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Titre : Annales de la Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes

Auteur : Société des lettres, sciences et arts (Alpes-Maritimes). Auteur du texte

Éditeur : V.-E. Gauthier (Nice)

Date d'édition : 1901

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344310594

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344310594/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1901

Description : 1901 (T17).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Provence-Alpes-Côte d'Azur

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5684276q

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-268384

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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ANNALES

DE LA

SOCIÉTÉ

DES

LETTRES, SCIENCES & ARTS

des

ALPES-MARITIMES

DECLAREE

ÉTABLISSEMENT D'UTILITÉ PUBLIQUE

par décret du 25 août 1879

Tome XVII

NICE

IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE

MALVANO

Rue Carnier, 1

et chez tous les libraires

PARIS

H. CHAMPION

LIBRAIRE-ÉDITEUR

CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ 15, Quai Voltaire

1901





SOCIETE

DES

LETTRES, SCIENCES ET ARTS

DES ALPES-MARITIMES



ANNALES

DE LA

SOCIÉTÉ

DES

LETTRES, SCIENCES & ARTS

des

ALPES-MARITIMES

DECLAREE

ÉTABLISSEMENT D'UTILITÉ PUBLIQUE

par décret du 25 août 1879

Tome XVII

NICE

IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE

MALVANO

Rue Garnier, 1

et chez tous les libraires

PARIS

H. CHAMPION LIBRAIRE-ÉDITEUR

CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ 15, Quai Voltaire

1901


AVIS TRES IMPORTANT

La Société dos Lettres, Sciences et Arts des Alpes-Maritimes laisse aux auteurs des mémoires qu'elle publie toute la responsabilité des opinions qui y sont émises.

Tous droits réservés


MONOGRAPHIE

DE

L'ANCIENNE COLLÉGIALE

DE SAINT-PAUL-DU-VAR

PAR

M. GEORGES DOUBLET



MONOGRAPHIE

DE

L'ANCIENNE COLLÉGIALE

DE SAINT-PAUL-DU-VAR

Après avoir essayé de fournir une monographie de l'ancienne cathédrale de Vence 1, nous voudrions chercher à en faire autant pour l'église, quelque temps collégiale, de Saint-Paul-du-Var 2. Elle a été aussi l'objet de divers travaux 3. Je répéterai ici ce que j'ai dit dans ma précédente étude : on peut s'y reporter, parfois avec précaution, mais il convient surtout de les compléter, les préciser ou môme les corriger en particulier à l'aide des documents, inédits pour la plupart, que possèdent les Archives départementales des Alpes-Maritimes 4. M. Henri Moris, le savant archiviste de ce dépôt, a bien voulu nous autoriser à les étudier. De son côté, M. l'abbé A. Giraud, curé de SaintPaul, a daigné nous fournir quelques indications précieuses,

1. Ann. de la Soc. des Lett., Scienc. et Arts des Alp. Marit., t. XVI, 1899, p. 161 à 205.

2. Aujourd'hui église paroissiale, placée, comme autrefois, sous le vocable de saint Paul et saint Georges.

3. Edouard Blanc a donné une notice sur Saint-Paul dans les Mém. de la Soc. des Scienc. natur. et histor.. Lett. et Beaux-Arts de Cannes et de Grasse, 1876. Consulter aussi les ouvrages de l'abbé Tisserand, Un touriste à Vence, Saint-Cloud, Belin, 1855, Vence (en sous-titre, et ancienne viguerie de Saint-Paul), Paris, Belin, 1860, Nice et AlpesMaritimes, Nice, Visconti et Delbecchi, 1862, 2 vol., Etud. historiq. sur quelq. personn. célèb. du Midi sous Charles VIII, Louis XII et François Ier, Cannes, Maccary 1869 (extrait des Mém. de la Soc. des Scienc. natur. et histor., etc..,.), Godeau, Paris, Didier, 1870. Mais j'ai déjà indiqué avec quelle réserve il faut user des ouvrages de Tisserand où il n'y a ni méthode, ni critique, ni correction typographique trop souvent.

4. Fonds de l'ancien évêché de Vence, de l'ancien chapitre cathédral de Vence, de l'ancienne collégiale de Saint-Paul.


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notamment les papiers de la paroisse : grâce à lui, j'ai eu toute facilité pour examiner les richesses d'art que la fabrique de son église, plus heureuse que celle de Vence, possède encore et qu'il conserve avec autant de goût que de prudence dans la maison curiale 1. Je lui dois aussi des notes importantes 2.

Quel est le plus ancien inventaire de l'église? Remontet-on aussi haut que pour la cathédrale de Vence, au début du XVIme siècle? Je ne sais. Il y a jusqu'à sept visites de Pierre du Vair 3. Nous avons aussi des renseignements plus ou moins utiles pour les épiscopats d'Antoine Godeau 4, Théodore Allart 5, Jean-Balthasar de Cabannès de Viens 6, François de Balbis des Bertons de Crillon 7, Flodoard Moret de Bourchenu 8, Jean-Baptiste de Surian 9, GabrielFrançois Moreau 10, Jean de Cairol de Madaillan 11, AntoineRené de Bardonnenche 12. Toutes ces visites n'ont pas une même importance. Si tel procès-verbal est fort détaillé 13,

1. « Pour éviter un vol dont les conséquences seraient graves, je me propose d'établir bientôt un coffre-fort dans l'église pour les objets précieux de la paroisse. » (Note de M. l'abbé Giraud qui a eu l'amabilité de revoir le manuscrit de ma notice et de le compléter sur plusieurs points).

2. Outre les notes dues à l'obligeance de M. Henri Layet, ancien notaire à la Colle, M. l'abbé Giraud a daigné me communiquer un manuscrit sur Saint-Paul et sa viguerie, appartenant à M. Patarrin, maire de Saint-Paul-du-Var et composé par M. Alphonse Achard « d'après des notes recueillies il y a six ou sept ans »— mais en quelle année? je l'ignore — « à la Bibliothèque d'Aix, dans un ouvrage d'un mien homonyme, médecin de Marseille, membre de plusieurs académies, publié en 1788 sous le titre de Description historique et géographique des villages et hameaux de la Provence, de la Principauté d'Orange et du Comté de Nice ». Le mémoire Achard (c'est ainsi qu'on me permettra de le désigner dans ce qui suit) cite le Vence de l'abbé Tisserand ainsi que son Touriste à Vence : donc il est au moins postérieur à 1860.

3. Evêque de 1601 à 1638. Visites du 13 nov. 1602, du 16 mai 1604, du 5 août 1637, du 14 août 1611, de sept. 1612 (la date exacte n'est pas indiquée), du 20 avril 1619 et du 20 mai 1626.

4. 1653-72. Visites du 3 mai 1654, du 3 mai 61, du 23 sept. 67 (celle-ci faite par le vicaire général), du 22 nov. 71.

5. 1682-5. Visite du 24 oct. 83.

6. 1686-97. Visite du 18 mars 95.

7. 1698-17I4. Visite du 21 mars 99. Blanc s'est servi d'un procès-verbal détaillé que je n'ai pas retrouvé avec les autres aux Archives départementales ; je n'ai d'abord eu que l'ordonnance datée du 27 ; puis dans le fond du chapitre (G. 5) je l'ai enfin rencontré.

8. 1715-27. Visites du 6 et 24 oct. 15, du 4 sept. 19, du 10 oct. 22 et du 12 oct. 26.

9. 1728-54. Visites du 22 oct. 29 et du 10 nov. 38.

10. 1759-63. Visites du vicaire général (1er juin 60) et de l'évêque même (28 nov. 62)

11. 1770-1. Visite du 27 avril 71.

12. 1772-83. Visite du 26 avril 79.

13. Ceux de Godeau, d'Allart, de Viens, de Bourchenu (oct. 1715) et du vicaire général de Moreau.


tel autre est concis; parfois même il ne reste que la signification de l'ordonnance épiscopale 1. Nous n'avons rien trouvé pour les épiscopats de Louis de Thomassin 2, Jacques de Grasse du Bar 3, Michel-François Couet du Viviers de Lorry 4, et celui de Charles Pisani de la Gaude, le dernier des évêques de Vence 5.

Saint-Paul était autrefois une petite ville. Roquefort, dont elle avait acquis le terroir en 12416, et la Colle dépendaient d'elle 7. Saint-Paul avait des privilèges qui furent confirmés notamment en 1481 et 16028, des fortifications qui semblent avoir existé dès 1401, mais qui furent refaites en 1536 et développées d'une manière continue en 1546-479. Tisserand a été jusqu'à donner une traduction de « l'inscription latine qui est sur la porte

1. Crillon, Bourchenu (oct. 1715 et nov. 19).

2. 1672-80.

3. 1755-8, de même pour Vence.

4. 1764-9.

5. 1783-90. Il devint, on le sait, évêque de Namur, sons Napoléon 1er. L'Evêché de Vence avait été supprimé le 22 août 1790. Pisani avait quitté son palais le 23 janvier 91 et la ville le 2 août,

6. Tisserand, Vence, p. 39. Roquefort est devenu dans ces dernières années, sous le nom du Petit-Montmartre, un des pèlerinages du département.

7. Ce sont aujourd'hui deux communes indépendantes, et non plus seulement des bourgs de Saint-Paul.

S. Tisserand, Vence, p. 306. Saint-Paul eut, comme viguerie, tous les pays du diocèse de Vence, excepté Vence même qui préféra être à Grasse plutôt que d'être soumise à la ville qui était sa rivale (Tisserand, Vence, p, 285). Des lettres-patentes du 28 août 1388 établissaient que cette ville était inaliénable du domaine royal (Mémoire Alph. Achard) ; d'autres, données en 1313 par le roi de Provence Charles, qu'elle ne pouvait être « colligée à la taille cinquième que gratuitement » (ibid.). D'après ce même document, SaintPaul aurait été jadis jusqu'à la chapelle de la Gardette.

9. Tisserand dit ici qu'on les exécuta après Cérisoles ( Un Touriste à Vence, p. 181 ; — là que Henri Mandons, sieur de Saint-Rémy, en fut l'ingénieur et que le sieur de SaintEtienne l'aida à terminer en 1547 les travaux que l'on avait commencés en 1536 et plus activement en février 1546 (Vence, p. 124) ; — ailleurs que Henri de Mandons, seigneur de Saint-Rémy, et le sieur de Sigoyer les firent de février 1546 à décembre 47 (Nice et Alp.-Marit., II. p. 48) ; —ailleurs (Vence, p. 288), que des réparations furent faites en 1401, qu'en 1536 cinq nouveaux remparts furent exécutés et que l'enceinte continue est de 1546. M. le marquis de Panisse-Passis, dans son luxueux ouvrage (non mis dans le commerce) sur Villeneuve-Loubet (Paris, impr. Firmin-Didot, 1892, tiré à 80 ex.), se demande si les remparts de Saint-Paul furent achevés durant le séjour que François 1er fit à Villeneuve en 1538 ; il ajoute que l'achèvement força des gens à quitter Saint-Paul et à fonder le hameau de la Colle qui en dépendait avant la Révolution. D'autre part Tisserand (Vence, p. 288) insiste sur ce que Saint-Paul s'étendait jusqu'à la chapelle de Sainte-Claire et avait plus de 2,500 habitants : les habitants de 890 maisons partirent lors de l'achèvement des remparts et allèrent les uns à la Colle, les autres à Roquefort.


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principale de Saint-Paul 1 » ; Blanc, plus consciencieux et moins fantaisiste sur ce point, a dit qu'elle était en mauvais état, s'est appuyé sur un rapport officiel qui se gardait bien de reproduire la soi-disant lecture de Tisserand 2, et a ajouté que c'est par les archives seules qu'on sait que François de Mandon, originaire de Saint-Rémy, ingénieur de François 1er 3, a bâti les remparts de Saint-Paul. Lesdiguières songea à les assiéger après avoir vainement canonné ceux de Vence 4. Quoi qu'il en soit, Saint-Paul semble avoir été dénommée « bonne ville » par François 1er : ce fut l'une des vingt-deux vigueries de la Provence et la neuvième, dit-on, par importance. C'était aussi le séjour préféré de la noblesse de la contrée et, après la ville

1. D'après un secrétaire de la mairie de Cagnes. « Ne vous étonnez pas, spectateurs, si j'ai achevé heureusement un si grand ouvrage. Ne soyez point surpris de voir de superbes constructions et des tours remarquables dans un pays chrétien. C'est le héros de ce siècle, François, roi des Gaules, qui, pour mettre ses fidèles sujets à couvert et défendre son royaume, a fait bâtir ces remparts après la fameuse victoire de Cerisoles, l'an 1546 de la naissance du Sauveur, vers les Kalendes d'avril, pendant la 31e et la 3° année (sic) de son règne. Ce qui l'a engagé à cette entreprise, c'est la bonne conduite des habitants de cette ville, les services qu'elle a rendus et peut rendre à l'Etat. La position de cette place se trouve presque dans un coin du royaume. Le roi a expressément ordonné à ses ministres de fortifier avec une munificence royale les villes qui se distinguent par leur patriotisme et leur fidélité. Mandons, a placé cette pierre et gravé cette inscription à la louange des habitants de cette ville ». J'ai cité d'après le Touriste à Vence de Tisserand. Ailleurs il dit que le tombeau de Mandons (sic) est à Arles: Vence, p. 100. La porte de Saint-Paul, celle par où l'on entre en venant de la Colle ou de Vence par la grand'route, est d'un bel aspect. Je lis dans le mémoire Alph. Achard : « Un membre de ma famille tient une traduction de cette inscription d'un ancien instituteur à Cagnes, Escoffier, qui la donna à l'auteur d'Un Touriste à Vence. »

2. Rapport de Guilhermy, conseiller référendaire à la Cour des comptes, membre du comité d'archéologie du ministère, chargé, dit Blanc, du Corpus français du moyen âge. Il cite d'après la Rev. des Soc. savant., 6e série, T. I, 1er semest., p. 585.

3. Enterré aux Cordcliers d'Arles.

4. Tisserand, Vence, p. 170. D'après lui (Touriste à Vence, p. 18), « ces remparts en ruines, bâtis après Cérisoles, pour défendre les abords du Var », comptaient au début du règne de Napoléon III. « Un vieux canon sans affut est exposé sur la place, et un sergent du génie est préposé à la garde de cette petite forteresse ». Je trouve d'autre part, dans un Dictionn. histor. et topograph. de la Provence, publié à Draguignan il y a pas mal d'années,— et ce détail m'a été signalé par M. l'abbé Barlet, curé-doven de Cagnes, chanoine honoraire de Chalons,— une mention de « la ville de Saint-Paul et de ses fortifications d'où un vieux canon, nommé Lacan, sans anses ni affût, formant à lui seul tout le matériel de la place, fait entendre ses détonations dans les grandes circonstances ».

Par contre, dans le mémoire Alphonse Achard, il est écrit : « Tisserand s'est trompé, quand il dit dans son Touriste à Vence que François 1er après Cérisoles a ordonné qu'on lui construisît une forteresse, qu'il fit pendre ensuite l'architecte, que les remparts sont en ruines. Ce canon sans affût dont Tisserand a parlé pour nous ridiculiser, est un trophée autrefois conquis sur l'ennemi ». Guillaume Le Blanc, évèque de Vence de 1592 à 601, dut fuir sa ville et se réfugier à Saint-Paul où étaient des troupes catholiques (Tisserand, Etud. hist,, p. 130, d'après un mémoire de l'évêque à Clément VIII, remis par lui au pape en juin 1594), ou plutôt Audin Garidelli, évêque de 1577 à 88, qui mourut à Saint-Paul (Tisserand, Vencet p. 147, 156 et 163),


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épiscopale, l'endroit le plus important 1 de l'ancien diocèse de Vence. Ce n'est aujourd'hui qu'un petit village 2; mais ce fut un chef-lieu de district en 1790., D'ailleurs, comme M. le Curé a bien voulu me le faire savoir, encore aujourd'hui on dit la ville quand on parle de Saint-Paul dans les environs de ce pays, les habitants qui reviennent de la campagne disent qu'ils vont en ville, et c'est le souvenir (qui se conserve surtout en provençal) du temps où l'endroit avait reçu d'un roi de France un titre de noblesse qui refuse de se perdre. Déjà eu 1604 on rappelait à du Vair que c'était « une ville royale ».

De quelle époque date l'église? je l'ignore. Saint Paul en était le titulaire 3 ; saint Georges, le patron du pays. L'édifice ne fut ni construit, ni entretenu avec luxe. Le pavage en était sans cesse rompu: en 1619, 54 et 61 les évêques signalent les sépultures qui le disjoignaient continuellement. Les offices y étaient des plus modestes. En 1602, du Vair note qu'il y a « manquement et défaut au service divin » ; les consuls lui représentent que le chapitre de la Cathédrale prend la dîme et qu'on aurait besoin de trois prêtres, En 1604, ils se plaignent du vicaire (nous dirions aujourd'hui le curé), demandent deux prêtres « suffisants » et un diacre d'évangile pour l'assister, réclament « ce qui a été fait de tout temps » et parlent d'une bulle du 12 avril 1487 qui oblige le vicaire « à faire tout le service » ; ce dernier, qui est un des chanoines de la Cathédrale, réplique qu'il a fait le nécessaire, qu'il n'a jamais eu connaissance de la bulle, et qu'il ne peut payer trois prêtres;

1. Tisserand (Vence, p. 281) dit, je ne sais d'après quelles sources, que Saint-Paul avait sous François 1er près de 2,500 habitants. Dans les procès-verbaux de Godeau et de Bourchenu, je note qu'il y comptait 626 communiants en 1651 (ce qui pouvait donner une population de 1,100 à 1,200 personnes, je crois), 600 eu 1,722. Bourchenu reçoit en 1715 à Saint-Paul « la visite du gouverneur d'Entrevaux qui vient y passer tous les hivers par principe de santé ».

2 A peine 700 habitants : Vence en a un peu plus de 2,900.

3. Viens, Bourchenu, vie. gén. de Moreau.


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du Vair exige que la bulle soit enregistrée et qu'il y ait, conformément à ce qu'elle porte, trois prêtres. En 1611, les consuls se plaignent de nouveau que tout va mal, que les cloches n'ont pas de cordes, que les offices sont mal réglés, qu'il y a « confusion et scandale»; le peuple a augmenté à Saint-Paul, disent-ils ; il faudrait dans la ville même quatre prêtres et un diacre d'évangile, à la Colle deux prêtres et un diacre, en outre un prédicateur de carême; l'archidiacre et économe du chapitre cathédral répond que cela ne regarde pas le chapitre ; le vicaire, qui est un des chanoines, qu'il a fait le possible ; le sacristain 1, qu'il a soutenu des procès contre le vicaire devant l'archevêque-prince d'Embrun. En 1612, du Vair s'informe des contestations qui divisent prêtres et consuls, et maintient pour une année le séquestre « fait sur la prébende et dîme du théologal, qui est vicaire ». En 1619, les consuls demandent deux prêtres « suffisants et capables ». En 1626, nouvelles plaintes de leur part : le vicaire n'emploie aux vêpres que « des chandelles, dont la douzaine ne vaut pas un liard », ne fait presque jamais brûler la lampe devant le Saint Sacrement durant la nuit, l'allume rarement le jour, ne donne aucun cierge pour les processions, ne fait pas sonner l'Angélus. Il est parlé à cette date, détail à noter, du désir que la population a d'avoir « une église collégiale avec un doyen, des chanoines et des bénéficiers ». Le vicaire reconnaît qu'il n'emploie qu'un enfant de huit ans pour diacre, dit qu'en France nul n'est obligé de suivre les prescriptions du Concile de Trente, revendique hautement les droits de l'église gallicane et cite « le cas de l'évêque d'Angers 2 » dont une visite venait d'être cassée

1. Claude d'Haondys, qui signe de Hundis.

2. Etait évêque d'Angers en 1626, Charles Miron, qui, déjà évêque de ce siège de 1589 à 1616, l'avait resigné en mai et y fut replacé en avril 1622 : le 2 décembre 1626, il devint archevêque de Lyon et y mourut en avril 1628. J'ignore d'ailleurs de quel fait il s'agit ici.


pour ultramontanisme, comme nous dirions. En 1654, le vicaire se plaint à Godeau de ne recevoir du chapitre cathédral, à qui incombait une partie des frais du culte à Saint-Paul, que 180 livres, alors que les ordonnances royales en stipulent, dit-il, 200; il n'a pas de quoi vivre; « néanmoins est obligé d'entretenir un clerc qui doit être un demi-homme pour pouvoir sonner, ce qu'un petit garçon ne saurait faire, attendu la grosseur de la cloche. » En 1626 on ne carillonnait même plus l'Angelus de midi. Sous Godeau, la vicairie perpétuelle (nous dirions la cure) qui remontait au XIVe siècle 1, devint, sur le désir des fidèles et des prêtres de Saint-Paul, et malgré l'opposition du chapitre cathédral, une collégiale ; le vicaire fut le doyen du nouveau chapitre qui n'arriva jamais à éclipser celui de Vence. L'ordonnance par laquelle la collégiale fut approuvée par Godeau, est rendue à Vence, en son palais épiscopal, le 1er juillet 1666, en présence de quatre prêtres, dont Jean Dozol, docteur en théologie et cabiscol du chapitre cathédral, et du notaire Jacques de Guigues. Il y est parlé d'une requête des consuls de Saint-Paul, datée du 22 octobre 1665, d'une délibération « faite en un grand conseil tenu en ladite ville» le 6 juillet 1664, et d'une protestation du chapitre de Vence datée d'octobre (le millésime manque, mais ce doit être 1665). Par lettrespatentes délivrées à Saint-Germain-en-Laye, en janvier 1667, Louis XIV approuva l'ordonnance du prélat académicien 2 : « les chapellenies furent érigées en canonicats », écrit Bourchenu en 1715.

1. Fondée vers 1328 par l'évêque de Vence Pierre Malirati, selon Tisserand (Vence, p. 48) ; en 1322 selon Blanc.

2. Copie de ces actes est conservée au presbytère de Saint-Paul, ainsi que la transcription des statuts en latin que Godeau donna à la nouvelle collégiale. Les originaux sont aux Archives départementales. Tisserand date les lettres-patentes de décembre (Vence, p. 215). Le mémoire Achard dit que la collégiale se composait d'un capiscol, de cinq chanoines et de deux vicaires; que le doyen y faisait les fonctions de curé, que la nomination en appartenait au chapitre ; que les canonicats étaient aux jus-patrons laïques.


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Parmi les six premiers chanoines de la nouvelle collégiale (elle comptait aussi un doyen qui était curé et du moins en 1715, deux secondaires), figura un cousin de Godeau, Denis Mussart, originaire de Dreux1,. Le capiscol en charge en 1715 datait, écrit Bourchenu, du temps de la fondation. L'église ne fut pas sensiblement plus riche, bien qu'elle eût un titre qui rendait jaloux les chanoines de Vence : ainsi en 1732 la collégiale possédait un revenu de 460 livres, mais supportait des charges montant à 527. En 1699 l'église n'était pas encore consacrée : Mgr de Grillon s'étonne alors que « l'église paroissiale et collégiale d'une ville royale des principales de notre diocèse » ne le soit point et veut qu'elle le soit dans le courant de l'année. S'il admire « la très belle chaire à prêcher en bois de noyer », il demande aussi que la grande porte soit munie de verroux de fer « qui entrent bien dans muraille ». Eu 1683, la toiture était percée et laissait dégoutter l'eau de la pluie ; de même en 95 et 99. Mgr Allart défend aux prêtres de la collégiale de recevoir les laïques, à l'exception des gens de service, dans la sacristie et d'admettre les femmes dans le presbytère (nous dirions le choeur), même pour confesser celles-ci. Bourchenu note, en 1719, que l'on joue du tambour aux processions de la saint Georges et de la sainte Claire; en 1715, que l'on faisait à Saint-Paul « lés processions ordonnées par le rituel d'Auch, qu'on suit dans tout le diocèse de Vence, et par les ordonnances de ce diocèse ».

Entrons avec les évêques de Vence dans cette église et voyons quelles en sont les curiosités. Il va sans dire que le prélat était toujours reçu avec de grands égards à SaintPaul. Presque toujours il descendait de cheval à la chapelle de sainte Claire « près des murs », ou, comme le porte un

1. Mentionné au testament de Godeau.


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procès-verbal plus précis, « hors les murs, lieu accoutumé à recevoir les seigneurs évoques » ; il y revêtait ses habits pontificaux, et, accompagné par les magistrats, le clergé, le peuple, passait sous la porte des remparts 1, montait à l'église, allait ensuite au cimetière, à la chapelle des Pénitents, à l'hôpital, dans la plupart des oratoires champêtres qui étaient épars sur le terroir, et descendait le plus souvent chez un notable de la petite ville 2. Les vicaires généraux étaient un peu moins honorés 3.

Le maître-autel n'était pas des plus luxueux. En 1654 Godeau demande un retable « représentant la Conversion de saint Paul ou tout autre sujet », en 67 le vicaire général désire qu'il soit fait aux frais communs de la communauté et de l'économe du chapitre, en 99 Crillon dit que le tableau, représentant la Conversion de l'Apôtre, n'avait pas de cadre et exige qu'il y ait, six mois après sa visite, «un retable ou tableau le plus propre qu'on pourra faire ». D'autre part des notes conservées au presbytère, — anonymes 4, elles m'ont paru postérieures à la Révolution

1. En 1762 on tira « des boîtes de dessus les portes » en l'honneur de Moreau; en 1699 le son des cloches alternait avec le bruit du canon et des boîtes en l'honneur de Crillon.

2. P. du Vair loge en 1604, 11 et 19 chez Pierre-Jean Bernard, avocat en la cour; en 1626 chez Antoine de Hondis, consul de Saint-Paul et écuyer. Godeau, en 1654 chez Claude Barcillon, conseiller du roi et maître des ports au bureau d'Antibes ; en 1661 chez Jean-Baptiste de Villeneuve, sieur de Thorenc, gouverneur de Saint-Paul ; en 1671 chez Scipion-Joseph de Barcillon, seigneur de Roquefort et de Courmes. Allart en 1683 chez Pierre Isnard, bourgeois de Saint-Paul- De Viens en 1691 chez Alexandre Bernardi, bourgeois. Bourchenu, en 1719 chez Mme de Tourrettes. Crillon en 1699, puis Bourc henu en 1722 et 26, chez Rabuis, receveur des décimes et premier consul, ainsi que Mgr de Surian en 1729. Si Du Vair est descendu en 1607 à la maison claustrale et a dit en 12 de la réparer, Bourchenu écrit en 1715 qu'il n'y en a point.

3. Quand Guillot de Mondésir, vicaire général de Mgr Moreau, eut averti le chapitre collégial de sa visite, un chanoine de mauvais caractère, Maximin Olive, somma l'économe de se conformer au rituel romain, de ne laisser faire au grand-vicaire « aucune fonction le chapitre séant », de ne lui donner aucune place au choeur non plus qu'à l'économe du chapitre cathédral. Le chapitre collégial délibéra et, comme nous dirions, mît au panier la protestation. d'Olive. En septembre 1667, le vicaire général de Godeau avait été mieux accueilli : mais l'évêque ne venait-il pas d'exaucer les voeux du clergé et des fidèles de Saint-Paul ?

4. « Les notes anonymes conservées au presbytère doivent être placées sous le nom de M. Henri Layet, ancien notaire à la Colle.— M. Layet, originaire de Saint-Paul, avait recueilli de nombreuses notes sur son pays, et fait paraître même une brochure. Il m'avait promis qu'il mettrait ordre à ses notes et qu'il me les donnerait. Je joins ici deux feuilles, une sur les tombeaux de l'église, l'autre au sujet des bulles conservées au presbytère » (note de M. l'abbé Giraud). M. Layet est mort en juillet 1899. Ses funérailles ont été présidées par notre excellent confrère, M. le chanoine Lyons, ancien curé de la Colle, où M. Layet avait continué à résider.


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et antérieuses à la nouvelle annexion de Nice à la France en 1860 : je les citerai plus d'une fois — disent, que le maître-autel était autrefois en bois doré; qu'il est « maintenant à la chapelle de la Sainte-Trinité 1 » ; que le nouveau a été fait à Aix « il y a une soixantaine d'années » et que le tableau représente l'Enfant Jésus; qu'il représentait « en 1689 la Conversion de saint Paul et était de Sébastien Canavesi, peintre originaire de Saint-Paul 2 ». Nous trouvons aujourd'hui l'ancien maître-autel dans la chapelle de sainte Anne : le mémoire Alph. Achard, que j'ai consulté avec profit pour la mise au point de cette notice, parle de l'autel en bois doré, remplacé déjà, à l'époque où il fut écrit, par un de marbre.

Même au XVIIIe siècle, le maître-autel était baigné d'une lumière trop vive. Bourchenu ne cesse de demander, en 1719, 22 et 25 des rideaux qui empêchent le soleil de tomber sur l'officiant et qui masquent les fenêtres du choeur. En 1760 le vicaire général trouve les vitres en mauvais état. Passons derrière : voici les stalles qui furent votées par les habitants aussitôt que la collégiale eut été approuvée par l'évêque, le roi et le pape 3. Inutile de dire qu'elles n'ont point la valeur artistique, archéologique surtout, de celles de Vence : si elles sont mieux conservées, elles sont plus récentes de deux siècles et moins curieusement historiées. En 1715, Bourchenu recommande au chapitre de bien chanter ; il note que dans le choeur il y a trente-six stalles hautes et basses, que le chapitre collégial se compose de six chanoines et d'un doyen. En 1719, il

1. Auj. chapelle du Sacré-Coeur : voir plus bas.

2. Sébastien Canavesi semble avoir été l'un des six premiers chanoines de la collégiale. Tisserand dit qu'il décora « l'église de bons tableaux » (Godeau, p. 281). Les statuts en latin que Godeau donna à la collégiale sont signés par l'évêque, le doyen Bellissime, le préchantre Toussaint, cinq chanoines, Canavesi, Maurel, de Grasse des Collettes, Kiel, Raymond.

3. Tisserand, Vence, p. 214.


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désire que les chanoines chantent l'office « avec modestie et gravité, qu'ils observent la médiante et attendent qu'un choeur ait fini avant que l'autre commence ». En 1760, le vicaire général de Moreau trouve que le « pourtour des stalles du choeur » est en mauvais état 1. Aujourd'hui, audessus de ces boiseries assez insignifiantes où nul chapitre collégial ne vient plus, depuis la Révolution, s'asseoir et psalmodier, sont placés huit tableaux d'inégale valeur et dont il n'est pas aisé de distinguer les sujets : un Crucifiement, une Descente de Croix où sont, des armoiries que je n'ai pu reconnaître, les saints Clair, Donat et Antoine 2, du côté de l'Evangile, puis la Conversion de saint Paul 3, la sainte Famille et trois personnages 4. au milieu du sanctuaire, enfin l'Assomption 5, Notre-Dame du Rosaire 6, l'Annonciation' 1, du côté de l'Epître 8.

J'insiste sur le Crucifiement et sur la Descente de Croix dont il vient d'être question. M. l'abbé Giraud a bien voulu consulter des notes que M. Layet avait extraites des actes de sépulture des registres paroissiaux. Ce sont les armoiries des Villeneuve-Thorenc, seigneurs de la Gaude, du Canadel, de Tourrettes, du Caire, de Gréolières, de Saint-Jeannet, du Castelet, de Malvans, etc., qui se trouvent à l'angle de la

1. Voir Tisserand, Tour, à Vence.

2. C'est, je crois, le tableau dont nous dirons plus loin qu'il avait été posé d'abord à l'autel de saint Antoine, puis à la chapelle du cimetière.

3. C'est, je crois, celui qu'on attribue au chanoine Séb. Canavesi; nous avons vu que ce sujet avait été demandé par Godeau en 1654 et nous verrons plus loin que la toile avait été portée à l'autel de la Sainte Trinité.

4. Serait-ce le tableau de l'Enfant Jésus, placé d'abord à l'autel du Saint-Enfant, puis au maître-autel ? Je n'ose rien affirmer.

5. C'est, je crois, le tableau dont nous verrons qu'il ornait la chapelle de l'Assomption.

6 Déplacé quand la chapelle où il était fut cédée, on le verra, à la dévotion de saint Clément, il fut porté à l'autel de saint Antoine, ainsi que nous le dirons, puis (du moins je le suppose) à la nouvelle chapelle du Rosaire.

7. C'est, je pense, celui qui décorait soit l'ancienne chapelle de l'Annonciation, soit la chapelle de saint Joseph (mais je tiens plutôt pour la première hypothèse).

8. « S'il plaît à Dieu, je réaliserai un projet de rétablir le sanctuaire tel qu'il existait primitivement. Un tableau au fond me semble suffisant. Les autres seront placés dans l'intérieur de l'église et je crois que le sanctuaire sera plus dégagé et plus imposant » (note de M. l'abbé Giraud).


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Descente de Croix, « enlevée depuis environ trente ans », écrit M. Layet, « de la chapelle N.-D. de la Gardette et posée dans le sanctuaire de l'église paroissiale de SaintPaul1».

Descendons le bas-côté sud de l'église. La première chapelle que l'on rencontre en partant du maître-autel est consacrée à saint Mathieu. Elle fut enrichie par un important personnage du pays, issu d'une des familles les plus considérées à Saint-Paul et à Vence au XVIIe siècle, Jean-Baptiste Barcillon, prêtre, docteur en théologie, prieur de Saint-Nicolas de Roucy, de Saint-Pierre de Tropiac, et de Chaucour, conseiller et aumônier de la duchesse douairière d'Orléans 2, et, si nous en croyons une visite de 1760, « de Mme de Guise » 3. Il avait fait le 29 août 1658 4 une pieuse fondation d'un capital de 4,000 livres : il la compléta le 16 septembre 64, en érigeant en canonicat la chapelle qu'il avait fondée 5. De la première il est parlé dans la visite de Godeau datée de 16616 et sur une plaque de cuivre qui est dans cette chapelle 7. Tisse1.

Tisse1. lis aussi dans le mémoire Alph. Achard que la Descente de Croix est attribuée à une demoiselle de Villeneuve et qu'au bas de la toile, à droite, on voit les armoiries de cette famille.

2. Marguerite de Lorraine, seconde femme du duc Gaston d'Orléans, qu'elle épousa en janvier 1632, marâtre de la « Grande Mademoiselle », mourut en avril 1672. On sait qu'elle protégea quelque temps La Fontaine. Gaston mourut dès 1660.

3. Une des filles du second mariage de Gaston, Elisabeth, duchesse d'Alençon, épousa en 1667 un arrière-petit-fils du Balafré, Louis-Joseph, duc de Joyeuse, d'Angouléme et (depuis 1564) de Guise. Il mourut dès 1671. Les deux autres épousèrent Come III de Toscane et Charles-Emmanuel III de Savoie.

4. Aux archives du presbytère est une copie (d'ap. les Docum. des Arch. départ.) de l'acte par lequel Barcillon, par-devant deux notaires de Paris, Rallu et Manchon, a fondé la chapellenie saint Mathieu. Barcillon, alors aumonier « de S. A. R. la duchesse d'Orléans » (elle ne fut veuve qu'en 1660), demanda des prières pour lui, ses parents, ses bienfaiteurs « et particulièrement pour l'âme de très illustre et très puissante princesse Madame Henriette-Catherine de Joyeuse, duchesse de Guise et de Joyeuse, pair de France ». Il s'agit d'une bâtarde de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, légitimée, mariée en 1619 avec Charles II de Lorraine, duc d'Elbeuf, pair de France, comte d'Harcourt; celui-ci mourut en novembre 1657, ayant été gouverneur de la Picardie, et sa femme mourut le 20 juin 1663. Barcillon ordonne qu'on pose dans le mur « une pierre ou lame de cuivre » avec l'inscription dont il rédige le texte. Cette plaque de métal est encore à sa place, à gauche de l'autel saint Mathieu.

5. Voir l'ordonnance de Godeau du 1er juillet 1666.

6. Il manque un feuillet où devait se trouver la suite et la fin des ornements donnés par J.-B. Barcillon.

7. La dalle mortuaire de Barcillon porte, d'après Blanc, l'inscription suivante : « Bonifacius Barcillon et uxor ejus eorumque nati, solo Joanne Baptista theologo superstite, qui ad hoc altare Sancti Matthaei perpetuam capellaniam fundavit a (nno) D(omini) 1658 ». (Voir p. 28.


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rand dit que J.-B. Barcillon donna à l'église de SaintPaul « deux tableaux de maître, un de Daret, l'autre de Lemoine » : pour ce dernier il doit se tromper 1. La dalle mortuaire des Barcillon est dans cette chapelle et a été signalée 2. D'autre part une délibération du chapitre cathédral de Vence en 1665. parle de « la grande et excellente peinture de saint Mathieu » que Barcillon venait de faire placer dans cette chapelle de l'église de Saint-Paul, d'autres tableaux dont les sujets ne sont pas indiqués, de leurs cadres dorés, des chasubles, devants d'autels, etc., que le chanoine a offerts. Une visite du vicaire général de Godeau apprend en outre qu'en 1667 on voyait dans cette chapelle six tableaux « y en ayant deux des fleurs en broderie », une chasuble de brocart sur fond blanc d'argent à fleurs vertes avec une passementerie d'or « et les armes du cardinal de Fr(ance) Mons(eigneur) de Joyeuse 3 », une chasuble de velours violet « avec les armes en broderie de Guise or et argent », un devant d'autel de satin' fleuri à fond blanc « avec les armes de Barcillon ». Enfin, en 1699 Mgr de Crillon dit que le retable de cette chapelle est « le tableau de saint Mathieu, un Ange, saint Pierre de Luxembourg 4, saint Antoine de Padoue, fort beau, de la main de Daret, orné d'un cadre de bois peint en rouge et doré ». De quel

1. Tisserand, Godeau, p. 281, et Vence, p. 100.

2. Elle est ornée du blason de ce chanoine alors illustre dans son pays : « d'azur, à deux sautoirs alaisés ou raccourcis, rangés en face d'or et surmontés d'une étoile d'or posée au milieu du chef » (Blanc). Nous reviendrons sur cette sépulture plus loin et d'après des notes de M. Layet.

3. François de Joyeuse, frère du favori de Henri III, fut archevêque de Narbonne à 20 ans en 1582, puis de Toulouse, enfin de Rouen. Grégoire XIII le fit cardinal au titre de Saint Sylvestre en 1583, puis de Saint Martin aux Monts et de la Trinité du Mont. Il devint évêque d'Ostie, doyen du Sacré-Collège, et mourut en 1615 à Avignon. Il avait donc 21 ans quand il reçut le chapeau rouge. En 1586 à 24 ans il était protecteur des affaires de France à Rome. Ce fut l'un des hommes les plus considérables du clergé d'alors et des politiques de son temps. Il eut pour secrétaire d'Ossat qui à son tour devint cardinal. Joyeuse fut l'appui du poète Desportes et du neveu de ce dernier, Mathurin Réguier, qui avait reçu la tonsure. Tisserand (Vence, p. 100) mentionne aussi les ornements liturgiques aux armes des Guise.

4. En costume de cardinal. Le bienheureux Pierre de Luxembourg (1369-87) fut chanoine de Paris à 10 ans et de Cambrai à 12, évêque de Metz à 14, cardinal-diacre à 16. Béatifié, il n'est pas au rang des saints proprement dits de l'Eglise Catholique.


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peintre s'agit-il? 1. Il est assez piquant d'ajouter que, le Jeudi Saint, pour exposer le Saint Sacrement, les consuls de Saint-Paul ne se faisaient aucun scrupule de planter des clous dans le beau saint Mathieu de Daret. Lors de la seconde visite épiscopale de Godeau, en 1661, le chapelain dénonça au prélat ces dégradations municipales en termes qui méritent d'être rappelés. « Ils plantent des clous contre du tableau du saint en sorte qu'ils le gastent tout à fait ». Eu outre la confrérie de saint Antoine mettait ses huiles dans une armoire voisine du côté de l'Evangile de l'autel saint Mathieu : « ce qui cause d'incommodité et de distraction aux prestres, lorsqu'ils célèbrent, par l'ouverture qu'on en fait à tout moment, et ce qui donne de mauvaises odeurs par les huiles croupissantes et pourries qu'il y a parfois et qui entretiennent quantité de rats qui rongent et gastent ». C'est dans cette armoire que l'auteur de la notice, que nous complétons et corrigeons ici, a trouvé des fragments d'un tableau sur bois dont Mgr de Crillon avait parlé en 1699: on y voyait, dit-il, la Vierge et divers saints 2. Cet évêque dit encore que la chapelle saint Mathieu avait « quatre autres tableaux fort beaux », saint Pierre, saint Paul, saint Jean-Baptiste, saint François, « deux petits», la Vierge, un Ange, ainsi que deux petites statues d'albâtre 3. Il s'agit ainsi des six tableaux qu'avait mentionnés Godeau. Crillon décrit de -nombreux vête1.

vête1. Pierre Daret, mort en 1675 ou 78, élève de Simon Vouet, fut reçu comme graveur à l'Académie de Peinture. Un Jean Daret, mort en 1668, a vécu en Provence, bien que Flamand d'origine, et a, dit-on, laissé des oeuvres à Aix. Les notes anonymes conservées au presbytère disent seulement que le tableau « a d'autant plus de prix qu'il émane d'un maître dont on ne possède en ce moment que très peu d'oeuvres » ; que quatre tableaux « de prix », Saint Pierre, Saint Pau, Saint Jean-Baptiste, Saint François, se voyaient autrefois dans cette chapelle et sont dans l'église « de la Roque-Estéron en Savoie, donnés par les héritiers du chanoine Alziari qui les avait pris pendant la Révolution » ; enfin que « à coté du tableau de Daret et sur deux petites crédences, on remarque deux tableaux, l'Ange Gardien et la Sainte Vierge, et à droite de l'autel le tableau des Ames du Purgatoire, attendu que ledit autel sert à deux fins ». Dans le mémoire Alphonse Achard, il est dit aussi que le Saint Mathieu est de Daret, mais sans autre explication précise.

2. Blanc.

3. « Je viens récemment de découvrir deux statuettes en albâtre. Elles me paraissent fort anciennes. L'une représente la sainte Vierge avec l'Enfant Jésus. Il manque la tête à la Vierge. L'autre représente saint Antoine-de-Padoue. Seraient-ce les statues dont parle Mgr de Crillon? » (note de M. l'abbé Giraud, écrite en novembre 1888).


ments sacerdotaux, entre autres une chasuble (avec l'étole, le manipule et le voile) de velours fond d'argent avecfeuillage vert et armes du cardinal de Joyeuse, une de velours violet avec armes des Guise, une de satin blanc avec croix au petit point, fleurs et broderies, dentelle d'argent et armes des Barcillon, une de camelot violet avec armes des Guise, une de velours cramoisi avec armes des Barcillon. Il convient de mentionner encore deux tableaux placés au bas du retable de saint Mathieu, et qui semblent avoir une certaine valeur. M. l'abbé Giraud, en me signalaut que je les avais omis dans le manuscrit de cette notice, a bien voulu me faire savoir qu'il croyait avoir entendu dire à M. Layet que les personnages représentés étaient sainte Delphine et saint Elzéard.. Celui-ci porte une couronne « royale » : on sait que c'était un seigneur provençal, de la maison de Sabran, et qu'il fut comte d'Arian à la mort de son père, que ce fief était en Savoie et qu'il l'administra avec beaucoup de justice, qu'il devint ensuite gouverneur d'un des fils du roi de Naples Robert. Mort en 1325, Elzéar fut canonisé par Urbain V en 1369 : la fête de ce saint est fixée au 27 septembre.

La seconde chapelle est consacrée à saint Clément. Elle fut bâtie par un autre personnage, originaire de Saint-Paul et qui appartenait à une des familles importantes au XVIIe siècle, Pierre-Jean de Bernardi, prêtre, « gentilhomme de la chambre secrète d'Innocent XI et premier maître d'hôtel de Sa Sainteté, chanoine de Saint-Pierre au Vatican 1 », ou encore « abbé et scalque de S.S. 2 », ou encore « chanoine de Saint-Jean de Latran 3 », ou encore « intendant d'Inno1.

d'Inno1. du Conseil de Ville, dont copie au presbytère.

2. Visite de Mgr Allart (1683). Tisserand dit, dans son Histoire de Vence, que le canonicat fut fondé le 19 juin 1687 et que les reliques arrivèrent de Rome le 15 septembre 1580 (sic).

3. Visite de Msr de Viens (1695).


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cent XI 1 », camérier du Pape 2. Quoi qu'il en soit de ces titres, c'est dans la visite du vicaire général de Mgr de Thomassin que sont signalées pour la première fois, en août 1680, les reliques pour lesquelles la chapelle fut construite. En 83, Allart mentionne « la châsse de saint Clément dans une niche enfoncée dans l'autel, fermée d'un gril de fer et d'une porte de bois peint » et dit que la chapelle avait été bâtie depuis peu. Le 19 juin 1687, P. J. de Bernardi fonda un canonicat 3.

D'autre part, le conseil de ville de Saint-Paul eut à délibérer sur une communication d' « Alexandre Bernardi, frère de Mgr l'abbé de Bernardi, chanoine dans l'église Saint-Pierre au Vatican » ; il avait fait savoir que cet ecclésiastique voulait « faire la chapelle de saint Clément martyr, dont il avait envoyé le corps à. l'autel de N.-D. du Rosaire pour y enfoncer la chapelle », qu'il avait obtenu la permission de changer le tableau de la chapelle de la Vierge « à l'autel de saint Antoine où est à préseut la chaire à prêcher de Mgr l'Evêque et de MM. du vénérable chapitre de Vence». Le conseil de ville avait consenti, l'avait autorisé « à abattre les murailles joignant une la tour et l'autre celle-là qui est au devant de deux maisons », et lui avait permis de prendre les pierres « à l'exclusion de celles de taille servant pour une porte pour employer à la construction de ladite chapelle 4. » En 1695, de Viens signale « le devant d'autel, fait de plâtre et représentant le martyre de saint Clément... deux anges de plâtre à chandeliers fixés à la muraille », puis, au-dessus de l'autel, la niche enfoncée dans la paroi et fermaut par une porte en bois. Il ajoute qu'il y a trouvé « le beau et grand reliquaire

1. Visite de Mgr de Bourchenu (1715).

2. Tisserand, Vence, p. 100.

3. Arch. du Presbyt. de Saint-Paul.

4. Id.


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garni de grandes glaces de Venise, avec la relique du martyr donnée par Bernardi, comme le prouve l'authentique et un procès-verbal du 4 août 1680 ». L'évêque a dit la messe à cet autel le 24 mars 1695. En 99 Crillon signale « le tableau de la Vierge et des saints Clément et Charles, grand, de peinture de Rome, avec son cadre sculpté et doré, tout le restant de la chapelle de saint Clément étant orné de bas-reliefs tout autour ». La toile, attribuée par lui à l'Ecole romaine, représente saint Charles Borromée offrant ses oeuvres à la Sainte Vierge en présence du saint auquel la chapelle est dédiée. En 1715 et 1719 Bourchenu note les reliques et le tableau ; en 29 Surian recommande de bien exposer la relique et affirme qu'elle est bien authentique ; en 60 le vicaire général dit que la tête et les os du saint reposent « dans un grand reliquaire d'ébène noir garni de glaces de Venise, derrière une porte en bois que ferme une grille de fer »; en 71 Madaillan note, comme s'il n'en était pas bien sûr, que l'authentique des reliques peut se trouver dans les archives de l'évêché de Vence et il s'inquiète de la solidité d'un des arcs de la chapelle. On dit, mais je ne sais d'après quels documents, que celle-ci fut annexée à l'église de Saint-Paul en vertu d'une fondation perpétuelle d'Antoine de Bernardi et ornée par son neveu Pierre-Jean 1. Ou bien, mais j'ignore d'après quelles sources, que « ce saint Clément martyr est un saint baptisé, c'est-à-dire un martyr anonyme auquel l'Eglise aurait donné subitement, quand il fut trouvé dans les catacombes, le nom de Clément2». La sépulture des Bernardi 3 est dans cette belle chapelle

1. Tisserand (Nice et Alp.-Marit., t. II, p. 168), dit que J. Bernardi, chanoine de Saint-Pierre de Rome et camérier du pape, envoya, le 16 juin 1687, le corps de saint Clément, « avec tous les ornements de l'autel que l'on peut voir aujourd'hui. »

2. Blanc. — Bourchenu dit en 1715 que la Saint-Clément se célèbre le 20 novembre, à Saint-Paul.

3. Leur blason est : « d'argent à un palmier de sinople sur une terrasse de même et un chef d'azur chargé de trois étoiles d'or » (Blanc). Cette famille possédait d'assez belles maisons à Saint-Paul.

2


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qui fait si bien songer à l'époque où Le Brun achève ses derniers travaux à Versailles. Elle respire ce qu'on appelait alors « le grand art » ; ce que Molière avait analysé à propos, il est vrai, de peintures murales que son temps qualifiait improprement de fresques, s'y retrouve. Comme dans son poème sur la coupole du Val-de-Grâce et l'oeuvre de Mignard, nous reconnaissons dans la décoration de la chapelle de saint Clément :

Les contrastes savants des membres agroupés, Grands, nobles, étendus et bien développés, Les nobles airs de tête amplement variés,

Ces belles draperies, De grands plis bien jetés suffisamment nourries.

La majestueuse solennité de l'art Louis XIV est le signe caractéristique de cette chapelle. De chaque côté du cadre du tableau se dresse un pilastre ; le fût est orné d'un rameau d'olivier chargé de ses fruits, et d'oiseaux qui se posent sur les branches ; le chapiteau est couronné par un ange. L'entablement supporte à l'angle voisin du tableau un ange qui pose, en la relevant, une jambe sur la moulure, appuie l'autre jambe sur le tailloir du chapiteau et regarde le sujet peint sur la toile. Auprès du pilastre, un ange est debout sur un socle orné de palmettes, s'avance vers le cadre, tient une couronne abaissée dans la main voisine de celuici, dresse l'autre main pour relever les plis d'un rideau décoré de fleurs et de feuillages; il est imberbe, a les cheveux longs, les pieds nus, les jambes nues jusqu'au-dessus des genoux, le corps drapé dans une étoffe flottante.. Sous le tableau sont fixés deux chérubins à plusieurs ailes. Sur la porte en bois sculpté et doré qui ferme le reliquaire de saint Clément, deux petits anges sont agenouillés. A la hauteur de la Table de Consécration sont fixés de grands


—- 19 — vases ornés de guirlandes et deux petits tableaux représentant, du côté de l'Evangile, saint Pierre, de l'autre, saint Jean. Sous l'autel est figurée la scène du martyre de saint Clément, où l'on voit jusqu'à treize personnages. Dans le reste de la chapelle nous remarquons encore deux fenêtres ornées chacune de l'invocation sancte Clemens et deux anges présentant un encensoir. Au centre du plafond, un sujet qui semble curieux et richement travaillé, mais qu'il nous a paru fort difficile de définir. Tout autour, quatre écussons, le premier avec les lettres J(esus) M (aria) J(oseph), le second avec les lettres J(esus) H(ominum) S(alvator), le troisième avec des armoiries pontificales, le quatrième avec le blason d'un évêque. Le tout encadré par une corniche du style des autres ornementations 1. Dans le mémoire Alphonse Achard, que j'ai déjà cité, il est dit que cette chapelle fut fondée « par un camérier du Pape dont certaines gens ont fait un cardinal à cause de ses armoiries », que les sépultures sont « admirables, notamment l'écusson du plafond,- les guirlandes de roses, le blason du fondateur et de la Papauté. »

Les deux autres chapelles de ce côté sont loin d'être aussi intéressantes.

D'abord l'autel du Rosaire. En 1695 de Viens y signale une Vierge et des anges de bois doré, « un petit ouvrage de tapisserie fait pour qu'on le mette au-dessus de la Vierge », un bassin pour la quête où il ne trouve que 22 sols. Crillon en 1699 et Bourchenu en 1715 y notent un tableau des Mystères du Rosaire 2 qui est encore en place. Ce qui peut nous faire dire que ce n'est pas celui du choeur, c'est qu'il ne contient pas, ainsi que M. l'abbé Giraud l'a fait

1. Voir plus loin ce qui concerne la sépulture des Bernardi et des du Port.

2. Ce n'est pas celui qui, aujourd'hui, se voit dans le choeur. Il est encore en place et doit y rester, d'après la bulle de Sixte-Quint dont nous parlerons plus loin et qui a fondé la confrérie du Rosaire (Voir l'app.).


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remarquer, les Mystères, et que c'était la condition exigée par la bulle.

Puis l'autel de l'Annonciation, ou, comme on disait autrefois à l'italienne, « l'Annonciade ». En 1695 on présente à Mgr de Viens « un buste de bois argenté représentant une vierge au bas de laquelle et à travers un verre se voit un petit reliquaire que le cabiscol Maurel a rapporté de Rome ». Il contenait des reliques de sainte Agathe. En 1760 le vicaire général de Moreau note que l'authentique y est jointe ; mais en 71 Madaillan dit qu'elle manque 1. En 1719 il est dit que les reliques avaient été envoyées de Rome par Henri de Guigues. Crillon en 1619 et Bourchenu en 1716 avaient mentionné un tableau de l'Annonciation2 : ce dernier évêque dit en 1719 que le tableau représente le « Mystère ». En 1695, de Viens signale la tombe de la famille de Guigues 3 dans cette chapelle. Le tombeau est devant l'autel, avec plaque et inscription.

Revenons au maître-autel et descendons le bas-côté nord. La première chapelle que l'on rencontre est consacrée au Sacré-Coeur ; elle l'était autrefois à la Sainte Trinité. En 1695, il s'y trouvait une Vierge de marbre et un devant d'autel en cuir doré; en 1715 Bourchenu remarque que l'autel est tourné dans le même sens que le maître-autel. Les notes conservées au presbytère disent que « l'autel de la Trinité avait un tableau représentant ce Mystère 4, et il a été remplacé il y a peu d'années 5 par celui de la Conversion de saint Paul 6 »; nous avons dit, plus haut, d'après ces mêmes documents, que l'ancien maître-autel

1. Le buste existe encore. Il est aujourd'hui à côté de l'autel dédié à sainte Anne.

2. Aujourd'hui, je crois, dans le choeur.

3. Blanc a signalé le fait que la pierre tombale de Henri de Guigues offre les armes de la famille de Corrnis : « d'azur à deux lions affrontés d'or, soutenant un coeur d'argent ».

4. Qu'est-il devenu ? Crillon a parlé de lui. Où est-il? Je l'ignore.

5. Mais depuis quand, au juste ?

6. Au sanctuaire.


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de bois doré avait été porté dans cette chapelle, lorsqu'on mit dans le choeur « le nouveau maître-autel fait à Aix il y a une soixantaine d'années».

C'est là qu'on gardait dernièrement l'une des curiosités de cette église, une de celles que décrit le mieux la notice d'E. Blanc : le ciborium ou petit tabernacle en bois 1 qui porte les armes de la famille de Hondis 2. Ce blason sépare en deux le premier mot de l'inscription qui suit le soubassement : Pinguis est panis Christi et prebebit delitias regibus. Sur les six panneaux de l'hexagone inférieur, Blanc a signalé un calice surmonté de l'hostie et flanqué de deux chandeliers dorés où brûlent des cierges, avec l'inscription Hic Deum adora, puis les Hébreux recueillant la manne, la Pâque, la Résurrection, Elie dormant sous le genévrier où l'Ange vient le réveiller, Melchissédec avec l'inscription Melchissedech summi Dei sacerdos panent et vinum obtulit. Sur les six panneaux de l'hexagone inférieur, on voit les saints Paul, Jean, Jacques, Philippe, André, Pierre; sur l'architrave court l'inscription Qui indigne manducat et bibit, non dijudicat corpus Domini.

Cet objet d'art aurait été donné par un chanoine de Vence, de la famille de Hondis, dont un neveu, notaire à Saint-Paul, cultivait la peinture et avait pratiqué l'école génoise 3. Aucun évêque n'en a parlé expressément; toutefois Viens dit en 1695 qu'il convient de poser « à côté des fonts baptismaux de l'église paroissiale, à l'endroit désigné par Nous, le vieux tabernacle qui est à présent

1. Blanc le compare « à celui de Saint-Laurent-hors-les-murs , à Rome ». Il suffit de renvoyer à Viollet-le-Duc, Dictionn. rais, du mobil. franc., t.1, p. 246, pour ce qui regarde les tabernacles en bois peint et doré de l'ancien temps.

2. « D'argent à trois bandes ondées d'azur » (Blanc).

3. Antoine de Hondis, qui a exécuté, à Antibes, le tableau de la chapelle des Franciscains et qui peut avoir été l'auteur de la décoration de ce ciborium. (Blanc). C'est a un membre de cette famille, Raphaël de Hondis, qu'on rapporte la fondation de la chapelle de Saint-Michel, bâtie vers 1480, dans le cimetière de Samt-Paul (Tisserand, Vence, p. 84). Je renvoie encore à un rapport de notre savant confrère M. Brun (Nice, 1870, V.-Eug. Gauthier), relatif au classement du tableau conservé alors dans la chapelle de l'hôpital militaire d'Antibes; les costumes sont du temps de Louis XII et de François 1er, on y lit la date de 1539 et la signature : « Antonius Aondi de Sancto Paulo pictor ».


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dans la sacristie, appuyé et attaché sur des pièces de bois, contre la muraille, d'une hauteur considérable, pour y être enfermés les crémières et sel et tout ce qui sert au baptême 1 ».

La seconde' chapelle est consacrée à sainte Catherine. J'ai rappelé plus haut que Tisserand, non content de rapporter à J.-B. Barcillon le tableau de la chapelle de saint Mathieu, dit qu'il donna aussi à l'église « un autre tableau de maître, celui de Lemoine ». De Viens, en 1695 ne signale rien d'intéressant dans cette chapelle, à l'exception d'un devant d'autel «couleur d'aurore avec un parement d'argent faux ». Crillon en 1699 y note le premier un tableau, dont il dit simplement qu'il est « de fort belle peinture». En 1719, Bourchenu répète, sans préciser davantage, qu'il est « d'un bon peintre et un original ». J'ignore ce qui le fait rapporter par certains à François Lemoine, qui fut, on le sait, premier peintre de Louis XV 2. Le tableau représente-t-il même sainte Catherine ? On le dit souvent. Notons d'abord qu'on voit fort mal le tableau, même en l'éclairant avec les cierges de l'autel. On distingue confusément une femme richement vêtue, tenant dans la main droite une palme et dans la gauche une épée, dont elle dirige la pointe sur un géant abattu : celui-ci a un sceptre dans la main.

A gauche de la toile est représenté le martyre de sainte Catherine ; au bas, une sorte de blason portant les lettres

1. « Le ciborium, à cause des réparations qui vont être faites à la chapelle du Sacré-Coeur, sera désormais placé à la chapelle de Saint-Clément, à côté du confessionnal » (note de M. l'abbé Giraud). Le mémoire Alph. Achard le désigne ainsi : « petit meuble en forme de kiosque, peint de sujets bibliques »,

2. Blanc le répète après Tisserand, mais je n'ai relevé le nom du peintre dans aucun des documents que j'ai pu étudier. Les notes du presbytère disent même qu'on l'ignore.— Lauréat du grand prix de peinture en 1711 et membre de l'Académie de peinture en 1719, il est l'auteur notamment du plafond du Salon d'Hercule au château de Versailles ; ce qui lui valut une pension de 4,000 livres et le titre dont nous avons parlé. C'est dans la grande salle que décore le plafond de Lemoine que fut donnée au tzar Nicolas II, en octobre 1896, une soirée de gala. Lemoine fut l'un des maîtres de Natoire et de Boucher, et, comme l'écrivait Charles Blanc, « la transition de Coypel à Boucher, le plus élevé, le plus noble et le plus sérieux des peintres de Louis XV ». Est-il l'auteur « de ce beau tableau », comme disent les notes du presbytère? Celles-ci ajoutent qu'on l'ignore.


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A. V. dont j'ignore le sens; dans le haut, des anges tressant des couronnes de fleurs. Je crois qu'il existe des représentations analogues où le géant terrassé figure la philosophie païenne que sainte Catherine d'Alexandrie, fort instruite, selon la tradition, a terrassée dans les discussions qui précédèrent le jour où elle fut condamnée à périr sur une roue garnie de pointes tranchantes : l'une des plus intéressantes images de ces controverses est la fresque du Pinturicchio qui décore l'une des salles des appartements Borgia, récemment dégagés et ouverts au public, au Vatican. Signalons encore le luxe du cadre, flanqué de deux génies fantastiques qui dressent celui de leurs bras qui reste libre et abaissent l'autre vers le tableau comme pour le tenir; ils se terminent en une gaîne qui se recourbe. Le mémoire Alph. Achard, que j'ai eu l'occasion de citer plus d'une fois, dit que la sainte Catherine est de Lebrun : mais d'après quelle preuve? je l'ignore. On sait que ce peintre, plus illustre que Lemoine, fut premier peintre de Louis XIV, l'un des protégés de Colbert et certainement un des meilleurs artistes de l'école française du XVIIme siècle.

Les deux autres chapelles sont loin d'être aussi intéressantes.

D'abord, l'autel de saint Joseph. En 1695, l'évêque y remarque un saint Joseph en bois doré. Les notes conservées au presbytère disent qu'auprès de cet autel, qu'entretenaient les maçons et menuisiers de Saint-Paul, il y avait « trois petits tableaux représentant l'Annonciation, saint Jean-Baptiste, les Ames du Purgatoire 1 ». En 1719, le tableau représentait Jésus, la Vierge et saint Joseph.

Puis la chapelle de l'Assomption ou, comme on la désignait encore en 1683 et en 1719, de Notre-Dame des

1. Que sont-ils devenus? Le tableau de l'Annonciation se trouve du côté de l'Evangile. Du côté de l' Epître, tableau de saint François-de-Sales. Les autres ont disparu.


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Anges. En 1695 l'évêque y trouve une Vierge de marbre. Les notes du presbytère disent que l'autel était entretenu par les tisseurs de toiles. Crillon en 1699, Bourchenu en 1715 et 19 notèrent un tableau de l'Assomption 1. Cette chapelle est maintenant sous le vocable de sainte Anne : l'ancien maître-autel, en bois sculpté et doré, y est placé. Il n'est pas inutile de signaler, au-dessus de l'autel, un cadre fort beau qui entoure une toile fort insignifiante représentant sainte Anne.

Les notes du presbytère apprennent que, « au pilier où est adossé le banc de la mairie », était autrefois l'autel de l'Enfant Jésus, « où il y avait le tableau que l'on voit au maître-autel2». L'autel du saint Enfant est mentionné par Allart en 1683. En 1695, de Viens en parle comme d'une vraie chapelle où il signale une image de l'Enfant Jésus en carton moulé et peint. Bourchenu en 1715 ne le confond pas avec les huit véritables chapelles de l'église.

Les mêmes notes disent qu'au pilier correspondant était « l'autel de saint Antoine qui avait le tableau qui est aujourd'hui à la chapelle du cimetière et qui représente les saints Antoine, Donat et Clair 3 ». Cet autel de saint Antoine est mentionné par Mgr Allart en 1683. En 1695, Mgr de Viens en parle comme d'une vraie chapelle où il signale un saint Antoine de Padoue (noter la différence) en marbre. Je répète pour Bourchenu ce que j'ai dit plus haut. Crillon a signalé le tableau en 1699.

Le sol de l'église était formé de sépultures; il convient de reproduire les notes extraites par M. Layet des actes de sépulture des registres de la paroisse de Saint-Paul. Elles donnent des indications sur les tombeaux que l'on

1. Aujourd'hui dans le choeur.

2. Même observation : ce serait le tableau qui montre la Sainte Famille et trois personnages.

3. Aujourd'hui dans le choeur.


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remarquait dans l'intérieur de l'église, du moins jusqu'à l'été de 1898 :

« Le tombeau de la Collégiale se trouve au-dessous du maître-autel actuel et partant au centre du choeur des chanoines et au-devant de l'ancien maître-autel, transporté aujourd'hui, à l'autel de sainte Anne et qui devait être placé au fond du sanctuaire. Ce tombeau a été construit en 1685, soit après la fondation de la Collégiale. Les actes de sépulture font mention de l'inhumation, en 1685, de Jean Donadis, chanoine, et de Sébastien Damitty, chanoine; en 1689, de Toussaint Bonnafous, chanoine-capiscol; en 1696, de Jean-Antoine Bellissime, chanoine-doyen; en 1707, de Jean Mougins, chanoine, de Donat Gairaud, secondaire, et d'Esprit Gardenquy, chanoine; en 1719, de Charles Raymond, chanoine, et de Guillaume Maurel, aussi chanoine; en 1724, d'André Decormis, chanoine-doyen; en 1729, de Barnabe Esmiol, chanoine; eu 1730, d'Honoré Decormis, chanoine-doyen, et de Paul Bernard, chanoine; en 1731, de Claude Guérin, chanoine, et en 1747, de Joseph de Claris de Pontives d'Ubraye, chanoine.

« Le tombeau de la famille de Villeneuve-Thorenc, seigneurs de la Gaude, du Canadel, de Tourrettes, du Caire, de Malvans, de Gréolières, de Saint-Jeannet, du Castellet et autres lieux, est au pied de l'autel de sainte Anne, dédié autrefois aux Quarante-Martyrs, puis à Notre-Dame-desAnges, du côté opposé au Baptistère. Les de VilleneuveThorenc étaient possesseurs du château de Passe-Prest, et il y a peu d'années, on remarquait, dans un coin de cette demeure, une dalle portant les armoiries de cette famille, qui a donné des gouverneurs à Saint-Paul-lès-Vence. Ces armoiries se retrouvent dans un angle du tableau représentant une Descente de Croix, enlevé, depuis environ trente ans, de la chapelle de Notre-Dame-de-la-Gardette


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et posé dans le sanctuaire de l'église paroissiale de SaintPaul.

« Etaient inhumées, dans les divers autres tombeaux de la nef à gauche, en entrant, devant les divers autels de cette nef, les familles Bernard, Geoffroy, Alziary, Layet, Bonnet, Varage, Ferrat, Berard, Gazagnaire, Gardenquy, Méric, Allègre, Fabrègue, Cadry, Dalons, Gansard, Flory, Issert, Auzias, Philibert, Giraud, Dany.

« Les familles des de Bernardi et des du Port étaient inhumées dans le tombeau qui est devant l'autel de saint Clément.

« Le tombeau de Jean-Baptiste de Barcillon, docteur en théologie, de son père et de sa mère, est dans l'intérieur de la chapelle de saint Mathieu, côté droit de l'autel, et celui des familles de Rabuis et Mercurin est au côté gauche dudit autel. Les autres de Barcillon étaient inhumés dans un tombeau spécial posé au haut de la nef, côté droit, en entrant, au-dessous du banc qui, eu dernier lieu, appartenait à la famille Fouque 1.

« Le tombeau des de Hondis est à l'entrée du sanctuaire, extérieurement. La pierre tombale porte les armoiries qui sont celles que l'on remarque au bas du ciborium. On ensevelissait aussi, dans ce tombeau, les de Boyer de Choisy.

« Quant aux de Flotte, aux Sabran-Baudinard et aux Raymond d'Eoulx, on les inhumait dans le caveau des de Barcillon.

« Le tombeau qui est au-devant de l'autel, dédié autrefois à l'Annonciation et aujourd'hui aux Ames du Purgatoire, appartenait aux familles de Guigues et Mougins.

« Les membres de la Confrérie du Saint Rosaire étaient

1. Dans l'Inv. des Arch. de l'ane, évêché de Grasse, M. Moris cite un César Barcillon, de Saint-Paul, nommé en 1651 à l'infirmerie de l'abbaye de Lérins (G. 40).


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inhumés dans le tombeau qui est au-devant de l'autel de la Sainte Vierge.

« Les principaux caveaux de la grande nef servaient à la sépulture des membres des Confréries du Très-Saint Sacrement, de la Très-Sainte Trinité, de Saint Joseph et de l'Ange-Gardien, dit Ange Custode.

« On prétend qu'Audin Garidelli, évêque de Vence, est mort à Saint-Paul, le 15 avril 1588, et qu'il a été inhumé dans le choeur de l'église paroissiale de cette ville. Ce prélat avait une affection toute particulière pour les habitants de Saint-Paul et il résidait surtout de préférence dans cette dite ville, à l'époque des troubles occasionnés à Vence par la Réforme, attendu que Saint-Paul resta toujours fidèle à la Sainte Eglise Apostolique et Romaine.

« Les étrangers, les soldats et les personnes n'ayant pas de tombeau spécial dans l'église paroissiale de Saint-Paul et n'appartenant à aucune confrérie étaient ensevelis dans le cimetière qui est celui qui, de nos jours, continue à servir à l'ensevelissement des défunts.

« La famille Guevarre, qui comptait des dignitaires de la cathédrale de Vence et des avocats au Parlement, jouissait du privilège d'être ensevelie dans la chapelle du cimetière, alors dédiée à saint Michel.

« Des familles nobles, autres que celles précitées, devaient avoir leurs tombeaux dans la susdite église. On trouve, dans les archives, trace de leurs décès, mais sans mention du lieu de leur sépulture. »

Cette note de M. Layet, que je dois à la bienveillance de M. l'abbé Giraud, est d'autant plus intéressante que les tombeaux, dont elle parle ne se voient plus aujourd'hui, à l'exception de ceux qui avaient des inscriptions et qui sont au nombre de cinq. Durant l'été de 1898, M. le curé,


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procédant aux réparations dont l'église avait besoin, les a tous vus ; les uns étaient comblés ; d'autres possédaient encore les ossements en bon ordre. Le pavé moderne, en faux marbre, recouvre maintenant toutes ces sépultures qui ont été comblées. Le travail était indispensable et, s'il a été réussi, les visiteurs en jugeront. « Nous n'avons plus, m'écrit en novembre 1898 M. l'abbé Giraud, cette humidité qui rongeait tout et qui nuisait même à la santé des fidèles. Nous n'aurons plus à craindre à l'avenir ces affaissements qui se produisaient dans le vieux dallage, chaque fois qu'une sépulture venait à céder. Les évêques de Vence avaient bien raison de protester contre ces ensevelissements à fleur de sol. Même de nos jours, avant le repavage, nous marchions presque sur des cadavres et le poids de nos corps écrasait ces ossements qu'une brique à peine séparait de nos pieds. » Le mémoire Alph. Achard n'a pas tort de dire que sous l'église de Saint-Paul il y a « une vaste nécropole » : il indique les simples dalles tumulaires qu'on voyait alors « dans la grande nef et dans celle de gauche », la dalle à inscription latine 1 et la plaque de cuivre de la chapelle saint Mathieu2, la tombe « au pied de l'autel de la Vierge 3 », la sépulture d'un Henri de Guigues « à côté de l'autel de sainte Agathe dont il avait été probablement le fondateur 4 », et en haut de la grande nef deux autres tombes, l'une à droite. 15, l'autre à gauche 0.

1. « Deo optimo. Hic jacent d(omi)n(u)s Bonifacius Barcillon et uxor ejus eoru(m)q(ue) nati, solo Joaune Baptista d(octore) theologo superstite qui ad hoc altare s(a)n(c)ti Mathan perpetuam capellaniam fu(n)davit an(n)o Domini 1658. Requiescant in pace. » Voir p. 12.

2. A g. de l'autel, fixée dans le mur, « surmontée d'armoiries d'évêques », et mentionnant la fondation (Mém. Achard).

3. « Une tête de mort et deux tibias en croix : probablement un membre de la famille Barcillon. Une guirlande entoure la pierre où est gravée l'inscription : Triumphat Crux in corde Christi et referet palmam in morte justi. In Cruce Domini jacet spes nostra et in Ejus Resurrectione vita aeterna. » ilbid.)

4. « Marbre blanc, avec blason : deux lions sur fond d'argent et une étoile à huit branches. Guirlande de feuillages autour. Date du 10 septembre 1677. » (Ibid.)

5. « Blason coupé, partie or et argent et partie or, avec trois étoiles dont l'une a quatre branches et les deux autres seize, chevronné avec gueules : guirlandes. » (Ibid.)

6. « Blason sur argent, quatre chevrons ; à l'entour, des serpents. » (Ibid.)


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Voici qui est plus intéressant, et le mémoire Achard est le seul document, à ma connaissance, qui en parle. « Ces jours derniers, on dallait le sanctuaire et le choeur en marbre. Les maçons soulevèrent une large dalle : en dessous était un caveau qui se prolongeait sous le maîtreautel. Quatre squelettes, encore revêtus de vêtements sacerdotaux, étaient étendus; l'un avait des chaussures à boucles d'argent et le bonnet de forme conique, surmonté d'un gland de soie noire, que les prêtres portaient il y ,-a environ vingt-cinq ans. Trois heures après les curieux avaient tout brisé. Il y a quatre ou cinq jours on découvrit un second caveau près de l'autel de saint Clément : plusieurs cercueils y renfermaient des squelettes parfaitement conservés. ».

La chaire sembla au vicaire général, eu 1667, « mauvaise et logée fort incommodément pour le prédicateur et le peuple. » J'ai dit qu'en 99 Crillon admirait « la très belle chaire à prêcher, en bois de noyer. » Elle est toujours en place et bien conservée.

Les fonts étaient, en 1699, du côté de l'Epître : à côté d'eux, l'évêque mentionne une armoire de bois peint.

Le clocher date de 1740, selon une inscription latine qui est engagée dans sa base. Le nom de l'évêque académicien, Surian, ne s'y lit point. Il est dit que « grâce à la concorde, au travail et à la piété du clergé et des citoyens, ainsi qn'au concours de Mgr Flodoard Moret de Bourchenu, en des temps très difficiles 1, la voûte de l'église et la chapelle de la Trinité ont été réparées » et que le clocher, autrefois bâti à. gauche, s'étant effondré à l'intérieur, a été réédifié à

1. Allusion aux malheurs de 1709, dit Blanc. Mais Crillon était alors évêque; on sait d'ailleurs que Saint-Paul souffrit de l'invasion de 1707, eut momentanément un régiment hongrois et un gouverneur allemand, puis les bataillons suisses (Tisserand, Vence, p. 231 et suiv.). Bourchenu remplaça Crillon en 1711 et resta évêque de Vence jusqu'en 1727 : on n'ignore pas dans quel triste état il trouva son diocèse (ibid., p. 236 et suiv.). Tisserand n'a pas tiré profit de cette inscription du clocher de Saint-Paul.


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droite et porté plus haut en 1740. Blanc, qui a relevé cette inscription, signale la visite de Crillon en 1699 : il y est dit que l'église n'avait pas une voûte en maçonnerie, qu'elle possédait une simple charpente sur laquelle reposaient des briques, que la grande porte n'avait pas de serrure et que toutes les clefs ouvraient la petite, que le clocher était alors à gauche et les fonts à droite. Les cloches actuelles sont de 1811 et de 1820 1. Nous avons dit plus haut qu'en 1626 l'Angelus n'était pas sonné à midi; qu'en 1654, « attendu la grosseur de la cloche » (il n'y en avait donc qu'une), il fallait non un enfant, mais « un clerc qui fût un demi-homme », pour la mettre en mouvement. En 1729, Surian trouve six cloches, dont la plus grosse rompue. En 1760, le vicaire général de Moreau demande qu'elles soient « mises en état d'être sonnées en branle d'autant que, sur cinq que possède le clocher, trois ne peuvent sonner ainsi. » Il s'agit probablement des cloches fondues en 1661 par François Baraguy, de Toulon 2. Il semble, toutefois, qu'en 1638 il y ait eu un marché passé pour des cloches 3.

Il y. a quelque intérêt à rappeler qu'un des évêques de Vence, Audin Garidelli, qui résida à Saint-Paul, de 1577 à 1588, en raison des troubles de sa ville épiscopale 4, passe pour être mort à Saint-Paul le 23 avril 15885 et pour avoir été enseveli dans l'église 6. Sa pierre tombale n'a jamais été retrouvée.

1. Blanc.

2. Je cite Tisserand, Vence, p. 101.

3. Ibid., p. 309 « par-devant P. de Guigues » : Tisserand semble avoir vu l'acte en l'étude de Me Trastour, notaire à Vence.

4. Voir plus haut. D'abord grand vicaire de Louis du Bueil de Grimaldi, il le remplaça quand cet évêque eut démissionné et fut devenu grand aumônier du duc CharlesEmmanuel de Savoie (Tisserand, Vence, p. 130).

5. Tisserand (Tour, à Vence, p. 82 ) l'appelle « bon prédicateur « nous ne savons d'après quelles sources. Ailleurs (Vence, p. 163) il dit que son tombeau est à Saint-Paul, ce qui n'est pas clair.

6. Blanc, d'ap. Pierre Louvet, de Beauvais, Abrégé de l'Hist. de Prov., Paris, Léonard Tétrode, 1676.


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Mais la véritable curiosité de cette église est son trésor d'orfévrerie. Nous en avons parlé ailleurs 1 : toutefois il importe d'y revenir ici. On a souvent mentionné les reliquaires de Saint-Paul. A en croire un des premiers travaux de Tisserand, on s'imaginait, il y a un demi-siècle, que c'étaient des objets, de cuivre, on n'y attachait aucune valeur, on les laissait « depuis longtemps enfouis dans la sacristie. Un amateur a, depuis peu, découvert que tous sont en argent », écrit Tisserand vers 1853. « Que d'argent échappé à la rapacité de 1793, et combien le musée du Sommerard serait heureux d'acquérir ces raretés !2 ».

Les reliques et les reliquaires où elles sont enfermées 3 reposaient en effet, autrefois, « dans une armoire à gauche du presbytère » (nous dirions le choeur) en 1683, ou bien, comme en 1695, « dans une assez grande niche aménagée dans le presbytère et au côté de l'Evangile, et qui fermait à clef... par une grille en fer et une porte en bois à serrure. » Puis, en 1715, l'évêque dit qu'elles sont d'habitude gardées dans une armoire de la sacristie et qu'on les expose aux fêtes solennelles; en 1729, qu'elles sont « tenues avec décence ». En 1760, le vicaire général écrit qu'elles sont « dans une espèce d'armoire »; en 1771, l'évêque, qu'elles sont « dans une armoire du mur de la sacristie ». Plus heureuses que celles de Vence 4, les pièces d'orfévrerie de Saint-Paul ont presque toutes traversé la période révolutionnaire, grâce à la cachette où elles durent être enfermées. Elles sont pour la plupart conservées, non plus dans

1. Bull. arch. du Com. des Trav. historiq., 1898, p. 49 à 61 (avec reproduction de la Vierge, du saint Sébastien, et du bras d'argent, d'après des clichés que je devais à l'obligeance de notre savant confrère M. Bousquet, directeur de l'Ecole normale des Instituteurs des Alpes-Maritimes, et de M; Girard, directeur de l'Ecole-Annexe).

2. Tisserand, Tour, à Vence ; Vence, p. 100 ; Nice et Alpes-Marit., p. 312. Le mémoire Achard, postérieur au moins aux deux premiers travaux de Tisserand, parle de la découverte « fortuite, faite en 1855, dans la sacristie, d'objets que l'on crut de cuivre et qui étaient recouverts de peinture, et d'ailleurs de poussière : un doreur ambulant les restaura ».

8. Il va sans dire que nous ne parlons pas ici de celles de saint Clément qui ont leur chapelle spéciale.

4. Tisserand (Vence, p. 301) dit que l'argenterie do l'ancienne cathédrale de Vence fut portée à Grasse le 20 décembre 1793, et les cloches à Antibes.


le choeur de l'église, ni même dans la sacristie, mais dans une armoire du presbytère, où elles sont moins exposées à la main des voleurs. Grâce aux démarches de M. Moris, archiviste des Alpes-Maritimes, les plus belles sont depuis peu classées comme monuments historiques 1. Le doyen de Saint-Paul déclara au vicaire général, de Moreau, en 1760, que le peuple de la petite ville avait, pour ces objets d'art et de piété, « une véritable dévotion ». Ils ne sont pas exposés quotidiennement 2 : un saint Georges moderne, fabriqué par un atelier de Munich, suffit à la religion dès villageois actuels. Ils sont fort intéressants; quelques-uns même ont une véritable beauté; il semble utile d'en donner une description assez détaillée 3.

Nous signalerons d'abord la Vierge, le saint Jean-Baptiste et le saint Sébastien, statuettes d'argent repoussé au marteau et en partie doré.

La Vierge1 est debout et porte dans sa main gauche l'enfant Jésus vers lequel elle penche les yeux avec une expression de douceur un peu triste. De la droite, elle lui présente un objet qui semble une grenade plutôt qu'un globe surmonté d'une croix. Une partie des vêtements de Marie est dorée. Le bord de son voile est orné d'entrelacs simplement traités, qui sont particulièrement bien conservés sur le sein droit et au bas des pieds. La ceinture est également munie d'une ornementation élégante et discrète. Le socle octogonal est enrichi de contreforts à pans coupés, décorés de pinacles et terminés en clochetons. Sur la bande courent des culots, des boucles de feuillages, des entrelacs

1. Par un arrêté de décembre 1897.

2. « Même au presbytère, elles ne me paraissent pas en sûreté. Voilà pourquoi je me propose de faire un coffre-fort pour elles à la sacristie ». (Note de M. l'abbé Giraud.)

3. Je reproduis ici, en la modifiant sur quelques points, en la complétant même, la communication que j'ai faite au Comité des Travaux Historiques et que M. Babelon, membre de l'Institut, avait daigné lui présenter.

4. D'argent (visites de 1715 et de 1760) ; de cuivre doré (visite de 1771), ce qui est une erreur.


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de rinceaux et un gracieux enroulement de fleurs qui décrivent des lignes courbes. Ce soubassement, dont la décoration est soignée avec un goût tout particulier, porte sur quatre petits lions assis et posés sur leurs pattes de devant. On sait que, selon certains archéologues, tout instrument qui servait au culte et était destiné à être placé sur l'autel, reposait, au moins en général, sur des lions ou sur des animaux fantastiques, tels que griffons ou dragons 1. Aux pieds de la Vierge on distingue deux trous rectangulaires où devait passer un fil en métal ou de soie destiné à serrer quelque objet en-dessous de la base de cet objet d'art et dans la boîte que forme le socle. En effet, lors des visites de 1695 et de 1715, on voyait sous cette statuette d'argent «du bois de l'écuelle dont la Sainte Vierge se servait», ainsi que l'écrivent les évêques de Vence. De Viens ouvre la caisse et y trouve « un petit morceau de bois un peu plus long que l'ongle ; au petit trou de la boîte.» il n'y avait ni verre ni cristal ; l'image de la Vierge était paréo « d'un chapelet de corail et d'une pièce de corail et d'une petite croix attachée par un ruban ». La relique est, « dit-on, de l'écuelle de Lorette 2 ». Bourchenu écrit en 1715 que l'image est d'argent, qu'elle a deux pans et demi environ, qu'elle contient « du bois de l'écuelle dont la Vierge se servait, venu de Lorette » ; en 1719, avec plus de réserve, qu' « il semble qu'il y ait des reliques de la Vierge ». Cette statue est la pièce la plus précieuse du trésor. On peut la rapporter au XIIIe siècle 3 ou plutôt au XIVe ; la vicairie perpétuelle de Saint-Paul ne date en effet que de 1322.

1. Mgr Barbier de Montault, Ann. archéol., t. X, p. 217. M. Brutails a fait certaines réserves : Bull, arch., 1893, p. 375, note 1.

2. Selon une tradition connue, la maison de la Vierge à Nazareth fut miraculeusement transportée en Dalmatie, pais à Lorette. L'église de cette ville est bâtie sur la « Santa Casa ». On y montre à la dévotion des fidèles le plat où Marie mangeait.

3. Haut : 0m,52. Blanc, d'après la « position naïve de Jésus et la pose maniérée de la Vierge » ne rapportait ce beau reliquaire qu'au commencement du XVme siècle. D'autres en admirent « le caractère byzantin ».

3


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Le saint Jean-Baptiste 1 a les cheveux, la barbe, ainsi que les moustaches et une partie des vêtements, dorés. Il porte de la main gauche un livre à fermoir sur lequel est couché l'Agneau nimbé. On dirait que l'orfèvre a voulu représenter l'autre saint Jean, l'Evangéliste, tenant le livre mystique, scellé de sept cachets, dont parle l'Apocalypse. Mais le traditionnel habit en peau de mouton, doré lui aussi, et représenté par un guillochis onde, ne laisse aucun doute sur l'identité du personnage. Le bord du manteau que le Précurseur porte par-dessus son costume rustique, est décoré de petites rosaces en forme de fleurs sur une bande ornée de traits symétriques et parallèles. Le nimbe qui est soudé derrière sa tête est formé d'un simple disque doré. Le geste du bras droit, la pose de la main qui désigne le Messie sous le symbole de l'Agneau, la disposition des pieds offrent une réelle gaucherie : ce qu'il y a de mieux, c'est la manière dont sont traités les yeux qui suivent le mouvement du doigt de la main droite et se portent vers le symbole divin. Le Précurseur est debout sur un socle à deux gradins, soudés l'un à l'autre. Le plus étroit est décoré d'enroulements moins riches que ceux qui parent le soubassement de la Vierge : ce sont des volutes enroulées en spirales et des cartouches dont les découpures reviennent sur elles-mêmes. Le bandeau inférieur, qui est aussi le plus large, présente une série de boucles et de moulures à profil plat ou en demicercle consistant en anneaux au centre desquels passe çà et là une petite rosace ; ils sont enlacés de façon à former un motif continu. Le socle rectangulaire pose sur quatre lions, traités autrement que ceux de la Vierge et accroupis sur leurs pattes : un tenon qui part de leur tête et traverse l'étage inférieur du soubassement, ferme la caisse où l'on

1. D'argent (visite de 1715) ; argenté (visite de 1771), ce qui est une erreur.


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pouvait placer des reliques. Msr du Vair, en 1619 et Mgr Godeau, en 1654, notèrent en effet que « dans le pied » de cette image se trouvaient « quelques reliques ». Mais ils ont omis de préciser. En 1695 on remarqua seulement « un agneau et une croix sur le piédestal » ; détail que je n'ai pu arriver à comprendre en examinant l'objet. En 1715, il est parlé de « cendres du corps de saint Jean-Baptiste » que la statuette aurait contenues. J'ai constaté, avec M. l'abbé Giraud, curé de Saint-Paul-du-Var, que le socle contenait bien quelque chose : c'était un os, enveloppé de soie verte, et une authentique signée d'un aucien curé du village disait que cette « relique insigne » avait été trouvée dans un morceau de soie bleue qui tombait en poussière. On date cette statuette du XVme siècle 1. En 1619 du Vair dit sans précision qu'il lui manquait quelque chose : « l'image de saint Jean, en relief, d'argent, laquelle y défailloit quelque chose ». En 1695, de Viens la mentionne brièvement, dit qu'elle est d'argent, ainsi que le piédestal, l'agneau «et la croix». En 1771, Madaillan parle du « buste » de saint Jean-Baptiste.

Le saint Sébastien 2 est représenté comme d'habitude, debout, presque nu, les mains liées derrière le dos et attachées à une colonne, percé de trois flèches dont l'une s'enfonce dans la hanche droite, et les deux autres dans la cuisse gauche. Le nimbe du martyr est formé d'un cercle ajouré, que traversent des rayons en forme de flammes. Son jeune visage imberbe est entouré de grands cheveux, longs et légèrement flottants. Une draperie lui cache le bas du ventre. Les mains sont attachées à une colonne de cuivre torse et ondulée ; les spirales se terminent par une boule d'amortissement dont le bouton est côtelé. Le socle est

1. Haut : 0m.45.

2. Reliquaire d'argent (visite de 1760); buste argenté (visite de 1771), ce qui est une erreur grave.


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cantonné de colonnettes annelées et supporté par des lions traités comme ceux de la Vierge, sous cette réserve que le style de ceux du premier reliquaire est bien plus soigné. La bande du soubassement hexagonal n'a aucun ornement. Toutefois sur le devant on remarque dans le bandeau une fenêtre dormante où l'on devait conserver une relique. En effet, en 1715 le saint Sébastien passait pour contenir « du linge trempé dans le sang du saint martyr ». De Viens avait écrit que le saint Sébastien, d'argent, attaché à une colonne de cuivre est fixé à un piédestal de cuivre où un verre laisse voir « une relique sans authentique ». Bourchenu en 1715 est plus précis. Cette statuette mérite d'être rapportée au XVme siècle 1.

L'église de Saint-Paul-du-Var possède d'autres reliquaires, dont plusieurs ont une certaine importance.

D'abord un avant-bras d'argent, dont l'index et le médius ont l'attitude de la bénédiction épiscopale ; les autres doigts sont repliés. L'un d'eux portait en 1667, lors d'une visite du vicaire général de Mgr Godeau, « un petit anneau d'or » qui a disparu et dont la mention semble indiquer aussi que ce beau reliquaire a contenu une relique d'un évêque canonisé. Le vêtement intérieur colle sur le poignet et ne porte qu'une bordure ciselée on forme de grenetis. Le bas de la manche extérieure était orné de sept cabochons dont la monture est aujourd'hui vide. En 1654, Mgr Godeau écrit que ce bras d'argent contient des reliques de saint Antonin ; de même en 1667 son vicaire général, qui demande qu'on y remette «. un verre de cristal », et ses successeurs en 1695 et 1715. Mais en 1760 on les attribuait à saint Antoine, et il est dit alors que c'est un os du bras. Aujourd'hui l'on ne voit plus rien derrière la petite fenêtre vitrée, encadrée d'un ornement

1. Haut : 0m,46.


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assez simple, qui se compose d'une bordure ciselée et découpée : la relique, qui a provoqué le respect des gens d'autrefois, est égarée. En outre on remarque en dessous, et sur le devant du reliquaire, une image gravée et encadrée aussi d'une bordure terminée par- un fronton à rosaces et palmettes. Cette image représente bien saint Antoine : c'est un homme coiffé, semble-t-il, d'un capuchon, habillé d'un vêtement simple à la droite duquel est figurée une sorte de T, tenant dans la main droite une cloche et dans la gauche un livre ou un coffret, et ayant à ses pieds certain animal, muni d'une sonnette au cou, dans lequel il est impossible de ne point reconnaître le traditionnel parèdre que l'art de l'Occident donne au célèbre fondateur du monachisme de l'Orient. A la base du bras-reliquaire est gravée une inscription en lettres gothiques :

Doc est reliquiarin(m) b(au)ti Anthonii factu(m) MCCCCXVII mensis martii VII 1

Le socle de ce bras vêtu étendant la main pour guérir est décoré d'une seule bande d'ornements : ce sont, presque dans le genre de ceux du gradin supérieur du Saint-JeanBaptiste, des entrelacs de rinceaux purement géométriques. Quatre petits lions, posés comme ceux de la Vierge, le supportent. Ce reliquaire d'argent, en partie doré, est le seul qui ait une date 2. Dans la visite de Viens en 1695 je note qu'il dit que le bras d'argent est « de saint Antonin selon la tradition », qu'au milieu se trouvait alors « un morceau d'os avec un taffetas feuille morte », que ni verre, ni cristal ne garnissait « la petite ouverture » et qu'il n'y avait point d'authentique. Dans celle du vicaire général

1. Les uns ont proposé 1409; Blanc, 1467; je me conforme aux données de l'arrêté ministériel. Une cloche du beffroi de Saint-Paul a la date de 1443 (Blanc).

2. Haut : 0m,43.


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de Mgr Moreau en 1760, il est parlé, sans plus de détails, d'un reliquaire (de la forme il n'est rien dit) contenant « un os de saint Antoine », mais sans authentique.

Un autre a une forme qui serait assez déconcertante, si l'on ne savait pas que les reliquaires d'Occident ont souvent pris l'aspect des objets qu'ils contenaient et si l'on n'avait quelques détails précis et indiscutables pour en comprendre la disposition. Mer de Viens en 1695 dit qu'il est en cuivre argenté, qu'il représente « une omoplate », qu'il était à cette date en mauvais état ; il l'ouvre et y trouve « un grand os d'omoplate », ainsi qu'une attestation, datée de 1602 et signée par Mgr du Vair, d'après laquelle c'est une relique de saint Georges. Il convient de dire que les saints Paul et Georges sont les deux patrons sous le vocable desquels l'église de Saint-Paul-du-Var est placée : c'est ce qu'on signale dans la visite de 1715. Il y est ajouté que le reliquaire est en argent, à l'exception du pied : celui-ci en effet n'a aucun ornement, est d'une forme assez vulgaire et ne repose sur aucun des animaux dont il a été parlé dans ce qui précède. En 1771 ou le décrit comme « une sorte d'épaule argentée ».

Le vicaire, général de Godeau avait demandé, en 1667, des réparations « à la la colonne du reliquaire de saint Georges », c'est-à-dire à la tige, renflée d'un anneau, qui relie le pied et la partie disposée en forme d'épaule. En 1671 Mgr Godeau lui-même avait prescrit de remettre « un peu de cristal au reliquaire de saint Antoine » que nous avons décrit plus haut « et à celui de saint Georges ». Cet objet, d'une forme si particulière, porte, en effet, d'affreux cabochons chevés, polis, non taillés; trois sont même de vulgaires verres grossissants dont l'un laisse apercevoir quelques lignes d'une vieille écriture à peu près illisible tracée sur un morceau de papier. Il contient des reliques ;


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mais nous n'avons pu savoir de quel saint, ni si c'est l'os de saint Georges comme autrefois. On a dit 1 qu'il était surmonté « de deux doigts ». Ce sont deux tubes parallélipipédiques, garnis de petites fenêtres en forme de quatrefeuilles ; celles-ci sont bouchées par une soie rouge qui indique, semble-t-il, que des reliques y sont conservées. Ce reliquaire pédicule est du XVme siècle 2. Bourchenu note, en octobre 1719, qu'on porte « la relique de saint Georges, le jour de la saint Georges, à la chapelle saint Michel » qui, on le dira ailleurs, était et est encore dans le cimetière de Saint-Paul ; en octobre 1715 il dit que ce reliquaire « en forme d'épaule renferme l'omoplate de saint Georges, patron de la ville », et qu'il est en argent, sauf le pied ; en juin 1760, le. vicaire général de Mgr Moreau mentionne un reliquaire d'argent (de la forme il n'est point parlé) contenant « un os de l'épaule de saint Georges». Mais la plus intéressante description est celle qu'a donnée de Viens en 1695. Le reliquaire de saint Georges était alors, dit-il, « rompu en bien des endroits, ainsi indécent », avait besoin de réparations et contenait « un grand ossement considérable de l'omoplate dans du taffetas et la cédule suivante : Vos Petrus du Vair, episcopus Venciensis, hodie visitationem nostram facientes visitavimus et recognovimus hoc reliquiarium in quo reperivimus cedulam manu nostri ultimi predecessoris scriptam 3 , quae declarabat in. hoc inclusum esse os beati Georgi martyris secundum antiquam populi religionem et traditionem sacerdotum et consulum : quod cum idem nobis sit significatum, in fidem subscripsimus die XII febrarii 1602. Petrus du Vair, ep. Venciensis ».

1. Blanc ; il proposait d'attribuer l'objet à la un du XIIIme siècle.

2. Haut : 0m,46.

3. Guillaume Le Blanc, qui fut évêque de Vence de 1592 à 1601.


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Au XVIlme siècle Godeau ne l'a pas minutieusement décrit non plus que celui qui était dit « de saint Biaise » et auquel il désira qu'un verre fût posé en 1654. Celui-ci est mentionné avec plus de soin lors de la visite de 1715 ; « le haut est en forme d'un petit maillet rond et long, renfermant un os du vertèbre de saint Blaise 1 ». En 1695, il est dit que l'objet est d'argent et le pied de cuivre : comme le piédouche du reliquaire en forme d'omoplate, celui-ci n'a pas d'ornements, mais la bouche qui renfle le milieu de la tige est mieux traitée et a dû contenir des émaux qui ont disparu aujourd'hui. Ce reliquaire pédiculé, en cuivre doré, a un cylindre horizontal où des reliques furent autrefois enfermées, où d'autres le sont aujourd'hui. Le dessus avec son gable terminé par une croix, figure une demi-rosace de forme circulaire, décorée de fleurons, surmontée d'un petit crucifix fleuronné et accostée de deux pinacles dont les clochetons imbriqués sont terminés par un crochet ; la crête est ornée de crosses végétales finement découpées. Il contient aujourd'hui une relique où l'on peut lire l'inscription S(ancti) Clari abb(atis) : de saint Biaise il n'est plus question. Ce reliquaire peut appartenir au XIVme ou XVme siècle 2. En 1619, du Vair se plaint de ce que les reliques de saint Blaise n'ont pas de verre : de la forme de l'objet qui les contient il ne dit rien. En 1695, de Viens parle d'un reliquaire d'argent à pied de cuivre, « contenant un vase de verre où est une relique qu'on affirme être de saint Blaise, cousue dans du taffetas rouge, et sans authentique ». En 1715, Bourchenu cite un reliquaire « en forme de maillet où est un os de la vertèbre de saint Biaise»; en 60, le vicaire général de Mgr Moreau, sans

1. Avec moins d'élégance, il rappelle le reliquaire de Serdinya (Pyrénées-Orientales), que M. Brutails a publié dans le Bull. Arch., 1893, p. 375, pl. XXVII.

2. Haut : 0m35.


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préciser, un reliquaire « d'argent renfermant un os de saint Blaise » ; en 71, Madaillan en parle presque de même.

Passons à deux reliquaires de cuivre : le plus petit, en forme d'une tour ronde, surmontée d'un toit conique, a l'aspect d'assises de pierres superposées et se termine par une boule; le plus grand, en forme d'hexagone, est surmonté d'un toit pyramidal à six faces et dont les arêtes sont ornées d'une série de crochets. Ces deux objets retiennentils quelque chose de la tour où l'on garda le SaintSacrement près de l'autel jusqu'au XVe siècle et qui servait de tabernacle ? Ce qui est sûr, c'est qu'il est parfois malaisé de reconnaître, dans les visites pastorales, ce/qui revient à l'un et à l'autre1.

En 1654, Godeau remarque un objet de cuivre dont il lui est dit qu'il contenait des reliques de sainte Claire et de saint Etienne. En 1667, son vicaire général les change « en un autre reliquaire d'airain surdoré plus décent » : il les fait passer, je crois, du petit dans le plus grand. En 1695, de Viens distingue avec précision les deux reliquaires de cuivre doré. L'un, en pyramide (et le plus grand, d'après ce qui suit), contenait un morceau de damas rouge où étaient un billet d'Arnoulx, le vicaire général de Godeau, daté du 25 septembre 1667, et des reliques que la tradition attribuait « à sainte Claire et à un autre saint » (sans préciser). L'autre, « en petite pyramide », avait un verre au travers duquel on voyait « des reliques de saint Cler, martyr, apportées par le cabiscol de la collégiale de Saint-Paul, Maurel », qui l'affirme à l'évêque, ajoute qu'elles viennent de Rome et montre l'authentique visée par Godeau à la date du 15 février 1672 2.

1. Aussi ai-je cru nécessaire de modifier sensiblement ce que j'avais dit dans le Bull. Arch. Un examen plus minutieux des procès-verbaux me permet, je crois, de préciser davantage.

2. Guillaume Maurel, qui est inhumé dans l'église (voir plus haut), est cité dans l'Invent. des arch. de Vanc. évéché de Grasse par M. Moris comme un chanoine de Saint-Paul qui avait obtenu du Pape pour l'église de Châteauneuf des reliques de saint Prosper, sainte Colombe et sainte Candide, martyrs (G. 212).


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Le reliquaire de sainte Claire est décrit en 1715 comme « ayant une forme de tour finissant en pyramide et contenant, un peu du voile de sainte Claire » ; en 1719, comme un objet « d'argent doré, en forme de fonts baptismaux, qu'on nous a dit », ajoute Bourchenu, « renfermer des reliques de sainte Claire ». On faisait même « courir ordinairement la relique le jour de la fête » de la sainte, le 12 août, dans une petite chapelle qui est sur la route de Saint-Paul à Vence : en 1719 l'évêque défendit que cette coutume durât. On l'a qualifié à tort, semble-t-il, d' « ostensoir gothique en cuivre doré » 1. Il contient aujourd'hui des reliques récemment déposées et qui n'ont rien de commun avec celles dont il a été parlé. Comme le reliquaire de saint Blaise et celui de saint Georges, il ne repose pas sur des lions. Le couvercle de ce reliquaire pédiculé est libre ; l'intérieur est brut, ne contient pas une fausse coupe et une vraie ; la bague qui renfle le pied n'a point trace d'émaux et porte de simples médaillons en losange ; les faces de l'hexagone n'ont aucun ornement, à l'exception des colonnettes à bague qui décorent les angles de la boîte et que surmontent de plus minces. Il semble qu'une croix, aujourd'hui disparue, l'ait surmonté. On peut le dater du XIVe siècle 2.

Le petit reliquaire de saint Cler est décrit en 1715 comme renfermant « un os de saint Clair martyr » ; en 1760, « des reliques de saint Clair moine des (îles de) Lérins ». Toutefois ce personnage ne figure point dans les Litanies des saints de Lérins 3 : il se peut qu'il ait été l'un des socii de saint Aygulphe, martyrisé avec

1. Blanc. Il rappelle sans doute un peu le ciboire en cuivre d'Argelès-sur-Mer ( Pyr. orient.) que M. Brutails a publié, l. c. p. 373. Le musée de South-Kensington à Londres a plusieurs pièces analogues, dit-il, mais découpées à jour, qui sont qualifiées de monstrances et qui peuvent être des ciboires ayant perdu leur coupe intérieure. Blanc le datait de la fin du XIIIme siècle.

2. Haut: 0m45.

3. Abbé Alliez, Lérins, Paris, Didier, 1860, p. 483.


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trente-deux religieux, ou de saint Porcaire, tué avec cinq cents. Il contient aujourd'hui des reliques récemment déposées. On le date du XIVe siècle.

Je ne dis rien d'un reliquaire tout moderne qui contient la relique de sainte Claire dont il a été parlé.

Il convient de mentionner une belle croix processionnelle en argent doré, qui a été classée au nombre des monuments historiques et que l'on peut dater du XIVe siècle 8. Elle est fleuronnée et à deux faces. Avant le trèfle qui termine chaque bras est fixé un quatrefeuille orné d'un tore où sont gravés des sujets religieux. Sur la face principale à droite la Vierge lève la main avec douleur ; à gauche saint Jean, tenant son Evangile de la main droite, appuie la tête dans le creux de sa main gauche ; en bas, sainte Marie-Madeleine, les cheveux épars, les mains jointes et relevées au ciel, verse des larmes que l'artiste a eu le soin et le mauvais goût de représenter, goutte à goutte, au burin; en haut, mais assez effacé, Dieu le Père. Sur l'autre face, il ne reste que le sujet du quatrefeuille supérieur, l'Aigle de saint Jean tenant une banderole où se lit, en lettres gothiques, le nom de Joh(ann)es. Il est probable que, dans les. trois autres- extrémités, il y avait les symboles des trois autres Evangélistes, et dans celui du milieu un Agnus' Dei, ainsi que sur les croix processionnelles de cette contrée dont la description revient sans cesse dans les visites pastorales que Mgr Pierre du Vair fit dans son diocèse de Vence. Dans les fleurons trilobés qui terminent les bras de la croix, il a dû se trouver des dessins qui ont disparu. Ceux dont nous avons parlé, sont encore maintenus par de petits clous ; ici et sur le reste de la croix on voit la trace des clous qui ont été arrachés et l'on peut supposer que des or1.

or1. 0-27.

2. Haut: 0m63.


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nements ont été détruits en même temps. Le pied de cette belle croix offre un renflement où il n'a pu se trouver des émaux : quelques médaillons gravés, de forme ronde, petits, et dont plusieurs sont conservés, le décorent. Allart décrit en 1683 « la grande croix de cuivre doré avec quelques plaques d'argent et un Christ d'argent » ; de Viens en parle brièvement. Crillon signale les deux croix processionnelles.

Les reliques pour lesquelles la population de Saint-Paul avait, d'après ce qui fut déclaré en 1760 au vicaire général de Mgr Moreau, « une véritable dévotion », étaient placées en 1715 sur le maître-autel ; en 1695 une « assez grande niche avec sa porte fermant à clé » était aménagée dans « le presbytère » et du côté de l'Evangile pour les recevoir. Cette année-là, de Viens signale encore une curiosité : une bourse où se trouvaient un chapelet, « deux tours de petites perles mêlées avec d'autres perles et pierres en forme de roses et de perles », un petit morceau de corail avec un ruban. Surian en 1729 jugea que les reliques étaient « tenues avec décence ». Le vicaire général de Moreau les trouva « dans une espèce d'armoire » en 1760 et mentionna le buste de bois doré de saint Donat avec les os « sans authentique », les reliquaires d'argent de saint Blaise, de saint Georges, de saint Antoine, celui de cuivre de saint Clair, le saint Sébastien, « tous sans authentique ». Madaillan en 71 signala dans la chapelle de l'Annonciation le buste de sainte Agathe sans authentique, dans celle de saint Clément les reliques du saint « dont l'authentique serait dans les archives de l'évêché », enfin dans une armoire du mur de la sacristie le buste de saint Donat, la Vierge, le saint Sébastien, «le buste représentant saint Jean-Baptiste », le reliquaire de saint Blaise.

Outre les reliquaires et les croix dont nous venons de


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parler, l'église de Saint-Paul possédait encore certains objets qui n'existent plus : notamment un calice et sa patène, d'argent, donné par un de Guigues et portant ses armes 1, qui est signalé par Allart, en 1683, et par de Viens, en 99, — quelques pièces de cuir doré assez anciennes,— un antiphonaire et un graduel romains en lettres gothiques, comme le dit Mgr de Viens, — une caisse dont il parle et où il y avait un gros os dans un morceau de taffetas noir, ainsi qu'un sac plein d'ossements dont le doyen du chapitre lui avait affirmé qu'ils avaient été découverts « derrière le maître-autel lorsqu'on le fit relever » et que Godeau les avait examinés en vain. Je suppose que c'est la caisse de bois dont le premier académicien dit en mai 1654 qu'elle était conservée dans la sacristie; il en avait enveloppé les reliques dans du taffetas et avait mis sur le bois le sceau de ses armes. Ont également disparu : un bras de bois doré qui, en 1715, contenait un os de saint Donat, et un buste en bois doré qui, en 1695, renfermait des reliques du même saint, avec une authentique envoyée de Rome et contresignée par le vicaire général, le 18 juillet 1686; et en 1760, « deux os de saint Donat disposés en croix ». Le vicaire général ajoute cette fois que l'authentique manque et que le buste était censé représenter le saint.

D'autre part sont conservés, au presbytère, les objets suivants : un reliquaire eu bois sculpté, où l'on voit une relique avec l'inscription : Os s(anctae) Annae, — trois flacons pour l'extrême-onction, avec les inscriptions : Infirmorum, catechum(enorum), chrisma, l'un d'eux garni d'une spatule, — trois plats de cuivre, dont l'un porte le texte : A. M. I. V. E. R. A. R. 2 pri(e)u(r)s et rect(e)urs de (la confrérie du) Corpus D(omi)ni ont fet

1. Le blason des de Guigues a été décrit plus haut. 2. Sans doute, les prénoms et noms des donateurs qui, par modestie, se sont contentés des initiales.


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fere la presante 1, 1608 et le 4 febrier; un autre montre les envoyés de Josué portant la grappe merveilleuse de Chanaan, et, quatre fois répétée, l'inscription : Derinfridschwart2,— une bulle de Sixte-Quint relative à la confrérie du Rosaire établie à Saint-Paul et que nous traduisons en appendice, — enfin, divers papiers qui regardent l'historique de l'église de Saint-Paul. J'ai cité déjà ces notes anonymes qui nous renseignent sur les canonicats de l'ancienne collégiale, sur ce qu'était la décoration des autels, sur les chapelles rurales, sur les confréries. Nous y apprenons que le chapitre cathédral de Vence qui était prieur primitif de l'église, donnait en 1696 : au doyen, 438 livres par an; aux deux secondaires, 390; à un prédicateur, 90; que la collégiale se composa de sept chanoines, y compris le vicaire perpétuel ou doyen, et disposait de 1,200 livres, payées par la communauté; qu'un des canonicats (de Saint Mathieu) avait été fondé par J.-Bte Barcillon, un autre (de N.-D. de la Gardette), par Jean-Baptiste de Villeneuve, seigneur de Thorenc et autres places, gouverneur de Saint-Paul, un autre (de Saint Joseph), par Toussaint Bonnafous, oratorien, et par Paul Gardenqui, un autre (de N.-D.), par Denis Mussart, clerc du diocèse de Chartres, un par Claude de Barcillon, chanoine de Vence, un par J.-A. Raymond, greffier aux juridictions royales. Parmi les bienfaiteurs de l'église ayant appartenu à l'ancienne noblesse du pays, on citait J.-B. de Villeneuve (ses armes étaient peintes au coin du « beau tableau » qui décora la chapelle de la Gardette), les Barcillon, les Panisse-Passis (qui avaient donné une croix processionnelle d'argent, etc.), Jean de Bernardi, etc

1. Table est sous-entendu, je crois, et signifie XVIIme siècle, à peu près la même chose que « bassin, plat, tronc, aumônière » : c'est le récipient où les fidèles mettent leur argent.

2. Que veulent dire ces mots ? L'objet est un de ces plats allemands, en cuivre, avec sujet dans le creux central, une légende sur le rebord et des bords ornementés. M. Brutails, ancien archiviste des Pyrénées-Orientales, en a signalé d'analogues dans le Roussillon (Bull. arch. du Com. des Trav., hist., 1893, pag. 377, note 3).


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Des chapelles rurales qui s'élevaient sur le terroir de Saint-Paul nous ne dirons rien ici.

Parmi les oeuvres de charité, on signalait : l'hospice, l'oeuvre de la Miséricorde, celle des Esclaves. En 1689, il y avait sept confréries dont il est inutile de parler ici.

Avec son riche trésor d'orfèvrerie, ses stalles, son ciborium en bois peint, sa chapelle saint Clément, son tableau attribué à Lemoine, l'église de Saint-Paul-du-Var est une des plus intéressantes du département des Alpes-Maritimes. Après avoir étudié le premier sanctuaire de l'ancien diocèse de Vence, nous avons cru qu'il n'était pas inutile de rechercher ce qu'avait été celle des églises de cette région qui, au moins depuis l'épiscopat de Godeau jusqu'à la Révolution, voulut tenir tête à la Cathédrale. Devenue collégiale, favorisée et enrichie par d'importants personnages de la contrée, fréquentée par la noblesse de la région et par tous ceux qu'attirait le siège de l'une des vingt-deux vigueries de la Provence, bâtie au sommet d'une petite colline que François 1er avait entourée de remparts, l'église de Saint-Paul eut pendant plus d'un siècle la réputation d'être la seconde de l'un des diocèses les moins étendus de la France pontificale 1, la rivale de la Cathédrale que ses chanoines appelaient, sous Louis XV, on l'a vu ailleurs, « la plus pauvre du royaume de France ». Aujourd'hui que, grâce aux efforts de M. Moris, le classement d'un bon nombre d'objets d'art est fait par le Ministère, l'église de Vence n'a d'autres monuments historiques que ses stalles, tandis que celle de Saint-Paul est représentée sur la liste officielle par les belles orfèvreries dont nous avons donné une première étude dans le Bulletin archéologique du Comité des Travaux Historiques. Après les avoir étudiées sur place, grâce à l'amabilité de M. l'abbé A. Giraud, et

1. Dom Th. Béringier, Surian, Marseille, 1895, p. 33.


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dans les archives, grâce à l'obligeance de M. H. Moris, j'exprime à tous deux ma plus vive gratitude.

Il vaut la peine d'aller à Saint-Paul, de gravir les pentes que dominent les remparts du temps de François 1er, d'entrer par cette porte au-dessus de laquelle survivent les restes d'une peinture indistincte (armes de. l'ancienne France, ou plutôt armoiries de la petite ville, « d'azur à un saint Paul d'argent »), de franchir la poterne crénelée où jadis des boîtes résonuaient en l'honneur des évêques de Vence, de se' promener dans ces rues étroites où quelques maisons sont encore blasohnées 1 ou munies d'inscriptions et de symboles religieux, de monter au sommet de la colline où naguère des canons en fer du XVIe siècle 2 armaient les restes du beffroi carré, semblable à celui d'Antibes ou bien à celui de Vence, et qui eut une horloge avec une cloche de 1443 refondue en 1637 et ornée d'un saint Paul, d'un saint Georges, d'une inscription où l'on lisait entre autres « Hora est jam nos somno surgere3». Après avoir cherché à faire mieux connaître l'ancienne cathédrale de Vence. il convenait d'insister sur l'ancienne collégiale de Saint-Paul, « l'église collégiale et paroissiale d'une ville royale des principales de notre diocèse », ainsi que le disait Mgr de Crillon à la fin du XVIIe siècle.

M. l'abbé Giraud a bien voulu revoir notre notice que nous n'avions que le temps d'aller corriger et compléter sommairement à Saint-Paul : nous terminons en le remerciant pour cette aimable collaboration. Dans le mémoire Alphonse Achard, que j'ai dû, entre autres

1. Blanc a signalé notamment les blasons de Raymond d'Eoulx. « d'or à trois aiglettes de sable rangées en face et accompagnées de cinq fasces d'azur », et du constructeur des remparts, Mandon de Saint-Remy, « d'azur à un chevron d'or, sommé d'une fleur de lis et accompagné de trois roses d'argent, avec pour supports deux aigles d'or ».

2. Veuglaires ou crapaudeaux (Blanc).

3. Blanc.


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notes précieuses, à la bienveillance de M. le curé, nous - lisons que, « il y a vingt-cinq ans, un homme sans goût fit recouvrir d'un mastic les pilastres qui soutiennent les trois nefs et les festons qui décorent la voûte, mit une dégoûtante couleur jaune et grise, fit retoucher quelques toiles par un barbouilleur de passage, menuisier de son métier », tout comme ce fut un doreur ambulant qui remit à neuf les beaux reliquaires que l'on croyait alors n'être uniformément faits que de cuivre.: L'église de Saint-Paul méritait, même après « la dégoûtante couleur jaune et grise » dont elle fut enduite, semble-t-il, sous Louis-Philippe, une notice un peu plus étendue et plus complète que celle d'Edmond Blanc, et qui ne fût pas uniquement augmentée de ce que fournissent les ouvrages de Tisserand 1.

I. On nous permettra de renvoyer ceux de nos lecteurs qui s'intéresseraient au premieracadémicien, aux études que nous avons données sur les Mandements de Godeau pour le diocèse de Vence (Annal, du Midi, Toulouse, Privat, t. X, 1898), sur ses Visites pastorales (ibid., t. XI, 18991, sur sa Jeunesse (Nouv. Revue, 15 avril 1898), sur ses Funérailles (ibid., 1er avril 1899). D'autre part, nous avons déjà inséré dans le Bulletin de la Soc. Archéol. du Midi ce qui regarde l'ancienne dévotion de la clef de saint Marculphe dans l'église de Villeneuve-Loubet (Toulouse, Chauvin, n° 20, 1897), et ce qui concerne celle des bains en l'honneur de saint Arnoux dans la Gorge du Loup (ibid., n° 22, 1898).

Nous avons terminé, sur le modèle des deux monographies que nous avons offertes à nos lecteurs, mais dans des proportions naturellement moins étendues, l'étude de toutes les paroisses qui constituaient autrefois le diocèse de Vence. C'est d'après les Archives départementales qu'elle a été faite. Elle paraîtra aussitôt qu'il sera possible.

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- 50 - ANNEXE

COPIE ET TRADUCTION DU TITRE CONSTITUTIF

érigeant la confrérie du Saint - Rosaire dans la paroisse de Saint-Paul, à la date du 1er avril 1588

Ce titre est écrit en latin, sur parchemin et il existe encore dans les archives de ladite paroisse. Il est richement enluminé, conserve son sceau et mérite un soin tout spécial tout comme les reliquaires et le ciborium.

Au nom de la Très sainte et indivisible Trinité, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, à la louange et la gloire de la bienheureuse Marie, mère de Dieu, toujours vierge, notre Souveraine et pour la vénération de saint Dominique, notre Père, auteur et instituteur du Saint-Rosaire, nous frère Barthélemy de Miranda, maître procureur et vicaire général de tout l'ordre des Frères Prêcheurs, salut éternel à tous ceux qui verront la présente lettre.

Comme nous croyons que la somme de la perfection chrétienne consiste dans l'union de tous les chrétiens entre eux et à Jésus-Christ, source de toute perfection, ainsi qu'à l'union de tous les membres d'un même corps, ainsi la raison et l'expérience nous apprennent que la prière est la voie la plus efficace pour arriver à cette union et qu'entre beaucoup d'autres moyens en usage dans l'Eglise, le plus propre pour obtenir cette fin, c'est la manière de prier, selon laquelle-, à l'instar du psautier de David, on vénère la Très Sainte Vierge Marie, mère de Dieu, par cent cinquante salutations angéliques et quinze oraisons dominicales, ce qui s'appelle Rosaire et a été d'abord inventé et institué par notre bien saint Père, le bienheureux Dominique, et ensuite successivement approuvé par


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les Souverains Pontifes, à la prière des Pères de notre ordre et décoré par eux des plus grands privilèges, d'innombrables indulgences et d'autres grâces apostoliques ; car, outre que la bienheureuse Mère de Dieu, dont l'intercession peut nous obtenir cette perfection, est invoquée fréquemment dans cette forme de prière, celle-ci peut encore, par elle-même, si elle est bien faite, nous acquérir facilementcette perfection, puisqu'elle nous fait parcourir, en les méditant, toute la vie de Notre Sauveur Jésus-Christ contenue en abrégé dans quinze mystères.

Considérant pieusement cela, très dévots chrétiens de la ville de Saint-Paul, diocèse de Vence, nos bien-aimés en Jésus-Christ, afin de posséder, de conserver et d'accroître cette méthode de prière susdite, par l'intermédiaire de Messire George de Barcillon, vous nous avez demandé instamment de vous donner la faculté d'instituer et d'organiser la Confrérie du Psautier ou du Rosaire, sous l'invocation de la bienheureuse Vierge Marie, dans l'église paroissiale de votre ville susdite, d'y fonder une chapelle et d'y ériger un autel du Rosaire avec les grâces et les faveurs opportunes. Nous rendant donc à vos voeux et à vos pieuses supplications, en vertu de l'autorité apostolique à nous accordée à cet effet, par la teneur de la présente lettre, nous vous accordons la permission et la faculté d'avoir, de fonder, d'instituer et d'ériger la confrérie susdite ainsi que cela a été exposé avec une instruction préalablement donnée, par quelque père de notre ordre, délégué par son supérieur et avec le consentement de l'Ordinaire du lieu, pourvu néanmoins qu'aucune semblable confrérie n'ait pas été déjà canoniquement et régulièrement érigée dans la même ville ou, près d'elle, dans son district, à la distance de deux milles, et nous recevons et admettons cette confrérie et tous les chrétiens des deux sexes qui y seront reçus, tant pendant leur vie qu'après leur mort, en participation des grâces, des privilèges et


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des indulgences dont jouissent les confréries instituées dans les églises de notre ordre, les avertissant que la fête du saint Rosaire doit être célébrée chaque année dans cette chapelle le premier dimanche d'octobre, selon l'institution et le décret du pape Grégoire XIII d'heureuse mémoire, en action de grâce de la mémorable victoire remportée précédemment sur les Turcs et attribuée à l'intercession et au secours de la très sacrée Vierge notre Dame obtenu par les prières de la confrérie du Saint-Rosaire récitées le jour même de la victoire. Nous déléguons pour chapelain de ladite chapelle le curé actuel et futur de l'église de Saint-Paul, lequel pourra recevoir, admettre et écrire dans un livre spécial les noms et prénoms des chrétiens qui demanderont religieusement d'entrer et d'être reçus dans cette confrérie et pourra également bénir le psautier ou les couronnes du sacré Rosaire, en exposer et expliquer pieusement et convenablement les mystères et faire en un mot toutes choses que nos Pères délégués pour cela peuvent faire et ont coutume de faire régulièrement dans nos églises, mettant à la charge de sa conscience pour en rendre compte un jour de Notre Seigneur Jésus-Christ de n'exiger absolument rien de quelque manière que ce soit pour l'admission, l'entrée, l'inscription et la bénédiction susdites, mais de faire tout cela gratuitement comme le portent les capitulaires et les statuts de la Confrérie ellemême et comme nous-même nous accordons gratuitement ce que nous avons reçu gratuitement, pour le culte de Dieu, la gloire de Notre Dame sa très sainte Mère, le salut et l'avènement de tous les chrétiens dans la perfection.

Or, nous voulons et ordonnons encore qu'on observe absolument ceci, savoir que dans le vénérable retable ou image de ladite chapelle seraient dépeints les quinze mystères de notre Rédempteur et qu'en reconnaissance bien juste et raisonnable de notre concession, sur le même tableau ou retable soit également peinte la véné-


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rable image de saint Dominique, notre père, premier instituteur du Saint Rosaire recevant à genoux de la main de la Sainte Vierge les couronnes de prières, en sorte que, si cela ne se faisait point ou était négligé, notre présente lettre n'aurait plus aucune force ni aucune valeur pour vous et vos successeurs. Enfin, s'il venait à arriver, de quelque manière que ce fût, que nos frères possédassent une église existante dans ladite ville ou près d'elle à la distance de deux milles, nous statuons et déclarons dès maintenant et pour lors par la teneur même de la présente lettre, sans qu'il fût besoin d'une nouvelle déclaration, que cette confrérie et toutes les indulgences et privilèges qui lui sont accordés seraient enlevés à ladite chapelle et entièrement et totalement transférés à votre église, avec tous les biens temporels acquis de quelque manière que ce fût par ladite confrérie. Et cette condition devra être admise et signée tant par le recteur et les officiers de l'église où la confrérie sera fondée que par les officiers de la confrérie elle-même une fois fondée et même tout cela devra être consigné et expliqué dans un acte public dressé par main de notaire, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il, nonobstant toute autre disposition contraire.

En foi de quoi nous avons signé de notre propre main dans le livre muni du sceau de notre office, gratuitement partout et toujours.

Donné à Rome dans le couvent de Sainte-Marie supra, Mineroam, le premier avril de l'an du Seigneur 1588.

BARTHÉLEMY DE MIRANDA.

Par mandement du Très Révérend père, maître et vicaire général, Jacques Squille Florentin a écrit et peint cette lettre de la propre main pour le prix de trois écus seule-


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ment, reçu en présence de la cour des sabelles; mais que tous le sachent : l'expédition de la bulle est faite gratuitement partout et toujours.

NOTA. — Outre le parchemin ci-dessus traduit, un second qui y est joint, n'a plus d'effet aujourd'hui : c'est une bulle du Pape Sixte V, en date du 23 mars 1588, accordant, pendant dix-sept années seulement, indulgence plénière la première année et de sept ans et sept quarantaines les neuf années suivantes à tout chrétien qui après s'être confessé et avoir communié visitera la chapelle de Notre-Dame de Pitié (chapelle aujourd'hui dénommée Notre-Dame de la Gardette) depuis les premières vêpres de la fête de l'Assomption jusqu'au coucher du soleil du jour de ladite fête en y priant aux intentions du Saint-Père, mentionnées dans ladite bulle. (Traduction et note de M. Layet, communiquées par M. l'abbé A. Giraud.)


SOUVENIRS DE NICE

M. CORINALDI



SOUVENIRS DE NICE

La Providence a si bien fait les choses, qu'elle a réservé des consolations et des joies pour tous les âges de la vie. Si la jeunesse a ses longs espoirs, la vieillesse a ses souvenirs souvent pleins de charmes.

Parmi les miens, ceux que j'ai conservés de notre cher pays, pendant les premières années que j'y ai passées, peuvent compter parmi les plus doux.

Nice, en 1830, était loin d'être la grande et magnifique ville qu'elle est devenue depuis. Ce n'était qu'une modeste petite cité provençale annexée au royaume sarde. Sa population, banlieue comprise, n'était guère que de 30,000 âmes.

Sa renommée commençait à peine. Elle n'était fréquentée que par un nombre assez restreint de familles anglaises. Les touristes français lui préféraient Hyères, qui était loin de l'égaler, mais où ils pouvaient se rendre sans sortir de France. Elle était à peu près inconnue aux voyageurs des autres pays.

On n'y voyait ni somptueuses villas, ni jardins de luxe artistement dessinés et remplis de plantes exotiques. Mais sa beauté, pour ne rien devoir qu'à la nature, ne s'en faisait pas moins sentir.

Nice alors, au début de la carrière qu'elle a depuis si brillamment parcourue, ressemblait à une jeune fille ignorée du monde, et qui s'ignore elle-même. Mais que de charme dans sa rustique simplicité ! La petite et déjà


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coquette cité paraissait nonchalamment couchée le long de son rivage, la tête appuyée aux flancs gazonnés de son vieux château, les pieds arrivant à peine à l'endroit où le Paillon, qui l'enfermait tout entière dans ses replis, versait ses intermittentes eaux dans notre mer d'azur.

Trois rues dataient du XVIIIe siècle : la rue du Gouvernement, aujourd'hui rue de la Préfecture ; la rue du Pont-Neuf, aujourd'hui rue du Palais ; la rue SaintFrançois-de-Paule, qui n'a point changé de nom. Toute les autres remontaient à des dates plus anciennes; elles étaient étroites, sinueuses, mal pavées, assez pauvrement éclairées par quelques réverbères à huile placés de loin en loin, que, par économie, l'administration paternelle de ces temps avait bien soin de ne pas allumer les nuits de pleine lune.

Pour le balayage de la poussière elle s'en fiait aux vents, et s'inquiétait fort peu des lois de l'hygiène. Mais quelle joie, quel entrain animait la vieille cité !... Quel bonheur d'y vivre, et quelle joyeuse insouciance de l'avenir on y lisait sur tous les visages !...

Cette gaieté, cette insouciance avaient une double raison d'être. D'abord à cette époque Nice, petite ville de 30,000 âmes, possédait plusieurs industries qui, jointes à son commerce d'huile et à la culture de son sol, pouvaient suffire à faire subsister ses habitants. La colonie étrangère, encore à l'état naissant, n'était alors qu'une ressource très accessoire : on en profitait sans doute, mais à la rigueur on aurait pu s'en passer.

Cette colonie n'était pas encore ce qu'elle est devenue depuis : l'industrie unique, indispensable, sur laquelle se fonde l'existence même d'une ville de plus de cent mille habitants !...

En second lieu, de 1814 à 1848, la vie était à Nice d'un


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bon marché dont on n'a pas l'idée aujourd'hui. — Chaque bourgeois, un peu aisé, avait sur la colline quelques setérées de terre plantées d'oliviers. L'huile qu'il en tirait servait pour une part à sa consommation ; il vendait le reste et s'en constituait un revenu dont l'importance était proportionnée à celle de la terre.

En outre, il avait en général, soit à Saint-Roch, qui était alors le centre principal des jardins maraîchers, soit dans la plaine qui s'étendait entre la colline de SaintEtienne et celle de Cimiez, un enclos plus ou moins vaste qui lui donnait des oranges et des légumes. Il vendait les premières et les vendait très bien ; car, moins douces que les oranges d'Espagne, les oranges de Nice se conservaient en revanche beaucoup plus longtemps, et c'était une qualité précieuse au temps où l'on ne pouvait les transporter que par le roulage. Quant aux légumes, une part servait à la nourriture du maître et à celle du métayer; le surplus était vendu à l'unique marché de la ville, établi autour de l'église Sainte-Réparate. Tout cela constituait de petits revenus qui, vu le bon marché de la vie et les goûts simples des Niçois, suffisaient à les faire vivre surtout quand ils avaient la chance d'y joindre le salaire de quelque emploi.

Parmi les différentes sortes de commerce et d'industrie que Nice possédait dans la première moitié du siècle, il faut compter en première ligne le commerce des huiles d'olive. Il existe encore aujourd'hui, mais depuis soixante ans il a subi d'importantes transformations qu'il est bon d'indiquer.

Autrefois nos négociants en huiles n'étaient guère que des commissionnaires, achetant à la récolte de plus ou moins fortes quantités d'huile pour le compte des marchands en gros de France ou de l'étranger.


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Ces ordres s'élevaient ordinairement à plusieurs milliers de rups. — Le rup, ancienne mesure du pays, équivalait à sept kilos soixante-dix-neuf décagrammes.

A cette heure nos négociants d'huile, qui constituent une des classes les plus riches du pays, achètent pour leur compte, non seulement à Nice, mais encore à Bari, en Corse, en Tunisie et partout où ils peuvent trouver de bons produits.

Au début de cette transformation commerciale, ils se contentaient de vendre en gros leurs huiles soit à l'étranger, soit à de fortes maisons du nord ou de l'ouest de la France, qui les distribuaient ensuite à leur clientèle de détaillants.

Les choses continuèrent ainsi jusque vers l'an 1840 ou 1842. A cette époque, se fonda la maison Sasserno, Castel et Martin, pour l'exploitation du commerce des huiles d'après un système tout nouveau à Nice. M. Sasserno était un marchand d'étoffes d'ameublement dont le modeste magasin se trouvait rue du Gouvernement, aujourd'hui rue de la Préfecture. Il ne connaissait probablement rien au commerce des huiles, qui était tout à fait en dehors de son genre d'affaires. M. Aimé Martin était un jeune français d'outre-Var, possesseur de quelques capitaux, venu à Nice dans l'espoir de les y utiliser. M. Castel, plus âgé que ses deux associés, avait été pendant de longues années le caissier et le principal commis de M. Ambroise Tiranty et connaissait à fond le commerce des huiles. C'est évidemment lui qui eut l'idée de supprimer tout intermédiaire et de s'adresser directement à la clientèle des détaillants, des épiciers.

L'idée était géniale, elle leur valut de très gros profits. Après une longue et très honorable carrière commerciale, tous trois purent se retirer plus que millionnaires.


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A la vue de leurs succès, leurs concurrents se mirent peu à peu à suivre leur exemple, et leur système est aujourd'hui adopté par presque tous les négociants d'huilé de Nice.

Quant à la récolte d'olives du comté de Nice, elle a malheureusement beaucoup diminué. Nos paysans, trop épris de la chasse, ont détruit les petits oiseaux, qui étaient leurs plus utiles auxiliaires contre le naïroun et le caïroun. Ceux-ci, dont rien n'arrête plus la propagation, détruisent à leur tour les olives.

Nos paysans niçois peuvent bien dire que les rares petits oiseaux qu'ils s'acharnent à tuer encore leur coûtent les trois quarts de leurs revenus.

Nice avait aussi quelques armateurs ; entre autres, la maison Gioan, dont la faillite eut un si grand retentissement, et M. Barras, originaire de Villefranche, dont le trois-mâts, de moins de cinq cents tonneaux, et à qui les habitants du pays avaient donné le nom pompeux de Frégate, faisait périodiquement le voyage des Indes.

Le pays avait en outre de nombreuses filatures de soie, des ateliers de salaisons, une madrague pour la pêche du thon, une verrerie appartenant à M. Astraudo, trois ou quatre fabriques de parfumerie, diverses fabriques de fruits confits, particulièrement de cédrats, et en outre une ou deux fabriques de savon.

On le voit, Nice avait alors à son arc bien des cordes qui n'existent plus aujourd'hui ; mais ce qui tendait le plus à encourager l'insouciante gaieté de ses habitants, c'était l'inimaginable bon marché de la vie.

Nice étant port franc, toutes les marchandises étrangères nous y arrivaient sans droits, et s'y vendaient au plus bas prix.

Quant aux produits du sol, presque tous étaient obligés


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de s'y vendre sur place, vu la lenteur et l'insuffisance des moyens de transport. Ils s'y donnaient presque pour rien. Aussi notre pays était-il, dans ces temps heureux, un vrai pays de cocagne !...

Quelques prix de cette époque déjà lointaine pourront donner une idée de ce qu'était alors notre plantureuse abondance ; mais, pour l'intelligence de ce qui va suivre, il est bon d'indiquer ici les rapports existant entre le. système décimal et les anciennes mesures alors en usage à Nice.

La livre était de douze onces. Il fallait trois livres deux onces pour faire un kilo. Le rup était de vingt-cinq de ces livres, et pesait, comme nous l'avons déjà dit, sept kilos soixante-dix-neuf décagrammes. L'huile d'olive se vendait au rup. Tous les autres liquides se vendaient à l'hectolitre.

Eh bien! dans ces temps heureux, le sucre en pain valait cinq sous la livre; la viande de boucherie, cinq sous; le café, de huit à dix sous; le vin de Saint-Maxime ou de Saint-Tropez, qui nous arrivait par bateau, se payait de quinze à dix-sept francs l'hectolitre. Les vins de la Gaude ou de Bellet, qui se vendent couramment cent francs de nos jours, se payaient alors de trente-cinq à quarante francs l'hectolitre. Le charbon de bois, le seul alors employé par les ménages, se vendait de trente à quarante centimes le rup, selon les arrivages de Toscane, soit à peu près de cinq francs le quintal décimal.

Les poissons communs, tels que les sardines, les anchois, les bugues, etc., se vendaient de deux à trois sous la livre, quelquefois même un sou. Témoin ce vers d'une comédie niçoise, où un personnage dit à son ami dont il vante les bienfaits :

Coura non v'han ch'un soù, mi paghes li sardina.


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Le poisson fin valait plus cher ; mais quelle différence, avec les prix actuels !

Je me souviens que vers 1840, me promenant par un beau soir d'été sur le cours Saleya, je vis passer deux marchandes de poisson chargées chacune d'une grande corbeille remplie de merlans d'une belle taille. Les pêcheurs venaient à peine de les retirer de leurs filets. Je m'approchai, j'en demandai le prix... c'était quatre sous la livre !... Ma foi je ne résistai pas à la tentation. J'en pris un, et j'eus un beau merlan de deux kilogrammes, tout frais pêché, pour la modeste somme de vingt-quatre sous !

Dans ce temps regretté par les bourses modestes, les fruits et les légumes se donnaient plus qu'ils ne se vendaient. Il m'est arrivé plus d'une fois d'acheter au marché une douzaine de pêches pour un sou; le prix des autres fruits à l'avenant.

Passons maintenant à la question des loyers. — De 1830 à 1840, ils étaient fort peu élevés; mais ici il faut distinguer entre les villas ou appartements meublés destinés à la colonie étrangère, et les appartements loués vides aux indigènes.

Les premiers, meublés, il est vrai, avec une extrême simplicité, se livraient entre douze cents et deux mille cinq cents francs pour six mois, du 1er octobre au 30 avril suivant. Un petit nombre de villas plus vastes ou mieux meublées se louaient jusqu'à trois mille francs.

Au delà de ce prix il n'y avait guère que deux villas à Nice : la villa Guiglia, depuis villa Furtado-Heine, route de France, qui se louait de quatre à cinq mille francs, selon les saisons, et tout à côté, la villa princière de M. Samuel Avigdor, jadis habitée par la reine Hortense, et que son propriétaire, riche banquier, tenait fermée quand il n'en


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trouvait pas le prix de trois cents livres sterling, soit sept mille cinq cents francs.

Quant aux appartements loués vides aux indigènes, les prix variaient selon leur situation. — Dans les quartiers réservés à la haute bourgoisie niçoise, tels que le quai du Midi, la rue Saint-François-de-Paule, la rue du Pont-Neuf et dans quelques maisons de la rue du Gouvernement, on pouvait avoir un appartement de huit ou neuf pièces au prix de cinq cents à sept cents francs par an, selon l'exposition et l'étage. Dans l'intérieur de la ville, sur la place Victor, aujourd'hui Garibaldi, dans la rue Ségurane, et sur le Port, on avait facilement le même nombre de pièces dans des prix variant entre deux cents et quatre cents francs par an.

Les gages courants d'une servante à tout faire étaient de six à huit francs par mois; ceux d'une femme de chambre, de douze à quinze francs; ceux d'un domestique homme, de quarante à soixante francs par mois.

A cette époque, une famille jouissant d'un revenu de trois ou quatre mille francs vivait avec plus d'aisance qu'on né pourrait le faire aujourd'hui avec douze mille francs de rente.

On y était riche avec fort peu d'argent, et cette circonstance favorable avait attiré dans nos murs bon nombre de petits retraités français.

La loi les obligeant à élire domicile en France, ils tournaient la difficulté en élisant domicile à Antibes, où ils n'apparaissaient qu'à l'époque de l'échéance de leur pension.

Cet état de choses dura jusqu'à la suppression du port


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franc, qui eut lieu en 1848, peu de temps après la proclamation du Statut qui engloba Nice dans le royaume sarde. Par suite, la vie matérielle enchérit tout d'un coup-; non pas au point où elle est aujourd'hui, mais pourtant dans une mesure assez sensible pour obliger nos modestes retraités français à chercher ailleurs un moins coûteux asile. Cet enchérissement soudain exigeant de plus grands efforts dans la lutte pour la vie, et donnant lieu à de constantes préoccupations, surtout dans cette classe, nombreuse de travailleurs qui vivent au jour le jour, a certainement exercé une influence considérable sur le caractère niçois et diminué dans une forte mesure son insouciance et sa gaieté primitives.

Mais revenons à notre vieux Nice. J'ai dit que. jusqu'en 1830 et même jusqu'en 1832, il était tout entier contenu entre la mer et le Paillon.

De l'autre côté du torrent, sur cette portion de la rive qui se trouve comprise entre le Pont-Vieux et la place Masséna, il y avait cependant un faubourg d'assez pauvre apparence, qu'on appelait la Bourgade.

Dans ce quartier en contre-bas, dont le niveau était à peu près celui de la place triangulaire du Lycée, se trouvaient des greniers à foin, des maisons d'ouvriers, des fabricants de harnais grossiers et de bâts, quelques filatures de soie.

Un simple mur de clôture, à peine haut de cinq pieds, le défendait assez mal lors des crues contre les flots irrités du Paillon. Sa chaussée, naturellement dépourvue de trottoirs, n'était large que de quatre ou cinq mètres à peine, et l'on n'y pouvait guère passer sans s'exposer à recevoir quelques ruades des mulets qui venaient s'y faire ferrer.

Dans ce quartier déshérité il n'y avait que trois maisons à peu près bourgeoises. L'une d'elles, située sur l'emplace5

l'emplace5


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ment où se trouve le Grand-Hôtel, avait été bâtie par M. Gent, ancien épicier, dont les deux fils eurent, il y a près de quarante ans, une fin si mystérieuse et si tragique !

Ce fut dans cette maison qu'en 1848, peu après l'édit de tolérance religieuse décrété par le roi Charles-Albert, fut célébré publiquement à Nice le culte évangélique eu langue française .

La seconde, placée un peu plus à l'ouest, appartenait à M. Mages, ancien marchand d'étoffes d'ameublement. La troisième, la plus grande et la plus belle de toutes, appartenait à M. Carlone, chef de l'une des deux seules maisons de banque que Nice possédait alors. Son fils, littérateur distingué et chaud partisan de la France, fonda avec M. Victor Juge, aussitôt après la promulgation du Statut, sous le titre de « Journal de Nice », le premier journal politique que nous ayons eu ici.

Cette maison, qui se trouvait en partie au moins sur l'emplacement de la place Masséua, dut être démolie ainsi que toute la Bourgade, lors de la création de cette place et du quai Saint-Jean-Baptiste, aujourd'hui avenue FélixFaure.

Notre Nice d'il y a soixante ou soixante-dix ans était, il faut en convenir, assez mal partagée en fait de promenades publiques.

Dans la banlieue, il n'y avait que quatre routes carrossables. Les trois premières, les routes de France, de Gênes et de Turin, étaient fort poudreuses et privées de tout ombrage. La quatrième, l'ancienne route de Villefranche, était si mal entretenue qu'un accident y était toujours à redouter. C'est en effet sur cette route qu'en 1833, M. Masclet, consul de France à Nice, fit la chute de voiture dont il mourut peu après.


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En dehors de ces quatre routes carrossables, il n'y avait, dans nos environs, que des chemins muletiers et des sentiers bordés de saules et de rosiers de Bengale.

C'est dans ces sentiers fleuris que nos hôtes d'hiver aimaient à s'égarer à l'aventure, d'autant plus qu'à cette époque hospitalière toutes les campagnes s'ouvraient devant eux.

Pour peu qu'il fit beau, l'on voyait aux portes des villas de la Croix-de-Marbre des groupes de chevaux et d'ânesses, celles-ci munies de la selle espagnole. Les cavaliers sautaient à cheval, les dames et les enfants montaient les paisibles ânesses. Un mulet chargé de vivres et de bouteilles suivait; et la joyeuse caravane, s'engageant dans nos sentiers ensoleillés et fleuris, allait chercher au loin dans la campagne, un lieu propre à lui servir de salle de festin.

Hélas!... les jolis bosquets, les vertes et riantes prairies où nous faisions de si joyeux piques-niques n'existent plus. On en a fait des rues et des boulevards !...

La ville même n'était guère mieux partagée que sa banlieue en fait de promenades publiques. Il y avait le Château, que l'on commençait à repeupler d'essences forestières. Mais cette promenade pittoresque, d'où l'on jouit d'une vue si splendide, a toujours été un peu délaissée. Cela tient-il au voisinage des cimetières juif, catholique et protestant qui se trouvent réunis sur ce point?... ou bien l'éloignement que la société niçoise a toujours montré pour cette charmante promenade est-elle due à la difficulté d'y accéder? Je ne me charge pas d'expliquer le fait. Je me borne à le constater.

Il y avait encore le boulevard du Pont-Neuf, actuelle-


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ment boulevard Mac-Mahon, et celui du Pont-Vieux, dont la plantation ne remontait pas à plus de dix ans; mais leurs jeunes et grêles platanes n'offraient alors qu'une protection insuffisante contre les ardeurs de notre soleil.

Donc au fond, de 1814 à 1850 il n'y avait guère à Nice qu'une promenade fréquentée et aimée par les Niçois de ces temps. Cette promenade était le cours Saleya, alors planté d'ormes magnifiques, et la Terrasse qui en était l'indispensable complément.

Les dimanches et jours de fête, la foule se tenait, pendant la journée, sous les épais ombrages du Cours, et remplissait l'après-midi les nombreux cafés qui se trouvaient sous la Terrasse. Il y avait là le café Royal, fréquenté surtout par les officiers et la noblesse du pays, le café Américain, le café du Commerce et tant d'autres, qui avaient pour clients la haute et la moyenne bourgeoisie. Dans tous ces établissements on avait alors une tasse de café pour trois sous, une glace pour quatre sous.

C'est au centre du Cours, en face du palais du Gouvernement, que jouait la musique militaire, la seule que nous eussions alors à Nice.

L'après-midi, lorsque le soleil commençait à descendre vers l'horizon, l'on montait sur la Terrasse. C'est de cette promenade-là surtout que les Niçois étaient fiers !... La Terrasse était pour eux la huitième merveille du monde !... Les Marseillais avaient bien une Cannebière. Mais ils n'avaient pas une Terrasse !

Après tout, cette promenade originale méritait bien leur admiration. On s'y trouvait presque au sortir de chez soi. On y humait à pleine poitrine, tout comme sur le pont d'un navire, l'air fortifiant de la mer. On y jouissait d'une vue splendide. Elle tenait de la promenade et du salon. Les dimanches d'été, de cinq à huit heures du soir, toutes


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les familles un peu notables du pays s'y trouvaient réunies et s'y revoyaient avec plaisir.

C'est là qu'il y a soixante ans, j'ai rencontré étincelantes, sinon de beauté, au moins de jeunesse, toutes les octogénaires d'aujourd'hui!...

Vers huit heures, la foule commençait à s'éclaircir. A huit heures et demie il n'y avait plus personne, chacun était allé s'attabler au souper familial, après quoi chacun regagnait son lit, et s'endormait du sommeil du juste.

CHAPITRE II

PREMIER ÉVEIL,

Dans le chapitre précédent j'ai donné, ou du moins j'ai essayé de donner, un premier aperçu de ce qu'étaient il y a soixante et quelques années notre vieux Nice et ses habitants aux moeurs patriarcales. Je veux essayer d'indiquer dans celui-ci quels furent vers 1832 ses premiers pas dans la voie d'une régénération dont on ne soupçonnait pas alors l'importance.

Ce premier éveil de l'industrie du bâtiment et de l'esprit d'entreprise eut lieu, comme on devait s'y attendre, vers l'extrémité ouest de notre vieux Nice.

Là se trouvaient encore un ou deux jardins et des terrains vagues qui se prêtaient merveilleusement à la construction.

Sur la place Charles-Albert il n'y avait encore d'édifié que la maison qui fait le coin de la rue Sainte-Clotilde et celle qui en est voisine. Les deux rues Sainte-Clotilde et Charles-Albert n'étaient guère que des chemins de campagne.

La partie ouest de la dite place, touchant à la rue du Pont-Neuf (actuellement rue du Palais), était encombrée


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de baraques informes et vieillottes, constituant les dépendances de la Charité, alors située derrière l'Hôpital, et dirigée par le chanoine de Cessole.

La rue Saint-François-de-Paule, encore inachevée, s'arrêtait à la hauteur de l'hôpital de la ville dont on a fait depuis la mairie.

Un peu plus loin que ledit hôpital un assez fort ruisseau d'au moins un mètre cinquante de largeur coulait à ciel ouvert perpendiculairement à la rue.

On le traversait sur un petit pont de bois sans parapets.

Quant au quai du Midi, il n'existait pas. Sauf le théâtre et la maison des Bains polythermes, où logea le pape Pie VII lors de son passage à Nice, tous les terrains sur lesquels il a été édifié étaient encore vagues.

Tel était l'état des choses au début de l'an 1832. Dans cette année, mémorable pour tous ceux qui s'intéressent aux progrès de notre pays, Nice s'éveilla de sa torpeur et commença le mouvement d'expansion qui ne s'est plus arrêté depuis.

Donc ce fut en 1832 que quelques-uns de nos concitoyens, plus hardis et plus entreprenants que les autres, se décidèrent à tenter l'aventure et à couvrir le quai du Midi de nouvelles et élégantes constructions. Parmi euxnous pouvons citer : M. Jules Gilly, dit Gilly farine, M. Girard, négociant en huiles, le comte d'Ongran, le comte de Nieubourg. Dans l'espace de deux ans, tout, sauf un ou deux emplacements, fut construit. Enfin ce fut vers l'automne de 1834, que M. Horace Gauthier, riche marchand de bois de construction, acheta le terrain où il construisit l'immense immeuble qui fait le coin du quai du Midi et du Jardin public. Il fut acheté depuis, et considérablement embelli, par Mme Schmidt, la propriétaire actuelle.


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Toujours à la même époque de 1832, M. le comte de Roubion jeta rue Saint-François-de-Paule les fondements de son vaste hôtel qui, bien qu'il soit vieux de soixantehuit années, est encore l'une des plus belles constructions de la partie ouest de notre vieux Nice. Diverses notabilités du pays suivirent son exemple, et le vide existant entre la rue Sainte-Clotilde et la rue Charles-Albert fut assez rapidement comblé.

Plus loin, entre la rue Sainte-Clotilde et le terrain vague où l'on créa la place des Phocéens, actuellement réunie au Jardin public, se trouvait un jardin appartenant à M. Bermond, boulanger. Celui-ci le vendit vers l'automne de 1835 à un Marseillais, M. Cantel, au prix de 45,000 francs, et avec cette somme jointe à d'autres capitaux, il acheta presque aussitôt, au prix de 125,000 francs le grand domaine de Saint-Etienne qui appartenait à une communauté religieuse, et qui fut la source de sa fortune. Plusieurs souverains ont habité les belles villas que son nouveau propriétaire y avait élevées. C'est dans l'une d'elles que mourut le Tsarevitch, fils d'Alexandre II.

En mémoire de son fils, le Tsar acheta de M. Bermond et paya 600,000 francs un lot de terrain de quatre hectares sur lequel se trouvait la maison où mourut le jeune prince. Le Tsar la lit démolir et fit élever, sur l'emplacement qu'elle avait occupé, la chapelle orthodoxe que l'on y voit aujourd'hui.

Quant à M. Cantel, propriétaire du jardin de la rue Saint-François-de-Paule, il ne fut pas plus tôt entré en possession, qu'il se mit à y construire sur tout un côté de la rue Sainte-Clotilde et sur la façade de son jardin rue Saint-François-de-Paule, des maisons de rapport longtemps connues sous le nom de maisons Cantel et dont il se fit un très beau revenu.


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De 1832 à 1834 ce fut donc par l'extrémité ouest de l'ancien Nice, c'est-à-dire par le quai du Midi et l'extrémité de la rue Saint-François-de-Paule que commença le mouvement des constructions. Le nombre de bâtisses nouvelles était, si je ne me trompe, de seize ou dix-huit. C'était plus qu'on n'en avait élevé depuis vingt ans ! Aussi fallait-il voir l'ébahissement, la stupéfaction des vieux Niçois de cette époque. On les rencontrait le soir, au coucher du soleil, par groupes de cinq ou six, arrêtés tantôt devant les murs des maisons Cantel, tantôt devant les nouveaux immeubles du quai du Midi; ils se disaient l'un à l'autre : « Ma che fan?... soun fouole !... Si cresoun bessai che tout « lou mounde s'en va calà a Nissa... Giamai tout acô non « serà affitat !... Fan de maïoun per faire ballà lu gari !... » Puis ils s'en allaient hochant la tête, et déplorant les folies de la jeune génération, qui gaspillait follement les ressources amassées par ses devanciers, dans des constructions évidemment inutiles!...

Que diraient-ils aujourd'hui s'ils pouvaient se lever de leurs tombes ?... Ce ne sont pas seulement seize ou dix-huit maisons qui se sont élevées et remplies de locataires. C'est toute une ville de plus de cent mille habitants qui a envahi la plaine de Nice et menace de gagner les collines. Les constructions nouvelles s'y comptent par milliers... et les loyers montent toujours !

Pendant les huit années qui s'écoulèrent depuis 1832 jusqu'en 1840, dans les autres quartiers de la vieille ville rien ne bougea. Aucune oeuvre d'utilité publique ne fut entreprise. Nous vivions alors sous le Buon Governo. Ce régime, légèrement clérical et grand adorateur du passé, n'aimait à remuer ni les pierres ni les idées.


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Toutes les améliorations que je vis apporter à notre cité pendant cette période se bornèrent donc à l'agrandissement de la petite place au-devant de Sainte-Réparate et à la construction de deux églises nouvelles, celle du Port et celle du Voeu.

Celle du Port faillit être le théâtre d'une épouvantable catastrophe. On en avait confié la construction à un jeune ingénieur nommé Sassernô, frère de Mme Sassernô, qui était la Sapho Niçoise de l'époque.

Le jeune homme avait sans doute du talent; mais il était hardi, peut-être même trop hardi, comme on le verra par la suite.

Il n'était pas l'auteur du plan de cette église, qui lui avait été envoyé de Turin. L'exécution seulement lui en avait été confiée.

D'après ce plan, l'édifice devait être couronné par une vaste coupole, que l'on avait décidé de faire en bois pourplus de légèreté.

Cette coupole en bois déplut au jeune homme... La crut-il peu solide, ou bien indigme de son talent?...

Je ne sais.— Toujours est-il qu'il se décida à la construire en pierres, et même à lui donner une jolie épaisseur. — Ainsi fut fait.

D'abord la coupole tint bon, elle avait même une assez belle apparence. L'édifice, une fois fini, fut consacré au culte. Mais soit que les murs fussent trop faibles, ou la coupole trop lourde, soit encore que l'on eût négligé de placer un nombre suffisant de clefs pour bien relier le tout, il arriva qu'un dimanche matin, quelques mois à peine après l'inauguration de l'église, au moment où le prêtre, sortant de la sacristie, s'apprêtait à y entrer pour dire la première messe, il entendit un craquement sourd dans la voûte. Saisi d'effroi, il eut à peine le temps de se rejeter


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en arrière; la coupole entraînant le reste de la toiture s'effondrait dans la nef.

Heureusement qu'à cette heure matinale, il n'y avait personne dans l'église, sauf une pauvre vieille femme qui, se tenant à la porte, eut le temps de se rejeter en arrière et fut sauvée.

Si la malechance avait voulu qu'au lieu d'arriver à 6 heures du matin, cet éboulement se fût produit à Il heures, au moment de la grand' messe, toute la population du port y périssait- écrasée et ne formait plus qu'une bouillie de chair sanglante, recouverte de moellons et de plâtras.

Cette imprudence causa beaucoup d'ennuis au jeune ingénieur. — Il y eut procès. — Il dut aller à Gênes pour se défendre.— Nous ne le revîmes plus. — J'espère, pour ses clients et pour lui-même, que ses autres constructions auront eu un meilleur succès.

L'autre église, l'église du Voeu, devait, d'après les premiers projets, être édifiée sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui l'avenue de la Gare, à peu près à l'endroit où se trouve l'hospice de la Charité; puis on changea d'avis, et l'on se décida à la construire sur les terrains du comte de Saint-Etienne, quai Saint-Jean-Baptiste.

En février ou mars 1835, on procéda à la pose de la première pierre. J'assistai à cette cérémonie qui se fit avec une grande solennité. Le gouverneur de Nice, les consuls de la ville, Mgr Galvano, évêque de Nice, et tout le haut clergé s'y trouvaient. Les troupes de la garnison, carabiniers en tête, formaient l'escorte. Quant à la foule, elle était énorme. Nice conserva longtemps le souvenir de cette fête religieuse.


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Le nom de l'église indique assez quelle fut sa raison d'être. Le choléra, mal encore peu connu, inspirait alors une grande épouvante. Ces craintes étaient, paraît-il, partagées à un haut degré par la Cour de Turin. Vers la fin de l'été de l'an 1834, le bruit courut que des cas de choléra étaient signalés en Provence. Ce bruit qui ne devait que trop se réaliser l'année suivante, était alors prématuré.

Cependant le cabinet sarde le tint pour vrai, et résolut de mettre le royaume à l'abri du fléau, en cessant tout rapport avec nos provinces méridionales.

Dès le 11 septembre 1834, tous les navires venant de nos ports méditerranéens furent soumis à une quarantaine rigoureuse, ce qui arrêta net les relations maritimes entre les deux pays.

Quant aux rapports internationaux par la frontière de terre, ce fut bien une autre affaire. Les voyageurs qui nous arrivaient de France par le pont du Var, ne furent pas soumis à une quarantaine quelconque; ils furent simplement repoussés.

Ni paysan, ni touriste, personne en un mot, ne put plus venir de Saint-Laurent à Nice, et pour empêcher quelque audacieux de traverser le Var à gué, des sentinelles furent placées de distance en distance le long du fleuve, avec ordre de faire feu sur l'imprudent qui eût osé tenter l'aventure.

Ces mesures radicales firent cet hiver-là le plus grand mal à Nice, mais nous fûmes garantis des atteintes du choléra qui ne nous menaçait pas encore.

Pour remercier la sainte Vierge de cette faveur, on décida conformément au voeu émis par nos consuls en 1832 de lui élever une église. — Ce qu'il y a de piquant, c'est que la construction commencée était à peine au niveau du


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sol lorsqu'en juillet 1835 le choléra fit sa première apparition à Nice, et y enleva de 200 à 220 personnes.

Ici il faut relater un fait important dans notre histoire, car il fut cause de la fortune de Cannes. J'ai dit que dans ce triste hiver, tous les voyageurs étaient arrêtés au pont du Var et forcés de rebrousser chemin.

Parmi eux se trouva Lord Brougham. Repoussé comme les autres, il insista cependant, et fit savoir au Gouverneur que lui, Lord Brougham, demandait à entrer à Nice et à y passer l'hiver. — Le Gouverneur rejeta sa demande.

Lord Brougham dut rebrousser chemin. Vivement froissé, il se retira alors à Cannes, y bâtit une villa à laquelle il donna le nom de sa fille Louisa, et se promit de faire, de cette petite localité, jusque-là sans avenir ni importance, la florissante rivale de Nice.

Il faut bien reconnaître qu'en grande partie il y a réussi.

CHAPITRE III

Nous avons vu ce qu'était la ville de Nice vers l'an 1830. Voyons ce qu'était alors sa banlieue immédiate.

Cette banlieue commençait dès qu'on avait franchi le Paillon.

Nice ne communiquait avec elle qu'au moyen de deux ponts.

L'un, le Pont-Vieux, aboutissait à la place du Lycée, alors dirigé par les jésuites, et sur le fronton duquel on lisait ces mots latins :

« Lyceum moribus ac studiis sacrum. »

Cette petite place triangulaire et basse avait à son centre la belle fontaine aux Tritons, apportée, dit-on, de Byzance


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par les Lascaris. — Elle y servait d'abreuvoir aux mulets de la montagne.

Aujourd'hui ce beau marbre est l'une des décorations les plus artistiques de notre Jardin-Public, où il est bien mieux à sa place.

Lorsqu'on sortait de la ville par le Pont-Neuf, on trouvait, à l'issue de ce pont, un assez vaste carrefour rural de forme irrégulière, où il n'y avait encore aucune construction, si ce n'est une petite maison de campagne appartenant à M. Ambroise Tiranty.

Au fond dudit carrefour, à trois mètres environ en contre-bas, il y avait une petite ruelle qu'habitaient des âniers et des laitiers. — C'est là que le brave Natarello tenait sa laiterie et ses ânesses pour la promenade. C'est aussi là que se trouvaient les écuries de Nigio, loueur de chevaux.

A gauche de ce carrefour, presque au sortir du Pont-Neuf, venait s'amorcer une chaussée de sept à huit mètres de largeur, établie à trois mètres en contre-haut du sol primitif, au moyen de deux murs de soutènement. — Cette chaussée, dont la date est évidemment identique à celle de la création du Pont-Neuf, doit donc remonter à l'an 1822. Son état, en 1834, était des plus rudimentaires. On y voyait contre le mur qui longeait le Paillon et s'arrêtait au ras du sol de la chaussée, une douzaine d'acacias qui, à demi brisés par le vent et plantés en file indienne, donnaient un faible ombrage.

Contre le mur qui longeait la campagne, il n'y avait aucune maison, mais seulement un épais cannier dont les verdoyantes frondaisons formaient sa rurale bordure.

Il va sans dire que ce chemin n'était ni drainé, ni éclairé, ni même balayé. Tel était l'état où se trouvait, il y a soixante-six ans, le futur quai Masséna.


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Au fond du carrefour devenu depuis la place Masséna, toujours à gauche en partant du Pont-Neuf, se trouvait la route de France, bordée des deux côtés par les murs de clôture des campagnes limitrophes. — De la future place Masséna jusqu'au sentier devenu depuis la rue Halévy, il n'y avait, le long de la route de France, du côté de la mer, que deux propriétés : celle de M. Coppon, qui allait de la place Masséna jusqu'à l'axe de la rue Paradis actuelle, et celle de M. Bessi, qui allait de l'axe de la rue Paradis jusqu'à la rue Halévy. Le sol bas et marécageux de ces jardins, surtout du premier, avait valu à M. Coppon, son propriétaire, le sobriquet de « Barba Granouilla ».

Du côté opposé, il y avait d'abord la propriété vraiment seigneuriale de M. Victor Tiranty. Cette propriété s'étendait sur la route de France jusqu'à la ruelle qui sépare la maison de Mme veuve Tiranty de l'immense immeuble du feu comte d'Ongran. Puis venait la campagne de M'ne la marquise de Châteauneuf dont hérita plus tard le marquis de Constantin. Enfin, le jardin de M. Pons, ancien capitaine de la marine marchande, s'étendait un peu plus loin que la rue Maccarani.

Dans presque tous ces jardins, séparés le plus souvent par de simples haies de rosiers de Bengale, il y avait, outre la maisonnette rustique du métayer près du puits et de l'étable, une toute petite maison de campagne aux murs roses, aux volets verts. Elle était élevée d'un ou tout au plus de deux étages. Au centre de sa toiture en briques creuses, s'élevait le plus souvent un petit belvedère d'où, malgré le peu d'élévation de l'édifice, on jouissait d'une vue splendide par suite de la distance assez considérable qui séparait chacune de ces petites constructions.

L'été, elles étaient habitées par leurs propriétaires ; l'hiver, ils les louaient aux membres de notre colonie étrangère.


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Ce fut dans la maison de campagne de M. Bessi, située route de France, en partie sur l'emplacement que devait occuper plus tard la rue Paradis, qu'en 1836 ou en 1837, Meyerbeer vint loger et travailler à son dernier opéra, l'Africaine.

Cette maison où avait habité l'un des plus illustres compositeurs de notre époque, fut en partie démolie lors de l'ouverture de la dite rue. Ce qui en resta fut transformé en un petit cabaret de bas étage, qui prit le nom d'Auberge de la Lune. Ce cabaret disparut à son tour, vers 1870, pour faire place à un nouvel et plus important immeuble.

Donc en 1832, dès qu'en sortant de Nice on avait franchi le Pont-Neuf, on était sans aucune transition transporté en pleine campagne. Toutes les propriétés environnantes étaient telles que les générations disparues les avaient laissées, et telles que leurs possesseurs d'alors comptaient les laisser à leurs descendants ; cependant il n'en devait pas être ainsi.

Vers la fin de l'an 1832, un M. Gilly, de Marseille, vint à Nice. — C'était le moment où, à Marseille même, tous les esprits étaient tournés vers les constructions. — On y bâtissait le boulevard Longchamps, et on y ébauchait la belle promenade du Prado.

Notre Marseillais vint-il à Nice pour son seul plaisir ou pour tenter quelque bon coup dans les achats de terrains?

Je ne sais, mais je crois la seconde hypothèse infiniment plus probable. Quoi qu'il en soit, il vit juste et jeta son dévolu sur la propriété de M. Bessi, qui allait de la route de France à la mer, englobant dans sa surface tout le quartier du futur Jardin-Public.

Il en fit demander le prix. — M. Bessi était un de ces vieux Niçois trouvant qu'il y avait déjà bien assez de


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maisons à Nice. — Il ne lui vint pas un moment à l'idée que quelqu'un pouvait acheter son terrain pour y bâtir, et comme cette campagne ne lui rendait en somme qu'un très mince revenu, il se décida à la vendre pourvu que ce fut à de bonnes conditions.

Il demanda d'abord à conserver sa maison et son moulin à huile avec une bande de terrain d'environ trente mètres de profondeur. Ce terrain, par un effet du hasard, se trouva longer la rue Paradis actuelle. Pour tout le reste du domaine, il demanda la forte somme de 68,000 francs. C'était au moins un tiers de plus qu'elle ne valait comme propriété rurale.

L'acheteur récrimina d'abord, puis voyant que le vendeur tenait ferme, il céda peu à peu sur la maison, sur l'usine, sur la bande de terrain, sur le prix, et le marché fut conclu.

Chacun au début regardait M. Bessi comme ayant fait une superbe affaire, et son acquéreur comme un naïf venu tout exprès à Nice pour se faire exploiter. Mais lorsqu'on vit, très peu de mois après, M. Gilly procéder au lotissement de son terrain, donner à la Ville le pré de la Fous à la charge par elle, 1° d'y établir un Jardin-Public, 2° d'y tracer tout autour les voies carrossables destinées à donner accès aux nouvelles constructions, on cessa de rire, et l'on comprit que M. Gilly venait de réaliser un coup de maître, car pour 68,000 francs il avait acquis tous les terrains à bâtir qui entourent le Jardin-Public, sauf le petit lot qui restait à M. Bessi ; plus tous ceux de la rue Croix-deMarbre; plus, encore tous ceux de la rue Masséna qui partant de la rue Halévy, allaient rejoindre la bande de terrain qui restait à M. Bessi de son ancienne propriété. Quant à celui-ci, il ne put, dit-on, jamais se consoler du sot marché qui lui avait ravi une fortune.


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Pareille mésaventure faillit arriver à son voisin M. Coppon, propriétaire du jardin, du même nom. Nous avons déjà dit que ce jardin, par suite de son humidité, lui avait valu le sobriquet de Barba Granouilla. Celui-ci, tout comme M. Bessi son voisin, était à mille lieues de penser que l'on pût convertir sa petite campagne en merveilleux terrains à bâtir.

M. Jules Gilly, dit Gilly Farine, et père de notre regretté concitoyen Jules Gilly, y vit plus clair, et lui demanda de l'acheter. M. Coppon y consentit. L'affaire fut conclue au prix de 36,000 francs. Les parties étaient chez le notaire, lorsque M. Coppon dont le caractère était aussi hésitant que celui de M. Gilly était droit et entier, souleva un incident. Il demanda que M. Gilly payât la moitié des frais de courtage. C'était une pure bagatelle, une affaire de 500 francs tout au plus; l'intérêt de M. Gilly lui disait de céder. Il y avait une fortune à gagner à ce prix. Sa susceptibilité ne le lui permit pas. Cela n'avait pas été convenu. Il se crut joué. Il rompit tout.

Ce fut fort heureux pour Barba Granouilla, car, éclairé par l'exemple de M. Gilly le Marseillais, il procéda luimême au lotissement de son terrain, et finit par retirer quelque chose comme six ou sept cent mille francs du jardin qu'il avait été sur le point de donner; — ici donner est le mot — pour 36,500 francs !

Cependant les propriétaires de la route de France commencèrent à s'éveiller à leur tour.

M. Victor Tiranty, possesseur d'une des plus belles et des plus vastes propriétés de Nice, mourut d'une attaque d'apoplexie en 1835 et quelques mois après, sa veuve jetait les fondements de la grande maison de la rue Masséna contiguë au café de la Victoire. Bien que cet immeuble de style turinais n'eût rien de remarquable, on le considérait

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alors pour sa masse même comme un véritable monument.

Presque en même temps, son beau-fils M. Ambroise Tiranty, commençait à édifier la première moitié de l'énorme maison qui porte encore le nom de maison d'Ongran. Ces deux immeubles terminés pendant l'été de 1837, furent loués et occupés dès la Saint-Michel de la même année. Mme Veuve Tiranty loua sa maison vide et j'en meublai une partie. M. Ambroise Tiranty loua la sienne meublée ; ni lui ni moi nous n'eûmes un seul appartement vide, ni cet hiver, ni les hivers suivants. Cependant nous les louions à peu près 40 % plus cher que nos concurrents. Mais il est juste de dire qu'au point de vue du confort et du goût, nous avions introduit à Nice un premier progrès très sensible dans l'art de l'ameublement.

Le grand attrait de ces deux immeubles, c'était leur vue : aucune construction ne la gênait encore, et de nos fenêtres nous pouvions voir librement la mer jusqu'à la pointe de la Garoupe, comme on pourrait le faire aujourd'hui de la promenade des Anglais.

Ce précieux privilège qu'ils possédaient devait être de très courte durée. Dès 1839, M. Adé, sellier, achetait à raison de 9 francs le mètre carré le premier lot de terrain qui ait été vendu sur le quai Masséna et se mit aussitôt à construire.

Presque aussitôt aussitôt après, M. Layraud, propriétaire de l'hôtel de France, acheta un autre lot pour son hôtel au prix de 11 francs. M. Roubaud en acquit un autre au prix de 12 francs et bâtit la maison qui appartient aujourd'hui à la famille Nicot. Enfin, M. Coppon bâtit lui-même la grande maison qui fait le coin du quai Masséna et de la rue Paradis. En moins de deux ans le quai tout entier était bâti.


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L'activité des constructions n'était pas moindre sur la place du Jardin-Public. Vers 1835 un jeune Parisien, M. Laurencin, acheta au prix de 15 francs le mètre, prix énorme pour le temps, et y bâtit sur la mer une maison de sept fenêtres de façade, qui fait partie aujourd'hui de l'hôtel des Anglais.

La construction de cette maison fut longtemps interrompue par une curieuse aventure que je raconterai peutêtre plus tard. M. Gilly farine acheta et bâtit le lot suivant. Un chaudronnier enrichi, M. Borry, acheta le lot qui faisait le coin de la façade est du Jardin Public. Un ou deux acquéreurs dont les noms m'échappent se présentèrent et ainsi cette façade fut complètement bâtie de 1835 à 1838.

Dès 1834 la façade sud avait, avons-nous dit, déjà deux maisons construites. Vers 1839 une société d'ouvriers acheta le terrain contigu à la maison Raymond Gauthier. Un an plus tard, M. Visquis, courrier de famille, acheta le lot suivant. Ces deux immeubles appartenant aujourd'hui, l'un à M. Boutau, l'autre à M. Astraudo, constituent à présent l'Hôtel de la Grande-Bretagne. Il ne restait plus alors, pour achever la façade sud de la place du Jardin Public, que le lot de terrain que s'était réservé M. Bessi; mais celui-ci, échaudé par son marché avec M. Gilly, ne voulait le céder à aucun prix, et, sans en être sûr, je crois bien que ce n'est qu'après sa mort qu'il a été vendu à M. Trabaud.

Ce fut aussi vers l'an 1839 que l'on commença à bâtir la rue de la Croix-de-Marbre. Cette affaire fut rondement menée ; deux ans après le commencement des travaux, il n'y restait aucun emplacement à bâtir.

Peu à peu nos bourgeois de Nice d'abord hésitants avaient fini par comprendre que le nouveau quartier que l'on créait de l'autre côté du Paillon finirait par être annexé


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à la ville, que les terrains et les immeubles étaient destinés à y augmenter de valeur, et qu'il y avait tout profit à s'y assurer un lopin de terre. Aussi tous ceux qui le pouvaient, achetaient.

Dans cette fièvre de constructions, la partie de la route de France qui allait du chemin Saint-Etienne à la place Magenta commençait à se peupler. Le côté faisant face au midi était occupé presque en entier par la maison de Mme veuve Tiranty et par celle de M. Ambroise Tiranty, son beau-fils. Le côté nord commençait aussi à se bâtir, de sorte que ces immeubles, après avoir perdu la vue de la mer, étaient même menacés de perdre le soleil d'hiver. C'est ce qui arriva en effet à la maison de Mme veuve Tiranty. Le même sort aurait été réservé à celle de M. Ambroise Tiranty si son propriétaire n'avait habilement paré ce coup, par un assez gros sacrifice d'argent.

Les personnes qui avaient acheté route de France les lots de terrain faisant face aux maisons précitées, étaient de petits bourgeois, de petits industriels qui, manquant de capitaux pour faire une grosse construction, ne comptaient guère élever, au moins temporairement, qu'un étage sur rez-de-chaussée. M. Ambroise Tiranty alla les voir et après s'être enquis de leurs intentions, il leur proposa de leur payer tout ou partie du terrain, à condition qu'ils s'engageassent par-devant notaire à ne jamais élever leurs immeubles au-dessus du premier étage. Ces braves gens crurent faire une affaire d'or. Ils signèrent, et voilà pourquoi dans cette rue Masséna, aujourd'hui si passagère, où le terrain vaut à coup sûr plus de 200 francs le mètre carré on voit en face de la maison Ongran une longue rangée de maisonnettes, qui n'ont qu'un étage sur rez-de-chaussée, et qui ne pourront probablement jamais s'élever plus haut. L'affaire dut se passer vers l'an 1838. Je tiens ce détail de


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M. Ambroise Tiranty lui-même, qui me le raconta en sortant de chez le notaire. D'après lui, le sacrifice que lui coûta l'acquisition de cette servitude fut d'environ 30,000 francs.

Depuis l'an 1832 jusqu'à nos jours, le mouvement des constructions à Nice s'est tantôt accéléré, tantôt ralenti, quelquefois dans une grande mesure ; mais il ne s'est jamais complètement arrêté.

CHAPITRE IV

DES MOYENS DE LOCOMOTION ET DE TRANSPORT A NICE de 1830 à 1850

Après avoir revu par le souvenir ce qu'était notre vieux Nice de 1830, il peut être intéressant de rappeler quel était son mouvement et sa vie.

Pour décrire son mouvement, il me semble que ce qu'on peut faire de mieux, c'est d'essayer d'indiquer, aussi exactement que possible, quels étaient les moyens de locomotion de ses habitants dans la ville et dans la banlieue; ceux dont ils se servaient pour communiquer avec les autres villes du royaume sarde ou avec l'étranger, et enfin les moyens de transport alors usités pour l'importation des divers produits.

Pendant le jour, le moyen de locomotion employé par nos Niçois de 1830 pour se rendre dans l'intérieur de la ville ou même dans la banlieue la plus proche était des plus simples. Ils allaient tous à pied. Et il ne pouvait en être autrement; car d'une part presque toutes nos rues étaient trop sinueuses et trop étroites pour permettre la circulation des voitures, et de l'autre les distances étaient si courtes dans notre petite ville, qu'il ne valait vraiment pas la peine d'enfourcher un cheval ou une mule pour se rendre


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de la rue du Pont-Neuf à la rue Pairolière, les deux points extrêmes de notre cité d'alors.

La nuit venue, on allait à pied tout de même, mais avec certaines précautions. Les soixante et quelques réverbères fumeux qui étaient disposés de loin en loin dans nos rues ne réussissaient guère qu'à montrer la nuit plus noire, Il fallait donc, avant de sortir, si l'on tenait à ne point se rompre le cou, se munir d'une lanterne, dont la grandeur et le luminaire variaient selon la condition sociale de l'individu qui s'en servait.

Les paysans et les ouvriers portaient eux-mêmes leurs noirs petits falots de tôle, où brûlait une mince mèche nageant dans un petit godet d'huile de ressence. Les bourgeois se faisaient accompagner par leur bonne, et celle-ci portait une assez élégante lanterne de fer-blanc où brûlait une bougie.

Dans la classe noble c'était un domestique homme qui portait la lanterne plus vaste, contenant deux bougies au lieu d'une.

Les matrones de cette caste qui avaient à sortir le soir ne se contentaient pas d'un porteur de lanterne." Elles s'installaient confortablement dans l'antique chaise à porteurs plus ou moins dorée qui jadis avait servi à leurs grand' mères et se rendaient dans ce vénérable équipage soit aux bals de M. le Gouverneur, soit chez la marquise de Sainte-Agathe, où l'on jouait surtout au whist, soit chez telle autre marquise où l'on jouait au loto. J'ai vu circuler dans nos rues, jusques vers l'an 1848, ces vieilles chaises, qui le jour étaient remisées dans un coin des vastes entrées de nos maisons nobiliaires.

Quand les Niçois de cette époque voulaient se rendre dans celle de leurs maisons de campagne qui n'était point sur une route carrossable, et qui se trouvait située dans un


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quartier de la banlieue que l'on considérait alors comme éloigné, le métayer était prévenu. Il se rendait à l'heure iudiquée au palaï du maître, avec son mulet, que l'on chargeait de bagages, et deux ou trois ânesses, munies chacune d'une selle espagnole, sur lesquelles montaient la bourgeoise et les enfants ; quant au mari, le plus souvent il suivait à pied.

On ne se figure pas combien les distances nous semblaient alors plus grandes qu'aujourd'hui. Aller jusqu'au vallon de Magnan nous faisait l'effet d'une véritable excursion; pousser jusqu'au Var était presque un voyage. La villa de Chambrun où l'on se rend si facilement de nos jours et qui appartenait alors au comte de Pierlas, nous paraissait être au bout du monde!... Cette différence dans l'appréciation des distances doit tenir à ce que dans ces temps on était presque entièrement privé de véhicules, et aussi à la difficulté que l'on éprouvait à circuler dans l'inextricable réseau de petits sentiers qui s'entre-croisaient dans la plaine.

Les excursions dans nos montagnes étaient alors très pénibles et par conséquent très rares. Comme avant l'annexion il n'y existait pas une route carrossable, il fallait faire le chemin à dos de mulet. Les chemins muletiers que l'on était forcé de parcourir étant difficiles et souvent dangereux, on n'y avançait que lentement. Il fallait un jour pour se rendre à Levens, deux jours pour aller à la Bollène, trois jours pour aller à Saint-Martin de Lantosque.

Si l'on se dirigeait vers nos communes les plus éloignées de Nice, le voyage était au moins de quatre à cinq journées; ajoutez à cela que l'on ne rencontrait sur la route que de misérables auberges de muletiers, où l'on était mal nourri... encore plus mal couché, et où la propreté laissait tout, absolument tout à désirer. Si nos hôtes


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d'alors ne connaissaient pas nos montagnes, c'était par la raison toute simple qu'il eût été impossible à une famille étrangère un peu convenable, d'y tenter une excursion.

Nous n'avions, en 1830, ni trams, ni omnibus, ni voitures de place marchant à l'heure ou à la course. Le premier omnibus introduit à Nice, le fut en 1835 par M. Leyraud, propriétaire de l'Hôtel de France, alors établi sur le quai du Midi. M. Leyraud étant allé à Paris pour ses affaires, trouva à y acheter, d'occasion, un grand omnibus que l'on avait réformé, et trois gros et lourds chevaux percherons. Il revint à Nice à petites journées, dans ce singulier équipage, et y organisa, sans plus tarder, un service d'omnibus entre Nice et le pont du Var. Les départs avaient lieu de Nice, à huit heures du matin et à deux heures de l'après-midi ; du Var, à dix heures du matin et à quatre heures du soir. Les places se payaient quarante centimes. Ce fut pour le temps un énorme progrès ; l'omnibus fut très couru. Les Niçois en profitèrent pour faire de plus fréquentes promenades sur les rives du Var.

De leur côté, les habitants de Saint-Laurent, qui n'avaient à traverser que le pont de bois, alors situé en face du village, pour arriver à la station, eurent toute facilité pour venir à Nice écouler leurs produits ou faire des emplettes. Il en résulta un petit courant d'affaires avantageux pour les deux localités.

Après quelques mois d'exploitation, M. Leyraud céda son entreprise à M. Loupias, qui lui donna un sérieux développement et poussa ses omnibus jusqu'à Cagnes.

Quant aux voitures de place, elles ne commencèrent à se montrer dans notre ville que bien des années plus tard.


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Parlons un peu maintenant des voyages en ces temps lointains.

Pour voyager nous avions deux voies : la voie de terre et la voie de mer.

Nos hôtes étrangers nous arrivaient presque exclusivement par terre et voyageaient dans leurs propres chaises de poste. Ceux d'entre eux qui ne pouvaient pas se payer ce luxe, prenaient les voitures publiques. Nos Niçois en faisaient autant.

Nous avions alors deux compagnies faisant le service de Nice à Marseille : l'une partait le matin, l'autre le soir. Elles commencèrent par se faire concurrence, puis fusionnèrent. Leurs voitures contenaient au maximum quinze places. Elles n'étaient presque jamais complètes, soit à l'arrivée, soit au départ. En moyenne, on peut dire qu'elles étaient remplies aux deux tiers. La durée du trajet était de trente à trente-deux heures, selon l'état des routes... et celui des conducteurs ou postillons.

De Nice à Turin par Coni, il y avait un départ et un arrivage quotidien ; de Nice à Gênes, il en était de même. La capacité des voitures affectées à ces deux services était à peu près semblable à celles des voitures de Nice à Marseille. La durée du trajet était aussi la même pour la voiture se dirigeant sur Turin; un peu moindre pour celle se rendant à Gênes.

On voit, d'après ces données, que de 1830 à l'inauguration du chemin de fer du P. L. M., la circulation par terre entre Nice et les villes sus-mentionnées ne pouvait pas dépasser cent-vingt personnes par jour et s'arrêtait bien souvent au chiffre de quatre-vingts ou quatre-vingtdix voyageurs, tandis qu'aujourd'hui ce sont trois ou quatre mille personnes, quelquefois plus, qui passent quotidiennement par notre gare.


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Cet énorme développement de la circulation a été sans contredit une des causes les plus efficaces du développement non moins énorme de notre cité.

Au début de la période qui nous occupe, lorsqu'on voulait prendre la voie maritime, il fallait s'embarquer sur les petits navires à voiles qui fréquentaient notre port, vu qu'il n'y en avait pas d'autres. On partait à la grâce de Dieu, et l'on arrivait... quand on pouvait.

Plus tard, vers 1832, les compagnies génoises nous envoyèrent leurs premiers vapeurs. L'un d'eux, le CarloAlberto, débarqua à la même époque, sur les côtes marseillaises, la duchesse de Borry. Ce ne fut guère que deux ans plus tard que des navires à vapeur français commencèrent à se montrer dans le port de Nice. Ces navires ne brillaient ni par le tonnage ni par la vitesse. Leur jauge était de 200 à 250 tonneaux, la force de leurs machines ne dépassait guère 150 chevaux. Ils mettaient environ dix-huit heures à faire le trajet entre Marseille et Nice. Cependant ils étaient très recherchés par les voyageurs, car, vu la lenteur des voyages par terre, ce trajet était alors considéré comme très rapide.

Je ne dirai que peu de mots de nos moyens de transport, à la fin du premier tiers du siècle.

Par terre, nous avions le roulage ; mais il était lent et cher. Il lui fallait huit jours pour effectuer le trajet de Marseille ou de Gênes à Nice, et il se payait de 8 à 10 francs par quintal métrique. En outre, il ne pouvait transporter que des quantités très limitées.

Par mer, nous avions au début de cette période notre petite flottille de tartanes qui allaient, les unes à Saint-


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Tropez, à Saint-Maxime, à la Nouvelle, charger le vin qu'on appelait le vin de barque, et qu'on nous vendait de 15 à 17 francs, l'hectolitre.

D'autres allaient charger à Marseille des briques, des pierres d'Arles, de la morue, des denrées coloniales. D'autres encore allaient sur les divers points de la côte française ou italienne, décharger ou prendre des marchandises diverses. Lorsque les patrons ne chargaient pas leur barque pour leur propre compte, leur fret, qui variait selon les distances, était toujours très bon marché.

A cette même époque, les voiliers italiens nous apportaient le charbon de bois de Toscane, que l'on consommait exclusivement dans le pays, jusqu'à l'inauguration de l'usine à gaz, fondée par M. Lebon, les vins de l'île d'Elbe et de la Sicile, les bois de constructions, les lièges, le sel et les fruits de la Sardaigne.

Un peu plus tard, de petits vapeurs, italiens d'abord, français ensuite, commencèrent à paraître dans notre port; au début ils n'embarquaient guère que des passagers et leurs bagages. Puis, peu à peu, ils s'emparèrent de la presque totalité du fret, et nos jolies tartanes disparurent.

Je serai bref au sujet des divers modes de transport usités à Nice de 1830 à 1850.

L'usage des breacks qui, par centaines, sillonnent rapidement nos rues, au grand danger des passants, y était absolument inconnu.

Lorsqu'un de nos marchands faisait une vente, il mettait la marchandise vendue dans une corbeille, son homme de peine la chargeait sur ses épaules, la portait chez le client et tout était dit. Pour le transport des grosses marchandises, du port chez les divers destinataires, nous avions


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deux sortes de véhicules. Lorsque le propriétaire de la marchandise habitait sur une place, sur un boulevard, ou bien dans l'une de nos quatre ou cinq rues carrossables, on se servait d'un lourd camion attelé d'un ou de deux colliers selon le cas. Lorsqu'il habitait au contraire dans cette partie de la ville qui va de la rue Sainte-Réparate à cette extrémité de la rue Pairolière qui touche à la place Garibaldi, les marchandises, quelle que fût leur nature, étaient toujours transportées sur des charrettes à bras, les municipalités de ces époques reculées ne permettant pas que les charrettes, les prolonges ou autres gros véhicules fussent introduits dans ces rues étroites et tortueuses, qui datent du XVe ou du XVIe siècle et n'ont assurément pas été faites pour cet usage.

Depuis quelques années, cette mesure de précaution est tombée en désuétude. De nos jours, on ne peut guère s'engager dans ces ruelles, sans s'y voir arrêté par d'énormes breacks lourdement chargés, qui en frôlent les deux parois opposées. On s'étonne qu'ils y puissent entrer ! On s'étonne encore plus qu'ils eu puissent sortir ! Et pendant leur passage la circulation est entravée.

Dans l'intérêt des passants et jusqu'à ce que ces rues soient élargies, il serait grandement à désirer que nos édiles remissent en vigueur ce sage règlement de nos vieilles municipalités niçoises.


FRANÇOIS DE THÉAS, COMTE DE THORANG

LIEUTENANT DE ROI A FRANCFORT d'après un livre récent

PAR

PIERRE BENOIST

Agrégé de l'Université, Professeur au Lycée de Nice



FRANÇOIS DE THEAS, COMTE DE THORANC

LIEUTENANT DE ROI A FRANCFORT

d'après un livre récent 1

La lecture des pages charmantes où Goethe, dans ses Mémoires, racontant' les souvenirs de son enfance, a immortalisé François de Théas, comte de Thoranc, lieutenant de roi à Francfort, a suggéré à un érudit allemand, M. Schubart, qui, en 1876, était venu passer l'hiver à Cannes, l'idée de voir jusqu'à quel point la poésie se mêlait à la vérité dans ce récit fameux. La ténacité avec laquelle l'auteur a poursuivi ses recherches lui a permis de faire plus d'une découverte intéressante. Sans parler des tableaux que Thoranc commanda à des artistes Francfortois, tableaux que l'on croyait perdus et qui ont été retrouvés, M. Schubart a pu avoir communication des papiers de famille et, en particulier, d'un journal où le lieutenant de roi a raconté les principaux événements de sa vie. Les détails qu'on y trouve, confirmés, d'ailleurs, par des documents tirés des archives de Francfort, nous révèlent tout un coin ignoré de la vie de ce petit hobereau Grassois. Nous savons dorénavant le rôle qu'il a joué dans la prise de Francfort, comment il a assuré le succès de la journée de Bergen et quels services il a rendus à la ville qu'il avait mission de gouverner. C'est sur ces points que je voudrais insister en prenant pour guide le livre si sérieux et si solide de M. Schubart.

1. François de Théas, comte de Thoranc. Goethes Koenigslieutenant. Dichtung und Wahrheit, drittes Buch. Mitteilungen und Beitrage von Martin Schubart. München, F. Brückmann. 1896.


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Nous ne connaissons presque rien des premières années de la vie de Thoranc. Il naquit à Grasse le 19 janvier 1719. Il fit ses études chez les Jésuites à Aix et à Marseille et entra au service en 1734. En 1758, il y avait déjà quinze ans qu'il servait assez obscurément au régiment de Vermandois-infanterie, quand il demanda à être employé dans l'état-major du prince de Soubise, qui, l'année précédente, avait assisté au désastre de Rosbach et pour le moment avait à tenir tête aux troupes de Ferdinand de Brunswick qui opérait pour le compte de Frédéric II. La fortune, jusqu'à ce jour, avait peu favorisé Thoranc. Il avait servi dans les guerres de la succession de Pologne et de la succession d'Autricne, sans avoir rencontré l'occasion de faire preuve de brillantes qualités militaires. Il comprenait qu'en restant à la tête d'une compagnie, il n'avait guère à compter sur un avancement quelconque. Dans les services d'état-major, au contraire, il espérait avoir la chance de se faire remarquer. Il ne se trompait pas. Dès le début des opérations, la part qu'il y prit le mit en vue.

Une clause du traité de Versailles obligeait la France à entretenir deux armées en Allemagne. Ces deux corps de troupes, dont l'un était commandé par Soubise, opéraient l'un dans le Hanovre, l'autre dans la vallée du Mein. Il leur manquait un point de concentration et des quartiers d'hiver. Le besoin se faisait sentir d'une place forte assez riche pour subvenir à l'entretien des armées en campagne, assez sûre pour y défier les attaques d'un ennemi audacieux. Le maréchal de Belle-Isle, ministre de la guerre, avait déjà, dans le courant de l'année, demandé à la cour de Vienne qu'elle laissât établir une garnison française à Francfort que l'on jugeait la place la plus propre à assurer les communications des armées et d'où il ne serait pas difficile de veiller à la fidélité des Etats de l'Empire que la Prusse travaillait


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fortement. On accueillit assez mal ce projet à Vienne. Belle-Isle n'insista pas ; mais dans ses instructions au prince de Soubise, il recommanda à ce dernier de mettre la cour de Vienne en face du fait accompli. Aussi, à la fin de la campagne de 1758, Soubise décida-t-il de faire de Francfort sa place d'armes au-delà du Rhin. La réalisation de ce projet était d'autant plus délicate que Francfort n'était pas une ville ennemie ; il fallait, autant que possible, éviter toute effusion de sang, pénétrer dans la place et y rester. Thoranc, dans son journal, a raconté l'affaire en détail. Aux archives de Francfort, on possède le rapport du colonel de Papenheim : le rapport et le récit concordent sur tous les points; l'exactitude de la narration de Thoranc est prouvée ; la voici, telle que la publie M. Schubart dans son ouvrage :

« Le prince de Soubise, à la fin de la campagne de 1758, chargea M. de Vault, maréchal général des logis de son armée, d'aller dans Francfort examiner de quelle manière on pourrait la surprendre.

« Je servais dans la même armée en qualité d'aide maréchal des logis. Le général jugea à propos que j'allasse avec M. de Vault examiner la possibilité de l'entreprise. Il avait imaginé qu'on pourrait introduire des troupes dans la place le long du Meyn et que des officiers et des sergents, à la faveur d'un déguisement, s'empareraient d'une porte, après avoir examiné le local. Nous ne jugeâmes pas ce moyen aussi praticable que celui de faire passer un de nos bataillons par la ville avec la permission du M agistrat et de lui faire faire halte dès qu'il serait entré pour donner le temps à d'autres troupes de le joindre et se trouver par là en force et maître de la ville. Cette manière de s'en emparer ayant paru plus simple que toute autre, fut adoptée par M. le prince de Soubise et ce fut d'après ce plan que l'en7

l'en7


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treprise fut arrêtée. L'exécution en fut confiée à M. le baron Wurmser, et je lui fus adjoint pour faciliter les moyens de faire les arrangements qu'exigeait ce projet ; M. le prince fit d'abord faire une réquisition au Magistrat de donner passage à un de nos bataillons.

« M. de Wurmser et moi, nous étant mis à la tête de cette troupe pour voir la disposition des portes qu'occupaient celles de la ville, la traversâmes et observâmes qu'on prenait aux portes et sur les remparts les mêmes mesures que l'on prend lorsqu'on se méfie d'une surprise.

« Le commandant de la garnison, M. le comte de Papenheim, avait fait marcher trente grenadiers, la baïonnette au bout du fusil, à la tête du bataillon que nous conduisions. Il avait fait placer sur les remparts des canonniers, mèche allumée à la main, près de pièces dirigées sur le chemin, et avait fait doubler les gardes.

« Ce fut en conséquence de ces dispositions que M. de Wurmser fit les siennes. M. le prince de Soubise lui donna douze bataillons et quatre escadrons pour son opération. Il voulut qu'elle fût tenue secrète. Je fus chargé de faire seul, sans l'aide même d'aucun secrétaire, les instructions et les expéditions des ordres à donner pour le mouvement des troupes destinées à l'entreprise. Il fut demandé au Magistrat, pour le jour marqué, passage pour deux bataillons ; mais comme il n'en laissait passer qu'un à la fois, la réquisition portait que l'un passerait le matin et l'autre le soir. Quoiqu'il ne fût besoin que d'un seul pour le succès de l'entreprise, il parut nécessaire de demander passage pour un second, afin de dissiper les soupçons qu'aurait pu faire naître la marche de ceux qui devaient soutenir le premier.

« Le jour de l'expédition, le 2 janvier 1759, le régiment de Nassau étant arrivé à la barrière, le comte de Papenheim


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s'y trouva avec les trente grenadiers qui devaient prendre la tête de ce régiment et être conduits par le major des troupes de la ville. M. de Papenheim s'aperçut très bien, que la troupe à la tête de laquelle je me présentais était composée de plus d'un bataillon et il me le dit. Je lui répondis que nos régiments étrangers étant la plupart composés de déserteurs, se trouvaient tantôt très forts et tantôt très faibles. Cette réponse fut discutée par les officiers qui l'accompagnaient. Le nombre des drapeaux servit de preuve à ce que j'avais avancé, et l'on me dit que je pouvais marcher. A peine avais-j'e fait quelques pas qu'on s'aperçut de la tête du régiment des Deux-Ponts. On me demanda quelle était cette troupe. Je dis que c'était sans doute celle pour laquelle on avait requis passage pour le même jour, mais que j'étais surpris de la voir arriver de si bonne heure, son ordre portant qu'elle ne passerait le Meyn que dans l'après-midi. On me laissa continuer. Je suivis ce qui m'était prescrit au sujet du désarmement. Il se fit sans coup férir, le major qui était à cheval à la tête des grenadiers échappa à ceux qui l'avaient arrêté et galopa vers le poste de la grand'garde sur la place d'Armes. Je craignis qu'il n'allât disposer ce poste à des hostilités, et pour les prévenir je galopai après lui ayant donné ordre au lieutenant-colonel de Nassau de me suivre un peu lestement et de mettre son régiment en bataille en face du corps de garde, quand il serait arrivé sur la place. Je trouvai la garde en mouvement, tournant ses canons vers le régiment de Nassau et se préparant à le recevoir.

« J'eus assez de peine à me faire entendre. Le major avait échauffé les esprits. J'avais beau dire que nous n'étions pas des ennemis, on me répondit que nous ne devions pas être regardés autrement après avoir agi de la manière dont nous l'avions fait. Il fallut expliquer le motif de ce désar-


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mement. Je dis que M. le prince de Soubise, appréhendant que la ville de Francfort ne fût attaquée, venait joindre ses troupes à celles qui s'y trouvaient ; que, dans le moment que je parlais, il traitait peut-être avec MM. du Magistrat de la manière dont cette défense devait être combinée ; et que, jusqu'à ce qu'on fût d'accord là-dessus, la précaution qui venait d'être prise avait paru prudente et nécessaire pour que tout se passât à l'amiable. Mes raisons n'ayant pas satisfait les officiers de garde et ceux qui accouraient de tous côtés et qui opinaient qu'il ne fallait pas que la grand'garde se laissât désarmer sans avoir résisté, je me vis obligé de leur faire observer que la partie n'étant pas égale, ils seraient victimes du parti qu'ils voulaient prendre et qu'un seul coup de fusil de tiré exposerait peut-être la ville à un carnage qu'il ne serait pas possible d'arrêter une fois qu'il serait commencé. Je leur conseillai de bien faire leurs réflexions sur ce que je leur disais. — Le conseil que vous nous donnez, Monsieur, me dirent-ils, le suivriezvous si vous étiez à notre place? —Vous en avez un à prendre, Messieurs, qui ne vous exposera à aucun reproche et auquel vous devez déférer. Vous avez des supérieurs, vous n'avez pas loin à aller pour recevoir leurs ordres. Demandez-les leur et agissez en conséquence ; mais pour qu'aucun acte d'hostilité ne se commette entre les troupes respectives, il ne faut pas les laisser en armes vis-à-vis les unes des autres. Veuillez bien faire entrer vos soldats dans le corps de garde : je vous donne parole qu'il ne leur sera rien fait. — On se rendit à cet avis, et je courus à mes autres opérations. Je n'y trouvai pas plus d'obstacles qu'aux premières.

« Une singularité marqua celle qui concernait la porte de Boquenem. L'officier qui la gardait s'était réfugié avec sa troupe au corps de garde de l'avancée : je l'y laissai


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tranquille, m'étant assuré de l'intérieur et je fis dire à M. de Wurmser que tout ce qu'il m'avait prescrit était exécuté et que tout s'était passé fort paisiblement. Il n'attendait que cela pour prier MM. du Magistrat à se rendre à l'Hôtel-de-Ville, où M. le prince de Soubise désirait venir conférer avec eux. Le général y arriva en effet, s'étant tenu à portée des troupes. Il demanda qu'elles fussent logées dans la ville dont il assura que tous les privilèges seraient respectés. Il fut fait entre lui et le Magistrat une espèce de capitulation qu'on promit d'observer. On procéda aussitôt à son exécution en s'occupant des moyens de loger une forte garnison ».

Le prince de Soubise, pour marquer la satisfaction que lui donnait ce succès, nomma Wurmser, commandant de la ville de Francfort, et Thoranc, lieutenant de roi. Cette nomination fut agréée par le ministre de la guerre qui écrivit même à Thoranc une lettre pour le remercier, au nom du roi, de la part qu'il avait prise à l'occupation de Francfort et pour lui dire qu'il ne croyait pas que la lieutenance pût être en de meilleures mains que les siennes.

Thoranc resta trois ans lieutenant de roi, à Francfort. On l'eût bien étonné si, au moment de sa nomination, on lui avait prédit qu'il ne devait quitter qu'en décembre 1762 les fonctions dont on venait de le charger. D'abord, il ne se sentait aucun goût pour ce genre d'occupations qui convenaient beaucoup mieux à un officier fatigué, hors d'état de suivre une campagne et désirant terminer paisiblement sa carrière. Et puis, dès les premiers mois, malgré la bonne volonté que ne cessa de montrer le Magistrat de Francfort, il eut des difficultés très sérieuses à surmonter. De quelle nature ? Nous ne pouvons le dire. Les manuscrits de Thoranc ne nous renseignent point là-dessus. Mais une lettre qu'il adressa à Belle-Isle nous les laisse deviner.


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« Il semble que tout le tracas qu'occasionne la guerre se soit donné rendez-vous ici. Il n'y a point d'autre débouché que Francfort pour tout ce qui arrive ou qui part de l'armée. Tout fond sur moi et je suis le plastron des prétentions que tout le monde y apporte. Je n'entrerai point dans le détail de tous les embarras. Je puis vous attester qu'ils sont cruels pour un homme qui est doux et humain, et qui veut bien vivre avec tout le monde. » Aussi, dès le mois de juin 1752, demande-t-il à être relevé de ses fonctions et à être placé dans l'état-major en formation de l'armée, qui, selon toute apparence, allait être commandée de nouveau par le prince de Soubise. La réponse ne se fit pas attendre. Belle-Isle refuse net. « Le Roy ayant agréé que vous restiez à Francfort pour y être chargé du détail du service de cette place, il ne faut pas que vous songiez à en sortir pendant que les troupes françaises y resteront. C'est une place de distinction dont vous devez être flatté qu'on vous ait donné la préférence, et Sa Majesté vous saura autant de gré des services que vous y rendrez que si vous la serviez dans les armées. »

Ce refus peina Thoranc. Il l'essuyait au moment où il avait à supporter des ennuis d'un nouveau genre. Thoranc n'était que capitaine; ses fonctions le mettaient chaque jour en rapport avec des officiers d'un grade supérieur qui ne manquaient pas l'occasion de le lui faire sentir. Le service en souffrait. Un officier refuse de se rendre auprès du lieutenant de roi, sans qu'il puisse l'y contraindre. Dans les cérémonies, il ne vient qu'en deuxième ou en troisième rang. Que l'ennemi s'approche de Francfort, toute la responsabilité de la défense pèsera sur lui et il lui sera impossible de donner un ordre aux commandants des troupes. C'étaient là de petites tracasseries auxquelles Thoranc ne pouvait s'habituer. Puisqu'on lui refuse la


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place qu'il demande, qu'on lui donne au moins un grade supérieur. Les services qu'il a rendus et qu'on n'a pas cessé de reconnaître, sont un titre suffisant à l'obtention de ce brevet de colonel qui lui permettra de remplir complètement ses fonctions. Il revient, à plusieurs reprises, sur cette idée, dans l'es lettres qu'il écrivit au maréchal de Belle-lsle : « Mes embarras seraient moindres si l'autorité dont je suis dépositaire était soutenue d'un grade qui en imposât plus que le mien. Il est bien difficile à un capitaine d'infanterie de faire agréer ses décisions à des gens qui se croient supérieurs à lui. Je serais souvent en contestation si je me cabrais contre ceux qui cherchent à éluder l'entière obéissance. Je suis très attentif à éviter tout ce qui peut y donner lieu et j'ose vous répondre que le service ne souffre point de mes tolérances. On ne me soupçonne pas de chercher à m'enrichir au service. Qu'aurais-je à y gagner si je manquais les grades ? »

Belle-lsle, dans ses réponses à Thoranc, l'engage à perdre cette idée de vue. Il lui refuse son brevet, tout comme il lui a refusé sa nomination à l'état-major de l'armée. Nous ne connaissons point les motifs qui l'ont déterminé à agir ainsi. Mais on peut supposer que Thoranc, cadet de famille de petite noblesse, sans fortune et dénué de tout esprit d'intrigue, inconnu à la cour, manquait de protections à une époque où elles étaient tout M. de Bourcet, un ami de Thoranc, lui disait : « Le siècle dans lequel nous vivons est dur à bien des égards : le mérite reste en arrière, et les intrigues ou cabales prévalent. » D'ailleurs, le véritable ministre de la guerre, à cette époque était Mme de Pompadour. Et dans la note d'un livre intitulé : Mémoires historiques sur la guerre que les Français ont soutenue en Allemagne depuis 1757 jusqu'en 1762, ce même de Bourcet donne un tableau exact


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de la situation : « La marquise de Pompadour, après avoir été la maîtresse du Roi, voulut, quand ses charmes furent flétris, être son principal ministre, et elle le fut. Incapable de soutenir seule le fardeau des affaires, elle dominait despotiquement les généraux et les ministres, dans la recherche desquels elle fut rarement heureuse. Quelquesuns avaient été ou étaient ses amants : ils pouvaient réunir les talents agréables à une femme libertine, mais ils n'avaient pas ceux qui conviennent pour commander des armées, pour gouverner un Etat : les variations étaient continuelles, et aucun général ne commanda plus de deux campagnes de suite, à l'exception du prince de Soubise, que ses intimes liaisons avec la favorite firent reparaître à plusieurs reprises. »

Il est probable que Thoranc n'était pas bien en cour ; un passage de son journal laisse supposer qu'il était victime d'un malentendu. On s'explique, en le lisant, qu'il n'ait jamais eu ce brevet de colonel : « J'ai pensé, dit-il, être victime de mon zèle, pour avoir mis beaucoup d'ardeur à la suppression d'un libelle qui avait été imprimé en Allemagne contre Mme de Pompadour. J'avais pris des précautions pour être averti aussitôt qu'il en parviendrait quelque exemplaire à Francfort. Je ne me trouvai pas dans cette ville lorsqu'il en fut introduit. J'étais aux eaux de Wiesbaden, où j'en fus informé sur-le-champ. J'en écrivis à M. le marquis de la Saône qui commandait à Francfort, et je rendis compte à M. le maréchal de Broglie, dans le moment et dans la suite, de ce qui avait rapport à ce libelle et je m'en tenais là, croyant avoir rempli tout ce que la subordination pouvait exiger de moi. On ne pensa pas de même à Versailles et sans les soins que M. le maréchal de Broglie et quelques autres voulurent bien se donner pour dissiper l'orage qui se formait contre moi, je me serais mal


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trouvé peut-être de n'avoir pas su me conduire politiquement et en courtisan. J'aurais, au contraire, pu tirer parti de cette occasion pour peu que j'eusse su manoeuvrer en homme qui sait faire sa cour. »

Forcé de rester à Francfort et d'être lieutenant de roi sans le grade de colonel, Thoranc se résigna à son sort ; mais son caractère s'aigrit. Ce changement n'échappa point aux yeux du jeune Goethe. Il nous raconte qu'une sorte d'irritation, d'hypocondrie, s'emparait de Thoranc, à certains moments. Il se retirait dans sa chambre pendant des heures et même des jours. On a dit qu'il fallait attribuer ces accès de misanthropie à la folie héréditaire dans la famille des Thoranc. Nous nous les expliquons mieux depuis que les manuscrits du Journal pour Moi ont été retrouvés. Thoranc aimait beaucoup à écrire. Lorsque ces crises de découragement étaient passées, il se plaisait à faire sur le papier une \ sorte d'examen de conscience. M. Schubart a donné quelques extraits de ces pensées où Thoranc montre les souffrances de son amour-propre, où il se console, se donne des raisons d'espérer, s'exhorte enfin. « J'ai bien commencé, mais il y a des écueils. Il faut les éviter. Pour cela, il ne faut autre chose que penser à quitter cette place avec applaudissement des troupes et des habitants.

« Les petites discussious qui ne prennent rien pour objet que mon amour-propre ne sont pas dignes de m'occuper. Il faut être supérieur à la petite faiblesse de n'être pas regardé comme le premier. C'est en faisant beaucoup mieux que par le passé qu'on ne peut manquer d'être regardé comme un homme peu ordinaire.

« Une grande attention à tout ce qui peut être agréable clans tous les moments, l'envie de plaire, doit être un motif continuel, faute de passion ou d'objet assez véhément pour


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occasionner de l'enthousiasme. C'est de cette envie d'être agréable à tous que je dois me servir.

« Je n'ai pas gagné de batailles, je n'ai pas fait des lois, je n'ai rien fait d'extraordinaire, je ne dois pas m'attendre à un éclat qui ne peut être que le prix des grandes choses. Mais je puis mériter une estime universelle : c'est un bonheur que de se trouver dans cette passe-là.

« Si j'examine bien le fond de mon âme, je trouverai peut-être qu'il est peu de gens qui aient tant à remercier Dieu pour avoir si peu fait ; quels sont les faits qui parlent pour moi ? Quels motifs a-t-on eus de faire quelque chose pour moi ? Tout bien examiné, j'ai à me louer extrêmement de mon état ; une conduite sage et prudente doit me soutenir dans le train où je me trouve. »

Déçu et désillusionné, Thoranc avait l'âme trop haute pour s'abandonner entièrement au désespoir et négliger ses fonctions. Au contraire, il se renferme dans l'observation stricte de ses devoirs.

Nous aimerions à connaître les détails de cette administration qui a laissé de si bons souvenirs en Allemagne. Goethe, écrivant dans sa vieillesse, ne nous a donné que l'impression faite sur son esprit d'enfant par ces passages continus de troupes, les allées et venues de grands personnages. « Nous regardions très commodément, dit-il, des escaliers et des paliers, comme des galeries, l'état major défiler devant nous. Je me souviens surtout du prince de Soubise comme d'un bel homme, aux manières affables, mais encore plus nettement du maréchal de Broglie, qui était jeune, d'une taille élevée, bien prise, vif, prompt et promenant autour de lui un regard spirituel. Les diverses affaires qui étaient réglées à l'audience du lieutenant de roi avaient, un attrait tout particulier, parce qu'il se faisait un singulier plaisir de donner à ces décisions un tour


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spirituel, ingénieux et gai. Ce qu'il ordonnait était d'une rigoureuse justice ; la manière de l'exprimer était originale et piquante. Il semblait avoir pris pour modèle le duc d'Ossuna. Il se passait à peine un jour sans que l'interprète vînt conter à la mère et aux enfants quelque anecdote amusante. Ce joyeux ami avait fait un petit recueil de ces jugements de Salomon, mais je n'en ai conservé que l'impression générale et je n'en retrouve dans mon souvenir aucun trait particulier ».

C'est tout ce que nous savons. Thoranc avait pleine conscience du rôle qu'il avait à jouer dans cette ville étrangère, dont les habitants aimaient peu la France. Les fonctions de lieutenant de roi faisaient de lui un arbitre de tous les jours dans les difficultés inévitables qui naissent à propos de tout. Chef de la police, maître indirect, il est vrai, de tous les services municipaux, il sut toujours, à force de tact et de courtoisie, alléger les charges que la présence des Français imposait aux Francfortois. Il se garda d'être le tyran qu'étaient, d'ordinaire, les lieutenants de roi, dont le zèle s'appliquait surtout à créer aux Francfortois des ennuis de tout genre, à se moquer d'eux et à molester les habitants. Non content de s'efforcer de réaliser dans la pratique le haut idéal de justice et d'équité qu'il avait conçu, il cherchait encore à faire excuser les ordres qu'il était obligé de donner par la forme dont il savait les revêtir.

Le maréchal de Belle-lsle avait raison de dire que cette lieutenance ne pouvait être comparée à celles de France. En tout cas, elle était plus lourde à remplir. Le poste allait même devenir périlleux. « L'occupation durait depuis trois mois quand, nous dit Goethe, la nouvelle se répandit vaguement que les alliés étaient en marche, et que le duc Ferdinand de Brunswick venait chasser des bords du Mein-


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les Français. On n'avait pas d'eux une très haute idée, et depuis la bataille de Rosbach, on croyait pouvoir les mépriser. On avait dans le duc Ferdinand la plus grande confiance, et tous les amis de la Prusse attendaient avec impatience de se voir délivrés du fardeau qui pesait sur eux. » Dans ces circonstances, Thoranc dut payer de sa personne. On peut dire qu'il contribua, par son activité et son sang-froid, à assurer le succès de la journée de Berghen. Au surplus, écoutons-le lui-même; ce n'est pas un plaidoyer qu'il fait pour lui : c'est un récit fait longtemps après et qui a été extrait de son journal :

« Je puis dire que j'ai peut-être fait pour le service du Roi, le jour de la bataille de Berghen, plus que je n'ai fait pendant le reste du temps que j'ai été occupé à ce qu'exigeaient mes fonctions dans le même endroit. La bataille de Berghen se donna le Vendredi-Saint (1759) ; M. le maréchal de Broglie, à la première nouvelle de la marche du prince Ferdinand, avait rapproché ses quartiers de Francfort, de façon que toutes ses troupes pouvaient se rendre en une marche à Berghen, qui n'en est qu'à une lieue et où il avait choisi son champ de bataille. Bien lui en prit d'avoir fait ce rapprochement, car le prince Ferdinand, qui paraissait avoir changé d'objet, pour, faire perdre de vue les précautions qu'il y avait à prendre pour parer à son entreprise, la reprit tout à coup et se porta fort vivement sur Francfort. M. le maréchal de Broglie ne s'y attendait point. Il était dans cette ville le soir du MercrediSaint, occupé à voir la cérémonie qui s'y observe tous les ans, à l'occasion de la foire de Francfort. Il n'eut que le temps, dès qu'il fut averti de la marche du prince Ferdinand, d'expédier les ordres nécessaires pour rassembler toute son armée le lendemain à Berghen, où il se rendit lui-même, le jeudi au matin, pour y préparer ses disposi-


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tions, à mesuré qu'il lui arrivait des troupes. Il me laissa dans Francfort avec une brigade, sans me donner une instruction particulière sur ce que j'avais à faire. Il ne me laissa pas oisif pour cela le jour de la bataille; et la besogne à laquelle il m'employa se trouva d'autant plus difficile, qu'elle avait été moins préparée. Dès le matin du Vendredi-Saint, il m'envoya ordre de faire faire un pont de bateaux sur le Mein et il ne me fournit pour cela autre chose qu'une compagnie d'ouvriers. Il fallut trouver surle-champ des bateaux, des madriers, des planches, des cordages, et je ne fus pas peu embarrassé, quand le Magistrat me fit envisager comme impossible la prompte fourniture de toutes ces choses. Je ne m'arrêtai point aux difficultés, et je pris mes mesures pour les surmonter, ayant trouvé sur la rivière assez de bateaux pour ce qu'il y avait à faire; grâce à l'activité du capitaine d'ouvriers et de sa troupe, le pont fut construit.

« Peu après avoir reçu l'ordre qui avait rapport à cet objet, j'en reçus un de faire placer sur les remparts de la ville du canon pour favoriser la retraite de l'armée en cas d'échec. Mais je n'avais pas à ma disposition ce qu'il fallait pour l'exécution de cet ordre. Il n'y avait dans Francfort d'autre artillerie que celle qui appartenait à la ville et elle était dans un arsenal dont je n'avais pas les clefs. Ce ne fut pas sans un peu de peine que je déterminai le Magistrat à me les confier. Cela obtenu, ce ne fut pas une petite besogne que de faire conduire les pièces de canon dans les endroits où il me parut nécessaire de les placer. Nous n'avions point de chevaux d'artillerie. Ceux que je fis prendre partout où il s'en trouva n'étaient pas harnachés pour cette opération. Ce fut certainement la plus difficile de celles qu'il y eut à faire ce jour-là. On en vint à bout. cependant ainsi que de toutes celles que demandait un


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moment si critique. De gré ou de force, il fallait se procurer des fournitures dépendantes de ce que le besoin et les ordres que je recevais coup sur coup exigeaient.

« Il n'avait point été pourvu à des établissements concernant le service des hôpitaux ; et dès les 9 heures du matin du Vendredi-Saint, il commença à arriver des blessés. Qu'on juge du surcroît de mon embarras, quand il fallut pourvoir à leur soulagement, n'ayant pas même des emplacements propices à cela, en chercher, en prendre partout où il s'en trouvait, faire toutes ces choses-là sans laisser ralentir l'ardeur avec laquelle devaient être suivies celles qui devaient être mises en train. Ce fut l'occupation de ma journée. Quelque mouvement que je me donnasse dans l'intérieur de la ville, je ne perdais pas un instant de vue ce qui se passait au dehors. J'envoyai plusieurs messages à M. le maréchal de Broglie pour le tranquilliser sur l'exécution de tous les ordres qu'il m'avait donnés. Je n'avais pas attendu ceux qu'il avait oublié de me laisser en sortant de Francfort, concernant la destinée de quelques régiments qui, s'étant trouvés les plus éloignés, à la rive gauche du Mein, n'arrivèrent que le vendredi matin. Je les fis passer à Bergen sans leur donner le temps de se reposer. La chose était urgente. En faisant prévenir M. le maréchal de Broglie de ce que je venais de faire, de crainte qu'un retard ne fît arriver après coup les troupes dont il s'agit, je l'assurai qu'il pouvait être tranquille sur la disposition où se trouvaient les esprits qu'il avait pu croire nécessaire de contenir ; et que, si ce n'était que pour cela qu'il avait laissé une brigade à Francfort, il pouvait sans crainte l'en tirer; que je lui répondais de la conservation de la ville avec les simples gardes qui en occupaient les portes ou les autres postes. M. le maréchal parut me savoir gré des attentions que j'avais eues pendant toute la journée, pour


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que rien de ce qui avait pu dépendre de moi pour concourir à ses vues et au bien du service, ne restât en souffrance; Il m'en marqua plus particulièrement sa satisfaction lorsqu'il rentra à Francfort après la retraite du prince Ferdinand; et il trouva que j'avais fait bien des choses en peu de temps. »

Thoranc n'était pas seulement un brillant officier d'étatmajor; son activité ne s'exerça pas uniquement dans ce domaine purement militaire. Sur ses conseils, qui devenaient souvent des ordres, la ville de Francfort fut transformée; le Magistrat secoua son inertie. La vieille cité du moyen âge, bon gré mal gré, eut des rues pavées, éclairées. Les maisons furent numérotées. On la divisa en quartiers. Les services de voirie et de police, la surveillance des établissements dangereux, des maisons de jeux furent assurés. Les Francfortois, arrachés à leurs habitudes, maugréaient un peu. Ils n'en furent pas moins très reconnaissants envers Thoranc, puisqu'ils agirent de façon très puissante à Vienne pour lui faire obtenir le titre de comte du Saint-Empire.

Mais rien ne montre mieux combien ils faisaient cas de Thoranc, que cette lettre adressée par le bourgmestre et le magistrat de Francfort « à Sa Majesté très chrétienne » :

« Sire,

« Parmi les marques multipliées de la Grâce Royale dont Votre Majesté nous a daigné honorer, qui resteront gravées dans nos coeurs, et que la postérité la plus reculée regardera avec vénération, nous comptons à juste titre le choix que Votre Majesté a fait des officiers généraux pour commander dans notre ville et ses environs pendant cette guerre, et dernièrement de M. le marquis des Salles, son lieutenant général, dont la sagesse, le désintéresse-


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ment, l'amour de justice et l'exactitude à remplir ce poste nous rendront sa mémoire à jamais vénérable. « Après, Sire, nous présentons à Votre Majesté nos actions de grâces les plus humbles pour ce bienfait aussi bien que pour le choix de son lieutenant en cette ville dans la personne de M. le comte de Thoranc, dont les mérites et le désintéressement ne sauraient être assez loués et qui s'est donné des soins infatigables pour se rendre digne de la confiance de Votre Majesté. »

Entré à Francfort le 2 janvier 1759, Thoranc ne quitta cette ville que le 29 décembre 1762. Il mourut à Grasse en 1794, sans avoir eu depuis l'occasion de s'illustrer par quelque fait d'armes. Il n'y aurait aucun intérêt à faire le récit de ses déboires à Saint-Domingue ou de ses luttes continuelles avec les bureaux de la guerre. Qu'il nous suffise de dire qu'il obtint enfin, en 1770, le grade très envié de maréchal de camp.

En somme, c'est au hasard d'un billet de logement, pour nous servir d'une expression de M. Bréal, que Thoranc a dû la popularité dont il jouit en Allemagne et en France, parmi ceux qui lisent Goethe. Il est probable que son nom durera autant que les oeuvres du grand écrivain allemand. C'est un honneur pour la ville de Grasse d'avoir vu naître cet officier qui eut toujours une si haute idée de ses devoirs et, tout en payant brillamment de sa personne dans des circonstances mémorables, sut par la distinction de ses manières, son tact et sa loyauté « faire sur l'imagination de l'enfant prodige une telle impression que Goethe en est resté, comme on l'a dit, le plus Français des Allemands 1. »

1. Chanal, Notice sur les Alpes-Maritimes.


DÉBARQUEMENT

DE L'EMPEREUE NAPOLÉON 1er sur la plage du golfe Jouan

SA TENTATIVE AVORTÉE SUR ANTIBES ( 1er mars 1815 )

PAR

M. MUTERSE

Membre honoraire de la Société des Lettres, Sciences et Arts

des Alpes - Maritimes

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DÉBARQUEMENT

DE L'EMPEREUR NAPOLEON 1er

sur la plage du Golfe Jouan

SA TENTATIVE AVORTÉE SUR ANTIBES ( 1er mars 1815 )

Le retour de l'île d'Elbe est un des épisodes les plus saisissants de l'épopée impériale. Le souvenir de ce coup d'audace, sans exemple peut-être dans l'histoire, restera éternellement attaché à la plage où débarqua le fugitif dont la présence seule effondra le trône de Louis XVIII. Mais, au début même de la marche triomphale vers Paris, les murs d'Antibes opposèrent une opiniâtre résistance, bien vaine d'ailleurs, car ils ne pouvaient barrer la route à l'empereur.

Napoléon s'était embarqué à Porto-Ferrajo dans la soirée du 26 février 1815, à bord du brick de vingt canons, l'Inconsiant, avec les généraux Drouot, Bertrand et Cambronne. Il emmenait avec lui quatre pièces de campagne, un millier de soldats et des fonctionnaires civils, répartis sur l'Inconstant et six autres navires : les chebeks l'Etoile et le Saint-Joseph, la goélette la Caroline, la polacre le Saint-Esprit, les felouques la Mouche et l'Abeille. La flottille appareilla à la nuit et arriva, dans la matinée du 1er mars, à l'entrée du golfe Jouan. L'Inconstant mit en panne; puis, le rendez-vous ayant été primitivement assigné au golfe de Fréjus, l'empereur fit signaler aux


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autres navires de rallier le brick. En même temps, le capitaine Bertrand et une escouade de grenadiers et de chasseurs de la garde impériale, commandée par le capitaine Lamouret, quittèrent l'Inconstant et se dirigèrent, dans la chaloupe, vers La Gabelle.

Le chevalier Cuneo d'Ornano expose ainsi cette première phase du débarquement 1 :

« Napoléon, toujours hors du golfe avec son brick, « appelle près de lui le capitaine de grenadiers Lamouret : « Capitaine, lui dit-il, prenez vingt hommes, embarquez« vous dans une chaloupe, et portez-vous sur la batterie « de La Gabelle : si elle est armée, emparez-vous-en; si « elle est désarmée, allez en avant, placez-vous sur les « buttes d'Antibes, et restez-y jusqu'à nouvel ordre. » Cela « dit, Lamouret s'élance dans la barque avec ses grena«

grena« Il part, mais, au lieu de se diriger vers le but

« indiqué, il fait ramer vers Àntibes. Napoléon, étonné « d'une pareille manoeuvre contre sa volonté et son ordre, « fait tirer un coup de canon pour le rappeler à bord : « Où « allez-vous, capitaine? — Où Votre Majesté m'a com« mandé, réplique cet officier. — Non, s'écrie l'empereur « avec un peu d'humeur, c'est à cette batterie que vous « voyez là... là... » Lamouret repart, trouve la batterie « désarmée, fouille la plage, n'y rencontre aucun obstacle « au débarquement et continue sa route sur Antibes. « L'empereur qui n'aperçoit aucune amorce brûlée et qui « voit, au contraire, que la tranquillité règne partout, « entre dans le golfe avec son bâtiment. »

On désignait sous le nom de La Gabelle, à cette époque, l'emplacement qu'occupe de nos jours le hameau du GolfeJouan, où ne se trouvaient qu'une auberge, un poste de

1. Napoléon au golfe Juan. — Paris, 1830, pages 24 et 25.


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douane, des bastides éparses et une tour carrée, ayant servi autrefois de grenier à sel, connue sous le nom de Tour de La Gabelle. Cette tour, fort ancienne, était située tout près du rivage, à une centaine de mètres, dans l'est du pont jeté sur le ruisseau descendant de Vallauris 1. On y accédait par une terrasse, à la hauteur du premier étage, et un escalier extérieur, appliqués après coup contre la bâtisse primitive, dans l'intérieur de laquelle on ne pouvait pénétrer auparavant qu'à l'aide d'une échelle mobile que l'on retirait à volonté, les habitants de la tour étant ainsi à l'abri d'un coup de main. Non loin et dans l'est de cette tour, était la batterie rase de La Gabelle, destinée à concourir à la défense du fond de la baie, avec la batterie de La Fourcade à mi-chemin de Cannes. L'unique auberge était à l'ouest du chemin conduisant à Vallauris, dans l'angle que forme celui-ci avec la grand'route, en façade sur cette dernière et en contre-haut; elle était tenue par Jacomin, qui exploitait en même temps une fabrique de poterie dans un bâtiment construit en arrière 2.

A la date du 1er mars 1815, la municipalité d'Antibes était désorganisée. M. de Barquier avait donné sa démission de maire; une ordonnance royale du 27 janvier 1815 avait nommé à sa place M. Tourre, avocat. Le poste de second adjoint, vacant aussi par suite de la démission du titulaire, avait été attribué à M. Arnoux. Ces nouveaux magistrats n'avaient point encore été installés, de telle sorte que M. Ollivier, premier adjoint, administrait seul la commune; toutefois M. Arnoux remplissait provisoire1.

provisoire1. Tour de la Gabelle s'élevait sur remplacement actuel de la villa Lydia.

2. L'auberge de Jacomin occupait l'emplacement actuel de la fabrique de poterie de M. Clément Massier. — J'ai souvent passé, dans ma jeunesse, devant cette auberge sur la façade lézardée de laquelle s'étalait un mauvais portrait de l'empereur, revêtu de l'uniforme de colonel de chasseurs de la garde, avec cette inscription :

« Ici s'arrêta Napoléon, « Venez boire, passants, et célébrez son nom.


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ment, en attendant son installation, les fonctions de second adjoint, afin de ne pas laisser à M. Olivier la charge entière des affaires municipales. Comme tous les bourgeois d'Antibes, ces personnes étaient animées d'ardents sentiments royalistes.

L'autorité militaire était représentée par le maréchal de camp baron Corsin, commandant supérieur de l'arrondissement d'Antibes, résidant dans cette ville. Le colonel Cuneo d'Ornano était commandant de place; il avait succédé, le 20 décembre 1814, au colonel baron Leudy, et était bien connu à Antibes où il avait déjà exercé les mêmes fonctions pendant plus de neuf ans. Les services de l'artillerie et du génie étaient dirigés par les colonels Chantron et Paulin.

Dans les derniers jours de février, le général Corsin avait reçu l'ordre d'établir au fort de Sainte-Marguerite une compagnie de vétérans, qui venait relever la garnison. Le colonel Paulin, voulant inspecter les défenses et les casernements des îles de Lérins, lui offrit de l'accompagner. Cette tournée d'inspection pouvait sans inconvénient être transformée en une partie de plaisir. Le général invita à déjeuner aux îles de Lérins, avec la baronne Corsin et le colonel Paulin, trois dames, le général Guéhéneuc, ancien aide de camp de l'empereur, résidant à Antibes pour sa santé, et M. Bella, employé des domaines. Le départ eut lieu dans la matinée du 1er mars. Le colonel Cuneo d'Ornano commandait donc à Antibes, ce jour-là, en l'absence du général. La garnison de cette place, forte d'environ neuf cents hommes, comprenait une compagnie de sapeurs ouvriers et un bataillon du 106e régiment d'infanterie de ligne, qui, à la réorganisation de l'armée, était devenu le 87e. Fidèles au souvenir de l'empire, ces soldats avaient gardé, comme une précieuse relique, la cocarde tricolore


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fixée au fond de leurs schakos et ne craignaient pas de la montrer.

Vers midi, M. d'Auger, major du 87e, qui commandait ce corps en l'absence du colonel Poudret de Sevret, en congé à Paris, vit arriver chez lui le capitaine Bertrand, qui avait revêtu un costume civil pour ne pas attirer l'attention et qui lui remit des exemplaires des fameuses proclamations de l'empereur 1. Le major fit aussitôt prévenir le commandant de place qu'il avait à lui communiquer une affaire de la plus haute importance et d'une nature telle qu'il ne pouvait s'absenter de son domicile, où il le priait de se rendre. Le colonel d'Ornano se rendit en toute hâte à cet appel et n'eut pas de peine à comprendre, à la lecture des proclamations, aux instances de L'officier de la garde et à la déclaration de celui-ci que l'empereur était au golfe Jouan, qu'il ne s'agissait de rien moins que du renversement de Louis XVIII. Il résista à toutes les sollicitations de l'émissaire, le fit arrêter sur-le-champ et donna l'ordre de ne le laisser communiquer avec personne.

Au même instant, le colonel d'Ornano fut prévenu qu'une troupe en armes se présentait devant la porte Royale et demandait à être admise dans la place. Il y courut et trouva un détachement composé de dix-sept grenadiers et chasseurs de la garde impériale, un sergent, deux caporaux et un tambour, sous les ordres du capitaine Lamouret et du lieutenant Thibaut, qui venait d'arriver, en poussant le cri de « Vive l'empereur ! » Tous portaient la cocarde tricolore. Une partie de cette troupe stationnait entre le pont1.

pont1. donne ici la version qui résulte du rapport du colonel d'Ornano, en date du 2 mars. Le fils de celui-ci, le chevalier Cuneo d'Ornano. dans son ouvrage « Napoléon au golfe Juan », expose que Bertrand, venu à Antibes pour chercher des passeports en blanc, voulut faire circuler, parmi les troupes et les habitants, les proclamations de l'empereur, que les premières personnes auxquelles il s'adressa furent des sous-officiers du 87e, qui l'arrêtèrent et le conduisirent chez le major d'Auger. — Le rapport du commandant de place me paraît plus digne de foi.


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levis de la demi-lune Royale et la barrière, le reste sur le glacis. Des curieux étaient groupés à peu de distance, frappés de stupeur en présence de cette apparition soudaine des uniformes légendaires de la garde, sur lesquels s'étalaient les couleurs proscrites.

Le commandant de place était dans un grand embarras. La majeure partie de la garnison se trouvait sur le glacis, occupée à des exercices de détail ; en outre, les pierres des fusils avaient été enlevées et remplacées par des morceaux de bois. Le poste de la porte Royale était trop faible et dépourvu de cartouches. Dans ces conditions, il ne fallait pas songer à se rendre maître, par la force, de la troupe qui se présentait en armes. Le colonel revint sur ses pas jusqu'à la porte du corps de la place, et manda le commandant du détachement. Lamouret se présenta et demanda l'entrée en ville et le logement pour ses hommes qui, disait-il, formaient l'avant-garde d'un régiment entier.

Sur ces paroles, le colonel fut tellement ému, qu'il crut apercevoir, sur la hauteur de la Badine, d'autres troupes, qui n'y figurèrent jamais que dans son imagination. Dans ces conjonctures, il jugea prudent de ne pas laisser la barrière et la porte de l'avancée au pouvoir des soldats de l'île d'Elbe. Pour parer à un péril qu'il croyait immédiat, il laissa pénétrer le détachement dans la partie comprise entre la demi-lune et la porte Royale; puis, le portier, d'après ses instructions, fit aussitôt lever le pont-levis de l'avancée et fermer la barrière. Le détachement de la garde était pris dans une souricière.

Pendant ce temps, la garnison ramenée en toute hâte au quartier, par la porte de la Marine, prenait les armes.

Une fois en mesure d'agir, le commandant de place enjoignit à Lamouret de faire mettre bas les armes à sa troupe. Cet officier demanda au colonel d'éviter un tel


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affront à ses soldats, ajoutant que des hommes de cette trempe n'accepteraient pas cette humiliation et, qu'une lutte sanglante en résulterait. Dans l'impossibilité où il était de résister, il demanda de faire conduire son détachement dans le local qui leur était destiné, promettant que là les armes seraient déposées tout naturellement. Le colonel acquiesca à cette demande et ordonna au capitaine Arnould de Périolles, adjudant de place, de conduire les soldats de l'île d'Elbe dans les deux casemates situées au-dessous de la courtine du port, les plus voisines de la porte de la Marine, de recevoir les armes et de les faire déposer dans une chambre contiguë, de prendre la clef de celle-ci, enfin de placer des corps de garde aux débouchés des rues avoisinantes pour empêcher toute communication avec la garnison, et de se rendre, avec les deux officiers, à la mairie.

Le capitaine Arnauld de Périolles avait rempli la partie la plus délicate de sa mission et accompagnait à la mairie le capitaine Lamouret et le lieutenant Thibaut, quand le commissaire de police tint un langage inconsidéré et prononça le mot de prison. Les deux officiers, se plaignant d'avoir été trompés, coururent vers leurs soldats en criant : « Aux armes ! » Les grenadiers et les chasseurs forcèrent l'entrée de la chambre qui recélait leurs fusils et se mirent en défense. Le colonel d'Ornano vint leur faire entendre raison et les armes furent de nouveau déposées dans la pièce voisine de celle qu'occupaient les soldats de l'île d'Elbe, à la portée de ceux-ci. Les deux officiers reprirent le chemin de la mairie, où le colonel leur signifia son intention de rester fidèle à son serment et leur ordonna de garder les arrêts dans une pièce voisine de celle qu'occupaient leurs soldats.

A une heure de l'après-midi, la place fut mise en état de


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défense : les portes furent fermées, des patrouilles dirigées autour des fortifications, les postes renforcés et des ordres donnés pour porter les pièces en batterie et mettre la ville à l'abri d'un coup de main.

Le commandant de place fit arrêter le docteur Muraour, chirurgien de l'Inconstant, et le capitaine Casabianca, qui lui avait apporté l'ordre de se rendre, avec l'état-major et les autorités civiles, à La Gabelle. Un autre émissaire, le capitaine Perretti, avait réussi à fuir par mer et fut appréhendé à San-Remo.

Après le départ du détachement du capitaine Lamouret, un officier de l'armée impériale se rendit à bord de l'Inconstant pour exposer à l'empereur où en étaient les opérations, et lui apprit que le colonel corse Cuneo d'Ornano commandait la place d'Antibes. Napoléon appela le baron Galeazini, ancien préfet de la Corse, reçut de lui l'affirmation qu'il connaissait le colonel, et lui ordonna de prendre une personne de confiance et d'aller engager d'Ornano à lui livrer la place et la garnison. Galeazini s'adjoignit Pulicani, contrôleur des postes de l'armée, et tous deux arrivèrent devant la porte Royale d'Antibes, qu'ils trouvèrent fermée. Ils cherchèrent à entrer par la porte de la Marine, mais s'embourbèrent dans le marais qui, à cette époque, s'étendait au pied du rempart, dans la partie voisine du bastion de la Marine 1, et durent rebrousser chemin.

Au début de ces événements, le colonel d'Ornano avait envoyé au général Corsin une lettre pour l'informer de ce qui se passait. Le porteur, qui se dirigeait vers la pointe de La Croisette, tomba dans les grand'gardes impériales et la lettre fut interceptée.

Un peu plus tard, le commandant de place adressa au

1. Vers l'usine à gaz actuelle.


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lieutenant général, baron Abbé, à Toulon, un récit succinct des événements; il eut soin de recommander au porteur de sa missive de passer par Grasse.

Le bruit que quelque chose d'extraordinaire se passait sur la plage du golfe Jouan se répandait de proche en proche. De nombreux paysans et ouvriers s'y rendaient, poussés par le seul sentiment de la curiosité.

Une grande effervescence régnait parmi les soldats du 87e, émus par la lecture des proclamations et par les paroles enflammées des grenadiers de la garde. Les officiers conservèrent une attitude correcte : leurs sympathies étaient pour l'empire, mais ils ne trahirent pas leur serment.

Les habitants, les notables surtout, animés généralement de sentiments royalistes ardents, étaient inquiets. Toutefois, ils ne croyaient pas que Napoléon fût sur un des navires mouillés au golfe Jouan et l'autorité militaire partageait leurs doutes à cet égard.

Tandis que l'on poussait activement les mesures de défense, une agitation toujours croissante régnait à la mairie. Les conseillers municipaux, M. Tourre, quoique non installé encore dans ses fonctions de chef de la municipalité, M. de Barquier, le maire démissionnaire, d'autres personnes encore, s'y étaient spontanément portés et secondaient les adjoints. A 4 heures, ceux-ci avaient pris des mesures d'ordre, fait sonner le tocsin et envoyé prévenir les maires des communes voisines.

Les soldats de l'île d'Elbe se livraient à une propagande acharnée. Cet état de choses détermina les adjoints à adresser la lettre suivante au commandant de place :

« Monsieur le Commandant d'armes, à Antibes,

« L'administration municipale vous prie et, en tant que « de besoin, vous requiert de faire désarmer sur-le-champ


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« et de faire mettre en lieu de sûreté les grenadiers armés « qu'on a laissé imprudemment entrer dans la ville.

« Ces hommes font partie sans doute d'une expédition « de troupe, dirigée par l'ennemi de la tranquillité publique « et de la France. Nous vous rendons personnellement « responsable de l'exécution d'une mesure à laquelle nous « attachons la plus haute importance.

« Nous avons l'honneur de vous saluer.

« L'Administration Municipale d'Antibes : « OLIVIER — ARNOUX. »

Le commandant de place fit la réponse suivante :

« Au Maire d'Antibes. « Du 1er mars 1815, à neuf heures du soir.

« J'ai l'honneur de répondre à votre lettre de ce jour, « que vous m'avez remise entre sept et huit heures. Je me « hâte de répoudre à son contenu et de vous prévenir que, « depuis une heure du soir, j'ai déclaré la place en état de « siége. Des mesures ont été prises pour la sûreté de la « place et les moyens sont assurés pour s'opposer à toute « tentative de la part de l'ennemi. Je vous prie, monsieur « le maire, de tenir à ma disposition la garde nationale « et tous les moyens qui sont en votre pouvoir. Quant aux « quinzel grenadiers de la garde qui sont dans la place, « des mesures sont prises pour les tenir en respect. »

Entre 9 et 10 heures du soir, le colonel d'Ornano expédia à l'île Sainte-Marguerite deux bateaux de pêche. L'un devait se rendre directement à sa destination, tandis

1. Dans sa correspondance du 1er mars, le commandant de place indique tantôt le chiffre de 14 soldats, tantôt celui de 15. J'ai donné, plus haut, la composition exacte du détachement : 2 officiers, 1 sergent, 2 caporaux, 1 tambour et 17 soldats.


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que l'autre, longeant la Côte, tâcherait de voir où en étaient les opérations du débarquement. Tous deux devaient se . mettre à la disposition du général Corsin et lui porter un exemplaire de la lettre suivante :

« Au général Corsin, commandant l'arrondissement. « Du 1er mars, à neuf heures du soir.

« Mon cher général,

« J'ai déjà eu l'honneur de vous informer par un ordon« nance, qui paraît avoir été arrêté, de ce qui se passe dans « la place.

« Quatre officiers et une quinzaine de grenadiers de la « garde dite impériale sont désarmés dans la place. Ils « étaient porteurs de proclamations manuscrites au nom « du ci-devant empereur, tendant au renversement de « l'ordre actuel. Les officiers disent qu'il doit y avoir un « débarquement de troupes; et des habitants, qui ont vu « un brick et d'autres petits bâtiments, assurent qu'on a « débarqué de quatre à cinq cents hommes. « Je prends le parti de vous envoyer la présente par la « voie de mer et de vous engager à profiter de l'occasion, « si vous voulez vous rendre à votre quartier général, la « voie de terre étant absolument interceptée. M. le Capi« taine d'artillerie Gazan 1, qui arrive en ce moment du « Cannet, assure que les batteries de La Fourcade et de « La Gabelle sont gardées par les canonniers de la garde, « qu'il y a été arrêté, qu'il a parlé aux généraux Bertrand « et Drouot et même au ci-devant empereur, qui l'enga« geait à porter un paquet au général Gazan, à Grasse,

1. Alexis Gazan, qui fut retraité comme colonel : il fut longtemps conseiller général du canton d'Antibes.


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« qu'il s'y est refusé et que ce n'est qu'après des sollicita« tions qu'on l'a laissé suivre sa route.

« Conformément aux lois, j'ai déclaré la place en état de « guerre, je ferai tout et je n'oublierai rien, mais je serais « bien aise de vous avoir ici.

« Je suis avec respect .. »

Ainsi donc, le colonel déclare, le 1er mars à 9 heures du soir, que le détachement de l'île d'Elbe a été désarmé, et cette affirmation se retrouve dans la lettre écrite le même jour au général baron Abbé. Dans son rapport, écrit le lendemain, le commandant de place se borne à dire qu'il avait fait placer les armes dans une chambre séparée. D'autre part, les adjoints, à 7 heures du soir, et M. Tourre, à 10 heures, se plaignent que le détachement soit encore armé. Enfin, M. de Barquier, dans une lettre particulière, dit que le désarmement n'eut lieu que le 3 mars, dans la soirée. En somme, le colonel, voulant éviter un conflit dont l'issue était douteuse en raison des dispositions du 87e, avait sagement agi en se contentant d'une apparence de désarmement.

Les préparatifs de défense furent activement poussés. La garde nationale fut armée et l'autorité militaire requit la coopération des habitants pour monter les pièces sur les remparts et les mettre en batterie. M. Olivier demanda au commandant d'armes une garde d'honneur pour accompagner, suivant l'usage, les adjoints, qui allaient lire publiquement une proclamation destinée à rassurer les habitants, à les engager à la confiance et à faire un pressant appel au dévouement de la garde nationale.

L'effervescence allait croissant dans la garnison. Sans l'attitude résolue de la municipalité, soutenue par l'adhésion de la population et de la garde nationale, sans la


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conduite correcte de l'autorité militaire, les soldats du 87e auraient rejoint en masse l'empereur à La Gabelle 1.

La ville avait perdu, ce soir-là, l'aspect tranquille qui lui était habituel. Les rues brillamment éclairées, présentaient une animation extraordinaire. La garde nationale se tenait en permanence sous les armes. Les adjoints, accompagnés de conseillers municipaux et de notables, parcouraient les groupes, encourageaient les gardes nationaux.

A 10 heures du soir, M. Olivier convoqua le conseil municipal pour procéder à l'installation de MM. Tourre et Arnoux, qui avait été précédemment fixée au 2 mars et pour laquelle il ouvrit la séance par l'allocution suivante :

« Messieurs, le roi, par ordonnance du 27 janvier der« nier vous a nommés, vous, M. Tourre, maire de cette com« mune, en remplacement de M. de Barquier, démission« naire, et vous, M. Arnoux, adjoint, en remplacement « de M. Chabon également démissionnaire. M. Arnoux « remplissait déjà ces fonctions par intérim.

« Un évènement d'une nature bien extraordinaire m'a « mis dans le cas de vous réunir à une heure aussi tardive. « Vous le savez, celui qui n'eut pas la force de soutenir « le poids de la couronne veut la reconquérir aujourd'hui. « Buonaparte, que la France a tant de motifs de repousser « de son sein, relégué sur les rochers de l'île d'Elbe, pour « y être en proie à ses remords, jaloux du bonheur dont « nous jouissons sous le règne de notre monarque, a « débarqué au golfe Jouan, dans l'après-midi de ce jour, « avec la partie de la garde qui l'avait suivi. Il s'est em« pressé d'envoyer dans cette ville des émissaires avec des « proclamations. Ses proclamations ont été repoussées

1. «..;. pendant la nuit et les jours suivants, les désertions furent nombreuses. La « première nuit, quarante soldats désertèrent du côté du front de mer, au risque de se « rompre les os sur les pointes des rochers, qui servent de base à une escarpe de vingt « pieds. » (Souvenirs du général baron Paulin.)


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« avec dédain et ses émissaires ont été arrêtés : quelques « hommes de sa garde se sont introduits ; on s'est assuré « de leurs personnes.

« Il paraît que Buonaparte attache quelque importance « à l'occupation de notre ville, mais des mesures ont été « prises pour faire avorter ses projets insensés. La garde « nationale a été convoquée et armée, des cartouches lui « ont été délivrées, elle est animée du meilleur esprit, elle « ne se laissera pas surpasser par la garnison. Dans ces « circonstances, je me suis entouré de vous, Messieurs les « membres du conseil municipal, et de tous les fidèles sujets « du roi. C'est à la sagesse des conseils de cette réunion « d'hommes choisis, que je dois les précautions qui ont été « prises et les mesures qui ont été exécutées.

« C'est dans ces sentiments que vous avez partagés, que « je vous admets au serment, en vertu de la délégation « de M. le sous-préfet ».

Les nouveaux magistrats prêtèrent le serment exigé. Puis M. Tourre prononça ces paroles :

« En acceptant les fonctions auxquelles m'appelle la « bienveillance de Sa Majesté, je ne pouvais espérer que « le premier pas que je ferais dans cette carrière, me four« nirait l'occasion de lui donner une preuve éclatante de « mon attachement, de mon amour, de mon dévouement. « C'est lorsque Bonaparte est sous nos murs, lorsqu'il som« me la place de lui ouvrir ses portes, lorsque vous êtes « menacés cette nuit de quelque tentative, lorsque quel« ques-uns de ses satellites, introduits bien imprudemment « dans la ville, ont encore leurs armes à leur disposition « et vous font concevoir pour l'intérieur des craintes plus « fondées peut-être que celles que peut présenter une

« attaque extérieure Non, je le jure

« en votre nom, en celui de tous nos concitoyens, et la « France entière répétera ce serment : jamais le joug de


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« fer du tyran ne s'appesantira sur la tête des Français. « Vive Louis XVIII ! Vivent les Bourbons ! »

La séance fut levée sur ces acclamations, répétées par tous les membres du conseil.

Au milieu de la nuit, un parlementaire remit à l'avancée un pli adressé au colonel d'Ornano, qui le renvoya sans l'avoir ouvert. C'est du moins ce que dit, dans son rapport, le commandant de place. Le fils de celui-ci dit au contraire que le paquet fut ouvert, qu'il contenait « des intimations, des ordres, des promesses, des récompenses, des brevets », et que le tout fut retourné à l'envoyé de l'empereur, avec cette suscription : « Renvoyé à S. E. M. le maréchal Masséua, prince d'Essling, gouverneur de la 8me division militaire. » Ce parlementaire était probablement, ainsi que je l'expliquerai plus loin, le commissaire des guerres Vauthier.

Reportons-nous à quelques heures en arrière pour suivre les évènements, qui, dans cette journée du 1er mars, se déroulèrent dans la rade et sur la plage du golfe Jouan, où se passait le véritable prologue du drame des CentJours.

Le général Drouot fut un des premiers à descendre à terre, après l'envoi du détachement à Antibes 1.

1. Presque tous les historiens ont prétendu que la tentative sur Antibes était due à un coup de tête du capitaine Lamouret. Cette erreur a été répandue à dessein par le Moniteur du 2S mars 1815. On sait comment sont rédigées les communications officielles sous tous les régimes : au moment où l'empereur remontait sur le trône, il eût été impolitique de reconnaître un échec de cette nature et il était tout simple de l'attribuer à la maladresse d'un officier subalterne.

L'empereur connaissait Antibes, pour y avoir résidé vingt ans auparavant, et on sait que sa mémoire des lieux était prodigieuse : il n'a certainement pas donné d'instructions vagues. L'envoi des émissaires prouve surabondamment ses desseins sur cette place. Nous avons enfin son propre témoignage : « J'avais fait placer des postes sur tous les chemins », dit-il, « et envoyé à Antibes un officier et vingt-cinq grenadiers pour y annoncer mon retour « en France et fraterniser avec le 106e, qui tenait garnison dans cette ville ». (Récits de la captivité de Sainte-Hélène, par le comte de Montholon).

Tout n'est pas faux cependant dans le récit officiel, qui peut se résumer ainsi : Lamouret, qui avait l'ordre d'occuper la batterie de La Gabelle, aurait conçu le projet de faire changer de cocarde à la garnison d'Antibes, et se serait jeté imprudemment sur cette place.

J'ai indique plus haut, d'après le chevalier Cuneo d'Ornano, les instructions données par l'empereur a Lamouret : ce dernier devait, dans le cas où il trouverait la batterie de La Gabelle désarmée, aller se poster sur les buttes d'Antibes et y attendre des ordres. Le général Paulin dit aussi que les instructions prescrivaient à Lamouret de ne pas rentrer dans la place, « mais seulement de camper au dehors avec les habitants et d'attirer les soldats ».

En somme, Lamouret a mal exécuté les ordres de l'empereur, mais la tentative sur Antibes n'en a pas moins été accomplie d'après les instructions de Napoléon.

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Toutes les issues aboutissant au point où allait s'effectuer le débarquement, furent occupées : des grand'gardes s'établirent au débouché du chemin de Vallauris, au pont jeté sur le ruisseau à l'est du débarcadère, enfin sur la route, dans l'ouest de l'auberge de Jacomin; des postes furent placés aux batteries désarmées de La Fourcade et de La Gabelle, et des patrouilles explorèrent les environs.

La mise à terre des troupes et du matériel commença à s'effectuer au moyen des embarcations de la flottille et d'un brigolet, qui chargeait des poteries et que l'on saisit.

L'empereur confia le commandement de l'avant-garde à Cambronne, qui, à la tête de cinquante soldats, marcha sur Cannes, où il arriva entre 2 et 3 heures de l'aprèsmidi, et s'occupa de rassembler des vivres pour la petite armée impériale.

Le débarquement fut achevé vers 5 heures du soir. A ce moment un canot de l'Inconstant aborda la plage où déferlait la houle du large : une planche, jetée sur le rivage, le mit aussitôt en communication avec la terreCette embarcation portait l'empereur, qui s'avança sur ce pont improvisé, entre une double haie de marins, qui s'étaient mis à l'eau pour assurer sa marche, et descendit à terre, salué par les acclamations de ses soldats.

Le ciel était pur, l'atmosphère calme. Les derniers rayons de lumière éclairaient les collines voisines, à demi enveloppées déjà de ces teintes vaporeuses, qui, dans nos régions, présagent une belle soirée de printemps.

A cette époque, le sol compris entre la grand'route et la partie du hameau où se trouve actuellement la gare, était aménagé suivant l'ancienne coutume du pays : des rangées de vignes en ligne droite, comprenant entre elles des bandes de terrain de 3 mètres de largeur environ, appelées planches, cultivées alternativement. Le capitaine


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d'artillerie en demi-solde Gazan, venant du Cannet et passant à cheval vers 5 heures et. demie du soir, fut amené là, par le général Drouot, en présence de l'empereur. Il le trouva revêtu de l'uniforme de colonel de la garde et de la légendaire redingote grise, coiffé du petit chapeau devenu historique, le col de la chemise caché par une cravate noire, se promenant dans une des planches, dont le prolongement aboutirait à la gare. Autour de lui, allaient et venaient des officiers et des fonctionnaires. Personne ne se tenait dans les deux planches voisines: les suivantes, à droite et à gauche, étaient occupées chacune par un rang de grenadiers armés. Gazan résista aux sollicitations du capitaine du génie Larabit, son ancien caporal de salle' à l'Ecole polytechnique, qui faisait partie du corps de débarquement, à celles du général Drouot et de l'empereur lui-même, qui lui demanda vainement de se charger d'un message pour le général comte Gazan, à Grasse. Inébranlable dans sa fidélité au serment qu'il avait prêté, il obtint enfin la permission de rentrer à Antibes, y arriva à la nuit close et eut beaucoup de peine à se faire ouvrir une porte. Un chemin creux, dirigé à peu près normalement à la courbe du rivage et à la grand'route, reliait celle-ci à la plage. Ce chemin, le long duquel la tradition nous montre l'empereur se promenant et cueillant des violettes, dans cette soirée du 1er mars, sans la moindre trace de préoccupation sur le visage, existe encore aujourd'hui, amélioré et rectifié ; il part du débarcadère et se soude à la grand' route au point où se trouve la colonne commémorative de ces évènements. Dans l'angle que forment, à l'ouest, ces deux voies, s'étendait un champ d'oliviers; c'est sous ces arbres séculaires, dont plusieurs sont encore debout, que bivouaqua le corps de débarquement. L'empereur y dormit pendant deux heures, assis sur une chaise et accoudé à la


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table sur laquelle avait été servi son repas; un manteau, jeté sur ses épaules, le protégeait contre un vent froid et humide. A son réveil, il interrogea des déserteurs de la garnison d'Antibes, et causa avec des propriétaires des environs, puis avec une dame accompagnée de son mari ; sur ces. entrefaites, Galeazini vint lui rendre compte de l'insuccès de sa tentative; il le congédia d'un mot bref et continua sa conversation avec la visiteuse.

Quelques personnes de l'entourage impérial jugeaient qu'on devait se porter sur Antibes pour délivrer les prisonniers. L'empereur fit observer que « la prise d'Antibes « ne faisait rien à la conquête de la France » et qu'il suffisait d'aller plus vite que la nouvelle de ce fâcheux évènement. Il lui importait, en effet, de gagner du temps et d'enlever au gouvernement royal la possibilité d'accumuler des obstacles sur la route, remplie de défilés, dans laquelle il allait s'engager. Un officier ayant fait sentir qu'il n'était pas bien d'abandonner 'ainsi des camarades, l'empereur répondit que c'était mal juger de l'étendue de son entreprise, et que, si tous ses soldats étaient prisonniers, il marcherait seul. Il envoya néanmoins à Antibes le commissaire des guerres Vauthier, pour tâcher d'obtenir la mise en liberté de ses grenadiers, lui recommandant d'être prudent et de ne pas « se faire bloquer aussi ».

Au moment du lever de la lune, vers 1 heure du matin, l'empereur fit rompre le bivouac. La colonne se dirigea sur Cannes, où elle arriva à 2 heures, et fit une halte hors de la ville, sur les sables, à l'endroit où se trouve actuellement la rue du Bivouac. L'empereur eut une longue conversation avec le prince de Monaco, arrivé la veille au soir, fit. reprendre la marche dans la direction de Grasse, traversa cette ville, prit la route de la montagne et arriva à Séranon dans la soirée du 2 mars, avec sa


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troupe, qui fit ainsi 70 kilomètres dans cette première journée.

Le général Corsin ne paraît rien avoir soupçonné de ce qui se passait en vue et tout près du fort où il accomplissait sa mission 1. Prévenu, à six heures du soir, par un billet du maire d'Antibes, apporté par une barque, il prit congé de ses invités, qui achevaient un repas composé des restes du déjeuner, et partit aussitôt avec le colonel Paulin et M. Bella. Tous trois passèrent le bras de mer qui sépare l'île Sainte-Marguerite de la pointe de la Croisette, gagnèrent la grand'route et se jetèrent à gauche dans les collines de Vallauris. M. Bella n'ayant rien à craindre en sa qualité de civil, marchait en avant en éclaireur. Ils traversèrent les bois et. les ravins dans l'obscurité, faillirent être pris par une patrouille et, au milieu de la nuit, arrivèrent devant Antibes. En entendant les cris de « Prenez garde à vous », que se renvoyaient les sentinelles sur les remparts, le. général comprit que la place n'était pas au pouvoir de l'empereur : il chercha à se faire reconnaître, dut se mettre à l'abri devant la menace d'un factionnaire de faire feu, et pénétra enfin dans l'enceinte. Il réunit, à 2 heures du matin, un conseil de guerre. Pendant la séance, un billet, du général Bertrand fut remis au colonel Paulin ; il contenait ces mots : « Venez me rejoindre sur le brick de l'empereur ». Le colonel le lut et le remit au général Corsin, qui le lui rendit sans mot dire. Ce message était arrivé dans la journée. Paulin avait quitté le grandmaréchal depuis quelques mois seulement, après avoir été son aide de camp pendant sept ans. Tout l'attirait vers l'empereur ; il n'en resta pas moins fidèle à son serment.

1. Le général Paulin rapporte qu'on crut, au fort de Sainte-Marguerite, qu'il s'agissait d'un enlèvement de pêcheurs génois par les pirates barbaresques : on ne s'inquiéta pas autrement et on alla déjeuner. — C'est peut-être vrai, mais c'est bien étrange. Il y a plutôt lieu de supposer que le général et ses invités, étant à cent lieues de penser à un pareil coup d'audace de la part de l'empereur, n'attachèrent aucune importance à ce qui se passait dans la rade.


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Ce qui se passa ensuite à Antibes, n'a plus qu'un intérêt secondaire : l'aigle avait pris son vol.

Le 2 mars, la frégate la Fleur-de-Lys arriva au golfe Jouan, à la poursuite de l'Inconstant. Le chevalier de Gurat, qui la commandait, trouva la rade déserte et ne put qu'exhaler sa colère d'être condamné à l'inaction par l'ignorance où il était des événements et par le calme qui immobilisait sa frégate.

La plage désormais historique a été visitée depuis par des hommes d'Etat, par des écrivains célèbres.

Chateaubriand y vint en juillet 1838.

« En Europe », disait-il, «je suis allé visiter les lieux « où Bonaparte aborda après avoir rompu son ban à l'île « d'Elbe

« La nuit était close quand j'arrivai au golfe Jouan ; je « mis pied à terre à une maison isolée au bord de la grand' « route. Jacomin, potier et aubergiste, propriétaire de « cette maison, me mena à la mer. Nous prîmes des che« mins creux entre des oliviers sous lesquels Bonaparte « avait bivouaqué.

« Parvenu à la grève, je vis une mer calme que ne ridait « pas le plus petit souffle; la lame mince comme une gaze, « se déroulait sur le sablon, sans bruit et sans écume. « Un ciel émerveillable, tout resplendissant de constel« lations, couronnait ma tête. . .A gauche, on apercevait « le phare d'Antibes; à droite, les îles de Lérins ».

Après avoir évoqué les souvenirs de l'arrivée de saint Honorat, de la civilisation naissant dans l'occident, l'illustre écrivain termine ainsi :

« Quatorze cents ans après, Bonaparte vint terminer cette « civilisation dans les lieux où le Saint l'avait commencée. « Du silence du golfe Juan, de la paix


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« des îles aux anciens anachorètes, sortit le bruit de Wa« terloo, qui traversa l'Atlantique et vint expirer à Sainte« Hélène.

« Entre les souvenirs de ces deux sociétés, entre un « monde éteint et un monde prêt à s'éteindre, la nuit, au « bord abandonné de ces marines, on peut supposer ce que « je sentis. Je quittai la plage dans une espèce de conster« nation religieuse, laissant le flot passer et repasser, sans « l'effacer, sur la trace de l'avant-dernier pas de Napo« léon. »

Antibes, le 11 Juin 1900.



MONOGRAPHIE DES PAROISSES

DU

CANTON DE VENCE

PAR

M. G. DOUBLET Ancien membre de l'Ecole d'Athènes, professeur de rhétorique au Lycée de Nice



MONOGRAPHIE DES PAROISSES

DU

CANTON DE VENCE

Après avoir étudié l'ancienne cathédrale de Vence et l'ancienne collégiale de Saint-Paul-du-Var, je voudrais examiner, dans des proportions naturellement moins étendues 1, toutes les paroisses qui formèrent, jusqu'à la Révolution, le diocèse de Vence. Et tout d'abord celles du canton actuel de Vence : Le Broc, son hameau de Deux-Frères, Garros, Gattières, La Gaude, Saint-Jeannet, Vence même.

I. — LE BROC

LE BROC avait pour patron saint Antoiue 2 ou sainte Marie-Madeleine 3. L'église, pour titulaires, sainte MarieMadeleine et saint Pierre, selon Godeau en 1654, pour titulaire unique sainte Marie-Madeleine, suivant la plupart des évoques 4.

L'église posséda d'abord pour reliquaires deux bras de bois, dont du Vair, en octobre 1603, dit seulement que l'un était de saint Germain, l'autre de sainte Marie-Madeleine ;

1. Et d'après les documents conservés aux Archives départementales des Alpes-Maritimes. J'ai déjà, dans ces deux notices (Ann. de la Soc. des Lett., Sc. et Arts des A.-Mar., tomes XVI et XVII, 1898 et 1899), indiqué les dates des divers épiscopats.

2. Vis. de Viens, du vie. gén. Olieu, etc.

3. Vis. de Bourchenu en 1715.

4. La titulaire de l'église est aujourd'hui la Madeleine. Le Broc fête annuellement la saint Antonin en juin.


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il prescrit de les recouvrir de lames de verre et d'exposer au peuple les reliques qu'il tient pour authentiques. En novembre 1604, son vicaire-général les trouve dans une armoire à gauche en entrant : le bras dit de saint Germain est orné de verre et contient quatre petits os enveloppés d'une étoffe rouge, le bras dit de sainte Madeleine renferme cinq dents, quatre onces de doigts, quatre autres petites pièces d'os, une petite partie d'une pièce analogue, avec un écriteau de 15341. En mai 1611, du Vair mentionne les reliques et dit qu'elles ont des écriteaux ; Godeau les examine en septembre 1654 et en octobre 1670, Thomassin en janvier 1673. C'est de bustes en bois doré qu'Allart parle en septembre 1683 : l'un de saint Germain, l'autre de sainte Marie-Madeleine, tous deux contenant des reliques. De Viens précise ce dont il s'agit et en janvier 1695 explique le changement. Il dit que, dans une niche, du côté de l'Evangile, est placé un buste représentant sainte Madeleine, titulaire de l'église : « au bas, à travers d'un verre, il y a au-dedans des reliques que le prieur nous a dit être de la sainte, qui étoient autrefois dans un bras de bois et qui ont été transférées dans ledit buste par ordre de feu notre prédécesseur. » De l'autre côté, dans une niche semblable, est un buste représentant saint Germain, évêque et confesseur, fait dans les mêmes circonstances et disposé de même. Le vicaire-général de Grillon signale, en 1705, ces bustes de bois doré, celui de sainte Madeleine placé du côté de l'Evangile et contenant une once d'un doigt, celui de saint Germain, « évêque d'Auxerre 2 », placé du côté de l'Epître et contenant un os ; il ajoute que les reliques ont été certifiées par Godeau et scellées par Viens. Bourchenu mentionne en 1715 ces reliquaires, posés, le saint Germain

1. Etait évêque de Vence Balthazar de Jarente.

2. Mort en 448.


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à droite du maître-autel, la sainte Marie-Madeleine à gauche ; Madaillan, en 1771 1.

D'autre part, du Vair écrit, en octobre 1603, qu'il y avait quelques reliques « à l'autel de Saint-Michel-d'Oliva » 2, et qu'il faut les déposer « en un lieu honnête », mais sans les exposer au peuple, parce qu'elles sont incertaines. En novembre 1604, son vicaire-général décrit les reliques qui avaient été trouvées, dit-il, à Saint-Michel-d'Oliva : une dent et un bout de dent, trois os, dont un provenant d'un doigt, le fout avec un écriteau signé par un curé et à la date du 16 avril 1534.

En 1695, de Viens trouve sur l'autel de l'Ange-Gardien, qui était du côté de l'Epître, un reliquaire de bois doré « fort beau et décent, au milieu duquel et à travers d'un verre il y a une autre relique que le prieur nous a dit être de saint Basile, martyr » ; le vicaire-général, qui accompagne l'évêque dans cette visite, dit qu'il a accordé, en l'absence de celui-ci, la permission d'exposer la relique. Le vicaire-général de Grillon, en 1705, dit que la relique « de saint Biaise, évêque et martyr » (il importe de noter que le nom change ici), un os, est dans « une châsse en mausolée » en bois doré. Bourchenu, en 1715, parle de l'autel de l'Ange-Gardien, qui était à droite du maître-autel, et où se trouvait « le reliquaire de saint Basile certifié par Mgr de Viens ». De même en 1719 : cette fois il ajoute que les reliques sont dans une console dorée et ont été données par Pierre de Blacas, commandeur de la maison

1. D'après les renseignements que je dois à l'obligeance de M. l'abbé Bosviel, ancien curé du Broc, les bras-reliquaires ont disparu depuis une quarantaine d'années ; il est probable, m'a-t-il dit encore, que les reliques ont été transférées dans les bustes dorés. Celles de saint Germain sont dans le sien ; celles de sainte Madeleine ont disparu ; dans la sacristie il y a un vieux buste de cette sainte, ainsi qu'une statue de saint Jacques.

2. Sur le fief de L'Olive et la façon dont l'évêque de Vence en devint propriétaire, voir ce qui sera dit pour Besaudun. « L'Olive était une ancienne commune désertée sur la rive droite du Var, entre Carros et Le Broc, et titre d'un fief seigneurial donné en 1243 à l'évêque de Vence par le comte de Provence » (Tisserand, Vence, p. 287). La chapelle Saint-Micheld'Olive fut vendue à la Révolution : nous en parlons plus loin.


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de Garros. Madaillan, eu 1771, parle aussi de reliques de saint Basile 1.

Enfin, ce dernier signale brièvement, outre les bustesreliquaires de sainte Marie-Madeleine, de saint Germain et de saint Basile, ceux de saint Véran, de saint Lambert, de saint Claude et de saint Antoine 8.

Le sanctuaire contenait, disposés sur une même ligne 3, le maître-autel, à droite l'autel de l'Ange-Gardien, à gauche (du côté de l'Evangile) celui de N.-D. du Rosaire. — Le premier a, en 1705, un tableau sur bois représentant la Vierge, saint Pierre et sainte Marie-Madeleine ; Bourchenu précise en 1715, surtout en 1719, et dit que c'était un vieux tableau sur bois 4. L'autel de l'Ange-Gardien 5 avait, en 1695, un devant d'autel en cuir doré portant l'image de la Vierge; en 1705 un tableau représentant l'Ange-Gardien; en 1719 un saint Pierre de bois doré et deux Anges de même 6. — Celui de N.-D. du Rosaire avait, en 1695, une Vierge « en bois doré proprement travaillé » dont il est dit, en 1719, qu'elle avait cinq pans de haut; en 1705, un tableau représentant la Vierge du Rosaire; en 1719, deux Anges de bois doré. En 1673, la confrérie du

1. L'église possède encore des reliques que l'on dit être, non de saint Blaise, évêque de Sébaste, mais de saint Basile, évêque de Césarée. Elles sont conservées dans une chapelle au bas de l'église, coté de l'Evangile.

Le reliquaire, semblable à l'un de ceux qui sont dans l'église de Carrds, est décoré d'anges, d'une croix de Malte ainsi que d'un écusson où se voit l'étoile à seize branches qui forme, on le verra pour Carros, le blason des Blacas. « Le mausolée en bois doré » donné par Pierre de Blacas, de la maison de Carros, commandeur de Malte, mérite d'être rapproché de ceux de l'église de Carros qui portent aussi la croix du célèbre ordre.

2. L'église possède encore aujourd'hui des reliques de saint Claude ; celles des saints Véran, Lambert et Antoine ont disparu; elle a aussi des reliques de saint Antoine de Padoue, de saint Pancrace (au pied de la statue du saint), de la Vraie Croix. La chapelle des Pénitents, dont nous parlons plus loin, eu a de saint Jean-Baptîste. — Celles de saint Claude sont dans un buste d'évêque, tenant à la main une croix à deux traverses (le saint était évêque de Besançon et abbé de Saint-Oyant du Mont-Jou) : il est près du choeur, fixé au mur, du côté de l'Evangile. Celles de saint Pancrace (patron des oliviers du village du Broc), au pied d'une statuette exposée sur le mur, du côté de l'Epître, vers le milieu de l'église.

3. Bourchenu, 1719.

4. Auj. le tableau du maître-autel représente la Madeleine.

5. Cette dévotion remontait à Godeau. En octobre 1670 il a d'autre part placé trois images du Saint-Enfant : une sur la grande porte de l'église, une à la porte « de la ville qui regarde Vence », une à celle « qui regarde Besaudun ».

6. La statue de saint Pierre est encore dans cette partie de l'église, côté Nord,


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Rosaire possédait une Vierge de marbre. — Ces trois autels avaient, dit Bourchenu en 1719, des ornements d'architecture en plâtre. Au maître-autel, du Vair avait trouvé, en 1611, « deux images en bosse si indécentes » qu'il avait prescrit de les remettre dans la sacristie; Bourchenu, en 1719, deux grands Anges de bois doré 1.

Dans l'église même, signalons, selon la disposition de 1705, trois autels sur la muraille du N., celui de saint Marc (tableau, le saint et d'autres saints), celui de saint Pancrace (tableau, le saint, saint Louis et saint Claude), celui de sainte Catherine (tableau, la sainte, sainte Anne et saint Jacques) : ce dernier, qui était sous la tribune, fut interdit pour cela en 1719 par Bourchenu et signalé, en 1763 par Moreau, comme fort mal entretenu. Sur la muraille du S., trois autels, celui de sainte Anne (tableau, la sainte), celui de saint Barnabe (tableau, le saint et saint Eloi), celui de saint Antoine (tableau, le saint, saint Barthélemy et sainte Pétronille) : ces deux derniers étaient sous la tribune, est-il dit en 1715. Toutefois en 1719, si Bourchenu interdit « l'autel des saints Eloi et Barnabe » pour la raison indiquée (il note alors que les muletiers du Broc avaient saint Eloi pour patron, les tisserands saint Barnabe), il n'interdit point « la chapelle sainte Anne qui est enfoncée dans la muraille ». Mentionnons encore la chapelle saint Joseph, située, dit-il alors, en face celle de sainte Anne : dès 1705 elle avait un tableau représentant la mort du saint 2.

1. L'autel du Rosaire n'est plus dans le sanctuaire, mais sur le mur Sud : le tableau représente la Vierge et, dans des compartiments disposés en cadre, les Mystères du Rosaire.

2. La confrérie de Saint-Joseph dans l'église du Broc fut confirmée le 3 décembre 1566 par « Aondi Garidel, chanoine de Vence, grand-vicaire de Louis de Bueil » (Arch. des Alp.-Marit., G. 34, Ev. de Vence). Il devint lui-même évêque de Vence et mourut à SaintPaul en 1588 : il est inhumé dans le choeur de l'église paroissiale, collégiale dans la seconde moitié du XVIIe s., de cette petite ville. ( Voir ma notice dans les Annales de la Société des Lett., Sc. et Arts des A.-Mar., tome XVII, 1900.)


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Il semble qu'il y ait eu une chapelle de saint Antoine, signalée en 1719, et où se voyait un tableau représentant saint Antoine et saint Paul le Thébaïte. C'est celui que l'on compare à l'un des tableaux de l'ancienne cathédrale de Vence 1; Tisserand l'attribue à l'un des Canavesi, peintres originaires de la ville épiscopale 2. Feu le chanoine Bruny, mort en 1900 curé doyen de Vence, avait été curé du Broc; il a appelé mon attention sur ce que le saint Antoine du Broc porte des armoiries et exprimé l'opinion qu'il est l'original dont celui de la cathédrale aurait été une copie.

La disposition actuelle mérite d'être brièvement indiquée. Mur du nord, en descendant l'église : statuette de saint Pancrace, autel de s'aint Joseph avec un tableau de la mort du saint, statue de saint Sébastien; enfin, dans un renfoncement, chapelle saint Antoine, avec une statue du saint, assisté du porc traditionnel, et le tableau dont nous avons parlé. Mur du sud, en remontant l'église : chapelle où est le reliquaire de saint Basile, orné d'une croix de Malte, statue de saint Roch, autel du Rosaire avec le tableau encadré de médaillons dont nous avons parlé, enfin buste de saint Claude.

Parmi les ornements de la paroisse, il convient de noter la grande croix d'argent et la petite de cuivre, signalées par le vicaire-général de du Vair en 1604. Celui de Crillon en 1705 insiste sur le mérite artistique de la « grande et belle croix à plaques d'argent et fleurons émaillés ».

Cette croix est, d'après une tradition dont je ne trouve pas trace dans les Archives, considérée comme un cadeau de Godeau. Elle est fort belle, décorée de feuillages en

1. Sur le tableau de saint Antoine, dont un exemplaire est à la cathédrale de Vence et un (l'original, croit-on) à l'église du Broc, voir Tisserand, Vence, p. 99, et ma notice sur l'ancienne cathédrale, Annal, de la Société des Lettres, Sciences et Arts des Alp.-Mar., tome XVI, 1899.

2. Sur les Canavesi, voir Tisserand, Vence, p. 99, et Nice et Alpes-Marit., tome 1, p. 311.


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argent doré et de pierres de couleur. Au droit, les quàtrefeuilles qui terminent la tige et les bras, contiennent des émaux : en haut Dieu le Père bénissant, à droite la Vierge en pleurs, à gauche l'Ange de la Passion, en bas la Madeleine pleurant. Au revers, ils en contiennent aussi : au centre l'Agneau portant l'étendard de la Croix, en haut l'Aigle de saint Jean, à droite le Lion de saint Marc, à gauche le Boeuf de saint Luc, au bas l'Ange de saint Mathieu.

Les rinceaux de pampres et de feuilles de vignes symbolisent « la vraie Vigne » de l'Evangile de saint Jean. Le Seigneur est attaché à la Croix par trois clous ; les pieds sont croisés l'un sur l'autre, les bras légèrement pendants, les jambes à peine fléchies ; la tête à peine inclinée ne porte ni couronne ni bandeau royal ; la figure n'a pas l'expression de la douleur. Le noeud de la croix, qui la termine au bas, n'a aucun ornement. M. l'abbé Marius Pèbre, qui était curé de Carros en 1898, a bien voulu me donner une photographie, prise par lui, de cet objet d'art, l'un des plus remarquables de l'ancien diocèse de Vence.

Il mérite de prendre place parmi les monuments historiques du département, et eût fait bonne figure au milieu des objets réunis au « Petit Palais » de l'Exposition Universelle.

Dans le village, une chapelle de Pénitents Blancs, bâtie sur la place de la Colle et placée sous le vocable du SaintEsprit 1. En 1705, elle avait trois tableaux : la descente du Saint-Esprit, l'adoration des Mages, saint Jean-Baptiste. En 1719, Bourchenu ne parle que du premier. En 1719, il

1. En 1715, Bourchenu dit qu'elle est sous celui de saint Jean-Baptiste. La chapelle existe encore : on voit à l'extérieur deux pierres ayant la date, l'une de 1583, l'autre de 1610. Elle est sous le vocable du Saint-Esprit, ne possède qu'un tableau, l'adoration (autour, médaillons représentant le mariage de la Vierge, l'annonciation, la naissance de N. S., la fuite en Egypte). On y conserve des reliques de saint Jean-Baptiste. Le tableau, que je n'ai pu voir, serait assez bon.

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le mentionne, ainsi que, sur l'autel, « une grande niche ornée d'une sculpture dorée », où l'on voyait saint JeanBaptiste baptisant Jésus-Christ 1.

Sur le terroir, plusieurs chapelles champêtres. La chapelle saint Antoine 2, où sont reçus Thomassin en 1673, de Viens (par le prieur et le lieutenant de juge qui n'ont pas été aussi loin que la jeunesse) en 1695, est sur le chemin de Carros, à 200 pas et accessible par un sentier assez rude, dit Bourchenu en 1715, au quartier « de Lafoux de Libac », écrit de Viens. Bourchenu, en 1715, note que le prieur a l'habitude de donner, le jour de la saint Antoine, quatre assiettes d'étain au plus habile coureur, que les jeunes gens du Broc y viennent bruyamment, le mousquet sur l'épaule, précédés d'un tambour. L'évêque parle d'abolir cette coutume : le prieur lui répond que la jeunesse du village a « beaucoup de vivacité », qu'on tient à ces vieux usages, que, s'ils les voyaient abolir, il y aurait du désordre. L'évêque se contente de faire enlever quelques fusils qu'il trouve « attachés contre la muraille » de cette chapelle. En 1705 3, elle avait un tableau représentant saint Antoine, sainte Claire et sainte Marguerite. 4 — Au-dessus, une chapelle de la Vierge, signalée par du Vair et par Thomassin qui dit qu'elle est « au-dessus » de la chapelle saint Antoine, probablement la même que la chapelle de l'Annonciade, signalée par Godeau et interdite par lui lors de sa première visite, ou que la chapelle de N.-D. de la Font, mentionnée en 1715 3 par Bourchenu comme interdite depuis longtemps et comme bâtie « au-dessus » de la cha1.

cha1. niche existe toujours et en très bon état.

2. Elle existe encore. Saint Antoine, nous l'avons dit, est le patron de la paroisse. La chapelle est marquée sur la carte au 1/100,000.

3. Mgr de Bourchenu veut alors réconcilier quelques paysans du Broc qui se haïssent : ils refusent de faire la paix.

4. Ce tableau, sur bois, existe encore.

5. En 1726 il dit simplement qu'au-dessus de la chapelle saint Antoine il y a une autre chapelle interdite.


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pelle de saint Antoine. Toutefois le vicaire-général de Crillon mentionne la chapelle de N.-D. de l'Annonciation et y signale un tableau approprié au vocable. — La chapelle saint Sébastien sur le chemin de Carros 1, où de Viens rencontre « quantité de jeunesse et autres, rangés, armés de leurs mousquets et épées, ayant à leur tête le capitaine et autres officiers en forme d'une compagnie de soldats de milice » : ils se rangent, lui font « un salut et décharge des mousquets au son des tambours et autres instruments que encore des cloches de la paroisse », et l'accompagnent « continuant toujours leurs décharges et saluts». En 1705, elle avait un tableau représentant saint Sébastien, saint Auspice 2 et sainte Pétronille. En 1769, Moreau y est reçu de même par « deux compagnies de jeunesse sous les armes avec deux tambours et deux drapeaux » ; le capitaine lui adresse un compliment et il est fait une décharge de mousqueterie. — La chapelle saint Sauveur, sur le chemin de Bouyon. En 1705, elle a un tableau de la Transfiguration et par suite il semble qu'on l'ait appelée aussi la chapelle de la Transfiguration. En 1719, 1722 et 1726, Bourchenu parle de cette dernière, et la troisième fois il ordonne de réparer le tableau qui, dit-il, s'il n'était pas crevé de nombreux trous, serait assez beau, ainsi que d'ôter le « saint Christophe peint sur la muraille 3 ». — La chapelle saint Roch 4, sur le chemin de Besaudun. Godeau s'y rend solennellement en octobre 1670, avec les consuls du village, la confrérie des Pénitents « et tout le peuple, en chantant les Litanies des

1. A mi-chemin (Bourchenu, 1719). Elle existe encore, mais dédiée à N.-D. de BonSecours, depuis qu'un curé du Broc l'agrandit à ses frais et la dédia à la Vierge. Il y fit construire, m'a dit M. l'abbé Bosviel, un caveau où il est enterré ainsi que deux autres prêtres, natifs du Broc. La chapelle saint Sébastien est marquée sur la carte au 1/100,000.

2. Sic. En 1722 Bourchenu écrit saint Hospice.

3. Construite sur un terrain mouvant, il y a de longues années, d'après M. le Curé, qu'elle est tombée en ruines.

4. Elle existe encore. Toutefois l'ancienne, spoliée et vendue sous la Révolution, acquise par une famille qui la rendit à la fabrique du Broc, le 1er novembre 1875, a été réparée aux frais des habitants, ainsi que me l'a dit M. le Curé. Elle est marquée sur la carte au 1/100,000.


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Saints »; il y fait « la bénédiction et exorcisme du terroir 1 contre les vers et chenilles qui dévoroient toutes les herbes et les fruits 2 ». Thomassin demande qu'on en retouche le retable. En 1705, elle avait un tableau représentant la descente de Croix, saint Roch et saint Pancrace. Une croix de mission fut plantée, en 1718, non loin de là. — La chapelle saint Laurent était dans le voisinage, selon de Viens. — La chapelle saint Michel, au quartier de l'Olive, après avoir été une sorte de petite paroisse et avoir possédé des reliques dont nous avons parlé, était si abandonnée qu'en 1695 le bétail y entrait. En 1705 elle a un tableau représentant saint Michel, saint Antoine de Padoue et saint Honoré 3. Elle était, dit Bourchenu en 1715, à trois ou quatre centaines de pas du Broc, l'on n'y parvenait que par un chemin rude et dangereux, et il fallait descendre vers le Var. En 1722, le tableau en était fort endommagé par les rats 4.

Le cimetière du Broc était au quartier du Villar ou du Vilart « qui est un peu au-dessous de l'église », au moins depuis Godeau : en 1670 il trouve que l'ancien servait de passage aux gens et que les bêtes y circulaient à l'aise.

Les évêques de Vence étaient seigneurs temporels de

1. J'ignore ce que veut dire Moreau, lorsqu'il prescrit, en 1763, que « l'abjuration du temps » se fasse, non plus à quelque distance du village, mais dans l'église paroissiale.

2. On lit dans Papon (IV, p. 409) que, en 1596, il y eut un si grand nombre de dauphins dans le port de Marseille qu'ils endommageaient les navires, attaquaient les marins, s'élançaient sur les passants qui longeaient la cote. L'évêque, Fr. Ragueneau, étant absent, on pria le légat d'Avignon d'envoyer quelqu'un qui exorcisât ces animaux. L'évêque de Cavaillon, J. Fr. Bordini, chargé de cette commission, vint leur commander au nom de l'autorité ecclésiastique de s'éloigner des cotes ; et, ajoute l'auteur de l'Hist. génér, de Provence, ils s'éloignèrent parce qu'ils ne trouvaient plus de nourriture dans des parages où ils avaient vécu un mois et demi. Godeau a procédé, au Broc, a une cérémonie analogue ; j'en ai parlé déjà au tome XI des Annal, du Midi.

3. Vis. de 1715 : Saint Honorat, évêque, et saint Antoine. — Vis. de 1719 : Saint A. de Padoue et saint Honorat. — Vis. de 1726 : Saint A. de P. et saint Honoré.

4. Cette chapelle, suivant M. l'abbé Bosviel, servit anciennement de paroisse et fut vendue à la Révolution. Le tableau fut alors recueilli par une famille pieuse, rendu lors du rétablissement du culte, et mis à la chapelle saint Antoine. Quand on répara celle-ci, on l'enleva et depuis il a disparu. Saint Michel tenait d'une main une balance, de l'autre une lance dont il terrassait le démon, d'après les souvenirs recueillis par M. le Curé du Broc.


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ce village 1. Godeau y avait acheté une sorte de petit château où il venait, quand il faisait trop chaud à Vence, prendre le frais. Thomassin, Allart, de Viens y descendent. Bourchenu en 1715 le trouve en mauvais état et note que ses deux prédécesseurs, de Viens et de Crillon, n'y ont fait aucune réparation. En 1719, il doit descendre chez un bourgeois : le château épiscopal est en piteuse situation, et la maison curiale en réparations. En 1722, il constate que le château est de plus en plus négligé. En 1763, c'est à la maison curiale que Moreau s'arrête. Comme seigneurs temporels du Broc, les évêques de Vence étaient particulièrement bien accueillis dans ce village. J'ai cité la réception faite à de Viens en 1695 et à Moreau en 1763 : ajoutons que ce dernier trouva un arc de triomphe à l'entrée du pays, y entendit de nouvelles décharges de mousqueterie, nota qu' « une garde avec une sentinelle » était à la porte de la maison curiale, reçut un bouquet offert par les officiers, et procéda à son inspection au son de décharges continuelles, de tambours et de fifres, escorté par deux compagnies de fusiliers et précédé de leurs drapeaux.

Ces égards n'empêchaient pas les villageois de donner lieu à quelques plaintes. On l'a vu plus haut pour ce qui concerne leur amour du bruit. En 1771, Madaillan apprend que les cabarets sont ouverts et fréquentés les dimanches et fêtes fort avant dans la nuit, qu'on danse sur la place du Vatal auprès de l'église durant le catéchisme 2, qu'on y dépique et vanne le blé; aussi, comme seigneur temporel,

1. Tisserand parle du Broc comme « d'une petite capitale dans un site pittoresque et en présence d'une vue admirable». Il rappelle que Godeau, en 1658. acheta ce village « à noble René de la Tour et à Gabrielle de Castellar... L'église est sans architecture : c'est une grande nef dédiée à sainte Madeleine et rebâtie en 1535... Il y avait au Broc une commanderie de Templiers et un prieuré de saint Germain appartenant aux chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem....La commanderie était une de celles que la maison de Nice avait

établies après 1155 dans les anciens postes romains » (Tisserand, Vence, p. 274; cf.

p. 31, 100).

2. Voir les mesures prises par Godeau contre le goût de la danse et certains désordres qui eurent lieu à Vence et à Cagnes (Doublet, Annal, du Midi, tome X, 1898. Toulouse, Privat).


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veut-il mettre quelque ordre et il charge son juge de police d'infliger une amende de 10 livres à quiconque se livrerait aux actes qu'il réprouve. J'ai dit ailleurs 1 que Godeau avait blâmé les gens de mettre « le plus souvent leurs blés contre la porte de l'église », d'y faire du fumier et des immondices, de laisser les eaux pluviales de leurs maisons couler sur le toit de l'église : c'est sous peine d'excommunication qu'il interdisait les tas de blé : « la poussière gâte les autels... la puanteur détourne ceux qui font leur prière 2 ».

On comptait 700 communiants en 1654 et en 1683, 620 en 1715, 600 en 1726; et en 1654 deux maisons de huguenots, « un nommé La Fontaine qui est nouveau venu, et l'autre Honoré Pastour ».

Il convient de signaler la flèche du clocher et, à côté de l'admirable croix processionnelle à émaux que les Broquins sont fiers de posséder, un petit ostensoir d'argent que M. le Curé avait omis de me faire voir. « Il est très probable qu'un des évêques de Vence l'a donné à la paroisse; il porte, gravé sur le socle, un sceau épiscopal. » Renseignements demandés en vain, je ne puis ajouter de quel blason il s'agit.

Un des mauvais jours du Broc sous l'ancien régime, ce fut l'incursion des Savoyards en janvier 17043. Le 14, les gens reçoivent l'ordre de prendre les armes, entrent en Savoie, enlèvent Bouyon, emmènent à Antibes le seigneur et les consuls de ce village. Mais le 19 les ennemis traversent le Var, se rangent sous Gilette; le 20 les Français reculent sur Saint-Jeannet, le Broc est envahi, des prêtres y sont battus à coups de bâton, des filles sautent par les

1. Annal, du Midi, tome XI, 1899, Toulouse, Privat.

2. Certains font remonter à 1411 l'hôpital du Broc; d'après un parchemin que la commune possède dans ses archives, M. l'abbe Bosviel m'écrivit qu'il date seulement de 1454.

3. Arch. dép. des A.-Mar , Ev. de Vence, G. 34.


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fenêtres pour n'être pas violées et le sont, il fait un froid et une gelée « extraordinaires », les troupes de Savoie « ne mangent pas, mais dévorent au moins pour 5,000 livres », un des consuls est emmené à Nice, une contribution de 1,200 écus est imposée malgré ce que disent les paysans du froid, de la glace, de leur misère, les soldats arrachent leurs anneaux aux femmes, enlèvent de l'église le ciboire, le soleil, les cloches, ravissent jusqu'aux bâtons ferrés et jusqu'aux échalas. Pour comble de misère, l'olivier gela cette année. Les Broquins avaient payé cher leur facile conquête de Bouyon 1.

II. — DEUX-FRERES

DEUX-FRÈRES. — Cet endroit, aujourd'hui hameau de la commune du Broc 2, faisait partie de la Savoie jusqu'au traité de Turin (1760), alors que Le Broc appartenait à la France. C'était une sorte de petite paroisse.

Du Vair, en 1603, dit que l'église de saint Jean est ruinée et démolie et, d'accord avec le seigneur de DeuxFrères, Célestin de Lascaris, qui l'accompagne, ordonne que le service soit fait à la chapelle sainte Marguerite, nouvellement bâtie. Son vicaire-général en 1604 constate que le pavé de celle-ci est en désordre et qu'elle ne ferme pas à clef. Godeau vient en 1654 « au lieu inhabité de DeuxFrères », s'arrête à la « chapelle champêtre de sainte Marguerite qui avait été l'ancienne paroisse démolie depuis

1. Voir ce qui regarde Carros et Saint-Laurent-du-Var : Gattières était alors, ainsi que Bouyon, en terre savoyarde.

2. « Dos-Fraires, ou le Clos de Martel, hameau du Broc, ne renferme », écrivait Tisserand, il y a une trentaine d'années, « que quarante habitants avec la chapelle sainte Marguerite et le vieux château, lo Castello, qui appartint aux Lascaris de Tende (Vence, p. 281)... petite paroisse (p. 286). »

La carte au 1/100,000 porte l'indication et de la chapelle Sainte-Marguerite et du lieu dit Clos-Martel.


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longues années », note que l'ancienne était sous le titre de saint Jean-Baptiste; le service n'a lieu que durant l'été, et l'on ne peut « le plus souvent se rendre en hiver audit lieu à cause des neiges » ; le coseigneur, Charles de Lascaris, a la clef de la chapelle, détient le calice et les ornements, refuse de les donner à l'évêque ; le prieur dit que, trois mois auparavant, quand il a été pourvu de ce bénéfice, il lui a fallu ouvrir de force la chapelle et prie Godeau « de déclarer rural ce bénéfice qui est très pauvre » ; le seigneur expose que la chapelle a été bâtie aux frais de ses devanciers, qu'il n'a chez lui que les ornements de l'ancienne, qu'il espère qu'on la rebâtira 1. Godeau lui ordonne de remettre au prieur la clef de la chapelle sainte Marguerite. En 1670, son vicaire-général dit qu'elle sert de paroisse au lieu de Deux-Frères, qu'elle est à une heure du Broc, que le prieuré est d'ailleurs « sous le titre saint Jean-Baptiste, qui étoit l'ancienne paroisse dont les masures paraissent encore au-dessous du vieux château en vue de la chapelle sainte Marguerite » ; il note qu'il n'y a qu'une trentaine de personnes sur le terroir et le prieur lui montre un retable tout neuf qu'il vient de faire faire. Y étaient représentés, au milieu la Vierge et l'Enfant Jésus, plus bas d'un côté saint Jean-Baptiste et de l'autre sainte Marguerite. En 1673, Thomassin dit que c'est « une simple église », remarque parmi les ornements une aube de toile de Rouen, et s'entretient avec le seigneur, Charles de Lascaris. En 1683, Allart, que la chapelle est à une demi-lieue du Broc, que le terroir est « inhabité », que « quelques rentiers des conseigneurs » y résident seuls : les ornements sont conservés au Broc par le prieur qui ne peut les laisser « dans ce terroir champêtre de crainte qu'ils ne soient volés ». Le vicaire-général de Crillon en

1. Voir Annal, du Midi, tome XI, 1889, Toulouse, Privat.


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1705 dit que c'est « la paroisse d'un lieu inhabité » et que le tableau sur toile représente l'ancien titulaire, saint Jean-Baptiste. Bourchenu, en 1715, trouve la chapelle petite, dit que le tableau représente la Vierge, saint JeanBaptiste et sainte Marguerite, note que le chiffre des communiants monte à 60 ; le prieur a obtenu du Sénat de Nice l un arrêt condamnant les habitants à lui bâtir une maison claustrale; on enterre dans l'église; au bas de celle-ci l'évêque trouve, des deux côtés, « des bonnets et des coettes de petits enfants, qu'on offre à sainte Marguerite », la patronne récente, et il ordonne de les enlever et de n'en pas remettre à l'avenir; il prescrit aussi « d'effacer des armoiries qui sont au tableau à la chapelle » et il note que l'aîné « des frères de Martines, conseigneurs du lieu », a dans son château une chapelle que Mgr de Grillon a permis de construire. En 1719 2, il défend que l'on baptise « dans la petite pierre qui sert de bénitier » et veut que l'on fasse de vrais fonts, qu'une cloche soit suspendue; cette chapelle sert depuis 1603 « selon l'ordonnance de M. du Vair du 8 octobre » ; l'ancienne est démolie ; il y a 15 familles et 60 communiants sur le terroir; chez JeanAndré de Martini, l'un des conseigneurs, est une chapelle bâtie en 1706 avec l'autorisation de Mgr de Crillon, à mi-chemin entre Le Broc et Sainte-Marguerite. Moreau en 17633 y est salué par une compagnie de fusiliers, son capitaine et un tambour. L'envoyé de Madaillan n'y trouve en 1771 ni reliques, ni clocher, ni cloche, dit que 100 âmes vivent sur le terroir, parle aussi d'une chapelle champêtre

1. Le hameau appartenait encore à la Savoie. L'évêché de Nice, dont le titulaire était nommé par la Savoie, était un des six suffragants (dont Vence) de l'archevêché d'Embrun.

2. A cause de la peste, l'évêque reçoit au Broc le seigneur et le prieur, ne franchit pas la frontière dont l'entrée était défendue « depuis la contagion, à tous ceux qui sont en

Provence ».

3. Depuis le traité de Turin (1760) le hameau appartint à la France à laquelle le Broc n'avait jamais cessé d'appartenir.


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au Clos de Martel, dont le tableau est en bon état et dont les murs ont de petites images représentant « les unes l'histoire de Joseph, les autres les Pères de la Trappe », et parle enfin d'une chapelle de sainte Anne.

III. — CARROS

CARROS avait pour patronne la Vierge; l'église paroissiale, pour titulaire N.-D. de Colla 1

Elle fut transférée dans la seconde moitié du XVIIe siècle. En 1613, du Vair dit que l'église est trop loin et en dessous du village; en 1666, Godeau, qu'une chapelle venait d'être « bâtie de nouveau à haut du village », et en 1670, qu'on le prie de transférer « la paroisse qui est hors du village, dans la chapelle du Rosaire qui est nouvellement bâtie et plus grande », mais il n'ordonne aucun changement. En 1673,. c'est le promoteur lui-même qui insiste auprès de Thomassin. Il signale le fait que la paroisse est fort éloignée du village ; que les gens n'y viennent qu'en traversant le cimetière ; que « les pluies, vents, tempêtes et autres injures du temps qui sont fort fréquentes audit lieu » les empêchent d'assister aux offices régulièrement; que le prieur joue son existence la nuit, « puisqu'un seul ennemi pourrait dans le chemin le maltraiter et battre, voire même l'assassiner », qu'on peut saccager sa maison qui est près de l'église 2, et voler les vases sacrés, que le village est à une distance telle que le prêtre n'a aucun

1. Je remercie M. l'abbé Marius Pèbre, qui était curé de Carros en déc. 1898, pour l'aimable accueil qu'il a bien voulu me faire et pour le soin qu'il a daigné mettre à me montrer les curiosités de son église. Je lui dois aussi un exemplaire de la photographie qu'il avait prise de la belle croix du Broc dont j'ai parlé.

2. En 1649 il se passa une affaire d'assassinat qui est assez obscure et dont j'ai déjà parlé dans les Annal, du Midi, tome XI, 1899 : la succession du prieur de Carros, qui fut alors empoisonné, donna lieu à des incidents peu édifiants.


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secours à attendre en cas de danger. Le promoteur dit à Thomassin que les villageois ont bâti une nouvelle église dans le village même et prié Godeau d'y transférer la paroisse ; Thomassin ordonne le transfert et demande qu'on fasse aussi une nouvelle maison claustrale.

Le transfert eut donc lieu en 1673 1. L'ancienne paroisse fut d'abord négligée. En 1683, Allart dit que le pavé en était gâté et occupé par une quantité de tuiles. Elle continua à servir de chapelle ; elle était située en bas de la

colline, le long du chemin, et possédait en 1719 un ancien tableau sur bois, la Vierge, saint Pierre et saint Antoine. Le cimetière était à côté d'elle. La maison curiale y resta aussi, malgré le désir de Thomassin. Viens constate, en 1695, qu'elle est en dehors du village et que le cimetière est si éloigné que, le temps étant mauvais, il n'y va pas ; Bourchenu, en 1715, que la maison curiale du prieur est à

une portée de mousquet du village et sur le grand chemin ;

Moreau, qu'elle est si loin que c'est au château du marquis de Carros qu'il descend. Bardonnenche de même 2. En 1722, le prieur demandait, mais en vain, une maison curiale qui fut près de l'église et du village 3.

L'église 4 possédait un certain nombre de reliques. D'abord « une châsse en buste, ayant au bas des reliques que le prieur dit être de sainte Colombe, martyre, une partie d'un ossement du bras, avec l'authentique de M. l'Evêque de Porphyre, évêque assistant du pape, donnée à Rome le 25 novembre 1683 », et la permission de l'exposer accordée par Allart, dit Viens en 1695. Le vicaire-général de Grillon

1. « L'église de Carros, qui vient d'être reconstruite », écrivait Tisserand, il y a une trentaine d'années, « a saint Pierre pour patron. On y honore N.-D. des Seolles, but d'un pèlerinage, et sainte Colombe » (Tisserand, Vence, p. 275.)

2. De même Allart était descendu chez le notaire Lyons.

3. La maison du curé de Carros y est encore. De l'ancienne église il ne reste que le clocher, où grimpe le lierre.

4. L'église actuelle, qui est, dit-on, une ancienne chapelle du château, agrandie.


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mentionne, en 1705, « un buste de bois doré de Vierge où est un os d'environ un pan 1 sur un coussin de soie : c'est une relique de sainte Colombe, vierge et martyre ». De même Bourchenu en 1715 et Madaillan en 17712. — Puis « un bras de bois doré où le prieur dit qu'il y a une relique de sainte Colombe », écrit Viens qui remarque au petit doigt un anneau d'or émaillé. Le vicaire-général de Grillon mentionne cette « châsse en forme de bras où est une particule de la relique de ladite sainte ». De même Bourchenu et Madaillan 3. — Puis « une châsse contenant une relique de sainte Victoire, donnée par le bailli de Manosque, de la maison de Carros 4, avec la permission de l'exposer délivrée par le grand-vicaire », écrit Viens. Bourchenu mentionne « une espèce d'urne de bois doré où sont des reliques insignes de sainte Victoire ». Madaillan les cite brièvement. Quant au vicaire-général de Grillon, il a décrit en 1705 « une châsse de bois doré en mausolée où est un os de la jambe, appelé tibia, d'environ un pan, sur un coussin », mais sans dire à quel corps saint on l'attribuait 6.

Puis, selon Viens, « une relique de saint Blaise, martyr, dans un grand reliquaire de cuivre qui servait autrefois à exposer le Saint Sacrement ». Le vicaire-général de Crillon mentionne « une châsse de cuivre en custode où est une relique de saint Blaise » ; Bourchenu, « une boîte de cuivre doré sur pied ovale d'un demi-pan 6, surmonté

1. Le pan (de l'ancien Comté de Nice) correspondait à 262 millimètres.

2. Le buste de sainte Colombe existe encore et est exposé dans le choeur, au côté de l'Evangile, sur une console fixée au mur et à une certaine hauteur.

3. Ce bras-reliquaire est conservé : il donne la bénédiction.

4. Un prieur du XVIIIe siècle, à une date inconnue au juste, mais postérieure à 1713 mentionne (G. 36, Ev. de Vence) « les reliques des saintes Colombe et Victoire, données par les commandeurs de Carros, le ciboire et l'ostensoir offerts par Godeau.»

5. Dans le choeur, au côté de l'Epître, et vis-à-vis du buste de sainte Colombe, est exposé le reliquaire de sainte Victoire. C'est une urne décorée de têtes d'anges pertant d'un nuage, flanquée d'anges maniérés, ornée d'une crois de Malte qui porte au centre l'écusson de la maison de Blacas, reconnaissable à l'étoile d'or à seize branches. Au presbytère, M. l'abbé Pèbre m'a montré une authentique signée d'un évêque de Porphyre, en 1823 : les reliques de la sainte se composent d'un os du genou, du crâne, d'une mâchoire, et de quelques fragments du vase ayant contenu le sang de la martyre. Il est parlé aussi d'os et de dents de sainte Félicité, martyre.

6. 131 millim.


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d'un dôme ouvert et surmonté d'une petite croix, contenant des reliques de saint Blaise ». Madaillan n'en dit qu'un mot 1. — Puis, selon le vicaire-général de Crillon, « une croix de bois doré, au bas de laquelle est un reliquaire garni d'un verre, où l'on aperçoit une petite croix qu'on dit du bois de la Vraie Croix, présentée 2 par le pape à feu M. le Grand-Maître de Lascaris de l'ordre de saint Jean de Jérusalem 3 qui en fit présent à feu M. le commandeur de la Fouillane, et celui-ci à l'église de Carros ». Bourchenu mentionne, en 1715, cette « croix de bois doré au pied de laquelle est un morceau de la Vraie Croix » et en 1719 « une croix de bois doré et sculpté dont le piédestal contient, dit-on, des reliques de la Vraie Croix données par le commandeur de Blacas de Garros »; Madaillan, brièvement, une croix-reliquaire 4. Enfin, selon le vicairegénéral de Crillon, « un reliquaire de bois peint et doré où sont plusieurs reliques ». Bourchenu, en 1715, parle d'un grand reliquaire où sont plusieurs reliques données par le bailli de Carros de Blacas. En 1719 il dit qu'il a omis en 1715 de signaler « un grand reliquaire à plusieurs ouvertures ou niches qui renferment des reliques ». Madaillan écrit simplement que l'église de Carros avait six reliques « dans des bustes » : ce reliquaire est le sixième, et il omet de dire ce qu'il contenait 5. — En 1695, les deux reliquaires de sainte Colombe, celui de saint Blaise et celui

1. Cet objet existe encore. On lit sur un des côtés Jésus, sur l'autre Maria. 2. C'est-à-dire offerte en présent.

3. Paul Lascaris de Castellar, grand-maître de 1636 à 1657.

4. M. l'abbé Pèbre m'a montré : d'une part, une croix reliquaire fteuronnée, ornée d'une croix de Malte où est le blason des Blacas (les reliques sont certifiées par le cachet, croyait M. le curé, de Mgr Michel, qui fut évêque de Fréjus de 1829 à 1845 ) ; — d'autre part, une sainte croix, moderne relativement, où se trouvent quantité de reliques et le cachet d'un évêque.

5. Ne serait-ce pas cette deuxième sainte Croix dont nous parlons ? A signaler encore, parmi les objets que j'ai vus à l'église ; quatre petites statuettes anciennes de bois doré, un saint Pierre, un saint Jean, une sainte Vierge, et, selon M. I'abbé Pèbre, une sainte Catherine, — un petit reliquaire « de saint Jean », en forme d'une croix de Malte contournée de fleurs de lys et surmontée d'une couronne — sans parler d'une grande statue de la Vierge, particulièrement laide, mais fort vénérée, paraît-il, à Carros, et qui est sur le mur du côté gauche de l'église.


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de sainte Victoire étaient enfermés au pied du maîtreautel, du côté de l'Evangile, et protégés par une grille et par une porte. En 1705 s'y étaient joints deux autres 1 : les six étaient conservés dans une niche du côté de l'Evangile. En 1715 cinq seulement étaient exposés sur l'autel 2. En 1719 les reliques sont dans une armoire à gauche. On a vu que les gens de Carros y attachaient une double importance, par suite des corps saints dont elles étaient détachées, et des personnages qui les avaient données. Viens rapporte la relique de sainte Victoire au bailli de Manosque, et dit qu'une de sainte Colombe était certifiée par un des prélats assistants au trône d'Innocent XI et à la date du 25 novembre 1683. Le vicaire-général de Crillon rapporte la relique de la Vraie Croix au commandeur de la Fouillane, qui la tenait d'un grand-maître de Malte, qui de son côté l'avait reçue d'un pape. Bourchenu, en 1715, rapporte les cinq reliques certaines au bailli de Carros de Blacas, qui les tenait du grand-maître en question.

Le maître-autel de l'église bâtie sous Godeau avait un tableau représentant, en 1705, N.-D. du Rosaire et, disposés autour dans le cadre, les Mystères; au-dessus était placé un autre tableau, le Christ en Croix. Bourchenu, en 1715, dit que le premier tableau avait été fait pour la chapelle du Rosaire, quand celle-ci n'était, pas encore l'église paroissiale, et avant que Thomassin eût procédé au changement dont nous avons parlé. En 1719 il mentionne un tabernacle donné par Madeleine de Blacas 3.

Dans l'église, une chapelle de saint Benoît qu'en 1695 entretenait la dame de Carros, une de saint Jean-Baptiste qu'elle entretenait avec le sieur de Carros (selon Bour1.

Bour1. de la vraie Croix et celui dont j'ai parlé en dernier lieu.

2. Ce dernier n'est pas placé sur l'autel ; le prieur le présente à part.

3. Le maître-autel actuel est moderne. M. l'abbé Pèbre m'a dit qu'il avait été acheté à l'une des paroisses de Draguignan.


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chenu, les autels avaient été élevés « par les Messieurs de Carros »), et, en 1719, une place destinée à une chapelle du Rosaire.

Dans le village, une chapelle de Pénitents Blancs où Madaillan signale un buste de bois doré contenant des reliques de saint Claude 1.

Sur le terroir, la chapelle champêtre de N.-D. des Seoles 2 ou des Seules 3 ou des Seaules 4, non loin du Var, et à un quart de lieue du village, selon Bourchenu. En 1705 elle était sous le titre de l'Annonciation, possédait une Vierge en marbre, un tableau sur toile représentant l'Annonciation, divers ornements parmi lesquels le vicairegénéral de Crillon signale « quatre petites lames d'argent, deux en coeur, un en bras, un en forme d'enfant emmaillotté », sans doute des ex-votos. Bourchenu dit que l'ermitage voisin était occupé en 1722 et 1726 par un garçon du Broc, estropié d'une main. En 1719, il note la dévotion particulière dont cette chapelle était l'objet : « on y vient des villages voisins, on met de la terre sous le marchepied pour le mal des lettres 5, on la prend ensuite ainsi que de l'huile de la lampe » 6. En 1726, l'évêque ne peut y descendre, tant le chemin est impraticable 7.

1. Auj. dans l'église, sur le mur du côté de l'Epître ; saint Claude est en costume épiscopal, tient une croix de la main gauche et bénit de la droite. L'objet a la date de 1752. L'autel du saint, daté de 1755, fut enlevé de la chapelle, lorsqu'on la vendit à la Révolution, et porté dans l'église où il est placé à l'entrée, du côté droit : on voit au-dessus un tableau des Ames du Purgatoire.

2. Madaillan, 1771. C'était même un prieuré au XVIIIe s. (Arch. dép. des A.-Mar., Ev. de Vence, G. 36.)

3. Bourchenu, 1719, 22 et 26 ; vic.-gén. de Crillon, 1705.

4. Bourchenu, 1715.

5. Mal-èstre, en provençal « état de langueur ».

6. La superstition existe encore, d'après ce que m'a dit M. l'abbé Pèbre. Elle est à rapprocher, dans le même ordre d'idées, de la dévotion que l'on avait, à Villeneuve-Loubet, pour la clef miraculeuse, dite « de saint Marculphe ». (Voir ma notice dans le Bull, de la Soc. Archéol. du Midi, 1897, n° 20.) La chapelle est marquée sur la carte au 1/100,000, à environ un kilomètre au N. de la ligne du Sud.

7. « Une tradition locale raconte qu'en 1591 une bande de soldats ayant mutilé la Vierge des Séoles, un vent terrible souilla tout-à-coup et les repoussa comme par une main divine. » (Tisserand, Vence, p. 166.)


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La paroisse ne donna pas lieu à beaucoup de plaintes : toutefois Bourclienu blâme, en 1719, les paysans qui toléraient des nids d'hirondelles dans leur église.

On comptait 230 communiants en 1666, 300 en 1683, 275 en 1715, 280 en 1722, 450 âmes en 1771.

Parmi les ornements de l'église, citons ce que Godeau avait donné : un ciboire, un soleil d'argent, une chasuble de camelot violet avec une grande passementerie de soie. Le soleil existe encore ; on y conserve, faute de custode, le Saint-Sacrement ; j'ai montré à M. l'abbé Pèbre le blason de Godeau qui est gravé sur le pied. Dans la tribune de l'église, deux tableaux, saint François d'Assise et saint François de Sales. Dans la sacristie, deux plats en cuivre, l'un avec une inscription effacée.

J'extrais ce qui suit de l'Histoire héroïque et universelle de la noblesse de Provence 1. Alexandre de Blacas (la devise de cette famille était « Vaillance de Blacas ») eut pour fils Joseph. Celui-ci épousa le 29 août 1693 Anne d'Abran Seillans, dame de Montpezat, et en eut trois tilles et sept fils : l'aîné François-Alexandre, cinq qui furent chevaliers de Malte (l'un d'eux même devint bailli de l'ordre), et un sixième qui fut chanoine à l'abbaye de SaintVictor-lès-Marseille. François-Alexandre épousa Françoise-Geneviève d'Arnoul de Rochegude et en eut trois fils, deux qui furent officiers aux gardes-françaises, le troisième qui fut chevalier de Malte. Le blason de cette famille, tel qu'il est dessiné dans cet ouvrage, porte une étoile à seize branches, celle qu'on voit sur les reliquaires de Carros. D'autre part, Antoine de Gasquet avait épousé, le 26 mai 1668, Marie-Marguerite de Villeneuve, fille unique et héritière de César (de la branche de Tourrettes1.

Tourrettes1. Séguin, suppl., t. III, 1786, p. 176 et 345.


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Vence), et de Lucrèce de Grasse (des seigneurs du Bar). Elle lui avait apporté en dot, du chef de son père, la seigneurie de Carros, et de celui de sa mère, une partie de celle de Valettes. Il en rendit hommage au roi le 26 mars 1686 et mourut en 1691. Son fils Louis, lieutenant d'une compagnie franche, prêta hommage au roi pour Carros et Valettes le 4 mai 1691 et devint héritier de sa mère. Le testament de celle-ci, daté du 22 mai 1717, exigeait qu'il portât, ainsi que ses descendants, le nom et les armes des Villeneuve-Tourrettes dont la branche venait de s'éteindre. Il fut chargé, en 1747, de lever un régiment contre l'invasion des Impériaux. Le 30 avril 1698, il avait épousé Madeleine Dille, fille de Jean-Baptiste, écuyer. Leurs trois fils furent faits, le même jour, d'abord pensionnaires du Roi en 1748, puis capitaines de cavalerie en 1752, enfin chevaliers de Saint-Louis en 1754 : Joseph-Paul de Villeneuve-Gasquet, Pierre, seigneur de Carros, mort en 1766 aux Invalides, Gabriel, chevalier de Carros.

D'autre part, dans l'Histoire de la principale noblesse de Provence, par B. de Maynier 1, il est dit que les Blacas portaient « d'argent à la comète à treize rayons de gueules ». Ce blason n'est pas exact : celui qu'on voit sur les reliquaires de Carros 2, porte « d'argent à l'étoile d'or à seize rayons ».

Parmi les souvenirs qui se rapportent à cette paroisse, il faut faire une place à l'attaque des Savoyards, en janvier 17043. D'après les documents qui concernent cette affaire, le 19 au soir, 1200 soldats et des milices, qui assiégeaient le château de Gattières 4, se mirent en marche sur Carros ; le seigneur Pierre de Blacas s'enfuit avec sa femme,

1. Aix, Joseph David, 1719, p. 74.

2. Et sur ceux du Broc dont nous avons parlé.

3. Arch. dép. des A.-Marit., Ev. de Vence, G. 36.

4. Gattières était à la Savoie.

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« Isabeau de Villaneuve-Thouranc de Carros », comme elle signe; ils emmènent leur famille et gagnent Vence difficilement et par des sentiers détournés; la douairière de Blacas était restée au château de Carros. Le 20, les ennemis conduits par le chevalier de Blagnasc, entrent dans le village, lui imposent une taxe de 10 louis d'or à payer « au majour », pillent, prennent jusqu'aux couteaux et aux haches des paysans, saccagent le château, menacent de le brûler, enfoncent les coffres, volent deux croix de Malte valant 30 louis d'or toutes les deux, une montre d'or et un boîtier, deux habits de brocart d'or, une toilette de velours vert à galons d'or, douze chemises de toile de Hollande garnies de dentelles de Malines, trois tableaux précieux de 6 pieds de haut, « un damier couvert d'écailles à plaques d'argent doré, qui était une pièce rare et curieuse et d'un prix fort considérable », un filet de soie pour chasser aux oiseaux et qui avait coûté 100 livres, une paire de « très curieux pistolets à deux canons », deux grands sabres à la Turque, une massue d'acier à la Turque « façonnée d'argent », deux arcs de baleine dorés avec leurs carquois remplis de flèches, six statues de fonte d'un pied et demi de haut, un bâton d'ivoire, etc. ... Puis les soldats du duc de Savoie creusent une mine sous chacune des trois tours du château, enfoncent « une des bastides, le Bousquet », y volent sept tableaux.

Quant à la taxe qu'ils avaient imposée au pauvre village, les gens empruntent au seigneur et à la douairière, sa mère, un bassin d'argent pesant 95 onces ; ils l'offrent au major qui le refuse, à « l'aumournier » des soldats qui le prend en gage, mais moyennant un pourboire de 3 livres 10 sous pour lui et un de 4 louis pour « M. de la Val ». Le 10 septembre, le bassin est racheté pour 12 louis d'or neufs de 15 livres pièce; l'homme qui le détenait au Broc


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reçoit en outre 4 livres pour sa peine. Le 14, le seigneur de Carros, rentré en possession de ce qu'il avait prêté, en donne décharge. Le rapport des consuls aux autorités françaises dit que c'était la troisième fois que les troupes de Savoie ruinaient Carros : « il y avait une rigueur de froidure extraordinaire, et la terre était couverte d'un demipaum 1 de neige ». Le seigneur les avait lâchés au moment du péril 2.

IV. — GATTIÈRES

GATTIÈRES — qui au temporel fit partie 3 de la Savoie jusqu'au traité de Turin —, formait une paroisse sous le titre de saint Blaise, évêque et martyr 4.

L'église posséda d'abord des reliques dans une boîte de bois que le vicaire-général de du Vair trouva dans une armoire et qui se composaient de trois petits os et d'un morceau de dent. En 1683, Allart note « la châsse ou soit 5 buste de saint Blaise, patron de la paroisse, et les reliques qui y sont et que nous avons cachetées de notre scel. » En 1695, de Viens signale au maître-autel, du côté de

1. Sans doute un demi-pan (environ 15 centimètres).

2. Voir ce qui regarde Le Broc et Saint-Laurent-du-Var.

3. « Noble Guillaume d'Entrevènes vendit le fief de Gattières en 1247 à l'évêque de Vence; en 1390 le comte de Savoie s'en empara et le céda aux Grimaldi du Bueil ». (Tisserand, Vence, p. 282). Je ne sais d'après quoi cet auteur dit que l'église de ce village est dédiée à saint Nicolas et à saint Blaise. Ailleurs il écrit que « l'église de saint Nicolas de Gattières date de 1278 » (Vence, p. 44). D'après les renseignements que je dois à l'obligeance de M. l'abbé Novi, aumônier militaire, curé de Gattières en décembre 1898, l'église est sous le vocable de saint Nicolas, évêque de Myra en Syrie (titularis ecclesiae) ; le patron de la paroisse (patronus loci) est saint Biaise. Des reliques de ce saint sont aussi possédées par les églises du Broc, de Carros et de Saint-Jeannet.

4. La saint Blaise (3 février) est la fête patronale de Gattières. On sait que saint Blaise, évêque de Sébaste en Arménie, fut en 316 déchiré avec des peignes de fer.

5. Traduction du latin sive.


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l'Epître, un buste de bois doré représentant saint Basile 1 ; au bas, sous un verre, une relique ; du côté de l'Evangile, un semblable, représentant saint Blaise 2 ; au bas, sous un verre, une relique. Il ajoute qu'elles avaient été « approuvées par l'évêque de Sisteron, alors évêque de Vence », donc par Thomassin. Le vicaire-général de Crillon trouve, en 1705, le buste reliquaire de saint Basile dans une armoire, entre l'autel des Ames du Purgatoire et celui de saint Jean-Baptiste ; le buste reliquaire de saint Biaise « où est un os du coude de l'évêque martyr », sur un autel consacré au patron de la' paroisse. Bourchenu les trouve, en 1719, sur le maître-autel; Madaillan les signale en 1771. Le maître-autel avait, en 1695, un « ornement de bois doré à fleurons et cep de vigne, avec une couronne audessus, soutenue par deux anges, et qui sert à exposer le Saint-Sacrement», écrit de Viens; un tabernacle donné par Godeau et que son successeur note comme un « fort bel ouvrage de bois doré 3 » ; de chaque côté, une niche et une crédence où étaient, ici une statue de la Vierge, là une du saint Enfant Jésus, qu'on y voyait encore en 1719. En 1705, le vicaire-général de Crillon dit que le tableau du maître-autel représente la Sainte Vierge tenant l'Enfant

1. Le buste de saint Basile — dont le Broc possède aussi des reliques (et à ce propos nous voyons dans ce village même confusion entre les noms de Basile et de Blaise), — n'existe

plus depuis une trentaine d'années, selon les notes dont je suis redevable à M. l'abbé Novi. Détérioré et non susceptible d'être réparé, il fut retiré du culte, il y a une trentaine d'années. A propos de ce buste, voici ce que je tiens de M. le curé : « Les anciens du pays racontent que le jour de la saint Basile, le buste était exposé au milieu de l'église, sur une sorte de tréteau ; les jeunes filles qui désiraient se marier, essayaient de soulever l'image à deux bras ; si elles pouvaient le faire facilement et sans l'aide d'autrui, elles croyaient y voir un signe qu'elles étaient en état de prendre un époux ». Dans l'Invent. des Arch. de l'anc. évéché de Grasse, fait par M. Moris (imprimé, non encore publié), je note un usage différent. Une ordonnance d'un évêque du XVIIIe s. (G. 57) interdit aux jeunes filles de porter, aux processions des Rogations, les chasses où sont les reliques de martyrs. « La seule exposition de cette pratique en présente les indécences. Elles marchent avant le clergé, quelquefois plus ornées que les reliques, et exposées à la vue et censure du public. Il s'en présente aux curés, ou bien on leur en présente, dont la vertu a été ou flétrie ou suspecte. Si elles sont admises, les timorés murmurent et les libertins plaisantent. Si les curés veulent écarter ces filles, elles se croient déshonorées ». La curieuse coutume de Gattières, dont je dois la connaissance à l'amabilité de M. l'abbé Novi, n'avait rien que de louable.

2. Le buste de saint Blaise, — patron de la paroisse, — et ses reliques existent encore.

3. M. l'abbé Novi m'a fait savoir que l'autel proprement dit, est tombé de vétusté, que son tabernacle et les deux Anges n'existent plus : aujourd'hui l'autel est en terre cuite polychromée et dorée. Toutefois l'ancien retable, avec ses deux colonnes torses et festonnées de pampres, est fort bien conservé.


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Jésus, à sa droite les saints Joseph et Blaise, à sa gauche les saints Antoine et Nicolas 1. En 1719, Bourchenu dit qu'il représente la Sainte Vierge, saint Nicolas et saint Pierre 2; qu'il est orné d'une sculpture de bois; que le maître-autel a « deux grandes colonnes et deux figures d'évêques de quatre pans de haut. » Viens écrit que du côté de l'Epître une niche contient une figure de saint Claude et, du côté de l'Evangile, une autre en renferme une de saint Honoré 3.

Dans l'église, selon la disposition de 17054, la nef du côté de l'Evangile contenait un autel du Rosaire : le tableau représentait les Mystères du Rosaire, et le petit tabernacle doré qu'y trouve Bourchenu, en 1719, n'est, dit-il, que le dessus de celui du maître-autel; — un de saint Jean-Baptiste : le tableau représentait saint JeanBaptiste et saint Eloi; — un des Ames du Purgatoire 5 : le tableau représentait le Purgatoire et la Vierge dans une gloire, et cet autel, écrit Bourchenu en 1719, était « au fond de l'église, opposé au maître-autel». La nef, du côté de l'Epître, contenait un autel de saint Joseph : le tableau représentait la mort du saint, et Allart prescrivit de réparer l'autel et la voûte de cette chapelle, — un de saint Blaise : le tableau représentait les saints Blaise, Nicolas et Pancrace 6, et c'est à cet autel que le vicaire-général de Crillon trouve le buste-reliquaire du patron de l'église, ainsi qu'une image en bois doré de saint Biaise. Ajoutons que cette dernière chapelle, avec son tableau et sa statue,

1. Ce tableau, avec ces personnages, existe encore. (Note de M. Novi).

2. Celui-ci, avec ces personnages, n'existe pas (id.).

3. Ces figures n'existent plus (id.).

4. La disposition actuelle des autels est tout autre, ainsi que me l'a expliqué M. l'abbé Novi, par suite de la suppression de l'autel de saint Jean-Baptiste : toutefois le tableau de celui-ci est conservé.

5. Entre ces deux autels est, en 1705, l'armoire contenant la relique de saint Basile.

6. Saint Nicolas, m'écrit M. l'abbé Novi, n'est pas sur ce tableau : il représente saint Biaise, en chape et mitre, assis, entouré de saint Pancrace, des saintes Catherine, Claire, Agathe et Thérèse.


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est nommée par Bourchenu, en 1719, chapelle du Rosaire, sans préjudice de l'autel du Rosaire, dont il a été dit plus haut, qu'il se trouvait dans l'autre nef.

La chaire était du côté de l'Evangile 1. Dans les murs se trouvait, au début du XVIIe siècle, « certain tombeau relevé en haut2», que le vicaire-général de du Vair ordonne de raser, conformément à une ordonnance antérieure de l'évêque. Il s'occupe aussi des fonts baptismaux. « Le petit autel, proche de ceux-ci, a une image de saint Blaise, où il y a certains fers en forme de colliers, un desquels on a coutume de mettre aux enfants le jour de la saint Biaise »; il prescrit au prieur, eh décembre 1604, d'abattre cet autel et de ne se servir des colliers qu'avec la permission de l'Evêché. Le clocher avait alors trois cloches ; l'une d'elles est rompue en 1683. Godeau, en 1670, avait ordonné de boucher une petite porte qui donnait du côté du château de Gattières : les eaux pluviales y passaient et des voleurs auraient pu y passer aussi. Allart en 1683 signale le mauvais état de « la plus haute porte qui donne dans le château, et qui entre dans la tribune de la paroisse », dit qu'elle est vieille et rompue, veut qu'on la refasse. En 1695, de Viens « trouve rompue la porte de la tribune vers le château » ; l'église est petite.

Parmi les ornements de la paroisse, signalons « une étoffe de damas noir à petit ramage, donnée par la dame comtesse Cavalque à la chapelle de saint Joseph », et dont Godeau ordonna en 1670 qu'on fît un devant d'autel ; d'autre part « un calice fabrique de Milan » qu'il remarque

1. Aujourd'hui du côté de l'Epître.

2. Voici une note fort intéressante de M. l'abbé Novi : « En 1872 ou 73, lors de la réfection du pavé, on mit à découvert un tombeau renfermant deux corps assez bien conservés ; les chairs étaient adhérentes au visage, au torse et aux bras; ce caveau, profond d'un mètre environ, est situé dans la grande nef. un peu du côté de l'Epître, en avant du sanctuaire, à peu près à 1m,50 de la balustrade. On suppose qu'il servait à la sépulture des prieurs de l'église de Gattières ou des châtelains. Serait-ce », ajoute M. le curé, « le tombeau mentionné par Mgr du Vair ? »


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en 1655 dans les objets de la confrérie du Rosaire, et dont il dit en 1664 que la coupe est d'argent doré et le pied « de cuivre surdoré avec des figures 1 ».

Sur le terroir, une chapelle de saint Sébastien 2 sur le chemin de Saint-Jeannet, que Bourchenu trouve en 1715 très négligée et en 1719 abandonnée, et qu'il fait murer en 1726 ; puis la chapelle de N.-D. du Var. Celle-ci dépendait de l'abbaye de Saint-Pons, auprès de Nice, alors possédée par les Bénédictins. Le vicaire-général de Godeau la trouve en septembre 1667 ouverte, sans serrure ni clef. Sur le retable était peinte « l'Assomption, fort ternie et biffée, au côté de laquelle il y avait ces mots : factum fuit sumptibus monachorum Sancti Pontii anno 1609 » ; il prescrit de le repeindre. La chapelle était sous le titre de l'Assomption, et chaque 15 août un bénédictin venait de Saint-Pons y dire la messe. Le vicaire-général de Crillon y trouve une Vierge de bois doré et peint, dans une niche sculptée, et prescrit de faire, un tableau qui représente l'Assomption ; dans l'ermitage, alors occupé par un homme du Tiers Ordre de Saint François, il remarque « un vieux tableau de l'Assomption », sans doute celui de 1609. Bourchenu n'y trouve point d'ermite eu septembre 1722 et ne peut, en septembre 1726, descendre à la chapelle, à cause du mauvais temps et du chemin qui était impraticable le long du fleuve. Après le traité de Turin, les moines de Saint-Pons continuèrent à l'entretenir, ainsi que le dit Madaillan. Celui-ci n'y vient pas. Il la fait visiter par un prêtre de Gattières qui date son rapport de « mil sept cent trois vingt et onze » 3.

1. Ces objets ont disparu à la Révolution. (Note de M. Novi).

2. Une maison (Savone-Duranton) a été bâtie depuis sur l'emplacement même de cette chapelle (id.).

3. « Cette chapelle fut aliénée », m'écrit encore M. le curé de Gattières, « à la Révolution comme bien national, rachetée pour servir au culte et restituée en 1819 à la fabrique de Gattières par Jean-Louis Féraud, docteur en médecine et maire de la commune, suivant acte passé par-devant Me Ant. Jos. Briquet, notaire royal au Broc, agrandie en 1881 restaurée et pourvue d'un petit clocher en 1892. Le tableau de l'Assomption n'existe plus ». Cette chapelle est marquée sur la carte au 1/100,000.


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Rien à dire sur les fidèles. Mais il n'en est pas ainsi des prêtres. D'abord les Bénédictins de Saint-Pons. Godeau avait ordonné le 30 janvier 1667 « à tous les titulaires des chapellenies du diocèse et autres bénéfices simples et ruraux » devenir lui montrer leurs titres : son vicaire-général est obligé de menacer d'excommunication le recteur de la chapelle de N.-D. du Var, s'il ne produit pas les siens personnellement à l'évêché de Nice. Puis les prêtres résidant à Gattières donnèrent lieu à beaucoup de plaintes 1.

On comptait à Gattières 370 communiants en 1649 ; en 1655, 800 âmes, dont 400 communiants « et le reste étant de quatorze ans et en bas » ; 400 communiants en 1664, 450 en 1683, 485 en 1715, 400 en 1726. Je note encore qu'en septembre 1715 les gens demandent à Bourchenu « l'autorisation d'aller, comme chaque année, en procession à Laghuet ».

V. — LA GAUDE

LA GAUDE 2 dépendait d'abord de Saint-Jeannet dont elle était un hameau 3. En 1603, du Vair visite l'église, placée sous le vocable de saint Pierre et bâtie « proche du château, distant de Saint-Jeannet d'un quart de lieue ». Elle avait alors « un petit retable de saint Pierre ». Peu après les gens de La Gaude allèrent à Vence, demandèrent à former une paroisse et à avoir un prêtre qui fût bien à eux ; le chanoine

1. Voir déjà ce que j'en ai indiqué, pour l'épiscopat de Godeau.

2. Je remercie M. l'abbé Gaissole, curé de La Gaude (janv. 1899), qui a bien voulu relire mon travail. Malheureusement il n'a pu, en dépit de son extrême bonne volonté, me fournir de renseignements que je n'eusse point.

3. « La Gaude était d'abord bâtie au château des Gaudes, à une demi-heure de Gattières, sur un mamelon de la rive droite du Var... puis elle fut au quartier de la Condamine et prit le nom d'Alliganza, ensuite de Trigans, quand un troisième hameau se construisit vis-à-vis de la Condamine... L'église fut élevée originairement entre les trois hameaux en 1616 » (Tisserand, Vence, p. 282). Devenue impropre au culte, elle a été restaurée en 1889. « La Gaude fut un des repaires des Albigeois » (Tisserand, Vence, p. 34 : d'après quelle source? il ne le dit pas).


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économe et le vicaire de Saint-Jeannet furent consultés. L'évêque créa la vicairie perpétuelle, dit-on, en 1607.

L'église devenue paroissiale resta sous son ancien vocable. En 1695, elle possédait un buste de bois doré, représentant « une vierge assez propre », au pied duquel était placée sous un verre une relique dont l'économe du chapitre cathédral 1 et les consuls disent qu'elle est de sainte Victoire, vierge et martyre ; et un bras de bois doré « où l'on expose les reliques de la même sainte qui sont aux mains du vicaire de Saint-Jeannet ». En 1705 le vicairegénéral de Crillon parle d'une niche boisée, aménagée du côté de l'Evangile, où l'on met le buste « avec un os de la vertèbre de sainte Victoire ». En 1771, Madaillan dit que des reliques de sainte Victoire et de saint Claude sont dans des bustes.

Le maître-autel n'avait pas de tabernacle en 1654; les consuls en réclament un au chapitre, en présence de Godeau ; l'archidiacre, qui est aussi l'économe, répond que cette dépense regarde les consuls; l'évêque promet de donner le tabernacle « par aumône » à cette paroisse dont il est dit alors qu'elle existe depuis une quarantaine d'années. En 1705 le tableau représentait la Vierge et l'Enfant, sainte Anne et les saints Joseph et Pierre; l'autel était dédié à ce dernier. En 1719 Bourchenu dit, sous une autre forme, que le retable avait deux colonnes de plâtre, et que le tableau représentait saint Pierre et la sainte Famille ; en 1705, le vicaire-général de Crillon, qu'il figurait Jésus enfant dans les bras de la Vierge, « et trois autres personnages qui semblent être sainte Elisabeth, saint Joseph et saint Pierre ». Deux colonnes de plâtre, peintes en marbre, soutiennent à cette date « un

1. Le chapitre était le prieur primitif, écrit Thomassin.


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fronton lourd, couronné d'un dais, dont le fond représente saint Pierre ».

Du côté de l'Epître, et en entrant, la chapelle sainte Victoire, où Viens trouve le buste et le bras. Le tableau représentait, en 1705, les saintes Victoire, Agathe et Pétronille; la peinture était tournée contre la muraille, parce qu'il n'était pas encore, disent les consuls, béni ; l'évêque le bénit et exige un cadre « décent ». Surian, en 1737, permit de faire derrière cette chapelle un cimetière « à la place de celui qui est à droite en entrant dans l'église. » — De l'autre côté, la chapelle du Rosaire, où Viens trouve une Vierge de bois doré. Le tableau représentait, en 1705, la Vierge et l'Enfant Jésus, distribuant des rosaires, et tout autour les Mystères de la Rédemption. Bourchenu parle, en 1715, d'une chapelle de N.-D. des Victoires (est-ce la même? je l'ignore) où il y avait « quantité de poussière par suite des feuillages ». — De ce même côté le vicaire-général de Crillon signale un placard « au-dessus duquel est un vieux tableau de sainte Anne ». En 1719 Bourchenu dit qu'à droite de l'autel (donc du côté de l'Epître) était un tableau de sainte Anne donné par le vicaire. En 1765, le vicaire-général de Lorry, que du côté de l'Epître se trouvait un tableau de sainte Anne « encadré de bois en couleur », et du côté de l'Evangile, un tableau sans cadre, le Baptême du Christ.

Parmi les ornements, notons en 1719 et en 65 une chape de velours ciselé rouge et blanc avec les armes de Mgr de Thomassin.

Sur le terroir, plusieurs chapelles champêtres 1. — Celle de sainte Apollonie, « proche du chemin public tirant vers

1. La carte au 1/100,000 porte l'indication du Puget (près de Saint-Laurent), de la Tour, de la chapelle sainte Pétronille, du lieu dit La Baronne, de la ruine dite Château de La Gaude et aujourd'hui voisine de la ligne du Sud, enfin du hameau de la Maure.


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le Pugeton1 et au quartier de Trigans », est mentionnée par du Vair en 1603. Elle dut être interdite vers 1672 : en janvier 1673 Thomassin juge qu'elle est bien réparée et la réconcilie. Bourchenu dit, en 1715, qu'elle est sur le chemin de Vence, qu'elle tenait lieu jadis d'église paroissiale et que l'église a été bâtie en 1617; en 1719 il dit qu'elle est « au plus bas du dernier hameau, entre les deux hameaux de La Gaude, sur le chemin public », et qu'elle possède un tableau fort ancien, la Vierge, sainte Apollonie et saint Pierre; en 1726 qu'elle est à l'entrée du village ; en 1765 le vicaire-général de Lorry constate que la toile en est déchirée; en 1771 Madaillan répète que c'est entre les deux hameaux qu'est la chapelle 2. —■ Celle de saint Jean ou de saint Jean-Baptiste à la terre du Puget, mentionnée par Bourchenu en 1719, « près du château de Puget 3 : elle est ouverte et abandonnée, les ennemis ont tout enlevé ». Il parle aussi de la chapelle saint Jean de la Tour du Puget, « ouverte, abandonnée depuis 1700, sans tableau et ruinée par la dernière guerre » : est-ce la même? En 1726 il parle de la chapelle saint Jean « au haut Puget refaite par Pisani seigneur de Saint-Laurent 4 ».—Celle de saint Etienne était entièrement ruinée en 1716. Il prescrit en 1719 de la rétablir, mais il ne va pas la voir, le chemin étant « long et mauvais », et se contente d'apprendre qu'elle est abandonnée, ouverte, pleine de ronces et d'épines. En 1722 il dit que le tableau en est usé; en 1726, qu'il faut en boucher l'en1.

l'en1. Le Pogeton de saint Laurent, commune désertée entre Saint-Laurent et La Gaude : il reste une tour de l'ancien château seigneurial appelé Pnget-Treize-Dames » (Tisserand, Vence, p. 290). Le Puget avait aussi le nom de Pugeton des Treize-Dames ou celui de Puggeton Treize-Dames (Marquis de Panisse-Passis, Villeneuve-Loubet, Paris, 1892, Didot, passim, d'ap. des notes manuscr. de Tisserand).

2. Tombée en ruines par suite d'un éboulement de terrain, l'emplacement de la chapelle a été affecté à l'érection d'une croix avec piédestal. Celle-ci a été inaugurée le 30 juin 1895.

3. En 1715 il dit qu'elle est «voisine de la bastide de M. de Saint-Laurent, appelée la Tour du Puget »; qu'elle est ouverte et n'a point de tableau. Tisserand parle d'une commanderie de Templiers bâtie à La Gaude, après 1115, comme dans tous les autres postes romains (Vence, p. 31).

4. Je reparlerai de lui dans la notice relative à Saint-Laurent.


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trée par une muraille 1. — La chapelle du château, dont il écrit, en 1722, qu'elle avait été bâtie 30 années auparavant 2 et qu'à cette place était autrefois le village. En 1719 il dit que « la chapelle voisine du château de La Gaude, sous le titre de saint Pierre », est abandonnée et, comme le chemin en est « long et mauvais », il ne va pas la voir 3. — La chapelle de sainte Pétronille « au terroir du Puget-TreizeDames sur le Var, annexe du prieuré de La Gaude », était sur le chemin du Broc à Saint-Laurent, dit Bourchenu en 1716. Elle avait alors un tableau représentant la Vierge tenant l'Enfant Jésus, en dessous sainte Pétronille et saint JeanBaptiste ; en 1719 un tableau représentant la sainte et saint Jean-Baptiste. En 1726 elle n'était point réparée. Madaillan en parle aussi en 177i, et dit qu'elle est sur les bords du Var.

En 1654 il y avait à La Gaude 160 communiants, « et le plus souvent il n'y a personne aux offices, pour être les paroissiens tous gens de travail ». En 1715 il y en a 230 ; en 1726, 280, « y compris les hameaux des Maures, du Haut-Puget, du Bas-Puget, de Trigans, de La Baronne, Le Château 4 ».

1. « Les quartiers de la Baronne et de Saint-Etienne dépendent de La Gaude » (Tisserand, Vence, p. 282).

2. Ce serait en 1692, par conséquent.

3. « La Bastide au quartier Saint-Pierre de La Gaude » (Tisserand, Vence, p. 273).

4. Voir plus haut.


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VI. — SAINT-JEANNET

SAINT-JEANNET 1 forma d'abord une seule paroisse avec La Gaude qui était d'abord considérée comme un de ses hameaux et en fut détachée sous l'épiscopat de du Vair 2.

L'église de Saint-Jeannet, sous le vocable de saint JeanBaptiste 3, qui était aussi le patron du pays, fut transférée dans la seconde moitié du XVIIe siècle. En juin 1661 les consuls disent à Godeau qu'elle est écartée, bâtie en bas du village, incommode aux habitants « soit pour l'éloignement qu'à cause aussi du mauvais temps », que les mourants ne peuvent recevoir opportunément l'ExtrêmeOnction et que peu de gens viennent aux offices ; bref que les villageois désirent une autre église, qui soit près de la place. Godeau consent à la construction.

En 1670 il ne peut aller au cimetière, « trop éloigné, . le chemin fort pierreux et rapide, et à cause de notre incommodité »4 ; en 1672 Thomassin visite et l'église « nouvellement bâtie » et l'ancienne paroisse ; en 1667 le vicaire-général avait trouvé celle-ci « en piteux état, les portes mal fermées et les autels découverts ».

1. Je remercie vivement M. l'abbé E. Bérenger, curé de Saint-Jeannet (janv. 1899), pour l'obligeance avec laquelle il a bien voulu m'envoyer des notes complémentaires, extraites des Archives paroissiales. Grâce à sa collaboration bienveillante, mon travail sera plus complet.

2. « Saint-Jeannet s'étendait du côté de Sainte-Pétronille. puis s'allongea, après la peste de 1468, vers le cimetière où l'on bâtit l'ancienne église en 1492 (Tisserand, Vence, p. 284)... On voit dans le clocher de celle du XVIIe s. la cloche de la première église de 1492 (ibid.).. La première église de Saint-Jeannet fut bâtie en 1493 par Barthélemy Bursa (ibid., p. 98 )». D'après les notes que je dois à M. l'abbé Bérenger, la primitive église fut, dit-on, une petite chapelle, distante d'un kilomètre de la paroisse actuelle, et placée sous l'invocation de saint Antoine : tout autour se trouvent encore les ruines de plusieurs maisons.

3. Titulaire act., saint Jean-Baptiste (fête le 26 août, jour de sa Décollation). Patrons secondaires de la paroisse, saint Clément, pape et martyr, et saint Dieudonné, abbé.

4. J'ai dit ailleurs que ces mots désignent les maladies qui commençaient à peser sur la vieillesse du premier académicien et à ralentir son zèle épiscopal (Ann. du Midi, tome XI, 1899).


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Celle-ci posséda des reliques qui en 1604 se trouvaient dans une caisse à gauche du maître-autel, ou plutôt dans une boîte ronde faite de bois et enveloppée d'un taffetas vert : un paquet contenait « trois petites pièces de reliques entourées d'une petite pièce de papier » où l'on lisait Sti Sebastiani, un second « un os assez grand » dont l'enveloppe portait Sti Blasii, un troisième de petits fragments dont l'écriteau portait De ossibus Stae Barbarae, un quatrième deux petits os avec l'inscription Sti Eligii episcopi 1. Quant à la nouvelle paroisse, Viens y signale en 1695, du côté de l'Evangile, sur une crédence, un buste de bois doré où repose, sous un verre, une relique de saint Dieudonné que le vicaire dit avoir été offerte en septembre 1685 par le marquis de la Gaude, seigneur de Saint-Jeannet ; et un bras de bois doré où, sous un verre alors rompu, se trouvaient d'autres reliques du même saint ainsi que des reliques de saint Célestin et de sainte Victoire « comprises dans la même procédure ». L'évêque décide alors que celles de saint Dieudonné seront exposées dans la chapelle du Saint-Esprit. En 1705 le vicaire-général de Crillon mentionne, du côté de l'Epître, uue niche où sont le buste et le bras ; de même Bourchenu en 1715, qui parle toutefois d'une armoire, ajoute que saint Dieudonné a été un martyr et que les reliques ont été données au marquis « par l'abbé Bernardi, de Saint-Paul, écuyer d'Innocent XI » 2, et prescrit de remettre un verre à l'un des deux reliquaires. En 1726 il mentionne « une relique de saint Clément 3, donnée depuis peu par le F. César de la Doctrine Chrétienne » et promet d'accorder, quand elle sera dans un reliquaire, la

1. « Saint Eloi, évêque », donc celui de Noyon et de Tournay, mort en 659, et non celui de Lérins, qui n'eut pas l'épiscopat.

2. Voir ma notice sur l'ancienne collégiale de Saint-Paul-du-Var. (Annal. de la Soc. des Lett., Sc. et Arts des Alp.-Marit., tome XVII, p. 16.)

3. Ibid.


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permission de l'exposer. Surian, en 1730, écrit que les reliques de saint Dieudonné sont bien tenues, que celles de saint Clément ont été envoyées de Rome avec leur authentique « depuis peu de mois ». Le vicaire-général de Lorry, puis Madaillan, nomment les reliques des saints Dieudonné et Clément 1.

Le maître-autel de l'ancienne paroisse était vieux en 1603. —Celui de la nouvelle était flanqué, en 1695, de deux niches, l'une du côté de l'Evangile, contenant une statue de saint Jean-Baptiste, l'autre, du côté opposé, une de saint Pierre 8, En 1705 le tableau représentait l'Assomption, « à droite saint Jean-Baptiste, qui est titulaire et patron, à gauche saint Jean-Baptiste » ; ce qui doit être une erreur pour « l'Evangéliste » ; le vicaire-général note que les deux statues placées de chaque côté de l'autel sont « de grandes figures ». Bourchenu, en 1715, dit que l'autel est dédié à saint Jean-Baptiste et que le tableau représente la Vierge 3. Le vicaire-général de Crillon remarque au-dessus du banc des prêtres un grand tableau « pourri d'humidité », de l'autre côté un grand tableau de la Visitation.

Dans cette église, Thomassin signale les autels de saint Joseph, de saint Pancrace, de saint Antoine. La première chapelle était au nord d'après le vicaire-général de Crillon; elle possédait en 1719 un tableau représentant la mort de saint Joseph, et deux petits sur les côtés, saint Joseph charpentier, Jésus dans le Temple. — La seconde, en 1719, un tableau représentant le saint et les saintes Agathe

1. « Les statues de ces deux saints furent apportées de l'ancienne église dans la paroisse actuelle », m'écrit M. Bérenger. Saint-Jeannet comptait alors 1,500 habitants.

2. Au fond du sanctuaire, on voit encore six grandes colonnes en stuc, surmontées de bas-relief. Avec deux grandes statues des saints Pierre et Jean-Baptiste et plusieurs anges, elles forment un vaste retable, qui s'accorde mal avec la nudité du reste de l'église. Ces décorations sont en plâtre ; M. Bérenger les rapporte au XVIIIe s.; nous pouvons les faire remonter à la fin du XVIIe.

3. Le retable du maître-autel, sur toile, représentant l'Assomption et saint JeanBaptiste, paraît avoir été le même que celui de l'église paroissiale. (Note de M. l'abbé Bérenger. )


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et Pétronille. — La troisième, en 1695, un retable « presque pourri et corrompu » et dont la peinture était « tarie » ; en 1719, un tableau représentant sainte Anne et les saints Jude et Antoine. — De Viens parle, en 1695, d'un autel du Saint Esprit qui était, d'après le vicaire-général de Crillon, au S. et avait un tableau représentant la Descente du Saint Esprit sur les apôtres. — Bourchenu, en 1719, d'une chapelle des Ames du Purgatoire, ayant un tableau 1.

Thomassin prescrit, en 1672, de peindre au-dessus des fonts l'image du baptême de Jésus par saint Jean; c'est lui aussi qui invite la confrérie du Saint-Esprit à faire exécuter un tableau qui représente la Descente des Langues de Feu sur les Apôtres. De Viens veut, comme nous l'avons dit, que l'autel du Saint-Esprit serve à exposer les reliques de saint Dieudonné. Bourchenu, en 1715, déplore que la fumée d'un four voisin noircisse les tableaux et la voûte de l'église paroissiale 2.

Dans le village, l'ancienne paroisse 3, où du Vair avait vu en 1603 un autel de N.-D., un de saint Pancrace et certaine image de Jésus « envellopée de drapeaux » qu'il avait dit d'ôter; en 1604 les autels avaient été abattus et deux étaient réédifiés au milieu et vis-à-vis l'un de l'autre ; en 1715 Bourchenu dit qu'elle est comme abandonnée. — En outre une chapelle de Pénitents Blancs. Godeau y trouve installée la confrérie du Rosaire et en 1670 il y remarque un devant d'autel « de taffetas colombin » ; elle était près de

1. En 1852 tout l'intérieur de l'église fut carrelé et recrépi ; les cinq autels qui s'y trouvaient, remplacés par les trois qui y sont aujourd'hui ; la grande cloche, achetée par la fabrique. A noter le tableau représentant saint Joachim, sainte Anne et la sainte Vierge.

2. La tribune pour les hommes date de 1810 ; Saint-Jeannet, comptait alors 1,500 habitants. (Note de M. l'abbé Bérenger.)

3. Après la peste de 1468, les habitants vinrent s'établir vers le cimetière actuel, y bâtirent ce qui fut la seconde église, l'agrandirent à trois époques différentes, au fur et a mesure que le pays s'accrut, notamment par suite de la désertion de La Gaude. Enfin ils élevèrent l'église paroissiale actuelle: on prétend y avoir vu, à la fin du XVIIIe, une pierre qui portait une date du XVIe. Toutefois c'est une tradition erronée : M. Bérenger me fait savoir que l'église (construite, comme je l'ai dit, sous l'épiscopat de Godeau et avec sa permission), fut inaugurée en 1666. Elle consiste, dit-il, en un vaisseau sans croisillons ni chapelles, voûté en plein cintre, dépourvu de tout ornement.


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la nouvelle paroisse, dit Viens ; Bourchenu écrit en 1715 qu'elle est sous le vocable de saint Bernardin ; le vicairegénéral de Lorry, en 1766, qu'elle avait une relique de ce saint ; de même Madaillan en 17711. — Puis une chapelle de Pénitents Noirs dont le vicaire-général de Lorry dit qu'elle était « toute neuve » : il signale aussi « une ancienne chapelle des Blancs à quelque distance de la ville » 2. — Celle-ci était une chapelle de saint Sébastien. Godeau en parle en 1670 et leur prescrit de la rebâtir ; de Viens dit qu'elle est près de l'Hôpital ; le vicaire-général de Crillon, qu'elle avait un tableau représentant sainte Claire entre les saints Sébastien et Bernardin. Du Vair, en 1603, écrit que « les battus s'assemblent et font ledit office » (je ne sais ce dont il s'agit) dans cette chapelle de saint Sébastien.

Sur le terroir, plusieurs chapelles 3. — Celle de N.-D. dont du Vair dit qu'elle avait « de petits retables, dont l'un a une image de la Vierge et de l'Enfant ». Godeau la mentionne en 1654. Est-ce la même que celle de N.-D. de Baus dont parle Viens, N.-D. du Baux que signale Bourchenu en 1719 et dont il dit qu'on la nomme aussi N.-D. de Populo et qu'elle est à l'O. de Saint-Jeannet 4 ? la même que celle de N.-D. de Miséricorde « au pied du rocher » que signale le vicaire-général de Crillon en 1705 et

1. « C'est la chapelle la plus ancienne, et elle doit avoir existé avant la construction de la paroisse actuelle. Un rôle imprimé de l'intendant de Provence, daté du 6 mars 1689, réclame aux Pénitents Blancs les droits d'amortissement de leur chapelle, qui n'était autre, dit cette pièce, que les écuries du château, données à la confrèrie par la veuve de Philippe de Chabaud. Donc le presbytère actuel, avec la tour, séparé de la chapelle par une rue, serait l'ancien château. » (Note de M. l'abbé Bérenger.)

2. A l'extrémité N.-O. du village, la chapelle des Noirs ne remonte pas au-delà de 1752. On y conserve la statue de saint Jean-Baptiste que l'on porte en procession le jour de la fête du titulaire. La chapelle est sous le vocable de la Décollation du saint. (Note de M. l'abbé Bérenger.)

3. Sur la carte au 1/100,000 on trouve marqués le Baou de La Gaude et celui de SaintJeannet qui dominent la rive gauche du petit bassin de la Cagne, ainsi que les ruines du château du Castelet. Le beau rocher de Saint-Jeannet est une des curiosités naturelles les plus connues du pays ; de même la clus de la Cagne, entre ce roc et le baou. Je ne sais pourquoi le Guide-Joanne écrit que les grandes ruines qui couronnent la hauteur étaient « autrefois un palais des Templiers ».

4. En 1726 il reparle de la chapelle de N.-D. de Populo. En 1722 il dit qu'elle est en mauvais état et qu'on la nomme aussi N.-D. du Baux. La chapelle de N.-D. de Populo, à cinq minutes de la paroisse, paraît assez ancieene, selon M. l'abbé Bérenger.

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où, dit-il, il y a un tableau? la même que celle de N.-D. du Rosaire dont Bourchenu en 1715 dit que le tableau représentait la Vierge « avec les mystères de l'Incarnation et autres dans de petits cadres »? — Celle de sainte Barbe, sur la route de Vence, écrit du Vair qui en 1603 y trouve un tableau de la Vierge et l'Enfant Jésus, une petite Vierge de marbre, « une image de sainte Barbe de matière blanche ». Le vicaire-général de Crillon dit, en 1705, que le tableau représente « la Nativité » et est troué, que la chapelle possède en outre une sainte Barbe « de marbre de deux pieds » et un saint Sébastien de bois d'un pied et demi ; Bourchenu, en 1715, que la chapelle est sur le chemin de Gattières, que le tableau vient de l'ancienne paroisse et représente « la Nativité de la Vierge », qu'il est usé et brisé, qu'il convient de le remplacer par un qui représente sainte Barbe; le vicaire-général de Lorry, en 1766, qu'il importe d'effacer les peintures de la voûte et des murailles de cette chapelle. — Celle de saint Antoine 1, mentionnée déjà par du Vair, et bâtie sur le chemin de Gattières, dit le vicaire-général de Crillon. Elle avait en 1705 un tableau du saint; en 1715, Bourchenu la trouve fort négligée ; en 1719 il l'interdit. — Celle de saint Claude, ayant en 1719 un tableau qui représentait le saint, saint Bernardin et saint Sébastien.

Quand l'église paroissiale avait été déplacée, le cimetière n'avait pas été changé. En 1670, Godeau, on l'a vu, ne peut y aller; Viens trouve qu'il est bien loin; le vicairegénéral de Crillon note que les gens de Saint-Jeannet

1. Anc. paroisse, comme nous l'avons dit. Dédiée à saint Antoine, à sainte Pétronille et à saint Claude, agrandie et restaurée en 1820, elle est près d'un ancien hameau. On y voit encore un pilier qui (avec un autre qui a été détruit), était, dit-on, l'échafaud de la justice seigneuriale. (Note de M. le curé.)


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faisaient enterrer les enfants qui meurent sans baptême, « à la campagne, comme des bêtes », et veut que cet abus -prenne fin; celui de Lorry dit que le chemin du cimetière est dangereux.

Thomassin descend chez le sieur de Thoranc, Allart chez le vicaire, Viens au château du marquis de la Gaude ; Bourchenu dit, en 1726, que la maison claustrale n'est pas logeable.

On comptait 7 à 800 communiants en 1654, 700 en 1715, 750 en 1726.

Godeau apprend, en 1661, qu'il y avait « dans le lieu un homme, lequel suivant le bruit commun est sorti du couvent des Dominicains de Nice 1 et qu'il a fait profession, qui porte l'habit d'ermite sans notre permission»; nous ne pouvons dire ce qu'il décide, car il manque un feuillet au registre. En 1667, son vicaire-général insiste sur « le scandale que donne continuellement Pierre Nirascou, qui porte l'habit d'ermite ; lequel suivant le bruit commun est sorti de la communauté des Pères Dominicains de la famille de Nice 2, qui est un vagabond, qu'il n'a pas été à notre possible de voir pour s'être subtilement caché » ; il lui fait enjoindre de comparaître devant Godeau.

1. Les Dominicains de Nice avaient leur chapelle sur l'emplacement du Palais de Justice actuel. (Abbé Dufaut, L'Eglise de Nice, Nice, 1893, p. 220.)

2. Voir Annal, du Midi, tome XI, 1899.


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VII. — VENCE

VENGE. — Nous avons cherché à donner une monographie de l'ancienne cathédrale de Vence 1. Il s'agit ici de compléter ce qui regarde la paroisse, ville et terroir 2.

« Au bas de la maison commune », dit Godeau en 1654, il y avait une chapelle du Saint-Esprit où l'on célébrait « parfois la messe » 3. Elle n'existe plus.

A l'hôpital, une chapelle dont le tableau représentait, en 1699, « Jésus ressuscitant un mort » 4.

La chapelle des Pénitents Noirs, « au faubourg et sur le chemin de Saint-Paul », comme dit Moreau, avait, en 1716, un tableau représentant la, Vierge, saint Michel et saint

1. Une révision plus complète des documents relatifs à la cathédrale me force à modifier légèrement ce que j'ai dit. Pour les épiscopats de Viens, de Grasse, de Madaillan, nous n'avons rien ; pour ceux de Surian, de Lorry, de Bardonnenche, nous ne possédons que des pièces sans intérêt ; la visite de du Vair en janv. 1609, celle qu'il fait en déc. 1630. celle de Bourchenu en nov. 1719, n'offrent aucun détail. D'autre part, il convient d'ajouter, à ce que nous avons dit, ce qui suit. En 1635, du Vair trouve le presbytère de la cathédrale fort obscur ; « sur la galerie, du coté de la prévôté, il y a une galerie dont le plancher est rompu, jusqu'à l'entrée du choeur; celui-ci est en haut, loge sur des arcades et des poutres », et l'évêque craint qu'il n'eu tombe des plâtras; le plus bas pilier de la nef menace ruine; les portes sont rompues. En 1699, Crillon décide de mettre le choeur derrière l'autel et de faire un dome sur celui-ci (ce qui ne fut pas exécuté), de réparer le sanctuaire, de raccommoder l'orgue, de mettre tous les jeux en état de servir, de porter par devant le clavier qui était par derrière et de « le placer du côté de la tribune qui regarde dans l'église ». En 1716, Bourchenu veut qu'on répare le clocher « et le cadran de la montre », que la sonnerie soit réglée, qu'il y ait plus de soin dans les offices capitulaires, que les chanoines se souviennent que Godeau a réglé le chant en 1654; il leur défend aussi de chasser, de porter des perruques, d'avoir des servantes qui n'aient point 50 ans. Je note encore qu'il estime que le tombeau dit de saint Véran a « quelques figures et quelques ornements gothiques »; que le tableau de la chapelle est «très vieux et représente saint Véran, saint Jean-Baptiste et sainte Marie-Madeleine ». J'aurais dû citer Tisserand qui dit (Vence, p. 281) que des anciennes cloches de Vence on n'a plus que celle de l'ancien conseil qui est de 1674 et porte deux crois avec les mots Alexander de Villanova. En août 1762, un mois avant l'entrée de Moreau, son grand vicaire Guillot de Mondésir visite les dais qui servaient aux processions : l'un, en brocatclle de laine, est si troué qu'il l'interdit, l'autre en damas rouge, a besoin d'être raccommodé.

2. Sont particulièrement détaillées la visite de Crillon, antérieure au 16 mars 1699, et celles que, « par suite de la goutte qui l'incommode aux pieds », il fait faire alors par divers prêtres, — celle de Bourchenu, antérieure au 2 oct. 1716. Je remercie encore ici feu le chanoine Bruny, curé-doyen de Vence, qui avait bien voulu me renseigner, avec autant d'amabilité que de précision, sur tout ce dont a eu besoin la suite du travail que j'avais publié dans le tome XVI des Annales de la Société des Lettres, Sciences et Arts des AlpesMaritimes.

3. Sur la chapelle du Saint-Esprit, dans l'Hôtel de Ville de Vence, établie vers 1400, voir Tisserand, Vence, p. 69. Sur le retable qu'elle possédait et où étaient représentés les Douze Apôtres, ibid., p. 97 et surtout 100; sur la réparation qu'on y fit après 1538, ibid., p. 121.

4. Le tableau n'existe plus.


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Lambert, évêque de Vence, ainsi qu'un retable « de bois peint en marbre » ; il est dit que la confrérie existait depuis 1630, avec N.-D. de Miséricorde pour titulaire et saint Michel pour patron 1. Elle existe encore à côté de l'hôpital et possède un tableau de la chapelle, aujourd'hui démolie, de saint Pierre.

La chapelle de saint Pancrace, sur la place saint Michel, était l'ancienne chapelle des Noirs, à ce qu'écrit Bourchenu en 1716 ; il y signale un tableau représentant le saint. Crillon, en 1699, avait ordonné aux recteurs « de la chapelle saint Pancrace hors les murs de la réparer ». Elle existe encore 2.

Le Séminaire, où Bourchenu dit en 1716 qu'il n'y avait que trois séminaristes ; la chapelle avait un tableau de la Sainte Famille 3. A. noter le conflit que Crillon avait eu avec le recteur du séminaire. Ce dernier avait refusé, le 15 mars 1699, d'ouvrir les portes à l'évêque et invoqué un privilège du roi dispensant les Pères de la Doctrine de la visite; Crillon les interdit ainsi que leur chapelle ; aussitôt le recteur se soumet, expose qu'on a encore les livres et les lits que Godeau avait donnés, va présenter des excuses à Crillon, dans l'évêché même, en présence de nombreux témoins, le chapitre en habits de choeur, le juge épiscopal en robe de palais, le second consul (le premier, qui est maire, était à Aix) en chaperon, des bourgeois.

La chapelle de saint Pierre « hors les murs, sur le chemin de Grasse, la plus ancienne de toutes ». comme dit Bour1.

Bour1. dit que la chapelle des Noirs était sous le titre de N.-D. de la Miséricorde et de saint Michel, et qu'elle fut bénie en 1643 par Jacques Barcillon (Vence, p. 204); que du Vair les avait établis dans la chapelle saint Pancrace avec saint Michel et sainte Anne pour patrons (ibid., p. 185). On sait qu'ils ont donné leur nom à un des pics de la chaîne qui est au nord de Vence, celui qui surplombe la clus de la Cagne en face de Saint-Jeannet et qui a 666 m. de haut.

2. «Hugolin de Grimaldi obtint en 1553, pour la chapelle saint Pancrace à Vence, des reliques qui furent envoyées de Rome » (Tisserand, Vence, p. 129).

3. Le bâtiment subsiste sur la route de Gagnes, mais non le tableau.


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chenu en 1716, avait alors un tableau « fort vieux », représentant les saints Pierre, Bruno et Louis. Elle est démolie. Du tableau, que le chanoine Bruny rapportait volontiers à l'école romaine, il ne reste qu'un saint Pierre qui est aujourd'hui dans la chapelle des Noirs.

Celle des Blancs se trouvait sur le même chemin et « à une portée de mousquet » de la précédente, selon Bourchenu en 1716. Elle existe encore et est reconnaissable à la coupole, ornée de tuiles émaillées, un peu analogue à celle de la cathédrale de Nice. Le patron en était, en 1716, et est encore aujourd'hui saint Bernardin 1; le tableau représentait la Descente de Croix 2; au-dessus de l'autel était » un dôme percé de six fenêtres vitrées » ; par la lanterne qui le surmontait, des oiseaux entraient « qui nichent et font tomber de l'ordure » ; l'année d'avant, la pierre sacrée avait été endommagée par le tonnerre ; il y avait vingt tableaux autour de la petite église, dont les Douze Apôtres 3; au fond, et vis-à-vis de l'autel, sur la place du prieur de la confrérie, la Cène4; au-dessus de la porte de la sacristie, un grand tableau, saint Bernardin 5, et en dessous un petit, saint François d'Assise, « donné par le P. Allart, évêque de Vence, et qui passe pour bon 6 ». Bourchenu ajoute que la foudre qui était tombée sur la chapelle, à la fin d'août 1715, avait abattu la croix du dôme et quelque peu la muraille, démoli l'autel. Il prescrit de boucher la lanterne du haut du dôme. Godeau parle, en 1654, d'un autel de saint Joseph où était une image du

1. Tisserand dit que la chapelle des Blancs était sous le vocable de saint Bernardin et de sainte Agathe, et que la première pierre en fut posée en 1614 : ailleurs que la confrérie

date de 1567 (Vence, p. 102 et 185) ; ailleurs (p. 135) que le conseil de la ville vota en 1567 une cloche pour la chapelle de la congrégation de saint Bernardin (Pénitents Blancs). On sait qu'ils ont donné leur nom à un des pics qui dominent Vence, celui qui atteint 679 m.

2. Auj. disparu.

3. Existe, mais en mauvais état.

4. De même.

5. Auj. disparu.

6. Existe encore et est, m'a dit M. le chanoine Bruny, d'au excellent travail.


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saint en marbre. — Celle de N.-D. des Crottons 1. « à une demi-lieue de Vence, sur le chemin de Grasse 2, au terroir de Mauvans », comme Bourchenu l'écrit 3. Elle était autrefois, selon lui, occupée par des religieux de Saint-Victor de Marseille ; elle avait, en 1716, un tableau de bois représentant la Sainte Vierge et l'Enfant, saint Thomas et saint Honorât 4. En 1699, un chanoine, député par Crillon, dit que « le tableau sur bois à l'antique » représente NotreDame entre saint Jean l'Evangéliste et un personnage dont je n'ai su lire le nom ; qu'il était alors « un peu dépeint ». En 1623, du Vair décrit un « retable » orné comme le tableau dont il est parlé, non en 1699, mais en 1716.

Celle de N.-D. de Bon Voyage « à un quart de lieue, sur le chemin de Grasse, au quartier de Saint Donat » 5, comme Bourchenu l'écrit. Elle avait alors un tableau sur bois, la Vierge tenant l'Enfant ; on disait que c'était une partie de celui « qui était autrefois sur le maître-autel de la cathédrale6». Bourchenu dit qu'il paraît ancien. Il y avait aussi « un tableau presque neuf, Jésus-Christ flagellé7». La chapelle était autrefois fréquentée, ajoute-t-il, par ceux qui entreprenaient « le voyage d'Espagne », soit comme pèlerins, soit comme négociants 8. En 1699, un chanoine, député par Crillon, parle du « tableau de bois à l'antique, N.-D. tenant un petit Jésus tout nu », de deux statues de marbre représentant la Vierge, l'une assez

1. « Des Croutons » (1699).

2. « Sur le chemin de Tourrettes » (1699).

3. Tisserand écrit que « l'abbaye de N.-D. des Grottes ou des Crottons fut donnée au monastère de Saint-Victor de Marseille en 1041 » (Vence, p. 26); que celui-ci vendit à l'évêque de Vence « en 1444 le prieuré de N.-D des Crottons » (ibid., p. 78). Il était sur le territoire de Malvans (ibid., p. 286). L'acte de donation figurait, dit-il (p. 304), dans les archives de Me J.-B. Trastour, notaire à Vence. La chapelle des Crottons appartient aujourd'hui à un particulier.

4. Disparu.

5. Appartient auj. à un particulier.

6. Il n'en reste rien.

7. De même.

8. Il y a eu des relations entre Vence et non pas les possessions espagnoles du Milanais, mais l'Espagne proprement dite ; la fortune de quelques Vençois en vient. M. le chanoine Bruny avait chez lui une Assomption d'après Murillo.


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grande, l'autre petite et dont la tête rompue ne tenait « qu'avec de la cire », de deux tableaux placés de chaque côté de l'autel, l'un représentant saint Dominique, l'autre l'Enfant Jésus avec une croix, enfin d'un tableau où était peinte la Flagellation 1. — Celle de la Sainte Croix ou de saint Crépin, sur le chemin de Grasse, dit Bourchenu, « fondée par Pierre Malirati, évêque de Vence, en 1321 » 2. Elle avait, en 1716, un tableau représentant la Croix ainsi que les saints Crépin et Crépinien, et était entretenue par la confrérie des cordonniers et des tanneurs de Vence 3. — Celle de sainte Elisabeth, « à trois cents pas, au quartier de Squairons 4, sur le chemin de Saint-Paul, à un quart de lieue de Vence». Bourchenu la trouve très mal tenue et depuis longtemps négligée : sur le parement de plâtre il y avait « des figures de saintes peintes et dont le nom est écrit au-dessous », sur la muraille « le Mystère de la Visitation » 5, de chaque côté et « en grand » les saints Pierre et Paul, sur les voûtes, des restes de peintures. Crillon l'avait interdite en mars 1699 6.

Celle de N.-D. de Pitié, dite de Larrat7. En 1673, elle menaçait ruine. En 1699, un chanoine, député par Crillon, dit que le tableau représentait la Descente de Croix ; qu'il y a « une statue de bois représentant la Vierge tenant le petit Jésus entre ses bras, habillée proprement, ayant tous deux une couronne d'argent avec une croix de cristal

1. Il n'en reste rien.

2. « La chapelle de Sainte-Croix (auj. Saint-Crépin) fut bâtie par l'évêque Pierre Malirati. conseiller du roi Robert le Sage. (1324-6) », dit Tisserand (Vence, p. 48). Ailleurs il écrit qu'elle fut fondée par les du Port, de Saint-Paul (ibid., p. 290).

3. Il n'en reste rien.

4. « Les Cairons » (1699).

5. Mentionné en 1699.

6. La chapelle existe encore, à quelques pas de la route actuelle de Cagnes, mais l'ornementation en est insignifiante. La sainte Elisabeth est fêtée annuellement à Vence en juillet.

1. Tisserand dit que la chapellenie de N.-D. de Larrat, dans un quartier qui appartenait au chapitre, avait été fondée en 1610 par P. du Vair; qu'elle était sous l'invocation des Sept-Douleurs et de la Pitié ; que la chapelle est aujourd'hui dédiée à sainte Anne, et porte la date de 1613 (Vence, p. 271 et 185). Elle existe encore.


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garnie d'argent .» 1. Il ajoute que deux chapelles latérales y sont « enfoncées », l'une au sud, de saint Claude, avec un tableau représentant les saints Claude, Joseph et Donnât 2 et un devant d'autel de cuir doré « fort bon où est l'image de saint Claude » 3, l'autre, au nord, de sainte Anne, avec un tableau représentant la sainte et la Sainte Famille 4, entretenue par une confrérie de femmes et par un ermite. Dans la sacristie on conservait, en 1699, une Vierge « avec l'Enfant mutilé au bras ». En 1654, la chapelle était disposée de même : entre autres objets de culte, Godeau signale « un image de la Vierge, doré, tenant le petit Jésus entre ses bras avec deux couronnes d'argent, l'une sur la tête de la Vierge, l'autre sur celle de l'Enfant, une croix d'argent au col de la dite Vierge, une autre avec un mas 5 de perles », deux chapelets de cristal, un d'albâtre, « un noir de locque », un noir de jayet « avec un corail au bout garni d'argent, une masse de petits corails avec un grand au bout, garni de même », des bagues d'or garnies de pierres, des voiles pour l'image de la Vierge dont l'un bleu « avec de grandes pointes d'or », un jaune, un blanc et un bleu, quinze images autour de la chapelle. Godeau avait ordonné que la chapelle sainte Anne fût « remise de la hauteur de la grotte 6 nouvellement faite, afin d'empêcher que les eaux pluviales n'y découlent ». En 1716, Bourchenu dit que la chapelle de Larrat est l'ancien prieuré de N.-D. de Pitié ; un ermite y est attaché; le maître-autel a un retable sculpté7, un tableau de la Vierge de Pitié; la chapelle sainte Anne, entretenue par

1. La Vierge n'existe plus.

2. Existe encore.

3. Détruit auj.

4. De même.

5. Sic.

6. C'est-à-dire de la voûte.

7. Il existe encore et est, m'a dit M. le chanoine Bruny, d'un assez beau travail.


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une confrérie de femmes « établie par M. de Godeau », un tableau de « la sainte Famille 1 » ; l'autre, celui dont nous avons parlé ; dans l'appartement contigu à la chapelle, il y a deux tableaux, une Descente de Croix « qui était autrefois dans la chapelle 2 », et « une Tête avec des rayons ».

Celle de sainte Colombe, à une demi-lieue de Vence, sur le chemin de Saint-Jeannet, dit Bourchenu en 1716, de Gattières, dit Allart. Cet évêque l'avait trouvée en mauvais état; la terre qui l'entourait ne portait que de vieilles souches, des oliviers et figuiers. En 1699, un prêtre député par Crillon y signale un tableau de sainte Colombe 3 et un devant d'autel de toile peinte « fort vieux et mangé des rats ». En 1716, Bourchenu l'interdit. — Celle de saint Pons, « sur le chemin de Saint-Paul, à 300 pas de la ville », dit-il, et entretenue par les maréchaux de Vence. selon Crillon, était en mauvais état en 1699 et en 1716. Bourchenu note que « les serruriers, muletiers et maréchaux » venaient d'y faire placer un tableau de saint Eloi, que « les bouviers et bergers » y célébraient aussi la saint Pons, qu'il y avait à droite de l'autel une figure de saint Lazare et à gauche une de saint Pons 4. — L'ermitage de saint Martin, « à un bon quart de lieue de Vence, dans la montagne 5, vers le chemin de Coursegoules et de Besaudun », avait, en 1716, un tableau représentant la Vierge, saint Martin et saint Laurent; cette chapelle « au terroir de Bastide est abandonnée depuis qu'il n'y a plus d'ermite », écrit Bourchenu. En 1699, un chanoine, député par Crillon

1. Disparu.

2. De même.

3. Existe encore.

4. La chapelle est en ruines.

5. Saint-Martin de Vence, ancienne commanderie de Templiers (Tisserand, Vence, p. 286). La terrasse de Saint-Martin est encore signalée aux promeneurs pour l'admirable vue dont on jouit du milieu de ce que les guides appellent les ruines d'une commanderie de Templiers.


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« pour visiter la chapelle et ermitage saint Martin au terroir de Bastide Saint-Laurent », dit que le tableau montrait la Vierge assise sur un trône et tenant l'Enfant Jésus dans ses bras, à sa droite saint Martin évêque, à sa gauche saint Laurent ; que la sacristie possédait un saint Martin « de bois peint et doré, fort ancien » ; qu'il y avait un logement pour un ermite 1. — Nous ne revenons pas ici sur la chapelle sainte Pétronille, sur celle de saint Etienne et sur celle de saint Jean-Baptiste à la Tour du Puget, qui, si elles dépendaient de la cathédrale, se trouvaient au terroir de La Gaude 2. En 1716, Bourchenu demande que le chapitre répare les deux premières. — Nous ne disons rien non plus du Calvaire fondé par Crillon en 1700, si l'on en croit Tisserand 3, ruiné en 1793 et restauré en 18334.

Beaucoup de ces chapelles de la ville même du terroir ont entièrement ou presque complètement disparu 3 : quant à celles de l'Annonciade 6, de saint Roch 7, de saint Michel 8, dont parle Tisserand, je ne sais rien.

1. D'après Tisserand (Vence, p. 17), la forteresse de Saint-Laurent de la Bastide servit de refuge aux Vençois à l'approche des Lombards, en 578, « quand ils martyrisèrent saint Hospice dans son ermitage », rasèrent Cimiez et détruisirent le monastère de Saint-Véran, à l'embouchure du Loup. Chaque année, on va de Vence au Baou de Saint-Laurent en procession : « on chante les litanies du saint évêque Deuthère qui avait placé son peuple sous la protection de saint Laurent ». Voir aussi p. 285, où il parle du Baou des Pénitents Blancs. Il est vrai que saint Hospice ne fut pas « livré aux plus cruels supplices », si j'en crois un autre prêtre, M. l'abbé Dufaut (L'Eglise de Nice, Nice, 1893).

2. Voir ce que j'en ai dit dans la notice de La Gaude.

3. Vence, p. 234.

4. Fête le 4 mai (Aubert, Hist. d'Antibes, Antibes, Marchand, 1869).

5. La carte an 1/100,000 ne porte que le Baou des Blancs et celui des Noirs, Sainte-Colombe sur le chemin de Saint-Jeannet, l'indication d'une chapelle à l'Est de la ville et sur les bords de la Lubiane (le nom manque), Sainte-Elisabeth, l'indication d'une chapelle à l'Ouest de la ville et sur les bords du Malvans (le nom manque : sans doute celle des Crottons), Aspras, enfin Saint-Martin et les ruines du château qui s'y trouvent.

6. « Jean Mars et Etienne de Cormis fondent en 1480 la chapelle de l'Annonciade » (Tisserand, Vence, p. 97).

7. « La chapelle de saint Roch, à Vence, est de la fin du XVe s. » (Tisserand, Vence, p. 81). Ailleurs (p. 121) il dit que le retable en fut refait après 1588.

8. Chapelle saint Michel à Vence (Tisserand, Vence, p. 286).



LES TABLEAUX

DE L'ÉGLISE PAROISSIALE DE GRASSE

PAR

M. GASTON FABRE



LES TABLEAUX

DE

L'ÉGLISE PAROISSIALE DE GRASSE

De toutes les villes des Alpes-Maritimes, Grasse, assurément est celle qui a le plus de notoriété dans le monde des dilettanti de la peinture. Qui ne lui envierait les Fragonards de la galerie Malvilan 1, sans parler des Rubens contestés de son hôpital?

On se doutait bien aussi qu'il existait dans son église paroissiale, la lourde cathédrale où pontifiaient jadis ses évêques, quelques tableaux d'un certain mérite; mais on ne leur accordait qu'un regard distrait.

Le hasard, qui a si souvent joué un rôle étonnant clans certaines découvertes artistiques, vient de les remettre en évidence.

Il y a quelques mois de cela, en faisant déblayer la crypte de son église, le nouveau curé de Grasse, M. Latil, découvrit, au milieu d'un amas de vieilleries sans forme et sans nom, une toile — vous devinez en quel état — qui lui parut autre chose qu'un des barbouillages qui sont l'unique trésor de tant de pauvres chapelles.

Par aventure, il se trouvait précisément qu'un artiste parisien d'un certain talent et d'une appréciation sûre, M. Guédy, résidait à ce moment à Grasse. Il fut consulté

1. Les célèbres toiles peintes par Fragonard pour la Dubarry ont été, en 1898, vendues à un amateur anglais.


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sur la valeur de la trouvaille; il la déclara considérable et n'hésita pas à reconnaître sous certains repeints grossiers, sous des rouges criards et des bleus éclatants, une oeuvre de maître, un travail de jeunesse de Sébastien Bourdon. Les opérations de rentoilage et de restauration qui lui furent confiées donnèrent ensuite la preuve de l'authenticité de la peinture. Le monogramme de l'artiste, orné d'une fleur de lis, fut découvert sur la toile.

Ce succès éveilla l'attention et l'on s'aperçut que, sans même aller fouiller dans la poussière des cryptes, on possédait accrochés çà et là aux murs de l'église d'autres chefs-d'oeuvre de bien autre importance, qu'il fallait seulement les mettre en lumière et leur faire subir quelques indispensables nettoyages. M. Guédy fut chargé de ces travaux. Il les a menés à bonne fin, et c'est justice de placer son nom à côté de celui de M. le curé Latil, qui a été le promoteur de cette renaissance.

Le Sébastien Bourdon que je vous ai déjà cité représente le Mariage mystique de sainte Catherine. La Vierge d'Alexandrie est agenouillée devant l'Enfant-Jésus, vers lequel se penche saint Joseph, accoudé sur un fût de colonne, et que contemple la Sainte Vierge. Deux jeunes hommes, des anges probablement, sont un peu en arrière, comme les témoins de cette union symbolique.

La ville égyptienne, avec ses pyramides et ses monuments, s'aperçoit dans le lointain, au pied des montagnes, qui vont se perdre dans un horizon très doux.

L'ensemble de la composition est très harmonieux et la sainte serait un morceau achevé sans un grave défaut de dessin. Les mains sont en effet d'une longueur démesurée. Beaucoup d'indécision aussi dans l'attitude et la pose de l'Enfant-Dieu. Tout révèle la jeunesse du peintre, qui a peut-être exécuté cette oeuvre en passant à Grasse, allant


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de Montpellier étudier à Rome, et très heureux de garnir ainsi son escarcelle de quelques livres. Si les voyages autour du monde sans le sou étaient inconnus de son temps, il pouvait sans doute dire cependant, comme l'artiste de la comédie :

L'heure de mes repas est très problématique.

Très problématique aussi l'authenticité de la vieille peinture sur bois qui est suspendue à la nef latérale de gauche et qui représente saint Honorat, évêque d'Arles, fondateur du monastère de Lérins, ayant à sa droite saint Clément, pape, et à sa gauche saint Lambert, évêque de Vence.

Ce triptyque — l'appellation est-elle bien exacte et peut-on considérer comme deux volets latéraux les deux étroites bandes dans lesquelles sont représentés, à droite et à gauche des groupes primitifs, six saints et saintes ? — est attribué par M. Guédy à Cimabuë. Je n'y retrouve pas cependant les caractères distinctifs de l'oeuvre du grand précurseur florentin, sa couleur sèche, plate et froide, la dureté de ses contours, l'expression étrange et vraiment byzantine de ses figures.

Le panneau de l'église de Grasse est probablement d'un primitif italien, bien que certaines attitudes et certains détails, tels que le gothique des inscriptions qui désignent les personnages, puissent légitimer l'hypothèse qu'il procéderait de l'école de Cologne; mais la finesse de la couleur et du dessin, la régularité et la douceur de la physionomie, le fini des vêtements, aux tons splendides, aux draperies d'une coloration transparente, lui assignent, à mon avis, une date postérieure au maître de Giotto et le classent parmi les contemporains de Gentile da Fabriano ou de Filippo Lippi.

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Comment cette oeuvre exquise est-elle devenue la propriété de l'église grassoise, et pourquoi le brillant saint Honorat avait-il été recouvert par un saint Barnabé, barbu et chevelu, aux pieds duquel se serait agenouillé un grotesque enfant de choeur? Les relations fréquentes des marchands de Grasse la Riche avec la Toscane pouvaient aider à résoudre la première énigme; le manque de goût de quelque prélat suffit à expliquer la seconde.

C'était, au contraire, un évêque ami des arts que Mgr de Mesgrigny qui, au milieu du siècle dernier, en 1747, commanda au peintre Subleyras la grande toile de l'Assomption, qui est considérée par beaucoup comme le chef-d'oeuvre de ce maître, et qui est le joyau des richesses artistiques dont je parle, La Vierge est représentée s'élevant au-dessus de la terre, le visage déjà illuminé par les clartés sans pareilles de l'Orient éternel, perdue dans une extase indicible. Ce n'est plus la jeune fille aux traits encore indécis des Immaculées Conceptions merveilleuses de Murillo. C'est la mère du Christ, la femme robuste; mais de quelle splendeur et de quelle beauté elle est revêtue '

Tandis que des anges aux poses les plus naturelles et les plus gracieuses se jouent autour d'elle en l'ornant de fleurs, un évêque, saint Léonce, revêtu de la chape aux riches ornements, aux plis majestueux, se tient debout auprès du tombeau et lève les yeux vers la radieuse vision. De l'autre côté, le cardinal saint Charles Borromée, l'autre patron de Mgr de Mesgrigny, est assis pensif et méditant sur le mystère. La pourpre de sa robe cardinalice jette une note éclatante dans ce coin du tableau, sans rien lui ôter de sa distinction. Tout est à louer dans cette toile: sa composition bien ordonnée, son dessin sans reproche, la suavité et la vigueur de son coloris et, tout au plus, pourrait-on regretter que l'importance donnée aux personnages accessoires détourne un peu


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l'attention du sujet principal. Il fallait bien que les patrons de l'évêque de Mesgrigny fussent en bonne place.

Je serai tout aussi prodigue d'éloges pour le grand tableau de Fragonard, le Lavement des pieds, qui se trouvait jusqu'à ces derniers temps dans la chapelle latérale du Saint-Sacrement et qui est maintenant placé dans le sanctuaire, à droite de l'autel principal. Cette oeuvre avait souffert, lors de l'incendie qui se produisit en 1795 dans l'église, transformée pendant la Terreur en magasin à fourrage, d'irréparables dommages de la fumée et de la chaleur.

L'habileté du restaurateur n'a pu les faire disparaître complètement. Elle demeure néanmoins une grande page. Fragonard a touché à tous les genres : peinture d'histoire, avec le tableau de Callirhoë sauvée par le sacrifice de Caresus; peinture légère, erotique, et c'est là qu'il excelle; peinture religieuse, avec la Visitation de la Vierge, qui fit partie de la galerie Randon de Boisset; l'Adoration des Bergers, de la collection du marquis de Veri, et avec le tableau du Lavement des pieds.

Il lui fut commandé, en 1751, par la confrérie du SaintSacrement, une corporation dont il serait intéressant d'étudier le rôle et les attributions dans la cathédrale de Grasse, et qui pourvoyait à l'ornementation et à l'embellissement de l'église. Elle le paya 7,000 livres à son compatriote, alors âgé de trente-deux ans.

L'effet en est mystérieux. Dans une vaste salle soutenue par des colonnes et éclairée par un lustre à trois lampes, les apôtres sont groupés autour du Sauveur, qui, revêtu de la tunique rouge sans couture, est agenouillé devant Pierre et lui lave les pieds. L'expression du visage du pêcheur de Galilée, un vieillard aux traits creusés et fortement accentués, est touchante d'humilité et de respect.


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A ses côtés se tient debout un autre apôtre, grave et méditatif. Une lumière discrète, dont l'éclat est distribué selon l'importance des personnages, est répandue sur tout le tableau et s'harmonise avec le coloris, très sobre. L'impression produite est moins saisissante que si le peintre eût cherché à réaliser quelque violente opposition de clair et d'obscur, un effet à la Rembrandt ; elle est peut-être plus douce et plus religieuse. Mais quel rôle joue donc dans la composition le personnage qui, en arrière du groupe principal, paraît vouloir embrasser une colonne? Fragonard voulait-il menacer quelque Philistin de l'ensevelir sous les ruines du temple?

Je dois citer encore, pour simple mémoire, une Circoncision de Maillard, artiste à peu près inconnu, qui la peignit en 1641. A signaler la tête expressive du grand prêtre.

Nous devons être fiers que notre département possède ces précieuses reliques de l'art; sachons les apprécier et les faire valoir à l'occasion. Elles ajoutent en quelque sorte à la gloire de notre grande école française, qui après tout ne le cède à aucune autre. C'est une raison de plus pour que nous les vantions jalousement !


ESSAI SUR LA SPÉLÉOLOGIE

DES ALPES MARITIMES

PAR

M. JULES GAVET



ESSAI SUR LA SPELEOLOGIE

DES

ALPES-MARITIMES 1

Une grande partie de ce département est composée de formations jurassiques et crétacées. Aussi les divers phénomènes d'érosion et de corrosion particuliers à ces terrains s'y rencontrent-ils nombreux, sans être bien considérables au point de vue spéléologique. Les excavations naturelles n'y atteignent nulle part les dimensions de celles découvertes dans les grands causses des Cévennes et du Languedoc. Quelques gouffres pourtant méritent une attention particulière.

On sait que le plus grand nombre des grottes sont creusées dans les diaclases que présente l'axe des plis synclinaux, et plus spécialement des plis anticlinaux. Ce fait a une explication toute naturelle : les eaux de ruissellement ont utilisé un domaine tout préparé, la ligne de fracture de ces plissements. De plus on les rencontre presque toujours dans les calcaires dolomitiques essentiellement prédestinés à l'érosion par leur texture hétérogène.

Le travail suivant, simple nomenclature de deux campagnes personnelles d'explorations souterraines, n'a d'autre prétention que de fournir quelques notes aux spéléologues que tenterait cette région, et aux touristes un but d'excursions agréables et instructives à la fois.

La description par commune nous a paru le mode d'exposition le plus simple pour l'intelligence des lecteurs. La plupart des cotes d'altitude indiquées sont basées

1. Voir les clichés à la fin du mémoire.


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sur les cartes d'état-major à courbes de niveau. D'autres ont été relevées à l'aide de diverses observations sur le baromètre holostérique.

ASPREMONT. — Du village, bâti à 13 kil. 400 de Nice, en demi-heure de marche par le chemin muletier de Levens, grimpant sur le flanc du mont Cima, on atteint la Balma d'Arena (Arena, sable) marquée sur les cartes. Cette excavation est située à gauche et à quelques minutes au-delà du col qui fait communiquer les bassins du Magnan et de la Garbe. La, Balma d'Arena est la plus grande grotte, — en surface, — que nous ayons visitée jusqu'à ce jour dans les Alpes-Maritimes. Orientée vers le N.-E., elle est creusée dans les Dolomies du Jurassique supérieur. Ses dimensions permettent un parcours total de plus de 150 mètres. La salle d'entrée, de belles proportions, mesure 48 mètres de large. Vers le fond à gauche, on dégringole d'environ 12 mètres dans un boyau bientôt fermé. A 5 mètres seulement de profondeur un couloir à droite donne issue dans une deuxième salle, s'élevant à 20 mètres de haut jusqu'à une cheminée qui nous a paru être un aven en formation.

Le sol de cette salle, dite du Dôme, est fortement incliné. En remontant la pente formée de blocs éboulés, on arrive dans plusieurs petites salles superposées, encombrées de carcasses d'animaux venus là un peu de toutes les façons. Concrétions, stalagmites fort rudimentaires, depuis un pillage en règle que la grotte a subi lors de la construction du château d'eau de la Vésubie à Gairaut. Des fouilles pratiquées dans la salle d'entrée fourniraient probablement des matériaux pour l'étude de l'homme préhistorique 1 (Voir Planche I).

1. Cette grotte est située sur la commune de Tourrettes-Levens. La visite s'en fait d'ordinaire par Aspremont.


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BAR ( LE ). — A 2 kilomètres, dans les bois de Gourdon, frôlant le bord même du chemin muletier qui monte à Caussols, bâille le Garagaï (ou gouffre). L'abîme mesure 17 mètres d'écartement majeur entre lèvres pour 8m,50 de petit axe ; sa profondeur extrême s'arrête à 28 mètres; néanmoins on peut le visiter sans cordes, grâce à un honnête talus. Tout au fond, sous la voûte en encorbellement, vaste salle large de 50 mètres. Sur la droite, un semblant de couloir aboutit devant un puits de 7 mètres clos de toutes parts. Le Garagaï est, à n'en pas douter, un gouffre d'effondrement dans les Dolomies jurassiques, si favorables à ces formations, peut-être même sur le parcours d'un des nombreux cours d'eau souterrains descendus de Caussols, bien que la théorie du jalonnement ne soit pas généralement exacte ou plutôt admise (Voir Pl. II).

CARROS. — Sur les terrasses descendant au Var, à 5 minutes N.-E. du village, est ouvert le gouffre de la Puade, également dans les Dolomies jurassiques qui ont glissé ici sur des marnes infraliasiques, déterminant une faille à travers laquelle passe la route de Gattières au Broc. Cet aven, d'environ 6 mètres d'ouverture, mesure 6 mètres de profondeur verticale, suivis d'un talus fortement incliné descendant encore une quinzaine de mètres. Malheureusement les habitants l'ont transformé en charnier, à telle enseigne que, lors de notre visite, la dépouille mortelle : d'un pauvre aliboron y gisait depuis quelques jours ; aussi les voluptueuses émanations qui s'échappaient de la gueule de pierre ont-elles bientôt enrayé toute velléité d'investigations.

CAUSSOLS. — Cette vaste écumoire de 2,000 hectares, entourée sur son pourtour de montagnes élevées (le haut.


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Montet 1.335 mètres et la crète de Ferrier 1.415 au Sud; une côte de 1,217 à l'Ouest; la montagne de Cahern ou Càlern au Nord varie entre 1.456 mètres et 1.340 mètres; enfin à l'Est 1.260 mètres environ) constitue une cuvette close de toutes parts. Les affleurements rocheux appartiennent aux strates, en majeure partie dolomitisés, d'une série de plis couchés de calcaires jurassiques et crétacés reposant sur le substructum normal triasique ; aussi les excavations n'y font pas défaut. Le gouffre de Saint-Lambert, qui avale un petit cours d'eau, a déjà été l'objet de plusieurs études 1. Mais combien d'autres existent qu'on ne soupçonne même pas ! Le petit plateau caussenard des Alpes-Maritimes doit, bon an mal an, déduction faite de l'évaporation, humer assez d'onde pour assurer la pérennité d'une foux à l'étiage absolu de 1.100 litres.

CHATEAUNEUF-VILLEVIELLE. — A un petit quart d'heure au sud des ruines de l'antique bourg, sur la rive gauche d'un timide vassal de la Garbe, on peut visiter trois excavations plutôt modestes : 1° au N. grotte-gouffre débutant au ras du sol par un puits de 9 mètres en forme de bouteille. Il chute dans une petite salle d'où se ramifient diverses galeries sans importance; 2° plus au S., boyau très humide, glissant, long de 56 mètres environ, que depuis des années on propose à l'admiration des étrangers (!) En vérité le choix aurait pu être plus heureux, car la richesse stalagmitique ne milite nullement en sa faveur; 3° quelque 50 mètres plus loin, dans la propriété Mari, puits oblique assez étroit, s'arrêtant à 20 mètres, dans lequel on trouve de curieuses concrétions.

1. Voir le très intéressant travail de M. A. Janet : l'Embut de Caussols. (Bull, de nov. 1898 de la Société de Spéléologie,) L'exploration de l'Embut. n'est pas encore terminée à l'heure actuelle.


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GOURMES. — Au quartier des Valettes, à la base même de l'escarpement de Courmettes, dans les Dolomies supérieures de l'Infralias, s'ouvre la Baume Obscure (S.S.O.), —dénomination fort commune, — dont la profondeur ne dépasse pas un parcours de 24 mètres ; cependant au fond les stalagmites ont formé une sorte de rideau très dense ; il se pourrait qu'au delà on découvrît de nouvelles salles.

EZE. — Malgré de nombreuses affirmations, la grotte des Fées n'a jamais traversé d'outre en outre le roc qui porte l'antique Isia, vulgairement devenue Eza. Au pied même, une excavation, — en partie creusée par les hommes pour extraire le sable des Dolomies, — que l'on donnait comme sortie de cet extraordinaire boyau, s'achève à 20 mètres (orientation sur le S. O.). Quant à l'entrée, elle est actuellement bouchée dans une sorte de terrier situé au-dessous des ruines du château, sur le versant de l'église (N.).

FALIGON. — Au N. du cimetière gît un gouffre comblé à 19 mètres de profondeur. En deux ressauts de 3 mètres on accède sur un cône d'éboulis très mouvant et dans une salle (?) de 11 mètres de large. Il paraîtrait que le premier puits a été foré en exploitant le sable dolomitique et qu'un beau jour le deuxième puits s'ouvrit tout à coup, engloutissant maints blocs.

Sur le flanc S. E. du mont Chauve il est un autre gouffre, les Rata-Pignata, beaucoup plus profond, dit-on, mais que nous n'avons pas encore exploré. Comme le précédent il est creusé dans la Dolomie du Jurassique supérieur.

GATTIÈRES.— Sur le flanc E. du Baou de la Gaude, la baume Boulet ne dépasse pas 30 mètres. Encore une légende vécue.


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GOURDON. — Série de grottes, des abris plutôt, dans le voisinage de la route venant du Pré du Lac, et sur la rive droite du Loup dans sa tonnante clus. Au pied mêmede la muraille verticale que surplombe le nid d'aigle de Gourdon, deux excavations sont à signaler : 1° la Frache, petite galerie de 19 mètres (S. E.), après des pluies prolongées donne naissance à une forte source laquelle dégringole en bonds précipités jusqu'à son seigneur et maître, la rivière du Cheiron; 2° la source du Figueiret sise à 60 mètres plus loin. Au fond d'un abri de 14m,50 de large s'ouvre un couloir ascendant. Il est rare que l'eau dont il est généralement envahi, permette une longue pénétration. Nous avons dû nous arrêter à 10 mètres seulement de l'entrée. Qu'une, trombe vienne à s'abattre sur la solitude pierreuse de Caussols, quelques heures après un déluge s'élance tumultueusement du Figueiret. C'est un des points par où vient ressortir ordinairement le foin englouti dans les embuts de Caussols.

GRASSE. — Par l'avenue Saint-Hilaire une route conduit en une demi-heure à la source des Ribes. Cette foux, tributaire de la Siagne, jaillit dans une propriété, au contact des marnes de l'Infralias (zone à Avicula contorta), à la base même du plateau Napoléon, par 421 mètres au-dessus de l'onde amère. Quinze mètres au dessus, creusé dans l'escarpement presque vertical, un couloir fortement érodé, conquis sur les Dolomies infraliasiques, constitue la grotte des Ribes. Le 28 octobre 1900, nous avons pu la parcourir en entier, c'est-à-dire jusqu'à 93 mètres; la source pérenne inférieure était alors à sec, fait très anormal 1. En période d'activité, l'eau arrive dans la galerie par diverses fissures

1. Il n'est pas toujours vrai qu'au-delà d'un siphon on puisse, à sa disparition, circuler en des galeries étendues.


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impénétrables à l'homme; puis elle disparaît dans des puits latéraux pour aller fournir son tribut à la font. Quand l'abondance est extrême, les puits ne suffisent pas à humer le liquide, qui poursuit alors sa route dans le couloir vers l'entrée pour s'épandre ensuite en une bruyante cascade du plus bel effet. Ce curieux spectacle est offert gratuitement presque chaque année.

Il est probable que l'aliment de cette source, comme celui de l'intarissable Foux de Grasse, vient de Caussols, ou tout au moins des environs de la Malle. Son débit atteignait 2m 3 le 11 novembre 1900 (Voir Pl. III ).

LUCÉRAM. — A 15 minutes au S. O. de cette charmante localité, sur le bord même d'un chemin charretier, sourd au pied d'un roc une autre Foux, superbe venue d'eau cristalline. Tout auprès s'ouvre le palais occasionnel de la Belle Ténébreuse à la chevelure d'émeraude. C'est une galerie, dite le Perthus du Drac ou Porte du Dragon, d'un parcours total de 102 mètres, avec largeur variable qui n'excède pas 6 mètres, pour une hauteur de 1 à 10 mètres. Elle s'achève en un bassin jumeau, où sommeille l'onde. En période d'expansion, quand les orages crèvent sur Peira Cava, les réserves profondément gonflées viennent par là déverser leur trop plein. La Foux de Lucéram est un vassal du Paillon sur la rive droite. Elle émerge par 620 mètres d'altitude, avec un débit moyen de 100 litres, son étiage absolu ne s'abaissant pas au-dessous de 30 litres. Températures : air extérieur, 14°; eau de la Foux, 12°; bassin final, 12° (Voir Pl. IV).

MALAUSSÈNE. — Avant de s'unir bruyamment à la farouche Tinée, à l'origine de ses clues formidables, le Var reçoit, de droite, l'hommage d'un sournois tributaire. L'Eau salée, —tel est son nom —s'échappe d'une fissure péni-


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blement élargie, passe sous la route nationale de Nice à Colmars, sous la voie ferrée du Sud de France, et s'abîme tout aussitôt dans le flot rapide du fleuve de Puget-Théniers. C'est à 100 mètres en amont de la défunte halte de la Mescla de sinistre mémoire qu'a lieu ce mariage, par 182 mètres d'altitude. La rivière de l'Eau salée draine une partie du flanc N. du mont Vial (1,551 mètres), et, au passage de marnes gypseuses très abondantes dans ces parages, devient légèrement alcaline. On ne peut guère surprendre les secrets de son parcours cryptique, car les extrêmes 40 mètres d'aval présentent la bagatelle de quatre siphons parfaitement amorcés. Par bonheur, en des jours de colère, le courant furieux, pressé de toutes parts, s'est creusé une série de boyaux parallèles qui nous ont permis de le remonter jusqu'en présence d'un lac profond de 4 mètres mouillant de toutes parts la roche à pic et qui semblait s'étendre assez loin. Là, pour le quart d'heure, s'est arrêtée notre première exploration.

Au-dessus de cette galerie accidentée et de la route même existe tout un réseau de couloirs, les plus éloignés, communiquant par deux gouffres avec la rivière souterraine dont ils sont sans doute l'oeuvre, à l'époque où plus abondantes arrivaient les précipitations aqueuses. Çà et là quelques cheminées s'élèvent jusqu'à 20 mètres, avens futurs, quelques-uns déjà formés, mais bouchés ensuite. Leur présence serait sans doute un argument en faveur de la théorie du jalonnement.

Le sol des galeries est recouvert d'argile peu ferrugineuse, d'enduit stalagmitique, ou bien la roche effleure, polie par le courant. Dans les premières, le plafond est constellé de gâteaux, du moins de rognons de silex pyromaques, distribués en guirlandes dans le sens des strates et associés à la dolomie magnésienne.


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Le cours d'eau actuel offre environ 60 mètres de boyaux accessibles et 250 mètres de galeries anciennes. Son débit en janvier 1900 atteignait 300 litres à la seconde. Températures (23 novembre 1899) : eau du Var, 6°; eau salée, 16°; grotte, 15°; air extérieur, 0° ( Voir Pl. V).

OPIO.— Sur la route de Saint-Pons, à droite et au-dessous d'un collet, s'ouvre la Baume Mayol, galerie longue de 95 mètres. Bien que de faible étendue, elle n'en offre pas moins un type intéressant pour l'hydrologie souterraine. En effet, à 31 mètres de l'entrée, on voit parfois cascader à droite un gentil ruisselet qui s'en va, alerte, sur les argiles de l'Infralias, jusqu'à l'extrémité N. O. de la grotte où il disparaît dans des plissements impénétrables. C'est un futur affluent de la Bragae.

PEILLE. — En remontant le Paillon jusqu'au-delà du moulin de la Verna, assis sur le torrent de Gaudissart, dans la clue même, au pied de l'escarpement, sur la route bâille l'antre qui donne issue à la source R.obin.

C'est un petit cours d'eau souterrain accessible à pieds mouillés sur 25 mètres seulement. A ce point la voûte s'abaisse, suivant la formule, et le ruisseau seul peut passer. Il est cependant à remarquer qu'il n'y a pas de siphon. Le jour de notre visite (5 mars 1899) la source Robin débitait environ 200 litres par seconde.

Voici les températures relevées : au fond de la grotte : air, 15°; eau, 17°; à l'entrée: air, 12°; eau 15°. Dans le parcours de 25m l'eau a donc perdu 2°.

ROQUEBRUNE. —Sur la route dite Corniche de Mer, le pont de Saint-Romain franchi, un chemin grimpe à gauche sur des terrasses cultivées. En cinq minutes on arrive


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devant un jardin miniature qui précède l'entrée de la Grotte de Saint-Romain. Celle-ci se compose d'un corridor unique ouvert dans les bancs du Jurassique supérieur, long de 48 mètres avec direction à peu près rectiligne ; l'entrée regarde le S. S. E., tandis que le fond est dirigé vers le N. O. Nulle part la largeur n'excède 5 mètres ; la hauteur atteint parfois 4m,50. A 27 mètres un petit couloir aboutit auprès d'un bassin qu'alimente un filet d'eau (17° en octobre). Décoration stalagmitique assez précaire. C'est pourtant un but de promenade pour les heureux hivernants de la Côte d'Azur, à défaut d'un Dargilan...

A cinq minutes au-dessus et à droite, deuxième grotte, minuscule il est vrai, mais remplie de délicieuses concrétions. L'invention de ces deux cavernes est due à l'exploration des carrières de pierres dont ces collines sont l'objet. Du Paillon à la Roya la chaîne est éventrée en de nombreux endroits, et les coups de mine mettent souvent à jour des vides rarement considérables, toujours ornés de cristallisations remarquables dont la découverte amène la destruction à peu près certaine.

ROQUEFORT. —Parmi les innombrables gerçures du. sol de cette commune, il faut citer, comme dignes de remarque :

1° Entre les quartiers du Débram, des Tours et de Camptrassier, à 20 minutes au sud de la route de Roquefort à la Colle, l'aven Alziary. Quatre murs délabrés le signalent de loin aux touristes. Sa mâchoire figée domine d'environ 250 mètres la Méditerranée. Ouverture de 1 mètre; profondeur verticale de 7m,60. A l'aide d'une solide corde on atterrit sur un cône d'éboulis, en une belle salle longue de 32 mètres, orientée N. N. O.; S. S. E. et affectant la significative forme bouteille. Sur la droite, un argileux couloir


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de 10 mètres débouche au N. O. dans une dernière salle (24 mètres), renfermant une série de colonnes, colonnettes stalagmatiques de plus bel effet. A ce point la profondeur totale atteint 16 mètres.

Cet aven est creusé dans les Dolomies du Jurassique supérieur disposé en strates horizontales. Sa formation semble due à une énorme pression hydrostatique interne qui a déterminé la crevaison de la partie supérieure. Les environs du gouffre n'offrent que peu de pente favorable à l'écoulement; aussi la plupart des eaux s'infiltrent lentement dans le sol jusqu'au contact de la couche imperméable. Cet aven a eu, paraît-il, des visiteurs en renom, Alphonse Karr, P. Mérimée, etc.

Les environs de l'aven Alziary possèdent encore d'autres abîmes, presque tous bouchés; un entre autres, absorbe à grand bruit, au bord du chemin des Terres-Blanches, les eaux d'une cuvette fermée, quand pleurent les anges! (Voir Pl. VI).

2° Sur un tronçon du vieux chemin de La Colle à Roquefort, en face des ruines d'un Castellas, s'ouvre la grotte de la Cabro d'Or 1, corridor assez uniforme s'étendant jusqu'à 56 mètres. Tout au fond, un bassin vide semble avoir, été le repaire intime de cette fameuse Cabro dont la légende a la vie singulièrement dure. Au cours de plusieurs visites dans des excavations à elle dédiées, nous n'avons pas eu encore l'honneur de faire sa connaissance.

3° A quinze minutes du siège de cette commune éparpillée aux quatre vents, sur le bord gauche du chemin desservant le château, le sol s'affaisse en un large entonnoir : c'est la Grotte-goule de Mougins. On peut pénétrer aisément jusqu'au fond (64 mètres) presque sans luminaire. Nous l'avons

1. Cette grotte dépend de la commune de La Colle.

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qualifiée goule, parce qu'elle avale de temps à autre un rivelet que lui envoient les jours orageux. Dans toute la longueur de la caverne on peut suivre très bien marqué le lit de cet éphémère filet qui, sans bruit, doucettement, chemine de chambre en chambre, s'attardant à chaque fissure jusqu'à la couche d'argile qui lui assurera l'intégralité de son flot. Au milieu de la première salle, large de 45 mètres, bée un puits profond de 5 mètres, sans issue. Le plafond de la deuxième, vers le N., est littéralement constellé de chéiroptères dont plusieurs mesurent jusqu'à 0m,35 d'envergure. Quelque 10 mètres plus loin l'onde disparaît vers le N. N. E. Elle doit avoir sans doute son renouveau dans le Vallon du Mardaric qui porte son hommage au Hurleur de Patarast (Voir Pl. VII).

ROURET (le).— Comme sa voisine Roquefort, la commune du Rouret se compose d'une série de bourgades, dispersées au petit bonheur sur de gracieux coteaux ensoleillés. Celle de Saint-Pons en est le siège administratif. Près de l'église s'amorce un chemin muletier, qui nous conduira en une mi-heurette vers le N. O. jusqu'au seuil de la Baume Robert, dans le ravin de Collebasse, 200 mètres au-dessus de l'ourlet des flots. Porche monumental (E. N. E.), précédant le couloir de cette rivière enténébrée. On peut s'aventurer presque à l'aise jusqu'à 80 mètres environ, non sans avoir franchi certaines cuvettes cristallines, paresseusement allongées dans le dédale. Au dernier détour à gauche, un gour profond d'eau délicieusement pure mouille la roche en tous sens. Il faut s'arrêter devant le siphon final.

Presque chaque année, quand les aures printanières ont fondu l'immaculée fourrure des monts, amenant un déluge dans les foux, le lac intime de Baume Robert se ride, le flot s'élève, caressant sa prison de pierre ; en tapinois il


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gagne le couloir patiemment creusé dans la Dolomie supérieure de l'Infralias. Peu à peu les dépressions se nivellent, les siphons s'amorcent et sous le porche un ruisselet fuit, à peine révélé par une chute en cascade. De minute en minute l'expansion grandit, devient ruisseau, torrent, avalanche.

Et ce beau tumulte dure un jour, deux jours; puis tout s'apaise par degrés. En quinze jours, il ne reste plus que les traces humides de la colère torrentueuse.

Il faut voir dans cette font accidentelle un nouvel exemple de source vauclusienne. La Sorguette du Rouret arrive au jour toute mignonne dans le thalweg de Collebasse, 100 mètres au-dessous de l'antre de sa terrible fille. C'est le principe d'un feudataire du Loup, sur la rive droite (Voir Pl. VIII).

SAINT-CÉZAIRE. — Les environs de ce village moyenâgeux forment un district essentiellement crevassé ; le sol sans cesse affouillé par l'onde s'effondre par place. Parmi ces blessures les plus remarquables nous citerons :

1° La grotte Dozol découverte fortuitement depuis dix ans à peine. Elle est située à 1,800 mètres N. E. du bourg, par 400 mètres d'altitude, au bas de la collinette de la Blaque (669 mètres). Elle débute en forme d'aven, se continue en galerie qui longe un gouffre (6 mètres) dit des Oreilles d'éléphant et aboutit à un 2e gouffre (10 mètres). A droite, vers E. N. E. elle se prolonge en remontant, sur abondant dépôt d'argile alluviale, le cours d'un ruisseau occasionnel. La grotte Dozol est assurément la plus belle des excavations fort loin à la ronde, bien que de dimensions modestes (100 mètres). De plus, son intelligent propriétaire et inventeur l'a parfaitement aménagée pour en rendre


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facile la visite aux étrangers. Ce bijou d'art naturel 1 est enchâssé dans les Dolomies Kiméridgiennes. L'ouverture se trouve dans l'axe d'un synclinal E.O., à l'endroit où commence à se marquer, par des dépôts de brèche caractéristique, le double étirement, si commun dans la région, des deux flancs disparus d'un pli.

2° Sur la rive gauche et à 100 mètres de Siagne, 4 kilom. au N. O. de Saint-Cézaire, 400 mètres en aval du barrage pour la prise des eaux de Cannes, au fond d'un lac ténébreux surgit la Foux de Saint-Cézaire, 243 mètres au-dessus de la mer. Son débit est fort variable : 150 litres par sécheresse extrême, 20,000 litres en régime torrentiel, la moyenne étant de 350 litres. L'issue extérieure des eaux est tellement étroite qu'au débondement des cataractes célestes elle ne peut suffire; l'élément liquide s'échappe alors par trois exutoires supplémentaires, à la façon des sources vauclusiennes.

Comme toutes les sources de la région, la Foux émerge au contact des argiles puissantes de l'Infralias, voisines des plaquettes jaunes à Avicula contorta, surmontées de Dolomies à débit prismatique, généralement claires et tout érodées de rainures perpendiculaires au plan de stratification.

Les plaines de Saint-Vallier et la grande cuvette de Saint-Cézaire pourvoient à la régularité de son débit comme à celui de plusieurs autres.

3° La plaine s'étendant au N. et au N. E. de Saint-Cézaire forme une cuvette fermée. Jadis un torrent, descendu des hauteurs du Pré de Merle (600 mètres), la transformait en un lac temporaire. De nos jours, les mille et une fissurations du sol suffisent à absorber les masses aqueuses. Rares sont

1. Voir A. Guébhard : Une grotte curieuse à Saint-Cézaire, 1896.


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les jours d'humidité dans le thalweg ; plus rares encore ceux où le flot peut cheminer jusqu'à une goule en forme de bouteille, profonde de 7m, 50, avec 2m, 50 entre lèvres, béant à même le lit, 100 mètres au-dessus de la borne kilom. n° 13 sur la route de Saint-Vallier. Ce boit-tout honoraire est connu sous le nom de Roure-Bé, c'est-à-dire chêne double, aujourd'hui disparu. Il se trouve exactement au point d'inflexion vers l'E. du rebord d'une rigole synclinale N. S. des calcaires blancs jurassiques supérieurs (Tithonique), à leur contact périclinal avec le Kiméridgien dolomitique 1.

Il existe encore sur ce territoire privilégié de nombreuses autres excavations qui feront l'objet d'une prochaine campagne. Dans quelques-unes, de simples abris comme toujours, on a découvert de nombreuses dépouilles préhistoriques 2 (Voir Pl. IX).

SAINT-JEANNET. — Sur un redan du Baou formidable (801 mètres) se trouve l'entrée (S.) de la Baume Obscure (encore une). Il n'est pas commode d'y parvenir, car il faut ascensionnel' un certain nombre de couloirs encombrés de pierrailles croulantes. Cette baume n'offre qu'un intérêt relatif, d'autant plus qu'elle est obstruée accidentellement depuis deux ans à 49 mètres vers le N. E. Elle est formée d'un couloir unique à section régulière, que doit emprunter un courant d'eau bu par l'éponge crayeuse des plateaux supérieurs. Los parois polies longitudinalement, deux petits lacs, laisses

1. Voir Carte géologique de Saint-Vallier de Thiey, par A. Guébhard,dans C. R. AFAS, XXII, p. 409, 1894.

2. Voir Bourguignat (1866-67, Société des Sc. nat. de Cannes, 1 et V), E. Rivière (1879-80, C. R. AFAS, 1880-82) et Bottin. Ann. Soc. Sc, L. et A des A.-M., passim.


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de la dernière trombe, ainsi qu'une poche d'avalement près de l'entrée en sont des preuves suffisantes. L'excavation est creusée dans les suprêmes assises du Jurassique, dont la prolongation se trouve 500 mètres au dessous, par suite de la faille de soulèvement du Baou.

SAINT-VALLIER DE THIEY. — Le sol supra-jurassique de cette commune est criblé d'un certain nombre d'excavations verticales, d'avencs, comme l'on dit dans le pays. Nous les signalerons brièvement : 1° sur la route de Grasse, à 200 mètres au N. du col du Pilon (780 mètres), près de la villa Maure et au bord même d'une carraire (chemin de troupeaux), on a dissimulé sous des blocs l'ouverture d'un gouffre profond de 34 mètres. Le fond est tapissé de jolies concrétions stalagmatiques; 2° tout au N. du village, sur les escarpements du Mortier, près la route de Caussols, existe un autre gouffre encore inexploré ; 3° sur le mamelon qui domine la rive droite du vallon do la Combe, 1,200 mètres au S. O. du village, à l'altitude de 708 mètres l'aven de Valens descend de .26 mètres en perpendiculaire et sert ordinairement de charnier aux habitants ; 4° vers le S. S. O. à 1,200 mètres l'aven de Plan Bousquet n'offre pas une profondeur supérieure à 7m,50; c'est un abîme d'effondrement ; 5° au S. et à 2,500 mètres de Saint-Vallier, non loin de la bergerie de la Grand Peço, gît par 715 mètres d'altitude l'aven de même nom ; celui-ci défaille de 30 mètres verticalement; son orifice supérieur mesure 7 mètres dans les deux axes. Tous ces abîmes, creusés au milieu d'une plaine offrant peu d'écoulement aux eaux pluviales, sont dus, sauf celui de Plan Bousquet, aux phénomènes d'érosion et de corrosion. Ils fournissent probablement l'aliment de la Foux de Saint-Cézaire, sur la rive gauche de la Siagne.


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TOURRETTES-SUR-LOUP. — Les grottes de la porte de France et des Deux Blaireaux ne sont pas dignes d'une citation. Malgré les croyances des villageois, on se trouve en présence de simples abris.

TURRIE (LA). — 1° Au-dessus du Righi d'hiver, sur un terrain communal, grotte du Coucou formée de deux salles reliées par un couloir; la dernière se termine à 59 mètres (S. S. E. - N. N. O.) par 475 mètres d'altitude.

2° Un peu plus bas un petit aven mi-partie artificiel dans les dolomies sableuses. Sa plus grande profondeur s'arrête à 9 mètres.

3° Sur le versant O. du chaînon de la Tête- de-Chien (ravin de Saint-Laurent) 50 mètres environ au-dessus de la route militaire, nous avons découvert dans la broussaille une grotte-aven miniature (16 mètres) que nous indiquons à titre de curiosité. Dans la saison pluvieuse, un ruisselet y circule venant du N. pour disparaître bientôt vers E. S. E.

4° En face de l'antique Portus Herculis, sur les flancs du promontoire de la Tête-de-Chien, — l'étrange corruption de Testo doù camp, — s'ouvre, par 250 mètres, la Baume Barriera, la plus vaste du littoral, de Nice à Menton, mais combien exiguë! Une salle de 37 mètres en longueur, assez accidentée, renfermant vers son extrémité O. un gour d'eau limpide délicatement festonné. A gauche, près de l'entrée, galerie de 10 mètres s'abaissant en deux ressauts jusqu'à 6 mètres. Un peu plus loin, gouffre de 6m,50, clos de toutes parts; enfin, 4 mètres au delà, galerie basse, très humide et contournée, terminée par un petit puits circulaire (2 mètres) qui reçoit et engloutit les suintements.

5° La barre que traverse en tunnel la Corniche de mer, présente deux excavations, dont l'une, la plus grande, la


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grotte du Cap d'Aglio, s'allonge de 30 mètres en deux salles et couloirs (direction S. O.-N. E.).

VENGE. — 1° Sur la route de Saint-Paul, à gauche, avant d'avoir atteint un ravin, affluent du Malvan, à 220 mètres d'altitude, il faut signaler la grotte peu importante de Canto-Merle, finissant à 38 mètres par un puits de 13 mètres, sans autre issue qu'une deuxième salle moins vaste que la première. A droite, vers le milieu, cheminée ascendante, aven en formation. Cette baume est creusée dans l'Eocène inférieur : elle doit une mention à ce seul titre.

2° La base de l'escarpement du baou des Blancs, (679 mètres) est percée d'un certain nombre d'excavations ; nous les indiquerons de l'O. à l'E., c'est-à-dire à partir de la route de Coursegoules. La grotte A n'est qu'un abri sous roche ayant servi d'habitation, au moins à des bergers, car il est en partie clos d'un mur et on relève, à l'intérieur, des traces de construction. Sur le côté, s'ouvre un tunnel de 10 mètres, dû au décollement des strates. Tout auprès, un petit boyau vertical s'affale jusqu'à 7 mètres. La grotte B. nouvel abri, ne présente qu'une cheminée de 8 mètres. A côté, l'érosion détermina la formation d'un cylindre parfaitement évidé et régulier. La grotte C, un peu plus vaste (E. N. E.), renferme différentes poches assez originales (ossements d'animaux). La grotte D est la plus importante, la mieux décorée : couloir très mouvementé, long de 62 mètres, cependant peu large. A mi-chemin, une haute fissure a tout l'air de servir de gouttière aux eaux tombées à la surface extérieure. Plus loin, le couloir revient dans la direction de l'entrée, mais à un niveau inférieur. Enfin, l'abri E, trop insignifiant, clôture cette série.


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VILLEFRANCHE. — Plusieurs puits de diverses profondeurs (20 mètres) découverts, à l'instar des grottes de Roquebrune, en exploitant les carrières sises au-dessus de la ville, sur le flanc E. du Vinaigrier.

En résumé, il a été exploré et levé deux grottes à cours d'eau pérennes, six types de sources à fonctionnement vauclusien, cinq cavernes encore utilisées accidentellement par des ruisseaux, une vingtaine de grottes ou abris, plus sept gouffres, au total trente-neuf excavations naturelles. La moitié environ des grottes et abris secs présentent extérieurement les caractères d'habitabilité préhistorique. C'est là que devront porter les fouilles futures.



Pl. I.

Pl. II.


Pl. III,

Pl. IV.


Pl. V.


Pl. VI.

Pl. VII.


Pl. VIII. Ext. du Bullet. du Club Alpin des Alp. Marit. de 1900.


Pl. IX; Ext. du Bullet. du Club Alpin de 1900.


ENTRÉE

DE

BONAPARTE A NICE EN 1796

Note extraite des Archives du Ministère de la Guerre

Communication de M. HENRI MORIS Archiviste des Alpes-Maritimes


L'" Instruction " que nous publions ci-après est conservée aux Archives du Ministère de la Guerre. Elle a été rédigée, en 1805, par l'ingénieur Martinel, pour le capitaine Baghetti, ingénieur géographe, auteur de l'intéressante gravure dont nous donnons la reproduction.

Les quelques éclaircissements que nous y ajoutons en note permettront au lecteur de mieux reconnaître le terrain.

Remarquons que Martinel attribue une date fausse à l'arrivée de Bonaparte à Nice. Ce n'est pas le 12 germinal an IV (1er avril 1796), mais le 6 germinal (26 mars) que le jeune général y fit son entrée.

Le départ des troupes eut lieu, le 13 germinal, après une revue passée sur la place Croix-de-Marbre. Une lithographie, signée d'Adam (J.-Victor), rappelle cet événement. Nous en donnons également la reproduction.

H. MORIS.


INSTRUCTION POUR LA VUE DE NICE

ET DE

L'ENTRÉE DU GÉNÉRAL EN CHEF DANS LA DITE VILLE 30 pluviôse an XIII (20 mai 1805)

Bonaparte, accompagné de quelques officiers de son état-major, entre dans la ville. — Un groupe de l'état-major général de l'armée, suivi de quelques compagnies d'infanterie et de cavalerie, vient à sa rencontre. — Les remparts annoncent, par le feu de l'artillerie, son arrivée, qui eut lieu le 12 germinal an IV (1er avril 1796).

Lorsque je suis parti pour faire dessiner cette vue, j'avais le projet de chercher un site d'où je pus montrer à la fois la ville, le fort de Nice, les retranchements de Montalban, la mer et la tour du fanal de Villefranche. Tous alors eussent reconnu Nice, et la vue de ces divers objets me paraissait pouvoir s'allier avec l'entrée dans cette ville du vainqueur de l'Italie.

Mais qu'on est éloigné, quoiqu'on connaisse parfaitement un site, de pouvoir avoir de loin des idées assez précises pour n'être pas trompé dans ses calculs! En effet, montant au sortir de la ville, par les collines de droite, après avoir traversé le Paglion 1, on aperçoit tout l'ensemble que je

1. Le Paillon, torrent qui sépare aujourd'hui la nouvelle ville de Nice de l'ancienne.


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m'étais figuré ; mais il n'y a pas moyen de montrer de là Bonaparte, et le but du tableau aurait été manqué. Il a donc fallu revenir sur les rives du Paglion.

Des bords de cette rivière, tout près de son embouchure, tout au midi, on voit une partie de la ville et la mer, et regardant au nord, on voit le Château de Villefranche. Ce premier tableau serait très avantageux sans doute pour le coup d'oeil ; mais ce ne serait, pour la plupart des spectateurs, pas plus Nice qu'une autre ville de la côte. Sur la gauche du Var, il en est encore absolument de même.

Il a donc paru préférable, après avoir calculé les avantages qu'offrait chaque point de vue, de choisir, pour dessiner ce tableau, celui de la porte du jardin de la veuve de l'apothicaire Ciastrous, sur la route du Paglion 1, cent mètres environ au-dessus du pont de pierre qui sert de communication du faubourg à la ville. On peut cependant reprocher à celui-ci de ne montrer qu'une partie de la ville. Il eût été à désirer que le tableau l'embrassât tout entière. Mais celui-ci, servant comme d'avant-propos à l'histoire du héros de ce siècle, il faut le montrer dans cette vue de la manière la plus avantageuse, et, si l'angle optique était très ouvert, les figures deviendraient presque imperceptibles. Il faudrait, s'il était possible, que cette vue prédît au spectateur tout ce qu'il doit attendre de l'arrivée de Napoléon à l'armée d'Italie.

On aperçoit, du point choisi, les restes du Château de Nice, jadis célèbre pour avoir résisté à François 1er et à Barberousse ; mais il céda aux talents de Catinat, puis de Berwick 2. Cette ville eut encore le même sort en 1744, sous le commandement du prince de Conti. Elle fut moins bien

1. A peu près à l'emplacement actuel de l'église du Voeu.

2. François 1er et Barberousse assiégèrent Nice en 1543. La ville fut prise par Catinat, en 1691, et en 1706, par Berwick, qui fit sauter le Château.


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défendue par l'armée sarde, les premières années de la Révolution 1, et celle-ci ne donna pas, dans cette occasion, les mêmes preuves de valeur que les dernières années, en défendant les Etats de son souverain.

En l'an IX, le général Suchet, séparé de Masséna, dut l'abandonner un instant. Mais, le chef de bataillon Martinel, officier ingénieur de son état-major, y rentra à la tête de quelques houzards et y fit 200 prisonniers, parmi lesquels un major et quelques officiers, et rétablit ainsi la communication entre les troupes du Château de Villefranche et l'armée française. Depuis cette époque, elle a toujours été réunie à l'Empire français.

On aperçoit, dans cette vue, une partie de la ville de Nice, le petit clocher du couvent de Saint-François, le dôme et le clocher de Sainte-Réparate, enfin les bâtiments qui bordent la rue appelée les Bastions (cette rue côtoye la rive gauche du Paglion). On arrive de cette rue, par une double rampe, sur le pont de pierre de ce torrent impétueux 2, et, de là, suivant le quai de droite, on parvient sur la route de France, passant sur la place Sàint-Jean-Baptiste 3.

Un peu au-dessus du pont, mais plus près du niveau des eaux que la rue dite des Bastions, est un jardin planté de grands mûriers, qui interceptent, pendant un très court intervalle, la vue de ce qui se passe dans cette rue.

Sur le quai de droite sont de même quelques arbres, qui formeront un repoussoir agréable pour votre tableau.

La ville de Nice (Nicaea) est très ancienne ; elle doit sa fondation, ainsi que Marseille, aux Phocéens. Ils ont cons1.

cons1. le 29 septembre 1792 que les Français entrèrent dans Nice, abandonnée par le général de Courten, qui entraînait dans sa fuite les fonctionnaires et les magistrats.

2. Le Pont-Vieux — en face le Lycée — bâti en 1531, et qui débouchait sur les remparts à la porte Saint-Antoine. Cette porte, démolie depuis quelques années, a été rétablie dans son état primitif au Château. Son arc était ogival et non plein-cintre, comme le semblerait faire croire la gravure.

3. Aujourd'hui, place du Lycée.


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truit la première, revenant d'une expédition contre les Liguriens. Elle est située aux pieds des collines les plus riantes : le climat en est délicieux, ce qui y attirait, avant la Révolution, beaucoup d'étrangers.

Elle a passé fréquemment, comme nous l'avons dit, sous la domination française et est toujours revenue à la Maison de Savoie, à qui elle se donna pour la première fois en 1388. Elle était capitale d'une province hérissée de montagnes, produisant cependant des vins exquis et des olives. Malgré ces avantages qu'on ne peut lui contester, ses habitants sont très pauvres ; ils sont aussi généralement braves et spirituels. Il a toujours existé entre eux et les Piémontais une antipathie marquée.

Si le Gouvernement français avait été moins généreux, on devrait peut-être reprocher ici à ses habitants leur conduite pendant la guerre vis-à-vis les Français. Mais tout ce qui est vraiment digne de ce nom fait profession d'oublier tous les crimes qui ont pris leur origine dans la Révolution. D'ailleurs, on pourrait peut-être trouver le moyen de couvrir plusieurs des excès commis par eux sous le voile de la fidélité et de l'amour dont ils fesaient profession pour leurs rois. On désirerait les voir marcher maintenant plus volontiers sous nos drapeaux victorieux, après la clémence que leur a annoncée le Gouvernement français ; mais la réquisition y éprouve toujours les plus grands obstacles.

Nice est maintenant capitale du département des AlpesMaritimes, qui est exactement, pour ses limites, l'ancien comté de Nice. La population de ce département est de 92,360 habitants, y compris la ville qui est de 21,000. La population de cette ville a beaucoup diminué depuis la Révolution, en raison de l'émigration, qui a été considérable, et de la moins grande quantité d'étrangers qui y viennent.


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Ce département a la gloire d'avoir donné naissance au célèbre Dominique Cassini.

Schérer, vainqueur des Pyrénées, paraissait trop âgé pour conduire une armée où les maladies, la misère et le malheur avaient, depuis quelque temps, comme fait tolérer l'indiscipline, et de laquelle le Directoire allait exiger de grands mouvements. Napoléon avait déjà donné des preuves de ses talents à cette même armée, et plus encore à Toulon. Barras parut le premier apprécier ses moyens, et, de Paris, il fut envoyé en Italie pour s'opposer à Beaulieu, à qui l'Empereur venait de confier l'armée autrichienne, qui avait été recrutée et fournie de tout ce qui lui était nécessaire.

Des renforts étaient arrivés d'Espagne, des armes, quelques secours, mais en petite quantité. Enfin l'armée française était de 35,000 hommes et l'armée piémontaise et autrichienne offrait, non compris les milices, 50,000 fusils. (On a porté ici le nombre des combattants sur la ligne ; car ces deux puissances alliées paraissaient mettre le même amour-propre à présenter des armées nombreuses sur les états; mais jamais celles-ci n'ont paru sur la ligne). Bonaparte n'est point inquiet de sa position. Il vient à l'armée, écoute toutes les réclamations, montre de la sévérité, ou, pour mieux dire, une volonté bien décidée aux administrations, en obtient tout ce qui est possible dans la circonstance et dit, à ce qu'on assure : « Vaincu, j'aurai trop; vainqueurs, nous n'avons besoin de rien 1. » Bientôt, on aperçoit le fruit de ses talents et de sa détermination. Je ne dis rien ici du représentant du peuple

1. Nous remarquerons que Martinel ne parle pas de la fameuse proclamation que Bonaparte aurait adressée aux troupes, au moment d'entrer en campagne : « Soldats, vous êtes

nus, mal nourris, etc » Disons, à ce propos, qu'elle n'a jamais fait l'objet d'un ordre du

jour, Elle est seulement le résumé des harangues prononcées devant les officiers des demibrigades, que le nouveau commandant en chef passait tous en revue. Sans avoir aucun caractère officiel, elle reflète donc exactement les sentiments nouveaux dont Bonaparte voulait pénétrer les troupes.


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qui fut destiné à l'armée avec lui ; autant ils étaient la terreur des autres généraux, autant celui-ci réduisit peu à peu leur influence. Le Directoire admirait et donnait, chaque jour, de nouveaux et justes éloges aux succès inespérés du jeune héros.

Bonaparte arriva à Nice, en voiture, à 4 heures et demie après midi, un très beau jour, et passa le Var à gué. Rien n'annonçait qu'il fût attendu, ni son arrivée. Il logea maison Sauvague 1, au quatrième étage, où il reçut les visites des différentes autorités. L'adjudant général Hullin commandait la place à cette époque. Quelques troupes, dans une revue que donna le nouveau général en chef, se permirent des réclamations qui sentaient l'insubordination ; elles furent immédiatement châtiées. Il ne passa que huit jours environ à Nice, et, en partant, il obligea toutes les administrations militaires à suivre l'armée, ce qu'elles n'avaient point fait encore.

Presque tout est idéal dans le tableau que vous allez exécuter. Mettez donc tout l'appareil possible à cette entrée. Le site que nous avons choisi, qui est le seul où pût passer un convoi militaire en arrivant de France, prête infiniment à une entrée triomphante.

Que Bonaparte soit seul sur le pont ; qu'on voie en tournant, prêts à y arriver, trois ou quatre officiers à sa suite, et, derrière eux, une petite escorte de cavalerie.

Que les rampes du pont de la rive gauche soient garnies d'un rang d'infanterie ; que l'état-major de l'armée descende par la rampe droite, pour complimenter le général en chef, et qu'on voie, par la rampe opposée, descendre un escadron de cavalerie destiné à suivre le général, dès qu'il aura remonté la rampe droite avec l'état-major.

1. Cette « maison Sauvague», ou plutôt Sauvaigo, plus connue sous le nom de « maison de Nieubourg », est située rue Saint-François-de-Paule, 4, et occupée par les Bains Polythermes. C'est l'ancien palais de l'Intendance, élevé en 1770 par l'administration sarde.


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Que de l'infanterie en bataille se voie au-delà du pont, sur la route que doit tenir le général pour aller à son logement, et qu'un corps de cavalerie, marchant encore et venant de la place de la République 1, par laquelle est censé être venu l'état-major, s'aperçoive en face du point dont vous avez pris la vue. La foule qu'on doit voir aux fenêtres et sur tous les points qui ne sont pas réservés au passage du cortège, ainsi que les salves d'artillerie partant du fort, doivent annoncer encore dans votre tableau un spectacle d'un grand intérêt pour cette ville.

Vous avez été déjà si souvent à portée d'admirer les conquêtes, les conceptions et les marches savantes de Napoléon, qu'il n'est plus nécessaire de vous les rappeler. Ajoutez encore à cet ensemble les travaux immenses qui s'exécutent sur toute l'étendue de l'Empire français, des ports creusés, des canaux ouverts, de grandes et belles routes présentées au commerce sur des sites où l'on regardait comme impossible de jouir de cet avantage 2; Bonaparte créant des Etats nouveaux et en rayant à jamais de la liste de ceux existants; et, pénétré de ces grandes idées, essayez avec vos pinceaux de rendre tout ce que ce tableau doit présager à l'histoire.

1. Aujourd'hui, place Garibaldi.

2. Note du comte Martinel. — Le département des Alpes-Maritimes présente celle qui de Nice doit conduire à Gênes, pratiquée au milieu des roches calcaires escarpées et déjà ouverte de Nice à Eza ; c'est un des travaux étonnants qui s'exécutent sous le règne du 1er Empereur des Français (route dite de la Corniche).



AUTHENTICITÉ DES CENDRES DE MARCEAU

DÉPOSÉES AU PANTHÉON

par M. HENRI MORIS Archiviste des Alpes-Maritimes



LES CENDRES DE MARCEAU

AU PANTHÉON

Une polémique s'est engagée récemment, dans quelques journaux de Paris, au sujet de l'authenticité des cendres de Marceau qui ont été déposées solennellement au Panthéon le 4 août 1889. Cette polémique avait pour origine la proposition faite par un petit-neveu du héros, M. Ludovico Sergent-Marceau, domicilié à Treviglio (Italie), qui offrait de céder au Musée de l'Armée ce qui reste des cendres de son parent.

La question intéressant la ville de Nice et nous-même — puisque c'est à la suite de la découverte que nous avons eu la bonne fortune de faire dans les Archives des AlpesMaritimes que la translation des cendres, conservées au cimetière du Château de Nice, a eu lieu — nous croyons de notre devoir de mettre de nouveau sous les yeux du public les. pièces officielles du procès; nous disons « de nouveau », car elles ont déjà paru, du moins pour la plupart, dans le Temps, en janvier 1889, et elles ont fait, à cette époque, le tour de la presse.

M. Ludovico Sergent a raison, quand il dit qu'il possède des cendres de Marceau; il a tort quand il prétend que tout ce qu'il en reste aujourd'hui est entre ses mains.

Après la mort d'Antoine-François Sergent-Marceau, beau-frère du général, survenue à Nice le 24 juillet 1847, le marquis de Châteaugiron, consul de France dans cette ville, adressa, avec quelques autres objets, à son neveu Antonio Sergent, faisant fonctions de secrétaire à la Direction des Constructions publiques à Milan, un coffret con-


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tenant des cendres de Marceau. Le destinataire accusa réception de l'envoi, le 15 janvier suivant' 1.

Mais il y avait un autre coffret, dont Sergent parle dans son testament, quand il écrit, le 12 juin 1847: « Suivant ma volonté dernière, je devrai être enterré sous le marbre qui recouvre les reste d'Emira. On préviendra le fossoyeur qu'il prenne soin de ne pas le briser et qu'il faudra le replacer après ma sépulture 2 ».

Le dépôt de ce coffret dans la tombe d'Emira Marceau est d'ailleurs constaté par un procès-verbal que possèdent les Archives des Alpes-Maritimes 3 et que le Ternps a reproduit. Ce procès-verbal, le voici :

PROCES-VERBAL

CONCERNANT LE PLACEMENT D'UN MARBRE LAPIDAIRE

SUR LA TOMBE DE MADAME SERGENT-MARCEAU

(16 JUIN 1834)

L'an mil-huit cent trente-quatre et le seize du mois de juin, à 7 heures de l'après-midi, nous, François-Charles Defly, premier employé du Consulat de France à Nice (Etat sardé), chancelier délégué, en vertu de l'article 4 de l'ordonnance royale du 24 août 1833, par M. Joseph Borg, vice-consul chancelier chargé, en l'absence de M. le comte de Canclaux, consul de France en cette résidence, de la gestion de ce Consulat de France, nous nous sommes transporté, sur la réquisition du sieur Antoine-François Sergent-Marceau, homme de lettres, Français, résidant à Nice et immatriculé en cette chancellerie, accompagné de M. Joseph Borg, vice-consul, gérant le dit Consulat de France à Nice, et des témoins ci-dessous dénommés, à l'effet de placer une table de marbre, portant l'épitaphe

1. Lettre, datée de Milan. Arch des Alpes-Marit., fonds du Consulat de France à Nice.

2. Nous ne parlons pas d'un troisième coffret, qui avait été offert par la femme de Sergent, Emira Marceau, à Constantin Maugars, l'ami d'enfance et l'aide de camp de son frère, et qui est conservé à Chartres, sous le socle de la statue inaugurée en 1851.

3. Arch. des Alpes-Marit., fonds du Consulat de France.


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dont la teneur suit, sur le terrain où furent déposés, le 8 mai de l'année précédente, les restes mortels de Mme Emira Marceau-Desgraviers, épouse du requérant, soeur aînée de feu le général Marceau, commandant l'arrière-garde de l'armée de Sambre-et-Meuse, mort de ses blessures, âgé de vingt-sept ans et demi, en septembre .1796.

Arrivés à la tombe qui renferme le corps de feu Mme Sergent-Marceau, nous avons assisté au placement de la pierre tumulaire en marbre, portant l'inscription mentionnée plus haut et conçue en ces termes :

ICI REPOSE

LA SOEUR CHÉRIE

DE L'ILLUSTRE GÉNÉRAL MARCEAU

SON ÉLÈVE

EMIRA MARCEAU-SERGENT

MORTE LE VI MAI 1834

EN SA 81e ANNÉE

FILLE PIEUSE

TENDRE SOEUR

AMIE INCOMPARABLE,

MODÈLE DES ÉPOUSES

SOUTIEN DES MALHEUREUX

AIMÉE, HONORÉE

PENDANT 60 ANS

PLEURÉE DE TOUS

A FR. SERGENT-MARCEAU, FRANÇAIS

HOMME DE LETTRES

P.-L.-A. SERGENT-MARCEAU

LEUR FILS ADOPTIF

PRIEZ POUR ELLE !

Là, le sieur Sergent, requérant, nous a déclaré, en nous priant de le consigner dans le présent procès-verbal, que feu le général Marceau, étant né d'un second mariage du


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père de la dite dame Sergent-Marceau et ayant été toute sa vie repoussé par sa mère, fut élevé par Emira, sa soeur ; que ses dernières paroles s'adressèrent à cette soeur chérie et qu'il s'était ainsi exprimé : « Je ne regrette qu'elle, je lui dois ce que je puis valoir »; que le corps du dit général Marceau fut brûlé avec pompe près de la ville de ' Coblentz, en présence d'une partie de son armée, et que ses cendres reposent dans un tombeau que cette même armée lui a élevé sur la rive du Rhin. « Je regarde comme un devoir, nous a dit M. Sergent-Marceau, de réunir près de cette chère soeur, institutrice du héros, quelque peu de ces cendres qu'elle possédait et qui avaient été extraites par le général Bernadotte, son frère d'armes ». Et, en notre présence, il a déposé sous la pierre tumulaire déjà mentionnée, au-dessous de l'endroit où commence l'inscription, un vase qui les renferme: 1° dans un autre vase de porcelaine blanc, contenant son portrait, quelques gravures historiques et une courte notice écrite sur du vélin; 2° dans une boîte en plomb qui contient le vase, avec cette inscription gravée sur une plaque en cuivre : « Cendre (sic) du général Marceau ». Le tout placé dans un vase de faïence, scellé hermétiquement et rempli de poussière de charbon.

Après quoi, le sieur Sergent-Marceau nous a requis de lui donner, comme nons lui donnons par le présent procèsverbal, acte de ce dépôt autorisé par M. le vice-président du Sénat de Nice, le 31 mai 1834, enregistré le 2 juin courant, comme et aussi de lui en délivrer deux doubles, dont il nous a déclaré vouloir garder l'un par devers lui et former un dépôt de l'autre dans l'hôtel de ville de Nice, pour mémoire de ce monument de l'amour conjugal et des regrets de plusieurs Français et d'habitants de cette ville qui ont voulu donner à la gloire du général Marceau et à


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leur respect pour la vertueuse Emirà, sa soeur, ce tribut, qu'ils ont désiré partager comme hommage avec son époux inconsolable. Le sieur Sergent-Marceau nous a ensuite requis d'insérer dans le même procès-verbal la déclaration suivante : « Ma volonté est que mon corps repose ici, à, ma dernière heure, réuni à ce que j'ai eu de plus cher ».

Après quoi, nous avons clos le présent procès-verbal, le jour, mois et an que dessus, à huit heures de l'après-midi, en présence de Messieurs Jean-Louis Defly, propriétaire, et Joseph Matignon, instituteur, tous les deux Français, demeurant à Nice, immatriculés en cette chancellerie, majeurs, témoins requis, lesquels ont signé, après lecture faite, avec M. Borg, vice-consul, gérant le Consulat de France à Nice, M. Antoine-François Sergent-Marceau, requérant, et nous, François-Charles Defly, chancelier, délégué, recevant.

Signé : Jean-Louis Defly, propriétaire, Français. — Signé : Joseph Matignon. — Signé : Joseph Borg. — Signé: Sergent-Marceau.—-Signé: Charles Defly.— POUR COPIE CONFORME : Le vice-consul chancelier,

Signé : Joseph Borg.

Mais, dira-t-on, ce précieux vase a pu disparaître. Il n'en est rien. Le 25 juillet 1889, ainsi que le constate le document suivant, il a été retrouvé exactement à l'endroit indiqué, et exhumé en présence de M. Noël Parfait, délégué du Gouvernement, de M. le préfet des Alpes-Maritimes, de M. le maire de Nice, etc.

PROCÈS-VERBAL D'EXHUMATION DES CENDRES DE MARCEAU

L'an mil huit cent quatre-vingt-neuf, le 25 juillet, à

deux heures de l'après-midi, il a été procédé, dans le cimetière

cimetière Château à Nice, à l'exhumation des cendres de

16


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Marceau, déposées dans le tombeau d'Emira Marceau, sa soeur, en présence de MM. Noël Parfait, député, spécialement chargé par M. le ministre de l'Intérieur du soin de recueillir et de transporter ces cendres à Paris, et de M. Hervieu, député, secrétaire de la commission spéciale de la Chambre, M. Henry, préfet des Alpes-Maritimes, M. le comte de Malausséna, maire de Nice, M. le vicomte du Moiron, procureur de la République, et M. Maillet, conseiller de Préfecture, désigné par le préfet; les représentants de la presse locale étaient également présents.

Avant l'ouverture de la tombe, M. Noël Parfait donne connaissance des documents suivants :

1° Une lettre de faire-part du décès d'Emira Marceau, à la date du 6 mai 1834, portant ces mots en note : « Dans le même tombeau ont été déposées des cendres du général Marceau, en présence du consul de France, de son chancelier et de deux témoins ; le procès-verbal a été remis à la municipalité de Nice » ;

2° Un procès-verbal concernant le placement d'un marbre lapidaire sur la tombe de Mme Sergent-Marceau (16 juin 1834).

Après la lecture de ces documents, les ouvriers requis procèdent aux fouilles, et découvrent bientôt, à l'endroit indiqué par les documents ci-dessus, c'est-à-dire près de la tête d'Emira Marceau, les débris d'un premier vase en terre de poterie commune. Ce vase contenait les débris d'un second vase en faïence blanche, rempli de poudre de charbon, dans laquelle était plongée l'urne de plomb renfermant les cendres. L'urne portait, sur une plaque en cuivre, l'inscription suivante : « Cendre du général Marceau. »

L'authenticité de l'objet des recherches prescrites par le Gouvernement se trouve ainsi absolument constatée.

L'urne de plomb contenant, ainsi qu'il vient d'être dit,


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les cendres de Marceau, a été remise à M. Noël Parfait, député d'Eure-et-Loir.

En foi de quoi a été établi le présent procès-verbal, en double expédition, dont l'une, destinée au Ministère, a été remise à M. Noël Parfait, l'autre, déposée aux Archives de la Préfecture des Alpes-Maritimes.

Le député d'Eure-et-Loir, délégué du Ministère de l'Intérieur, Signé : Noël-Parfait. —Le député de l'Yonne, secrétaire de la Chambre des Députés, Signé : Henri Hervieu. — Le préfet des Alpes-Maritimes, Signé : A. Henry. — Le maire de Nice, Signé : comte de Malausséna. — Le procureur de la République : Signé : F. du Moiron. — Le conseiller de préfecture, délégué, Signé : Mailliet,

Le 27 juillet, à 11 heures du matin, M. Noël Parfait remettait la relique dont il était le dépositaire entre les mains de M. Alphand, délégué du Gouvernement, et un nouveau procès-verbal était rédigé, à cette occasion,

PROCÈS-VERBAL

du dépôt des cendres de Marceau (François-Séverin), général des armées de la République, né à Chartres (Eure-et-Loir), le 1er mars 1769, tué à l'ennemi Altenkirchen (Prusse Rhénane), le 23 septembre 1796, effectué par M. Noël Parfait, délégué du Gouvernement, entre les mains de M. A. Alphand, délégué du ministre de l'Intérieur.

L'an mil huit cent quatre-vingt-neuf et le vingt-sept juillet, à onze heures et demie du matin, dans le cabinet de l'inspecteur général des Ponts et chaussées délégué du mimistre de l'Intérieur, au Champ de Mars, avenue de la Bourdonnais, n° 22.


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Nous, soussignés, déclarons avoir reçu des mains de M. Noël Parfait, député, délégué du Gouvernement, un cylindre en plomb, de six centimètres et demi de hauteur, de six centimètres de diamètre, portant sur une plaque de cuivre l'inscription suivante : « Cendre du général Marceau ».

En foi de quoi, nous avons signé le présent procès-verbal, lesdits jour, mois et an que dessus.

Le député délégué du Gouvernement,

NOËL PARFAIT.

L'inspecteur général des Ponts et chaussées, délégué du Ministre de l'Intérieur,

ALPHAND.

Le même jour, à 2 heures 1/2 du soir, M. Alphand s'est rendu au Panthéon.

Sur le perron de l'édifice, il a été reçu par l'architecte conservateur, M. Le Deschault, qui avait à ses côtés deux secrétaires des directeurs des travaux de la ville de Paris, MM. Saillard et de Mallevoue.

Le petit cortège n'a fait que traverser l'édifice, et, précédé d'un gardien portant une lanterne, est descendu dans le sous-sol où se trouvent les caveaux.

Le gardien a été congédié sur le seuil de la grande porte qui donne accès aux caveaux, et c'est le conservateur du monument qui a lui-même pris la lanterne et conduit M. Alphand au caveau dans lequel on devait placer les restes de Marceau, et qui se trouve tout près de celui où reposent ceux du maréchal Lannes.

M. Alphand, délégué du Gouvernement, a alors déposé les cendres qui lui étaient confiées dans une urne, qui a été ensuite scellée.


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Puis, MM. Le Deschault, conservateur du Panthéon, et Alphand, ont signé sur place le procès-verbal suivant :

PROCÈS-VERBAL

du dépôt des cendres de Marceau (François Séverin), général des armées de la République, né à Chartres (Eure-et-Loir) le 1er mars 1769, tué à l'ennemi, à Altenkirchen (Prusse Rhénane), le 23 septembre 1796.

L'an mil huit cent quatre-vingt-neuf et le 27 juillet, à deux heures et demie de l'après-midi, au Panthéon.

Nous, soussignés, déclarons avoir reçu des mains de M. Alphand, délégué du ministre de l'Intérieur, un cylindre de plomb de six centimètres de diamètre, portant sur une plaque de cuivre l'inscription suivante : « Cendre du général Marceau », lequel a été déposé dans une urne de pierre dans le caveau n° 6, dont nous gardons la clef.

En foi de quoi nous avons signé le présent procès-verbal desdits jour, mois et an que dessus.

Le délégué du Ministre de l'Intérieur,

ALPHAND.

L'architecte du Panthéon,

LE DESCHAULT.

Tels sont les documents qui prouvent péremptoirement que les cendres de Marceau déposées au Panthéon sont bien authentiques. Nous espérons qu'ils seront de nature à clore définitivement le débat.



RAPPORT DE M. BOUSQUET

PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ

SUR LES TRAVAUX DE L'EXERCICE 1898-1899

MESDAMES, MESSIEURS,

Mes premières paroles doivent tout d'abord aller à M. le général Caze, qui a bien voulu se distraire de ses nombreuses occupations pour venir présider cette réunion. C'est un témoignage de haute sympathie dont nous apprécions tout le prix et, au nom des Sociétés qui sont représentées ici, je le prie d'agréer l'expression de notre respectueuse reconnaissance.

En me chargeant du soin de vous exposer ses travaux, la Société des Lettres, Sciences et Arts des Alpes-Maritimes m'a fait un très grand honneur, mais aussi un honneur très périlleux et dont je sens tout particulièrement le danger aujourd'hui. J'en serais effrayé si je ne savais d'avance, Mesdames et Messieurs, que je puis compter sur toute votre indulgence. J'en aurai certainement besoin ; vous ne me la refuserez pas, j'en suis persuadé, car ma tâche* est fort lourde : notre réunion, en raison de circonstances diverses, n'a pas pu avoir lieu l'an dernier ; je dois donc vous rendre compte des travaux de deux années.

Notre savant confrère, M. le docteur Guébhard, dans le dernier compte rendu qui vous a été présenté, vous disait, dans un magnifique langage, que les travaux de notre Société pendant l'année 1896 avaient été intéressants et nombreux. Laissez-moi vous dire tout de suite, sans fausse modestie, avec même une petite pointe d'orgueil, qu'en 1897 et en 1898 on a très sérieusement travaillé dans notre compagnie et que les études particulières de beaucoup de nos membres ont été appréciées avec faveur, non seulement à Nice, mais dans les milieux scientifiques les plus autorisés. Vous allez d'ailleurs en juger par l'analyse, forcément sommaire, que je vais en faire.


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C'est notre vénéré et toujours vaillant M. Brun, secrétaire perpétuel, qui a ouvert la série des communications. Il nous a conduits, en. guide expert et admirablement renseigné, sur cette colline de Cimiez, qu'il connaît si bien pour l'avoir beaucoup étudiée, qui est si riche en restes de monuments romains, et il nous a fait connaître, avec l'exactitude et le soin scrupuleux qu'il apporte en toutes choses, les récentes découvertes qui y ont été faites.

Ce sont d'abord des thermes qui ont été mis au jour. Sa description technique est très complète, et la comparaison qu'il a faite entre ces thermes et les thermes de Pompeï, nous ont montré, avec quelle remarquable intelligence des besoins de l'homme, les Romains résolvaient les questions d'hygiène les plus délicates.

Ce sont ensuite des restes de monuments divers qui ont été mis à jour et dont, par comparaison, M. Brun établit toujours la destination.

M. le docteur Malgat, nous rapporte, tous les ans, des voyages qu'il fait pendant la saison d'été, les matériaux de communications intéressantes. Il nous a décrit les anciennes prisons de Venise qu'il a visitées. Nous avons parcouru successivement avec lui la prison des Plombs, destinée aux prévenus politiques, et les horribles cachots qu'on appelait la prison des Puits et la prison des Quatre. Ses descriptions nous reportent à des moeurs si éloignées des nôtres, à des tortures si barbares, à une cruauté si raffinée, que notre esprit a peine à les concevoir.

Mais si M; le docteur Malgat est accidentellement un voyageur qui sait voir et qui sait retenir, c'est aussi un observateur de tout ce qui se rapporte à son art.

Sa très savante étude sur « le climat des hautes altitudes au point de vue spécial de la tuberculose pulmonaire » a été appréciée comme elle le méritait par nos confrères médecins.

Elle nous a tous vivement intéressés et c'est de grand coeur que nous croyons avec lui que le climat de Nice doit être le climat d'élection de l'humanité malade ou débile.

M. le docteur Malgat nous a encore rapporté de sa villégiature de 1898 dans les hautes vallées des Alpes une communication extrêmement intéressante sur un cas d'ectromélie très curieux. Le monstre ectromélien qu'il a examiné est, fort heureusement, une rareté tératologique.

Dario, c'est son nom, est un monstre aussi parfait que possible dans


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la monstruosité. Il semble que la nature se soit acharnée après cepauvre malheureux. Elle lui a donné la vie et lui a enlevé tous les moyens d'y pourvoir.

Ce qui est plus triste encore, c'est que Dario n'est pas idiot et qu'il a parfaite conscience de son état.

Au risque de blesser l'extrême modestie de l'éminent docteur Guébhard, j'ai cependant le devoir, très doux à remplir d'ailleurs, d'appeler particulièrement votre attention sur les communications véritablement remarquables qu'il nous a présentées. Je ne ferai que citer son esquisse géologique de la commune de Mons (Var), qui est un travail de premier ordre, renversant beaucoup d'opinions classiques en géologie, mais qui n'est que la préface d'une oeuvre beaucoup plus importante dont M. Guébhard nous réserve la primeur.

Qu'il me suffise de vous dire que, dans les hautes régions scientifiques, on a fait aux idées de notre savant confrère l'accueil le plus flatteur.

Je voudrais, sans être trop long, vous parler aussi de ses curieux travaux sur les « effluves humains » et de la découverte inattendue qui en a été la conséquence.

Nous vivons dans un temps où le mystérieux exerce sur les esprits, j'ajouterai même sur les esprits les plus cultivés, un attrait irrésistible. On n'entend plus parler que de phénomènes extraordinaires qui renversent toutes les idées reçues et qui sont en opposition avec les vérités scientifiques les plus indiscutables. Fort heureusement pour nous, ces miracles, d'ordre purement physique, n'ont pas passé par l'étamine de l'expérimentation scientifique, et il suffit, presque toujours, de l'indiscrétion bien connue des hommes de science pour renverser ce fragile édifice de faits, établi sans preuves suffisantes. C'est le cas de ce qu'on a appelé les effluves humains.

A en croire certains expérimentateurs, ayant certainement beaucoup de bonne volonté, nous jouirions de la singulière prérogative d'émettre., même à distance, des effluves capables d'impressionner des plaques photographiques et de les impressionner différemment selon les individus et aussi selon leur état d'âme.

C'est la photographie des états d'âme, qui nous conduira sans doute dans un avenir très prochain à la photographie de la conscience et de la pensée. Il serait téméraire d'affirmer que la science ne nous réserve plus aucune surprise et qu'elle a irrémédiablement fait faillite. Dans


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l'espèce, la photographie des états d'âme ne parut pas à M. Guébhard scientifiquement établie. Il entrevit que cette lanterne n'était qu'une vulgaire vessie et la creva sans remords. Il démontra, par des expériences nombreuses et rigoureusement conduites, que ces prétendus effluves que, pour la circonstance, on avait baptisés pompeusement des noms incompréhensibles de transpirations d'âmes, d'émanations odiques, d'extériorisation de corps astral, etc., n'étaient tout simplement que de vulgaires effluves thermiques, c'est-à-dire des radiations calorifiques, que la plus petite bestiole effluve comme nous, que nous effluvons autour de nous sans nous en douter, comme M. Jourdain faisait de la prose.

Mais les recherches de M. Guébhard l'ont conduit à un résultat pratique absolument imprévu ; je veux parler de la photographie sans lumière et sans appareil. Un cliché typographique, une médaille, une monnaie, une feuille, posés dans l'obscurité sur une plaque photographique soumise à l'action d'un révélateur, donnent, après développement, l'image de ce cliché, de cette médaille, de cette monnaie ou de cette feuille. Cette découverte peut devenir le point de départ d'applications très importantes.

Dans le courant de cette année, M. Guébhard nous a rapporté un fort contingent de travaux. Il avait bien voulu représenter notre Société au congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences à Nantes. Il y a fait, à la section de géologie, plusieurs communications fort appréciées, et, à la section de physique, le résumé de ses recherches sur les effluves humains.

Dans une de nos séances ordinaires, il nous a rendu compte de l'exploration d'un avenc ou gouffre, situé non loin de Saint-Vallier. M. Guébhard estime que ce gouffre, qui met le sol en communication avec une vaste grotte souterraine, n'a qu'une importance médiocre au point de vue pittoresque, mais qu'il pourrait peut-être réserver des surprises agréables à ceux que les fouilles préhistoriques peuvent intéresser.

C'est une fouille de ce genre que notre savant confrère a fait pratiquer sur un grand tumulus des environs de Grasse. Ce tumulus, à l'aspect inviolé, n'a pas donné ce qu'on en espérait.

A peine a-t-on pu recueillir quelques objets ayant échappé à une profanation ancienne. Il semble résulter de l'examen de ces objets que ce tumulus a été une sépulture de l'époque du bronze.


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M. Guébhard n'est pas seulement un physicien et un géologue ; c'est aussi, dans ses moments de loisir, un linguiste curieux et perspicace. A l'occasion d'un mémoire déjà ancien de M. Sénequier sur le dialecte figon, notre confrère a recherché dans les patois des communes de. Biot, de Vallauris, d'Escragnolles et de Mons, les traces de cet ancien dialecte.

C'est aux sources de la Siagne, prés des ruines de Figueiret, que M. Guébhard a découvert le cultivateur poète Rebuffel Pons, qui conserve la plus pure tradition de l'idiome figon et le fixe dans des poésies rustiques d'un très grand charme. M. Guébhard nous a lu une poésie : « Les Deux Jumelles », en patois figon, que le poète de Figueiret a bien voulu composer sur sa demande, et qui fixe définitivement pour l'avenir un idiome local, qui est bien près de disparaître.

Les recherches archéologiques passionnent toujours M. Sénequier, et on n'en est plus à compter les nombreuses et intéressantes trouvailles qu'il a faites. Il nous signale cette fois, dans la crypte de l'église de Grasse, une inscription datant de 1286 et provenant d'un tombeau. C'est, d'après notre distingué confrère, la plus belle inscription de la contrée.

Notre actif et dévoué secrétaire général, M. Moris, n'est pas seulement le rédacteur très autorisé et très compétent des comptes rendus de nos séances ; c'est aussi un de nos membres les plus savants et les plus laborieux. Il a entrepris un vaste travail sur les Alpes Maritimes qui sera publié à l'occasion de l'Exposition de 1900.

Cet ouvrage de haute vulgarisation sera consacré à la description de tout ce que les Alpes Maritimes offrent d'intéressant et de curieux. Il promènera l'étranger, de l'Estêrel à la frontière d'Italie, sur cette côte enchantée où sont mollement étendues, au milieu des fleurs, les villes baignées de soleil que les poètes ont si souvent chantées.

Après avoir contemplé ce coin de paradis, le voyageur pénétrera à l'intérieur et remontera par des routes faciles les vallées si pittoresques de notre pays. Il aura en M. Moris un guide aussi sûr que délicat.

Cet ouvrage sera illustré de riches gravures, d'après nature, ayant un caractère absolument artistique. Ce sera un monument élevé à la gloire de notre pays ; ce sera en même temps une oeuvre d'art des plus remarquables.

Notre société, afin de témoigner toute sa sympathie à une oeuvre qui sera publiée sous ses auspices, a voté une souscription importante.


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Dans l'analyse qu'il nous a faite de l'ouvrage de M. le comte Caïs de Pierlas : « La ville de Nice pendant les premiers siècles de la domination des princes de Savoie », M. Moris, après avoir loué comme il convient l'auteur de ce remarquable ouvrage, nous détaille, d'après le comte de Pierlas, les moeurs de la société niçoise au XVe siècle et nous montre la situation politique du comté de Nice au moment où il se donna à la maison de Savoie.

A ces travaux de l'année précédente, M. Moris a ajouté cette année une série de communications toujours intéressantes et qui sont le témoignage du labeur persévérant de notre savant secrétaire général. Il nous a d'abord signalé un certain nombre d'objets d'art appartenant aux églises du diocèse et qu'il a réussi à faire classer comme monuments historiques. Il a comblé les voeux de tous ceux qui, depuis longtemps, attendaient une décision qui assurera la conservation définitive d'objets précieux au double point de vue de l'art et de l'archéologie.

M. Moris qui, comme tout bon historien, est très curieux des documents qui peuvent jeter plus de clarté dans notre histoire, fait profiter la Société de toutes les bonnes occasions qu'il rencontre ou qu'il fait naître. C'est ainsi qu'il nous à communiqué un très intéressant mémoire de M. Rovéry, un de nos membres correspondants, sur l'histoire de Saint-Etienne-de-Tinée et particulièrement l'histoire des Emeric, comtes de Saint-Dalmas, qui possédaient, dans la vallée de la Tinée, d'importantes propriétés. C'est toujours pour le même motif qu'il nous a analysé l'intéressant ouvrage de M. Muterse, un de nos membres correspondants, sur l'histoire d'Antibes de 1592 à 1643.

La promenade qu'il nous a fait faire à travers les Archives départementales, dont il a la direction, a été pour nous du plus haut intérêt. Il aurait été difficile de choisir un guide plus compétent et plus autorisé. Il nous a fait l'historique du dépôt dont il a la garde et nous a signalé les richesses qu'il contient. Ce dépôt, qui s'accroît d'année en année de nombreuses collections est, aujourd'hui, un des plus riches de la France. Cela n'étonnera aucun de ceux ceux qui savent le zèle et le soin que M. Moris apporte en toutes choses.

Dans une' communication très intéressante et fort documentée, M. Moris nous a fait l'historique du fort de l'île de Sainte-Marguerite, et, à cette occasion, nous a parlé du Masque de Fer et des travaux de M. Funck Brentano sur ce personnage célèbre, qui a porté bien des


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noms dans l'histoire, qu'on a essayé de présenter comme un homme d'une origine illustre, et qui, au fond, M. Brentano le prouve irréfutablement, était tout simplement un ministre du duc de Mantoue, traître à son prince et au roi de France, Mathioli, qui avait été successivement enfermé à Pignerol, à Sainte-Marguerite, et enfin à la Bastille où il mourut en 1702.

Les mémoires du général Championnet fournissent à notre savant secrétaire général l'occasion de nous entretenir d'une période de notre histoire qu'il connaît dans tous ses détails. Ces mémoires, oeuvre de bonne foi, sont une véritable autobiographie. Ils sont inédits, mais M. Moris nous fait espérer d'en entreprendre très prochainement la publication.

M. Doublet, professeur de rhétorique à notre Lycée, consacre une partie de ses loisirs à étudier Godeau, évêque de Vence. Il le fait avec une méthode et une sûreté remarquables.

On devine l'ancien membre de l'Ecole française d'Athènes, habitué aux recherches, familiarisé de longue main avec ce qu'elles ont de difficile et de délicat. En analysant avec beaucoup de finesse la relation des visites pastorales de Godeau dans le diocèse de Vence, il nous fait le tableau exact des moeurs de la société religieuse de l'époque, et nous renseigne sur nombre, de faits du plus grand intérêt. Les communications de M. Doublet ont toujours un grand charme et une grande simplicité. On les écoute avec plaisir et profit.

Il a étendu, cette année, le cercle de ses études; mais il est toujours resté dans ce diocèse de Vence, qu'il connaît aussi parfaitement que possible et dont il a fait quelque peu son domaine.

Sa relation sur la dévotion de la Fontaine Sainte, dans les gorges du Loup, est extrêmement curieuse ; curieuse aussi cette constatation qu'il y a dans cette dévotion des survivances antiques indéniables. A propos des églises du canton de Vence, M. Doublet étudie les principaux objets qui peuvent avoir un intérêt archéologique ou religieux. Ils sont relativement nombreux et méritent, à beaucoup d'égards, de fixer l'attention de tous ceux qu'intéressent les questions d'archéologie.

C'est, à l'occasion des communications de M. Doublet, que M. Bonnal nous a, lui aussi, entretenu de l'évêque de Vence.

Ayant la bonne fortune de posséder les instructions synodales de Godeau, il a fait à la Société une communication extrêmement intéressante sur cet ouvrage et a relaté certains traits de moeurs locales des plus curieux.


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M. Pontremoli nous a lu de remarquables poésies : « Mésalliance », où des pensées très élevées sont exposées avec un rare bonheur d'expression ; a Abandonnée », poème plein d'une émotion communicative ; « Ame d'artiste », qui retrace en fort bons vers l'existence accidentée d'un artiste trop à l'étroit dans le cadre des conventions sociales. Ces lectures ont valu à leur auteur les applaudissements mérités de ses auditeurs.

M. le comte Eméric du Chastel, dont le talent d'analyste et de critique est remarquable, a étudié l'oeuvre du romancier Gabriele d'Annunzio. Il a su découvrir dans les ouvrages du « Candidat de la Beauté », nombre de pages qui démontreraient que, si M. d'Annunzio est un écrivain de grand talent, c'est aussi et surtout un assimilateur habile, qui a subi tour à tour les influences les plus opposées. La démonstration de M. le comte Eméric du Chastel, appuyée par des lectures de fragments bien choisis de l'oeuvre de M. d'Annunzio, a vivement intéressé notre société.

La communication qu'il a bien voulu nous faire sur le chemin de fer du Congo belge, récemment inauguré, a été fort goûtée de notre Société. Après avoir rendu hommage à l'indomptable énergie des ingénieurs chargés de la construction de cette voie ferrée, M. le comte du Chastel nous a montré les avantages que le Congo français pourra tirer de cette nouvelle voie de communication.

A l'occasion des articles publiés sur le comte Armand, chargé d'affaires de France près le Saint-Siège en 1867, M. le comte du Chastel communique à la Société de curieux souvenirs de l'insurrection de Rome de 1867. Il expose, avec des documents à l'appui, que c'est peutêtre une dépêche lancée en 1866 par un diplomate néerlandais, qui a été la cause première de toutes les modifications politiques survenues en 1870.

Un de nos membres les plus distingués, qui a pris dans les lettres le pseudonyme d'Adam du Guay, a offert à la Société une de ses dernières oeuvres. M. le comte du Chastel, en nous rendant compte de cet ouvrage, a su bien mettre en lumière le talent de M. du Guay qui, en philosophe moderne des plus experts, a traité, dans un style coloré et élégant, un sujet délicat de psychologie féminine.

Je regrette de n'être pas autorisé à dévoiler le pseudonyme de M. du Guay.

M. le docteur Nièpce, un descendant de l'inventeur de la photogra-


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phie, nous a fait, snr son illustre parent, Nicéphore Nièpce, qui séjourna à Nice de 1793 à 1801, une communication extrêmement intéressante. Nul n'était mieux placé que M. le docteur Nièpce pour nous donner sur l'immortel Nièpce des renseignements plus précis et plus exacts. Son mémoire a vivement intéressé tous ceux, et ils sont légion aujourd'hui, qui pratiquent la photographie.

Le savant M. Casati, qui suit avec un grand soin tout ce qui, de près ou de loin, se rapporte à l'archéologie ou à l'art, nous a fait connaître, dans une causerie charmante, les conditions dans lesquelles a été formée la Fédération archéologique belge et les heureux résultats que cette Société a obtenus pour la conservation ou la restauration des remarquables monuments de l'art flamand.

Il nous a parlé encore du Congrès de 1897, auquel il a assisté, et dans lequel des solutions intéressantes ont été adoptées sur des questions générales d'art et d'archéologie.

Les archéologues de notre Société, et ils sont nombreux, ont dû tressaillir d'aise en entendant la savante communication d'un de leurs plus illustres confrères anglais : j'ai nommé M. Hall, que notre Société a l'honneur de compter au nombre de ses membres correspondants.

M. Hall étudie depuis dix ans la voie Aurélienne de Rome à Arles et l'a suivie pas à pas de son origine à son point d'arrivée. C'est le résultat de ses savantes et de ses patientes études qu'il a bien voulu communiquer à la Société. J'ai le devoir de le remercier une fois encore de la savante communication qu'il nous a faite et du plaisir qu'il nous a procuré.

Avec M. le vicomte de Rochemonteix, nous sommes toujours dans le domaine de l'archéologie. M. de Rochemonteix s'est proposé de démontrer que les églises de l'arrondissement de Mauriac (Cantal) appartiennent à un style tout spécial et qui constitue une famille à part, la famille cantalienne.

Cette étude, très précise en même temps que très détaillée, écrite dans une langue ferme et solide, est illustrée de nombrenses photographies faites par l'auteur et reproduisant les monuments qu'il décrit. Nous avons fort goûté les descriptions de M. de Rochemonteix ; nous avons aussi fort apprécié ses photographies et surtout ses photographies d'intérieur : M. de Rochemonteix est d'ailleurs un maître dans l'art de photographier : il l'a prouvé dans de nombreux concours.


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Un dé nos hivernants habituels, M. Barbier-Delayens, qui, depuis plusieurs années, professe avec beaucoup de dévouement et beaucoup de succès un cours de comptabilité à l'Association polytechnique, nous a fait une communication intéressante sur le système de comptabilité qu'il recommande. Malgré le caractère très spécial de cette communication, les explications très claires et très précises de M. BarbierDelayens nous ont convaincus de la simplicité et de la supériorité du système qu'il préconise et que les commerçants auraient tout intérêt à adopter.

L'administration de l'Instruction publique, en conférant, le 1er janvier dernier, les palmes d'officier d'Académie à notre vénéré confrère, a reconnu hautement le talent et le zèle infatigable de M. BarbierDelayens.

Nous en sommes heureux pour lui et pour notre Société.

Notre très distingué confrère, M. Gabriel Letainturier, qui sait concilier les charges de ses devoirs administratifs avec son goût raffiné pour les lettres, nous a fait hommage de son dernier ouvrage « L'Honneur et le Duel », dont M. Usquin a bien voulu se charger de rendre compte. De tout temps, les moralistes ont condamné le duel, et il est plus que jamais à la mode. M. Letainturier le déplore et il propose une solution que tout le monde désire et qu'on n'adopte pas.

Le livre de M. Letainturier est écrit d'une plume vive et alerte. On devinerait presque, rien qu'en le lisant, que si notre sympathique confrère est un littérateur élégant et délicat, c'est aussi une fine épée, pour qui l'escrime n'a plus de secrets.

Le congrès international d'hydrologie, de géologie et de climatologie de Liège a fourni à M. Usquin l'occasion d'une très intéressante communication sur les travaux de ce congrès.

L'Université de Liège, que les congressistes ont visitée, et dont une des chaires est occupée par un de nos plus éminents concitoyens, le docteur Calmettes, directeur de l'Institut Pasteur de Lille, est organisée sur un pied absolument remarquable. Certaines chaires, telle celle du docteur Calmettes, n'ont pas d'équivalent dans les autres pays.

M. Lanzi, un des membres les plus laborieux de notre Compagnie, nous a fait une série de communications très appréciées sur la Corse, son pays d'origine. Son mémoire sur l'étymologie probable du nom des Iles Sanguinaires, situées à l'entrée du golfe d'Ajaccio, est établi sur des documents précis et l'étymologie qu'il propose paraît bien être la seule raisonnable.


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Les emblèmes, légendes et ornements gravés sur les anciennes cartes de la Corse lui fournissent le sujet d'une très remarquable étude, qui a été fort goûtée de ses auditeurs.

Les travaux de la Société des Sciences naturelles et historiques de la Corse, dont il est membre, ont montré ce que peut l'initiative d'une réunion d'hommes aimant leur pays pour les progrès de la science. Les publications historiques de la Société corse sont extrêmement importantes et ont fait revivre de nombreux documents, qui restaient enfouis dans les bibliothèques publiques et les archives privées.

M. Maurice Masse a eu l'occasion de faire récemment une excursion en Grèce. Sur notre demande, il a bien voulu nous lire ses notes de voyage. Sa communication sur le mont Athos « la montagne sainte », que les Grecs entourent d'une vénération particulière, et dont les monastères ont fourni au Bas-Empire un grand nombre de ses patriarches, est l'oeuvre d'un écrivain subtil et d'un artiste délicat.

La visite qu'il a faite aux ruines de Tirynthe et de Mycènes lui a fourni les matériaux d'une étude aussi fine que pénétrante de la civilisation mycénienne, dont il a bien voulu nous donner la primeur. Son mémoire sur les ruines de Troie, très attachant et très complet, a charmé tous ceux d'entre nous qui en ont entendu la lecture.

Nous exprimons le voeu que M. Masse veuille bien entr'ouvrir encore pour nous son journal de voyages et donner une suite aux relations qu'il a bien voulu nous faire.

Un de nos confrères vénérés, M. Corinaldi, nous a conté dans un charmant et spirituel langage ses souvenirs de vieux Niçois et a fait revivre à nos yeux une époque, vieille de soixante-dix ans à peine, mais aussi disparue que si des siècles la séparaient de nous. Vous allez entendre tout à l'heure la lecture de ce remarquable travail. Permettez-moi de vous laisser le plaisir d'apprécier toute la fraîche saveur et la pimpante verdeur de cette oeuvre si personnelle et si attachante.

M. Halphen qui, depuis de longues années, publie tous les ans le résultat de ses recherches historiques, nous a fait l'hommage de son dernier travail : « Lettres de Henri IV à M. de Bethune, ambassadeur de France à Rome. » Notre savant confrère M. Doublet, qui a bien voulu se charger de l'analyse du livre de M. Halphen, nous a montré' l'importance de la publication de cet ouvrage et l'intérêt que présentent les lettres de Henri IV au point de vue des relations de la France et de Rome.

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L'étude sur « Le caractère de Louis XIII » que nous a présenté M. Halphen est un intéressant travail de psychologie historique. Ce mélange d'activité, d'apathie, d'amitié, d'ingratitude, qui caractérisait Louis XIII, est une énigme historique dont on trouve la solution, d'après M. Halphen, dans le journal d'Hérouard, médecin du roi. Ce journal est le tableau exact et jour par jour de la vie de Louis XIII qui, livré à toute sorte de mauvaises influences, ne pouvait devenir que ce qu'il a été.

M. Benoïst, professeur au Lycée, à l'aide d'un livre récemment paru en Allemagne et dont il donne une excellente analyse, a fait revivre le comte de Thoranç, François de Théas, que Goethe a immortalisé dans ses mémoires. Le travail de M. Benoist a vivement intéressé notre Compagnie. Je lui exprime le désir unanime d'entendre plus souvent ses communications.

M. Philippe Casimir, un des journalistes niçois les plus consciencieux, a la bonne fortune de posséder des documents à peu près uniques, se rapportant à l'histoire de Nice et surtout de Nice contemporaine.

Il a bien voulu ouvrir une petite porte sur ses collections et nous apporter une étude très documentée et très complète sur « le Théâtre Municipal de 1830 à 1881 ».

M. Casimir ne se borne pas à nous faire connaître les noms des directeurs et des artistes célèbres du théâtre, il nous montre surtout, ce qui est particulièrement intéressant, que le théâtre a toujours exactement reflété les vicissitudes de la cité. Ce chapitre d'histoire locale a rappelé bien des souvenirs aux vieux Niçois qui font partie de notre Société.

M. Montagne, un de nos confrères récemment entré dans notre Compagnie, s'est livré à une étude micrographique des boues de Dax et de Montegrosso, en Italie. Cette étude l'a conduit à une théorie physiologique très intéressante, qu'il a présentée, avec son collaborateur M. Boucher, à l'Académie de Médecine.

M. le docteur Sauvaigo a adressé en hommage à la Société un ouvrage fort remarquable, quoique d'apparence fort modeste. Son a Enumération des plantes cultivées dans les jardins de la Provence et de la Ligurie » est un véritable travail de bénédictin qui peut rendre aux horticulteurs et aux botanistes les plus grands services.

J'en ai terminé, Mesdames et Messieurs, avec le compte rendu de


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nos travaux. J'ai été certainement bien long et je n'ai cependant pas dit tout ce qui convenait. Les travaux de certains de nos membres ont une valeur considérable, et vous en trouverez la preuve dans ce fait que le Gouvernement croit devoir en consacrer publiquement l'importance. C'est pour les communications faites à notre Société, c'est pour les travaux publiés dans nos Annales, et sous nos auspices, que M. le Président de la République a récemment conféré à notre très cher secrétaire général, M. Moris, la croix de chevalier de la Légion d'honneur. Si cette distinction si méritée honore grandement celui qui en a été l'objet, elle honore aussi la Compagnie, dont il est un des membres les plus actifs et les plus savants.

J'ai encore la mission, Mesdames et Messieurs, de vous parler de l'Athénée, qui est une émanation de la Société des Lettres, et des remarquables conférences qui y sont faites. Le distingué docteur Maurin, président de l'Athénée, qui suit ces conférences avec un grand soin, pourrait vous dire, avec une autorité et une compétence que je n'ai pas, combien ces réunions sont fréquentées et avec quel succès mérité elles sont faites. Mais les seuls noms des conférenciers indiquent amplement ce qu'ont pu être ces causeries, d'un caractère toujours élevé, et marquées au coin du goût le plus pur. Que pourrais-je d'ailleurs ajouter, Mesdames et Messieurs, au témoignage éclatant que, par votre assiduité, vous avez donné de la valeur des conférenciers et de l'intérêt des sujets qui ont été traités devant vous ? Vos applaudissements ont prononcé à la fois et sur l'oeuvre, et sur les ouvriers. Je me garderai d'y rien ajouter parce que je craindrais d'affaiblir le jugement si compétent et si éclatant que vous avez rendu. Qu'il me soit cependant permis d'exprimer publiquement, au nom de l'Athénée, notre profonde gratitude à tous ceux qui ont bien voulu nous prêter le concours de leur science et de leur parole. Ils sont nos collaborateurs précieux pour une oeuvre saine et noble ; au nom de tous, je les en remercie profondément.


RAPPORT DE M. DOUBLET

PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ

SUR LES TRAVAUX DE L'EXERCICE 1899-1900

MONSIEUR LE PRÉFET, MESDAMES, MESSIEURS,

La bienveillance que mes confrères ont daigné me témoigner, le jour où ils m'appelèrent à la présidence de notre Société, mérite que je commence par les en remercier. Au savant agrégé de la Faculté de Médecine de Paris, qui était l'an dernier à la tête de notre bureau, je tiens à exprimer aussi leur reconnaissance pour la sûreté d'esprit et la bonne grâce avec lesquelles il a conduit nos réunions.

La Société, dont vous êtes l'un des présidents d'honneur, vous remercie respectueusement, Monsieur le Préfet, pour les paroles que vous venez de prononcer et que nous avons applaudies à l'envi. Vous savez que plus d'un railleur se moque volontiers des « Académies » de la province. Bien des gens croient avoir beaucoup d'esprit, pour peu qu'ils aient répété la plaisanterie de Voltaire sur celle de Châlons. D'autres retiennent que Candide laissa son mouton de l'Eldorado à celle de Bordeaux et que cette dernière s'empressa de proposer un prix au savant homme qui trouverait pourquoi la laine de cet animal était rouge. De cette société savante, qu'Arouet tourne en ridicule, Montesquieu était un des membres les plus acharnés aux travaux d'histoire et de physique. Néanmoins d'Alembert, qui remplaça un des évêques de la petite ville de Vence à l'Académie française, dit que « M. le président jugeait les compagnies de bel esprit étrangement multipliées dans nos provinces » et qu'il n'y voyait « qu'une ombre de luxe littéraire, qui nuit à la richesse, sans même en offrir l'apparence. » Au risque de déplaire aux mânes de Voltaire et de Montesquieu, vous nous avez fait l'honneur, Monsieur le Préfet, d'accepter la présidence de cette séance publique et de nous consacrer quelques-uns des instants


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du laborieux loisir que peuvent laisser au premier magistrat de notre département les fonctions que le gouvernement de la République a confiées à votre patriotisme. Universitaire, je suis particulièrement flatté d'offrir mes remerciements au fils d'un universitaire qui, dans le professorat et dans l'administration, rendit des services si honorables, que l'Université, surtout la Provence et la Corse, n'ont pas oubliés. Je me souviens des termes dans lesquels vous parliez à nos élèves, lors de la dernière distribution des prix. Pour leur rappeler une des gloires de leur pays, — Masséna qui, vainqueur des Autrichiens à Rivoli et des Russes à Zurich, soutenait, il y a un siècle, dans Gênes, un des sièges les plus mémorables, — vous avez eu des expressions dont cette ville si française fut touchée et orgueilleuse. Notre Société se souviendra aussi des pensées que vous venez d'exprimer avec tant d'éloquence et d'habileté dans la salle de nos séances.

Deux de nos présidents d'honneur-nous avaient déjà manifesté, dans le courant de cette année, l'intérêt qu'ils portent à nos travaux. M. le général Caze, commandant la 29me division, a bien voulu présider une de nos réunions ordinaires. M. le général Joty, gouverneur de Nice, a eu la bonté d'occuper à trois reprises le fauteuil de la présidence. La Société les prie d'agréer sa plus sincère reconnaissance pour les sympathies que deux des plus brillants chefs de l'armée ont daigné témoigner à celte pacifique compagnie à la tête de laquelle ils n'ont pas refusé de venir se placer quelques instants.

D'autre part, l'année a été marquée par une perte que notre ville entière a déplorée. Le 4 décembre, par une des plus tristes journées de l'hiver, notre vénéré secrétaire perpétuel est mort à soixante-dixsept ans. M. François Brun était le dernier survivant des fondateurs, de la Société et lui avait appartenu 457 mois. Ce qu'il fit pour elle, j'ai d'autant moins à vous le dire que vous savez mieux que moi ce que fut son activité intellectuelle.

Vous allez d'ailleurs entendre la notice que notre doyen, toujours jeune, a consacrée à la mémoire de M. Brun. Cette cérémonie doit vous faire songer à celle du 20 avril 1897. Dans cette même salle, que le défunt avait si soigneusement aménagée pour nos réunions, vous revoyez notre président d'honneur lui remettre une médaille d'or, offerte par la Société. « C'est un témoignage rare, et véritablement exceptionnel, d'estime et aussi, et surtout, d'affection confraternelle »,


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disait M. le docteur Guébhard. Vous l'entendez encore remercier l'aimable et érudit vieillard d'avoir appris aux Niçois à connaître leur Nice. De ce septuagénaire, qui semblait encore si résistant de corps et qui restait si vigoureux d'esprit, l'orateur rappelait qu'il avait à la fois « élaboré, comme architecte et ingénieur, la ville de l'avenir, pris à tâche de sauver de l'imminent oubli celle du présent, et réussi à faire renaître par ses recherches celle du passé. » Douze jours avant sa mort, M. Brun assista à l'une de nos séances, prit la parole et fit des observations qui témoignèrent de la sûreté de la mémoire de notre secrétaire perpétuel ainsi que de la souplesse de cet esprit prêt à s'éteindre. Je salue son nom avec d'autant plus de déférence que notre regretté confrère fut ici l'un de mes parrains. Le jour où M. Moris et lui me présentèrent aux suffrages de notre Société, M. Brun lisait un travail sur ce théâtre de Dionysos à Athènes, où j'aimais à m'asseoir, parmi les débris de sculptures et d'inscriptions, à regarder la poésie sévère de la plaine attique, la ligne élégante de l'Hymette, la petite forêt des mâts des navires ancrés au Pirée, l'essor harmonieux des voiliers de Salamine ou d'Egine.

Permettez-moi de remercier, — au nom de tout le bureau dont tous les membres furent également empêchés de parler aux funérailles de M. Brun, — notre excellent confrère, M. le docteur Bernard Anmlphy, qui voulut bien s'en charger. Frappé à son tour dans ses plus chères affections, et quelques heures après avoir consenti à s'occuper de l'éloge funèbre du dernier de nos fondateurs, M. Arnulphy retint la force d'aller offrir à M. Brun, — je vous cite deux de ses paroles si élevées, — « non un adieu noyé de crépuscule, mais un au revoir plein d'aurore. » Sur sa proposition encore, notre compagnie a pris l'initiative, et vous n'en serez pas surpris, d'une souscription qui permettra d'élever, à Caucade, un monument à notre cher mort.

Quant au secrétariat perpétuel, nous l'avons tout dernièrement attribué, par une acclamation que la vôtre, Mesdames et Messieurs, aurait ratifiée, au docte historien des batailles que nos armées de la première République livrèrent dans les Alpes Maritimes. A l'écrivain que le Ministère de la Guerre a récompensé en juillet 1898, nous voulions offrir l'inamovibilité académique. M. Moris nous a remerciés de la nouvelle marque de sympathie que nous désirions lui donner ; mais il a déclaré qu'il ne l'accepterait point et que son voeu était de conser-


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ver les fonctions de secrétaire qu'il remplit depuis près de vingt ans. Invités par le savant archiviste à nous attacher d'une manière indissoluble notre président sortant, M. le docteur Guébhard, nous l'avons, à l'unanimité, appelé au poste qui exempte de la réélection. Notre actif et dévoué confrère se fait un plaisir toujours nouveau de quitter pour nous ses solitudes de la montagne, de venir prendre part à nos entretiens, et de veiller, comme bibliothécaire, au bon ordre de nos collections.

L'usage veut que de l'Athénée, qui est une émanation de notre compagnie, le Président de la Société des Lettres, Sciences et Arts dise un mot dans son rapport annuel. La commission de l'Athénée, présidée avec tant de compétence par le si dévoué Dr Maurin, fut composée de nos confrères MM. le Dr Arnulphy, Corinaldi, Maurice Masse, le Dr Niepce, M. Bousquet, qui a exercé avec une rare activité les délicates fonctions de secrétaire. Une cinquantaine de conférences furent faites, du 18 décembre au 8 mars, par Mme Thénard et MM. Ben-Mill, Bousquet, Brelay, Fabre, Fauconney, Fortis, de Jolans, Justice, les abbés Lallemand et Maestrati, Morel, d'Oukrainzeff, Rossigneux et celui qui vous parle. Comme d'habitude, les lettres et les arts ont formé la plus grande partie du programme : actualités, économie politique, géographie, histoire, littérature française, musique, philosophie, voyages. Le nouveau, ce fut la rentrée en scène, sur l'estrade, des sciences exactes. A l'éminent directeur de l'Ecole Normale des Instituteurs, vous me permettrez d'adresser nos remercîments, pour la manière charmante avec laquelle il a traité les plus sévères questions de physique et démontré que l'Athénée est vraiment une émanation d'une société qui ne se consacre pas seulement aux lettres et aux arts. Cette institution d'enseignement libre a fait son chemin depuis sa naissance. Je voudrais n'avoir pas été l'un des conférenciers pour remercier plus librement les orateurs de leur talent et les auditeurs de leur assiduité. Grâce aux uns et aux autres, tout a bien marché. Cette année encore un public nombreux a monté l'escalier qui aboutit à cette salle. Les causeries s'efforcèrent d'unir l'agréable et l'utile selon le précepte du vieux Flaccus. Plus d'une fois, j'ai lu dans les journaux de notre ville qu'elles y réussirent, que le public applaudit avec force, et que plus d'un orateur fut ému de ces marques d'approbation.


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Je passe au compte-rendu des recherches que les membres de la Société se sont communiquées dans leurs réunions bi-mensuelles. Lettres, sciences et arts y sont, conformément à notre programme, représentés. Commençons par celles qui ne se rapportent pas à notre département.

M. Casati de Casatis devait nous parler d'un projet que le Ministère de l'Instruction Publique a mis à l'étude. Il s'agit de l'inventaire et de la conservation, des monuments de l'art français qui ne sont pas classés à titre de monuments historiques. Vous trouverez un résumé de ses vues dans une note du curieux ouvrage, imprimé avec luxe, que le savant conseiller vient de publier : Villes et châteaux de la vieille France, duché d'Auvergne. D'après les explications que M. Moris a données, au nom de son camarade aîné de l'Ecole des Chartes, M. Casati insiste sur la nécessité de sauver de la destruction les oeuvres, notamment maisons et châteaux de ce style français.du XVe siècle qui nous marque la transition entre le gothique, si malmené jadis par de grands esprits comme La Bruyère et Fénelon, si admiré de nos jours depuis Chateaubriand et Victor Hugo, et la Renaissance. Ces édifices n'ont pas une solidité à toute épreuve et sur leur surface vous voyez des sculptures friables ; d'où les dangers qui les menacent. Créer dans chaque arrondissement des commissions chargées de désigner les choses dignes d'être conservées et de les surveiller, rien de mieux en théorie. Nous souhaitons qu'en fait il ne soit pas malaisé de trouver, outre des hommes de bonne volonté, des connaisseurs qui rendent de réels services.

M. Eugène Halphen, notre vice-président, ne cesse pas d'être le bibliophile dont nous admirons la curiosité. Il nous a fait connaître un bizarre livre du XVIe siècle ; les Ordonnances royales que Me Raoul Spifame publia en 1556. Cet avocat au Parlement de Paris ressemblait à l'un des amis de Diane de Poitiers, si exactement que confrères et amis lui donnèrent le sobriquet de « Roi, Majesté ». Il se permit d'éditer 300 ordonnances qu'il attribua gravement à Henri II. La rédaction en est si habile que d'éminents jurisconsultes, trompés par les exposés des motifs, les crurent authentiques. Le premier qui eut du flair et vit qu'elles sont fausses, c'est un érudit du XVIIIe siècle. Notre Lemice-Terrieux du barreau parisien ne fut


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pas seulement un maniaque et un excentrique : de temps en temps il a des idées. Sans doute il veut qu'on ne crée plus de médecins, que les femmes de ceux qui exercent encore ne portent pas de fastueuses toilettes, que les enfants demandent chaque soir, sous peine d'être déshérités, la bénédiction paternelle, que chaque ville ait un « explorateur » des bons et des mauvais domestiques. Voici qui est plus sérieux : une de ces Ordonnances exige l'unité de poids et de mesures, une règle le dépôt légal des imprimés, une désire que les ruisseaux soient en pente, une interdit d'y jeter des ordures, une relègue les métiers puants hors des villes.

M. Eugène Halphen ne se contente pas de lire des choses rares : il en édite. Ainsi, il a repris une publication que son neveu, Achille Halphen, n'avait pu achever : la fin du Journal de Robert Arnauld d'Andilly, le frère aîné du grand Arnauld. Conservé à la Bibliothèque de l'Arsenal, où il avait été, sur son apparence, classé dans la musique, puis utilisé par un conservateur qui le remit dans la section des manuscrits, le précieux Journal, en huit volumes, avait disparu à la mort du savant qui avait été le dernier à s'en servir. On le retrouva dans la section des imprimés et derrière des ouvrages de théologie. Notre vice-président en a extrait ce qui regarde la guerre de 1622. Ces pages, jusque là inédites, sont fort curieuses, et n'oubliez pas que la plaquette, sortie des presses de l'imprimerie Malvano, n'a été tirée qu'à vingt exemplaires. Vous savez que les Mémoires de l'homme qui réorganisa, en. 1634, comme intendant, notre armée d'Allemagne et qui fut, jusqu'en 1637, complètement au service de Louis XIII, ont été composés pour l'éducation de ses petits-enfants, d'abord à PortRoyal, puis à Pomponne. Lisez les pages que M. Halphen a fait connaître : elles vous retracent les opérations de Soubise contre les Protestants, et respirent cette horreur de la guerre que proclament alors et les estampes de Callot et les sixains qui les commentent.

Notre confrère n'est pas seulement le père d'éditions rares. Il l'est aussi d'un officier d'artillerie qui compte parmi les sinologues les plus distingués et qui appartient à notre société, M. Jules Halphen. Ce dernier a récemment traduit du chinois un guide pratique que les jardiniers amateurs suivaient, dans l'Empire, du Milieu, lors de ce que que nous appelons, nous qui ne sommes pas issus de Confucius, le XVIIe siècle après J.-C. L'ouvrage a le joli nom de Miroir des Fleurs. L'auteur, celui de Chèn-Hao-Tzeu. Le livre a paru là-bas


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au moment où Jacques II descendait du trône d'Angleterre, où La Bruyère donnait la première édition de ses Caractères et Bossuet son Histoire des variations des Eglises protestantes. M. Eugène Halphen l'a analysé. Il nous a fait voir dans Chèn un petit bourgeois qui vous fait part des procédés qu'on se transmettait secrètement, de père en fils, chez les jardiniers de la région, qui nous intéresse spécialement, de Shanghaï. Chacun des douze mois lunaires se présente à vous, avec divers pronostics, des renseignements astronomiques, l'étude de diverses occupations, et des morceaux poétiques d'une assez belle envolée. Parcourez cette chinoiserie peu banale : vous assistez à la vie d'un rentier à la campagne, vous avez sous les yeux son jardin, assez luxueux, ses kiosques, ses terrasses, ses étangs, vous y apprenez même les phrases qu'il sied d'enseigner à un perroquet chinois. A le lire, ceux d'entre vous qui ont eu le malheur de faire des études classiques, songeront parfois à Virgile, à Columelle, au vieux Pline ; si le grec, que certains de nos disciples voient d'un mauvais oeil, ne vous a pas été odieux, telle sentence d'Hésiode vous reviendra à l'esprit. Chèn mériterait de nos jours l'étoile du Mérite Agricole. Ne croyez pas que ce Théocrite bouddhiste vive dans le bleu. S'il fait de jolis vers, il vous dit qu'un des meilleurs engrais pour les fleurs est constitué par les cheveux et la graisse qui restent sur lés peignes. Si la troisième lune, qui correspond à notre avril, lui inspire de beaux développements sur les loriots et les martinets, sur les roses et les pruniers du Japon, il vous fait savoir que l'on détruit les chenilles en arrosant les feuilles avec de l'eau où vous aurez jeté des déchets de poissons. S'il décrit l'ouate légère des chatons des saules ainsi que les roucoulements de la tourterelle, il vous apprend que les insectes cessent d'attaquer un pêcher que vous aurez arrosé avec une eau où vous aurez fait bouillir une tète de porc.

M. Maurice Masse a vu la Grèce, il y a quelques années, et nous a entretenus des ruines d'Olympie. Sa communication me reportait aux heures que j'ai passées aussi dans les décombres de la ville de Zeus. A mesure qu'il nous parlait de ce site où s'éleva l'un des plus célèbres sanctuaires de l'ancienne Grèce, j'ai pénétré, de nouveau, avec M. Masse dans le musée où touristes et archéologues vont contempler marbres et bronzes, frontons et métopes. L'Hermès de Praxitèles, une des dévotions de ceux qui ont encore le culte de l'art grec, a excité


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l'admiration de notee confrère. Devant la Nikè de Paeonios il s'est souvenu que c'est une des plus belles représentations de la déesse dont notre ville porte le nom. Toutes ces découvertes d'Olympie, c'est l'Allemagne qui les a faites ; le premier qui en eut l'idée, c'est, au siècle dernier, un illustre prussien, Winckelmann, celui qui fonda, ainsi que Caylus chez nous, l'histoire de l'art. Notre confrère a d'ailleurs rappelé que notre expédition de Morée eut, en 1829, le mérite de conduire les premières fouilles, qu'elle reconnut l'emplacement où d'autres eurent le loisir de travailler à grands frais, et qu'elle tira des alluvions de J'Alphée les morceaux de sculpture que vous admirez au Louvre. M. Maurice Masse est un savant; il a eu le prix d'honneur de mathématiques spéciales, mais auparavant celui de rhétorique et celui de philosophie. Ses notes de voyage montrent que le goût des sciences exactes peut faire bon ménage avec les souvenirs du grec et du latin ainsi qu'avec l'éducation esthétique.

M. Pellegrin a parlé de la géologie en général et décrit la surface de la terre, telle qu'elle nous apparaît et que les causes extérieures l'ont modifiée. Cet être, qui nous semble inerte par le contraste qu'il présente avec tant de milliards d'êtres organisés, est vivant ; depuis que les temps se déroulent, la croûte pierreuse sur laquelle nous sommes nés et appelés à mourir, est en vie; le feu central dont témoignent la colère des volcans ainsi que l'élévation des températures souterraines, M. Pellegrin nous le fait envisager comme le coeur de la terre, et il nous rappelle que cette épaisseur qui nous semble, en raison de nos moyens de mesure, si considérable, n'est qu'un mince épidémie. De ce colosse nous ne sommes que des parasites, et le feu intérieur n'est séparé de nous que par la coquille d'un oeuf. Notre confrère a examiné ensuite comment cette peau s'est ridée et se modifie sans cesse sous nos yeux.

M. Pontremoli a lu un poème intitulé : Préjugé de caste. Ceux qui l'ont entendu, s'accordèrent à dire que la langue en est excellente, la versification correcte, l'idée intéressante ; que l'auteur s'inspire de nos maîtres classiques; que sa lecture provoqua un succès flatteur pour la Muse de notre confrère. Une patricienne est aimée par un artiste de qui la séparent les conventions sociales; il la sauve dans un incendie où elle allait périr et conquiert, grâce à son courage,


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262l'affection celle que sa condition plaçait au-dessus de lui. Tel est le sujet de cette idylle.

M. le vicomte de Rochemonteix nous a longuement exposé tout ce qui concerne les églises romanes des arrondissements de Saint-Flour et de Murat. L'infatigable conseiller général du Cantal est un des plus actifs correspondants du Ministère de l'Instruction publique, et parmi les inspecteurs de la Société française d'archéologie il en est peu d'aussi habiles que le maire de Cheylade. Les sanctuaires romans de la HauteAuvergne ne vous sembleraient pas aussi luxueux que la cathédrale romane, mais toute neuve, de Monaco. Par contre, vous les jugeriez plus intéressants que l'église romane la mieux conservée, du moins en partie, qui se trouve dans nos environs, celle de Saint-Laurent-duVar. Les descriptions que M. de Rochemonteix a données de ceux de son pays sont minutieuses; les photographies qu'il en a faites, des plus artistiques.

Voilà pour les recherches de nos confrères qui n'ont pas trait à notre région; voici pour celles qui la concernent et qui sont, vous le devinez, plus nombreuses.

M. l'abbé Albin nous a entretenus de notre cathédrale SainteRéparate. Son mémoire est déjà en vente. Plus d'un, parmi nous, doit avoir lu cette élégante plaquette. Après quelques mots sur la première église dont vous voyez les restes au Château, il décrit l'extérieur de l'édifice actuel, le clocher du XVIIIe siècle, l'intérieur où il nous montre comment l'on s'est inspiré des plans de SaintPierre de Rome.

Suivez le savant docteur en théologie. Il vous indique la valeur des tableaux de la cathédrale: celui du maître-autel où vous reconnaîtrez une oeuvre de l'école de Paul Véronèse ; celui de l'autel du transept droit qui est un pastiche de l'une des fresques que Raphaël a composées pour la chambre « de la signature », la Dispute du SaintSacrement. Ici, il vous arrête devant les Quatre Saints couronnés, de Trachel ; là, devant un Martyre de saint Barthélemy, attribué à Vanloo; ailleurs, devant un Triomphe de sainte Catherine de Sienne, rapporté à Bréa. M. Albin nous montre aussi l'intérêt des sculptures. Une Madone qui orne l'autel du transept gauche, vient, selon une tradition, de l'ancien couvent de Saint-François; au même


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autel, deux images que les fidèles considèrent comme les protecteurs de notre ville, saint Roch, vénéré depuis la peste de 1581, et sainte Rosalie, vénérée depuis celle de 1631. L'architecture de la cathédrale est fort bien étudiée par l'éminent ecclésiastique.

Les personnes pieuses s'intéresseront particulièrement à ce qu'il dit des reliques de saint Alexandre, découvertes dans les catacombes de Saint-Calixte et données en 1709. Les amateurs d'orfévrerie, à ce qu'il indique sur les châsses et reliquaires du trésor; l'un, en bronze doré et argent ciselé, est un don de Victor-Emmanuel 1er; deux furent offerts par la reine d'Etrurie que Napoléon avait exilée à Nice. Les connaisseurs en vieilles étoffes insisteront sur ce que M. Albin dit de quelques jolies chasubles des XVIIe et XVIIIe siècles et de deux dalmatiques portées, croit-on, lors du Concile de Trente. Les admirateurs d'anciennes boiseries, sur ce qu'il indique dans la sacristie : une partie, sauvée grâce à Msr Colonna d'Istria, d'un très bel ouvrage dont le reste est éparpillé dans l'église du Port et celle du Gesù, dont notre confrère est l'un des vicaires. Sa monographie dépasse infiniment les quelques lignes que notre regretté secrétaire perpétuel avait écrites sur la cathédrale de Nice et que vous avez pu lire dans le tome XIV des Annales de notre Société. Ce travail est la première pierre d'un édifice qu'il restait à bâtir, un ouvrage auquel M. Albin compte donner le nom de Nice Chrétienne. Vous connaissez l'Ile de Crète de l'habile écrivain ; sa Poésie du Bréviaire a mérité dernièrement les plus flatteuses approbations. A sa nouvelle entreprise nous souhaitons une entière réussite.

M. Philippe Casimir prépare un travail historique sur la région monégasque et nous a parlé d'un groupe de ces enceintes fortifiées auxquelles on donne communément le nom de pélasgiques. Vous savez qu'on entend par là les bâtiments en blocs énormes, assemblés sans ciment. Voyez-les s'échelonner depuis Monaco : elles vont à l'ouest jusqu'aux Quatre-Chemins, à l'est jusqu'à Roquebrune, au nord jusqu'au mont Agel que couronnent, et par surcroît, des fortifications autrement redoutables. Examinez la disposition de ces ouvrages si anciens : vous reconnaissez qu'ils se surveillent, se soutiennent et forment, selon l'acception moderne, un vrai camp retranché. M. Casimir a consulté les recherches déjà consacrées à ce sujet, notamment celles de notre confrère M. Saige, archiviste de la Principauté de


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Monaco, qui nous avait communiqué en 1897 une partie du travail qu'il lut ensuite à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont il est membre correspondant. Les monuments dont M. Casimir nous a entretenus, remonteraient, non aux Ligures, mais aux Phéniciens qui avaient établi une colonie dans le golfe de Monaco et protégé, par ces fortifications, les routes qui permirent aux fils de Tyr et de Sidon d'exploiter les mines des Alpes. Telle est l'opinion du brillant journaliste qui dirige si bien la Semaine de Nice et qui en a fait, ce dont nous lui savons gré, l'organe des sociétés littéraires et savantes de ce département.

M. le Dr Guébhard n'est pas de l'avis de M. Casimir. Notre éminent secrétaire perpétuel a eu l'occasion de suivre, jusque dans le département du Var, la chaîne de ces Castellaras. Il en a même découvert un très curieux qui domine le puy de Naouris, au nord de Tourettessur-Loup, au point 976 de la carte de l'Etat-Major. Suivant M. Guébhard, beaucoup de ces fortins ont pu être retournés, d'abord par les Phéniciens, puis par les Romains, contre les montagnards que dépossédaient les invasions successives ; mais c'est aux Ligures que vous devez, dit-il, en attribuer la construction. Selon lui, les montagnards ont créé à une époque antérieure, confinant à celle de la pierre polie, ce système de défenses que vous voyez s'échelonner depuis l'est de notre Côte d'Azur, jusqu'en Provence. Ces vigies, semées le long de la mer, et qui communiquaient entre elles, signalèrent la marche en avant des Phéniciens et des Romains.

M. le Dr Guébhard nous a enfin présenté la carte géologique de la partie montagneuse de l'ouest de notre département à laquelle il consacre ses études depuis plus de douze années. Vous verrez à l'Exposition universelle ce tableau dont je me contente de dire que rien de semblable n'avait été encore fait pour cette région-là. Les maîtres les plus autorisés ont déjà loué notre confrère pour tout ce qu'il apporte d'inédit. Un tel travail, poursuivi au milieu des fantaisies austères d'une nature qui ne déploie guère la fastueuse splendeur de celle de notre littoral, l'oblige à endurer des fatigues dont il est déjà récompensé par tant de flatteurs éloges. Vous remarquerez l'aspect en quelque sorte parallèle que les contours géologiques présentent en certaines régions; vous serez tentés de les confondre avec les courbes de niveaux. D'autre part, vous constaterez avec surprise, par exemple au Saut-


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du-Loup, de véritables centres d'étoilement. M. le Dr Guébhard nous a expliqué que les étages jurassiques avaient à l'origine une structure régulièrement feuilletée et que tous leurs affleurements, dus à l'érosion, ne peuvent que reproduire, même au surlendemain des plissements les plus compliqués, l'aspect des veines que vous voyez sur une planche de bois poli. Il nous a montré, d'autre part, l'intérêt de ces points de convergence où de nombreux axes de plissements viennent, par une particularité qui a frappé le savant géologue dans un canton de notre pays, se réunir, au lieu de rester sensiblement parallèles.

M. le Dr Guébhard nous a raconté les péripéties des explorations qu'il a faites, en compagnie d'un ingénieur-hydrographe de la Marine, M. Janet, dans l'embut de Caussols, un gouffre à sec. Si la plaine de rochers qui s'étend au sud de Caussols est une curiosité que n'importe qui peut voir, l'embut, tout marqué qu'il est sur les cartes, n'est pas accessible aux profanes. « Il n'est pas permis », disait un proverbe latin, « à tout le monde d'aller à Corinthe ». Nous ajouterons : « et de descendre dans l'entonnoir où se perd le ruisseau que les vaillants explorateurs ont suivi dans les grottes souterraines. »

Vous aurez une idée des difficultés que vous offrirait une visite à l'embut de Caussols, quand je vous aurai dit que notre savant confrère n'a pas suivi M. Janet jusqu'au bout de son exploration. Il s'est arrêté à un point, c'est lui qui nous l'a confessé, où il faisait trop froid. Ne croyez pas que les deux audacieux spéléologues aient reconnu en entier le mystérieux chemin que les eaux se sont frayé. Les cordes et les échelles apportées ne leur ont pas suffi; c'est dans une fraîcheur glaciale qu'ils marchaient ou rampaient; tantôt une « baignoire de géants » se trouvait sur leur route, et ils devaient y entrer jusqu'au ventre ; tantôt des stalagmites leur coupaient les mains et les pieds ; tantôt dés cascades se présentaient, qu'il leur fallait descendre sous la douche et qu'ils ne remontaient qu'au prix de dangereux efforts ; çà et là des stalactites en forme soit de lustres, mais qui n'éclairaient guère leurs tâtonnements, soit de pieuvres, telles qu'un de leurs compagnons ne fut pas rassuré. M. Janet a donné une relation de ce voyage dans le Bulletin de la Société de Spéléologie, dont il était alors le vice-président.

M. le Dr Guébhard y a joint, dans l'analyse qu'il nous en a communiquée, des considérations géologiques auxquelles sa compétence donne un prix spécial. Nous lui souhaitons d'achever un jour ce voyage aux


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Enfers, de trouver, comme le pieux Enée, le rameau d'or et la sibylle qui l'empêcheront de se perdre dans ces labyrinthes qui semblent inextricables, et de ressortir, ainsi que le héros de Virgile, par la porte d'ivoire; je veux dire d'atteindre l'extrémité, non encore connue, du ruisseau de Caussols. M. le Dr Guébhard a si bien décrit deux des curiosités naturelles de notre département, la grotte Dozol, près de Saint-Césaire, et le Ponadieu, près de Saint-Vallier, qu'il doit supporter difficilement l'idée que ce terrible embut garde une partie de ses mystères.

Ce qui n'en a plus pour notre secrétaire perpétuel, c'est le régime des sources dans notre département. Grâce à ses explications, nous avons assisté à la naissance des fontaines formées à la base des calcaires jurassiques, dans les argiles imperméables de l'infralias, après un voyage sinueux des eaux qui s'infiltrent dans une épaisseur de 300 mètres de bancs pierreux, craquelés, percés de gouffres, fissurés de galeries. Si ces sources vous plaisent par leur fraîcheur, c'est à cause de la longueur du trajet qu'elles ont parcouru ; par leur limpidité, c'est en raison des multiples décantations qu'elles ont subies dans les bassins à siphons. N'oubliez pas, d'ailleurs, qu'elles retiennent de nombreux microbes qu'elles ont embarqués, pour ainsi dire, à l'origine ou en route. A ce propos, notre confrère nous dénonce la coupable imprévoyance de l'homme des champs qui transforme en dépotoirs tous les avencs qu'il connaît.

De ces sources-là est fait le cours de la Siagne et du Loup. Un second groupe de fontaines nous semblera plus modeste, mais M. Guébhard nous dit qu'il a plus d'importance. Elles glissent au bord du terrain crétacé, imbibent, entre les argiles du néocomien, le mince banc sableux du gault, et reparaissent au premier accident de terrain. Celles-ci sont filtrées et pures : que ne sont-elles plus fréquentes? Elles font naître des centres d'habitation que peuvent envier les pauvres villages où vous voyez les gens boire l'eau d'un mauvais puits, percé dans un lambeau de terrain tertiaire.

De ces études scientifiques, M. le Dr Guébhard a voulu se délasser le jour où il est passé sur le terrain de la linguistique comparée et sur le domaine dont Voltaire a eu la malice de dire que les voyelles n'y comptent pour rien, et que les consonnes oublient d'y compter pour quelque chose. Sous une forme humoristique, il nous a raconté qu'il a, dans une chanson des rues de Grasse, trouvé, selon lui, l'origine


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que Littré déclarait ne pas connaître, du mot : baliverne. La luciole que vous voyez voltiger dans nos soirs de juin et de juillet, s'appelle en provençal luvemo. Le mot peut venir, dit notre confrère, du latin : «lux verna » (lumière du printemps). Il est vrai que nous ne la voyons qu'en été. Or les gamins du pays de Fragonard ont l'habitude, lorsqu'ils donnent la chasse aux lucioles, d'entonner ironiquement, sur un air de rengaine, à deux notes seulement, la chansonnette suivante :

Baissa ti, luvemo; Veni pas per tu; Veni per un'autro Qu'es plus bello que tu !

D'où l'habitude de répondre à cet interlocuteur qui cherche à vous en faire accroire : « Mi cantès : baïssa luvemo », et, ajoute notre secrétaire perpétuel, c'est l'origine du mot baliverne. Je souhaite qu'il convainque les sceptiques, s'il y en a parmi vous.

Notre confrère avait laissé un franc barbarisme se glisser dans sa lecture : lux vernis, au lieu de verna. Il ne l'a pas empêché de se faufiler dans la plaquette qu'il imprima peu après. Ce fut pour M. le Dr Guébhard une occasion de reprendre la parole, de faire son mea culpa philologique, d'exhiber une faute qui avait pu échapper à l'attention de plus d'un. D'autres l'avaient prise pour une de ces coquilles dont la typographie sait égayer les proses les plus austères. Certains coupables auraient dû l'aviser à temps de ce qu'il perpétrait sans profit pour une thèse étymologique qui pouvait se passer de ce surcroît d'honneur. Il s'est trouvé parmi nous des latinistes sur le dos desquels notre confrère pouvait tenter ce mea culpa. M. Guébhard n'a pas négligé d'ajouter une pierre de plus — ce qui est bien l'acte d'un géologue — à toutes celles que l'on jette dans le jardin de notre Université. Une fois de plus, il a contesté le profit que laisse après lui le système, encore en vigueur, des études dites classiques. Ai-je besoin de vous dire que je me borne à exposer les idées de notre éminent secrétaire perpétuel?

M. le Dr Guébhard a pensé que, s'il n'avait fait que des mathématiques, il n'aurait jamais encouru — ce sont ses expressions que je vous fais entendre ici, — « le triste honneur d'avoir ajouté au latin de cuisine et à celui de Molière le latin d'un géologue ». Mais par contre il n'aurait pas suivi le vol des lucioles jusqu'aux régions de la philo18

philo18


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logie et promu la luverno à la dignité d'étymologie. Le moment est d'autant mieux venu de se livrer à ce que notre confrère, dans une précédente plaquette, nomma les « amusettes étymologiques provençales », que notre ministre vient d'inscrire la langue de Mistral au programme des examens de licence qui se passeront devant la Faculté des lettres d'Aix-Marseille.

M. le Dr Johnston-Lavis nous a présenté des objets romains qu'il avait découverts à Beaulieu, en divers endroits, notamment dans la tranchée de l'égout qui coupe la batterie, ainsi que sur l'emplacement où l'on a bâti la nouvelle église. Quel fut l'établissement romain ? Sans doute un faubourg, ou plutôt un hameau, de cette Olivula que les Romains nommèrent ainsi d'après les oliviers qu'y avaient plantés soit les Phéniciens, soit plutôt les Grecs. Vous n'ignorez pas que, dans les premiers temps de la seconde annexion, en 1862, lorsqu'on établit la batterie de Beaulieu, près de l'église, on avait trouvé des tombeaux couverts de tuiles et pleins d'urnes, de lampes, de monnaies, de vases d'époque romaine. Les objets recueillis par M. Johnston-Lavis sont une nouvelle preuve que Beaulieu fut occupée par les Romains. Point de statuettes ; mais des fragments de verrerie, dont quelques-unes ornementées, un style à écrire, un dé à jouer, des monnaies à l'effigie de divers empereurs, des clous de fer ou de bronze, des débris de boîtes à parfums, d'épingles, et, semble-t-il, de flûtes en os et de sifflets. En outre quelques amphores contenant des os d'enfants, des tuiles tumulaires, et surtout de jolis morceaux de terre-cuite. Telles poteries en terre rouge ont diverses empreintes, des signatures de potiers, des strigiles, d'élégants feuillages, des vols d'oiseaux ou de libellules ; d'autres présentent des lapins, des quadriges lancés au galop, des gladiateurs qui luttent. Ce sont des morceaux de cette poterie à laquelle on donnait autrefois, sans motif, vous le savez, le nom de Samos ; on la qualifie aujourd'hui de terre d'Arezzo. Que les objets aient été fabriqués à Arretium même, que ce nom ait fini par désigner un genre ; peu importe. Cette poterie rouge à reliefs a pris une grande extension le jour où baissa la fabrication des vases peints ; elle contribuait à les faire disparaître. Je n'ai pas à vous dire qu'on en a trouvé jusqu'en Angleterre, que la couleur de corail et la glaçure silicoalcaline qui les revêt a parfois beaucoup de charme, que ces vases ne sont pas seulement décorés de fleurs, d'animaux, de scènes mytho-


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logiques. Certains fragments, découverts à Vichy et publiés dans la Gazette Archéologique il y a un quart de siècle, ont offert des motifs historiques relatifs à Trajan. Ceux que M. Johnston-Lavis a retirés du sol de Beaulieu n'ont pas cette valeur de premier ordre. Mais ils sont pour la plupart si gracieux que vous vous refuserez à y voir les restes de la vaisselle d'un simple corps de garde de soldats romains ou d'un modeste poste de douaniers.

Un de nos confrères s'est caché sous le pseudonyme de Lizan pour publier une Bibliographie des Alpes-Maritimes dont M. Moris a rendu compte. Si l'ouvrage était nécessaire, s'il restait difficile de savoir tout ce qui fut écrit sur ce pays, vous né l'ignorez pas. L'auteur de cette Bibliographie a rendu un service considérable, et ses longues recherches méritent toutes nos sympathies. Vous devez à sa patience le premier essai de ce genre qu'on ait tenté pour ce. département, et les personnes studieuses qui, selon le voeu de M. Lizan, amélioreront son oeuvre, devront commencer par se la rendre' familière. Plus de sept cents ouvrages répartis en 33 divisions, voilà ce qu'il vous présente sans avoir la prétention de donner une bibliographie raisonnée. Que l'auteur reprenne dans quelque temps son travail, le complète encore et le repolisse, suivant le conseil du vieux Boileau, et nous lui renouvellerons les compliments que déjà le compte-rendu de M. Moris nous a permis de lui offrir. Pourquoi a-t-il eu la modestie de recourir à l'anagramme ? M. Lizan a beaucoup lu et nous invite à lire, d'autant mieux qu'il nous apprend quelles doivent être nos lectures, où nous les trouvons et le plus souvent quel en est l'intérêt. Son travail est le plus complet qu'on ait jusqu'ici consacré à notre région : M. Moris nous a fait remarquer que la nomenclature des ouvrages est généralement suivie d'une courte notice, empruntée soit aux introductions soit à des comptes-rendus, ou due à la plume de M. Lizan. Félicitons notre confrère d'avoir mené à bien un travail aussi sévère qu'utile.

M. le Dr Malgat a examiné la curieuse question de savoir si les Méridionaux supportent le régime cellulaire mieux que les gens du Nord. Vous devinez que notre ville est placée dans des conditions spéciales pour que ceux qui s'intéressent aux problèmes pénitentiaires aient les plus utiles renseignements à leur disposition. Notre confrère


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a été chargé, comme médecin en chef des prisons, de s'attaquer à la question. Nice est fréquentée durant l'hiver par des gens de nationalités différentes, et tous ces hivernants ne sont pas de petits saints. Les statistiques de M. Malgat ont porté sur plus de dix milliers de détenus des deux sexes, de tout âge, de pays divers : 8.720 hommes et 1.572 femmes. Depuis cinq ans, dit-il, les clients des prisons diminuent selon une progression régulière ; ceux des climats tempérés supportent le régime cellulaire plus mal que ceux des régions froides et même que ceux des pays chauds. « J'en vois qui sont du Nord et qui sont du Midi », peut dire notre confrère en modifiant un vers connu de l'Epltre à Huet; en outre, M. Malgat les étudie. Espérons qu'un jour viendra où l'on n'enverra plus, où la pure vertu régnera sur la terre et où les cellules ne logeront que des araignées ; que la progression des détenus continuera à décroître si régulièrement que les tribunaux correctionnels et les cours d'assises écriront sur leurs portes : Relâche.

M. Moris nous a expliqué de quelle manière eurent lieu, en 1307, les saisies des biens que les Templiers avaient dans les vigueries de Grasse, Puget-Théniers et Saint-Paul. Deux registres qui proviennent de l'ancienne Chambre des Comptes d'Aix, appartiennent aujourd'hui aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône.

C'est au nom du roi de Naples, neveu de saint Louis, Charles II le Boiteux, comte de Provence, que les opérations, dont notre savant secrétaire nous a parlé, eurent lieu dans les trois vigueries, en vertu d'ordres cachetés que les gens de justice avaient mission de n'ouvrir qu'à un jour fixé et d'exécuter sans délai. Les documents consultés par M. Moris nous ont fait connaître ce qu'étaient les possessions de l'ordre, dont Michelet a étudié le procès, il y a une soixantaine d'années. Ils montrent que plusieurs des suspects n'appartenaient pas à la noblesse. II n'en résulte pas l'idée que les victimes de Philippe le Bel aient mené une vie luxueuse dans notre région. Au château de Rigaud, où résidait un Templier, administrateur des biens que son ordre possédait dans ce village, quels objets précieux sont inscrits sur l'inventaire dressé par le bailli et le juge de PugetThéniers? Un matelas, trois coussins de plumes, une lance, une arbalète, cinq livres de coton dans une boîte, quatre écuelles de pois chiches, deux livres d'amandes dans un sac, une chemise, deux


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capuchons, trois tonneaux de vin, six fromages dont chacun pèse 30 livres.

Cette époque a connu des causes célèbres, dont une des moins connues et des plus romanesques est le procès d'un évêque de Troyes, publié il y a quelques années. Les documents analysés par M. Moris n'ont guère, il n'a pas eu besoin d'y insister, la même originalité. Néanmoins ils constituent une utile contribution au peu que vous saviez de l'ordre qui a joué un rôle important dans cette partie de la Provence et que sacrifia Clément V.

L'éminent archiviste de ce département s'est fait une spécialité des questions militaires de la fin du siècle dernier. A ses études sur la réunion de Nice et de Menton à la France, à son histoire des campagnes de nos armées républicaines dans les Alpes, il a dû revenir et nous donner une étude d'un journal manuscrit où un Niçois de 1792 raconte l'entrée des Français à Nice en septembre 1792. Rédigées en italien, ces notes forment un petit cahier qui appartint à un des prési dents de notre Société, le regretté Sardou. Qui narra ainsi, jour par jour, ce qui s'est passé dans notre ville du 27 septembre au 8 octobre? M. Moris n'a pu arriver à le dire au juste. Si tous les feuillets de ce registre n'ont pas survécu, vous appréciez l'intérêt qu'il présente pour notre histoire locale et le complément qu'il forme aux travaux de notre infatigable secrétaire.

Si le savant historien des armées républicaines a complété les travaux qu'il avait déjà consacrés aux premières journées où Nice se donna librement à la France, notre confrère a dû reparler de cette question des restes du général Marceau, pour laquelle il avait tant fait. Vous savez que la soeur du glorieux vainqueur de Fleurus fut. inhumée, il y a un demi-siècle, dans le cimetière du Château et que l'on mit, dans sa tombe, des cendres du jeune général dont elle avait été comme une seconde mère. Dans les archives de l'ancien consulat de France à Nice, M. Moris avait trouvé un procès-verbal de cette cérémonie qui a permis de découvrir et d'envoyer au Panthéon, où elles furent déposées le 4 août 1889, des reliques d'une indiscutable authenticité. L'an dernier, un petit neveu du général, M. Lodovico Sergent, de Treviglio (Italie), offrit de céder à notre Musée de l'Armée française « ce qui reste », disait-il, « des cendres de Marceau». M. Moris nous montra à ce propos que M. Sergent possédait assurément des cendres du général, mais qu'il avait tort de croire que tout ce qu'il en reste


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fût entre ses mains. Le conventionnel, beau-frère du général, est mort à Nice en juillet 1847; le marquis de Châteaugiron, consul de France à Nice, envoya au neveu du défunt, Antonio Sergent, domicilié à Milan, divers objets et un coffret où étaient des cendres de Marceau ; un autre coffret, dont Sergent parle dans son testament, était déposé en juin 1834 dans la tombe de sa femme Emira, soeur du général. C'est ce dernier coffret que le Panthéon possède depuis 1889.

Lors des articles provoqués par l'offre récente de M. Lodovico Sergent, il était utile que l'archiviste des Alpes-Maritimes, fort de la précision des documents dont la garde et l'étude lui est confiée, rétablît l'exacte vérité qui risquait de s'altérer.

Au Pays bleu, c'est le titre de l'ouvrage que M. Moris a entrepris d'écrire et qu'il achève en ce moment. Cinq cents gravures en phototypie y représenteront tout ce que notre département possède d'intéressant au point de vue de l'art, de l'archéologie, de la nature et de la vie. Le livre aura un caractère à la fois artistique, scientifique et littéraire. Illustré avec le plus grand luxe et à l'aide de clichés inédits, il s'imprime à cette heure et avec toute l'élégance qui convient à une oeuvre destinée à faire connaître, de la façon la plus riche, toutes les curiosités des régions si différentes dont se compose notre pays. La Côte d'Azur et la montagne seront également offertes aux yeux du lecteur. Notre Société, où M. Moris ne compte que des amis, a voté une importante somme à ce bel ouvrage dont la publication n'a été retardée que légèrement. Notre confrère aurait, sans des circonstances indépendantes de sa bonne volonté, achevé son travail pour l'ouverture même de l'Exposition universelle. Du moins, le donnera-t-il vers le milieu de la grande fête de cette année. Au fur et à mesure qu'il mettait la dernière main aux premiers chapitres, il nous en a présenté l'illustration : d'abord des plans et des vues de la Nice d'autrefois, des tableaux que nul photographe n'était encore arrivé à reproduire, ont passé sous nos yeux ; par exemple, ces oeuvres de Luigi Bréa, d'Antonio, son frère, de Francesco, leur neveu, et de Miraiheti, que les études du regretté M. Brun ont fait connaître, et ce plafond de Carlone, qui décore une des salles de l'ancien palazzo Lascaris. De curieux escaliers de la vieille ville, d'élégants balcons, des portes ornées du monogramme du Christ, des fenêtres évoquant le moyen âge, ont été reproduits habilement.

M. Moris nous a permis d'admirer quelques-unes de ces pièces d'or-


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fév erie qui constituent une partie du trésor de la cathédrale de Nice : la masse capitulaire, celle du Sénat, la mitre dite de saint Bassus, un fragment d'une crosse fort ancienne qu'on aurait trouvée à Cimiez. Avec lui, nous sommes entrés au palais de Maurice de Savoie. La Vierge de l'église Saint-Jaume, les peintures même les plus effacées de Saint-Augustin, de, Saint-Barthélemy et de l'église de Cimiez ont été l'objet de clichés excellents.

En tète du livre, vous pourrez lire une préface signée d'un des Académiciens qui ont le mieux, en prose et en vers, parlé de notre ville, M. Theuriet. Dans quelques mois à peine, l'ouvrage aura paru, aux vitrines des libraires et attiré les regards par l'élégance de sa couverture polychrome. Je ne sais ce qu'alors vous admirerez le plus : la science avec laquelle M. Moris a noté tout ce qui peut intéresser le lecteur, ou l'habileté dont les artistes qui travaillent pour lui, ont fait preuve chaque fois que, grâce à des tours de force, ils ont enfin reproduit une foule de choses curieuses, dont plusieurs sont fort belles, et dont le Pays bleu de notre confrère donnera pour la première fois une image.

Le rapporteur ne devrait pas parler de soi. S'il vous demande la permission de dire un mot de ses études, c'est qu'elles n'ont porté que sur des documents originaux, inédits pour la plupart ou insuffisamment utilisés, et qu'il a examinés aux Archives départementales, grâce à l'amabilité de M. Moris.

J'ai étudié les visites pastorales du premier académicien dans le diocèse de Vence dont Godeau fut le chef spirituel de 1654 à 1672. Vous y voyez un évêque consciencieux, qui rencontre parfois de la part de ses prêtres un accueil hostile et n'épargne aucune peine pour le pays qu'il nomme, dans un rapport au Conseil privé, « un petit diocèse si bien policé et ordonné ». De ces procès-verbaux il m'a semblé que plusieurs détails méritaient d'être connus : conflits de l'évêque et du clergé régulier, blâmes adressés à certains de ses prêtres, dévotions locales, objets d'art ou de dévotion qui étaient alors dans les églises et n'ont pas tous survécu. A Cagnes, c'est le rigodon que les gens dansaient avec des postures et des grimaces que le prélat qualifie d'inconvenantes et abominables ; au Broc, où il venait d'acheter un bien modeste château, c'est une invasion de vers et de chenilles qui dévoraient tout et qu'il exorcise à la chapelle rurale de Saint-Roch. Vous aimeriez à lire


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la page de ses visites pastorales où il décrit le violent orage qui le surprit, en septembre 1670, entre Coursegoules et Gréolières, et celle où il raconte comment, en décembre, il monta de Tourettes à Courmes au milieu de la neige qui tombait en abondance et de la glace qui l'empêchait d'avancer. J'ai publié cette étude dans le tome XI des Annales du Midi.

Une autre de mes communications a eu pour objet diverses curiosités des églises de l'ancien diocèse de Vence dont je n'avais pas encore entretenu mes confrères. A Cagnes, vous me permettrez de vous mentionner le tableau du maître-autel et celui de la chapelle des Ames du Purgatoire; à la Colle, de nombreux reliquaires du' XVIIIe siècle; à Coursegoules, un reliquaire en vieux bois, contenant une vertèbre de sainte Marie-Madeleine et offert, à l'église par Mgr de Surian, l'un des Quarante, en 1751 ; sur le territoire de Courmes, dans la gorge du Loup, la chapelle de Saint-Arnoux, le rocher et la fontaine qui se trouvent à côté, la vieille dévotion en l'honneur de l'évêque de Metz qui, selon la tradition, avait fui Lérins et cherché un asile dans cet endroit sauvage, les. bains qui semblent une évolution de quelques usages païens et qui ont donné, par suite des libertés que dévots et dévotes y prenaient, beaucoup d'inquiétude aux évêques de Vence; enfin, à Tourettes, une curieuse boiserie sculptée qui semble être un peu moins ancienne que les belles stalles de Vence et appartenir à la fin du XVe siècle. Les documents que j'ai étudiés apprennent que longtemps les évêques de Vence ne se soucièrent pas de monter à Courmes et que le premier qui vint visiter ce village fut Godeau, le premier des membres de l'Académie française, dont le fauteuil est aujourd'hui occupé par M. François Coppée.

Celui qui l'est par M. Albert Sorel appartint en 1733 à Surian, évêque de Vence depuis 1728, dont la plupart des papiers sont conservés aux Archives de notre département. J'y ai trouvé une lettre inédite de Massillon à ce prélat. La date peut être rétablie. D'après des allusions aux troubles jansénistes de Paris et à la nomination d'un évêque de Grasse comme abbé de Lérins, cette lettre m'a paru confirmer ce qu'on sait sur certaines idées de l'illustre évêque de Clermont ; Massillon y rend, hommage aux talents oratoires de Surian, qui était comme lui un enfant de notre Provence, et il nous apprend que l'évêque de Vence avait été prié de prêcher un Carême à Toulouse. Massillon, vous ne l'ignorez pas, a été particulièrement étudié par un prélat d'une grande érudition, professeur honoraire à la Sorbonne, Mgr Blam


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pignon. Le savant ecclésiastique a donné en 1891 un Supplément à l'histoire et à la correspondance de Massillon et vient de me faire l'honneur de m'en adresser un exemplaire en échange de celui de la lettre que j'ai publiée dans le Bulletin de la Société Archéologique du Midi, de 1899. J'y vois qu'on ne possédait, en 1891, que soixante-cinq lettres du célèbre orateur provençal.

Enfin, à l'aide de documents dont les uns avaient été médiocrement utilisés par l'abbé Tisserand et dont les autres lui. avaient échappé, j'ai cherché à reconstituer la vie d'un fils de la banlieue d'Albi qui fut évêque de Grasse et de Vence sous Henri IV, Guillaume Le Blanc. L'inventaire, encore inédit, que l'on avait dressé à sa mort, m'a permis de définir quelle était la composition de sa bibliothèque et quels goûts d'humaniste, d'helléniste en particulier et de jurisconsulte, semblent avoir distingué ce prélat dont l'existence épiscopale connut d'incroyables péripéties. Le travail est sous presse dans une des principales revues du pays de Clémence Isaure.

Je termine ce long rapport, m'excusant de ne pas l'avoir fait plus court, et vous remercie de la bienveillance avec laquelle vous avez daigné en écouter la lecture. Permettez-moi de conclure que notre compagnie a tenu un rang fort honorable parmi les Sociétés savantes de province, et que celles-ci servent à quelque chose.

Elles ont pour objet principal de s'attacher à l'étude des questions qui se rattachent à leur petite patrie : ainsi elles collaborent utilement à l'histoire de la grande patrie française. Leurs membres ne sont jamais trop actifs. Il est rare qu'ils soient trop nombreux. Notre secrétaire perpétuel d'aujourd'hui le disait, il y a quelques années, et affirmait à bon droit que la liste de nos confrères est loin de comprendre tous les noms qu'elle devrait compter. Dans notre département des Alpes-Maritimes, le long de notre Côte d'Azur qui est la plus merveilleuse partie des bords de la Méditerranée, dans cette superbe ville qui grandit sans cesse et que le gouverneur actuel de nos possessions d'Asie a proclamée le salon d'Europe, nos travaux peuvent intéresser assez d'hommes de bonne volonté. Tous ne sont pas encore venus à nous Les Sociétés savantes des départements provoquent le sourire complaisant de plus d'un badaud; j'en ai connu une dont les membres se donnaient le sobriquet de « Chiens savants ». Beaucoup de ceux qui ne sont pas leurs adeptes, les tiennent pour des associations de flatteries


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réciproques. Donnent-elles des récompenses, ou de simples éloges ? Les sceptiques songent au mouton rouge de Candide, dont je vous parlais au début de ce long rapport. L'éminent administrateur qui a daigné présider notre séance publique sait que l'Académie de Bordeaux donna un prix—c'est Voltaire qui parle — « à un savant du Nord qui avait démontré par A, plus B, moins C, divisé par Z, que l'animal du jeune Westphalien devait être rouge et mourir de la clavelée. »

A ces railleries, permettez-moi de répondre, comme il convient à un fonctionnaire, par la voie (ou la voix) hiérarchique. M. le Ministre de l'Instruction Publique, parlait, en avril dernier, dans la salle des Illustres du Capitule de Toulouse, à propos du Congrès des Sociétés savantes, le premier qui ne se soit pas tenu, malgré l'usage antique, sinon séculaire, à Paris. « Les recherches se multiplient », disait M. Leygues : « les documents surgissent de tous les points du territoire ; chaque région, chaque département, chaque ville dépouille ses archives, dégage ses documents, écrit son histoire. Les associations régionales augmentent chaque jour le trésor scientifique de la nation, défendent contre l'indifférence et l'oubli le patrimoine légué par nos aïeux, maintiennent le lien qui unit le présent au passé. Par leurs publications ininterrompues, par les documents dont elles enrichissent nos collections, par leurs méthodes, elles protestent contre l'ignorance et les préjugés. Leur oeuvre est une affirmation de ce que vaut la haute culture et de ce qu'elle peut pour le progrès de la civilisation et pour la grandeur de la patrie. »

S'il m'est permis d'ajouter aux paroles de notre Ministre, je dirai que le savant de province n'est pas toujours l'être inutile qu'un vain peuple pense. Témoin celui dont vous avez hâte d'entendre la notice nécrologique. C'est un Breton de Metz qui organisa, dans sa patrie d'adoption, votre corps franc des Alpes-Maritimes dont la conduite fut digne de la vaillance de l'illustre Niçois, qui, après avoir conquis pour la Sardaigne le royaume des Deux-Siciles, et pour la jeune Italie les vieux Etats Romains, combattit pour nous près de la grande cité bourguignonne, où il vient d'être dernièrement honoré d'une statue. M. Brun aimait l'érudition ; mais vous savez aussi qu'il organisa cinq compagnies de volontaires niçois qui honorèrent la Défense Nationale dont l'organisateur repose sur l'un des flancs de la vieille acropole de Nikè. M. Brun avait la passion de l'archéologie; mais il commanda


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fort bien ces patriotes dont il put raconter les actes, vingt ans après l'Année Terrible, à l'aide des documents officiels qu'il avait gardés, « afin de montrer », dit-il, dans ce travail que vous lisez au tome XII de nos Annales, « ce que peut l'initiative privée et le renoncement à soi-même pour le bien public. »

L'érudit de province n'est pas seulement ce ridicule savantasse dont parle La Bruyère : Hermagoras, qui ne connaît que les détails de la guerre des Géants contre les Dieux et n'ose décider si Sémiramis avait une voix mâle comme Ninyas son fils, ou celui-ci une voix efféminée comme celle-là. Aussi remercions-nous tous ceux qui ont bien voulu, par leur présence dans cette salle, témoigner leurs sympathies pour ce que l'auteur des Promenades d'un Curieux dans Nice appelait, au soir de sa vie, « une peu bruyante, mais laborieuse association. » Vous êtes assez universitaire d'esprit, M. le Préfet, pour partager l'avis d'un de nos hellénistes les plus distingués, qui présidait la séance publique que l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres tint en novembre dernier. M. Alfred Croiset avoua que chaque érudit, pris à part, ne fait qu'une besogne étroitement limitée, petite dans ses résultats immédiats. « Mais deux choses», ajouta l'orateur, «l'ennoblissent: d'abord, la grandeur lointaine du but espéré, qui est l'accroissement du domaine de la connaissance par la collaboration d'innombrables travailleurs, ensuite l'amour de la vérité, avec ce qu'il implique de liberté d'esprit, de scrupule patient dans la recherche, de réserve dans l'affirmation. Ainsi, pierre par pierre, l'humble érudition bâtit son édifice. »

La Société des Lettres, Sciences et Arts des Alpes-Maritimes continue à construire le sien, aussi vite que le permettent ses ressources. Cette année encore, les libéralités de notre vice-président s'y sont jointes, ainsi que les largesses d'un ami de notre compagnie, qui a tenu à garder l'anonyme et a pris à sa charge l'illustration du volume de nos Annales qui est sous presse. A M. Halphen, nous exprimons directement nos remerciements. Au bienfaiteur anonyme, nous les envoyons par l'intermédiaire de notre cher secrétaire perpétuel, pour qui le généreux donateur ne saurait garder le voile où il se dérobe officiellement à nos yeux. Le tome XVII de nos Annales est imprimé en partie.



ENTREE DE BONAPARTE A NICE



DÉPART DE BONAPARTE POUR L'ARMÉE D'ITALIE



CARTE GÉOLOGIQUE

DE

LA COMMUNE D'ESCRAGNOLLES

( Alpes - Maritimes ) par M. A. GUÉBHARD



CARTE GÉOLOGIQUE

DE

LA COMMUNE D'ESORAGNOLLES (Alpes-Maritimes)

par M. A.. GUEBHARD

La localité d'Escragnolles (Alpes-Maritirnes,— ci-devant Var), célèbre de tout temps au point de vue paléontologique 1, méritait de le devenir également au point de vue. tectonique par les singularités remarquables dont elle offre un très curieux exemple. Une étude de toutes les régions circonvoisines pouvait seule en fournir la. clef, et c'est ainsi que je fus amené, après avoir successivement publié les cartes géologiques au 1/50000 des communes de Saint-Vallier-de-Thiey (Alpes-Maritimes) 2 et de Mons (Var), 3 à trouver peu à peu, et finalement à exposer au Congrès de Paris de l'Association française pour l'Avancement des Sciencesi, l'explication naturelle de tous les problèmes de structure que résume et résout, avec sa; planche de coupes superposables, la carte au 1/40000' reproduite ci-après.

On y remarque à première vue la convergence, au pied de la grande barre E.-O. de l'Audibergue, d'un grand

1. Une bibliographie complète a été donnée en 1895 dans un mémoire publié, avec ma collaboration, par MM. Kilian et Zürcher, in B. S. G. F. (3) XXIII, p. 952-969, pl. XXVII. Postérieurement a encore paru une superbe monographie des fossiles albiens d'Escragnolles, par MM. Parona et Bonarelli, in Paleontogr. italien, II, p. 53-112, pl. X-XIV. — 1896. 2. Afas, XXIII, p. 483-496, pl. VII-VIII—1894.

8. Bull. soc. Et. sc. de Draguignan, XX, 225-320, 2 pl. — 1897.

4. Afas, XXIX, p. 550-594, pl. III-IV — 1900.


— 282 —

nombre de synclinaux crétacés venus de tous les azimuths de l'horizon, dont l'ensemble, en figure de patte d'oie ou d'éventail plan, constitue un type, de grandeur peu commune, d'un mode de plissement par fasciation palmaire, qui ne paraît pas avoir ailleurs attiré l'attention des géologues, avant que fût excitée la mienne par sa relative fréquence en nos régions 1.

Le fameux gisement fossilifère de la Collette de Clars est placé juste à l'extrémité d'une des interdigitations anticlinales qui forment cap entre les synclinaux confluents.. Ainsi s'explique le paradoxe local de la régularité indérangée du flanc ouest, où se' récoltent, en coupe parfaitement normale, sous les grandes assises cénomaniennes, les abondants fossiles du Gault,. du Barrêmien et de l'Hauterivien, avec la superposition observable au bord de la route même, en face la borne kilométrique n° 40, où le Néocomien écrase le Cénomanien, qui, tout auprès, montre encore un lambeau gréseux de Conglomérat pontien, tandis qu'un peu plus à l'est on voit s'élever au-dessus une barre callovienne flanquée d'Oxfordien fossilifère.

Ce dernier accident, qui pouvait paraître d'abord d'une explication difficile, s'est trouvé résolu très simplement par le rattachement orographique et tectonique de l'éminence jurassique à une série d'autres qui, jusqu'à l'est du village même d'Escragnolles, dédoublent inférieurement -l'anticlinal principal septentrional, pour former une petite chaîne frontale subordonnée, égrenée en chapelet, sur son parcours, par des froncements perpendiculaires locaux, et,

1. Un autre exemple encore plus complet est offert, dans le voisinage de Nice, par le point connu des touristes sous le nom de Saut-du-Loup. Il m'a fourni la matière d'un mémoire inséré au C. R. du Congrès Géologique international de Paris, 1900, p. 631, avec une carte géologique détaillée au 1/80000, pl. VI, de toute la région comprise entre le Var et la Siagne.


— 283 —

vers son extrémité, par sa rencontre avec des directions synclinales recoupantes '.

En effet, la congruence générale qui frappe d'abord les yeux n'est géométriquement homocentrique que pour un certain nombre de plis et l'on en distingue facilement trois à part, qui, venus du sud-ouest, parallèlement à une direction tout à fait prépondérante dans la région de Mons, conservent cette direction sans céder à l'attraction du centre commun et recoupent au contraire, près de leur origine, tous les rayons de l'étoile de plis, en formant un système bien indépendant, superposé à l'autre, et dessinant les gorges et mamelons dont est faite l'orographie de ces lieux.

Il suffit d'observer celle-ci au jour de ces données structurales pour voir se résoudre en conceptions simples et de la plus limpide évidence l'ensemble comme le détail d'un chaos d'abord déconcertant, dont l'attirance, après avoir défié pendant des années ma curiosité, ne manquera pas de s'exercer plus grande sur les visiteurs futurs quand ils auront en mains le guide sûr et détaillé que je leur offre, en les renvoyant, pour plus amples renseignements, au mémoire original.

1. B. S. G. F. (3), XXVIII, 910. — 1900.

19



Association française.

T XXIX Pl. III

Grave chez L. Wuarer

A.GUÉBHARD_C0UPES GÉOLOGIQUES DE LA COMMUNE D'ESCRAGNOLLES.





LISTE

DES MEMBRES DE LA. SOCIÉTÉ

PRÉSIDENTS D'HONNEUR

M. le Général Gouverneur de Nice.

M. le Général commandant la 29e division.

M. le Préfet des Alpes-Maritimes.

Mgr l'Evêque de Nice.

M. le Maire de Nice.

MEMBRES HONORAIRES

M. le Recteur de l'Académie d'Aix.

M. CAMILLE FLAMMARION, $Î, I. f|-, astronome, à Paris (1er avril 1873).

M. CÉSAR DALY, $?, architecte, directeur de la Revue générale de l'Architecture et des Travaux publics, à Paris (16 février 1878).

M. FRED. MISTRAL, O. * (16 juin 1878).

M. VICTORIEN SARDOU, C. $*, membre de l'Académie Française, à Paris (16 octobre 1878).

M. R. BISCHOFFSHEIM, *, député, à Paris (16 janvier 1880).

M. LA GRANGE DE LANGRE, C. $£, I. fj, conseiller maître à la Cour des Comptes, 72, avenue Kléber, à Paris (1886).

M. PERROTIN, $f, membre correspondant de l'Institut et du Bureau des Longitudes, directeur de l'Observatoire de Nice (1er mars 1894).

M, SAUVAIGO (Emile), ||, botaniste, à Nice (1900).

M. ANDRÉ THEURIET, O. ^, membre de l'Académie Française, à Bourg-laReine (Seine) (1er mars 1894).

MEMBRE DE DROIT

M. l'Inspecteur d'Académie.

Bureau de la Société pour 1901

Président : M. E. CORINALDI.

Vice-Président : M. ABBÉ, O. %t, inspecteur général honoraire des Ponts

et Chaussées. Secrétaire perpétuel : M. le Dr GUÉBHARD, agrégé de la Faculté de Médecine

de Paris. Secrétaire : M. HENRI MORIS, $(, I. CS, archiviste du Département. Trésorier : M. GONNET, directeur de l'Agence du Crédit Lyonnais de Nice. Bibliothécaire : M. GEORGES DOUBLET, professeur au Lycée.


- 286 —

MEMBRES TITULAIRES

MM.

ANDEL ( Edward van ), villa Belmondy-Carlin, Cimiez, à Nice (15 novembre 1896).

ANDRIAN WERBORG (bacon d'), président de la Société d'anthropologie de Vienne, villa Mendiguren, Cimiez, à Nice (16 mars 1896).

APPY, publiciste, avenue Beaulieu, 10, à Nice (6 janvier 1900).

ARÈNE (Edouard), rue Ségurane, 10, à Nice (16 octobre 1895).

ARNULPHY, docteur en médecine, villa Les Violettes, rue Adélaide, à Nice (6 janvier 1877).

AUBE, O. &,• inspecteur général honoraire des ponts et chaussées, rue d'Amérique, 6, à Nice ( 17 juin 1889).

BALESTRE, <fc, II, docteur en médecine, place Masséna, 3, à Nice (16 juin 1876).

BAR, docteur en médecine, boul. Dubouchage, 22, à Nice (16 novembre 1893).

BARBARY, docteur en médecine, rue Adélaïde, 20, à Nice (16 décembre 1897).

BARBET (Lucien), I. i||>, architecte du département, rue Cotta, 12, à Nice (16 novembre 1895).

BARETY, $<, docteur en médecine, rue Cotta, 27, à Nice (3 novembre 1875).

BARROIS, I '.fl, directeur du laboratoire zoologique, villa Thérèse, à Villefranche-sur-Mer (18 mars 1882).

BERNARD-ATTANOUX, avocat, place de l'Eglise-du-Voeu, 2, à Nice (5 mars 1888).

BLANC (Casimir), ancien notaire, boulevard Victor-Hugo, 38, à Nice (1er juin 1888).

BONNAL, docteur en médecine, boul. Victor-Hugo, 19, à Nice (16, janvier 1874).

BONNET. (Amédée), boulevard Gambetta, 5, à Nice (19 janvier 1901)

BOUSQUET, I. i||; directeur de l'École Normale de Nice, route de la Corniche (16 mai 1890).

CASATI DE CASATIS,'-^, conseiller honoraire à la Cour d'appel de Paris (1er février 1896).

CASIMIR (Philippe). publiciste, rue Gubernatis, 19, à Nice (6 novembre

novembre CHASTEL (comte, Emeric du), villa

Bouttau; boul. Carabacel, 20, à

Nice (16 novembre.1893).

CORINALDI (Edouard), rue Palermo, 9, à Nice (13 novembre 1868).

DOUBLET (G.), 0, professeur, au Lycée, villa Minerve, rue du Soleil, SaintBarthélemy, à Nice (16 janvier 1896).

DROUET (Francis), consul, de Perse, rue Pasteur, villa Evora, à Niee (1er mars 1894.)

EMANUEL (Antoine), imprimeur, rue de l'Hôtel-des-Postes, 25, à Nice (19 janvier 1901).

ESSLING (prince d'), villa Masséna, promenade des Anglais, à Nice (1er juin 1891).

FABRE (Gaston), avocat, rue Adélaïde, 20, à Nice (5 mars 1888).


— 287

MM. FARAUT (Henri), SJj, docteur en médecine, rue Saint-François-de-PauIe. 20, à Nice (16 janvier 1874).

FRÉMONT, docteur en médecine, quartier de Carras, à Nice (1er décembre 1894).

GONNET, directeur de la succursale du Crédit Lyonnais, à Nice (1er mai 1895).

GROSLONG, capitaine du génie, en littérature Pierre DEVOLUY, boul. Carabacel, 15, à Nice (6 avril 1901).

GUÉBHARD, agrégé de la Faculté de médecine de Paris, à Saint-Vallierde-Thiey (Alpes-Maritimes) (16 janvier 1893).

GUILLAUMET, avenue Durante, 6, à Nice (4 janvier 1897).

HALPHEN (Eugène), rentier, rue Longchamp, 11, à Nice (2 janvier 1882).

HALPHEN (Jules), ancien capitaine d'artillerie, avenue Victor-Hugo, 81, à Paris (16 mars 1888).

HARRIS ( Sir James ) , consul d'Angleterre, place Bellevue, 4, à Nice

(17 mars 1879).

HEARN, villa Saint-Louis, à Menton

(1er mars 1884).

JAFFÉ (John), promenade des Anglais, 38, à Nice (1er février 1888).

JAUBERT, professeur honoraire au Lycée, rue Gambetta, 3, à Nice (17 novembre 1900).

JOHNSTON-LAWIS, docteur en médecine, à Beaulieu (1er avril 1897).

JOUBERT (Alfred), villa Joubert, boul. Gambetta, 29, à Nice (5 février 1898).

JUGE (Charles), ingénieur agricole, rue Garnier, 9, à Nice (1er mai 1886).

LANGFORD, rue Cotta, 36, à Nice (1er décembre 1898).

MM. LANZI (Laurent), 32, rue de l'Escarène, à Nice (1er mars 1896).

LAIROLLE, avocat, rue de l'Hôtel-desPostes, 4, à Nice (2 mars 1877).

LANGLOIS, avocat, rue de Paris, 27, (2 Février 1901).

LAUGIER, docteur en médecine, chirurgien en chef de l'hôpital de Grasse (18 février 1898).

LERICHE, docteur en médecine, avenue de la Gare, 20, à Nice (16 janvier 1891).

LETAINTURIER (G.), I. ii&', sous-préfet de Châteaudun (Eure-et-Loir) (1er octobre 1891).

LIOTARD, fS, pharmacien, rue de France, 2, à Nice (2 novembre 1890).

LYONS (l'abbé), aumônier du couvent des religieuses du Saint-Sacrement, Carabacel, à Nice (5 mars 1888).

MAGNAN, docteur en médecine, rue Defly, 4, à Nice (16 novembre 1895).

MALGAT, docteur en médecine, rue Masséna, 15, à Nice (16 février 1886).

MARGUERITE - DELACHARLONNY , ingénieur, rue Maccarani, 13, à Nice (6 janvier 1900).

MARTIN (Paul), ingénieur, rue Gioffredo, 46, à Nice (1er décembre 1885).

MASSE (Gustave), notaire, rue du Palais, 7, à Nice (12 avril 1876).

MASSE (Maurice), avocat, place de l'Eglise du Voeu, 2, à Nice (16 mai 1885).

MAURIN, $£, fS, docteur en médecine, rue Papacino, 5, à Nice (16 octobre 1876).

MORIEZ, &, I. fj, docteur en médecine, rue Pastorelli, 40, à Nice (1er décembre 1881).


— 288 —

MM. MORIS (Henri) ■&, I. fl-, archiviste du Département, boul. Dubouchage, 20, à Nice (15 mars 1882).

MOUTET-FORTIS, professeur à l'école Normale de Nice (17 février 1900).

NICOLETIS, docteur en médecine, rue du Congrès, à Nice (1er février 1897).

NIÈPCE, |f, docteur en médecine, rue Longchamp, 7, à Nice (8 janvier 1877).

PANISSE-PASSIS (marquis de), avenue Marceau, 24, à Paris, et au château de Villeneuve-Loubet (AlpesMaritimes) (1er décembre 1886).

PELLEGRIN (Charles), ingénieur civil des mines, rue Gioffredo, 62 (4 novembre 1899).

PLANAT, docteur en médecine, directeur de l'Asile des aliénés de SaintPons (7 avril 1881).

PONTREMOLI (Aaron), ancien négociant, rue Palermo, 5, à Nice (17 décembre 1883).

POUSSE-JUCHET, directeur de la Compagnie générale des eaux, rue Gioffredo, 24, à Nice (3 novembre 1896).

REDWITZ ( baron de), consul d'Allemagne, rue Foncet, 14, à Nice (16 décembre 1897).

ROCHEMONTEIX (vicomte de),^,I. |l, avenue de la Gare, 39, à Nice (16 janvier 1897).

MM. ROISSARD DE BELLET (baron), ■&, ancien député, av. du Bois-de-Boulogne, 44, à Paris (11 mai 1876).

ROSENTHAL, docteur en médecine, avenue de la Gare, à Nice (16 décembre 1895).

SARDOU (Gaston), docteur en médecine, avenue Verdi, 8, à Nice (3 novembre 1891).

SAUSSINE (Gaston), avocat, rue Gioffredo, 42 (18 mars 1899),

STEHELIN-SCHEURER, villa Florès, av. Désambrois, à Nice ( 1er février 1896).

STEINBRUCK, promenade des Anglais, 5, à Nice (16 juin 1876).

STURGE, docteur en médecine, boulevard Dubouchage, 29, à Nice (21 janvier 1882).

TEYSSEIRE, météorologiste, avenue des Fleurs, à Nice (1er décembre 1883).

TORREILLE, docteur en médecine, conseiller général, à Vence (Alpes-Maritimes) (1er juin 1882).

USQUIN, O. &, consul du Mexique, avenue Verdi, à Nice ( 3 novembre 1896),

VIGOUREUX (Emile), I. if, consul de la République Argentine, rue d'Angleterre, 27 (18 mars 1889).


— 289. - MEMBRES CORRESPONDANTS

MM.

BANET-RIVET, professeur de physique au Lycée Michelet, à Vanves (Seine) (16 janvier 1886).

BÉDOLLIÈRE (de La), C., $S viceamiral, Paris (1er juillet 1884).

BERLUC-PÉRUSSIS (de), ancien président de l'Académie, à Aix-en-Provence, rue Cardinale, 25.

BERSEZIO (Victor), auteur dramatique,

à Turin. BONFILS (Stanislas), conservateur du

musée, à Menton.

BOTTIN, II, receveur des postes et télégraphes, à Ollioules (Var).

BOURELLY (Marius), à Pourcieux (Var).

BOURGUIGNAT (J.-R.), *, fS, malacologiste et paléontologiste, à SaintGermain-en-Laye.

BROWN DE COLSTHOUN, C. $<, viceamiral, Paris (1er juillet 1884).

BRUYN-ANDREWS (16 février 1897).

CHAMPOISEAU, consul général de France en retraite, à Paris (1er juillet 1884).

CHIRIS (M.-A.), U, commis de direction des Postes et Télégraphes, à Draguignan (Var).

COLLONGUES, docteur en médecine, à Vichy (16 décembre 1874).

COMBIER, >fe, ancien président du Tribunal civil et président de la Société académique à Laon (1er mars 1894).

COUBERTIN (baron Paul de), rue Mademoiselle, 9, à Versailles (novembre 1898).

MM. CROIZIER (marquis de), président de la Société académique Indo-Chinoise de France, boulevard de la Saussaye, 1, Neuilly (Seine).

DUCHESNE DE SAINT-LÉGER, à Poitiers.

DURENNE, Jfc, rue du FaubourgPoissonnière, 26, à Paris.

FARAUT (Félix), 4$, à Hué.

GACHE, I. £$, professeur au Lycée Carnot, à Paris (2 décembre 1889).

GRIMALDI (Msr), camérier secret du Pape, à Rome (3 novembre 1884).

GURNEY (Martyn-Cecil), vice-consul d'Angleterre à la Spezzia . (Italie) (16 mai 1888).

HALL, à Saint-Raphaël (Var) (16 mars 1897).

DUHAMEL, I. ||, archiviste du département de Vaucluse, Avignon.

DUCHÈNE, ^,I.© inspecteur des forêts en retraite, Paris (16 avril 1883).

HENRY, docteur en médecine, boulevard Exelmans, 89, Auteuil-Paris

(16 octobre 1884).

HEUZEY (Léon), ^, conservateur au Musée du Louvre, membre de l'Institut, Paris.

JOLIVOT (Ch.), I. #, conseiller d'Etat, secrétaire du gouverneur général de la principauté de Monaco.

LAGARRIGUE (Fernand), fis à Sclos de Contes (Alpes-Maritimes) (16 novembre 1885).

LECOCQ (Georges), avocat, à Amiens.

LESCOUVÉ (Alfred), &, I. fï, ancien conseiller à la Cour de cassation, à Paris.


— 290 —

MM.

LEVYLIER (3 novembre 1886).

LIEUTAUD (V.), notaire à Volonne (Basses-Alpes).

LUIGI, pas-t. évangélique, à Marseille.

MACÉ, docteur en médecine, Aix-lesBains.

MAQUET ( Adrien - Ernest ), I. i*|, commis - archiviste aux Archives départementales de Seine-et-Oise, Versailles.

MEIGNEN ( Adolphe ) , ancien chef d'institution, à Garches ( Seine-etOise) (16 novembre 1885).

MOUGINS DE ROQUEFORT (Eugène), *&, conseiller honoraire à la Cour d'Appel, Aix-en-Provence.

MURE DE PELANNE, consul de France (1er juillet 1884).

Musso, t|, secrétaire de la Mairie de Roquebillière (Alpes-Maritimes) (1er juillet 1884).

MUTERSE , à Antibes ( 1er décembre 1896).

NICOLAY, instituteur (Alpes-Maritimes) (3 novembre 1888).

NOETINGER (Fernand), |8, inspecteur des Contributions directes, à Evreux (16 février 1893).

MM.

PABLO DE ALZOLA, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées , ancien maire de Bilbao, Espagne (1er février 1894).

PERROLLE (Frédéric), ancien notaire, à Grasse.

QUILICI, professeur à l'Ecole française du Caire (16 novembre 1890).

RIVIÈRE, ■&, I. Q, correspondant du ministre de l'Instruction publique, rue de Lille, 50, à Paris.

ROMEO ROMEI, professeur de français à l'Institut technique royal, Naples (16 mai 1896).

Rossi (G.), inspecteur des fouilles de la province de Port-Maurice, à Vintimille.

ROVERY, ||, notaire, maire de SaintEtienne-sur-Tinée (Alpes-Mari t.).

SAIGE (Gustave), fy, I.fj, correspondant de l'Institut, conservateur des Archives et de la Bibliothèque du Palais de Monaco (17 mai 1886).

SÉNEQUIER (Paul), ||, ancien juge de paix à Grasse.

VESLY (Léon de), I. ||l, professeur à l'Ecole des Beaux-Arts de Rouen.

WEITZECRER, pasteur missionnaire (16 février 1890).


TABLE DES MATIÈRES

PAGES

Monographie de l'ancienne collégiale de Saint-Paul du Var,

par M. GEORGES DOUBLET . 1

Souvenirs de Nice (1830-1850), par M. EDOUARD CORINALDI. 55

François de Théas, comte de Thorane, par M. P. BENOIST. 93

Débarquement de Napoléon 1er au Golfe-Juan. Sa tentative

avortée sur Antibes (1er mars 1815), par M. MUTERSE. 113 Monographie des paroisses du canton de Vence, par

M. GEORGES DOUBLET 137

Les tableaux de l'église paroissiale de Grasse, par M. GASTON

FABRE 189

Essai sur la spéléologie des Alpes-Maritimes, par M. JULES

GAVET (9 planches) 197

Entrée de Bonaparte à Nice, en mars 1796, par M. HENRI

MORIS (2 planches) 219

Authenticité des cendres de Marceau transférées du cimetière

du Château de Nice au Panthéon, en 1889, par M. HENRI

MORIS 229

Carte géologique de la commune d'Escragnolles, par M. A..

GHÉBHARD 279

Rapport sur les travaux de l'année, exercice 1898-1899, par

M. BOUSQUET, président 241

Rapport sur les travaux de l'année, exercice 1899-1900, par

M. GEORGES DOUBLET, président 254

Liste des Membres de la Société 283



NICE. — IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE MALVANO, RUE GARNIER, 1.




NICE — IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE MALVANO, RUE GARNIES, 1