mots savants bien employés, il construisait de grandes phrases, réminiscences de Mirabeau, Gambetta et du père Combes. Il parlait alors de l'alliance du sabre et du goupillon, mettant dans le même sac, avec volupté, les Templiers, l'Inquisition, le Pape, les Trusts et l'Etat-Major. Et le Christ, si l'électeur était bigot, était rapidement et habilement transformé en syndicaliste.
J'aurais voulu lui rétorquer que son Christ devait détester les bourgeois radicaux de son espèce. Mais il était de la famille. Et je lui étais reconnaissant de me faire connaître les belles filles de la contrée. Quand nous cheminions sous le soleil, il me serrait le bras : « Eh, eh, jolies fesses ! C'est là fille de la ferme du Moulin. Je vais te la présenter ».
Plus vieux, plus audacieux, plus libre, j'ai discuté avec mon instituteur. Quelle surprise de le voir tout simplement escamoter Dieu. Ce cancre académique, ce normalien encyclopédique escamotait celui qui inspira tant de grands poètes, de grands peintres, de grands sculpteurs — ne parlons pas des saints. -— Dieu ? Connais pas !
Un jour, je lui dis : « Ne crois-tu pas qu'on ne peut être optimiste que si on a la foi ? Et pessimiste si on croit au progrès humain ?
— Mais non ! pas du tout ! Le progrès humain existe !
•— Les gaz asphyxiants existent aussi. Le service militaire obligatoire aussi !... La mort aussi, en fin de compte !
Je vous le jure, il ne m'a pas répondu.
J'en ai encore plein les oreilles des phrases de La Bruyère sur les mangeurs de racines ou celles du Genevois sur la bonté innée de l'homme. Valmy et la Bastille me faisaient tressaillir. Cette révolution était, à mes yeux; la lutte des bons contre les méchants. Dans la cour des récréations, mes camarades et moi, nous jouions aux blancs et aux bleus, chacun voulant avoir l'honneur d'être parmi les bleus.
Tous ces souvenirs me révoltent un peu. Car c'est grâce à cette première éducation que les Français sont devenus prétentieux, philosophes d'occasion et fanatiques bavards. N'allons pas chercher ailleurs les causes de leur ignorance et l'absence dans leur esprit de toute grandeur. Personne ne leur a dit qui était Louis XIV, personne ne leur a parlé du château de Versailles. Ou s'ils ont entendu citer ces deux noms, c'était bien pour les opposer à Danton ou à la prise des Tuileries.
L'histoire de France d'une école primaire commence aux Gaulois, ces ancêtres aux moustaches blondes dont il est tant parlé . aux jeunes Africains qui ont le bonheur d'être nos colonisés. Et jusqu'à Charlemagne, il n'y a rien à dire. Mais après, quelles
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