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Titre : Revue de l'histoire de Versailles et de Seine-et-Oise / [Société des sciences morales, des lettres et des arts de Seine-et-Oise]

Auteur : Académie de Versailles, des Yvelines et de l'Ile-de-France. Auteur du texte

Auteur : Académie de Versailles, des Yvelines et de l'Ile-de-France. Auteur du texte

Éditeur : L. Bernard (Versailles)

Éditeur : H. Champion (Paris)

Date d'édition : 1932-01-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34442726j

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34442726j/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 01 janvier 1932

Description : 1932/01/01 (A34,N1)-1932/03/31.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Île-de-France

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5686041f

Source : Bibliothèque nationale de France, 8-Lc-128

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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ACADEMIE DE VERSAILLES

(SOCIÉTÉ DES SCIENCES MORALES, DES LETTRES ET DES ARTS DE SEINE-ET-OISE)

REVUE

DE

L'HISTOIRE DE VERSAILLES

ET DE

SEINE-ET-OISE

34e ANNEE - N°1 - JANVIER - MARS 1932

HENRIETTE CELARIE. - Les vieilles demeures de Viroflay 5

M. G.— Comment A. Brongniart, administrateur de la Manufacture de Sèvres,

se comportait à l'égard des recommandations....................... 15

A. HACHETTE. — La Maison du Roi et les Inventeurs. .............20

CH. HIRSCHAUER et E. LERY. — L'hôtel Lambinet et l'hôtel de la Banque de

France.............. 37

G. MAUGUIN. - J. -J. Rousseau est-il venu à Versailles? ......56

Dr A. - N. RABOURDIN. - L'Hotel du Gouvrnement Palais du Roi de Rome à

Rambouillet...... 53

VERSAILLES

ADMINISTRATION DE LA REVUE AU SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ

5, rue Gambetta

LIBRAIRIE LEON BERNARD J.-M. MERCIER, SUCCESSEUR

17, rue Hoche

1932


L'Académie de Versailles comprend des membres et des adhérents.

Pour devenir adhérent de l'Académie, il faut être présenté par deux personnes, dont au moins un membre. Les personnes présentées sont nommées en séance à la majorité des suffrages.

La cotisation annuelle des membres et adhérents de l'Académie est fixée à 25 francs; elle compte du 1er janvier au 31 décembre. Il est en outre perçu un droit d'admission de 5 francs. Toutefois cette cotisation est réduite de 50 pour cent pour les membres de la même famille, habitant sous le même toit que le premier inscrit, et pour les adhérents inscrits postérieurement à la clôture de l'année académique (31 juillet).

Le siège de la société est à l'Hôtel de la Bibliothèque, 5, rue Gambetta. Les séances sont tenues (novembre-juillet) tous les vendredis, à 17 heures.

La REVUE publiée par l'Académie de Versailles, est envoyée gratuitement aux personnes qui paient la cotisation entière.. La cotisation réduite ne donne pas droit au service de la REVUE.

Les articles de la REVUE paraissent sous la responsabilité personnelle des auteurs. L'Académie et les auteurs réservent leurs droits de reproduction et de traduction, en France et à l'Etranger.

Un certain nombre de Sociétés se proposent de faire, par les moyens les plus divers, connaître et aimer Versailles. Ce sont :

1° La SOCIÉTÉ DES AMIS DE VERSAILLES (Voy. la notice ci-dessous). 2° LA SOCIÉTÉ DES AMIS DE LA BIBLIOTHÈQUE DE VERSAILLES ET DU MUSÉE JEAN HOUDON (Voy. la page 3 de la couverture)

3° LA SOCIÉTÉ DES AMIS DES ARTS DE SEINE-ET-OISE (Voy. la notice à la page 3 de la couverture).

4° La SOCIÉTÉ DES,FÊTES VERSAILLAISES (Voy. la notice à la page 3 de la couverture).

5° Le SYNDICAT D'INITIATIVE ET DE TOURISME DE VERSAILLES (.Voy. la page 8 de la couverture).

SOCIETE DES AMIS DE VERSAILLES

La Société acs Amis de Versailles a pour but d'apporter à l'Etat son concours pour la sauvegarde du domaine de Versailles et pour l'accroissement des richesses artistiques qui y sont contenues.

Le cotisation annuelle est de 20 francs au minimum. Elle peut être rachetée par un versement fait, une fois pour toutes, de 500 francs, qui donne droit au titre de Membre fondateur.

Président : M. ALEXANDRE MILLERAND, ancien Président de la République

Trésorier : M. L. METMAN, Conservateur du Musée des Arts décoratifs ;

Secrétaire général : M. A. FAUCHIER-MAGNAN, Conservateur adjoint du Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris.

Le siège de la Société est au Palais du Louvre, Pavillon de Marsan, 107, rue de Rivol: (Paris (1er).


REVUE

DE

L'HISTOIRE DE VERSAILLES

ET DE

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ACADEMIE DE VERSAILLES (SOCIÉTÉ DES SCIENCES MORALES, DES LETTRES ET DES ARTS DE SEINE-ET-OISE)

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1932



Les vieilles demeures de Viroflay

LE CHATEAU DE SAINT-VIGOR (1).

Tandis que nombre de vieilles maisons n'ont gardé que de rares vestiges de leur apparence première, celle, qu'à Viroflay, on appelle Saint-Vigor fleurit encore dans toute sa beauté et présente l'image fidèle de ce qu'elle fut jadis.

Lorsque, venant de la ville du grand Roi, on a passé sous les « Six-Ponts » et laissé Porchefontaine à sa droite, on trouve, sur sa gauche, au numéro 34, une maison précédée d'une cour qu'une haute grille avec deux piliers en pierre de taille sépare de la rue de Versailles.

Jadis, son entrée était plus imposante. Une demi-lune permettait l'évolution des carrosses et s'étendait environ l'emplacement où, au siècle dernier, ont été plantés deux peupliers : « arbres de la liberté ».

Heureuse dans ses proportions, ni trop grande, ni trop petite, la vieille demeure de Saint-Vigor sourit au soleil par ses fenêtres régulièrement espacées. Elle est le type parfait d'une habitation de plaisance telle que la comprenaient nos pères dans la seconde partie du XVIIIe siècle.

Quelques détails très particuliers de sa construction — notamment les fenêtres d'un des deux pavillons dont nous parlerons tout à l'heure — inclinent à faire croire que, si elle n'est pas de l'architecte Gabriel lui-même, elle est, sans doute, d'un de ses meilleurs élèves.

(1) Ce nom de Saint-Vigor peu répandu, à présent, est celui d'un ancien évêque de Bayeux.

Les gravures illustrant cet article sont extraites de La Guirlande de Paris, 2e série, par P. Jarry. Un vol. in-fol. de 36 pl. et 12 p. de texte, prix ; 125 francs. Chez F. Contet, éditeur, 9, rue de Bagneux, à Paris (6e).


LES VIEILLES DEMEURES DE VIROFLAY

Une légende qui a cours encore dans le pays veut que Saint-Vigor ait été habité par la nourrice de Louis XVI, Mme Poitrine, au nom prédestiné.

Comme la plupart des légendes, celle-ci enferme une part de vérité; Marie-Madeleine Bocquet, épouse de Simon Mercier, contrôleur de la douane et mère de Louis-Vigor qui fit bâtir la maison qui nous intéresse, fut nourrice du duc de Bretagne mort en bas-âge et du duc d'Anjou, le futur Louis XV.

Famille de bourgeoisie aisée, celle de ces Mercier. Quand Simon Mercier meurt en 1772, sa succession comporte plusieurs immeubles situés à Paris, à Montrouge et dont la valeur monte à 206.025 livres, de l'argenterie, de la vaisselle d'argent estimées à 19.881 livres; des bons meubles, du linge et des bijoux. Famille qui ne cesse de monter. Louis XV lui concède des armes en souvenir des soins qu'il a reçus de sa mère nourricière : coupé; d'azur à deux fleurs de lis d'or sur or, à deux dauphins adossés d'azur, une couronne royale brochant sur le coupé » (1).

Parmi les huit enfants que laisse Simon Mercier, Louis-Vigor est écuyer colonel de cavalerie, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, contrôleur général de la Maison de la Reine. Cette dernière charge lui vaut un appartement au Grand Commun du château de Versailles. Saint-Vigor sera sa maison des champs. Il a chevaux, voitures et domestiques. Lors de son décès à Versailles, le 4 may mil sept cent quatre-vingt-cinq, les scellés sont apposés aussitôt par le lieutenant-général de la prévôté de l'hôtel du Roy, tant dans l'appartement du grand commun qu'à Saint-Vigor. Un premier laquais, Clarisse, et un second domestique reçoivent à titre de gratification, la garde-robe de leur maître. Les chevaux, les voitures sont donnés, au même titre, à Teissèdre, le cocher.

L'un des frères de Louis-Vigor, Simon-Louis Mercier, monte plus haut encore. Entré en 1733 comme cornette au régiment royal de Piémont-cavalerie, il parvient au grade de maréchal de camp. La faveur royale, sans doute, ne fut pas étrangère à une telle ascen-, sion ; mais, il convient de le dire, dans la famille des Mercier, on est

(1) Cité par L. Jarry : La Guirlande de Paris,


CHATEAU DE SAINT-VIGOR A VIROFLAY. — Façade sur le jardin.


CHATEAU DE SAINT-VIGOR A VIROFLAY. — Le vestibule.


LES VIEILLES DEMEURES DE VIROFLAY 7

brave et point ménager de son sang. Partout où l'on se bat, SimonLouis se fait remarquer par sa valeur, son esprit de décision.

Une étroite amitié unissait les deux frères. Quand Louis-Vigor devient propriétaire à Viroflay, Simon-Louis s'installe tout près de lui. Une source coule au bas de la terrasse où s'élève sa maison (1). La propriété en prend le nom et de même que nous verrons LouisVigor compléter son « patronyme » du titre de « Saint-Vigor », Simon-Lous, le maréchal de camp ajoute au sien celui de « la Source ».

Après la mort de son frère, le maréchal Simon-Louis Mercier de la Source, tant en son nom personnel qu'en celui des co-héritiers vend la maison de Saint-Vigor à Jacques Petit de Vievigne, conseiller du Roi en ses conseils et honoraire au conseil souverain de la Martinique, commissaire général de la Marine aux colonies, ordonnateur en l'isle de Grenade. Un demi-siècle plus tard, le 22 avril 1834, la demeure passe aux mains d'Etienne de Laître, ancien préfet de l'Eure qui ne la garde que neuf ans. Le 27 et le 28 décembre 1843, elle passe à un nommé Legrand dont la veuve Marie-Françoise de Roux la cède à son tour, en 1851, à Jacques-André Mesnard, président à la Cour de Cassation et demeurant à Paris.

Jean Mesnard l'hérite de son père en 1858,

Durant les dernières années de sa vie, il semble que Saint-Vigor ait cessé de l'intéresser. Ainsi que sa femme, on ne l'y voit que rarement, à de longs intervalles, et pour des séjours fugitifs.

Arrive la grande guerre. La dévastation menace la demeure. Elle y échappe par miracle. Des territoriaux sont logés dans les salles désertes; ils y étendent leurs paillasses, y font leur popote.

Vers la fin des hostilités, les héritiers de Jean Mesnard vendent la propriété (12 novembre 1917). Son état de délabrement est extrême : dallages, parquets, toiture, peintures, tout est à réparer Pour rendre la maison habitable, les acquéreurs : M. et Mme Etienne Chateau dépenseront une somme supérieure à celle de l'achat.

Le 29 novembre 1928, ils s'en défont en faveur de Mrs Talbot Taylor qui, avec l'aide de M. Guéritte, l'éminent architecte du

(1) Celle-ci existe encore; et continue de s'appeler «La Source»; mais remaniée, maintes et maintes fois, à l'intérieur, elle n'est plus qu'une coquille. On remarquera sa belle grille en fer forgé, au n° 28 de la rue de Versailles,


8 LES VIEILLES DEMEURES DE VIROFLAY

palais de Versailles, a su la réparer, l'aménager de la manière que nous allons voir..

Franchie une petite porte à gauche de la grille d'honneur, on pénètre dans une vaste cour rectangulaire. La maison des maîtres la ferme, en partie, sur son étendue la plus longue.

De chaque côté se trouvent deux pavillons symétriques mais non pareils. L'un comporte le logement du concierge et une grande cuisine : celle de la demeure principale. Sur l'un des actes de vente (celui du 15 juillet 1785), l'autre est désigné : « apartement des bains ». En réalité, il constitue une charmante petite habitation complète en soi. Tout s'y trouve à des proportions réduites : l'antichambre, la cuisine, les deux salons, la salle à manger et, à l'étage, trois chambres avec une salle de bains.

Avec un goût exquis, Mme Taylor a restauré ce pavillon. Des meubles de l'époque garnissent les pièces, les fenêtres sont drapées de mousselines anciennes brodées aux Indes; des gravures du XVIIIe siècle sont suspendues aux murs et, dans le plafond en ovale de la cage de l'escalier, s'insère une peinture du genre de Mignard provenant d'une maison de Versailles, aujourd'hui démolie. Elle montre une Victoire au front ceint de lauriers, aux mains tenant la couronne et les palmes destinées au vainqueur. Des voiles d'un bleu sourd la vêtent mais laissent découverte une gorge qui est belle.

Quel fut l'usage, jadis, de ce pavillon, de cette charmante petite maison comme pour poupées? S'y installait-on aux approches de l'hiver, quand les vastes pièces de la grande demeure devenaient difficiles à chauffer? Etait-ce le nid douillet des jeunes couples de la famille, ou, au contraire, les parents atteints par l'âge, fatigués des réceptions et désireux de mener un train paisible conforme à leurs goûts, s'y retiraient-ils laissant à leurs enfants la jouissance du logis principal? Comment le savoir!

Jusqu'à ces dernières années, un portique aux colonnes doriques unissait la grande demeure à ses deux pavillons. Ce portique qui laissait la vue plonger sur la verdure et les parterres fleuris du jar-


CHATEAU DE SAINT-VIGOR. — Le grand salon.


VIROFLAY. — La maison de Louvois.


LES VIEILLES DEMEURÉS DE VIROFLAY 9

din constituait, dès l'entrée, le plus séduisant, le plus noble des décors.

Mais les exigences de la vie moderne, notre besoin de confort ne se satisfont plus de ce qui contentait nos pères.

Installée dans le pavillon de la porterie, la cuisine — ainsi que nous l'avons dit — était séparée de la grande demeure et si cette disposition avait, primitivement, été jugée convenable pour éviter les odeurs et les bruits, elle devient, il faut le reconnaître, fort peu pratique, quand, par le mauvais temps, il s'agit de vaquer au service.

Comment remédier à cet inconvénient? Comment, surtout, le faire sans détruire l'harmonie de l'ensemble? Plusieurs projets furent étudiés. M. Guéritte s'arrêta à celui d'une galerie murée dont les ceils de boeuf rappellent le style du Grand Siècle.

Si l'aspect de la maison sur la cour est volontairement simple, la façade sur le jardin est plus ornée. Tout en restant d'une pureté classique, elle réalise le goût que montrait l'époque pour les péristyles en rotonde.

Celui qui s'offre ici plaît infiniment. A sa partie supérieure, il forme une large terrasse où, dès les beaux jours, c'est un plaisir de venir se reposer et jouir de la sérénité du jardin.

Pénétrons dans l'intérieur. Il réserve une série d'enchantements. Au caractère français, l'uniformité est fastidieuse. Partout, le décorateur a mis de la variété; partout il a montré la délicatesse d'un goût sûr et averti.

Que de trouvailles heureuses dans l'ornementation, dans des détails qui n'apparaissent pas d'emblée mais qui sont sensibles néanmoins et concourent à la beauté de l'ensemble.

C'est, d'abord le vestibule. Des colonnes le divisent en trois travées, dont les deux latérales, présentent le spécimen très rare, dans une demeure particulière, de voûtes légèrement cintrées et divisées en caissons.

Se faisant face, deux par deux, quatre niches ont été ménagées dans les murailles. Des statues s'y trouvent. Deux d'entre elles sont charmantes. Dans le geste gracieux dont l'une incline son urne sur son épaule et dont l'autre offre une gerbe de fleurs, il y a une aisance,


LES VIEILLES DEMEURES DE VIROFLAY

une souplesse qui les apparentent aux nymphes de Germain Pilon.

Ces statues ne sont qu'en stuc, et c'est à cela sans doute, que nous devons de les admirer à leur place. Faites d'une matière plus précieuse, elles auraient, depuis longtemps, été cédées à quelque antiquaire; elles auraient disparu au hasard d'une vente.

Une porte à droite donne accès au « salon de compagnie » A peine l'a-t-on franchie qu'on se croit transporté à Trianon, dans les appartements de la reine. Sept hautes fenêtres éclairent la pièce que baigne une splendeur sourde. Les parois s'ornent de pilastres ioniques. Au-dessus des portes et des fenêtres se déroulent des guirlandes de fruits et de fleurs; une rosace s'épanouit au plafond. Ici, de légères « consoles, une tête de bélier; là, des rinceaux, des arabesques, des denticules. Et tout cela s'accorde. Une unité profonde donne une vie commune à l'ensemble.

Naguère, murailles, sculptures, pilastres, tout était empâté sous une couche de peinture blanche et uniforme. Lors de la restauration qu'elle entreprit de Saint-Vigor, le hasard et l'érudition de M. Guéritte, servirent de guide à la nouvelle propriétaire, Mrs Taylor. Les vieilles maisons sont fertiles en surprises. Un coup de marteau contre la cloison mitoyenne avec le vestibule fit soupçonner que celle-ci était creuse en l'un de ses points.

Le' panneau abattu, une niche haute et étroite apparut. M. Guéritte en conclut, aussitôt, qu'une autre toute pareille se trouvait en vis-à-vis.

Les traces de peinture marbrée et de dorures que ces niches présentaient révélèrent la décoration primitive de la pièce. Ainsi travailla-t-on sûrement à sa réfection. Aujourd'hui, l'opposition harmonieuse des marbrures d'une couleur bleuâtre, la transparence lumineuse de la peinture et les tons d'or éteint des guirlandes sculptées sont un délice pour les yeux.

De l'autre côté du vestibule s'ouvre la salle à manger. Une petite pièce octogonale et d'aspect fort original la précède. Les quatre fenêtres de la salle donnent sur le jardin et sa roseraie. La niche creusée dans l'une des murailles a conservé son vieux poële rond en faïence blanche. Les boiseries décapées ont retrouvé leurs tons primitifs.

Peinte en un vert d'eau très atténué sur lequel se détachent de gracieux médaillons, la pièce a recouvré l'aspect aimable qu'elle présentait jadis. Mesurée dans son étendue, elle ne s'ouvrit jamais


LES VIEILLES DEMEURES DE VIROFLAY 11

pour des banquets dont le trop grand nombre de convives fait la banalité. Mais on y donna, certainement, des repas délicats, des goûters exquis. Libre à nous d'imaginer que des violons placés dans le petit salon octogone, comme en une loge, faisaient entendre leur musique légère et discrète tandis que les convives dégustaient des crus renommés et échangeaient des propos d'une grâce spirituelle.

Les chambres à l'étage sont basses, entresolées, spécialement la chambre principale correspondant au salon qui, pour garder ses proportions, est plus haut que les autres pièces du rez-de-chaussée.

Voici la bibliothèque garnie de vitrines aux belles boiseries anciennes que remplissent des ouvrages aux reliures précieuses; à sa suite, un petit salon dont les panneaux aux sujets gracieux évoquent le souvenir du fameux cabinet des singes dont Huet peupla les boiseries de l'Hôtel de Rohan.

Un second étage, sous les combles, offre deux chambres de maître avec les obligatoires cabinets de garde-robe flanquant l'alcôve et les chambres de domestiques.

Tel est, actuellement, le terme de l'histoire du château de SaintVigor. Dans sa vieillesse, la maison a retrouvé la splendeur de sa prime jeunesse et l'on nous permettra, je pense, de louer ici, comme il convient, le goût parfait et mesuré avec lequel Mrs Taylor a, non seulement, réparé la demeure, mais a su l'orner et la meubler.

LA MAISON DE LOUVOIS.

Il y a quelques années seulement, le promeneur qui avait passé devant le château de Saint-Vigor et poussait plus avant dans la rue de Versailles, voyait s'étendre, sur sa droite, un vaste parc dont le mur aux pierres disjointes par le temps, présentait en bordure du bois d'importantes poternes à la haute toiture.

A travers l'épaisseur du feuillage se distinguait la blancheur de statues en pierre aux draperies fastueuses et soeurs de celles du parc de Versailles.

Une maison apparaissait : longue façade sur le parc, pignon étroit sur la rue, mansardes faisant saillie sur le grand toit de tuiles brunes.

Si, curieux de savoir ce qu'avait été, jadis, cette propriété, le pro-


12 LES VIEILLES DEMEURES DE VIROFLAY

meneur interrogeait un passant, il y avait bien des chances pour qu'il reçut cette réponse :

« C'est l'ancien château de Louvois ».

Que le ministre de Louis XIV ait pensé à avoir un domaine à Viroflay : Viroflée (1), comme on disait alors, rien que de naturel. L'endroit touche Chaville où, en 1660, au lieu même où était le manoir de son aïeul, Louvois venait de faire construire par l'architecte Chamois un château dont les gravures de l'époque, conservées à la Bibliothèque Nationale nous montrent les vastes et splendides proportions.

Dès 1661, nous le voyons acheter à Viroflay les trois huitièmes et demi d'une seigneurie appartenant à la demoiselle Charlotte Aymery veuve de Claude Delaure, sieur de Chabert. A cette acquisition s'ajoute celle de plusieurs pièces de terre, prés et bois dépendant de la seigneurie. La valeur du tout monte à 45.000 livres.

La dame Aymery ne se réserve que la maison de Gaillon, tenant à ce nom « parce que peu de temps avant, elle et son mari avaient mis hors leurs mains, la terre et seigneurie de Gaillon qui leur appartenaient de son chef à elle ». Elle spécifie même qu'elle et ses descendants pourront en porter le nom. Cependant, le 14 août 1672, Louvois acquiert la terre de Gaillon elle-même par voie d'échange.

Il y établit une ménagerie avec parterre, terrasse et potager (2).

Nous voici fixés. La maison qui nous occupe, le « château de Louvois » ne fut jamais qu'une dépendance du château de Chaville. Quelque régisseur, sans doute, y habitait. Peut-être a-t-elle servi de rendez-vous de chasse. Que Louvois y soit venu à plus d'une reprise, c'est certain. Qu'il y ait jamais demeuré, c'est improbable. Après lui, sa veuve, la chancellière Louvois, vendit le domaine de Viroflay ainsi que ceux de Villacoublay et de Chaville, à Louis XIV. La vente eut lieu les 8 et 1 1 décembre 1695 et monta pour l'ensemble, à la somme de 390.000 livres.

Jusqu'à la Révolution, le « château de Louvois » fait partie des biens royaux et dut recevoir les visites du souverain, de la cour. Les bois giboyeux qui le joignent, la proximité de Versailles permettent de le supposer.

(1) «Viroflay que l'on devrait nommer Ville-Auflay, parce qu'elle avait été autrefois la maison de campagne du nommé Auflay et que les gens du canton appelaient Giroflée » : Thiéry : Guide des Amateurs (cité par L. Jarry).

(2) Cité par l'abbé Dassé.


LES VIEILLES DEMEURES DE VIROFLAY 13

Regardons la maison du dehors. Le pignon sur rue ne présente, au rez-de-chaussée qu'une seule fenêtre surélevée et qui se reproduit à l'étage. Du côté du jardin, la façade en pierre de taille ouvre ses sept croisées. Aucun ornement. Au-dessus des fenêtres de l'étage se remarque seulement un tableau rectangulaire qui, peutêtre, jadis, s'accompagnait de quelque motif sculpté.

Sur la façade tournée vers la cour, même nudité. Cependant, la porte cochère subsiste, imposante, vraiment seigneuriale avec ses lourds vantaux de bois, son appareil architectural développé en un demi-cintre que drapent, au printemps, les grappes d'une glycine centenaire, et sa vieille serrure dont chaque pièce ouvrée comme un bijou serait digne de figurer dans les vitrines d'un musée... La Révolution éclate.

Le 7 mai 1793, par devant ME Pothier, notaire à Paris, la maison de Louvois qui appartient alors à M. Louis Leclerc du Brillet et à la dame Marie-Julie Lemoine, son épouse est vendue à M. Jean-Jacques Guindre.

Celui-ci perd sa fortune; ses créanciers le pressent et le 6 prairial an VI, nous le voyons leur faire abandon de ses biens.

A la requête de M. Dallemagne, syndic des créanciers réunis, l'adjudication de la « Maison de Louvois » a lieu. Celle-ci devient la propriété de M. et de Mme Deltot qui, sept ans plus tard, le 30 germinal an XIII, la vendent à M. Thomas Romieu de Santeuil. Il ne la garde que deux ans. Le 11 septembre 1807, devant Me Mignard, notaire à Paris, nous voyons reparaître Jean-Jacques Guindre et son épouse : Eugénie Ponnier. La fortune de nouveau leur a souri. Ils rachètent la vieille maison qui leur avait appartenu. Ils la conservent vingt-deux ans. Le 6 septembre 1829, en l'étude de Me Esnée, notaire à Paris, ils la vendent à M. François, Cyrille Delatasse, ancien percepteur, habitant Versailles.

Le 27 février 1924, par devant Me Muel, notaire à Saint-CIoud, les héritiers de M. Delatasse lotissent la propriété. Un marchand de biens achète la presque totalité du parc qui s'étendait sur 21.000 mètres. M. Labrusse acquiert l'immeuble. Il l'habite quelques années et, à son tour, le vend au Comte de la Bouillerie, en l'étude de Me Dufour, notaire à Paris, le 18 mai 1926.

La « Maison de Louvois » est maintenant en bonnes mains. Arrière-petit-neveu d'un des ministres de Charles X, arrière-petit-fils du Comte de la Bouillerie qui fut intendant de la liste civile du roi


14 LES VIEILLES DEMEURES DE VIROFLAY

et membre du conseil de famille des enfants du duc de Berry, petit-fils d'un des familiers du comte de Chambord, le comte de la Bouillerie aime et vénère ce qui rappelle l'ancienne France.

Les rares vestiges du passé que présente encore la maison, désormais seront respectés.

Il n'en fut pas toujours ainsi. Les divers propriétaires qui s'y sont succédé depuis la révolution avaient apporté chacun leurs transformations.

Dans les hautes salles du rez-de-chaussée : le salon, la bibliothèque, la salle à manger, tout ce qui semblait suranné a disparu : les volets intérieurs, les petits carreaux des fenêtres, les poëles en faïence, les cheminées datant de l'époque de la construction.

Deux d'entre elles seulement se trouvent encore dans une des chambres, à l'étage, et dans une pièce mansardée, sous les combles. A regarder la plaque de fonte aux trois fleurs de lys que présente l'une d'elles, on imagine la beauté de celles qui décoraient les salles d'apparat.

La dernière déprédation est récente. Dans le vestibule, au-dessus de la porte du salon, un bas-relief, en demi-bosse figurait Louis XIV. Il était là depuis des siècles. Louvois lui-même avait dû le faire placer. Vainement le comte de la Bouillerie a-t-il demandé qu'il lui fût laissé. Le vendeur a argué de ses droits : « Il est à moi, je l'emporte... »

Une seule pièce, dans la vieille demeure, rappelle l'aspect qu'elle avait jadis. C'est la cuisine.

Félicitons-nous que les divers propriétaires aient constamment trouvé superflue, toute dépense pour la moderniser.

Quelles indigestions n'a-t-on pas préparées entre ces quatre murs, sous les grandes poutres qui datent du XVIIe siècle? L'appétit de nos pères ne se contentait pas de peu! Quelles grosses pièces de gibier tuées dans les bois tout proches et que le galopin, le tourneur de rôt arrosait soigneusement sous la surveillance attentive du maître-queux n'a-t-on pas fait rôtir dans la vaste cheminée dont la grande hotte rejoint les poutres!

La vieille maison que connurent Louvois et nos derniers souverains est privée, à l'intérieur, de ce qui jadis, contribuait à la parer mais une odeur de rôti flotte dans la cuisine, et tout le passé ressuscite.

Henriette CELARIÉ.


15

Lomment A. Brongniart, Administrateur de la Manufacture de Sèvres,

se comportait à l' égard des recommandations

Il semblerait que les démocraties modernes, basées sur des principes égalitaires, plus théoriques, il est vrai, que pratiques, dussent, surtout si elles avaient pour intime ressort la « vertu », ainsi que le réclamait Montesquieu, sinon ignorer complètement, ce qui est impossible, les faveurs injustes et les passe-droits choquants, tout au moins en offrir plus rarement le spectacle que les régimes auxquels elles se sont substituées. Tout le monde sait qu'il n'en est rien et que l'usage ou mieux l'abus des recommandations paraît bien être entré définitivement dans les moeurs contemporaines.

Cette constatation faite, et étant admis par ailleurs qu'il s'agit sans doute d'une infirmité inhérente aux sociétés humaines, peut-être estil assez piquant d'exhumer, par opposition et à titre de document aussi curieux qu'honorable pour la personnalité de qui il émane, une belle et courageuse lettre inédite où Alexandre Brongniart, administrateur de la Manufacture de Sèvres de 1800 à 1847, expose en des termes fort heureux, rappelant même en quelques endroits le ton et l'accent des Essais de morale de Nicole, les raisons générales de bon sens et d'équité qui l'empêchent de se laisser influencer par les protections étrangères en faveur de telle ou telle candidature (1).

Ce texte inédit n'est pas, d'autre part, moins digne d'attention

(I) Archives de la Manufacture : T. 9, 1. 1, d. 4. — Le correspondant de Brongniart fut le premier à rendre hommage à la fermeté de sa ligne de conduite. Nous lisons en effet dans sa réponse du 23 février 1820 à la lettre reproduite ci-après : " Si la belle et honorable réputation dont vous jouissez ne me l'avait déjà appris, je me fusse convaincu en vous lisant que le riche établissement confié à votre administration, ne pouvait être commis à de meilleures mains. »


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COMMENT A. BRONGNIART

par certaines considérations qu'il contient sur le rôle de la Manufacture et le mode de recrutement de son personnel artistique.

Ajoutons que Mlle Tréverret (1 ), la protégée du Comte de Kératry et du Comte de Pradel, appartint aux ateliers de Sèvres comme peintre de figures de 1820 à 1830, puis de 1836 à 1840, et que le seul de ses travaux sur porcelaine que nous connaissions, une copie du tableau de Gérard Dow : «La Lecture de la Bible» (1839), qui est conservée au Musée Céramique, suffit pour montrer que le talent de cette jeune artiste n'était en rien inférieur à celui des peintres de la manufacture, Abraham Constantin, Jacobber, Langlacé, Mmes Jaquotot et Ducluzeau, spécialisés comme elle, à la même époque, dans la copie de tableaux sur plaques de porcelaine, genre de fabrication qui connut un si grand succès sous la Restauration et la Monarchie de juillet. Il n'y a donc aucunement lieu de relever ici une contradiction entre la conduite de Brongniart et ses principes, ni de soupçonner qu'il se soit départi, dans le cas particulier dont il s'agit, de la règle absolue qu'il s'était imposée à lui-même de ne jamais tenir compte que des talents et des oeuvres, non des personnes, de quelques puissants appuis que celles-ci pussent se prévaloir.

M. G.

Sèvres, 16 février 1820. Monsieur (2),

Ma mère m'a donné connaissance de la lettre que vous lui avez écrite relativement à Mlle Tréverret.

M. le Comte de Pradel (3), m'avait déjà parlé de cette demoiselle, m'avait dit l'intérêt particulier qu'il y prenait, les titres qu'elle avait à une protection spéciale et m'avait fait voir ses travaux, en ajoutant à ces titres les liens de parenté qui vous attachent à Mlle Tréverret. Je trouve de puissants motifs pour faire tout ce qui dé(1)

dé(1) sur cette artiste : Bellier de la Chaviguerie, Dictionnaire général des Artistes de l'Ecole française, t. IV, p. 590.

(2) Le Comte de Kératry, député.

(3) Directeur au Ministère de la Maison du Roi, ayant le portefeuille par intérim.


SE COMPORTAIT A L'ÉGARD DES RECOMMANDATIONS 17

pendra de moi pour être utile à cette demoiselle sans blesser l'équité, et, comme je devais m'y attendre, vous venez au-devant de mes sentiments au sujet de cette dernière condition.

Mais, dans le cas où je ne pourrais pas faire pour elle tout ce que je désire trouver possible, permettez-moi de vous instruire d'avance des causes qui s'y opposeraient. Si c'était à une autre personne qu'à M. de Kératry que j'ai l'honneur d'écrire, ou je ne m'expliquerais pas du tout sur ce sujet, ou j'entrerais dans des détails de preuve qui ne lui sont pas nécessaires; ce que je vais lui dire suffira, je l'espère, pour l'amener aux mêmes conséquences que moi.

L'utilité, et par conséquent l'existence, de la Manufacture Royale de Porcelaine est fondée sur le mérite de ses productions considérées comme devant contribuer à la gloire des arts en France et comme procurant au Roi les moyens de donner des objets remarquables qu'on ne trouverait pas ailleurs ; elle doit servir, en outre, de type sous tous les rapports de l'art aux autres manufactures de France afin que ce type, non sujet aux caprices de la mode, en ne dégénérant pas, soit un obstacle à une trop grande eu trop durable dégradation du goût dans les autres manufactures.

Pour atteindre ce but, pour ne jamais m'en écarter, j'ai dû prendre la résolution de n'occuper avec suite pour la Manufacture que des personnes qui pouvaient lui faire honneur par leur talent du premier ordre ou lui être utiles, en concourant à l'activité de ses travaux par leur habileté et par la flexibilité de leurs talents. Je me suis fait une loi, qui, au premier aspect, paraît bien dure, de ne voir que les ouvrages et jamais les ouvriers. Le jour où je m'écarterai de cette route, soit par faiblesse, soit parce qu'on m'y forcera, la barrière sera rompue, la Manufacture sera envahie par les protégés presque toujours à talent médiocre, les fonds seront employés par eux car ils sont en très grand nombre. Il n'en restera plus pour les grands talents qui sont rares mais très chers. La Manufacture n'offrant plus à ses expositions que des choses ordinaires, souvent même médiocres, on demandera ; à quoi sert-elle puisque tout le monde peut en faire autant? Les produits resteront, car on ne vend que le très beau ou le très bon marché, le Roi se lassera de dépenser de l'argent pour un établissement qui ne présentera plus rien d'honorable, et les protégés, en faisant perdre cette source aux grands talents, la perdront pour eux-mêmes.

J'ai dit, Monsieur, que les protégés sont presque toujours à ta»

2


18 COMMENT A. BRONGNIART

lent médiocre, et je dois une explication à cette assertion. Tout ouvrier ou artiste d'un talent utile, soit comme premier talent, soit comme talent productif, a de l'ouvrage de préférence à tout autre, on le recherche dans les autres manufactures; si on y fait des suppressions, c'est lui qu'on garde et on remercie les talents secondaires ; ceuxci nous arrivent alors, munis de recommandations; les autres ne viennent pas ou viennent bien rarement; ils viennent tout seuls, appuyés de leur nom; ils font même des conditions, et, quand ils ne viennent pas, je vais au-devant d'eux aussitôt que j'apprends qu'ils sont tout libres d'engagement et que je vois la possibilité de les occuper; c'est par ces enrôlements que je recrute le corps d'élite qui constitue la Manufacture Royale de Porcelaine.

Cette conduite, dont je ne crois pas m'être écarté, aurait dû éloigner les protégés; néanmoins, je pourrais vous faire voir une liste de plus de vingt personnes, hommes et surtout femmes, presque toutes dignes d'être aidées, secourues, qui m'ont été adressées par les personnes les plus respectables, soit par leur rang, soit par leur caractère personnel. J'ai tenu ferme et personne n'a eu de reproche à me faire; mais si je plie une fois (et il me faut beaucoup de, force pour résister à des protecteurs puissants et à des protégés dignes d'ailleurs de tous les égards), si je plie en me laissant aller au désir d'être plus utile à des familles respectables qu'à la Manufacture, toutes les personnes que j'ai refusées et leurs protecteurs vont m'accuser d'injustice et m'en voudront beaucoup plus de ce que j'aurai fait pour une autre que de ce que je n'aurai pas fait pour elles; alors elles auront raison, tandis que jusqu'à présent je crois avoir été fondé dans mes refus. J'ai bien trouvé parmi cette foule de femmes artistes quelques-unes qui savaient assez bien copier une tête d'après un bon modèle coloré et bien fini, mais je n'ai pas encore pu trouver une ou un peintre en état de faire, d'après une gravure médiocre, un portrait spirituel ou d'exécuter, d'après un simple trait au crayon, un sujet, un groupe ou même une figure en couleur, et, cependant, nous aurions besoin d'un talent de ce genre pour doubler celui que nous avons déjà et qui me fait des conditions assez dures (1).

Vous croyez peut-être, Monsieur, que la conclusion de ce trop

(1) Il semble bien qu'il faille voir ici une allusion à Madame Jaquotot dont les exigences correspondaient en effet à l'excellente opinion qu'elle avait de son talent, d'ailleurs de tout premier ordre, Mademoiselle Tréverret était son élève.


SE COMPORTAIT A L'ÉGARD DES RECOMMANDATIONS 19

long discours est que je ne puis occuper Mlle Tréverret; point du tout; la voici : je vais donner de l'ouvrage à faire à Mlle Tréverret, je le choisirai de manière à faire ressortir son talent et ses moyens d'être utile à la Manufacture, soit actuellement, soit plus tard, mais, lorsqu'il s'agira de juger son ouvrage et son utilité (notez ce dernier point), ce sera uniquement dans l'intérêt de l'établissement qui m'est confié; je tâcherai d'oublier que Mlle Tréverret est une jeune personne très recommandable par elle-même et très recommandée par des personnes dont l'opinion est pour moi du plus grand poids, par des personnes enfin qui pourraient, si elles n'étaient pas aussi sages, changer leur recommandation en un ordre.

Je vous ai dit, au commencement de cette lettre, pourquoi j'avais cru devoir entrer avec vous dans ces détails; je ne le répéterai pas, je vous prierai de les excuser et de recevoir l'assurance des sentiments distingués avec lesquels j'ai l'honneur d'être,

Monsieur,

Votre obéissant serviteur,

BRONGNIART.


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La Maison du Roi et les inventeurs

La Maison du Roi, qui depuis Louis XIV comprend en réalité plusieurs Ministères, a de fort nombreuses attributions. Une d'elles nous étonnerait peut-être si nous n'y prenions garde; elle reçoit, examine, classe les mémoires des inventeurs. Ils n'ont pas tous assez de confiance en leur propre valeur pour saisir de leurs conceptions l'Académie des Sciences, dont les archives nous renseigneraient avec plus d'abondance et de précision sur les progrès réalisés dans les domaines des sciences soumis à sa juridiction. Les artisans de petits métiers, les inventeurs par occasion, les théoriciens en chambre, les sujets ingénieux et fidèles soucieux d'accroître le bien-être de Sa Majesté, s'adressent directement à Versailles, quand bien même aucun protecteur ne se chargerait de les y introduire. Ils espèrent un privilège, des lettres patentes, la renommée s'ils ont eu la bonne fortune d'être agréables au Roi, et avant tout une subvention. Grâce à elle, ils pourront faire construire leur appareil — il n'existe encore que sur le papier — et réaliser une expérience dont le résultat démontrera trop souvent que le suppliant était un rêveur.

La verve ingénue et persuasive des inventeurs du mouvement perpétuel, tient, comme on pouvait s'y attendre, une place honorable dans ce concert. Elle s'étend sur plusieurs générations. Sous Louis XIV « Simon David, dit Chevalier, natif de Seyne en Provence, représente très humblement à S. M. qu'il a trouvé le secret du mouvement perpétuel. » (1). Sa découverte peut s'illustrer d'une appli(1)

appli(1) nat. O1 1293.


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cation immédiate. « Il prétend faire monter l'eau du réservoir de Clagny à 100 pieds de haut et plus, de la grosseur de 6 hommes, et la transporter pour faire jouer l'Arc de Triomphe, le Dragon, etc.. Leur décharge retournera dans le réservoir de Clagny. » La pièce paraît datée de 1697; comme l'aqueduc de Marly fonctionnait déjà depuis une douzaine d'années, la proposition de Simon David dut sombrer dans l'indifférence des bureaux.

Sous Louis XV, un étranger, qui ne veut pas être nommé, propose une machine de son invention « dont le mouvement serait éternel, sans hommes, sans vent, sans force de rivière, sans feu, sans animaux » (2). Le directeur général des Bâtiments ne peut se défendre de quelque scepticisme, car « cet étranger ne veut point donner la description de sa machine ». Pour éclairer sa religion, il prend l'avis de M. de Vaucanson. La réponse de l'illustre mécanicien, en décembre 1752, est formelle : « Les merveilleux effets que cet inventeur annonce et qu'il promet de sa machine n'ont de certitude que dans la libre carrière qu'il donne à son imagination de croire avoir trouvé le mouvement perpétuel. »

Sous Louis XVI, le sieur Roux entreprend le siège de M. d'Angiviller. « Par la place que vous occupez, lui écrit-il, et par une inclination naturelle, vous êtes le Protecteur des Arts et des citoyens utiles et ingénieux... » (3). Cet exorde insinuant, daté du 14 février 1784, servira d'introducteur à une brochure imprimée qui s'intitule : « Traite abrégé d'an mouvement perpétuel, en partie méchanique, en partie élémentaire. » Froidement accueilli, le sieur Le Roux revient à la charge huit jours après. Il se flatte que M. le comte voudra bien accepter la dédicace d'un ouvrage plus ample qu'il médite, un véritable « Traité du mouvement perpétuel ». C'est un sous-ordre qui lui répond et qui résume sa réponse en marge de la supplique. « J'ai écrit de la part de M. le comte qu'il se gardât bien de lui dédier son ouvrage. »

M. le Comte a sans doute pris le parti d'ignorer toutes les communications relatives au mouvement perpétuel; l'Académie des Sciences est, aujourd'hui encore, de cet avis. En janvier 1785, le sieur Lussy, vient, lui aussi, de réaliser la merveilleuse découverte. Il reconnaît loyalement, au début de son mémoire, que l'invention du

(2) Arch. nat. O1 1293.

(3) Arch. nat. O1 1293.


22 LA MAISON DU ROI ET LES INVENTEURS

mouvement perpétuel « a été regardée jusqu'à présent comme une vraie chimère... » (4). Aveu déplorable et qui fournit le thème de la réponse officielle. « Chimère, malgré l'assurance avec laquelle la découverte est annoncée. II serait prudent de faire l'expérience de cette machine.» C'est, en effet, par là, que l'utopie se dénonce le plus clairement. Ces hommes de génie méconnus se sont contentés de noircir du papier. Ils aspirent à une subvention royale, qu'absorberont des essais fatalement infructueux.

Au surplus, les demi-savants et les rêveurs vont trouver, en cette fin du XVIIIe siècle, une illustre matière à leurs méditations (5). La première montgolfière s'envole le 5 juin 1783. Le public est à peine remis de l'émotion causée par cette nouvelle, que les inventeurs s'attellent à la direction des ballons et la découvrent, naturellement. Leurs mémoires suivent le même chemin que les mémoires des inventeurs du mouvement perpétuel. En 1783, 1784, 1785, l'insoluble problème hante les imaginations. Mais M. d'Angiviller entend bien rester étranger à cette nouvelle catégorie de spéculations. Il décide, en janvier 1784, que ses bureaux ne feront plus qu'une réponse : « Cet objet est entièrement étranger à mon département ». Ce ferme propos le dispensait de parcourir ces mémoires où l'on ne posait la question que pour immédiatement la résoudre. A-t-il seulement jeté les yeux sur le croquis à la plume de cet inventeur plus consciencieux que les autres, plus épris de la réalité, et qui ajoutait tout bonnement à la nacelle de la montgolfière un immense gouvernail?

Gardons-nous pourtant de croire que cette clientèle de solliciteurs se recrutait uniquement parmi les songe-creux. Elle éveille plus d'une fois notre curiosité sympathique, et nous vaut la petite satisfaction de deviner un précurseur. En 1782, l'abbé Gauthey, logé à l'hôtel d'Artois, rue Guénégaud, produit un mémoire « Sur les moyens de donner des signaux d'une manière si occulte qu'ils ne sont entendus que de celui qui les donne et de celui qui les reçoit. » (6). Sa requête a peu de succès. On lui répond que la Galerie du Louvre, où il demande à faire un essai secret, est remplie d'ouvriers qui travaillent « pour l'établissement que S. M. se propose d'y faire de son Museum ». On lui envoie, plus tard, une souscription d'un louis à la

(4) Arch nat. O1 1293.

(5) Arch. nat., O1 1293.

(6) Arch. nat., O1 1293.


LA MAISON DU ROI ET LES INVENTEURS 23

condition expresse qu'il n'en dira rien. Que prétendait au juste réaliser cet abbé? « Une expérience en grand sur la propagation du son de la voix dans des tuyaux. » Serait-il par hasard l'inventeur de ce tube acoustique si employé au XIXe siècle, et que le téléphone domestique a détrôné?

Le sieur Rénaux, qui prend la file en mars 1784 (7), est sûrement doué d'une riche imagination. Il a découvert un moyen « de communiquer les nouvelles d'un pays à un autre cent fois plus vite que par la poste ». Il sait comment on peut chauffer convenablement un cabinet « avec une seule bougie ». Mais il propose aussi un procédé capable d'« empêcher le feu de prendre jamais aux décorations et accessoires d'un spectacle ». N'est-ce pas assurer ce que nous appelons, dans notre jargon moderne, l'incombustibilité des décors?

Il y a mieux; en un temps où la dictature de l'automobile intéresse si étroitement notre commodité et la conservation de nos jours, un projet entre tous sollicitera notre curiosité. II s'agit d'un véhicule affranchi de toute traction animale. Dès la fin du XVIIe siècle, les sieurs Légeret et Duguet, forts de l'attestation que l'Académie royale des Sciences leur a délivrée le 4 août 1691, présentent à Versailles leur chaise roulante à quatre roues, montée sur un brancard (8). « Elle prenait son mouvement, dit le Procès Verbal, par le poids d'un homme debout, placé sur le derrière de ladite chaise à la place d'un laquais, lequel se balançant, tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre, faisait aller cette chaise avec deux hommes dedans d'une telle vitesse dans les allées d'un jardin, qu'on avait peine à la suivre. Elle tournait fort court et en tous sens, selon que ceux qui étaient dedans voulaient la détourner par le moyen d'un petit timon ou gouvernail, fort léger et aisé à manier... »

La chaise roulante des sieurs Légeret et. Duguet, en dépit des qualités qui lui sont reconnues, n'obtint sans doute qu'un médiocre succès dans la faveur royale ou publique, car le physicien Blanchard des Andelys, en 1 779, construisit sur les mêmes données une machine qui lui ressemblait beaucoup. Le 5 août, M. d'Angiviller correspond avec M. Lenoir, Lieutenant de Police, pour autoriser sa circulation dans Paris (9). La presse du temps a relaté les essais, qui eurent lieu d'abord sur la place Louis-XV, puis aux Champs Ely(7)

Ely(7) nat. O1 1293.

(8) Arch. nat. O1 1293-47.


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sées, dans le voisinage du Colisée. Le Journal de Paris, à la date du mardi 27 juillet 1 779, en donne une description. « A la partie qu'occupe le brancard ou le timon est un aigle, les ailes déployées; c'est là que sont attachées les guides, à l'aide desquelles la personne placée dans la voiture en dirige la marche. Derrière est un homme qui imprime à la machine un mouvement plus ou moins rapide, en pressant alternativement des deux pieds, ce qui ne paraît pas du tout fatigant; il est debout ou assis, les jambes en partie cachées dans une sorte de malle ou coffre où paraissent établis les ressorts. La voiture a été conduite hier à Versailles. »

Le rédacteur du Journal de Paris a probablement négligé de prendre l'avis de l'esclave promu sans fatigue à la dignité de moteur; mais il n'est pas le seul à se bercer d'illusions. Il paraît que « M. Blanchard se propose de faire par la suite de ces sortes de carrosses très commodes pour le voyage...» On prévoit même qu'il sera possible d'établir des relais d'hommes à la place des relais de chevaux.

Comme il est naturel, les inventions destinées à augmenter l'agrément et la commodité du château, ont un traitement de faveur. Une d'elles est célèbre entre toutes : la fameuse « Table magique » de Loriot (10), pareille à celle de Choisy. Soit dit en passant : nous rendons-nous bien exactement compte de sa destination ingénieuse et de son utilité? Tâchons d'oublier la formule niaise de ce Richer qui, dans sa réclamation de 1 779, se compare modestement au « Cyclope docile qui forgea de grand coeur quelques fers pour le palais de Vénus » (11). Faisons litière des insinuations malveillantes de

(9) Arch. nat. O1 1293-75.

(10) Le mécanicien Loriot n'est pas seulement le constructeur de la Table du Petit-Trianon. Il a inventé une machine pour curer les ports de mer, une autre pour curer un canal sans le mettre à sec, un mouton puissant, des machines hydrauliques et de transport (O1 1293). Il a fait aussi d'utiles recherches sur les ciments (O 1 1068).

M. de Marigny s'intéresse à lui et le propose au Roi pour « une récompense qui, en le délivrant des créanciers qui l'oppriment, depuis tant d'années, lui procure à l'avenir les moyens de vivre et de soutenir sa femme et d'élever ses enfants. »

Son cabinet de modèles est fameux. A sa mort, le surintendant serait d'avis qu'on en fît l'acquisition, au prix de 7.000 livres. « Parmi les objets de sa succession est un cabinet de machines dont deux raisons m'engagent à proposer à Votre Majesté l'acquisition. La première est qu'elles sont la plupart ingénieusement imaginées, et peuvent servir à augmenter le cabinet de Physique et de Mécanique de Votre Majesté à Passy... » (O 1 1073 — 1er janvier 1784.)

(11) Des jardins. Le Petit-Trianon. Versailles, 1885.


LA MAISON DU ROI ET LES INVENTEURS 25

courtisans tenus à l'écart des divertissements de Trianon; apprécions à leur juste valeur les déclamations de l'époque révolutionnaire. Appelons-en au simple bon sens. Les couloirs et les escaliers de service du Petit Trianon offrent-ils des dégagements suffisants pour assurer le passage rapide et discret de tout le matériel dont les officiers de bouche auront besoin pour dresser le couvert royal? Suppose-t-on qu'une ou plusieurs tables et dessertes puissent être laissées à demeure dans ce salon, le premier où l'on pénètre en quittant l'antichambre, et qui ne devient salle à manger que dans certains cas et à certaines heures? Conçoit-on qu'après le repas, les convives de marque, réfugiés dans une pièce contiguë, soient charmés d'entendre, en dépit des précautions prises par des valets bien stylés, les allées et venues de la domesticité ou le fracas de la vaisselle? On faisait si peu mystère de la Table magique, que le modèle en était exposé au Louvre au mois de mai 1769. Dépouillée de toute légende, elle ne serait pas autre chose qu'un monte-charge compliqué, coûteux, presque colossal; mais regardait-on à la difficulté et à la dépense quand il s'agissait de l'agrément de Sa Majesté?

Ce monte-charge, s'il en est un, ne satisfait qu'une fantaisie royale. Le problème du chauffage intéresse assurément, avec plus de rigueur et de constance, tous les services du château. Dès le mois de mai 1685, un inventeur, dont nous ne savons pas le nom, se présente avec un programme tout à fait séduisant (12). Il s'agit d'une machine « inventée pour donner de la chaleur dans les appartements de Sa Majesté avec le grand air du dehors, lequel y sera conduit incessamment renouvelé, purifié de toute sorte de mauvaise qualité, et rendu très agréable et très sain... Il est assez à propos, ce semble, de faire connaître la nécessité qu'il y a de s'en servir pendant la mauvaise saison de l'hiver pour conserver la santé précieuse de Sa Majesté... Et l'on conviendra sans doute que l'usage de cette invention nouvelle est plus nécessaire à Versailles qu'en aucun autre lieu du monde, si l'on considère de combien les marbres et les glaces des miroirs dont ce superbe palais est orné, contribuent pour y concentrer cet air extraordinairement froid, lequel est d'autant plus nuisible qu'il est renfermé et qu'il contient en lui journellement toutes les mauvaises odeurs et les haleines d'un nombre infini de personnes qui entrent dans les chambres de Sa Majesté... »

(12) Arch. nat., O1 1294.


26 LA MAISON DU ROI ET LES INVENTEURS

Les intentions de cet inventeur sont excellentes, et sa conception de l'hygiène se rapproche singulièrement de la nôtre. Pourquoi faut-il qu'il ait négligé de pousser plus avant sa technique? Il reconnaît lui-même qu'il y aura lieu de « savoir si les tuyaux de cette machine étant conduits d'un étage d'en haut à celui au-dessous y feront descendre la chaleur ». Son projet comportait-il, par hasard, l'installation d'une chaufferie dans les combles? Toujours est-il, qu'en dépit de son généreux programme, Madame de Maintenon continua à grelotter derrière le rempart illusoire de ses paravents.

C'est en 1761 qu'un architecte de Schaffhouse propose au marquis de Marigny de chauffer les appartements avec des poëles, tels qu'on les emploie couramment en Suisse (13). Il fournira à la fois ces poëles, et les ouvriers spécialistes qui les poseront. Gabriel, chargé d'étudier le projet, rédige son rapport le 29 avril. Sans conclure au rejet de cette offre, il souhaite de plus amples éclaircissements. Avant de prendre une décision, il serait bon d'avoir les Plans, Profils et Elévations de quelques-uns de ces poëles, « pour en connaître la construction dans les murs où ils doivent être appliqués ». Gabriel se préoccupe évidemment de la belle tenue des appartements royaux; il voudrait que le nouveau procédé de chauffage pût contribuer à la décoration, « avec peut-être plus de goût ajoute-t-il, qu'ils ne font dans le pays ». Si la décision est favorable, on pourra faire des essais dans quelques-unes des maisons royales, et prier M. de Marigny de recourir à des ouvriers suisses « pour les poser et dresser les nôtres à cet usage ».

A-t-on suivi le conseil de Gabriel? Les dossiers ne nous le disent point. En tous cas, en 1 786, quand le comte d'Hézecques est aux Pages de la Chambre (14), la grande Ecurie possède des poëles, dont certains sont « énormes ». Au château, un gros Suisse « végétait derrière un énorme poêle placé au bout de l'oeil de boeuf; il y mangeait et digérait à la barbe des princes et des ducs ». Le poële a si bien conquis le droit de cité à Versailles, qu'en avril 1 784 le sieur Jouvet, qui se dit artiste, propose à M. d'Angiviller un perfectionnement notable, s'il est toutefois réel. Il a « enfin trouvé le secret d'arranger les anciens poêles de manière à faire moitié moins de dépense; ils gardent leur chaleur plus de douze heures après

(13) Arch. nat., O1 1294-386.

(14) Souvenirs d'un page, Comte d'Hézecques. Perrin, 1895,


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l'extinction du feu. Il en construit de neufs dans une forme nouvelle, dont la dépense de bois est encore inférieure à celle des anciens, et qui gardent la chaleur 24 heures après que l'on a cessé le feu...» (15). Mais à quoi ton? Un défaut de construction compromet, de la façon la plus apparente et la plus sensible, l'agrément du séjour royal. Toutes les cheminées fument. Le XVIIe siècle s'était-il résigné à cette incommodité? Au XVIIIe les remèdes proposés abondent. Le marquis de Villacerf, successeur de Mansart à la Surintendance des Bâtiments, est informé par le sieur Bernard, « ordinaire de la Musique du Roi », qu'un inventeur de ses amis « prétend avoir trouvé le secret infaillible d'empêcher la fumée des cheminées en toutes sortes de lieux et de temps. Il offre d'en faire les preuves partout où l'on voudra, et demande une récompense honnête pour découvrir ce secret, au cas qu'il réussisse... » (16). Restriction prudente; on n'est pas plus avancé en 1748. Le machiniste Jean Lenain obtient l'autorisation d'installer à Marly son appareil « capneballique et capnepheltique » (1 7). Il est d'ailleurs aux prises avec de graves difficultés; les fumistes jurés le harcèlent, bien qu'il travaille pour le Roi; on lui débauche ses ouvriers, il doit se cacher, changer d'atelier. Est-ce la mort d'une invention présentée sous un vocable aussi rébarbatif? N'en doutons point, car les propositions et les essais vont, se succéder. Le 10 août 1763, l'abbé Laget, rue Traversière SaintHonoré, chez M. Le Moine, perruquier, offre au marquis de Marigny une machine « par le moyen de laquelle les cheminées et les appartements seront garantis non seulement de la fumée, mais encore du vent, de la pluie, de la neige, de la grêle, des orages, etc.. » (18). Gabriel, que l'on consulte, reste sceptique. « Nous avons été dupes plusieurs fois de ces sortes de propositions... qui ont coûté beaucoup d'argent sans aucun succès. » De 1 765 à 1768, le sieur Mailhol, de Saint-Papoul, qui s'est occupé de théâtre avant de s'orienter vers la fumisterie, préconise avec l'appui du sieur Le Boeuf, ferblantier du Roi, une « Tourelle à soupapes propre à garantir les cheminées de la fumée » (19). On en fait l'essai à Saint-Hubert. Il y a moins de

(15) Arch. nat., O1 1294-405.

(16) Arch. nat., O1 1294-387.

(17) Arch. nat., O1 1068-91-110.

(18) Arch. nat., O1 1294-388-391.

(19) Arch. nat., O1 1294-392-396.


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fumée; mais « la première nuit le Roi n'a point dormi par le bruit que fait cette machine ; il en a été de même la seconde. Le Roi donna l'ordre à son lever de la faire ôter; depuis ce temps, elle est au magasin. »

L'ingénieur Bony de La Vergne reçoit, le 4 mai 1772, un mandat de 240 livres et le 15 février 1773, un mandat de 637 livres 10 sols, en raison « des dépenses qu'il a faites pour l'essai de son secret contre la fumée des cheminées à Versailles, Auteuil et la Muette » (20). M. Gorgy, secrétaire du comte de Maillebois, entre en lice à son tour, dans l'hiver de 1777 (21 ). « A très peu de frais, il empêche les cheminées de fumer dans toutes les positions et circonstances possibles sans le secours de constructions apparentes et surtout sans employer aucun procédé capable de refroidir les appartements.» Il donne même, comme référence, un Procès Verbal de la «Société libre d'émulation établie à Paris pour l'encouragement des inventions qui tendent à perfectionner la pratique des Arts et des Métiers utiles» (22). Les experts désignés, se considérant comme liés par le secret promis à l'auteur, restent à peu près muets. — Le 15 janvier 1784, Adam, officier de la Reine, offre lui aussi, ses services. Heurtier, chargé de l'enquête, ne croit pas « que sa proposition mérite la p}us légère attention... Le Sr Adam annonce trop d'ignorance dans ses raisonnements, pour qu'on puisse raisonnablement lui rien confier dans le château... » (23). — Le sculpteur Cardon a trouvé, en 1786, des moyens « si puissants que l'on pourra éviter dans les constructions à faire toutes les parties saillantes qui excèdent les combles, et qu'elles pourront même être supprimées dans les constructions anciennes ». Comme il a travaillé au Couvent de la Reine, on demande à Richard Mique « le degré de confiance qu'on peut avoir en ses promesses ». Le sieur Cardon est, dans sa partie, un excellent praticien; il n'a pas plus de succès que ses devanciers (24). Le 1cr janvier 1789, — dernier Jour de l'An à la Cour de Versail(20)

Versail(20) nat., O1 1294-397-398.

(21) Arch. nat., O1 1294-400.

(22) Société fondée en 1776 par l'abbé Beaudeau « à l'imitation de celle de Loft» dres ». Condorcet, Lavoisier, La Harpe en firent partie. Dissoute en 1781, après avoir distribué 2.300 livres de prix et 14.964 1. d'encouragements, parce que ses membres ne venaient plus aux séances. Cf. Ballot et Gével, L'Introduction du machinisme dans l'industrie française. Paris, 1923.

(23) O1 1294 401-404.

(24) Arch. nat., O1 1294 - 407-408.


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les, — toutes les cheminées fument (25). Aussi, dès le 18 janvier, le sieur Maurice, machiniste, demeurant Petite Place, propose un nouveau remède, infaillible lui aussi, pour la guérison de cheminées qui, si l'on s'avisait aujourd'hui d'y faire du feu, fumeraient peutêtre encore.

Un autre problème d'hygiène domestique sembla s'imposer, au XVIIIe siècle, à l'attention du service des Bâtiments du Roi. Alors que les maisons bourgeoises possèdent des commodités à poste fixe, Je château est condamné à l'emploi de la chaise. Les architectes y trouvaient probablement leur compte en un palais où les divisions intérieures des appartements étaient si fréquemment remaniées, et où la pose de tuyaux de descente à travers les étages inférieurs devenait le plus souvent impraticable.

De bonne heure, les spécialistes avaient réalisé un notable perfectionnement. « Les cabinets d'aisance les plus en usage dans les maisons de quelque considération, dit une encyclopédie de 1770, sont ceux qui sont connus sous le nom de lieux à soupapes ou autrement dits à l'anglaise, quoique avec peu de raison, puisqu'ils étaient connus en France avant que l'on en fît usage en Angleterre (26). » Une planche gravée, à laquelle renvoie le texte, prouve clairement qu'un réservoir d'eau, commandé par une longue tige, alimentait ces nouveaux engins.

La chaise mobile avait pu bénéficier d'un tel progrès. En 1738, Jean-Philippe Boulle, ébéniste, marqueteur et ciseleur du Roi, fournit une chaise à l'anglaise pour le service de Sa Majesté, et posée dans le petit cabinet de garde-robe de son nouvel appartement au château de Versailles (27). «Cette chaise, dit le mémoire, a trois pieds de hauteur, y compris le dossier, sur trois pieds de large et un pied et demi de profondeur. Le siège est à dix-huit pouces de haut dont le dessus qui est ouvragé dehors et dedans se lève avec des charnières dorées, lequel dessus est bombé par devant et profilé d'une moulure en doucine emportant avec soi une plate-bande qui se levé' et s'abaisse de soi-même pour renfermer le matelas qui se pose sur la lunette du siège, au côté duquel sont deux petits couvercles servant à couvrir les soupapes, bascules et robinets. Le chantournement du

(25) Vicomte Fleury, Les derniers jours de Versailles. Perrin, 1929.

(26) Encyclopédie au Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, par une Société de Gens de Lettres. 35 vol. in-fol. Paris, Briasson, 1751-1780.


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dossier est pareillement terminé par une moulure en doucine d'un pouce d'épaisseur. Tout le dit ouvrage est travaillé en marqueterie de bois de couleurs, d'ébène Maurice, rehaussés de compartiments blancs et ornements ombrés, tous entaillés dans des panneaux de bois violet du plus parfait choisi et d'élite, partie massif, partie appliqué sur un bon bâti de chêne. » Boulle demande 1.800 livres pour ce joli meuble ; on lui en alloue 600.

Bien plus tard, le sieur Giraud, entrepreneur à Paris, rue d'AnjouDauphin, se propose de mettre en vente un appareil moins luxueux, mais pourvu des plus récents perfectionnements. Le 2 février 1 780, M. Turgot, « de son lit, où il attend qu'il plaise à la goutte de le quitter », écrit à « son cher d'Angiviller » pour lui recommander l'inventeur (28). Il s'agit de « lieux à l'anglaise, portatifs, construits en bois préparé de manière à n'être jamais sujets à aucune filtration. Ils ne répandent point d'odeur, ni à l'instant où l'on s'en sert, ni après que l'on s'en est servi, pas même au moment où on les enlève...» Ces petits meubles seraient les bienvenus au château. « Le grand nombre des seigneurs et autres personnes attachées à la cour ayant forcé successivement les architectes de S. M. d'entrecouper les appartements, il ne leur a pas été possible de donner des commodités à chacun. La plus grande partie est obligée de se servir de chaises percées qui, peu ou point fermées, infectent ceux mêmes qui en font usage. »

Quant au service des vidanges, il soulève d'assez graves dificultés. Les accidents sont nombreux, car les ouvriers s'exposent quotidiennement à l'asphyxie, et leur façon d'opérer méconnaît les principes d'hygiène les plus élémentaires. Aux environs de 1 774, une compagnie dite « du Ventilateur » jouit d'un privilège royal. Elle a fait ses preuves sous le contrôle de MM. Soufflot et Gabriel en procédant pendant 8 jours et 8 nuits au curage, d'une fosse « sous l'appartement de Madame Adélaïde », sans que la cour ait quitté le château. Elle se sert de fourneaux, évidemment pour provoquer un appel d'air, d'une cabine à deux portes où sont enfermés les ouvriers. Il est probable que, quand elle opère à Versailles, toutes les précautions sont prises avec une louable minutie. Mais, à Paris, elle mécontente le public. Les ouvriers, pour respirer à l'aise, s'abstiennent de fer(27)

fer(27) nat., O1 1763A.

(28) Arch. nat., O1 1294,


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mer les portes de leur cabine. « Tout le monde sait que l'on peut suivre les traces des voitures du Ventilateur depuis l'atelier jusqu'au lieu de la décharge, et qu'elles infectent toutes les rues où elles passent. » En 1784, le sieur Viot-Defontenay imagine sa « Pompe antiméphitique ». Il se propose tout simplement « d'établir sur l'embouchure de la fosse un corps de pompe en cuivre, avec tuyaux de pareil métal, bien vissés et hermétiquement fermés. L'un de ces tuyaux s'introduit dans la fosse par une ouverture de 4 à 5 pouces, faite dans le tampon. Les autres tuyaux, contournés suivant la place, se continuent et vont rejoindre une tonne montée sur deux roues, garnie de cercles de fer, avec robinets de décharge à l'un de ses fonds... La manoeuvre se fait par le moyen d'un balancier. Une seconde tonne vide succède à la première, lorsqu'elle est remplie; celle-ci, hermétiquement fermée, va se décharger, et revient sans avoir laissé échapper aucune odeur... Chaque tonne contient un quart de toise cube, et se remplit en moins d'une demi-heure. » Remplaçons la pompe à balancier par une pompe à vapeur, et l'appareil du sieur Viot nous apparaîtra comme notre contemporain. Une expérience a lieu le 25 et le 26 octobre 1784 pour le curage de la fosse des Gardes françaises dans la place d'Armes. Richard Mique et les autres commissaires rédigent un rapport tout à fait concluant. « La proposition du sieur Viot mérite plus d'attention à cause de sa nouveauté; nous doutons même que l'idée se soit jamais présentée à qui que ce soit d'extraire les vannes des fosses d'aisances par le moyen d'une pompe...» Le perfectionnement dû au sieur Viot aura certainement le dernier mot, mais sa compagnie sera mise à une rude épreuve. La compagnie rivale du «Ventilateur», qui possède elle aussi des lettres patentes, fera saisir ses chevaux et équipages, et la forcera à suspendre tout à fait ses travaux. Il faudra que le Parlement s'en mêle. Par surcroît d'infortune, Viot meurt prématurément, laissant des enfants mineurs. La Compagnie qui leur sert de tutrice implore la protection royale. Tandis qu'elle est réduite à l'inaction, il lui faut pourvoir à l'entretien de 40 chevaux, et au salaire de 50 hommes.

Ces inventions ont quelques droits à la faveur du grand public. D'autres recherches intéressent tout particulièrement le service des Bâtiments du Roi. En janvier 1 747, un mémoire démontre la supériorité du plomb laminé sur « le plomb coulé en tables sur sable ». Il y a épargne d'un tiers de matière, égalité des parties, solidité plus grande, et enfin économie, la France tirant le plomb de l'étran-


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ger (29). En mai 1751, le sieur Louis Petit, maître maçon à Paris, a inventé une machine pour scier les pierres et le marbre. Un associé, qu'il s'est adjoint, probablement comme bailleur de fonds, cherche sa ruine; il lui faudrait un privilège étendu que le Roi lui accorde (30). Les mortiers ou ciments sont d'un emploi quotidien ; M. de Marigny croit être sur la piste d'un secret perdu, et en fait part solennellement au Roi. « J'éprouve en ce moment la satisfaction la plus sensible en me trouvant en état d'annoncer à Votre Majesté la découverte bien constatée par des épreuves faites sous mes yeux et pour mon compte d'une nouvelle composition de mortier ou ciment qui reproduit pour nous le procédé à la faveur duquel les Romains ont formé dans tant d'endroits du monde ces monuments dont on voit encore des restes si merveilleux malgré les outrages du temps et ceux de la Barbarie, qui a multiplié tant d'efforts pour les détruire...» (31). L'allégresse est prématurée et les Romains gardent leur avance. En 1 782, les 103 marches de l'Orangerie de Versailles sont en piteux état. On en est encore à rechercher la formule capable d'assurer la stabilité des joints de lit (32). Le 8 janvier 1782, M. d'Angiviller charge MM. Mique, Hazon et Guillaumot d'examiner les recettes proposées à cet effet. La commission procède avec une lenteur qui traduit quelque embarras; elle ne présentera son rapport que le 10 août de l'année suivante.

On pourrait multiplier les exemples, car toutes les applications de la science, telle que la conçoit le XVIIIe siècle, sont représentées dans les dossiers de la Maison du Roi Physique, optique, astronomie, géographie, chimie, mécanique, horlogerie, métallurgie, procédés de construction, carrières et mines, économie urbaine ou domestique, agriculture, tout est prétexte à des recherches dont les auteurs qui ont souvent plus de zèle que d'expérience lui réservent la primeur. Il y a un peu de tout dans ces cartons, des conceptions d'allure pratique et des rêveries d'utopistes. Ribet, curé de Chijo, au diocèse de Tarbes, a découvert une racine purgative « pour les personnes menacées d'hydropisie... » (33). (Mai 1758.) — Un mémoire sans

(29) Arch. nat., O1 1068-86.

(30) Arch. nat. O1 1068-111-114.

(31) Arch. nat., O1 1068-117.

(32) Arch. nat., O1 1791.

(33) Arch. nat., O1 1293.


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date, mais adressé à M. de Villacerf, préconise un engin composé « de plusieurs canons de fusil qui tireront tous à la fois, et feront trois ou quatre décharges dans le temps qu'il faut pour charger et tirer un mousquet, » On le renvoie à M. de Pontchartrain. — Le sieur Bernières, contrôleur des Ponts et Chaussées, présente en l'année 1771 le modèle réduit d'une chaloupe « insubmergible » pour la personne du Roi. — Le sieur Le Roy, auteur d'une lettre à M. Benjamin Franklin « sur les moyens de perfectionner la navigation des fleuves », a construit un bateau destiné à la navigation fluviale, le Naupotame, dont les essais sont faits en pleine mer, et qu'on exposera à Paris, en 1787, au port Saint-Nicolas. — En 1774, le sieur Parent de Martigné a inventé une pompe « sans piston et sans frottement » ; mais il a trouvé aussi « un grand remède composé des principes de la nature et qui, par un bain de pieds, tire toutes les mauvaises humeurs du corps. »—. Le 1 er octobre 1788, un étranger, William Playfaix, offre de construire à ses frais « une nouvelle machine hydraulique qui remplacerait celle de Marly, et élèverait 300 pouces d'eau au lieu de moins de 100 que donne la machine actuelle». Pour fout salaire, il se contenterait d'obtenir l'entretien de la nouvelle machine pendant quinze ans « pour moitié de ce qu'il en coûte présentement au Roi ». La proposition est intéressante, et M. d'Angiviller regrette que les difficultés politiques du moment ne lui permettent pas d'y donner suite. — Par une lettre et un prospectus du 27 mars 1784, un certain sieur Rénaux, déjà nommé, s'engage à faire voir « par un nouveau moyen d'optique, les objets de la lune et autres planètes, de la même grandeur que ceux d'ici-bas ». Il a aussi le dessein de « construire et diriger un aérostat le plus parfaitement possible, de manière qu'il soit solide pour quelques années sans accidents, à craindre par le feu et autrement; comme aussi de le construire de manière qu'il puisse aller sur l'eau, ainsi que pour élever des fardeaux, pomper de l'eau, faire agir des meules à moudre le grain, etc.. Ledit sieur Rénaux se propose d'instruire des jeunes gens pour des voyages aériens, pour le bien de l'humanité ». Hélas! cet engin, vraiment universel ne s'élancera jamais à la con- quête de l'air, car le sieur Rénaux demande avant tout essai 24.000 livres, un logement à l'Ecole militaire, la concession du Champ de Mars; et îe comte d'Angiviller a écrit en marge de sa requête « à semblables folies, nulle réponse ». — Le charbon de terre et son emploi nous ramènent aux affaires sérieuses. La houille ne fit son

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apparition à Paris qu'en 1 769 (34) ; mais la Maison du Roi possède la copie d'une lettre écrite le 1er septembre 1738 par une Française voyageant en Angleterre, et qui contient d'intéressantes révélations sur l'usage général que nos voisins font de ce combustible, et les services qu'il rend à l'industrie. Le baron de Breteuil suit de près et encourage les efforts de M. le comte de Buffon et des autres « intéressés à l'entreprise de l'épurement du charbon de terre » (35) que l'Encyclopédie elle-même soupçonnait de favoriser le développement de la phtisie. — Un mémoire de 1 770 recommande un moyen économique d'utiliser les poussières de houille. « On est en usage, dans le Hainaut et dans toute la Flandre française et autrichienne, de consommer du charbon de terre sous la forme de petites briques ou de boulets... » (36).

Jusqu'à l'extrême déclin de la monarchie, la Maison du Roi maintiendra ses traditions. Le 4 février 1792, elle proposera encore à Louis XVI, sur les fonds de la Liste civile, l'avance d'une somme de 160 à 180.000 livres, « pour la confection, l'essai et l'entretien pendant un an de deux machines à feu applicables à deux jeux de moulins ci-devant mis en action par l'eau ou par le secours des animaux dans deux manufactures à sucre de la partie nord de SaintDomingue » (37). Chaque machine aura la force de « dix mulets qui travailleraient à la fois ».

Es-ce par crainte d'offenser la vérité méconnue que la Maison du Roi accueille et examine, avec une activité patiente, tous les projets dont on la saisit? Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, elle est tout simplement de son temps. Taine, dressant le bilan de la Société française, à la veille de la Révolution (38), nous la montre, en une récapitulation saisissante, dominée par l'appétit de la Science, impatiamment tournée vers les horizons nouveaux promis à l'humanité (39).

(34) Caustier, Les Entrailles de la Terre. Vuibert et Nony, 1904.

(35) Arch. nat., O1 351-190-91 et O1 590-359.

(36) Arch. nat., O1 1294.

(37) Arch. nat., O1 1068-118-121.

(38) Origines de la France contemporaine. Ancien Régime. Tome I, chap. 3.

(39) Dans les dernières années de l'Ancien Régime, les entreprses industrielles sont en grande faveur. Création de la Compagnie des Indes, des Eaux de Paris, du Creusot, etc.. Le duc d'Orléans, M. de Vergennes, le comte d'Angiviller, le Prince de Poix, le duc de Mouchy, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, Calonne, les


LA'MAISON DU ROI ET LES INVENTEURS 35

La mode y est bien pour quelque chose, mais si impérieuse que l'art décoratif lui-même ne cherche pas à s'y soustraire; nous en avons à Versailles un incomparable exemple. Examinons de près, dans le Cabinet, en arrière de la Chambre du Roi, les dernières boiseries commandées par l'Ancien Régime. On dirait que les frères Rousseau y ont poursuivi, avec une prodigieuse hardiesse, la réalisation d'une gageure. Le thème choisi ne saurait être plus officiel : chacun des six panneaux doit évoquer un des Ministères auxquels le Roi a délégué son autorité. On concevrait sans peine que la préférence d'un artiste se portât vers d'autres objets; rappelons-nous la pauvre allégorie qui, au portail de l'Hôtel Soubise, est censée rendre hommage au labeur des archivistes. Mais les frères Rousseau ont déjà le pressentiment qu'il n'est pas impossible de concilier la réalité avec l'art (40). L'Agriculture, les Beaux-Arts, le Commerce s'accommoderaient peut-être de réminiscences et de conventions classiques. Les accessoires les plus inattendus, — le collier d'un cheval de labour, des arrosoirs à pomme, une herse, une charrue, une brouette, une grue soulevant ses fardeaux, une aune, des ballots, — prennent naturellement leur place dans la charmante composition où toutes choses nous sont présentées telles qu'elles sont. Pas une hésitation dans le panneau consacré aux sciences ; il est le plus hardi de tous. Ses modèles sortent directement d'un de ces cabinets où les savants mondains du XVIIIe siècle se plaisaient à promener leurs belles amies. Tout s'y trouve, pour que le laboratoire soit complet : hémisphères de Magdebourg, thermomètre, lunette astronomique, globe céleste, machine pneumatique, treuil, goniomètre sur son trépied, fourneaux d'alchimiste, sphère armillaire, et même machine électrique de Ramsden, avec son grand plateau de verre et ses gros conducteurs de cuivre. Sans prêter à un spirituel caprice plus d'importance qu'il n'en a, on peut cependant s'arrêter devant ce dernier panneau, où la réalité semble vouloir triompher de l'allégorie. Le temps n'est plus où, seules, les divinités de l'Olympe et leurs familiers s'arrogeaient le

Périer, soutinrent les inventeurs de leur crédit et de leurs subsides. C'est une véritable fièvre d'affaires qui se déclare. Cf. Ballot et Gével, op. cit.

(40) On peut déjà remarquer, du Cabinet de Bains de Louis XV, un essai assez timide de décoration réaliste. Les surfaces d'ébrasement de la fenêtre sont garnies de panneaux oblongs où figurent une grosse houpette et son sac, trois peignes, des flacons, une éponge, un fer à friser, une brosse, un plat à barbe. Mais les volets inférieurs, quand ils sont repliés, couvrent entièrement cette fantaisie. Il faut la chercher pour la voir,


36 LA MAISON DU ROI ET LES INVENTEURS

privilège de conquérir Versailles pour animer de leurs victoires, de leurs amours ou de leurs infortunes la pompe des appartements, des jardins et des fontaines. Ces illuminés ou ces sages dont les mémoires exerçaient la curiosité ou la patience des intendants de la Maison, du Roi, étaient bien, à leur manière, les avant-coureurs et les témoins de temps nouveaux. Le régime qui va mourir joue, pour la dernière fois, son rôle traditionnel d'acquéreur-né de belles choses» II souhaite qu'un autre thème rajeunisse le luxe familier de sa demeure; et ce thème, il le demande à la réalité et à la science.

Alfred HACHETTE.


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L'hôtel Lambinet et l'hôtel de la Banque de France (1)

On sait que MM. Dagincourt et Deneriaz, légataires universels de Mme Vve Lambinet, ont fait don à la ville de Versailles, dans des conditions particulièrement généreuses, de l'hôtel sis au n° 5 de la rue Baillet-Réviron.

Tous les Versaillais et les innombrables touristes qui, par le boulevard de la Reine, gagnent Trianon, connaissent la façade de cette belle demeure qui, au fond d'un jardin de style classique, montre son élégant balcon de fer forgé et son gracieux fronton sculpté ; mais bien rares étaient les privilégiés qui avaient pu franchir le seuil de l'hôtel dont les portes restaient depuis longtemps closes.

Le transfert des collections artistiques de la ville dans cet hôtel va rendre la vie à cette maison et permettra d'admirer en dépit de quelques dégradations et de restaurations parfois hardies, un des rares intérieurs versaillais demeuré, dans les grandes lignes, intact.

Tout un ensemble de documents, qui se complètent, permettent de reconstituer l'histoire de cet hôtel qu'on a appelé l'hôtel de Niert. Pour la clarté de la démonstration nous serons conduits à étudier en même temps les origines d'un hôtel voisin, celui occupé par la Banque de France.

La rue Baillet-Réviron actuelle est un tronçon de l'ancienne rue

(1) Cette notice sur l'hôtel Lambinet est le résultat d'une étude que nous avions entreprise avec Charles Hirsehauer. Les termes en étaient presque complètement arrêtés lorsque le regretté conservateur de la Bibliothèque de Versailles nous a quittés. Nous avons terminé cette notice, mais elle doit porter aussi le nom de Charles Hirschauer. Comme le Musée Jean Houdon va être transporté à l'hôtel Lambinet, le moment est venu de la publier.


38 L'HOTEL LAMBINET ET L'HOTEL DE LA BANQUE DE FRANCE

Neuve-Notre-Dame ouverte en 1736 à l'emplacement du quai de l'étang de Clagny dont l'assèchement avait été commencé.

Sur le côté gauche (numéros impairs) de la nouvelle rue s'étendaient des terrains gagnés sur les prairies et le marais. Le 24 octobre 1 736, le Roi, par toute une série de brevets, fit don à divers personnages de ces « places à bâtir », suivant la coutume établie depuis Louis XIV.

En partant de l'angle de la rue du Maréchal-Foch, qui n'a pas changé, on voit que les nouveaux propriétaires furent Verdier pour 30 toises de longueur, puis Griby pour la même longueur, ensuite Claude Le Noble, Joseph de May et François Régnier du Tillet, chacun pour 20 toises de façade sur 14 toises de profondeur et après Desclozeau pour 25 toises.

Etudions avec quelques détails l'histoire de deux de ces propriétés. François Régnier du Tillet, avertisseur de la « cuisine-bouche du roi» et Marie-Elisabeth de Charny son épouse, dès le 10 décembre 1 736, vendent pour la somme de 1548 livres, leur terrain à Jean Helland, fourrier ordinaire de l'artillerie de France (1), qui, quatre mois plus tard, le 26 avril 1737, le céda, pour 1900 livres, à Messire Alexandre-Denis de Nyert, marquis de Gambais, premier valet de chambre du Roi (2). De Nyert mourut le 30 janvier 1 744, au Louvre, dont il était gouverneur, laissant comme héritière sa mère, Marie-Anne de Marsollier, veuve de Louis de Nyert, père du défunt et comme lui premier valet de chambre ordinaire du Roi. Se conformant aux prescriptions du brevet du 24 octobre 1736 (3), le marquis de Gambais avait clos de murs son terrain et y avait construit deux corps de bâtiments allongés perpendiculairement à la rue que l'on voit figurer sous le n° 443 sur le si précieux plan du terrier de Versailles établi à partir de 1 737. Un document formel atteste que jusqu'en 1755 au moins il n'existait alors sur le terrain de la Vve de Nyert que « deux petites ailes latérales en écuries et remises

(1) Devant Decourt, notaire à Versailles (Titres de propriété de la Banque de France).

(2) Devant Decourt et Lamy, notaires à Versailles; le terrain est indiqué comme tenant à Desclozeau et à De May (loc. cit.).

(3) « A condition de faire fermer par derrière par un mur de 9 pieds de haut sous chaperon à prendre de niveau de la dite voie et ce avant la fin de may 1737 et d'y faire bâtir suivant les alignements, symétries et décorations ordonnées et rendre le bâtiment fait et parfait au temps fixé par l'arrest du conseil d'Etat du 10 (nars 1725.» (Titres de propriété de la Banque de France.)


L'HOTEL LAMBINET ET L'HOTEL DÉ LA BANQUE DE FRANCE 30

et greniers au-dessus » (1); la destination tout utilitaire de ces bâtiments est confirmée par le recensement de 1744; la maison et hostel de Nyert y figure sous le n° 171 et est citée avec cette intéressante mention : « Cette maison n'est occupée que par ses équipages lorsqu'il est de quartier ». Il n'est pas étonnant que Nyert pourvu d'un logement au Louvre et au.Palais de Versailles où l'appelaient ses doubles fonctions et possédant en outre son château de Gambais n'ait pas cru devoir se faire construire une habitation en ville.

L'hôtel de Nyert fut vendu le 14 juin 1 755 par Mme de Nyert mère à Jules-Antoine Rousseau, le célèbre sculpteur des bâtiments (2). C'est à Rousseau qu'est dû dans ses grandes lignes l'aspect actuel de l'immeuble; l'année qui suivit son achat il entreprit la construction du corps central de logis qui ferme le fond de la cour; la dépense ne s'élève pas à moins de 80.000 livres qu'il doit en partie emprunter (3).

De la décoration de l'hôtel à laquelle Rousseau fit certainement travailler les excellents ouvriers de l'atelier qu'il dirigeait, il reste malheureusement fort peu de chose : au rez-de-chaussée subsistent dans un des bureaux de la direction de la Banque de France, des fragments d'un plafond malencontreusement recouvert d'une couche de ripolin blanc; le salon du Directeur conserve un autre plafond un peu moins gâté que le précédent par la peinture moderne; le morceau le plus intéressant est encore le joli balcon de fer forgé aux

(1) Déclaration des domaines engagés souscrite en l'an II par Jules-Hugues Rousseau. Rousseau déclare que lorsque son père avait acheté le terrain de la veuve dame de Nyert il était clos de murs et comprenait seulement deux petites a les latérales en écuries remises et greniers. (Arch. dép. de S.-et-O., série Q).

(2) Vente par dame Marie-Anne de Marsollier, veuve de Louis de Nyert, marquis de Gambais, premier valet de chambre ordinaire du Roi, à Jules-Antoine Rousseau, sculpteur ordinaire des bâtiments du Roi, demeurant à Versailles, rue des Bons Enfants, d'une maison située à Versailles rue Neuve Notre-Dame avec toutes ses dépendances, comme seule et unique héritière de son fils Alexandre-Denis de Nyert, qui avait fait bâtir la maison. La vente comprend une bande de terrain de 14 toises de largeur le long de l'étang de Clagny abandonné aux propriétaires des maisons de la rue Neuve suivant l'échange fait entre Sa Majesté et lesdits propriétaires par contrat passé devant Jourdain et son confrère, notaires à Paris, le 23 février 1753. Le prix de vente a été de 2.000 livres. (Titres de propriété de la Banque de France).

(3) Le fils de l'acquéreur Jules-Hugues Rousseau atteste en l'an II : « Je possède dans la ville de Versailles de patrimoine une maison située rue Neuve Notre-Dame n° 13 bâtie par mon père en 1756 au prix d'environ 80.000 livres, tant de ses deniers que de sommes empruntées, d'une partie desquelles je paye encore les intérêts. (Arch. dép. de S.-et-O., série Q, loc. cit.)


40 L'HOTEL LAMBINET ET L'HOTEL DE LA BANQUE DE FRANCE

initiales de Rousseau qui se voit au premier étage sur la façade tournée vers le jardin.

Jules-Antoine Rousseau mourut à Lardy le 29 août 1782, laissant deux fils, Jules-Hugues et Jean-Siméon, dit Rousseau de la Rothière; tous deux sculpteurs ornemanistes comme leur père. La maison de la rue Neuve passa à Jules Hugues qui la posséda jusqu'à son décès survenu à Lardy le 30 avril 1806 ; son héritière fut sa fille, encore mineure, Marie-Caroline Rousseau qui épousa un certain Jean-Jacques Dubois et mourut à Paris le 4 février 1819. Les héritiers Dubois vendent leur maison de Versailles à l'audience des criées du tribunal civil de la Seine le 23 juillet 1836 à Nicolas-Jacques de Marine, qui le laisse à son fils Barthélémy Hyacinthe; la veuve de ce dernier acquit l'immeuble par licitation au tribunal civil de Versailles le 18 mars 1870 des créanciers de son mari pour 104.500 francs et dès le 19 juillet de l'année suivante le cède à la Banque de France qui en est encore propriétaire moyennant 143 mille 500 francs.

En dehors de cet hôtel, on peut affirmer que ni le marquis de Gambais, ni aucun membre de sa famille n'a possédé le moindre terrain rue Neuve; il est tout à fait inexact de dire qu'il a, pou/ agrandir ses écuries, acquis de son voisin, Jean Helland, l'espace nécessaire à l'aménagement des deux ailes : Jean Helland, on l'a vu, n'était pas le voisin de Nyert, pour la bonne raison que celui-ci lui a acheté en 1 737 la totalité du terrain concédé par le Roi, l'année précédente à du Tillet; ce terrain n'a subi d'autre accroissement qu'une bande de 14 toises le long du boulevard de la Reine, acquise du Roi par voie d'échange en 1753; les dimensions actueiles de la Banque de France sur la rue correspondent bien aux 20 toises du brevet de 1736 et l'on peut retrouver encore l'emplacement exact du terrain de du Tillet en mesurant les distances à partir de l'angle de la rue du Maréchal-Foch. En dépit d'affirmations péremptoires, il ne faut pas chercher l'hôtel de Nyert en dehors des limites occupées aujourd'hui par la Banque de France. Encore fautil s'entendre sur ce terme d'hôtel de Nyert : nous avons vu que le marquis de Gambais n'avait fait construire sur son terrain que des bâtiments de service et le bel immeuble actuel est l'oeuvre d'Antoine Rousseau, dont il devrait porter le nom.

Passons au terrain contigu à l'hôtel de Rousseau du côté est, c'est-à-dire en allant vers la rue du Maréchal-Foch. On a vu que


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ce terrain avait été, par brevet du 24 octobre 1736, attribué à un certain Joseph de May et qu'il mesurait alors, comme le précédent, 20 toises de façade sur 14 de profondeur, il tenait de l'autre côté au terrain octroyé à Le Noble. Il est à noter que sur le plan terrier de 1739, alors que des constructions assez importantes et un jardin figurent sur la parcelle Le Noble (n° 445 du plan), celle de Joseph de May (n° 444) reste non bâtie; il en est encore demême sur le plan de l'abbé de La Grive, de 1746.

La Bibliothèque de Versailles possède une série de registres qui fournissent d'intéressants renseignements sur l'état de la propriété à Versailles dans le cours du XVIIIe siècle : ce sont les rôles des redevances payées par les propriétaires versaillais, proportionnellement à la longueur des façades, pour l'éclairage des lanternes et pour l'enlèvement des boues. De 1737 à 1739 inclus, de May figure entre Nyert et Le Noble; en 1740 le rôle porte la mention : Le Noble au lieu de Demay; Le Noble avait fait en effet l'acquisition du terrain voisin du sien, terrain qui n'était pas encore bâti (1) ; il possédait ainsi 40 toises de façade sur la rue Neuve, les rôles des lanternes et ceux des boues sont formels sur ce point.

Par un acte du 12 mars 1742, Le Noble cède une partie de sa propriété, du côté est à Mme de La Traverse (2). Cette partie avait d'après les états 14 toises de façade, il restait donc à Le Noble 26

(1) Adjudication à l'audience du bailliage du 9 septembre 1740 d'une place à bâtir rue Neuve Notre-Dame, close de murs. Le terrain de Demay est adjugé à Claude Le Noble, sommier et garçon du château, pour 4212 livres 15 sols. Le Noble paie comptant 212 livres 15 sols et s'engage à payer une rente annuelle de 200 livres jusqu'à l'amortissement. (Arch. dép. S.-et-O., série B, bailliage, registre des audiences ordinaires).

(2) Vente devant Desmurs, notaire à Paris, à dame Jeanne Boiron, veuve de Pierre-François de la Traverse, officier de marine, d'une grande maison à porte cochère rue Neuve Notre-Dame pour 25.000 livres; cette maison, d'après les états des lanternes et des boues, mesurait 14 toises. (Arch. dép. de S.-et-O., registre du centième denier.)


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toises que le 13 décembre 1 747, il vendit moyennant 20.000 livres à Olivier David, marchand linger, et à dame Marie Binet, son épouse, demeurant à Versailles (1).

Quatre ans plus tard, le 5 octobre 1751, Marie Binet, devenue veuve d'Olivier David depuis trois ans (2), gardant pour elle 14 toises de façade, vendit, moyennant 5.500 livres, 12 toises de face sur toute la profondeur d'un terrain rue Neuve Notre-Dame à Joseph Barnabe Porchon, entrepreneur des bâtiments du Roi, demeurant à Versailles (3). Ces 12 toises correspondent très sensiblement aux dimensions actuelles du n° 5 de la rue Baillet Réviron, de l'hôtel Lambinet.

Une question se pose : lors de cette vente de 1751, l'hôtel existait-il déjà? On peut répondre par la négative. Tout d'abord l'acte indique nettement qu'il s'agit d'un terrain, il n'y est pas fait mention d'une maison et le prix de vente de 5.500 livres ne peut s'appliquer à une construction un peu importante.

Qu'y-a-t-il donc d'étonnant à ce que Porchon, grand entrepreneur des bâtiments, fils d'entrepreneur (4), beau-frère d'un notaire de la cour (5) et d'un valet de chambre du duc de Penthièvre (6), et personnage fort riche, ait fait élever une construction d'un certain luxe? En relations avec les artistes et les artisans qui travaillaient au château, il a bien pu faire appel à eux pour orner sa de(1)

de(1) devant Guesnon, notaire à Paris, par Claude Lenoble, sommier de la chapelle du roi et garçon du château de Versailles, à Olivier David, marchand linger du Roi et à demoiselle Marie Binet, son épouse, demeurant rue de la Pompe, paroisse Notre-Dame, d'une maison sise à Versailles rue Neuve et paroisse NotreDame, consistant en trois pièces par bas, trois pièces au premier étage, trois pièces au deuxième et trois pièces en mansarde au troisième étage; lesdits bâtiments couverts d'ardoises, cour dans laquelle il y a un puits et jardin attenant.

Lesdits bâtiments tenant d'un côté la dame veuve La Traverse, d'un autre côté les héritiers de M. de Nyert, premier valet de chambre du Roi, par derrière sur la prairie appartenant au Roi et par devant sur la rue Neuve, appartenant audit sieur vendeur comme ayant fait construire de ses deniers, savoir la maison et cour sur un terrain faisant partie de 20 toises à lui données par Sa Majesté, le surplus dudit terrain et le jardin sur un terrain contenant aussi vingt toises, adjugé audit vendeur quée par le sieur Joseph Demay, bourgeois de Versailles (Instance à Versailles 23 septembre 1740). La dite vente faite moyennant le prix de 16.000 livres.

(2) Décès du 10 février 1748 (Maine de Versailles, état civil).

(3) Acte devant Barrier, notaire à Paris. Le prix de vente a été de 5.500 livres. (Répertoire des Actes des Domaines.)

(4) Barnabe Porchon, entrepreneur des bâtiments, marguillier de Notre-Dame, décédé le 7 août 1752 (Mairie de Versailles, Etat civil.)

(5) Jean Blossier.

(6) Guillaume Constant.


L'HOTEL LAMBINET ET L'HOTEL DE LA BANQUE DE FRANCE 43

pleure. Il est, au reste, d'autres exemples à Versailles de beaux logis construits à la même époque par des entrepreneurs des bâtiments; Nicolas-Claude Thévenin fait reconstruire et décorer luxueusement l'hôtel qui occupe aujourd'hui le n° 14 de la rue Carnot. Cliquot fait sculpter son buste par Pajou.

Les documents, au surplus, établissent, sans aucun doute possible, que l'hôtel Lambinet a bien été construit par Joseph-Barnabe Porchon. Après son décès, survenu le 18 juillet 1792, inventaire de ses biens fut dressé le 30 de ce mois et jours suivants par les soins de Me Menard, notaire à Versailles, cet inventaire se trouve dans les minutes de l'étude de Me Monjou. Le document désigné à l'inventaire sous la cote 7 est l'analyse du contrat du 5 octobre 1751 portant vente par Marie Binet, veuve en premières noces de Barthélémy Viguier et en secondes noces d'Olivier David au feu sieur Porchon et à la dame sa veuve « d'un terrain situé à Versailles rue Neuve, contenant environ 12 toises de façade sur toute la profondeur, sur lequel ledit feu Porchon et la dame sa veuve ont fait construire la maison où se fait le présent inventaire » (1).

Dans un acte postérieur, il est de même bien spécifié que la maison a été construite par les époux Porchon, pendant leur communauté, sur un terrain acquis de la veuve David.

Il est donc établi, sans contestation possible : I ° que l'hôtel Lambinet n'a jamais appartenu à de Nyert et que le nom d'hôtel de Nyert, à défaut de celui plus adéquat de Rousseau, devrait être réservé pour l'immeuble occupé par la Banque de France. 2° que la construction de l'hôtel Lambinet est due à Joseph-Barnabé Porchon et n'est, par suite, pas antérieure à 1751, ce qui, du reste, correspond pleinement avec le style de l'édifice.

Retraçons rapidement la fin de l'histoire de l'hôtel Lambinet : A la mort de Joseph-Barnabe Porchon, survenue, nous l'avons vu, le 18 juillet 1792, l'immeuble, faisant partie de la communauté, devient la propriété pour moitié de sa veuve, pour moitié des deux soeurs du défunt. Le 1er février 1793, Marguerite-Madeleine Le Boeuf, veuve Porchon, se rendit adjudicataire, moyennant 55.000 livres de la maison de la rue Neuve; elle passe, après le décès de la

(I) La maison, qui avait deux portes, portait, suivant le système de numérotage alors usité, les numéros II et 12 en 1792; plus tard, en 1843, par exemple, elle avait les numéros 33 et 35.


44 L'HOTEL LAMBINET ET L'HOTEL DE LA BANQUE DE FRANCE

veuve Porchon, aux deux frères de la défunte Pierre-Antoine et François Le Boeuf; le 14 Brumaire an II (4 novembre 1793), une vente eut lieu et Pierre-Antoine se rendit acquéreur de la seconde partie de l'immeuble.

Le 27 mars 1806, par adjudication devant le Tribunal de Versailles, la propriété fut vendue à MM. de Mondragon, elle appartint, sous la Restauration, à la comtesse de Duras qui, le 13 juin 1846, la vendit à un vicaire de Notre-Dame, l'abbé Claude Bernard; celui-ci la céda à son tour le 16 septembre 1852 à M. VictorFélicien Lambinet, juge au tribunal de Versailles.

II semble que M, Lambinet, grand collectionneur et amateur d'art, ait entrepris la restauration de l'hôtel; certaines parties ont vraisemblablement reçu alors une nouvelle décoration. Son fils et sa fille furent» avant le don fait à la ville, les derniers propriétaires de cette belle maison.

Charles HlRSCHAUER et Edmond LERY.


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J.-J. Rousseau est-il venu, à Versailles ?

C'est en 1752 que J.-J. Rousseau « en équipage négligé », avait assisté à la première représentation de son Devin de Village, au château de Fontainebleau (1).

Invité par Louis XV à se présenter à lui le lendemain pour recevoir félicitations et pension, l'heureux compositeur avait disparu. Malgré de flatteuses avances et pour diverses raisons, dont témoignent complaisamment Les Confessions, le « citoyen de Genève » s'était enfui, se dérobant à la présentation royale et à sa profitable et immédiate conséquence! II évita dès lors toute occasion de renouveler ce premier contact avec la cour. Ainsi, il n'alla qu'une fois à Fontainebleau et ne vint probablement jamais à Versailles (2).

Ce dernier nom, nous ne l'avons trouvé qu'une fois sous sa plume, dans une lettre que nous citerons; cependant du palais merveilleux inauguré en 1664,

ta savante structure: Cède aux simples beautés qu'y forme la nature.

Molière avait fait dire à la princesse d'Elide (Mlle de La ValIière) :

Ces arbres, ces rochers, cette eau, ces gazons frais, Ont pour moi des appas à ne lasser jamais.

(1) Ainsi que nous l'avons dit dans : «L'Académie de Versailles à Fontainebleau», (Les Nouvelles de Versailles du 20 octobre 1931). V. surtout : John Charpentier, J.-J. Rousseau ou le démocrate par dépit, pp. 184-188, Perrin, 193 1.

(2) Ces mêmes manifestations d'esprit jacobin se retrouveront chez le plus génial des musiciens, Beethoven, atteint lui aussi d'une misanthropie, qui Le fit se dérober à toutes les réceptions.


46 J.-J ROUSSEAU EST-IL VENU A VERSAILLES

Et sa cousine Aglante, de répondre :

Je chéris comme vous ces retraites tranquilles.

Où l'on se vient sauver de l'embarras des villes.

De mille objets charmants ces lieux sont embellis;

Et ce qui doit surprendre est qu'aux portes d'Elis (Paris)

La douce passion de fuir la multitude

Rencontre une si belle et vaste solitude.

Nul ne pouvait êire plus sensible que Jean-Jacques à la lecture de ces vers, à l'époque où le successeur de Louis XIV marquait un goût singulier pour l'agriculture et la botanique :

Il aimait les jardins, était prêtre de Flore, Il l'était de Pomone encore.

Pour sa campagne de Trianon, Louis XV créait un ensemble de jardins, dont la renommée allait attirer l'attention, sinon la visite, de tous les savants naturalistes, amateurs et jardiniers de l'Europe entière. Est-il donc possible que les prestigieux ombrages ou les plantes exotiques du Petit Trianon. n'aient pas tenté l'auteur des Rêveries du promeneur solitaire et des Lettres sur la botanique?

Le 22 frimaire, l'an VII de la République Française une et indivisible (13 décembre 1798), l'Administration centrale du Département de Seine-et-Oise tenait une séance publique pour examiner une pétition des citoyens Lemoine et Langlois : le premier, locataire du Domaine du Petit Trianon, le second, caution de l'engagement de Lemoine.

Ces entrepreneurs de fêtes publiques prétendaient avoir fait des dépenses considérables pour améliorer la dite propriété et demandaient que le bail d'une année, expirant le 1 er floréal (20 avril 1799), soit renouvelé aux mêmes clauses et conditions.

Le citoyen Antoine Richard, jardinier en chef de l'Ecole Centrale de Versailles (1) et de la Pépinière nationale du Petit Trianon, présenta diverses observations et obtint — article 3 de l'arrêté

(I) Instituée par la Convention le 3 brumaire an IV (24 octobre 1795). V. L'Ecole centrale de Seine-et-Oise, par Godart, « Revue de l'Histoire de Versailles », août 1909 à février 1911,


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pris le jour même — que le citoyen Parison, gardien du mobilier national, continuerait de dresser l'état des lieux, des serres et bâtiments réservés pour son logement et pour le placement des plantes rares nécessaires aux élèves de l'Ecole, en vertu d'un arrêté précédent, en date du 19 fructidor.

Cet inventaire, signé par Parison et Richard, existe aux Archives municipales (Domaines nationaux, carton 1655).

En montant au premier étage du principal corps de logis, or trouvait à gauche une porte pleine donnant sur un corridor éclaré par une croisée. Entant dans le corridor, il existait « une chambre plafonnée par le haut, carrelée par le bas et éclairée par une croisée à deux vantaux...

« Une cheminée à chambranle et tablette de pierre marbrée, plaque de fonte; une double ventouse; lambris au-dessus de la cheminée; à droite, une armoire à deux vantaux grillés (sic), sans serrure, ni clé; dix tablettes à l'intérieur; à gauche, un panneau de lambris; l'alcôve et le lambris de hauteur du pourtour de la pièce ne sont pas réclamés par le citoyen Richard quoiqu'ils aient été faits à ses frais, il les abandonne par respect pour la mémoire de J.-J. Rousseau qui l'a habitée en 1755. »

Cette citation semblerait établir que l'auteur du Discours sur l'origine de l'inégalité'parmi les hommes s'est fixé à ce moment dans la maison du jardinier du roi à Trianon.

La question est d'importance et nous aimerions savoir qui l'a invité, quel fut l'emploi de son temps, quelle fut la durée de son séjour et quelle répercussion celui-ci a laissé dans son oeuvre?

En 1754, J.-J. Rousseau, après avoir passé quatre semaines à Genève, est revenu en octobre à Paris, où il héberge la famille Le Vasseur.

En janvier 1755, il se porte si mal qu'il «reste enfermé chez soi ».

Au mois d'août, ses douleurs sont telles qu'il ne saurait écrire quatre lignes de suite sans effort... « Il n'y a pas d'apparence, écritil, à ce que je passe l'hiver ». Pourtant le 8 septembre, il est à Epinay, le 10 à Paris, et passe avant le 20, « cinq ou six jours à la campagne », probablement de nouveau à Epinay; il a visité pour


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la seconde fois l'Ermitage, réparé à son intention mais non encore meublé, où il ira s'installer au printemps de 1 756.

Ainsi, à s'en tenir à la correspondance, aucun indice ne décèle un séjour de Rousseau au « nouveau jardin du Roi » à Trianon (1 ).

D'autre part, Louis XV a choisi Claude Richard, comme « jardinier-fleuriste » en 1 750, et lui a fait élever une maison près du réservoir du Trèfle. Le fils, Antoine, en 1755, est âgé de vingt ans; il n'a pas encore été adjoint à son père et il est peu vraisemblable que dans ces conditions, il ait fait des aménagements « à ses frais » pour recevoir le philosophe. A-t-il voulu plus tard, par vanité, se prévaloir de l'avantage d'avoir eu comme hôte celui dont le nom fut, avec celui de Voltaire, le plus célèbre du siècle et dont les cendres avaient été transférées quatre ans plus tôt au Panthéon? Ou bien, a-t-il eu une défaillance de mémoire et commis une erreur de date?

Ce n'est qu'en 1 759 que fut commencé le Jardin Botanique. Bernard de Jussieu, qui n'avait qu'un emploi obscur au Jardin des Plantes, à Paris, venait de découvrir une classification générale des espèces fondée sur la structure de l'embryon, l'insertion de l'étamine et de la corolle. Louis XV le chargea de ranger ses spécimens de tous les végétaux du monde d'après sa nouvelle méthode scientifique et la nomenclature de Linné. Il vint donc s'établir dans le logis de Cl. Richard pour présider à l'arrangement des collections du roi, et quand Antoine, sexagénaire et très occupé à ce moment par les procédés qu'avait employé le genevois pour constituer des herbiers, il se trompe de quatre ans et dit Rousseau, où il faut lire Jussieu. C'est du moins la solution que nous suggérons.

Il reste à déterminer maintenant si l'auteur de l'Emile ne serait pas venu ultérieurement à Trianon.

Si Napoléon a trouvé en Schuermans un historien méticuleux, qui a fixé l'itinéraire général de l'Empereur, permettant de le suivre presque jour par jour, malheureusement pour notre recherche, il n'en est pas de même pour J.-J. Rousseau.

(1) La désignation de Petit Trianon n'est adoptée que vers 1759; la construction du palais se place entre 1763 et 1768.


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Si passionnément étudiée qu'ait été sa vie très agitée, bien des périodes restent dans l'ombre. Lui, qui a tant écrit de lettres, a omis trop souvent de mentionner le lieu et la date (1) !

Entre 1765 et 1770 se place une époque de douloureux vagabondage, qui à notre connaissance, n'a point fourni de monographie (2). Or, il se trouve que pendant ces années, et jusqu'à sa mort, Rousseau s'est beaucoup occupé de botanique. Il a herborisé avec délices en Suisse, dans le Vexin (3), à Trie (sous le nom de « Renou »), en Savoie, en Dauphiné (il signait « Herboriste »), en Bourgogne, aux environs de Paris, notamment au Bois de Boulogne et surtout à Montmorency. Comment ne serait-il pas venu, sinon à Versailles, qui pouvait effrayer sa timidité de démocrate, au moins à Trianon?

Deux raisons pouvaient l'y inciter.

Si les gens de lettres du XVIIe siècle ont tant célébré la splendide grandeur du parc de Versailles, ceux du XVIIIe le trouvent « mortellement triste » et reportent toute leur admiration sur Trianon, qui est un « Paradis terrestre »!

Versailles, ta pompe étonnée Cède aux grâces de Trianon,

chante Lebrun le Pindarique.

« Je hais Versailles », écrit Montesquieu, et Bernardin de SaintPierre renchérit : « C'est une grande injustice pour le peuple! »

La réprobation contre les créations de Louis XIV au nom des raisons sociales et politiques, s'affirme encore au nom de l'art des jardins.

En prêchant le retour à la nature, Rousseau, à l'excès de symétrie des parcs du « rigide Lenôtre », oppose un désordre pittoresque et contribue puissamment à la révolution dans le style des jardins.

(1) La correspondance de J.-J. Rousseau que continue de publier M. PierrePaul Plan, chez Armand Colin, comprend déjà 16 volumes et s'arrête actuellement à 1767.

(2) Le livre de Ducoin : Particularités inconnues sur quelques personnages des XVIIIe et XIXe siècles, n'envisage que trois mois de la vie de J.-J. (juillet à septembre 1768). France, 1852.

(3) V. « L'Académie de Versailles dans le Vexin et à Saint-Germer ». Les Nouvelles de Versailles, 21 octobre 1930.

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La Nouvelle Héloïse contient un véritable manifeste en faveur de cette transformation du goût. Dans sa lettre à Milord Edouard (partie IV, lettre XI, 1761), Saint-Preux fait un tableau d'un coloris brillant et gracieux du jardin de Julie à Clarens :

« Je suivais des allées tortueuses et irrégulières bordées de ces bocages fleuris, et couvertes de mille guirlandes de vignes de Judée, de vigne-vierge, de houblon, de liseron, de couleuvrée, de clématite, et d'autres plantes de cette espèce, parmi lesquelles le chèvrefeuille et le jasmin daignaient se confondre...

« Toutes ces petites routes étaient bordées et traversées d'une eau limpide et claire, tantôt circulant parmi l'herbe et les fleurs en filets presque imperceptibles, tantôt en plus grands ruisseaux courant sur un gravier pur et marqueté qui rendait l'eau plus brillante... »

Ainsi, comme l'a déjà fait remarquer un ancien Président de l'Académie de Versailles, M. Délerot, dans son discours du 26 novembre 1869, « voilà Trianon décrit d'avance et par un grand poète ». L'ami des plaisirs champêtres aurait pu y constater de son vivant le triomphe de son influence, s'enivrer à loisir des charmes de la nature et y poursuivre ses douces extases.

De plus, jusque dans son dernier ouvrage (V. 7e Promenade), J.-J. a célébré son engouement pour la botanique. Or, Trianon était la grande école de botanique de l'Europe, et devait piquer sa curiosité au plus haut point : toute la science d'alors s'y résumait avec les espèces les plus rares, plantes de serres chaudes, arbres et fleurs exotiques.

A la tête du Jardin botanique, Claude Richard était devenu le plus habile et le plus renommé des jardiniers, « l'illustre et savant botaniste », comme l'appelait Linné, dans ses lettres. Il avait su profiter des leçons de Bernard de Jussieu. II ne recevait d'ordres, et même ses appointements, que du roi. Son fils, Antoine, parcourait le monde à la recherche de nouveautés rares. Vers 1 767, le Petit Trianon réunissait plus de quatre mille végétaux méthodiquement classés : c'était bien la plus nombreuse et la mieux soignée des collections de l'époque (1).

En 1 770, revenant de Monquin, Rousseau s'est arrêté chez M.

(1) V. Notice sur Antoine Richard, par l'abbé Caron et Notice sur les Richard par Le Roi, dans les Mémoires de la Société des Sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, T. VIII. Claude ne prit sa retraite qu'en juilet 1782; son fils dirigea seul les jardins, mais sans être payé par Louis XVI lui-même.


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de Buffon, à Montbar, où il a vu Daubenton. ïl est alors en pleine passion botanique. S'il préfère les courses champêtres, «nécessaires à son humeur et à sa santé », il faut convenir qu'il les choisit le plus souvent à proximité des villes, sacrifiant peut-être ainsi au goût de Thérèse Le Vasseur, qui s'ennuie à la campagne...

A cette époque, il s'est plu à suivre les herborisations de Jussieu le jeune, Antoine-Laurent, neveu de Bernard, aux bords de l'étang de Montmorency, mais il s'est aussi laissé entraîner, pour compléter plus rapidement ses herbiers... au Jardin du Roi.

Voici, en effet, ce qu'il écrit, le 4 juillet 1770, à M. de La Tourette, secrétaire de l'Académie des Sciences et Belles-Lettres de Lyon :

« J'allai hier voir M. Daubenton au Jardin du Roi; j'y rencontrai en me promenant M. Richard, jardinier de Trianon, avec lequel je m'empressai, comme vous jugez bien, de faire connaissance.

II me promit de me faire voir son jardin, qui est beaucoup plus riche que celui du roi à Paris : ainsi me voilà à portée de faire, dans l'un et dans l'autre, quelque connaissance avec les plantes exotiques, sur lesquelles, comme vous avez pu voir, je suis parfaitement ignorant.»

Ainsi, Richard déclarait avoir logé le philosophe, 43 ans après l'événement, et voici Rousseau qui, l'ayant rencontré à Paris, pour la première fois, le 3 juillet 1 770, en témoigne dès le lendemain, par lettre.

Le 17 septembre suivant, J.-J. confie à M. de Saint-Germain qu'il n'a pas été jusqu'ici assez heureux pour pouvoir souvent satisfaire au Jardin du Roi l'ardeur qui ne s'est jamais attiédie en lui d'en connaître les richesses :

« Je n'ai pu encore y aller que deux fois, tant à cause du grand éloignement, que de mes occupations (son travail de copiste de musique), qui me retiennent chez moi les matinées, à quoi se joint depuis quelque temps une fluxion assez douloureuse qui m'empêche absolument de sortir... »

Enfin le 26 novembre, près de cinq mois après l'invitation reçue, il mande à son correspondant lyonnais n'être encore allé, depuis son retour à Paris, que trois ou quatre fois au Jardin du Roi.

Il est donc permis de penser que la visite à Richard, autrement éloignée et plus dispendieuse, si elle a eu lieu, n'a dû être ni longue, ni se renouveler, d'autant plus que J.-J. ne devait s'y résoudre que


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sous une condition expresse, spécifiée dans la lettre du 4 juillet, ou reparaît notre « paysan du Danube » :

« Je prendrai, pour voir Trianon plus à mon aise, quelque moment où la cour ne sera pas à Versailles, et je tâcherai de me fournir à double de tout ce qu'on me permettra de prendre, afin de pouvoir vous envoyer ce que vous pourriez ne pas avoir. »

Dans la correspondance qui suit, aucune trace de ce voyage n'existe; d'ailleurs l'hypocondrie du

pauvre aveugle que nous sommes...

selon l'épigraphe de beaucoup de ses missives, allait s'accentuer et toucher à la folie...

Si J.-J. Rousseau est venu à Versailles, ce ne serait donc certainement pas en 1755, mais après le 4 juillet 1770 : c'est possible, ce n'est pas prouvé, La question est éclaircie, elle n'est pas complètement résolue.

En rêvant aujourd'hui dans les allées « tortueuses et irrégulières » du Petit Trianon et du Hameau, on peut se souvenir de l'influence qu'eut l'auteur de Julie sur les conceptions de vie pastorale et champêtre de Marie-Antoinette (1), mises en oeuvre par son architecte Mique, on ne saurait raisonnablement y évoquer l'ombre errante de Jean-Jacques.

Georges MAUGUIN.

(1) Influence directe due à son entourage et plus particulièrement au comte de Caraman, plutôt qu'à ses propres lectures, car la frivole reine lisait peu, à peine un livre par an. D'après le catalogue des livres « provenant de chez la femme Capet au Petit Trianon, mis sous la main de la Nation » (Arch. dép. de S.-et-O., série Q), nous n'avons relevé que Pygmalion, scène lyrique par Rousseau (de Genève), édition de 1775, conservé à la Bibliothèque de Versailles.


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L' Hôtel du Gouvernement P alais du Roi de Rome à Rambouillet

Au temps du duc de Penthièvre, le village de Rambouillet, du faubourg de Groussay à la Pierrefitte, égrenait ses maisons le long du côté nord de la Grand'Route, qui serpente en forme de S, alors que l'autre côté de la route limitait le domaine du duc, car le duc de Penthièvre, prince vertueux et charitable, entendait que chacun de ses sujets put pénétrer librement sur ses terres.

Le plein centre du bourg ne comptait guère plus de cinq cents habitants, trois cent cinquante à Groussay et. le reste, sur les douze cents âmes que comportait l'agglomération, se répartissait dans les bourgs de Grenonvillers, la Louvière, la Pierrefitte.

Au milieu de la Grand'Rue, dans la portion qui longe le parc, il y avait quelques maisons établies autour du vieux manoir, de la vieille église et de son vieux cimetière, c'étaient les deux hôtels de la Croix Blanche et du Cygne, et les maisons du sieur Laslier, marchand de bois, qui fut plus tard député à la Constituante et guillottiné par la suite. Plus loin, un petit pavillon carré, qui, encore actuellement conserve diverses boiseries et fresques aux armes de Toulouse-Penthièvre, se trouvait à l'entrée du Verger — le Pavillon du Verger —. Enfin l'ancien baillage, élevé par le comte de Toulouse, pour servir aussi à la justice. C'est actuellement l'Hôtel de la Sous-Préfecture.

Sur les pentes du côteau opposé, les habitants se groupaient autour de rues tortueuses, la rue aux Juifs (la rue de Paris), le carrefour Maillet, la rue du Hasard (sans changement), la rue Troussevache (rue Lachaux), la rue de la Come (rue de Penthièvre), la rue des remparts (rue Angivillers, la rue des Petits-Champs, et la rue de l'Ebat (la rue du Général Humbert).


54 L'HOTEL DU GOUVERNEMENT

Lorsque Louis XVI acheta le château à son cousin le duc de Penthièvre en 1 783, avec prise de possession en 1 784, il apporta aussitôt de nombreuses modifications au domaine et, dès les premiers mois de 1 784, les travaux commencèrent sous la direction du comte d'Angiviller, surintendant des bâtiments du Roi, assisté de Thévenin, architecte, et de Bourgeois, régisseur, qui signait les baux et devint plus tard directeur de la Ferme Expérimentale.

Une équipe de mille ouvriers s'empressa de construire et de transformer les abords du château, et ce furent ces constructions échelonnées tout le long de la Grand'Route royale de Paris à Chartres, qui contribuèrent à l'embellissement du village, à lui conférer l'aspect de petite ville qu'il a gardé depuis lors.

Ainsi furent élevés : la Grande Vénerie, aujourd'hui quartier de Cavalerie, pour loger cinq cents chevaux, officiers et piqueurs, tout le personnel et le matériel nécessaires aux voyages et aux chasses; l'inspection des Eaux et Forêts, où logeait le premier officier, François Brou, plus tard exécuté; les Grands Communs du duc de Penthièvre, aujourd'hui Ecole militaire préparatoire d'Infanterie, furent conservés et affectés au logement du personnel direct du château — et de la suite du Roi—. En 1787, Louis XVI construisit un nouveau baillage sur l'emplacement du potager du duc de Penthièvre, augmenté de quelques maisons du voisinage qu'il racheta; c'est encore l'actuel Hôtel de Ville de Rambouillet — tandis que l'ancien baillage était exclusivement réservé au service de la justice —. Tout à côté du nouveau baillage, au fond de la place du marché aux légumes, une prison : rez-de-chaussée allongé tout le long de l'allée du parc et dénommé encore pour cela : allée de la prison. Cette prison fut démolie en 1920.

Plus loin, dans la Grand'Rue, à la place du Verger, Louis XVI éleva l'Hôtel du Gouvernement pour loger son surintendant le comte d'Angiviller. Il créa un nouveau cimetière, en 1 786, sur l'emplacement actuel de la place Félix-Faure. Au-delà, le grand chenil, dans les maisons Léon Redon et Banque de France, avec un terrain vague de l'autre côté de la rue, entouré de murs pour l'ébat des chiens (la rue de l'Ebat). Enfin, on compléta ces installations diverses par la construction d'une maison pour le deuxième officier de Forêt, de Corteuil, également guillottiné en 94, à la Pierrefitte, boulevard Voirin, maison Belgrand et à l'hôpital, d'une aile donnant sur la rue du Hasard, pour loger l'aumônier l'abbé Nicolas Rabourdin,


RALAIS DU ROI DE ROME A RAMBOUILLET 55

Ainsi tous les espaces libres du parc, en bordure du village, furent occupés par des immeubles qui contribuèrent à fermer le domaine. Les autres parties furent closes par des grilles ouvragées, par des fossés ou par des murs, soit en ville, rue de la Motte actuellement, soit autour du parc, du petit parc d'abord, du grand parc ensuite, qui mesure sept kilomètres de tour, avec une réserve de gibier, comprise entre la grille aux lapins, la porte de Saint-Léger et la porte de Coupe-Gorge. Dans le petit parc, au sommet de la colline, on construisit la ferme modèle du château.

Des aménagements en forêt complétèrent ces travaux de la ville, Louis XVI dessina lui-même la carte de son domaine, conservée dans la salle du Conseil à l'Hôtel de Ville. Il traça dans la forêt une série de routes forestières, en forme de damiers, de carrefours, étendus dans tous les massifs, de Montfort-l'Amaury à Claire-Fontaine, pour la commodité de ses chasses.

Plus tard même, il s'aperçut que la Reine était peu engagée à venir au château, qu'elle dénommait : une crapaudière. Pour lui rendre le séjour plus agréable, pendant qu'il allait chasser, le Roi lui fit construire le Pavillon de la Laiterie, à côté de l'ancienne ménagerie du duc de Penthièvre, sur la route de Guéville.

Le projet de reconstruction du château fut même complètement étudié. Les plans en sont gardés dans les archives de l'architecte du château. Le vieux château féodal devait être complètement démoli, et en son lieu aurait dû être élevé un bâtiment comportant deux façades régulières, de treize fenêtres chacune, limitées par trois tourettes, comme dans le château qui subsiste. Sur un soubassement incliné et robuste, s'étageaient deux rangées de fenêtres coiffées de frontons triangulaires, le toit eut été plat, entouré d'une balustrade en colonnes de stuc. Construction sobre et élégante, qui se serait harmonieusement assemblée avec les communs du duc de Penthièvre,

Mais la situation financière du royaume était tellement déplorable, que Louis XVI renonça à donner suite à ce projet.


56 L'HOTEL DU GOUVERNEMENT

L'HÔTEL DU GOUVERNEMENT.

Au sommet de la courbe que décrit la rue Royale entre l'ancien baillage et le château, le comte d'Angiviller plaça l'Hôtel du Gouvernement du Domaine. L'hôtel est d'allure simple et rappelle le style de l'ancien baillage. Il se compose de cinq bâtiments assemblés, un, central et quatre en ailes, disposés en U, séparés par une cour de dix toises de largeur (19 m. 50), fermée par une grille, placée sur un petit mur bahut, en retrait de deux mètres cinquante centimètres par rapport aux autres maisons de la rue Royale et pour donner plus d'aisance à l'entrée, car l'espace est exigu, bien qu'il n'y eut pas de trottoirs à cette époque. Mais la rue de la République actuelle, qui monte à la nouvelle église, construite en 1870, n'a été percée que sous le Second Empire. A droite de l'hôtel, dans la rue Royale, un autre bâtiment, sur rez-de-chaussée seulement, avec chambres mansardées au-dessus, était destiné au jardinier, fontainier, bassecourier.

Au midi. — La façade donnait sur le parc royal et ouvrait par neuf fenêtres; sept en avant corps sans mansardes et deux latéralement sous toit mansard.

Au nord. — Le principal corps de bâtiment se composait d'un rez-de-chaussée à quatre fenêtres et d'une porte vitrée avec un perron, surmonté d'un premier étage à cinq fenêtres un d'un deuxième lambrissé dans le toit mansard.

Les murs sont en moellons du pays, enduits de plâtre des deux côtés, décorés extérieurement par une assise en grès et pierre de taille, au-dessus d'elle, tables et refendus. Bossages, frontons et consoles, couronnent les croisées. Plinthe, entablement orné d'un modillon dans le haut; tout ce décor en plâtre. Balustre en pierre de Conflans, tablette en pierre de liais faisant appui.

Les ailes latérales, élevées d'un rez-de-chaussée et d'un entresol, de même construction, ornées de tables et refendus ont six fenêtres par étage; croisées à douze petits carreaux, closes de volets de bois à lames mobiles sur crémaillères, avec, au-dessous d'elles, une série de fausses persiennes fixes, continuellement fermées.

A l'intérieur. Au principal corps de bâtiment, on entrait par une porte vitrée dans un vestibule formant cage d'escalier, avec rampe


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en fer, venant de fonds (cave), desservant les deux étages, carrelé de carreaux de pierre de liais et marbre noir. II était éclairé par la porte vitrée.

A gauche en entrant, on. passait, au levant dans l'antichambre, grande pièce avec cheminée garnie d'une flaque de fonte, surmontée de trumeaux et de glaces, carrelée comme précédemment, éclairée par deux fenêtres sur la cour.

A côté, salle à manger, carrelée de même manière avec un poële en «fayance», construit dans une niche : cette pièce était éclairée de deux fenêtres sur le jardin. Un cabinet carrelé en terre cuite, à la suite, puis une salle de Buffet, en retour. Corps de buffet en chêne et acajou. Une cuvette en marbre blanc sur consoles cannelées, fontaine sur supports en fer. Cette salle était éclairée de deux fenêtres sur cour.

Un corridor conduisait de la salle à manger à l'escalier de service montant aux étages. A droite du vestibule, une salle de billard, éclairée de deux fenêtres sur le jardin.

Au « sallon » avec cheminée garnie d'une plaque de fonte, chambranles en marbre griote d'Italie, parquet en bois de chêne, rosaces aux angles, porte de sortie sur le jardin.

En retour, deux cabinets avec chambre à coucher rejoignant l'escalier dérobé montant aux étages.

Au premier étage, deux appartements de maître : 1° Celui de gauche, au levant, composé d'une anti-chambre avec cheminée, éclairée de deux fenêtres sur la cour, une chambre, avec cheminée, éclairée de deux fenêtres sur le jardin; une autre chambre et un cabinet éclairés d'une fenêtre au midi, une autre chambre, en aile, et une garde-robe, rejoignant l'escalier de service.

2° L'appartement de droite comprenait une anti-chambre, avec cheminée, deux fenêtres sur cour, une chambre au midi avec deux fenêtres sur le jardin, une chambre de femme de chambre rejoignant le petit escalier de service, en retour, lieux à l'anglaise et cabinet de bains.

Au deuxième étage : trois appartements de maître : Le n° 3 à l'ouest, chambre à coucher avec cheminée et alcôve et trois garde-robes, éclairée de deux fenêtres sur le jardin, une pièce avec le fourneau de la chaudière des bains.

Le n° 4 comprenait une chambre, trois cabinets et une garde-robe. Le n° 5 une chambre et cabinet carrelé.


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De l'autre côté, au levant, trois chambres de domestiques sans feu, rejoignant l'escalier de service et un cabinet d'aisance.

Au milieu, à droite et à gauche du grand escalier, au nord, deux chambres de chaque côté.

Les ailes. — L'aile gauche ou pavillon des cuisines, au levant comporte au rez de chaussée, cuisine avec hôte, paillasse, fourneaux, garde manger, lavoir office et corridor. Au premier étage, trois chambres à coucher avec feu et une garde-robe.

L'aile droite, au couchant, au pavillon du concierge, comporte, au rez de chaussée, cuisine avec hote, salle à.manger avec cheminée garnie d'une plaque de fonte, un corps d'armoire, deux cabinets carrelés à la suite et une chambre à coucher avec alcove et garde-robe. Enfin la loge du portier, éclairée d'une fenêtre grillée sur la rue.

Par un escalier dérobé on accède au premier étage où l'on trouve une chambre dépendant du logement du portier, avec deux croisées sur la cour et une sur la rue.

Antichambre, cabinet carrelé, éclairés d'une fenêtre sur la cour. Enfin une chambre servant de chapelle avec cheminée garnie d'une plaque de fonte, une grande niche sur plan ovale fermant par deux portes à coulisses, dans laquelle était un autel avec tombeaux et marchepied. Le tour, en chêne de Hollande, l'extérieur en bois de rose, l'intérieur en marbre blanc veiné, l'autel en marbre vert. La pièce est éclairée de deux fenêtres sur la cour.

Une autre chambre à coucher avec cheminée, une garde-robe derrière la chapelle, communiquait avec les deux chambres.

La grande cour de l'immeuble est pavée de grès et mesure quatre-vingt-six pieds de longueur sur cinquante-trois pieds de largeur.

La grille en fer était composée d'une traverse en haut, sommier en bas, grande porte à deux ventaux de cinquante-trois pieds de longueur.

L'ensemble des constructions représente une surface de deux cent une toises carrées.

Les jardins. — Au midi, une terrasse et un parterre de pelouses sont séparés du verger du château par une grille en fer. Traverse en haut, sommier en bas, mesurant deux cent quatre-vingt-un pieds de pourtour sur quatre pieds cinq pouces de hauteur.

Les dépendances. — Outre la maison du jardinier, sur la rue Royale, on trouvait un bâtiment destiné aux officiers, avec une aile en retour, au midi, comprenant six remises, une laiterie, bûcher.


HÔTEL DU GOUVERNEMENT. — Plan d'ensemble en l'an IV.


LE COMTE D'ANGIVILLER.

(Arch. photogr. d'Art et d'Histoire, 1, rue de Valois.)


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Plus loin, le pavillon du verger, qui existait déjà au temps du duc de Penthièvre, avec une serre chaude vitrée.

Ce pavillon est décoré, encore actuellement, d'une cheminée garnie d'une plaque de fonte, chambranle de marbre, médaillons en plâtre au-dessus, ornés de guirlandes de fleurs et représentant par des enfants les quatre saisons, la chasse, la pêche, la marine, le traité de paix. Six panneaux et six pilastres ornés de sculptures, porte d'entrée vitrée et deux croisées.

Au-dessus de la cheminée, on voit les armes de Toulouse-Penthièvre, avec l'ancre de la marine et les attributs de grand amiral.

Toute cette description de l'Hôtel du Gouvernement provient de l'Inventaire, dressé en l'an IV (1796) au moment de la mise en adjudication des biens provenant de la liste civile du Roi et déposé aux Archives de Seine-et-Oise, ainsi qu'un petit plan représentant les bâtiments et les jardins.

L'aspect gracieux de l'ensemble et sa faible élévation contribuent à donner l'impression d'une résidence intime et calme comme un boudoir. Les toits en sont bas, recouverts d'ardoises, sur lesquels s'inclinent de chaque côté de grands arbres, situés en bordure du verger. Il semble que l'aimable Nature se soit penchée sur cette demeure charmante pour la soustraire au souffle trop violent des tempêtes.

Sub tegmine fagi.

Et cependant, il n'y avait peut-être pas là, comme à la ferme du château, gravés au frontispice du porche d'entrée, quelques vers de Virgile.

Pan primus calamos cera conjugere plures Instituit. Pan curat oves, oviumque magistros

Mais l'atmosphère du lieu est toute imprégnée de la poésie des Bucoliques, elle reflète les goûts du jour pour les travaux champêtres.

Les élégantes de la cour aimaient, comme au hameau de MarieAntoinette à Trianon, ou à la Laiterie de la Reine à Rambouillet même, paraître entourées de moutons enrubannés, dans des villages en réduction, harmonieusement décorés.

L'agriculture, la vie aux champs, a toujours bénéficié de la ~oIlicitude des Rois. Une fresque récente (1904), à la salle des fêtes de Neuilly-sur-Seine, représente Louis XVI, en costume de soie


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violette, visitant avec la Reine la culture, par Parmentier, de cinquante, arpents de pommes de terre à Neuilly, dans la plaine des Sablons.

A la fin du XVIIIe siècle, la société, héritière du passé glorieux, ne pouvait, par habitude, se séparer du faste théâtral, qui mettait en valeur la puissance royale à la cour de Louis XIV; mais avec sagesse elle exerçait sa protection tutélaire sur l'agriculture, nourricière de tous les biens, en y ajoutant une note artistique.

Au demeurant, la maison du Gouverneur ne se distingue guère, en apparence et en proportions des autres gentilhommières campagnardes, comme on a coutume d'en rencontrer en bien d'autres petites localités de province, du centre ou de l'ouest.

Placé au centre du village de Rambouillet, l'hôtel du Gouvernement constituait à vrai dire « la maison du seigneur » de l'endroit. Cette demeure était cependant destinée à un grand personnage, le surintendant des bâtiments du roi.

Nous sommes bien loin des conceptions grandioses qui présidèrent à la construction du château de Vaux pour Fouquet. Il est de fait que ce n'était pas Louis XIV qui avait donné l'ordre de la construire. L'Hôtel du Gouvernement était estimé valoir, en l'an IV, une location de cinq mille quatre cents livres et un capital de cent huit mille livres. Il fut acheté par Paulhian, député de Saint-Domingue le 6 fructidor de l'an V pour la somme de quatre cent-quatre-vingt-sept mille livres, somme d'ailleurs qu'il ne put pas payer.

Il existe en outre, au Cabinet des Estampes à la Bibliothèque Nationale une aquarelle ou un dessin colorié, qui représente l'état du château de Rambouillet en 1791. Le dessinateur s'est placé dans l'île du potager : à gauche de son épreuve, à l'extrême pointe de l'île un homme et une femme tirant une charrette remplie de fourrages; à droite, le long des canaux, enfoui dans la verdure des grands arbres, on distingue la façade de l'Hôtel du Gouvernement, réduit à des proportions minuscules, mais suffisantes néanmoins, pour constater leur peu d'importance, comparativement au reste du domaine.

Cette simple et élégante demeure était habitée par un homme d'une haute distinction, esprit cultivé, expert en arts et en lettres, au jugement droit et sûr. Courtisan cependant, mais inspiré, comme il l'a écrit lui-même « des principes de probité et d'honneur dont il a fait toute sa vie profession publique » et qui mérita l'amitié de Turgot et la confiance de Louis XVI.


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CHARLES-CLAUDE FLAHAUT DE LA BILLARDERIE, COMTE D'ANGIVILLER.

Charles-Claude de la Billarderie naquit au petit château seigneurial de Saint-Rémy en Liau, au diocèse de Beauvais, en la généralité de Soissons, le 24 janvier 1 730, ainsi qu'en fait mention le bulletin de la Société de l'Art français. Sa mère était Odile-Thérèse de Coeur. Son père, Charles-César de la Billarderie, capitaine des Gardes, mourut à la bataille de Fontenoy, laissant quatre fils, deux exempts dans les gardes, un clerc tonsuré et un jeune homme de quinze ans, Charles-Claude, qui étudiait la philosophie avec son frère l'abbé. Louis XV le nomma page aux écuries.

Quelques années plus tard, fréquentant à la cour, Flahaut entrevit et remarqua une des dames du théâtre de Madame de Pompadour, madame Binet de Marchais, avec laquelle il se lia d'amitié; on la surnommait Pomone, la déesse des fruits. Est-ce à ce titre que plus tard l'emplacement de l'Hôtel du Gouvernement fut choisi dans le verger du château?

Dès 1754, Flahaut reçut la croix de Saint-Louis et fut nommé comte d'Angiviller; en 1759, il passa « maître de camp de cavallerie », exerça ses fonctions sans quitter la cour et en 1 760 il est gentilhomme des enfants de France, plus spécialement chargé du jeune prince qui devint Louis XVI avec douze mille livres de pension. Quand celui-ci devint roi, d'Angiviller fut nommé Directeur général des Bâtiments avec un traitement de cinquante-quatre mille livres.

En 1 780, meurt Binet, qui avait été valet de chambre de Louis XV et madame Binet devint avec le consentement du roi, la comtesse d'Angiviller, elle avait cinquante-cinq ans et son mari cinquante.

Le récit de la vie d'Angiviller jusqu'en 1 780 est donné par Lenôtre dans son livre sur le château de Rambouillet, ainsi qu'un portrait éblouissant de madame d'Angiviller. Nous ne pouvons mieux faire que d'y renvoyer le lecteur. A partir de cette date, le roman d'Angiviller a retrouvé dans Fromageot (1) un traducteur plein de fidélité.

(1) Revue des Etudes Historiques, 1907, p. 262.


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Nous possédons de lui, deux miniatures sur émail de Weyler en 1778, une grande peinture à l'huile par Duplessis, exposée au salon de 1 779 et qui doit se trouver à la réserve du Musée de Versailles, un portrait peint par Greuze au Musée de Metz (1).

Une correspondance avec le peintre Pierre, publiée en partie par Furcy Reynaud (2) ; une autobiographie publiée ainsi que des lettres de 1802 à 1809 par M. Louis Bobé, de Copenhague, dans les archives de la famille de Rewentlow (3).

Quand, en 1 783, Louis XVI acheta le domaine de Rambouillet, le comte d'Angiviller possédait déjà quatre autres résidences : un hôtel à Paris, rue de l'Oratoire où Madame d'Angiviller, cette fée enchanteresse, comme disait Mme Necker, tenait bureau d'esprit avec Diderot, d'Alembert, Laharpe, Duclos, Bernardin-de-Saint-Pierre et Marmontel, qui d'ailleurs nous a laissé deux jolis portraits du comte et de la comtesse d'Angiviller (4) ; à Versailles l'Hôtel de la Surintendance, situé à l'angle de la rue de l'Orangerie et de la rue Gambetta, et une résidence d'été, au 17 de la rue EdouardCharton (Fernand Boullé), enfin le château de Marchais.

Louis XVI acheta le domaine de Rambouillet pour son compte personnel et logea Angiviller dans l'Hôtel du Gouvernement.

Celui-ci émigra en juin 1791, et gagna la Russie, puis s'établit en Allemagne, à Kiel, et enfin à Hambourg où il mourut le 11 décembre 1809, au couvent d'Altona. Sa femme, d'abord retirée à l'Hôtel du Gouvernement de Rambouillet, fut conduite à Versailles, par ordre du Conseil Général du Département, le 24 juin 1791.

Elle trouva un asile provisoire, et assez précaire, à l'Hôtel de la Surintendance (rue Gambetta), mais s'arrangea pour y rester, tant et si bien qu'elle y mourut le 14 mars 1808, après avoir vainement engagé son mari à rentrer en France.

Resté sans emploi, l'Hôtel du Gouvernement de Rambouillet servit de prison, le 10 novembre 1 793, à cent quatre-vingt-huit détenus venant de Vendée, pour la plupart des prêtres, dépourvus de ressources.

En l'an IV, il fut mis en adjudication avec les autres biens de la liste civile. Le rapporteur déclara que l'Hôtel du Gouverne(1)

Gouverne(1) BOULÉ. Revue d'Histoire de Versailles, 1926, p. 31.

(2) Nouvelles Archives de l'Art français, 3° série, 1905.

(3) Efterladte papirer fra den Reventlowske familickreds.

(4) MARMONTEL, Mémoires, tome 2, livre V, p. 22.


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ment ne pouvait faire qu'un lot, mais que le verger pouvait en faire vingt-quatre. L'inventaire qu'il en a dressé a servi à la description que nous en avons donnée.

L'adjudicataire Paulhian n'ayant pu en acquitter le prix, fut débouté de ses droits par l'arrêté du 15 prairial de l'an XIII et c'est ainsi que l'Hôtel du Gouvernement retomba dans le domaine de l'Etat, jusqu'au jour où Napoléon se l'appropria.

Sous L'EMPIRE.

Napoléon et Marie-Louise firent en 1811, deux séjours à Rambouillet; le 16 mai ils y reçurent la visite de leur frère, le roi d'Espagne, qui vint les féliciter de la naissance du Roi de Rome, survenue le 20 mars précédent, et y revinrent du 6 au 12 août. La joie de l'Empereur était à son comble et cette naissance, si ardemment désirée, reçut immédiatement la consécration dans la construction d'un palais pour le nouveau-né.

Famin, architecte de l'Empereur, fut aussitôt appelé et la transformation de l'Hôtel du Gouvernement de Rambouillet fut décidée. Famin se mit à l'oeuvre et les plans que nous possédons du nouveau château portent la date de 1812.

Vingt ans ont passé et déjà la modeste demeure du surintendant de Louis XVI tombe en délabrement sous les coups des changements de régimes et de la furie des foules. Napoléon ordonne de la relever.

On conservera ce qu'il y a de meilleur, on démolira le reste et à la place, on élèvera un temple grec à la gloire de l'Empire.

Dès 1812, Napoléon fit entreprendre la plantation du parc de Rambouillet. Dix mille plants de chênes et d'arbres d'autres essences furent répartis dans les îles des canaux, qui jusqu'alors étaient restées à l'état de prairies. On construisit un mur tout le long des maisons en bordure de la rue impériale et on sépara ainsi le palais du roi de Rome du reste du Parc, sauf quelques ouvertures. Cette construction fut complétée par la plantation d'une rangée de tilleuls, dans l'allée de la prison, qui désormais en masquera la vue du côté du parc. L'état de ces plantations est détaillé dans les archives des Eaux et Forêts et elles sont relatées dans l'éditorial du 8 mars 1813 du Journal de l'Empire et signé M. B.


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Si le plan en élévation du palais lui-même, conçu par Famin n'est pas connu, du moins, nous sommes en possession du plan par terre du rez de chaussée du bâtiment principal, des ailes et des dépendances, ainsi que de l'inventaire donné par Hébert en 1834, au moment de la deuxième mise en vente de l'immeuble. L'original est déposé aux Archives départementales de Seine-et-Oise et le double annexé à nos titres de propriété.

« L'Hôtel, composé d'un superbe bâtiment d'habitation, de deux accessoires, de cours, de jardins, le tout entouré de murs, tenant au Nord, tant à la route de Paris à Chartres qu'à divers, au Sud, au parterre du château, à l'Est et à l'Ouest à plusieurs, est d'une superficie d'un hectare cinquante ares, cinquante-cinq centiares. »

L'inventaire joint à l'acte de vente donne tous les renseignements nécessaires tant sur l'extérieur de l'immeuble et à l'intérieur, sur le rez-de-ehaussée, composé de vingt-quatre pièces, que sur celui des bâtiments de droite et de gauche, formé de dix-huit pièces, sur l'entresol renfermant vingt-trois pièces et servant comme une partie du rez-de-chaussée au logement des employés du château. Et pareillement sur le deuxième étage comprenant trente-sept pièces, avec le troisième, celui des greniers, où il y avait encore quinze pièces. A cela s'ajoutaient les caves. Il y avait en outre au rez-de-chaussée central un superbe vestibule.

« Ce palais, dit l'inventaire, fut édifié par Napoléon pour devenir la résidence de son fils. Il porte dans son ordonnance le cachet de la grandeur; construit entre le mur, cour et jardin, ce bâtiment est remarquable par sa façade d'ordre dorique grec; du côté du jardin elle se développe avec somptuosité; un large perron en pierre facilite la descente sur la terrasse, s'adoucissant en pente autour d'une grande pelouse, ayant une forme elliptique. A droite et à gauche, deux autres terrasses soutenues par des murs d'appui, où il a été érigé deux petits escaliers, aux pieds desquels se trouvent une pelouse circulaire et un parterre. »

« Le principal corps de bâtiment, faisant, de chaque côté, retour d'équerre, est élevé d'un rez-de-chaussée sur berceaux de caves, de deux étages carrés et d'un troisième lambrissé, de greniers sous combles, à deux égouts couverts en ardoises. »

En avant du principal corps de bâtiment, se prolongeant jusqu'à la rue, se trouvent deux petites ailes, ayant seulement un rez-dechaussée et un entresol, destiné aux domestiques, aux cuisines, aux


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communs, enfin toutes les dépendances nécessaires au service d'une grande maison. »

L'inventaire mentionne également l'existence de deux caloriféres et d'une pompe à manège dans l'une des caves. Il spécifie que la cour était séparée de la rue par un petit mur bahut, au milieu duquel est placée une très belle grille ouvrant à deux vantaux, ayant tous ses accessoires. A droite et à gauche, sur les murs d'appui, existent deux panneaux de grille en fer, consolidés par huit arcsboutants en fer, surmontés d'un médaillon orné d'une couronne de chêne; tous les barreaux intermédiaires, au nombre de soixante-dixhuit, sont décorés de lames dorées.

Il y avait, en outre, quatorze grosses bornes en grès, à tête de diamant, défendant les abords de la cour dont deux à l'entrée avec pilastres en fer, pour recevoir des lanternes.

A l'extrémité de la cour et pour faciliter l'entrée dans le superbe vestibule du rez-de-chaussée, se trouvait un perron composé de seize marches, aujourd'hui disparu et qui était également précédé de deux bornes rondes surmontées de pilastres porte-lanternes.

En haut de ce perron, il y avait encore « deux colonnes d'ordre dorique, en marbre du Languedoc, ayant chacune trois mètres quarante-deux centimètres d'élévation sur un mètre cinquante huit centimètres de circonférence avec bases de chapiteaux en marbre blanc et veiné, elles supportent un entablement avec pilastres en pierre, répétant les colonnes qui décorent la baie d'entrée du vestibule dont la hauteur est de trois mètres quatre-vingts centimètres. » Cette baie cintrée était décorée d'ornements sculptés et terminée par une porte de chêne à deux vanteaux.

Tel était l'extérieur, qui, d'après l'inventaire « ne présentait qu'une décoration très simple ». En revanche, l'on n'a rien épargné à l'intérieur pour le rendre le plus riche et le plus commode possible, surtout au rez-de-chaussée qui est composé de quarante-deux pièces, y compris les communs, et au premier étage, où se trouve le grand vestibule ou péristyle, précédant l'escalier d'honneur et donnant entrée aux appartements des dits étages, vestibule, salons, salle de billard, salle de bains, petite et grande bibliothèques, salles à manger, de musique, chambre à coucher, etc.

Le grand vestibule, aujourd'hui disparu, mérite une description spéciale.

« Quatre colonnes en pierre d'ordre dorique, ayant d'élévation

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trois mètres soixante centimètres, sur un mètre cinquante-deux centimètres de circonférence, soutenaient une magnifique galerie, donnant entrée aux appartements du premier étage; au-dessous des dites colonnes et s'y rattachant existe un entablement orné de sculptures, placé de manière que l'on puisse jouir d'un seul coup d'oeil de tout le luxe qu'on a prodigué dans les ornements du vestibule du premier étage. Une balustrade d'ordre dorique, en pierre de liais défend le « vuide » ménagé pour donner plus de grandiose au vestibule et à la galerie, qui est aussi ornée de quatre colonnes, servant de support au plancher haut du deuxième étage, qui a d'élévation trois mètres quarante-neuf centimètres et de huit pilastres répétant sur chaque face les colonnes, dont les chapiteaux sont sculptés en oves et feuilles d'écu; mais ce qui ajoute à le décorer, ce sont huit petites niches et deux baies de portes et croisées ornées de chambranles, toutes fermées de portes et de croisées en belle menuiserie, dont cinq sont ces panneaux de glace étamée qui se répétant l'une par l'autre produisent le plus bel effet.

Les sculptures, les dorures, la serrurerie des portes, la richesse des marbres, la beauté des glaces, les diverses tentures et peintures tout concourt à rendre cet hôtel digne de l'habitation d'un prince.

La façade au midi, sur les jardins, comportait au rez-de-chaussée neuf baies cintrées dont les trois du milieu répondaient à la salle de billard et ouvraient sur la terrasse. Au-dessus d'elles, un balcon était entouré par une balustrade de colonnes doriques et soutenu par quinze fortes consoles. Sur ce balcon ouvraient trois porte-fenêtres donnant sur l'antichambre.

Dans cette description, tous les détails d'architecture font défaut Mais tous les éléments de la décoration intérieure subsistent encore, en majeure partie, tout au moins, soit sur la façade extérieure et latérale des pavillons actuels, soit à l'intérieur même de ces deux pavillons. L'entrée et la salle à manger du pavillon de gauche ont conservé leur décoration primitive. Le pavillon de droite a reçu dernièrement quelques modifications de distribution et une décoration intérieure faite avec une recherche et un souci de la reproduction authentique, qui en ont fait une restauration complète.

Avant de clore cet exposé du palais du Roi de Rome, la distribution primitive du rez-de-chaussée du pavillon de droite, pavillon du gardien, mérite cependant une mention particulière.


JARDIN

RUE ROYALE


PALAIS DU ROI DE ROME. — Vue en 1905.


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La chambre du Prince, située au rez-de-chaussée du pavillon de droite, n'était pas d'un accès facile. II semble bien que Famin ait pris certaines dispositions de sécurité. L'expérience de 1791 n'était pas bien éloignée, les souvenirs d'émeutes, présents à tous les esprits, imposaient une étude pour la protection du prince et la facilité de la cachette ou de la fuite.

On accédait à la chambre du Roi de Rome par une petite porte, située à gauche du grand escalier de droite, placé dans l'embrasure cintrée et conduisant au premier étage. Cette petite porte donnait accès à un cabinet, séparé de la cage de l'escalier par une cloison et qui n'était éclairé que par quelques vitres dans la partie supérieure, puis au couloir intermédiaire entre la petite bibliothèque et la chambre à coucher. Celle-ci comportait un cabinet de toilette et une salle de bains, alimentée en eau chaude par un appareil de chauffage situé au premier étage, dans la pièce sus-jacente. Par un étroit corridor, on allait à l'office où se tenaient les domestiques, pour de là gagner l'escalier de service, qui desservait tous les étages et le bâtiment du portier.

Le portier habitait à l'entresol de l'aile droite. Toutes les pièces étaient des chambrés à coucher ou des cabinets de toilette, la dernière sur la rue était desservie par un petit escalier intérieur, qui descendait au rez-de-chaussée, dans la loge. Cet entresol ne comportait ni cuisine, ni salle à manger. Celles-ci se trouvaient au rez-de-chaussée, en entrant par l'escalier de service, puis plus loin divers cabinets et une autre chambre encore. Celle-ci était contiguë avec la loge du portier, mais ne présentait pas de communication avec elle, ni avec l'extérieur.

L'accès de la chambre du Roi avait été dissimulé, et il y avait là un petit appartement de fuite ou de cachette ménagé, au milieu de l'habitation du portier. Alors que des assaillants, en pénétrant dans le grand vestibule eussent été tentés, s'ils ne connaissaient pas bien les lieux, de s'engager dans les grands escaliers, largement ouverts et conduisant au premier étage.

Tout avait donc été étudié et disposé pour recevoir un grand personnage et cependant nul prince n'habita jamais ce palais. Waterloo arriva avant qu'il fut complètement achevé. Le Roi de Rome, âgé de quatre ans, le vit cependant- dit-on, et au cours de sa visite, il aurait déclaré, paraît-il, que c'était un vilain château. Il faut croire qu'il l'avait entendu dire à sa mère.


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A partir de 1814, le roi de Rome prit le nom de duc de Reichstadt et vécut en l'absence de sa mère au château de Schoenbrün. Marie-Louise, en effet, était partie au duché de Parme, chercher une autre situation.

L'Aiglon mourut à l'âge de vingt-et-un ans, en 1832, ayant au coeur l'amour de la France et le culte du souvenir de son père.

L'Hôtel du Roi de Rome n'a donc jamais été habité par lui, et contrairement à l'Hôtel du Gouvernement, il ne rappelle aucun fait d'histoire, en dehors de la naissance du Roi de Rome.

La chute de l'Empire marque le déclin des splendeurs de l'Hôtel du Gouvernement. Encore quelques années d'attente et il tombera bientôt dans le domaine privé.

Sous LA MONARCHIE.

Sous le Gouvernement de la Restauration, l'Hôtel du Gouvernement revint à sa destination première, l'habitation du Gouverneur du domaine royal. Mais ce monument était devenu beaucoup trop important depuis 1812 et force fut bien à la Monarchie de Juillet, qui ne fréquenta pas Rambouillet, de le mettre en adjudication avec les autres biens inutilisables, provenant de la liste civile.

Compris sous l'article 6, la vente eut lieu le 21 novembre 1834, par devant le délégué du Préfet de Seine-et-Oise, en présence des Directeurs de l'Enregistrement et des Domaines. Le premier feu fut allumé sur la mise à prix de soixante-dix mille cent francs, somme portée à soixante-dix mille deux cents francs par enchère, valeur à laquelle fut adjugée la totalité de l'Hôtel et ses dépendances à Mayet, de Paris, lequel a déclaré comment et fait savoir qu'il avait agi pour le compte de Jean Brutus Rattier, négociant à Rambouillet. Ce n'était pas cher, même à cette époque. La construction en avait coûté huit cent mille francs.

L'acheteur avait à sa charge de faire fermer en maçonnerie les ouvertures pratiquées dans le mur de clôture du parc, en enlevant les grilles qui devaient rester sa propriété.

Rattier, premier conseiller municipal de Rambouillet, tant en son nom personnel, qu'au nom de ses associés, Pigeon, Lavonce et Poir-


PALAIS DU ROI DE ROME A RAMBOUILLET 69

rier, également conseiller municipal, proposa dans la séance du 11 février 1835, présidée par Delamotte, maire, de céder à la ville le palais du Roi de Rome, à son. prix de revient, soit pour la somme de soixante-treize mille francs, dans le but de réunir dans un même immeuble, la sous-préfecture et la mairie. Dans sa séance du 18 mai 1835, le conseil déclara que la ville ne disposait pas des moyens de l'acquérir. (Extrait de l'annuaire des délibérations du Conseil municipal de 1789 à 1851, rédigé et calligraphié par le même Rattier et conservé actuellement à l'Hôtel de Ville de Rambouillet.)

Alors le morcellement de l'Hôtel du Roi de Rome commença. Les associés firent démolir la portion centrale du bâtiment principal, sur la largeur de trois fenêtres et sur l'emplacement correspondant au vestibule, en réemployant les matériaux pour reconstituer les façades doriques latérales, avec les colonnes et la décoration du vestibule.

Ainsi furent constitués deux groupes d'immeubles à gauche et à droite de la place. Le groupe de droite revint à Poirrier et à Pigeon, le groupe de gauche resta à Rattier, ainsi que le jardin.

Au lieu de la terrasse, Rattier fit élever un sous-sol et un rez-dechaussée au-dessus, couvert d'un toit aplati, entouré d'une balustrade, sur laquelle il plaça le buste du Roi de Rome et ce bâtiment, qu'il appela le petit Roi de Rome lui servit d'habitation.

Les acquéreurs s'entendirent pour creuser un puits et installer une pompe au milieu de la place du Gouvernement. Cette pompé subsista jusqu'en 1912.

Par la suite, Rattier vendit son habitation personnelle à Masson, père de René Masson, tué à la mission Flatters, qui suréleva la maison d'un étage et d'un deuxième sous-toit mansard, rappelant quelque peu les dispositions ornementales de l'Hôtel primitif du Gouvernement. Cet immeuble qui conserve encore les deux tiers de la surface du jardin impérial passa ensuite sans subir de modifications à Sotteau et à ses héritiers, Mme Cauchoix et le docteur André-Nicolas Rabourdin.

Pour les parties latérales, le côté droit resta d'abord indivis entre Poirrier et Pigeon, puis le Pavillon du Roi de Rome fut vendu à M. Caël, puis à M. Lafourcade, qui entreprit des modifications considérables en vue d'une restauration complète. La partie en aile revient d'abord à Mlle Pigeon, puis à Marcy, à. Georges Rabourdin, au docteur André Rabourdin. En 1929, le docteur Rabour-


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din vendit à M. Lafourcade les communs du jardinier sis au 26 de la rue Nationale, en gardant pour lui l'aile droite de l'ancien hôtel d'Angiviller. Ratier vendit le côté gauche; à Doré, le pavillon gauche de l'Hôtel du Roi de Rome, à Fiault, le bâtiment des cuisines de l'Hôtel du Gouvernement. Après Doré, le pavillon gauche de l'Hôtel du Roi de Rome passa au baron Fredy de Coubertin, au docteur André Rabourdin, à Madame la comtesse d'Aymery en 1922.

Dans ce pavillon on remarque encore, à l'heure actuelle, la porte d'entrée de la salle à manger sur le vestibule et dans la salle à manger, de chaque côté de la porte du salon deux superbes consoles en marbre rose.

Enfin, le pavillon de gauche, cuisines, de Fiault passa à M. Emile Sédilot et à M. Hétté.

Les acquéreurs de 1834, Rattier, Pigeon, Poirier, enlevèrent également la grille d'honneur et les murs bahuts latéraux, mais laissèrent subsister les grosses bornes limitant la place du côté de la rue Royale.

En outre les acquéreurs des pavillons en ailes furent autorisés à construire et à prolonger leurs bâtiments respectifs sur une longueur de deux mètres cinquante, jusqu'à l'alignement de la rue Royale.

C'est en 1838 que furent exécutés ces travaux. Au rez-de-chaussée furent établies des boutiques pour maisons de commerce, mais l'aspect extérieur des bâtiments fut respecté avec la seule différence que la façade sur la rue Nationale comporte maintenant deux fenêtres au premier étage de chaque côté, au lieu d'une seule fenêtre, au temps de Louis XVI ou de l'Empire. A droite, un portail fut élevé pour la construction d'un escalier desservant le premier étage en remplacement du petit escalier intérieur de la loge du portier.

D'ailleurs, chaque titre de propriété de ces divers immeubles comporte qu'ils ne peuvent subir maintenant de modifications extérieures et que l'aspect de la place ne saurait désormais être altéré par des constructions ou des plantations nouvelles.

Docteur André-Nicolas RABOURDIN.

Le Directeur-gérant, EDMOND LERY.

RODEZ, imp. CARRÈRE (Maison fondée en 1624).