMÉS ET SONNET DE 1694.

Grand Roy, dont jadis Rome eût adoré le Buste,

Tu sçais, malgré l'horreur des frimats, des Glaçons,

Hâter de tes lauriers les fertiles Moissons;

Mars ne parut jamais si fier ni si Robuste.

Tout tremble, tout se rend à ton aspect Auguste,

Ton exemple fournit d'héroïques Leçons;

Peut-on assez vanter, par de nobles Chansons,

Un vainqueur comme toi, sage, intrépide, Juste?


72 MÉMOIRES.

Au comble de la gloire on te voit sans Orgueil ;

A l'air majestueux tu joins un doux Accueil;

Tes progrez ont toujours ta clémence pour Digue.

De cent peuples unis tu romps tous les Ressorts, Et ton coeur, attendri du sang qui se Prodigue,

Sacrifie à la paix ses plus vaillans Transports.

Le vainqueur était le chevalier DUPONT DE CASTELSARRASI, major d'infanterie en Danemark.

On se souvient du sonnet très égrillard de la présidente de Druillet, qui prit part à ce concours.

Nous allons rencontrer de plus « honnestes Dames », plus réservées dans leur langage, mieux pondérées et remportant le prix. La lutte entre poètes devient même très intéressante dès que les femmes s'en mêlent, et, en 1695 et 1696, la médaille d'Apollon leur sera exclusivement décernée.

La première d'entre elles est MARIE-JEANNE L'HÉRITIER DE VILLANDON, fille de Nicolas L'Héritier, historiographe de France.

Elle était née à Paris en 1664.

Voici comment elle fut jugée par la critique du temps :

« ... Quoique ses ouvrages, consistant en romans, contes, traductions, poésies, annoncent de l'imagination, de l'esprit, de la facilité, ils ne lui ont pas fait une réputation solide; ils ne s'élèvent pas au-dessus de la médiocrité. » (Siècles littéraires, t. II.)

« ... Elle avait acquis beaucoup de réputation non seulement par son savoir et par son talent pour la poésie, mais aussi par la douceur de ses moeurs et par la noblesse de ses sentiments.» (Dictionnaire historique, édition Didot, 1760.)

SONNET COURONNÉ.

Dans la roule brillante où la' gloire te Guide,

Vingt souverains jaloux, en vain de toutes Paris,

Elèvent contre loi mille orgueilleux Remparts;

Toujours en ta faveur la victoire Décide.

Qui pourrait s'opposer à la valeur Rapide ?

Surpassant en un jour Constantins et Césars,

Agissant et tranquille au milieu des Hasars,

Rien ne peut ébranler ton courage Intrépide.


HISTOIRE DE L'ACADÉMIE. 73

Que tu sçais bien remplir tes augustes Emplois !

Père de tes sujets et protecteur des Lois!

Les flots ont beau gronder, nous bravons les Tempêtes.

Si tu suivais le cours de tes exploits Divers,

De l'aurore au couchant tu ferais des Conquêtes ;

Mais, grand Roy, tu ne veux que calmer l' Univers.

Dans leur enthousiasme, les Lanternistes voulurent aller jusqu'au bout de la plus parfaite galanterie; ils reçurent au milieu d'eux, dans leur cénacle, la femme poète, et voici comment le Mercure enregistre cette réception :

« Cette Compagnie (les Lanternistes), convaincue de l'exacte probité, de l'érudition polie et des autres brillantes qualités de Mlle L'Héritier de Villandon, de Paris, la reçoit aujourd'hui, 4 novembre 1696, au nombre de ceux qui la composent, espérant que le titre de Lanterniste acquerra un jour de quoi mieux répondre à la dignité du sujet qui va remplir la place adjugée... »

Arnaud Laborie, secrétaire des Lanternistes, a signé le procès-verbal de réception.

Mlle de Villandon remercie 1 du grand honneur qu'on lui fait et y ajoute la note de modestie traditionnelle en usage jusqu'à nous :

« Quelques efforts que je fasse, dit-elle, pour m'élever au-dessus de mon génie, je ne pourrai jamais occuper qu'avec confusion la place que vous m'avez donnée. C'est à vous à me communiquer les clartés qui me mettront en état de la remplir... »

Molière a dit :

Je consens qu'une femme ait des clartés de tout,

et Mlle de Villandon aspirait aux sublimes clartés de Philaminte.

Elle était bien du siècle de Molière, Mlle de Villandon, lorsqu'elle écrivait à propos de Mlle de Scudéry :

1. Le Mercure (mai 1698) a inséré ce remerciement.


74 MÉMOIRES.

« Nous avons perdu la plus illustre image de cette politesse des temps heureux, quand la mort nous a enlevé la savante Mlle de Scudéry. Dès que je songe à la perte de cette incomparable fille, je sens tout mon enjouement s'évanouir. L'estime, l'admiration et l'amitié, en me la rendant chère, m'avaient donné une connaissance si vive, si étendue de son rare mérite que je pense que personne ne l'a jamais mieux senti que moi... »

Les Lanternistes allèrent encore plus loin dans l'apothéose des lauréats, et ils placèrent dans la salle de leurs assemblées les portraits de ces triomphateurs. Mlle L'Héritier de Villandon figura la première dans ce musée des poètes; puis, à côté d'elle, M. Grangeron, le vainqueur du concours de 1698, et qui appelait sa voisine en effigie « l'aimable favorite des nymphes ».

Mais reprenons la suite chronologique des bouts-rimés proposés.

C'est encore une femme, Mlle DE NOUVELON, qui remporte le prix en 1696. Dans leur joie, les Lanternistes deviennent lyriques... « Parmi beaucoup d'autres sonnets, celui-ci nous a paru le meilleur... C'est présentement le tour du beau sexe. Il triomphe partout. La Grèce n'avait qu'une Sapho, mais la France peut se vanter d'en avoir plusieurs... »

SONNET DE 1696.

Rien n'égale l'éclat de ta vertu Sublime,

Ny de tes actions l'héroïque Candeur;

A peine l'Univers en soutient la Splendeur,

Et tout tremble, grand Roy, quand Bellone t' Anime.

L'ingrat usurpateur qui, par un heureux Crime,

D'une jalouse ligue a fomenté l' Ardeur,

En vain veut abaisser ta suprême Grandeur ;

De son noir attentat il sera la Victime.

En dépit des efforts de cent peuples Mutins,

Nous reverrons encor, par tes heureux Destins,

Sous ton bras triomphant la discorde Etouffée.

Après avoir vaincu sur la terre et les Flots,

T'élevant dans l'Europe un plus fameux Trophée,

Tu luy rendras la paix malgré ses vains Complots.


HISTOIRE DE L'ACADÉMIE. 75

C'était de l'engouement parmi les lettrés. Les Lanternistes, à propos des bouts-rimés, disaient : « Ce sont des fruits rares dont on attend la saison avec impatience. » La cour et la ville retentissaient du bruit des bouts-rimés et célébraient les merveilleuses vertus de ces petits poèmes. Les princesses s'en mêlaient; elles inspiraient des sonnets, ou mieux les faisaient elles-mêmes. Le Mercure les imprimait. La princesse de Conti récompensait par l'envoi de son portrait, enrichi de diamants, l'un des sonnets envoyés aux Lanternistes. Il était fait par un sieur Bellocq qui, dans le Mercure, avait déclaré les bouts rimés... genre extravagant et tout au plus bons pour traiter les sujets burlesques... Bellocq accepta quand même le portrait orné des diamants princiers. La modeste médaille Lucerna in nocte était bien éclipsée par ce scintillement imprévu de pierres précieuses.

En 1697, la cérémonie du couronnement se fit chez M. le premier président de Morant qui habitait un hôtel près le cloître do Saint-Etienne. « Cet illustre magistrat, disent les Lanternistes, n'est pas moins fin et poli dans la décision des ouvrages d'esprit qu'il est juste et éclairé dans les jugements qui regardent la fortune des hommes. Son approbation relève infiniment le sonnet récompensé. » L'auteur était le P. FRANÇOIS LAMI, de la doctrine chrétienne, professeur de belles-lettres à l'Esquile.

SONNET DE 1697.

Grand Roy, ton bras est craint du couchant à l' Aurore,

Tu rehausses l'éclat de tes brillans Ayeux;

Jadis, Rome t'eût mis au rang des demi- Dieux,

Après tant de hauts faits que nul peuple n' IgnoreLa

IgnoreLa fille du Ciel, plus charmante que Flore,

Va bientôt couronner d'un art Ingénieux

Les exploits inouis dont tu frappes nos Yeux;

Déjà ses étendars à Riswick elle Arbore.

Quelle gloire pour toy, quel honneur sans Pareil.!

D'un repos plein d'appas le superbe Appareil

Te montre à l'Univers des héros le Modèle.


76 MÉMOIRES.

Les muses, à loisir, sur de nouveaux Accens,

Vont chanter le bonheur de ton peuple Fidèle

Et t'offrir tour à tour un éternel Encens.

En cette année 1697, les Lanternistes ont encore la joie de voir briller les agréments et l'heureux naturel du beau sexe. Mme DUNOYER, femme du grand-maître des eaux et forêts de Languedoc, a composé un sonnet où « elle marque beaucoup de tendresse pour le Roi. »

En annonçant le concours de 1698, les Lanternistes déclarent que « toute l'Europe se réjouit de la paix que le monarque vient de lui donner ; il serait honteux de ne pas se joindre aux acclamations publiques. Les muses auront autant d'occupation à louer un si grand Roi dans ses travaux pacifiques qu'elles en ont eu à le suivre dans le cours de ses prospérités martiales. C'est à ce sujet que notre Compagnie va renouveler son zèle en proposant les bouts-rimés suivants » :

SONNET DE 1698.

Héros, dont la vertu nous rend le ciel Propice,

Ton auguste conduite a rempli nos Souhaits.

Le comble précieux de tes nouveaux Bienfaits

A de nos ennemis désarmé le Caprice.

Bellone trop longtemps a fait ton Exercice ;

On la voit faire place à des plaisirs Parfaits.

Des lauriers dont encor Mars t'offre les Attraits

Au repos des mortels tu fais le Sacrifice.

De ta sage vaillance et de tes nobles Soins

Et la terre et les flots tour à tour sont Témoins;

De nos jours fortunez ta clémence est la Source.

Les douloureux accents de tes plus fiers Rivaux

Te retiennent, grand Prince, au milieu de ta Course; Une solide paix couronne tes Travaux.

L'auteur couronné est M. GRANGERON, de Toulouse, qui rimait en français et en latin; il passait, en outre, pour un médecin expert « en la connaissance et la vertu des simples. »


HISTOIRE DE L'ACADÉMIE. 77

L'imprimeur toulousain Boude publia en brochure le sonnet de Grangeron et plusieurs autres qu'il mit à la suite; ils sont au nombre de vingt-trois, ce qui prouve surabondamment et la fécondité des rimeurs et le succès du concours des bouts-rimés.

M. Grangeron et Mlle Lhéritier de Villandon inaugurèrent, comme nous l'avons dit, un petit musée des poètes couronnés par les Lanternistes, et il faut croire aussi qu'euxmêmes ne furent pas insensibles à se voir reproduits en images ; car si nous lisons un remerciement en vers, composé par un bel esprit étranger à Toulouse, M. ROUBIN, du Pont-Saint-Esprit, et qui avait obtenu le droit d'assister aux séances des Lanternistes, voici un passage bien suggestif :

C'est dans ce lieu sacré que ces hommes illustres, Sans craindre désormais le caprice du sort, Bravent le pouvoir de la mort.

C'est là que leur noms éclatants, Pour jamais à couvert de l'empire du temps, Ne perdront jamais rien de leur gloire première; C'est là que leurs portraits, d'un ouvrage immortel, Sous un dais magnifique et brillant de lumière, Sont noblement rangés dessus le maitre-autel.

Ce style pompeux est bien peu explicatif. Cet autel, ce dais magnifique et entouré de lumière, ce lieu sacré où ces hommes illustres bravent la mort, ces champs-élysées où nos ancêtres étaient comme déifiés de leur vivant..., ne faut-il pas réduire tout cela à des proportions plus humaines ? Si quelques portraits ont embelli les salles de réunion libéralement offertes par quelque grand seigneur prêtant les panneaux de son salon, contentons-nous de regretter de ne plus posséder ces portraits des académiciens et académiciennes d'autrefois. Quel bel ornement ils feraient dans notre hôtel et quelle intéressante page d'histoire d'art local à écrire !

M. Roubin, du Pont-Saint-Esprit, avait concouru pour les bouts-rimés déjà lus, donnés en 1694, et qui avaient eu le don, on l'a vu, d'exciter la verve des poètes.


78 MÉMOIRES.

Voici ce nouveau sonnet :

Que par toute la terre on encense le Buste

D'un prince qui cent fois, sans craindre les Glaçons

Non plus que les ardeurs qui grillent nos Moissons,

A signalé son bras vigoureux et Robuste.

On ne voit rien en lui que de grand que d' Auguste;

Son règne à tous les rois va fournir des Leçons.

Muses, en sa faveur, épuisez vos Chansons.

Vous n'en eûtes jamais de matière si Juste.

D'une ligue insolente il sait dompter l' Orgueil ;

La victoire partout lui fait un doux Accueil,

Sa rapide valeur ne trouve point de Digue.

Enfin, de sa conduite admirant les Ressorts,

On ne peut, dans les dons que le ciel lui Prodigue,

Ni le voir sans l'aimer, ni l'aimer sans Transports.

Ses succès ne se bornèrent pas là, car nous retrouvons M. Roubin parmi les noms de ceux qui remportèrent la grande médaille d'or.

Voici ces noms :

J. BARRAU. LA PRÉSIDENTE DE DRUILLET. CHEINON. LE P. CLÉRIC LE CHANOINE COMPAING. NOLET FILS. ROUBIN.

Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet, mais nous n'avons pas fini avec les bouts-rimés.

Le manuscrit de la bibliothèque s'arrête au concours de 1698.

Ouvrons le Mercure, car il va devenir l'organe officiel des Lanternistes. Il publie très exactement les bouts-rimés proposés et les sonnets couronnés. En 1699, le vainqueur se nommait DE BELEBAT, — en 1700, l'ABBÉ DE POISSY. A cette époque, on était à la paix et le sonnet chantait la clémence du Roi.

Le laurier a pour toi moins d'attraits que l' Olive,

La paix devient le prix de tes faits Eclatans.

L'orage est dissipé ; quelle heureuse Saison !

Le calme des beaux jours règne sur l' Horizon,

Ton bras du Champ-de-Mars a fermé la Barrière.


HISTOIRE DE L'ACADÉMIE. 79

En 1701, le prix est remporté par le P. COURTIES, de la Doctrine chrétienne, professeur à l'Esquile. Au sonnet victorieux, le Mercure en ajoutait quatre autres, tant le filon poétique était riche !

En 1702, le prix appartint à M. DE NOLET-CADILHAC, ne, pour ainsi dire, dans le sein des muses, car son illustre famille les a toujours cultivées.

Le Mercure publie sept sonnets. On comprend notre réserve en face de ce débordement de rimes enthousiastes. En 1703, le programme du concours s'exprime ainsi :

« ... Le public attend avec impatience les bouts rimés que nous avons accoutumé de donner tous les ans; il ne faut pas douter qu'ils ne puissent plaire, quoiqu'ils reviennent si souvent. »

M. MAGNAS, de Lectoure, remporta le prix.

En cette année, ce fut une vraie solennité académique. M. de Nolet, trésorier de France, prononça un discours d'ouverture retentissant.

« ... Voicy le jour, Messieurs, où, suivant la coutume établie par votre illustré doyen, nous donnerons le prix à

un sonnet Quelque frivole, quelque peu important

qu'ait paru l'usage des bouts-rimés à des esprits ou trop élevés ou trop bizarres, rien n'est frivole, rien n'est peu important dès qu'il faut parler de notre grand Roi Les

Héros et les Dieux sont également sensibles à certaines douceurs; ils veulent être flattés et loués, mais flattés et loués par une bonne main ; et j'oserai dire que les louanges que l'on donne aux premiers dans le monde ne sont qu'une douce préparation et qu'une heureuse anticipation du nectar qu'ils goûtent quand ils sont au rang des autres. Le bon goût et la délicatesse que j'ai toujours trouvé dans cette aimable Compagnie, l'union et la justice qui, malgré l'envie, ne cessèrent jamais d'y régner, enfin, l'esprit et le savoir qui président ici ne me laissent pas douter un moment de la sincérité de vos sentimens, de la justesse de vos décisions, ni de la bonté du choix que vous allez faire. Laissez gronder les tristes poètes qui, toujours infortunés, ramperont toute


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leur vie au pied du Parnasse; ils ne méritent pas qu'Apollon leur tende la main pour les aider à s'élever. Méprisons leurs cris et leurs plaintes, ordinaire et mesquine ressource des médians auteurs... Malgré les orages et les tempêtes, Apollon, dont nous étalons tous les ans la figure dans nos assemblées et dans nos prix, Apollon, protecteur du Parnasse, y sait conserver le calme et le repos. Il est le Dieu de la clarté; il peut promettre et donner de beaux jours; l'Amour seul peut quelquefois lui disputer cet avantage... »

1703. SONNET COURONNÉ

Louis de son côté fait pencher la Balance,

Des Germains orgueilleux il abat la Fierté;

Tout ce qu'il fait est grand et si bien Concerté

Que l'envie en frémit et garde le Silence.

Audacieux titans, faites-vous Violence,

Et n'osez plus braver Jupiter Irrité,

C'est de lui que dépend votre Félicité ;

Eprouvez sa douceur, mais non pas sa Vaillance.

Sa foudre va tomber, tremblez, aigle Ennemi ! Le lion est déjà sur le trône Affermi,

Et le laurier renaît aux rivages de l' Ebre.

Si vous luy résistez encor quelques Momens,

Vous allez, par l'éclat d'une chute Célèbre,

Elever à son nom d'éternels Monumens.

Sept sonnets sont imprimés à la suite.

En 1704, le succès semble s'épuiser. On imprimait quatre sonnets seulement; le prix fut adjugé à M. BARRÈRE, docteur en médecine de la Faculté de Toulouse.

Les Lanternistes n'étaient pas riches puisque la dépense de la médaille des bouts-rimés était faite depuis plusieurs années par M. LUCAS, doyen des conseillers-clers au Parlement et doyen de la Compagnie des Lanternistes.

Le Mercure du mois d'août 1704 annonce la mort de M. Lucas. En la séance solennelle de cette année, le secrétaire s'écriait : « Quelle sombre mélancolie s'empare de nos sens et de notre coeur ! Ne nous sera-t-il pas permis de ré-


HISTOIRE DE L'ACADÉMIE. 81

pandre quelques fleurs sur le tombeau d'une personne qui nous était si chère, de notre illustre doyen, que nous devons regarder comme le fondateur de ces agréables exercices, comme le patron des muses... »

Les bouts-rimés ont vécu et les Lanternistes approchent de la fin de leur existence.

10e SÉRIE. — TOME V.


82 MÉMOIRES.

LA RÉFORME DE L'ÉDUCATION

D'APRÈS UN HUMORISTE ALLEMAND

(JEAN PAUL FRÉD. RICHTER ET SA LE VANA 1) PAR M. E. HALLBERG 2.

Rousseau, nous le savons, obtint un succès aussi grand, peut-être même plus accentué à l'étranger qu'en France : il fut, en fait d'idées nouvelles, principalement en matière d'éducation, le parrain de plus d'un auteur illustre, en Allemagne surtout et en Angleterre. Son Emile suscita des imitations, des contrefaçons, mais aussi quelques réfutations célèbres.

Parmi ceux qui, tout en adoptant une partie de ses idées, maintinrent leur indépendance et tâchèrent d'améliorer son système, on peut citer avec éloge et lire encore avec fruit un humoriste allemand, justement renommé pour le grand nombre et l'originalité souvent bizarre de ses productions, Richter, plus connu sous ses prénoms de Jean-Paul, qui, dans plus d'un de ses ouvrages, mais plus spécialement dans son traité de l'éducation intitulé Levana, essaya de vulgariser, en les corrigeant et les améliorant, les réformes du philosophe de Genève. On peut faire, en passant, cette remarque piquante que l'Allemagne s'engoua de son JeanPaul comme la France s'était engouée de Jean-Jacques.

1. Nous ne connaissons aucune traduction française de cet ouvrage, sauf pour quelques fragments publiés dans l'ancienne Revue germanique.

2. Lu dans la séance du 30 mars 1905.


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Les Allemands l'ont surnommé l'Unique, autant pour l'originalité de son génie que pour l'indépendance de son esprit, qui le fit rester en dehors des écoles rivales et des systèmes classiques, romantiques ou autres. Nul n'a exagéré comme lui, du moins avec autant de talent, ce libre développement du moi subjectif, si cher à tant d'auteurs et de penseurs allemands du dix-neuvième siècle. Nul n'a mieux accentué cette sorte de nihilisme humoristique, qui raille en même temps la réalité au nom de l'idéal, et l'idéalisme au nom de la réalité.

Sa carrière, relativement courte (1763-1825), fut marquée par les compositions les plus diverses, mais dont le caractère est toujours le même au fond : oeuvres de jeunesse, comme les Procès groenlandais (1783), ou la Loge invisible (1793); oeuvres de la seconde période (Hespérus, Quintus Fixlein, Siebenkoes, la Vallée de Campan, de 1795 à 1798); enfin, oeuvres de la dernière époque de sa vie (Titan, Esthétiqae, Levana et d'autres). Toutes sont animées du même esprit et concourent au même but; toutes sont admirables parfois de profondeur, trop souvent vagues, nuageuses, obscures, mais, en somme, vraiment philosophiques dans leur essence et dans les vues qui s'y pressent, morales aussi, en dépit de la vulgarité ou de la bizarrerie des images et dos idées, ou de l'excentricité de certaines thèses et de bien des formules.

Les compatriotes de Jean-Paul lui ont élevé une statue à Bayreuth, et cet hommage ne paraît pas exagéré quand on songe, non seulement à sa valeur personnelle et au mérite de ses oeuvres, mais encore à la gloire dont il a joui, de son vivant, en Allemagne et à l'étranger, à l'action qu'il a exercée sur ses contemporains, et à tout le profit qu'on pourrait tirer encore aujourd'hui de son énorme bagage littéraire et philosophique, en ayant soin d'y faire un triage sérieux, d'y prendre la moelle et le suc, de cueillir les fleurs et de laisser les ronces, les chardons et les broussailles qui envahissent par trop ce jardin hétéroclite.

Rien de touffu comme ce traité de l'éducation, cette


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Levana (du nom d'une déesse romaine que le père invoquait avant de lever, c'est-à-dire de reconnaître l'enfant nouveau-né). Il faudrait avoir le courage et la patience, après avoir lu avec attention ces deux volumes dont le style est souvent peu lisible, d'extraire et de classer toutes les idées et toutes les théories de l'auteur pour les synthétiser et les rendre abordables au public. On serait amplement récompensé de ce travail par tout ce que l'on trouverait de sage, de judicieux, de frappant, de pratique surtout au milieu d'un tel chaos. Je ne l'entreprendrai pas ici ; je me bornerai à en signaler les lignes générales et les traits saillants, et à citer quelques passages qui pourront nous donner à la fois une idée sommaire de l'oeuvre, de l'esprit de son auteur, en même temps que susciter une utile et fructueuse controverse sur des questions importantes et toujours actuelles.

Dès le début, on reconnaît le philosophe, qui ne se contente pas, comme ses devanciers, Rousseau, Pestalozzi, Basedow et d'autres, de créer a priori un système purement empirique. « Avant de tracer la voie », dit-il très justement, « il faut se préoccuper de connaître le but qu'on vise. Les procédés et l'art de l'éducation ne peuvent être fixés que d'après le modèle ou l'idéal de la vie que l'on se propose. Les parents et les maîtres n'ont pas d'habitude un idéal; ils en ont une collection, un cabinet complet, une vraie lanterne magique dont on fait miroiter successivement les tableaux sous les yeux des enfants. Voici, par exemple, un plan d'études très ordinaire : 1re heure, leçon de morale pure; 2e heure, leçon de morale impure, c'est-à-dire pratique et utilitaire; 3e heure, l'exemple du père (« Vois com« ment se conduisent tes parents et tes aînés »); 4e heure, « garde-toi d'imiter ce que tu vois faire; tu es trop jeune « pour te conduire comme les personnes d'un âge mûr»; 5e heure, « le point capital pour un enfant est d'arriver à « être un homme, à jouer un rôle dans la société, dans « le monde »; 6e heure, « c'est vers un but élevé, idéal, qu'il « faut tendre de toutes ses forces, la valeur de l'homme se « mesurant, non sur des raisons pratiques, mais sur les prin-


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« cipes éternels », et ainsi de suite. Que de contradictions dans une même journée, dans un même programme! On dit à l'enfant que rien n'est beau comme d'aimer ses ennemis et de souffrir l'injustice, mais, aussi, qu'on a le droit de se venger, le devoir de résister aux attaques, de repousser les provocations; que le jeune homme doit toujours écouter ses parents et ses maîtres, mais que jamais il ne fera rien s'il n'a pas de l'initiative et de la volonté, etc.

Voilà l'unité de vues chez la plupart des pères de famille ! Et si l'on voulait examiner ce que font et disent les mamans, ce serait bien pis encore; « on dirait cet arlequin de la comédie qui entre en scène avec un portefeuille sous chaque bras, et à qui l'on demande : « Que portez-vous sous « le bras droit? — Des ordres. — Bien; et sous le bras gau« che? — Des contr'ordres ! » Mais la comparaison est faible ; la mère de famille ressemble plutôt à un géant Briarée, qui sous chacun de ses cent bras porterait un papier, ordre et contrordre à tour de rôle. »

Qui ne reconnaîtra que, sous cette forme humoristique, l'auteur met le doigt sur la plaie la plus terrible des systèmes d'éducation, l'absence de plan et de vues d'ensemble, due à l'absence d'idéal, à la méconnaissance d'un but certain ?

« Et les exigences aveugles des éducateurs sont en raison directe de cette ignorance du but à poursuivre :

« L'enfant, à chaque minute, ne doit être qu'un objet sur lequel l'éducateur peut dormir le plus mollement ou tambouriner avec le plus d'éclat; il faut donc aussi qu'à chaque minute, selon que le maître est plus enclin à agir ou à jouir, l'enfant lui épargne la peine de l'éducation tout en lui en procurant les fruits. Aussi, ces calmes et paresseux précepteurs s'indignent-ils si fréquemment que l'enfant ne soit pas déjà d'avance plus prudent, plus logique et plus doux et patient qu'eux-mêmes. »

Il faut un idéal a l'homme; donc, il en faut un à l'éducateur. Et Jean-Paul reproche précisément à Rousseau de se contenter d'une méthode empirique, purement négative :


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ressembler à l'homme primitif, autant dire à l'homme des bois, cela ne constitue pas un caractère ni un idéal.

Mais l'idéal ne se rencontre point facilement; les hommes croient le voir en des manifestations diverses et souvent opposées entre elles :

« C'est cette illusion, pardonnable d'ailleurs, qui fait confondre l'idéal avec les idéaux, et qui, si l'on avait vécu dans la semaine de la création, aurait créé ou bien uniquement des anges, ou uniquement des Eves, ou rien que des Adams. Mais de même que, s'il y a un seul esprit poétique, il y a des formes très variées dans lesquelles il peut s'incorporer : la comédie, la tragédie, l'ode et la frêle épigramme au corps d'abeille; ainsi la même génialité morale peut se faire homme ici avec Socrate, là avec Luther, ici avec Phocion, là avec saint Jean. Comme rien de fini ne peut reproduire l'idéalité infinie, mais qu'il peut seulement le répercuter par parties et d'une façon limitée, de pareilles parties pourront être infiniment variées : ni la goutte de rosée, ni le miroir, ni la mer ne reproduisent le soleil dans sa grandeur; mais tous nous renvoient son image comme un objet rond et lumineux. »

Où chercherons-nous cet idéal unique et supérieur, qui doit être le but de l'éducation et le point de mire de tous nos efforts? — Jean-Paul commence par déclarer qu'il ne faut pas le demander au moment présent, ni même au siècle dans lequel nous vivons. « Il faut, avant tout, savoir se mettre au-dessus de l'esprit du temps. On ne doit pas élever l'enfant pour l'époque actuelle; celle-ci se charge bien assez de son éducation sous ce rapport, et elle le fait sans trêve ni merci, par les moyens les plus violents. C'est en vue de l'avenir que nous formerons l'enfant, et non pas même en vue d'un avenir prochain. »

Et cette idée est rendue par notre auteur d'une façon aussi originale que saisissante, dans un parallèle entre ce qu'il appelle « l'esprit du temps » et « l'esprit de l'éternité. »

« Ce que nous appelons l'esprit du temps, nos anciens l'appelaient le cours du monde, les derniers temps, les signes


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précurseurs du Jugement dernier, le règne du diable, de l'Antéchrist. Ce ne sont là que des noms sans valeur. Aucun âge d'or ou d'innocence ne s'est appelé lui-même ainsi, mais il se bornait à attendre un âge d'or; et un âge de plomb attendait un âge d'arsenic : c'est le passé seul qui brille après coup, de même que parfois les navires en mer laissent derrière eux un sillage lumineux...

« Chacun regarde sa vie comme la nuit de la SaintSylvestre du temps, et, en même temps, ainsi que fait le superstitieux, il regarde ses rêves de cette nuit-là, — rêves composés de souvenirs, — comme des prophéties pour toute la nouvelle année. Et ce qui arrive toujours après cela, ce n'est pas le bien ou le mal qu'on a prophétisé, ou leur contraire, mais tout autre chose, qui, comme la mer absorbe les fleuves, reçoit et absorbe dans le tourbillon de ses flots toutes les prédictions et leurs objets. »

C'est en vain que l'homme cherche à prédire le temps qu'il fera ; comment pourrait-il prévoir ce qui se passera dans le monde moral? Mais il lui est permis de juger le présent, grâce aux leçons du passé :

« Plus la terre devient vieille et plus, en qualité de vieille, elle peut prophétiser; et, en effet, elle prophétise. Des profondeurs du passé un esprit nous parle, une vieille langue se fait entendre à nous, que nous ne comprendrions pas, si elle n'était pas innée en nous. C'est l'esprit de l'éternité qui juge et domine tout esprit du temps. Et que dit-il de notre temps? Des choses fort dures. Il dit que le temps présent produit plus facilement un grand peuple qu'un grand homme, parce que la civilisation et la force compriment les hommes comme feraient pour des gouttes de vapeur d'énormes machines dirigées par un esprit unique, au point que la guerre elle-même n'est plus maintenant qu'un jeu guerrier entre deux êtres vivants...

« L'esprit de l'éternité, qui juge le coeur et le monde, prononce un jugement sévère et déclare que ce qui manque à nos contemporains, enthousiastes des sens et adorateurs fanatiques des passions, c'est l'esprit saint d'un monde supé-


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rieur. Les ruines de son temple s'enfoncent toujours plus profondément dans la terre actuelle. On croit que la prière attire les feux follets de l'illusion. L'intelligence et la foi de ce qui est en dehors de ce monde, qui jadis poussaient leurs racines au milieu des temps les plus immondes, ne portent plus de fruits maintenant qu'elles se développent dans un air pur. S'il y avait jadis de la religion dans la guerre, il n'y a même plus maintenant de guerre dans la religion ; le monde est devenu pour nous un édifice, l'éther n'est plus qu'un gaz, Dieu une force, et l'autre monde un cercueil.

« Enfin, l'esprit de l'éternité nous reproche encore notre impudeur ». et, sous ce nom, Jean-Paul comprend toutes les doctrines ou les tendances qui justifient la violence de nos passions et admettent la légitimité de leur suprématie. Pour lui, la vie passionnelle est un état de maladie, particulier à notre siècle, contre lequel l'éducateur doit prémunir-son élève.

Là encore, il devra, pour réagir, chercher son point d'appui dans l'idéal et, tout d'abord, éviter tout ce qui ressemble à la compression, à la destruction d'une force :

« Ce doit être toujours une loi pour nous, puisque toute force est sacrée, de n'en affaiblir aucune en elle-même, mais de se borner à susciter celle qui lui est opposée et grâce à laquelle elle pourra s'agencer harmonieusement dans l'ensemble. C'est ainsi, par exemple, qu'une âme aimante dont la douceur va jusqu'à la mollesse ne doit absolument pas être endurcie; mais il faut se borner à renforcer en elle le pouvoir de l'honneur et de la lucidité; ainsi encore le caractère hardi ne doit pas être rendu craintif, mais seulement formé à l'amour et à la prudence. »

D'ailleurs, il y aura toujours des différences : « C'est comme dans la gamme musicale; si l'on prend un morceau composé en do pour le transposer en ré, on lui ôterait beaucoup de son caractère, mais pas autant qu'un éducateur qui transposerait en un seul et même ton toutes les natures d'enfant écrites en des tons si différents. »


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Mais quel sera l'idéal qui, toujours présent aux yeux de notre esprit, nous permettra, malgré la diversité des caractères et des tempéraments, d'avoir une ligne de conduite uniforme, toujours droite et nettement tracée? Contrairement à Rousseau et à la plupart de ses contemporains, JeanPaul est d'avis que seul le sentiment religieux peut nous révéler cet idéal. Non pas, a priori, une religion positive, mais la croyance inébranlable en un Dieu juste et bon et à la vie future. Les religions peuvent s'éclipser ou même s'éteindre; le sentiment religieux, lui, est immortel, et se retrouve même chez les adversaires et les contempteurs de la foi, chez ceux qui, en apparence, cherchent à supprimer en nous toute pensée supra-terrestre. Les philosophes du dix-huitième siècle et les excès même de la Révolution française servent d'arguments à notre auteur pour corroborer cette assertion. Les prétendus sceptiques, les indifférents, les impies, par l'ardeur avec laquelle ils combattent ce qu'ils croient ou disent être l'erreur, prouvent clairement qu'ils aiment ou affectent d'aimer la vérité. Or, aimer la vérité, c'est déjà la chercher, c'est se tourner vers l'idéal, — et il ne peut y avoir d'idéal qu'en Dieu, puisque tout le reste est réel et tombe sous les sens.

Jean-Paul ne songeait point au positivisme, dont le nom n'existait pas encore; mais la chose existait, — elle est vieille comme le monde, — et il aurait certainement classé les positivistes parmi les sceptiques ou les indifférents.

Donc, pas d'éducation sans idéal, pas d'idéal sans le sentiment religieux. Et ici l'auteur esquisse en quelques lignes, éloquentes autant que précises, le but que doit poursuivre l'éducateur :

« Contre l'avenir qui menace, contre les attaques du présent, il faut donner à l'enfant un triple contrepoids et une triple armure : il faut, mettre tous ses soins à prévenir l'affaiblissement de la volonté, de l'amour et de la religion. » Contre ceux qui prétendent que l'homme est né pour vivre sous l'empire de ses passions, pour succomber à toutes les attaques du dehors et sombrer sous les vagues furieuses des


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événements, il faut affirmer que l'homme n'est un individu que par sa volonté, le corps ne lui appartenant absolument pas; qu'il n'a de raison d'être qu'en appliquant sa volonté à rayonner autour d'elle par l'amour, dont une des plus belles manifestations est le courage et le sacrifice; et qu'enfin il ne peut vouloir et aimer, c'est-à-dire vivre, qu'en union avec un principe supérieur qui est Dieu, et dont il reçoit la force comme il en a reçu la vie Toutes ces grandes idées, exprimées dans un certain désordre et en termes parfois bizarres, sont admirablement résumées en trois lignes :

« En face des tempêtes que soulèvent les passions., la volonté stoïque ne suffit pas; il faut que les enfants, filles ou garçons, apprennent qu'il y a quelque chose de plus haut et de plus fort que les vagues de la mer : c'est le Christ qui les apaise. »

Et ici Jean-Paul en vient à toucher une question très importante alors, et qui, exactement un siècle après la publication de son livre, est encore d'une actualité brûlante : la question des rapports entre la religion et l'Etat.

« La religion n'est plus aujourd'hui une déesse nationale;

ce n'est plus qu'une divinité du foyer Mais maintenant

que les cloches de nos églises n'ont plus qu'un son faible et sourd qui n'arrive pas à dominer le bruit du marché pour amener la foule au temple, c'est à nous de travailler, avec plus de zèle que jamais, à doter nos enfants d'une maison de prière dans leur coeur même, à leur faire joindre les mains avec humilité devant le monde invisible auquel nous croyons. »

L'auteur ne veut point que l'on confonde la morale avec la religion, et il admet que, de son temps, beaucoup de bons esprits les ont avec raison séparées. Son opinion personnelle est, à coup sûr, que la plus haute morale se trouve dans la religion bien comprise et consciencieusement pratiquée : « Tout ce qui est divin se confond nécessairement avec ce qu'il y a de plus élevé dans la morale aussi bien que dans l'art et dans la science » ; mais il se méfie de la religiosité vague dont se contentent bien des gens, du quiétisme sur-


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tout, et il préfère asseoir sa morale, comme celle des stoïciens, sur les bases plus larges et plus terre à terre de la conscience individuelle. La comparaison qu'il emploie à ce propos est fort judicieuse : " Dans nos villes modernes, contrairement aux anciennes habitudes, on aime mieux bâtir en largeur qu'en hauteur : nous faisons de môme au point de vue intellectuel et moral; nous nous étendons sur la terre au lieu de nous élever vers le ciel. »

Je laisse de côté, à regret, tout ce long et beau chapitre de la religion où abondent les vues élevées et ingénieuses à la fois et qui mériterait d'être cité presque en entier. Je me borne à relever cette assertion, que l'on a tort de vouloir démontrer la religion et l'existence de Dieu aux enfants : « C'est d'un vigoureux coup d'aile qu'on arrive à la foi religieuse, et non point en gravissant péniblement d'innombrables échelons. La religion s'adresse non pas seulement à l'intelligence, mais à l'homme, à l'être tout entier », et c'est, comme nous dirions aujourd'hui, d'une façon intégrale que l'on y arrive.

Et, sur ce point, Richter se sépare complètement de Rousseau, qui voulait que le sentiment religieux et la croyance en Dieu ne fussent éveillés chez l'homme qu'après son adolescence. « Vous feriez », répond notre auteur, « comme ces pères de famille de la haute société qui ne permettent à leurs enfants de les connaître que lorsqu'ils ont achevé leurs études, c'est-à-dire quand les enfants n'ont plus besoin d'avoir un père ! »

Une autre remarque fort importante, c'est que la plupart des précepteurs ou même des pères de famille n'enseignent la religion que du bout des lèvres, sans conviction et sans amour, à quoi les enfants ne se trompent jamais. Horace disait au poète tragique que, pour faire pleurer ses auditeurs, il devait commencer par pleurer lui-même. Ainsi pour toutes les leçons que nous donnons à la jeunesse : nous devons être sincères, et, aussi, servir d'exemples. Plus nous sommes savants ou élevés dans la hiérarchie sociale, plus notre exemple, en pareille matière, sera puissant : « Le


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meilleur professeur de religion pour la jeunesse serait Newton qui, en signe de respect, se découvrait chaque fois qu'il prononçait le nom de Dieu. »

On regrette que tant d'excellentes observations soient gâtées, clans la suite du chapitre, par certaines préoccupations philosophiques ou rationalistes qui sembleraient plutôt diminuer l'importance du culte et de l'enseignement religieux. Comme beaucoup de ses contemporains, l'auteur attribue au culte intérieur, à la vague adoration muette une importance qui nous paraît exagérée et en contradiction avec les principes que lui-même a posés.

Mais nous retenons cette maxime capitale, établie à la base même de son système d'éducation et que nous allons retrouver dans tout le reste de l'ouvrage, à savoir que l'éducateur, le père surtout, doit donner l'exemple avant de s'ingénier à inculquer des préceptes. D'après une formule très juste autant que piquante, le maître fera sa propre éducation avant de faire celle de son élève ou, du moins, il mènera les deux de front.

Je vais me borner à résumer en quelques mots les indications et les développements, aussi importants que nombreux, semés dans les chapitres si touffus de cette fin de la première partie de l'ouvrage, qui nous mènent jusqu'à l'époque de transition entre le bas-âge et la seconde enfance. On regrette de ne pouvoir citer tous les aphorismes, toutes les observations, tous les conseils qui abondent dans cette centaine de pages.

1° Avant de former un plan quelconque d'éducation, il faut, étant donnée la très grande diversité des esprits et des caractères, étudier avec soin la nature de son élève : c'est là un des points les plus importants en pédagogie; rien de fâcheux, rien de stérile comme les programmes uniformes, indistinctement et indiscrètement appliqués à tous les enfants.

2° Surveiller attentivement toutes les manifestations de la vie physique et morale de ce petit être qui commence seulement à vivre; les premières impressions de l'enfance ont une force et une fraîcheur durables dont il faut tenir le plus


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grand compte. C'est la fleur en bouton qui va s'épanouir et dont le moindre accident peut compromettre l'éclosion et la beauté.

3° En continuant cette métaphore si naturelle du bouton de fleur, c'est dans une atmosphère de printemps, d'air pur et de soleil qu'il faut le laisser se développer; la première enfance a besoin de joie et de bonheur pour s'épanouir. Cette joie sereine et douce, exempte de sensations fortes ou trop prolongées, entretenue par une activité continue mais non fiévreuse, a quelque analogie avec les effluves du printemps et le doux rayonnement de l'azur.

4° De là la nécessité de tolérer, que dis-je? d'encourager les jeux chez les enfants qui commencent à vivre par l'intelligence et le sentiment. Il serait aussi nuisible que cruel de les condamner, eux, petits innocents, aux travaux forcés dès le début de leur carrière. L'éducateur habile saura faire servir à leur instruction leurs jeux les plus simples en apparence. Les images, les histoires (celles surtout qu'ils préfèrent ou même qu'ils inventent), les rondes, la musique, tout peut concourir en même temps à leur joie et à leur éducation. Détachons, de ce chapitre si intéressant, quelques remarques vraiment profondes :

« L'enfance a son imagination créatrice, plus féconde en somme que celle de la jeunesse.

« Le jeu est la première poésie de l'homme. Manger et boire, c'est sa première prose.

« Chez la bête, c'est le corps qui joue; chez l'enfant, c'est l'âme.

« L'enfant qui regarde des images leur prête la vie, ainsi qu'à tous les objets inanimés; son âme est éminemment créatrice. » (Aussi l'auteur conseille-t-il de mettre sous les yeux de l'enfant des estampes, des dessins, plutôt que des images coloriées; autrement on lui ôte le plaisir de leur donner lui-même les couleurs qu'il veut.)

« Les jeux de la première enfance préparent le développement de l'intelligence, à l'époque où celui du corps marche tout seul, et à pas de géant. Plus tard, c'est l'inverse : les


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jeux du second âge doivent réparer les dommages que le développement des facultés intellectuelles peut causer à celui du corps. Donc, l'enfant du premier âge doit muser, s'amuser, rire et chanter, écouter et parler; celui du second, garçon ou fille, fera de la gymnastique, des marches, des exercices violents, de l'hygiène.

« Pour les petits enfants, le jeu le plus beau, le plus fécond, c'est de parler, tout seuls si cela leur plaît, et mieux encore avec leurs camarades, leurs maîtres et leurs parents.' Ceux-ci ne sauraient trop parler pour les amuser et les intéresser; plus tard, ils auront à se taire pour les instruire ou les punir.

« La musique est un exercice hygiénique pour l'âme, comme la danse pour le corps; celle-ci est une musique muette, comme la musique est une danse invisible; toutes deux enseignent l'ordre et l'harmonie.

Poussons les enfants à chanter le chant remplace le cris, que les médecins déclarent indispensables pour le éveloppement des poumons. Quoi de plus beau et de plus éjouissant u'un enfant qui chante à gorge déployée? Si le père où la mère n'aime pas à chanter, eh bien, qu'ils hantent pour leurs enfants et avec eux!

Jean-Paul recommande aussi beaucoup les jeux entre enfants, sous la surveillance discrète des parents ou des maîtres, - à condition que eux-ci n'interviennent que le moins possible. Ces jeux sont, pour le premier âge et même pour le suivant, l'école la plus pratique de 'indépendance et de l'égalité autant que la préparation aux idées sociales de gouvernement et de police.

Et ceci nous servira de transition pour continuer notre résumé :

5° Eviter de vouloir trop gouverner les enfants. Nous dirions aujourd'hui qu'il faut les habituer au self-govemment, absolument compatible avec l'idée et le principe d'autorité. Nous avons le tort de multiplier et de prodiguer à l'infini les ordres, les défenses, les objurgations impératives, — sans compter les punitions et sans compter aussi


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les contradictions dont il a été question au début même de l'ouvrage. Richter, sous ce rapport, n'est nullement de l'avis, de Rousseau : il voudrait des ordres brefs, rares, non motivés ni discutés, mais non discutables non plus. Les grands parents, plus doux et plus avares de formules impératives, sont généralement mieux obéis que les parents.

6° Au chapitre si important des punitions, nous retrouvons en grande partie la doctrine des grands philosophes et pédagogues de la fin du dix-huitième siècle. Notre auteur veut (toujours au premier âge, bien entendu) que les châtiments soient aussi rares que modérés. On doit toujours se méfier de son premier mouvement et surtout ne frapper l'enfant que dans des cas exceptionnels. Si cet enfant a frappé un camarade, on le frappera, — et même s'il s'agit d'un domestique, — auquel cas on le frappera un peu plus fort.

On évitera de garder ou de paraître garder un ressentiment après avoir grondé ou châtié : le moment qui suit la punition est le plus propice pour les douces exhortations, les sages conseils présentés sur un ton triste, si l'on veut, mais toujours affectueux. Plus tard, dans le second âge, le ressentiment du père ou du maître peut avoir du bon, pourvu qu'il ne soit ni trop prolongé, ni dénué d'affection.

Enfin, il ne faut jamais, pour aucun motif, vouloir humilier les enfants; c'est toujours au moins inutile, car, ou l'enfant a de l'amour-propre et on le vexe sans profit, ou il n'en a pas, et l'on n'a aucune prise sur lui. Fénelon, que notre auteur cite parfois et qu'il admire de toute son âme (« on l'appelle, dit-il, l'évêque de Cambrai; je dirais plutôt de Patmos, car il pourrait être le second disciple aimé du Christ »), Fénelon avait trouvé une punition exemplaire pour son royal élève, lorsque l'enfant s'était laissé aller à l'un de ses excès de colère si terribles et si fréquents : personne ne lui parlait de la journée, ni le précepteur, ni les domestiques; ceux-ci le servaient respectueusement, mais en silence.

Il y a cependant des occasions où les cris et les pleurs


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des enfants ne doivent pas nous irriter et ne méritent pas de gronderie ni de punition, comme lorsqu'ils se font mal par étourderie ou désobéissance : on aurait tort de paraître fâché, non moins que de s'apitoyer outre mesure sur leur souffrance. D'accord ici avec Roussean, Jean-Paul veut que l'on soit inébranlable quand l'enfant pleure ou crie pour obtenir quoi que ce soit : on n'a pas à gronder ni à punir en pareil cas; on pourra même détourner habilement cet esprit, toujours si mobile, de l'objet auquel il pense et du violent désir qui le tourmente.

7° Le dernier chapitre de cette première partie est un des plus remarquables de tout l'ouvrage et a trait à ce sentiment de foi naïve ou de crédulité qui se trouve au fond de l'âme de tous les enfants. Richter ne veut pas qu'on le combatte, mais non plus qu'on en abuse; il y a là une nuance délicate, une juste mesure à observer, qui exige de la part de l'éducateur les plus grandes précautions et une réflexion toujours sagace. Tromper les enfants par des mensonges ou des fictions inutiles, les railler de leur crédulité, les détromper brutalement et sans raison de leurs illusions, éveiller en eux, avant l'heure, la méfiance et l'esprit de critique : tout cela est également fâcheux et souvent funeste.

« La foi », conclut-il, et cette conclusion nous paraît tout à fait dans le ton de l'ouvrage, « la foi est une sorte de morale préparatoire que le ciel a donnée à l'enfant pour ouvrir son jeune coeur aux nobles sentiments de l'âge mûr. Lui causer le moindre dommage, c'est vouloir faire comme ce réformateur rigide qui bannissait le chant du culte divincar la foi est un écho de la musique des sphères célestes. Songez-y donc, lorsque, à votre heure dernière, tout, dans votre âme mourante, sera flétri et brisé : la poésie, la pensée, les aspirations et les joies; alors, dans la nuit où vous entrerez, une seule fleur restera encore fraîche et reprendra une vie plus intense, la foi de votre enfance qui, comme elle a fait pour vos heures printanières, embaumera vos sombres et derniers instants ! »

Le premier volume se termine sur ces consolantes paroles,


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mais il est suivi d'un appendice assez long où l'auteur, sous forme de lettres à un ami, énonce ses vues sur l'éducation physique de la prime enfance. Nous laissons de côté, à notre grand regret, cette partie fort intéressante de l'ouvrage, et nous étudierons, dans un prochain travail, la seconde moitié du livre où Jean-Paul s'occupe de l'éducation des adultes, garçons et filles, et de la préparation aux diverses carrières qui pourront s'ouvrir devant eux.

10e SÉRIE. — TOME V.


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LE MYSTERE DU TEMPLE

1794-1795 Par le Dr L. DE SANTI 1.

I.

Il est, dit on, des morts qu'il faut que l'on tue, et, à coup sûr, l'infortuné fils de Louis XVI est de ceux-là, car, depuis cent ans, on a vu passer et renaître sur la scène politique, devant les tribunaux et devant l'opinion, une quarantaine de prétendus dauphins. Il n'est pas d'ailleurs d'année où n'ait été affirmée, tantôt par d'honnêtes gens dupes de leurs illusions, tantôt par d'habiles metteurs en scène, la survivance de Louis XVII; et toute une littérature, dont on ne soupçonne même pas les colossales proportions, tout un monde de pamphlets, de preuves, de discussions, de révélations, de polémiques, où la sottise et la folie se mêlent à l'ignorance, à l'intérêt, à la roublardise et à la conviction la plus touchante, sont nés de cette question.

Ces tentatives, du reste, avaient jusqu'à ce jour été malheureuses, et, comme le dit M. de la Sicotière, ces innombrables avocats, romanciers, journalistes et pamphlétaires, bien que leur tardive rétractation n'égalât pas le bruit qu'avaient fait leurs acclamations, ont fini presque toujours par confesser leur erreur.

Mais en France on oublie vite et, par suite, la victoire est aux persévérants, plus même qu'aux audacieux. Or, il s'est

1. Lu dans la séance du 13 avril 1905.


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trouvé un prétendant ou plutôt les descendants d'un prétendu Louis XVII, qui, avec une inlassable ténacité et une audace toujours croissante, ont si bien affirmé et réclamé devant l'opinion, en dépit des condamnations judiciaires, des preuves de leur mauvaise foi, de l'indignation des uns et des huées des autres, leur royale origine, qu'ils ont presque réussi aujourd'hui à l'imposer à la foule. Ce sont les Naundorff.

Leur tactique a été simple. Pris en flagrant délit de mensonge, — et cela leur est arrivé chaque fois qu'ils ont voulu produire un fait nouveau ou interpréter les points obscurs de leur cause, — ils ont aussitôt abandonné leurs positions, sans essayer de couvrir leur retraite, et, s'emparant avec un aplomb et un sang-froid imperturbables des faits démontrés à leur propre confusion, ils ont arrangé, adapté aussitôt ces faits à leur taille et modifié les épisodes de leur roman de manière à les faire un peu mieux cadrer avec la vraisemblance. C'est ainsi qu'ils ont continué pendant un siècle de faire tête à la vérité et que, peu à peu, leur roman est devenu une thèse historique. Jamais du moins leurs affirmations n'ont devancé la vérité.

M. de la Sicotière, que je citais tout à l'heure et dont la haute probité politique comme le savoir et la conscience historique sont à l'abri de tout reproche, a bien caractérisé cette attitude en disant que, si « les contradictions ou les rétractations honorent parfois la sincérité de l'historien racontant des circonstances auxquelles il a été étranger », les erreurs ne sont plus permises quand il s'agit de faits personnels et que les erreurs des Naundorff suffisent à les condamner sans retour 1.

Quoi qu'il en soit, la légende est maintenant établie, arrêtée ne varietur. Elle a pour soutien, semble-t-il, de sérieuses raisons financières et pour défenseurs toute une armée de publicistes et de jeunes écrivains, qui ne reculent

1. LA SICOTIERE, Les faux Dauphins. (Revue des questions historiques, 1882. t. XXXII.)


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devant aucune affirmation, qui ne comptent pour valables que les documents favorables à leur thèse et qui ignorent les autres avec impudeur.

C'est de cette campagne, dans laquelle on voit parfois se fourvoyer passagèrement des écrivains de talent, comme MM. Paul et Victor Margueritte 1, que sont nés, de nos jours, indépendamment du périodique bordelais La Légitimité, une revue parisienne très luxueuse, La question Louis XVII2, et enfin le dernier évangile du Naundorffisme le Louis XVII de M. Ad. Lanne 3.

Tous les arguments de cette école ont été cent fois réfutés par des hommes de coeur, comme Antoine (de Saint-Gervais), Serieys et Eckard, par des historiens de talent, comme de Beauchesne, Chantelauze et la Sicotière, par des fureteurs désintéressés, comme Gustave Bord et M. Alfred Bégis; il n'y a donc pas à les reprendre pour les discuter à nouveau. Mais, nous le demandons de bonne foi, quand un problème historique qui a été incessamment agité depuis cent ans réunit, dans une solution négative, l'unanimité presque absolue des historiens, des chercheurs et des esprits libres qui, avec la haute conscience de leur mission, ont consacré leur vie à la recherche et à l'étude de la vérité, peut-on, sur de frivoles allégations, mettre en doute la valeur de cette solution?

Or, il n'est pas d'historien vraiment digne de ce nom, depuis Thiers, Quinet, Buchez et Roux, Henri Martin, Hamel, Michelet lui-même, jusqu'à MM. Aulard et Albert Sorel, qui pose même l'hypothèse de la survivance de Louis XVII. Les historiens du Directoire, en particulier Granier de Cassagnac et M. Lud. Sciout, pour lesquels la question était d'importance capitale, la tranchent sèchement en deux lignes comme un fait indiscutable.

Et peut-on croire que, dans la foule des hommes politi1.

politi1. La Dépêche, 7 mars 1905.

2. Revue historique de la question Louis X VII, publication mensuelle. Paris, H. Daragon, 1905.

3. AD. LANNE, Louis XVII et le secret de la Révolution. Paris, Dujarric, 1905; in-18.


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ques ou des comparses qui, de près ou de loin, auraient été mêlés à pareil événement, aucun n'eût trahi plus tard, quand cette révélation pouvait servir son amour-propre autant que son ambition, une parcelle du secret? Croit-on, par exemple, que des intrigants avisés, tels que Talleyrand, Barras, Lucien Bonaparte, Thibaudeau, Roederer, Miot, Chateaubriand et ses amis; des diplomates étrangers, comme Metternich et Mme de Staël; des policiers, comme Real, Barrère, Mehée, Perlet, Prudhomme, Sénar, Desmarets et tutti quanti; des aventuriers comme Montgaillard, Fauche Borel ou Hyde de Neuville, qui ont tant écrit et qui souvent firent de leurs mémoires une vengeance posthume, eussent poussé la discrétion jusqu'à ces invraisemblables limites?

Non certainement. Aussi, dans l'innombrable phalange des avocats de la survivance, peut-on à peine citer trois ou quatre noms d'historiens.

Le principal d'entre eux, qui a apporté à l'étude de la Révolution la passion d'un apôtre et la pernicieuse méthode sentimentale de Michelet, Louis Blanc enfin 1, n'a étayé son opinion sur aucun argument personnel ni sur aucun document nouveau, et l'on a pu dire que, s'il vivait encore, il n'hésiterait pas à réformer cette opinion 2; un autre, Frédéric Bulau, le romanesque auteur des Personnages énigmatiques, est un étranger, comme M. Otto Friedrichs; des derniers enfin, l'un, M. Sardou, appartient professionnellement et intellectuellement à la charmante et dangereuse école d'Alexandre Dumas; l'autre, M. Henri Provins, est un jeune, dont nous apprécions hautement les recherches, mais dont les erreurs matérielles ont fait l'objet de remarquables critiques de M. Begis 3. Quant à M. G. Lenôtre, dont l'opinion, longtemps flottante, semble, dans un dernier article, se fixer en faveur de l'évasion de Louis XVII 4, nous

1. Louis BLANC, Histoire de la Révolution, t. XII, p. 323 (1860).

1. ALF. BEGIS, L'Intermédiaire, 20 juillet 1896.

2. ALF. BEGIS, L'Intermédiaire, 20 et 30 avril 1896.

3. G. LENÔTRE, Louis XVII s'est-il évadé du Temple? (Lectures pour tous, octobre 1904.)


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étudierons un peu plus loin la genèse de son système. Nous ne pouvons, bien entendu, dans une revue, envisager les côtés multiples de la question Louis XVII et réfuter les innombrables mensonges auxquels elle a donné lieu. Ce travail, d'ailleurs, a été fait cent fois. Nous nous bornerons ici, laissant de côté les faux dauphins, à examiner quelques points spéciaux, oubliés ou nouvellement éclaircis, de la survivance.

IL

On sait que du jour où la famille royale fut emprisonnée au Temple, du jour en particulier de la condamnation de Louis XVI, le parti royaliste ne cessa, avec une persistance et une fidélité qui méritaient un meilleur sort, de nouer des intrigues et des complots pour l'évasion soit de la reine, soit des enfants royaux.

Ces complots, dont l'âme fut une riche étrangère, Mme Atkyns, nous ont été révélés, soit par les procès tragiques auxquels ils donnèrent lieu, comme ceux de Cortey et de Batz, de Toulan et de Jarjayes, de Rougeville, etc.1, soit par les témoignages de ceux mêmes qui y furent mêlés plus ou moins directement, comme Hyde de Neuville, Frotté, Montgaillard, etc , soit enfin par les preuves écrites qui en ont été retrouvées.

Ainsi, dès le 7 juillet 1794, « le bruit s'était répandu dans Paris que le complot formé par le général Dillon avait réussi malgré l'arrestation de ce général et que Louis XVII avait été enlevé de la Tour. On disait que le jeune roi avait été vu sur le boulevard et porté en triomphe à Saint-Cloud. Au moment où la foule se dirigeait vers le Temple pour avoir des détails, le Comité de sûreté générale y envoyait une députation en toute hâte afin d'y constater la présence de

1. G. LENÔTRE, Le baron de Batz; — PAUL GAULOT, Un complot sous la Terreur; — G. LENÔTRE, Le vrai chevalier de MaisonRouge.


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l'enfant. Chabot et Drouet, qui faisaient partie de cette députation, ordonnèrent de faire descendre Louis XVII dans le jardin, afin qu'il y fût vu par la garde montante 1 ».

Ces bruits, multipliés par les échos de l'émigration et de la Vendée, ne firent que s'accroître au fur et à mesure que les royalistes eux-mêmes multipliaient leurs efforts autour du Temple et répandaient, dans l'entourage des prisonniers, leurs intrigues et les guinées de Mme Atkyns. Parmi les commissaires ou les officiers de service auprès des prisonniers, nous en connaissons au moins quatre : Toulan, Lepitre, Cortey et Michonis, qui leur étaient acquis, et il est aujourd'hui bien prouvé que Simon lui-même, le gardien de l'infortuné Dauphin, fut, sinon acheté, du moins rendu aveugle et muet vis-à-vis de certaines tentatives.

Aussi, quand se répandit dans Paris, au mois de juin 1795. la nouvelle de la mort de Louis XVII, personne n'y voulut croire 2, et, chose inattendue, c'est surtout dans le quartier de l'École de médecine qu'elle trouva surtout des incrédules.

C'est qu'il s'était produit simultanément à l'École un douloureux événement. Le chirurgien en chef du grand hospice d'humanité (Hôtel-Dieu), l'illustre Joseph Desault, et son ami le chirurgien Chopart, avaient été subitement, à quelques jours d'intervalle, enlevés par un mal mystérieux. Or, par décret du Comité de sûreté générale, Desault avait été désigné, le 6 mai précédent, pour donner des soins au Dauphin; il l'avait vu du 7 au 29 mai et était mort le 1er juin; le prince était mort le 8 juin, et Chopart, qui avait soigné Desault avec passion, était mort le lendemain, 9 juin.

Relier ensemble ces trois catastrophes soudaines, établir un lien d'origine là où il y avait déjà un lien chronologique, ne fut pour le public que l'affaire de quelques jours. Desault était à peine mort que l'esprit de parti s'emparait

1. IMBERT DE SAINT-AMAND, Les dernières années de Marie-Antoinette.

2. MERCIER, Nouveau tableau de Paris.


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de sa mémoire : pour les uns, il avait administré un poison lent à son jeune malade et les Comités l'avaient fait disparaître comme un complice gênant 1; pour les autres, au contraire, il avait refusé « de se prêter à des vues criminelles sur la vie de cet enfant 2 ».

Du moins personne ne mettait en doute qu'il eût parfaitement reconnu le Dauphin; il l'avait dit à tous ses amis, notamment au libraire Nicole et à Beaulieu 3. Plus tard, quand on inventa le mythe de l'évasion et de la substitution, on prétendit que c'était au contraire parce qu'il n'avait pas reconnu le Dauphin dans l'enfant qu'on lui présenta et qu'il avait laissé échapper sa stupéfaction de cette supercherie, qu'on l'avait supprimé 4!

S'il en est ainsi, on s'explique bien difficilement que la veuve de Desault, Marguerite Thouvenin, ait reçu du gouvernement une pension de 2,000 livres. Serait-ce également pour acheter son silence?

Mais nous pouvons immédiatement liquider cette question, car nous avons, sur la mort de Desault et de Chopart, le témoignage de l'homme le mieux informé et le plus clairvoyant de cette époque, de Xavier Bichat, l'ami et l'élève préféré de Desault.

Deux ans après la mort de Desault, Bichat publiait en effet, comme testament scientifique de son maître, le Traité des maladies chirurgicales de Chopart et Desault (2 vol. in-8°, Paris, Villier, an IV), et il inscrivait en tête de cet ouvrage une notice biographique qui ne laisse subsister aucune équivoque sur les causes de la mort des deux chirurgiens.

1. Versions de Cléry, La Rue, Serieys, etc. Cette opinion de l'empoisonnement du Dauphin eut à cette époque un certain crédit, et un Toulousain , Labouïsse-Rochefort, n'hésite pas à affirmer que le malheureux enfant fut empoisonné dans un plat d'épinards. (Souvenirs, année 1795, t. I, p. 127.)

2. BICHAT, Notice sur Desault.

3. ECKARD, Mémoires histor. sur Louis XVII. Paris, Nicole, 1817.

4. JACQUELINE (SÉVERINE), Gil-Blas, 30 août 1889; — OSMOND, La question Louis XVII. Publications de « La Plume », 1900.


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Desault, y lit-on, était d'une santé délicate; surmené par le travail, il avait, peu auparavant, fait une maladie très grave qui l'avait profondément anémié; homme de coeur, il ressentait d'ailleurs douloureusement le contre coup des convulsions politiques qui déchiraient 1 la France. Le 28 mai 1793, sur une stupide dénonciation, il avait été arrêté au milieu de ses élèves et traîné au Luxembourg, « prison affreuse, dit Bichat, d'où l'on ne sortait presque jamais que pour aller au supplice». Par miracle cependant, il y échappa ; le Comité de sûreté générale le fit mettre en liberté. " Mais les troubles du 1er prairial, dernières agitations des agents du crime, affectèrent profondément son âme. La crainte de voir les proscriptions se renouveler le saisit; il se frappa et, dès lors, on le vit traîner une vie languissante. En vain, pour se distraire, chercha-t-il à s'entourer de ses amis. Que pouvait l'amitié contre le mal dont il portait le germe? Tous les symptômes d'une fièvre maligne se déclarèrent dans la nuit du 29 mai; bientôt leurs rapides accroissements, l'impuissance des moyens que leur opposaient des mains habiles firent présager quelle en serait la fin. Ses élèves apprirent en même temps sa maladie et le danger où il était. Ils accoururent empressés..., mais déjà il ne pouvait les distinguer. Un délire presque continuel, depuis l'invasion de la maladie, lui épargna le sentiment pénible des approches de la mort, qui vint terminer ses jours entre les bras de ses élèves le 1er juin 1795 ».

Ainsi voilà qui est clair, Desault est mort d'une fièvre typhoïde dont il traînait le germe depuis plusieurs jours. Quant à Chopart, nous dit Bichat, « affaibli par de longues infirmités, courbé sous une vieillesse prématurée et surtout profondément affecté de la perte de son ami, il est mort peu de jours après Desault, qu'il n'avait pas quitté pendant sa dernière maladie et dont il avait recueilli le dernier soupir ». — Ainsi « la mort n'a pas séparé longtemps ces deux hommes qu'une amitié constante avait unis pendant leur vie ». « Le vulgaire se persuada, ajoute le biographe, que De-


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sault avait été empoisonné. Ce bruit, accrédité encore aujourd'hui dans l'esprit de plusieurs personnes, eut pour fondement l'époque de sa mort, qui ne précéda que de quelques jours celle du fils de Louis XVI, qu'il voyait malade dans sa prison du Temple. On publia qu'il mourait victime de son refus constant de se prêter à des vues criminelles sur la vie de cet enfant. Quel est l'homme célèbre dont la mort n'a pas été l'objet des fausses conjectures du public 1 »?

III.

A Desault succéda, le 5 juin, comme médecin du malheureux prisonnier, le chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu, Philippe-Jean Pelletait.

Il résulte d'une déclaration de celui-ci, publiée en 1896 par la Revue rétrospective, qu'avant d'être appelé officiellement au Temple, Pelletan, pendant la maladie de Desault, avait déjà vu le Dauphin et que, par conséquent, il ne se trouva pas, comme on l'a prétendu, en présence d'un enfant •inconnu. Il jugea même la situation si alarmante que, dès son entrée en fonctions, il se faisait adjoindre le premier médecin de l'Hôpital de l'Unité (Charité), Dumangin; celui-ci vit le Dauphin la veille de sa mort, le 7 juin.

Dès que la nouvelle de cette mort fut portée par les commissaires de service, Gomin et Damont, à la connaissance du Comité de Sûreté générale, le Comité se hâta d'envoyer au Temple, pour constater le décès, un de ses secrétaires, Bourguignon ; puis, comme il n'ignorait pas les bruits d'évasion et de substitution qui couraient dans le public et comme l'identité du décédé et du Dauphin était incontestable, il résolut de donner à la constatation de cette identité la plus grande publicité possible.

En conséquence, dès le 9 au matin, quatre membres du

1. BICHAT, Notice sur Desault dans le Traité des maladies chirurgicales, p. 22,


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Comité se rendirent au Temple, visitèrent le cadavre et, comme les ordres pour l'autopsie avaient été donnés dès la veille, ils prescrivirent aux commissaires de la prison de faire, conformément à la loi, la déclaration du décès au commissariat de police de la section du Temple.

C'étaient, en effet, les commissaires de police qui recevaient à cette époque les déclarations de décès, et c'est sur leur certificat que les actes de décès étaient ensuite dressés à la municipalité 1. Le certificat du commissaire de police Dussert fut établi le 10 juin, sur la déclaration des gardiens Lasne et Gomin et des commissaires de service Arnoult et Godet; l'acte de décès fut établi le 12 juin à la réquisition de Lasne. Ces pièces sont absolument régulières et irréfutables.

Le 9, à la tribune de la Convention, Sevestre avait, en quelques mots, comme membre du Comité de Sûreté générale, fait part à ses collègues de l'avènement. « Depuis quelque temps, dit-il, le fils de Capet était incommodé par une enflure au genou droit et au poignet gauche. Le 1er floréal (20 avril) les douleurs augmentèrent, le malade perdit l'appétit et la fièvre survint à deux heures et quart de

l'après-midi nous avons reçu la nouvelle de la mort du fils de Capet »

Cette déclaration, comme on le voit, était fort nette, mais le Comité ne s'en tint pas là. Indépendamment de la visite du corps et de la reconnaissance qui avaient été faites par les deux gardiens ayant assisté au décès (Lasne et Gomin), par les trois commissaires de service (Damont, Arnoult et Godet), par le secrétaire (Bourguignon) et par quatre membres du Comité, par le commissaire de police (Dussert) et par le commissaire de surveillance, Guérin, avant l'inhumation (12 juin), il voulut encore que la reconnaissance du cadavre fût faite par les officiers et les sous-officiers de la garde montante et de la garde descendante. Cette dernière opéra1.

opéra1. de décès de Louis XVII a été brûlé, en 1871, dans l'incendie de l'Hôtel-de-Ville ; mais de Beauchesne en avait fait faire le facsimilé. Il est surprenant que l'exactitude de ce document n'ait pas encore été contestée.


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tion eut lieu deux fois au moins, le 10 juin et, avant l'inhumation, le 12 juin.

Ce luxe de précautions ne se comprend que si l'on admet de la part du Comité de Sûreté générale la certitude absolue de l'identité du Dauphin et l'impossibilité de toute contestation à ce sujet. C'eût été, en effet, une étrange conduite de la part de gens qui risquaient leur tète à une substitution, que de multiplier ainsi autour du cadavre d'un faux Louis XVII les visites et les vérifications. Or si, parmi ceux qui prirent part à ces opérations, tous ne connaissaient pas également l'ex-Dauphin, et si tous n'apportèrent pas la même attention à leur examen, il en était beaucoup, comme le dit très bien la Sicotière 1, « qui pouvaient attester l'identité avec certitude; pas un seul ne l'a révoquée en doute ».

En ce qui concerne le procès-verbal d'autopsie, il ne peut davantage y avoir d'hésitation. Le Comité avait, dans la soirée du 8, fait connaître aux commissaires du Temple que « les deux officiers de santé chargés de traiter le fils de Capet » seraient, avec deux de leurs confrères, chargés de cette opération. On remarquera que le choix de ces derniers était laissé à Pelletan et à Dumangin, ce qui ne se comprend guère si le Gouvernement avait besoin de complices.

On a prétendu qu'aucun de ces quatre experts ne connaissait le Dauphin; c'est une de ces assertions gratuites comme il en abonde dans toute cette affaire. Jeanroy, professeur à l'Ecole de médecine depuis quarante ans, avait été médecin de la maison de Lorraine; Lassus, professeur de médecine légale, était l'ancien chirurgien de Mme Victoire de France, et il est fort probable que c'est en raison de ces titres que Pelletan et Dumangin se les étaient adjoints. Du reste, ils vécurent tous assez longtemps pour affirmer leur conviction de l'identité; et Pelletan en était si bien convaincu qu'au cours de l'autopsie, profitant de l'inattention de ses collègues, il s'empara du coeur du Dauphin et le glissa dans sa poche 3.

1. Revue des questions historiques, t. XXXII, 1882, p. 168.

2. Sur les infortunes de ce viscère, voir les études de M. Cabanès et un article de l'Intermédiaire du 30 juillet 1895.


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Quant aux termes mêmes du procès-verbal d'autopsie, que l'on a si souvent incriminés, « nous avons trouvé dans un lit le corps mort d'un enfant qui nous a paru âgé d'environ dix ans, que les commissaires nous ont dit d'être celui du fils de défunt Louis Capet et que deux d'entre nous ont reconnu pour être l'enfant auquel ils donnaient des soins depuis quelques jours », ces termes ne sont autres que ceux couramment employés dans les pièces de ce genre et, aujourd'hui encore, la formule en serait la même, la constatation de l'identité n'appartenant pas aux médecins chargés de l'autopsie.

Mais dans le public, très amateur, à cette époque troublée, de mélodrames et de romans sentimentaux, très sensible, comme on disait, la conviction que le Dauphin n'était pas mort persistait de plus belle. On parlait d'articles secrets ajoutés au traité de la Jaunaye, signé le 29 pluviôse an III, entre les chefs vendéens et le Gouvernement, et l'on ne doutait pas que ces articles n'eussent rapport au Dauphin. On s'apitoyait sur les victimes de la Terreur, et tel pauvre journal, comme les Mémoires d'un détenu, de Riouffe, faisait couler plus de larmes que réchafaud lui-même 1.

C'est le moment que choisit un écrivain populaire, Regnault-Warin, pour lancer dans le public un roman absurde, mélodrame macabre et larmoyant, hérissé d'impossibilités, où il faisait raconter par l'abbé Edgeworth de Firmont l'évasion et les aventures de Louis XVII. C'est à minuit, dans le Cimetière, qu'avait lieu ce récit : de là le titre du roman.

Le Cimetière de la Madeleine eut un immense succès, et, comme les romans d'Alexandre Dumas devaient le faire plus tard, il fit d'une légende une vérité historique. Tous les faux dauphins, Hervagault, Mathurin Bruneau, Richemont, Naundorf, etc., y puisèrent les canevas divers de leur fable, tels le cheval de carton ou la manne d'osier qui sert à l'évasion, l'intervention des Vendéens et de Charette, et même les proclamations imaginaires, sorties du cerveau de Re1.

Re1. à ce sujet une lettre de Mme de Beaumont à Chateaubriand.


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gnault-Warin et signées de noms de fantaisie, que Naundorf devait un jour citer comme documents historiques!

On ne remonte pas de pareils courants, et Pelletan s'en aperçut bien. Personne ne voulut croire que le coeur qu'il avait soustrait fût celui de Louis XVII, et c'est précisément autour de lui, parmi ses élèves, qu'en dépit de ses protestations, la version de la substitution continua à trouver des partisans.

Cela finit même par aller si loin que l'Empereur en fut agacé. 11 écrivait, en effet, de « Saint-Cloud, 20 septembre 1808 », au ministre de la police : « Monsieur Fouché, faites arrêter un nommé Navailles, élève en chirurgie, qui tient toute sorte de propos. Interrogez-le sur le propos qu'il dit tenir du sieur Pelletan. C'est un mauvais sujet qu'il ne faut pas laisser à Paris 1 ».

IV.

Nous ne nous arrêterons pas aux reconnaissances faites longtemps après, d'après des signes physiques ou d'après certaines particularités de leurs souvenirs, par des personnes qui avaient plus ou moins approché la famille royale. Tous les prétendus dauphins ont été reconnus : Hervagault par l'ancien évêque de Viviers, Lafont de Savine; Richemont par l'abbé Tharin; Naundorf par Mme de Rambaud, et, dans un roman récent, le Roi, M. Henri Lavedan a fait, avec sa fine et cruelle ironie, la psychologie de ces fanatiques et aveugles apôtres de la royauté 2.

Arrivons immédiatement aux faits nouveaux que M. G. Lenôtre a produits sur la question.

1. Lettres inédites de Napoléon, par L. de Bretonne. Nouvelle Revue, 1894, t. LXXXVI, p. 454.

2. Il en est de môme des assertions persévérantes des naundorfistes à l'égard des sentiments personnels de la duchesse d'Angoulême. (Voir à ce sujet un article de M. A. Lanne, dans le n° 3, mars 1905, de la Revue de la question Louis X VII.) Il y a été répondu d'une manière indiscutable dans l'Intermédiaire du 10 mars 1894.


LE MYSTÈRE DU TEMPLE. 111

M. Gosselin-Lenôtre est, à notre époque, le maître incontesté du document révolutionnaire, et on peut dire qu'il a renouvelé, par la précision, la richesse et l'originalité de ses informations, l'étude documentaire de la Révolution.

Il avait été enrégimenté par M. Otto Friedrichs dans la pléiade des écrivains naundorfistes, car on le trouve au nombre des auteurs du recueil si intéressant de propagande publié par « La Plume », sous le titre de : La Question Louis XVII 1; mais sa conviction semblait assez tiède. Il écrivait, en effet, dans une étude sur le cordonnier Simon, que « ce problème (de la survivance de Louis XVII), qui comporte déjà plus de mille volumes ou brochures, ne pourrait pourtant pas, dans l'état actuel de la question, fournir cinquante lignes sérieuses à un historien 2 ». Mais, comme cela arrive presque toujours aux historiens, M. Lenôtre s'est donné à lui-même un démenti.

Il s'est, en étudiant la personnalité de la veuve du cordonnier Simon, l'étrange précepteur que la Commune de Paris avait donné au fils de Louis XVI, épris de son sujet et, sur sur les témoignages tardifs de cette femme, servi par des recherches persévérantes et par d'heureuses trouvailles, il a apporté à la solution du « Mystère du Temple » une contribution aussi importante qu'ingénieuse et originale 3.

Antoine Simon, misérable savetier de la rue des Cordeliers, était marié depuis cinq ans quand il fut, par la protection de Chaumette, désireux de donner au Dauphin une éducation civique et plébéienne, nommé, le 3 juillet 1793, gouverneur ou précepteur du Dauphin, au Temple. Il recevait pour cette odieuse mais trop facile mission 4 6,000 livres de traitement et sa femme en avait 3,000.

1. Paris, in-4°, Société anonyme « La Plume », 31, rue Bonaparte.

2. G. LENÔTRE, Vieilles maisons, Vieux papiers, 2e série, p. 19.

3. G. LENÔTRE, La femme Simon, dans Vieilles maisons, Vieux papiers, 2e série, p. 3. — G. LENÔTRE, Louis XVII s'est-il évadé du Temple? Lecture pour tous, octobre 1904.

4. On a discuté avec passion sur le rôle de Simon auprès du Dauphin; il nous répugne d'admettre à la vérité que ce misérable n'ait été que l'exécuteur des basses-oeuvres de certains politiciens qui, selon


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La femme Simon avait alors quarante-huit ans. C'était une forte femme, aux traits durs, dont la misère avait depuis longtemps émoussé la sensibilité, mais que M. Lenôtre s'efforce cependant de réhabiliter aux yeux de la postérité. Elle était en effet active, vaillante au travail, bonne ménagère, s'entendant un peu à la médecine, et bien qu'elle trouvât que tout était pour le mieux sous un gouvernement qui assurait à son ménage 9,000 livres d'appointements, plus le logement et une infinité d'autres avantages, elle avait la conscience obscure que cela ne pouvait durer. Il est certain, en conséquence, que, loin de martyriser le Dauphin, elle lui assura les soins matériels qui lui étaient nécessaires. Malheureusement elle ne remplaça pas sa mère et, ce que M. Lenôtre omet de nous dire, elle buvait.

Les Simon étaient entrés en fonctions le 6 juillet 1793; le 19 janvier 1794 ils quittaient brusquement le Temple. Simon avait, disait-on, donné sa démission parce qu'un arrêté du 2 janvier avait interdit le cumul des emplois salariés et des fonctions de membre du Conseil général.

Or, Simon après son départ ne se montra pas plus au Conseil général qu'à la prison ; il disparut, se cacha, se terra, si bien qu'au 9 thermidor, époque à laquelle il fut arrêté dans un café, enlevé, jeté en prison et guillotiné le lendemain (28 juillet 1894), il fut introuvable. De plus, son déménagement du Temple, opéré hâtivement, à l'entrée de la nuit, par des voituriers inconnus, avait coïncidé avec certains bruits fâcheux, certaines rumeurs d'évasion qui avaient ému le quartier du Temple et qui expliquent l'ombre dans laquelle Simon s'était évanoui. Enfin, le précepteur ne fut pas remplacé et, le lendemain de son départ, la rigueur de la détention redoubla pour le prisonnier.

l'expression de Sénar. « ne voulaient pas le tuer ni l'empoisonner, mais voulaient s'en défaire »; malheureusement il est trop certain qu'en ruinant la santé de l'enfant par le vin et l'eau-de-vie, en le dépravant par des images et des livres obscenes, en l'abrutissant par cette réclusion ininterrompue, Simon obéissait à des ordres supérieurs. (Voir A. Bégis, Intermédiaire, 20 septembre 1894.)


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La surveillance militaire fut doublée : le Dauphin ne sortit plus; il fut relégué dans une chambre obscure dont la porte fut coupée à hauteur d'appui, scellée à clous et à vis et grillée du haut en bas avec des barreaux de fer; un guichet seul permettait le passage des aliments dans cet in pace. Dès lors, l'enfant vécut seul et les gens de la prison cessèrent de s'occuper de lui; il vécut clans ses ordures, sur un grabat pourri, sans linge, presque sans vêtements, sans distraction ni exercice, presque sans air et sans lumière. Ce serait à n'y pas croire si nous n'avions de tout cela des témoignages formels. Aussi ne tarda-t-il pas à perdre l'appétit et à s'affaiblir; il fut « bientôt obligé de rester étendu sur son lit la plupart du temps, même pendant le jour 1 ».

Que devenait pendant ce temps la femme Simon ?

Traquée par la police thermidorienne, abreuvée d'insultes et de malédictions, réduite à la pire abjection, elle chercha l'oubli, comme les misérables, dans la boisson, et tomba à un tel degré d'affaissement cérébral qu'elle dut être admise, le 12 avril 1796, aux Incurables de la rue de Sèvres.

C'est là qu'elle devait mourir vingt-cinq ans après, le 10 juin 1819, et c'est là que la célébrité devait venir la chercher.

A peine, en effet, les Bourbons étaient-ils remontés sur le trône que, comme un témoin important, la femme Simon fut de toutes parts interrogée, fouillée, ou pourrait dire crochetée, sur les événements auxquels elle avait été mêlée. Commissaires de police, juges et magistrats vinrent recueillir ses dépositions; elle fut mandée au ministère de la justice et même, dit-on, aux Tuileries; enfin, les prétendants, les faux Dauphins, qui surgissaient de tous côtés, l'assiégèrent à leur tour afin d'en tirer de victorieuses confidences; et c'est précisément par les interviews de l'un d'eux (qu'elle reconnut), Henri-Ethelbert-Louis-Victor Hébert, dit de France, dit le colonel Lemaître, dit le comte de Saint-Julien, dit le baron de Richemont (nous en passons encore),

1. A. BEGIS, Intermédiaire, 20 septembre 1894.

10e SÉRIE. — TOME V. 8


114 MÉMOIRES.

que nous sont parvenues ses plus curieuses révélations.

Nous disons les plus curieuses, car dans ses premières dépositions elle varia constamment, prétendit avoir eu des confidences de Desault 1, s'embrouilla, se rétracta, mais enfin s'arrêta à un scénario qui présentait l'évasion du Dauphin comme réalisée par ses soins dans la nuit du 19 janvier 1794, et dans lequel se retrouvent en partie les romanesques inventions de Regnault-Warin.

C'est sur ce témoignage que M. G. Lenôtre, oubliant l'état mental de la pauvre femme, oubliant ses variations, oubliant que le fait seul d'avoir reconnu Richemont comme l'enfant royal la condamnait irrémissiblement, oubliant enfin que ses révélations nous ont été transmises par un effronté mystificateur, a basé les premiers linéaments de son système. A la vérité, nous admettons avec M. Lenôtre que Richemont, dans la crainte de se voir démenti par les dépositions judiciaires de la femme Simon, dont il n'avait pu avoir con naissance, a dû nous transmettre aussi fidèlement que possible les renseignements qu'il tenait d'elle. Mais combien encore ce chaînon est fragile!

Le fait essentiel, démonstratif de la véracité de la Simon, serait la révélation du nom du personnage qui, sous le déguisement d'un voiturier, aurait, pendant le déménagement des Simon, introduit au Temple dans un cheval de carton l'enfant qui fut substitué au Dauphin et en aurait enlevé, roulé dans un paquet de linge sale, le Dauphin luimême, que l'on avait préalablement endormi au moyen d'un narcotique. Ce personnage, dit Richemont, s'appelait Jenais Ojardia.

Or c'est bien là une révélation, car un personnage du nom de Genès ou mieux Géniès (Janvier) Ojardias, originaire de Thiers en Auvergne, avait joué un rôle de premier ordre, comme agent royaliste, dans les tentatives d'enlève1.

d'enlève1. notamment la déclaration du 16 novembre 1816, rapportée par M. Bégis (Intermédiaire, 10 octobre 1894). Os déclarations ont été publiées par M. Nauroy dans la Nouvelle Revue.


LE MYSTERE DU TEMPLE. 115

ment du Dauphin au Temple, et le nom comme le rôle de cet obscur conspirateur ne furent divulgués pour la première fois qu'en 1832 par la publication du Mémoire de Morin de Guérivière 1. Il est donc certain que la Simon l'a connu et par conséquent qu'elle a été mêlée aux complots royalistes.

Il y avait là une indication précieuse à suivre, et un chercheur passionné tel que M. G. Lenôtre ne devait pas la négliger.

Il se mit en chasse et arriva non seulement, à l'aide des renseignements de Morin de Guérivière et de fouilles persévérantes dans les Archives, à reconstituer l'existence d'Ojardias, mais encore il découvrit, à Thiers où il était né, les descendants directs de l'aventureux agent, qui lui confirmèrent l'exactitude des récits de Morin et de la femme Simon.

Il apprit de la sorte qu'après avoir été la cheville ouvrière, l'homme de main du complot royaliste qui aurait enlevé le Dauphin, avec la complicité des Simon, dans la nuit du 19 janvier 1794, Ojardias avait noué une nouvelle intrigue avec les gardiens du Temple dans les premiers mois de 1795; que le 7 juin, veille de la mort du Dauphin, il avait quitté Paris en poste, emmenant un enfant de dix ans sur la route d'Auvergne; qu'il avait fait mille folies, jusqu'à rosser le postillon de deux Conventionnels rencontrés sur son chemin, proclamant partout que cet enfant était le roi, le fils de Louis XVI; mais que, le lendemain, la nouvelle authentique de la mort du Dauphin étant parvenue à Thiers, Ojardias, interloqué, stupéfait, avait disparu. Quelques jours après il était découvert par quatre individus affiliés à une bande royaliste, assassiné et jeté dans un étang.

L'enfant n'était autre que Morin de Guérivière qui devait plus tard raconter cette aventure. Quant aux assassins, on

1. Quelques souvenirs destinés à servir de complément aux preuves de l'existence du duc de Normandie, fils de Louis XVI, par Morin de Guérivière. Paris, chez les marchands de nouveautés, 1832; in-8° de 36 pages.


116 MÉMOIRES.

ne put rien tirer d'eux, sinon qu'ils s'étaient défaits d'Ojardias parce que c'était « un agent de la police générale »; leurs noms, des plus vulgaires, sont évidemment d'emprunt et ne nous apprennent rien; ils périrent d'ailleurs tous quatre de mort violente, un dans sa prison, deux sur l'échafaud et le dernier dans une rixe.

Cet imbroglio tragique eût découragé tout autre que M. G. Lenôtre; c'est au procès Naundorf qu'il emprunta les premiers éléments de sa solution.

Naundorf avait, en effet, produit aux débats, pour prouver la réalité de l'évasion du Dauphin, trois lettres ou plutôt trois copies de lettres, dont il refusait de faire connaître la provenance, mais qui, assurait-il, avaient été écrites par Laurent, gardien du Temple après le 9 thermidor, et étaient adressées à un général, dans les derniers mois de la captivité du Dauphin.

Voici ces lettres :

1re LETTRE.

Mon Général,

Votre lettre du 6 courant m'est arrivée, et trop tard, car votre premier plan a déjà été exécuté parce qu'il était temps. Demain, un nouveau gardien doit entrer en fonctions : c'est un républicain nommé Commier (Gomin), brave homme, à ce que dit B..., mais je n'ai aucune confiance à de pareilles gens. Je serai bien embarrassé pour faire passer de quoi vivre à notre P... (prince), mais j'aurai soin de lui et vous pouvez être tranquille. Les assassins ont été fourvoyés et les nouveaux municipaux ne se doutent pas que le petit muet a remplacé le D... (dauphin). Maintenant il s'agit seulement de le faire sortir de cette maudite tour, mais comment? B... m'a dit qu'il ne pouvait rien entreprendre à cause de la surveillance. S'il fallait rester longtemps, je serais inquiet de sa santé, car il y a peu d'air dans son oubliette, où le bon Dieu même ne le trouverait pas s'il n'était pas tout-puissant. Il m'a promis de mourir plutôt que de se trahir lui-même; j'ai des raisons pour le croire. Sa soeur ne sait rien; la prudence me force de l'entretenir du petit muet comme s'il était son véritable frère. Cependant, ce malheureux se trouve bien heureux et il joue, sans le savoir,


LE MYSTÈRE DU TEMPLE. 117

si bien son rôle que la nouvelle garde croit parfaitement qu'il ne veut pas parler ; aussi il n'y a pas de dangers.

Renvoyez bientôt le fidèle porteur, car j'ai besoin de votre secours. Suivez le conseil qu'il vous porte de vive voix, car c'est le seul chemin de notre triomphe.

Tour du Temple, 7 novembre 1794.

2me LETTRE.

Mon Général,

Je viens de recevoir votre lettre. Hélas ! votre demande est impossible. C'était bien facile de faire monter la victime, mais la faire descendre est actuellement hors de notre pouvoir, car la surveillance est si extraordinaire que j'ai cru d'être trahi. Le Comité de sûreté générale avait, comme vous savez, déjà envoyé les monstres Mathieu et Reverchon, accompagnés de M. H... (Harmand) de la Meuse pour constater que notre muet est véritablement le fils de Louis XVI. Général, que veut dire cette comédie? Je me perds et ne sais plus que penser de la conduite de B... Maintenant, il prétend de faire sortir notre muet et le remplacer par un autre enfant malade. Etez-vous instruit de cela? N'est-ce pas un piège? Général, je crains bien des choses, car on se donne bien des peines pour ne laisser entrer personne dans la prison de notre muet, afin que la substitution ne devienne pas publique; car si quelqu'un examinait bien l'enfant, il ne lui serait pas difficile de comprendre qu'il est sourd de naissance et par conséquent naturellement muet. Mais substituer encore un autre à celui-là! l'enfant malade parlera et cela perdra notre demi-sauvé et moi avec. Renvoyez le plus tôt possible notre fidèle et votre opinion par écrit.

Tour du Temple, du 5 février 1795.

3me LETTRE.

Mon Général,

Notre muet est heureusement transmis dans le palais du Temple et bien caché ; il restera là et, en cas de danger, il passera pour le Dauphin. A vous seul, mon Général, appartient ce triomphe. Maintenant, je suis tranquille. Ordonnez toujours et je saurai obéir. Lasne prendra ma place. quand il voudra. Les mesures les plus sûres et les plus efficaces sont prises pour la


118 MÉMOIRES.

sûreté du Dauphin. Gonséquemment, je serai chez vous en peu de jours pour vous dire le reste de vive voix.

Tour du Temple, 3 mars 1795.

A qui sont adressées ces lettres? — A Frotté, a-t-on dit d'abord, puis à un autre général vendéen, enfin à Pichegru ou à Hoche! Quant au B... mystérieux qu'elles mettent en cause et dans lequel certains ont voulu voir Barrère, les naundorfistes n'hésitent pas, c'est Barras 1.

Du reste, ces lettres semblaient si bien fausses, fabriquées pour la cause, que tout le monde, les juges, les adversaires de Naundorf 2 et même ses partisans, comme Louis Blanc, refusèrent de les admettre.

Or, et c'est là l'information capitale que nous apporte la dernière étude de M. G. Lenôtre, « les lettres de Laurent sont vraies. Nous, avons, ajoute-t-il, de leur authenticité des preuves absolues, irrécusables 3 ».

La manière dont M. G. Lenôtre a obtenu ces preuves vaut la peine d'être contée.

On a vu que l'inspiratrice et la caissière des complots royalistes de cette époque était une anglaise, Charlotte Atkyns, de Kettringham-Hall, qui, avec un dévouement et une énergie sans limites, consacra sa fortune et sa vie à la chimère d'une délivrance de la famille royale. L'or de Pitt, que signalaient tous les pamphlétaires et qui alimentait les exploits du baron de Batz, n'était en réalité que l'or de Mme Atkyns.

Nous ne connaissions cette mystérieuse héroïne que par la correspondance très incomplète de Frotté et par quelques lignes que lui avait consacrées M. de la Sicotière dans ses études sur Frotté et sur les faux Dauphins 4. On savait néan1.

néan1. par exemple, l'article de M. Osmond dans La Question Louis XVII. « La Plume, » 1900, pp. 44 et 45.

2. Elles sont, dit la Sicotière, « la condamnation honteuse des prétentions du fabricateur ». Revue des quest. hist., 1882, t. XXXII, p. 585.)

3. G. LENÔTRE, Lectures pour tous (octobre 1904, p. 12).

4. DE LA SICOTIÈRE, Les faux Dauphins, Revue des questions historiques, 1882, t. XXXII, p. 576, et Mémoires inédits de Frotté (dans


LE MYSTÈRE DU TEMPLE. 119

moins qu'elle était morte en France et qu'elle avait été mise en cause dans les débats du procès de Mathurin Bruneau.

C'est en suivant la filière de ces indications que M. G. Lenôtre a pu retrouver, déposés depuis près d'un siècle dans une étude de notaire ou enfouis au fond de la Bretagne, le testament de Mme Atkyns et une centaine de lettres à elle adressées par les conspirateurs royalistes à sa dévotion, en particulier par M. de Cormier.

Or ces lettres, dont l'authenticité est indiscutable, expliquent, éclairent et authentifient jusqu'à l'évidence les lettres en apparence si suspectes de Laurent et nous initient par le menu à tous les détails d'un plan d'évasion combiné, dans les premiers mois de 1795, avec la complicité des gardiens du Dauphin, par les agents royalistes.

« Pour assurer le voyage du fugitif jusqu'en Vendée, il avait été décidé qu'on expédierait ostensiblement, dans une direction tout opposée, un enfant de l'âge et de la tournure du jeune roi, sous la conduite d'un homme résolu. Tandis que toute la police, à la nouvelle de l'évasion, s'égarerait sur cette fausse piste, le Dauphin aurait le temps de gagner clandestinement les provinces de l'Ouest 1 ».

Voilà l'explication de l'équipée d'Ojardias, l'homme résolu, et du petit Morin de Guérivière.

La physionomie du complot se précisait encore par ce qu'on savait du gardien du Temple, Laurent.

Ce Laurent, membre du Comité révolutionnaire de la section du Temple, était « un chaud patriote, même un honnête homme » (La Sicotière), que Barras avait, assez irrégulièrement, après le 9 thermidor, fait nommer par le Comité de Sûreté générale, gardien des enfants de Louis XVI. On s'est généralement accordé à voir en lui l'homme de Barras; nous ne serions pas surpris qu'il ait été, non point son complice mais sa dupe, et que Barras l'ait amené, par la crainte

L. de Frotté et les insurrections normandes). — G. LENÔTRE, Le baron de Batz, p. 23, et Le vrai chevalier de Maison-Rouge, p. 124. 1. G. LENÔTRE, Lecture pour tous, p. 15.


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d'un enlèvement, par la savante exploitation des rumeurs et des complots royalistes, à se prêter à bon nombre d'irrégularités et de machinations, notamment à une substitution qui, dans l'esprit du gardien, était simplement destinée à préserver le Dauphin d'un danger imaginaire 1.

Quoi qu'il en soit, de ces données hétérogènes M. G. Lenôtre a cru pouvoir tirer des événements du Temple une version très romanesque qui peut se résumer ainsi : le 19 janvier 1794, enlèvement du Dauphin par Ojardias et substitution au prisonnier d'un enfant du même âge; après le 9 thermidor, substitution à cet enfant, par Laurent, qui s'est aperçu de la supercherie et qui espère par là prévenir" les indiscrétions du prisonnier, d'un sourd-muet; enfin, au mois de mars 1795, subtitution au sourd-muet d'un nouvel enfant moribond 2. C'est à cette dernière opération que se rapporteraient les lettres de Laurent.

On avouera que trois substitutions en si peu de temps, c'est beaucoup pour une maison aussi gardée et aussi bien surveillée que le Temple en 1794 et 1795. Ces tours d'habileté, possibles et réalisables avec la connivence secrète des pouvoirs publics (et on verra que cette connivence ne manqua pas aux royalistes), peuvent se réussir une fois, deux fois même; mais si l'on songe aux difficultés de l'entreprise, aux complicités nouvelles et aux indiscrétions qu'elles suscitent, on jugera bien difficile que la même opération ait réussi trois fois de suite sans à coup.

Ce n'est pas d'ailleurs la seule invraisemblance qui se présente dans le système de M. Lenôtre. Comment se fait-il que si le Dauphin s'est évadé le 19 janvier 1794 par les soins de la femme Simon, les royalistes négocient et complotent encore au mois de janvier 1795 pour son évasion?

1. Cela expliquerait du moins pourquoi il parle d'assassins dans sa première lettre.

2. Nous ferons remarquer que si cette dernière substitution n'a eu lieu qu'en 1795, il est bien difficile d'expliquer que Barras ait déjà constaté ses lésions scrofuleuses le 28 juillet 1794. A moins que les trois enfants ne fussent également et semblablement scrofuleux.


LE MYSTÈRE DU TEMPLE. 121

Comment se fait-il qu'Ojardias, qui a été l'agent direct du premier enlèvement, se fasse encore l'instrument du second et, dès les premières ouvertures, ne révèle pas aux conjurés que l'enfant qui vit au Temple n'est pas le Dauphin? C'est là, avoue M. Lenôtre, une question « effarante ».

Oui, effarante et décevante, car elle condamne sans appel le système. En amalgamant et en accordant une égale valeur aux deux ordres de témoignages qu'il avait recueillis, c'est-à-dire aux révélations de la Simon et aux lettres de M. de Cormier, M. Lenôtre a commis une erreur, car si les derniers sont indiscutables, les premiers, au contraire, sont des plus suspects; il a même fallu à M. Lenôtre, pour ne s'en apercevoir point, toute son indulgente sympathie pour la veuve du cordonnier. Il a accepté intégralement, sur la foi de la révélation d'Ojardias, des témoignages dont il fallait faire le choix judicieux, qu'il fallait passer au crible d'une mentalité gravement troublée.

Voilà, en effet, une femme dont la raison a le droit d'être altérée par les terribles épreuves de sa vie 1; elle a frôlé la guillotine, connu la faim et la honte, cherché l'oubli clans la boisson; elle est, parmi ses compagnons de misère, un objet à la fois de curiosité et d'horreur; on l'évite; on l'insulte ; elle a été le bourreau de l'enfant martyr, la veuve Simon. Longtemps elle se tait, se contentant de bougonner comme un chien hargneux; puis, un jour, pour confondre ses persécuteurs, elle éclate : « Non, ce n'est pas vrai, elle n'est pas une louve; et la preuve, c'est que l'enfant n'est pas mort, qu'il s'est évadé du Temple et qu'elle même, avec Simon, a prêté les mains à cette évasion ». Dès lors, son siège est fait. Voilà le thème qu'elle répétera depuis, en variant toutefois sur des détails, en laissant imprécis nombre de points essentiels. Elle voudra parler à la duchesse d'Angoulème, à Hervagault, à Bruneau, etc. ; elle reconnaîtra Richemont; elle eût reconnu le diable.

1. « Elle jasait beaucoup mais sans suite », dit un rapport de police. M. Hallays a, dans le feuilleton des Débats du 21 octobre 1904, très bien examiné ce côté de la question.


122 MÉMOIRES.

Or, pour qui connaît la mentalité des dégénérés, cette évolution psychique est significative. De tels malades s'emparent, dans leur mémoire, d'un fait isolé, parfois minuscule, lui donnent peu à peu une valeur grandissante, groupent autour de lui les éléments d'un drame ou d'un roman et, au bout d'un certain temps, font de ce roman une chose vécue; ils l'ont, en effet, vécu par la pensée. Eh bien, la femme Simon, avec son cerveau affaibli et apeuré, a très bien pu, pour échapper à la réprobation des uns et dans un but de représailles contre les autres, non pas imaginer, mais broder peu à peu, en partant d'un fait vrai, le canevas de l'évasion.

Le fait vrai, indiscutable, c'est qu'il y eut, au moment du départ des Simon du Temple, une tentative d'enlèvement du Dauphin; c'est que Simon et sa femme connaissaient les projets des royalistes, avaient probablement reçu de l'argent pour faciliter le coup de main, ou du moins pour demeurer aveugles et neutres dans l'aflaire 1. De là à transformer une simple tentative en un enlèvement réussi, en une évasion véritable, il n'y avait qu'un pas. C'est évidemment ce pas qu'a fait, lentement et involontairement peut-être au début, mais plus tard avec la conviction inébranlable de l'inconscient, le cerveau meurtri de la femme Simon, et là nous semble véritablement toute la clef du problème.

Il est certain, en effet, qu'il y eut, le 19 janvier, avec la complicité tacite des Simon, un hardi coup de main sur le Temple; l'agent d'exécution en était Ojardias; mais, malgré son audace, le coup ne réussit pas. Il faut avouer d'ailleurs que ce cheval de bois ou de carton, renouvelé de Troie et de Regnault-Warin, était un stratagème assez piteux; ou c'était un grand cheval qui ne pouvait, dans ce cas, manquer d'attirer la défiance des municipaux, ou c'était un petit cheval, un jouet, qui, même avec des jupes, ne pouvait cacher un enfant 2.

1. Simon, pendant son déménagement, « payait la goutte à tout le personnel du Temple et le retenait à la buvette en manière d'adieux. » (Lenôtre.)

2. Il faut lire dans les Mémoires du duc de Normandie (Paris,


LE MYSTÈRE DU TEMPLE. 123

Aussi, le lendemain de cette tentative avortée, grand émoi au Temple, et les quatre commissaires, effrayés de la terrible responsabilité qu'ils encourent, voyant déjà l'échafaud dressé pour eux, ne trouvent pas de meilleur moyen, pour prévenir un enlèvement ou une nouvelle tentative, que de murer le Dauphin dans sa prison. Toute évasion devient dès lors impossible, et on s'explique naturellement que, dans le projet ultérieur où Ojardias fut encore employé, celui-ci n'ait pu révéler à ses patrons le secret « effarant » de la première évasion, puisque celle-ci n'avait pas réussi.

M. Lenôtre répugne à admettre que, simplement pour mettre leur responsabilité à couvert, les commissaires du Temple n'aient pas hésité à commettre cet abominable forfait. Hélas! bien d'autres preuves ont été données à cette époque de l'égoïsme, de la lâcheté et du mépris de la souffrance comme de la vie des autres auxquels la peur conduisit les hommes du pouvoir.

Voilà donc le Dauphin reclus. C'est un enfant chétif, lymphatique, héréditairement prédisposé à la tuberculose 1, déjà anémié par sa captivité, et dont l'intestin, irrité par la grossièreté des aliments et par le vin des geôliers, commence à s'enflammer. Il croupit jusqu'à la fin de juillet dans un cloaque infect, sans air, couvert de vermine, baignant dans ses ordures. Il était impossible, dans ces conditions, que l'ennemi qui le guettait ne fondît pas sur lui. Ce fut cette tuberculose spéciale des enfants étiolés, qui tuméfie le ventre, désorganise l'intestin, carie les os et noue les articulations.

Tel est l'état dans lequel, le 10 thermidor (28 juillet 1794) Barras trouva le malheureux prisonnier. Son récit a été maintes fois reproduit; mais comme il a été presque toujours altéré et que, même dans ses Mémoires, ce passage a

1831, p. 82) la description de ce cheval « artistement recouvert d'une véritable peau de l'animal qu'il représentait » et sous la longue queue duquel un soupirail avait été pratiqué. C'est d'une gaité folle.

1. C'est cette prédisposition que l'archiduchesse Marie-Louise devait transmettre au roi de Rome.


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été remanié par M. de Saint-Albin, nous le donnons tel que Barras l'a laissé dans une note autographe. « ... Je lui demandai comment il se trouvait et pourquoi il ne couchait pas dans le grand lit. Il me répondit : « Mes genoux sont enflés et me font souffrir aux intervalles lorsque je suis debout; le petit berceau me convient mieux ». J'examinai les genoux : ils étaient très enflés ainsi que les chevilles et que les mains. Son visage était bouffi, pâle. Après lui avoir demandé s'il avait ce qui lui était nécessaire et l'avoir engagé à promener (sic), j'en donnai l'ordre aux commissaires et les grondai sur la mauvaise tenue de la chambre 1 ».

Or, on ne saurait prétendre que Barras se soit trompé sur l'identité du Dauphin. Certainement, il n'était pas venu à la cour et n'avait probablement jamais vu l'enfant avant cette époque, mais Barras était loin d'être un naïf ou un imbécile. Il causa avec le prince, qui lui répondit, et d'ailleurs il connaissait son portrait, répandu, au début de la Révolution, dans tout Paris. Et cet homme, si fin, se serait laissé leurrer jusqu'à prendre un vagabond pour le fils de Marie-Antoinette? C'est inadmissible, ou bien il faut croire, avec les Naundorfistes, que Barras jouait la comédie.

Là est, en effet, une part de la vérité, car c'est lui, Barras, qui, dans cette mystification du parti royaliste, tient les ficelles de l'imbroglio.

On sait ce qu'était Barras, un intrigant poussé par le besoin d'argent, un jouisseur intelligent, dépourvu de scrupules aussi bien que de moralité, et qui ne vit dans la politique qu'un moyen de satisfaire ses goûts de luxe raffiné et son besoin de plaisir. Il connaissait l'énorme valeur marchande de son prisonnier et, comme il avait des relations dans tous les partis, il n'est pas douteux qu'il fût vite en relations avee les amis de Frotté et de Mme Atkyns 2.

C'est lui, avons-nous dit, qui avait placé Laurent, un

1. Mémoires de Barras. Introduction, tome I, page 12.

2. Voir à ce propos la lettre de Frotté publiée par LA SICOTIÈRE. Revue des Questions historiques, 1882, tome XXXII, page 577.


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homme à lui, au Temple, et c'est à lui incontestablement, non point à Hoche ni à Frotté, que furent adressées les trois lettres que nous avons rapportées. Depuis le 9 thermidor, il commandait la force armée de Paris et se faisait appeler « Mon général ». On peut même aller plus loin et soutenir qu'il est impossible que ces lettres, si elles sont authentiques, fussent adressées à un autre qu'à Barras.

Elles sont, en effet, trop dangereuses pour avoir été écrites à tout autre qu'à un personnage tout-puissant. Pour parler avec cette confiance cynique, il fallait que le correspondant du général fût certain, non seulement que ses lettres ne seraient pas interceptées, mais encore qu'elles ne sortiraient point du tiroir de son patron. Pour plus de sûreté, il le lie du noeud terrible de la complicité et ne manque pas de lui réclamer ses réponses par écrit.

Cette attribution, du reste, n'est point nouvelle. Louis Blanc en avait eu l'intuition et, chose étrange, La Sicotière, qui ne voulait même pas admettre ces lettres, a estimé que c'est « par inadvertance » que Louis Blanc avait désigné Barras, qu'il voulait dire Frotté 1.

Les raisons pour lesquelles Barras entrait en pourparlers avec les royalistes de Paris sont les mêmes que celles qui le faisaient à la même époque traiter à l'étranger avec Louis XVIII et s'assurer, par lettres patentes, la fortune et la sécurité. Il avait acheté Grosbois, qu'il fallait payer; il avait un train énorme de courtisans, de maîtresses, de policiers, de serviteurs qu'il fallait entretenir; il avait enfin cent intrigues, politiques non moins que galantes, qu'il fallait soutenir. Or le crédit était nul, les caisses de l'Etat étaient vides, absolument vides, et, quel que fût le cynisme avec lequel il y puisait, force lui était, pour avoir de l'argent, de s'adresser à ceux-là seuls qui en avaient encore, au parti royaliste 2.

1. LA. SICOTIÈRE, Les faux Dauphins. (Revue des questions historiques, 1882, tome XXXII, page 583, note.)

2. Pour comprendre quelle était, à cette époque, la pénurie du Trésor, il faut se rappeler que Dubois-Crancé avouait que la fabrica-


126 MÉMOIRES.

C'est dans ce but évidemment qu'il a placé Laurent au Temple et que, pour en tirer à l'occasion le parti le plus favorable, il a fait mettre au Temple un second enfant, une doublure du Dauphin.

Les deux captifs ont alterné, comme résidence, entre la chambre du prisonnier, les combles de la Tour et, peut-être, le château du Temple. La lettre du 7 novembre indique que le plan conçu entre Barras et Laurent a été exécuté, que le prisonnier a été habilement passé de son appartement aux combles et qu'on lui a substitué un sourd-muet. C'est ce dernier certainement qu'Harmand visita en janvier 1795 et dont le silence obstiné le surprit si étrangement 1; mais, s'il avait de bonnes raisons pour ne point parler, Laurent en avait de meilleures encore pour éluder l'ordre de le réunir à sa soeur.

En tout cas, ce qui est certain, c'est que le Dauphin, le véritable, fort malade, n'a pas quitté le Temple depuis son incarcération jusqu'à sa mort. Les témoignages à ce sujet abondent.

Nous avons vu celui de Barras, du 28 juillet 1794. Nous avons encore celui de l'architecte Bellanger à la veille de la mort, le 31 mai 1795 : il vit le prisonnier « couché et malade, se plaignant de douleurs qu'il ressentait aux genoux et qui l'empêchaient de se lever; il constata luimême que ses genoux, ses chevilles et ses mains étaient enflés, que son visage était bouffi et pâle... » 2. Nous avons la déclaration de Sevestreà la Convention, du 9 juin 17953; nous avons le témoignage si net, si catégorique de l'un des commissaires de surveillance, Guérin, à l'autopsie du prince : « J'avais vu le ci-devant Dauphin aux Tuileries... Je le

tion des assignats suffisait à peine à satisfaire, à raison de cent millions par jour, la moitié des besoins. (Les GONCOURT, La Société française pendant le Directoire, p. 140.)

1. Le récit d'Harmand se trouve dans ECKARD. Mémoires historiques sur Louis XVII, Paris, 1817, page 229.

2. A. BÉGIS, Curiosités révolutionnaires. Louis XVII. Paris et Riom, 1896, p. 17 et 33.

3. Revue des quest. hist., 1882, t. XXXII, p. 160.


LE MYSTÈRE DU TEMPLE. 127

reconnus, ce qui fut constaté sur le registre Tous (les

gardiens) le reconnurent et signèrent au registre .... 1 ». Nous avons la lettre formelle de M. de Montbel écrite de Frohsdorff, le 10 juin 1851, à l'abbé Gombalot, au nom de la duchesse d'Angoulème : « Elle (la duchesse) est positivement certaine que son frère est mort au Temple, d'après l'assertion formelle de témoins oculaires, hommes honnêtes qui connaissaient parfaitement l'enfant royal,.... qui ont reçu son dernier soupir, qui ont pris part à son autopsie et qui ont accompagné ses restes jusqu'au cimetière SainteMarguerite, où ils furent inhumés en leur présence 2 ». Mais nous avons surtout à ce sujet les témoignages de Laurent : « Je serai bien embarrassé pour faire passer de quoi vivre

à notre Prince les nouveaux municipaux ne se doutent

point que le petit muet a remplacé le Dauphin... s'il fallait l'ester longtemps, je serais inquiet sur sa santé... sa soeur ne sait rien : la prudence me force de l'entretenir du petit muet comme s'il était son véritable frère... ».

On a bien lu : sa soeur. Donc, l'enfant mis aux combles était le Dauphin, donc l'évasion du 19 janvier 1794 n'avait pas eu lieu. Le ton tout entier de cette lettre est, d'ailleurs, la preuve formelle de ce fait. Est-ce que Laurent donnerait à un substitué, à un enfant abandonné, les titres de Prince et Dauphin? — Non, certes. C'est bien Louis XVII, déjà très malade, qu'on a passé, pour livrer un faux Dauphin aux royalistes, aux combles de la tour et qu'on en devait faire descendre pour mourir.

Ainsi s'explique, d'ailleurs, le luxe de constatations que le gouvernement devait réclamer autour du cadavre de cet enfant; elles étaient destinées à la fois à convaincre les royalistes de la ruine de leurs illusions et à confondre les bruits qui couraient trop ouvertement; enfin, Barras était trop certain de leur issue pour n'en pas faciliter la multiplication.

1. Revue des quest hist., 1882, t. XXXII, p. 590.

2. Intermédiaire, 10 mars 1894.


128 MÉMOIRES.

La matérialité de la mort du Dauphin au Temple est donc indiscutable. Maintenant, Barras eut-il réellement l'intention de livrer le Dauphin, comme la correspondance de Mme Atkyns semble l'indiquer? — C'est possible. Il connaissait son état de santé et il savait qu'en le livrant il ne livrerait guère qu'un cadavre. Mais que ce fût le Dauphin ou que ce fût un enfant substitué qu'on livrerait pour le Dauphin la difficulté était la même. Il fallait le faire sortir du Temple.

Outre les gardiens, les geôliers, les municipaux, la garde extérieure, les commissaires de la Convention, il y avait surtout l'état de l'enfant, si malade, avec ses os cariés, ses genoux et ses chevilles en suppuration, qu'il lui eût été impossible de marcher, de se tenir debout, de se prêter aux nécessités physiques d'une évasion.

Et pendant cette attente, le temps marchait, les royalistes s'impatientaient, pressaient Barras. Laurent, désarçonné par la visite inopinée des commissaires de la Convention auxquels il avait été obligé de présenter, à la place du Dauphin, le petit muet, ne sachant si Harmand était dupe ou complice, demande, le 5 février, des explications à Barras : « Général, que veut dire cette comédie? »

D'autre part, c'est par l'intermédiaire de B..., c'est-à-dire Botot, le secrétaire du directeur, qu'il recevait les instructions de celui-ci. On connaît la moralité de ce Botot, fils d'un dentiste, personnage brouillon et agité, que Joséphine de Beauharnais prenait pour confident et pour courtier, qui traitait les affaires véreuses de son patron et qui devait en particulier négocier celle des lettres patentes. Laurent n'avait en lui qu'une médiocre confiance, c'est pourquoi il s'adresse directement au général et le prie de lui expliquer ce qu'il ne comprend pas, c'est-à-dire les complications nouvelles dans lesquelles Botot veut l'engager. « Je me perds et ne sais plus que penser de la conduite de B...; maintenant il prétend faire sortir notre muet et le remplacer par un autre enfant malade ». (5 février.)

C'est qu'en effet, à cette date, Barras, dont l'esprit d'in


LE MYSTÈRE DU TEMPLE. 129

trigue augmentait la lucidité, ne conservait plus aucune illusion sur l'état du Dauphin. Il avait compris qu'avec ces retards, la marchandise royale ne serait bientôt plus qu'un cadavre; et il avait pris des engagements. Il calcula sans doute, le diable le poussant, qu'il pourrait toujours prendre l'argent des royalistes, quitte à les mystifier en leur livrant, à la place de l'enfant moribond, dont il ferait avec éclat constater le décès, un faux Louis XVII. C'était le nouveau plan développé par Botot et qui effrayait si fort le timoré Laurent. Il exigeait pour réussir la simultanéité absolue de la mort du Dauphin et de l'enlèvement du faux Dauphin. C'est ce qui arriva.

Un second enfant, non plus un muet cette fois, était préparé et, comme le montre la correspondance de Laurent, fut substitué au sourd-muet entre le 5 février et le 3 mars 1795. C'est cet enfant qui, au moment où le Dauphin, le vrai, terminait son agonie dans les bras de Pelletan, fut livré aux royalistes.

Ainsi s'explique définitivement, sans qu'il en demeure ancun point obscur, tout le mystère du Temple; ainsi s'expliquent le voyage triomphal et la déception d'Ojardias à Thiers ; l'épouvantable trahison, après tant d'espérances, d'illusions et de sacrifices, du parti royaliste, dont la correspondance de Mme Atkyns renferme le témoignage; la colère des conspirateurs joués par Barras et s'imaginant qu'Ojardias avait été complice de leur mystification; enfin l'exécution de ce malheureux comme agent de la police secrète du Directoire.

Laurent, de son côté, n'en put dire un mot; il avait quitté le Temple le 19 mars 1795 pour « soins à donner à ses affaires personnelles » et, quelques mois après, il était expédié à Cayenne, où il mourut le 22 août 1807. Peut-être, comme Ojardias et M. de Cormier, avait-il été simplement la dupe de Barras.

Botot rentra dans la vie privée et acquit, par l'exploitation d'un dentifrice, la célébrité qu'il avait failli avoir comme homme politique. Nous pensons que c'est par lui ou par ses

10e SÉRIE. — TOME v. 9


130 MÉMOIRES.

héritiers que Naundorf a pu avoir la copie des lettres de Laurent à Barras.

Quant à celui-ci, il garda le silence sur ces événements où il avait joué au naturel le rôle des Fourberies de Scapin. Barrère, qui le connaissait bien, en a dit : « Son immoralité ne permit jamais de savoir pour quelle cause il avait combattu sérieusement 1 ». Il n'est donc pas étonnant qu'il se taise dans ses mémoires, cependant parfois si prolixes, sur une question qui avait été la plus importante peut-être de son gouvernement.

Le témoignage de la marquise de Broglio-Solari, suivant laquelle Barras, échauffé par le vin, aurait dit à table « le fils de Louis XVI existe » n'a donc pas une grande valeur 2.

Bonaparte, du moins, ne s'y trompa pas. Au lendemain de brumaire, comme Botot venait sonder le terrain chez lui, il lui dit avec colère : « Que venez-vous faire ici? M'espionner, sans doute, pour votre Barras. Il sait que je n'aime pas le sang, mais dites-lui bien qu'il se rende sans délai à Bruxelles, car si j'eusse connu huit jours plus tôt les circonstances de l'affaire des Lettres patentes, je les lui aurais fait placer sur la poitrine et je l'aurais fait fusiller sur-lechamp, ainsi que vous 3 ».

Enfin, comme si des profondeurs obscures de sa conscience s'élevait une sourde protestation, Barras lui même ajouta, dans les dernières années de sa vie, la note qui suit à ses mémoires :

« Rendu au Comité de Salut public, je leur parlai de ma visite au Temple, de la négligence, même de la mauvaise tenue des appartements qu'occupaient le prince et la princesse; de la maladie grave dont était atteint le premier; qu'il était urgent d'envoyer des médecins et de redoubler de soins dans l'état de faiblesse où il se trouvait; que j'en rendrais compte à la Convention. « Garde-toi bien, me répon1.

répon1. sur Barrère, IV. p. 14.

2. Voir la discussion de ce témoignage dans l'Intermédiaire du 20 septembre 1896.

3. FAUGHÉ-BOREL, Mémoires, t. II, p. 333.


LE MYSTÈRE DU TEMPLE. 131

dit-on. Nous allons nous occuper et donner les ordres pour que les prisonniers soient bien traités et soignés. » Je m'assurai que ces ordres furent donnés et exécutés. Mais le jeune prince était travaillé par une maladie humorale qui avait déjà fait des progrès, de sorte que, malgré tous les soins qu'on lui porta, il succomba 1 ».

Nul mieux que Barras ne pouvait être certain de cette mort.

1. Mémoires de Barras, Introduction, t. I, p. XIV, note.


132 MÉMOIRES.

Bourg-la-Reine, 13 mai 1905.

MONSIEUR LE SECRÉTAIRE ET CHER COLLÈGUE,

L'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse est sous le patronage de Fermat, à qui Ton doit en particulier ce théorème fameux, dit dernier théorème de Fermat ( xa + ya = = za ), inscrit au pied de sa statue à Beaumontde-Lomagne, et qui n'a pas encore été complètement démontré, malgré les efforts de nombreux géomètres. J'espère donc intéresser l'Académie en lui signalant ma communication du 8 mai 1905 à l'Académie des Sciences de Paris, où j'énonce par exemple des résultats tout à fait similaires pour l'équation indéterminée

Ainsi, cette équation est impossible en nombres entiers réels =j= 0 : 1° quand a est divisible par 4; 2° quand a est pair et divisible par un nombre premier 4 k + 3; 3° quand 2 < a < 100, a n'étant aucun des nombres 1 37, 59, 67 ou 74;

4° quand a n'a aucun diviseur premier > 17.

Des résultats énoncés dans ma communication, je viens de déduire d'autres théorèmes analogues, qui me paraissent, eux aussi, valoir la peine d'être portés à votre connaissance.

L'équation indéterminée

est impossible en nombres entiers réels ^ 0 : 1° quand a est divisible par 4 sans que 6 le soit; 2° quand a est de la forme

1. Nombres divisibles par un nombre premier exceptionnel de Kummer, et auxquels mes démonstrations ne s'appliquent pas.


DERNIER THÉORÈME DE FERMAT. 133

4 k + 2, et divisible par un facteur premier X = 4 h + 3, 6 n'étant pas divisible par X2 .

En particulier, quand 6 est premier à a, cette équation est impossible si a est divisible par 4 ou si a est pair et divisible par un nombre premier 4 k -f- 3.

De même, la théorie des nombres idéaux de Kummer permet de montrer l'impossibilité de la même équation : 1° quand a = X* , 6< X (X nombre premier > 5 et non exceptionnel au sens de Kummer) ; 2° quand a — 3i , 6 zz 2 ou 4, i > 2 ; au contraire, «3 + y3 — 6 z3 a, comme on sait, des solutions (Pépin, E. Lucas).

Il semble ainsi vraisemblable que les équations

sont impossibles en nombres entiers réels =]= 0, pour a>2ou a > 3 respectivement. De même, quand a > 3, pour

Votre tout dévoué collègue, E. MAILLET.


134 MÉMOIRES.

NOTICE SUR ALPHONSE DESTREM

PAR M. LECLERC DU SABLON 1

Faire un compte rendu complet de la carrière d'Alphonse Destrem et donner une idée exacte de sa personnalité n'est pas une tâche facile. Il faudrait pour cela avoir une compétence assez variée pour pouvoir le suivre clans toutes les directions où les circonstances et ses goûts l'ont entraîné. Destrem fut, en effet, tour à tour ou même simultanément industriel, artiste, savant, professeur, homme politique, administrateur. Je ne puis avoir la prétention de l'apprécier dans ces différents rôles; je me bornerai à retracer les traits essentiels de son caractère, à noter les principales étapes de sa carrière et à relater les circonstances où sa vie a été mêlée à l'histoire de l'Université ou de la ville de Toulouse.

Jean Alphonse Destrem naquit le 31 octobre 1846 à Toulouse, d'une famille toulousaine qui, à diverses reprises, a joué un rôle considérable dans la ville. Quelques-uns d'entre nous se rappellent peut-être avoir lu l'histoire de Hugues Destrem qui fut membre de l'Assemblée législative et du Conseil des Cinq-Cents. Le père d'Alphonse Destrem était fabricant de papiers peints, et l'on peut voir encore dans la rue de la Pomme l'enseigne de son magasin qui était un des plus importants de la ville. C'est là que s'écoula l'enfance de Destrem. Il a laissé à ses camarades du lycée de

1. Lu dans la séance du 23 mars 1905.


NOTICE SUR ALPHONSE DESTREM. 135

Toulouse, le souvenir d'un enfant aimable et intelligent qui savait allier les succès scolaires les plus brillants aux libres tendances artistiques qui ont été la note caractéristique de son esprit. Pendant la dernière période de sa vie, il aimait à se reporter par la pensée à ces années heureuses. Tout en applaudissant aux embellissements de la ville, il ne voyait pas sans tristesse se modifier les aspects du vieux Toulouse qui étaient pour lui liés à tant de souvenirs. Le chemin de fer ne lui avait pas fait oublier certain voyage qu'il fit avec sa mère et son frère de Toulouse à Castelnaudary, par le coche d'eau que les chevaux remorquaient le long du canal du Midi. C'était moins rapide qu'aujourd'hui et les hommes d'affaires pressés pensent que les trains express sont un progrès. Mais Destrem, qui n'a jamais été pressé, regrettait la lenteur des anciens bateaux. Pour lui, les heures passées à contempler les collines du Lauragais n'étaient pas des heures perdues; elles ont laissé dans son esprit des impressions ineffaçables qui ont peut-être été les plus heureuses de sa vie. Il aimait les paysages à la fois riants et monotones des environs de Toulouse. Ses vacances d'écolier qu'il passait à Mervilla, dans la propriété paternelle, sont restées un de ses plus chers souvenirs.

Cependant ses succès au lycée de Toulouse avaient donné de l'ambition à ses parents qui l'envoyèrent à Paris suivre les cours de mathématiques spéciales. Là, Destrem montra une grande facilité pour l'étude des mathématiques; il eût pu, sans effort et avec la certitude du succès, aborder les concours qui ouvrent les grandes écoles scientifiques. Mais déjà ses goûts d'indépendance et de libre recherche se faisaient jour. A une carrière brillante mais monotone, il préféra le retour à Toulouse où il retrouvait ses parents, ses amis, ses souvenirs d'enfance. C'est là que le surprit la déclaration de guerre en 1870. Il fit la campagne avec les mobiles de la Haute-Garonne et fut nommé lieutenant en janvier 1871. Il accomplit son devoir avec courage et sans forfanterie, avec cette modestie tranquille et souriante qui était un des charmes de sa personne. Après la guerre, il revint à Toulouse et s'oc-


136 MÉMOIRES.

cupa de la maison de son père. A cette époque, les marchands de papiers peints n'étaient pas comme maintenant de simples intermédiaires revendant en détail ce qu'ils avaient acheté en gros; c'étaient à la fois des industriels et des commerçants, fabricant eux-mêmes leurs produits et obligés par conséquent de se tenir au courant de tous les progrès réalisés par leurs concurrents en France et à l'étranger. Destrem s'intéressa aux problèmes de chimie que soulève l'emploi des matières colorantes et, en les étudiant, il perdit bientôt de vue les papiers peints et devint chimiste sans s'en apercevoir. Entre temps, et par simple curiosité d'esprit, il fréquentait la Faculté des Sciences et se faisait recevoir licencié en 1874. Il était bien loin alors de se douter que quelques années plus tard il rentrerait dans cette môme Faculté comme professeur et en serait un des maîtres les plus écoutés.

Mais bientôt les laboratoires de Toulouse deviennent insuffisants pour Destrem; il va se fixer à Paris avec sa jeune famille et se met à travailler au Collège de France, sous la direction de M. Schutzenberger. C'est là que l'amateur de sciences devient bientôt un savant qui se fait connaître par une thèse sur les alcoolates soutenue devant la Faculté des Sciences de Paris le 19 avril 1882. Dans ce travail, Destrem étudie le mode de formation des alcoolates de chaux et de baryte; il indique une méthode générale de préparation qui permet d'en obtenir un grand nombre; puis il fait connaître l'action de la chaleur sur ces combinaisons et montre la loi que suivent les décompositions; enfin, il décrit un nouvel alcool incomplet homologue supérieur de l'alcool allylique. Ce travail fut bientôt suivi de divers mémoires sur la leucine, l'acide cholalique, les ammoniaques composés, la levure de bière.

Une fois docteur, Destrem se consacre définitivement à la science et à l'enseignement. Depuis 1880, il était préparateur au Collège de France. En janvier 1884, il est nommé maître de conférences à la Faculté des Sciences de Montpellier. Je me figure que cette nouvelle résidence ne dut pas


NOTICE SUR ALPHONSE DESTREM. 137

l'enchanter. Il n'y trouva pas la vie intense et les ressources artistiques et scientifiques de Paris. C'était la province, et pour Destrem, la province loin de Toulouse était quelque chose de bien triste. Mais cet exil ne dura pas longtemps et, en juillet 1885, notre confrère revenait à Toulouse comme maître de conférences à la Faculté des Sciences. Ce fut une bien grande joie pour lui de retrouver ses amis d'enfance, de reprendre des habitudes qui n'avaient été interrompues qu'à regret. Et puis, Destrem s'était révélé comme un excellent professeur; il aimait l'enseignement et savait faire aimer à ses élèves la science qu'il enseignait. Ses leçons, simples et sans prétention, étaient d'une clarté parfaite. Aussi, lorsqu'en 1891 la Faculté des Sciences fut chargée de donner aux étudiants en médecine de première année l'enseignement des sciences physiques et naturelles, c'est Destrem qui fut choisi pour enseigner la chimie. Rarement choix fut plus heureux. Le rôle des professeurs était des plus difficiles. Les étudiants en médecine avaient des préventions contre les cours qui leur étaient faits par des professeurs qui n'étaient pas médecins; mais ils furent bientôt séduits par la simplicité et la bonhomie autant que par le talent de leur professeur de chimie. Et comment les étudiants n'auraient-ils pas aimé un professeur qui les aimait tant, qui comprenait si bien leurs faiblesses et leurs défaillances, et qui savait si bien, à la fin de Tannée, les aider à les réparer? Un succès aussi complet méritait d'être récompensé. En 1892, une seconde chaire de chimie fut créée à la Faculté, et Destrem, déjà professeur-adjoint depuis 1888, fut nommé professeur titulaire. Il était membre de l'Académie depuis le 11 juillet 1880. Sa vie était désormais fixée; il était deux fois Toulousain : par sa naissance et par ses fonctions.

Bien que Destrem consacrât beaucoup de temps à la préparation de son cours et à l'organisation des travaux pratiques auxquels il attachait beaucoup d'importance, il ne négligeait point les recherches purement scientifiques. Mais il n'était pas de ceux qui considèrent les travaux du laboratoire comme un moyen d'arriver aux honneurs ou d'obtenir


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de l'avancement; il travaillait simplement par goût, pour sa satisfaction personnelle. Aussi, publiait-il fort peu. C'est par hasard que j'ai appris qu'il avait fait sur les odeurs une série d'expériences des plus remarquables et qui, malheureusement, sont restées inédites. Dans ses dernières années, il avait entrepris des recherches sur les émaux colorés et avait obtenu des résultats très intéressants. Mais là encore il n'a travaillé que pour lui. Sa mort, survenue le 3 mai 1903, ne lui a même pas permis de classer les notes volumineuses qu'il avait rassemblées sur ce sujet.

La chimie ne l'absorbait pas tout entier, il était passionné de peinture et de musique. Sans avoir le talent de son frère, il maniait habilement le crayon et même le pinceau. Au théâtre, il suivait avec beaucoup d'intérêt les nouvelles productions, et pendant plusieurs années il a rédigé la critique musicale dans le journal La Dépêche avec une autorité incontestée et une bienveillance constante.

La notoriété de Destrem, la sympathie générale qu'il inspirait, les amitiés qu'il s'était faites le condamnaient à la politique; il dut accepter une candidature au Conseil municipal, puis une place d'adjoint au maire. Sa grande modestie, son absence complète de combativité semblaient devoir l'éloigner des luttes électorales ; mais il n'eut qu'à se laisser faire et à céder aux sollicitations de ses amis; on a même dit qu'il dut résister pour ne pas être quelque chose de plus qu'adjoint au maire. Il tint à se limiter à l'administration des beaux-arts, heureux de pouvoir, dans ce domaine de prédilection, rendre des services à son cher Toulouse; et il faut reconnaître que, même dans une ville qui compte tant d'artistes, il était impossible de trouver un adjoint aux beauxarts plus compétent. Dans ses nouvelles fonctions, Destrem s'occupa activement de l'Ecole des beaux-arts et des Musées; c'est à lui que l'on doit l'achèvement de la façade du nouveau Musée de sculpture qui est maintenant un des ornements de la ville. Ce fut lui aussi, je tiens à le dire, qui eut le premier l'idée de faire céder par la ville à l'Université l'ancien terrain des serres où s'élèvent maintenant


NOTICE SUR ALPHONSE DESTREM. 139

les nouveaux laboratoires de physique et de botanique. Destrem a donc touché à beaucoup de choses : aux arts, à la politique, aux sciences, et partout il a laissé une trace bienfaisante. Mais on le jugerait bien mal si on ne connaissait de lui que son oeuvre extérieure. C'est dans les relations personnelles, dans les entretiens intimes, que l'on pouvait apprécier ses qualités rares et charmantes. Pour tel de ses collègues qui ne l'avait vu dans des réunions nombreuses où son rôle était volontairement effacé, une conversation tenue dans la rue ou dans un laboratoire était une révélation. A le voir réservé, et souvent silencieux, on ne pouvait soupçonner son esprit, sa verve, ses idées originales sur les sujets les plus divers et surtout les qualités de son coeur. Quel délicieux père de famille c'était! Comme il paraissait heureux quand il se promenait avec ses filles, qui étaient sa joie et son orgueil; et dans les derniers temps, avec quelle sollicitude il s'occupait de son petit-fils, dont il avait voulu diriger lui-même l'éducation et dont il aimait tant à entendre le rire et les jeux jusque dans sa chambre de malade. Ceux qui savent la place qu'il tenait dans l'affection des siens ne se sont pas étonnés qu'après sa mort son frère n'ait pu se résoudre à rester à Toulouse. Ces deux âmes d'élite étaient faites pour se comprendre et s'aimer; l'une venant à manquer, l'autre se trouvait comme désemparée. Pour nous, collègues ou amis de Destrem, une fois la première stupeur de la séparation atténuée par le temps, nous conservons de lui un souvenir ému jet vivace; nous aimons à nous le représenter, pendant les années heureuses et tranquilles, chez lui ou à la Faculté, dans les attitudes qui lui étaient familières, toujours avenant et bon pour tout le monde. Il restera dans notre pensée le modèle du savant modeste et désintéressé, du professeur dévoué et de l'ami fidèle et confiant.


140 MÉMOIRES.

L'ART A TOULOUSE

SES ENSEIGNEMENTS PROFESSIONNELS PENDANT L'ÉRE MODERNE

Par M. LE BARON DESAZARS DE MONTGAILHARD 1.

DEUXIEME PARTIE. — DEBUT DU XVIIIe SIECLE

TRIOMPHE DE L'ACADÉMISME A TOULOUSE (1700-1725).

Le fétichisme de l'art italien s'était manifesté à Toulouse de tout temps, et, en particulier, depuis la première Renaissance, sous François Ier. Il devait s'accentuer avec l'Académisme importé de la Péninsule en France par Charles le Brun, patronné à Paris par Mazarin, étendu à la province par Colbert, et qui s'est continué jusqu'à nos jours par l'Ecole de la Villa Médicis.

Cependant, l'Académisme avait été long à s'implanter à Toulouse. Il n'y avait pas même réussi sous la seconde Renaissance, inaugurée par Henri IV, continuée par Louis XIII et triomphante sous Louis XIV, quoiqu'il y fût fortement patronné par les écrits et par les enseignements d'Hilaire Pader et de Dupuy du Grez. Il ne triompha définitivement qu'avec Antoine Rivalz, au début du dix-huitième siècle.

La première Renaissance s'était faite sous l'inspiration des Antiquisants; mais l'art français avait su conserver sa personnalité et avait fait subir de nombreuses modifications locales au style pondéré de Raphaël, comme au style fougueux de Michel-Ange, au point d'en changer sensiblement

1. Lecture faite dans la séance du 12 janvier 1905. — Voir pour la première partie (dix-septième siècle) Mémoires de l'Académie des sciences, dixième série, t. IV (1904), pp. 239 et suiv.


L'ART A TOULOUSE. 141

les caractères. Si l'Ecole de Fontainebleau, dirigée par le Primatice, et dont les autres chefs étaient Nicolo dell'Abatti, Rosso et Benvenuto Cellini, avait gardé la conception purement italienne, puissamment patronnée par la cour, la tradition française était conservée par des peintres comme Jean Cousin, par des sculpteurs comme Jean de Bologne et Jean Goujon, et par des architectes comme Philibert Delorme, Viart et Androuet du Cerceau.

Il en fut autrement avec la seconde Renaissance qui devait créer l'art moderne. Celle-ci se caractérise par la copie servile, non pas même de l'art antique, mais de l'interprétation de l'antique par l'Italie, étudié dans Vignole plus que dans Vitruve.

En devenant l'art chrétien, l'art méridional avait rejeté l'élément latin et païen que les Antiquisants voulaient faire revivre. Sans doute, il dérivait logiquement de l'art romain, et l'architecture gothique, tout en étant profondément originale comme conception et comme exécution, n'en était que le développement; mais il empruntait aussi une part de son ornementation aux Grecs de Constantinople, aux Arabes et aux peuples du Nord. Et il avait produit à Toulouse des oeuvres remarquables, tant au point de vue architectural qu'au point de vue sculptural,

Plus encore que la première, la seconde Renaissance devait détourner l'esprit français de ses préférences instinctives, de ses croyances religieuses et de ses traditions nationales, en lui faisant mépriser et abandonner ses monuments, ses statues et ses peintures inspirées par les nécessités du climat et par son état d'âme, pour ne lui montrer que de froides images étrangères à ses sentiments intimes comme à son génie ancestral. Elle l'a conduit à l'art contradictoire de Perrault, à l'art emphatique de Le Brun, enfin à l'art pédantesque de David. Et elle nous a montré des étrangetés comme celles de Louis XIV coiffé de la perruque, mais vêtu de la cuirasse romaine et les jambes nues, pour aboutir aux extravagances du Voltaire nu et du Wellington en Achille.

Le servage de l'art Français sous la tyrannie antique a


142 MÉMOIRES.

été d'autant plus regrettable que les Antiquisants de la seconde Renaissance ignoraient, comme ceux de la première, les productions les plus belles et les plus pures de l'art grec. Ils ne connaissaient que l'Apollon du Belvédère et le Laocoon, et ils les regardaient comme des chefs-d'oeuvre suprêmes qu'il était interdit au génie humain de dépasser. Ce n'est pas, cependant, sans protestations qu'ils triomphèrent. Le génie français sut parfois se dégager de leurs étreintes et produire des oeuvres où éclatent le sentiment spiritualiste et le goût fin de la race. En pleine Renaissance, Montaigne ne cessait pas d'admirer « la vastité sombre de nos églises. » Bernardin de Saint-Pierre raillait les allégories païennes qui s'étalaient jusque dans les cathédrales sur les tombeaux des chrétiens. Mme de Staël se plaignait que la littérature et l'art académiques eussent fait perdre à l'Allemagne et à la France le sens de leur nationalité artistique et littéraire. Lesueur peignait des oeuvres scrupuleusement religieuses à côté des compositions pompeusement théâtrales de Le Brun, où régnait une préoccupation incessante d'allégorie et de mythologie pour comparer le Maître à un Héros ou à un demi-Dieu. Watteau et Boucher faisaient une véritable révolution esthétique en personnifiant le dix-huitième siècle avec ses grâces voluptueuses, ses élégances spirituelles et ses coquetteries distinguées, inconnues des Italiens. Chardin préludait au réalisme contemporain avec ses intérieurs pleins d'intimité délicate et savoureuse. David lui-même s'affranchissait de la tyrannie classique qui l'obsédait en s'inspirant de la nature en ses admirables portraits. Et, tout en restant académique, Ingres faisait subir à l'art italien des transformations qui en faisaient un peintre essentiellement français, sinon par la conception de ses tableaux conforme au classicisme académique, du moins par leur exécution indépendante, en révolte décidée contre les principes de l'école davidienne, et donnant par excellence dans ses portraits, non seulement le caractère de l'individu, mais encore le cachet d'une race, d'une époque et d'une société déterminées.


L'ART A TOULOUSE. 143

Tout en finissant par accepter l'Académisme français, l'Ecole de Toulouse ne sut pas se soustraire au joug de l'art italien. Elle resta surtout fidèle à la norme des Bolonais, préoccupés de la recherche du grand et du beau définis, de la ligne et des gammes raisonnées, de la règle sans exceptions, mais étrangers à la poésie et à la philosophie de choses, et se contentant de la beauté stéréotypée sans variétés individuelles dans les physionomies, et de l'habileté technique sans véritable recherche de la nature.

I.

ECOLE ACADÉMIQUE DE DESSIN INAUGURÉE PAR ANTOINE RIVALZ (1726-1735).

Jean Michel occupait depuis 1694 la place de peintre de l'Hôtel-de-Ville lorsque, au début du siècle suivant, les amis d'Antoine Rivalz se liguèrent pour le faire remplacer par ce dernier. Dans ce but, ils suscitèrent à Jean Michel toute espèce de tracasseries. Et celui-ci, simple, peu ambitieux, incapable de brigue, n'ayant d'autre crédit que son talent, était impuissant à résister aux attaques qui le minaient sourdement dans l'esprit public. Mais il avait conscience de son mérite et supportait difficilement les critiques, surtout quand elles étaient injustes. Ses ennemis le savaient et ils profitèrent de son caractère irascible pour le pousser à bout. Un jour, un capitoul qui haïssait Jean Michel depuis longtemps se mit à critiquer en sa présence, et en termes insultants et grossiers, un tableau qu'il venait de placer dans la salle du Grand Consistoire, au Capitule. Jean Michel, se voyant outrager publiquement et sans raison, ne put contenir sa colère et s'oublia jusqu'à répondre par un soufflet aux injures du Capitoul. C'était un grave délit. Aussitôt les magistrats municipaux s'assemblent. Ils font arrêter Jean Michel et le destituent. Une procédure allait être instruite, lorsque Antoine Rivalz, averti de ce qui s'était passé,


144 MÉMOIRES.

met ses amis les plus puissants en mouvement pour les faire intercéder en faveur de Jeau Michel, obtenir sa mise en liberté et empêcher qu'il fût donné d'autres suites à cette triste affaire.

Tel est le récit fait par la Biographie Toulousainel. Mais nous avons cherché vainement sa confirmation dans les Registres des délibérations du Corps de Ville. Nous y avons simplement trouvé les deux incidents suivants :

Jean Michel ayant exécuté dix trumeaux pour des dessus de portes commandés par un ancien maire, M. Daspe, et ayant demandé aux Capitouls d'en être payé à raison de vingt livres pour le tout, ceux-ci, sur l'avis du syndic de la ville et sur la proposition du capitoul Valette-Fenouillet, avocat, firent offrir à Jean Michel la somme dérisoire de 120 livres, « sy mieux il n'ayme reprendre les d. tableaux, ou consentir qu'il soit procédé à l'estimation d'iceux », dit la délibération du 31 mai 17022. — Cet incident ne dut amener aucune collision entre Jean Michel et un Capitoul, car ce ne fut que l'année suivante, et le 4 juillet, que, de nouveaux Capitouls ayant été installés la veille, le premier acte du chef du Consistoire, M. de Pradines, fut de se plaindre que « le nommé Michel, peintre, s'aquite sy mal de son employ qu'il sera nécessaire de pouruoir à son lieu et place d'une personne qui soit plus expérimenté en l'art de la painture que luy, et qu'ayant dans cette ville le sieur Rivais fils, qui est très-habille dans cet art par les preuves qu'il a donné au public de sa capacité non sulement dans cette ville, mais encore dans celle de Romme et de Paris, où il a remporté de prix par les ouurages qu'il a fait dans les académies establies pour le fait de la peinture, et sy l'assemblée ne trouveroit pas à propos de mettre ledit Rivais à la place dudit Michel pour peindre les Capitouls en luy donnant les mêmes apointements d'ont le d. Michel jouissoit. Sur quoy, les voix recueillies, a esté délibéré de recevoir pour peintre de Mes1.

Mes1. MICHEL (Jean), t. II, p. 52 et v° RIVALZ (Antoine), t. II, p. 303.

2. Registre des délibérations, BB, 44, fol. 180 r° et v° (Archives municipales du Capitole).


L'ART A TOULOUSE. 145

sieurs les Capitouls le sieur Rivais fils au lieu et place de Michel, auquel effect il lui sera fait contrat en la forme ordinaire pour ensuite jouir de la dite place de peintre tout de même que ledit Michel en a jouy 2. »

Que Jean Michel ne fût pas suffisamment « expérimenté en l'art de la peinture », c'était évidemment une calomnie, car il était un des meilleurs peintres de son temps, et les oeuvres qu'il a laissées, en particulier ses Noces de Cana, témoignent de son mérite. Mais qu'il « s'acquittât mal de son employ », en manquant d'exactitude et decélérité, cela ne doit pas surprendre quand on sait qu'il gaspillait le peu qu'il avait dans des spéculations industrielles qui ne réussissaient guère. Il avait comme locataire dans sa maison un certain Dumont qui s'occupait « d'alchimie » ainsi qu'on disait alors, et qui y avait établi la première manufacture de faïence que le Languedoc ait possédée. Il se mit à faire comme lui, de concert avec son beau-père, François Fayet. Ils y usèrent leur avoir et leur santé, tout en obtenant le brevet d'inspecteurs des mines du royaume. Et ils moururent peu après, François Fayet en 1708 et Jean Michel en 1709.

Le successeur de Jean Michel comme peintre de l'Hôtelde-Ville, Antoine Rivalz, devait jouer un rôle considérable dans les destinées de l'Ecole toulousaine. Son nom remplit tout le premier tiers du dix-huitième siècle et son influence s'exerça sur de nombreux élèves.

Antoine Rivalz -avait commencé ses études artistiques à Toulouse dans l'atelier de son père, disputant à Raymond Lafage la rapidité de la conception et de l'exécution d'un dessin, et y ajoutant une grande habileté de pinceau. On a dit qu'il était allé très jeune à Paris, qu'il avait étudié aux Ecoles de l'Académie royale de peinture et de sculpture, et qu'il s'y était fait remarquer par la précocité et l'étendue de son talent; mais que les peintres parisiens ne l'ayant satis fait qu'à moitié, il était allé étudier en Italie pour se rendre

1. Registre des délibérations, BB, 44, fol. 214 r° et v° (Archives municipales du Capitule).

10e SKRIE. — TOME v. 10


146 MÉMOIRES.

compte des monuments antiques et des tableaux des grandsmaîtres que lui avait vantés son père. Nous n'avons trouvé nulle part trace de son séjour à Paris, ni de ses études aux Ecoles de l'Académie royale de peinture et de sculpture. Dans tous les cas, il n'y avait remporté aucun prix, car les procès-verbaux de l'Académie ne mentionnent pas son nom 1. Il fut donc surtout un italianisant.

En sa qualité de peintre de l'Hôtel-de-Ville, Antoine Rivalz occupait au Capitole un atelier considérable par l'étendue. Il se faisait un plaisir d'y recevoir les jeunes gens auxquels il reconnaissait des aptitudes artistiques et la volonté de travailler pour leur donner des leçons de dessin. C'est ainsi qu'il groupa autour de lui de nombreux élèves. On y distinguait Subleyras. Guillaume Gammas, Ambroise Crozat, Maran et Labarthe, peintres; Pierre Lucas, Ros sard et Hardi, sculpteurs ; Samson cadet, orfèvre, auxquels vinrent se joindre les frères Borde, Despax, Saint-Amans, Hélie. bien connu par ses poésies en langue d'Oc, et plusieurs autres. Après être parvenus à dessiner la figure d'après l'estampe et la ronde-bosse, ils voyaient leur progrès s'arrêter, et ils enviaient leurs émules de Rome et de Paris qui pouvaient étudier d'après le modèle vivant. L'un d'eux, Guillaume Gammas, proposa à ses camarades de se cotiser pour établir à leur profit un enseignement semblable à celui de Dupuy du Grez.

Guillaume Gammas était originaire du Lauraguais. Il était doué d'un esprit aussi entreprenant que réfléchi et d'un caractère ferme et persévérant. Sa proposition fut acceptée avec enthousiasme. Il se chargea de trouver un modèle. Et il engagea ses camarades à l'aire part de leur projet à Antoine Rivalz pour le prier de l'approuver, de leur prêter une grande chambre joignant son atelier et dont il ne servait point, enfin de diriger leurs études.

1. Le fait est pourtant attesté par une délibération du Conseil de ville en date du 4 juillet 1703 (Registre des délibérations, BB, 44, fol. 214 r°, Archives municipales).


L'ART A TOULOUSE. 147

Antoine Rivalz approuva avec joie le zèle de ses élèves. Il leur céda la salle qu'ils désiraient et dans laquelle ils firent dresser tout ce qui était nécessaire pour la pose du modèle, et même pour ceux qui commençaient à dessiner. Enfin, il prit la direction de cette nouvelle école, corrigeant avec soin les travaux de ces jeunes gens, encourageant ceux qui avaient de bonnes dispositions, renvoyant impitoyablement les incapables et les fainéants. Il ne manquait jamais d'assister à la pose du modèle vivant, qu'il réglait lui-même deux fois par semaine. Il voyait et revisait les dessins de tous les élèves indistinctement avec une patience et un zèle qui montraient tout son désir de fait progresser l'Art à Toulouse.

Bientôt il ne fut bruit dans la Province que des succès qu'il avait obtenus. Les Capitouls voulurent en juger par eux-mêmes. Ils allèrent visiter la nouvelle Ecole qui s'était établie et se déclarèrent très satisfaits des résultats qu'elle avait obtenus. Antoine Rivalz profita de cette visite pour leur proposer d'ériger cette école privée en école municipale, et les Capitouls lui promirent d'appuyer sa motion auprès du Corps de Ville. En effet, le 30 juillet 1726, M. Cormouls, ancien capitoul et chef du Consistoire, soumit au Conseil de Bourgeoisie « une offre très avantageuse au public qui a été faite à MMrs les Capitouls par le sieur Rivais, peintre de cette maison, lequel demande l'approbation du Corps de Ville pour ériger dans son atelier une Académie de peinture où toute sorte de personnes de divers arts, comme graveurs, orphèvres, brodeurs, peintres, sculpteurs, architectes, menuisiers et autres, pourront s'instruire des règles du dessin ». Il ajoutait qu'Antoine Rivalz « se flattait aussi que ce Corps voudrait bien se rendre le protecteur de cette nouvelle Académie et lui accorder quelque secours pour subvenir aux frais qu'il étoit obligé de faire à l'occasion du nouvel établissement. »

Cette proposition de M. Cormouls fut appuyée chaleureusement par M. Bailot, syndic de la ville, et le Conseil de Bourgeoisie « délibéra qu'il serait nommé des commissaires


148 MÉMOIRES.

pour examiner l'utilité et l'avantage que pourrait produire à la Ville et aux habitants le nouvel établissement d'une Académie de peinture proposé par le sieur Rivais... et à l'instant, par M. le président, ont été nommés commissaires: MM. Boutaric1 et Astruc, avocats; Marcassus 2 et Fauchet, anciens capitouls. »

Les commissaires ainsi désignés par le Corps de Ville dans sa séance du 30 juillet 17263 ne firent leur rapport qu'à la séance du 3 septembre suivant 4. Ce rapport était favorable et il fut suivi d'une délibération conforme, portant que « le projet de l'établissement d'une Académie de peinture sous la direction dû sieur Rivais est accueilli; auquel effet il sera fait annuellement un fonds de 400 francs pour aider le sieur Rivais à faire les frais-nécessaires pour cet établissement. » Mais, à la séance suivante du 17 septembre, « lecture ayant été faite de la dernière délibération, M. de Balbaria, le plus ancien de l'assemblée, aurait dit que la dresse de la délibération n'étoit pas conforme au délibéré, l'intention de l'assemblée n'ayant pas été de faire annuellement un fonds de 400 francs pour les frais de l'établissement de l'Académie de peinture, ainsi qu'il est écrit dans le premier point de la délibération, mais seulement pour la présente année, sauf à l'avenir de continuer, augmenter ou diminuer suivant le progrès de cet établissement. — Sur quoy, les suffrages ayant couru, il a été délibéré que Monsieur de Boissy. qui présidoit à la dernière délibération 8, sera prié de vouloir corriger cette erreur conformément à l'avis de M. de Balbaria, cy-dessus apliqué 6. » Et, en effet,

1. Boutaric d'Azas.

2. Marcassus, baron de Pnymaurin.

3. Archives municipales, Registre des délibérations, BB, 48, fol. 153 v° et 154 r°.

4. Archives municipales, Registre des délibérations, BB, 48, fol. 155 r» et v°.

5. M. de Boissy était conseiller an Parlement. — Depuis les événements religieux de 1572, les assemblées municipales étaient toujours présidées par un membre du Parlement.

G. Archives municipales, Registre des délibérations. BB. 48, fol. 194 r° et 194 v°.


L'ART A TOULOUSE. 149

M. de Boissy a rayé de sa main, sur le Registre des délibérations, le mot «annuellement », pour y substituer les mots « la présente année », et il a ajouté à la fin de la phrase : « sauf à augmenter, continuer ou diminuer à l'avenir, suivant les progrès de cet établissement. » Puis, il a signé cette adjonction de son nom: «Boissy».

Ces réserves faites par M. de Balbaria indiquent quelques hésitations, sinon une véritable opposition à l'institution demandée par Antoine Rivalz. Cependant, elles n'empêchèrent pas le Conseil de Ville de lui être favorable dans la suite. En effet, nous le voyons, sur la demande d'Antoine Rivalz, décider, le 6 août 1727, que des jours fussent ouverts « dans la salle qui lui avait été affectée pour faire les exercices convenables à l'Académie de peinture et de sculpture », et que cette « réparation fût faite incessamment aux dépens de la ville 1. »

Dès l'année suivante, le Corps de Ville fut de nouveau saisi de l'institution de « l'Académie de peinture et de sculpture » inaugurée par Antoine Rivalz. Il constate que les « progrès de cette Académie se sont poussés au delà de ce qu'on pouvait en attendre » et qu'il y avait lieu de « ne pas abandonner un établissement si honorable et si propice à soutenir dans cette ville cette noble émulation qui y règne depuis tous les tems pour la culture des sciences et des beaux-arts »... En conséquence, il décide, par délibération du 16 septembre 17272, « qu'il sera fait annuellement et pendant la vie du sieur Rivais un fonds de quatre cent livres pour lui aider à faire les frais nécessaires pour l'entretien de l'Académie de peinture et sculpture dont l'établissement fut fait l'année dernière. »

Cette École académique ne tarda pas à prospérer. On y vit accourir non seulement les élèves, mais aussi les amateurs de la Ville, qui venaient juger des résultats des en1.

en1. municipales, Registre des délibérations, BB, 48, fol. 194 r° et v°.

2. Archives municipales, 39e' Registre des délibérations. BB, 48, fol. 204 v° et 205 v°.


150 MÉMOIRES.

seignements d'Antoine Rivalz. comme ils avaient coutume de fréquenter son atelier pour juger de ses travaux et profiter de sa conversation. Cette École et cet atelier devinrent le rendez-vous assidu de tous ceux qui s'intéressaient par leur goût ou par leur éducation aux choses de l'Art. Les artistes eux-mêmes s'habituèrent à les fréquenter. Et bientôt il se forma naturellement entre les uns et les autres des réunions hebdomadaires où les arts et les moyens de les perfectionner faisaient l'objet de leur entretien.

Ce concours d'artistes et d'amateurs de la Ville plaisait infiniment à Antoine Rivalz qui le considérait comme éminemment propre à exciter l'émulation. Il le regardait comme un acheminement à la fondation d'une Société réglée par des statuts particuliers, assujettie à des travaux réguliers et dont les arts formeraient le principal objet. Mais, de son vivant, rien ne fut décidé à cet égard 1. Tout se borna à l'enseignement professionnel du dessin et à l'étude du modèle vivant.

La plupart des élèves d'Antoine Rivalz ne tardèrent pas à se faire distinguer un peu partout par leurs mérites. Subleyras, qui s'était rendu à Paris pour compléter son éducation artistique à l'Ecole de l'Académie royale de peinture et de sculpture, y remporta le premier prix le 20 mai 17282; puis il alla se fixer à Rome, où il acquit une célébrité européenne. Ambroise Crozat aurait pu également devenir un des meilleurs peintres de la Capitale s'il avait été plus assidu à son travail; mais il se laissait aller, comme Raymond Lafage, à la boisson et au dévergondage, et finit misérablement. Quant à Guillaume Gammas, il entra, en 1729, dans l'atelier de Rigaud, et commença à se faire remarquer par son talent pour le portrait. On citait notamment celui du cardinal de Rohan et celui de Guimené. Mais il avait un attrait particulier pour l'architecture et se mit à suivre

1. Manuscrit de M. de Mondran, conservé aux Archives municipales sous le n° 2429, GG. 88.

2. Procès-verbaux de l'Académie royale de peinture et de sculpture, publiés par Anatole de Montaiglon, t. V, p. 240.


L'ART A TOULOUSE. 151

assidûment le cours du célèbre Oppenord : il devint ainsi un habile constructeur plus encore qu'il n'était un bon peintre; nous lui devons, en particulier, la façade actuelle do l'hôtel de ville de Toulouse.

L'enseignement d'Antoine Rivalz contribua surtout à faire d'excellents dessinateurs et d'habiles ouvriers dans toutes les professions qui exigent des connaissances artistiques. On peut le considérer comme le véritable initiateur de l'Ecole toulousaine, aujourd'hui si remarquée par ses enseignements, et qui a produit dans la peinture et surtout dans la sculpture une véritable pléiade d'artistes réputés. Mais il n'en est pas moins certain que son influence a été néfaste, à certains points de vue, pour l'Art toulousain.

Les grandes qualités d'Antoine Rivalz sont incontestables. Il savait composer, dessiner et peindre. Mais dans ses compositions il y avait plus de rhétorique que de style, dans son dessin plus de forme que de ligne, dans sa peinture plus de convention que de vérité. Il s'était trop contenté des habiletés d'un métier bourgeois. En un siècle où l'art français avait tous les mérites et tous les charmes, il s'était laissé absorber par l'art italien et en était resté au beau poncif de l'École bolonaise, à la calligraphie sénile de l'École romaine. Il n'avait pas su comprendre l'harmonie comme Le Poussin, la suavité comme Le Sueur, l'élégance comme Watteau. Il semble avoir cherché l'ampleur théâtrale de Le Brun, comme dans la Fondation d'Ancyre; mais il n'a su y mettre ni son style élevé, ni sa puissante imagination. A côté de ceux de Rigaud ou de Largiliière, ses portraits sont violents et grossiers. Ses miniatures des Annales de l'Hôtel-de-Ville ne valent pas celles de Jean Chalette. ni même celles d'Antoine Durand. Quand il imite les Flamands, comme dans son Homme au pilori, il ne sait pas racheter la vulgarité du style par la finesse de l'exécution.

Sans doute, il y a des tableaux de maître dans l'oeuvre d'Antoine Rivalz, et son Urbain II consacrant la basilique de Saint-Seruin est d'un relief puissant et d'une grandeur sai-


152 MÉMOIRES.

sissante. Mais c'est un morceau détaché plutôt qu'une oeuvre complète, car tout se borne à un seul personnage de grandeur naturelle, vu de profil, dont la chappe de brocart d'or rappelle la somptuosité mirifique des Vénitiens, procédant de la manière brutale du Tintoret plutôt que de l'art raffiné du Titien.

C'est surtout dans les élèves qu'il a faits qu'on retrouve toutes les imperfections de l'enseignement d'Antoine Rivalz. Comme-lui, la plupart ont dédaigné l'art parisien et lui ont préféré l'art italien. Ils ont péché par l'originalité, par la distinction, par le style. Ils n'ont jamais connu la volupté de la couleur qui enveloppe la ligne comme la pensée domine la nature qui la contient. Ils sont restés des Gallo-Romains du Midi, des « patoisants » fidèles à la tradition latine; mais ils ne se sont jamais abreuvés à la source grecque et ils n'ont jamais parlé véritablement français.

II

RÉTABLISSEMENT DE L'ÉCOLE DE DESSIN PAR GUILLAUME GAMMAS (1737).

A la mort d'Antoine Rivalz, survenue le 7 décembre 1735, l'École académique qu'il avait formée dans une des salles du Capitole se trouva sans directeur. Les Capitouls et le Conseil de bourgeoisie jetèrent les yeux sur Marc-Arcis pour le remplacer.

Marc-Arcis était un sculpteur de grand talent qui avait fait ses prouves à Paris et en province. Il était membre de l'Académie royale de peinture et de sculpture, où il avait été reçu dès 1683 et avec laquelle il entretenait de fréquentes relations épistolaires quand il était à Toulouse 1. Elève d'Ambroise Frédeau, il joignait à la correction académique du dessin la fougue de l'imagination méridionale. Ses person1.

person1. de l'Académie royale de peinture et de sculpture, publiés par M. Anatole de Montaiglon, t. II, pp. 222, 27, 242, 251, 270, 281 et 282.


L'ART A TOULOUSE, 153

nages mouvementés étaient pleins de vie. Il procédait de la tradition florentine plutôt que de l'Ecole bolonaise. Il différait donc sensiblement d'Antoine Rivalz par le tempérament comme par l'éducation. Mais il n'en était pas moins classique et académique.

Dès que les Capitouls lui proposèrent de « conduire l'Académie qu'ils avaient établie », Marc-Arcis songea à la rattacher à l'Académie royale de peinture et de sculpture, conformément aux lettres-patentes du mois de novembre 1676. Il écrivit en conséquence à cette Compagnie pour lui demander son agrément. Celle-ci y répondit favorablement dès le 7 janvier 17361. Mais ce ne fut qu'à la séance du 18 janvier 1737 qu'un Mémoire de Marc Arcis fut présenté au Conseil de Ville pour délibérer « au sujet de l'Académie de peinture 2 ». Des commissaires furent nommés à l'effet « d'examiner le d. Mémoire ». Ce furent MM. Lardos, Lacour, Duran et Lapeyrie, anciens capitouls. Et rien ne fut décidé.

Cependant, Guillaume Gammas était revenu de Paris en apprenant la mort d'Antoine Rivalz et avait brigué sa succession. Il avait été agréé par le Corps de Ville pour construire une salle de spectacle dans l'intérieur du Capitole, au lieu même où elle se trouve actuellement 3. Il demanda à devenir peintre attitré de l'Hôtel-de-Ville, Et, le 19 juillet 1737, M. Poisson,, chef du Consistoire, mit le Conseil de Bourgeoisie en demeure de décider s'il « jugeait à propos de fixer le Sr Gammas en lui donnant la place de peintre de l'Hôtel de ville qu'avait le sr Rivais 4. » Le Conseil de Bourgeoisie ayant répondu affirmativement, Guillaume Gammas renonça à revenir à Paris et s'établit définitivement à

1. Voir les Procès-verbaux de l'Académie royale de peinture et de sculpture publiés par M. Anatole de Montaiglon, séances du 7 et du 28 janvier 1736, t. V, pp. 170 et 171.

2. Archives municipales, Registre des délibérations, BB, 50, fol. 50.

3. Délibération du 28 août et du 4 septembre 1730, Archives municipales, Registre des délibérations, BB, 50, toi. 38 et 39.

4. Archives municipales, Registre des délibérations, BB, 50, fol. 74.


154 MÉMOIRES.

Toulouse, où il fut agréé « aux clauses et conditions portées par la délibération qui reçut le sr Rivais, son prédécesseur 1. »

Dès son installation au Gapitole, Guillaume Cammas se préoccupa de reprendre les cours de l'Ecole municipale de dessin qu'Antoine Rivalz y avait établis. C'est ce qu'il fit le 6 npvembre 1737. Une foule de jeunes gens accoururent pour en suivre les cours. Mais il restait à savoir s'il en aurait la direction définitive. Marc Arcis y aspirait. En écrivant, suivant son habitude, une lettre de compliments à l'Académie royale de peinture et de sculpture à l'occasion de la nouvelle année 1738. il la terminait en exposant « de nouveau à la Compagnie que Mrs de l'Hôtel de ville de Toulouse, après un délai de deux ans, étaient sur le point de faire l'établissement de l'Académie de dessein et de conclure cette affaire en sa faveur, et que même les étudians s'offrent, si cela ne réussit pas du côté de l'Hôtel de ville, de le tenir à leurs frais et dépens sous sa direction; mais qu'au surplus il ne veut pourtant rien accepter sans l'aveu et permission de l'Académie. » Dans sa réunion du 11 janvier 1738, l'Académie chargea son secrétaire de marquer de sa part à Marc Arcis « qu'elle lui a déjà accordé la permission de faire tout ce qu'il trouverait de convenable pour le progrès de la peinture et de la sculpture, conformément à ses statuts, ce qu'Elle lui ratifie de nouveau 2. »

Mais, pendant que Marc Arcis correspondait ainsi avec l'Académie royale, un capitoul, M. Cucsac, proposait au Conseil de Ville de « continuer la dépense de 400 livres pour les frais de l'Ecole de peinture dont le sr Rivais avoit la conduite et dont les assemblées ont été interrompues depuis la mort du sr Rivais. » En même temps, « il instruisait » le Conseil de Ville « que le sieur Cammas, qui a été nommé peintre de la ville à la place du dit feu sr Rivais, a recommencé les exercices de cette Ecole depuis le sixième novem1.

novem1. preuves.

2. Procès-verbaux de l'Académie royale de peinture et de sculpture, publiés par M. Anatole de Montaiglon, t. V, pp. 223-24.


L'ART A TOULOUSE. 155

bre dernier avec beaucoup de succès, sa réputation y ayant attiré un grand nombre de jeunes gens de tous les états qui cherchent à se perfectionner dans l'art du dessin, peinture et sculpture, et qu'il paraîtrait convenable de charger led. sr Cammas de la conduite de cette Ecole, attendu qu'il paroit très capable de se bien acquitter de son emploi et qu'il a même fait quelque dépense à ce sujet, dont il est juste qu'il soit remboursé. » Sur cet exposé, chaleureusement appuyé par M. Bailot, ancien capitoul et syndic de la Ville, le Conseil de Bourgeoisie délibéra, le 14 janvier 1738, « de continuer annuellement le fonds de 400 livres pour fournir aux frais de l'Ecole de peinture établie dans l'Hôtel de ville depuis quelques années; que le sr Cammas, peintre de l'Hôtel de ville, qui en avoit déjà fait l'ouverture depuis le mois de novembre dernier, en aura la conduite sous l'autorité de Mrs les Capitouls; et que le sr Arcis, sculpteur célèbre, sera prié d'assister aux exercices lorsque ses affaires et sa santé lui permettront, et que, toutes les fois qu'il y assistera, il y présidera 1. »

Cette décision du 10 janvier 1738 contraria vivement Marc Arcis, quoiqu'elle rendît hommage à ses mérites et lui attribuât de réels honneurs. Il en fit part à l'Académie royale de peinture et de sculpture, et lui demanda « de vouloir bien luy marquer ce qu'il luy convenoit de faire pour la conservation de ses privilèges », les lettres patentes de 1676 et le règlement qui y est joint disant (article 2) que « les Ecoles académiques établies en province devaient être dirigées et conduites par les Officiers que l'Académie royale commettra. » L'Académie royale fut moins susceptible que Marc Arcis. « Après avoir examiné avec attention (dans sa séance du 22 février 1738) le contenu de l'extrait de la délibération du Conseil de Ville de Toulouse, trouvant qu'il y est dit que, toutes les fois que le sr Darcis voudrait assister aux exercices de l'Ecole académique, il y présiderait, elle

1. Délibération du 10 janvier 1738 (Archives municipales, Registre des délibérations, BB, 50, fol. 85).


156 MÉMOIRES.

jugea que, par cette clause, les privilèges de l'Académie royale de peinture et de sculpture ne souffrant aucune atteinte, ledit sr Darcis ne devait point faire de difficulté de se conformer à ladite délibération 1. »

Ainsi assuré de l'avenir de l'Ecole, Guillaume Cammas fit appel à son camarade de l'atelier Rivalz, le sculpteur Pierre Lucas, pour l'aider à corriger les dessins et pour donner plus particulièrement ses leçons à ceux qui se destinaient à la sculpture. Pierre Lucas n'avait pas assurément le talent de Marc Arcis, comme Guillaume Cammas n'avait pas le mérite d'Antoine Rivalz; mais c'étaient tous deux d'excellents initiateurs, connaissant bien la théorie comme la pratique de leur art respectif. L'avantage était trop considérable pour que les jeunes gens n'en profitassent pas. Ils trouvèrent ainsi dans Guillaume Cammas un professeur de peinture et d'architecture expérimenté, et dans Pierre Lucas un professeur de sculpture non moins capable. La nouvelle Ecole devint d'autant plus nombreuse et florissante.

1. Procès-verbaux dû l'Académie royale de peinture et de sculpture, publiés par M. Anatole de Montaiglon, t. V, pp. 225-26.


RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA FLUORESCENCE. 157

RECHERCHES EXPERIMENTALES

SUR

LA FLUORESCENCE

PAR M. C. CAMICHEL 1

Les travaux classiques de Stokes ont montré que les radiations excitatrices de la fluorescence sont énergiquement absorbées par le corps fluorescent; d'ailleurs, les radiations émises sont également absorbées, puisque, dans les mesures, il est toujours nécessaire de faire intervenir un volume fini du corps fluorescent. On comprend donc que la détermination des coefficients d'absorption du corps fluorescent est le premier problème à résoudre quand on veut étudier systématiquement le phénomène de la fluorescence.

Il est tout d'abord nécessaire de répondre à cette question : Le coefficient d'absorption d'un corps fluorescent pour les radiations qu'il émet varie-t-il au moment de la fluorescence?

En d'autres termes, la loi de Kirchoff s'applique-t-elle aux phénomènes de fluorescence?

Je vais exposer les différentes recherches que j'ai entreprises à ce sujet.

1. Lu dans la séance du 6 avril 1905.


158 MÉMOIRES.

PREMIERES EXPERIENCES SUR LE VERRE D ORANE ET LA FLU0RESCÉINE : LE FAISCEAU TRANSMIS EST PRÉALABLEMENT FILTRÉ PAR LE CORPS FLUORESCENT. — CRITIQUE DE CES EXPÉRIENCES.

L'appareil employé est mon spectrophotomètre à compensateur de quartz. Deux lampes à pétrole éclairent les deux collimateurs de l'instrument. Les deux plages monochromatiques observées sont amenées à l'égalité quand on place devant l'un des collimateurs : 1° un morceau de verre de même dimension et de même indice que le cube de verre d'urane étudié, 2° le cube de verre d'urane soigneusement protégé contre toutes les radiations qui pourraient le rendre fluorescent: 3° quand on produit la. fluorescence du cube de verre d'urane; 4° quand on excite la fluorescence du verre d'urane et qu'en même temps les rayons lumineux de la lampe à pétrole sont interceptés par un écran opaque 1. Le coefficient de transmission Kf du cube de verre d'urane fluorescent et le coefficient de transmission Ko du même corps protégé contre les radiations excitatrices, s'obtiennent par les équations

1. Cet écran doit être noir mat du côté du photomètre; si cette condition n'est réalisée que d'une façon incomplète, les rayons émis par la cuve fluorescente et réfléchis sur l'écran entrent dans le collimateur, et la valeur trouvée pour F est trop grande :

T + F — S devient positif.

Cette cause d'erreur intervient peut-être dans les expériences de MM. Nichols et Meritt; elle expliquerait pourquoi T + F — S est indépendant de T et ne varie qu'avec F.


RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA FLUORESCENCE. 159

dont la signification est évidente. Les rayons lumineux utilisés traversent le verre d'urane dans une région voisine de la surface où la fluorescence est particulièrement vive; celle-ci est provoquée par l'arc électrique, dont les radiations sont tamisées par l'écran de Wood. En employant un charbon positif à mèche, la constance de l'arc est très suffisante pendant la durée des expériences (3) et (4). Pour que la détermination de Ko soit correcte, il faut que clans l'expérience (2) la lumière qui traverse le verre d'urane soit dépouillée des radiations capables de provoquer la fluorescence. Ce résultat est obtenu d'une façon complète en plaçant entre la lampe à pétrole et le verre d'urane B un long parallélipipède également en verre d'urane A ayant 7 centimètres de longueur. Si cette précaution est négligée, la valeur de Ko obtenue est trop grande,

Il résulte de l'interposition de ce deuxième parallélipipède de verre d'urane sur le trajet de rayons lumineux que les mesures ne peuvent être faites pour des radiations plus réfrangibles que la raie F. Ce n'est pas un inconvénient, puisque les bandes principales du spectre de fluorescence du verre d'urane correspondent à des longueurs d'onde plus grandes que celles de la raie F.

Voici un exemple de détermination de Kf et Ko :

Les valeurs trouvées pour Kf et Ko sont égales aux erreurs près des expériences.

Dans d'autres expériences, je me contentais de mesurer siri2a2, sin-27./, et sin2a3, et je vérifiais, en variant les conditions de l'expérience, que la différence

est toujours très faible, tantôt positive, tantôt négative.


160 MÉMOIRES.

D'autres déterminations ont été faites avec la fluorescéine en solution aqueuse, elles correspondent k la radiation 0µ,520.

Critique des expériences précédentes. — Les expériences précédentes ont quelques défauts qu'il est nécessaire de mettre en évidence :

1° D'abord les fluorescences excitées sont faibles, sauf dans les expériences sur la fluorescéine, pour lesquelles su est égal et même supérieur à <x2;

■ 2 v

2° Si K0 = . „ "z est assez bien déterminé, il n'en est pas sur*»!

3° Mais voici une objection plus grave : quel est le rôle du premier cube de verre d'urane?

M. A. Cotton m'a fait judicieusement remarquer que si les bandes d'émission et d'absorption du verre d'urane sont formées de raies trè's fines et non résolubles avec les moyens employés, le résultat négatif que j'ai obtenu ne démontre pas que Kf = Ko, « puisque, d'une part, m'écrit M. Cotton, une partie notable des radiations utilisées pour la mesure ne sont pas des radiations absorbables, et puisque, d'autre part, le faisceau utilisé a précisément traversé une couche épaisse de verre d'urane qui doit supprimer précisément ces radiations absorbables. »

On pourrait enlever le cube A et employer une source de lumière L très faible ne provoquant dans le cube B qu'une faible fluorescence i: les équations précédentes deviennent, dans ces conditions,

On pourrait aussi remplacer le cube A par un verre (vert jaunâtre ne laissant passer que des radiations incapables de


RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA FLUORESCENCE. 161

développer la fluorescence), mais dans l'un ou l'autre de ces deux dispositifs l'expérience ne serait pas correcte; le faisceau transmis contiendrait, il est vrai, des radiations absorbables (pour lesquelles Kf est peut-être différent de Ko), mais elles seraient mélangées (dans l'hypothèse ci-dessus indiquée) à des radiations non absorbables pour lesquelles Kf = Ko. L'expérience sous cette forme n'est donc pas complètement démonstrative.

Il est donc indispensable d'employer comme source de lumière le corps fluorescent lui-même; c'est ce que j'ai fait dans les expériences suivantes.

II.

EXPÉRIENCES DANS LESQUELLES LA SOURCE DE LUMIÈRE EST LE CORPS FLUORESCENT LUI-MÊME.

L'appareil employé est très simple : il se compose d'une première cuve S contenant une solution aqueuse de fluorescéine rendue fluorescente par des rayons solaires convenablement réfléchis; une lentille l forme, sur la fente f d'un collimateur c1, l'image réelle de la face a de la cuve S. Devant cette fente est placée une deuxième cuve C contenant, comme la première, de la fluorescéine qui peut être rendue fluorescente par l'action des rayons solaires. L'une des moitiés de l'objectif collimateur c1 est masqué par un miroir argenté m qui réfléchit les rayons lumineux provenant d'une lampe à prétrole L, à une assez grande distance de laquelle se trouvent plusieurs verres colorés jaunes et verts donnant sensiblement la même teinte que la fluorescence développée dans les cuves S et C1; ce faisceau est atténué dans un rapport connu par deux nicols, dont le premier N, tourne autour d'un cercle divisé. Dans plusieurs expériences, on a remplacé avantageusement la lampe L par une troisième cuve contenant une solution de fluorescéine dont la fluorescence est excitée par une lampe de Nernst. L'observateur regarde par un petit trou percé dans un écran situé

10e SÉRIE. — TOME V. 11


162 MÉMOIRES.

dans le plan focal d'un collimateur C2, il voit deux plages qu'il amène à l'égalité par une rotation convenable du nicol N1.

Les expériences sont conduites de la même façon que page 4, les mêmes équations s'appliquent.

Pour régler les valeurs relatives de If et de I1, il suffit de déplacer convenablement les deux cuves S et C sur leurs chariots micrométriques v et v'.

Il faut placer devant le trou o plusieurs verres verts afin d'amener les deux plages observées à la même teinte ; si l'on ne prend pas cette précaution, il est impossible de déterminer a2, la plage correspondant au faisceau issu de L étant rougeâtre et celui qui correspond à l'autre faisceau verdâtre.

Voici quelques résultats obtenus par cette méthode :

Expérience :

Ces expériences et d'autres, effectuées en variant les conditions, montrent que

Remarque. — L'expérience précédente remplit toutes les conditions énoncées page 6.

III.

DÉTERMINATIONS DIRECTES DE Kf.

Les expériences précédentes ont toutes le même inconvénient : le coefficient de transmission du corps fluorescent, pendant la fluorescence Kf, est assez mal déterminé, car il nécessite trois mesures photométriques donnant x1, a3, x1. Il sera


RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA FLUORESCENCE. 163

préférable de l'obtenir par une seule mesure. M. Burke a indiqué une méthode élégante pour arriver à ce résultat : il prend quatre petits cubes identiques en verre d'urane, il les assemble; des étincelles qui éclatent dans le voisinage en i excitent la fluorescence.

Pour déterminer Kf, M. Burke recouvre le cube 3 d'un écran et, au moyen d'un photomètre placé en S, il compare les intensités des deux plages b et a; il obtient ainsi le rapport

M. Burke ne donne pas le détail de ses expériences, il indique seulement les nombres suivants :

qui ne sont pas très concordants. C'est la moyenne de ces nombres qu'il prend,

Dans ces expériences, la cause d'erreur la plus grave est due à l'étincelle. Celle-ci jaillit entre deux pointes de cadmium, à 2 centimètres de la surface des cubes de verre d'urane. Les pointes de cadmium s'usent rapidement et une dissymétrie se


164 MÉMOIRES.

produit dans l'appareil si, par suite de cette dissymétrie, les cubes 3 et 4 sont plus fortement éclairés que 1 et 2, la valeur de K obtenue paraît plus grande; si, au contraire, les cubes 1 et 2 sont plus fortement éclairés que 3 et 4. c'est l'inverse.

Dans le cours d'une expérience, à mesure que les électrodes de cadmium s'usent, on peut observer une variation continue de K; il est facile, en examinant la forme des électrodes, de vérifier que leur usure se fait dans le sens que la variation de K fait prévoir.

Description du procédé employé. — Les déterminations doivent être faites avec deux photomètres placés des deux côtés du cube de verre d'urane. Les fenêtres 5, 6 du côté I, 7 et 8 du côté II permettent la détermination de Ko et de Kf.

a, [3, Y désignent les diverses valeurs de l'angle de la section principale du nicol et de la section principale du biréfringent indiquées dans le tableau suivant :

Angle a correspondant à l'égalité Fenêtres fermées, des deux plages observées.

Angle j3 correspondant à l'égalité Fenêtres fermées, des deux plages observées.


RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA FLUORESCENCE. 165

Angle y correspondant à l'égalité Fenêtres formées, des deux plages observées.

Voici les résultats d'une série d'expériences.

Cube de verre d'urane, éclairé par une lampe de Nernst (120 watts) mobile sur un chariot micrométrique :

Voici le résumé des expériences :

On doit donc en conclure que Kf = K0 aux erreurs près des expériences. Un autre cube de verre d'urane plus absorbant m'a donné

Kf = 0,70, Ko — 0,71.

Les mêmes séries d'expériences ont été répétées pour la fluorescéine; elles m'ont donné, par exemple,


166 MEMOIRES.

IV.

EXPÉRIENCES SPECTROPHOTOMÉTRIQUES.

On place devant la fente de l'un des collimateurs du spectrophotomètre une cuve contenant de la fluorescéine ; on mesure : 1° Tiutensité de la lumière transmise T, la fluorescence n'étant pas excitée; 2° l'intensité de la lumière développée par fluorescence F, le faisceau T étant intercepté; 3° l'intensité S comprenant la lumière transmise et la lumière excitée par fluorescence.

Voici l'un des tableaux d'expériences :

X. Ko. T. F. S. T+F. T + F-S.

0,527 0,84 0,162 0,242 0,396 0,404 +0,008

0,519 0,60 0,110 0,267 0,364 0,377 +0,013

0,513 0,27 0,043 0,213 0,259 0,256 —0,003

0,504 0,02 0,004 0,123 0,140 0,127 —0,013

La différence entre T. + F et S est toujours faible et de l'ordre des erreurs expérimentales; elle est tantôt positive, tantôt négative.

V.

RELATION ENTRE L'INTENSITÉ DE LA LUMIÈRE EXCITATRICE ET L'INTENSITÉ DE LA LUMIÈRE EXCITÉE.

Edmond Becquerel a montré que l'intensité de la lumière émise par phosphorescence est proportionnelle à l'intensité de la lumière excitatrice.


RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA FLUORESCENCE. 167

Cette loi est évidemment applicable à la fluorescence, qui n'est qu'une phosphorescence de très courte durée.

Soit une cuve rectangulaire remplie de fluorescéine ; elle reçoit normalement sur l'une de ses deux faces a une radiation excitatrice d'intensité variable L. La fente du collimateur du spectrophotomètre est placée contre la face b de la même cuve. En désignant par d la distance de la face a à l'axe du collimateur, par l l'épaisseur de la cuve parallèlement à l'axe du collimateur, par a le coefficient d'absorption de la radiation excitatrice, par S le coefficient, d'absorption de la radiation émise par fluorescence et tombant dans le photomètre, l'intensité de la lumière émise par fluorescence peut s'écrire :

K désignant une constante, ou encore :


168 MÉMOIRES.

Un pareil dispositif permet de faire très rapidement un grand nombre de mesures photométriques; les deux plages du photomètre ont toujours la même couleur, quelle que soit la largeur de la fente. Le zéro de celle-ci se détermine par le procédé que j'ai précédemment indiqué 1 :

cm.

d = 23,0 12 6,3

24,4 11 6,5

25,4 10 6,5

27,3 9 6,7

28,6 8 6.5

30,2 7 6,4

32,1 6 6,2

36,6 5 6.7

41,0 4 6,7

45,1 3 6,1

57,6 2 6,6

Dans d'autres expériences, l'intensité de la lumière excitatrice Ie a varié de 1 à 12,1; l'intensité de la lumière fluorescente était mesurée par le procédé décrit au paragraphe II.

Voici quelques nombres :

cm.

19.6 1,20022 15,9

111,0 1,21502 16.3

211,0 1,17857 15,1

ÉTUDE DE SOLUTIONS TRÈS CONCENTRÉES DE FLUORESCÉINE.

La méthode précédente est difficilement applicable aux solutions très concentrées de fluorescéine. car, pour celles-ci, la fluorescence est localisée dans une épaisseur très faible à partir

1. Annales de la Faculté des Sciences de Toulouse, t. V, 2e série, p. 941.


RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA FLUORESCENCE. 169

de la face d'entrée. II faut alors observer normalement à cette face. Une cuve très longue contenant la solution fluorescente est éclairée normalement par la radiation excitatrice. En prenant les mêmes notations que précédemment, l'intensité de la lumière émise par fluorescence a, comme expression :

en supposant a et (3 constants et indépendants de la fluorescence.

Une cuve de quelques centimètres de longueur sera pratiquement suffisante si la solution est concentrée; au contraire, pour des solutions étendues, il faudra employer une cuve très longue. Au moyen d'une cuve auxiliaire contenant la substance fluorescente, il sera facile de vérifier si la cuve employée est assez longue. S'il en est ainsi, les rayons convergents de la longue cuve ne doivent pas provoquer de fluorescence appréciable dans la cuve auxiliaire.

L'expérience peut être faite de la façon suivante : Je projette sur la face d'entrée de la cuve deux images rectangulaires A et B d'intensités sin2x et cos2a. Il suffit pour cela d'employer un nicol et un bérifringent. Au moyen d'un photomètre constitué également par un nicol et un biréfringent, c'est-à-dire identique à celui de la page 6, je compare les intensités des radiations excitées, je trouve que leur rapport est égal à tang2a.

Voici un exemple :

Intensités

a observé au moyen

A. B. du photomètre.

o

sin 830 sin 260 30,0

sin 220 sin 270 20,0

sin 210 sin 280 9,5


170 MÉMOIRES.

CONCLUSIONS.

Les recherches précédemment décrites paraissent mettre hors de doute que le coefficient d'absorption de la fluorescéine et du verre d'urane ne varie pas pendant la fluorescence, au moins dans les conditions m'i les expériences ont été faites. Les sources de lumière excitatrice ont été la lampe de Nernst, la lumière réfléchie sur une glace argentée, l'arc électrique tamisé par un verre violet.


RECHERCHES ASTRONOMIQUES AU PIC-DU-MIDI. 171

PREMIÈRES RECHERCHES ASTRONOMIQUES

AU PIC-DU-MIDI. PAR M. B. BAILLAUD 1.

J'ai eu l'honneur d'exposer, l'année dernière, à cette Académie, les résultats des essais faits les années précédentes par par M. Bourget, astronome adjoint à l'Observatoire, et par moi, pour arriver à apprécier d'une façon certaine les conditions générales qu'offrent les images stellaires au sommet du Pic-du-Midi.

La question tire un intérêt tout spécial de ce fait qu'il existe en ce sommet un Observatoire météorologique, oeuvre admirable du général de Nansouty, de Vaussenat, noms auxquels il faut associer celui de Ginet, collaborateur de Vaussenat pendant de longues années. Sous l'habile direction de M. Marchand, successeur de Vaussenat, et par le zèle des observateurs, MM. Ginet et Latreille, qui ont voué leur vie à sa prospérité, cette station météorologique est devenue une station de premier ordre. La plupart des difficultés inhérentes aux grandes altitudes ont été surmontées; la vie matérielle est assurée dans des conditions à peu près aussi normales qu'on puisse l'espérer, et la question se posait, depuis la prise de possession de l'observatoire par l'Etat, de tirer meilleur parti encore des travaux exécutés par les fondateurs, et du budget annuel payé par l'Etat, en établissant,

1. Lu dans la séance du 29 juin 1905.


172 MÉMOIRES.

à côté de l'Observatoire météorologique, une succursale astronomique de l'Observatoire de Toulouse. C'était le rêve de Vaussenat. On peut le regarder comme réalisé aujourd'hui.

Les résultats des essais que je rappelais tout à l'heure sont les suivants : au sommet, quand le ciel est clair, les images stellaires sont toujours bonnes, très souvent excellentes, assez fréquemment admirables. Et encore n'avonsnous pu faire nos observations pendant l'hiver. L'avis de MM. Ginet et Latreille, à cet égard, ne laisse aucun doute. Pendant les nuits claires d'hiver, à la simple vue, les ima ges sont incomparablement plus calmes qu'en été. L'oeil, armé d'un excellent télescope, verra des images de beauté exceptionnelle.

Les astronomes américains qui, dans ces dernières années, avaient étudié les conditions des images astronomiques dans les stations élevées avaient affirmé qu'il ne faut y chercher de bonnes images que sur les plateaux ; les pics, à cause des courants de vents ascendants, seraient à éviter.

Les Pyrénées n'offrent pas de grands plateaux et nous ne pouvons faire la comparaison. Mais nos essais réitérés nous permettent d'affirmer que le Pic-du-Midi se comporte à cet égard comme un plateau, et que les images y sont aussi parfaites que l'on puisse espérer. De plus, le nombre des nuits claires, au moins en partie, est de huit à neuf sur dix. C'est, en dehors de quelques périodes défavorables, la possibilité du travail continu.

En 1904, mes séjours ont eu pour objet principal la construction d'une maison d'habitation pour deux astronomes, et celle de la tour d'une coupole pour un grand instrument. Ces entreprises ont été rendues possibles par ce rattachement des Observatoires de Toulouse et du Pic-du Midi à l'Université de Toulouse. Leur réalisation et l'organisation complète de la station astronomique seront un résultat non négligeable de la création des Universités françaises. L'initiative en revient pour une bonne part à l'administrateur, M. Liard, qui a proposé au Ministre cette création; elle revient aussi au Recteur de l'Académie de Toulouse, qui eut,


RECHERCHES ASTRONOMIQUES AU PIC-DU-MIDI. 173

dès le début, une vision si nette des services qu'on en peut attendre Je n'ai eu, personnellement, qu'à mettre à profit les circonstances favorables qui se présentaient, et j'y ai été aidé par le concours empressé du directeur de l'Observatoire météorologique, M. Marchand, qui a mis à ma disposition, non seulement les ressources matérielles dont il dispose, mais l'activité de ses collaborateurs, et s'est attaché, au prix de longs efforts, à donner la meilleure solution aux problèmes de toutes sortes que posait la nouvelle entreprise.

Servis par un temps exceptionnellement favorable, même par le retard de la dernière fonte des neiges qui nous a permis d'être alimentés en eau plus tard que nous ne l'espérions, nous avons pu, en employant une dizaine d'ouvriers à la fois, achever la maison d'habitation à laquelle il ne manque plus que la menuiserie intérieure et le mobilier, et faire les cinq sixièmes de la maçonnerie de la coupole. Je ne saurais trop remercier ici M. Ginet qui a bien voulu accepter la conduite des travaux.

Les crédits mis à notre disposition par l'Université de Toulouse s'élèvent à 85,000 francs dont 30,000 francs proviennent d'une subvention de l'Etat. Nous avons dépensé, en 190-i, environ 17,000 francs. Avec une vingtaine de mille francs nous achèverons, cette année, la maçonnerie de la tour et la coupole elle-même. En 1906, nous mettrons en place la coupole l'instrument.

La coupole est en construction à l'Observatoire de Toulouse, par les soins du mécanicien de l'Observatoire, M. Carrère, aidé de trois ou quatre ouvriers. Nos séjours des années précédentes ont précisé pour nous les problèmes à résoudre, et le principal avantage que nous ayons à construire la coupole à l'Observatoire même, sera de tenir compte, le plus complètement possible, des conditions que la météorologie du Pic nous impose.

Cette coupole sera portée par un chemin de roulement en construction dans les ateliers d'un mécanicien toulousain, M. Dabasse, qui s'est inspiré des idées de M. Carrère. Le programme général est le suivant : une coupole de 8m40 de


174 MÉMOIRES.

diamètre extérieur, rigide, solide, établie sur un chemin rigoureusement circulaire, dont les trappes soient facilement accessibles, dans des conditions telles qu'il soit aisé de débarrasser les galets et les rails des neiges et du verglas qui pourraient s'y déposer. La coupole doit être doublée en bois. Elle sera entièrement établie à l'Observatoire de Toulouse, puis démontée, transportée au Pic et remontée au sommet.

L'instrument a été commandé, il y a un an environ, à M. P. Gautier, l'habile constructeur parisien. Ce sera un équatorial à monture anglaise, du type adopté pour la Carte photographique du Ciel. Seulement, la distance focale, au lieu d'être 3m30 sera 6 mètres, et l'objectif photographique de 0m33 d'ouverture sera remplacé par un miroir de 0m50 d'ouverture. Le tube rectangle a donc, par raison de symétrie, 0m50 sur 1 mètre. Il est divisé par une cloison formant charpente en deux tubes carrés de 0m50 de côté. L'un correspond au miroir de 0m50 et portera à volonté, à son extrémité oculaire, un micromètre avec oculaire visuel, une chambre photographique ou un grand spectroscope du système Fabry-Jobin. L'autre tube portera un objectif de 0m23, don gracieux de M. Gautier, de 6 mètres de foyer, lequel servira de lunette pointeur. On pourra y fixer en môme temps des objectifs photographiques à courts foyers. Nous en avons actuellement doux : l'un de P. et Pr. Henry, excellent, de 0m16 d'ouverture, avec le rapport un sixième; l'autre, de Om11, de Krauss, avec le rapport un quart. Nous espérons en obtenir à bref délai un de 0m24 avec un rapport un quart ou un cinquième. J'ajoute que les dispositions sont prises pour qu'il soit aisé de remplacer le miroir de 0m50 par un objectif visuel de 6 mètres de foyer et 0m39 d'ouverture que nous employons à Toulouse, ou, si cela est utile, par un grand objectif photographique. Nous songeons aussi à faire l'acquisition d'un grand prisme objectif qui compléterait notre outillage.

On voit que nous avons cherché à n'avoir au Pic qu'un grand instrument susceptible de s'adapter à des travaux de


RECHERCHES ASTRONOMIQUES AU PIC DU-MIDI. 175

toutes sortes, par la substitution des objectifs ou des pièces placées à l'oculaire.

Nous ne pouvions guère faire autrement. D'une part, nos ressources sont limitées. L'espace dont nous disposons sur la terrasse du Pic l'est aussi. Le nombre des observateurs habiles et dévoués qui y séjourneront en même temps ne l'est pas moins. L'expérience des stations américaines élevées nous l'apprendrait si la chose n'était pas évidente d'ellemême. Au reste, vous n'avez pas oublié qu'il est question d'établir au Pic la grande lunette de l'exposition, qu'accepterait l'Université de Toulouse. Avant de se lancer dans d'autres entreprises, il est sage d'attendre l'achèvement du programme actuel.

Les nombreux instruments commandés il y a quelques mois à M. Gautier pour l'observation de l'éclipse du 30 août prochain, et la mort de Paul Henry qui devait faire le miroir de 0m50, ont retardé l'achèvement de notre équatorial, qui ne pourra être mis en place que dans l'été de 1906. Le retard sera, en fait, peu important, car il était évident, dès le début, que si la coupole et les parties volumineuses de l'instrument pouvaient être mises en place en août et en septembre 1905, il ne fallait pas songer à effectuer dans la même période le réglage des parties délicates, et le travail scientifique à cet instrument ne pouvait, dans aucun cas, commencer avant la fin de l'été 1906, ce qui aura lieu malgré le retard imprévu.

En attendant le commencement de recherches régulières, faites avec des instruments irréprochables, nous avons voulu, dès 1904, mettre en train certaines recherches en employant les ressources sommaires dont nous disposions. J'avais établi, pour nos essais concernant les images, dans une coupole légère de 4 mètres de diamètre, un instrument multiple, équatorial, comprenant un télescope de Foucault de 0m33 d'ouverture, une lunette pointeur de 0m108 et notre lunette photographique de 0m16 des Henry. J'avais aussi emmené au sommet un grand théodolite de Brunner.

Dès 1903, je m'étais proposé de déterminer, avec ce dernier


176 MÉMOIRES.

instrument, la constante de la réfraction au sommet du Pic. L'instrumenta une puissance optique faible, l'objectif n'ayant que 4 centimètres d'ouverture. Je puis néanmoins constater qu'il était possible de voir, au méridien, a. et (3 Grue, étoiles de deuxième grandeur, qui sont en fait audessous de l'horizon, et que la réfraction ramène à l'horizon même. Les montagnes de la chaîne, au sud du Pic, sont plus hautes de 400 mètres que le Pic même, et la crête est à une quarantaine de kilomètres. On ne voit donc, en général, vers le Sud, que des points situés à un demi-degré de hauteur au-dessus de l'horizon. Heureusement, la méridienne du Pic passe dans un col, à l'est de la Munia, et les étoiles s'aperçoivent bien avec notre théodolite à l'horizon même. On les verrait à dix ou vingt minutes audessous.

En 1904, je fus accompagné au sommet par M. F. Rossard, assistante l'Observatoire, qui y fit un séjour de sept semaines. Je lui proposai de reprendre les observations de a et p Grue. Elles avaient été rendues plus faciles par l'emploi de lampes électriques à main pour la lecture des cercles. Le théodolite est, en effet, installé sur un pilier assez près du bord sud de la terrasse, et le vent rendant en général impossible l'emploi d'une lampe ordinaire, j'avais dû, dans les deux observations faites en 1903, laisser le théodolite en place et faire les lectures le lendemain matin.

M. Rossard a fait, en 1905, vingt-deux observations, soit de a, soit de [3 Grue. On pourra en déduire une relation entre les coefficients qui entrent dans la formule de la réfraction de Laplace et fixer la réduction de la hauteur du baromètre du Pic au niveau de la mer, réduction qui aujourd'hui comporte une erreur pouvant atteindre 2 millimètres.

Le travail sera repris en 1906, au moyen d'un altazimuth de grande dimension, appartenant à l'Observatoire de Besançon. Cet instrument, construit à la fondation de l'Observatoire sur les plans de Gruey, n'a pas encore été employé à cause de l'absence d'éclairage électrique. Au Pic, tous les instruments seront éclairés à l'électricité, et, dès 1906, l'élec-


RECHERCHES ASTRONOMIQUES AU PIC-DU-MIDI. 177

tricité sera obtenue, soit par un groupe électrogène chargeant des accumulateurs, soit par des piles.

La valeur approchée de la réfraction horizontale au sommet est vingt-deux miuntes; elle est trente-trois au niveau de la mer.

L'emploi du grand altazimut de Besançon permettra d'étudier la réfraction horizontale au Pic, tout autour de l'horizon les étoiles y étant visibles plus souvent qu'en plein sud, en raison de ce qu'il y a souvent en arrière de la chaîne, sur l'Espagne, des nuages plus ou moins élevés qui viennent gêner la vue.

Le séjour de M. Rossard en 1905 a été utilisé à des observations d'un genre tout à fait différent. L'attention des astronomes a été attirée, à diverses reprises, sur l'intérêt qu'offrirait pour la connaissance de l'univers visible la mesure de l'éclat total du Ciel.

La photographie offre un moyen tout naturel de comparer, pour des durées de pose égales, les impressions produites par les diverses régions. Le travail demande un objectif à grand champ pour que le nombre des clichés à obtenir ne soit pas trop grand. Il demande aussi un ciel d'une pureté uniforme, et, à ce point de vue, ne peut guère se faire que dans des stations de montagnes. Au Pic, le nombre des nuits utilisables est très notable. Il faut déduire naturellement les nuits où brille la Lune.

J'avais pensé d'abord à faire des poses sur les diverses régions du Ciel, l'équatorial étant entraîné par son mouvement d'horlogerie, comme cela a lieu dans les poses photographiques ordinaires, la plaque étant notablement éloignée du foyer. L'expérience a montré qu'à notre lunette des Henri (ouverture 16 centimètres, rapport un sixième) il suffit de faire des poses de trente minutes. On obtient sur le cliché un fond uniforme, modifié seulement par les cercles plus foncés que donnent les très belles étoiles.

Les procédés appliqués par les physiciens à la mesure des degrés de noir photographique sont connus. Ils permettent de comparer les diverses régions d'une même plaque. Quant

10e SÉRIE. — TOME V. 12


178 MÉMOIRES.

à la comparaison des plaques les unes aux autres, elle peut être rendue possible si l'on laisse au centre de chaque cliché une région recouverte pendant la pose et qu'on y produise l'image de la polaire par un temps de pose constant beaucoup plus court d'ailleurs, une minute par exemple. La pratique, dans mon séjour au Pic, avec M. Rossard, m'a conduit à modifier ce procédé en laissant marcher sur la plaque l'image du Ciel. A la lunette de 1(5 centimètres, un champ de 8 degrés peut être utilisé. Si on considère deux lignes verticales placées à 2 degrés des deux bords, elles sont à 4 degrés, soit une heure, l'une de l'autre. Si on laissait marcher une région équatoriale du Ciel devant la plaque pendant une heure, l'impression photographique sur la première des deux lignes serait la résultante des impressions produites par les diverses parties d'une bande du Ciel ayant une heure de largeur en ascension droite. Il resterait à comparer les variations du noircissement le long de la ligne. Qn y gagne d'avoir une sommation physique, automatique, par zones d'ailleurs aussi étroites que l'on veut; et en outre, l'instrument étant immobile, l'astronome n'intervient qu'à la fin de la pose pour imprimer l'image de la polaire en vue du raccordement des clichés successifs.

En se bornant à des poses d'une demi-heure, on aurait quarante-huit lignes par zone de 8 degrés et réparties sur vingt-quatre clichés au plus. Pour le Ciel entier, ou du moins pour la partie visible au Pic. ce serait environtroiscents clichés et six cents lignes à comparer photométriquement. Le travail pourrait être fait en une année de séjour au sommet et une année ou deux de travail de laboratoire. En raison de la simplicité de l'instrument employé et du peu d'intervention demandée à l'astronome, celui-ci pourrait, pendant son année de séjour au Pic. se livrer à d'autres travaux, notamment à des mesures visuelles, qui permettent un travail discontinu.

C'est sur ces principes que M. Rossard a obtenu vingtcinq clichés, dont le développement a été fait par M. Latreille, à qui nous offrons nos remerciements Dans l'été 1905, je ne pourrai emmener d'astronome avec moi au sommet, la cou-


RECHERCHES ASTRONOMIQUES AU PIC-DU-MIDI. 179

pole provisoire ayant été démontée à la fin de la campagne 1904 pour permettre l'installation de la coupole nouvelle. Je serai personnellement absorbé par les mille détails qu'entraîne une installation définitive.

Mais les travaux commencés en 1904 seront menés activement en 1906, dans des conditions beaucoup plus satisfaisantes.


180 MÉMOIRES.

SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTÉRISTIQUE

DES COURBES DE BERTRAND

Et son application à la recherche des surfaces dont les lignes asymptotiques d'une famille sont des courbes égales,

Par M. VICTOR ROUQUET1.

1. — Dans un article inséré au Bulletin de la Société mathématique de France pour l'armée 1902 (t. XXX, p. 13), M. Goursat a établi la proposition suivante :

1° Lorsque, pour une famille, les lignes asymptotiques d'une surface qui n'est ni réglée, ni hélicoïdale, sont des courbes égales, les binormales de chacune d'elles rencontrent deux droites fixes ;

2° Réciproquement, on peut imprimer à toute courbe dont les binormales rencontrent deux droites fixes une infinité de mouvements dépendant d'une fonction arbitraire d'une seule variable, tels que les positions successives de cette courbe forment une famille d'asymptotiques de la surface engendrée qui, dès lors, partagera avec les surfaces réglées et les hélicoïdes comprenant les surfaces de révolution comme cas particulier, cette propriété que les asymptotiques d'une famille sont égales entre elles.

Je me propose, dans ce qui suit, de préciser la nature de ce mouvement en montrant qu'il résulte du déplacement du trièdre principal d'une courbe de Bertrand (O) à laquelle est

1. Lu dans la séance du 15 juin 1905.


SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTÉRISTIQUE. 181

naturellement associée la courbe de Bertrand conjuguée (O'), qui a les mêmes normales principales que (0), et dont le trièdre principal est invariablement lié, comme on sait, à celui de cette courbe (O).

2. — Le mode de génération dont on vient de parler se déduit, comme on le verra plus loin, d'une propriété caractéristique des courbes de Bertrand que j'établirai tout d'abord, en faisant remarquer qu'elle est la généralisation d'une autre obtenue, en partie, par M. Pirondini 1 et que j'ai eu moi-même l'occasion de compléter 2. La propriété dont il s'agit s'énonce ainsi :

Lorsque, dans toutes les' positions d'un système invariable en mouvement, quatre droites de ce système linéairement indépendantes, c'est-à-dire n'appartenant pas à la fois à une quadrique, sont constamment normales aux trajectoires de leurs différents points :

1° Les pieds O et O' de la perpendiculaire commune aux deux droites D et D' qui rencontrent les quatre droites proposées décrivent deux courbes de Bertrand conjuguées (O) et

(O');

2° Le mouvement du système est produit par le déplacement des trièdres principaux, invariablement liés entre eux, des courbes (O) et (O') ;

3° Les droites faisant partie de la congruence linéaire dont D et D' sont les directrices coupant aussi normalement, dans chaque position du système, les trajectoires de tous leurs points.

3. — Avant d'exposer la démonstration de ce théorème, je rappellerai, pour la commodité du lecteur, et en les empruntant au grand traité de M. Darboux 3, les résultats concernant le déplacement d'un système invariable rapporté à un trièdre

1. Nouvelles Annales de mathématiques (3e série, t. IX, p. 297).

2. Mémoires de l'Académie des Sciences de Toulouse (9e série, t. VIII, p. 2(58), et Annales de la Faculté des Sciences de Toulouse (1896, F, p. 6).

3. Leçons sur la théorie générale des surfaces, t. I, p. 8.


182 MÉMOIRES.

trirectangle T qui fait partie de ce système et se meut avec lui.

En désignant par x, y, z les coordonnées, par rapport aux axes de T, d'un point M invariablement lié à ce trièdre, les projections de la vitesse de M. sur les axes mobiles, ont pour valeurs :

Dans ces formules, qui s'appliquent à une position quelconque du système, £, v), Ç, représentent les projections, sur les axes de T, de la vitesse de l'origine, et, p, q, r, les composantes de la rotation instantanée par rapport aux mêmes axes.

L'axe central a pour équations :

la valeur commune de ces rapports étant égale au pas de la vis instantanée.

Considérons maintenant une droite quelconque A faisant partie du système, et dont les équations, par rapport à T, d'abord présentées sous la forme :

peuvent aussi s'écrire :


SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTÉRISTIQUE. 183

que décrit l'un de ses points M (x, y, z) quand on passe de cette position à la position infiniment voisine. La condition cherchée, exprimée d'abord par la relation

l'est aussi par la suivante


184 MÉMOIRES.

nées de ces droites. On aura donc un certain nombre de relations entre les composantes de la vitesse de l'origine et de la rotation instantanée, et les coordonnées constantes de ces droites. Nous nous proposons d'étudier ces relations dans le cas où le système contient quatre de ces normales supposées linéairement indépendantes. En même temps que ces quatre normales A1, A2, A3, A4, il y aura lieu de faire intervenir les droites, au nombre de deux, D et D', qui les rencontrent toutes à la fois et qui peuvent être distinctes ou confondues, situées à distance finie ou infinie. Pour la démonstration du théorème énoncé au n° 2, on aura, dès lors, à distinguer plusieurs cas.

5. — Le cas général que nous envisagerons en premier lieu est celui dans lequel les droites D et D' rencontrant les quatre droites données A1, A2, A3. A4, linéairement indépendantes et constamment normales aux trajectoires de leurs différents points, sont distinctes et situées à distance finie. Ces droites D et D' peuvent être, en outre, réelles ou imaginaires conjuguées. Mais notre démonstration convient à l'une ou à l'autre de ces hypothèses.

Prenons, pour trièdre T, celui dont l'axe des y se confond avec la perpendiculaire commune OO' aux deux droites D et D', qui a pour origine le milieu A de OO' et, pour plan des xy et des zy, les plans bissecteurs des trièdres formés par les plans (A, D). (A, D'). Par rapport à ce trièdre T, dont les éléments sont évidemment réels, quelle que soit la nature des droites D et D', on a pour les équations de ces droites :

D Y = a, Z = kX,

D' Y = — a, Z = — kX,

en désignant par 2a la plus courte distance 00' et, par h, la tangente du demi-angle des deux droites. Les quantités différentes de zéro a, et k, réelles en même temps que D et D', deviennent des imaginaires pures, telles que a'i et h'i, lorsque ces droites sont imaginaires conjuguées. Considérons maintenant une droite A du système proposé,


SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTÉRISTIQUE. 185

qui rencontre D et D'. Dans une position quelconque de T, ses équations seront :

X et µ désignant deux paramètres qui restent les mêmes pour toutes les positions du trièdre T.

Cherchons la condition pour que cette droite A soit normale aux trajectoires de ses différents points. Il faudra exprimer, à cet effet, que l'équation (3) du complexe caractéristique est vérifiée, dans toutes les positions du système, par les coordonnées de A qui ont ici pour valeur :

La condition cherchée est donc :

Par hypothèse, la relation précédente est constamment vérifiée pour les quatre systèmes de valeur X* et \i.t (i zzl, 2, 3, 4) qui correspondent à A1, A2, A3, A4. Je dis qu'il résulte de l'indépendance de ces droites que l'équation (4) est identique en X et µ, c'est-à-dire que l'on a, pour toutes les positions du système :

Supposons écrites, en effet, les équations déduites de (4) en y remplaçant X et µ. par les quatre systèmes de valeur X* et µi. Ces nouvelles équations seront linéaires et homogènes par rapport aux quatre quantités :


186 MÉMOIRES.

Or, le déterminant du système n'est pas nul, sans quoi les quatre droites données appartiendraient, contrairement à l'énoncé, à la quadrique ayant pour équation :

et qui est déterminée par les trois premières d'entre elles. Le déterminant dont il s'agit étant différent de zéro, les quatre inconnues précitées ont toutes des valeurs nulles, c'est-à-dire vérifient constamment les relations (5) transformant en identité l'équation (4).

6. — Pour interpréter le résultat que l'on vient d'obtenir, portons les valeurs de £, il, g et Y; dans les formules (1) et (2). Celles-ci deviennent :

et l'on trouve, pour les équations de l'axe central :

On en conclut d'abord que l'axe central coupe constamment à angle droit Taxe Oy du trièdre T et que le lieu de cet axe, dans le système invariable, est le conoïde de Plucker représenté par l'équation :

En second lieu, les composantes de la vitesse de O (o,a,o) sont :


SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTÉRISTIQUE. 187

La tangente OG en O à la courbe (O) décrite par ce point est, par suite, une droite perpendiculaire à Qy, ayant pour équation :

et qui est, dès lors, invariablement liée au trièdre T, c'està-dire au sytème invariable. On verrait de même que la tangente à (O') en O' a pour équation :

et que cette droite O G fait partie du système considère. Le plan normal à (O) en O, représenté par l'équation

Zzz —ftX,

passe par 00' et par D'. Sa caractéristique, lieu des points de ce plan dont la vitesse est contenue dans le plan lui-même, est représentée par l'équation précédente jointe à celle-ci :

La binormale de (O) en O, parallèle à cette caractéristique, est donc la droite OH parallèle à D' et, dès lors, la normale principale de cette courbe, au même point O, se confond avec Oy ou OO'. On verrait de même que la perpendiculaire commune à D et D' est la normale principale (O') en O' Il s'ensuit que les deux courbes (O) et (O') sont deux courbes de Bertrand conjuguées, puisque, dans toute position du trièdre, elles ont la même normale principale OO'. De plus, leurs trièdres principaux sont invariablement liés entre eux et au trièdre T. Enfin, la binormale de (O) est parallèle à D', en même temps que la bi-


188 MÉMOIRES.

normale de (O')est parallèle à D. Les deux premières parties de la proportion sont ainsi établies. Pour démontrer la troisième, il suffit d'observer que la relation (5) étant une identité en X et µ, toute droite A rencontrant D et D', c'est-à-dire faisant partie de la congruence linéaire dont D et D' sont les directrices, appartient, par cela même, au complexe défini par l'équation (3) et coupe, dès lors, normalement les trajectoires de ses différents points, dans toute position du système.

7. — La réciproque de cette proposition est aisée à démontrer. Soient (O) et (O') deux courbes de Bertrand conjuguées,. O et O' deux points de ces courbes qui se correspondent, c'està-dire pour lesquels les normales principales aux deux courbes sont les mêmes; OG et O'G', les tangentes à (O) et (O') aux points O et O', et OH, O'H' les binormales aux mêmes points. Soient enfin D et D' les droites menées respectivement par O et O', parallèlement aux binormales O' H' et OH. Je disque, dans le déplacement simultané des trièdres principaux de (O) et de (O'), qui sont, comme on sait, invariablement liés entre eux, toute droite A du système qui rencontre D et D' est constamment normale aux trajectoires de ses différents points.

Si l'on rapporte, en effet, le système au trièdre de référence défini au n° 5, et qui est invariablement lié aux trièdres principaux des courbes (O) et (O'), les équations de D et de D' seront celles du n° 4 et, pareillement, d'après le choix fait poulies axes, on retrouvera, pour les tangentes OG et O'G', les équations données au n° 6. On aura d'abord :

Y = O, q = o,

puisque, dans le déplacement du trièdre principal d'une courbe quelconque (O), l'axe central coupe à angle droit la normale principale de (O). En outre, les deux dernières équations (5) seront vérifiées, car, d'après les équations des tangentes OG et O'G' on doit avoir, à la fois,


SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTERISTIQUE. 189

L'équation (5) est donc identique et, dès lors, toute droite A rencontrant D et D' est normale, dans les diverses positions du. trièdre, à la trajectoire de l'un quelconque de ses points.

8. — Nous abordons maintenant le cas où les droites D et D' se confondent. On sait qu'alors les quatre droites Ai, A2, A3, A4, sont tangentes, aux points où elles rencontrent D, à une quadrique passant par D et que nous remplacerons par un paraboloïde de raccordement suivant cette génératrice. Dans ce cas, que l'on peut regarder comme la limite du cas général, mais que cependant nous traiterons directement, la perpendiculaire commune aux droites D et D' devient la perpendiculaire à D menée par le point central de D et dans le plan central du paraboloïde relatifs à cette génératrice.

On choisira donc le trièdre T de manière que l'axe des z coïncide avec D, que l'origine O soit le point central de D, et que le plan yOz se confonde avec le plan central.

Soit h le paramètre de distribution du paraboloïde pour la génératrice D. Le plan tangent à ce paraboloïde en un point M de D, de cote égale à zo fait, avec le plan central yOz, un angle w dont la tangente est donnée par la formule

Gonséquemment, si l'on pose, pour abréger,

X zz tang w,

les équations générales des droites du système invariable qui touchent le paraboloïde considéré en leurs points de rencontre avec D, sont

X et µ. désignant deux paramètres qui ne changent pas pendant le déplacement du trièdre T.

Exprimons encore que la droite représentée par les équations précédentes est constamment normale aux trajectoires


190 MÉMOIRES.

décrites par ses différents points, et. à cet effet, que, pour toute position de T, les coordonnées de cette droite qui ont pour valeurs

vérifient l'équation (3) du complexe caractéristique. La condition cherchée, qui prend la forme

doit être satisfaite par les systèmes de valeurs de X et de \i. relatives aux quatre droites donnée Ai, A2, A3, A4. On en coucluera, comme au n° 5 et à cause de l'indépendance de ces droites, que la relation (8) est identique en X et µ., c'est-à-dire que l'on a, dans toutes les positions de T,

9. — Les trois premières équations (9) signifient que T est le trièdre principal de la trajectoire (O) du point central de D (1), Taxe Ox étant la tangente, l'axe Oy la normale principale, et Taxe Oz ou D, la binormale. La vitesse du point O, dirigée suivant Ox et égale à £, peut être prise pour unité, car cela revient à faire le temps égal à l'arc de (O). S'il en est ainsi, r désigne la courbure de (O) et p la torsion changée de signe. Cela étant admis, la dernière des équations (9) qui, pour h, zz 1, devient

montre que la torsion de (O) est constante et égale en valeur absolue à l'inverse du paramètre de distribution du paraboloïde. Ce résultat rentre dans l'énoncé général, car les courbes à torsion constante forment une classe particulière des courbes de Bertrand. On doit observer, en outre, que D coïncide avec

1. Darhoux, loc. cit., pp. 10 et 12.


SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTÉRISTIQUE. 191

la binormale de (O) en O, d'où il suit que le paraboloïde auxiliaire dont les plans tangents suivant D contiennent les droites 1„ A2, A3, A4, est aussi de raccordement pour la surface réglée lieu des binormales de (O). On sait, en effet, que quelle que soit la courbe (O), le point central d'une génératrice Oz de cette dernière surface est le point O de (O), le plan central est le plan normal à (O) en O, et le paramètre de distribution est égal, au signe près, au rayon de torsion correspondant de la courbe.

Il reste à prouver que toutes les droites A du système invariable qui font partie de la congruence linéaire dont les directrices se confondent et qui est définie par le paraboloïde de raccordement suivant D, sont constamment normales aux trajectoires de leurs différents points. Cela résulte de ce que l'équation (8) est identique en X et µ, puisque les relations (9) sont vérifiées, et que les équations générales des droites de la congruence sont précisément celles qui ont été écrites au n° 8.

11. — La réciproque est vraie. Soit (O) une courbe à torsion constante et O l'un de ses points ; Oz ou D la binormale de O en O.

Je dis que toute droite rencontrant D et touchant, au point de rencontre, la surface réglée sur des binormales de (0), restera constamment normale aux trajectoires de ses différents points, quand elle sera entraînée dans le déplacement du trièdre principal de (0).

Si l'on prend, en effet, ce trièdre principal pour trièdre de référence, les équations (9) seront vérifiées, savoir, les premières à cause du choix fait pour le trièdre T, et la dernière, parce que la torsion est égale, au signe près, à l'inverse du paramètre de distribution de la surface réglée considérée. L'équation (8) étant alors identique, toutes les droites de la congruence linéaire, dont les directrices se confondent avec D, posséderont la propriété qu'il s'agissait de démontrer.

12. — 11 ne reste plus qu'à examiner ce qui arrive lorsqu'une des droites D ou D' est rejetée à l'infini. D'abord, les droites D et D' ne peuvent être simultanément à l'infini, sans quoi les quatre droites données, assujetties à les rencontrer, seraient


192 MÉMOIRES.

parallèles et appartiendraient, dès lors, contrairement à l'hypothèse, à une infinité de cylindres du second ordre.

Soit D celle des deux droites située à distance finie. Les quatre droites Ai, A2, A3, A4 rencontrent D et sont parallèles à tout plan P parallèle à D'. Choisissons le trièdre T de manière que l'origine soit un point de D, que le plan zOx contienne D et que le plan yOz soit parallèle au plan P. Dans ce système, les équations de D sont

et celles d'une droite A rencontrant D et parallèle au plan P, ou yOz,

X et µ désignant deux paramètres indépendants de la position de T.

La droite A sera constamment normale aux trajectoires de ses différents points, si ses coordonnées

vérifient l'équation (3), dans toutes les positions de T, ce qui exige que l'on ait

Cette relation doit être satisfaite pour les systèmes de valeurs de X et de \J. correspondant aux quatre droites A1, A2, A3, A4 qui, par hypothèse, n'appartiennent pas à une quadrique. On en conclut, comme au n° 5, que l'équation (10) est une identité en X et µ., c'est-à-dire que l'on a constamment

Les trois premières équations (11) signifient que T est le trièdre principal de la trajectoire (O) de l'origine, et la dernière,


SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTÉRISTIQUE. 193

que cette courbe est une hélice tracée sur un cylindre arbitraire dont les génératrices sont parallèles à D, puisque cette relation exprime que le rapport des courbures de (O) est le nombre constant h.

De plus, l'équation (9) étant une identité en X et µ., toutes les droites rencontrant D et parallèles au plan P ou, ce qui revient au même, appartenant à la congruence linéaire dont D et D' sont les directrices, restent constamment normales aux trajectoires de leurs différents points. La proposition a donc encore lieu dans le cas particulier actuellement envisagé, car les hélices cylindriques sont des courbes de Bertrand. Le pied O, sur D, de la perpendiculaire commune à D et à D' est un point quelconque de D et décrit une hélice, toujours égale à elle-même.

On démontrerait la réciproque par un raisonnement analogue à celui qui a été employé aux nos 7 et 11. En résumé, la propriété énoncée au n° 2 est, non seulement générale, mais encore caractéristique pour les courbes de Bertrand, puisque la propriété réciproque a été établie dans tous les cas.

13. — Le théorème précédemment démontré trouve son application dans la solution du problème traité par M. Goursat, pour définir géométriquement les surfaces dont les lignes asymptotiques d'une famille sont égales entre elles. Excluant les surfaces réglées et les hélicoïdes, qui possèdent évidemment cette propriété, et désignant par S les autres surfaces répondant à la question, je me propose de démontrer l'élégant théorème de M. Goursat, en le complétant, comme il a été dit ci-dessus. Pour plus de clarté, je reproduis d'abord le raisonnement de l'auteur.

Soit une surface S dont les asymptotiques égales seront désignées par (v). On peut engendrer S parle déplacement d'une de ces lignes (v) dont les points décrivent des trajectoires (u).

Considérons les binormales de la courbe (v) qui, d'après la définition des asymptotiques, sont normales à S. Pendant le déplacement, ces binormales seront normales aux trajectoires (u) de leurs points et appartiendront, dès lors, à chaque instant, au complexe linéaire défini par l'équation (3).

Je dis d'abord que ce complexe linéaire change avec la posi10e SÉRIE. — TOME v. 13


194 MÉMOIRES.

tion du trièdre T auquel on suppose que la ligne génératrice est invariablement liée. S'il en était autrement, en effet, les rapports des coefficients ç, rt, l, p, g, r de l'équation de ce complexe seraient constants, l'axe central resterait fixe dans le système invariable et, par suite, dans l'espace. Comme le pas de la vis instantanée est pareillement constant, le déplacement du système serait hélicoïdal et la surface appartiendrait à la classe des hélicoïdes, déjà mise de côté.

14. — On doit donc supposer que le complexe représenté par l'équation (3) varie avec la position du trièdre T, et comme, d'autre part, tous les complexes ainsi obtenus ont une infinité de droites communes, savoir les binormales de (v), de deux choses l'une : ou bien ces binormales forment, pour un système, les génératrices rectilignes d'une quadrique, ou bien elles font partie d'une congruence linéaire.

Je dis que le premier cas ne peut avoir lieu. Si, en effet, les binormales de (v) appartenaient à un même système de génératrices rectilignes d'une quadrique, (f) serait la ligne de striction de la quadrique, en même temps qu'une trajectoire orthogonale des génératrices du système considéré. Or, il est clair que ces conditions ne sont satisfaites, à la fois, que si la quadrique est un paraboloïde équilatère, dont la ligne de striction se compose effectivement des deux génératrices A. et B passant parle sommet, lesquelles coupent à angles droits les génératrices du système dont elles ne font point partie. Mais, dans ce cas, (v) serait l'une des droites A ou B, et l'on obtiendrait, pour S, une surface réglée contrairement à ce que nous supposons.

Il ne reste donc que la seconde hypothèse, en vertu de laquelle les binormales de (p), n'étant pas situées sur une quadrique, appartiennent nécessairement à une congruence linéaire et rencontrent, par suite, les deux directrices de la congruence qui sont deux droites distinctes ou confondues. Ces droites D. et D' sont toutes deux à distance finie, car si l'une d'elles était rejetée à l'infini, les binormales de (v) seraient parallèles à un plan fixe, et la courbe (v) se réduirait, ou bien à une ligne


SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTÉRISTIQUE. 195

droite engendrant une surface réglée, ou-bien à une courbe plane, ce qui ne saurait avoir lieu pour les asymptotiques d'une famille de S.

15, — On peut, dès lors, appliquer aux binormales de toute ligne (v) le théorème du n°2. Dans le déplacement par lequel la ligne (v) engendre la surface S, les pieds O et O' de la perpendiculaire commune aux directrices D et D' de la congruence linéaire qui contient les binormales de (v), décrivent des courbes de Bertrand conjuguées (O) et (O'), distinctes Tune de l'autre si D et D' ne se confondent pas, et admettant, à chaque instant, cette perpendiculaire commune pour normale principale. Le mouvement du système est produit par le déplacement simultané des trièdres principaux invariablement liés entre eux, de ces courbes (O) et (O').

Si les directrices D et D' coïncident, les positions successives de D sont les binormales d'une courbe à torsion constante dont le trièdre principal entraîne la ligne (v) dans son déplacement. La courbe (O) est aussi la trajectoire du point central O de D'.

Le cas où la courbe de Bertrand dégénère en une hélice cylindrique ne peut se présenter, parce que, comme nous l'avons déjà dit, les directrices D et D' sont toutes deux à distance finie.

16.—Il s'agit maintenant de démontrer la réciproque de la proposition précédente.

Soit (v) une courbe dont les binormales rencontrent deux droites fixes D et D', situées à distance finie et que, d'abord, nous supposerons distinctes. Rapportons la figure à un trièdre T choisi comme il a été dit au n° 5 et imprimons ensuite à ce trièdre un déplacement pour lequel les composantes £, r{. ç de la vitesse de l'origine A et celles p, q, r, de la rotation instantanée vérifiant les équations (5), ce qui est possible d'une infinité de manières, puisque les rapports des six composantes précitées ne sont assujettis qu'à vérifier quatre équations. On a vu, d'ailleurs, que ce déplacement est produit par le déplacement simultané, des trièdres principaux des courbes de Bertrand conjuguées décrites par les pieds O et O' de la perpendi-


196 MÉMOIRES.

culaire commune à D et D'. La courbe (v) invariablement liée à D' et D' sera entraînée dans le déplacement dont il s'agit. Je dis que les positions successives de (v) formeront une famille d'asymptotiques de la surface engendrée qui sera, par suite, une surface S.

Pour le prouver, il suffit d'observer que, d'après la troisième partie de notre théorème, les binormales de (v) qui, par hypothèse, rencontrant D et D', resteront constamment normales, pendant le déplacement, aux trajectoires (u) décrites par les points correspondants de la ligne (v) et seront normales, par cela même, à la surface lieu des portions de (v). Les binormales de ces diverses lignes étant normales à la surface engendrée, on en conclut que ces lignes elles-mêmes forment une famille d'asymptotiques de la surface qui est, dès lors, une surface S, comme on se proposait de l'établir.

A toute courbe (v) dont les binormales rencontrent D et D' correspondent ainsi une infinité de surfaces S. On retrouve donc la première partie de la proposition de M. Goursat, d'après laquelle le déplacement de (v) dépend d'une fonction arbitraire d'une seule variable. On voit, de plus, que la détermination analytique du mouvement est réalisée par trois quadratures, savoir celles qui sont requises pour obtenir, dans un système d'axes fixes, les équations de la courbe de Bertrand, la plus générale.

17. — Le cas où les directrices de la congruence linéaire à laquelle appartiennent les binormales de (v) se confondent se traiterait de la même manière. Dans ce cas, la courbe (O) dont le trièdre principal définit le déplacement est à torsion constante. On est donc en droit d'énoncer le théorème suivant :

Si l'on met de côté les surfaces réglées et les hélicoïdes, la surface la plus générale dont les asymptotiques d'une famille sont des courbes égales est engendrée, pendant le déplacement simultané des trièdres principaux de deux courbes de Bertrand conjuguées (O) et (O'), par une courbe (v) dont les binormales sont assujetties à rencontrer deux directrices rectilignes D et D' que l'on obtient, dans une position quelconque de ces


SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTÉRISTIQUE. 197

trièdres, en menant, par chacun des points correspondants des deux courbes, la parallèle à la binormale de l'autre courbe au second point. Les positions successives de la courbe (v) constituent la famille des asymptotiques égales.

Lorsque la courbe de Bertrand est à torsion constante et se confond, par suite, avec la courbe conjuguée, les droites D et D' se confondent pareillement avec l'une des binormales de (O). La courbe génératrice (v) est définie par cette condition que ses binormales doivent rencontrer D ou Oz et être tangentes, en leur point de rencontre avec Oz, à la surface réglée lieu des binormales de (O) (n° 10).

Les autres cas particuliers des courbes de Bertrand donnent les surfaces réglées et les hélicoïdes, comme on s'en rend compte aisément.

18. —La construction générale des surfaces S dépend, en conséquence, de celle des courbes (v) dont les binormales rencontrent deux droites fixes. La recherche de ces courbes paraît présenter de grandes difficultés, car s'il est relativement facile d'obtenir leurs équations différentielles, il n'en est pas de même de leurs équations finies dont la formation nécessite l'intégration d'une équation différentielle du second ordre qui n'a pu être encore effectuée, du moins à ma connaissance. Le lecteur pourra s'en assurer en se reportant à l'article précité, où M. Goursat a envisagé le cas dans lequel les directrices de la congruence sont rectangulaires, et qui correspond visiblement au déplacement du trièdre principal d'une courbe à courbure constante.

Jusqu'à présent, la seule utilité de cette équation différentielle a été d'établir l'existence des courbes (v) et, par suite, celle des surfaces S dont elles sont les génératrices. Toutefois, on peut parvenir à ce résultat au moyen de considérations géométriques très simples que je vais exposer rapidement en me bornant au cas où les deux directrices D et D' sont distinctes.

Remarquons d'abord (m'en vertu d'une propriété connue et déjà rappelée, les lignes (v) sont les lignes de striction des sur-


198 MEMOIRES.

faces réglées, lieux de binormales, qui ont deux directrices ectilignes D et D'.

Cela posé, je vais démontrer que par tout point de l'espace passent deux courbes (v); d'où l'on conclura que ces courbes forment une congruence dépendant uniquement des droites D et D'.

Soit, en effet, M un point, que je suppose d'abord extérieur à D et D', et A la droite bien déterminée, qui étant l'intersection des plans (M, D), (M, L)'), passe par M et rencontre D et D' respectivement aux points A et A'.

S'il existe une courbe (v) issue de M, la tangente MT à cette courbe au point M sera perpendiculaire à A et le plan (MT, A) sera le plan central, pour la génératrice A. de la surface lieu des binormales de la courbe. Or, les plans (M, D), (M, D') sont tangents à cette surface réglée aux points À et A'. On aura donc les deux équations :

en désignant par 0 et 6' les angles inconnus que forment, avec le plan central cherché (MT, A), les plans (M, D), (M, D'), et par a l'angle connu de ces deux derniers plans.

Il est aisé de voir que le système (12) fournit deux directions pour la tangente MT. D'ailleurs, ces directions ne seront réelles que si le point M est intérieur à une surface du 6e ordre que Ton définira géométriquement en disant qu'elle enveloppe les lignes de striction des surfaces réglées admettant D et D' pour directrices.

Réciproquement, si une courbe est telle qu'en chacun de ses points M, la tangente MT soit perpendiculaire à la droite A correspondante à M et que, de plus, les équations (12) soient satisfaites, cette ligne qui coupe normalement une famille de droites A rencontrant D et D'eaux points centraux de ces génératrices, sera la ligne de striction de la surface réglée lieu de ces droites A et répondra, par suite, à la question.


SUR UNE PROPRIÉTÉ CARACTÉRISTIQUE. 199

La proposition que nous nous proposions d'établir résulte évidemment des considérations précédentes, d'où l'on déduit aussi une construction infinitésimale des courbes (v).

Si le point M appartient à l'une des directrices D, on peut prendre pour A une droite quelconque rencontrant D'. Le plan (D, A) est le plan central et, dans ce plan, la tangente MT à la courbe (u) est perpendiculaire à A. On voit par là que, par tout point, de Tune des droites D ou D', passent une infinité de courbes (v), qui touchent, en ce point, le cône du second ordre lieu des droites MT construites comme on vient de le dire.


200 MÉMOIRES.

LA

RÉGLEMENTATION INDUSTRIELLE

SOUS GOLBERT.

PAR M. DUMAS 1 Doyen de la Faculté des Lettres.

En créant et en développant les manufactures, Colbert avait mis la France en état de produire; mais la variété et l'abondance des produits n'avaient peut-être pas à ses yeux autant d'importance que leur qualité. Il semble que les fabricants auraient dû avoir la même préoccupation. L'une des conditions essentielles de la vente n'est-elle pas, en effet, la bonne fabrication? Mais, sous l'ancien régime, on admettait, et Colbert plus que tout autre, que les marchands pouvaient se relâcher sur la fabrication consciencieuse de leurs produits. Colbert avait contre eux une sorte de méfiance. Il les accuse à plusieurs reprises de ne pas se soucier du bien général, mais seulement « de ce qui regarde leurs petits intérêts et trafic particuliers 1. » Il n'était pas le seul à avoir ce sentiment. Le prévôt des marchands de Lyon se plaint des gaste-métiers qui ne se soucient pas de la

1. Corr. adm.. III, 883, Lettre à de Breteuil, 17 sept. 1(582. — Mém. de Colbert, II, 728, Lettre à Daguesseau, int. à Toulouse, 28 janv. 1682. — Mém. de Colbert, II, 740, Lettre à Le Blanc, int. à Rouen.


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bonté intérieure d'une étoffe pourvu qu'elle en ait l'apparence 1. Ce n'était pas toujours par mauvaise foi que la production 'était défectueuse, c'était souvent par ignorance. Les marchands de Paris, qui paraissent avoir exercé sur Colbert une très grande influence, en ce qui concerne la réglementation, déclarent bien souvent que la mauvaise fabrication et le défaut dans la largeur et la longueur ont causé « l'anéantissement dans le débit des manufactures 2. » Le prévôt des marchands de Lyon constate que « toutes sortes de personnes font travailler qui ne connaissent ni la qualité des soies, ni de quelles sortes elles doivent être apprêtées et molinées, ni même tout ce qui est nécessaire pour monter un métier, se contentant d'avoir marchandises de quelque façon qu'elles soient faites, ce qui ruine la réputation des manufactures 3. »

Les règlements, aux yeux de Colbert, devaient faire cesser cet état de choses très préjudiciable. Il faut bien reconnaître que sans lui, par suite du manque de voies de communication, de la difficulté des informations et de l'ignorance générale, les bonnes méthodes de fabrication auraient été longtemps inconnues. Les règlements, à notre avis, étaient donc nécessaires au moment où ils furent faits.

Colbert, en les publiant, ne fit d'ailleurs que donner satisfaction aux nombreuses demandes qui lui étaient adressées de tous côtés, soit par les fabricants, soit par les marchands. Il n'est pas un règlement particulier qui n'ait été discuté et approuvé dans des assemblées générales de maîtres et d'ouvriers 4. Rarement Colbert a modifié les projets qui lui étaient soumis, et quand il l'a fait, c'est dans un sens plus

1. Corr. adm. sous Louis XIV, III, 670, Lettre du prévôt des marchands à Colbert, 6 janv. 1665.

2. Mém. de Colbert, II, 614, Lettre à de Bezons, int. à Toulouse, 13 mars 1671.

3. Corr. adm. sous Louis XIV, III, 674, Lettre du prévôt des marchands à Colbert, 2 oct. 1665.

4. Recueil des règlements, imp. roy. 1730 (voir les préambules des règlements).


202 MÉMOIRES.

libéral 1. Nous admettons bien qu'il y a eu, comme à Reims 2, quelques résistances locales, quand les règlements nouveaux venaient changer trop violemment les vieilles habitudes, les anciens règlements, mais on peut affirmer que pour les règlements particuliers, Colbert, d'une manière générale, s'est contenté de servir de guide et n'a imposé aux marchands aucune condition. Il l'avoue lui-même dans une lettre à un négociant de Rouen, et nous n'avons aucune raison pour douter de sa sincérité : «J'ai si bien pratiqué la douceur pour l'établissement des manufactures dans le royaume qu'il n'a pas été fait de statuts particuliers dont ceux qui doivent les exécuter ne soient convenus avant que le roi les ait homologués 3. »

Colbert se contenta de réglementer l'industrie des tissus. Il y avait eu avant lui de nombreux règlements sur la longueur et la largeur des étoffes de laine et de soie, mais l'exécution en avait été négligée. Les gardes-jurés chargés de les faire appliquer n'avaient ni l'autorité, ni la volonté nécessaires. De plus, ces règlements étaient très différents les uns des autres ; or, Colbert estimait que le meilleur moyen de rendre les manufactures parfaites consistait à les rendre toutes uniformes.

Le ministre s'occupa tout d'abord des manufactures particulières. Le préambule des arrêts nous fait connaître d'une

1. L'article 118 des statuts de la ville d'Amiens décide, contrairement à l'avis des marcliands, que les serges d'Aumale pourraient être portées, apprêtées, vendues et débitées en la ville d'Amiens.

L'article XVIII du projet des marchands de Carcassonne portait que si un manufacturier faisait appliquer sa marque à aucun drap étranger il serait mis au carcan pendant six heures avec un écriteau portant la fausseté commise par lui. Colbert changea la peine du carcan en une amende de 100 livres.

Les maîtres de Lyon avaient proposé que les petits velours ne pourraient être fabriqués que de soie cuite. Colbert autorisa le mélange de la soie crue avec la soie cuite.

2. Documents inédits de l'histoire de France, Archives de Reims, Statuts, II, 807, 5 oct. 1666.

3. Corr. adm. sous Louis XIV, III, 842, Lettre à Fermanel, négociant à Rouen, 8 août 1670.


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manière précise le procédé qu'il employa pour donner des statuts aux manufactures qui n'en avaient pas encore ou pour modifier ceux qui existaient déjà. Il écrit aux marchands de telle ou telle ville, souvent même il envoie des commissaires porteurs de ses ordres pour leur faire connaître que le débit de leurs produits a diminué par suite des défectuosités qu'on y a constatées, et il les prie de faire rechercher avec soin tous les moyens possibles pour les améliorer et les rendre d'un débit plus aisé. Les manufacturiers se réunissent, ils appellent les ouvriers les plus habiles pour avoir leur avis et ils dressent un projet de statuts qu'on soumet ensuite à l'homologation du roi 1. Quelquefois, comme cela eut lieu pour les toiles de Normandie, il réunit à Paris les fabricants d'une ville, il les met en rapport avec deux des principaux marchands de la capitale, il se fait exposer les abus qui se commettent dans la fabrication, les moyens d'y remédier et il prépare le règlement 2.

Les règlements particuliers publiés par Colbert à partir de 1666 sont très nombreux; chaque centre de fabrication, chaque manufacture eut ses statuts. Les dispositions qu'ils renferment sont à peu près toutes reproduites dans les règlements généraux qui parurent en 1669.

Pas plus pour les règlements généraux que pour les règlements particuliers, Colbert ne voulut agir seul. Il consulta les marchands de Paris, les teinturiers; il prit l'avis des officiers de police et il ne fit que sanctionner les projets qui lui furent soumis 3.

L'ordonnance sur la longueur et la largeur des étoffes avait surtout pour but de rendre uniformes « toutes celles de même sorte, nom et qualité, en quelque lieu qu'elles puis1.

puis1. le Recueil de règlements. Les termes des préambules sont le plus souvent identiques.

2. Règlement général pour la manufacture des toiles de Normandie, août 1676, Recueil de règlements, III, 301.

3. Recueil de règlements. Ce fait est constaté dans l'homologation du roi, et aussi dans une lettre do Colbert à Fermanel, négociant à Rouen, 8 août 1670 (Corr. adm. sous Louis XIV, III, 842).


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sent être fabriquées, tant pour en augmenter le débit dedans et dehors le royaume que pour empêcher que le public ne fût trompé 1. »

La largeur de la pièce est généralement d'une aune, non compris la lisière, dont la couleur et la force sont soigneusement déterminées. La longueur varie beaucoup suivant la qualité. Quelques pièces n'ont que dix aunes, d'autres en ont jusqu'à quarante. Le nombre des fils de la chaîne, condition essentielle pour déterminer la qualité du drap, est fixé avec le plus grand soin. Les laines, fils et autres matières employées seront partout de la même grosseur. Les laines ne seront jamais placées dans un endroit humide; elles ne pourront être mélangées parce que « les unes foulant moins que les autres » il en résulterait des inégalités dans la pièce de drap. Il était défendu de tirer, allonger, à la rame ou au mouchoir, « aucune pièce de marchandise de telle sorte qu'elle se puisse raccourcir de la longueur et étressir de la largeur. » Les tondeurs, pour coucher les draps, ne pouvaient se servir de cardes de fer, mais simplement de chardons. Un article des statuts d'Amiens, qu'on ne retrouve pas dans les règlements généraux, interdisait de travailler « à la chandelle au soir, ni au matin, ni tenir huile ou graisse autour de son étille 3. » C'était singulièrement réduire en hiver les heures de travail.

Tous les maîtres devaient se faire inscrire sur les registres des juges des lieux et sur celui de leur communauté. Ils s'assemblaient, avec la permission des officiers de police, pour choisir parmi eux des gardes-jurés, dont le nombre est variable suivant les localités et dont les pouvoirs étaient renouvelés de façon à ce qu'il restât toujours un ou deux anciens pour instruire les nouveaux. Les jurés pouvaient pénétrer, quand ils le voudraient, dans les maisons des fabricants et des ouvriers, afin d'examiner les matières pre1.

pre1. de règlements, I, 301. Dans l'analyse qui suit nous avons groupé, pour plus de clarté, les renseignements concernant : la fabrication, les maîtres, les jurés, les apprentis, les ouvriers.

2. Recueil de règlements, II, 233, art. 70.


LA RÉGLEMENTATION INDUSTRIELLE SOUS COLBERT. 205

mières et les produits de la fabrication. Quand ils jugeaient que la pièce de drap était conforme au règlement, ils apposaient à la tète et à la queue le plomb de marque sans lequel a pièce ne pouvait circuler dans le royaume. S'ils constataient des défectuosités, ils la faisaient saisir. Dans certains cas, les jurés formaient une sorte de Conseil de perfectionnement; ils devaient s'assembler pour discuter les affaires de la communauté et rechercher les moyens de faire progresser la manufacture.

Les maîtres ne pouvaient prendre qu'un ou deux apprentis par an. La durée de l'apprentissage, suivant les métiers, est fixée à deux, trois ou cinq ans. L'apprenti ne pouvait quitter son maître, ni son maître le renvoyer sans cause légitime. Pour devenir maître, l'apprenti devait faire un chefd'oeuvre, et les jurés ne pouvaient recevoir de lui, avant ou après le chef-d'oeuvre, aucun don ni présent. Les fils de maîtres n'étaient soumis qu'à une simple expérience. Les règlements généraux ne renferment aucune disposition concernant les ouvriers, il faut avoir recours aux règlements particuliers pour connaître la situation qui leur est faite. L'ouvrier ne peut quitter son maître qu'après qu'il aura terminé la pièce qui sera sur le métier. Il était tenu d'avertir son maître en montant ladite pièce. « Si l'ouvrier doit quelque chose à son maître, le maître chez lequel il ira sera obligé de payer ou de donner assurance à celui que ledit ouvrier quittera, même pour ce qu'il devra pour les fautes commises 1. » C'est pour constater ces fautes que le nom de l'ouvrier, « fait au métier et non à l'aiguille 2 », devait être mis « sur le chef de la pièce. » Il était défendu aux cabaretiers, taverniers ou autres de donner à boire et à manger aux ouvriers pendant les jours de travail hors l'heure du dîner et du souper 3. Les compagnons ne pouvaient s'assembler, « ni faire aucune ligue ou monopole, ni exiger argent

1. Recueil de règlements, II, 408, art. 30 des statuts d'Aumale.

2. Cet article se retrouve dans tous les règlements. Quand le nom de l'ouvrier était mis à l'aiguille, il disparaissait souvent au foulage.

3. Cet article est aussi dans tous les règlements particuliers.


206 MÉMOIRES.

pour faire boiste commune 1. " Le maître ne pouvait renvoyer l'ouvrier sans le prévenir vingt-quatre heures et quelquefois quatre jours à l'avance. Un seul article limite la somme de travail que le maître pouvait exiger de l'ouvrier; il se trouve dans les statuts d'Amiens: « Les foulons d'Amiens ne pourront en un jour faire que quatre vaisselées sans renouveler les ouvriers, afin de les faire reposer, sur peine de vingt sols d'amende 2. »

Le produit des amendes est attribué au roi, aux gardesjurés, aux pauvres du lieu, mais la proportion varie suivant les localités 3.

Les règlements pour la fabrication des étoffes de soie renferment les mêmes dispositions générales que les règlements relatifs aux manufactures de drap. La largeur des étoffes est diminuée, elle est fixée à 11/21 d'aune. Les fabricants de Nimes auraient voulu introduire dans leurs statuts quelques dispositions particulières, mais les fabricants de Paris et de Lyon supplièrent le roi de ne pas les accepter afin que les manufactures fussent uniformes dans tout le royaume. La durée de l'apprentissage est portée à cinq ans à cause des difficultés que présente la fabrication des étoffes de soie 4.

La qualité d'une étoffe ne dépend pas seulement des matières employées et du soin apporté au tissage, une bonne teinture est indispensable. Les marchands drapiers de Paris, ceux de Lyon et de Tours, signalaient depuis longtemps les abus qui se commettaient dans la teinture; ils prétendaient que c'était la principale cause de la diminution du commerce, surtout dans le Levant 8. Colbert, qui visait en tout à la perfection, les pria de rechercher les moyens de remédier aux abus et il fit approuver par le roi les projets de statuts

1. Recueil de règlements, II, 509. Statuts de Reims, art. 51 et 52.

2. Ibid., II, 218. Statuts d'Amiens, art 132.

3. Généralement, un tiers est donné au roi, un tiers aux pauvres, un tiers aux gardes-jurés. Le règlement de 1669 donne la moitié au roi, un quart aux pauvres, un quart aux gardes-jurés.

4. Recueil de règlements, II, 9, 36. 99, 127.

5. Ibid., I, 343, 370.


LA RÉGLEMENTATION INDUSTRIELLE SOUS COLBERT. 207

qu'ils lui présentèrent. Il y eut un règlement pour les teinturiers en soie, laine et fil et un pour « les teinturiers en grand et bon teint des draps, serges et autres étoffes de laine. » Ces règlements de 1669 furent complétés en 1671 par une « instruction générale pour la teinture des laines de toutes couleurs et pour la culture des drogues ou ingrédients qu'on y emploie 1. » C'est un véritable traité pratique, en 317 articles.

Pour assurer une perfection constante dans les teintures, Colbert entre dans les détails les plus minutieux. Il distingue deux manières de teindre les laines ou étoffes de quelque couleur que ce soit. L'une s'appelle teindre en grand et bon teint, l'autre teindre en petit ou faux teint. La première consiste à employer des drogues ou ingrédients qui rendent la couleur solide; les couleurs du petit teint, au contraire, « se passent » en très peu de temps à l'air et surtout si on les expose au soleil. C'était le prix des étoffes qui décidait de la qualité de la teinture qu'elles devaient recevoir. Le teinturier du petit teint ne pouvait avoir chez lui des étoffes qui excéderaient vingt sous l'aune et trente sous pour les ' étoffes servant à doubler. De nombreux articles fixent les matières que devront employer les teinturiers, la préparation des étoffes, la manière de rendre les couleurs plus vives, la proportion du mélange des ingrédients. Lés étoffés que peuvent teindre les teinturiers du grand teint et ceux du petit teint sont déterminées d'une manière précise. Pour faciliter les moyens de découvrir les abus qui pouvaient se commettre, on devait teindre, en présence des officiers de police et des maîtres et gardes-jurés de la draperie, douze morceaux de drap dans différentes couleurs. Ils seraient ensuite partagés par moitié : l'une serait mise au bureau de la communauté des drapiers et l'autre au bureau des teinturiers, « pour y servir de fonds d'échantillons de la bonne teinture dans la vérification des fausses ou véritables teintures des mêmes couleurs.,» Tout teinturier était, en outre,

1. Recueil de règlements, I, 421.


208 MÉMOIRES.

tenu de laisser au bout de chaque pièce « une rose de la grandeur d'un écu d'argent, de couleur bleue ou jaune, et de toutes les autres couleurs qui auront servi de pieds et de fonds à la teinture desdites étoffes. Et si lesdites étoffes ne se trouvaient entièrement teintes en fonds, en conformité des dites roses, elles seront confisquées et le teinturier condamné en 500 livres d'amende et interdit de la maîtrise pour toujours comme un trompeur public. » Pour obliger davantage les maîtres teinturiers du bon teint à taire leur devoir, les marchands drapiers choisissaient l'un d'entre eux « pour aller en visite chez lesdits teinturiers pendant les jours de travail pour voir et examiner les ingrédients et marchandises. » Le bois du Brésil, le tournesol, la limaille de fer et de cuivre étaient formellement prohibés, et seuls les teinturiers du petit teint pouvaient se servir du bois d'Inde et de l'orseille. L'instruction de 1671 insiste beaucoup sur le pastel qu'on trouve dans le haut Languedoc; elle recommande d'utiliser les bonnes drogues qui croissent dans le royaume. Des jurés nommés par les maîtres devaient veiller à l'exécution des règlements. Comme l'art de la bonne teinture « est fort caché et fort difficile à apprendre, celui qui voulait devenir maître était tenu à un apprentissage de quatre ans, et il devait, en outre, travailler quatre autres années chez le même maître. »

Tout teinturier était tenu de mettre son plomb ou marque à la tête de chaque pièce. Il avait une petite enclume « où était gravé à l'entour le nom de la ville et dans le milieu ces deux mots Bon teint, et un cachet dans lequel son nom était aussi gravé. »

Des règlements furent faits pour la fabrique des bas de soie et pour celle des chapeaux. La soie employée pour les bas devait être de quatre brins au moins. « Elle sera débouillie dans le savon, bien teinte, desséchée, nette, sans bourre autant qu'il se pourra, adoucie, plate, nerveuse, en sorte qu'elle emplisse entièrement la maille 1. » Pour les

1. Recueil de règlements, IV, p. 1.


LA RÉGLEMENTATION INDUSTRIELLE SOUS COLBERT. 209

chapeaux, il était défendu de mélanger divers poils avec celui du castor 1.

Les règlements de Colbert. on ne saurait trop le répéter, ne sont que la description exacte des meilleurs procédés de fabrication alors en usage; ils les ont généralisés dans la France entière, et, à ce point de vue, ils ont rendu de très grands services. Colbert le constate dans de nombreuses lettres : « Vous ne pouvez assez vous exagérer, écrit-il à l'intendant de Dijon, les avantages que toutes les provinces du royaume qui se conforment exactement aux règlements reçoivent et dont tous les intéressés commencent à demeurer d'accord, tous les marchands recevant à présent des commissions des étrangers pour avoir de nos manufactures avec bien plus d'abondance qu'auparavant 2. » Entre les mains de Colbert, la réglementation a été un instrument de progrès. La marque apposée sur les étoffes signifiait pour fui bonne qualité, fabrication soignée.

Il ne faut cependant pas se dissimuler qu'une réglementation aussi générale et aussi précise avait de graves inconvénients. L'uniformité que Colbert imposa à toutes les manufactures d'un même genre d'étoffes n'était pas nécessaire, même pour assurer la bonne qualité et elle causa, en grande partie, la ruine des manufactures de Tours. Enfermer les industriels dans des règlements trop étroits c'était leur

1. Mém. de Colbert, II, 692, Lettre à Le Blanc, int. à Rouen, 5 août 1678. Colbert songea à faire un règlement général sur les poids et mesures, mais il n'exécuta jamais son projet. « Le roi a déjà commencé d'examiner en son Conseil s'il serait plus avantageux au bien de son service de laisser les différences qui se rencontrent à présent dans le royaume sur les poids et les aunages ou de les rendre uniformes partout. Mais comme cette matière est fort importante et qu'elle mérite d'être discutée à loisir, je me remettrai à ce que Sa Majesté vous fera savoir par la suite, n'étant pas à propos de faire un règlement pour une ou deux provinces sur ce sujet. — Mém. de Colbert, II, 564, Lettre à Bouchu, int. à Dijon, 10 octobre 1670.

2. Mém. de Colbert, II, 6.27, Lettre à Bouchu, int. à Dijon, 31 juillet 1671. — Ibid., II, 614, Lettre à Bezons, intendant à Toulouse, 13 mars 1671. — Corr. adm. sous Louis XIV, III, 664. Colbert aux commissaires départis, 19 mars 1672, etc.

10e SÉRIE. — TOME V. 14


210 MÉMOIRES.

interdire tout perfectionnement, c'était les obliger à rester stationnaires, c'était proscrire d'avance les perfections du lendemain. Colbert, qui s'était efforcé d'extirper les anciennes routines, alors en possession des ateliers, posait lui-même les fondements de routines nouvelles qui n'allaient pas tarder à se trouver en arrière des connaissances comme les habitudes dont elles-mêmes prenaient la place. Sans doute, la mode variait moins que de nos jours, mais l'histoire du commerce est là pour prouver que. dans bien des cas, la réglementation empêche nos industriels de se plier aux goûts et aux exigences des consommateurs. L'obligation pour les industriels de modifier leur outillage pour satisfaire aux lois nouvelles, les formalités coûteuses du droit de marque étaient autant d'impôts mis sur la marchandise et, par suite, sur le consommateur. La bonne qualité est une excellente chose, mais il eût fallu aussi permettre la fabrication d'étoffes plus légères, à la trame moins serrée, parce qu'elles répondaient souvent à un besoin. Les sempiternes, par exemple, formaient un objet considérable de notre commerce dans les possessions portugaises et espagnoles. Les règlements avaient voulu qu'il y eût 1,520 fils à la chaîne; les Anglais réduisirent le nombre à 1,260 et même à 1,200, les offrirent à plus bas prix et nous fermèrent ce marché 1.

Les règlements sur l'apprentissage étaient souverainement injustes. En fixant une durée égale pour tons, ils ne tenaient aucun compte de l'intelligence et de l'application. Il était absurde de limiter à un ou deux le nombre des apprentis; un maître habile ne saurait trop en avoir afin de former de bons ouvriers.

Colbert a certainement entrevu la plupart de ces inconvénients et il n'a jamais eu la pensée que les règlements de 1669 devaient être immuables. Dans l'instruction aux commis des manufactures, il leur recommande de ne pas avoir égard au nombre do fils prescrits par les règlements « à cause que les laines et leur filage n'étaient pas égaux en

2. Chaptal, De l'Industrie française, II, 219.


LA RÉGLEMENTATION INDUSTRIELLE SOUS COLBERT. 211

tous lieux, selon la finesse et la grosseur de la laine et de son fil, et il suffit d'avoir spécifié la largeur uniformément pour toutes les étoffes de même nom et qualité 1. » Dans les règlements de la manufacture d'Amiens, il prévoit le cas « où quelque sayteur s'aviserait de faire quelque pièce de nouvelle invention 2. » Les instructions, pourtant si précises, relatives à la teinture laissent dans certains cas place à la liberté. « Quoiqu'il soit dit qu'il ne se tire ou ne se compose pas de nuances de certaines couleurs, il ne s'ensuit pas qu'il ne s'en puisse tirer ou composer : le teinturier expérimenté se saura bien servir des drogues qui lui sont permises et profiter du reste de ses bains pour les appliquer aux nuances des couleurs où il les jugera propres, la liberté de s'en servir lui en devant être entièrement laissée 3. » «Il doit être loisible aux teinturiers du bon teint qui auront quelque secret ou façon particulière pour diminuer le prix des couleurs des laines... de s'en servir après qu'ils en auront fait connaître l'avantage et obtenu la permission 4. » Il semble même avoir été favorable à une liberté complète; il écrit, en effet, en 1669 : « Il faut laisser faire les hommes qui s'appliquent sans cesse à ce qui convient le mieux, c'est ce qui apporte le plus d'avantage 8. »

Malheureusement, les successeurs de Colbert ont été d'une ignorance impardonnable. Ils ont maintenu, pendant un siècle, l'industrie française sous le joug des règlements. Ils ont été pour ainsi dire fascinés par la prospérité de la France au dix-septième siècle et par le prestige du nom de Colbert. Réglementation et prospérité étaient pour eux deux choses inséparables. Plus l'industrie dépérissait, plus nous perdions nos débouchés au dehors, plus ils multipliaient les

1. Rec. de règlements, I, 64, art. 24.

2. Ibid., II, 218, art. 101.

3. Ibid.. I, 371, art. 65.

4. Ibid., I, 421, art. 217.

5. Lettre à de Baas, 12 oct. 1666, citée par Wolowski. Rapport sur le concours relatif à l'administration de Colbert. — Mém. de l'Acad. des Sc. mor., X, 767.


212 MÉMOIRES.

règlements; plus ils les rendaient précis, minutieux, plus ils remplissaient les ateliers de commis, d'inspecteurs, de marqueurs.

Si Colbert, tout en étant partisan de la liberté, est l'auteur d'une réglementation aussi étroite, c'est qu'il estimait avec juste raison que les industriels ne feraient encore qu'un mauvais usage de la latitude qu'on pourrait leur laisser. Il fallait les guider, leur inspirer le goût de la bonne fabrication, et s'il se montra sévère, c'est qu'il avait à lutter contre les préjugés de la routine. Au début, il recommande aux intendants de ne pas en venir à la dernière rigueur, de se contenter d'infliger aux marchands de légères punitions pour leur faire connaître qu'ils ne peuvent pas se dispenser d'exécuter les règlements 1. Peu à peu il se montre plus sévère, il veut qu'on inflige les amendes prescrites, qu'on saisisse et qu'on coupe les pièces jugées défectueuses. Il écrit aux échevins de Lyon, de Chartres, d'Amiens qui se montraient trop tolérants, qu'ils ne peuvent que nuire aux manufactures de leur ville, parce qu'il a donné l'ordre de saisir toutes les marchandises qui ne seront pas conformes aux règlements 2. Il félicite les intendants qui faisaient briser les poulies et les machines qui servaient à tendre les étoffes 3. Il fait enfin paraître l'édit du 24 décembre 1670 qui augmentait les peines portées par les règlements de 1669 et qu'on lui a tant reproché. Les étoffes non conformes aux règlements étaient exposées sur une potence de la hauteur de neuf pieds avec un écriteau contenant le nom et surnom du marchand ou de l'ouvrier trouvé en faute; elles restaient exposées pendant deux fois vingt-quatre heures, puis elles

1. Corr. adm. sous Louis XIV, III, 136. — Lettre à de la Chataigneray, 25 juillet 1670.

2. Mém. de Colbert, II, 610, Lettre aux échevins de Lyon, 6 mars 1671. — Mém. de Colbert, II, 546, Lettre aux échevins de Chartres, 27 sept. 1670. — Mém. de Colbert, 11,521, Lettre à Barillon, intendant à Amiens, sept. 1670.

3. Mém. de Colbert, II, 543. — Lettre à Voisin de la Noiraye, intendant à Tours, 22 août 1670. — Lettre à l'intendant de Rouen, 29 août 1070.


LA RÉGLEMENTATION INDUSTRIELLE SOUS COLBERT. 213

étaient coupées, déchirées, brûlées ou confisquées. En cas de récidive, le marchand ou l'ouvrier était blâmé par les maîtres et gardes-jurés de la profession en pleine assemblée du corps, outre l'exposition de leurs marchandises sur le poteau. ' La troisième fois ils étaient mis et attachés au carcan pendant deux heures avec des échantillons des marchandises confisquées 1.

Forbonnais dit à propos de ce règlement qu'on pourrait croire que c'est une loi traduite du Japonais. Il pense qu'il fut inspiré à Colbert par quelque subalterne 2. Mais il n'en est rien, Colbert n'a fait qu'appliquer au royaume tout entier une pénalité qui était inscrite dans les statuts particuliers de quelques villes. La peine du carcan est, en effet prévue, à Aumale 3, à Abbeville 4, à Sedan 5, à Carcassonne 6 et à Lille 7. Qu'on se rassure d'ailleurs, elle n'a été que rarement appliquée, si même elle l'a jamais été 8. Colbert déclare lui-même que le règlement n'a été fait « que pour donner de la crainte à ceux qui feraient des étoffes défectueuses ou qui les recevraient 9. » L'arrêt fut également applicable aux marchandises étrangères 10. C'est bien à propos de cet arrêt qu'on peut répéter la parole si juste de Tocqueville : « On aimait mieux faire peur que faire mal, ou plutôt on était arbitraire et violent par habitude et doux par tempérament 11. »

1. Rec. de règlements, I, 524.

2. Forbonnais, II, 3(59.

3. Rec. de règlements, II, 408, art. 21.

4. Doc. inéd. de l'Histoire du Tiers-Etal, IV, 511.

5. Rec. de règlements, II, 540, art. 20.

6. Ibid, III, 215, art. 23.

7. Mém. de Colbert, II, 579, Lettre au sieur Gallée, commis des finances à Lille, 13 octobre 1(570.

8. Nous n'avons pas trouve dans les diverses archives départementales que nous avons pu consulter un seul exemple de l'application du carcan aux maîtres et aux ouvriers.

9. Mém. de Colb., II, 607. — Lettre aux maires et échevins, 17 février 1671.

10. Rec. de règlements, I, 526.

11. L'Ancien régime et la Révolution, p. 283.


214 MÉMOIRES.

LES

VARIATIONS DU CLIMAT DE TOULOUSE

Par M. MASSIP 1.

TEMOIGNAGES BOTANIQUES.

On a essayé de démontrer qu'il n'y a pas eu de changement depuis l'origine des temps historiques dans la manière d'être du règne animal. Cette fixité des mêmes espèces au même lieu, dans le même état, implique d'une manière absolue colle des végétaux, sans aucun changement organique, dans un invariable habitat. On ne conçoit pas, en effet, l'existence du règne animal hors des limites d'une production végétale nécessaire à sa conservation : je ne vois pas subsister les bestiaux sans les pâturages. Pareillement, il est inadmissible que cette production végétale se maintienne en dehors d'un climat impropre à sa conservation. L'atmosphère est, le laboratoire de la nature. Tout reste donc nécessairement en rapport constant dans cet harmonieux ensemble, d'autant plus qu'il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, d'établir à cet égard une ligne de démarcation distincte entre les animaux et les plantes, pourvus les uns

1. Voir Mémoires de l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, 9e série, VI-X ; 10e série, I-IV.


LES VARIATIONS DU CLIMAT DE TOULOUSE. 215

et les autres, dans un rapport proportionné au degré qu'ils occupent sur l'échelle biologique, des mêmes organes de respiration, de nutrition et de reproduction. Par conséquent, il ne saurait y avoir dans les uns une stabilité à laquelle les autres n'obéiraient pas. Accord constant, car il n'a jamais cessé de se manifester, même pendant la durée dos périodes géologiques où nous voyons les faunes et les flores se transformer au gré des conditions climatériques successives.

Les distinctions que l'on a pu faire entre les groupes d'origines diverses ou d'âge différent, loin de l'ébranler, confirment cette union de l'espèce avec le milieu. Il est certain que nous ne verrions pas actuellement sur les plus hautes altitudes les types plus ou moins dégénérés qui se rattachent aux périodes glaciaires si le climat adouci de la plaine n'avait, à un moment donné, modifié l'âpreté du milieu qui leur convient. Le but de l'étude des origines est « d'apprécier les rapports mutuels des divers types qu'on observe aujourd'hui groupés les uns à côté des autres dans une même flore 1. » Il n'est pas besoin de démontrer que la rose a pu s'épanouir sous les frimas.

Quels que soient ces rapports, l'essentiel est d'établir l'identité des individus et des groupes à travers les siècles qui nous séparent des flores fossiles, cette identité fournissant la meilleure preuve que l'oxygène de l'air, l'eau, la radiation et l'aliment, conditions nécessaires de l'existence des végétaux, leur sont distribués par notre climat depuis un temps immémorial dans des proportions à peu près égales entre le minimum et le maximum qui leur sont propres et dans une moyenne plutôt favorable à l'optimum qui leur convient.

Pour mettre en évidence d'une manière adéquate la persistance de ces conditions, il faudrait s'appliquer à débrouiller les nomenclatures, déterminer les limites de la végéta1.

végéta1. Flahault, La Paléobolanique dans ses rapports avec la végétation actuelle. Introduction à l'enseignement de la botanique. Paris, Kincksicek, 1903.


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tion, l'étendue de l'aire qui convient aux diverses espèces, les relations entre les espèces qui ont la même aire, etc., etc. Que ne faudrait-il pas ici et que n'eût-il pas fallu sous les titres qui se succèdent dans notre étude ! Qu'on veuille bien remarquer que nous ne faisons pas le tableau de l'univers à propos du climat de Toulouse et qu'il ne s'agit, au total, que de fixer ici quelques faits saillants, pour arriver à détruire un préjugé, en prenant ces faits où l'on ne songe pas à aller les chercher ordinairement, je veux dire hors du cadre de la science officielle, dans le domaine de la vie domestique et de l'expérience commune se perpétuant dans le temps. C'est ainsi qu'on peut, en dépit du caractère paradoxal de cette proposition, essayer de parler de l'astronomie, de la médecine, de la zoologie, de la botanique, de l'art et du quibusdam aliis, sans parcourir en détail tous ces grands fiefs, mais simplement en regardant vivre dans le passé les sciences qui les occupent. C'est, en d'autres termes, la manière de l'historien, c'est la nôtre sans plus de prétention.

Cette tentative est peut-être plus facile pour la botanique que pour tout le reste. « Les grandes phases de l'histoire de l'homme, suivant une expression qui n'est pas dépourvue d'originalité, sont inscrites sur la feuille verte de la plante 1. » Il ne faut pas s'en étonner, puisque la plante a le privilège de fournir à l'homme l'aliment, le vêtement, les meubles, les armes, les divers instruments, de participer à sa vie. Aussi la retrouvons-nous toujours plus utile et mieux connue à chacune des étapes de la civilisation. Elle s'y montre à la manière de ces illustrations qui décorent les marges, qui agrémentent les textes des beaux livres, comme pour épargner à la curiosité du lecteur indolent la peine d'entrer clans l'intimité d'un sujet trop ardu. Nous la voyons ainsi sur la pierre et sur l'ivoire, sur le meuble, sur le champ des armoiries, sous l'éclat des parures, dans le pli des étoffes, sous

1. Voir Discours de M. Clos à L'Académie des Sciences de Toulouse, séance publique du 27 mai 1806.


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les formes du langage, partout où l'ingéniosité de nos pères s'est plu à l'imiter, à la reproduire, comme nous la reconnaissons aujourd'hui, après les plus fantaisistes évolutions, sous les formes tourmentées avec lesquelles l'art nouveau la dénature, presque semblable à ces formes mystérieuses que lui donnèrent les primitives liturgies.

Sous toutes ces formes, ce sont les mêmes plantes, révélatrices du même climat ; et il se trouve que l'on pourrait, si l'on voulait s'en donner la peine, reconstituer au moins les principaux aspects de la botanique en coordonnant simplement les faits de l'ordre économique. L'ensemble de ces faits le plus caractéristique gît, sans contredit, dans la vie domestique et tout spécialement dans le régime de l'alimentation. La table formerait à elle seule un surabondant traité; jetons un coup d'oeil sur ce qu'elle doit à la botanique.

LES CHAMPS, LE POTAGER, LE VERGER.

L'homme primitif, avec l'instinct commun à tous les animaux, a distingué d'abord dans le règne végétal « ce qui se mange de ce qui ne se mange pas. » Il a cultivé, il a multiplié,, il a perfectionné ce qui se mange, si bien que les sociétés des temps historiques à l'origine sont accoutumées déjà à certaines délicatesses de l'art culinaire que célébrèrent les poètes. Si les recettes savantes qui présidaient à la confection des mets antiques sont perdues, les substances qui les composaient n'ont certainement pas changé. Ici, les anciens ne sont pas sujets à erreur; la latitude et la longitude de la table ne dépassait pas leur capacité. Ce qu'ils décrivent, ils l'ont vu, ils l'ont mangé et ils l'ont quelquefois mal toléré, ainsi qu'avec bonhomie quelques-uns le déclarent. Or, tout cet apparat de la table ne nous présente rien que nous ne connaissions; il n'y a que l'art de raccommoder qui diffère. A côté des mêmes viandes, voici les mêmes plan-


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tes comestibles : céréales, plantes légumineuses farineuses, plantes à tubercules et à racines charnues; les fruits les plus divers auxquels les fleurs mêlent quelquefois leurs élégances; en somme, les produits, toujours les mêmes, de nos champs, de nos potagers, de nos vergers, de nos vignes éclos sous le même soleil.

Au temps où nous nous plaçons, entre l'histoire et la préhistoire, il y a déjà des siècles que l'homme connaît la saveur du blé, cerealis sapor, suivant le mot de Pline. Rien loin sont les temps où le blé à l'état sauvage se semait lui-même comme les autres graminées; oubliés aussi les temps postérieurs où les habitants des cavernes, dans nos Pyrénées, s'exerçaient, ainsi que le remarque M. Piette, à la culture des céréales et des arbres fruitiers. César a beau nous dire que les Gaulois consommaient peu de blé, c'est une erreur; les provinces indépendantes en envoyaient d'énormes provisions à Alise. Varron, en mentionnant les belles récoltes de froment qu'on levait au pays des Tricasses 1, ne fait pas seulement l'éloge d'une culture perfectionnée, il porte témoignage de la fécondité du sol, de la clémence de l'air, de la générosité du climat. Et il ne s'agit que du pain, c'est-àdire des farines ordinaires; que dirions-nous des pâtisseries si chères au lointain moyen âge qui transformait les pâtés en citadelles ou en arceaux de cathédrales, images de sa mentalité mystique et belliqueuse? On n'admettait dans ces préparations artistiques que les farines très blanches des blés vêtus, et cette sélection prouve déjà que le blé était singulièrement « civilisé. » Où il n'y a pas de variétés il ne saurait y avoir de choix; il n'y a pas de variétés s'il n'y a eu des croisements générateurs d'espèces différentes; il n'y aurait pas de croisements possibles sans un ensemble de conditions atmosphériques qui sont l'antipode de cette brutalité des climats, de cette iruculentia coeli dont parle Tacite, inconnue à nos pays, au moins depuis que l'histoire en a pris possession.

1. De re rustica, 1.


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On en peut dire autant des autres céréales, quoiqu'on leur ait attribué des origines plutôt récentes, trop récentes. « La culture du maïs, écrit M. Théron de Montaugé, commença à se populariser dans le pays Toulousain dans le cours du dix-septième siècle 1. » Elle y avait mis beaucoup de temps depuis Pline et Strabon; mais voici qui est plus surprenant et qui place véritablement trop près de nous la date de cette vulgarisation. On lit dans le Journal de 1786 cette phrase remarquable : « Nous ne nous arrêterons pas ici à faire une description savante de l'admirable constitution du maïs, ni à rapporter l'histoire do l'estime que les Asiatiques font de cette plante précieuse dans les climats chauds et dans les terrains qui ne sont pas rafraîchis par des eaux courantes intérieures. » Et M. Gounon ajoute : « Les essais que nous venons de faire de cette culture pendant les trois dernières années de sécheresse feront époque dans notre agriculture; à l'avenir, les grands propriétaires reconnaîtront enfin, avec le pauvre laboureur, la nécessité d'augmenter la culture du maïs. »

Il ne faut pas se méprendre sur la portée de ces observations. Il n'y a ici que l'apparence d'une découverte. Rien n'est plus malaisé à suivre que les développements d'une culture à travers les âges sans le secours de la statistique et surtout dans nos pays où ne brillèrent jamais l'esprit de suite et la méthode. Toute condition agricole subit plus ou moins le contre-coup des événements publics, événenements économiques plus désastreux souvent et de plus durable conséquence que les crises météorologiques les plus redoutables. Il arrive ainsi que des cultures naissent, meurent et reparaissent sous les yeux de l'historien qui note une renaissance sur la page où l'opinion qui vit au jour le jour inscrit une naissance. Telle fut la destinée de plusieurs de nos céréales dont la chronologie se disloque pour se reformer plus loin avec les apparences d'un état civil nou1.

nou1. de Montaugé, L'Agriculture et les classes rurales dans le pays Toulousain, 1re partie, liv. Ier.


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veau, quoiqu'elles soient aussi anciennes que le panic si' abondant en Aquitaine, au témoignage de Pline et de Strabon l; que l'orge qui prêtait ses vertus à la blonde cervoise; que l'avoine qui servait à préparer les crèmes, les bouillies, les panades dont l'usage s'est perpétué jusqu'à nous.

La même irréflexion a fait admettre les mêmes alternatives dans la destinée de la culture maraîchère. Sans nous attarder en d'érudites recherches sur les origines de la carotte, de l'oignon ou de toute autre plante à racine alimentaire dans le Midi, constatons que la banlieue de Toulouse les prodigue il y a deux cents ans comme aujourd'hui. Elles sont décrites dans le Potager du bonhomme jadis2 comme fidèles à notre sol depuis les temps anciens. On y trouve même des procédés de culture qui ne diffèrent pas des nôtres, semblables eux-mêmes à ceux que l'on pratiquait couramment au dix-septième siècle 3. Fidèles à notre sol, ce n'est pas douteux. Les règlements de police du quinzième siècle cantonnent les maraîchers « en des lieux et places » où ils ne gêneront pas la circulation. Vaine précaution : le jardinage est partout, obstruant les passages dans les principaux carrefours, se déployant sous les auvents des marchands citadins qui se plaignent, et tel est l'abus, que les Capitouls, impuissants à faire respecter leur autorité, se voient contraints de recourir au Parlement lui-même pour débarrasser la rue « de ces ortalités » débordantes. Une décision de 1518 fixe à cent marcs d'argent l'amende infligée aux maraîchers contrevenants 4.

Dans ce jardin improvisé chaque matin entre le Gapitole et le Château-Narbonnais, les fruits se mêlent aux légumes; ils en partagent le sort, comme eux soumis aux lois prohibitives du libre-échange dans la rue, mais prospérant autant

1. Pline, XVIII, 20; Strabon, IV, p. 190.

2. Publié par M. de Combes en 1770.

3. Le Jardin, journal d'horticulture générale, 1887, nos 7 et suiv.

4. Archives municipales de Toulouse. — Voir P. Boissonnade : Production et commerce des céréales, vins, etc., en Languedoc, seconde moitié du dix-septième siècle, passim. (Annales du Midi, juillet 1905.)


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qu'eux dans la pleine liberté des échanges atmosphériques. Exposés comme il convient dans nos vergers, taillés à point, on voit s'épanouir à l'envi le pommier, le pêcher gaulois, ami du plein vent, le cerisier de Cappadoce, le châtaignier, le figuier d'Italie, le noyer de Perse, le prunier de Damas, etc.1. Et toutefois que cette nomenclature exotique ne donne pas à croire que nos terres sont meublées avec les dépouilles des cultures étrangères, quoi qu'en aient écrit quelques botanistes. Cette hypothèse serait d'ailleurs toute à l'avantage de notre climat, assez souple en ses oeuvres pour imiter à s'y méprendre les produits de l'Orient, toute à l'honneur de notre sol, assez riche pour fournir de luimême les ressources nécessaires à une production à laquelle il ne semblait pas préparé. Si flatteuse qu'elle soit, on doit lui substituer la réalité avec les mêmes avantages. Que le prunier soit venu de la Syrie, que le noyer soit venu de la Perse, que le noisetier, que le cerisier soient originaires du Pont, tout cela est fort possible; Pline le dit, il faut le croire; mais le sage se défie de l'absolu. Le naturaliste sait bien que la Syrie n'est pas l'unique patrie des onze variétés de prunes qu'il connaît, et nous savons, nous, qu'il y eut en Europe, dans la plus lointaine antiquité, des variétés qui ne pouvaient appartenir à aucune nationalité asiatique; comme si l'on disait, oubliant que « les produits sont plus ou moins estimés selon les climats, la nature du terrain et le mode de culture », que la prune est originaire du département de Lot-et-Garonne et de son voisinage, parce que la véritable prune d'Agen, la prune dite robe-sergent, ne s'acclimate pas ailleurs 2.

On a malheureusement trop souvent raisonné de la sorte, s'en fiant à l'enseigne pour déterminer la provenance de la marchandise, Le noyer, quoiqu'il ne réussisse bien qu'en terre légère, prospérait dans le midi de la France dès le

1. De La Bergerie, Histoire de l'agriculture, 1815.

2. L. Bruguière, Le Prunier et la préparation de la prune à Agen. Paris, Masson, 1893.


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début des temps modernes. La Gaule en possédait au moins une espèce à l'époque pliocène. Il est clair qu'il ne s'agit pas du noyer d'Amérique. Je vois bien le cerisier d'Asie-Mineure, mais je connais aussi un cerisier de croissance extrêmement facile dans nos plaines. Il est aussi ancien que nos coteaux de Pech-David. Il est évident que ce n'est pas un article d'importation. Le figuier ne vient-il pas dans le Midi presque sans culture? Nous ne l'avons pas emprunté à nos voisins. Il ne faut pas prendre texte d'une rubrique pour limiter à une espèce l'aire de végétation d'un genre; ce serait une maîtresse erreur qui en engendrerait d'autres à l'infini.

« A la suite des croisades, des plantes et des espèces d'arbres jusqu'alors inconnus ont été introduites en France. » C'est vrai; mais cette immigration n'a pas transformé la flore existante, qui a continué de vivre, comme par le passé, de sa vie propre en harmonie avec le climat, à côté des types hospitalisés. Il n'y a eu que des noms nouveaux ajoutés à la nomenclature. Autre chose est l'histoire des affinités qui se produisirent, des alliances que contractèrent les espèces; alliances d'une étonnante fécondité souvent, comme celle du poirier-, par exemple, qui nous donne aujourd'hui cent soixante variétés de poires à l'usage de la table et quatre-vingts pour la fabrication de la boisson.

Et ceci est encore un argument en faveur du climat : de telles améliorations, expression de vie surabondante, sont interdites à un climat qui se détériore. Il n'est pas besoin d'ailleurs de passer en revue de nombreuses espèces; l'existence de certaines plantes suffirait seule à tous les besoins de l'argumentation. On pourrait citer le prunier qui « vit et se développe sur le même terrain que la vigne; il paraît soumis aux mêmes influences climatériques et il exige des soins aussi délicats. » Mais c'est encore la vigne, exigeante et impressionnable à l'excès, qui fournit les exemples les plus concluants; c'est à elle qu'il faut demander si le soleil qui fait circuler la vie dans ses veines ardentes n'est pas


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celui qui la faisait déborder jadis, aux pieds des dieux, dans la coupe des hiératiques libations.

LA VIGNE.

La vigne fatale à Fonteins! Il percevait à Toulouse même une taxe de quatre deniers par amphore, ce qui revient à dire environ 0 fr. 60 par litre 1. Un administrateur a-t-il pu être accusé de crimine vinario dans un pays où le vin n'existait pas? Et cependant Hérodian, dans son IVe livre; Diodore, dans le Ve; Athénée, dans le VIIIe, assurent qu'on ne pouvait faire mûrir le raisin dans l'intérieur des Gaules; et dès lors nous écoutons Tite-Live lorsqu'il raconte que les Gaulois ne furent en Italie que pour y chercher l'ivresse. « Il leur advint de goûter du vin, qui premier leur fut apporté d'Italie, dont ils trouvèrent le breuvage si bon et furent si transportés du désir et de la volupté d'en boire, que'soudainement » ils partirent 2. N'oublions pas combien l'erreur était familière aux anciens quand il s'agit de nous. Quelle étrange chose ! Voici un pays où la vigne « apparaît déjà d'une manière certaine au début du miocène », où elle se modifie insensiblement et, plus exactement, où elle s'améliore pendant le cours des siècles, se rapprochant ainsi de plus en plus « de notre vigne moderne », si bien qu'on a pu établir entre elles des comparaisons, souligner des ressemblances 3, et c'est à ce pays que les historiens de l'antiquité refusent la possession d'une production dont la présence se révèle aujourd'hui dans tous les dépôts géologiques. Je ne vois pas vraiment ce que l'histoire ancienne peut envier à la légende.

1. Maffre, Etablissements agricoles du Midi sous la domination romaine (Bull, de la Société archéologique de Béziers), 2e série, t. VI.

2. Vie de Furius Camillus, par Plutarque, trad. d'Amyot.

3. A. Gautier, Les perfectionnements de la vinification dans le Midi de la France (Revue des Pyrénées, 1890, 4e trim.)


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Elle m'inspire plus de confiance lorsqu'elle m'apprend que les viticulteurs transalpins dotèrent nos pays des méthodes de culture qu'ils pratiquaient chez eux. La culture désormais savante donne à nos vignes ses lettres de noblesse, nobilitat, et nous pourrions suivre dans la Gaule, en passe de devenir une nouvelle Italie, les généalogies de la Vitis Allobrogica, de la Vilis Biturica, de la Vitis Narbonica, Helvica, Arvernorum, etc. On peut citer à l'avenant.

Cette culture s'est maintenue, pendant des siècles, conforme à la tradition latine. Quelques auteurs n'hésitent pas à la reconnaître encore dans nos campagnes, comme ils voient encore aux mains de nos paysans les instruments à peine modifiés qui leur furent cédés par les élèves de Caton, de Varronet de Columelle 1. On peut ajouter, avec M. Moffres, que les noms attribués à la plupart de nos travaux agricoles tirent leur origine de cet apprentissage. Nous n'insisterons pas sur ces méthodes ; constatons seulement qu'en se maintenant elles affirment un fait : c'est que la vigne n'a pas cessé de croître et de donner son fruit dans presque tous nos terrains. Quelle bonne conclusion en faveur du climat !

La bibliographie ampélographique est une des plus considérables que je connaisse dans l'ordre des publications relatives à la grande culture. La topographie de nos vignobles serait seule la matière d'un énorme travail. Il faut se borner. Il est certain qu'avec des éducateurs aussi habiles que les Romains, les peuples intelligents de la Gaule ne tardèrent pas à faire prospérer ce précieux arbrisseau dont la culture devait si grandement contribuer à développer leur fortune. Ils rivalisèrent bien vite avec leurs maîtres, et ils les dépassèrent comme vinificateurs.

Nous les trouvons de très bonne heure « au courant de la plupart des pratiques que nous croyons modernes. » On a soutenu cette thèse; elle ne paraît qu'originale, elle-est très

1. H. Mares, Livre de la ferme, ch. IX, Des vignes du midi de la France, p. 267.


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exacte 1 ; mais c'est encore un point sur lequel on ne peut s'arrêter. En fait, il nous importe peu de savoir comment ils traitaient et façonnaient les vins ordinaires, les vins clairets, les vins doux, les vins bourrus, les piquettes, les raisinés, etc., il suffit de savoir que ces vins existaient.

Ils existaient certes. Julien reconnaît que les vins des environs de Lutèce ne sont pas sans saveur. Grégoire de Tours vante le vin récolté près de Dijon, « aussi noble que le Falerne. » Il est inutile d'évoquer Ausone pour les' crus du Bordelais. On rencontre des chantres de la vigne dans toutes nos provinces; et faut-il s'en étonner quand il en existe en Angleterre où l'évêque Adhelme de Stirburn célébrant la virginité, la proclame supérieure à la vigne « gloire des frugifères campagnes » ; quand il en existe en Allemagne où le moine Wandelbert de Grùm rappelle à tous qu'octobre chargé du fardeau des vins écumants invite à préparer les futailles et les coupes 2?

Nous pouvons quitter l'ère des Carolingiens sans crainte de voir se ralentir la fécondité de la vigne. Qu'on lise seulement « la Bataille des vins » du trouvère Henry d'Andely; c'est une sorte de catéchisme des buveurs où sont énumérées les richesses bachiques de la France et même de l'étranger. Il vante les vins de l'Orléanais sans doute parce qu'ils furent honorés de la prédilection des Capétiens. L'évêque Théodulphe n'en avait-il pas jadis flétri les abus : « multi a mane usque ad solis occubitum ebrietati et gula voluptatibus serviunt. » Gilles Bouvier préfère les vins du Midi. « Le pays de Languedoc est un. très bon pays. » Au reste, tout « iceluy royaume est très fertile de blé, de vins, de bétail de laine, de fruits. Aucun pays y a ou ne croît point de vin 3. » Le plus remarquable, le plus intéressant de ces vieux oenologues, du moins pour cette période, est

1. G. Curtel, La vigne et le vin chez les Romains, Paris, 1903 (Bibliothèque générale des Sciences).

2. Rerny de Gourmont, Le latin mystique, pp. 90, 96.

3. Relation de Gilles Bouvier dit Berry, premier héraut d'armes du Roy, 1461-1483.

10e SÉRIE. — TOME V. 15


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certainement Pierre de Crescens. Son Quart livre du Rustican, entièrement consacré à la vigne, à sa culture et à la préparation du vin, est le plus ancien traité de viticulture que nous ayons en français 1 ; il est aussi le plus instructif. Les conditions de la viticulture se précisent mieux encore dans les écrits du dix-septième siècle. Les auteurs des dictionnaires ont de la peine à satisfaire à toutes les exigences d'une technologie qui s'enrichit constamment. Nicot a rassemblé plus de cent expressions relatives à la vigne, les plus utiles à connaître; elles forment une petite table des matières pour ceux qui n'ont pas intérêt à se spécialiser 2. Cette circonstance philologique n'indique pas un état compromis ou près de l'être. Et, en effet, l'ampélographie de Jacques Sachs de Lewenheim révèle la plus heureuse situation. Ce livre pourrait être intitulé, selon la mode du temps, « Le Théâtre des progrès de la vigne. » Son auteur, membre de l'Académie « des Curieux de la Nature », à Breslau, un des groupes les plus savants à cette époque, avait visité la Hollande, la Flandre, la France et l'Italie, consignant dès observations qui ont formé un des ouvrages les plus curieux sur la vigne, son passé, son avenir. Notre science, aisément contente d'elle-même, y peut prendre une leçon de modestie en constatant qu'elle n'a pas inventé la vigne préhistorique. L'auteur en fait remonter l'origine à une époque bien antérieure au déluge, c'est-à-dire aux premiers âges du monde. On y parle d'une époque indécise où la vigne atteignait les proportions d'un grand arbre, ad coelos vitis erecta, au milieu d'une végétation gigantesque. Le frontispice de ce. livre est à lui seul une claire synthèse, comme ces planches: murales qui mettent sous les yeux de nos écoliers les principaux traits d'une science. On y voit la vitis saxatilis, la vitis prostrata, la vitis arbustiva, la vitis pédala. Les chais, apothecoe doliarium, s'y présentent dans un ordre

1. Le quart livre de Rustican, 1373, publié par P. Flaurot, d'après le manuscrit de la Bibl. Nat. (Voir aussi dans le Bulletin de la Société d'agriculture, Sciences et Arts de Poligny, 1874 et 1875.)

2. J. Nicot, Trésor de la langue française, 1606.


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admirable et outillés de façon irréprochable. Les fûts sont étiquetés : vins de France, vins de Grèce, vins du Rhin, etc. Nous voyons comment on ordonnait une cave il y a trois cents ans; cette gravure vaut un livre. Sous les rubriques : Quinta essentia vitis, l'eau-de-vie; Crystallor tartari, le tartre, sont groupés des cornues, des ampoules, des alamhics à plusieurs corps. En résumé, Panatomie de la vigne, ses propriétés, ses espèces, sa culture, ses produits, leurs qualités, leur emploi, tout est prévu dans cette petite encyclopédie, même les maladies qui pourraient bien être simplement celles que nous traitons sous des noms nouveaux, y compris celles que provoquent d'imperceptibles insectes et que nous traitons aussi ratione besliorwm 1. Que veut-on de plus? Une condition météorologique différente? Nous l'y avdns cherchée et, sur un état viticole en tout point semblable au nôtre, nous voyons exister un état météorologique qui est le nôtre 2.

Nous n'avons pas à revenir sur un historique qui a été maintes fois très doctement écrit. Le dix-huitième siècle nous a légué ses livres et ses méthodes, nous avons surtout retenu son esprit d'initiative un peu inquiet et son activité, activité fâcheuse au point de vue des perfectionnements de la fraude, souvent heureuse au point de vue des essais, plantations et arrachages successifs qui eurent lieu en diverses provinces 3. Des crises s'ensuivirent; elles donnèrent naissance à des théories nouvelles sur la manière de « cultiver la vigne à moins de frais et d'en augmenter le rapport », sur le temps le plus convenable pour couper la vendange « dans tous les pays et dans toutes les années », sur la ma1.

ma1. Viala, directeur du laboratoire des recherches viticoles à l'Ecole d'agriculture de Montpellier : Les maladies de la vigne.

2. Anipelographia sive vitis viniferae ejusque partium consideralio physico-phylologico-historico-medico-chymica in qua tain de vite in genere, quam in specie de ejus pampinis, flore, lacrhyma, sarmentis, fruclu, vini multi vario usu, de spiritu vint, acelo, vint face et tartaro, etc., etc. Leipzig, 1661.

3. Vicomte G. d'Avenel, Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées, etc., livre III. Le Travail, 1600 à 1800.


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nipulation générale des vins 1, etc., autant de faits qui révèlent des situations analogues à la nôtre. Ce trait ressort d'une manière frappante des considérations écrites en 1788 par M. de Ballainvilliers, intendant de Languedoc 2. La fraude, la concurrence et la maladie que Pierre Barthès attribue imperturbablement à la pluie 3 éveillent chez les viticulteurs de cette époque des préoccupations que nous reconnaissons pour en avoir entendu l'expression autour de nous. Nous avons vu la production viticole qui avait atteint 85 millions d'hectolitres en 1875 descendre à 27 ou 28 millions de 1879 à 1892, après l'apparition du phylloxera, et remonter à 67 millions d'hectolitres en 1901 et 1902. Nos pères assistèrent à de pareilles fluctuations. Il y eut des heures où l'on se demanda s'il fallait désespérer de la vigne et des heures d'abondance telle que les produits tombèrent à des prix dérisoires.

Il faudrait être de parti pris pour imputer au climat pareilles situations; il faudrait, pour les créer, un climat absolument exceptionnel : or, quelle ironie ! ce climat perturbateur ne cessa jamais de faire bien exactement mûrir le raisin à la même époque. La date du ban des vendanges dans nos pays ne varie pas et les observations qui accompagnent quelquefois ce document annuel montrent qu'il n'est aucunement subordonné, comme tant d'autres faits, à la routine administrative. Qui ne voit qu'il faut attribuer ces variations à des causes qui ne sont ni le froid, ni la chaleur, ni la sécheresse, mais plutôt aux aptitudes de résistance que la plante oppose au froid, à la chaleur, à la sécheresse, à l'attaque des moisissures ou des insectes; que ces différences d'aptitudes sont le résultat de modifications physiologiques, oeuvre de nos essais, de nos tentatives, des rapprochements que nous opérons entre des espèces quelquefois fort

1. Voir les ouvrages de Maupin, de Bidet, de Boullay, de Beguillet, etc.

2. C. Bloch, La situation viticole au dix-huitième siècle (communication à la Société des Arts et Sciences de Carcassonne, 1875).

3. Voir Journal de Barthès, 1747.


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éloignées, entre des individus de race différente, toutes entreprises ennemies de la fixité. Qu'on lise la savante étude de M. Armand Gautier, intitulée : Les Mécanismes moléculaires de la variation des races et des espèces 1, et l'on verra pourquoi le climat le plus constant, le plus uniforme ne parvient pas à modérer les caprices de la vigne toujours en mal de transformation.

« On assure, écrit un auteur du dix-huitième siècle, que Ton cultive jusqu'à 376 espèces de raisins dans les jardins du Grand-Duc de Toscane 2. » Le soleil y faisait ce qu'il pouvait faire sans doute, mais il n'eût pas engendré tant de variétés sur un même point sans l'ingéniosité des vignerons du Grand-Duc. Nous sommes, bien mieux que le climat, les artisans du changement. Et toutefois il faut distinguer : changement probable dans ces produits de la Guyenne qui se vendaient au dix-huitième siècle sur les marchés de Bristol et de Londres de 20 à 30 francs la barrique de 280 litres 3; fixité dans ces chasselas de Fontainebleau dont Jacques de Génouillac, sénéchal du Quercy, envoya en 1572 à François Ier les plus beaux plants chargés sur trente mulets, sous la surveillance d'un maître vigneron; fixité dans ce petit vin blanc des Pyrénées, lumineux et traître, qui ménagea de si fâcheux réveils à M. de Froidour. La main inquiète de l'homme d'un côté, le rayon de soleil de l'autre, et tout est expliqué, à moins que nous ne voulions à tout prix un changement, comme l'entendait M. Huet; et il avait raison puisqu'on ne voyait plus de son temps « de ces grappes énormes que rapportèrent les espions de Moïse de la terre de Chanaan 4. » Nous n'en voyons pas plus que lui, mais nous savons que la vigne, si on ne la tourmente pas autrement que pour la mettre à l'abri des accidents atmosphériques, se comporte de nos jours aussi bien que jadis

1. Dans la Revue générale des sciences, 1901.

2. Traité de l'olivier, 1784, p. 105, note.

3. Voir Fulbert-Dumonteil.

4. Huetiana ou Pensées diverses, de M. Huet, p. 30 (XII, Défense des anciens contre les modernes).


230 MÉMOIRES.

quand on renouvela ses titres «au grand testament de Tastavin, roy des Fiots. » Et depuis lors, et depuis avant, ainsi qu'on l'a observé « en rapprochant différents passages de la nomenclature oenologique d'Henry d'Andely », on a pu conclure «que pour la plupart de nos vins, le goût n'a pas varié depuis cinq siècles. »

Le bétail, le potager, le verger, le cellier commanderaient ici un large aperçu gastronomique, confirmatif de ce qui précède. On y verrait que « la cuisine du moyen âge est la même que celle de l'empire romain. » Les Francs l'auraient trouvé en usage dans les Gaules devenues romaines de moeurs et d'habitudes 1. Si elle ne paraît pas la même actuellement, quoique au fond elle n'ait pas varié, c'est que nous sommes aussi incapables de nous résigner à la frugalité des serfs que d'accomplir les prodiges digestifs des grands.

La similitude des produits ressort de toutes les comparaisons, mais on ne peut s'arrêter à un sujet aussi fécond 2, quel que soit son intérêt; la botanique n'a pas encore épuisé pour nous tous ses témoignages. On a dit que l'exposé de ses progrès clans le Midi pendant un quart de siècle remplirait un gros livre 3. On est bien au-dessous de la vérité. Il y a encore dans les traités, les « sommes rurales », les « théâtres des champs », les mémoires d'agriculture », les « maisons rustiques », les recueils, les voyages, les statistiques des flores dont nous n'avons rien dit et qui témoigneront à leur tour de l'accord ininterrompu du climat avec les plantes dans les conditions sus-établies.

1. Le Viandier de Taillevent, Introduction par le baron J. Pichon. Paris, Crapelet, 1846.

2. G. Vicaire, Bibliographie gastronomique.

3. C. Romeguère, La Botanique dans le Midi (Congrès méridional, session de 1858).


GRAVURES PALÉOLITHIQUES MAL COMPRISES. 231

GRAVURES PALEOLITHIQUES MAL COMPRISES

PREUVES INEXACTES

DE

LA DOMESTICATION DU CHEVAL QUATERNAIRE PAR M. E. CARTAILHAC 1.

MM. L. Capitan et H. Breuil ont publié en 1902, dans la Revue de l'Ecole d'anthropologie, une notice intitulée : « Les gravures des parois des grottes préhistoriques, la Grotte des Combarelles ». Cette caverne des environs d'une localité célèbre en anthropologie, les Eysies (Dordogne), est ornée, sur 100 mètres de long et des deux côtés dans sa plus profonde galerie, de dessins et croquis figurant le Mammouth, le Renne, le Bison, le Cheval, etc. Cette faune donne la date des oeuvres d'art en question, confirmée d'ailleurs par une série d'autres preuves incontestées. On connaît aujourd'hui une dizaine de grottes dont les parois offrent de telles gravures et même des fresques polychromes.

L'art paléolithique nous est révélé avec une ampleur surprenante, et la civilisation dont il dépend apparaît grandie en importance et en intérêt.

1. Lu dans la séance du 29 décembre 1904.


232 MÉMOIRES.

MM. Capitan et Breuil, dans le travail indiqué, s'expriment ainsi :

« Plusieurs des équidés figurés présentent des caractères de domestication très nets. Le grand équidé reproduit (fig. 1) porte sur le dos, comme on le voit facilement, une large couverture

couverture ornements en forme de dents. Un autre porte également une couverture très nettement représentée. Il en est autour du museau desquels il semble qu'il existe une corde; enfin, un des trois petits Chevaux du groupe ci-dessus indiqué porte — ainsi qu'on peut le voir sur la figure qui reproduit la tête de cet animal au tiers de grandeur naturelle

naturelle un chevêtre indiqué avec une précision telle qu'il n'y a pas d'erreur possible (fig. 2). Enfin, deux autres aniFIG.

aniFIG. — Gravure de cheval avec couverture, d'après MM. Capitan et Breuil, grotte des Combarelles (Dordogne).

FIG. 2. — Tête d'Équidé portant l'indication très nette du Chevêtre, d'après MM. Capitan et Breuil. 1/6e gr. nat. Gravure et peinture de la grotte des Combarelles.


GRAVURES PALÉOLITHIQUES MAL COMPRISES. 233

maux portent sur le milieu du corps des signes nettement tracés : sur le flanc d'un Cheval il existe un signe en losange, et un autre animal, qui semble avoir des cornes, porte sur le flanc trois signes qui ont un aspect alphabéti forme (fig. 3).

« Il est impossible de ne pas rapprocher cette particularité des figurations grecques archaïques de chevaux portant un nom gravé sur les fesses. Il paraît bien vraisemblable qu'il s'agit sur nos bêtes de marques de propriété ou de marques de tribus comme les Wasms en usage chez tous les nomades du sud algérien. »

J'eus l'avantage d'assister à la séance de la Société des Antiquaires de France dans laquelle M. Gapitan, annonçant la découverte de la Grotte des Combarelles présenta une quantité de relevés graphiques de ses gravures. Je pus examiner à nouveau ses figures d'équidés avec couverture, chevêtre et marques de propriété. J'eus le regret d'avouer à mon savant confrère qu'il ne m'avait pas converti et que je récusais les preuves présentées ainsi à l'appui d'une domestication certaine du Cheval quaternaire. Je n'insistai pas et nous ne pûmes ce jour-là entamer une discussion.

Les découvertes de MM. Capitan et Breuil dans les grottes voisines des Combarelles et Fond de Gaumes eurent un retentissement considérable et firent faire un large progrès à l'archéologie préhistorique autant qu'à l'histoire de l'artNaturellement,

l'artNaturellement, faits à l'appui de la domestication des animaux furent, un peu partout, remarqués et reproduits. Ils n'ont pas été contredits.

FIG. 3. — Fragment de la bande donnant en croquis l'aspect exact d'un point de la paroi de la grotte des Combarelles.


234 MÉMOIRES.

Si bien qu'il me paraît nécessaire de les examiner publiquement et de dire pour quelles raisons il est impossible de les admettre.

Ces faits sont au nombre de trois, c'est-à-dire :

A) Une couverture;

B) Un chevêtre, sorte de frein avec bride;

C) Des signes de propriété. Examinons-les successivement.

A) La couverture. — M. Breuil a consacré des mois de travail à mettre au point, avec une grande habileté et une patience extraordinaire, les relevés des gravures des Coirir barelles, des gravures et des peintures de Fond de Gaumes. On sait que souvent les images sont juxtaposées, superposées, et que maintes lignes irrégulières sont tracées sur les mêmes surfaces rocheuses. M. Breuil a spontanément reconnu que la prétendue couverture était partie intégrante d'autres lignes extérieures aux chevaux. Il n'y a pas de couverture. Ainsi ce premier argument n'existe plus.

B) Le chevêtre. — Le second argument est bien plus solide au premier abord et, avouons-le, beaucoup plus rationnel. Car MM. Breuil et Gapitan rappellent d'un mot, dans leur texte, une série de faits du même ordre remarqués et publiés par M. Piette. Ce savant les a produits avec toute son autorité. Il est un des plus éminents fondateurs de l'histoire primitive de l'homme, grâce à des fouilles excellentes, poursuivies pendant près de quarante ans, et fécondes en découvertes étonnantes. Mais je n'hésite pas à croire qu'il a mal interprété le détail dont il s'agit.

Il convient de reprendre la question à ses débuts. On sait que Lartet et Christy ont, les premiers, rencontré dans les stations humaines des bords de la Vezères un objet en bois de renne qu'ils firent connaître en proposant plusieurs hypothèses déduites de l'ethnographie comparée. Une d'elles parut d'abord très vraisemblable, et le soin tout particulier qu'on mettait à orner ces instruments fit voir en eux un


GRAVURES PALEOLITHIQUES MAL COMPRISES.

235

insigne ou bâton de commandement, un sceptre primitif. Les visiteurs de la galerie du travail à l'Exposition universelle de 1867 examinèrent avec une curiosité bien naturelle ces bois de renne troués, couverts de figures d'animaux. Bientôt, en Belgique et en Suisse, comme en Dordogne ou dans l'Aveyron, on retrouva cet objet caractérisé. Ses dimensions variaient énormément. Percé le plus souvent d'un trou (fig. 4), on en voyait avec plusieurs trous, jusqu'à sept. L'hypothèse du bâton de commandement parut inadmissible et chacun de nous chercha souvent une meilleure explication dans le domaine des ustensiles usuels, des parures, des objets magiques ou religieux.

religieux.

Mieux accueillie que les autres fut celle que le professeur Pigorini, l'éminent directeur du Musée préhistorique de Rome, m'indiqua dans une lettre que je publiai aussitôt {Matériaux pour l'histoire de l'homme, XII, 53). Les bâtons troués servaient, d'après lui, pour l'attelage des bêtes de somme ou pour la monture, et l'on fabriquait avec eux des espèces de mors ou chevêtres pareils à ceux

Fig. 4. — Bois de renne troué et orné de gravures, Laugerie basse, Dordogne (gravure empruntée à la France préhistorique).


236 MÉMOIRES.

que les habitants de la Sardaigne emploient aujourd'hui.

Le chevêtre des Sardes se compose de deux bâtons en bois de Cerf 1 de 0m20 de longueur, troués à un bout, garnis au milieu d'un anneau de fer et unis par une chaîne métallique. Ils se placent horizontalement sur la face du Cheval; la chaîne sur le nez et les deux anneaux de fer en haut servent à suspendre le chevêtre au moyen d'une courroie. Dans les deux trous passe une courroie qui est tenue en main par l'écuyer. Quand il tire cette bride les bâtons se rapprochent et pressent plus ou moins la tête de l'animal. Ces trous s'usent à la longue et surtout celui de gauche.

M. Pigorini reconnaît qu'il faut deux bâtons semblables pour former l'instrument complet, et il explique comment les bâtons des cavernes ont pu servir au même usage sans l'anneau de fer, bien entendu, et qu'ils aient un ou plusieurs trous. Ils pouvaient être choisis selon la grandeur de la tête de l'animal.

M. Pigorini rapporte, d'après un de nos confrères, le fait que les bâtons de commandement se trouvent quelquefois par paires. C'est là une assertion erronée, et dès lors disparaît, de l'aveu de M. Pigorini lui-même, une base essentielle, le point de départ de son système.

Mais, en 1889, M. A. L. des Ormeaux vint à son aide, et dans la Revue d'ethnographie, p. 38, avec beaucoup d'ingéniosité et une réelle érudition ethnographique, il soutint la même hypothèse. Il observe, en effet, que le chevêtre des Chevaux sardes, qu'il connaît fort bien d'après les spécimens variés du Musée du Trocadéro, se retrouve avec de légères différences sur la tête des Rennes sainoyèdes attelés. On le voit encore employé par les paysans de Fionie pour les boeufs. Il y a similitude évidente entre ces trois instruments de dressage ou de direction. Les chevêtres sont des moyens simples et primitifs qui, perfectionnés, sont devenus le Gaveçon. M. A. L. des Ormeaux déclare qu'ils rentrent dans

1. Faute de Cerf, les Sardes actuels utilisent l'os et le bois, comme j'ai pu le voir moi-même en visitant leur île,


GRAVURES PALÉOLITHIQUES MAL COMPRISES. 237

la grande famille des inventions primitives et qu'on peut compter cet appareil parmi les premières manifestations de l'industrie humaine, au même titre que les silex taillés ou les grains de collier.

Mais cet auteur avoue immédiatement que la dimension des bâtons de notre âge du Renne excède souvent et de beaucoup les os des chevêtres du Musée du Trocadéro, et qu'il faudrait voir si les plus grands Rennes des primitifs des régions boréales n'ont pas de chevêtres plus volumineux.

Ni M. Pigorini, ni M. des Ormeaux n'ont remarqué que nos innombrables bâtons troués préhistoriques n'ont jamais ces traces d'usure qu'on trouve sur les chevêtres sardes ou lapons. Et cela permet, tout d'abord, de douter fortement de l'emploi qu'ils préconisent.

Quoi qu'il en soit, l'hypothèse de Pigorini était séduisante; elle eut la bonne fortune de convenir à M. Piette qui se montrait favorable, d'autre part, à la domestication du Renne ou des Chevaux quaternaires.

Pour lui, l'homme des cavernes n'a pas été nomade, ainsi qu'on l'a dit et répété. « S'il est vrai qu'il ait été sédentaire, il a fallu qu'il ait eu des ressources permanentes à la portée de son habitation; ces ressources, il n'a pu les trouver que dans la culture ou l'élevage des troupeaux... Rien ne prouve qu'il ait eu des notions de culture. Il faut nécessairement qu'il ait formé et entretenu, dans ses cantonnements, des troupeaux domestiqués ou au moins semi-domestiqués dont la chair faisait sa nourriture habituelle 1. »

M. Piette développe sa thèse dans le Mémoire dont je viens de citer un passage. Voici quels sont ses arguments ethnographiques et très précis :

« J'ai recueilli au Mas-d'Azil et à Arudy de nombreuses gravures sur lesquelles sont dessinées des têtes de Chevaux garnies de la chevêtre. Or, la chevêtre, que le mors a rem1.

rem1. 278 de l'ouvrage de M. A. BERTRAND, La Gaule avant les Gaulois, Paris, 1891, appendice par M. PIETTE, Notions nouvelles sur l'âge du renne.


238 MÉMOIRES.

placée à l'époque gauloise, a été l'instrument le plus puissant de la domestication et de l'assujettissement du Cheval. La plupart des morceaux de bois de renne, ornements connus sous le nom de bâtons de commandement, ne sont que des parties rigides de chevêtres.

« J'ai aussi rencontré, dans l'assise élaphienne 1 de Gour.

dan, un os sur lequel est représenté un Boeuf ceint d'une sangle, et dans celle du Mas-d'Azil une gravure de Renne ayant un collier. Parmi les oeuvres d'art que M. de Vibraye a trouvés à Laugerie-Basse, il en est de non moins démonstratives, notamment des gravures figurant un Renne avec un licol, une tête de Cheval garnie de la chevêtre et un Boeuf ayant sur le dos une sorte de couverture. La réalité de la domesticité de ces trois espèces d'animaux à l'époque du Renne ne peut donc plus être mise en doute (p. 284). » M. Piette publie avec ce texte plusieurs figures choisies

1. Riche en os de Cervus elaphus ; de là le nom adopté par le savant auteur dans sa classification préhistorique.

FIG. 4. — Cheval gravé sur os, Laugerie-basse, Tayac (Dordogne).


GRAVURES PALÉOLITHIQUES MAL COMPRISES. 239

parmi celles qui justifient sa manière de voir, c'est-à-dire quatre têtes d'équidés « bridées par la chevêtre ».

Je connais depuis trente ans de telles figures. En 1874, au Congrès archéologique d'Agen, M. l'abbé Landesque présenta une série de silex taillés et d'ossements travaillés. Je remarquai une pièce tout à fait exceptionnelle que je m'empressai de photographier, de mouler et de publier dans ma Revue Matériaux, p. 276. C'est un fragment d'omoplate gravée des deux côtés. Sur une face est une femme nue que l'on pourrait croire enceinte, fort velue, parée de bracelets et d'un collier. Les jambes d'un Renne, dont le corps nous manque, croisent les siennes et les recouvrent. Sur l'autre face, on voit l'avant-corps d'un Cheval. En publiant cette figure, j'insistai sur « les traits géométriques et fort étonnants de la tète » (fig. 4). Ces traits qui font suite à la bouche sont le prétendu chevêtre.

Cette pièce devint rapidement célèbre, et M. Piette en fit l'acquisition à un prix très élevé 1.

Sept ans plus tard, M. Dubalen, de Mont-de-Marsan, sur les indications de M. Piette, m'envoya une note sur les abris

1. M. Piette a donné, de son vivant, toutes ses collections, trésor inestimable, au Musée national de Saint-Germain-en-Laye, où elles seront bientôt dignement exposées.

Fia. 5. — Os gravé à contours découpés, grotte de Brassempouy (Landes). Tête de cheval stylisée.


240 MÉMOIRES.

sous roche de Brassempouy qui lui avaient livré des objets fort intéressants. Je fis passer cette note, en l'illustrant de quelques bonnes figures, dans les Matériaux, 1881, p. 284. J'avais surtout remarqué une plaquette d'os avec un trou de suspension, une amulette sans doute, faite avec l'oreille d'un poisson énorme. L'os avait été découpé et gravé. 11 représentait ainsi une tête de Cheval, mais qu'on avait garnie d'encoches, évidemment ornementales, tout en respectant les lignes vraies des saillies et des creux, et même ces lignes naturelles étaient comme le cadre du décor (fig. 5).

Dans les Matériaux, j'ai rarement ajouté mes observations aux notes et mémoires inédits. Je réservais mes critiques pour les comptes rendus bibliographiques. Je me contentai de mettre une note au texte de M. Dubalen pour rectifier un point capital, les silex étant solutréens et non pas néolithiques, ainsi que le croyait ce naturaliste. Je gardai le silence sur la tête si curieusement sculptée.

M. Piette, au cours de ses patientes recherches dans la grotte du Mas-d'Azil, fit une de ses plus admirables trouvailles : un bois de renne sculpté à la fois en relief et en ronde-bosse, et figurant plusieurs têtes d'animaux. L'une d'elles était un écorché, avec les yeux mi-clos et les dents saillantes, d'une fidélité étonnante dans les détails 1 (fig. 6).

Ce sont ces dents si bien figurées qui m'expliquèrent les singulières additions remarquées en premier lieu sur la tête de Cheval de Laugerie basse. Le rapprochement s'imposait. Donc les artistes de l'âge du Renne avait eu l'originalité de faire de la dentition un motif de décor.

Si ce fait curieux avait eu besoin d'une confirmation, elle serait fournie par la tête d'équidé sculptée en ronde-bosse que le général de Larclause exhuma de la station aujourd'hui classique de Ramoundenc, à Chancelade (Dordogne), et dont voici un dessin en grandeur double de l'original (fig. 7). Le ciseleur connaissait son anatomie. Il a marqué dans sa

1. M. Piette eut la très grande amabilité de me laisser publier cette pièce dans mon livre La France préhistorique, 1889.


GRAVURES PALEOLITHIQUES MAL COMPRISES.

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Fig. 6. — Sculpture figurant trois têtes de Chevaux dont une écorchée. Grotte du Mas-d'Azil (Ariège). Collection Piette. Figure empruntée à la France préhistorique:

10e SÉRIE. — TOME V.

16


242 MÉMOIRES.

figurine le maxillaire inférieur en partie décharné. Au moyen de quelques traits hardiment creusés, l'os transparaît en quelque sorte sous la chair et la peau de cette tête, dont les autres parties externes sont d'ailleurs modelées avec soin et succès, avec ce talent d'imitation que les artistes de ces âges si lointains possédaient au plus haut point,

La dentition est ici figurée par un dessin simplifié et stylisé.

stylisé. note de ce procédé dont la tête de Brassempouy nous avait donné déjà un spécimen excellent.

Les meilleurs peintres, en figurant un homme ou un animal, voient, par la pensée, dans le dessin qu'ils établissent, la charpente osseuse des individus. Au cours de leurs ébauches, il leur arrive de marquer les muscles ou les saillies des os. Les artistes quaternaires ont-ils agi avec le même souci du contrôle et de l'exactitude?

La fidélité des lignes, ils l'obtenaient comme la vérité de l'attitude et de l'allure, en s'inspirant de leur génie propre, de l'instinct favorable en jeu dans leur intelligence, de leur profond sentiment d'observation de la nature, et enfin toutes ces qualités étaient secondées par l'habileté de la main, par l'expérience acquise, par l'existence de traditions bien assises. Le style de l'âge du Renne dérivait, cela du moins est

Fig. 7. — Sculpture en bois de renne, station de Ramoundenc (Dordogne). Tête d'équidé; le maxillaire inférieur est indiqué par un trait gravé.


GRAVURES PALÉOLITHIQUES MAL COMPRISES. 243

très probable, d'un enseignement. Ce sont les conclusions auxquelles on aboutit forcément lorsque l'on étudie cet art primitif et extraordinaire auquel nous devons aussi les superbes fresques de Font de Gaumes et d'Altamira.

S'il n'avait pas existé une tradition maintenue par l'enseignement, nous ne nous expliquerions pas du tout le même style révélé sur plusieurs points très séparés et au cours d'une longue période géologique.

Nous n'avons que des spécimens épars des oeuvres d'art en question, mais le hasard ne nous a pas mal servi. Une série de pièces comparables à celles que nous étudions est peu à peu venue prendre place dans les collections.

Par exemple, la grotte des Espelugues, à Lourdes, a livré à M. Nelli un os à contours découpés, une tête d'équidé qui pour la forme comme pour la destination est soeur de l'amulette de Brassempouy. L'ornementation est tout à fait du même genre, sans qu'il y ait copie. Le décor est varié dans les deux pièces. Dans celle-ci, il est indiqué d'un burin plus léger et plus sobrement 1.

En voici une autre, au contraire, où l'ornementation est portée à son maximum. C'est encore un os à contours découpés et il provient de la grotte Saint-Michel, près d'Arudy, où péniblement M. Mascaraux recueillit avec un soin parfait d'admirables objets que M. Piette publiera dans son grand album, véritable monument, aujourd'hui très avancé. Je n'ai pas vu l'original, mais M. Mascaraux a eu l'obligeance de me communiquer un estampage d'après lequel est fait le croquis — un peu sommaire — ci-contre (fig. 8).

Si nous n'avions que cette gravure nous serions évidemment tentés d'admettre que la tête de l'animal est enveloppée d'un véritable réseau de liens, rappelant un peu certains riches harnachements de mules, et que volontiers on s'ima1.

s'ima1. Nelli est fixé à Garcassonne où ses superbes collections préhistoriques pyrénéennes, ethnographiques et archéologiques sont ouvertes à tous les savants et amateurs de passage. Je le remercie, en cette occasion, de m'avoir laissé dessiner tout ce que j'ai voulu.


244 MÉMOIRES.

ginerait de voyantes couleurs. Mais, en l'examinant, on ne comprend pas du tout la disposition qu'auraient les brides, tandis qu'on retrouve les lignes, les encoches, les masses et les détails déjà connus d'un simple décor géométrique. A ces divers spécimens il faut ajouter tous ceux que

M. Piette a recueillis et qu'il a figurés, en partie, à l'appui de l'existence du chevêtre.

La tête d'équidé signalée par M. Capitan parmi les gravures des Combarelles vient prendre place dans ce bloc irréductible. Il n'y a pas de chevêtre. La domestication du Cheval n'a rien à voir en cette affaire. Reste une très originale stylisation à la mode chez les artistes animaliers dont les oeuvres nous surprennent et nous enchantent.

L'un de nos confrères se consacre à leur étude, et déjà les' résultats qu'il a obtenus ont paru, à juste titre, de première importance 1.

C) Les marques de propriété. C'est la troisième preuve invoquée dans la note de MM. Capitan et Breuil. Les deux marques alléguées, maintenant isolées des

1. Postérieurement à la rédaction et à la lecture de mon travail, M. l'abbé Breuil a communiqué à l'Académie des Inscriptions (G. r. 1905, séance du 10 fév.) un mémoire intitulé : La dégénérescence des figures d'animaux en motifs ornementaux à l'époque du renne.

FIG. 8. — Os à contours découpés, tête d'équidé couverte de gravures stylisées. Grotte de Saint-Michel-d'Arudy (Basses-Pyrénées).


GRAVURES PALÉOLITHIQUES MAL COMPRISES. 245

autres preuves qui se sont évanouies, sont un argument bien menu, d'un poids bien léger pour suffire à changer du tout au tout ce que nous savons de la civilisation des hommes quaternaires, d'autant plus qu'elles peuvent être interprétées de plusieurs façons. Reconnaissons d'abord qu'elles ne sont pas nécessairement liées au corps de l'animal sur lequel nous les trouvons; d'autres signes semblables sont aux environs, et ces traits ne sont peut-être que des vestiges d'esquisses détériorées.

Il y a de telles marques vagues un peu partout le long des 200 mètres de parois illustrées, elles n'ont pas le caractère de quelques autres qui s'imposent à l'attention. D'un côté, simple accident sans portée, — de l'autre, signe intentionnel.

Admettons qu'un signe en losange soit gravé sur un équidé et qu'un autre animal « qui peut avoir des cornes » (ce qui prouve, pour le dire en passant, que nous ne sommes pas en présence d'un dessin bien fait ni terminé) porte sur le flanc trois signes qui ont un aspect alphabétiforme.

Nous avons dans la grotte de Marsoulas (Haute-Garonne) un beau Bison peint en rouge et noir, marqué sur le flanc d'un énorme signe rouge, le plus alphabétiforme qu'il soit possible d'imaginer, ira-t-on prétendre que le Bison fut domestiqué et marqué d'un signe par son propriétaire comme un Cheval ou un Mouton à la foire? A Altamira de Santillane, en Espagne, M. Breuil et moi nous avons aussi relevé, dans une caverne aujourd'hui fameuse par ses belles et nombreuses oeuvres d'art, quantité de signes noirs et rouges, tous aussi nets que franchement mystérieux. Déjà les hypothèses les plus variées prennent leur vol ; mais ces signes ont beau avoisiner, recouvrir même Bisons, Chevaux, Sangliers, Cervidés..., ils ne viennent pas à l'appui de la domestication, plus ou moins complète, de ces animaux.

Il y a fort à parier que si nos ancêtres paléolithiques, au lieu d'être uniquement chasseurs, avaient possédé des animaux domestiques ou simplement soumis et parqués, nous n'aurions pas ces gravures et ces peintures des cavernes,


246 MÉMOIRES..

ces grandes troupes de Bisons et de Chevaux, de Mammouth et de Rennes qui décorent les parois rocheuses !

Que ces peuplades aient été moins nomades qu'on ne l'a; dit, c'est possible. Je n'ai pas à examiner ici cette question encore obscure.

Mais les preuves ethnographiques que l'on retenait pour nous fixer sur un point capital de leur civilisation ne comptent vraiment pas.


SUR LA TERMINOLOGIE. 247

SUR LA TERMINOLOGIE.

PAR M. JUPPONT 1.

L'emploi d'un même terme, auquel on attribue des significations variées, est devenu abusif à ce point qu'il rend souvent difficile la lecture des travaux scientifiques; il a, pour le moins, l'inconvénient grave de donner plusieurs interprétations à une seule pensée. Ainsi, les mots force, puissance, espace, dimensions, etc., ont les significations les plus diverses.

Pour éviter toute confusion dans les langues scientifiques et faciliter la compréhension de tous les textes, avec le minimum de peine, il est indispensable que les diverses branches de la science, philosophie, mécanique, physique, chimie, biologie, etc., unifient leur langage commun et emploient les mêmes termes et les mêmes symboles; on éviterait ainsi dans la science la réédification d'une nouvelle tour de Babel.

Pour atteindre ce but, il est nécessaire de créer une Terminologie énergétique, dans laquelle :

a) Chaque Défini aurait un Nom comportant une signification unique;

b) Lorsqu'il s'agirait de grandeurs susceptibles de représentation mathématique, le Défini nécessiterait en outre :

1° Un Symbole, destiné à représenter cette grandeur, notamment dans les équations;

1. Lu dans la séance du 1er décembre 1904.


248 MÉMOIRES.

2° Une formule de Définition, c'est-à-dire une représentation algébrique de la grandeur en fonction d'autres grandeurs simples ou composées qui la constituent. Cette formule est en réalité une équation de définition, une définition exprimée en langage algébrique;

3° Une formule de Comparaison, ou expression de la grandeur en fonction des unités fondamentales. Cette définition particulière est en réalité une équation d'homogénéité qui permet de comparer les diverses grandeurs entre elles;

4° Une Unité de mesure.

c) Enfin, s'appliquant à toutes les unités, il faut adopter des règles générales uniformes relatives à la formation :

1° Des multiples et sous-multiples ;

2° Des abréviations des divers définis.

Conformément aux règles posées par M. Hospitalier dans l'Industrie électrique du 10 mars 1904, on peut accepter les règles fondamentales suivantes :

Les Grandeurs ne peuvent être définies, qu'à l'aide de Grandeurs ;

Les Unités ne peuvent être définies qu'à l'aide d'Unités..

Cette méthode a l'avantage de conduire à une synthèse méthodique, par la réduction du nombre des unités fondamentales.

Chacun des termes de cette terminologie aurait une seule signification et ne pourrait avoir que celle-là.

Pour distinguer ce terme ainsi précisé, du même mot employé dans le langage courant, je propose de le considérer comme un nom propre et, par suite, de le commencer par une majuscule.

La lettre capitale, placée au commencement du mot, préciserait d'une façon complète la seule signification qui lui est attribuée dans le discours.

Ainsi, lorsque j'écris travail intellectuel (travail, avec un t), je laisse au mot travail sa signification littéraire ; d'occupation, labeur, besogne, etc.

Si, au contraire, j'écris le Travail effectué par un être


SUR LA TERMINOLOGIE. 249

vivant quelconque (Travail avec un T), je parle d'une grandeur évaluable en ergs, c'est-à-dire dont la valeur nous est connue par le produit d'une Force et d'une Longueur.

Si je parle de l'Energie dépensée par cet être vivant, je laisse comprendre que cette Energie est estimée indirectement par les lois physico-chimiques d'équivalence avec la chaleur et le Travail; et le qualificatif: électrique, chimique, etc., servira à préciser la pensée. Si, au contraire, je parle de l'énergie d'une réaction, d'une expression, je laisse au mot « énergie » son sens général de manifestation vive, énergique et non énergétique.

En outre, pour faciliter le choix des symboles, je propose d'appliquer aux grandeurs physiques, chaque fois que la définition le comportera, la méthode de classification des sciences naturelles, qui utilise deux mots pour définir une espèce.

Prenons dans la botanique un exemple entre mille : le vulgaire appelle « ortie blanche » une labiée dont la forme de la feuille se rapproche de celle de l'ortie (famille des urticées); le terme botanique adopté lamium album évite toute confusion; le genre lamium indique que l'on a affaire à une labiée et non à une ortie, et l'adjectif album qualifie l'espèce dans le genre.

En physique, on pourrait aussi classer dans le môme genre toutes les grandeurs ayant la même équation d'homogénéité. Le genre sera désigné par une majuscule spéciale, et une deuxième lettre minuscule placée en indice jouera le rôle de l'adjectif et précisera à quelle grandeur on a affaire.

Si U est l'Énergie,

Ue sera l'Énergie électrique, Ui l'Énergie interne, etc. Ut le Travail.

Pour distinguer les coefficients numériques, des grandeurs ayant une équation d'homogénéité, le nom des coefficients serait commencé par l'adjectif; ainsi, spécifique gravité remplacerait poids spécifique qui est le rapport de deux


250 MÉMOIRES.

poids et par conséquent un nombre et non pas une force, etc. L'oeuvre à accomplir est délicate et considérable; elle ne peut l'être par un seul, ni même par une seule association; elle doit recourir à l'universalité des concours, puisqu'il doit en résulter une codification universelle.

Les électriciens, les mécaniciens, auxquels on doit le système C. G. S., continuent d'étudier la question à leur point de vue spécial; c'est ainsi que certains Congrès internationaux de l'exposition de Saint-Louis se sont préoccupés de l'unification de la terminologie; mais il n'a pu être pris de: décision définitive.

Il importe que les Sociétés savantes ne restent pas étrangères à ce mouvement, auquel elles peuvent apporter un appui des plus précieux; c'est ainsi que la Société française de Physique est saisie de propositions de Sociétés scientifiques américaines; que la Société des Ingénieurs civils de France étudie les propositions de M. Hospitalier,

Renseignements pris, j'ai tout lieu de penser que des travaux préparatoires peuvent être très utilement effectués à Toulouse en groupant autour de l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres des membres des diverses Sociétés savantes de la ville et même des savants indépendants qui, réunis en Commission, élaboreraient un projet de terminologie. Ce travail serait ensuite envoyé aux principales Sociétés, françaises pour solliciter leurs critiques et leur avis sur le projet ainsi préparé, qui serait transmis au Congrès des Académies, à l'A. F. A. S., au Congrès des Sociétés savantes, etc. Enfin, un Congrès, comprenant les membres des Sociétés techniques et des Sociétés savantes, arrêterait la terminologie officielle pour laquelle on demanderait la sanction légale, comme cela a été fait en 1903 pour certaines décisions des Congrès de 1889.

Subsidiairement, on étudierait la décimalisation complète du système d'unités.

Si vous pensez comme moi que cette idée puisse être réalisée et qu'elle soit susceptible d'apporter de grandes amélio-


SUR LA TERMINOLOGIE. 251

rations dans l'enseignement, je vous demanderai de nommer une Commission préparatoire qui étudierait les voies et moyens à employer pour réaliser le programme que j'ai l'honneur de vous soumettre.

A la suite de cette communication, l'Académie, sur la proposition de son président, a nommé une Commission composée de : MM. CAMICHËL, FABRE, JUPPONT, LAULANIÉ, LÉCRIVAIN, LEGOUX, MATHIAS, MAUREL et SABATIER.


252 MÉMOIRES.

HYDROGÉNATION DU BENZONITRILE

ET DU PARATOLUNITRILE PAR M. LE DOCTEUR A. FREBAULT 1

Professeur â la Faculté de Médecine de Toulouse,

On sait depuis longtemps que l'hydrogène occlus dans les métaux possède des affinités très énergiques. Aussi quelques chimistes ont-ils utilisé les métaux hydrogénés, ces sortes d'hydrures métalliques, pour réaliser un certain nombre d'expériences intéressantes. Mais jusqu'à ces dernières années, les réactions connues de cet ordre étaient assez limitées et n'étaient guère appliquées par les chimistes.

MM. Sabatier et Senderens, dans une série de recherches poursuivies depuis 1897, ont considérablement agrandi le champ d'action des métaux hydrogénés en les faisant servir à la production d'un grand nombre de corps, dont quelquesuns ne peuvent être obtenus que très difficilement par d'autres moyens. Ils ont, en quelque sorte, systématisé et généralisé ce procédé d'hydrogénation en le rendant susceptible d'une foule d'applications et suffisamment pratique pour les chimistes expérimentés. C'est ainsi qu'ils ont constitué ce qu'ils appellent la méthode générale d'hydrogénation directe par catalyse.

Sans vouloir en rien diminuer la grande valeur de cette méthode, que nous avons d'ailleurs pratiquée nous-même avec succès, il nous sera bien permis de faire des réserves

1. Lu dans la séance du 6 juillet 1905.


HYDROGÉNATION DU BENZONITRILE. 253

en ce qui concerne l'emploi du mot catalyse, que l'on peut être étonné de rencontrer ici. Pas plus que la force vitale, en biologie, la prétendue force catalytique, en chimie, ne nous paraît devoir être admise. L'étude scientifique des phénomènes soi-disant catalytiques a montré, dans bien des cas, que leur cause doit être vraisemblablement rapportée à des effets soit physiques, soit chimiques surtout. Et s'il en subsiste qui n'ont pas reçu actuellement une explication absolument probante, il n'y a aucune raison pour que ces exceptions ne finissent par disparaître entièrement. Nous n'avons donc aucun goût pour cette vieille hypothèse de la catalyse, inventée par Berzélius en 1835; elle rappelle trop cette force mystérieuse qui, d'après les physiologistes d'un autre âge, préside aux mutations moléculaires dont l'organisme vivant est le siège incessant. N'acceptant pas la chose, nous ne voyons pas l'utilité d'en conserver le nom, qui a l'inconvénient, selon nous, de donner une idée fausse des phénomènes.

Quoi qu'il en soit, la méthode d'hydrogénation directe de MM. Sabatier et Senderens est des plus remarquables, en ce sens qu'elle peut rendre de très grands services aux chimistes. Elle n'en est plus d'ailleurs à faire ses preuves, et déjà elle est appliquée en grand à la préparation synthétique du cyclohexane et de ses homologues, en partant des hydrocarbures aromatiques. Il pourrait se faire qu'elle fût même bientôt tout à fait industrialisée. On sait effectivement que parmi les réactions qu'elle permet de réaliser, il en est une 1 qui fait actuellement, à Lyon, l'objet d'essais appelés à révolutionner l'industrie du gaz d'éclairage si, comme il faut l'espérer, ces essais conduisent à des résultats conformes aux prévisions théoriques et pratiques. C'est ainsi que les découvertes de la science pure trouvent parfois d'ingénieuses et importantes applications entre les mains d'industriels habiles et éclairés.

1. L'hydrogénation de l'oxyde de carbone en présence du nickel divisé, dont le résultat est la formation de méthane, et d'eau.


254 MÉMOIRES.

Hydrogénation du benzonitrile. — MM. Sabatier et Sendèrens ont appliqué dernièrement leur méthode d'hydrogénation à la préparation des benzylamines, en partant du benzonitrile. Dans cette opération, ils ont eu recours au cuivre hydrogéné, et ils ont obtenu ainsi les bases primaire et secondaire, cette dernière en quantité bien supérieure à l'autre. Le nickel, qu'ils ont tenté de faire servir à cetlehydrogénation, ne leur a donné que du toluène et de l'ammoniaque.

Nous avons pu cependant réaliser la formation de ces mêmes aminés, par hydrogénation du benzonitrile, en employant le nickel, qui s'est fort bien comporté dans la circonstance, saris doute parce que nous avons opéré dans des conditions différentes 1. Nous croyons donc utile de faire connaître sommairement comment nous avons procédé : Le tube contenant le nickel réduit était couché dans une gouttière ad hoc et entièrement plongé dans de la limaille de fer, dans le but de répartir la chaleur aussi uniformément que possible. L'appareil a été chauffé à 250° environ; le courant d'hydrogène a été maintenu assez rapide, et l'on faisait tomber le benzonitrile dans le tube à la dose de 25 à 30 gouttes par minute. Ce sont là les conditions qui nous ont paru les plus avantageuses. Ajoutons que, grâce à un dispositif spécial, nous pouvions à volonté nous assurer de la qualité du liquide condensé à toutes les phases de l'opération.

Le produit de la réaction a été introduit dans un grand ballon, puis additionné d'un excès d'acide chlorhydrique et d'eau. On a fait passer dans la solution un courant de vapeur d'eau pour entraîner le benzonitrile non attaqué, ainsi que le toluène qui s'est formé pendant la réaction. Ce dernier a été séparé ultérieurement, afin de récupérer le nitrile à l'état de pureté. Le résidu contenu dans le ballon a

1. Ce travail était presque terminé lorsque MM. Sabatier et Senderens ont communiqué leur note sur l'hydrogénation du benzonitrile à la Société chimique (section de Toulouse).


HYDROGÉNATION DU BENZONITRILE. 255

été traité par un excès de potasse pour mettre les bases en liberté, puis le tout a été agité vivement avec du benzène qui s'est emparé de celles-ci. La solution benzénique, décantée et séchée, a été distillée au bain-marie pour enlever le benzène. Enfin, le liquide restant a été distillé dans le vide partiel.

La monobenzylamine a été recueillie entre 100° et 105°, sous une pression de 4 à 5 centimètres; la dibenzylamine, entre 195° et 198°, sous la même pression. Le faible résidu du ballon distillatoire a donné quelques cristaux par refroidissement. Etait-ce de la base tertiaire? C'est probable; mais nous avions trop peu de ce corps pour nous en assurer.

Nous ferons remarquer que nous avons obtenu ainsi des quantités à peu près égales de bases primaire et secondaire.

Hydrogénation du paratolunitrile. — C'est encore au nickel que nous avons eu recours pour effectuer cette hydrogénation. Dans nos premières expériences, nous avons procédé par entraînement du nitrile maintenu à la température de 190° à 200°, en y faisant barboter l'hydrogène au moyen d'un tube, que l'on pouvait enfoncer plus ou moins dans le liquide. Plus récemment, nous avons fait arriver le nitrile directement dans le tube à nickel, en établissant une circulation d'eau chaude autour du tube-réservoir qui le renfermait, de manière à le liquéfier et à en régler l'écoulement. Le courant d'hydrogène, passant sur le métal réduit et porté à une température voisine de 250°, a entraîné dans le ballon récepteur un mélange de paratolunitrile en excès et de bases fortement alcalines, que l'on a séparées et pu ri fiées par des moyens analogues à ceux indiqués précédemment.

Bien que nous n'ayons pas fait encore l'analyse élémentaire de ces aminés, nous avons tout lieu de croire qu'elles représentent les homologues des benzylamines, les paraméthylbenzylamines. C'est, d'ailleurs, ce que montrent déjà suffisamment les données que nous avons acquises et que nous relatons ci-après.


256 MÉMOIRES.

Les bases ainsi obtenues sont la primaire et la secondaire; quant à la base tertiaire, nous n'avons pas observé sa présence dans les produits recueillis.

Le chlorhydrate de la base secondaire, que nous avons préparé, est bien cristallisé; il fond à 272°, c'est le chiffre indiqué pour ce sel.

Trois dosages du chlore de ce même chlorhydrate ont donné une moyenne de 13,61 %, la quantité calculée étant de 13,58 % pour le chlorhydrate de paradiméthylbenzylamine.

Le dérivé nitrosé fond à 49°-50°; le point de fusion donné par certains auteurs est 52° 1.

NOTA. — Au cours de notre travail, nous avons été amené à rechercher si le réactif de Rimini ne pourrait pas être utilisé pour la diagnose des aminés aromatiques.

Ce réactif (propanone et nitroprussiate de sodium) s'applique aux amines aliphatiques (grasses); il fournit avec les primaires une coloration rouge, avec les secondaires une coloration bleue, et il est sans action sur les tertiaires.

Or, nous avons observé, en opérant sur des échantillonstypes de benzylamines, que ce même réactif donne immédiatement, avec la primaire, une belle coloration bleue; il ne se produit aucune coloration ni avec la secondaire ni avec la tertiaire, même au bout de deux ou trois minutes.

1. Une note relatant les parties essentielles de notre communication a été insérée dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences de Paris, t. GXL, p. 1036, n° du 12 avril 1905.


SUR L'ACIDE PICRAMIQUE. 257

SUR L'ACIDE PICRAMIQUE

PAR MM. A. FREBAULT ET J. ALOY 1

Professeurs à la Faculté de Médecine de Toulouse.

Nous continuons l'étude systématique des produits de réduction de l'acide picrique, et le but de la présente note est de faire connaître la suite des résultats de nos recherches relatives à l'acide picramique ou dinitraminophénol (1-2-4-6).

Réduction de l'acide picrique par l'hydrosulfite de sodium. — La réduction de l'acide picrique par l'hydrosulfite de sodium est immédiate en solution neutre ou légèrement alcaline. Il est nécessaire d'opérer à froid pour que la réduction s'arrête au dérivé monoaminé (acide picramique). Au lieu d'hydrosulfite de sodium pur, dont la préparation est assez laborieuse, on peut employer Phydrosulfite que la Badische livre aujourd'hui au commerce à un prix modéré.

Purification de l'acide picramique. — Le procédé de purification le plus simple et le meilleur consiste à dissoudre l'acide picramique dans l'eau bouillante, en évitant une longue ébullition. Par refroidissement de la liqueur, on obtient de beaux cristaux sous forme d'aiguilles. On peut aussi employer un dissolvant organique, alcool, benzène, etc. L'acide picramique se sépare de la solution benzénique en cristaux isolés très volumineux et très brillants.

Lu dans la séance du 6 juillet 1905.

10e SÉRIE. — TOME V. 17


258 MÉMOIRES.

Diazotation de l'acide picramique. — Un des résultats les plus intéressants de ce travail a été obtenu par l'étude de la diazotation de l'acide picramique. Le diazoïque préparé par la méthode habituelle se décompose, dans des conditions que nous préciserons ultérieurement, en donnant naissance à un produit jaune très bien cristallisé, qui fond à 168°-169°. Ce composé jouit de propriétés explosives très énergiques ; il détone violemment par le choc ou par une brusque élévation de température. En très petite quantité, il peut être enflammé sur la main comme du fulmi-coton.

Nous poursuivons l'étude de ce corps.

Application analytique. Recherche de l'acide picrique. — L'action de l'hydrosulfite de sodium permet de décelertrès facilement la présence de l'acide picrique dans une solution. Il suffit d'ajouter quelques gouttes d'ammoniaque et un peu d'hydrosulfite solide; la réaction est immédiate.

Avec une solution à 1/1000e, la coloration rouge est très foncée; elle est encore manifeste avec une solution à 1/100000e.

La coloration passe du rouge au jaune par l'action de l'acide azotique, qui transforme l'acide picramique en acide picrique.


SUR LÉS GRANDEURS MATHEMATIQUES. 259

SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES

PAR M. JUPPONT 1.

La nécessité d'un langage scientifique à signification unique, dont je vous ai entretenu dans une précédente séance, m'a amené à examiner si le langage mathématique qui doit servir de base à toutes les métrologies, avait la précision et la netteté nécessaires.

A côté d'imprécisions dont les conséquences sont insignifiantes, j'ai cru reconnaître que certains termes étaient nettement défectueux, et l'étude de leur remplacement m'a conduit à une genèse particulière des grandeurs mathématiques.

C'est cette double question, ou plutôt ces deux questions parallèles que je veux vous exposer.

LA GRANDEUR.

A l'origine de tous les traités élémentaires, on trouve la définition suivante : « On appelle grandeur ou quantité tout ce qui est susceptible d'augmentation ou de diminution. »

Alors que notre langue scientifique est si pauvre de mots, pourquoi garder une synonymie qui ne s'excuse que dans le langage courant.

Réservons donc le terme grandeur aux objets mathématiques

1. Lu dans la séance du 23 février 1905.


260 MÉMOIRES.

et laissons le terme quantité aux objets physiques (quantité d'électricité, de magnétisme, etc.).

Depuis longtemps, l'insuffisance d'une définition de la grandeur a été signalée : Laisant remarque très justement que la haine, l'affection, qui ne sont pas des grandeurs au sens mathématique, sont susceptibles d'augmentation ou de diminution; la définition classique n'est donc pas suffisante.

Une distinction s'impose pour différencier les grandeurs susceptibles de représentation mathématique, de tout ce qui est susceptible d'augmentation ou de diminution.

Dans ce but :

1° J'appelle Quotité toute grandeur mesurable à l'aide d'une grandeur de même nature prise comme unité. La grandeur étalon est une partie ou un multiple de la grandeur mesurée et cette dernière est exprimable à l'aide d'un nombre qui qualifie l'unité choisie.

Certaines Quotités sont objectivables dans l'espace ; telles sont, par exemple, les grandeurs géométriques; d'autres sont objectivables simultanément dans le temps et dans l'espace; ce sont les Quotités dynamiques et cinématiques; enfin, d'autres sont indépendantes du temps et de l'espace; telles sont notamment les Quotités arithmétiques et algébriques.

La Mesure est l'opération dans laquelle on compare des grandeurs; son résultat, la mesure, est un nombre qui qualifie numériquement la grandeur mesurée ou fonction de l'étalon adopté.

2° J'appelle Qualité les grandeurs qui ne sont comparables que subjectivement, sans qu'on puisse les objectiver numériquement par rapport à un étalon.

Avec les progrès de la science, les Qualités peuvent devenir des Quotités ou des Quantités; c'est ainsi que l'électricité, qui était une Qualité avant l'invention des électromètres ou des galvanomètres, est devenue une Quantité par l'invention de ces appareils de mesure.

La mesure d'une Quotité est une Quotitance. Ex. : longueurdistance; volume-contenance; surface-aire; etc., etc.; et il convient de signaler ici toute l'importance qu'il y a à différencier une Grandeur de sa mesure ; puisque la Grandeur est un


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 261

objet particulier; alors que sa mesure est un nombre, c'est-àdire une abstraction d'une nature toute subjective, qualifiant un objet choisi pour unité.

Il faut aussi remarquer combien la vérité mathématique est différente de la vérité physique.

La vérité physique est l'accord momentané entre un Percept ou résultat de la perception d'un objet et les Concepts correspondants ou résultat des conceptions suscitées en nous par cet objet et nos Percepts antérieurs.

Dans la vérité mathématique, au contraire, l'objet et le Concept se confondent, puisque l'objet ou grandeur mathématique considérée, ligne, surface, etc., est formée par notre esprit, qui, pour les définir, dénature la réalité.

Pour distinguer ces deux ordres de vérités, j'ai proposé d'appeler la vérité mathématique : Survérité, afin de bien marquer qu'elle est d'une nature toute différente de la vérité physique ou historique.

Leur différence fondamentale est que la Survérité est absolue, alors que la vérité est toujours relative ; de plus, la Survérité est indépendante des substances, du temps et de l'espace, tandis que la vérité physique leur est intimement liée et évolue clans le temps avec les progrès de la connaissance.

3° J'appelle « Liaison » tout ce qui peut réunir entre elles plusieurs grandeurs et les faire dépendre les unes des autres ; c'est un terme aussi général que celui de : Grandeur.

Les Liaisons entre Quotités et Quantités sont de trois sortes :

L'Equation; La Relation ; L'Equivalence.

L'équation exprime l'égalité numérique des Grandeurs mathématiques.

Les deux grandeurs identiques des deux membres de l'équation sont reliées par le signe = lorsque l'on compare des nombres entrs eux.

L'emploi de ce signe en physique, en chimie, est une cause de bien des confusions.


262 MÉMOIRES.

il n'y aucune analogie possible, et cependant le signe de la Liaison est le même.

Remarquons en passant que la Relation chimique devrait être complétée par la chaleur dégagée U, sinon l'équation n'exprime qu'une liaison gravifique des composants avec la terre et non un fait chimique ; toute liaison dite actuellement équation chimique ne mérite pas ce nom; elle est exclusivement physique et devrait au moins être écrite

ce qui démontre bien l'impossibilité du signe =.

L'identité des Quotités algébriques peut, comme celles des Quotités arithmétiques, s'exprimer à l'aide du signes, puisque l'équation compare des nombres comportant des précisions que nous spécifierons bientôt.

Mais, pour les Grandeurs géométriques, dont les Liaisons sont différentes de celles des nombres entre eux, il est nécessaire d'adopter un signe spécial.

J'ai proposé f^ 1 qui signifie résulte; ainsi, si l'on considère les trois côtés d'un triangle BCD, on a

qui se lit : de BC + CD « résulte » BD

car BC + CD — BD n'est « numériquement vrai » que si BC et CD sont dans le prolongement l'un de l'autre; c'est-à-dire si BC et CD peuvent être assimilées à des grandeurs algébriques. Pour préciser les signes d'égalité géométrique, on pourrait employer :

z^ comme signe d'équipollence positive ;

^ comme signe d'équipollence négative ;

1. Dans l'écriture.courante on supprimera l'empenne de la flèche; la flèche non empennée n'existe pas en typographie, c'est pourquoi, dans ce qui suit, nous avons employé le signe »,


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 263

^ comme signe de contrégalité, ou égalité de lignes parallèles, mais de sens contraire; ^ serait le signe d'équilibre.

Il n'est pas douteux que ces précisions apporteraient une clarté nouvelle dans les expressions géométriques dont les symboles doivent être souvent complétés mentalement, ce qui est un inconvénient grave pour les débutants.

La Relation exprime la mesure de Quantités physiques.

™ le signe que je propose veut dire : la mesure de est

égale à

:~ indique que les Grandeurs a et f qui y interviennent ne sont considérées que comme des nombres et non comme des Grandeurs elles-mêmes, car l'Equation ne serait pas homogène au point de vue physique.

L'Equivalence est une Liaison qui égale par convention deux Quantités ou deux Quotités autres que les nombres lorsqu'elles sont susceptibles de produire le même effet ou d'avoir une commune mesure. Son signe est : ^ équivaut

1 calorie =f= 425 kilogrammètres.

Elle exprime l'identité de l'unité servant à la mesure de Quotités différentes de nature ou de forme.

Dans un triangle rectangle ABC dont ï'hypothénuse est AC le théorème du carré construit sur Ï'hypothénuse doit s'écrire

L'aire des carrés construits sur les côtés permet seule d'écrire a- -\- &2 = c-, puisqu'elle égale des nombres et non plus des surfaces.

L'ORDRE.

Lorsque nous percevons simultanément plusieurs objets (soit par la vue, soit par le toucher), l'opération la plus simple que


264 MÉMOIRES.

nous puissions faire, après avoir constaté l'existence individuelle de chacun d'eux, est de les repérer les uns par rapport aux autres.

C'est, en somme, après avoir reconnu pour chacun d'eux la portion d'espace qu'il occupe indépendamment de ses voisins, classer ces portions d'espaces ou ces objets dans un ordre déterminé.

La définition de ce classement se fera en donnant un nom à chacun des rangs de cet ordre.

Cette construction ordinale, généralisée, s'applique à tous objets classés de la même manière; c'est une Survérité, exprimée grammaticalement par l'adjectif ordinal ; cette définition des termes de l'ordre ne dépend que de nous.

Cette construction ordinale n'est pas absolue ; elle est relative à deux points de vue :

1° Par rapport à l'objet qui est le point de départ de l'ordre ; 2° Par rapport à celui qui définit l'ordre.

L'objet qui sert d'origine au repérage est lui-même relatif à d'autres objets; on comprend que cette opération devient doublement relative dès que nous l'appliquons à des réalités.

Les deux relativités immédiates de tout classement, impliquent une certaine liaison, de celui qui l'effectue avec l'espace où l'ordre a été repéré; cette liaison est le Sens du classement.

Dans les écritures européennes, ce classement se fait de gauche à droite par rapport à la personne qui a cet ordre devant elle, de sorte que le premier terme de l'ordre est celui qui n'a pas de voisin de gauche; le dernier est celui qui n'a pas de voisin de droite.

La Numération 1, l'acte qui définit un ordre, a donc deux Sens 2 possibles et deux Sens seulement.

1. La Numération précède donc les numérations ou méthodes de formation des nombres.

2. La majuscule distingue le terme Sens de ses autres significations.


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 265

LE NOMBRE OU QUOTITÉ ARITHMÉTIQUE.

Ces préliminaires posés, l'esprit peut concevoir une autre opération qui consiste à envisager l'ensemble formé par les objets ordonnés jusqu'à un rang quelconque déterminé, l'objet de ce rang étant inclus dans l'ensemble.

Ce nouveau Concept est indépendant de l'ordre du groupement; il met en évidence l'axiome expérimental :

« Le Tout est égal à l'ensemble de ses parties. »

Ce nouveau concept est défini par l'adjectif cardinal.

Sa définition est de rigueur complète, elle s'applique au défini, à tout le défini et rien qu'au défini; elle est aussi absolue et aussi simple que possible, puisque le nombre, résultat ultime du groupement des unités, ne contient aucun élément des réalités sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour le former.

Le nombre est une abstraction pure; c'est une Survérité.

La constitution du nombre implique un fait capital. Dans le groupement qui lui a donné naissance, chaque objet a été remplacé par un Concept, l'Unité mathématique et ce Concept est identiquement le même pour tous les objets auxquels il est substitué; le nombre est donc une collection d'unités identiques alors que les objets réels ne le sont jamais.

L'avantage du nombre au point de vue pratique est de représenter instantanément à l'esprit l'ensemble du groupement ordinal correspondant; il est le résultat d'une opération faite antérieurement, et par suite il suppose accompli le temps qui serait nécessaire pour numérer, pour dénombrer les unités qu'il contient. Le nombre est donc indépendant du temps, c'est un Concept résultant, bien différent de l'opération de conception d'où il résulte et bien distinct des objets qu'il groupe.

En résumé, l'unité mathématique est une convention (un Concept pur), que nous substituons à l'individualité qu'elle représente; elle est aux nombres ce que la cellule est aux êtres, mais avec cette différence que les nombres sont construits avec des unités rigoureusement identiques, alors que les cellules


266 MÉMOIRES.

qui composent les êtres sont analogues, mais différentes les unes des autres.

La nature ultrasimple du nombre en fait une sorte de selfquotité; il est complet en lui-même, parce que l'unité est le résultat d'une déconstruction qui simplifie au maximum le Percept de tout objet considéré individuellement puisqu'elle le réduit à la qualification numérique de son individualité.

L'observation nous permet de constater qu'un corps est divisible; par analogie nous convenons que l'unité peut être diviséeen un nombre indéfini de parties égales; celte absence de limite à la divisibilité mathématique, constitue la notion du continu mathématique qui est le résultat d'une abstraction pure, formée par notre esprit.

LA QUOTITÉ ALGÉBRIQUE.

Le nombre, nous venons de le voir, est indépendant du Sens dans lequel on a numéré les éléments qui le composent. Si dans la formation de la Quotité on tient compte du Sens dans lequel on ordonne les constituants, on voit qu'un même nombre peut former deux Quotités différentes, qui correspondent aux deux Sens possibles par rapport à celui qui numère les unités composantes.

Cette quotité nouvelle ou Alquotité est bicomplexe, puisqu'elle contient :

1° Un nombre; 2° Un Sens.

Elle est comparable à un composé chimique binaire; on ne peut lui enlever un de ses éléments sans changer sa nature ; la séparation de l'un des composants met l'autre en liberté relative, et ces deux composants, considérés individuellement, sont bien distincts du complexe qu'ils formaient.

Si Ton convient d'appeler positif le nombre numéré de gauche à droite devant notre personne, le sens négatif sera celui où on le comptera de droite à gauche.

Nous représenterons ces quotités par les signes (+) et (-),


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 267

Ainsi (+ a) 1 représente un nombre compté de gauche à droite ; (—b) un nombre compté de droite à gauche.

Ces deux signes sont inverses l'un de l'autre; la convention contraire aurait changé la représentation sans modifier le rapport de ces deux genres d'Alquotités entre elles.

QUOTITÉ GÉOMÉTRIQUE.

Sur une droite dont la direction est repérée dans l'espace relatif que nous étudions, si nous portons une longueur numériquement mesurée dans un Sens déterminé, nous constituons une grandeur tricomplexe qui comprend :

1° Un nombre;

2° Un Sens ;

3° Une direction.

Cette trinité mathématique est la grandeur vectorielle ou vecteur, pour laquelle nous proposons le nom de Métriquotité ; nous la représenterons par (+ a) ou (— a), suivant qu'elle sera positive ou négative.

OPÉRATIONS MATHÉMATIQUES.

Les opérations mathématiques ont pour but de grouper les Quotités et de déterminer les Liaisons qu'elles ont les unes par rapport aux autres.

Il n'y a que deux genres d'opérations mathématiques, car il n'y a que deux cas possibles dans la successivité de la Numération de deux quotités :

1° Le cas où les deux Numérations sont faites dans le même sens, c'est l'addition ;

2° Le cas où les Numérations sont de sens contraire, c'est la soustraction.

Dans chaque genre d'opération, il y a des espèces différentes

1. Ces parenthèses différencient le signe (+) -du signe + de l'addition et (—) de celui de la soustraction.


268 MÉMOIRES.

qui correspondent à des cas particuliers auxquels on a donné des noms spéciaux; ce sont:

1° Dans le cas de l'addition, la multiplication, l'élévation à une puissance quelconque;

2° Dans le cas de la soustraction, la division et l'extraction des racines.

Ces termes « puissance » et « extraction de racine » sont criticables à trop de points de vue pour qu'ils puissent être conservés ; je propose de remplacer « élévation à la puissance x » par le terme exponation x qui a l'avantage de se rapprocher d'exponentiel et de substituer à « extraction de racine x » le terme sous-exponation x.

Ces remarques préliminaires posées, définissons successivement chacune des deux opérations fondamentales, ainsi que les termes et signes qui s'y rapportent.

ADDITION.

L'addition est l'opération qui permet de déterminer la Quotité qui résulte du groupement de Quotités de même nature numérces dans le même Sens.

Le signe de l'addition est +.

Ce signe + est bien différent de (+) de la quotité positive, puisque + indique une opération et que (+) indique le Sens de la Numération d'une quotité.

° est le signe d'une liaison spéciale de plusieurs Quotités différentes entre elles.

(+) est le signe du Sens de la Numération des unités d'une Quotité par rapport à la personne qui l'effectue.

Nous verrons en vertu de quelles conventions les signes (+) et (—) peuvent disparaître dans les calculs algébriques.

La Quotité à laquelle on en ajoute une autre est l'additande.

Les Quotités ajoutées sont les additeurs.

Le résultat de l'opération est le Total; le terme Somme est réservé au calcul intégral,


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 269

SOUSTRACTION.

La soustraction est l'opération qui permet de déterminer la Quotité qui résulte du groupement de Quotités de même, nature, numérées en Sens inverse l'une de l'autre.

Le signe de la soustraction est —.

Il se distingue du signe (—) des quantités négatives par les mêmes motifs que + se différencie de (+).

La Quotité de laquelle on en retranche un autre est le diminuande.

Le nombre retranché est le diminueur.

Le résultat de la soustraction est la Différence; le terme Reste est réservé à la division.

I. — OPÉRATIONS ADDITIVES.

A) Additions proprement dites.

1° Addition arithmétique. — Les nombres ou Selfquotités étant indépendants du sens de la Numération de leurs unités, dans l'addition arithmétique des nombres, il n'y a qu'un seul cas et le Total est toujours plus grand que l'additande, de toute la valeur des additeurs.

L'expression A + B = C a, au point de vue du résultat, une signification absolue, puisque A, B et C sont des nombres.

2° Addition algébrique. — Comme les Alquotités ont deux valeurs possibles et qu'elles sont ou positives ou négatives, le signe + de l'addition placé entre deux Alquotités ne peut plus avoir de signification absolue au point de vue du Total, qui dépend à la fois de la Quotité numérique des ternies et de leur' Sens de numération.

L'addition algébrique n'est donc plus une opération simple comme l'addition arithmétique, puisqu'elle doit tenir compte de la Quotité des facteurs (opération arithmétique) et de leur Sens, c'est-à-dire de leur signe (+) ou (—) ; c'est l'observation de cette dernière convention qui constitue l'opération algébri-


270 MÉMOIRES.

que. Quatre cas sont possibles dans l'addition de deux termes algébriques

ils fournissent les opérations :

Dans les opérations (1) et (3) on groupe des Alquotités de même Sens, on fait donc une addition.

Mais dans les opérations (2) et (4), comme les Alquolités groupées sont de sens contraire, l'opération est en réalité une soustraction.

Si Ton convient, pour la simplification de l'écriture, que les quantités positives ne seront précédées d'aucun signe et que par suite a = (+ a), b— (+ b); dire qu'une Quotité négative est ajoutée à une Quotité positive, c'est dire qu'elle doit être soustraite de cette Quotité positive, positivité et addition; négativité et soustraction se confondent; de là, comme on va le voir, la fusion des signes (+) et + dans l'écriture algébrique.

Avec cette convention simplificatrice

les quatre cas d'addition algébrique se réduisent bien aux deux seuls genres d'opérations possibles : l'addition et la soustraction; mais les résultats sont différents dans chacun d'eux.

(1) est une addition d'Alquotités positives ; (3) est une addition d'Alquotités négatives;

(2) et (4) sont des soustractions.

Mais alors que (2) retranche a de b, l'opération (4) retranche b de a. En algèbre, grâce à la réunion du nombre et du signe en une


SUR LES GRANDEURS MATHEMATIQUES. 271

seule Quotité, il n'y a en réalité qu'une opération, puisque l'addition d'Alquotités négatives à une Alquotité positive équivaut à une soustraction.

Ce résultat est dû à ce qu'une Alquotité positive (+ a) est à la fois un nombre, numéré de gauche à droite, et le total de l'addition 0 + a; a étant conventionnellement positif,

Une Alquotité négative (— a) est un nombre numéré de droite à gauche; c'est aussi le résultat de la soustraction algébrique O — a; a étant conventionnellement positif, de sorte que

Le résultat des calculs algébriques est donc plus général que le résultat arithmétique. En effet, en algèbre, le total est repéré à droite ou à gauche du zéro, pris comme origine de la numération, tandis qu'en arithmétique le résultat est toujours, et par définition, numéré à droite du zéro.

Négatif ne veut donc pas dire plus petit que zéro; plus petit que rien est une impossibilité; et cette confusion généralement faite par beaucoup d'élèves résulte de la confusion des signes (+) et +., (-) et -.

Négatif veut simplement dire numéré, repéré à gauche du zéro origine, c'est-à-dire antérieur ou postérieur au repère conventionnel. L'algèbre en précisant cette relativité, représente par rapport à l'espace, des contingences plus complètes, plus fidèles que celles de l'arithmétique, qui évolue en dehors de tout repère, en dehors de toute relativité physique.

Remarque. — Dans ces deux espèces d'addition, on peut intervertir Tordre des facteurs sans changer le Total. Le but de l'opération n'est pas modifié par le changement d'ordre de la Numération; en effet, quel que soit l'ordre adopté pour grouper les facteurs, le tout, résultat cherché, demeure égal au total des parties qui le composent et qui ne sont pas altérées par une modification ordinale quelle qu'elle soit.


272 MÉMOIRES.

3° Addition géométrique. — En raison de la nature des Quotités qu'elle groupe, cette addition doit tenir compte du nombre, du Sens et de la direction des divers éléments qu'elle réunit.

L'addition de vecteurs parallèles se réduit à l'addition d'Alquotités, puisque la relativité de direction disparaît par définition du parallélisme, qui identifie les directions des vecteurs deux à deux. Donc, dans ce cas tout particulier, toutes les Métriquotités ajoutées sont portées dans le prolongement l'une de l'autre ; elles peuvent représenter un total algébrique et réciproquement.

L'addition de vecteurs quelconques se fait en les portant bout à bout.

Si on se donne (fig. 1) AB = ÇÇa) B^ r= (+T),

la figure 2 donne la résultante de l'addition (+ a) + (+&);

la figure 3 donne la résultante de l'addition (+ a) -f- (— b),

qui, en réalité, est une soustraction.

L'addition, comme la soustraction de Métriquotités, fournit un vecteur de direction différente de celles des vecteurs composants,

composants, de plus, la direction de la résultante varie suivant qu'il y a addition ou soustraction ; ajouter des vecteurs quelconques entraîne donc une rotation implicitement contenue dans le symbole ^ que je propose pour la liaison des métroquotités

-■» Si Ton voulait préciser davantage la signification du signe £^r

on pourrait convenir que ^ représente la rotation dans le sens


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 273

direct ou du mouvement des aiguilles d'une montre : c'est le résultat de la soustraction (fig. 3) ; tandis que ^7 représenterait la rotation en sens inverse: c'est le résultat de l'addition (fig. 2) avec les conventions faites sur la position et direction des quotités positives et négatives.

La signification de ces signes est très symbolique. Si l'on considère le — comme le diamètre du cercle de rotation et la &* comme un arc sur lequel a lieu le mouvement, avec cette double convention la représentation est complètement mnémonique.

Remarque. — Si l'on change Tordre des facteurs, on ne modifie pas le total, on en modifie seulement le parcours générateur dans l'espace.

B) Multiplications.

Lorsque dans l'addition des nombres et des Alquotités, Tadditande et les additeurs sont égaux, l'opération est un cas particulier remarquable qui a reçu le nom de multiplication.

L'additande reçoit le nom de multiplicande.

Le nombre cardinal formé, en numérant les additeurs et l'additande comptés chacun pour une unité, est le multiplicateur; de sorte que le multiplicateur indique combien de fois on répète le multiplicande ou le nombre total d'additeurs, l'additande étant compris puisqu'il leur est égal.

Le résultat de la multiplication est le Produit.

Cette forme de l'addition a pour but d'abréger le temps de la Numération qui conduit au Produit, grâce à des procédés de calcul qui simplifient les opérations de l'addition faite suivant les procédés additifs ordinaires.

Notre genèse de la multiplication par l'addition de nombres égaux, permettrait aux débutants de comprendre aisément la définition : « la Multiplication est une opération par laquelle on obtient le produit P en le composant par rapport au multiplicande M comme le multiplicateur m est formé par rapport à l'unité ».

10e SÉRIE. — TOME V. 18


274 MÉMOIRES.

1° Multiplication arithmétique. — Le produit de la multiplication des nombres est évidemment unique, comme celui de l'addition, et pour les mêmes raisons.

2° Multiplication algébrique. — La multiplication des Alquotités est une opération quadri-complexe (deux nombres et deux Sens), puisqu'elle ajoute dans deux Sens différents des quotités bicomplexes identiques ; elle présente les mêmes cas particuliers que l'addition, c'est-à-dire les quatre circonstances :

La valeur numérique de ces quatre Produits est évidemment la même et égale à ab, mais ils peuvent être de deux Sens et de deux seulement, puisqu'il n'y en a que deux par définition.

Les opérations (1) et (3) constituent des additions; dans l'une, on répète b fois, (+ a), dans l'autre, — b fois, (—a). Leur produit doit donc recevoir le signe +, qui caractérise l'addition, en vertu des conventions de l'écriture algébrique.

Les opérations (2) et (4) constituent des soustractions, puisque Ton retranche & fois, (— a) ou que l'on ajoute — & fois, (+ a).

Leur Produit doit donc recevoir le signe — qui caractérise la soustraction.

Ainsi s'explique la fameuse règle d'allure dogmatique et mystérieuse qui préoccupe l'esprit de tous les débutants.

1° (+) par (+) et (—) par (—) donnent -f, parce que l'on fait une addition dans les deux cas ;

2° (+) par (—) et (—) par (+) donnent — , puisque l'on fait aussi une soustraction dans les deux cas.

En algèbre, les symboles + et —, définis par la règle des signes, sont l'indication de l'opération faite et non le signe des Alquotités ou sens de leur Numération; donc dans l'énoncé classique, au lieu de dire : « plus par plus et moins par moins donnent plus », pour que la règle soit logique et, par suite, compréhensible, il suffit de distinguer dans le langage (+) de


SUR LES GRANDEURS MATHEMATIQUES. 275

+ et (—) de — , comme nous l'avons fait dans l'écriture, et de dire : « positif par positif et négatif par négatif donnent plus ou addition », et « positif par négatif ou négatif par positif donnent moins ou soustraction ».

On fait ainsi cesser l'invraisemblance d'un énoncé qui choque le bon sens.

Par suite de la confusion de termes d'où elle résulte, cette règle classique laisse soupçonner des propriétés pour ainsi dire occultes ; cependant, il est bien facile d'expliciter la règle logique et mathématique d'où elle résulte, en employant une terminologie exacte et des symboles précis.

Remarque. — Si l'on change l'ordre des facteurs de la multiplication, celle-ci étant le résultat d'un groupement additif numérique, le produit n'est pas modifié.

3° Multiplication géométrique. — Tandis que la multiplication d'un nombre par un nombre ne peut fournir qu'un nombre, la multiplication géométrique ou multiplication des métriquotités fournit un produit de nature différente du multiplicande et du multiplicateur'.

En effet, les facteurs du produit sont des longueurs, c'està-dire des Quotités susceptibles de correspondre à des réalités spaciales, tandis que le nombre est l'abstrait pur, sans contingence de forme. Le Produit est une surface, si la multiplication a deux termes, un volume si le Produit des deux facteurs est multiplié par un troisième, et au delà le résultat ne correspond plus à aucune réalité.

Il est regrettable que la terminologie actuelle laisse trop souvent supposer qu'il peut en être autrement.

Si l'espace, dont la mesure est un volume, est défini ce qui a trois dimensions (longueur, largeur et hauteur), la grandeur qui a quatre dimensions ne peut pas être un espace : c'est un Concept de nature toute différente, à fortiori pour les produits de cinq, six facteurs vectoriels et au delà.

1. Je néglige ici la multiplication dans laquelle on représente le Produit de deux vecteurs, par un vecteur de longueur et de direction différentes.


276 MÉMOIRES.

J'estime qu'il faut réserver exclusivement le terme d'espace à ce qui est représentable par le produit de trois longueurs, puisque c'est le résultat d'une définition, et appeler d'un nom différent tel que surespace les Concepts imaginés, comme susceptibles de correspondre à des produits ayant plus de trois dimensions.

La distinction fondamentale qui sépare la multiplication des Métriquotités de celle des nombres, entraîne d'autres différences. Dans la multiplication des Métriquotités on n'a plus le droit d'égaler les groupements

car ils correspondent à des figures identiques de surface proportionnelle au produit numérique ab, mais différemment situées dans l'espace.

Dans le cas de deux vecteurs dont le produit représente une surface, si la direction des valeurs a est OA positif (fig. 4), OA, est négatif; si la direction des valeurs b est OB positif, OBi sera négatif.

Les quatre produits possibles correspondant aux quatre cas de l'addition sont :

Ces quatre produits sont graphiquement et numériquement égaux puisqu'ils sont superposables, mais ils sont placés différemment dans l'espace par rapport à l'origine de la numération ; ils le sont de telle façon que les diagonales OC et OC, sont dans le prolongement l'une de l'autre. Elles ont la même direction : c'est la direction du mouvement de translation qui permet la superposition des Métriquotités numériquement positives, alors que OD, OD, est celle qui jouit des mêmes propriétés pour les Métriquotités mesurées par des Alquotités négatives.


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 277

Si l'on convient de tenir compte du Sens de parcours du périmètre qui limite la surface représentative, le Produit (+ a) X (— 6) est différent de (— b) x (+ a), puisque les parcours

qui caractérisent ces deux Produits sont effectués en Sens contraire dans les deux cas.

On n'a donc pas le droit d'intervertir Tordre des facteurs dans la multiplication des Métriquotités.

Les symboles de Liaison que j'ai indiqués pour l'addition des vecteurs s'applique évidemment pour la multiplication, dont ils précisent les circonstances.

Si nous avons :

nous aurons :

Ces symboles représentent la différence qui existe entre les Produits — ab et — ba ; ils tiennent compte (contrairement à l'écriture algébrique actuelle) de ce que, dans les multiplications des vecteurs, on ne peut pas intervertir l'ordre des facteurs sans changer le Produit en valeur absolue.

On comprend très bien que dans les multiplications arithmétiques et algébriques l'ordre des facteurs n'ait aucune in-


278

MEMOIRES.

fluence sur le produit, puisque ces Quotités n'ont, par définition, aucune Liaison avec l'espace, mais seulement avec la personne qui fait la numération.

Alors que le changement de l'ordre des facteurs modifie la relativité de Sens de ce Produit dans l'espace par rapport à celui qui l'effectue, le changement du signe de l'un des facteurs modifie, en outre, la position du Produit dans l'espace; le changement des deux signes modifie la position, mais ne change pas le Sens de la Numération.

C'est ainsi que (+ a) X (+ 0) a le même Sens que (— a) X (— b) qui est le Sens inverse, tandis que (+ b) x (+ a) et (— b) x (— a) sont tous deux de Sens direct.

Revenons au changement de signe de l'un des facteurs du produit (+ a) x (+ b) qui, sur la ligure 4, est représenté par le parallélogramme OACB de sens inverse.

Changeons le signe de a ; le produit devient (— a) X (+ b) représenté par le parallélogramme OA1 DB de position négative et de sens direct.

Ce changement de signe de + a en — a a eu pour effet de faire tourner la diagonale OC en OD, par suite de lui imprimer une rotation dans le sens inverse, qui est celle du signe ï^,

f

Si, au contraire, on change le signe de &, on a le produit (+ a) X (— b) représenté par OAD1B1, de position négative


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 279

et de même Sens que OA1DB, et la diagonale OC tourne dans le Sens direct de OC en OD,.

Les angles COD, COD, sont supplémentaires.

La multiplication géométrique de trois vecteurs fournit comme représentation un volume parallélipipédique.

La Quotité numérique des Produits reste la même, quel que soit Tordre et le signe des vecteurs; mais le Sens des vecteurs et leurs directions se combinent et donnent des Produits différents dans l'espace; et, comme chacun des trois vecteurs peut affecter deux Sens différents, les facteurs de la multiplication se combinent entre eux pour donner des Produits repérés dans T'espace par la diagonale du parallélipipède correspondant. Le tableau ci-dessous donne le résultat des huit combinaisons pour la multiplication, dans lesquelles les vecteurs se succèdent dans l'ordre a, b, c.

SENS DES VECTEURS DIRECTION

abc PRODUIT

+ + + 0 1

— — — 0 5

— + + 0 2 + — — 0 6

— — + 0 3 + + - 0 7 + - + 0 4

— +- — 0 8

Comme les produits peuvent également être effectués dans Tordre b, c, a; c, a, b; b, a, c, ..., etc., on voit la multiplicité de produits qui peuvent résulter de trois vecteurs pouvant chacun affecter les deux Sens (+) et (—).

Le Sens du produit est alors représenté par celui d'une hélice dont l'axe et le Sens d'enroulement varient suivant les successivités des vecteurs et de leurs signes.


280 MÉMOIRES.

C) Exportations.

Lorsque dans une multiplication « le multiplicande est égal au multiplicateur, la multiplication devient l'Exponation deux » .

Le résultat est l'Exponance deux de a ou « carré » de a. Le produit de Texponance deux par Texponé est l'Exponance trois..., etc. :

L'Exponance est donc qualifiée par l'Exposant 1, placé en haut et à droite de TExponé; il indique combien de facteurssont intervenus dans les multiplications successives.

Dans l'Exponation arithmétique, une Exponance donnée ne peut être obtenue que d'une seule manière; dans l'Exponation algébrique, comme plus veut dire à la fois, addition d'Alquotités positives et soustraction d'Alquotités négatives, une même Exponance 2 peut résulter des deux opérations différentes :

L'Exponation trois fournit un résultat différent si les Exponés sont positifs ou négatifs; ainsi

alors que

On voit aisément qu'il en est ainsi pour toutes les Exponances d'ordre impair. L'Exponation géométrique correspond également au cas où

1. Il serait plus logique de dire l'Exponant pour l'homogénéité de la terminologie.


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 281

les facteurs de la multiplication sont égaux. Dans les cas de coordonnées orthogonales, elle fournit un carré pour l'exponation deux et un cube pour Texponation trois. Au delà, il n'y a plus de représentation concrète possible; le domaine abstrait de la mathématique que nous avons imaginé, pour les raisons données dans l'examen de la multiplication des Métriquotités, surpasse la réalité que nous observons.

D) Surexponation.

La multiplication dont les termes sont une même Exponance est une Surexponation.

Elles se désignent par le nombre des facteurs de la multiplition exponentielle.

a2 X a2 = a4 est une biexponation deux. a3 X a3 = a6 est une biexponation trois. a2 X a2 X a2 a6 est une triexponation deux.

E) Uniplication.

Je donne ce nom spécial au cas particulier de la multiplication dans laquelle deux Alquotités sont numériquement égales, mais de signe contraire ; ainsi :

Ce produit n'est pas une Exponation, comme on le laisse trop souvent supposer, puisque les deux facteurs du produit ne sont pas identiques ; cette supposition est contradictoire avec la définition de l'Exponation.

L'utilité de ce terme sera bientôt mise en évidence, car il n'est pas possible de reconstituer le produit — a2 par une Exponation.

II. — OPÉRATIONS SOUSTRACTIVES.

A) Soustractions proprement dites.

1° Soustraction arithmétique. — Comme pour l'addition et pour les mêmes raisons, le résultat de la soustraction arithmé-


282 MÉMOIRES.

est unique. La différence est plus petite que le diminuande, et par définition, le diminueur est toujours plus petit que le diminuande, sinon arithmétiquement, la soustraction est impossible.

2° Soustraction algébrique. — La soustraction algébrique donne lieu à des remarques analogues à celles de l'addition algébrique; il est inutile de les développer, car si dans certains cas l'addition algébrique égale une soustraction, inversement soustraction égale une addition, ainsi :

On peut dire qu'en algèbre il n'y a qu'une opération, l'addition, puisque l'addition d'Alquotités négatives équivaut à la soustraction arithmétique.

Remarque. — Dans une soustraction on ne peut inverser Tordre des facteurs, car on change le but de l'opération.

Mais alors que l'opération elle-même est impossible en arithmétique, en algèbre elle est possible; elle fournit des Alquotités positives ou négatives, suivant les cas.

3° Soustraction géométrique.— Cette opération a été examinée avec l'addition, puisqu'elle implique seulement le changement de Sens du vecteur additeur; comme en algèbre, le changement de signe de l'additeur positif transforme l'addition en soustraction.

B) Divisions.

Si l'on retranche successivement un même diminueur, d'abord du diminuande, puis des Différences obtenues dans les soustractions successives, le nombre de soustractions effectuées détermine le nombre de fois que le diminuande contient le diminueur.

L'opération est une Division.

Le Diminuande devient le nombre que l'on divise; c'est le Dividende.

Le Diminueur, ou nombre par lequel ou divise, est le Diviseur.


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 283

Le résultat ou nombre de fois que le Dividende contient le Diviseur est le Quotient.

Si la Différence de la dernière soustraction arithmétiquement possible est zéro, le Dividende contient le Diviseur un nombre exact de fois.

Si la dernière Différence n'est pas zéro, cette Différence finale est le Reste de la division.

Une Division non effectuée dans laquelle le Dividende a est plus petit que le diviseur b s'appelle une Fraction; elle se représente par :

Si, au contraire, a > b, c'est un Nombre fractionnaire.

Les divisions algébriques et géométriques donnent lieu à des remarques analogues à celles des multiplications correspondantes.

C) Sous-exponation.

La Sous-exponation est l'opération inverse de l'Exponation ; elle consiste à trouver un nombre qui élevé à une Exponance déterminée reproduise un autre nombre donné.

Le signe de la Sous-exponation est y (racine) ; un chiffre placé à gauche indique son degré :

Dans la Sous-exponation arithmétique, le résultat est unique; il ne peut qu'en être ainsi, par suite de la définition même de l'opération, et cela quel qu'en soit le degré, puisqu'en réalité c'est une série de soustractions.

Dans la Sous-exponation algébrique, au contraire, une même Sous-exponation offre un nombre de solutions qui varie avec le degré de l'Exponance.


284 MÉMOIRES.

Dans la Sous-exponation deux, ou racine carrée, puisque

de même que

il en résulte

Il y a donc deux Sous-exponances ou racines qui satisfont à la définition.

Remarque. — La Sous-exponation deux d'une Alquotité négative est une opération impossible, puisque l'exponation deux

d'une Quotité quelconque est toujours positive; écrire y—a 2 est contradictoire avec les conventions algébriques.

Le résultat de cette opération est appelé racine imaginaire.

Comme dans le langage courant le terme « imaginaire » a une signification précise qui paraît offrir une certaine analogie

avec le cas y — a 2, l'esprit tend à la transporter dans les Concepts mathématiques.

C'est une tendance regrettable, source de confusion qu'il importe d'éviter et qui fausse l'interprétation de y — a-, car cette expression n'est pas plus imaginaire que a ou — a ; elle est abstraite comme les nombres dont elle dérive, mais possède une propriété complémentaire due à l'uniplication d'où elle résulte

et qui rend l'opération V — a2 contradictoire avec la définition même de la Sous-exponation. C'est pourquoi je propose d'appeler V— a2 un « Surnombre », terme qui indique sa nature spéciale, d'impossibilité algébrique aussi bien qu'arithmétique.

L'expression y—a? se met généralement sur la forme a y— 1.

C'est le symbole y — 1 qui indique l'origine du Surnombre; il est très expressif, car ici le chiffre 1 n'a pas de signification arithmétique proprement dite, il exprime l'identité qui existe entre — a2 et a 2.


SUR LES GRANDEURS MATHÉMATIQUES. 285

Ce chiffre, que l'on ne peut séparer du signe —, ne peut être confondu avec l'Alquotité unité; c'est un signe d'opération et non une Quotité en soi.

Il va nous être facile de l'établir.

La Sous-exponation géométrique est le problème consistant à trouver un carré ou un cube équivalent à une figure plane ou

spaciale donnée; le côté du carré ou du cube étant la y de l'opération faite.

Que signifie la Sous-exponation dans le cas de Tuniplication?

Nous avons vu que Tuniplication change le signe de Texponation 2. Lorsque l'un des deux facteurs a est porté dans la direction de —b (fig. 4), on change a2 en — a 2; il est facile de constater que dans ce cas la rotation de la diagonale a une valeur particulière, qui est de 90°.

En effet, les parallélogrammes figuratifs deviennent des losanges, et comme les diagonales sont perpendiculaires dans ce cas particulier indiqué par les traits pointillés de la figure 4, la rotation de la diagonale OC, par suite d'un changement de signe, est bien de 90°, quel que soit le Sens de la rotation obtenue et quelle que soit l'inclinaison des axes de coordonnée.

Lorsque a2 devient — a 2, la sous-exponation a devient

a y — 1; donc, dans le cas de Métriquotités, multiplier un vecteur a par y — 1 c'est le faire tourner de 90°, quel que soit le système de coordonnées rectilignes, comme le multiplier par — 1 ou le changer de Sens, c'est le faire tourner de 180°. Une preuve que cette interprétation est bien exacte, c'est que

si l'on effectue deux fois la rotation y — 1, c'est-à-dire si l'on

multiplie le vecteur par y — 1 x y — 1 =r —1, on le fait tourner de 180°. Cette remarque fournit donc une interprétation géométrique à

y — 1 qui n'en comporte ni en algèbre, ni en arithmétique;

elle indique bien que dans ce cas, le — 1 qui figure sous le s/ n'est pas l'unité numérique, mais le symbole d'identité des deux facteurs du produit; ce n'est pas 2 — 1 ou l'unité susceptible de


280 MÉMOIRES.

2 représentation concrète, mais le quotient de — par exemple,

qui est également le symbole d'identité.

Une autre preuve de cette interprétation c'est] que si — 1 =j= 180° vectoriellement; y — 1 =1= 90° dans les mêmes conditions.

Divisant ces deux équivalences membre à membres on a :

Ce résultat serait impossible si y — 1 avait une signification numérique; ce n'est donc bien qu'un symbole opératoire en géométrie analytique et nullement une valeur algébrique, et Ton comprend comment les « imaginaires » ont pu rendre tant de services dans la théorie et la représentation des courants alternatifs.

En conséquence, il faut proscrire les « imaginaires » de l'algèbre pure où elles n'ont aucune signification et où même elles

sont contradictoires avec la théorie des V , pour les cantonner en analytique; cela pour la même raison qu'en arithmétique on ne fait pas de soustraction dans laquelle le Diminueur serait plus grand que le Diminuande, puisque l'impossibilité résulte de la définition subjective que nous avons posée.

REMARQUES SDR LE ZÉRO ET LE CHIFFRE 1.

Le zéro est le chiffre qui indique l'absence de quotité.

Dans l'addition, si l'Additande est nul, le résultat est égal à l'Additeur et réciproquement.

C'est une évidence, car faire une addition dans laquelle on n'ajoute rien, c'est ne pas modifier le nombre primitif.

Dans la multiplication, si l'un des facteurs est zéro, le produit est zéro, car ajouter zéro à lui-même, c'est-à-dire rien à rien, c'est tenter l'impossible.

Dans la soustraction, si le Diminueur est nul, on ne retran-


SUR LES GRANDEURS MATHEMATIQUES. 287

che rien : la soustraction de zéro est une impossibilité par définition ; il en résulte que

Dans la division, si le diviseur est nul, l'opération est également impossible et l'expression - veut dire que b contient o

un nombre de fois impossible à déterminer, puisque Ton peut répéter indéfiniment la soustraction b — o = b sans modifier b.

Le chiffre 1 indique à la fois l'unité et l'identité.

ab La division de deux Exponances égales —h — 1 reçoit la forme

(Al

symbolique :

Dans cette expression a 0, le zéro placé en exposant est le symbole d'identité des deux Exponances, comme le chiffre 1 exprime l'identité des deux termes d'une division de nombres égaux.

De sorte que a° n'est pas une exponation nulle, mais l'Exponation zéro; c'est une opération possible puisque son résultat indique l'identité des quotités comparées.

Logiquement, il serait donc préférable, au moins pour les débutants, de faire la distinction au moyen de signes spéciaux, entre le zéro et le chiffre 1, symboles d'opération, et le zéro et le chiffre 1 qui représentent l'absence ou la présence de Quotités, par exemple en les barrant, comme on le fait dans la musique chiffrée, pour indiquer les dièzes et les bémols ou en

les soulignant; ce procédé limiterait la signification de y — 1

en montrant que sous le radical 1_n'est pas le nombre 1, mais

le symbole d'une opération vectorielle inexistante en algèbre comme en arithmétique, et bien des confusions seraient évitées.


288 MÉMOIRES.

TERMINOLOGIE DES NOMBRES DITS « IRRATIONNELS ».

Le nombre dit " irrationnel » est celui qui ne peut s'exprimer ni par un nombre entier, ni par une fraction.

Irrationnel, dans le langage courant, veut dire : « contraire à la raison ». et l'enfant transporte cette signification dans les mathématiques, et il croit souvent que les nombres entiers ou décimaux exacts sont plus rationnels que les Quotités inexprimables en fonction de l'unité.

Il est facile de faire cesser cette confusion en employant le mot « indéfini », par exemple, au lieu d'irrationnel, puisqu'on peut indéfiniment ajouter des parties aliquotes sans arriver à définir le nombre en fonction de l'unité.

Lorsque le nombre est complètement représentable par plusieurs expressions numériques, telles les fonctions périodiques, nous dirons que le nombre est indécimal.

. 7 70 . 7 6300 -f 700

Ainsi - = 0tn, = m+-= 9Q00 ne peut être représenté

représenté par un nombre décimal; il est donc bien indécimal.

Si la Quotité n'est pas représentable exactement par des nombres décimaux ou indécimaux, nous dirons que le nombre est incommensurable, il n'a pas de mesure connue ; c'est le cas de

certaines séries décroissantes, du nombre w, de y 2, ]'3, ... etc.

Les personnes auxquelles j'ai soumis ces considérations élémentaires les ayant trouvées intéressantes, je pense qu'elles seront susceptibles d'éclairer certains points de la genèse des grandeurs mathématiques qui avaient été très longtemps obscurs dans mon esprit; en même temps qu'elles préciseront les différences fondamentales qui existent entre les Nombres, les Quotités algébriques et les Grandeurs géométriques.


LES NOUVEAUX MICROSCOPES. 289

LES NOUVEAUX MICROSCOPES

PAR M. CH. FABRE 1.

Dans une précédente lecture sur la visibilité des objets ultra microscopiques et l'inexactitude de la théorie géométrique de la formation des images, j'ai insisté sur les dispositions variées qu'avait successivement présenté le microscope, dispositions qui répondent à des besoins spéciaux. Quels que soient ces besoins, on trouve toujours deux parties essentielles dans tout microscope : la partie mécanique, désignée à l'étranger sous le nom de stand, et la partie optique; cette dernière se subdivise elle-même en deux : 1° combinaison qui rend l'objet accessible à l'observation ; 2° appareil d'éclairage de l'objet. Il en est, d'ailleurs, de même de la partie mécanique comportant en premier lieu les organes qui servent de support au système optique, puis l'appareil qui maintient l'objet. Quels sont les progrès qui ont été réalisés récemment dans la partie optique et dans la partie mécanique du microscope? Tel est le sujet que je me propose de résumer rapidement.

I. — L'optique du microscope a été complètement modifiée dans ces vingt-cinq dernières années, grâce à la théorie de la formation des images basée sur la diffraction. Cette théorie a été donnée en même temps par Helmoltz pour des points lumineux, par Abbe pour des objets éclairés.

1. Lu à la séance du 8 juin 1905.

10e SÉRIE. — TOME v. 19


290 MÉMOIRES. .

J'ai déjà eu l'honneur d'exposer devant vous les résultats. principaux auquel a conduit cette théorie, toujours vérifiée par la pratique; parmi ces résultats, nous devons citer le suivant : les images fournies par le microscope cessent d'être semblables aux objets observés dès que les dimensions de la structure examinée sont de même ordre de grandeur que la longueur d'onde; en d'autres termes, quand cette limite est atteinte, on n'obtient plus un simple agrandissement de la projection de l'objet sur un point visé. Prenons, par exemple, trois petits cercles de diamètre inférieur à la moitié de la longueur d'onde intéressée; supposons-les placés au sommet d'un triangle équilatéral dont les côtés sont égaux à la même longueur d'onde. Si nous nous servons de la lumière du jour pour laquelle la longueur d'onde moyenne X=0,55 µ., nous ne verrons pas le triangle formé par les trois cercles avec la plupart des objectifs usuels, et cela quel que soit le grossissement employé.

La puissance réelle du microscope est donnée par une formule assez simple. Soit S le plus petit intervalle d'une structure régulière que l'on puisse résoudre à l'aide d'un objectif optiquement parfait, soit À la longueur d'onde dans le vide de la lumière employée, soit a l'ouverture de l'objectif, nous aurons

en désignant par a l'ouverture numérique définie par


LES NOUVEAUX MICROSCOPES. 291

Les opticiens se sont tout d'abord attachés à augmenter l'ouverture numérique des objectifs. Comme dans la pratique sin u ne peut guère dépasser 0,95 à 0,98 il faut augmenter la valeur de n, indice de réfraction du milieu placé devant l'objectif: c'est la raison qui justifie le principe de l'immersion et permet de préciser les règles d'emploi des objectifs à immersion homogène. Dans la pratique, il ne suffit pas qu'il y ait entre le couvre-objet et la lentille frontale un liquide d'immersion à indice suffisamment élevé; il faut, de plus, qu'il n'y ait entre l'objet et ce liquide d'immersion aucune couche, quelque mince qu'elle soit, dont l'indice de réfraction soit inférieur à celle du médium. On sait que les couvre-objets sont en verre d'indice de réfraction 1,52 à 1,53, ce qui dans la pratique limite l'ouverture numérique de l'objectif à 1,45. Le médium servant à l'immersion doit remplir tout l'espace compris entre le condensateur et la partie inférieure du porte-objet.

On a cependant construit des objectifs à ouverture numérique égale à 1,50 et même 1,60. Ces objectifs nécessitent l'emploi de couvre-objets et de porte-objets en flint très réfringents, d'une préparation et d'une conservation difficile, et les médiums à haut indice employés pour inclure l'objet présentent des inconvénients tels que, clans la pratique, on n'emploie pas couramment d'objectifs d'ouverture numérique supérieure à 1,30 ou 1,40.

Il semble donc que Ton soit arrivé à la limite de la puissance optique du microscope en [tant qu'utilisation du premier moyen que nous avons indiqué; reste le second, qui consiste à diminuer la valeur de X, longueur d'onde de la lumière dont on se sert pour l'observation, c'est à-dire en utilisant des radiations dont la longueur d'onde est inférieure à 0,55 µ.. Si Ton supprime ces radiations et celles de longueur d'onde plus élevée, ou, en d'autres termes, si l'on fait travailler à la formation de l'image les rayons les plus courts, on augmentera la puissance de résolution d'un objectif quelconque. On y parvient, soit en utilisant une source de lumière monochromatique, soit en employant des dissolu-


292 MÉMOIRES.

tions ou des verres absorbants. L'oeil étant suffisamment sensible pour les rayons ayant une longueur d'onde de 0,44 µ, qui sur la rétine forment une image très vive, on arrive à un effet optique final sensiblement identique à celui que l'on obtiendrait si l'on élevait l'ouverture d'un objectif de 1,40 à 1,75.

Helmoltz et plusieurs autres physiciens ont montré que l'emploi de la plaque photographique, « cette rétine du savant », comme l'a appelée M. Janssen, permet d'élever la puissance résolutive du microscope; mais pour obtenir de bons résultats en photo-micrographie, il faut que les objectifs que l'on emploie pour les rayons de faible longueur d'onde (indigo, violet) soient construits de façon a donner avec de pareils rayons des images tout aussi bonnes que si l'on employait la lumière blanche. Cette constatation à conduit à établir les objectifs dits apochromatiques. Dans ces objectifs, les images fournies par les radiations des diverses longueurs d'onde du spectre, le violet compris, sont de même dimension et coïncident au même point dans la pratique. C'est seulement à l'aide de nouveaux verres que l'on a pu réaliser la construction de ces objectifs. Grâce à l'emploi de ces nouveaux systèmes associés à des oculaires compensateurs qui annulent les petits défauts des objectifs, on obtient des images très pures; on a pu ainsi photographier et faire apparaître nettement des structures qui étaient invisibles (ou à peu près invisibles) dans l'observation directe. L'usage de ces objectifs et oculaires est universel.

Ils ne donnent cependant pas le maximum de pouvoir résolvant, car. en même temps que les rayons les plus courts, ceux de grande longueur d'onde contribuent à la formation de l'image photographique.

Il fallait donc arriver à rendre actives les radiations de courte longueur d'onde à l'exclusion de toutes les autres, donner à ces radiations une intensité suffisante pour qu'elles impressionnent rapidement la plaque photographique, et se servir exclusivement, entre la source lumineuse et la plaque photographique, de milieux perméable à ces radiations.


LES NOUVEAUX MICROSCOPES. 293

Les verres ordinaires ne réalisent pas cette dernière condition ; ils ne laissent passer que très peu de radiations de longueur inférieure à 0,3µ. Le Dr Czapski, de la maison Zeiss, avait admis 1, en présence des difficultés pratiques présentées par le problème ainsi posé, que l'emploi de rayons lumineux d'une longueur 0,35 y. était la dernière limite que Ton pourrait atteindre, et que l'emploi de cette lumière en place de la lumière ordinaire du jour, aurait, au point de vue de la puissance du microscope le même avantage que si Ton. élevait l'ouverture des objectifs actuels de 1,40 à 2,20.

Dans le courant de Tannée dernière, M. von Rohr a calculé et la maison Zeiss a exécuté des objectifs destinés à travailler dans la lumière ultra-violette produite par l'étincelle électrique éclatant entre deux électrodes de cadmium (X = 0,275 \J.) ou de magnésium (X — 0,280 p) ; un diaphragme élimine les autres radiations. Ces objectifs, désignés sous le nom de monochromatiques, sont en quartz fondu. La correction des aberrations chromatiques des images données par ces appareils est inutile parce que la lumière employée est monochromatique.

La longueur d'onde de cette lumière étant moitié moindre que celle de la lumière blanche utilisée dans l'observation directe, le pouvoir résolvant correspond à celui d'objectifs ordinaires possédant une ouverture numérique double. C'est ainsi que l'ouverture numérique du plus puissant des mono chromatiques qui est 1,25 permet de résoudre les fins détails qu'on ne pourrait observer à la lumière du jour qu'avec un objectif théorique présentant une ouverture numérique de 2,50 (impossible à réaliser actuellement).

Les. lentilles des oculaires sont en cristal de roche et la mise au point pour la photographie se fait à l'aide d'une plaque fluorescente.

L'objet est inclus dans un mélange d'eau et de glycérine, ou d'eau et d'alcool, ou d'huile de vaseline; il est renfermé entre un porte-objet en quart fondu, et un couvre objet en

1. Van Heurck, Le Microscope, 1891, p. 312.


294 MÉMOIRES.

cristal de roche. La lumière est condensée sur la préparation par un condensateur en quartz et le liquide d'immersion est constitué par un mélange d'eau et de glycérine.

L'emploi des rayons ultra-violets et de ces nouveaux systèmes optiques permet d'établir des différenciations qu'on ne pouvait mettre en évidence qu'au moyen de la coloration artificielle des tissus fixés. Ces rayons peuvent exercer des actions physiologiques très énergiques, produire la fluorescence de certaines parties des tissus, etc.

Ce très grand progrès, réalisé par la maison Zeiss à laquelle on devait déjà la construction des premiers objectifs apochromatiques est dû à l'emploi d'un éclairage tout spécial de l'objet soumis à l'observation.

II. — Le bon emploi de l'éclairage a été longtemps négligé. Pour obtenir d'un objectif tout ce qu'il peut donner, il faut que la préparation soit convenablement éclairée; on y par vient à l'aide d'appareils optiques désignés sous le nom de condensateurs et qui se placent en général sous la préparation. On s'est pendant fort longtemps servi de condensateurs du type connu sous le nom de condensateur Abbe; on l'a successivement remplacé par des condensateurs achromatiques, puis par des apochromatiques.

Le défaut de ces appareils réside dans leur distance frontale très courte qui nécessite des porte-objets très peu épais et très fragiles; certains condensateurs sont inutilisables avec des lames ordinaires de un millimètre d'épaisseur ; puis l'on a construit des condensateurs apochromatiques destinés à travailler soit à sec, soit à immersion. Les plus justement célèbres sont ceux qui ont été établis par Powel et Lealand. Ces très habiles opticiens ont tout récemment combiné un condensateur apochromatique d'ouverture numérique voisine de l'unité et qui est certainement le meilleur appareil de ce genre que l'on puisse utiliser soit pour la photographie avec objectifs apochromatiques, soit pour l'observation directe.

III. — A mesure que se perfectionnait la partie optique, la partie mécanique se modifiait. Deux types généraux de stand


LES NOUVEAUX MICROSCOPES. 295

existent encore : l'une, munie du tube dit continental (16 centimètres de longueur), à platine assez basse; l'autre, dit du type anglais (construit pour la première fois par Ross); ce dernier type tend à disparaître de plus en plus pour faire place, même chez les constructeurs anglais et américains, au type continental primitivement créé par Oberhauser.

Ce type continental est certainement le plus commode à manier pour presque tous les travaux. Les longs tubes ne présentaient d'autre intérêt que de permettre (avec une même longueur focale et un même oculaire) un grossissement plus considérable que celui fourni par le tube court. Mais dans l'emploi d'un microscope il a été constaté que le grossissement est une question très secondaire et que la résolution est le plus souvent la qualité la plus utile et la plus difficile à obtenir : le diatomiste, le métallurgiste l'ont reconnu depuis longtemps.

Avec les objectifs à grande ouverture numérique, la précision des mouvements micrométriques s'imposait impérieusement.

Les organes qui actionnent la vis micrométrique servant à la mise au point ont été modifiés de bien des manières, et actuellement le mouvement lent imprimé au tube du microscope portant l'oculaire et l'objectif est susceptible d'être mesuré avec une grande précision et sur une certaine étendue à moins de 1/500e de millimètre.

La mise au point des appareils d'éclairage est aussi très importante. Dans les nouveaux appareils, la sous-platine est munie de dispositifs qui, non seulement permettent de centrer les condensateurs, mais aussi d'effectuer une mise au point rigoureuse, presque toujours indispensable à une bonne observation.

La platine est en général munie de mouvements mécaniques permettant de déplacer régulièrement la préparation et de faire varier la direction de l'éclairage dont un diaphragme-iris modifie l'intensité. Certaines platines de constructions spéciales portent des dispositifs servant à rendre visible les particules ultra-microscopiques.


296 MÉMOIRES.

Tous les organes des appareils établis par les bons constructeurs sont extrêmement solides et permettent d'effectuer avec précision les mesures que comporte l'emploi de cet admirable instrument, qui n'est pas, comme le fait supposer une théorie inexacte « un instrument destiné à grossir les objets », mais bien un appareil destiné à suppléer à l'insuffisance de notre oeil. On le reconnaîtra de plus en plus à mesure que se répandra l'usage des nouveaux microscopes basés sur les principes que nous venons d'indiquer et en particulier sur l'emploi de la lumière violette. Comme le dit Koehler, qui le premier a fait construire un instrument destiné à travailler avec cet éclairage, « les rayons à courte longueur d'onde offrent plus d'un moyen de pénétrer plus avant dans l'étude de la structure si compliquée de la matière organisée; invisibles à l'oeil humain, ils semblent appelés à seconder nos sens dans les régions où notre oeil nous refuse son service accoutumé. »


SEANCE PUBLIQUE ANNUELLE

DU DIMANCHE 18 JUIN 1905

DISCOURS D'OUVERTURE

PAR M. GARRIGOU 1,

PRÉSIDENT.

MES CHERS COLLÈGUES, MESDAMES, MESSIEURS,

L'année dernière, à pareille époque, vous écoutiez religieusement, en séance publique, un de ces discours attachants et pittoresques, si personnels et si colorés de vues philosophiques, tels que savait élégamment les sertir notre éminent et regretté président, le professeur Brissaud.

Son savoir et sa réputation européennes, orgueil de notre Université, ont laissé à son successeur à la présidence de l'Académie une lourde tâche.

Vous voudrez donc excuser une émotion légitime chez celui qui le remplace dans ce fauteuil, appréciant l'honneur que vous avez bien voulu lui faire, en lui confiant la direction de vos séances ordinaires, et en le chargeant de représenter notre Compagnie dans des solennités publiques.

Je m'abriterai, en prenant ici la parole, sous l'égide du savant collègue dont le souvenir est ineffaçable chez tous ceux qui l'ont connu et aimé.

Faisant appel, également, à votre indulgence et à celle de mes auditeurs, je me propose de vous entretenir pendant quelques instants de questions ardues et compliquées au

1. Lu dans la séance du 18 juin 1905,


298 SÉANCE PUBLIQUE.

premier abord, mais qui, malgré leur aspect scientifique, offrent cependant l'attrait du merveilleux et du surnaturel.

Ces questions sont, d'ailleurs, loin d'être neuves pour vous, chers collègues, et quelques-uns d'entre nous en ont fait une étude particulière.

J'aurais peut-être dû, pour ce motif, et pour n'avoir pas l'apparence vaniteuse et ridicule, de vouloir instruire des maîtres, arrêter mon choix sur un tout autre sujet de discours. Mais les problèmes de la radio et de la photothérapie occupent et préoccupent si fort depuis quelques années les physiologistes, les médecins, les physiciens, et par-dessus tout certains malades, hélas ! trop nombreux, que j'ai cru bien faire en leur apportant ici, aux uns comme un encouragement, aux autres comme une consolation, ma contribution personnelle à cette étude.

Il manquait à l'application rationnelle des Rayons Roentgen, du radium et de la lumière photothérapique, une synthèse comparative suffisamment complète, et utile à un grand nombre de médecins que leur pratique tient éloignés de la science spéculative.

C'est cette synthèse que j'ai cru pouvoir vous présenter aujourd'hui.

Je vous entretiendrai tour à tour des trois modalités de l'énergie lumineuse que j'ai distinguées, sans, bien entendu, décrire la technique de leur production.

La première et la plus importante de ces modalités est ce qu'on appelle les rayons X ou rayons de Roentgen, parce qu'ils furent isolés, pour la première fois, en 1895, par Roentgen, professeur de physique de l'Université de Wurzbourg.

On peut dire d'eux, dans un langage un peu banal, que bien qu'invisibles, ils ont éclairé la science d'un jour tout nouveau.

Lorsqu'on enferme, en effet, dans une boîte d'ébonite ou d'aluminium, l'ampoule de verre qui produit ces rayons, on reste dans les ténèbres ; mais si l'on interpose sur les points où s'irradie cette lumière noire un écran imprégné de pla-


DISCOURS D'OUVERTURE. 299

tinocyanure de baryum, ou de toute autre composition fluorescente, l'écran s'illumine et reste illuminé, même si l'on cherche à arrêter les rayons invisibles, soit avec un livre de l'épaisseur d'un Bottin, soit avec une forte lame de bois, ou avec des plaques d'aluminium, d'argent, de fer et d'autres métaux.

Le corps humain, mis à la place de ces objets, apparaît lui-même en projection sur l'écran, et permet de voir ses organes thoraciques . comme enfermés dans une cage de verre.

Je ne saurais jamais oublier l'impression que mes préparateurs et moi-même ressentîmes au moment où pour la première fois, en 1895, nous vîmes apparaître sur l'écran radiographique l'intérieur de la poitrine de l'un de nous.

Le coeur battait, et nous suivions les battements rythmés de sa pointe; les poumons s'obscurcissaient et s'éclairaient tour à tour sous l'action des inspirations et des expirations successives, le diaphragme s'élevait et s'abaissait, entraînant, dans son fonctionnement périodique, le foie qui lui est attaché.

C'était merveilleux ! Tellement merveilleux que nous ne pouvions nous arracher à ce spectacle si nouveau pour nous.

Sur les cinq personnes présentes à cette expérience, trois avaient eu des pleurésies graves, et il nous fut facile de déterminer sur l'écran les vestiges et la limite supérieure de leurs lésions.

L'étude des rayons X, on le comprend, passionna rapidement tous ceux qui avaient commencé à s'en occuper, et l'on arriva, rapidement aussi, à formuler la technique de leur application.

On s'aperçut que ces rayons n'étaient pas sans inconvénients pour le corps humain. En les laissant, en effet, agir trop longtemps sur la peau, ils déterminaient de véritables érythèmes et même des brûlures profondes.

C'est de ces résultats inattendus que devait surgir l'idée de les essayer comme topiques dans des cas déterminés.


300 SÉANCE PUBLIQUE.

Dès 1896, on commença à reconnaître leurs effets curatifs dans un certain nombre de dermatoses.

Des journaux spéciaux furent créés pour vulgariser l'action des rayons X, et les sociétés savantes de tous les pays enregistrèrent un nombre toujours croissant d'applications thérapeutiques nouvelles, de ces rayons insensibles. Si bien que toutes les maladies semblaient d'abord devoir en être tributaires.

La chirurgie, cependant, était la branche de l'art médical où se rencontraient les cas les plus nombreux dans lesquels, grâce aux corps étrangers et aux lésions du squelette, le malade pouvait nettement bénéficier de l'examen radioscopique.

Cet examen donnait déjà des indications si précises, que la justice elle-même ne tarda pas à reclamer à la radiographie des renseignements précis sur l'état du squelette et des organes profonds, dans des procès intentés à la suite de violences ou d'accidents.

Mais il était difficile de se rendre un compte exact de la valeur de tous les faits mis au jour, en raison de leur grandnombre, et de la multiplicité de leur origine.

Le Dr Foveau de Courmelles, habile praticien et savant doué d'un esprit philosophique des plus rares, créa dans ce but, en 1900, une publication spéciale, l'Année électrique.

Il y groupa de très nombreux renseignements relatifs aux progrès toujours croissants et aux applications scientifiques de l'électricité.

Les rayons X, le radium, la photothérapie ou traitement par les rayons du soleil, y occupent une place importante.

Avec un pareil recueil, il était possible de suivre la marche ascendante des applications pratiques de chacune des; trois branches de l'énergie lumineuse et de la nouvelle thérapeutique qui s'installait à côté du vieil enseignement de nos Facultés et de nos Ecoles de médecine.

On put constater de la sorte que des progrès extraordinaires se développaient de jour en jour dans l'application médico-chirurgicale des rayons X.


DISCOURS D'OUVERTURE. 301

Les documents que l'auteur a patiemment accumulés, joints à ceux que j'ai pu me procurer moi-même, vont donc me permettre de vous présenter méthodiquement les résultats thérapeutiques obtenus un peu partout, par l'emploi rationnel des rayons, depuis 1900 jusqu'à ce jour.

Dès les premières années, l'étude radiographique du squelette était devenue tellement pratique, que l'Allemagne installait dans chacun de ses corps d'armée un service spécial pour l'examen des traumatismes osseux résultant d'accidents ou de blessures.

A ce moment, les Drs Destot et Boisson, de Lyon, démontraient avec l'appareil Roentgenien la fréquence, insoupçonnée avant eux, de maintes fractures des os du pied, sans déplacement des fragments, entravant réellement la marche des fantassins, et classées jusqu'alors sous la rubrique de « pied forcé. » Notre armée est aujourd'hui munie, comme l'armée allemande, d'installations pour la production des rayons X.

La recherche des balles dans le corps, leur localisation exacte et la possibilité de leur extraction, devenaient faciles, grâce à l'examen stéréoscopique, donnant le relief obtenu au moyen d'appareils spéciaux dus à plusieurs physiciens, parmi lesquels nous devons citer MM. les professeurs Marie et Ribaut, de notre Faculté de médecine et de pharmacie.

Le diagnostic des tumeurs osseuses et des calculs était simplifié et précisé, permettant des interventions plus efficaces; et, par suite, des guérisons plus fréquentes étaient déjà le résultat de l'application des rayons.

Cette même année 1901, les cures heureuses de maladies de peau, publiées en Europe et en Amérique, deviennent fort nombreuses. Ce sont les maladies parasitaires et l'eczéma dit morococcique qui en fournissent les cas les plus marquants. La tuberculose des téguments, le lupus, cette maladie qui ronge le visage et marque le malade d'une ma nière indélébile, se trouve également au nombre des guérisons.

Les Drs Dorn et Foveau de Gourmelles, essayant, chacun de son côté, l'influence des rayons X sur de jeunes aveugles,


302 SÉANCE PUBLIQUE.

constatent qu'on peut provoquer chez un certain nombre d'entre eux une légère perception lumineuse.

De là, ce bruit facilement accrédité, que ces rayons rendent la vue aux aveugles. Il n'en est rien, malheureusement !

En 1902, le nombre des cas de lupus et de maladies cutanées guéries augmente encore. Pour traiter certaines de ces dernières, les teignes en particulier, on cherche avant tout à produire une épilation locale que les rayons déterminent quelquefois d'une manière fort déplaisante, lorsqu'on les applique aux environs du cuir chevelu, sans avoir la précaution de le garantir avec une plaque de plomb. Les médecins de France, d'Amérique, d'Angleterre, d'Allemagne produisent sur les effets des rayons Roentgen une littérature des plus abondantes et des plus encourageantes.

L'ulcère perforant, les noevi (ces taches vineuses qui dénaturent les physionomies les plus sympathiques) ont également cédé aux rayons.

La guérison du cancer cutané, tel que Tépithélioma, s'annonce déjà très nettement. Enfin, des lueurs d'espoir éclairent le ciel toujours sombre des tuberculeux. Quelques médecins commencent à tourner leur attention vers cette thérapeutique nouvelle de la phtisie.

Nous voici en 1903.

Une série de chercheurs habiles déterminent la situation exacte des projectiles dans les tissus, par des procédés physiques nouveaux, plus perfectionnés que les précédents. On les atteint ainsi sans tâtonnements et presque sans péril.

Le Dr Béclère, le savant spécialiste de l'hôpital SaintAntoine, à Paris, expose au Congrès de Berne la radioscopie des viscères. Cette exposition est, avec raison, fort remarquée. Nous avions nous-même, cinq ans auparavant, fait, à l'exposition photographique de Toulouse, une exhibition complète des résultats obtenus dans notre cabinet de radiologie, en mettant à côté les uns des autres les organes sains et les organes malades : tête, poitrine, abdomen, membres. Nous avions de la sorte exposé quarante-huit épreuves des organes étudiés.


DISCOURS D'OUVERTURE. 303

Par suite de perfectionnements nouveaux, dus en majeure partie à nos deux collègues de la Faculté de médecine, MM. Marie et, Cluzet, on put mesurer le bassin plus exactement qu'on ne l'avait fait jusqu'ici, et ce n'est point là une simplification négligeable de l'outillage obstétrical.

Le diagnostic des fractures et des tumeurs osseuses devient si exact, qu'à lui seul il constitue un progrès important, rendant les plus grands services à la chirurgie.

En Amérique, on annonce la guérison de certaines variétés de cancers, tels que le sarcome, et les résultats favorables obtenus dans le traitement de Tépithélioma, se confirment de plus en plus.

On parle encore de la guérison de la tuberculose par l'application combinée des rayons X et d'un traitement médical interne; mais rien encore ne saurait être précisé relativement au succès de cette double médication.

L'année 1904 nous apporte un contingent considérable de faits nouveaux.

Grâce au Dr Holznecht, on arrive d'abord à doser la quantité de rayons absorbés par le corps, précaution qu'il est nécessaire de prendre dans un grand nombre de cas, la réaction étant en rapport avec cette quantité. De là, la possibilité d'appliquer à chaque malade, sous une intensité variable et appropriée à sa résistance, l'action roentgennienne, que l'on peut d'ailleurs mesurer aussi avec un appareil dû à l'un de nos anciens collègues de l'Université de Toulouse, M. Benoît, actuellement professeur de physique au Lycée Henri IV, à Paris.

La cure du lupus occupe à ce moment le premier rang en radiothérapie, et la lèpre, dans ses manifestations anciennes, vient s'inscrire au nombre des guérisons nouvelles.

D'Amérique encore, sont transmises de nombreuses observations de cancers du sein, guéris sans la moindre opération, par la simple application des rayons X. Et cependant, chez un certain nombre des malades traités, l'état local et l'état général étaient si profondément atteints, qu'il y avait


304 SÉANCE PUBLIQUE.

lieu de ne rien espérer du traitement, même comme simple retard du mal.

Ces mêmes chirurgiens américains, cherchent à distinguer les cancers qu'il faut traiter avec les rayons produits par la bobine de Rumhkorf, de ceux fournis par l'électricité statique.

En France, on s'émeut, enfin, de ce que nous révèlent sur ce sujet les autres pays, et l'Académie de médecine de Paris reçoit en 1904 les premières communications de cas de guérison de cancers superficiels et profonds, réfractaires à d'autres traitements.

Nous ne saurions cacher qu'au milieu de ce concert d'éloges pour les rayons X, il s'est élevé des voix discordantes. Des chirurgiens ont déclaré que le bistouri était le seul agent à opposer au cancer, dont la guérison par les rayons Roentgen serait, disent-ils, impossible! Quel mot imprudent et inexact en pareille circonstance.

Ce n'est pas la première fois qu'il est prononcé d'une façon malheureuse, au sein d'aréopages même des plus importants.

J'admets certainement que, dans quelques cas, on ait pu prendre pour une tumeur maligne une tumeur pouvant guérir spontanément, un adénoïde pour un cancer. Mais ces erreurs sont aujourd'hui rares.

S'il y a encore des lacunes dans les applications des rayons, c'est que nous ne sommes qu'au début de cette technique difficile et, malgré cela, très souvent héroïque.

Nous pouvons dire, du moins, que dans tous les faits connus, de même que dans ceux provenant de notre propre observation, si tous les cas avérés de cancer n'ont pas guéri par la méthode des rayons X, la plupart ont été soulagés par ce moyen, tandis que les narcotiques les plus puissants et les plus variés, la morphine elle-même, échouaient parfois contre la douleur.

Et n'est-ce pas une réelle consolation de pouvoir soulager presque à coup sûr ceux qui se tordent sous les étreintes d'atroces souffrances, et d'atténuer ainsi les cruelles an-


DISCOURS D'OUVERTURE. 305

goisses d'une famille affolée, en présence de l'un des siens appelant la mort pour mettre fin à des tortures qui résistent à tout remède?

Pour terminer la série des applications nouvelles des rayons X en Tannée 1904, nous devons ajouter à celles qui précèdent, les guérisons de conjonctivites graves, menaçant la vision, et complètement enrayées, tandis que tout autre traitement avait échoué entre les mains les plus habiles.

Le temps a marché, et Tannée 1905 nous apporte un contingent radiothérapique d'intérêt croissant.

L'étape est vraiment remarquable, car elle ajoute un nouvel élément de progrès à tout ce qui a été obtenu jusqu'au début de Tannée qui court. Non seulement on a continué à guérir des affections souvent désespérées et de Tordre de celles que nous avons déjà citées, mais l'on est entré dans l'étude intime de l'action des rayons sur les tissus et sur les éléments anatomiques.

Le rôle des savants français est ici considérable.

De pauvres animaux ont servi pour les expériences qui ont guidé la pratique de la radiothérapie.

C'est ainsi que l'on a constaté, sous l'influence des rayons, l'augmentation du pouvoir réducteur du pancréas, celle du pouvoir glycogène du foie, ou sa déminution, suivant les conditions dans lesquelles on applique le remède, remède qui porte aussi des modifications physiologiques dans le sang et dans la rate. — On décèle l'existence, dans les profondeurs de l'organisme, de cellules beaucoup plus sensibles aux rayons X que les cellules de la surface, c'est-à-dire de l'épiderme et du derme. Ce fait essentiel permet de comprendre que le passage des rayons dans le corps peut, dans certains cas, produire des effets bien plus actifs sur les organes profonds et malades que sur la peau. D'où la possibilité d'atteindre le mal des viscères, au moins aussi bien, si ce n'est mieux encore, que celui de la surface.

C'est ainsi que le Dr Foveau de Courmelles a modifié, en les réduisant dans leurs proportions, des tumeurs fibreuses des plus volumineuses, greffées sur des organes internes.

10e SÉRIE. — TOME V. 20


306 SÉANCE PUBLIQUE.

Sous l'influence de cette même action, la paresse du tube intestinal, cette maladie si commune, semble céder avec une facilité quelquefois surprenante, bien qu'elle soit due à des causes variables.

En Amérique, le Dr Brank a pu améliorer des épilepsies par de très courtes séances de radiothérapie.

Plus de cent médecins ont présenté des cas de cancers superficiels et profonds détruits par les rayons.

Il est de nouveau question de la guérison de la tuberculose, mais rien n'est encore précisé, surtout pour la tuberculose pulmonaire.

Cette terrible maladie rentrera peut-être un jour dans le cadre des affections qui ne doivent qu'exceptionnellement résister à la bienfaisante action des rayons de Roentgen.

Depuis le début de l'année actuelle, les renseignements que, nous portent les publications spéciales deviennent de plus en plus encourageants.

Le nombre de projectiles et de corps étrangers, extraits après détermination exacte de leur siège, même dans le crâne et le cerveau, au moyen de deux ordonnées radiographiques en simples directions perpendiculaires, ne se compte plus aujourd'hui.

Le Dr Mauclaire, chirurgien de l'Hôtel-Dieu de Paris, vient d'en donner la preuve dans l'une de ses leçons.

Le nombre d'observations se multipliant dans tous les pays, il m'a été agréable de constater qu'une remarque que j'ai faite, et signalée déjà depuis quelque temps, se confirme de plus en plus.

Les cancéreux à épithélioma, et même les sujets ayant des, cancers profonds, sont d'autant mieux en état de guérir par l'application des rayons X, que leur mal a été soumis de bonne heure à l'examen médical, et a pu être traité dès le début de son apparition. Mais s'ils attendent que la tumeur cancéreuse se développe outre mesure, et surtout qu'elle soit en pleine ulcération, l'espoir de succès doit être diminué.

L'on cite encore quelques exemples de récidives de cancers profonds opérés en pleine voie de pullulation et de gé-


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néralisation, enrayés cependantpar l'application des rayons X sur le tissu cicatriciel tendant à se couvrir de végétations de mauvaise nature.

Souvent aussi, des ganglions oubliés dans l'aisselle, pendant l'ablation de carcinomes de la mamelle, et ayant déjà pris un développement considérable, diminuent de volume sous l'influence des rayons, en passant à l'état de noyaux fibreux, durs et inertes.

Ainsi donc, l'élément cancer, traité à temps par le bistouri et par les rayons, semble vaincu sans retour.

Tel est, jusqu'à ce jour, le bilan des actions roentgenniennes en thérapeutique médicale et chirurgicale.

Malgré les sceptiques, ce bilan, dont je puis garantir l'exactitude, vu les sources nombreuses et étrangères les unes aux autres, qui m'en ont fourni les éléments, permet d'entrevoir pour un avenir prochain une révolution des plus heureuses dans la thérapeutique des maladies les plus graves et les plus diverses. Dans cette thérapeutique nouvelle, chirurgiens et médecins doivent, dans l'intérêt des malades, marcher la main dans la main.

Une révolution de ce genre, toute pacifique et sans émeute, n'en soulèvera que mieux l'enthousiasme et la reconnaissance de toutes les nations, en faveur de ceux qui en ont jeté les bases par leur travail, par leur science et par leur génie.

Après vous avoir parlé des effets médicinaux des rayons Roentgen, je dois poursuivre cet exposé synthétique en vous mettant parallèlement en présence des effets thérapeutiques du radium.

Et d'abord, qu'est-ce que le radium?

C'est un corps qui se comporte comme un métal, mais qu'on n'a jamais pu isoler à l'état métallique. On ne peut se le procurer qu'à l'état de composés salins. Il ressemble, par ces deux caractères, à l'ammonium.

Il accompagne le plus souvent l'uranium, dans les minerais desquels on retire ce dernier. Et le radium lui commu-


308 SÉANCE PUBLIQUE.

nique des propriétés physiques qui ne sont, en quelque sorte, que le propre reflet de celles par lesquelles il est lui-même caractérisé.

Les manifestations dont il est l'auteur renversent non seulement les données philosophiques les plus répandues naguère sur la matière, mais encore les lois physiques et vitales considérées comme les mieux établies de la science. C'est un métal révolutionnaire.

Sans paraître rien emprunter à des forces connues, sans paraître s'user sensiblement, il émet constamment de la lumière blanche, des rayons de lumière noire, parmi lesquels des rayons X, de la chaleur, de l'électricité, du mouvement. Il impressionne la plaque photographique comme le font les rayons du soleil. Il décharge les corps électrisés, et possède une force spéciale, à laquelle on a donné le nom de force radio-active, qu'il partage avec deux autres métaux, comme lui nouveaux venus dans la nomenclature chimique, le Polonium et l'Actinium.

Il communique passagèrement cette force à tous les objets dont on l'approche, et au corps humain lui-même, qui devient luminescent lorsqu'il a été en contact avec une poudre contenant du radium.

De son être, enfin, se dégage spontanément une émanation gazeuse, appelée par Ramsay Toxradio, que l'on peut condenser par le refroidissement, peser, appliquer comme remède, et qui, finalement, se décompose et se transforme, en donnant au spectroscope trois spectres métalliques différents, ceux de l'hydrogène, du mercure et de l'hélium. Ce dernier est un gaz dont on a reconnu, grâce à l'appareil que je viens de nommer, la présence dans le soleil, et qui existe dans certaines roches primitives, ainsi que dans un très grand nombre d'eaux minérales

On avait tout d'abord admis que le radium avait une vie indépendante et indéfinie. S'il en était ainsi, n'aurait-on pas le droit de le considérer comme un corps suprême, possédant toutes les forces, toutes les énergies, et de ce fait, comme un corps éternel ?


DISCOURS D'OUVERTURE. 309

En réalité, il s'use, il s'use lentement, puisque, d'après Ramsay, son atome met mille cent cinquante ans à se détruire.

Et dès lors, il reste subordonné aux lois admises par tous les physiciens, et qui régissent la vie de la matière.

Quoi qu'il en soit, on n'avait jamais constaté dans la nature l'existence d'un métal semblable, jusqu'au moment où Mme Curie, docteur ès sciences physiques, avec cette perspicacité spéciale à la femme, et qui, dans bien des circonstances, la rend supérieure à l'homme, eut à son sujet une idée vraiment géniale.

Après les études de M. Henri Becquerel sur la luminescence des sels d'urane, Mme Curie comprit que ce n'était pas à l'uranium même qu'était dû ce phénomène d'émission spontanée de lumière, mais bien à un autre métal qui devait constamment accompagner l'uranium.

Armée de cette volonté et de cette ténacité qui caractérisent le savant convaincu, Mme Curie entreprit d'arracher à ce métal fluorescent le secret de sa composition.

Avec le concours de son mari, physicien fort habile, et comme elle professeur à l'Université de Paris, elle eut le courage d'entreprendre ce travail gigantesque.

On peut se faire une idée de cette oeuvre de Titan, en sachant qu'une tonne de détritus de la roche uranique que ces savants avaient à traiter, peut fournir à peine un décigramme de radium, et que pour dissoudre cette roche et procéder à la séparation du métal, il faut employer cinq tonnes de produits chimiques divers, et dix tonnes d'eau.

M. et Mme Curie, en décomposant successivement quatre tonnes de minerais, au moyen de vingt tonnes de réactifs et de quarante tonnes d'eau, représentant dix wagons de substances premières, ont pu se procurer ainsi 4 décigrammes de radium à l'état de bromure.

Il n'existe guère en ce moment, dans les divers laboratoires de l'univers, que 5 à 6 grammes de radium dont le prix est monté jusqu'à 440,000 francs le gramme.

C'est avec cette minime quantité de sel de radium que ce


310 SÉANCE PUBLIQUE.

couple savant a fait les expériences qui ont bouleversé la science, porté dans la thérapeutique un appoint de succès sans pareil, et rendu à l'humanité le plus grand des services, ainsi que nous allons le voir.

Il est probable que ce sont ses propriétés radio-actives, ainsi que les rayons X dont il est l'émissaire constant, qui donnent au radium son pouvoir curatif.

Le métal nouveau triomphe, en effet, des mêmes affections de la plus haute gravité, que guérissaient déjà les rayons X. Et pour être complet, je devrais répéter ici la nomenclature des affections justiciables du traitement roentgennien, comme justiciables également des applications du radium.

Toutefois, il faut, pour être exact, ajouter que les cancersprofonds, tels que ceux de l'estomac et de l'intestin, semblent plus sûrement vaincus par le radium que par les rayons X.

Sous son influence, les douleurs inséparables du cancer sont rapidement soulagées. Il en serait de même des douleurs rhumatismales et des névralgies.

Il y a quelques jours à peine, les médecins de Milan annonçaient qu'entre leurs mains le radium avait guéri la rage et supprimé tout son cortége d'abominables souffrances.-

Tout cela n'est-il pas merveilleux ?

Nos aïeux ne s'écriraient-ils pas : C'est du surnaturel? »

Quoi qu'il en soit, avec le métal dont nous parlons, plus d'appareil compliqué, plus d'installations encombrantes pour ses applications médicales.

Il suffit d'un petit tube de verre ou d'aluminium contenant quelques miligrammes de poudre active, pour obtenir les effets voulus.

Si le radium ne brûlait profondément, même à travers certaines enveloppes, et à travers des vêtements, dans lesquels on aurait l'imprudence de le garder, chaque médecin pourrait avoir dans la poche de son gilet un tube de sel. radiant, pour soulager ses malades par une simple imposition de quelques minutes. La médication est des plus faciles en apparence. Il faut


DISCOURS D'OUVERTURE. 311

cependant se familiariser avec les divers degrés d'activité des mélanges radio-actifs, afin d'appliquer au mal celui qui lui convient le mieux. Il faut, de plus, avoir une extrême prudence lorsque le radium doit être porté dans les cavités profondes, afin de ne produire que l'effet strictement utile.

Aussi, ce métal mystérieux doit-il être définitivement considéré comme l'émule 'des rayons X dans les applications médicales.

Vous connaissez maintenant, Mesdames et Messieurs, l'action thérapeutique, superficielle 'et profonde, d'une lumière invisible, d'une lumière noire spéciale, utilisable en médecine.

Mais cette lumière diffère encore d'une autre lumière, elle aussi invisible, la lumière noire découverte par le Dr Gustave Lebon, laquelle réclame aussi, à côté des effets si extraordinaires que nous avons signalés au sujet des rayons X et du radium, sa part de merveilleuse énergie. Celle-ci est bien de la lumière noire, car rien ne la révèle à nos sens, si ce n'est son pouvoir actif sur la plaque photographique, et mieux que cela, la propriété qu'elle a, en traversant des plaques métalliques, d'entraîner avec elle desparticules de ce métal, particules si ténues que l'atome serait presque un colosse à côté d'elles.

Nous ne connaissons pour le moment aucune application médicinale de cette lumière, plus extraordinaire encore que les deux précédentes.

C'est peut-être elle, cependant, qui pourra expliquer l'influence thérapeutique des métaux directement apposés sur le corps, applications qui, vous le savez, ont, entre les mains de Gharcot, de Luys et de Demontpallier, fini par vaincre le scepticisme officiel dont Burq fut la victime, et qui, une fois de plus, ont démontré qu'en matière de science, le parti pris constitue quelquefois un véritable crime à l'égard de l'humanité souffrante.

Nous arrivons, enfin, à l'emploi des lumières blanches et des. lumières colorées, solaires ou artificielles, qui, d'après


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un célèbre médecin" danois, Finsen, produisent sur le corps humain des effets thérapeutiques variables suivant leur longueur d'onde, c'est-à-dire suivant leur coloration et leur, intensité.

La lumière rouge émanant soit de l'arc électrique, soit de la lumière solaire, simplement tamisée à travers une étoffe de cette couleur, favorise l'évolution régulière de certaines dermatites d'origine infectieuse, comme la scarlatine, l'érysipèle, dont elle restreint les déterminations inflammatoires, la variole, dont elle limite les conséquences quelquefois fort déplaisantes, c'est-à-dire la formation de cicatrices, dues à la suppuration des pustules.

Bleue, au contraire, la lumière retarde l'évolution des éléments embryonnaires, et serait, par suite, microbicide dans uue certaine mesure, guérissant ainsi les affections tuberculeuses superficielles.

On parle beaucoup en ce moment d'une lumière de couleur un peu différente, de la lumière mauve, qui, entre les mains du Dr Gautier, de Paris, viendrait à bout, sans inconvénient d'aucune sorte, des tumeurs cancéreuses profondes. J'ai cherché à me renseigner par moi-même, et j'ai pu constater, d'après ce qui est écrit, que tout n'est pas encore clair dans cette question. Cependant, les malades traités accusent des succès réels. Je ne tirerai pas du résultat de mon enquête une condamnation de cette médication nouvelle parce qu'elle est tenue encore secrète.

Tout remède, même secret, qui guérit est, quelle que soit l'autorité et la moralité de ceux qui l'exploitent, un apport sacré pour le praticien, car c'est une victoire sur la souffrance et sur la mort.

Qu'importe que la victoire soit le fait du hasard et même d'une erreur, si elle est la victoire?

J'estime donc que le médecin qui rejette d'office un tel remède commet une faute grave, quelquefois irréparable, car elle peut aboutir, non seulement à ces désespoirs de coeur que nous connaissons tous, et qui accompagnent la séparation dernière, mais encore à ces lamentables drames de fa-


DISCOURS D'OUVERTURE. 313

mille, où le disparu apportait peut-être le pain de tous les jours.

Si les rayons mauves tiennent tout ce que le médecin qui les applique prétend en obtenir, ils s'imposent.

Puisse le détenteur du mode de leur application en saisir au plus tôt le corps médical et le public.

C'est pour lui un devoir.

Excusez-moi, Mesdames et Messieurs, d'avoir si longuement mis à l'épreuve la bienveillance et l'attention que vous avez bien voulu me prêter. Je vous en remercie, en souhaitant d'avoir satisfait l'une et l'autre.

La synthèse et la vulgarisation des faits reconnus exacts, et que je vous ai impartialement exposés, m'a semblé oeuvre utile et humanitaire, puisqu'elle est depuis quelque temps réclamée par de nombreux médecins.

Vous avez pu juger par elle de l'importance des résultats acquis pour ce qui touche aux traitements nouveaux de maladies trop répandues et jusqu'à ce jour réfractaires à la thérapeutique ordinaire.

La portée des découvertes que j'ai énumérées et que vous connaissez si bien, chers collègues, n'est pas moins saisissante au point de vue de la philosophie de la science.

En nous limitant à celles que d'illustres savants ont fait connaître, surtout à la transformation du radium en trois éléments différents, nous pouvons dire qu'elles ramènent le philosophe vers l'unité d'origine des forces de la nature.

Elles montrent que, seules, les illusions dues à nos idées préconçues et à notre ignorance, nous font considérer comme impossibles des faits d'ordre naturel, et nous empêchent de voir que tout dans l'univers n'est que transgressions.

D'après elles, en effet, le visible et l'invisible se touchent, le pondérable et l'impondérable sont reliés entre eux par des liens dont on n'avait pas encore soupçonné l'existence et que la science commence à dénouer.

Avec elles, l'arbre généalogique des corps supposés simples montre des rameaux de nouvelle venue, indiquant la parenté des métaux entre eux, parenté si bien entrevue par


314 SÉANCE PUBLIQUE.

l'illustre Dumas, et qui nous apparaît maintenant commeparfaitement acceptable.

Par elles, enfin, nous concevons encore mieux ce rôle universel et générateur de l'éther, que les anciens avaient déjà soupçonné.et dont, il y a près de deux mille ans, le poète et philosophe Lucrèce avait fait le fondement de ses vues philosophiques relatives à l'unité de la matière et à son évolution.

C'est, en effet, dans l'éther et sous l'impulsion de ses vibrations indéfinies, et de longueurs d'ondes si variées, que s'accomplissent ces transgressions admirables dont le mystère s'éclaire peu à peu, et qui, du néant, conduisent jusqu'à la vie et à la pensée. Dans cet éther qui est partout, qui pénètre tout, dans l'immensité duquel naissent, vivent et meurent les mondes, et qui, distributeur éternel de toutes les forces de la nature, qu'il ravive sans cesse, nous élève, par la puissance de son action, jusqu'à la conception d'un idéal sublime, arbitre infaillible de nos destinées.


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ÉLOGE DE M. BRISSAUD

PAR M. ROSCHACH 1.

Quand, au sortir de la plaine de Marmande, on quitte la vallée maîtresse de l'Agenais pour traverser le massif de collines de la rive droite, on parcourt des plateaux peu élevés d'où le regard embrasse dans la direction du nord un vaste horizon. Le fond du tableau est fermé par les croupes de la Dordogne, pays de grand caractère fortement modelé et tapissé de bois, premiers gradins du réduit central de la vieille Gaule. En avant, le terrain s'abaisse, par pentes adoucies, vers le vallon sinueux du Dropt qui descend des combes forestières de Montpazier. Région riante, coupée de vergers que blanchit au printemps la neige des pruniers en fleurs. Dans l'espace de quelques lieues apparaissent, disséminées entre les alignements de cultures fruitières et de vigoureux bouquets de chênes, trois agglomérations reliées par des chemins verdoyants : Saint-Jean de Puysserampion, Gambes, Miramont. A chacun de ces lieux se rattache un. souvenir de l'homme d'esprit, de savoir et de coeur à qui l'Académie offre aujourd'hui un dernier témoignage d'affection et de regret.

C'est dans la première de ces modestes bourgades que Jean-Baptiste Brissaud naquit le 7 décembre 1854, au sein d'une de ces honorables familles qui ont eu le courage de ne

1. Lu dans la séance publique du 18 juin 1905.


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pas déserter la terre nourricière et de lui consacrer leur activité. Ses premiers regards s'arrêtèrent sur cette campagne gracieuse et accueillante qui devait lui inspirer de si fidèles tendresses et qu'il a décrite en termes émus.

Bien des années après, revenu de lointains voyages, accablé de travaux intellectuels qui épuisaient ses forces et l'empêchaient de goûter, comme il l'eût désiré, durant le trop rapide intermède des vacances, les charmes du site natal, il dépeignait avec attendrissement au meilleur ami de sa jeunesse « les chemins verts où il fait si bon rêver, le vieux moulin, la vallée semée au loin de maisons blanches, semblables a autant de ruches d'abeilles, la ligne fuyante des puys, paysage simple et classique où l'oeil se repose, où les vers de Virgile remontent à la mémoire et chantent comme si quelqu'un vous les murmurait à l'oreille. »

En 1858, à quatre ans, le jeune campagnard, qui était, malgré sa complexion délicate, un enfant singulièrement vif, aux yeux brillants et à la répartie prompte, fréquenta la petite école de Cambes, village où résidait sa grand'mère et où l'instituteur communal, M. Thibaut, lui fit monter, sans le prévoir, les premiers degrés vers l'agrégation. L'écolier prit tant d'intérêt à tout ce qu'on lui enseignait et se l'assimilait avec tant d'aisance que l'insuffisance du programme scolaire devint manifeste.

Lorsqu'il eut atteint six ans, il dut quitter ses premiers camarades et chercher un enseignement plus élevé. Sa famille, que la séparation alarmait, eut l'heureuse chance de trouver à quelques lieues à peine, au bas de la côte, dans la riante ville de Miramont, un établissement d'instruction secondaire, alors en pleine prospérité. Création de l'initiativeprivée durant la période réparatrice du Consulat, le collègede Miramont se ressentait encore de l'impulsion que lui avait donnée son fondateur, maître peu riche en diplômes, mais possédant, à défaut de parchemins estampillés, les plus hautes qualités" de l'éducateur, la valeur morale doublée d'un ardent amour du pays natal et d'une rare ouverture d'esprit. L'enfant passa neuf ans dans cette maison


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spacieuse, aérée, étalée en plein soleil au bord de la route de Marmande, à portée du toit familial. Il y travailla avec passion. On raconte qu'après sa première année de collège, à peine âgé de sept ans, pendant les vacances, il dérobait à sa grand'mère, trop jalousement soucieuse de son sommeil, des restes de bougie pour se livrer, au fond d'un placard, à des études clandestines de latinité. Elève hors ligne, aimé des maîtres pour son application, sa docilité, sa vive intelligence, cher à ses condisciples pour sa bonté, son tour d'esprit original et la verve aimable de sa conversation, il noua des amitiés qui devaient durer autant que sa vie et dont le docteur Lagrange, de Bordeaux, a rendu témoignage devant son cercueil. Au cours de ces neuf années d'étude, il n'en courut, pour une faute des plus légères, qu'une seule punition, et cette disgrâce exceptionnelle ébranla si fort sa vive sensibilité qu'il s'évanouit.

Le jeune Brissaud n'avait que quinze ans quand la continuité de ses succès scolaires le fit juger prêt à subir les épreuves du baccalauréat. La dispense ministérielle qu'il obtint lui permit de conquérir avant l'âge son premier diplôme.

Les neuf années écoulées dans ce milieu paisible, aimable, salubre au moral comme au physique, milieu de travail discipliné et de vie au grand air, sans perte de contact avec la famille, avaient été fécondes pour le développement de cette belle intelligence; les traits essentiels de sa nature originale se manifestaient déjà avec une parfaite netteté. Ceux qui l'ont connu à cette époque disent que l'adolescent était alors ce que devait être l'homme, bon et simple, dévoué, modeste, affectueux, d'une délicatesse d'impression exquise, d'une curiosité très éveillée, intéressé à tout, ému devant un beau site comme devant une oeuvre d'art, et unissant par un rare alliage l'amour intense du sol natal aux vues les plus larges et les plus compréhensives. Cette preuve de personnalité vigoureuse, il devait la donner toute sa vie, sans que les voyages, le séjour dans les grands centres, les rapports avec l'étranger en aient jamais altéré l'attrayante persistance.


318 SÉANCE PUBLIQUE.

De ces années d'apprentissage date aussi son goût inné de l'histoire. Dès que ses yeux d'enfant, singulièrement clairs et mobiles, se sont arrêtés sur les objets extérieurs, il s'est montré avide de comprendre, attentif aux vieux souvenirs, aux récits, aux figures du passé. Il en aimait, il en recherchait partout l'évocation. Dans les rues coupées à angle droit de sa petite ville scolaire, on lui avait appris à reconnaître le tracé géométrique des Bastides royales du treizième siècle, si rudement disputées aux Anglais pendant la guerre de Cent ans, au temps de Jeanne d'Arc, son héroïne de prédilection et le bronze de Foyatier qui rappelle aux habitants de Miramont un hôte illustre, un grand bienfaiteur du pays, faisait naturellement monter à ses lèvres les vers chaleureux consacrés par Jasmin à la mémoire du dernier ministre libéral de Charles X 1.

Une éducation animée d'un tel esprit ne pouvait aboutir à une existence vulgaire. Le problème de l'avenir se posait. La famille s'interrogeait avec sollicitude lorsque la guerre éclata. Pendant l'investissement de Paris, la délégation du gouvernement de la Défense nationale, d'abord transférée à Tours, avait dû reculer devant l'invasion jusqu'à Bordeaux. Cette capitale intérimaire de la France profita du séjour de Jules Simon, ministre de l'Instruction publique, pour obtenir la réalisation d'un voeu depuis longtemps caressé, la création d'une Faculté de droit. Quand les cours s'ouvrirent, le jeune bachelier, qui avait fait son choix, figurait au nombre des étudiants. C'était son premier séjour dans une grande ville. Cette fois, il n'avait pas suffi de descendre la côte, mais Téloignement demeurait encore modéré. L'écolier, qui ne s'était soustrait à la surveillance maternelle que pour faire des versions latines en maraude, n'avait pas grand'chose à craindre des séductions de la brillante cité girondine. Il apporta dans ce milieu très animé, encore ébranlé des sou1.

sou1. à Miramont à la suite de son mariage, Jean-Baptiste-Sylvère Gay, vicomte de Martignac, a laissé, ainsi que sa veuve qui lui a longtemps survécu, une mémoire aimée et vénérée dans l'arrondissement de Marmande.


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venirs orageux de l'Assemblée nationale et de la présence d'un état-major politique fort turbulent, ses habitudes de vie laborieuse et réglée toujours soutenue par une haute inspiration. Il commençait ainsi ce que son condisciple de Miramont, le docteur Lagrange, retrouvé à Bordeaux, a appelé sa « carrière de poète et de bénédictin », consacrant à la littérature, pour laquelle il était passionné, le temps que n'absorbaient pas ses études de droit. Celles-ci furent marquées de nombreux succès : unanimité de boules blanches aux examens de baccalauréat, de licence et de doctorat, second prix et mention honorable de droit romain en première et deuxième années, premier prix de droit français en troisième année, et en 1879, thèse de doctorat des plus brillantes sur un sujet difficile « la cause en droit romain et en droit français », étude de science précoce reçue à l'unanimité avec éloges et honorée des appréciations les plus flatteuses par le rapporteur de la Faculté. « Non seulement, dit M. Levillain, l'auteur s'est attaqué à Tune des matières les plus abstraites et les plus obscures de la législation, mais dans cette reconnaissance à travers l'une des régions les moins accessibles même aux explorateurs les plus intrépides, il a manoeuvré avec une clairvoyance, une sûreté et une régularité d'allure vraiment surprenante 1. » La ville de Bordeaux, justement fière de sa jeune Faculté, ayant fondé un prix spécial pour la meilleure thèse dé doctorat, cette récompense fut attribuée sans hésitation à l'oeuvre de M. Brissaud, dont une édition ne tarda pas à paraître aux frais de la municipalité.

Sur les bancs de l'Ecole de droit, M. Brissaud se lia d'une amitié fraternelle avec un de ses jeunes condisciples, M. Alexandre Guasco, que rapprochait de lui une grande analogie d'éducation, de sentiments et de goûts élevés, qui a été pendant toute sa vie le confident de ses pensées et de ses rêves, et qui demeure le gardien fidèle et vigilant de sa mémoire. Durant trente-deux années, cette affection n'a pas été obscurcie du plus léger nuage et la correspondance inin1.

inin1. de M. Henri Duméril.


320 SÉANCE PUBLIQUE.

terrompue des deux amis demeure une mine précieuse d'indications psychologiques.

C'est dans ces conversations écrites, d'un abandon et d'une sincérité si charmants, que se révèle le mieux la complexité de cette riche nature; car il s'en faut de beaucoup que le tempérament intellectuel de M. Brissaud ait été une chose simple. Par un contraste piquant, mais moins rare que ne le croient les observateurs inattentifs, cet esprit si amoureux d'exactitude, de précision, de rigueur scientifique, loin de s'emprisonner clans les compartiments étroits chers aux spécialistes et de répudier comme une faiblesse ou une dérogeance le délicieux frisson de l'émotion poétique, aimait et pratiquait avec dévotion tous les grands charmeurs de l'âme humaine, depuis les classiques auxquels il gardait un culte fidèle jusqu'aux auteurs contemporains. Il a luimême écrit de Brizeux :

Sous nos grands chênes noirs ce rêveur est souvent

Venu pour apaiser mes tristesses d'enfant ;

Je trouvais dans mon âme un écho de la sienne 1.

Par disposition naturelle, par préférence d'instinct, le jeune docteur eût été porté à la vie contemplative et de toutes les jouissances d'esprit il aurait choisi sans conteste celles de la haute culture littéraire. Il n'en faisait pas mystère à ses amis. « Tout mon labeur scientifique, a-t-il dit, n'est qu'une longue violence que je me suis faite à moi-même.»

C'est par devoir, par esprit de famille, c'est pour rendre à tous les siens, en satisfactions morales et en augmentation de bien-être, les sacrifices qu'ils s'étaient imposés pour lui donner une éducation libérale qu'il voulut être un professeur éminent, un érudit apprécié, un travailleur infatigable et qu'il le fut. « Ce jurisconsulte qui étudiait dix à douze heures par jour était un savant parce qu'il avait mis une volonté énergique au service d'une puissante intelligence 2. »

A peine en possession de son diplôme de docteur, il s'at

1. Sonnet dans une lettre.

2. Lettre de M. Alexandre Guasco.


ÉLOGE DE M. BRISSAUD. 321

telle au rude labeur du concours d'agrégation, sans souci des difficultés particulières résultant du séjour en province, de l'éloignement, du défaut de relations, des instruments de travail imparfaits. Un premier échec inévitable, qui a du moins fait deviner ses mérites et qui lui crée un titre pour l'avenir, ne le décourage pas. Grâce à l'obligeante intervention de M. Lehr, conseil de l'ambassade française auprès de la Confédération helvétique, il apprend que l'Université de Berne est en quête d'un professeur de droit civil français. Il voit dans cette sorte de stage une excellente préparation à l'enseignement oral et une occasion précieuse de se familiariser avec la langue et la culture allemande et il passe les Alpes.

Le séjour de trois années, durant lesquelles il fut d'abord professeur extraordinaire en 1880, puis professeur ordinaire en 1881, dans cette ville intéressante où le moyen âge a laissé tant de vestiges imposants ou bizarres, devait laisser au jeune juriste une impression durable. On assure qu'il y noua de sérieuses amitiés. En tout cas, il y acquit une connaissance intime de la vie universitaire germanique, il s'y perfectionna dans les deux, idiomes, allemand et italien, qui se partagent avec le français la domination intellectuelle de la Suisse et il s'y assimila aussi les vieilles méthodes de l'érudition, celles de nos savants du seizième siècle que l'on croit nouvelles parce qu'elles nous reviennent d'outre-Rhin. C'était une bonne fortune pour un esprit observateur et pénétrant comme le sien de se trouver au coeur d'un petit pays où la variété des institutions, des lois et des moeurs constitue un musée aussi curieux que la diversité des aspects, des altitudes et des productions naturelles.

Mais l'attrait de cette initiation profitable dont il est aisé de retrouver les traces dans ses travaux ultérieurs ne lui faisait pas perdre de vue la fin dernière de son noviciat. Aux approches de l'année 1883, s'étant fait suppléer à Berne par M. Regelsperger, il revient à Paris affronter les épreuves de l'agrégation qu'il enlève de haute lutte le 1er janvier 1883.

10e SÉRIE. — TOME V. 31


322 SÉANCE PUBLIQUE.

Quinze jours après, le ministre signait sa nomination dé chargé de cours à la Faculté de Montpellier, création toute récente de nos législateurs.

A peine en possession d'une situation honorable et assurée, M. Brissaud, en qui l'esprit de famille, surexcité par son récent exil, était porté à la plus haute puissance, eut hâte de se créer un foyer. Ses mérites promptement reconnus dans sa nouvelle résidence lui auraient facilité sur place des alliances flatteuses qui lui furent proposées. Son mariage, qui suivit de près sa nomination à Montpellier, le rattacha par un lien de plus à son cher pays d'Agenais. C'est aux verdoyantes campagnes de Fauillet, aux environs de Tonneins, une des plus riantes contrées de France, que le jeune professeur alla demander la compagne de son existence. A Montpellier naquit son premier enfant, le laborieux et timide Jacques Brissaud, dont les succès à la Faculté de Toulouse, sous sa direction tendrement vigilante, ont été la dernière joie de sa vie. Mais Montpellier, malgré le souvenir de Placentin et la robe de Rabelais, ne comblait' pas les voeux du nouveau ménage. Méridional girondin, M. Brissaud se trouvait dépaysé dans la lumière un peu crue et l'atmosphère poudreuse du versant méditerranéen.. Il rêvait de s'asseoir auprès des maîtres qui lui avaient ouvert la carrière. Une vacance survenue à Bordeaux répondait à ses préférences ; avec sa bonté et sa prévenance habituelles, il s'effaça devant les intérêts de famille d'un de ses anciens condisciples et consentit à se rapprocher un peu moins du pays natal en obtenant, le 28 octobre 1885, la suppléance du cours de droit civil à la Faculté de Toulouse, qu'il ne devait plus quitter.

Durant les dix-neuf ans qu'il y a passés, il a occupé tour à tour la chaire de droit civil en 1886, celle d'histoire générale du droit en 1889, puis celle de législation comparée, et en 1898, celle d'histoire du droit méridional expressément créée par l'Université de Toulouse. Hautement apprécié de ses confrères, très aimé de ses élèves dont il avait gagné l'affection dès la première heure par son inépui-


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sable bonté, sa sollicitude paternelle en même temps que la clarté et l'originalité de sa parole maîtrisaient et séduisaient leur intelligence, en très peu de temps, M. Brissaud conquit à Toulouse ses lettres de grande naturalité. Reçu le 29 juin 1886 à la Société archéologique du Midi de la France 1, il vit l'Académie de législation lui ouvrir ses portes à l'unanimité le 21 juillet de la même année, en remplacement de M. Massol, longtemps titulaire de la chaire de droit romain à Toulouse.

Trois ans après, le 11 juillet 1889, notre Compagnie lui faisait un accueil non moins empressé. Il nous était amené par ses pairs, et ce furent M. Alfred Duméril et M. Paget, son doyen, qui nous rendirent l'éminent service de nous dicter nos suffrages. M. Brissaud nous a appartenu pendant quinze ans (1889-1904). Il s'était immédiatement acquis la sympathie de tous par ses façons cordiales, simples et courtoises en même temps que la solidité de son érudition unie à l'agrément d'un esprit alerte lui assuraient un auditoire attentif.

Le tempérament du jeune professeur ne le portait pas à se cantonner dans un travail de vulgarisation banale. Autant qu'on en peut juger par le résumé très expressif et très indépendant de ses vues sur le rôle de l'enseignement supérieur, on devine qu'il n'en voyait pas le dernier mot dans la répétition indéfinie de variations sur un même programme, moins encore dans la besogne fastidieuse des examens. Il ne sépa1.

sépa1. Société le délégua, le 8 novembre 1887, avec deux de ses confrères, auprès du préfet de la Haute-Garonne au sujet des mesures à prendre en exécution de la loi du 30 mars 1887 pour le classement des monuments historiques, et lui confia en 1894, 1896, 1898, 1899 soit le rapport général, soit des rapports spéciaux sur les ouvrages envoyés au concours ; il fut également rapporteur lors de l'élection de M. Maria.

Parmi les communications faites par M. Brissaud à la Société archéologique, nous relevons, en 1890. le texte et le commentaire du testament d'une dame avignonnaise du seizième siècle, en 1893, le compte rendu d'une visite à la grotte de Castelmauron, en Agenais, et en 1901, l'analyse de la correspondance d'un receveur des tailles de Comminges séjournant à Paris en 1694 à l'occasion d'un procès.


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rait pas des devoirs, d'ailleurs très scrupuleusement remplis, de l'enseignement le progrès scientifique personnel, l'investigation directe, la contribution incessante au développement des études par la découverte de faits nouveaux ou l'interprétation renouvelée de faits connus. Il lui semblait que la possession d'une chaire impliquait une sorte d'obligation morale d'ajouter quelque chose au trésor commun et de ne pas se borner à grossir périodiquement l'armée redoutable des gradués. Aussi, son ardente activité, aisément enthousiaste, saisissait-elle avec une sorte de fièvre les occasions d'aborder de vastes travaux. D'instinct, il voyait grand, et l'intensité de son désir lui permettant d'embrasser d'abord avec promptitude l'ensemble des résultats rêvés, simplifiait peut-être outre mesure les difficultés de grosses entreprises dont les misères de la réalité alourdissent trop souvent l'essor. C'est ainsi qu'amené par son cours d'histoire du droit français à prendre un vif intérêt à la législation coutumière de la vieille France, il conçut d'emblée le projet grandiose de constituer une collection définitive, un corpus de chartes communales, de façon à mettre à la disposition des travailleurs tous les matériaux enfouis dans les dépôts publics et privés ou étudiés isolément par quelques chercheurs et disséminés dans des publications provinciales qui sont une autre forme d'enfouissement à peine moins inaccessible et plus dédaignée.

L'élaboration de ce projet le mit en rapport, dès 1889, avec notre excellent confrère M. Pasquier dont les recherches fructueuses dans le département de TAriège étaient un prélude et un encouragement. Des entretiens multipliés, où l'expérience professionnelle, en insistant sur les détails d'exécution, en fit comprendre la variété et l'étendue, précisèrent avec plus de rigueur les lignes du cadre qu'il s'agissait de remplir.

Une sorte d'invitation fut adressée au public lettré en 1891, par l'intermédiaire de M. Pasquier, dans une séance générale de l'Association pyrénéenne tenue à Bordeaux. Sur sa proposition, le Congrès, « reconnaissant l'intérêt majeur


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qu'il y aurait pour l'histoire, la linguistique, l'étude du droit public, et privé, des institutions et des moeurs, à réunir dans une publication les chartes des coutumes communales de la France », émit le voeu d'une préparation méthodique en indiquant avec beaucoup de netteté les opérations préliminaires indispensables. La première de toutes était l'établissement d'une nomenclature où seraient résumées dans la forme la plus concise les données sur la provenance, la date, l'âge des chartes, les conditions matérielles des documents, originaux, copies, traductions, analyses, l'indication des lieux de dépôt et la bibliographie actuelle. C'était un beau programme, mais nécessitant néanmoins une convergence et une discipline d'efforts que le Sud-Ouest lui-même ne pouvait se promettre sans quelque témérité. Le Congrès de Bordeaux, qui en avait conscience, demanda par un vote spécial que le voeu fût transmis à trois hautes puissances : le Ministre de l'Instruction publique, l'Académie des Sciences morales et politiques, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 1. La transmission fut faite très fidèlement. C'est tout ce que nous en pouvons dire.

M. Brissaud, qui n'était pas allé au Congrès, ne se découragea pas, et abandonnant la méthode parlementaire pour l'action directe, commença par payer de sa personne.

Il se mit alors à explorer nos grands dépôts publics, tantôt gravissant l'escalier du Palais-de-Justice pour y fouiller les registres d'insinuation du Parlement ou les dossiers de la réformation des forêts de la grande maîtrise de Toulouse, tantôt aux archives départementales, opérant des sondages fructueux dans la riche collection des titres du grand prieuré de Saint-Jean. Il s'était constitué parmi les plus laborieux de ses auditeurs de l'école de droit une petite brigade d'état-major dont il dirigeait lui-même les reconnaissances et dont il destinait isolément chaque membre, suivant son pays d'origine, à la chasse des coutumes et des

1. Bulletin périodique de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts. Foix, 1894, IV, p. 87.


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privilèges communaux. C'est ainsi que plusieurs jeunes licenciés se répartirent les textes de franchises municipales : M. Auriol, Gadeillan ; M. Darné, Launac ; M. Delpech, Muret; M. Larrieu, Saint-Marcet ; M. Laurence, Artigues; M. Mailhos, Salomé; M. Motte, La Bastide-Esparbairenque; M. Rogé., Mondouzil; M. Sarrail, Plagne; M. Senac, Ossun; M. Séry, Villariès. Il y eut même un éclaireur cycliste, M. George Kontz, qui battit l'estrade dans les vallées du Gers et de ses affluents et qui en rapporta une nomenclature de chartes communales et régionales, objet d'un rapport élogieux de son chef lu à la Société archéologique le 19 mai 1896. Le Mémoire de MM. Bezin et Fourgous sur les anciennes coutumes de Bigorre, couronné en 1900 par notre Compagnie, procède de la même impulsion.

Il y avait ainsi tout un programme, tout une organisation de travail susceptible de parvenir en quelques années à la réalisation d'un plan grandiose. L'honneur de l'avoir conçu, défini dans une sorte de manifeste, animé d'une ardeur guerrière : « La place capitulera ! », que vous avez entendu ici même à pareille époque, d'y avoir associé une vaillante jeunesse, exécuté des travaux préliminaires et rassemblé de précieux éléments ne sera jamais disputé à M. Brissaud.

L'oeuvre écrite de M. Brissaud comprend d'importantes traductions de l'allemand, deux livres d'histoire juridique et politique, des mémoires académiques et articles de revues sur des sujets variés, des comptes rendus de bibliographie critique en grand nombre et enfin quelques productions littéraires en vers et en prose, les unes inédites, les autres publiées sous des pseudonymes dans divers recueils provinciaux, simples délassements d'esprit réservés à l'intimité.

Les traductions, trois surtout d'entre elles, sont des travaux de longue haleine et d'une haute valeur. Elles ont mis à la disposition du public français des instruments de travail de premier ordre. Ce sont trois volumes de la grande collection connue sous le nom de Manuel des antiquités


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romaines de Becker, refondue et complétée par Mommsen et Marquardt.

La première, Le culte chez les Romains (Sacralwesen), publiée en 1889 du livre de Joachim Marquardt, forme le douzième volume de la série et donne des résultats absolument nouveaux sur un sujet très connu en apparence et, de fait, très ignoré, grâce à l'inextricable confusion d'anachronismes dont l'avait encombré la littérature romaine du haut empire. C'est pour la première fois qu'on avait vu débrouiller dans l'édition originale, parue en 1878, l'amalgame incohérent des vieux rites latins, des mythes helléniques et des importations religieuses de l'Orient, éléments très disparates auxquels l'éclectisme indifférent des poètes avait prêté un caractère d'unité factice. Marquardt étant mort en 1882, M. Georg Wissova, professeur à l'Université de Marbourg, avait publié une seconde édition allemande en 1885, en redressant quelques erreurs et en profitant de nouvelles découvertes épigraphiques et de travaux récents sur des points particuliers. C'est d'après l'édition Wissova que M. Brissaud a écrit sa traduction, soigneusement révisée par le savant professeur de Marbourg et enrichie de notes précieuses empruntées aux dernières publications de MM. Habel, BouchéLeclerc et Gaston Boissier.

M. Brissaud venait de terminer ce travail difficile et se trouvait le seul libre parmi les collaborateurs de l'oeuvre collective quand M. Vigie, doyen de la Faculté de droit de Montpellier, très absorbé par la publication de son Cours de Code civil, dut renoncer à traduire le onzième volume dont il s'était chargé. Sur les instances du directeur de l'entreprise, M. Brissaud aborda cette nouvelle tâche, achevée en 1891. L'organisation militaire chez les Romains (militärwesen) a été traduite d'après la seconde édition allemande de 1884, sensiblement améliorée par M. de Domazewski, aujourd'hui professeur à l'Université de Heidelberg, qui a bien voulu revoir à cette occasion son propre travail et y ajouter des renseignements bibliographiques, tandis que M. Cagnat, professeur au Gollège de France, participait


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gracieusement de la même manière à la perfection de l'oeuvre.

Cette publication n'avait pas encore paru quand un compte rendu de M. Girard, dans la Nouvelle revue historique du droit, appela l'attention de M. Brissaud sur l'Histoire des sources du droit romain de M. Paul Krueger, publiée de 1880 à 1883. Notre infatigable traducteur se mit aussitôt en rapport avec l'écrivain allemand et obtint de lui, outre l'autorisation nécessaire, des retouches et des additions au texte et aux notes, ainsi, qu'une révision personnelle de la version française qui a vu le jour en 1894. On voit avec quel scrupule M. Brissaud s'inquiétait de donner à ses compatriotes le dernier état de la science sur toutes les questions qu'il abordait. Outre ces mérites d'exactitude et de mise à point rigoureuse, la traduction de ces importants ouvrages a des qualités qu'a fait ressortir avec beaucoup de justesse un critique autorisé de la Revue générale du droit, M. Vigneaux, professeur à la Faculté de Bordeaux. Sans négliger la moindre nuance des phrases longues et compliquées du texte allemand, M. Brissaud a eu le talent de leur donner une forme française parfaitement claire et alerte, et ses coupures opportunes des interminables périodes de l'original allègent son exposition, rendent la lecture aisée et coulante et facilitent l'intelligence des analyses les plus subtiles.

Entre temps, notre confrère avait trouvé le loisir de traduire pour la Revue générale du droit une substantielle étude de M. Karl Dickel, imprimée à Berlin, sur le nouveau Code civil du Monténégro, avec des remarques sur la codification en général et sur le nouveau projet de Code civil allemand. Il s'agit là d'une oeuvre de législation créée de toutes pièces par un juriste érudit pour un de ces petits Etats de l'Europe orientale dont l'accession à la civilisation est toute moderne. L'auteur, M. Bogisié, professeur à l'Université d'Odessa et conseiller actuel de l'Empire de Russie, chargé par le prince Nicolas Ier, en 1873, de rédiger un projet de Code civil pour les vaillantes et rustiques populations de la Montagne-Noire, préparé à cette oeuvre délicate


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par de fortes études à Venise, Vienne, Munich, Berlin et Paris, séjourna une année entière dans le Monténégro, s'éclaira par des excursions en Albanie et en Herzégovine et termina à Paris, en 1878, un projet d'ensemble soumis cette année même au Sénat de Cettigne, et après dix années de discussions et de retouches, entré en vigueur le 1er juillet 1888. L'auteur paraît avoir combiné habilement dans cette création les progrès cosmopolites de la législation contemporaine avec un vieux fond de coutumes locales approprié à la nature du pays et au caractère des populations.

« Un libéral au dix-septième siècle ; Claude Joly », publié en 1897, est l'histoire d'un personnage oublié qui a fait paraître en 1642, au plus fort des agitations de la Fronde, sous le titre : « Recueil de maximes véritables et importantes pour l'institution d'un Roi », un livre de théorie politique assez hardi, où les origines et les limites rationnelles de l'autorité des souverains sont établies avec une liberté peu conforme aux doctrines que les partisans de la monarchie absolue s'efforçaient alors de transformer en dogme d'Etat. L'audacieux écrivain, dont l'oeuvre fut condamnée au Châtelet, était petit-fils d'Antoine Loisel, l'auteur des Institutions coutumières, fils d'un lieutenantgénéral de la maréchaussée qui a composé un traité de la Justice militaire. Lui-même, avocat et docteur en théologie, chanoine de Notre-Dame et officiai de Paris, avait accompagné le duc de Longueville au Congrès de Munster. Il se défend d'être séditieux et républicain et fait même sa profession de royaliste sincère, mais en attribuant au prince le rôle de premier serviteur du pays et devançant, avec une prescience curieuse, la conception moderne de la monarchie constitutionnelle. Un autre ouvrage du même auteur, Des restitutions des grands, a été aussi l'objet d'une étude spéciale de notre confrère.

L'oeuvre capitale de M. Brissaud, qui l'a occupé d'une façon très absorbante durant ces dernières années, est cette précieuse exposition historique, si intéressante et si touffue, qu'il a comme déguisée sous le titre trop modeste de Ma-


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nuel d'histoire du droit français. Conçu dans des proportions plus réduites, l'ouvrage s'est singulièrement élargi à mesure que l'auteur, en approfondissant son sujet, s'y passionnait davantage. La première partie, les sources, contenant une carte coutumière de la France, a paru en 1898; la seconde, histoire du droit public, en 1899 et 1900; la troisième, histoire du droit privé, dont l'étendue égale presque celle des deux autres réunies, date seulement de 1904. Ce livre, sorti à Toulouse des presses de M. Ghauvin, a obtenu à l'Académie des Science morales et politiques le prix fondé par M. Koenigwarter en faveur du meilleur ouvrage sur l'histoire du droit publié pendant les cinq dernières années. Le rapporteur de l'Académie, M. Dareste, en a fait ressortir les mérites dans les termes les plus flatteurs : un sujet très vaste, élargi par des comparaisons bien choisies avec les législations étrangères; un emploi judicieux des innombrables matériaux devenus disponibles depuis une trentaine d'années par l'exploration des bibliothèques, des archives et des anciennes études notariales; un texte très concis, les indications bibliographiques au bas des pages extrêmement abondantes, mais aussi brèves que possible ; partout les marques d'un jugement sûr, d'une critique impartiale, avec un talent d'exposition que la science seule ne donne pas. Il dit « tant de choses en termes si justes, il sait si bien ménager la perspective, écarter les développements inutiles, arriver enfin aux traits essentiels à retenir qu'une fois engagé dans cette lecture on va jusqu'au bout sans fatigue et qu'on en sort bien instruit de ce qu'on a voulu savoir. »

L'oeuvre bibliographique de M. Brissaud est considérable et se trouve disséminée dans un grand nombre de recueils où pendant un quart de siècle la justesse et la précision de sa critique lui assurèrent une autorité incontestée. Dès 1880, durant son séjour à Berne, il avait pris rang parmi les rédacteurs les plus assidus et les plus appréciés de la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, publiée à Paris, sous la direction de neuf jurisconsultes,


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entre lesquels il devait être admis lui-même, en 1892, en remplacement de M. P.-L. Lucas. La Nouvelle Revue historique du droit, la Revue du droit international public, les Annales du Midi, où il faisait partie du Comité de rédaction depuis 1898 et où pendant plusieurs années, il a signé la chronique trimestrielle, lui doivent des comptes rendus concis et substantiels sur les sujets les plus variés, témoignant à la fois d'une parfaite connaissance préalable de la matière et d'une étude minutieuse de l'oeuvre jugée. Le professeur se faisait ainsi l'historien au jour le jour du développement contemporain de la science juridique tant en France que dans les pays de langue allemande et italienne. Suivant de très près le labeur des Universités étrangères, il était devenu pour le public français l'introducteur attitré des écrivains qui à Leipsig, à Berlin, à Stuttgard, à Hanovre, à Breslau, à Vienne, à Insprück, à Bologne, à Turin, à Modène, à Rome, avaient produit dans leur langue nationale soit un livre important et d'intérêt général, soit un mémoire recommandé par des vues originales, des trouvailles d'érudition ou des interprétations nouvelles. Ces comptes rendus n'étaient pas une sèche analyse, mais une appréciation motivée, où le critique, sans se départir de sa bienveillance naturelle et de sa courtoisie, et sans brandir jamais la férule du maître d'école, faisait impartialement la part de l'éloge et du blâme, signalait les lacunes, discutait les opinions aventureuses et faisait preuve d'une information toujours au courant de l'état de la science.

Outre les ouvrages relatifs à l'objet principal de ses études, M. Brissaud a présenté au public quelques livres d'histoire, surtout d'histoire méridionale, et entr'autres divers travaux intéressant l'Agenais.

Nous citerons notamment, du docteur Couyba, les Etudes sur la Fronde en Agenais et ses origines (Villeneuve-surLot, 1899-1901) et la Misère en Agenais de 1600 à 1029 et la Grande famine de 1630 1631 (Villeneuve-sur-Lot 1902); de M. G. Granat, La manufacture des toiles à voiles d'Agen (Agen, 1902); de M. Judet de la Combe ; Le château de


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Saint-Puy, Les anciens seigneurs et la famille du maréchal de Monluc (Agen 1903).

Ce qu'il y a de plus curieux, quand on a simplement effleuré l'inventaire de ces travaux écrasants, dont les résultats même, par leur profusion touffue, causent une sorte d'étourdissement et d'effroi, à la seule pensée des lectures faites, des fiches accumulées, des efforts d'agencement et de composition, c'est de savoir, comme tous ses amis ont pu le constater, que ces exercices redoutables n'avaient pas porté la plus légère atteinte aux qualités brillantes et primesautières de son imagination. Un excellent juge en fait d'esprit comme d'érudition, Léonce Couture, a très justement mis en lumière, à l'occasion d'une notice de M. Brissaud sur son compatriote Tamizey de Larroque, l'attrayante originalité d'un écrivain « qui n'a rien perdu de sa fraîcheur et de sa flamme au contact des grimoires juridiques ». Nul n'a été, en effet, plus affranchi de ce que l'on pourrait appeler la déformation professionnelle. Nul n'a échappé avec plus d'aisance et de désinvolture au pédantisme, à la morgue, à la prétention d'infaillibilité que tant d'esprits médiocres rapportent des grandes manufactures de mandarins. Il n'avait rien de l'opérateur ni du mage et faisait journellement de l'érudition sans en être dupe. Sa correspondance intime nous livre à ce propos des boutades humoristiques bien amusantes.

Ainsi il écrit de la campagne par une journée d'avril : « Combien ce serait agréable de vivre dans ce printemps fleuri... de respirer la bonne senteur des bois qui bourgeonnent. Oh ! comme cela vous grise! Ce n'est pas ma faute si la folle poésie se réveille et chante dans mon cerveau!... Dieu m'est témoin que j'ai assez empilé d'in-folios sur ma pauvre tête. Il reste toujours quelque atome de dynamite qui fait tout éclater au premier souffle du printemps. J'ai emporté avec moi une cargaison d'indigestes volumes écrits dans des charabias divers et tous aussi ennuyeux les uns que les autres. Laissons-les sommeiller dans un coin et courons le long des chemins verts où il fait si bon rêver. Plus de meule à traîner, plus déchaîne; se sentir libre comme un bandit


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qui a pris le maquis, vagabonder à la façon des sauvages. Oh! la douce chose! »

La notice sur Tamizey de Larroque contient, au sujet des réunions amicales où Termite de Gontaut conviait dans son célèbre pavillon Peiresc, des lettrés de marque, depuis Léopold Delisle jusqu'à Larroumet, un petit tableau de genre d'un pittoresque achevé.

« Je me vois encore près du regretté maître, en face du portrait de Peiresc qui préside comme une divinité familière à ces dîners-causeries : à sa droite, le bon chat Rousseau, tout marqueté de jaune, très calme, très digne, comme il convient à un chat philosophe ; à sa gauche, sa compagne Gredinette qui a le tort de justifier quelquefois son nom par de traîtres coups de griffe ; une fenêtre ouverte du côté du nord laisse entrer l'air salubre tout imprégné de l'odeur des bois dont nous apercevons les mouvants ombrages.... Pas un bruitdans cette solitude... » Un peu plus loin M. Brissaud nous fait gravir avec lui, tout en haut, au troisième étage, le cabinet de travail de l'éditeur de Peiresc, une vraie cellule monastique. « Rien que des murs nus, des étagères chargées de livres, de tous côtés des fenêtres d'où l'on domine une vaste campagne..., la plaine riante où dans des bouquets de verdure, sur les bords d'un ruisseau dont on peut suivre [le cours, se cache à moitié la coquette ville de Gontaud; au loin, dans la brume dorée du soir, la Garonne par fragments, en plaques étincelantes... »

L'image malgré nous très insuffisante que nous essayons de donner de notre regretté confrère serait trop incomplète si nous ne disions un mot de certaines idées qui lui étaient chères et dont l'affirmation ne l'effraya jamais, même dans les temps et les circonstances les plus défavorables.

M. Brissaud était un vrai libéral, en donnant à ce mot non pas le sens étriqué et paradoxal que lui a trop souvent infligé le jargon des politiciens, mais en lui laissant son acception la plus simple et la plus naturelle. C'était un libéral qui aimait sincèrement la liberté et qui savait la servir avec courage, surtout pour les autres. Sa conception du


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libéralisme le faisait inséparable de la droiture et de la loyauté. Il avait horreur des expédients, des faux-fuyants, des mensonges, et détestait peut-être plus encore les hypocrisies que les brutalités. Et ne croyez pas que la lumière sereine des temples de l'étude où se complaisait son intelligence assoupît dans un engourdissement égoïste les délicatesses de sa conscience. Incapable de haine envers les personnes, il l'était d'indulgence pour les mauvaises actions et les lâches complicités; et en dépit de sa douceur inaltérable, sa nature généreuse n'admettait sous aucun prétexte et dans aucun but les atteintes à la vérité, à la justice et à l'honneur.

Vous n'avez pas oublié, Messieurs, au sein même de nos paisibles travaux, quelques belles envolées de sa verve incisive et mordante, où se trahissait, il y a peu d'années, la vivacité de ses impressions intérieures. On y reconnaissait l'intraitable fermeté de l'homme de bien et l'on y découvrait aussi, non sans charme, que la fréquentation de Philippe de Beaumanoir et de Pierre de Fontaines ne lui avait pas fait négliger Aristophane.

Ainsi, plus on étudie cette noble ligure, plus elle se rehausse et s'éclaire. Où l'observateur superficiel n'aurait vu qu'un fouilleur de textes, un traducteur exact et limpide, un juriste subtil, se révèle par mille traits décisifs, une intelligence synthétique, à grande portée, une brillante imagination, une personnalité énergique qui commande l'affection et le respect.

Malheureusement cette âme d'élite, si vaillante, si véritablement maîtresse du corps qu'elle animait, s'inquiétait peu d'en ménager les forces; avec une gaieté et une bonne grâce qui étaient chez lui une forme voulue de la bienveillance, il abusait de sa puissance de travail, et malgré des prodiges continus de tempérance, de sagesse, de recueillement intime, il aggravait les fragilités d'une constitution impressionnable à l'excès et sujette à des commotions pleines de danger.

Ces conditions, si peu favorables à la tension exagérée d'un esprit toujours en éveil n'avaient pas échappé à sa péné-


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tration, et l'on retrouve dans sa correspondance quelques notes imprévues dont l'événement fait trop reconnaître aujourd'hui le caractère prophétique. Il écrivait en 1900 :

« Au coin du feu où me retient une grippe tenace, je trouve une minute entre deux paquets d'épreuves.... De ma fenêtre, j'aperçois un laurier, haut comme la maison, qui aurait fait l'admiration du vieil Homère et que le vent pluvieux de l'ouest plie jusqu'à le rompre. Au fond du ciel courent de gros nuages noirs chassés par ce forcené souffleur. Si je m'écoutais, je passerais toute la journée à regarder courir ces nuages, plier ce bel arbre et à écouter cette musique du vent. En vérité, je crois que c'était là mon unique vocation... Il y a des heures où, en dépit de mon énergie, j'ai la nostalgie de ce farniente qui me fuit de plus en plus... Je plie sous le faix, comme le laurier que le vent secoue. Chaque heure m'apporte un labeur nouveau... J'ai un arriéré énorme. Impossible de lire, de penser... La tête m'en tourne... heureusement que même la maladie, mon hôte trop fréquent, ne chasse pas ma vieille bonne humeur. Un jour, sans doute, vous me verrez grincheux comme une douairière que l'âge force à renoncer au monde... Mais ce jour n'est pas encore arrivé. Je vais toujours, mélancolique parfois, triste même, mais jamais morose. Mon souhait secret est d'être doux et bon, même à la mort, le jour où il lui plaira de frapper à ma porte. Ce voeu se réalisera-t-il1?»

Au mois de mai 1903, M. Brissaud éprouva une violente secousse morale ; M. Philippe Brissaud, son père, à qui une très vigoureuse constitution semblait promettre de longs jours, venait de s'éteindre, après une courte maladie. La profonde douleur de cette perte se compliqua chez son fils d'un sentiment imprévu et peu conforme à l'ordre naturel des choses, l'étonnement de lui survivre. On en trouve une expression bien touchante dans cette lettre du 2 mai :

« Mon père vient de mourir. Vous savez tout ce qu'il a fait pour moi... Il n'est aucun sacrifice devant lequel il ait

1. Lettre à M. Alexandre Guasco.


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reculé... Je n'ai pas besoin de vous dire combien cette séparation m'accable. Je ne pouvais croire qu'elle se produirait, tant mon père était robuste. Ma pensée était que je le précéderais dans la tombe. Mieux vaut cependant que j'aie été là pour lui fermer les yeux. Advienne de moi ce que Dieu voudra. J'ai la consolation de savoir que dans ses dernières années et dans ses derniers moments mon cher père a été entouré des soins et de l'affection qu'il méritait.

« Ma mère me prie de recommander l'âme de notre cher défunt à vos bonnes prières. »

Quinze mois après avoir écrit cette lettre émouvante, ce fils si dévoué, si respectueux, devenu lui-même le plus vigilant et le plus tendre des chefs de famille, allait prendre place à côté de son père, dans le cimetière ensoleillé de la colline natale.

Il avait suffi d'un excès de fatigue, de quelques instants d'immobilité dans une salle trop fraîche ou traversée de courants d'air perfides, après une marche précipitée à la recherche d'un livre oublié, pour déterminer un refroidissement qui, traité d'abord comme une indisposition sans conséquence, prit en deux jours une gravité irréparable. L'année universitaire s'achevait. La fin des cours, des conférences, des examens, des réunions académiques allait rendre pour quelques mois la liberté à cet esclave du devoir et le ramener dans sa résidence favorite où ses enfants l'avaient déjà devancé et où l'appelait son impatience, quand ce coup de foudre du 13 août 1904, vint briser brutalement tant de joies, de tendresses et d'espérances.

Un groupe restreint d'amis et de confrères put seul, à cause de la dispersion des vacances, participer au triste voyage. Une affluence considérable attendait le convoi, donnant à la douloureuse cérémonie le caractère d'un deuil public. Nombre d'habitants des communes limitrophes s'y trouvaient rassemblés et témoignèrent ainsi de leur considération pour une famille entourée de l'estime générale et des regrets inspirés par la disparition d'un homme qui faisait honneur au pays.


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Notre éminent confrère M. Paget, traduisit nos sentiments avec l'accent d'une émotion profonde, et la parole imagée d'un ami d'enfance, d'un condisciple au « cher petit collège de Miramont » évoqua, au milieu de la tristesse générale, les plus doux souvenirs du passé.

Regrets impuissants, vains témoignages que le temps emporte, comme il entraîne, dans sa fluidité implacable, les témoins eux-mêmes. Heureusement, quand ils auront tous disparu, restera dans le suprême asile des bibliothèques, l'oeuvre considérable du maître où se manifeste la vivacité de son intelligence, la conscience de ses recherches, l'originalité toute personnelle de son esprit et cette belle droiture, cette loyauté à toute épreuve qui sont le plus noble caractère de l'homme de bien.

TRAVAUX IMPRIMÉS DE M. BRISSAUD.

1879. De la notion de cause dans les obligations conventionnelles

conventionnelles droit romain et en droit français. (Bordeaux, 1 vol. in-8°.)

1880. Le droit des neutres sur mer, de M. Gessner (Berlin).

(Rev. gén., p. 92.)

— Les études sur le droit de tester, du comte de CornulierLucinière.

CornulierLucinière. gên., p. 230.)

— Une nouvelle école de criminalistes (V Uomo delinquente,

par C. Lombroso). (Rev. gén., p. 325.)

— Les principes régissant l'administration de la justice aux

Indes-Orientales, de M. Winckel (Amsterdam). Rev. gén., p. 483.)

1881. Les droits de la femme dans la famille du mari au point

de vue du droit international et privé. (Rev. gén., pp. 18 et 159.) Le divorce, de M. Millet. (Rev. gén., p. 179.)

— L'état actuel des relations internationales avec les ÉtatsUnis

ÉtatsUnis matière de marques de commerce, de M. Clunet. (Rev. gén., p. 292.)

10e SÉRIE. — TOME V. 22


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1881. Les aphorismes sur la peine de mort, de M. Pfotenhauer.

(Rev. gén., p. 294.)

— Les lois et la procédure civile de Berne, de M. Koenig

(Berne). (Rev. gén., p. 294.)

— Le rétablissement de la peine de mort, de M. Hilty. (Rev.

gén., p. 294.)

1882. Le préliminaire de conciliation, de M. Darnaud. (Rev.

gén., p. 93.)

— Documents juridiques de Stytrie et de Carinthie, de

MM. Bischoff et Schönbach (Vienne). (Rev. gén., p. 199.)

— Histoire des conventions obligatoires, de M. Seuffert

(Nordlingen). (Rev. gén , p. 199.)

— La constitution de partie civile dans les affaires de banqueroute,

banqueroute, M. Piccolo (Palerme). (Rev. gén., p. 296.)

— De la déconfiture et des liquidations judiciaires. (Rev.

gén., p. 324.)

— La notice de M. Aloy sur la ville et juridiction de la Sauvetat

Sauvetat Caumont. (Rev. gén., p. 387.)

— La procédure civile et criminelle du canton de Zurich,

de M. Meili. (Rev. gên., p. 390.)

— Le projet de Code pénal militaire pour la Confédération

suisse, de M. Hilty. (Rev. gén., p. 390.)

1883. Le nouveau Code de commerce italien. (Rev. gén.,

p. 151.)

1884. La statistique pénale et les criminalistes italiens. (Rev.

gén., p. 36.)

— Quelques mots de M. Duguit sur la famille primitive.

(Rev. gén., p. 285.)

— La théorie sociologique et juridique du commerce, de

M. Papa d'Amico. (Rev. gén., p. 485.) 1886. Les origines de la stipulation; lecture académique. (Ac. lég., L, p. 244.)

— Les études historiques de M. Girard sur la formation du

système de la garantie d'éviction en droit romain. (Rev. gén., p. 93.)

— Note sur les origines de la saisine héréditaire. (Rev.

gén., p. 252.) — Le téléphone et la loi de M. Norsa. (Rev. gén., p. 491.) 1888. Le référendum en Suisse. (Rev. gên., p. 402.)


ÉLOGE DE M. BRISSAUD. 339

1889. Le culte chez les Romains, par Joachim Marquardt, traduit

traduit l'allemand avec l'autorisation de l'éditeur. (Paris, Thorin.)

— Rapport sur les concours ordinaires de l'Académie de

législation pour l'année 1888. (Ac. lég., p. XXVII.

— L'étude historique et juridique sur l'entreprise du canal

du Midi exécutée en Languedoc de 1666 à 1682 par Riquet et son fils, livre de M. H. Saint-Marc, agrégé de la Faculté de droit de Bordeaux. (Rev. Pyr., I, p. 133.)

1890. L'Étude sur le nouveau Code civil du Monténégro avec

des remarques sur la codification en général et sur le nouveau projet de Code civil allemand, traduite de Karl Dickel.

— Les vieilles religions de l'Amérique et le culte chez les

Romains (d'après Gaidoz, Spencer, Lubbock, Réville, Marquardt); lecture académique du 13 février. (Ac. sc, 9e série, II, p. 213.)

— Testament de dame Claude Boysson, femme d'un marchand

marchand (XVIe siècle). (Soc. arch., 1890, p. 39).

— La neutralité de la Suisse, de M. Hilty. (Rev. gén.,

p. 287.)

— Les études de droit international, de M. Rouard de Gard.

(Rev. gén., p. 369.)

— Les textes de droit romain, de M. Girard. (Rev. gén.,

p. 564.)

1891. L'organisation militaire chez les Romains, par J. Marquardt,

Marquardt, sur la 2e édition allemande. (Paris, Thorin.)

— La loi salique et le droit romain (Ac. sc, 1891, IX, 3e,

p. 209); lecture académique du 11 février; discussion de l'opinion de M. Tardif sur les influences romaines dans la loi des Francs Saliens.

— Rapport sur le nouveau Code civil du Monténégro. (Ac.

lég., XXXIX, p. 273.)

— Rapport sur les travaux de M. J. Lefort (L'assurance

sur la vie au profit d'un tiers). (Ac. lég., XXXIX, p. 284.)

— Les actions noxales, de M. Girard. (Rev. gén., p. 182.)

— Les droits de l'époux survivant sur la succession de son

conjoint, de M. Rouard de Card. (Rev. gén., p. 366.)


340 . SÉANCE PUBLIQUE.

1891. Les principes fondamentaux de la pénalité dans les systèmes

systèmes plus modernes, de M. Vidal. (Rev. gén., p. 459.)

— Chants de noces de l'Agenais, recueillis à Cambes et à

Fauillet. (Rev. Pyr., III, p. 1025.)

1892. Observations sur le mariage d'après le nouveau Code

civil espagnol; lecture académique du 11 février. (Ac. sc, IX, 4e, p. 176.)

— Les théories politiques et le droit international en France

jusqu'au dix-huitième siècle, de M. Nys. (Rev. gén., p. 93.)

— La méthode dans l'enseignement du droit et les réformes

de 1889, de M. Appleton. (Rev. gén., p. 176.)

— L'annuaire politique de la Confédération suisse, de

M. Hilty. (Rev. gén., p. 185.)

— Le droit de grosse avarie, de M. Heck. (Rev. gén.,

p. 284.)

— Les études sur le droit prussien, de M. Dickel. (Rev.

gén., p. 285.)

— Le chèque, de M. Kuhlenberg. (Rev. gén., p. 287.)

— Le traité élémentaire d'organisation judiciaire, de compétence

compétence de procédure, de M. Bonfils. (Rev. gén., p. 372.) — Les destinées de l'arbitrage international depuis la sentence du tribunal de Genève, de M. Rouard de Gard. (Rev. gén., p. 460.)

— La liquidation de la Société commerciale, de M. Sraffa

(Rev. gén., p. 474.)

— La possession des meubles d'après le Gode civil italien,

de M. Fodera. (Rev. gén., p. 475.)

— Conciliation de quelques lois du Digeste, de M. Carnazza.

(Rev. gén., pp. 477-78.)

— Opinion de M. Garofalo sur les novem tribuni combusti.

(Rev. gén., p. 478.)

— Ce que l'on pense en Allemagne des Facultés de droit

françaises. (Rev. gén., p. 541.)

— Les coutumes municipales de Foix sous Gaston Phêbus,

de M. Pasquier. (Rev. gén., p. 570.)

1893. La charte des coutumes d'Escazeaux. (Ann., p. 124.)


ÉLOGE DE M. BRISSAUD. 341

1893. La légende de Tannhäuser; lecture académique du 16 février.

février. sc, IX, 5e, p. 144.)

— Le manuel de droit commercial, de M. Goldschmidt (Berlin).

(Berlin). gén., p. 185.)

— La paix de Dieu et la paix du pays, de M. Huberti (Ansbach).

(Ansbach). gén., p. 188).

— Les Pandectes, leçons générales, de M. Hoelder (Leipzig).

(Rev. gén., p. 190.)

— Le manuel d'histoire du droit italien depuis les invasions

germaniques jusqu'à nos jours, par M. G. Salvioli, de Palerme. (Rev. gén., p. 475.)

— L'épigraphie romaine en Espagne dans ces dernières années

années d'Italica publiée par Manuel Rodriguez de Berlamenga, Malaga), 1891. Actes de MarcAurèle et de Commode pour réduire la dépense des combats de gladiateurs. (Rev. Pyr., V, p. 520.

1894. Histoire des sources du droit romain, de M. Paul Krüger,

traduite de l'allemand. — Étude sur le régime des biens entre époux à l'époque franque; lecture académique du 8 février. (Ac. sc, IX, 6e, p. 519.)

— La jeunesse de Geibel; lecture académique du 5 juillet.

(Ac. sc, IX, 6e, p. 421.)

— L'histoire du droit romain, de M. Voigt. (Rev. gén.,

p. 79.)

— Les lois agraires à Rome, de M. Weber (Stuttgard). (Rev.

gén., p. 82.)

— L'histoire des sources du droit romain dans le haut

moyen âge, de M. Gonrat (Leipzig). (Rev. gén., p. 85.)

— Les assemblées de citoyens romains, de M. Schulten.

(Rev. gén., p. 87.)

— La constitution japonaise, de M. Vladimir Pappafava.

(Rev. gén., p. 96.)

— La nationalité française, de M. Rouard de Gard. (Rev.

gén., p. 178.)

— Le droit romain dans les lois normandes et souabes du

royaume de Sicile, de M. Brandileone (Turin). (Rev. gén. p. 287.)

— Le traité théorique et pratique de droit commercial, par

M. Vivante, de Bologne. (Rev. gén., p. 381.)


342 SÉANCE PUBLIQUE.

1894. Le commentaire pratique des lois de 1893 sur la nationalité,

nationalité, M. Campistron. (Rev. gén., p. 362.)

— Les origines de la paraphrase grecque des Institutes, de

M. Ferrini (Bologne). (Rev. gén., p. 378.)

— La présomption en droit romain, de M. Ferrini (Modène).

(Modène). gén., p. 379).

— Le traité de droit ecclésiastique catholique et évangélique,

évangélique, M. Friedberg, édition italienne de l'avocat Ruffini, de Pavie. (Rev. gén., p. 379.)

— Les contributions à l'étude critique des sources du droit

romain, de M. Ferrini. (Rev. gén., p. 380.)

— Le droit impérial et le droit populaire dans les provinces

orientales de l'empire romain, de M. Mitteis (Prague). (Rev. gén., p. 572.)

— La tutelle, la curatelle et le conseil, d'après le Code Napoléon

Napoléon le droit provincial de Bade, de M. Barazetti (Heidelberg). (Rev. gén., p. 574.)

— Publication de Tamizey de Larroque : Deux livres de

raison dans l'Agenais. Livre journal de Pierre de Bessot. (Rev. Pyr., VI, p. 195.)

— La nouvelle revue historique du droit français et étranger,

étranger, Articles de MM. Thibault, Lot, Beaudouin, Paul Fabre. (Rev. Pyr., VI, p. 197.)

1895. Recherches sur la tutelle des femmes dans l'ancien droit

franc; lecture académique du 7 février. (Ac. sc, IX, 7e, p. 488.)

— La mancipation, de M. Bauby. (Rev. gén., p. 86.)

— L'irresponsabilité des actes chez les aliénés, de M, Parant.

Parant. gén., p. 181.)

— Rapport sur la responsabilité civile des notaires, de

M. E. Bauby. (Ac. lég., XLIII, p. 218.)

— Le vol des choses héréditaires, de M. Többen (Goettingue).

(Goettingue). gén., p. 382.) — La tutelle familiale dans le droit franc, de M. Opet (Innsbrück).

(Innsbrück). gén., p. 284.) — L'origine du projet de paix perpétuelle dans les Mémoires

de Sully, de M. Kukelhaus (Berlin). (Rev. gén., p. 284.)

— La peine de mort devant la nécessité, la justice et la

morale, de M. Borso di Carminati (Valence). (Rev, gén., p. 381.)


ÉLOGE DE M. BRISSAUD. 343

1895. La théorie de l'absence chez les Romains, de M. A. Sacchi

Sacchi (Rev. gén., p. 383.)

— La publicité de la vente dans l'ancien droit, de M. G. Salvioli

Salvioli (Rev. gén., p. 383.)

— La bénédiction nuptiale jusqu'au concile de Trente, pratique

pratique doctrine en Italie du treizième au seizième siècle, de M. Salvioli. (Rev. gén., p. 384.)

— Le délaissement en droit romain, de M. Vanni. (Rev.

gén., p. 573.)

— L'essence de la bonne foi, de M. Bonfante (Rome). (Rev.

gén., p. 575.)

— La juste cause de l'usucapion, du même. (Ibid.)

— Les Coutumes de Moissac. (Bulletin de la Soc. archéol.

de Tarn-et-Garonne, XXIII, p. 333.

— Le marabout, sonnet. (Le Quercy, 1er juillet. Montauban,

E. Forestié.)

— Byrsa, sonnet. (Le Quercy, 15 juillet.)

— Le Pâtre, sonnet. (Le Quercy, 1er novembre.)

1896. La paix du roi et le mundium royal sous les deux premières

premières lecture académique du 13 février. (Ac. sc, IX, 8e, p. 634.)

— Quelques observations sur l'enseignement dans les

Facultés de droit. (Rev. gén., p. 5.)

— Le mensonge et la fraude dans le droit musulman, de

M. Freund (Hanovre). (Rev. gén., p. 89.)

— L'analyse sommaire de la loi russe du 12 juin 1890 sur

les corps représentatifs des provinces et districts, de M. Pappafava. (Rev. gén , p. 90.)

— La procédure d'exécution sur la personne du débiteur à

l'époque barbare, de M. Horten (Vienne). (Rev. gén., p. 93.)

— Les origines de la charte de Berne, de M. Opet. (Rev.

gén., p. 93.)

— Les notions historiques sur la condition juridique des

étrangers, de M. Pappafava. (Rev. gén., p. 91.)

— Le rapport de littérature juridique de MM. Herman,

de Salis, Sommer et Reatz. (Rev. gén., p. 92.)

— Le caractère déclaratif du partage dans l'ancien droit et

dans le droit actuel, de M, Rouard de Gard. (Rev. gén., p. 470.)


344 SÉANCE PUBLIQUE.

1896, Projet de lettre au Ministre de l'Instruction publique

pour appuyer les demandes déjà faites en vue de centraliser dans chaque département les minutes des notaires, 17 décembre. (Ac. sc, 9e série, IX, p. 502.)

— Virgo coelestis, sonnet (Le Quercy, 1er janvier.)

— Le sac de Carthage, sonnet (Le Quercy, 1er septembre).

— Le croissant, sonnet. (Le Quercy, 1er octobre.)

— Le voyage nocturne, El Wakia, sonnets. Le Quercy, 15 octobre.)

— Paroles d'un croyant, La Légende, sonnets. (Le Quercy,

31 décembre, p. 11.)

— Les ruines de Carthage (22 sonnets), signé Michel Neuville.

Neuville. Forestié.)

1897. Des preuves dans l'ancien droit germanique; lecture académique

académique 11 février. (Ac. se, IX, 9e, p. 508.)

— Un libéral au dix-septième siècle : Claude Joly. (Ac.

lég., XLVI, p. 1.

— Les restitutions des grands, par Claude Joly. (Rev. de

dr. intern. publ., p. 97.)

— Appréciation des travaux de M. Fauchille, fondateur de la

Revue de droit international publie (Ac. lég., XLV,

p. LXIX,)

— Notice biographique sur M. Ginouilhac. (Ac. lég., XLV,

p. 357.)

— Compte rendu des oeuvres de M. Pierre de Tourtoulon

Tourtoulon d'une étude de M. Stouff sur les comtes de Bourgogne et leurs villes domaniales. (Ac. lég., XLVII,

p. LXXXVII.)

— L'histoire des formes d'introduction dans la procédure

allemande, de M. Opet. (Rev. gén., p. 200.)

— L'histoire du droit privé allemand, de M. de Thudichum

(Tubingue). (Rev. gén., p. 201.)

— L'annuaire de la Société internationale de jurisprudence

comparée, de MM. Bernhoft et Meyer. (Rev. gén., p. 205.)

— Le rapport de littérature juridique dans la revue de

M. de Kiechenheim. (Rev. gén., p. 207.)

— De l'utilité de l'étude de l'histoire du droit. (Rev. gén.,

p. 539.)

— La Croix, sonnet (Le Quercy, 1er mars, p. 9.)


ÉLOGE DE M. BRISSAUD. 345

1898. Manuel de l'histoire du droit français (sources, — droit public,— droit privé) à l'usage des étudiants en licence et en doctorat (1re partie). Paris, A. Fontemoing. 2e partie, 1899 et 1900; 3e partie, 1904.

— Étude sur la législation juive; lecture académique du

10 février. (Ac. sc, Bull., I, 1re, p. 74.)

1898. Le droit dans la Saga de Nial (Islande, onzième siècle).

(Ac. lég.)

— Les Coutumes des Aryens de l'Indou Kouch. (Rev. gén.,

p. 24.)

— L'histoire du droit allemand, de M. Frommhold (Greifswald).

(Greifswald). gén., p. 90.)

— Le recueil des travaux de la Société d'agriculture, sciences

sciences arts d'Agen. tt. XI, XII et XIII (1889-97). (Ann., p. 247.)

— Le don du fiancé à Rome et dans les provinces romaines

avant Justinien, de M. Larocque. (Rev. gén., p. 569.)

— Le mariage après les invasions, de M. Meynial (Montpellier).

(Montpellier). gén., p. 571.)

— Philippe Tamizey de Larroque, notice nécrologique

(Messager de Toulouse); (Rev. Pyr., X, p. 385; Revue de Gascogne.)

1899. Le mariage juif ; lecture académique du 9 février (Ac.

se Bull., II, 2).

— Quelques coutumes pyrénéennes. (Ac. lég.)

— Les grands domaines romains, de M. Schulten (Weimar).

(Weimar). gén., p. 84.)

— L'obligation en droit lombard, de M. Horten. (Rev. gén..

p. 85,) La suspension du droit de succession dans le droit romain et le droit autrichien, de M. Steinlechner. (Rev. gén., p. 86.)

— L'évolution du droit et des moeurs, de M. Hildebrand.

(Rev. gén., p. 88.)

— La tutelle des femmes dans le droit franc, de M. Opet.

(Rev. gén., p. 90.)

— La Revue de l'Agenais et des anciennes provinces du

Sud-Ouest (1897-98). (Ann., p. 103.)

— Les traités entre la France et le Maroc, de M. Rouard de

Gard. (Rev. gén., p. 175.)


346 SÉANCE PUBLIQUE.

1899. La vie et les oeuvres de Placentin et les oeuvres de Jacques

Jacques Revigny, de M. P. de Tourtoulon. (Ann., p. 412.)

— L'enfance de Jésus, poème provençal du quatorzième

siècle, de M. G. Rossi (Bologne). (Ann., p. 412.)

— Les leçons d'introduction à l'histoire du droit matrimonial

matrimonial de M. Ch. Lefebvre. (Ann., p. 468.)

— La législation civile de la Révolution française (17891804),

(17891804), M. Ph. Sagnac. (Ann., p. 512.)

1900. Comment saint Louis rendait la justice; lecture académique

académique 8 février. (Ac. se Bulletin, III-II, p. 187.)

— Quelques observations sur le mariage par achat chez les

Germains. (Ac. lég., XLVIII, p. 167.)

— Lézat, sa coutume, son consulat, de MM. Le Palenc et

Dognon. (Ann., p. 92.)

— La vue de Toulouse au seizième siècle, de M. A. Deloume.

Deloume. p. 135.)

— L'évolution historique du droit civil français, de M. Edm.

Picard (Bruxelles). (Rev. gén., p. 377.)

— Le chapitre XXX de l'Édit de Luitprand, de M. Brandileone

Brandileone (Rev. gén., p. 471.) La législation théâtrale de l'Allemagne, par M. Opet. Berlin, 1897. (Rev. gén., p. 571.)

— Les « cimetières confessionnels », de M. de Thudichum.

(Rev. gén., p. 573.) — Rapport sur le concours de 1900 de la Classe des Inscriptions et Belles-Lettres(Les anciennes coutumes de Bigorre). Lecture du 10 juin. (Ac. sc. Bullet., III, p. 348.)

— La couvade en Béarn et chez les Basques. (Rev. Pyr.,

XII, p. 225.)

1901. Recherches sur les anciennes coutumes de Barcelone,

Vsatici Barchinone patrie (1068); lecture académique du 31 janvier. (Ac. sc, XI, p. 359.)

— Rapport sur les travaux de M. Whiteway, vice-consul

britannique à Pau. (Ac. lég., L, p. LXXII.)

— La Revue de l'Agenais (1898). (Ann., p. 568.)

— Le Recueil des travaux de la Société d'agriculture, scien-


ÉLOGE DE M. BRISSAUD. 347

ces et arts d'Agen, tt. XIII et XIV, 1897-1900. (4nn., p. 570.)

1902. De l'application des lois wisigothiques dans le midi de

la France; lecture académique du 30 janvier, (Ac. sc, X, II, p. 321.)

— La société d'acquêts entre époux dans les lois wisigothiques.

wisigothiques. Léonce Couture, p. 65.)

— Les renonciations au moyen âge et dans notre ancien

droit, de M. Maynial. (Ann., p. 139.)

— La nouvelle revue historique de droit français et étranger.

étranger. p. 256.)

— Les études sur la Fronde en Agenais et ses origines, de

M. L. Couyba. (Ann., p. 430.) — Discours présidentiel à l'Académie de législation. (Ac. lég., L, p. 1.)

— Sur certains cas de propriétés indivises dans les Pyrénées..

Pyrénées.. lég., L, p. LYXVI.)

— Compte rendu de la Revue de l'Agenais (28e année 1901).

(Ann. midi, p. 587.)

1903. L'Afrique et le droit international. (Rev. gén., p. 308.)

— L'histoire du droit du midi de la France, discours présidentiel

présidentiel à la séance publique de l'Académie des Sciences de Toulouse, le 7 juin. (Ac. sc, p. 403; Rev. Pyr., XV, p. 361.)

— Enumération des publications relatives à l'histoire du

droit du midi de la France de 1890 à 1900. (Krilisches lahresbericht über die fortschritte der romanischen Philologie, de Karl Wollmöller.)

— Notes juridiques sur le testament de Pons de Cervière,

texte roman inédit du haut Rouergue (1255). Ann., p. 67.)

— La misère en Agenais de 1600 à 1629 et la grande famine

famine 1630-31, de M. Couyba. (Ann., p. 439.)

— La manufacture des toiles à voiles d'Agent de M. Granat.

(Ann., p. 442.)

— Les occupations militaires en Italie pendant les guerres

de Louis XIV, de M. J. Lameire. (Ann., p. 444.)


348 SÉANCE PUBLIQUE.

1903. Le château de Saint-Puy. ses anciens seigneurs et la

famille du maréchal de Monluc, de M. Judet de la Combe. (Ann., p. 578.)

— La question juive en France en 1789, de M. J. Maynial.

(Ann., p. 580.)

— Les lois des Wisigoths, de Zeumer. (Ann., p. 581.)

1904. Le bréviaire d'Alaric, de M. Max Conrat (Leipzig, Ann.,

p. 297.)

— Essai sur l'origine de la noblesse en France au moyen

âge. (Paris, 1902). — (Ann., p. 519.)

— La politesse française; discours présidentiel en séance

publique du dimanche 29 mai. (Ac. sc, 10e série, IV, p. 321.)


RAPPORT GÉNÉRAL SUR LES CONCOURS DE 1905. 349

RAPPORT GENERAL

SUR

LES CONCOURS DE 1905

Par M. DUMAS 1.

Dans la séance de clôture de l'un des derniers Congrès des Sociétés savantes, le Président chargé de porter la parole au nom de M. le Ministre soutint une thèse qui me parut tout d'abord paradoxale et à laquelle cependant je commence à me rallier. Mettant en parallèle les obligations sociales, la vie agitée, tourmentée et sans cesse troublée du savant parisien avec les loisirs, le calme et le recueillement dont on jouit en province, il affirmait que pour bien travailler on est mieux placé en province qu'à Paris. En parcourant l'utile et précieux répertoire des publications des Sociétés savantes des départements, ou plus simplement en consultant les Bulletins, les Mémoires des Sociétés et des Académies toulousaines, je me demande si la thèse qui me semblait paradoxale ne contient pas une grande part de vérité. Je n'essaierai pas d'en faire la démonstration ; la modestie des membres de l'Académie s'en trouverait offensée et le président peut-être m'imposerait silence.

Mais ce n'est pas seulement par les travaux personnels de leurs membres que les Académies et Sociétés savantes

1. Lu dans la séance publique du 18 juin 1905.


350 SÉANCE PUBLIQUE.

des départements jouent un rôle utile et louable: c'est aussi en encourageant, en stimulant par tous les moyens les travailleurs locaux, en créant autour d'elles un mouvement intellectuel qui, quoique modeste, n'en offre pas moins des satisfactions agréables à ceux qui savent s'y mêler. Les Académies toulousaines doivent plus que les autres faire preuve d'activité; elles ne peuvent pas oublier qu'elles ont la charge et l'honneur de défendre et de soutenir une réputation solidement établie, qui pour quelques-unes est plus que séculaire, et qu'elles vivent et agissent dans la ville savante, dans la cité palladienne.

Notre Académie, fière de ses origines et de son histoire, qu'un de nos savants confrères a eu l'heureuse idée de nous faire connaître, remplit avec autant de zèle que le lui permettent ses modestes ressources le rôle qui lui est assigné et elle a la satisfaction de constater que ses efforts sont couronnés de soccès. Nos concours sont suivis, nos récompenses sont recherchées, et tous les ans le rapporteur a la bonne fortune de pouvoir signaler des ouvrages d'une réelle valeur, des mémoires consciencieux et solides, qui deviendront plus tard des livres justement appréciés. Il y a une autre constatation que l'Académie tient à faire, et qu'en ma qualité d'universitaire je suis heureux de souligner, c'est que tous les ans, parmi les lauréats, il y a un ou plusieurs instituteurs. Quelques-uns de ces vaillants éducateurs du - peuple, quoique surchargés d'une tâche écrasante, que n'ont certes pas allégée les oeuvres post-scolaires, trouvent encore le temps de travailler, de fouiller les archives et de perfectionner leur instruction tout en augmentant nos connaissances. L'Académie leur adresse à tous, lauréats et concurrents, ses bien sincères félicitations.

Les concours de Tannée 1905 n'ont pas été inférieurs aux précédents. La Classe des Sciences n'avait à décerner que des médailles d'encouragement. Il faut bien reconnaître, et l'Académie n'hésite pas à en faire l'aveu, que c'est un peu insuffisant; mais elle ne verrait aucun inconvénient à ce qu'un généreux donateur, qu'il s'appelât ville de Toulouse


RAPPORT GÉNÉRAL SUR LES CONCOURS DE 1905. 351

ou département de la Haute-Garonne, lui permît de faire davantage. Deux Mémoires ont été adressés à l'Académie. Le premier a pour titre : Etudes d'ethnographie générale de l'élevage en Lauraguais, et pour devise : « Sans le boeuf, le pauvre et le riche auraient beaucoup de peine à vivre. » L'auteur s'est proposé de décrire les différentes espèces d'animaux domestiques du Lauraguais. Il insiste particulièrement sur les espèces bovine et ovine. Dans un court exposé historique, il rappelle les terribles épizooties du dix-huitième siècle qui, malgré les mesures énergiques prises sous le ministère de Turgot, détruisirent en grande partie le gros bétail dans le midi de la France; puis il en étudie la reconstitution. Il admet que c'est surtout la race garonnaise qui a servi à reconstituer le bétail du Lauraguais. Mais sous l'influence du milieu et des croisements, le type primitif s'est modifié; il s'est formé des types nouveaux, des variétés, des sous-variétés dont l'auteur étudie les qualités et les défauts. C'est de beaucoup la partie la plus intéressante de son Mémoire.

Les chapitres consacrés aux espèces ovine, caprine, porcine, canine et de basse-cour sont moins étendus et ne font guère que résumer, en les rectifiant sur quelques points, des travaux déjà publiés.

L'auteur nous renseigne aussi sur les pratiques de production, d'élevage, d'échanges, de ventes; il nous fait connaître les habitudes des propriétaires et il nous donne quelques traits de moeurs curieux et intéressants.

Malheureusement, ce Mémoire laisse à désirer en ce qui concerne l'ordre...; il y a bien des longueurs inutiles. L'auteur, entraîné par un sujet qui le passionne, n'a pas su se borner. Toutefois, comme son travail prouve un véritable dévouement à l'intérêt commun et qu'il sera d'une grande utilité pour ceux qui voudront faire un tableau complet du Lauraguais, l'Académie est heureuse de lui décerner une médaille d'argent de 2e classe..

Le second Mémoire est une Etude sur les lichens de l'arrondissement de Ville franche (Haute-Garonne). Il a pour


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auteur M. Fagot, notaire à Villefranche-de-Lauraguais. M. Fagot n'a pas décrit les espèces de lichens qu'il a recueillies; il les a simplement énumérées en indiquant les localités où il les a récoltées et en renvoyant aux principaux ouvrages où elles ont été étudiées. Le travail de M. Fagot dénote une compétence d'autant plus méritoire que la spécialité qu'il a choisie est plus ingrate et que les guides qu'il a pu trouver sont plus rares; aussi, l'Académie est-elle heureuse de lui décerner une médaille d'argent de 1re classe.

La Classe des Lettres, plus favorisée cette année-ci que celle des Sciences, avait à distribuer des médailles d'encouragement, le prix Ozenne et le prix Gaussail.

Pour l'obtention de médailles d'encouragement, l'Académie a reçu un certain nombre d'ouvrages dont deux seulement lui ont paru dignes d'être mentionnés. Le premier a pour auteur M. Lambercy et a pour titre : Au pays de sainte Germaine. C'est un ouvrage agréable à lire, mais sans recherches originales sur le sujet; il ne contient aucun document nouveau et n'a d'autre mérite que quelques impressions personnelles dues à une excursion à Pibrac et racontées d'une façon pittoresque. Le second a pour auteur M. l'abbé Dufor, ancien aumônier militaire et actuellement curé de Labarthe-Rivière. L'abbé Dufor a soumis au jugement de l'Académie trois petits volumes, ayant pour titre : De viris illustribus, mulieribus rebusque Convenarum. Il s'est proposé, en les composant, de faire aimer davantage son pays natal en le faisant mieux connaître. C'est là, assurément, un but louable; c'est un mérite aussi d'écrire dans un style vif, alerte, imagé, primesautier et bien personnel; mais l'abbé Dufor ne connaît pas ou tout au moins ne pratique pas la véritable méthode historique, et, en dépit de ses assertions, sa documentation est insuffisante. Aussi l'Académie, tout en rendant hommage au sentiment patriotique qui l'a inspiré et à la persévérance tenace avec laquelle il a accompli son oeuvre, ne peut que le remercier de son envoi et reconnaître le mérite et les qualités littéraires dont il a fait preuve.


RAPPORT GÉNÉRAL SUR LES CONCOURS DE 1905. 353

La seule médaille que l'Académie ait cru devoir décerner est attribuée à un travail d'une haute importance et qui rendra de grands services. Il a pour auteur M. Roumieux, greffier de la Cour d'assises de la Haute-Garonne. Mettant à profit les loisirs intermittents que lui laisse la procédure, M. Roumieux a classé et inventorié les archives du greffe de la Cour d'appel de Toulouse, qui possède tous les dossiers des juridictions ordinaires et extraordinaires de 1790 à 1810. Il est question de, réunir cette importante série à la section judiciaire des archives départementales de la Haute-Garonne pour en permettre la consultation par les intéressés. Les dossiers étant pêle-mêle, dans un désordre invraisemblable, il n'était pas possible de songer à leur transfert avant d'en entreprendre au moins le classement sommaire. Le personnel des archives ne pouvait être distrait de ses occupations habituelles pour s'adonner à cette tâche ; c'est alors que M. Roumieux s'est offert spontanément pour mettre en ordre liasses et cahiers. Il a eu la patience de débrouiller tous les dossiers, de les grouper, de constituer des séries et de rédiger un répertoire contenant les noms des parties en cause, ce qui facilitera singulièrement les recherches.

Actuellement l'oeuvre touche à sa fin et l'installation des pièces pourra bientôt s'effectuer dans le local qui leur est réservé aux archives du palais.

En accordant à M. Roumieux une médaille d'argent de 1re classe, l'Académie n'a pas voulu seulement récompenser l'oeuvre très méritoire qu'il a accomplie et à laquelle elle se plaît à rendre hommage, mais elle espère que son exemple sera suivi pour le plus grand profit des. études historiques. Sans compter les archives privées qui réservent plus d'une découverte aux chercheurs, ils sont encore nombreux les fonds des dépôts communaux ou hospitaliers qui n'ont jamais été l'objet d'un dépouillement méthodique. L'Académie serait heureuse de stimuler le zèle des travailleurs et de leur donner un témoignage de son estime comme celui qu'elle décerne aujourd'hui à M. Roumieux.

10e SÉRIE. — TOME V. 83


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Pour la première fois, notre Compagnie avait à décerner le prix Ozenne. Deux ouvrages nous ont été adressés pour ce concours; mais l'un d'eux a été écarté sans examen parce qu'il avait déjà été récompensé par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. L'autre ouvrage, auquel nous n'avons pas hésité à décerner le prix, non pas parce qu'il n'avait pas de concurrent, mais à cause de sa valeur réelle, a pour titre : Les chroniques de la Faculté de médecine de Toulouse, du treizième au vingtième siècle, et il a pour auteur M. Barbot, docteur en médecine.

M. Barbot n'est pas un inconnu pour l'Académie qui a déjà couronné quelques-uns de ses travaux historiques et qui est heureuse de lui accorder aujourd'hui la plus haute récompense dont elle dispose.

Les Chroniques de la Faculté de Médecine représentent plusieurs années de travail, elles forment deux volumes in-8° de 850 pages environ, illustrés d'une centaine de dessins, de portraits et de plans hors texte.

Le premier volume, le plus important, renferme l'histoire de la Faculté depuis ses origines (1229) jusqu'à la Révolution ; le second comprend la période contemporaine de 1793 à 1905.

Peut-être eût-il mieux valu que l'auteur limitât ses recherches à la matière du premier volume, afin de donner plus d'ampleur, plus de solidité, plus de cohésion à l'étude de l'ancienne Faculté, et il eût certainement trouvé dans l'immense et si riche collection des Comptes de l'Hôtel-de-Ville sur les services publics des professeurs de médecine, des chirurgiens-jurés et des médecins des hôpitaux, des renseignements suffisants pour compléter ceux que lui avaient déjà fournis sur les vieux maîtres toulousains les archives notariales et les registres du Parlement. Mais avec une trop rare modestie, M. Barbot déclare dans sa préface qu'il n'entend pas faire oeuvre d'historien et qu'il n'a voulu que poser pour ses successeurs les jalons indicateurs d'une histoire complète et définitive. L'Académie espère que M. Barbot écrira lui-même cette histoire, nul n'est assurément mieux désigné ni plus qualifié.


RAPPORT GÉNÉRAL SUR LES CONCOURS DE 1905. 355

Bien que M. Barbot n'ait pas d'autre prétention que celle d'être un simple chroniqueur, ces deux volumes n'en présentent pas moins un véritable intérêt. Dans un premier chapitre, il étudie l'origine et l'enfance de l'Université de Toulouse, née du naufrage de la nationalité méridionale à la suite des guerre religieuses du treizième siècle; il consacre le second chapitre à la Faculté des arts dont jusqu'au seizième siècle releva à Toulouse l'enseignement de la médecine; puis il montre dans les chapitres suivants l'épanouissement de la Faculté de médecine au seizième, au dix-septième et au dix-huitième siècles. Les chirurgiens et l'enseignement de la chirurgie, les apothicaires et les accoucheurs, enfin l'Hôtel-Dieu, c'est-à-dire l'enseignement clinique, sont ensuite l'objet de chapitres spéciaux. Cette étude est exclusivement faite avec des textes sobrement commentés et en majeure partie inédits.

Le second volume, tout en laissant la place principale aux textes, donne un peu plus d'ampleur à l'histoire proprement dite de la Faculté. Il prend la Faculté de médecine au milieu des troubles révolutionnaires et la montre se réorganisant péniblement, à côté de la Société de médecine, par l'enseignement provisoire, jusqu'à la création de l'Ecole impériale de médecine et de chirurgie en 1806; il étudie ensuite la création de l'Ecole secondaire de médecine et de pharmacie en 1820, sa transformation en Ecole préparatoire en 1840, sa réorganisation en 1855, son ascension à l'Ecole de plein exercice en 1887 et son triomphe comme Faculté mixte en 1891. En terminant, M. Barbot rend un hommage mérité à tous ceux qui par leur énergie, leur activité et aussi leur habileté ont su triompher de toutes les difficultés et ont réussi à doter Toulouse d'une Faculté dont la prospérité croissante est la meilleure justification et la meilleure récompense de leurs efforts.

Les deux volumes de M. Barbot sont d'un intérêt pénétrant. Il s'en dégage pour nous non seulement l'attrait d'une esquisse historique judicieusement conçue et puisée à ses sources originales, mais encore, par le spectacle de la puis-


356 SEANCE PUBLIQUE.

sante vitalité de notre Ecole de médecine, quelque chose de réconfortant pour l'avenir.

Le prix Gaussail reste toujours la plus importante de nos récompenses, et il l'était cette année plus que les précédentes, puisque nous disposions d'une somme de 1,500 francs. Nous n'avons cependant reçu que deux Mémoires en vue de ce concours. L'un a pour titre : Application du concordat dans le département de la Haute-Garonne, et pour devise les paroles suivantes de Portalis : « Le magistrat politique peut et doit intervenir dans l'administration extérieure des choses sacrées. » Il a pour auteur M. Gros, inspecteur primaire, à Foix. Le second a pour titre : Histoire de l'enseignement primaire public à Toulouse (1687-1815) et pour devise la phrase bien connue de Condorcet : « L'instruction est le besoin de tous et la société la doit également à tous ses membres. » Il a pour auteur M. Dupont, directeur de l'école du Sud, à Toulouse.

Le premier Mémoire, qui compte 436 pages, est sérieusement et solidement documenté. L'auteur connaît, cite et discute à l'occasion les ouvrages écrits sur la question; mais il s'appuie surtout sur des documents inédits puisés dans les archives départementales de la Haute-Garonne et dans les archives municipales de Toulouse. Le plan suivi est méthodique et clair. Dans une introduction qui est l'un des chapitres les plus intéressants du Mémoire, l'auteur étudie la situation religieuse du département à la veille du Concordat, et il arrive à cette conclusion, basée d'ailleurs sur des documents, que la grande masse de la population, fatiguée des luttes incessantes entre réfractaires et assermentés, désirait un accord. Sermet lui-même, le métropolitain de Toulouse, aspirait à la paix, à l'unité, à la réunion des esprits et des coeurs. Toutefois, des raisons d'ordre, de tranquillité et de calme ne furent pas le seul mobile qui fit agir le gouvernement français.

Le désir qu'avait Bonaparte de faire de l'Église un des éléments de son pouvoir, de se servir de son action morale pour mieux asseoir sa propre autorité contribuèrent


RAPPORT GÉNÉRAL SUR LES CONCOURS DE 1905. 357

pour une grande part à la conclusion du Concordat. C'est un point de vue un peu trop négligé par l'auteur qui n'a pas su ou voulu se dégager suffisamment des documents locaux. Le Concordat fut aussitôt suivi des articles organiques, et l'auteur a raison de dire que les mille incidents de la vie religieuse d'alors influèrent certainement sur leur rédaction définitive. L'Etat avait-il le droit de les imposer? Quel accueil leur réserva l'Eglise? voilà d'importantes questions que l'auteur aurait dû examiner en détail, car elles expliquent bien des événements ultérieurs.

Le Concordat et les articles organiques furent immédiatement communiqués aux préfets. Celui de la Haute-Garonne, Richard, s'empressa de féliciter Portalis : « Le Concordat, dit-il, produira les meilleurs effets. Vous avez prévenu dans ses différentes dispositions tous les abus qu'on pouvait craindre de la part de la puissance sacerdotale et vous avez réduit les ministres de la religion à n'avoir d'autre ambition que celle de se distinguer par leurs vertus et leur attachement à leurs devoirs. » Quelle fut l'impression produite sur les esprits dans la Haute-Garonne par la signature du Concordat? L'auteur croit qu'elle fut favorable, mais c'est de sa part une affirmation gratuite qui ne repose sur aucun document. Il eût été nécessaire de l'établir avec preuves à l'appui. On est également surpris que l'auteur, faisant une étude sur le Concordat, n'ait pas cru devoir citer le texte de cette convention. Il se contente d'en faire une courte analyse; il l'interprète même parfois d'une façon inexacte lorsqu'il affirme qu'il n'y a dans cet accord « qu'une reconnaissance peu nette » de la légalité de la vente des biens du clergé. L'article 13 est pourtant formel sur ce point là. Il est ainsi conçu : « Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l'heureux rétablissement de la religion catholique, déclare que ni elle, ni ses successeurs ne troubleront en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés et qu'en conséquence la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus y attachés demeureront incommutables entre leurs mains ou celles de leurs ayants droit.


358 SEANCE PUBLIQUE.

Bonaparte n'aurait jamais transigé sur un point aussi important.

L'application du Concordat souleva dès le début bien des difficultés. La première et la plus délicate provenait de la situation des évoques et des curés constitutionnels. Par l'article 3, le Pape invitait les évoques, pour le bien de la paix et de l'unité, à donner leur démission. Mais le gouvernement pouvait-il sacrifier ces évoques et ces prêtres qui avaient soutenu la Révolution et qui bien souvent encore étaient restés des modèles de piété et de vertu? S'il avait suivi les conseils discrets venus de Rome, s'il avait obéi aux injonctions des réfractaires, rentrés en France après le 18 brumaire, il aurait laissé de côté tous les constitutionnels ; mais en agissant ainsi c'était renier toute l'oeuvre religieuse de la Révolution ; c'était commettre de véritables injustices, c'était mécontenter l'opinion publique, c'était s'incliner devant Rome. Le premier Consul était à la fois trop habile et trop autoritaire pour commettre une faute semblable. Il préféra transiger, et il décida que parmi les soixante prélats qui seraient placés à la tête des nouvelles circonscriptions diocésaines il y aurait deux archevêques et dix évêques choisis parmi les constitutionnels.

Le nouvel archevêque de Toulouse, Primat, était précisément un ancien évêque constitutionnel, et c'est pour cela que l'aristocratie toulousaine lui montra toujours une sourde hostilité. Les Académies lui firent un meilleur accueil; il fit partie do l'Académie des Jeux Floraux et de celle des Sciences et Belles-Lettres. Il fut plus tard sénateur, comte de l'Empire et commandeur do la Légion d'honneur. Très respectueux des lois, d'esprit très modéré et très conciliant, Primat facilita la mise en vigueur du régime nouveau dans la Haute-Garonne. Il avait d'ailleurs en face do lui le préfet Richard qui savait nettement revendiquer les droits du pouvoir civil et n'admettait pas la moindre ingérence du clergé dans les affaires temporelles. Son successeur, Desmousseaux, à partir de 1806, suivit la môme tactique.

Entrant ensuite dans le détail de l'application du Concor-


RAPPORT GÉNÉRAL SUR LES CONCOURS DE 1905. 359

dat, l'auteur étudie successivement l'organisation paroissiale, le personnel ecclésiastique, la réglementation du culte, les conflits inévitables entre réfractaires et constitutionnels, entre maires et curés, et la surveillance des congrégations et des confréries. Son exposé est net et consciencieux, mais un peu terne; il ne sait dégager aucune idée générale; il ne sait pas rendre vivant un récit qui pouvait si facilement donner lieu à des développements intéressants. Parfois aussi il pose des questions qu'il ne résout pas et que des recherches plus approfondies lui auraient tout au moins permis d'éclaircir. Les difficultés furent grandes, surtout pour la fixation du nombre des paroisses et pour le choix des curés et des desservants. Toutes les communes, même les plus pauvres, désiraient avoir leur prêtre; elles auraient cru déchoir si elles n'avaient pas obtenu cette satisfaction; mais elles montraient moins d'empressement pour assurer à ce prêtre qu'elles sollicitaient une existence, non pas décente, mais seulement acceptable. Aussi, après une courte expérience, le gouvernement se décida-t-il à prendre à sa charge le traitement des desservants, à la condition que l'archevêque ne maintiendrait que le nombre de paroisses strictement nécessaires pour l'exercice du culte et qu'il supprimerait toutes celles où le prêtre avait peine à vivre. Le choix des curés et des desservants fut souvent l'objet de longues négociations. Certaines paroisses ne voulaient que des constitutionnels; d'autres, persistant a les considérer comme hérétiques, ne voulaient, au contraire, que des réfractaires, ou tout au moins des constitutionnels qui auraient rétracté ce qu'on appelait leurs anciennes erreurs. Mais Bonaparte ne veut pas de rétractations; il donne l'ordre formel de traiter les constitutionnels d'une manière favorable. De là des conflits que l'archevêque aurait le plus souvent facilement apaisés si les réfractaires n'avaient été soutenus et secrètement encouragés par le vicaire général de Cambon. Pour avoir la paix, plusieurs constitutionnels signèrent une sorte de rétractation et le calme reparut vers la fin de 1804.


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Les règlements de police qui suivirent le Concordat soulevèrent eux aussi de nombreuses réclamations. L'Eglise n'était pas habituée à s'incliner devant l'autorité civile, et malgré l'énergie du préfet, malgré le soin qu'il mettait à surveiller l'application des règlements, malgré les recommandations qu'il faisait aux maires, les curés et les desservants en prenaient trop souvent à leur aise. Ils affichaient publiquement leur mépris pour les ordonnances, alors même qu'elles étaient contresignées par l'archevêque; ils multipliaient notamment les sonneries de cloches, et comme cet abus a subsisté, les protestations du préfet Richard sont pour ainsi dire encore d'actualité. Les voici telles qu'il les adresse à Fouché, ministre de la police, le 1er fructidor an XII : « Des abus intolérables se sont introduits dans la sonnerie des cloches, particulièrement à Toulouse. Vous pouvez juger de cet abus par ce seul fait : la sonnerie commence dans toutes les églises dès trois heures du matin. Les citoyens, surtout ceux qui se trouvent placés dans le voisinage des églises, sont continuellement troublés dans leur sommeil, dans leurs affaires, dans leurs études; les maisons les plus rapprochées des églises perdent de leur valeur; les malades sont incommodés jour et nuit par ce bruit assourdissant; dans les cabinets d'étude, les bibliothèques, les maisons d'éducation, situées à proximité des églises, tout travail devient impossible; on se plaint de toutes parts. Aussi, le préfet croit-il de son devoir de délivrer ses administrés du genre singulier d'oppression que constituent ces sonneries également inutiles et illicites. »

L'auteur termine par un chapitre sur les protestants et sur les juifs et par une étude sur la « Petite église », comprenant ceux qui, plus papistes que le Pape, considéraient comme hérétique le clergé concordataire. Dans sa conclusion, il fait très justement ressortir les avantages réciproques que le clergé et l'Etat ont retiré du Concordat.

Ce résumé sommaire suffit à faire comprendre l'intérêt que présente le Mémoire soumis au jugement de l'Académie. Il est net, méthodique et clair. Remanié, complété, rectifié sur cer-


RAPPORT CÉNÉRAL SUR LES CONCOURS DE 1905. 361

tains points, il formera un bon chapitre de l'histoire religieuse de la France au début du dix-neuvième siècle. Aussi l'Académie, sur le montant du prix Gaussail, accorde-t-elle à M. Gros une récompense de 400 francs.

Le second Mémoire, qui a pour titre : l'Histoire de l'enseignement primaire public à Toulouse de 1687 à 1815' est un énorme manuscrit de 500 pages. Par sa sobriété, sa précision, son abondante documentation, ce Mémoire se prête plus difficilement à l'analyse que le Mémoire précédent. J'essaierai cependant d'en dégager la substance et d'en faire ressortir les mérites. Sans nous donner, bien à tort d'ailleurs, aucun renseignement sur l'état de l'instruction avant 1687, M. Dupont aborde brusquement le sujet qu'il s'est proposé de traiter et, dans une première partie, il expose ce qui a été fait sous l'ancien régime pour répandre l'instruction dans le peuple. C'est là une question très controversée parce que l'esprit de parti ne cesse d'intervenir, et aussi parce que, suivant les régions qu'on étudie, les réponses peuvent varier, les efforts et par suite les résultats n'ayant pas été partout les mêmes. Le tort qu'ont eu les historiens de l'enseignement primaire, c'est de vouloir généraliser trop tôt. On ne pourra porter un jugement exact que lorsqu'on aura fait pour la France entière ce que M. Dupont a fait pour Toulouse et les paroisses environnantes. Avec lui, nous marchons sur un terrain sûr; nous connaissons le nombre des maîtres, celui des élèves; nous sommes renseignés sur les livres en usage, sur les méthodes, sur l'installation matérielle des écoles, et nous sommes obligés de reconnaître que les conclusions qui se dégagent de son étude ne sont pas favorables à l'ancien régime. Dans le diocèse de Toulouse, trente et une paroisses seulement sur deux cents avaient des écoles, et encore quelles écoles et quels maîtres ! !

Abordant ensuite la période révolutionnaire, M. Dupont constate que l'instruction du peuple tient une grande place dans les préoccupations du gouvernement et des administrations départementales et communales; mais tant qu'il n'y


362 SÉANCE PUBLIQUE.

eut pas une loi générale sur l'enseignement, tant que l'Etat ne prit pas en main la direction de l'instruction, il n'y eut que des efforts isolés et des résultats médiocres. Cette loi si impatiemment attendue fut enfin votée le 29 frimaire an II (19 décembre 1793). Elle établissait la liberté de l'enseignement, réglait les matières d'enseignement, les directions pédagogiques, le traitement des maîtres; elle obligeait les parents à envoyer leurs enfants aux écoles du premier degré; enfin, elle établissait la gratuité. L'application de la loi fut rendue presque impossible parce qu'on manquait de maîtres capables et de locaux suffisants. Il faut bien dire aussi que le traitement offert aux maîtres et aux maîtresses n'était pas très attrayant et que beaucoup de ceux qui auraient pu être des instituteurs passables préféraient courir à la frontière pour défendre leur pays contre les envahisseurs. La municipalité toulousaine fit néanmoins les plus louables efforts et les plus sérieux sacrifices pour donner aux enfants du peuple l'instruction dont ils avaient tant besoin.

La question des locaux destinés aux écoles créées à Toulouse, par application de la loi du 29 frimaire an II, n'était pas entièrement réglée lorsque la Convention vota la loi du 27 brumaire an III. Elle était due à Lakanal, l'un de ceux qui, dans la Convention, firent le plus pour l'organisation en France de l'instruction publique à tous les degrés. M. Dupont analyse longuement cette loi et il a raison d'en faire l'éloge, parce que c'était une loi libérale, généreuse et réalisant des progrès considérables. Notre loi de 1882 a fait de larges emprunts à celle du 27 brumaire. Malheureusement, la loi ne pouvait créer les maîtres. Un bon instituteur ne s'improvise pas. Sans doute, les municipalités secondèrent le pouvoir central; sans doute aussi, les représentants en mission activèrent la mise en pratique de la loi, mais on ne put recruter assez d'instituteurs et peut-être les programmes étaient-ils trop ambitieux pour l'époque.

Pour remédiera ces difficultés,'le ministre de l'Intérieur, Benezech, fit voter la loi du 3 brumaire an IV qui réduisait


RAPPORT GÉNÉRAL SUR LES CONCOURS DE 1905. 363

les écoles à trois ou quatre par canton et simplifiait les programmes. Mais déjà la réaction royaliste et cléricale rendait difficile la situation des instituteurs, et les avantages qu'on leur offrait n'étaient pas une compensation suffisante. De plus, la question des locaux fut toujours pour eux le sujet de nombreuses difficultés. La loi ne donna donc pas tous les résultats qu'on pouvait en espérer.

M. Dupont montre avec le plus grand détail l'application et le résultat de chacune de ces lois pour Toulouse et les communes environnantes, et il nous permet ainsi de porter nous-mêmes un jugement motivé qui, presque toujours d'ailleurs, concorde avec le sien.

Malgré les insuccès qu'il constate, M. Dupont a raison de rendre hommage à l'oeuvre scolaire de la Révolution. Il n'hésite pas à avouer que tout ne fut pas parfait. « Mais, ajoute-t-il, si l'on songe qu'il fallait tout créer pour l'instruction primaire, si l'on se représente les déchirements au milieu desquels eut lieu l'enfantement des premières lois scolaires et leur application, on ne peut s'empêcher de reconnaître que ce qui fut fait est à tous les points de vue admirable. »

Le Consulat et l'Empire ne suivirent pas pour l'instruction primaire les traditions révolutionnaires; ils en confièrent le soin aux familles et aux municipalités, et la loi de floréal an X détruisit à peu près complètement tout ce qui survivait encore de l'oeuvre de la Convention. A de très rares exceptions près, les municipalités se désintéressèrent complètement de la mission qu'on leur confiait; parfois même, pour des raisons financières, elles firent preuve de mauvaise volonté et, en 1809, l'enseignement primaire était réduit presque à rien dans le département. Le 'préfet s'en consolait; il écrivait, en effet, au grand-maître de l'Université « que si les habitants des campagnes n'avaient pas d'école primaire dans leur commune ils n'étaient pourtant pas dépourvus de moyens de premier enseignement. Il n'est presque pas de village où il n'y ait quelque maître d'école particulier et, à défaut, les desservants se font un plaisir


364 SÉANCE PUBLIQUE.

d'élever un certain nombre d'enfants moyennant de très modiques rétributions. » Il ne restait plus rien du gigantesque effort fait sous la Révolution.

En terminant, M. Dupont rend l'hommage qu'ils méritent à tous ceux qui ont voulu donner au peuple le minimum d'instruction qui lui est indispensable et à tous ceux qui se sont dévoués à cette tâche si honorable.

J'en ai dit assez pour montrer l'intérêt que présente le Mémoire de M. Dupont. Son grand mérite, c'est de former une oeuvre d'ensemble, de ne rien avancer sans preuves, d'éviter les déclamations, les digressions oiseuses. Peut-être cependant M. Dupont fera-t-il bien, avant de livrer son Mémoire à l'impression, de rectifier ou tout au moins d'atténuer certains de ses jugements. Il faut savoir être juste, surtout envers ses adversaires. Mais l'Académie ne fait pas siennes les doctrines exposées dans les Mémoires qu'elle couronne, et elle est heureuse de reconnaître la valeur du travail de M. Dupont en lui accordant le prix Gaussail d'une valeur de 800 francs.

En terminant, je me permets d'adresser au nom de l'Académie un chaleureux appel à tous les travailleurs. Qu'ils viennent à nous et nous leur réserverons toujours l'accueil le plus bienveillant. Qu'ils nous envoient des livres et des manuscrits; nous serons d'autant plus satisfaits que la corvée qu'ils nous imposeront sera plus lourde, et si nous ne pouvons pas tous les récompenser selon leurs mérites, nous le ferons du moins aussi largement que nous le permettent les modestes ressources dont nous disposons.


SUJET DU PRIX PROPOSÉ PAR L'ACADÉMIE. 365

SUJET DU PRIX

PROPOSÉ

PAR L'ACADÉMIE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

DE TOULOUSE POUE L'ANNÉE 1906.

PRIX ORDINAIRE

Médaille d'or de 500 francs.

L'Académie a proposé pour sujet du pris de physique à décerner en 4906 la question suivante :

Etude thermique d'un gaz liquéfié; son application à la théorie des machines.

PRIX GAUSSAIL.

Pour se conformer scrupuleusement aux intentions de Mme veuve A. GAUSSAIL et aux résolutions prises dans les séances des 8 mars 1883 et 4 avril 1889, l'Académie décernera tous les ans, et pour la vingtième et unième fois, en 1906, sous la dénomination de prix Gaussail, une récompense à l'auteur dont le travail manuscrit


366 SÉANCE PUBLIQUE.

paraîtra le plus digne de cette distinction. (Les travaux de l'ordre scientifique concourront seuls pour ce prix en 1906.)

Ce prix, pour 1906, est fixé à 1,134 francs. Il n'est imposé aucun sujet particulier aux concurrents, qui sont libres de choisir parmi les matières variées qui font l'objet des études de l'Académie, dans les Sciences.

PRIX DE L'ACADEMIE

PRIX OZENNE.

Depuis l'année 1905, et pour se conformer aux volontés du fondateur, l'Académie décerne chaque année, et alternativement pour les Sciences et pour les Inscriptions et Belles-Lettres, un prix de 306 francs qui porte le nom de Prix Ozenne, à l'auteur de la découverte ou du travail qui, par son importance, entre les communications faites à l'Académie, paraît mériter le mieux cette distinction.

Les travaux imprimés sont admis à concourir pour ce prix, pourvu que la publication n'en remonte pas au delà de trois années, et qu'ils n'aient pas été déjà récompensés par une Société savante.

Les travaux de l'ordre scientifique concourront seuls pour ce prix en 1906.

MÉDAILLES.

L'Académie décerne aussi, dans sa séance publique annuelle, des prix d'encouragement : 1° aux personnes qui lui signalent et lui adressent des objets d'antiquité (monnaies, médailles, sculptures, vases, armes, etc.), et de géologie (échantillons de roches et de minéraux, fossiles d'animaux, de végétaux, etc.), ou qui lui en transmettront des descriptions détaillées, accompagnées de figures;

2° Aux autours qui lui adressent quelque dissertation, ou observation, ou mémoire, importants et inédits, sur un des sujets scientifiques ou littéraires qui sont l'objet des travaux de l'Académie;


SUJET DU PRIX PROPOSÉ PAR L'ACADÉMIE. 367

3° Aux inventeurs qui soumettent à son examen des machines ou des procédés nouveaux introduits dans l'industrie et particulièrement dans l'industrie méridionale.

Ces encouragements consistent en médailles de bronze ou d'argent, de première ou de seconde classe, ou de vermeil, selon l'importance des communications. Dans tous les cas, les objets soumis à l'examen de l'Académie sont rendus aux auteurs ou inventeurs, s'ils en manifestent le désir. (Les manuscrits ne sont pas compris dans cette disposition.)

Le nombre de ces médailles est illimité.

DISPOSITIONS GENERALES.

I. Les Mémoires destinés au prix ordinaire et au prix Gaussail ne seront reçus que jusqu'au 1er janvier de l'année pour laquelle le concours est ouvert; ce terme est de rigueur.

II. Les Mémoires et communications concourant pour le prix Ozenne et pour les médailles d'encouragement devront être déposés, au plus tard, le 1er avril de chaque année.

III. Tous les envois seront adressés, franco, au Secrétariat de l'Académie, rue des Potiers, 11, ou à M. ROSCHACH, secrétaire perpétuel, place extérieure, Saint-Michel, 3.

IV. Les Mémoires seront écrits en français ou en latin, et d'une écriture bien lisible.

Y. Les auteurs des Mémoires pour les prix ordinaire et Gaussail, écriront sur la première page une sentence ou devise ; la même sentence sera répétée sur un billet séparé et cacheté, renfermant leur nom, leurs qualités et leur demeure; ce billet ne sera ouvert que dans le cas où le Mémoire aura obtenu une distinction. Dans le cas où le Mémoire obtiendrait une récompense autre que celle pour laquelle il concourt, le pli cacheté ne sera ouvert que sur la demande de l'auteur prévenu par la voie des journaux.

VI. Les Mémoires concourant pour les prix ordinaire et Gaussail, dont les auteurs se seront fait connaître avant le jugement de l'Académie ne pourront être admis au concours.


368 SÉANCE PUBLIQUE.

VII. Les noms des lauréats seront proclamés on séance publique le premier dimanche après la Pentecôte.

VIII. Si les lauréats ne se présentent pas eux-mêmes, ils pourront faire retirer leurs prix au Secrétariat de l'Académie, rue des Potiers, 11, par des personnes munies d'un reçu de leur part.

IX. L'Académie, qui ne proscrit aucun système, déclare aussi qu'elle n'entend pas adopter les principes des ouvrages qu'elle couronnera.


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 369

BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE

PENDANT L'ANNÉE ACADÉMIQUE 1904-1905.

M. le Président ouvre la séance par l'allocution suivante :

MESSIEURS,

Permettez-moi, en ouvrant la séance, de vous souhaiter la bienvenue, et de vous dire combien serait complet le bonheur de me retrouver au milieu de vous, si l'un des nôtres, et des plus marquants, ne laissait une place vide.

Depuis notre dernière réunion, un vrai malheur a frappé l'Académie. Le Président de nos séances, le sympathique et érudit Brissaud, a été brusquement enlevé, dans le courant du mois d'août, par une maladie infectieuse que nulle médication n'a pu enrayer.

Nous apprenions par les journaux la sépulture de notre collègue avant d'avoir connu sa mort. Il n'a pas été possible de désigner une délégation pour lui dire un suprême adieu.

L'un de nous, cependant, M. le professeur Paget, encore à Toulouse au moment du décès de notre Président regretté, a pu accompagner sa dépouille mortelle jusques dans le Lot-et-Garonne, où il a exprimé sur sa tombe la part que notre Compagnie prenait à un deuil aussi cruel qu'imprévu.

J'ai moi-même écrit à Mme Brissaud, au nom de l'Académie, en lui exprimant à la fois notre respectueuse sympathie, et nos regrets d'avoir été, au moment des obsèques, dans l'ignorance absolue du douloureux événement.

10e SÉRIE. — TOME V. 34

Séance

de rentrée

du

17 novembre

1904.


StO SEANCES DE NOVEMBRE.

Voici ma lettre :

Fournier, prés Tarascon-sur-Ariège, le 10 août 1904.

MADAME,

Le sort a de ces coups aveugles et brusques qui jettent la désolation dans les familles les plus unies et portent le trouble dans les centres des travailleurs, en enlevant souvent les plus remarquables et les plus aimés.

J'apprends à l'instant, par les journaux, le malheur imprévu qui vous frappe, et qui, atteignant en même temps la science, jette le deuil dans notre Société.

Permettez-moi, Madame, de vous dire, au nom de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres, la part sincère que nous prenons à votre douleur, qui est aussi la nôtre.

Une mort aussi prématurée et aussi cruelle laissera tous les collègues du savant et regretté Président de notre Académie dans une bien pénible stupeur, lorsque, éloignés de Toulouse, ils vont, comme moi, la connaître par la voie des journaux.

Notre cher Président était si doux, si aimable, ses discours rehaussaient si bien le prestige de notre Compagnie, que nous avions tous pour lui une amicale vénération.

Quelle tâche difficile il me laisse personnellement!

Puisque je suis son modeste successeur au fauteuil de Président de l'Académie, je vous prie, Madame, d'agréer pour vous et pour votre famille, l'expression de ma respectueuse sympathie et de ma profonde douleur.

Dr F. GARRIGOU.

Je n'ai, Messieurs, à faire aujourd'hui, ni la biographie de Brissaud, ni son éloge. Un membre de l'Académie sera désigné, en temps voulu, pour remplir ce devoir. Qu'il me soit permis, cependant, de vous rappeler avec quelle incomparable facilité d'assimilation Brissaud résumait chaque lecture; les remerciements qu'il adressait à l'orateur, après une communication, étaient empreints de cette conviction et de cette franchise que reflétait l'expression de son visage; son tact dans les discussions, et dans les critiques qu'il croyait parfois devoir faire, était vraiment exquis.


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADEMIE. 371

Brissaud était le type du collègue le plus aimable et du Président le plus parfait.

Vous m'avez donné, Messieurs, une tâche bien difficile à remplir en me désignant comme son successeur.

Puissé-je, m'inspiranf de ses exemples, acquérir quelquesunes de ses qualités, pour ne p'as vous faire regretter davantage encore celui que nous pleurons ensemble.

Afin d'honorer la mémoire du collègue qui, il y a quelques mois à peine, était notre Président, et pouvait compter parmi les savants les plus éminents de notre Compagnie, je vous propose de lever la séance en signe de deuil. Une délégation, composée de MM. Paget et Dumas, ainsi que de votre Président, sera chargée d'exprimer à Mme Brissaud l'assurance des sympathies et des regrets de l'Académie.

L'Académie approuve les propositions de M. le Président, et la séance est levée en signe de deuil.

L'Académie se forme aussitôt après en Commission pour examiner les propositions du Comité économique, au sujet des mesures à prendre pour améliorer la situation financière.

Après discussion, l'Académie charge M. le Trésorier perpétuel de lui présenter, dans la prochaine séance ordinaire, qui sera tenue sur convocation par billets motivés, un projet de règlement résumant les décisions qui viennent d'être prises.

Ouvrages offerts :

De l'Obésité, par M. le Dr MAUREL.

M. le Président rend compte de la visite de condoléances faite à Mme veuve Brissaud par la délégation nommée à cet effet par l'Académie dans la dernière séance.

M. ROSCHAGH, appelé par l'ordre du travail, lit une Etude sur le camée de Saint-Semin, actuellement au cabinet impérial de Vienne. A l'aide de documents inédits ou publiés de façon fort incom34

incom34


372 SÉANCES DE NOVEMBRE.

plète, il précise, sur quelques points, l'histoire de cette précieuse agate, consacrée au culte augustal et rappelant les succès définitifs des armes romaines en Dalmatie et en Pannonie, sous les ordres de Tibère et de Germanicus. Il expose notamment, avec détails, le curieux procès plaidé devant la grande chambre du Parlement de Toulouse en 1455, sur appel d'un jugement du sénéchal, à l'occasion des démarches tentées par le cardinal de Saint-Marc, opulent collectionneur vénitien, devenu pape quelques années plus tard, sous le nom de Paul II, pour s'assurer la possession du camée. Ces tentatives, demeurées infructueuses grâce à la résistance de l'abbaye et de la municipalité, furent renouvelées, sans plus de succès, après l'élévation du prétendant à la chaire de Saint-Pierre, par l'intermédiaire de son légat, le cardinal d'Arras, Jean de Jouffroy, évêque d'Albi. Abordant ensuite l'histoire de l'enlèvement du camée, sous François Ier, l'auteur rectifie l'opinion accréditée sous forme dubitative par le chroniqueur municipal de l'année 1533, Julien Taboue, et répétée ensuite sans aucune réserve par tous les historiens, d'après laquelle la célèbre agate aurait été emportée à Rome par le pape Clément VII, Jules de Médicis, après le mariage de sa nièce à Marseille. De nombreux témoignages officiels lui permettent d'établir que François Ier, en demandant le camée, après son passage à Toulouse, parlait simplement de le montrer au pape et non de le lui offrir; que ses désirs rencontrèrent une opposition obstinée de la part du Chapitre, de la Confrérie des corps saints et du Conseil de ville, qui ne se résignèrent qu'à la troisième demande. Quand le camée fut remis au roi dans le couvent de Saint Antoine de Vienne, le 24 novembre, il y avait déjà quatre jours que Clément VII avait quitté Marseille, à bord de la nef du comte de Toude, pour atterrir à Livourne et s'embarquer sur les galères d'André Doria. Emportée à la suite de la cour, malgré l'insistance de la députation toulousaine, qui suivit le roi jusqu'à la côte SaintAndré, l'agate augustale paraît avoir séjourné longtemps au château de Fontainebleau, où on la retrouve mentionnée dans un inventaire de 1560 et où Niccolo dell' Abbate, principal auxiliaire du Primatice, en fit une copie peinte. Donné par Ca-


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 373 ;

therine de Médicis aux dominicaines de Saint-Louis de Poissy, le camée y fut volé à la faveur des guerres civiles et passa, après d'obscures péripéties, aux mains de marchands qui le vendirent 10,000 ducats à l'emperereur Rodolphe II.

Après avoir rappelé que Rubens, averti par plusieurs lettres de Peyrose, prit un vif intérêt à ce joyau exceptionnel, projeta de le publier avec le camée de la Sainte-Chapelle, en fit faire une gravure sur cuivre, et suggéra à son fils Albert la pensée d'écrire à ce sujet une fort érudite dissertation. Le lecteur résume sommairement les travaux de Pierre Lambeck, de Bernard de Montfaucon, de Mariette, du marquis Simon Maffei, ; qui fit dessiner l'agate par Daniel-Antoine Bertoli d'Udine, et la fit graver par François Lucchi, de Venise, et enfin ceux de M. Belhomme et de M. de Mély, qui, par le simple rapprochement de l'inventaire descriptif de 1489 et des gravures du dixseptième siècle, a constaté le premier l'indiscutable identité du Camayeu de Saint-Sernin et de la Gemma Augustea de Vienne.

M. le Dr MAUREL, conformément à l'invitation que lui en avait faite l'Académie dans la dernière séance, lit le projet de règlement suivant rédigé d'après les décisions adoptées.

Il est ainsi conçu :

RÈGLEMENT CONCERNANT LES COTISATIONS.

« L'Académie se trouvant dans une situation difficile au point de vue de ses finances et désirant y remédier dans les limites du possible, sur l'avis du Comité économique et du Comité de librairie et d'impression, et après avoir été convoquée à, cet effet, a pris à l'unanimité, dans sa séance du 17 novembre 1904, les décisions suivantes :

« 1° Les associés ordinaires s'imposent une cotisation annuelle de 20 francs ;

« 2° Les membres correspondants seront invités à verser une cotisation annuelle de 10 francs ;

« 3° Ces deux cotisations seront versées à partir de 1905, Elles ne pourront pas être augmentées, mais elles pourront être


374 SÉANCES DE NOVEMBRE.

diminuées, suspendues ou même supprimées dans la suite, si l'état des finances de l'Académie vient à le permettre.

" Mais, de plus, pour compléter ces décisions et fixer l'Académie sur leur application. M. le Trésorier perpétuel propose et l'Académie approuve ce qui suit :

A) A propos de la cotisation des associés ordinaires.

« Cette cotisation de 20 francs sera perçue à partir de l'année 1905 ;

« 2° Elle sera perçue chaque année à partir du moment où le trésorier perpétuel aura fait connaître la situation financière de l'année écoulée, ce qui aura lieu habituellement vers le mois de février de l'année courante. Ce n'est, en effet, qu'à partir de ce moment que l'on pourra savoir s'il y a possibilité de la diminuer;

« 3° La cotisation de l'année courante sera due en totalité par les nouveaux membres, quelle que soit l'époque de leur nomination;

« 4° Elle pourra être rachetée d'une manière définitive moyennant le versement intégral d'une somme de 200 francs et sans déduction des annuités précédemment payées;

« 5° Le montant de ces rachats sera mis en réserve par l'Académie qui, autant que possible, ne se servira que des intérêts.

B) En ce qui concerne la cotisation des correspondants.

« 1° Les membres correspondants nommés avant cette décision n'ayant pas été consultés sur la cotisation que l'Académie a votée seront seulement invités à l'accepter; mais ils seront informés que désormais seuls, ceux qui parmi eux l'accepteront, recevront le compte rendu des travaux de l'Académie ;

« 2° Cette cotisation annuelle de 10 francs sera, pour les nouveaux membres correspondants, obligatoire au même titre que celle des associés ordinaires ;

« 3° Les cotisations seront perçues en même temps que celles des associés ordinaires et dans les mêmes conditions;

" 4° La cotisation de l'année courante sera due en entier par


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 375

les nouveaux membres correspondants quelle que soit l'époque de leur nomination;

« 5° Cette cotisation pourra être rachetée d'une manière définitive moyennant le versement d'une somme de 100 francs, mais sans déduction des années qui auraient déjà été payées;

" 6° Les correspondants qui seront nommés associés ordinaires paieront la cotisation de ces derniers, déduction faite de celle de membre correspondant, si elle a déjà été réglée ;

« 7° Les correspondants passant associés ordinaires qui auront racheté leur cotisation pourront racheter celle d'associé ordinaire en faisant un nouveau versement de 100 francs ;

« 8° Le montant de ces rachats sera mis en réserve par l'Académie qui, autant que possible, ne servira que des intérêts.

C) Versement.

" Le mode de versement est laissé au choix des membres associés ordinaires et des membres correspondants. « Il pourra être effectué : « 1° Directement, dans les mains du trésorier; « 2° A domicile, par l'intermédiaire d'un recouvreur; " 3° Par l'intermédiaire de la poste.

D) Modification de la cotisation. '

« Le montant de la cotisation pourra être modifié chaque année au moment de la liquidation des comptes.

Il suffira que cinq membres en fassent la demande pour que la question de la cotisation soit mise à l'ordre du jour et diminuée si l'Académie le juge convenable. »

Après discussion, l'Académie adopte le projet de règlement ci-dessus et décide qu'il sera porté à la connaissance de tous les associés ordinaires et correspondants.

M. MATHIAS dit que M. Forestier, associé libre, l'a chargé d'informer l'Académie qu'il demandait à participer au versement de la cotisation de 20 francs par an, établie dans la dernière séance pour les associés ordinaires.

1er décembre.


376 SÉANCES DE DÉCEMBRE.

L'Académie accepte volontiers cette demande et charge M. Mathias de remercier M. Forestier.

Ouvrages offerts :

Leçons d'ouverture et de clôture du cours d'hydrologie de 1903-1904, par M. le Dr GARRIGOU.

— M. Juppont fait à l'Académie une communication sur la Terminologie énergétique. (Imprimée page 247.)

8 décembre.

M. Emile CARTAILHAC communique un chapitre de l'ouvrage qu'il prépare sur la Sardaigne préhistorique. Cette île a fourni aux musées de Cagliari, de Sassari, de Rome, à la Bibliothèque nationale, etc., environ quatre-vingts statuettes de bronze d'un style tout particulier. Grossières au premier abord, elles sont cependant assez soignées et assez fines pour qu'on puisse discerner quantité de détails concernant le costume et l'armement. Elles représentent des paysans, des soldats, des prêtres et des dieux. Ce sont des statuettes votives. Il y a aussi des lampes en forme de barques fort curieuses et des animaux peu nombreux d'ailleurs.

On a supposé que tous ces bronzes avaient été fabriqués par ou pour les Sardes mercenaires de Carthage, qui, de retour dans leur pays, agissaient sous l'influence de la civilisation carthaginoise.

M. Cartailhac, loin de les attribuer ainsi aux environs du quatrième et du cinquième siècle avant notre ère, les croit beaucoup plus anciens. Les armes et les outils figurés sur ces statuettes correspondent au deuxième âge du bronze. Les objets avec lesquels on les a trouvés confirment cette donnée. Il existe des liens positifs entre le préhistorique de la Sardaigne et les civilisations anciennes de la Crète, de la Grèce, de l'Asie-Mineure, du quinzième siècle environ.

M. DE SANTI fait à l'Académie une communication sur les Relations de Rabelais avec Jules-César Scaliger.

Les élements de cette étude sont tirés d'une source jusqu'à


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 377

ce jour méconnue, les OEuvres poétiques de Scaliger, publiées à Genève, après la mort de son père, par Joseph-Juste Scaliger, (Poëmata, s. 1. 1574, 2 vol. in-8°.)

Ces deux volumes sont une des sources les plus précieuses et les plus ignorées pour l'histoire littéraire du seizième siècle, car Scaliger a été en relations d'amitié, de polémique ou d'invectives avec presque tous ses contemporains; on y trouve en particulier, sous forme d'épigrammes, l'histoire de tous ses démêlés avec ses concitoyens et ses confrères d'Agen.

Rabelais y est désigné sous un nom de fantaisie, Baryoenus (pour Rabioenus, Rabeloesus), et il est aisé de comprendre, à la lecture des onze pièces qui lui sont consacrées, qu'il s'est mêlé activement à la querelle de Scaliger et de Dolet sur le Ciceronianus d'Erasme. De là, de la part du médecin agenais, aussi bien contre Rabelais que contre Dolet, une haine féroce qu'il satisfaisait à coup d'invectives poétiques et qui, contre le premier, était aggravée par sa jalousie médicale et par sa rancune contre les moines.

Ces pièces, sur l'importance desquelles il est inutile d'insister, nous apprennent entre autres choses que Rabelais était le fils, non d'un cabaretier, comme on l'affirme sans preuves, mais d'un boucher; qu'il avait une réputation atroce de libertin et d'athée, et que, lors de sa mort, le bruit courut, auprès des catholiques d'Agen, qu'il s'était noyé et que son cadavre avait été dévoré par les chiens, comme un impie. On en peut encore tirer quelques inductions intéressantes sur le physique hirsute, débraillé de Rabelais et sur son passage à Agen comme médecin.

Ouvrages offerts par M. le Dr D. CLOS.

1° Des anomalies florales, notamment en agriculture. 2° Allocution prononcée par M. Clos, président, à la séance publique de la Société d'horticulture.

— M. le Secrétaire perpétuel lit un travail envoyé par M. Clos, associé libre, intitulé : Fait d'aubier phosphorescent chez un merisier. (Imprimé p. 1.)

15 décembre.


378 SÉANCES DE DÉCEMBRE.

M. MATHIAS, en discutant les mesures de M. G. Maneuvrier

C

relatives à la détermination de — est conduit à penser que l'ac

l'ac

diabatisme de la phase-compression est d'autant moins parfait

que la course du piston est plus grande. Il est alors conduit,-

dans le cas de l'air et de l'hydrogène, à l'application de la méthode

de Cazin, c'est-à-dire au calcul de l'expérience dans le cas d'une

course nulle du piston au moyen d'une formule d'interpolation

de la forme

n étant le nombre de centimètres de la courbe du piston. Les valeurs limites obtenues

X0 = 1,4026 — dans le cas de l'air.

10 — 1,4000 — dans le cas de l'hydrogène,

doivent remplacer les valeurs admises par M. Maneuvrier; elles sont sensiblement identiques et ne paraissent pouvoir comporter qu'une incertitude inférieure à — Le nombre relatif à l'air

500

ne diffère, en effet, du nombre 1,405 obtenu par Roentgen et que l'on sait être excellent, que de cette très faible quantité, ce qui justifie après coup la correction apportée aux nombres de M. Maneuvrier.

M. le Dr Maurel, trésorier perpétuel, fait connaître les décisions prises par le Comité économique et par le Comité de librairie et d'impression dans la séance du vendredi 16 courant, au sujet de l'impression des travaux lus à l'Académie.

Ces décisions sont résumées dans un projet de règlement dont il donne lecture, mais dont l'examen et l'approbation sont renvoyés à la séance du 22 courant qui sera tenue sur convocation par billets motivés.

22 décembre.

M. GESGHWIND entretient l'Académie de Considérations sur la dépopulation de la France.


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 379

L'excédent des naissances sur les décès est très faible en France: il y a même eu, en 1900, 26,000 décès de plus que de naissances.

Dans la dernière période quinquennale, quand la population a augmenté en France de 13 unités, elle s'est élevée en Allemagne de 147, en Autriche de 116, en Angleterre de 116 et en Italie de 110.

L'émigration si considérable dans ces pays ne compense pas cette infériorité du nôtre, comme on l'affirme parfois. Cette émigration, d'ailleurs, décroît considérablement, en Allemagne surtout, où elle est tombée de 116,000 en 1892 à 21,000 en 1900. Elle n'est pas du reste sans esprit de retour.

Dans la dernière période décennale (1892-1901), l'excédent des naissances de ces quatre puissances de l'Europe occidentale, nos voisines et rivales, a été en moyenne de 11,7 pour mille habitants et par an. En appliquant cette donnée à la France, il en ressort que celle-ci est en déficit annuel de 450,000 existences, si elle ne veut pas perdre son rang actuel.

Il y a en France une moyenne annuelle de 830,000 décès, dont 400,000 au-dessus de 60 et plus de 70,000 de 50 à 60 ans. Aucune réduction ne paraît possible sur ces 470,000, et on ne peut songer, d'autre part, à retrouver le déficit de 450,000 sur les 360,000 restants. Dans ces derniers figurent 146,000 décès d'enfants au-dessous d'un an. Même au cas où, grâce aux progrès réels de l'hygiène infantile et à l'extension de la solidarité et de la charité publiques, nous arriverions à diminuer cette mortalité, bien plus, à la supprimer totalement, cet heureux résultat ne serait qu'un appoint insuffisant au déchet que nous subissons. Et encore toutes ces existences sauvées ne seront-elles pas toujours relativement tarées et susceptibles de n'avoir qu'une descendance précaire ?

C'est la limitation voulue du nombre des enfants qui est la seule cause de ce péril national, et les départements de la région toulousaine figurent parmi les plus atteints. Sur les dix départements de France où l'excédent des décès est le plus élevé, on trouve le Lot-et-Garonne, le Gers, le Lot, le Tarn-et-Garonne et la Haute-Garonne.


380 SÉANCES DE DÉCEMBRE.

Cette plaie sociale se répercute sur le recrutement et l'état sanitaire de notre armée. En France, nous prenons un homme sur moins de deux, tandis qu'en Allemagne on en choisit un sur près de six. Cette supériorité physique du recrutement allemand est encore augmentée par une application judicieuse des ajournements qui permet aux effectifs allemands d'être composés pour moitié d'hommes faits de 23 à 25 ans. Cette constatation jette un certain jour sur la différence de la morbidité et de la mortalité relevée entre les deux armées.

Le péril que crée à la France la faiblesse relative de sa natalité peut-il encore être conjuré? Notre histoire nous permet de croire qu'il ne faut pas désespérer d'un pays qui, même après les plus grands désastres, à toujours figuré à l'avant-garde dans la conquête du progrès.

— Conformément à l'ordre du jour, l'Académie, après discussion, arrête dans les termes ci-après le règlement concernant l'impression des Mémoires et Communications présentées à l'Académie, qui sera imprimé à la suite du règlement voté le 24 novembre dernier.

« Article premier. — Tous les Mémoires et travaux présentés à l'Académie, même par ses associés ordinaires, sont soumis au Comité d'impression, qui peut, soit accorder leur impression sans observation, soit demander certaines modifications, soit n'accorder que l'impression du résumé du travail, soit enfin refuser tout à fait l'impression.

« Art. 2. — Il est accordé à chaque associé ordinaire seize pages d'impression pour son tribut académique.

« Art. 3. — Dans le cas où le Mémoire dépasserait seize pages, les frais du dépassement seraient à la charge de l'auteur, au même prix que paie l'Académie, soit 3fr. 75 c. la page (60 fr. la feuille.)

« Art. 4. — Les membres de l'Académie dont les Mémoires auront moins de seize pages ne pourront pas faire bénéficier leurs confrères des pages dont ils n'auront pas profité. Ils ne pourront pas non plus reporter à leur propre bénéfice ces mêmes pages d'une année à l'autre.


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADEMIE. 381

« Art. 5. — Lorsqu'un membre de l'Académie ne peut user de son droit de lecture au jour déterminé par le tableau, il a la faculté ou bien de demander qu'on lui réserve un autre tour de lecture, ou bien de céder son droit de lecture à un de ses confrères. Dans ce dernier cas, le membre remplaçant bénéficiera de seize pages de plus d'impression, soit trente-deux pages.

« Art. 6. — Les membres correspondants payant la cotisation de 10 francs auront droit chaque année, pour un premier travail, à huit pages d'impression.

« Art. 7. — En dehors des tributs académiques, pour les autres travaux présentés à l'Académie, il est accordé pour chaque communication, aux associés ordinaires et correspondants, trois pages d'impression, et aux étrangers deux pages.

« Art. 8. — Ce règlement pouvant être modifié chaque année, pour que tous les membres de l'Académie puissent s'en inspirer, il est décidé que chaque année il sera rappelé à tous et aussi porté à la connaissance des nouveaux membres dès leur réception. »

— A propos du procès-verbal, le trésorier présente les observations suivantes :

1° Il voudrait qu'il fût entendu que le droit de cession d'un tribut académique ne pût s'exercer que lorsque aucun des membres désignés par l'ordre du jour n'aura satisfait à cette obligation;

2° Il désirerait qu'il fût également entendu par les Comités économique et celui d'impression que, pour l'année 1905, les frais du volume ne pourront pas dépenser 1,800 francs.

On pourrait admettre, par exemple, dès maintenant que si les frais d'impression à la charge de l'Académie devaient dépasser ce chiffre, les derniers mémoires lus à l'Académie seraient reportés à l'année suivante ;

4° Il demande que les règlements concernant la cotisation et l'impression soient portés à la connaissance de tous les membres de l'Académie, honoraires, associés et correspondants, par le procédé que l'on jugera le meilleur.

29 décembre.


382 SÉANCES DE JANVIER.

Les propositions de M. le Trésorier sont acceptées.

— M. ANTOINE informe l'Académie que l'état de sa santé

l'oblige à donner sa démission d'associé ordinaire. L'Académie décide que M. Antoine sera prié de retirer sa démission qui n'est pas acceptée. M. le Président est chargé d'en aviser notre confrère.

— M. CARTAILHAC fait une communication intitulée : L'Art préhistorique. Stylisation des têtes d'animaux figurées. (Imprimée p. 231.)

5 janvier 1905.

M. ANTOINE, en réponse à la lettre que lui a adressée M. le président, écrit que, sur la demande de l'Académie, il retire sa démission.

— M. LAPIERRE entretient l'Académie d'un projet d'Histoire de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, depuis son origine jusqu'à ce jour.

Cette Histoire comprendrait plusieurs grandes périodes :

1° Les origines : Lanternistes, conférences académiques, 1640.

2° Société des sciences (fondation de MM. Gouazé, médecin; Sage, apothicaire; Carrière, chirurgien). Premier Observatoire astronomique, premier Jardin botanique, 1729;

3° Académie royale des sciences, inscriptions et belles-lettres établie par lettres-patentes royales, enregistrées au Parlement (13 juillet 1746). Première assemblée, 21 juillet 1746;

4° Personnel académique. Bio-bibliographie. Continuation et complément de « L'état des membres de l'Académie aux diverses époques de son histoire (1640-1876) », travail de M. le Dr Armieux, publié dans le tome VIII de la septième série des Mémoires.

Cette Histoire sera l'oeuvre de l'Académie tout entière, car chacun de nous pourra apporter sa part contributive. Mais, dès aujourd'hui, le concours de plusieurs membres dans l'ordre scientifique et dans l'ordre littéraire est assuré à cette oeuvre.


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 383

M. le baron DEZASARS DE MONTGAILLARD lit la continuation de son Etude sur l'enseignement des arts du dessin à Toulouse au dix-huitième siècle. (Imprimée p. 140.)

M. GARRIGOU, appelé par l'ordre du travail, lit un mémoire sur un appareil de distillation du vin permettant d'obtenir de l'alcool à 98 ou 100°. (Imprimé p. 4.)

M. le Dr T. MARIE communique à l'Académie une Etude sur le traitement du cancer par les rayons X et donne en même temps les résultats qu'il a obtenus à Toulouse en traitant par cette méthode une centaine de cas plus ou moins graves pendans la seule année scolaire 1933-1904. (Imprimée p. 11.)

— M. le Dr GARRIGOU lit la note suivante à la suite de la communication de M. Marie :

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 janvier 1905.

« A la suite de la très intéressante communication de M. Marie sur le traitement du cancer par les rayons X, j'avais présenté quelques observations. Il me paraît utile de les préciser, de les développer même, et de les annexer au procès-verbal de la séance de ce jour.

« M. Marie ayant dit qu'il fallait comme règle absolue, acceptée par tous dans la pratique radiothérapique, ne faire que chaque cinq jours des séances de rayons X dans le traitement du cancer et mesurer en même temps, soit par le nombre d'H, soit au moyen des pastilles Saboureau, l'intensité des rayons à employer, j'ai fait observer que, dans certains cas, il fallait passer outre à ces indications. Elles deviennent inutiles et peuvent même être, dans certaines manifestations cancéreuses exceptionnellement graves et volumineuses, dangereuses par suite de perte de temps.

<t J'ai cité le cas d'un jeune enfant de onze ans, portant sur le bras droit un ostéosarcome de la grosseur d'une tête d'adulte, qui m'a été amené par M. le Dr Cuguillère, l'un de mes anciens élèves, avec lequel je l'ai traité.

12 janvier. 19 janvier. 26 janvier.


384 SÉANCE DE JANVIER.

« La tumeur était tellement épaisse, qu'aucune mesure ne pouvait être prise pour donner aux rayons une intensité calculée.

« Nous décidâmes d'agir avec toute la vigueur que pouvait donner ma bobine, avec laquelle un accident m'empêchait de dépasser une longueur d'étincelle de 0m20.

« J'ai donc fait rendre à ma bobine et à mon focus toute l'intensité de leur action, et le malade a été soumis ainsi tous les jours, à partir de mars 1904, à une séance de douze minutes.

« Quelques jours après le début du traitement, M. le professeur Lannelongue fut appelé en consultation, car ce malade avait été déclaré inguérissable sans l'amputation par tous les médecins et chirurgiens qui l'avaient vu, soit avec nous, soit sans nous.

M. Lannelongue, qui est peut-être le chirurgien français qui a eu l'occasion, sinon de traiter le plus d'ostéosarcome, mais du moins d'en voir le plus, déclara que le cas du jeune Y... était l'un des plus graves et des plus développés qu'il ait vus, et nous dicta son avis de la façon suivante :

« Opposez-vous de toutes vos forces à une amputation. Le « mal est limité ; avec l'amputation vous exposeriez l'enfant à « une généralisation et il serait perdu. Je n'enlève jamais un » ostéosarcome. Continuez votre traitement par les rayons X « comme vous l'avez commencé. C'est là la seule chance que « vous ayez d'être utile à votre malade et de le sauver si pos« sible. »

« Ces paroles prononcées par l'éminent clinicien, devant le père de l'enfant, ont été pour le Dr Cuguillère et pour moi la règle que nous avons voulu suivre jusqu'au bout.

« Nous avons pour ainsi dire brûlé par les rayons X, aussi profondément que nous l'avons pu, la tumeur énorme que l'enfant avait peine à supporter, même avec un bandage ad hoc. Nous avons dès le début fait cesser les douleurs qui étaient atroces, et nous avons obtenu l'élimination insensible de la tumeur par une suppuration bienfaisante, et presque sans douleur. Nous avons enlevé près de 3 kilos de tissu osseux adventif, extrait avec toutes les précautions désirables pour éviter.


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 385

toute hémorragie qui aurait pu, en survenant, causer une infection générale par résorption.

« Le traitement a commencé en mars 1904, et nous devons dire que chaque fois qu'il y avait interruption d'un jour, les douleurs reparaissaient et le malade réclamait lui-même l'application des rayons.

« Au mois de juin (le 10), la tumeur était à moitié détruite, sans le moindre accident, après soixante séances journalières et consécutives au moyen de la bobine.

« M'étant absenté, le Dr Cuguillère continua l'application des rayons avec une bobine insuffisante et le mal prit une tournure progressive et croissante.

« A ce moment, le Dr Lannelongue, appelé de nouveau, recommanda de larder la tumeur et les énormes végétations qui se produisaient avec du chlorure de zinc.

« Mais, en août, arriva une superbe et puissante machine à douze plateaux avec laquelle on fit de nouvelles séances, deux fois par jour, pendant vingt à vingt-cinq minutes chaque fois. Cela dura pendant trois mois, d'août à octobre.

« L'ampoule autorégulatrice de Chabaud était rapprochée a 8 et même à 5 centimètres de la tumeur. L'on se servait, de loin en loin, de pastilles Sabureau pour régler l'intensité à donner aux rayons, car à ce moment on touchait presque aux chairs vives sur certains points.

« La diminution de la tumeur marchant à vue d'oeil, on ne fit plus qu'une seule séance par jour jusqu'au 24 novembre. La distance de l'ampoule au bras était de plus en plus diminuée.

« Le sommeil, l'appétit, l'état général physique et moral de l'enfant étaient parfaits.

« On a continué les séances en diminuant insensiblement l'intensité des rayons ainsi que la distance de l'ampoule, la tumeur se réduisant à vue d'oeil.

« Le 24 novembre, la main se séparant des lambeaux de la tumeur, nous avons achevé de l'amputer au thermo-cautère.

a Depuis quinze jours, la cicatrice du moignon, toujours actionnée par des rayons de moins en moins puissants et régulièrement mesurés à l'appareil Benoît, avance de plus en plus.

10e SÉRIE. — TOME V.


386 SÉANCES DE FÉVRIER.

Aujourd'hui, elle englobe un espace à peine grand comme une pièce de 5 francs. Elle est couverte de superbes bourgeons charnus.

« Du 24 novembre à ce jour, l'enfant a gagné en poids 8 kilos 500.

« Il a eu trois cent dix séances de rayons pendant trois mois, à deux séances par jour, pendant quatre-vingt-dix jours.

« Voici les résultats successifs photographiés avec le plus grand soin. Ils parlent assez aux yeux pour que j'aie besoin d'en dire davantage.

« Je conclus en disant que s'il est très sage et très prudent d'agir, dans des cas de cancers superficiels ou profonds, comme le dit M. Marie, comme on le fait ordinairement, comme je le fais moi-même, en calculant l'intensité des rayons à employer; il est des cas où l'on perdrait absolument le temps, et on laisserait mourir les malades si l'on n'agissait pas avec toute la promptitude et toute la vigueur possibles, comme dans le cas du jeune Y...

« On ne doit pas oublier ce principe de Pidoux dont on reconnaît de plus en plus l'exactitude à mesure que l'on acquiert de la pratique : Il n'y a pas de maladies, il n'y a que des malades.

« Le médecin qui traite tous les cas de même genre par une méthode mathématique s'expose aux plus cruelles déceptions.

« Il y a quarante-quatre ans que j'applique ce principe que mon cher maître Pidoux m'avait inculqué pendant mon stage dans les hôpitaux; je ne me suis jamais mal trouvé de l'avoir toujours présent à l'esprit. »

— L'ordre du jour appelle l'élection des délégués de l'Académie au Conseil d'administration de l'hôtel d'Assézat pour l'année 1905.

Les membres sortants, M. le baron DESAZARS et M. MATHIAS, étant rééligibles, l'Académie, par un vote unanime, renouvelle leurs pouvoirs pour un an.

2 février.

M. le baron DESAZARS DE MONTGAILHARD rappelle à l'Académie qu'il l'a entretenue l'an dernier de la famille toulousaine des


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADEMIE. 387

Crozat et qu'il lui a fait connaître notamment le grand banquier Antoine Crozat, dit « le Riche » ou « le Traitant ». Il veut, cette fois, lui parler de son frère cadet, Pierre Crozat, surnommé plaisamment « le Pauvre », par comparaison avec son frère Antoine, et appelé également « le Curieux » à cause de ses goûts artistiques et de ses riches collections.

Né à Toulouse en 1661, Pierre Crozat s'était occupé de négoce et de finances, comme son père et comme son frère, et avait acquis, lui aussi, une grosse fortune dont il jouissait d'autant plus largement qu'il était resté célibataire et qu'il ne se maria jamais. Il avait quitté Toulouse en 1704 pour remplir les fonctions de trésorier de France à Paris, où son frère s'était déjà établi depuis plusieurs années. Ses relations commerciales et financières l'avaient souvent appelé en Italie où il avait développé ses goûts artistiques et complété ses connaissances sur la peinture, la sculpture et la glyptique.

Pierre Crozat avait commencé son cabinet en 1683 avec des dessins de Jean-Pierre Lafage, qui jouissait d'une grande réputation artistique en France comme en Italie, où il avait émerveillé par son talent les meilleurs artistes de son temps. Il le continua surtout à Paris où il acheta un terrain de neuf arpents situé au coin de la rue Richelieu et du Rempart, aujourd'hui le boulevard des Italiens, et où il fit construire par l'architecte Cartaud un superbe pavillon à un seul étage, surmonté d'un attique, qu'il fit transformer ensuite en un vaste hôtel par l'architecte Oppenordt.

Pierre Crozat n'avait rien négligé pour décorer richement sa demeure de sculptures et de peintures, et s'était adressé aux premiers artistes de son temps, le sculpteur Pierre Legros et le peintre Charles de Lafosse, notamment. Il eut surtout le mérite de deviner le talent d'Antoine Watteau, alors inconnu, dont il fit son ami autant que son collaborateur. Il procéda de même pour sa villa de Montmorency qu'il avait fait construire en 1708, dans le genre italien, par Cartaud, et où il avait trouvé de superbes jardins tracés par Charles Le Brun qui en avait été longtemps propriétaire.

Ces deux demeures étaient devenues célèbres par leur luxe et


388 SÉANCES DE FÉVRIER.

par l'hospitalité qui y était habituellement donnée. Mais ce qui augmentait encore la réputation de l'hôtel de la rue Richelieu, c'étaient les incomparables collections qui l'ornaient en fait de tableaux, de dessins, de sculptures et de pierres gravées. La galerie des tableaux comprenait plus de 400 toiles de premier ordre. Les statues, les bas-reliefs, les terres cuites n'étaient pas moins nombreuses. Le cabinet de dessin comprenait dix-neuf mille pièces de tous les maîtres, tant anciens que modernes.

Non content d'avoir formé la plus riche collection d'objets d'art qui fût en Europe, Pierre Crozat entreprit de faire graver sur bois les principaux tableaux de sa galerie. Ces gravures ont formé un gros recueil in-folio connu sous le titre de Cabinet Crozat.

C'était enfin un mélomane, et les séances musicales qu'il donnait dans son hôtel de la rue Richelieu étaient très recherchées et faisaient le sujet de toutes les conversations mondaines. Le souvenir des concerts de Pierre Crozat a été conservé par une sanguine rehaussée de blanc, aujourd'hui au musée du Louvre, et qui est l'oeuvre d'Antoine Watteau.

Pierre Crozat est mort à Paris le 23 mai 1740, âgé de soixanteseize ans. Il laissa ses biens au fils aîné de son frère Antoine. Mais il réserva les dessins, les pierres gravées et les planches qu'il avait fait exécuter, voulant que ces diverses collections fussent vendues au profit des pauvres.

Le duc d'Orléans, fils du Régent, s'empressa d'acheter, « à la main », les pierres gravées au prix de 67,000 livres; elles ont été revendues pendant la Révolution à l'Angleterre par Philippe-Egalité pour un peu plus d'un million.

Quant aux dessins, ils furent l'objet d'un excellent catalogue dressé en 1741 par Pierre-Jean Mariette, et se vendirent assez mal aux enchères, malgré leur incontestable mérite.

Dix ans plus tard, la collection de tableaux formée par Pierre Crozat fut également vendue par les héritiers de son neveu Louis-François Crozat, marquis du Chastel, avec la collection de son autre neveu Joseph-Antoine, baron de Thiers et marquis de Togny : elles ont formé le premier fonds du célèbre musée impérial de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg.


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 389

Appelé par l'ordre du travail, M. le Dr MAUREL communique à l'Académie une étude intitulée : Les dimensions du thorax et la Tuberculose pulmonaire.

Il continue d'abord à exposer ses recherches sur l'hygiène respiratoire, et, après avoir rappelé en quelques mots sa précédente communication sur les règles qui doivent diriger cette fonction, il étudie le thorax normal pour le comparer ensuite à celui des tuberculeux.

Il donne successivement le résultat de ses recherches sur le périmètre du thorax, ses divers diamètres, ainsi que sur sa section, et il arrive à ces premières conclusions :

1° Que chez les tuberculeux le périmètre thoracique est diminué ;

2° Que le rapport des divers diamètres entre eux, loin d'avoir la même constante qu'à l'état normal, est au contraire des plus variables chez les tuberculeux;

3° Que la section thoracique est diminuée, et cela, qu'on la compare à la taille, au poids normal ou à la surface cutanée.

Le Dr Maurel se demande ensuite comment on peut expliquer ces modifications profondes du thorax ; et après avoir discuté les diverses hypothèses que l'on peut invoquer, il arrive à cette deuxième conclusion que cette diminution des dimensions du thorax précède la tuberculose et qu'elle doit être considérée comme une cause prédisposante de cette affection.

Enfin, il entre dans quelques considérations pratiques et, s'inspirant des données précédentes, il termine par ces dernières conclusions :

1° La diminution des dimensions du thorax est une cause fréquente et importante de la tuberculose pulmonaire ;

2° Cette diminution du thorax précédant la tuberculose et pouvant être facilement constatée, il y a lieu de la rechercher; et cela, avec d'autant plus de soin, que par des exercices appropriés on peut la corriger et supprimer ainsi une des causes importantes de cette redoutable affection.

M. ROULE fait la communication suivante :

L'Esturgeon habite les deux versants de notre région. A cause

9 février.

16 février.


390 SÉANCES DE FÉVRIER,

de sa forte taille, il ne fréquente guère que les deux principaux fleuves du Midi, la Garonne et le Rhône: il s'introduit quelque peu dans les affluents de certaine importance, mais ne peut pénétrer dans les petites rivières. Il demeure en grande eau. Autrefois, et voici peu d'années encore, sa pêche était productive; aujourd'hui, elle est presque abandonnée. Ce poisson disparaît rapidement et bientôt il n'existera plus. Sans recourir aux documents du moyen âge sur la pêche, et se bornant aux faits actuels, deux exemples seront probants. Dans le Rhône, voici une trentaine d'années, on prenait à Avignon, par an, au moment de la remonte, de 400 à 500 individus; aujourd'hui, on en saisit tout au plus une dizaine, par accident. Dans la Garonne, les pêcheurs installés en aval du barrage du Bazacle, à Toulouse, capturaient, au printemps, des esturgeons en assez grande abondance. On n'en voit plus aujourd'hui. Pourtant, l'extinction y va moins vite que du côté de la Méditerranée.

Pendant la mauvaise saison, l'esturgeon habite la mer. Il fréquente les fonds vaseux de la zone littorale, depuis une cinquantaine de mètres de profondeur, jusques aux confins de la zone sub-littorale ; sans doute ne descend-il guère plus loin. Au printemps, il se rapproche de la côte, recherche les estuaires, s'introduit dans les embouchures et remonte les cours d'eau pour y pondre. Il retourne à la mer ensuite. Les jeunes et les adultes accomplissent les mêmes trajets et font, chaque année, , le même voyage.

Sans doute faut-il rechercher la cause de cette extinction progressive et de ses différences suivant les lieux, non point dans les fleuves eux-mêmes, mais dans la mer. Depuis une trentaine d'années, la pêche au grand chalut prend un développement extrême sur toutes nos côtes. Ces fonds vaseux sont sillonnés et exploités jusqu'à une centaine de mètres de profondeur. Les barques de pêche à la voile ont augmenté en nombre, et des barques à vapeur plus puissantes, ayant un plus grand rayon d'action, contribuent à accroître la production de ce genre d'industrie. Leurs filets prennent des esturgeons plus souvent qu'autrefois. Il n'est pas rare de voir, pendant l'hiver, de ces gros poissons sur les marchés de gros, où les pêcheurs débar


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 391

quent leurs captures. On les consomme sur place d'habitude et dans les villes du voisinage ; on expédie peu au loin. La vraie raison de l'appauvrissement des cours d'eau se trouve dans cette plus grande intensité de la pêche chalutière. Il ne convient guère de la prendre dans l'état actuel des fleuves; celui-ci n'y est pour rien. Les pêcheurs au chalut détruisent l'esturgeon en mer; de cette destruction découle celle des fleuves, que le poisson ne remonte plus en aussi grande quantité.

L'amoindrissement va plus vite dans la Méditerranée que dans l'Océan à cause de la configuration même des côtes. Le golfe de Lion est plus étroit que le golfe de Gascogne, plus petit et plus resserré. Ses fonds vaseux sont parcourus en entier par les pêcheurs d'Agde, de Cette, de Martigues, de Banyuls; ils deviennent rapidement plus, pauvres. Le golfe de Gascogne, plus étendu, conserve encore vers les côtes espagnoles et même sur les côtes françaises quelques espaces où les chalutiers de Biarritz, d'Arcachon, ne vont point. Ces régions composent autant de réserves, restreintes à la vérité et dont l'étendue va en diminuant, suffisantes encore pour permettre aux poissons de se maintenir quelque peu.

L'esturgeon disparaît donc et nulle tentative de repeuplement par les eaux douces ne saurait enrayer une telle disparition. Il devient inutile de tenter son alevinage, ni de favoriser sa reproduction naturelle. La cause de cette extinction progressive est ailleurs, dans les pratiques actuelles de la pêche maritime, auxquelles, en l'espèce, nulle réglementation sur ce point ne pourrait s'imposer.

L'esturgeon, dans nos pays, est un poisson déjà rare. Il ne tardera point à cesser d'exister, et aucun effort n'empêchera une telle fin.

Ouvrages offerts :

La constante a des diamètres rectilignes et les lois des états correspondants, par M. MATHIAS.

— M. Juppont présente un travail critique sur La. terminologie et les définitions couramment employées en mathématique élémentaire. (Imprimé p. 259.)

23 février.


392 SÉANCES DE MARS.

2 mars.

M. Henri DUMÉRIL communique à l'Académie un nouveau chapitre de son Etude sur les idées pédagogiques de Goldsmith. (Imprimé p. 23.)

— Sur la demande de M. MATHIAS, l'Académie prend en considération la proposition de déclarer vacante la place précédemment occupée dans la Classe des Sciences, sous-section de Chimie, par M. Destrem, décédé.

En conséquence et conformément à l'article 6 des statuts, avis de cette décision sera portée à la connaissance de tous les membres par une convocation motivée.

9 mars.

Ouvrages offerts par M. MAILLET, correspondant :

1° Essais d'hydraulique souterraine et fluviale;

2° Résumé des observations centralisées par le service hydrométrique du bassin de la Seine pendant l'année 1903;

3° Sur certains phénomènes hydrauliques et en particulier celui de Maîtrot de Varennes ;

4° Sur les équations de la géométrie et la théorie des substitutions entre n lettres ;

5° Notice supplémentaire sur les travaux scientifiques de M. Maillet.

M. LÉGRIVAIN lit un travail sur l'Action populaire et les primes aux dénonciateurs dans le droit grec. (Imprimé p. 40.)

16 mars.

M. LAPIERRE donne lecture du premier chapitre d'une Histoire de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse. (Imprimé p. 51.)

23 mars.

M. MASSIP lit un mémoire sur Les origines de la corporation des relieurs à Toulouse.

Avant l'invention de l'imprimerie, le libraire exerçait simultanément tous les travaux relatifs à l'industrie du livre; la librairie absorba même l'imprimerie à ses débuts. L'extension de la typographie et les premiers succès de la xylographie ne tardèrent pas à déposséder le bibliopole des avantages que lui.


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 393

avaient procurés jusqu'alors la calligraphie et l'enluminure devenues inutiles. Il continua à exploiter la reliure qui, en se perfectionnant, devint une industrie de luxe dont les lois somptuaires ne dédaignèrent pas de réglementer l'exercice. La reliure, dans de telles conditions, pouvait se suffire à elle-même, surtout associée à une profession nouvelle et assez élégante, celle des doreurs de livres. Elle s'efforça d'échapper à la tutelle de l'imprimeur-libraire. L'édit de 1686 consacra son affranchissement.

Le libraire toulousain, s'il ne reliait pas lui-même, faisait relier chez lui, comme son collègue parisien, mais il n'avait pas à craindre, comme celui-ci, l'antagonisme et les revendications des ateliers indépendants. Il n'y en avait qu'un petit nombre à Toulouse et sans la moindre influence, si bien qu'après une vaine tentative en 1724, ils n'avaient pas encore obtenu l'exécution de l'édit en 1733. Les rivalités de métier qui divisaient à cette époque la Chambre syndicale des imprimeurslibraires fournirent aux ateliers l'occasion de proclamer leur émancipation.

La conséquence économique la plus appréciable de cette petite révolution ne fut pas l'attribution du prestige corporatif à une catégorie intéressante de travailleurs, ce fut la création du monopole. La conséquence la plus fâcheuse fut l'abaissement des produits, dont l'infériorité des prix ne compensait qu'à demi l'infériorité des qualités. La surproduction du livre camelote à la fin du dix-huitième siècle explique cette déchéance ; c'est le triomphe de la reliure commerciale sur la reliure de luxe, qui devient assez rare en province.

Aussi bien le livre à ce moment passe vite. Il commence à n'être pas fait pour durer; le mouvement des idées le remplace constamment. Ce n'était plus la peine d'habiller pour les successions futures, comme on le faisait au moyen âge, des pensées dont l'existence devenait tous les jours plus précaire. Crise de librairie comme celle que nous avons sous les yeux dans nos jours d'abondance. L'offre n'attend plus la demande, et au milieu de cette profusion de produits plutôt médiocres, le libraire se débat contre la pléthore à côté du relieur que l'anémie con-


394. SÉANCES DE MARS.

sume. Mais ils n'ont ni l'un ni l'autre aujourd'hui cette compen sation dont jouirent leurs ancêtres sous les yeux maternels de l'Université, de pouvoir, sans déchoir, être en même temps l'épicier du collège de Périgord ou le joyeux tavernier du collège de Foix.

— M. LECLERC DU SABLON lit la notice sur M. Destrem, ancien associé ordinaire de l'Académie dans la Classe des Sciences, décédé. (Imprimé p. 134.)

30 mars.

M. HALLEKRG communique la première partie d'une Étude sur la réforme de l'éducation, d'après un humoriste allemand, Jean-Paul-Fréd. Richter, plus connu sous le nom de Jean-Paul, dont la « Levana » ou Traité de l'Education, publiée en 1806, obtint un succès considérable en Allemagne. (Imprimé p. 82.)

M. LAULANIÉ fait une communication sur l'Application de la théorie de la combustion à la détermination de la ration d'entretien.

Toute ration pour laquelle il y a égalité chez l'animal qui la reçoit, entre l'oxygène réellement consommé dans une journée de vingt-quatre heures (oxygène réel) et l'oxygène nécessaire à la combustion de cette ration (oxygène théorique), est nécessairement une ration d'entretien. Pour déterminer expérimentalement la valeur de cette dernière, en partant de l'égalité qui vient d'être posée, on procède de la manière suivante : un animal (un chien) étant soumis aux effets d'une ration croissant régulièrement à partir de zéro, on évalue tous les jours l'oxygène réel des vingt-quatre heures et l'oxygène théorique. Les deux valeurs obtenues successivement pour chacun des termes de cette série croissante sont employées à la construction d'un graphique qui donne immédiatement la solution cherchée. A cet effet, le poids de la ration étant compté sur la ligne des abscisses, on met en ordonnées les valeurs prises successivement par l'oxygène réel et par l'oxygène théorique, en fonction de chaque ration,


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 395

Cette construction donne deux courbes et il est clair que leur, point d'intersection est le seul qui réponde au critère adopté. La projection de ce point sur la ligne des abscisses donne la valeur de la ration d'entretien.

M. Laulanié a appliqué cette méthode à un certain nombre de substances alimentaires (viande, soupe au lait) et les résultats qu'il a obtenus apportent quelques renseignements utiles :

1° L'emploi de la méthode des rations croissantes met en relief la marche de la dépense d'énergie consacrée à l'exploitation des aliments; il en donne la loi et il fait voir comment le seul fait de l'alimentation introduit des besoins nouveaux indépendants du besoin de calories. Il fait voir enfin, contrairement à la doctrine classique, que le besoin d'énergie augmente avec le poids de la ration ;

2° Les résultats fournis par la même méthode s'introduisent fort utilement dans la critique de la théorie des poids isodynamiques. Ils montrent, en effet, que deux rations d'entretien formées de substances différentes, l'une de viande, l'autre de soupe au lait par exemple, ne sont jamais isodynames. La différence qui les sépare à ce point de vue purement physique se rattache à l'inégalité des frais d'exploitation qu'elles entraînent. Pour compléter ou rectifier la théorie de Rubner sur les poids isodynamiques, il faudrait donc dire : deux rations isodynamiques ne sont physiologiquement équivalentes que si elles réclament la même dépense d'exploitation.

— Sur la demande de M. le Président, l'Académie déclare définitivement vacante la place précédemment occupée dans la Classe des Sciences, sous-section de Chimie, par M. DESTREM, décédé.

En conséquence et conformément aux règlements, avis de cette décision sera donné au public par la voie des journaux et les candidats invités à produire leur demande accompagnée de leurs travaux et de la liste de leurs titres avant le 13 avril prochain.

M. JOB (André), professeur de chimie à la Faculté des Scien6

Scien6


396 SÉANCES D'AVRIL ET DE MAI.

ces de Toulouse, pose sa candidature à la place déclarée vacante dans la sous-section de Chimie.

Renvoyé à la Commission des candidats.

— En remplacement de M. DUMÉRIL, qui s'est excusé, M. CAMICHEL communique à l'Académie ses Recherches expérimentales sur la fluorescence. (Imprimées p. 157.)

13 avril.

M. DE SANTI lit un mémoire intitulé : Le Mystère du Temple (1794-1795). (Imprimé p. 98.)

4 mai

M. MATHIAS rend compte des faits les plus saillants de l'exposition annuelle de la Société de physique à Paris.

— M. DUMÉRIL communique à l'Académie le quatrième et dernier chapitre de son Etude sur les Idées pédagogiques de Goldsmith. (Imprimé p. 23.)

— Au nom de la Commission des candidats, M. FABRE lit un rapport favorable sur les titres et les ouvrages de M. Job, seul candidat à la place déclarée vacante dans la Classe des Sciences, sous-section de Chimie.

L'Académie procède au vote au scrutin secret.

Le scrutin dépouillé ayant donné à M. Job le nombre de suffrages exigé par les règlements, M. le Président le proclame associé ordinaire de l'Académie dans la Classe des Sciences, section des Sciences physiques et naturelles, sous-section de Chimie, en remplacement de M. Destrem, décédé.

18 mai.

M. MATHIAS lit une note de M. Maillet, associé correspondant, sur « Le théorème de Fermat », dont il demande l'impression dans les Mémoires de l'Académie. (Imprimé p. 132.)

— M. LAPIERRE lit le second chapitre de l'Histoire de l'Académie. (Imprimé p. 68.)

25 mai.

M. le baron DESAZARS DE MONTGAILHARD rappelle que, dans deux lectures faites précédemment, il a entretenu l'Académie


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 397

de la famille toulousaine des Crozat et qu'il l'a montrée se faisant remarquer par son intelligence des affaires financières et commerciales et par le développement de sa fortune à la fin du dix-septième siècle, puis venant s'installer à Paris où elle se distingua également par sa richesse et par son goût des arts au début du dix-huitième siècle. Après avoir ainsi parlé d'Antoine Crozat, dit le Riche ou le Traitant, et de son frère Pierre Crozat, surnommé le Pauvre ou le Curieux, et décédé sans enfants, il fait connaître la descendance d'Antoine Crozat et ses mérites.

De son mariage avec Marie-Marguerite Legendre, Antoine Crozat avait eu trois garçons et une fille.

La fille, Marie-Anne Crozat, avait été mariée en 1707, à l'âge de douze ans, avec le comte d'Evreux, troisième fils du duc de Bouillon, prince de la Tour-d'Auvergne. Elle mourut en 1719, à l'âge de vingt-quatre ans, sans laisser de postérité. Ce mariage n'avait pas été heureux par suite des infidélités et des dissipations du comte d'Evreux. Mais Antoine Crozat avait eu de grandes compensations avec ses fils,

L'aîné, Louis-François Crozat, était né à Toulouse en 1691 et avait suivi la carrière des armes. Il avait épousé, le 5 septembre 1722, Marie-Thérèse Gouffier de Heilly, dont il avait eu deux filles, l'une mariée au comte de Gontaut-Biron et qui mourut peu après avoir donné le jour à un fils qui devait être le fameux duc de Lauzun, et l'autre mariée au comte de Choiseul-Stainville, plus tard duc de Choiseul, qui fut un des premiers ministres de Louis XV.

Il fut fait maréchal des camps et armées du roi à la promotion du 24 février 1738 et devint ensuite lieutenant-général. Au décès de son père, il prit le titre de marquis du Chastel et mourut en 1750. C'était un homme de beaucoup d'esprit, réputé comme tel dans la haute société parisienne, et il en était de même de ses filles.

Le second fils d'Antoine Crozat avait pour prénoms JosephAntoine. Il était né à Toulouse en 1696. Il devint maître des requêtes, lecteur de la chambre et du cabinet du roi, en 1719, enfin président de la quatrième chambre des enquêtes du Parlement de Paris. Il fut surtout connu sous le nom de marquis.


398' SÉANCES DE MAI.

de Thuguy. Il mourut en 1751, sans laisser d'enfants. Il fut un grand amateur d'art, comme son oncle. Sa galerie de tableaux était célèbre. Elle fut vendue à son décès avec celle de son oncle Pierre Crozat, et a fait le principal fonds du Musée impérial de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg.

Quant au troisième fils d'Antoine Crozat, il avait reçu en baptême les prénoms de Louis-Antoine et était qualifié de baron de Thiers. Né à Toulouse en 1700, il était devenu capitaine de dragons au régiment de Languedoc, dont son frère était mestre de camp. Il exerçait ces fonctions lorsqu'il épousa, le 19 décembre 1726, Marie-Louise-Augustine de Laval-Montmorency, dont il eut trois filles, mariées, l'aînée au comte de Bétbune, la seconde au maréchal duc de Broglie, et la troisième au marquis de Béthune. Il se distingua dans plusieurs batailles, notamment à celle de Belgrade contre les Turcs, en 1717, puis en Espagne en 1718, ensuite en Allemagne en 1734 et 1735 où il fut promu maréchal des logis des camps et armées du roi et fut. élevé au grade de lieutenant-général après avoir combattu à Dottingen, en 1743. Il devint enfin gouverneur de la province de Champagne ou département de Rheims.

Il avait une fortune immense et savait en jouir largement. C'était un bibliophile en même temps qu'un amateur d'art. Sa bibliothèque comptait plus de 400,500 volumes qui furent dispersés à sa mort en 1771. Il en fut de même d'une grande partie de sa galerie de tableaux.

Le baron de Thiers, marquis de Thuguy, s'est continué dansune nombreuse descendance alliée aux principales familles de France et de l'étranger, notamment celle des Jean Sobieski, roi de Pologne, et des Grimaldi, prince de Monaco.

31 mai.

M. GARRIGOU, président, lit le discours qu'il doit prononcera l'ouverture de la séance publique du 18 juin prochain. Ce discours est approuvé.

— M. DUMAS, rapporteur général du concours du prix Gaussail, du prix Ozenne et des médailles d'encouragement dans la Classe des Inscriptions et Belles-Lettres et dans la Classe des Sciences, donne lecture de son rapport, qui est approuvé.


BULLETINS DES TRAVAUX DE L'ACADEMIE. 399

M. FABRE lit un mémoire sur Les nouveaux microscopes. (Imprimé p. 289.)

Ouvrages offerts :

Histoire de l'arrondissement de Gaillac, département du Tarn, pendant la Révolution de 1789 à 1800, tt. I et II, par M. Rossignol.

Le Saint-Dictamen, établissement du Seigneur en France, par M. Paul Auvard.

Notes sur les Ixodidés, fasc. II et III.

Les Teignes des animaux domestiques, par M. Neumann.

— M. DOMAS lit un mémoire sur La réglementation industrielle sous le ministère de Colbert. (Imprimé page 200.)

— M. ROSCHACH lit l'Eloge de M. Brissaud, qu'il doit prononcer à la séance publique du 18 courant. (Imprimé p. 315).

— M. ROUQUET communique un mémoire intitulé : Sur une propriété caractéristique des courbes de Bertrand et son application à la recherche des surfaces dont les lignes asymptoliques d'une famille sont des courbes égales. (Imprimép. 180.)

M. le Dr GARRIGOU, président, déclare la séance ouverte et prononce le discours d'usage. (Imprimé p. 297.)

— M. ROSCHAGH, secrétaire perpétuel, lit l'éloge de M. Brissaud, ancien associé ordinaire dans la classe des Inscriptions et Belles-Lettres. (Imprimé p. 315.)

— M. DUMAS lit le Rapport général sur les concours du prix Gaussail, du prix Ozenne et des médailles d'encouragement dans la classe des Inscriptions et Belles-Lettres et dans celle des Sciences. (Imprimé p. 349.)

— M. le Secrétaire perpétuel fait l'appel des lauréats dans l'ordre suivant :

GRAND PRIX DE L'ANNÉE (500 FRANCS). ( Réservé. )

8 juin. 15 juin.

Séance

publique

du

18 juin 1905.


400 SÉANCES DE JUIN.

PRIX GAUSSAIL, D'UNE VALEUR DE 1,584 FRANCS, RÉDUIT A 800 FR.

M. Dupont (Pierre), directeur de l'Ecole du Sud à Toulouse. — Manuscrit intitulé : Histoire de l'enseignement primaire public à Toulouse (1687-1815).

PRIX DE 400 FRANCS PRÉLEVÉ SUR LE MONTANT DU PRIX GAUSSAIL

M. Gros (J.), inspecteur primaire à Foix. (Ariège). — Manuscrit intitulé : Application du Concordai dans la Haute-Garonne (1801 -1815).

PRIX OZENNE, D'UNE VALEUR DE 306 FRANCS.

M. Barbot (Emile-Jules), docteur en médecine à Mendo (Lozère). — Ouvrage imprimé intitulé : tes Chroniques de la Faculté de Médecine.

ENCOURAGEMENTS

Classe des Inscriptions et Belles-Lettres. MÉDAILLE D'ARGENT DE PREMIÈRE CLASSE.

M. Roumieux, greffier à la Cour à Toulouse. — Classement des archives du Greffe de la Cour d'appel de Toulouse pendant la période révolutionnaire (1790-1810).

Classe des Sciences.

MÉDAILLE D'ARGENT DE PREMIÈRE CLASSE.

M. Fagot, notaire à Villefranche-de-Lauragais. — Manuscrit intitulé : Catalogue des Lichens de l'arrondissement de Villefranche-de-Lauragais.

MÉDAILLE D'ARGENT DE DEUXIÈME CLASSE.

M. Fourès (Paul), médecin-vétérinaire à Baziège (Haute-Garonne). — Manuscrit intitulé : Etudes d'ethnographie générale de l'élevage en Lauragais.

Enfin, M. le Secrétaire perpétuel lit les sujets de prix mis au concours par l'Académie pour l'année 1906.

22 juin.

L'ordre du jour appelle les élections annuelles pour le renouvellement des membres du Bureau et le remplacement des membres sortants du Comité de librairie et d'impression et du Comité économique.

Sont successivement élus au scrutin secret et à la majorité des suffrages, savoir :

Président M. GARRIGOU, réélu.

Directeur M. LÉCRIVAIN, réélu.

Secrétaire adjoint.. M. MATHIAS, réélu.


BULLETINS DES SÉANCES DE L'ACADÉMIE. 401

Comité de librairie et d'impression : MM. LEGOUX, NEUMANN et DE SANTI.

Comité économique : MM. CAMICHEL, FABRE et CROUZEL.

— Conformément à l'article 30 des règlements, M. le Président désigne M. PASQUIER pour remplir les fonctions d'économe.

— Sur la demande de M. DUMAS, tendant à changer la date de la séance publique, qui oblige à moditier un article des statuts, demande appuyée par M. le Dr Maurel, qui pense qu'il conviendrait de modifier peut être un certain nombre d'autres articles, l'Académie décide qu'il sera mis à l'ordre du jour de la prochaine séance la proposition de nomination d'une Commission ayant pour objet de reviser les statuts.

Ouvrages offerts :

Nouvelles méthodes générales d'hydrogénation et de dédoublement moléculaire basées sur l'emploi des métaux divisés, par MM. Sabatier et Senderens.

— M. MATHIAS lit le travail de M. BAILLAUD, Sur les premières recherches astronomiques entreprises à la Station astronomique du Pic-du-Midi. (Imprimé p. 171.)

— L'ordre du jour appelle la nomination d'une Commission pour la revision des statuts et règlements.

Sur la proposition de M. le Président, l'Académie décide que cette Commission sera composée de MM. LAPIERRE, DUMÉRIL, DUMAS, LEGOUX et BASSET.

M. le professeur A. FRÉBAULT communique à l'Académie un travail : 1° Sur l'hydrogénation du benzonitrile et du paratoluonitrile et 2° sur l'acide picramique. (Imprimé p. 252 et 257.)

10e SÉRIE. — TOME v. 26

29 juin.

6 juillet


402 SÉANCES DE JUILLET.

13 juillet.

M. DELOUME lit un travail Sur les premiers jours de l'Université de Toulouse (sera imprimé plus tard).

M. Deloume a le plaisir d'informer l'Académie que la municipalité est disposée à faire consolider les plafonds de la loggia, ce qui permettra de faire ensuite un classement de la bibliothèque:

M. Pasquier ayant cédé son tour de lecture à M. Deloume, il est décidé que cette lecture aura lieu le jeudi 16 novembre, jour de la rentrée.

— La présente séance étant la dernière de l'année académique 1904-1905, le procès-verbal est rédigé, lu et adopté séance tenante, conformément à l'article 3 des règlements.

L'Académie s'ajourne au 16 novembre prochain.


TABLE DES MATIERES

Pages.

État des membres de l'Académie V

CLASSE DES SCIENCES PREMIÉRE SECTION

SCIENCES MATHÉMATIQUES MATHÉMATIQUES PURES

Sur le dernier théorème de Fermat, par M. E. MAILLET, correspondant 133

Sur une propriété caractéristique des courbes de Bertrand et son application à la recherche des surfaces dont les lignes asymptotiques d'une famille sont, des courbes égales, par M. Victor ROUQUET 180

MATHÉMATIQUES APPLIQUÉES

Recherches expérimentales sur la fluorescence, par M. Charles

CAMICHEL 157

Sur la terminologie, par M. JUPPONT 247

Sur les grandeurs mathématiques, par M. JUPPONT 259

PHYSIQUE ET ASTRONOMIE

Traitement du cancer par les rayons X. Résumé des résultats obtenus à Toulouse pendant l'année scolaire 1903-1904, par M. le Dr T. MARIE. 11

Premières recherches astronomiques au Pic-du-Midi, par M. B. BAILLAUD 171


404 TABLE DES MATIÈRES.

DEUXIEME SECTION

SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES CHIMIE

Hydrogénation du benzonitrile et du partolunitrile, par M. le

Dr A. FRÉHAULT 252

Sur l'acide picramique, par MM. A. FRÉBAULT et J. ALOY 257

Les nouveaux microscopes, par M. Ch. FABRE 289

HISTOIRE NATURELLE

Fait d'aubier phosphorescent chez un merisier, par M. le docteur D. CLOS 1

MÉDECINE ET CHIRURGIE

Appareil à distillation pour enlever les gaz dissous dans les eaux minérales et pouvant aussi servir à la concentration, pasteurisation et rectification des vins et des alcools, par M. le docteur F. GARRIGOU 4

CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

Les idées pédagogiques de Goldsmilh (suite et fin), par M. Henri

DUMÉRIL 23

L'action populaire et les primes aux dénonciateurs dans le droit

grec, par M. Ch. LÉCRIVAIN 40

Histoire de l'Académie. — Les Lantcrnistes, par M.LAPIERRE.. 50 La réforme de l'éducation d'après un humoriste allemand (JeanPaul-Fréd.

(JeanPaul-Fréd. et sa Levana), par M. E. HALLBERG 82

Le Mystère du Temple (1791-1795). par M. le Dr L. DE SANTI. ... 98 L'Art à Toulouse, ses enseignements professionnels pendant l'ère moderne, par M. le baron DESAZARS DE MONTGAILHARD. .. 140

La réglementation industrielle sous Colbert. par M. DUMAS 200

Les variations du climat de Toulouse, par M. MASSIP 214

Gravures paléolithiques mal comprises. — Preuves inexactes de la domestication du cheval quaternaire, par M. Emile CARTAILHAC. 231


TABLE DES MATIÈRES. 405

SÉANCE PUBLIQUE

Discours d'ouverture, par M. le Dr F. GARRIGOU, président.... 297

Eloge de M. Brissaud, par M. E. ROSCHAGH 315

Rapport général sur les concours de 1905, par M. DUMAS 349

Sujets de prix 365

Notice sur Alphonse Destrem, par M. LEGLERC DU SABLON 134

Bulletins des travaux de l'Académie pendant l'année académique 1904-1905 309

Table des matières 403

Toulouse, Imp. DOULADOURE-PRIVAT, rue St-Rome, 39 3670