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Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson

Éditeur : [s.n.] (Paris)

Date d'édition : 1887-12-11

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 42932

Description : 11 décembre 1887

Description : 1887/12/11 (A5,T9,N233).

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5706201n

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 01/12/2010

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SOMMAIRE

Chronique politique

M. Sadi Carnot

Notes de la semaine FRANCISQUE SARCËY

Moeurs parisiennes : En famille,. ANDRÉ THEURIET

Echos de Paris SERGINES

La Matinée d'un ministre

Amende honorable à la Terre... FRANÇOIS FABIÉ

Musique ELY-ÉDMOND GRIMARD

Pages oubliées : Le Chassèpet du petit Jésus JEAN RICHEPIN

Pensées choisies

Mouvement scientifique :

Académie des sciences CAMILLE FLAMMARION

Inventions et découvertes HENRI DE PARVILLE

L'OEillet blanc, comédie ALPHONSE DAUDET

Livres et Revues ADOLPHE BRISSON

Pages étrangères : Souvenirs artistiques ERNESTO ROSSI

Robur le Conquérant JULES VERNE

Les jeux du dimanche TIRÉSIAS

Petit Courrier

Conseils pratiques

Livres de la semaine

Annonces

SUPPLÉMENT ILLUSTRÉ Le nouveau Président de la République : Sadi Carnot.

BEAUX-ARTS : Pauvre mère, tableau de Louis Deschamps, gravure de Baude.

LES MAÎTRES DU XVIIIe SIÈCLE : La Conversation, par Lancret.

MUSIQUE : Air de ballet, par Méhul.

CHRONIQUE POLITIQUE

M. Grévy a résigné ses fonctions et le Congrès lui a donné un successeur.

Cette transmission des pouvoirs a été laborieuse. Encouragé par une volte-face des partis extrêmes, qui, pour faire échec à la candidature de M. Jules Ferry, lui conseillaient de rester à l'Elysée, le président a prolongé ses résistances jusqu'à la fin de la semaine dernière. Ce n'est qu'après avoir fait jouer au ministère Rouvier un jeu ridicule, lui avoir donné et repris sa parole, ce n'est que devant l'attituae résolue du Parlement et devant l'émotion publique qu'il s'est enfin décidé à déposer son message de démission sur les bureaux de la Chambre et du Sénat.

Ce message a été froidement accueilli et sévèrement jugé.

Ecrit sous l'impression d'une irritation non déguisée, ce message laissait trop percer l' amertume de M. Grévy. Il aurait gagné à s'inspirer des intérêts supérieurs de la République et à laisser de côté les récriminations personnelles qui en affaiblissaient la portée.

Pendant que M. Floquet donnait lecture du message, les abords du PalaisBourbon étaient envahis par une foule venue de tous les coins de Paris et péniblement contenue par les troupes et la police.

D'abord houleuse, elle s'est tout à coup calmée à l'annonce de la démission du président et de la réunion du Congrès, Malgré cet apaisement, la candidature de M. Jules Ferry soulevait de telles protestations dans les quartiers excentriques que, pour éviter le désordre de la rue et assurer aux membres du Parlement la pleine indépendance de leur vote, les autorités civiles et militaires durent le lendemain faire un déploiement de forces imposant.

Pendant que le préfet de police et le gouverneur de Paris prenaient les mesures nécessaires, les groupes républicains avancés de la Chambre et du Sénat cherchaient dans un scrutin préparatoire un candidat de conciliation et d'union de partis.

Mais ce scrutin, malgré le désistement de M. Floquet, ne pouvait, en l'absence du groupe modéré, fournir d'indications précises.

C'est à Versailles, le lendemain seulement, dans la réunion plénière tenue par tous les groupes républicains, avant de siéger au Congrès, que la situation s'est nettement dessinée, et cela d'une façon complètement imprévue.

En effet, bien que le nom de M. Jules Ferry sortît le premier des trois tours de scrutin dans cette première réunion, un autre nom, celui de M. Sadi Carnot, gagnait à chaque fois un terrain considérable, comme si la concentration se faisait sur lui. C'est sur cette indication inattendue que députés et sénateurs se rendirent au Congrès.

Là, un premier tour ayant placé M. Sadi Carnot définitivement au premier rang, M. Jules Ferry et M. de Freycinet, observant la discipline républicaine, renoncèrent à la lutte, et bientôt après le nom de M. Carnot sortit de l'urne avec 616 suffrages. Cette élection a été accueillie dans le pays tout entier avec un sentiment, de réel soulagement. L'agitation produite par les procédés de M. Grévy et, faut-il le dire aussi, par la candidature de M. Jules Ferry, s'est immédiatement calmée; le Conseil municipal en a été pour sa peur et ses mesures honteusement révolutionnaires ; enfin, la journée, commencée orageusement à Paris et à Versailles, s'est terminée, non par des bousculades et des échauffourées, mais p'ar des acclamations.

Tout le monde, Paris comme la province, a salué dans l'élu du Congrès un républicain modéré, un parfait honnête homme, un esprit droit et un caractère intègre.

C' est d'ailleurs à cette intégrité reconnue, et tout récemment mise en lumière par M. Rouvier à propos de l'affaire Wilson-Dreyfus, bien plutôt qu'à ses services et qu'à l'autorité de son nom, que M. Carnot doit l'honneur un peu inattendu d'avoir été porté à la première magistrature de la République.

Sa nomination apparaît donc comme une protestation de la vieille loyauté française contre les compromissions de tous genres dont l'Elysée était, depuis quelques années, devenu le centre.

C'est ainsi du moins que la majorité du pays l'envisage.

Au point de vue politique et bien qu'elle ait une signification d'union apparente, il serait d'un optimisme exagéré de croire à la durée de cette union.

La Chambre est, en effet, tellement divisée par des questions de personnes, qu'il sera difficile, sinon impossible, au nouveau président de la République de poursuivre, au contentement général, l'oeuvre qu'il vient d'assumer.

Les partis avancés lui rappellent déjà qu'ils sont pour quelque chose dans son succès. Ils le prient déjà de ne pas se méprendre sur le sens du vote qui lui a donné la première place dans la République. On lui interdit les repêchages et on lui demande des réformes. On sait ce que cela veut dire.

Le président ne paraît pas, d'ailleurs, se faire d'illusions exagérées. Avant de constituer un ministère, il a résolu de procéder à une sorte de consultation, un grand travail d'information auxquels les chefs et les personnalités les plus autorisées du parti républicain auront part. A l'heure où nous écrivons, ce travail d'information est à peu près terminé. Le président a successivement reçu M. Le Royer, M. Floquet, tous les membres du cab'inet démissionnaire, M. Ribot, M. Barodet et M. Clemenceau.

A tous ceux qu'il a reçus, M. Carnot a manifesté le désir de former un ministère qui répondît à la pensée d'union et de concorde qui a déterminé son élection; à tous il a posé les mêmes questions, celles de savoir comment et avec qui.on pourrait former un cabinet de conciliation.

Diverses listes ministérielles ont déjà circulé dans les couloirs de la Chambre, mais rien de positif, quant au nouveau cabinet, n'a encore transpiré.


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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

En dehors de la question ministérielle, les intentions du président sont mieux connues.

Il désire tout d'abord concentrer tous ses efforts sur la solution de la question budgétaire ; il a aussi l'intention de demander aux Chambres, dès que la question ministérielle sera résolue, des douzièmes provisoires pour les premiers mois de l'année prochaine, et de clore, après le vote de ces douzièmes, un peu avant le 15 de ce mois, la session parlementaire, en raison de la proximité des élections sénatoriales.

M. SADI CARNOT

Président de la République

Le nouveau Président de la République, M. Carnot, est né à Limoges le 11 août 1837. A son baptême, célébré le 18 du même mois, il reçut les prénoms de Marie-François-Sadi. En 1857, M. Sadi Carnot entra à l'Ecole polytechnique avec le numéro 5 et sortit ensuite de l'Ecole des ponts et chaussées avec le numéro 1. Après avoir été quelque temps secrétaire-adjoint du Conseil des ponts et chaussées,il fut nommé ingénieur à Annecy. Le 10 janvier 1871, il fut nommé préfet de la Seine-Inférieure et commissaire extraordinaire chargé d'organiser la défense dans les départements de l'Ouest. Aux élections du mois de février 1871, les électeurs de la Côte-d'Or l'envoyèrent à l'Assemblée nationale où il fut un des principaux fondateurs du groupe de la Gauche républicaine. Il vota pour toutes les mesures propres à assurer l'établissement de la République et pour les lois constitutionnelles. Aux élections du 20 octobre, après le 16 mai, il fut réélu à une grande majorité. Le 20 août 1878, il accepta le poste de sous-secrétaire d'Etat au ministère des travaux publics. Travailleur infatigable, esprit méthodique et précis, il déploya dans ces fonctions les plus rares qualités. Chargé du portefeuille des travaux publics dans le premier ministère présidé par M. Jules Ferry,il se retira avec ses collègues le 10 novembre 1881 et fut élu président de l'Union démocratique. Il reprit le portefeuille des travaux publics dans le cabinet présidé par M. Brisson le 6 avril 1885, et passa quelques jours après au ministère des finances, en remplacement de M. Clamageran. Aux dernières élections générales de 1885, il refusa énergiquement de se laisser porter sur la liste radicale que M. Clemenceau était venu soutenir en personne Seuls, les deux candidats républicains, MM. Joigneaux et Dubois, qui figuraient sur la liste radicale et la liste républicaine modérée, passèrent au premier tour.M. Sadi Carnot n'obtint que 39,000 voix ; mais au scrutin de ballottage.il fut élu le premier de la liste républicaine par 55,000 voix. Il garda son portefeuille dans le cabinet reconstitué par M. de Freycinet (7 janvier 1885).

Après avoir préparé plusieurs plans budgétaires bien conçus qui ont été écartés par la commission, il suivit M de Freycinet et ses collègues dans la retraite. C'est au cours de son dernier passage au ministère des finances qu'il s'est opposé formellement, malgré l'intervention pressante de M. Wilson, à la restitution à un particulier de sommes régulièrement perçues par les agents du fisc. Cet incident, révélé à la tribune pas M. Rouvier' dans la séance du 5 novembre dernier, valutà M. Sadi Carnot une bruyante ovation. C'est de ce jour-là que sa candidature à la Présidence de la République est née spontanément dans beaucoup d'esprits. M. Sadi Carnot s'est surtout occupé dans les Chambres des questions de finances. Il a été constamment membre de la commission du budget

dont il a été nommé président il y a quelques années. Cette année, il a été élu le premier, au scrutin de liste, membre de la commission du budget.

M. Sadi Carnot a épousé Mlle Dupont Withe, fille du célèbre économiste, l'ami de Stuart Mill. Il a quatre enfants. Sa fille est mariée à M. Paul Cunisset, docteur en droit, qui, après un brillant passage au barreau de Dijon, a été nommé avocat général à la Cour de Dijon. Son fils aîné est officier, en ce moment en garnison à Dijon. Ses deux autres fils font leurs études dans un des lycées de Paris. M. Sadi Carnot a deux frères, l'un est un des ingénieurs les plus distingués du corps des mines, et l'autre habite Nolay, le berceau de la famille du grand Carnot.

Au physique, M. Carnot est d'apparence timide. Il est mince, de taille moyenne. Son oeil est très voilé. Il fait de beaux effets de barbe noire. De taille élancée, le Président a une démarche ferme et un peu raide.

M. Sadi Carnot, avant sa grandeur, habitait le troisième étage d'une maison située rue des Bassins: M. et Mme Sadi Carnot ont mené jusqu'à présent une vie très simple, lui vaquant à ses nombreuses occupations, elle s'occupant du ménage, tous les deux suivant de près l'éducation de leurs enfants. Pas de grandes réceptions, leur salon ne s'ouvrant qu'à quelques intimes. Des dîners de famille réunissaient souvent le père, le frère et les autres parents du nouvel élu.

M. Sadi Carnot ne sortait presque jamais le soir. N'aimant pas la vie mondaine, il préférait rester avec les siens. Se couchant avant minuit, il se levait de bonne heure pour se mettre au travail. On dit que M. Sadi Carnot est décidé à changer ses habitudes et qu'il entend donner des fêtes à l'Elysée. Nous ne pouvons qu'approuver ces intentions.

Le prénom de Sadi que porte le successeur de M. Grévy intrigue bien des gens. Quelques-uns même pensent que ce n'est pas un prénom, mais que ce nom de poète persan fait corps avec le nom de famille. Voici la vérité à cet égard : M. Sadi Carnot a eu pour parrain un oncle qui, né pendant la période révolutionnaire, à l'heure où tout républicain refusait de donner un nom de saint à ses enfants, avait reçu le prénom du poète des roses. Il l'a transmis à son filleul.

On assure que le nou veau Président de la République supprimera son prénom dans les actes officiels qu'il signera, et que ces pièces porteront seulement le nom de « Carnot ».

NOM DE LA SEMAINE

C'est je pense, la dernière fois que nous avons, Pour longtemps au moins, à nous occuper ensemble de questions qui ont quelque rapport avec la politique. L'ébranlement a été trop violent pour que nous n'en sentions pas encore le contre-coup, et il serait, pour l'heure, impossible de parler d'un sujet qui ne touchât pas par quelque endroit à l'élection du nouveau Président.

Jamais, peut-être, je n'ai mieux senti combien étaient à la fois puissants et vains ces, deux grands mots qui affolent tant de gens : popularité et impopularité.

Ici même, nous avons, il y a quelques semaines, à propos du général Boulanger, examiné l'un après l'autre tous les éléments bizarres dont se composait cette popularité factice. Nous avons pu voir, cette fois, comment une impopularité réelle, une impopularité

impopularité peut se former d'absurdes niaiseries et de racontars futiles.

Vous pensez bien que je parle de M. Ferry. J'en puis causer tout à mon aise, puisqu'il n'a pas été élu; mais, comme c'est lui-même qui, en allant serrer la main de M. Sadi Carnot, a assuré l'élection de son rival, je n'ai aucune envie de récriminer contre le. vote qui a porté M. Sadi Carnot à la présidence. Ce choix avait sa raison d'être, et, n'eût-il que cet avantage de nous assurer quelques mois de tranquillité, une lune de miel politique, il faudrait encore s'en réjouir.

Mais, je ne le cache pas, j'eusse voté pour M. Ferry, sans autre motif pour le faire que cette considération qui, pour moi, pèse d'un grand poids dans la balance : M. Ferry est, à,mon sens, le seul homme de-. gouvennement que nous possédions. Il sait ce qu'il veut et il le veut fortement. C'est bien quelque chose, cela, parmi ce déplorable avachissement des volontés qui est la caractéristique de notre temps.

M. Ferry avait contre lui d'être impopulaire. Il l'était à un degré prodigieux, sans qu'il ait été plus possible de discerner les raisons de son impopularité, qu'il ne l'aya,it été de démêler celles de la popularité du général Boulanger. Il était impopulaire parce qu'il l'était. Mais il l'était à un point que l'on ne saurait dire, à un point qui m'étonnàit moi-même, bien que je sois depuis longtemps blasé sur les injustices, les préjugés et les sottises de la multitude. On a beau être philosophe, il y a un degré de folie dans le public qui déconcerte toujours le raisonnement. ...

S'il y avait une candidature qui dût être sympathique à la bourgeoisie républicaine, c'était assurément celle de M. Ferry, qui passait pour avoir la main très ferme, pour inspirer une crainte salutaire, à la fois aux intransigeants de gauche et à ceux de droite. C'est autour de celle-là qu'elle eût dû se rallier, si elle avait eu l'ombre d'esprit politique. Mais l'impopularité avait fait son office, une impopularité terrible, une impopularité qui n'avait jamais eu son égale.

Je ne fraye guère avec le monde des affaires ; je vois par goût nombre d'honnêtes gens, qui évoluent autour de l'administration et du commerce. Eux encore, ils auraient pris leur parti de voir M. Ferry arriver à l'Elysée.. Mais les femmes, et, ce qu'il y a de plus curieux, les jeunes filles étaient intraitables. Il n'y avait pas moyen de raisonner avec elles.

— Mais vous êtes donc un Tonkinois ? s'écriaient-elles.

— Un Tonkinois ? répondais-je ; qu'est-ce que cela veut dire ?

Et j'avais beau leur faire l'histoire du Tonkin ; leur dire qu'au cas où la conquête du Tonkin serait une mauvaise affaire, ce qui n'était pas démontré, il était fort injuste de la mettre au compte de M. Ferry qui avait trouvé la guerre engagée quand il était arrivé au ministère, et qui n'avait fait que poursuivre avec l'assentiment de.la Chambre une entreprise commencée par d'autres.

— C'est un Tonkinois, c'est le Tonkinois, me répondait-on.

Et ce mot : « C'est le Tonkinois ! » me rappelait la fameuse tarte à la crème de Molière, qui répondait à toutes les objections...

Il y a plus : un de nos amis qui est de Marseille disait aux Marseillais :

— Eh bien ! admettons, si vous voulez, que la conquête du Tonkin soit, au point 4e vue national, une simple bêtise. Permettez-moi de vous en dire les résultats pour vous autres.;


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

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Marseillais : Votre commerce en ce pays se monte à une centaine de millions, ainsi que le prouvent les documents officiels. Cent millions ! c'est un denier ! il me semble que vous ne devriez pas en vouloir tant à l'homme qui a ouvert cette large et fructueuse voie à un nouveau négoce.

— Vous êtes un Tonkinois ! ont répondu en choeur les Marseillais.

Mais, disais-je aux Parisiens, s'il est absurde de le rendre responsable dès incidents qui ont mis le Tonkin sous notre domination, il faut lui savoir gré de nous avoir donné la Tunisie, sans une goutte de sang répandu, grâce à la façon dont notre armée, massée sur la frontière, a secondé l'action de notre diplomatie. C'est un chef-d'oeuvre d'audace et de prudence que cette main-mise sur un pays si riche,dont l'annexion complète notre conquête de l'Algérie.

— Vous êtes décidément un Tonkinois, me répétait-on, et la conversation ne sortait pas de là.

Il est vrai que d'autres personnes mettaient en avant des griefs plus extraordinaires encore. Je vois toujours à ma table une des plus aimables actrices de Paris dire à l'un de mes convives, qui parlait de la candidature pour la soutenir.

— Ah ! monsieur, je vous croyais meilleur Français que cela.

— Et pourquoi, demanda-t-il en souriant, jugez-vous que je ne sois pas assez bon Français ?

— Vous appuyez la candidature de M. Ferry qui a vendu l'Alsace et la Lorraine à M, de Bismarck.

Il y eut un doux rire, qui circula autour de la table. Elle se fâcha tout rouge ; elle déclara que M. Ferry était l'homme de la Prusse , que le chancelier avait dépensé beaucoup d'argent pour l'avoir aux affaires, que c'était là un fait connu et que personne ne pouvait nier sa mauvaise foi.

Toute la table continuait de rire. Oui, nous riions et nous avions tort, car ce que disait cette actrice, qui de sa vie ne s'était occupée de politique et ne s'en souciait non plus qu'un poisson d'une pomme, c'est ce qui flottait autour d'elle dans l'atmosphère des conversations ambiantes. Il y avait, cela est certain, une moitié de la nation qui était imbue de cette idée saugrenue, que nommer M. Ferry à la présidence,, c'était marquer que l'on renonçait à toute revendication de nos provinces perdues.

Et si l'on avait prié les gens coiffés de cette opinion d'en dire les motifs, on les eût mis sans doute dans un grand embarras. De motifs, il n'y en avait pas l'ombre. C'est Déroulède, c'est Rochefort qui avaient dit cette niaiserie monstrueuse; ils l'avaient répétée si souvent qu'on avait fini par le croire. Et qui sait? peut-être eux-mêmes avaient-ils fini par y ajouter foi.

A toutes ces accusations il n'y avait rien à répondre, et l'on n'a rien répondu. Voilà déjà longtemps que j'ai insisté sur cette idée qu'il est inutile de s'escrimer contre une légende. Elle s'impose à tous les esprits, et tant qu'elle dure, elle fait office de vé - rite. On peut mépriser la légende; la détruire, jamais.

M. Ferry est philosophe. Il avait pris son parti de toutes les insanités qui étaient, dans tous les journaux, débitées sur son compte. II en haussait les épaules. Peut-être a-t-on bien fait de ne point passer outre, et de ne pas le nommer? La bêtise humaine, est une force dont il est impossible de calculer l'énergie et, il aurait pu arriver que, le lendemain de sa promotion à la présidence,

Paris fût ensanglanté par une émeute Mieux vaut toujours éviter ces extrémités douloureuses.

Mais soyez sûrs qu'il reviendra, comme dit la chanson, en parlant d'un autre. Car c'est un homme de gouvernement. Soyez sûrs que vos préventions, si vous en avez sur les yeux, en tomberont un jour, et que vous serez stupéfaits, si toutefois vous y pensez, de la futilité des motifs qui vous avaient déterminé à haïr et à repousser un tel homme.

Popularité, impopularité ! Ces deux mots n'auraient aucun sens dans notre langue, ils n'y figureraient pas même, s'il n'y avait que des personnes qui pussent se rendre compte des raisons qui les engagent à aimer ou à détester les gens. C'est Casimir Delavigne qui a défini la popularité dans de jolis vers, qu'il a mis comme préface à la comédie de ce nom. Ce sont des vers adressés à son fils :

Esclave aussi terrible et plus souvent flatté, Le peuple est doux au maître qu'il tolère ;

Et ce qu'on nomme, enfant, la popularité, C'est son amour qu'un rien change en colère.

Amour plus fugitif que n'est la goutte d'eau ;

Ta gloire, à toi, quand ton souffle en colore Le globe qui tremblant au bout du chalumeau,

Te semble un monde, éclate et s'évapore.

Entre nous, vous savez, ces strophes-là ne valent pas grand'chose, et du diable si je sais pourquoi elles me sont restées dans la mémoire. L'idée est juste au fond. La popularité est chose brève ; il en va de même de l'impopularité. Le vrai homme d'Etat ne craint pas d'être impopulaire ; il sait bien que ce n'est jamais pour bien longtemps.

FRANCISQUE SARCET.

MOEURS PARISIENNES

EN FAMILLE

(Fragment du iournal d'un employé)

Quelle guigne !... On ne nous donnera pas de gratifications en fin d'année ! Je les avais pourtant déjà portées en ligne de compte, et, d'avance, mentalement, je déterminais l'emploi des 400 francs de grates qu'on nous octroie d'ordinaire : d'abord 150 francs à valoir sur la note de mon tailleur qui s'impatiente ; puis 200 francs à ma femme pour acheter un porte-bonheur dont elle a envie ; enfin 50 francs à la nourrice, pour stimuler le zèle de cette campagnarde rapace. ■— Croyant tenir chat en poche,j'avais même eu la naïveté d'annoncer prématurément cette bonne nouvelle dans mon ménage. Pas de gratification ! Et pourtant il y a de l'argent, le crédit n'a pas été dépensé, je le sais pertinemment ; mais mon directeur général, un égoïste et un ambitieux, préfère verser les fonds au Trésor, afin de faire sa cour au ministre, qui veut des économies. Si mes souvenirs classiques ne me trompent pas, il y a un vers latin qui dit que « les sujets pâtissent des folies de leurs rois.» J'en fais la triste expérience. C'est mon budget qui pâtit des expédients imaginés pour équilibrer celui de l'Etat. Mes recettes diminuent,, mes dépenses augmentent, et je m'enfonce... je m'enfonce!... Encore si

j'avais la paix dans mon ménage! Mais non : les tempêtes y deviennent chroniques. Il n'y a presque plus d'embellies.

Quand j'ai dû annoncer à ma femme que la pingrerie ministérielle m'obligeait à ajourner la réalisation de mes promesses, j'ai été accueilli par un haussement d'épaules et un ironique regard tombant de ses yeux gris ; ce méprisant. regard, souligné par un sourire plus méprisant encore, semblait dire : « Je le prévoyais ; rien ne m'étonne plus d'un mari tel que vous !» Oh ! ce silence menaçant ! J'aurais mieux aimé une scène, d'autant que je ne perdais rien pour attendre. Quant à la nourrice, loin d'imiter le silence de sa maîtresse, elle s'est répandue en lamentations hypocrites. Elle a plaint madame, elle s'est plainte ellemême, et, comme je lui adressais des observations modérées, elle est devenue grossière. De sorte que j'ai cru de ma dignité de monter sur mes grands chevaux. Je lui ai réglé son compte et je l'ai congédiée séance tenante.

Ma femme ne desserrait pas les dents. Elle continuait à hausser les épaules et avait l'air de jouir des insolences dont me gratifiait cette fille des champs. A la fin, elle lui a chuchoté quelques mots où j'ai cru démêler qu'elle lui ordonnait de se rendre chez ma belle-mère avec le petit. En effet, après avoir expectoré une dernière grossièreté à mon adresse, la nounou est partie avec son nourrisson. Léocadie et moi, nous sommes restés en tête-à-tête, et j'ai essayé de lui parler le langage de la raison. C'est alors que l'orage a éclaté. Elle m'a traité d'homme sans foi, sans énergie et sans entrailles. Elle m'a reproché de lui refuser le nécessaire... Le nécessaire!... Un portebonheur avec un trèfle à quatre feuilles en pendeloque ! Elle a ajouté que, puisque je condamnais son enfant à mourir d'inanition, elle allait se retirer avec lui chez sa mère !

Là-dessus, sans écouter mes observations aussi légitimes que mesurées, elle s'est enveloppée dans sa rotonde, a noué rageusement les brides de son chapeau, et elle est partie en claquant les portes;

Cela se passait à dix heures du soir. Bien que ne me sentant pas dans mon tort, j' ai éprouvé une certaine inquiétude et, m élançant sur ses traces, je me suis jeté dans un fiacre auquel j'ai donné l'adresse de ma belle-mère. — Tout en roulant, je maudissais la malencontreuse idée que j'avais eue de me marier. À mesure que je me plongeais dans mes souvenirs, le temps de mon célibat m'apparaissait comme un âge d'or. — Je me levais alors à la pointe de neuf heures, je prenais mon chocolat avec pain et beurre, je me rendais à mon bureau où je m'attelais méthodiquement à une besogne doucement monotone. Toutes mes idées étaient classées comme des fiches dans un casier; l'emploi de mon temps était réglé. A quatre heures et demie, j'allais flâner à la musique des Tuileries en été, sous les arcades du Palais-Royal en hiver. Je dînais avec des camarades à un petit restaurant de la rue Jacob ; nous terminions la soirée par un domino à quatre ; puis, au coup de onze heures, je m'endormais dans la paix du coeur pour recommencer le lendemain.

Un jour, on m'a poussé au mariage et — moins par amour que par ambition — j'ai épousé la fille d un ancien chef au


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LE8 ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES.

ministère. Mal m'en a pris. Au lieu du train-train régulier de ma vie de garçon, je mène une existence tempétueuse et désordonnée. Je suis comme sur le pont d'un navire sans cesse assailli par des coups de vent. J'ai une épouse acariâtre qui me réveille là nuit pour récriminer ; j'ai un enfant qui crie, une nourrice, des créanciers... et ma belle-mère ! Oh ! ma belle-mère!... C'est ma femme, en plus vieux, avec les mêmes yeux gris et durs, la même voix vinaigrée, le même tempérament colérique. Ce qui n'est qu'un duvet sur la lèvre supérieure de Léocadie est devenu des moustaches sur celle de sa mère. La maman a le même caractère que la fille, mais avec des arêtes plus aiguës et plus coupantes. — Jolie perspective pour l'avenir !

Tandis que je repensais à tout cela, le fiacre roulait. Il s'est enfin arrêté et je suis descendu. Il y avait déjà deux voitures à la porte de mes beaux-parents. Je suis monté très digne et très calme en apparence, mais mon coeur battait jusque dans ma gorge tandis que j'agitais la sonnette.

La bonne est venue m'ouvrir en bougonnant, ahurie sans doute par ces trois visites arrivant coup sur coup, et elle m'a appris que mes beaux-parents étaient au théâtre, — au Gymnase.

— Mais, a-t-elle ajouté, vous pouvez entrer... Madame et la nourrice attendent déjà au salon.

Elle m'a introduit au salon où j'ai été accueilli par un silence encore plus glacial que l'atmosphère de cette pièce sans feu. Le petit seul piaillait dans les bras de la nourrice. Léocadie, roide dans son fauteuil, les lèvres pincées, ne daignait pas me regarder. J'ai arpenté la chambre d'abord en longueur, puis en largeur, la main passée dans ma redingote boutonnée ; enfin, énervé moi-même par ce mutisme agaçant, j'ai parlé :

— Je suis venu, ai-je dit à Léocadie, pour voir jusqu'où vous pousseriez cette mauvaise plaisanterie !

Pas de réponse. Le marmot seul braillait toujours et la nourrice se décidait à lui donner le sein. Je me suis armé de patience et j'ai repris ma promenade, en .comptant mentalement les tics-tacs du balancier de la pendule. Cela a duré une heure mortelle. Enfin, à onze heures et demie, les beaux-parents sont arrivés. Je les entendais dans l'antichambre : mon beau-père bâillait bruyamment, tandis que ma belle-mère répondait aux informations de la bonne par d'aigres exclamations.

La porte s'est brusquement ouverte. Tableau. Ces vieilles gens tombaient de sommeil, et la perspective d'une scène de famille à cette heure indue n'était pas .pour adoucir leur humeur.

— Monsieur, a glapi, ma' belle-mère, qu'est-ce encore que Cette algarade ?

— Demandez à votre fille, madame; quant à moi, je n'y comprends rien.

— Monsieur m'a chassée ! s'est écriée tragiquement Léocadie.

— Moi ?... Ah ! par exemple, c'est trop

fort!...

Mais ma belle-maman ne m'a pas laissé achever, et de sa voix de verjus :

— Vous avez osé chasser ma fille, vous!... vous!...

.... —Moi.?--- Pas le moins du monde ! —Demandez à la nourrice, a répliqué ma femme.

Naturellement cette campagnarde a commencé à me chanter pouilles. Ma femme récriminait, ma belle-mère fulminait; le beau-père, lui, tirait son épingle du jeu; il remontait la pendule en bâillant à se décrocher la mâchoire. Cela s'est terminé par une crise de larmes, et, comme toujours, j'ai fini par mettre les pouces. Que pouvais-je faire contre ces trois enragées ? J'ai promis tout ce qu'on voulait, pour, avoir la paix. Alors, après une semonce de ma belle-mère et une poignée de main compatissante du beaupère, nous avons descendu l'escalier en famille et nous sommes repartis processionnellement en trois voitures.

J'ai payé les fiacres. Je garderai la nourrice, j'achèterai le porte-bonheur ; les appointements du mois y passeront. Voilà mon budget plus déséquilibré que jamais. Les dettes font la boule de neige. Mon tailleur viendra demain avec sa note. Je sens que je m'enfonce... que je m'enfonce !... Et quand je songe qu'au bureau je passe pour avoir fait un beau mariage !...

ANDRÉ THEURIET.

II est difficile de ne pas parler du Congrès- Depuis longtemps Versailles n avait été

aussi animé. Ses rues paisibles regorgeaient de monde, et ses restaurants étaient trop petits. La plupart des députés et des journalistes sont allés déjeuner à l'hôtel des Réservoirs. Que de souvenirs évoque ce nom ! que de dîneurs illustres se sont succédé dans ce célèbre établissement ! On s'y est écrasé samedi comme aux plus beaux jours de l'Assemblée nationale.

Pendant que les paris continuaient sur MM. Ferry et Freycinet, que l'on croyait encore les seuls candidats sérieux, et tout en prenant ma tasse d'un café qui n'était pas chaud, je me reportais vers cette époque si gaie dans son insouciance, je me rappelais tous ces déjeuners dans ces maisons hospitalières et les châteaux des environs, chez Mme Pelouze dans l'hôtel qu'elle avait loué sur l'avenue de Paris, chez Mme Heine au château de Rocquencourt, chez Mme de Rainneville, sans oublier l'hospitalité d'Augustine Brohan, dans son hôtel de la rue Montbazon, et son chalet de Ville-d'Avray ; je revoyais ce déjeuner à la Préfecture où il y avait une si belle corbeille de pêcftes venant de Trianon, et M. Thiers disant au correspondant du Times : « Blowitz, voulez-vous la moitié d'une pêche ? »

Pendant que Mme Thiers s'écriait : « Mais ces pêches sont pour le dîner ! »

Alors le président, impatienté, car il était le prodigue de la famille, coupait une pêche en deux d'un geste despotique, et envoyait la moitié à son convive. Puis, pour bien affirmer son autorité, il en prenait une seconde et la faisant rouler, à travers la table, vers M. Barthélémy Saint-Hilaire, qu'il avait rudoyé au commencement du repas, il lui disait :

« Je suis sûr que vous en voulez une aussi, gourmand. »

Pendant ce temps, les autres invités devaient se contenter d'admirer les beaux fruits. Et.puis remontant toujours plus haut, je me rappelais encore un autre déjeuner, au palais même de Versailles, en 1864, le jour où la Comédie française et l'Opéra vinrent y représenter Psyché, pendant les fêtes données par l'impératrice? en l'honneur du roi d'Espagne. Je révoyais l'immense table présidée par Emile Perrin, ayant à sa droite Mlle Favart

Favart Edouard Thierry, assis à côté de Mlle Fonta, les artistes du Français mêlés à ceux de la danse, les valets de pied à la livrée impériale, les maîtres d'hôtel, l'épée au côté, servant d'un air majestueux les soubrettes de Molière et les demoiselles du premier quadrille.

Ces jours sont loin. Un de nos confrères s'est amusé à interroger le maître d'hôtel des Réservoirs, un vieux serviteur, dont la tête est pleine d'anecdotes et de souvenirs, il lui a arraché de mélancoliques confidences :

« Ce n'est plus l'époque, s'est écrié le brave homme, où M. le duc de La Rochefoucauld, M. le baron de Soubeyran et tant d'autres personnes respectables arrivaient en poste ; le temps où leurs cochers, leurs valets de pied, sans parler des chevaux, auraient rougi de descendre autre part qu'à l'hôtel des Réservoirs.

» Ah ! c'était le bon temps, alors ! Jamais une table libre dans la grande galerie, et les petits salons, monsieur, toujours retenus huit jours d'avance par M. le comte d'Haussonville, M. le comte Duchatel, les MM. de Juigné, de Castellane, de Talhouêt, de Momay et tant d'autres véritables grands seigneurs. Vous vous rappelez le petit cabinet, à droite, où M. le président Grévy venait déjeuner tous les jours avec M. Cochery, M. Guyot-Montpayroux et M. Wilson, qu'il appelait Daniel? Certes, M. Grévy ne ressemblait pas au duc de Coislin ; il avait le tort de porter toujours un chapeau mou ; la preuve, c'est qu'un jour où il fut obligé de se couvrir à la Chambre, il lui fallut-emprunter le gibus d'un de ses collègues qui avait plus détenue, maison reconnaissait tout de même que c'était un personnage, à la façon digne dont il mangeait ses oeufs au beurre noir.

» Et ce pauvre M. Wilson auquel on cherche, je ne sais pourquoi, des misères en ce moment : il ne regardait pourtant pas à payer une bouteille de pontet-canet à son futur beau-père et à solder l'addition. Quant à M. Cochery, il n'était pas très large pour les pourboires ; mais il était toujours en colère, et cela donnait de l'animation.

» Et le salon du premier! J'ai eu là l'honneur de servir tout le corps diplomatique : le prince de Metternich, lord Lyons, le baron Beyens, le chevalier Nigra, le comte Hoyos, le prince de Croy, le baron de Zuylen, le chevalier de Stuers. C'étaient des hommes, ceux-là ! On leur servait le dîner de la table d'hôte à quatre francs, et ils le payaient douze sans réclamer. Et M. Pouyer-Quertier, en voilà un qui savait ce que c'est que de manger ! Tous les matins, il buvait une bouteille de Champagne, une de bordeaux, et terminait par une carafe de Champagne frappé. Il appelait' ça. faire un prisonnier. Je me suis même permis de lui dire, un jour, que ce n'était pas un prisonnier, mais une prisonnière qu'il faisait, en parlant de la bouteille de Bordeaux ; if a bien voulu rire de mon observation et me dire que j'avais de l'esprit. C'est même ce jour-là qu'il a fait un de ses meilleurs discours, celui sur les matières premières, qu'il arrosa encore, à la tribune, de quelques bouteilles de léoville, que je lui avais fait porter.

» Et le 24 Mai, monsieur, vous rappelezvous ce déjeuner pour douze personnes, à 6 fr. par tête, pour lequel vous aviez retenu la salle du second, et où il est venu tant de monde et de si belles dames, à commencer par M. Nigra et Mme de Canizy, que j'ai cru bien faire d'ajouter quelques fraisés au dessert, ce qui a permis de compter vingt-six fr. par personne? Voilà ce qu'on pouvait appeler un Congrès !»

M. Grévy disparaît de la scène politique. On ne parlera plus de lui que le jour de sa mort. Ce jour-là, les passions seront calmées, et tout le monde rendra hommage aux grandes qualités qu'il a montrées dans les diverses et hautes fonctions que le pays lui a confiées.

M. Grévy était fort laborieux, malgré son


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

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âge. Veut-on savoir quel était l'emploi de ses journées? On verra qu'il ne s'accordait guère le temps de rêver ni de flâner.

M. Grévy se levait à sept heures et demie en été et à huit heures en hiver. Il passait des pantoufles, un pantalon, un gilet et un veston en molleton, et descendait du premier étage, où était située sa chambre à coucher, au rezde-chaussée, dans son cabinet de travail, dont les portes-fenêtres ouvrent sur les jardins de l'Elysée.

Les officiers de sa maison militaire s'y trouvaient réunis. Ils avaient déjà dépouillé la correspondance officielle, qu'ils présentaient, avec leurs annotations, à M. Grévy. Celui-ci lisait d'abord ses lettres privées ; puis il prenait connaissance de la correspondance officielle et enfin des dossiers que lui avaient soumis ses ministres.

Lorsqu'il y avait conseil des ministres, c'est à neuf heures qu'il avait lieu. M. Grévy pre■ nait un grand plaisir à le présider. C'était là son travail de prédilection. Il se carrait dans son fauteuil, écoutait, interrogeait, accordait, ordonnait. Lorsqu'il n'y avait pas conseil, il continuait de travailler jusqu'à dix heures.

A dix heures, audiences. M. Grévy recevait avec gravité, bonhomie, quelquefois avec goguenardise, d'autres fois avec somnolence. Il n'aimait pas à s'engager. Rarement, on remportait un oui catégorique.

Le déjeuner avait lieu à midi et demi. Déjeuner plus solide que recherché. M. Grévy avait un forfait avec son cuisinier : tant par tête. Il n'y avait jamais plus de vingt personnes à table, sauf aux déjeuners ou aux dîners de gala, qui étaient le plus rares possible. M. Grevy déjeunait de bon appétit.

Après déjeuner, il faisait un tour dans les jardins, donnait de la mie de pain à son canard Bébé, se chauffait le long des serres, faisait une partie de billard, où il excelle encore, recevait ou faisait quelques visites.

A sept heures et demie, dîner frugal. Comme dans beaucoup de villes de province, à l'Elysée, le repas sérieux était le déjeuner; le dîner, au contraire, n'était qu'un souper, presque une collation. Au dîner, donc, M. Grévy recevait plus volontiers sa famille. M. Grévy mange peu le soir :

— Je veux, dit-il, avoir, comme M. Thiers, la tête froide, le ventre libree et les pieds chauds.

_ Après dîner, M. Grévy passait dans un petit salon attenant à la salle à manger. Ses frères, M. Albert Grévy, sénateur, et le général Paul Grévy, venaient le voir, lui racontaient les cancans du jour. On parlait aussi de Montsous-Vaudrey et de chasses.

Enfin, l'on amenait à M. Grévy ses deux petites-filles. Il avait avec elles une demiheure, les embrassait, les gâtait, jusqu'à ce que ces enfants fussent se coucher.

Quelquefois alors, M. Grévy faisait avec les personnes présentes une partie d'échecs ou de whist. _ Mais, à dix heures, sa paupière s'alourdissait, il montait dans sa chambre, se couchait et dormait ses dix heures d'horloge.

Lord Lyons, ancien ambassadeur d'Angleterre à Paris, est mort cette semaine à Armsdel, chez le duc de Norfolk.

Le vicomte Richard Bickerton Pemell Lyons était né à Lymington le 26 avril 1817. Après avoir terminé ses études à Oxford, il aborda la carrière diplomatique, qu'il ne quitta plus jusqu'à sa mort. Il remplit tout d'abord les fonctions d'attaché d'ambassade à Athènes, à Dresde et à Florence; il fut nommé, en 1856, secrétaire de légation à Florence, et, au commencement de 1858, ministre-résident en Toscane.

A la fin de cette même année, il alla, comme envoyé extraordinaire, à Washington, où il passa près de sept années. Rentré en Angleterre pour des raisons de santé, lord Lyons fut nommé, en 1865, ambassadeur britannique à Constantinople, et, au mois de juillet 1867, ambassadeur à Paris. Il a conservé ce poste pendant vingt années, et, durant ce long séjour, il a su s'attirer, par son esprit conciliant et ses hautes qualités, la

sympathie universelle. On n'oubliera pas de longtemps le service qu'il a rendu à la population parisienne quand, à la levée du siège, il fut un des premiers à procurer des vivres à la capitale affamée.

Lord Lyons était, du reste, un charmant causeur, d'une conversation primesautière et essentiellement parisienne, attachante, gauloise même, par le tour d'esprit, par la verve intarissable, par la richesse de ses anecdotes, sous les dehors d'une bonhomie qui prêtait tant de relief à ses entretiens.

Nous n'avons pas à vanter l'hospitalité de cet homme aimable et qui entendait si galamment et si.largement ses devoirs de représentant d'une grande puissance auprès d'un « gouvernement ami », Sa magnificence fut proverbiale, ses dîners étaient aussi délicats que fastueux, ses réceptions, où l'élément féminin faisait défaut, mylord étant garçon, avaient un cachet de grandeur et de libéralité qui ont fait de lui le plus étonnant amphitryon.

On se souviendra, notamment, de la fête qu'il donna, dans ses jardins, en juin dernier, à l'occasion du Jubilé de la Reine, et qui restera un modèle achevé de bon goût, d'originalité et de confort. 35,000 pieds de fleurs, qu'il fit ajouter à ses parterres, des montagnes de blocs de glace disséminées dans le parc pour y répandre de la fraîcheur ; des tables — partout — surchargées de Champagne, de bordeaux, de corbeilles de pêches... total, 55,000 francs !

Lord Lyons avait 225,000 fr. d'émoluments, et il trouvait chaque année moyen d'en dépenser cinq fois le double. Parbleu ! au train dont il y alla au Jubilé !

Et, cependant, surveillant sa maison, que son ami, M. George Sheffield, avait mise au point : ses trente-quatre domestiques, ses vingt-cinq chevaux, ses douze voitures étaient d'une correction unique. Il fallait voir, lorsque mylord descendait son monumental escalier, entre la double rangée de ses gens, comme ceux-ci redoutaient l'inspection de son regard allant circulairement de la tête aux pieds!... Néanmoins, adoré d'eux tous... et pour cause !

Notre supplément du 18 décembre sera tout entier consacré aux fêtes de Noël. Il contiendra un délicieux Noël composé par MASSENET, sur des paroles de notre éminent collaborateur André Theuriet.

Grand remue-ménage chez les habitants du Céleste-Empire. Un de nos compatriotes, M. Panis, s'est rendu en Chine pour y effectuer des ascensions aéronautiques.

Les premières ascensions viennent' d'avoir lieu à Tien-Tsin. On a commencé à gonfler le ballon à 8 heures du matin, et à 10 heures 20 minutes l'aérostat était prêt.

Pour éviter tout mécompte et tout accident, M. Panis, l'aéronaute, a tenu à monter seul dans la nacelle.

Le succès le plus incontestable a couronné ses efforts, et les manifestations enthousiastes de la foule et des savants chinois euxmêmes ont accueilli le départ.

Dans la seconde ascension, M. Panis était accompagné de M. Thévenel, ingénieur en chef des ponts et chaussées, chef du syndicat de l'industrie française en Chine, de Mme Bausque, femme d'un ingénieur.

Puis, rassurés par cet essai, un mandarin a risqué ses boutons de cristal, puis un autre, puis un troisième. Enfin, tous les mandarins présents.

Le ballon était magnifiquement pavoisé aux couleurs françaises et chinoises. Les oriflammes aux trois couleurs claquent au vent et l'immense aérostat quitte le sol au milieu d'une véritable ovation.

Un bruit épouvantable se fait entendre, ce sont les vivats, les bravos et les acclamations des Européens auxquels se joignent les cris d'admiration et de joyeux étonnement des Chinois

'Le canon tonne, le tambour bat, les instruments de cuivre résonnent ; c'est un brouhaha indescriptible et d'une pittoresque, exagération. Joignez à cela le costume éclatant des mandarins chinois, les originales broderies dorées de leurs longues robes de soie, scintillantes au soleil, la figure comique des habitants du Céleste-Empire et tout cet apparat des grands chefs.

Le tableau est merveilleux, tout ce chamarrage multicolore est vraiment superbe.

Le nombre des ascensions (captives) a été de cinquante-cinq et le nombre des voyageurs de quatre-vingt-sept. Parmi ceux-ci, outre les gros bonnets chinois et les personnes que nous avons déjà nommées, M. R. Plessy:, Mme Bons-d'Anty, la femme du chancelier du consulat français à Tien-Tsin ; des dominicains, quelques-uns de nos compatriotes et le commandant Aubert, le héros du tableau les Dernières Cartouches, tableau dont l'apparition eut, il y a, quelques années, un si grand retentissement, et qui a été depuis, reproduit à des milliers d'exemplaires par la gravure et la photographie.

Le consul, M. Ruthelhuber assistait à cette cérémonie, qui avait pris les proportions d'un événement.

Tous les grands mandarins présents en ouvraient une bouche de potiche et leur quelle en avait des tressaillements d'allégresse. Le gouverneur de Port-Arthur-le-Grand, Uhon, le directeur de l'Ecole militaire le non moins grand Yan, et le tout aussi grand Shu généralissime, ne pouvaient cacher leur profonde satisfaction. On les eût dit collés tous trois sur le même paravent.

Le vice-roi, lui-même, voulut monter dans « la voiture aérienne », mais son entourage, craignant la casse, l'en a empêché. Dans :ce pays-là, il paraît que les vice-rois sont en porcelaine, et tout le monde sait que la porcelaine de Chine est fragile.

Petit chapitre à ajouter aux Mensonges de Bourget, le peintre des élégances et des perfidies mondaines.

Nous avons surpris au dernier jeudi de la comtesse de P... ces bribes de conversations, que nous nous sommes empressés de sténographier. Si nos petits-neveux les retrouvent, ils sauront comment l'on causait à Paris en l'an de grâce 1887.

Côté des dames :

— Eh bien ! chère, je ne vous ai pas vue au five o'clock de la princesse de Pataquési ?

— Le temps ! chère amie, le temps ! J'ai suivi le rallye du capitaine Blagôskoff, après avoir assisté au private-meeting de la Marche et au défilé des drags ; c'était d'un pschutt ! Le petit baron a enlevé un prix de tandem! L'année derrière, il "n'avait eu qu'un prix de bug^X- -Avez-vous vu sa calèche woursch? Et le vicomte, avec ses deux bais bruns qui. steppent !

Côté des jeunes gens :

— Tu sais qu'on réorganise le RacingClub?

— Plus souvent! J'ai assez du Rowing-Club' et du Riding and Goatching avec des gardent parties qui m'éreintent.

— A quel titre Gontran: fait-il donc partie du Yachting?

— Mais il paraît qu'il a un peu navigué ; il bourlingue...

— Es-tu des dîners du vendredi, au Hunting-Club?

— J'aime mieux le gratin et la crème !

— Farceur, toujours des.mots! Que faistu demain?

— Je me fais recevoir du Betting-Club; et toi? .....

— Moi, je me fais portraicturer à. cheval en hunting dress ; c'est gentil ?

SERGINES.


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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

LA MATINEE D'UN MINISTRE

Sous ce titre : Quand j'étais ministre, un homme politique, mystérieux et masqué, vient de faire paraître des mémoires fort piquants (1). Nous en détachons un chapitre très curieux. C'est le récit de l'entrée en fonctions d'un nouveau ministre, de ses embarras et de ses luttes. La page est piquante; elle a de plus le mérite de l'actualité. Beaucoup de ministres d'hier et de demain s'y reconnaîtront :

J'étais ministre, — par suite d'une combinaison parlementaire, où la satisfaction que l'on désirait donner à mon groupe entrait beaucoup plus, je le veux croire, que mon propre mérite, — mais j'étais ministre, depuis vingt-quatre heures, à l'Officiel.

La veille, j'avais pris le service, en sortant de la Chambre, des mains de mon prédécesseur, qui m'avait même donné avis que je pouvais, dès ma première nuit de ministère, coucher dans son lit. Je le remerciai, et je n'en fis rien. Mais le lendemain matin, à neuf heures, j'entrai dans mon cabinet, accompagné de mon secrétaire, qui, la veille aussi, s'était fait renseigner sur celui qu'il devait occuper auprès de moi.

Quand je dis mon secrétaire, il n'avait encore, je l'avoue, écrit aucune lettre en mon nom. C'était un jeune compatriote, dont je connaissais la famille, et .qui était venu, deux jours auparavant, m'assurer que le sentiment public me désignait comme ministre, et qu'il avait, lui, toutes les qualités du secrétaire parfait.

— Mais, lui avais-je demandé, que faitesvous ?

— Je sors de l'Ecole de droit.

C'était une raison pour entrer ailleurs.Puis, je songeais que son beau-frère était mon collègue au conseil général ; enfin, je me rappelais qu'un des ministres les plus pratiques que j'eusse connus avait, naguère, émis cette théorie devant moi,en déjeunant : « Il faut toujours prendre pour secrétaire un jeune compatriote : d'abord, ça flatte votre département ; en second lieu, tous les souvenirs saugrenus, toutes les sottises qui vous arrivent de là et qui pourraient compromettre votre dignité aux yeux d'un autre, ne l'étonnent pas ; enfin, dans les choses intimes, on est plus sûr de sa discrétion. »

Comme je déposais mon chapeau sur le bureau ministériel, un huissier était derrière moi : il apportait les premières cartes de compliments, les premières lettres de félicitations, qui étaient déjà des pétitions, arrivant, à la minute, en même temps que moi.

J'étais venu au ministère avant d'être ministre ; je n'avais jamais remarqué cet huissier. Les cheveux gris , — presque blancs, — les favoris minces et courts, la tête anguleuse, droite sur la cravate blanche, comme le corps, de taille moyenne et sec, dans l'habit noir : un portrait d'homme d'Etat du temps de Charles X. Avec cela, une curiosité sceptique dans le regard, une indifférence souriante dans le pli des lèvres, une aisance familière dans l'attitude, sans qu'elle frisât le manque de respect.Evidemment, cet homme avait vu beaucoup de ministres, et il ne paraissait pas plus fier d'en connaître un nouveau.

Est-ce que M. le ministre recevra sans lettres d'audience ? demanda-t-il.

Pour un premier jour, cela me paraissait

assez naturel. D'autre part, j'avais souvent professé l'opinion de « la porte ouverte », sous la République, dans les ministères comme ailleurs. Puis, c'était un mercredi : pas de séance à la Chambre; toute une journée libre...

Mais le ton de l'huissier, dictant, en quelque sorte, ma réponse, sa figure sévère, son oeil soupçonneux et froid me troublaient.

— Non, non ! fis-je en m'asseyant. Je ne recevrai que les sénateurs, les députés et les fonctionnaires.

Il inclina légèrement la tête et tourna sur les talons, semblant content de moi.

Quand il fut sorti, je demeurai stupéfait de ce qui venait de se passer en une minute; j'étais arrivé avec la résolution de me tenir raide vis-à-vis du vieux personnel ; j'avais capitulé devant un huissier.

Quoique les grandes fenêtres fussent ouvertes, à l'entrée du cabinet (c'était à la fin de mai), il se dégageait de partout un relent de tabac, insupportable aux fumeurs euxmêmes, quand ils ne fument pas. Je tirai une cigarette, mais je n'avais pas d'allumettes sur moi et je n'en trouvais pas sur le bureau. Mon premier mouvement fut de sonner l'huissier ; mais, tout à coup, je me vis demandant des allumettes à ce diplomate, qui m'avait mis déjà mal à l'aise ; je n'osai pas.

J'avais, sous la main droite, une rangée de boutons électriques. Au fait, il était bon de m'y reconnaître et d'étudier mes communications ; puis, comme il était temps* de faire mon premier acte de ministre, je sonnai mon secrétaire.

Il parut, les cheveux en coup de vent, semblant moins gêné que moi dans son nouvel état. Je lui remis les lettres impersonnelles adressées à « Monsieur le Ministre ».

— Voyez, lui dis-je, et résumez brièvement en marge...

En ce moment, l'huissier entrait. Une carte : « A. X..., sénateur. »

J'avais plus d'une fois entendu parler de ce centre-gauche important, mais flottant, qui en était d'autant plus à ménager. Aussi contait-on, en riant, qu'il était arrivé à caser quelque part, dans l'administration ou dans les bureaux de tabac, jusqu'à ses arrière-petits-cousins et leurs enfants. Que me voulait le vénérable sénateur A. X...?

Il fut introduit sur-le-champ, comme vous pensez, et il s'avança, tout épanoui, quoique majestueux.

— Mes félicitations, monsieur le ministre ! Mais il est trop juste que le talent et le dévouement soient récompensés.

— Monsieur le sénateur...

— Oh ! je le dis comme je le pense : cela vous était bien dû... A propos, mon cher ministre, vous avez dans votre cabinet mon fils Charles, qui a toujours occupé un poste de confiance auprès de vos prédécesseurs. C'est un garçon dévoué, connaissant très bien son ministère et pouvant vous rendre beaucoup de services; permettez-moi de vous le recommander.

— Comment donc, monsieur le sénateur ; trop heureux...

Vous devinez le reste.

Eh bien ! non, je n'étais pas heureux du tout. Je me rappelais, en effet, maintenant, un gros et massif garçon, à l'oeil gris brouillé, à la physionomie éteinte, que mon prédécesseur, avait, la veille, nommé devant

moi, « M. X », en lui demandant un

dossier, et qui lui avait fait hausser les épaules par sa réponse. Et ce haussement d'épaules n'était pas difficile à comprendre ; il signifiait : « On n'est pas plus bête que ça ! »

Le père parti, je sonnai « son fils Charles

Charles ; — bouton électrique du chef de cabinet.

Il entra par une porte qui s'ouvrait derrière mon dos.

— J'ai pensé, monsieur le ministre, que vous réclamiez les dossiers à l'ordre ?

Et il en avait un faix entre les mains.

Sur un signe, il les déposa à ma gauche, et, le retenant d'un autre geste, je voulus

voir ce qu'il y avait à tirer de M. X

fils.

Rien ! rien !... Des services de domestique médiocre et compromettant, peut-être, par l'importance qu'il avait acquise. Je le renvoyai à son cabinet, en haussant les épaules comme mon prédécesseur.

Mais était-ce tout mon devoir ?

Quelles révoltes n'avais-je pas eues naguère contre le népotisme ? Quels serments n'avais-je pas faits de ne tenir compte d'aucune protection et d'inaugurer l'indépendance absolue, si jamais j'arrivais au pouvoir?

J'y étais et, comme les autres, je subissais

immédiatement les X : X:.. fils à cause

de l'important X... père : celui-ci très insinuant, celui-là très humble, et tous les deux Normands comme des renards de La Fontaine.

J'étais à peine au bout de mes réflexions que le gros Charles X... reparaissait.

— Monsieur le ministre, deux directeurs demandent si vous pouvez les recevoir ?

— Deux directeurs ?

— Oui, affaires urgentes, signature à donner.

— Au fait, quelle heure est-il ? dis-je, comme quelqu'un qui se serait oublié, mais, en réalité, pour ne point paraître ignorant des coutumes ministérielles.

— Onze heures moins le quart, monsieur le ministre, et c'est l'heure où d'habitude...

— Parfaitement, interrompis-je; j'attends ces messieurs.

Et « le fils Charles » se retira, avec la carrure d'un gaillard qui donnait à un ministre les premières instructions de son métier.

Mes deux directeurs empressés avaient, en somme, à se plaindre l'un de l'autre, et chacun d'eux espérait prendre les devants. Mais je me souvenais aussi de ce principe de l'ancien ministre dont j'ai déjà parlé : " Ecouter, ne jamais répondre! » Etre troublant comme un sphinx ; quelle force !

Un directeur de comptabilité leur succéda, « poseur », prolixe, d'une économie menaçante pour les protégés que j'eusse pu avoir l'intention d'introduire dans mon ministère, et, quand je le poussai à fond, je le trouvai aussi ignorant que moi du détail de son administration. C'était honteux. Seulement, cet incapable était le protégé de mon collègue des affaires étrangères, président du Conseil, et il ne valait certes pas une question de cabinet...

Et vingt-quatre heures auparavant, je n'aurais guère traité avec plus de douceur une concession qu'une lâcheté ! C'est Victor Hugo qui a dit : « Si vous voulez rendre les hommes meilleurs, faites-les heureux. » On ajouterait avec quelque raison : « Pour les rendre faibles, faites-les puissants. » Quel dissolvant, en temps ordinaire, que le pouvoir !

Comme je songeais à aller déjeuner, sur le coup de midi, un autre directeur s'annonça. Celui-là, je ne l'oublierai jamais. Type, curieux, original, que cet ancien employé, qui avait plutôt l'air d'un irrégulier et d'un fantaisiste. Le front haut, la chevelure d'argent fin, battue en oeufs à la neige ; l'oeil noir, fouilleur et perçant, sous des sourcils buissonneux ; le nez allongé, délicat, aux

(1) Un vol. .Librairie Illustrée.


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

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narines inquiètes ; les lèvres minces, aux plis amers ; la tête, à barbe blanche, dressée sur la haute cravate noire ; le corps svelte, planté sur des jambes de coq, il semblait, d'autre part, avec sa redingote courte et sans revers, boutonnée jusqu'au cou, échappé de quelque gravure de Gavarni ou de Tony Johannot.

— Monsieur le ministre, me dit-il, d'une voix un peu bredouillante, j'ai l'honneur de vous annoncer que vous avez une bonne presse, une excellente presse.

Et, comme j'avais les yeux fixés sur un journal qu'il tenait à la main : — Oh ! reprit-il, à peine une note discordante, une bêtise, un rien, que j'hésitais à vous communiquer.

Il déploya la feuille et me la mit sous les yeux. J'étais soupçonné d'avoir rempli mes poches avec l'argent de je ne sais quelle souscription et d'avoir fait disparaître le seul témoin dont la déposition eût pu m'accabler. A travers l'entortillement de l'article, il n'y avait pas de différence entre le plus affreux gredin et moi.

— Vous appelez cela rien, monsieur le directeur ? demandai-je avec un sourire de dégoût.

— Oh! monsieur le ministre, me répondit-il, ici, nous en voyons bien d'autres !

X...

Amende honorable à la Terre

Un brutal écrivain t'outrage dans son livre Et soutient que tes fils sont lâches et pervers ; Terre ! moi qui t'adore et que ton souffle enivre, Je viens te faire amende honorable en ces vers.

Car c'est toi la beauté, la pureté suprême,

Fille des flots et chaste épouse du soleil,

Mère du genre humain, qui de tes flancs essaime

Et retourne en tés flancs chercher le grand sommeil.

Rien n'est bon comme toi, nourrice triomphante, Qui, depuis cent mille ans, sans te lasser un jour, Mets aux lèvres de ceux que ton amour enfante Plus de pains qu'ils n'ont mis de grains dans ton labour.

Rien n'est fort comme toi, fière et robuste aïeule Qui n'a pas une ride au sein ni sur le front, Et qui — quand tout vieillit, se flétrit et meurt — seule Vois les siècles passer sans en subir l'affront !

#**

Et tes fils ont le corps viril et l'âme saine ; Qui les peint dépravés ne les fréquente point : La vie au grand soleil ne fait pas l'homme obscène, Et l'on n'est jamais vil, une charrue au poing.

Non, il n'a pas vécu parmi ceux qu'il outrage, L'auteur du livre infâme où tous nos paysans Sont des brutes creusant leur sillon avec rage Pour en faire le lit d'amours avilissants.

Non, il n'a jamais vu leurs épouses fidèles, Plus vaillantes encor souvent que leurs maris, Et, comme la Romaine étalant autour d'elles Leur luxe de beaux gars qu'elles ont tous nourris.

Il n'a jamais compris nos franches jeunes filles, Que l'air rude des champs fait hautes en couleur, Qui vont riant, pieds nus et montrant leurs chevilles,

— Aussi chastes pourtant que la bruyère en fleur.

Et leurs frères, conscrits naïfs, encore imberbes,

— Qui pleurent quelquefois en quittant le sillon, Mais qui, six mois après, sont des soldats superbes Tenant droit le fusil comme hier l'aiguillon,

Où les a-t-il donc vus, le corps mou, le coeur lâche, Allant aux urnes comme au boucher leurs troupeaux, Puis, se faisant sauter les doigts d'un coup de hache Lorsque l'heure a sonné de joindre les drapeaux ?

Eh quoi ! les rejetons des anciens volontaires Et des troupiers d'Afrique à l'élan surhumain N'ont plus rien des vertus chez nous héréditaires, Et voilà quels seraient nos vengeurs de demain ?

Non, non, c'est blasphémer l'armée et la patrie

Que de sacrifier les cadets aux aînés.

De dire que la veine héroïque est tarie,

Et que rien ne repousse en nos champs moissonnés...

Ah ! ne touche donc pas à ce valet de ferme,

A ce fils de berger sur la lande grandi :

Sous leur front dur et clair habite un esprit ferme,

Et sous leur blouse bat un coeur chaud et hardi.

Cynique romancier, laisse-les sous leurs chênes, Ne trouble pas leur air des senteurs de Paris, Et puissent-ils, au jour des batailles prochaines, N'avoir point lu le livre où tu les a flétris !...

Et toi qui du plus pur de ton sang les abreuves, Terre, veille sur eux avec un soin jaloux; Conserve-les fervents pour, le temps des épreuves. Toi qui gardes leurs soeurs vierges à leurs époux.

Fais qu'ils t'aiment ; étale à leurs yeux tes parures, Tes manteaux verts ou bruns, tes fleurs et tes épis, Tes ors fauves d'automne et les blanches fourrures Dont tu couvres, l'hiver, tes beaux flancs assoupis.

Chante-leur les chansons de tes forêts mouvantes, De tes fleuves roulant de l'ombre et du soleil, La complainte des mers par les nuits d'épouvantes, Et des grands prés fleuris à l'heure du réveil.

Pour eux plus que jamais montre-toi maternelle, Prodigue-leur tes biens à travers les saisons; Et — comme la perdrix abrite sous son aile Ses poussins — dans tes bois cache tes nourrissons.

Rends leurs corps beaux et fiers comme les troncs des Comme tout ce qui naît et croît en liberté; hêtres; Ressuscite pour eux l'âme de leurs ancêtres, Toute faite d'élan, de force et de clarté !

Afin qu'un jour — pareille à la ruche en furie Que dans l'herbe, en luttant, renversent deux taureaux— Tu puisses, de ton sein voir jaillir, ô Patrie, Tout armés et vibrants, tes essaims de héros.

Car, ce n'est plus qu'en toi, Terre calomniée, Que placent aujourd'hui leur espoir de demain, Tous ceux quî — te fuyant — ne t'ont pas reniée Et qui rêvent du soc, une plume à la main.

Pardonne à qui te hait, dédaigne qui t'outrage, Souris au déserteur qui retourne vers toi, Donne à tous tes enfants patience et courage, La joie à qui récolte, à qui sème, la foi.

Et tu nous sauveras des abîmes où tombe Tout peuple qui t'oublie ou rit de tes leçons, Car tu ne voudras point n'être plus qu'une tombe, 0 mère des soldats et mère des moissons!

FRANÇOIS FABIÉ.

OPÉRA-COMIQUE. — Le Caïd.

CONCERTS DU CHATELET. — Centenaire de Gluck.

HISTOIRE DES CONCERTS DU CONSERVATOIRE

de M. Deldevez (1).

Qui se douterait jamais, en voyant aujourd'hui l'austère Ambroise Thomas, drapé dans une redingote qui l'enveloppe comme une chape d'officiant, que ce patriarche a été jeune, d'une jeunesse expansive, aventureuse et spirituellement joviale, et que l'éclat de rire du Caïd a pu, à un moment quelconque, jaillir de son cerveau ? Faut-il attribuer à des mécomptes

mécomptes coeur, comme d'aucuns l'ont prétendu, l'air mélancolique et assombri du directeur actuel du Conservatoire de musique, si différent en cela de son prédécesseur, qui était si véritablement l'homme de ses partitions, la joie faite homme ? Qui le sait ? Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'à l'époque de son séjour à Rome, à titre de premier prix de ce même Conservatoire, Ambroise Thomas menait fort joyeuse vie, en compagnie de ses camarades Flandrin et Jouffroy; mais il se mêlait toujours aux folies auxquelles il prenait part, et qu'il animait de sa verve, comme une pointe de sentiment. Horace Vernet était alors directeur de l'Ecole, et avec les façons courtoises d'un grand seigneur, tenait salon ouvert. Musique et peinture y fraternisaient sur le pied de la plus aimable égalité. Sa fille, Louise Vernet, un beau camée antique, une belle médaille de Syracuse, comme; on l'appelait, brillait là dans la divine splendeur de ses premiers printemps. C'était à qui ferait fête à son mélodieux mezzosoprano et cortège à sa captivante grâce. Notre prix de Rome, qui était aussi premier prix de piano, accompagnait la plupart de ses chants, vous devinez avec quelle tendre émotion. Un jour vint où Boïeldieu, qui était un des assidus de la villa Médicis, le pria de l'accompagner dans une excursion à Naples. Or, ce jour-là même, ou le jour du départ, Ambroise Thomas se présenta devant l'auteur de la Dame blanche le bras en écharpe. S'était-il battu en amoureux combat ou simplement laissé choir dans quelque sentier perdu ? Le champ était ouvert aux hypothèses. Toujours est-il qu'il n'alla pas à Naples cette fois-là et que son ami, le sceptique Jouffroy, qui penchait, en dépit de ses dénégations, pour la première version, se mit à cette occasion en frais de rimes et lui fredonna aux oreilles ce narquois refrain :

Au pays des Latins On fait des récits incroyables, Les femmes sont de vrais lutins

Au pays des Latins.

Les petites causes ont parfois de grands effets. Qui nous dit qu'une aventure d'un genre analogue, ou peut-être celle-là même, n'a pas suffi, pour chasser la belle humeur native de l'esprit de notre cher maître ?

Nous voilà loin du Caïd. Revenons-y bien vite pour applaudir M.Jules Barbier de l'excellente idée qu'il a eue de remettre à la scène ces deux pimpants et merveilleux petits actes. Les traits y pétillent comme l' aï mousseux dans le cristal des coupes. Cette charge de la musique italienne a la prestesse et le délicat tour de main d'un crayon de Grévin. Par exception, le librettiste marche ici de pair avec le compositeur. On a saisi au passage — c'était avant la fin de la crise présidentielle — nombre de mots qui ont fort réjoui un public disposé à s'amuser.

Vous savez, sans doute, que le Français Birotteau, après avoir quitté Paris, « cette ville d'intrigues, où l'on ne peut rester homme d'honneur », s'est établi en Algérie pour y chercher honnêtement fortune. Il s'avise d'entrer en marché avec un Caïd pour lui vendre, moyennant cent mille boudjous, un secret au moyen duquel il échappera sûrement aux pièges « préparés par ses administrés » et qui rendra le calme à sa chère vie. Cent mille boudjous, c'est une forte somme, comme

(1) Firmin Didot, éditeur, Paris.


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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

disait Hyacinthe, et le Caïd, qui est un avare fieffé, fait la sourde oreille. Il préfère donner à Birotteau... sa fille en mariage, avec garantie de survivance dans son haut poste. Etre le gendre d'un Caïd ! Cela tente Birotteau, d'autant que, grâce à cette parenté, les boudjous viendront par surcroît. Mais voilà le diable. Aurat-il, le moment venu, les qualités requises pour succéder à son beau-père ? — Pour être Caïd, dit-il, il faut avoir fait montre de grandes capacités. — C'est une erreur extrême, réplique le futur beau-père. Quand on est maître, on sait tout. « Tu ne parleras pas, on dira que tu penses ! » Cela tombait à pic. Tout le monde s'est amusé comme à la bouffonnerie la mieux venue.

Le début de Mlle Samé, dans le rôle de Virginie, créé par Mme Ugalde, a été une révélation. Physionomie, jeu et chant ontconquis et charmé les plus difficiles. Mlle Samé fera parfaite figure dans le vrai répertoire de l'Opéra-Comique, nous entendons l'ancien répertoire que paraît goûter fort, et nous lui en faisons compliment, le nouveau directeur, M.Jules Barbier.

Taskin a l'encolure du « beau tambour- ■ major » ; il en a aussi, et naturellement, la pompeuse infatuation. Barnold prête à Ali-Bajou ses airs ahuris et sa voix de gardien du sérail.Thierry est un Caïd fait à souhait pour régner sans gouverner et pour recevoir finalement la bastonnade.

On ne rêve pas « tourterelle » plus tendre que Mlle Degrandi. Elle a des battements de paupière et des roucoulements à faire pâmer les tambours-majors les plus réfractaires au sentiment.

L'Opéra-Comique a repris cette semaine Philémon et Baucis. La première représentation ne nous a satisfait qu'à demi. Galalhée, au contraire, a tenu tout ce qu'on était en droit d'attendre de ses brillantes interprètes , Mmes Salla et Deschamps. Nous parlerons plus à loisir de ces deux oeuvres dans notre prochaine chronique. Constatons pour aujourd'hui que Mmes Salla et Deschamps ont triomphé d'emblée et sur toute la ligne.

Antoine Ehvart, qu'on appelait familièrement le petit père Elwart, a écrit, il y a tantôt trente ans, l'Histoire de la Société des Concerts du Conservatoire. C'est l'indispensable complément de cette histoire que vient de publier M. Deldevez, l'ancien chef d'orchestre de l'Opéra et de la Société des Concerts. L'oeuvre est excellente de fond et de forme ; elle a sa place marquée dans la bibliothèque de tous les dilettantes. Elwart, d'aimable mémoire, longtemps professeur d'harmonie au Conservatoire, avait assisté, jusqu'en l'an de grâce 1860, à tous les concerts de la Société, et avait soigneusement, et jour par jour, noté ses impressions. Son livre, devenu rare, est, à ce titre, curieux à lire. Rien de ce qui touchait de près ou de loin à la fondation de son maître Habeneck ne lui était étranger.

Nous avons personnellement connu le petit père Elwart, un type bien original. Il ne se bornait pas à enseigner l'art musical et à faire paraître tour à tour solfèges et méthodes harmoniques, Dialogues des Morts, comme les Nuits de la salle Herz, ou Haëndel-Steamer, Voyage musical dans le Monde entier par une famille anglaise ; il s'était constitué de sa propreautorité

propreautorité porte-parole et en quelque sorte l'envoyé extraordinaire de la musique. Toujours par monts et par vaux, trottant menu sur ses courtes jambes, il était membre obligé de tous les concours orphéoniques et toastait à tous les banquets qui suivent invariablement les distributions de prix. Il nous fournissait à bon compte de la copie à la Presse théâtrale, où nous nous exercions alors au métier de critique, et où Rochefort et Pierre Véron avaient fait leurs premières armes. Dès que sur un point de la France s'organisait un festival, on était sûr de voir surgir le petit père Ehvart, armé d'un speech dont il n'aurait pas fait grâce à ses amphitryons pour tout l'or du monde. Au demeurant, le meilleur compagnon du monde, mais incurablement affligé de la démangeaison oratoire.

M. Deldevez a dégagé son volume du Précis de l'Histoire générale de la musique, dont Elwart avait fait précéder le sien, sans que le besoin s'en fît précisément sentir. Il y gagne en clarté et en méthode. Nous n'avons que faire, en pareille matière, des définitions du philosophe Hermès et de l'école de Pythagore. Elwart nous a cependant appris, rendons-lui cette justice, que la carapace de la tortue de Mercure forma la première lyre. Quant aux instruments de percussion, tels que les cymbales, les timbales et les sistres, nous nous doutions bien que « le choc de deux feuilles de métal et le bruit sourd que rendent les corps creux » en avaient donné l'idée. Que si vous en voulez savoir plus long, Elwart vous dira que ce fut Lassus, contemporain de Darius Hystaspe — cela ne date pas d'hier, comme vous voyez, — qui écrivit le premier sur l'art musical; qu'Epigonius inventa un instrument à quatre cordes, et Simius, un progressiste, un autre instrument du même genre, mais enrichi de trente-une cordes de plus. Phodore se borna à ajouter de nouveaux trous à la flûte ; mais Elwart, qui se pique de précision, oublie cette fois d'en indiquer le nombre. Il passe ainsi en revue l'antiquité entière, et va jusqu'à nous affirmer que c'est au son du kin, un instrument dont l'origine se perd dans la nuit des temps, que Kun, un des plus grands empereurs de la Chine, se préparait à traiter les affaires de l'Etat ; car, de même que les pythagoriciens, ce sage monarque pensait que le principal objet de la musique est de calmer les passions, d'éclairer l'entendement et d'inspirer l'amour des vertus. Elwart en appelle à Platon : « O Grecs ! s'écriait le divin philosophe, prenez garde à votre musique ; si vous la changez, c'en est fait de vos moeurs ! »

M. Deldevez ne s'occupe que du présent et d'un passé récent ; il laisse en paix l'antiquité. Nous avons parcouru son oeuvre avec plaisir et fruit.

Ce n'était pas affaire à M. Colonne, le trop zélé chef d'orchestre de l'Association artistique, de célébrer le Centenaire de Gluck. Il a cependant trouvé l'occasion bonne pour battre la grosse caisse sur le dos du vieux maître. La gloire de l'immortel chantre d'Armide n'avait rien à gagner à ce bruit d'un jour. Notre Académie nationale de musique pouvait seule lui rendre le solennel hommage que lui devait la France, sa patrie d'adoption. Elle a péché là par la plus regrettable

des omissions. Qui de nous, d'ailleurs, tribut d'admiration mis à part, n'eût entendu avec bonheur Orphée ou Iphigénie en Aulide? N'avait-on pas sous la main Gabrielle Krauss, l'Iphigénie selon le coeur de Berlioz, et les frères de Reszké, les classiques Oreste et Pylade? Au Châtelet, Krauss, habituée aux grands mouvements dramatiques, était, comme on dit, gênée aux entournures. Aussi, n'a-telle pas été elle-même, c'est-à-dire vibrante, pathétique, inspirée comme à son ordinaire. C'est qu'aux scènes lyriques de Gluck, il faut absolument le jeu, l' espace et le costume. On se représente malaisément, quelque bonne volonté qu'on y' mette, Eurydice ou Orphée, Oreste ou Iphigénie immobiles, un cahier à la main, devant le trou du souffleur, alors que leur coeur bondit et que le sang bout dans leurs veines. C'est pourtant le spectacle qui nous a été offert au Châtelet. L'ombre de Gluck a passé là un mauvais quart d'heure.

ELY-EDMOND GRIMARD.

PAGES OUBLIÉES

LE CHASSEPOT OU PETIT JÉSUS

(ÉPISODE DE LA GUERRE) I

Si l'on savait les dangers de la guerre ! HEUVÉ.

Le vieux père Rolland, un marin commandait la division, et jÊ-tlf \2ê£ qui n'avait Pas froid aux yeux, S| nous avait envoyés en reconnais\*J0^&*X sance le long du Doubs, jusqu'à Plommecy, à douze lieues de Besançon. On avait marché tout le jour, tantôt sur le chemin de halage, où la neige avait un pied de haut, tantôt par des sentiers de traverse, qu'un troupeau de boeufs avait changé en fondrières de boue. Grâce aux détours du fleuve, et malgré les raccourcis, nous avions fait plus de dix lieues depuis quatre heures du matin, quand nous arrivâmes à Plommecy à la nuit tombante. Mornes, harassés, muets, nous traînions la jambe, avec ce balancement lourd et régulier des soldats las, qui de temps en temps donnent un coup d'épaule pour remonter le sac. Seul, un vieux contrebandier, que nous appelions le sapeur à cause de sa grande barbe, avait conservé de l'allure et de l'entrain. Il allait du même pas allègre, solide ; et, à travers ses moustaches pleines de glaçons, il chantonnait son interminable refrain :

Mon habit a deux boutons, Marchons légère, légère, Mon habit a trois boutons, Marchons légèrement.

On reprit un peu de vigueur en approchant de Plommecy. Là-bas, au bord de l' eau, sur le ciel d'on gris terne, les toits couverts de neige, faisaient de grandes taches blanches.

— Allons ! allons ! dit le sapeur, du coeur aux semelles, mes enfants ! Et il chantait :

Y aura la goutte à boire là-haut,

Y aura la goutte à boire.

On redoubla le pas pour arriver.

Les Prussiens, on n'y pensait guère. Depuis le matin qu'on trimait pour les signaler, on ne les avait pas rencontrés une seule fois.

— Des farceurs ! disait un loustic, ils ne se laissent pas voir, et il faut les reconnaître.

On y songea cependant aux abords du village. Aucun mouvement ! Pas de lumière ! Un silence de mort ? Est-ce que les paratonnerres seraient embusqués là-dedans ? Chacun fit passer son chassepot du cran de su-


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

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reté au cran de départ, et mit le doigt sur la gâchette. Les jarrets fatigués redevinrent élastiques ; les reins raidis s'assouplirent pour prendre la position de marche aux aguets, et on entra entre les premières maisons, prêts à se reposer d'un jour de marche par une nuit de combat.

— Ah çà ! c'est un cimetière, ici, dit quelqu'un. Si on frappait à cette porte ! Les gens nous diront ce qu'il y a, nous trouverons au moins à qui parler, quand ça ne serait qu'à coups de fusil.

On frappa. Personne ne répondit.

On frappa à une autre porte. Personne encore.

A la troisième, le lieutenant donna un grand coup de pied dans le panneau de bois, et, la porte s'étant ouverte sous le choc, il pénétra dans la maison, le revolver au poing. Dix hommes le suivaient. Nous restions cinq dans la rue pour veiller au grain.

Trois minutes après, nos hommes revenaient, la mine inquiète. La maison était vide. Une autre, une autre encore, furent ouvertes. Toujours la même chose : le village était abandonné.

— Diable ! diable ! fit le lieutenant. Les Prussiens sont venus par ici, pendant que nous regardions l'eau couler dans le Doubs, Les paysans auront filé sur Baume. Il faudra faire bonne garde cette nuit.

Il plaça donc une sentinelle à chaque bout de la rue, une autre sur le pont qui menait à la plaine, et conduisit le reste de ses hommes vers la ferme qui paraissait la plus importante, afin qu'on y fît la soupe et qu'on s'arrangeât pour y dormir.

Mais à peine eut-il poussé la grande porte de la cour, que tous nos soupçons furent confirmés. C'est là que les Prussiens s'étaient logés ; on le voyait au bac renversé, au foin jeté prodigieusement du grenier et laissé dans le coulin, à la porte de la cave défoncée, et aux bouteilles vides éparses dans la paille du cantonnement. Un poste de uhlans avait dû passer la nuit dans la cour, les officiers occupant la maison.

En trois bonds nous fûmes dans l'intérieur. Plus de doute. Une table couverte d'assiettes sales, de verres à demi vidés, de flacons cassés au col, les restes d'une orgie de goinfres. Dans la cheminée, des bûches empilées de champ et en tas, brûlant encore. Le lit était défait, comme éventré. Des bottes boueuses avaient maculé les draps de belle toile blanche.

Comme le lieutenant délibérait s'il n'y avait pas moyen de poursuivre ces gueux, le sapeur, qui était allé fureter dans les étables avec l'espoir de dénicher quelques oeufs, nous appela du fond de la cour. On courut à sa voix.

Le sapeur était en train de consoler un petit garçon de douze à treize ans, qui pleurait à fendre l'âme. Il l'embrassait, étouffant dans sa grosse barbe les sanglots de l'enfant, et lui disait :

— Je te promets que nous les attraperons. Ne pleure pas. Je t'en donnerai un à tuer.

Nous n'y comprenions rien. Mais le lieutenant ayant allumé une lanterne qui éclaira soudain l'étable, nous comprîmes tout. Dans un coin, près de la crèche, deux corps gisaient, un homme et une femme. Derrière eux, sur le mur, s'étalaient deux larges étoiles de cervelles et de sang. Les deux cadavres se tenaient par la main.

— Papa ! maman ! criait le petit sans écouter les consolations du sapeur.

Il se calma pourtant à notre vue, et put enfin nous raconter son malheur. Les paysans avaient quitté le village depuis trois jours à la nouvelle des uhlans qui s'approchaient ; son père et sa mère seuls avaient voulu rester ; les Prussiens étaient venus, avaient tout mis au pillage ; mais au moment de les voir partir, le père n'avait pu s'empêcher d'insulter l'officier qui les commandait ; l'officiei avait souffleté le père ; le père s'était jeté sur lui pour l'étrangler ; et alors l'officier avait fait conduire le père et la mère dans cette étable, et leur avait brûlé la cervelle avec son revolver.

— Oh ! disait l'enfant, je le reconnaîtrai bien, le brigand, et je le tuerai aussi.

Puis, se tournant vers le lieutenant, il lui demanda soudain :

— Voulez-vous m'engager dans vos francstireurs ?

Le lieutenant comprit qu'il ne pouvait désoler le pauvre petit, et qu'il serait toujours temps de lui faire comprendre plus tard l'impossibilité de sa demande.

— Oui, répondit-il.

— Alors, donnez-moi un fusil, et je vais aller tuer des Prussiens.

— Je n'ai pas de fusil, mon petit ami, reprit le lieutenant. Viens avec nous à Besançon. Nous verrons, quand nous serons là.

Un peu consolé par cette promesse, l'enfant se laissa emmener dans la grand'chambre pendant que nous enterrions tant bien que mal ses parents.

Le lendemain, il revenait avec nous ; et, comme au bout de cinq ou six lieues il n'en pouvait plus de lassitude, le sapeur le mit à califourchon sur son sac et le porta jusqu'à la fin de l'étape, en marchant toujours de son pas allègre et solide, et en chantonnant son interminable refrain :

Mon habit a cent boutons, Marchons légère, légère, Mon habit a cent-un boutons, Marchons légèrement.

II

Le lendemain et le surlendemain, l'enfant vécut avec nous, et personne n'eut le courage de lui dire qu'on n'engageait pas des francstireurs de treize ans. Chaque jour plus ardemment il demandait un fusil, et s'irritait de ne pas être habillé et armé en soldat.

— Si vous partiez demain, disait-il, je ne serais pas prêt, et vous ne voudriez pas m'emmener.

Ce soir-là, c'était Noël. On s'arrangea pour faire un petit réveillon chez le brave homme qui nous logeait à dix aux Chaprais, faubourg de Besançon. Le petit devait en être. Cela l'égayerait. On le mit donc coucher sur les sept heures, et on lui promit de venir le réveiller à minuit.

A onze heures et demie, j'étais là, un peu en avance. Je montai à la chambre où dormait l'orphelin, pour laisser la salle d'en bas à la mère Gaudot qui préparait le réveillon. L'enfant dormait et ma lumière ne le réveilla pas. Il faisait froid dans cette pièce, et machinalement je regardai la cheminée.

O force des habitudes douces ! L'enfant, oubliant sa douleur, avait mis dans l'âtre ses souliers, comme au bon temps où le petit Jésus lui apportait son Noël. L'innocent ne savait pas que, sa mère étant morte, petit Jésus aussi était mort ; et confiant, il attendait dans un tranquille sommeil le présent du bon Dieu. Quelle désillusion, au réveil ! Comme cela lui semblerait triste, de se voir abandonné du ciel ! Ses parents tués, lui seul au monde, voilà donc que le petit Jésus aussi l'oubliait ! Comme il allait se sentir doublement orphelin !

Tout a coup une idée me prit. Dégringolant l'escalier :

— Mère Gaudot, m'écriai-je, le petit dort là-haut. Faites en sorte qu'on ne le réveille pas avant mon retour. Dites à mes amis que c'est dans son intérêt. Attendez-moi pour commencer le réveillon.

Et je filai vers l'arsenal, où je connaissais un maître armurier.

A minuit quelques minutes, j'étais là. Tout le monde était là.

— Ah çà ! qu'est-ce que cela signifie ? dit le sapeur.

— Laisse, laisse, répondis-je en dissimulant quelque chose sous ma capote. L'enfant n'est pas réveillé, au moins ?

— Mais non, parbleu !

Je montai alors à pas de loup, sans vouloir dire ce que j'allais faire.

— Là, maintenant, fis-je en redescendant, appelez-le si vous voulez, mais d'ici.

On cria, on. cogna au plafond, et presque

aussitôt on vit arriver l'enfant radieux, en chemise, avec un képi, une cartouchière au flanc, et brandissant un petit chassepot de cavalerie.

— Vive Noël ! criait-il ; voyez le beau chassepot du petit Jésus !

III

Le lendemain nous partions en expédition. Quatre jours après nous trouvions les Prussiens, près de Belfort, et une escarmouche s'engageait.

C'était sous bois, le matin. La brume accrochée aux broussailles se déchirait à l'éclair des coups de fusils. On se voyait à peine. Tout à coup l'enfant poussa un grand cri.

— Il st là ! il est là ! je e vois ! à, derrière ce gros chêne.

Il montrait un arbre isolé dans une clairière, et derrière lequel, en effet, semblait se mouvoir un cavalier. Il avait reconnu l'officier de uhlans. Il voulut 'élancer de ce côté. Le bond u'il fit le démasqua, et il tomba avec une balle dans la poitrine. L'officier avait tiré un coup de revolver.

— Sale lâche ! cria le sapeur.

Et, de sa main assurée, il épaula lentement.

Paf ! le cheval de l'officier avait la jambe de devant cassée, et s'abattait, prenant sa jambe sous lui.

— En avant ! vengeons le petit ! dit le sapeur.

Au pas de course, on franchit la clairière. Les Prussiens, voyant leur chef à terre, filaient devant nous. Le sapeur arriva le premier sur l'officier, et reçut une balle dans son képi, qui s'envola comme un oiseau.

— Tire toujours, mon bonhomme, lui ditil, en lui saisissant le poing dans sa main d'acier.

Les quatre derniers coups du revolver partirent en l'air, et le sapeur, retirant son prisonnier engagé sous le cheval, lui mit un genou sur la poitrine.

— Apportez le petit, cria-t-il. Le petit râlait en ce moment.

— On ne peut pas, répondit-on, il va mourir.

— Sacrebleu ! dit le vieux contrebandier, il ne faut pourtant pas qu'il s'en aille sans être content.

Et prenant l'officier à bras-le-corps, lui tenant les mains derrière le dos, il le porta auprès de l'enfant.

L'enfant eut un sourire de joie, et la vie lui revint.

— Lâche ! lâche ! murmurait-il.

On l'avait assis contre un arbre, et le sapeur tenait devant lui l'officier à genoux.

— Tue-le, mon petit ; tue-le, va ! tu sais bien que je te l'ai promis.

L'enfant tourmentait d'une main convulsive son chassepot gisant à terre entre ses jambes.. Tout d'un cou, par un brusque mouvement, réunissant tout ce qui lui restait de vigueur pour ce dernier effort, il appuya la crosse de l'arme sur sa poitrine blessée, dirigea le canon vers la figure de l'Allemand, et lâcha le coup en fermant les yeux.

L'officier avait la tête fracassée, et l'enfant était mort.

— Pauvre petit ! dit le sapeur en mangeant une grosse larme, il a tout de même eu de belles étrennes.

JEAN RICHEPIN.

PENSÉES CHOISIES

LE BIEN ET LE MAL QU'ON A DIT DES FEMMES

V

Si belle que soit la route qu'on fait avec une femme, il arrive toujours un moment où l'on est réduit pour se distraire, à compter les bornes du chemin.

P.-J. STAHL.


378

LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

On a remarqué que, de tous les animaux, les chats, les mouches et les femmes sont ceux qui perdent le plus de temps à leur toilette.

CHARLES NODIER.

Une jolie femme, c'est bon pendant un an, pendant deux ans ; mais, dès la troisième année, que vous fait la coupe gracieuse de ce visage ? que vous importent cette taille, et ce pied, et cette main adorés, admirés et commentés durant une si longue série de lunes ? Si vous aimez désormais quelque chose en cette femme, c'est votre femme, et non la jolie femme. La jolie femme n'est plus qu'un luxe importun, un apanage inquiétant, une enseigne périlleuse qui a son beau côté tourné vers la rue, et dont vous n'avez que le revers; ce n'est plus qu'un engin à attirer la foudre.

OCTAVE FEUILLET.

MOUVEMENT SCIENTIFIQUE

ACADÉMIE DES SCIENCES

L'HOMME IL Y A CENT MILLE ANS

En creusant les fondations de sa tour gigantesque, M. Eiffel a trouvé, à quatorze mètres de profondeur au-dessous du niveau actuel du Champ de Mars un fragment de poterie fort éloquent pour l'antiquaire. Cette poterie grossière, épaisse, mal cuite, fabriquée avant l'invention du tour à potier, nous reporte à des âges depuis longtemps disparus. Est-elle contemporaine des gisements quaternaires de silex taillés et d'ossements fossiles d'elephas primigenius, de rhinocéros tichorhinus, de cerf et de grand boeuf découverts depuis quelques années dans les sablières du Vésinet, de Billancourt, du Perreux, près Nogent-sur-Marne, et de la tête d'éléphant trouvée la semaine dernière à Suresnes par les ouvriers du chemin de fer des Moulineaux ? Une telle antiquité paraît probable.

A voir ce qui se passe en politique, dans le pays réputé le plus intelligent de la planète, on conçoit fort bien que le progrès soit d'une lenteur de tortue. Mais si vraiment il y a des habitants à Paris depuis cent mille ans, on se demande ce qu'ils ont fait pendant quatre-vingt-dix-huit mille ans, car lorsque César arriva dans la petite bourgade des Parisiens l'an 56 avant notre ère, il n'y trouva encore que des chaumières et des êtres bien primitifs.

Cependant, le fait de cette haute antiquité dont devraient désormais tenir compte les historiens futurs de la capitale française, ne paraît pas douteux. « Paris, disait M. Gaudry à l'Académie des sciences, le 26 juin 1882, Paris, à l'époque du mammouth, avait déjà des habitants, puisqu'on a trouvé des instruments humains dans les mêmes couches où l'on a recueilli des os de mammouth. »

Ces découvertes successives nous présentent une sorte de chronomètre des temps disparus. Le sol du Champ de Mars, par exemple, appartient à l'époque quaternaire et a été recouvert par les eaux de la Seine alors incomparablement plus large que de nos jours.

Le sol du Vésinet appartient à la même époque. Il est entièrement composé d'un limon de couleur rouge ocreux, sous lequel on trouve une couche de gravier qui atteint quelquefois une assez grande épaisseur. On y a pratiqué de nombreuses sablières, dans lesquelles M. Guégan a trouvé des silex taillés associés aux ossements des animaux dont les espèces ont disparu, tels que l'elephas primigenius, le rhinoceros tichorhinus, le cerf, le cheval et le grand boeuf.

L'homme a donc habité cette vallée avant le mouvement géologique qui l'a transformée

transformée un grand lac ou en une petite mer, dont les flots battaient les collines de SaintGermain, de Cormeilles, de Montmartre et de Meudon. Puis, les eaux s'étant retirées, il y est revenu ; c'est ce qu'attestent les nombreuses haches polies qu'on a trouvées dans le sol supérieur du Vésinet. Cette occupation s'est prolongée jusqu'à l'époque galloromaine, car on y a aussi découvert une épée en fer et quelques objets en bronze,

Il est désormais acquis à la science que des racés humaines primitives ont habité nos régions dès les premiers siècles de l'époque quaternaire, alors que l'Angleterre était encore rattachée à la France, que la Seine se jetait dans l'Atlantique au delà du département actuel du Calvados, et que la Somme allait se jeter dans le même golfe de l'Océan, en passant par la Manche actuelle— et alors que d'autre part les volcans du centre de la France, notamment ceux du Velay, étaient encore en pleine activité. L'existence d'êtres semblables à nous durant cette époque est désormais certaine. Nous trouvons ces hommes sous la lave de ces volcans français, dans les cavernes du Périgord, dans les alluvions des plaines ; nous constatons leur nombre, nous arrivons à dater les premiers moments de leur existence ; nous savons quelle faune et quelle flore les entouraient, au milieu de quels animaux ils vivaient, au prix de quels efforts ils assuraient leur vie de chaque jour. Et quelle vie ! Une lutte perpétuelle. Ils n'étaient pas heureux. Mais leurs labeurs ont préparé notre sécurité actuelle. Aujourd'hui, l'homme n'a plus guère d'ennemis que lui-même.

CAMILLE FLAMMARION.

INVENTIONS & DÉCOUVERTES

UN NOUVEAU MOYEN DE PLATRER LES VINS

A-t-on assez agité la question de savoir s'il fallait autoriser le plâtrage des vins et dans quelle mesure il faudrait le permettre ! II était bien plus simple de chercher un succédané au plâtre, ayant les mêmes propriétés sans posséder les mêmes inconvénients. Que de discussions évitées ! On l'a cherché et on l'a trouvé. C'est le phosphate de chaux.

Le plâtrage est utile à la clarification et à la conservation des vins. Sous son action, il se produit dans le moût une double décomposition, d'où résultent du sulfate de potasse et du tartrate de chaux. Ce dernier corps entraîne dans les lies les matières en suspension, et notamment les ferments susceptibles d'altérer les vins ; de là une clarification rapide et une conservation plus certaine. En même temps, le vin s'acidifle, condition favorable à sa bonne tenue, surtout pour les vins des pays chauds. Malheureusement, le vin plâtré a perdu par cette opération une partie de ses phosphates, et il a gagné, comme nous l'avons dit, du sulfate de potasse, qui est purgatif et même toxique. Beaucoup de personnes cherchent souvent la cause de leur malaise, elle se trouve tout bonnement dans le vin qu'elles boivent.

Le vin plâtré est amer et âpre au goût. Il a perdu de ses qualités réparatrices en perdant ses phosphates. Le plâtre empêche l'évolution subséquente du vin ; il a été dépouillé à la fois des bons et des mauvais germes, si bien qu'il ne peut plus vieillir. Enfin, le plâtre dont on se sert n'est pas toujours pur ; il introduit souvent dans le vin de la magnésie et de l'alumine dont les sels sont plus ou moins purgatifs. Prétendre que le vin plâtré est toujours d'une innocuité parfaite est insoutenable.

M. Hugonnencq a proposé avec raison de remplacer le plâtrage par le phosphatage. On peut facilement se procurer du phosphate calcique à peu près sûr. Tel est le cas, par exemple, du phosphate bibasique de chaux des fabricants de colle d'os obtenu par l'acide chlorhydrique. On se sert de ce phosphate absolument comme du plâtre,

c'est-à-dire qu'on en saupoudre la vendange au moment du foulage. La dose de 350 grammes par hectolitre de vin paraît suffisante. La réaction est la même, à cela près qu'il se produit du phosphate de potasse au lieu de sulfate. Le phosphatage enrichit le vin d'un des éléments dont le plâtrage l'appauvrissait ; il augmente donc sa valeur nutritive. L'action du phosphate, même à doses quatre fois plus fortes que le sulfate, ne paraît avoir aucune action sur l'économie.

Le phosphatage n'est pas plus coûteux que le plâtrage. Le phosphate bibasique vaut de 20 à 30 fr. les 100 kilog. La quantité nécessaire étant de 350 grammes, c'est une dépense de 10 c. par hectolitre de vin. La France produit, en ce moment, 3,000 tonnes de phosphate bibasique de chaux provenant du traitement des os. Nous avons de quoi traiter 10 millions d'hectolitres de vin. Et rien n'empêcherait d'utiliser encore un grand nombre de phosphates naturels.

Les phosphates paraissent donc devoir prendre très avantageusement la place du plâtre dans la clarification du vin.

HENRI DE PARVILLE.

L'OEILLET BLANC

Comédie en un acte

PERSONNAGES :

LE CONVENTIONNEL VlDAL.

LE MARQUIS, 16 ans.

CADET-VINCENT.

VIRGINIE VIDAL, fille du Conventionnel, 16 ans.

La scène se passa en 1793, dans le château do Saint-Vaast, en Normandie, au bord de la mer.

Un jardin, serre et pavillon à droite, à gauche le parc ; au fond, un mur. Sur la croisée du pavillon, un oeillet blanc. — A gauche, sur le premier plan, un socle de statue,

SCÈNE PREMIERE

LE MARQUIS, sur la muraille du fond.

« C'est bien ici le château de Saint-Vaast ? — Ici même, entrez donc, marquis. » (Il saute dans le parc.) Enfin, me voici dans la place et en sûreté pour le moment. (Il vient sur le devant de la scène.) L'entrée est en peu cavalière, mais que voulez-vous ? Tout le monde est sorti pour cause d'émigration. En pareil cas, mieux vaut franchir le mur qu'enfoncer la porte, c'est plus gentilhomme, et puis, c'est plutôt fait !... Tudieu ! quelle aventure ! quel roman, quelle odyssée ! Traverser la Manche avec des contrebandiers dans une mauvaise barque de pêche, affronter à la fois la mer, les bleus, les gardes-côtes, la bourrasque, l'odeur du poisson, la loi sur les émigrés... Si je tombe aux mains des paysans, décapité ! si je tombe aux mains des soldats, fusillé !... sans compter que je pouvais tomber à la mer et me noyer (montrant la muraille), ou tomber à faux et m'estropier... Tout cela, pourquoi ?... Parce qu'il a plu à une belle émigrée d'avoir une fleur de France. Décidément, marquis, tu es un héros ou un fou ; mais pour le moment tu as l'air d'un gueux... Regarde-toi, tes bottes sont lourdes de sable, ton catogan est rempli d'eau... Fi ! le vilain gentilhomme ! C'est égal, comtesse, si j'en réchappe, voilà un petit caprice qui vous coûtera cher, et vive Dieu ! ce n'est point pour des reinesclaude qu'on sera venu vous cueillir un bouquet dans votre château de Saint-Vaast... — Çà, voyons, je ne me trompe pas, au moins ?... Je n'ai pas pris un château pour un autre ?... Consultons encore les indications que nous avons prises. (Il ouvre un carnet de poche et lit.) « Le fief de Saint-Vaast, sur la plage normande, » c'est cela... « à cinq minutes du village « du même nom... » Fort bien. « Au fond du parc... » j'y suis... « une petite porte... » voilà. « Un pavillon... » voici... une serre... » nous y sommes... « A l'autre extrémité, le château... »

(regardant par la gauche, à travers les arbres) je l'aperçois...

Oh ! oh ! ici mes renseignements sont inexacts. Des locataires... on ne m'avait pas prévenu... Des fenêtres ouvertes,' du linge étendu... Ah ! chère comtesse ! Un drapeau aux trois couleurs flotte sur le balcon... voilà ce qu'on a fait de votre château...


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

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Et moi qui croyais trouver une maison en deuil, des herbes sur le perron, du lierre sur la muraille, et les scellés de l'araignée posés sur toutes les portes... Allons, c'est dit, mon pauvre Robinson, ton île déserte avait des habitants comme toujours, et même, si je ne me trompe, voici un indigène qui vient de ce côté... (Il recule.) Diable ! diable ! la situation se complique... Bah ! je n'en aurai que plus de gloire... Est-ce que le capitaine Hercule aurait voulu des pommes d'Hespérus, s'il n'y avait pas eu un dragon pour les garder ?... Oui, mais en attendant, où le seigneur Hercule pourrait-il se cacher ?... dans la serre ?... au fait... (il ouvre la serre.) Elle est jolie, la serre !... Ils ont tout laissé mourir... Raison de plus pour qu'on ne m'y vienne pas chercher. (Il se

blottit dans la serre et ferma la porte sur lui.)

SCÈNE II

CADET-VINCENT, LE MARQUIS

CADET-VINCENT, entrant précipitamment. Il a deux bouteilles cachées sous sa carmagnole.

Vite, vite, cachons-nous... par là ? non, par ici... (Il s'assied sur le banc.) Ouf ! en voilà une expédition ! J'en ai le coeur tout à l'envers.

LE MARQUIS, entr'ouvrant la porte. Il n'a pas l'air méchant.

CADET-VINCENT.

Ah çà ! voyons. Ne perdons pas de temps. Le conventionnel et sa fille sont en train de lire les papiers publics, j'ai quelques moments devant moi. Il s'agit de les employer à faire connaissance avec ces deux demoiselles.

LE MARQUIS.

Ah ! très bien ! quelque domestique en maraude.

CADET-VINCENT.

Moi, qui n'ai jamais bu de vin de ma vie, je vais

donc savoir le goût que ça vous a. (Il débouche une bouteille.) Hum ! quel bouquet ! Parlez-moi du cidre de Bourgogne. Dis donc, Cadet, sais-tu qu'il faut une fameuse audace pour faire ce que tu fais là ? Comment, gredin, ton conventionnel boit du cidre à quatre sols le pichet, il en fait boire à sa fille, plutôt que de toucher aux caves de la ci-devante, et toi... tu... Hum ! cache-toi, mon gars, car si le citoyen Vidal t'apercevait de quelque coin, ton compte serait vite réglé.

LE MARQUIS.

Je crois qu'il dit son bénédicité avant boire.

CADET-VINCENT.

Bah ! personne ue peut me voir ici. Cependant passons sur l'escalier, je serai mieux, (Il traverse la

scène.)

LE MARQUIS, repoussant la porte.

Ah ! diable !

CADET-VINCENT, assis sur les marches.

Par lequel commencerai-je ? le rouge ou le blanc ? Grand Dieu ! le citoyen Vidal qui vient de ce côté. VIDAL, du dehors, éloigné.

Vincent !

CADET-VINCENT.

On y va, citoyen... Cachons-les dans la serre. (Il s'approche de la serre.)

LE MARQUIS, ouvrant la porte.

Donne-les-moi.

CADET-VINCENT.

Un voleur !

LE MARQUIS.

Pas un cri, ou je te dénonce. Il te sied bien de m'appeler voleur, monsieur le drôle !

CADET-VINCENT.

Ne me trahis pas, citoyen voleur.

VIDAL, au dehors, mais rapproché.

Cadet-Vincent !...

CADET-VINCENT.

Miséricorde ! voilà le conventionnel.

LE MARQUIS.

Donne.

CADET-VINCENT.

Il va les boire.

LE MARQUIS, poussant Cadet-Vincent

Si tu parles, je parle ; attention, (Il lui prend les bouteilles et rentre dans la serre, qu'il referme sur lui.)

SCÈNE III

LE MARQUIS, Caché, CADET-VINCENT VIDAL.

VIDAL.

Il doit s'être endormi dans quelque coin. Ah ! te voilà... Pourquoi ne réponds-tu pas quand je t'appelle ?

CADET-VINCENT.

Excuse-moi, citoyen, j'ai répondu tant que j'avais de voix, mais le parc est si grand !

VIDAL.

Oui, coquin, le parc est grand, et je l'ai traversé dans toute sa longueur pour venir te chercher... Que faisais-tu là ?

CADET-VINCENT.

Moi ?... Rien... je me promenais.

VIDAL.

Allons ! viens... J'ai besoin de toi.

CADET-VINCENT, Je te suis. (Vidal va vers la gauche, Cadet-Vincent va vers la serre). Et le voleur ? Et mes bouteilies ? VIDAL, se retournant. Encore !

CADET-VINCENT, accourant. Non... non.... voilà.

VIDAL.)

Passe devant. (Ils sortent.)

SCÈNE IV LE MARQUIS, seul. Il entr'ouvre la porte avec hésitation, puis se décide à sortir. Ce doit être le représentant, celui-là. Il a une physionomie qui ne me revient pas du tout, oh ! mais du tout... Brr ! Un moment je me suis cru perdu... morbleu ! Marquis, nous n'avons pas de temps à perdre, la place est aux ennemis, il faut en sortir au plus vite. Le conventionnel n'aurait qu'à revenir, M. Cadet n'aurait qu'à me dénoncer. Vite notre fleur ; et en route ! Aussi bien le vin de la comtesse m'a réchauffé comme il faut ; maintenant, à l'oeuvre. Nous disons... « à côté de la statue... la ci-devant statue... « un

carré d'oeillets blancs. . . » (Il s'approche et cherche un

instant.) Voilà l'endroit sans doute, oui... je ne me trompe pas. C'est singulier, pas plus d'oeillet que... (Arrachant une pomme de terre.) Ceci n'en est pas un, quand tous les diables y seraient. Oh ! les misérables ! Ils ont semé en place cet affreux tubercule populacier que M. de Parmentier rapporta d'Amérique l'autre année... Pouah ! c'est révoltant. (Il jette la pomme de terre.) Me voilà bien ! moi qui ai juré de ne pas revenir sans cette fleur, je ne puis pourtant pas rapporter une parmentière... Allons ! je le vois, je ne rapporterai rien du tout, pas même ma tête. Je vais faire passer mon nom à monsieur de la Convention et me faire expédier sur-le-champ où il en a envoyé tant d'autres... J'ai des titres ! Quel malheur ! tout allait si bien, mes contrebandiers devaient m'attendre sur la côte, au crépuscule je n'avais qu'à les rejoindre... et maintenant... comme c'est triste ici, pour une fleur qui manque !... ces arbres sont affreux... et ce mur ? est-il sinistre, ce mur !... et cette maison ?... Oh ! mon Dieu ! qu'ai-je vu, là, sur la fenêtre ?... Superbe !... Comme il est beau...il me sourit...Tiens !...

(Il envoie un baiser à la fleur qui est sur la croisée, monte rapidement les quatre marches de l'escalier, puis se hausse pour essayer de la prendre.)

SCÈNE V

LE MARQUIS, VIDAL, VIRGINIE. VIDAL, entrant par la gauche.

Je lui ai dit de nous rejoindre ici.

LE MARQUIS, sur l'escalier.

Jour de Dieu ! je suis pris. (Il se baisse derrière la rampe.)

VIRGINIE.

Tu as raison, c'est plus court par là, pour aller au village.

LE MARQUIS. Peut-être ! (Il dégringole l'escalier, et ne fait qu'un bond pour aller jusqu'à la serre.)

VIDAL.

Hein ! As-tu vu ?

VIRGINIE.

Quoi, père ?

VIDAL.

Là ! près de la serre, quelque chose comme une ombre...

VIRGINIE.

Un renard, sans doute. II y en a deux ou trois dans le parc ; quelquefois je les vois de ma fenêtre, en travaillant... Ils sentent que les ci-devants n'y sont plus.

VIDAL.

Les loups sont partis, les renards montrent l'orreille,

VIRGINIE, s'asseyant sur le banc. Voyons, viens t'asseoir là, près de moi. (Vidal s'assoit. ) Comme tu as chaud, tes mains sont brûlantes.

VIDAL

Chère enfant !

VIRGINIE.

Tiens ! Tu ne veux pas me l'avouer, mais je suis sûre que tu as reçu de mauvaises nouvelles ce matin... Oh ! tu as beau faire « non ». Voyons, les brigands nous ont encore battus ?

VIDAL.

Nous avons envoyé dans l'Ouest des troupes d'élite. Rien n'est plus à craindre de ce côté ; songe donc, petite, avec des soldats comme ton Maxime.

VIRGINIE baisse la tête en rougissant.

Puisque les nouvelles ne sont pas mauvaises, pourquoi cette tristesse ? pourquoi ce trouble, cette fièvre ?

VIDAL.

Bah ! n'y fais pas attention, ce n'est rien, cela passera. .. de vilaines idées qui traversent mon cerveau, mes papillons noirs, comme tu les appelles.

VIRGINIE.

Vite, il faut les chasser.

VIDAL, tristement. Les chasser...

VIRGINIE.

Oui, les chasser, comme ceci, (Elle l'embrasse).

VIDAL. Ma fille ! (Brusquement en l'écartant.) Non laisse-moi. (Il se lève.)

VIRGINIE, veut s'approcher.

Père ! père !

VIDAL, se levant. Laisse-moi, je te dis ! (Radouci et prenant Virginie dans ses bras ) Pauvre enfant ! Pardonne-moi, mais ne m'embrasse plus ainsi, vois-tu ? (Il s'assied et la fait asseoir.) Il faut me pardonner ; tout cela est bien malade. (Il montre son front.) Et puis si tu savais comme par moments tu lui ressembles... même voix... même regard... A l'instant encore, c'est elle que j'ai revue là devant moi, et quand tu as posé tes lèvres sur mon front...

VIRGINIE.

Oh ! tais-toi.

VIDAL.

Me taire ? hélas ! il n'y a que les morts qui sachent se taire, et rien n'a pu mourir encore ici dedans. Quelquefois je crois que tout est fini... Oui, je passe quelquefois des journées entières sans souffrir .. Je ne me souviens plus, je ne vis plus, je suis heureux ; mais, hélas ! avant la fin de la journée, une heure vient toujours qui m'apporte à la fois tous mes souvenirs et toutes mes souffrances .. Je me revois là-bas, dans mon grand atelier, frappant ferme sur l'enclume, au feu rouge de la forge ; puis, le soir venu, je me vois rentrant à la maison... je te trouvais jouant aux pieds de ta mère. Te souviens-tu comme elle était belle ? mise comme les ci-devantes et fière comme elles. J'arrivais... ta mère venait au-devant de moi, en souriant... elle avait si grand air que cela m'imposait toujours un peu et dame !... alors je te prenais dans mes bras et je te mangeais de caresses. Il y en avait beaucoup pour elle là-dedans.

VIRGINIE.

Assez !... assez !... Tu te fais trop de mal.

VIDAL.

Fille, te souviens-tu du soir où je te trouvai seule à la maison, pleurant dans un coin au milieu de tées joujoux ? « Maman est sortie pour toujours, » disaistu à travers tes larmes, et moi, je souriais quoique un peu inquiet. Tu avais raison, ta mère était sortie pour toujours... partie avec un noble, un de ces hommes


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LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

qui n'avaient qu'à naître pour être heureux et qui, leur part de bonheur épuisée, faisaient main basse sur le bonheur des autres. Oh ! la maison déserte, les repas silencieux autour de la petite table devenue trop grande, les robes de fillette qu'il fallait acheter moimême. Oh ! les longues nuits sans sommeil, les longues journées sans travail, les larmes de douleur effacées par des larmes de rage ! J'ai beau fermer les yeux, ne pas vouloir, je revois tout, je me souviens de fout.

VIRGINIE.

Pauvre père !

VIDAL.

Je n'ai pas pu me venger ; les coupables se sont enfuis et sont morts loin de moi ; mais aussi quels transports, quand notre heure à nous est venue ! Il me semblait que c'était pour moi que ce peuple se soulevait et que toute une race mourait pour expier mon déshonneur.

VIRGINIE.

Prends garde, père ; tu laisses la haine le remplir le coeur ; elle en chassera ton enfant, tu verras.

VIDAL.

Non, ma fille, non ! tu as toujours ta place là, et la plus grande, quoi que j'en dise... C'est mon amour pour toi qui me rattache à la vie, tu le sais bien, et si je n'avais que cette haine dont je me vante, il y a longtemps que...

VIRGINIE, lui mettant la main sur la bouche.

Tais-toi... l'officieux !...

ALPHONSE DAUDET. (A suivre.)

LIVRES ET REVUES

Madame Chrysanthème, par M. Pierre Loti

Il est deux hommes en M. Pierre Loti : un Breton attaché à son vieux sol et un voyageur raffiné, curieux, avide de sensations étranges et de visions nouvelles. Le Breton est sentimental, facilement ému et quelque peu religieux; le voyageur est volontiers sceptique et légèrement blasé. Il s'amuse des objets bizarres qui frappent ses yeux ; il est rare qu'il s'y attache et qu'il s'en éprenne. Un vieux fond de tendresse le ramène invinciblement vers les simplicités du pays natal.

Cette double personnalité se retrouve chez l'écrivain. Le voyageur et le Breton se passent la plume; l'un se repose, tandis que l'autre travaille. Au voyageur, nous devons le Mariage de Loti, Azyadé, le Roman d'un Spahi ; le Breton nous a donné Mon Frère Yves et Pêcheurs d'Islande, deux livres qui resteront parmi les plus colorés, les plus sincères et les plus émus du siècle.

C'est le voyageur qui a écrit cette Madame Chrysanthème que Calmann-Lévy vient de publier. Nous venons de lire ce livre étrange; il nous a laissé dans l'esprit une impression confuse, troublante, difficile à analyser. Il nous semble que nous venons de parcourir tout un musée japonais, de palper des soies brochées aux trames souples, aux nuances éclatantes ; le fracas des gongs, le chant des cigales, le bruit des raquettes nous tinte aux oreilles : nous voyons passer le long des rues la lueur tremblotante des lanternes en papier de riz. Des Japonaises aux figures peintes nous trottent par la cervelle ; il en est de jeunes, de vieilles, de jolies, de bouffonnes ; elles marchent pliées en deux dans leurs grandes robes ; leurs sabots épais résonnent sur le pavé; leurs ombrelles fantastisques étincellent au soleil. De tout ce monde étrange s'exhalent mille parfums singuliers, inconnus de la vieille Europe, des parfums subtils où il entre de l'encens, des feuilles de lotus et dos carcasses de

poissons pourris. Avec une puissance d'évocation surprenante, Pierre Loti nous donne l'image de ce monde que nous n'avons jamais vu ; et cette image est si vive, que nous la jugeons fidèle, sans avoir les moyens ni le désir de la contrôler.

Madame Chrysanthème n'est pas un roman, c'est une page de mémoires, c'est un feuillet de journal. C'est simplement le récit d'une union morganatique contractée entre un officier français et une jeune Japonaise, Pierre Loti est condamné, par les hasards de son existence de marin, à séjourner au Japon durant quelques mois. La solitude l'ennuie. L'envie lui vient de se marier. Un obligeant intermédiaire lui déniche une jeune fille, Mlle Chrysanthème ; elle est fort gentille, ses parents sont accommodants. On s'arrange, le mariage est conclu: le jeune ménage s'installe dans une maisonnette louée pour la circonstance. Et, après quelques semaines d'un bonheur parfait, l'officier repart pour l'Europe, l'union est dissoute, le divorce prononcé. Mme Chrysanthème redevient libre, et peut contracter, si le coeur lui en dit, un nouvel hymen. L'histoire de ce mariage excentrique, quelques tableaux de moeurs, beaucoup de descriptions, l'analyse des sensations de l'Européen transplanté dans ce bizarre milieu, c'est là tout le livre ; et ce livre, décousu, languissant, laisse l'impression d'une oeuvre originale, savoureuse, captivante et délicieusement étrange.

Lorsqu'on l'examine de sang-froid, on est tenté de se fâcher, on se révolte contre l'auteur ; on se demande si l'on n'est pas dupe d'une mauvaise plaisanterie. Pierre Loti se fait un malin plaisir de laisser en suspens la curiosité de son lecteur. Jamais il n'aborde le point essentiel de son livre. On voudrait pénétrer cette Japonaise, cette petite Chrysanthème, qui est si coquette, si gentille. Elle doit avoir une âme, elle à certainement un coeur, elle a sans doute un esprit. On grille du désir de la bien connaître, de savoir ce qui se passe dans cette mignonne cervelle; on tourne les pages, on les dévore, avec une impatience croissante... Rien. Pierre Loti est muet. Il vous dépeint Chrysanthème de la tète aux pieds ; nous connaissons toutes ses robes, tous ses bijoux ; nous savons comment sont faits ses bras potelés, ses épaules minces ; nous n'ignorons ni le parfum de sa chevelure, ni la couleur de ses yeux, mais l'être moral, qui s'abrite sous cette aimable enveloppe, reste lettre close. Impossible do le découvrir. En vain cherchons-nous à le deviner. L'auteur ne nous aide point ; et quand nous fermons le livre, Chrysanthème nous apparaît comme une énigme vivante, comme un sphinx indéchiffrable et quelque peu irritant.

C'est là le point faible de cette oeuvre extraordinaire. Pierre Loti néglige totalement l'étude psychologique de ses personnages. Et, par une anomalie bizarre, autant il est vague, incertain, indécis et déconcertant dans ses analyses, autant, dans les pages de descriptions, sa plume est nette, colorée, souple et précise.

A ce point de vue, Madame Chrysanthème contient des pages qui sont des merveilles. Nous n'avons qu'à feuilleter le volume pour y cueillir les fleurs les plus rares. Choisissons-en quelques-unes, qui donneront au lecteur une idée complète du talent descriptif de Pierre Loti. Le volume s'ouvre par un paysage ravissant. L'auteur arrive en vue du port de Nagasaki. Il n'est jamais venu au Japon ; il ne connaît ce pays féerique que par les livres. C'est dire qu'il s'en fait une fausse idée ! Il a donc mille chances d'éprouver

d'éprouver déception. En effet, l'aspect des côtes est bien différent des peintures qu'il a lues. La mer est agitée, le ciel est chargé, le soleil voilé. Le navire entre au port. L'orage se dissipe, le ciel se rassérène, le soir tombe, et, tout à coup, ces montagnes, ces eaux calmes, où dorment immobiles les navires et les jonques, prennent un aspect féerique et mystérieux :

Et à mesure que la nuit descendait, confondant les choses dans de l'obscurité bleuâtre, ce Japon où nous étions redevenait peu à peu, peu à peu, un pays d'enchantements et de féerie. Les grandes montagnes, toutes noires à présent, se dédoublaient par la base, dans l'eau immobile qui nous portait, se reflétaient avec leurs découpures renversées, donnant l'illusion des précipices effroyables au-dessus desquels nous aurions été suspendus ; — et les étoiles, renversées aussi, faisaient dans le fond du gouffre imaginaire comme un semis de petites taches de phosphore.

Puis tout ce Nagasaki s'illuminait à profusion, se couvrait de lanternes à l'infini ; le moindre faubourg s'éclairait ; le moindre village, la plus infime cabane, qui était juchée là-haut dans les arbres et que, dans le jour, on n'avait même pas vue, jetait sa petite lueur de ver luisant. Bientôt il y en eut, des lumières, il y en eut partout ; de tous les côtés de la baie, du haut en bas des montagnes, des myriades de feux brillaient dans le noir, donnant l'impression d'une capitale immense, étagée autour de nous en un vertigineux amphithéâtre. Et en dessous, tant l'eau était tranquille , une autre ville, aussi illuminée, descendait au fond de l'abîme. La nuit était tiède, pure, délicieuse ; l'air rempli d'une odeur de fleurs que les montagnes nous envoyaient. Des sons de guitares, venant des « maisons de thé » semblaient, dans l'éloignement, être des musiques suaves. Et ce chant des cigales, — qui est au Japon un des bruits éternels de la vie, auquel nous ne devions plus prendre garde quelques jours plus tard, tant il est ici le fond même de tous les bruits terrestres, — on l'entendait, sonore, incessant, doucement monotone comme la chute d'une cascade de cristal...

Vous retrouvez dans cette page le poète qui s'enivre de la mélancolie des soirs, et qui s'abandonne au charme pénétrant des nuits tropicales ; l'artiste, dont l'âme s'ouvre à ces mille voix de la nature que n'entendent pas les simples mortels.. Mais sa plume est assez souple pour se transformer; elle change d'allure selon les sujets. Il nous semble même qu'elle a gagné en vivacité, qu'elle est plus pittoresque et plus fantaisiste qu'elle n'était autrefois.

Loti s'abandonne plus aisément à sa verve ; beaucoup de ses pages sont empreintes d'une spirituelle aisance. Il dépeint en termes plaisants sa première entrevue avec sa fiancée. Sa belle-mère, les parents de sa femme lui sont présentés, sa maison est envahie par une collection de figures saugrenues :

Entre une vieille dame, — deux vieilles dames, — trois vieilles dames, émergeant l'une après l'autre avec des révérences à ressorts que nous rendons tant bien que mal, ayant conscience de notre infériorité dans le genre. Puis des personnes d'un âge intermédiaire, — puis des jeunes tout à. fait, une douzaine au moins, les amies, les voisines, tout le quartier. Et tout ce monde, en entrant chez moi, se confond en politesses réciproques ; et je te salue — et tu me salues, — et je te ressalue, et tu me le rends — et je te ressalue encore, et je ne te le rendrai jamais selon ton mérite, — et moi je me cogne le front par terre, et toi tu te piques du nez sur le plancher ; les voilà toutes à quatre pattes les unes devant les autres ; c'est à qui ne passera pas, à qui ne


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

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s'assoira pas, et des compliments infinis se marmottent à voix basse, la figure contre le parquet.

On dirait enfin que M. Loti s'efforce de donner à son style les élégances diminuées et mignardes de l'art japonais. Ayant à peindre des magots, des magotes, des objets minuscules et des figures poupines, il emploie volontiers des épithètes, des alliances de mots d'une grâce fluette et presque enfantine. Voyez la façon dont il décrit un de ces encriers japonais ornés de chimériques sculptures :

Le godet dans lequel M. Sucre délaie son encre est en lui-même un vrai bijou. Taillé dans un bloc de jade, il représente un petit lac avec un rebord fouillé en manière de rocailles. Et sur ce rebord, il y a une petite maman crapaud, également en jade, qui s'avance comme pour se baigner dans le petit lac où M. Sucre entretient quelques gouttelettes d'un liquide bien noir. Et cette maman crapaud a quatre petits enfants crapauds également en jade, l'un perché sur sa tête, les trois autres folâtrant sous son ventre.

Que dites-vous de cette petite maman crapaud et de ces petits enfants crapauds ? Les trouvez-vous dépourvus de grâce ? Ne fontils pas aussi bonne figure dans la phrase de Loti que sur l'encrier de jade, où la fantaisie de l'artiste les avait sculptés ? La naïveté voulue de cette expression ne traduit-elle pas à merveille la gaucherie spirituelle du modèle ? C'est par ces recherches ingénieuses que M. Loti se montre artiste souple et délicat.

Cependant — malgré la fantaisie de certaines pages, malgré l'ironie moqueuse qu'on y sent percer — M. Loti demeure luimême, il ne s'est pas transformé ; il a conservé la mélancolie rêveuse et tendre qui est un des charmes de son beau talent. Cette tristesse douce et profonde apparaît soudain, sans qu'on la pressente; elle intervient au milieu des pages les plus animées et se traduit par un mot, par une pensée, par un souvenir. On la devine parfois, plus qu'on ne la sent ; on peut dire qu'elle plane sur le livre tout entier, qu'elle l'enveloppe, qu'elle en adoucit les angles, qu'elle en atténue les couleurs trop vives, qu'elle l'attendrit sans l'assombrir. Parmi ces peintures exotiques, au sein de cette nature artificielle, ces retours mélancoliques vous laissent l'impression d'une rafraîchissante rosée. C'est surtout le soir quand la nuit tombe, où le matin, au lever du soleil, que l'auteur se sent pénétré de poétiques effluves.

... En rentrant à bord le lendemain matin, au clair soleil de sept heures, nous cheminons dans les sentiers pleins de rosée, avec une bande de petites mousmés, de six ou huit ans, absolument comiques, qui se rendent à l'école.

Les cigales, cela va sans dire, font autour de nous leur joli bruit sonore. La montagne sent bon. Fraîcheur de l'air, fraîcheur de la lumière, fraîcheur enfantine de ces petites filles en longues robes et en beaux chignons apprêtés. Fraîcheur de ces fleurs et de ces herbes, sur lesquelles nous marchons et qui sont semées de gouttelettes d'eau... Comme c'est éternellement joli, même au Japon, les matins de la campagne et les matins de la vie humaine...

Et à ce moment, devant ce radieux paysage baigné de soleil, Pierre Loti se sent pris d'une horreur invincible pour l'horizon factice qui borne ses yeux, pour les magots qui l'entourent, et d'un immense désir de revoir son cher pays, sa chère et sombre Bretagne qui l'attend là-bas...

Nous partageons quelque peu son sentiment.

sentiment. achevant la 328e page — la dernière — de son livre, nous nous sentons épuisés, nos yeux sont las, nos nerfs fatigués par cet abus de couleurs criantes, par ces étalages d'excentricités, par cet emploi immodéré de capiteux et rares parfums ; il nous tarde de respirer le bon air sain des côtes de France, l'odeur vivifiante de nos grands bois.

Après avoir lu Madame Chrysanthème, nous voudrions relire les Pécheurs d'Islande !

Le dernier livrè de M. Loti est un de ces mets étranges qu'on ne peut absorber qu'à petite dose, et dont il serait impossible de se nourrir. Il a le mérite de nous reposer, des vulgarités courantes ; mais il a aussi le mérite de nous faire paraître meilleures les oeuvres sainement françaises, qui sont le pur froment de notre langue.

ADOLPHE BRISSON.

P.-S. — Nous ne pouvons que signaler rapidement les autres publications illustrées de Calmann-Lévy : Les Chants du Soldat, de P. Déroulède, magnifiquement illustrés par de Neuville, Détaille, Fraipont, Allongé, Pille, Worms ; une charmante édition de François le Champi, ornée de dessins d'Eugène Burnand (1) : enfin un fort beau volume où Gyp fait spirituellement dialoguer nos chasseresses et nos chasseurs (2), tandis que Crafty croque leurs silhouettes de son crayon exercé.

Nous nous efforçons chaque jour de rendre les Annales plus intéressantes, plus complètes. Nous sommes en mesure aujourd'hui de combler une lacune importante.

Nous avons le grand tort en France de nous occuper fort peu de ce qui se passe, se dit ou se publie ailleurs que chez nous. Tandis que nos voisins lisent consciencieusement nos revues et nos journaux, nous ignorons jusqu'au titre des publications analogues qui paraissent à l'étranger. Et cependant les revues anglaises, américaines, italiennes, espagnoles, allemandes, russes publient parfois d'excellents travaux et d'intéressants articles.

Nous voulons que nos abonnés soient à même de suivre ce mouvement, et tous les mois nous choisirons, dans les revues européennes ou américaines, l'étude, l'article ou le fragment qui nous semblera le plus digne d'intérêt. Nous espérons que le lecteur appréciera et approuvera cette innovation.

Nous inaugurons aujourd'hui cette nouvelle rubrique par un chapitre extrait des mémoires du grand tragédien Ernesto Rossi, actuellement encours de publication en Italie.

Pages étrangères

SOUVENIRS ARTISTIQUES

La claque. — Grassot. — Rachel. — La Ristori et Rachel. — Leur rivalité. — Anecdotes.

Grâce à la Ristori surtout, le ThéâtreItalien devint en 4866 le théâtre à la mode, comme il arrive toujours quand un spectacle a les bonnes grâces et le goût du public. Déjà notre langue n'était plus un obstacle à

notre succès. L'italien diffère, d'ailleurs, de tous les autres idiomes, en ce qu'il est plus facile à entendre, comprendre et lire qu'à parler ; j'en ai eu assez de preuves pour l'affirmer et pour qu'on puisse me croire.

Les théâtres de Paris ont une institution désagréable : la claque. Mais les spectateurs ont du moins le mérite de garder un profond silence. Une mouche n'a pas le droit de voler. Il en est de même, au reste, dans tous les théâtres de l'Europe, excepté en Italie. Là, les conversations et le bruit semblent, en effet, être recommandés, tant ils sont' généraux. Et pourtant le silence est indispensable autant au public qu'à l'artiste.

Plusieurs personnes m'ont raconté qu'à la Comédie française, un soir où Samson jouait, on entendit un murmure de voix dans une loge d'avant-scène ; l'acteur n'hésita pas et, s'avançant vers la rampe, demanda au public l'autorisation de parler, et dit : « Messieurs et Mesdames, dans une loge à ma droite, on chuchotte de manière à me distraire de mon rôle ; je ne saurais achever ; je suis forcé de me retirer. » Après quoi il fit un léger salut et rentra dans les coulisses.

— A la porte ! A la porte ! s'écria le public, donnant raison à l'artiste.

Les coupables se turent ; Samson revint sur la scène et continua son rôle.

Presque tous les acteurs connus de Paris venaient fréquemment à notre théâtre, depuis beux de la rue de Richelieu jusqu'à ceux des Funambules. Grassot, entre autres, le pauvre Grassot mort il y a peu d'années et qui était alors un des plus fameux comiques du Palais-Royal, quand il avait fini son rôle ou quand il ne jouait pas, venait toujours dans ma loge m'égayer de ses impayables drôleries.

Rachel seule n'était pas encore venue.

Cette grande artiste souffrait l'enfer d'entendre les éloges que faisaient de la Ristori les journaux de toutes les opinions ; et elle ne croyait pas, ne voulait pas croire à la valeur de sa rivale.

Les critiques, je veux être juste, avaient un peu forcé la dose ; pour humilier davantage Rachel, ils mettaient au septième ciel la Ristori et faisaient des comparaisons suggérées par le dépit et la colère plutôt que par la justice. Il est à noter que l'on ne pouvait vraiment établir de comparaisons exactes entre elles. C'étaient là de purs paradoxes : l'une étant absolument classique, l'autre absolument romantique.

En somme, il n'y avait, dans ces injustices, que le désir de châtier l'enfant prodigue, ce qui fut fait avec un peu d'exagération. Ils prirent la Ristori par les pieds pour en assommer Rachel.

Donc, pour revenir au point où j'en étais, Rachel se décide, un beau soir, à venir au Théâtre-Italien pour entendre sa rivale tant célébrée.

Toute voilée, cachée dans une baignoire, elle assiste à une partie de la représentation de Mirra : je dis une partie, car, après le troisième acte, on la vit entrer, frémissante, furieuse, dans une loge d'avant-scène où se trouvait un prince du sang, qui était sou amant — s'il faut en croire la chronique, — et l'entraîner au dehors en s'écriant :

— C'est là cette grande actrice tant vantée ! C'est là cette rivale que l'on veut m'opposer ! Eh bien, dès demain les affiches annonceront Mme Rachel dans Phèdre ! Je ferai voir aux Parisiens si je suis l'astre qui resplendit ou celui qui descend.

Le lendemain les journaux racontèrent ce scandale en l'exagérant un peu, et le public le commenta à sa façon.

Deux ou trois jours après le ThéâtreFrançais annonça Phèdre avec Rachel.

La Ristori fit faire relâche ce soir-là, prit une bonne loge, bien en vue du public et de l'actrice et, assista à la représentation de Phèdre.

Les spectateurs français et, en particulier, les Parisiens ont une grande et belle qualité : ils savent réparer à temps leurs injustices. Aussi ne se rendit-on pas au théâtre avec des idées de rancune ; on voulait simplement

(1) Chacun de ces volumes, ainsi que Madame Chrysanthème, in-8°, 10 fr. (2) Les Chasseurs, un vol. in-8°, 20 fr.


382

LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES

juger l'artiste et l'applaudir si elle le méritait.

Il est inutile que je dise de qui se composait le public du Théâtre-Français ce soirlà. L'Empereur y était et avec lui toutes les notabilités de Paris.

Rachel. — je ne sais pas trouver de

mots pour exprimer mon enthousiasme, — Rachel fut grande, fut inspirée, se surpassa elle-même ! La rage contenue, les douleurs ressenties contribuaient, sans doute, à surexciter son génie.

Il y a de certains moments où un artiste est sublime ; pourquoi ? Parce que, absorbé par son rôle, et sans oublier cependant les études minutieuses qu'il en a faites, il s'abandonne à son génie, et crée.

Je ne sais si j'ai rendu assez claire mon idée, sur laquelle je ne veux, d'ailleurs, pas m'étendre, parce que cela m'éloignerait trop de mon sujet.

Le public éprouva toutes les angoisses, ressentit tout l'amour de Phèdre et, ce soirlà, applaudit lui-même, pour son compte, — sans prendre l'avis des gens salariés pour cet emploi, — et déchira ses propres gants.

Adélaïde Ristori fut tout le temps la première à donner le signal des applaudissements et le fit avec tant de chaleur, tant de persuasion, qu'un malicieux chroniqueur, en racontant les deux rencontres si diverses des deux actrices dans leurs théâtres, écrivit finement : Que la nature avait prévalu dans Rachel et l'art dans la Ristori.

C'était un peu méchant, mais on le pardonna parce que c'était spirituel. Aucune célébrité ne peut, d'ailleurs, échapper à ces explosions d'esprit comprimé.

Pour moi, je crois que la Ristori applaudit parce qu'elle fut impressionnée par le magnifique talent de Rachel.

Les anecdotes spirituelles et railleuses se multiplièrent. En voici une autre :

« Un soir, on tira un coup de pistolet sur le carrosse de l'Empereur au moment où il se rendait à notre théâtre.

Il ne fut pas atteint, fit son entrée d'un air tranquille et prit place dans la loge impériale. A ce moment, on annonça que la représentation ne pouvait commencer tout de suite, parce que la Ristori venait de s'évanouir en apprenant le dramatique incident.

L'Empereur envoya Conneau prendre des nouvelles.

— Eh bien, docteur ?

— Ce n'est rien, Majesté, elle n'est évanouie que d'un oeil, elle sera bientôt remise.

Le lendemain, l'Empereur envoya à la Ristori un magnifique bracelet avec une perle entourée de brillants.

— Un seul oeil, une seule perle ! »

Les représentations de Rachel continuèrent ainsi que celles de la Ristori. L'une ne nuisait en rien à l'autre ; elles se servaient, au contraire, de réclames réciproques, ce qui faisait l'affaire des deux entreprises.

(Traduit par P. Bertrand).

ERNESTO ROSSI.

ROBUR LE CONQUERANT

S'ils ne bronchèrent pas au passage de l'Albatros, il n'en fut pas de même des plongeons, lumnes et imbriens, dont les cris rauques emplirent l'espace, et qui disparurent sous les eaux, comme s'ils eussent été menacés par quelque formidable bête de l'air.

Les deux mille kilomètres de la mer de Behring, depuis les premières Aléoutiennes jusqu'à la pointe extrême de Kamtchatka, furent enlevés pendant les vingt-quatre heures de cette journée et de la nuit suivante.

suivante. mettre à exécution leur projet de fuite, Uncle Prudent et Phil Evans ne se trouvaient plus dans des conditions favorables. Ce n'était ni sur ces rivages déserts de l'extrême Asie, ni dans les parages de la mer d'Okhotsk qu'une évasion pouvait s'effectuer avec quelque chance. Visiblement, l'Albatros se dirigeait vers les terres du Japon ou de la Chine. Là, bien qu'il ne fût peut-être pas prudent de s'en remettre à la discrétion des Chinois ou des Japonais, les deux collègues étaient résolus à s'enfuir, si l'aéronef faisait halte en un point quelconque de ces territoires.

Mais ferait-il halte ? Il n'en était, pas de lui comme d'un oiseau qui finit par se fatiguer d'un trop long vol, ou d'un ballon qui. faute de gaz, est obligé de redescendre. Il avait des approvisionnements pour bien des semaines encore, et ses organes, d'une solidité merveilleuse, défiaient toute faiblesse comme toute lassitude.

Un bond par-dessus la presqu'île du Kamtchatka, dont on aperçut a peine l'établissement de Petropavlovsk et le volcan de Kloutschew pendant la journée du 18 juin, puis un autre bond au-dessus de la mer d'Okhotsk, à peu près à la hauteur des îles Kouriles, qui lui font un barrage rompu par des centaines de petits canaux. Le 19, au matin, l'Albatros atteignit le détroit de La Pérouse, resserré entre la pointe septentrionale du Japon et l'île Saghalien, dans cette petite Manche, où se déverse ce grand fleuve sibérien, l'Amour.

Alors se leva un brouillard très dense, que l'aéronef dut laisser au-dessous de lui. Ce n'est pas qu'il eût besoin de dominer ces vapeurs pour se diriger. A l'altitude qu'il occupait, aucun obstacle à craindre, ni monuments élevés qu'il eût pu heurter à son passage, ni montagnes contre lesquelles il aurait couru le risque de se briser dans son vol. Le pays n'était que peu accidenté. Mais ces vapeurs ne laissaient pas d'être fort désagréables, et tout eût été mouillé à bord.

Il n'y avait donc qu'à s'élever au-dessus de cette couche de brumes dont l'épaisseur mesurait trois à quatre cents mètres. Aussi les hélices furent-elles plus rapidement actionnées, et, au delà du brouillard, l'Albatros retrouva les régions ensoleillées du ciel.

Dans ces conditions, Uncle Prudent et Phil Evans auraient eu quelque peine à donner suite à leurs projets d'évasion, en admettant qu'ils eussent pu quitter l'aéronef.

Ce jour-là, au moment où Robur passait près d'eux, il s'arrêta un instant, et, sans avoir l'air d'y attacher aucune importance :

« Messieurs, dit-il, un navire à voile ou à vapeur, perdu dans des brumes dont il ne peut sortir, est toujours fort gêné. Il ne navigue plus qu'au sifflet ou à la corne. Il lui faut ralentir sa marche, et, malgré tant de précautions, à chaque instant une collision est à craindre. L'Albatros n'éprouve aucun de ces soucis. Que lui font les brumes, puisqu'il peut s'en dégager ? L'espace est à lui, tout l'espace ! «

Cela dit, Robur continua tranquillement sa promenade, sans attendre une réponse qu'il ne demandait pas, et les bouffées de sa pipe se perdirent dans l'azur.

« Uncle Prudent, dit Phil Evans, il paraît que cet étonnant Albatros n'a jamais rien à craindre !

— C'est ce que nous verrons ! » répondit le président du Weldon-Institute. »

Le brouillard dura trois jours, les 19, 20, 21 juin, avec une persistance regrettable. Il avait fallu s'élever pour éviter les montagnes japonaises de Fousi-Zama. Mais, ce rideau de brumes s'étant déchiré, on aperçut une immense cité avec palais, villas, chalets, jardins, parcs. Même sans la voir, Robur l'eût reconnue rien qu'à l'aboiement de ses myriades de chiens, aux cris de ses oiseaux de proie, et surtout à l'odeur cadavérique que les corps de ses suppliciés jettent dans l'espace.

Les deux collègues étaient sur la plateforme, au moment où l'ingénieur prenait ce

repère, pour le cas où il devrait continuer sa route au milieu du brouillard.

« Messieurs, dit-il, je n'ai aucune raison de vous cacher que cette ville, c'est Yédo, la capitale du Japon. »

Uncle Prudent ne répondit pas. En présence de l'ingénieur, il suffoquait comme si l'air eût manqué à ses poumons.

« Cette vue de Yédo, reprit Robur, c'est vraiment très curieux.

— Quelque curieux que ce soit..., répliqua Phil Evans.

— Cela ne vaut pas Pékin ? riposta l'ingénieur. C'est bien mon avis, et vous en pourrez juger avant peu. »

Impossible d'être plus aimable.

L'Albatros, qui pointait vers le sud-est, changea alors sa direction de quatre quarts, afin d'aller chercher dans l'est une route nouvelle.

Pendant la nuit, le brouillard se dissipa. Il y avait des symptômes d'un typhon peu éloigné, baisse rapide du baromètre, disparition des vapeurs, grands nuages de forme ellipsoïdale, collés sur le fond cuivré du ciel ; à l'horizon opposé, de longs traits de carmin, nettement tracés sur une nappe d'ardoise, et un large secteur, tout clair, dans le nord ; puis, la mer unie et calme, mais dont les eaux, au coucher du soleil, prirent une sombre couleur écarlate.

Fort heureusement, ce typhon se déchaîna plus au sud et n'eût d'autre résultat que de dissiper les brumes amoncelées depuis près de trois jours.

En une heure, on avait franchi les deux cents kilomètres du détroit de Corée, puis, la pointe extrême de cette presqu'île. Tandis que le typhon allait battre les côtes sudest de la Chine, l'Albatros se balançait sur la Mer Jaune, et, pendant les journées du 22 et du 23, au-dessus du golfe de Petchéli ; le 24, il remontait la vallée du Pei-Ho, et il planait enfin sur la capitale du Céleste-Empire.

Penchés en dehors de la plate-forme, les deux collègues, ainsi que l'avait annoncé l'ingénieur, purent voir très distinctement cette cité immense, le mur qui la sépare en deux parties, — ville mandchoue et ville chinoise, — les douze faubourgs qui l'environnent, les larges boulevards qui rayonnent vers le centre, les temples dont les toits jaunes et verts se baignaient dans le soleil levant, les parcs qui entourent les hôtels des mandarins ; puis, au milieu de la ville mandchoue, les six cent soixante-huit hectares (1) de la ville Jaune, avec ses pagodes, ses jardins impériaux, ses lacs artificiels, sa montagne de charbon qui domine toute la capitale ; enfin, au centre de la ville Jaune, comme un carré de casse-tête chinois encastré dans un autre, la ville Rouge, c'est-àdire le Palais Impérial avec toutes les fantaisies de son invraisemblable architecture. En ce moment, au-dessous de l'Albatros, l'air était empli d'une harmonie singulière. On eût dit d'un concert de harpes éoliennes. Dans l'air planaient une centaine de cerfsvolants de différentes formes, en feuilles de palmier ou de pandanus, munis à leur partie supérieure d'une sorte d'arc en bois léger, sous-tendu d'une mince lame de bambou. Sous l'haleine du vent, toutes ces lames, aux notes variées comme celles d'un harmonica, exhalaient un murmure de l'effet le plus mélancolique. Il semblait que, dans ce milieu, on respirât de l'oxygène musical.

Robur eut alors la fantaisie de se rapprocher de cet orchestre aérien, et l'Albatros vint lentement se baigner dans les ondes sonores que les cerfs-volants émettaient à travers l'atmosphère.

Mais, aussitôt, il se produisit un extraordinaire effet au milieu de cette innombrable population. Coups de tam-tams et autres instruments formidables des orchestres chinois, coups de fusils par milliers, coups de mortiers par centaines, tout fut mis en oeuvre pour éloigner l'aéronef. Si les astronomes de

(1) Voir les nos des 9, 16, 23, 30 octobre, 6, 13, 20, 27 novembre et 4 décembre.

(1) Près de. quatorze fois la surface du Champ de Mars.


LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

383

la Chine reconnurent, ce jour-là, que cette machine aérienne, c'était le mobile dont l'apparition avait soulevé tant de disputes, les millions de Célestes, depuis l'humble tankadère jusqu'aux mandarins les plus boutonnés, le prirent pour un monstre apocalyptique qui venait d'apparaître sur le ciel de Bouddah.

On ne s'inquiéta guère de ces démonstrations dans l'inabordable Albatros. Mais les cordes, qui retenaient les cerfs-volants aux pieux fichés dans les jardins impériaux, furent ou coupées ou halées vivement. De ces légers appareils, les uns revinrent rapidement à terre en accentuant leurs accords, les autres tombèrent comme des oiseaux qu'un plomb a frappés aux ailes et dont le chant finit avec le dernier souffle.

Une formidable fanfare, échappée de la trompette de Tom Turner, se lança alors sur la capitale et couvrit les dernières notes du concert aérien. Cela n'interrompit pas la fusillade terrestre. Toutefois, une bombe ayant éclaté à quelques vingtaines de pieds de sa plate-forme, l'Albatros remonta dans les zones inaccessibles du ciel.

Que se passa-t-il pendant les quelques jours qui suivirent ? Aucun incident dont les prisonniers eussent pu profiter. Quelle direction prit l'aéronef ? Invariablement celle du sud-ouest — ce qui dénotait le projet de se rapprocher de l'Indoustan. Il était visible, d'ailleurs, que le sol, montant sans cesse, obligeait l'Albatros à se diriger selon son profil. Une dizaine d'heures après avoir quitté Pékin, Uncle Prudent et Phil Evans avaient pu entrevoir une partie de la Grande Muraille sur la limite du Chen-Si. Puis, évitant les monts Loungs, ils passèrent audessus de la vallée de Wang-Ho et franchirent la frontière de l'Empire chinois sur la limite du Tibet.

Le Tibet, - hauts plateaux sans végétation, de-ci de-là pics neigeux, ravins desséchés, torrents alimentés par les glaciers, bas-fonds avec d'éclatantes couches de sel, lacs encadrés dans des forêts verdoyantes. Sur le tout, un vent souvent glacial.

Le baromètre, tombé à 450 millimètres, indiquait alors une altitude de plus de quatre mille mètres au-dessus du niveau de la mer. A cette hauteur, la température, bien que l'on fût dans les mois les plus chauds de l'hémisphère boréal, ne dépassait guère le zéro. Ce refroidissement, combiné avec la, vitesse de l'Albatros, rendait la situation peu supportable. Aussi, bien que les deux collègues eussent à leur disposition de chaudes couvertures de voyage, ils préférèrent rentrer dans le roufle.

Il va sans dire qu'il avait fallu donner aux hélices suspensives une extrême rapidité, afin de maintenir l'aéronef dans un air déjà raréfié. Mais elles fonctionnaient avec un ensemble parfait, et il semblait que l'on fût bercé par le frémissement de leurs ailes.

Ce jour-là, Garlok, ville du Tibet occidental, chef-lieu de la province de Guari-Khorsoum, put voir passer l'Albatros, gros comme un pigeon voyageur.

Le 27 juin. Uncle Prudent et Phil Evans aperçurent une énorme barrière, dominée par quelques hauts pics, perdus dans les neiges, et qui leur coupait l'horizon. Tous deux, arcboutés alors contre le roufle de l'avant pour résister à la vitesse du déplacement, regardaient ces masses colossales. Elles semblaient courir au-devant de l'aéronef.

- L'Himalaya, sans doute, dit Phil Evans, et il est probable que ce Robur va en contourner la base, sans essayer de passer dans

l'Inde.

— Tant pis ! répondit Uncle Prudent. Sur cet immense territoire, peut-être aurionsnous pu...

— A moins qu'il ne tourne la chaîne par le Birman à l'est, ou par le Népaul à l'ouest.

— En tout cas, je le mets au défi de la franchir !

— Vraiment ! dit une voix.

JULES VERNE. (A suivre.)

LES LIVRES DE LA SEMAINE

Ont paru cette semaine :

Léopold Cerf. — L'Enseignement secondaire des jeunes filles, 3e édition, par Camille Sée, conseiller d'Etat.

A la Librairie des Bibliophiles. — OEuvres choisies de Voltaire, publiées par Georges Bengesco, romans, tome I (3 fr.) ; Discours sur les duels de Brantôme avec une préface, par Henry de Pène.

Chez Perrin. — Une fille de Fronce et sa correspondance inédite, par L. de Beaurrez.

Chez Dentu. — Un conte du Berry par Luc Barch ; la duchesse de Berry et la Cour de Louis XVIII, par Imbert de Saint-Amand.

Chez Jules Lévy. — Les d'Orléans au tribunal de l'Histoire, par Gazeau de Vautihaut, tome I. Chez Ghio. — La Vérité sur la, propriété et le travail, par Louis Morosti.

Chez Félix Alcan. - Discours de la méthode de Descartes, avec une préface, par J. Larocque ; L'homme selon le transformisme, par Arthur Vianna de Lima ; Des définitions géométriques et des définitions empiriques, par Louis Liard.

LES JEUX DU DIMANCHE

599. — Charade

Si mon premier est cher, mon second l'est aussi ; Mais pour trouver mon tout, il le faut ici.

600. — Enigme.

Qui d'entre vous me saura dire Ce que Dieu n'a jamais pu voir, Et que le maître d'un Empire Rarement peut apercevoir, Mais qu'un pauvre, matin et soir, Rencontre sans qu'il le désire.

SOLUTIONS 595. — Charade Chou-croute (choucroute).

596. — Mots en losange

Par Deux Flambeaux de Bordeaux

A

A R T

A R M E T

A R M E N I E.

T E N I R

T I R

E

TIRESIAS.

Adresser les solutions à TIRESIAS, à l'administration du Journal, 5, rue Coq-Héron.

ONT TROUVE :

Deux problèmes.

Famille Byrrh, de Rouen. — L'an faon. — Thé, lait, gras feu. - Le Sphinx Mendois. — R., à Courgeac. — De Zamis. — Liane, à Pégairolles. — La Société des Aiglons. — 1 Knour gai.— L. S., à Bordeaux. - Luciole, et Ver-luisant. — Liane brisée. — R. Nestine et U. Gène. — A. Lynn. — Les 4 fils à papa. — Fineflights.

Un problème.

Deff Alko Zaya.— Guy Bollar. — E. R. (Les Arcs). — Pie et René. — V.. à Melle. — R,, à Barendrecht. — 1 vésulien. - Piètro-Agosto. — Soulomis. — Noël de Curamal. — 1 gare au nez. — Euréka, à Castelmoron. — 7 so 6 son. — Un R.

venant de la Mastre. — Emmanuel Vila — Loulou et Lolotte. — Mlle M. A. M., Bézé. — Une A. J. T., à C. — 1 abbé sortant d'oraison. — Ely O'Tropp. — F. Harré et A. Hurry. — C. Phaëlis. — Belzébuth et Méphistophélès. — Le Maître à Rubis. — Une amie de Graziella. — G. D., à Alençon. — 1 Emule aux Champs. — Kikamy. — Georgette, à Dominé. — Une ourse de Savoie. — Lord Nystorinck. — Brougnard.

PETIT COURRIER

M. F., à Londres. — Volume paraîtra pour 1er janvier, ignorons encore prix.

M. L. I., à Marseille. — Enverrons lettre chroniqueur Annales.

Deux Grenobloises. — Trop long pour Annales lettre particulière.

175S8. — Y songerons.

M. Joselin. — Gracieux ; 1er et 2e vers faux ; radieux 3 syllabes.

M. X., à Andrinople. — Sentiment poétique très développé ; hiatus 18e vers.

M. G. V. — Nous nous en occuperons.

M. R. T. — Sentiment délicat, forme rappelle Soulary.

M. A. L. — On doit dire clob.

M. M., à Saint-Claude. — Forme pèche beaucoup.

M. A. C. — Beaucoup de lyrisme ; forme un peu rude pour être mise en musique.

M. C. M. B. — Forme ingénieuse, mais dépourvue de lyrisme, allumettes fâcheuses. — 1° Quai de Gesvres ; 2° 26, rue Racine ; 3° Medan (S.-et-Oise) ; 4°, 8, Boulevard des Capucines ; 5° Manuel de Roret pour charron.

M. E. L., à Coulonges. — Manuel ; Calmann-Lévy.

M T., à Marseille. — Série sur fleurs sera faite prochainement.

M. V. P., à Aubenas. — Tous les 3 chez CalmannLévy.

M. P. P., à Cusset. — Nous occuperons très sérieusement de vous ; pas d'illusion ; très difficile ; recevrez lettre particulière.

M. B., à Vendin-le-Viel. — Adressez-vous à notaire qui fera démarches.

M. R. H., au Havre. — Forme trop peu poétique idée très gracieuse.

M. G., à Pau. — Raymonde.

M. G , à Olgat. — Sujet bien traité ; 13e vers faux dans Pages Oubliées.

M. G. L. M., au Havre.— Beaucoup de grâce ; 9e vers

M. O. T., a Toulouse. — Permission accordée.

M. D. C., au Havre. — Dernière strophe très jolie.

M., C., à Pemaulier. — On dit hivernal parce qu'on dit hiver et que le b latin se chauge en v français.

Un Blideen. — Adressez-vous Creville-Morant, rue de la Sorbonne, Paris.

M. A., à Sirech. — Inconnu.

M. Lamor. — Inconnu.

M. Fv., à S. — Rimes de 4e strophe n'alternent pas dans charmilles ; sonnet bien supérieur,

M. Aubert, à Perpignan. — 1° Vous confondez les Annales avec le Botin ; 2° Librairie Firmin Didot.

M. F., à Montbrison. — Ecrivez à la Société de Géo graphie, boulevard St-Germain.

M. T., à Moissy. — Le journal ne doit être distribué que le samedi matin.

M. E. X., à Lyon. — Société absolument inconnue.

M. J. B., à. Toulouse. — Y songerons.

M. T. C. L. — Ouvrage inconnu.

M. F., à Chaillé. — Le ferons.

M. T. P. K. S. Y. - Inconnu.

M. J. V. L. — Revue champenoise ; nouvelle char mante ; quelques longueurs.

M. P. C. M. - Y avons déjà songé.

M. T. Al. G. L. — Les Grandes Demoiselles, par Gondinet ; Calmann-Lévy.

M. A. C., à Lunéville. — Adressez-vous Hachette.

M. C., à Dreuilhe. — 1° Boulevard St-Germain, Alcan ; 2° Bibliophiles, Jouaust, rue de Lille ; 3° Marpon, rue Racine.

M. X., à R. — Masson, boulevard St-Germain.

M. V. G., à M. - Calmann-Lévy.

M. P. C., à Lons-le-Saulnier. — Adresse inconnue.


384 LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES

CONSEILS PRATIQUES

PEINTURE SUR SOIE

Faire dissoudre dans de l'eau de la gomme en poudre et de l'alun en poudre (plus d'alun que de gomme). Prendre une éponge, la tremper dans ce liquide et s'en servir ponr mouiller les deux côtés de la soie. On garnit le contour do celle-ci avec un peu de colle ; on la fixe par ce contour sur une feuille de carton pour la sécher. Sans la détacher du carton, on peint sur la soie comme sur du papier, quand elle est sèche.

CHEMINS DE FER DE PARIS A LYON ET A LA MÉDITERRANÉE

PARIS - ROME

Visite des villes de Turin, Gênes et Pise TRAIN A PRIX RÉDUIT

A l'occasion du jubilé de S. S. le pape Léon XIII, la Compagnie P.-L.-M. organise, dans les conditions suivantes, un train à prix réduit de Paris à Rome.

Départ de Paris, le 28 décembre, à 2h.20 soir.

Retour à Paris, le 12 janvier, à 7h.5 soir.

Prix unique du voyage (aller et retour),

100 francs, en 2e classe.

On peut se procurer des billets, à partir du 15 décembre, à la gare de Paris, 20, boulevard Diderot ; dans les bureaux-succursales de la Compagnie ; aux agences : des VagonsLits, 3, place de l'Opéra ; Lubin, 36, boulevard Haussmann ; Cook et fils, 9, rue Scribe et Grand-Hôtel, boulevard des Capucines, et H. Gaze et fils, 7, rue Scribe.

Nota. — On pourra visiter Naples en prenant à Rome des billets d'aller et retour aux prix réduits de : 41.95 en 1re classe et 29.40 en 2e classe.