LA DURANCE
(Suite)
Endiguements.
« La Durance, dit L. Seguin, joue un rôle important dans les destinées de la Provence. Pendant que, d'un côté, elle ranime l'agriculture par ses canaux, elle fait, en retour, essuyer de grands dégâts aux territoires qu'elle traverse. Cette rivière sans limites, toujours incertaine, souvent furieuse, devient surtout dangereuse à partir de Volonne et de Peyruis. A ce point où la vallée s'agrandit, elle a déjà reçu le tribut de l'Ubaye, la Blanche, la Sasse, le Buech, le Jabron, la Bléone. A quelques lieues plus bas, elle est encore accrue par l'Auzon, l'Asse, le Largue, le Verdon, et, depuis Saint-Paul, elle coule dans des contrées fertiles jusqu'au Rhône, dont elle est un des principaux affluents.
» L'action dévastatrice et torrentielle de ses eaux, pendant les temps anciens, est suffisamment connue par les descriptions d'Ausone, de Silicus Italicus, de Tite-Live, etc.- Ces témoignages démontrent que la Durance était autrefois ce qu'elle est encore aujourd'hui.
» Si l'on se demande à quelle époque commença la lutte que les habitants soutinrent contre les divagations de cette rivière, on est étonné de pas trouver plus de monuments qui attestent cette résistance. Cela tient peut-être à ce que de grands centres de population n'avaient point été bâtis sur ses bords. Quant à la terre, elle avait moins de valeur et l'on avait, par conséquent, un intérêt moindre à la défendre. D'ailleurs, le désir effréné de jouir des choses présentes n'avait point encore porté les populations à dépouiller les montagnes des forêts qui retiennent et
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mesurent les eaux, et les iscles, mieux entretenues, remplaçaient avantageusement ces fortiflcations en blocs et en graviers que l'art moderne élève, à grands frais, contre nos principaux torrents (1). »
Au XVe siècle, la municipalité d'Avignon fit construire de nombreuses digues sur les bords de la Durance, pour mettre un terme aux débordements de cette rivière, dont les eaux pénétraient souvent dans la ville. Sur la rive opposée, les habitants de Châteaurenard et de Noves en construisirent aussi plusieurs; elles furent souvent détruites en partie par la violence du courant.
Vers le milieu du XVIIe siècle, il existait entre Voix et Sainte-Tulle un certain nombre de digues ; l'une d'elles, construite probablement vers l'an 1500, protégeait le moulin neuf de Manosque et avait permis d'augmenter la surface des iscles ; une autre, la plus importante, mesurait quatre cents pas de long sur dix de large. Plusieurs forts d'une faible élévation étaient recouverts par les atterrissements de la Durance.
Pendant toute la durée du XVIIIe siècle, jusqu'en 1789, les communautés, les propriétaires et l'administration provinciale réunirent leurs efforts pour mettre un terme aux divagations de la Durance ; " toutes les convictions, toutes les sympathies étaient acquises à cette oeuvre importante, ainsi que le témoignent les cahiers des délibérations des communautés de Provence (2); » Les belles digues longitudinales de Bonpas, de Malespine, de Barban, etc., datent de cette époque.
Les travaux d'entretien et les travaux secondaires étaient à la charge des communautés, tandis que, pour les travaux neufs et importants, la répartition de la dépense s'opérait
(1) Dû Rigime des Eaux en Provence, avant et après 1789 par Léopold Seguin; pp. 141 et suivantes. — Paris; A; Durand, 1863,
(2) L. Seguin, déjà cité, p. 144.
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fréquemment par tiers entre les communautés intéressées, la province et le roi; le concours de ce dernier n'était cependant que facultatif.
Dé 1789 à 1815, les travaux d'endiguement furent partout suspendus; on cessa même de réparer les digues existantes; de nombreuses forêts communales des Alpes disparurent, et les bois qui recouvraient les isoles cessèrent d'être respectés ; le lit de la Durance devint alors immense, et les inondations plus terribles, plus redoutables que jamais.
Lorsque la paix eut été rendue à la France, il se forma cependant quelques associations syndicales d'endiguement, dont les membres se recrutaient parmi les propriétaires riverains intéressés. Dans la suite, de nouvelles associations se formèrent. Actuellement, il en existe dans tous les centres de population un peu importants des bords de la Durance; elles sont au nombre de quatorze dans le département dès Bouches-du-Rhône et portent les noms des communes riveraines, savoir : Saint-Paul, Jouques, Peyrolles, Meyrargues, Puy-Sainte-Réparade, la Roqued'Antheron, Charleval, Mallemort, Sénas, Orgon, Cabanes (IX Châteaurenard, Rognonas et Barbentane.
Toutes ces associations syndicales doivent leur organisation aux décrets des 19 juillet et 4 août 1848, qui ont en même temps fixé les limites de chacune d'elles. Ainsi l'association de Saint-Paul s'étend du rocher de Cadarache au rocher du Noyer ; celle de Jouques, du rocher du Noyer à la digue de Peyrolles, etc.
Dans le département de Vauclûsé, les associations syndicales sont au nombre de treize, savoir : Beaumont, Mirabeau, Pertuis, Villelaure, Cadenet, Puyvert, Lauris, Puget, Mérindol, Cheval-Blanc, Cavaillon, Caumont et Avignon.
(1) Lés trois petites communes de Cabanes, Noves et Saint-Andiol, qui sont limitrophes, ne forment qu'un seul syndicat.
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Les huit premières, situées dans l'arrondissement d'Apt, se rapportent à l'ordonnance royale du 15 avril 1818 (1), modifiée par la loi du 5 septembre 1851. Les quatre suivantes furent établies par l'ordonnance du 21 mai 1837. Enfin, la treizième et dernière, celle d'Avignon, remonte au 30 octobre 1816.
Un certain nombre de communes du département des Basses-Alpes, notamment celles de Manosque, de Voix, de Villeneuve, de Peyruis, possèdent également des associations syndicales depuis 1862.
Dans le département des Bouches-du-Rhône, chaque syndicat se compose de cinq membres nommés par le préfet et choisis parmi les propriétaires les plus imposés.
Les syndics, renouvelables par cinquième tous les ans, ne peuvent se faire représenter aux assemblées.
Trois syndics suppléants, nommés également par le préfet, remplacent, au besoin, les syndics titulaires.
L'un des syndics remplit les fonctions de directeur ; la durée de ses pouvoirs est de trois ans.
Le directeur convoque et préside le syndicat, qui ne peut délibérer que s'il y a au moins trois membres présents.
Le syndicat fait dresser les projets reconnus nécessaires. Ils sont ensuite soumis à l'approbation du préfet.
Les travaux importants sont exécutés par voie d'adjudication, sous la direction des ingénieurs et sous la surveillance du directeur (2).
Généralement, les dépenses sont supportées, un tiers, soit deux sixièmes, par l'État, un sixième par le département et la moitié par les syndicats.
(1) L'ordonnance de 1818 faisait mention de la Bastidonne, qui n'est pas riveraine de la Durance.
(2) Pour plus de détails, voir : les Irrigations dans les départements de Vaucluse et des Bouches-du-Bhône, par J.-A. Barrai (1876-77-78).
Dans le département de Vaucluse, les syndicats ne se composent que de trois membres.
Les syndicats, qui empruntent à leur origine une force considérable, ont su donner, mieux que les assemblées communales d'autrefois, une grande impulsion aux travaux d'endiguement; presque partout, mais surtout dans les départements de Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, on a vu s'élever une multitude de digues, de jetées, d'épis, de remparts, qui repoussent les eaux à droite et à gauche et ne laissent à la rivière qu'une largeur variable de 250 à 550 mètres. Les seize ponts construits sur la Durance au-dessous de Sisteron, depuis soixante ans, ont également nécessité l'établissement de larges chaussées qui, bien protégées du côté des eaux, peuvent être assimilées à des digues de premier ordre.
Les têtes de digues, considérées dans leur ensemble, forment la ligne de rive fixée par l'administration des ponts et chaussées, ligne aussi droite et aussi régulière que possible et dont les courbes ont un rayon considérable.
De nombreux ingénieurs modernes ont soigneusement étudié le cours de la Durance. Citons MM. Fabre, Poulle, Plagniol, G-arella, Fiard, Le Blanc, Aubert, de Villeneuve Flayosc, Desfontaine, comte Grandchamp, Kleitz, HervéMangon, Hardy, Auriol et Imbeaux. C'est aux écrits de plusieurs de ces savants que nous emprunterons les indications qui vont suivre sur la nature des travaux de défense exécutés sur les bords de la Durance.
1° Digues longitudinales continues et insubmersibles. — Les grands blocs de pierre équarris (parallélipipèdes), que l'on emploie dans leur construction, sont disposés en assises au nombre de trois ou quatre, avec un angle de pente de 45 degrés. La hauteur de ces digues est d'environ 2m,50 au-dessus de l'étiage, et leur largeur au couronnement de 3m,50 à 4 mètres. Leur prix de revient, très élevé, varie entre 50 et 100 francs le mètre courant. Quoique protégées par des enrochements, elles ne sont pas toujours
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à l'abri des affouillements. Elles ont, en outre, l'inconvénient de favoriser l'exhaussement du lit de la rivière. Ces digues occupent une assez grande étendue entre Pertuis et l'embouchure de la Durance.
2° Digues perpendiculaires en T. — Ce sont des chaus sées en gravier ou en terre, perpendiculaires à l'axe de la rivière, recouvertes en amont d'une couche de béton ou de petites dalles maçonnées. Elles doivent être placées à une distance de 800 à 1,000 mètres et posséder, à leur extrémité, un musoir ou éperon très solide, avec enrochements, d'une longueur de 70 à 80 mètres, parallèle au courant; de là, le, nom de digues perpendiculaires en T. La branche du musoir située en amont doit être sensiblement plus longue que celle de l'aval.
Pour éviter les sinuosités du courant, il est nécessaire que les digues perpendiculaires des deux rives soient placées vis-à-vis. Ces digues offrent une issue aux graviers et provoquent infailliblement et rapidement le colmatage des iscles qui les avoisinent. Pour faciliter cette opération* on établit quelquefois des martelières à travers les digues.
3° Digues obliques. — Leur mode de construction diffère peu de celui des digues longitudinales. Elles ont le grave défaut de rejeter les eaux sur la rive opposée et d'exiger une grande solidité pour résister à l'action du courant. Aussi, n'en compte-t-on qu'un petit nombre sur les bords de la Durance ; celles qui existent sont surtout destinées à conduire l'eau dans les canaux d'un débit considérable.
40 perrés. — On donne ce nom à des digues en terre et en gravier, recouvertes du côté du courant avec des moellons, des dalles ou des pavés qui, solidement reliés, résistent assez bien à l'action des eaux. Les perrés sont le plus souvent construits sur les berges des rivières ; quelquefois aussi, ils protègent la tête des jetées transversales. Non loin d'Orgon, les perrés de la Safranière et de Roubaud mesurent plusieurs kilomètres de longueur.
50 Épis. — Les petites digues destinées à protéger les
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berges des rivières ou à modifier la direction du courant portent le nom d'épis, que l'on emploie souvent aussi pour désigner les digues en général. La tête des épis doit toujours être bien fortifiée, bien protégée par des enrochements. L'épi que M. Aubert a fait construire à la Saulce mesure 50 mètres de longueur, 5 mètres de hauteur et 35 mètres de largeur. Celui de Peyruis, au-dessous du pont des Mées, n'est pas moins important.
6° Jetées insubmersibles à clayonnages. — Des pieux reliés avec des branchages et placés sur deux lignes parallèles, entre lesquelles on jette du gravier, forment d'assez bons barrages là où la hauteur des eaux pendant les crues n'est pas très considérable. Les jetées perpendiculaires de Peyrolles sont ainsi construites.
7° Jetées submersibles, avec pieux et fascines. — Les pieux, que l'on enfonce à une profondeur de 0m,70 à 0m,90, traversent les fascines et sont placés à une distance de 1 mètre. Derrière cette rangée, on en construit une seconde, dont les pieux correspondent au milieu de l'ouverture de la première, et on recouvre le tout avec du gravier. Ces barrages, d'un prix très modique, ont été employés avec succès, à Corbières, par M. de VilleneuveFlayosc, ingénieur. On les appelle aussi des clayonnages.
8° Arbres et arbustes. — Pendant longtemps, les propriétaires riverains de la Durance n'ont opposé à cette rivière, pour la conservation de leurs terres et de leurs iscles, que les arbres et arbustes, tels que : peupliers, bouleaux, saules et. osiers, qui naissent et se développent naturellement sur les bords des eaux. Les digues formées par ces végétaux ont rendu et rendent encore d'utiles services. Aussi, Béraud, de l'Oratoire, L. Seguin et autres savants préconisent-ils, pour la formation des digues, l'emploi des arbres, qui, avec leurs racines et leurs branches, offriraient une plus grande résistance que les digues en gravier et en terre avec enrochements et seraient d'un prix moins élevé.
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Sur la proposition de M. Sicard, député, le Conseil général des Basses-Alpes, dans sa séance du 17 août 1897, après avoir reconnu que les digues en maçonnerie avec enrochements, soit longitudinales, soit perpendiculaires, sont toujours d'un prix très élevé, peu en rapport avec les ressources du département et des communes, et que, d'ailleurs, ces digues ne résistent pas toujours à la violence des eaux, a exprimé le voeu suivant :
« Que le service forestier soit appelé d'urgence à faire, sur divers points déterminés, des études complètes sur la régularisation du cours de la Durance, au moyen de la double voie du reboisement et du colmatage, à l'abri des clayonnages et des gabions (1). »
Nous approuvons sans réserve cette proposition de l'honorable député de l'arrondissement de Forcalquier et nous félicitons le Conseil général des Basses-Alpes de l'avoir adoptée. Il est certain que des gabions, solidement reliés entre eux et s'appuyant sur une double ou une triple rangée d'arbres, des peupliers, par exemple, qui, avec leurs racines pivotantes atteignent une-grande profondeur, résisteraient bien mieux que certaines digues. Sans doute, il faudra attendre un certain nombre d'années pour permettre aux arbres de se développer, d'acquérir une grosseur suffisante, mais le résultat final indiqué paraît certain. On pourrait, d'ailleurs, en créant ces digues, planter entre les peupliers- des saules, qui, on le sait, poussent très rapidement. Il existe entre les ponts d'Oraison et de Manosque, sur les deux rives de la Durance, de vastes surfaces à conquérir. Les agents du service forestier auraient là de superbes champs d'expérimentation.
9° Enrochements. — Des blocs bruts d'assez grande dimension, placés, sans ordre, les uns sur les autres, forCi)
forCi) Recueil des Délibérations du Conseil général des Basses-Alpes, année 1897, pp. 616 et 617.
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ment des enrochements. Ils sont nécessaires et même indispensables pour protéger les digues longitudinales, les épis, les musoirs des digues perpendiculaires, les culées et les piles des ponts, les murs de soutènement, etc.
10° Gabions et caissons. — Les gabions sont des paniers coniques de grandes dimensions, formés avec des pieux et des branches d'osiers entrelacées. On les fabrique sur place, la pointe tournée vers le courant; l'intérieur doit être rempli de pierres ou de graviers. Des caisses grossièrement construites, dans lesquelles on place des pierres, peuvent remplacer les gabions sur les bords des rivières.
11° Murs de soutènement en maçonnerie. — Par l'emploi de la chaux hydraulique, on peut leur donner une grande solidité. Ainsi que leur nom l'indique, ils doivent soutenir les terres supérieures, les chaussées des routes, établies sur le bord des rivières, etc.
Chacun de ces systèmes d'endiguement a ses avantages et ses inconvénients ; chacun d'eux a aussi ses partisans et ses adversaires. Tous cependant peuvent être employés avec succès et simultanément.
Une longue expérience a permis de constater que les digues perpendiculaires en T, dont la tête est suffisamment défendue, étaient les plus économiques, les plus propres à repousser le courant et les plus favorables à l'opération du colmatage; il en existe un grand nombre sur les bords de la Durance; on peut même ajouter que depuis longtemps tous les ingénieurs, depuis M. Fabre, qui vivait au siècle dernier (1), ont reconnu leur supériorité et en recommandent l'adoption.
Voici, maintenant, une rapide énumération des travaux d'endiguement exécutés sur les deux rives de la Durance.
(1) Essai sur la théorie des torrents et des rivières, par le citoyen Fabre, ingénieur, pp. 143 et suivantes. — Paris, 1797,
RIVE DROITE.
Embrun. — La plus grande partie du territoire de cette ville a été formée par les alluvions de la Durance. En 1846, quelques digues et quelques enrochements ont permis de colmater une surface d'environ 5 hectares.
Savines. — Un mur de soutènement long de 576 mètres, construit en 1820, protège une plaine qui s'étend entre la Durance et Je Réallon.
Remollon. — Cette commune possède, depuis l'année 1800, 2 kilomètres de digues, qui ont permis de colmater une surface assez considérable.
Monètier. — La digue ou chaussée sur laquelle passe la route qui conduit au pont jeté sur la Durance protège une petite plaine d'alluvions très fertile, autrefois couverte de graviers.
La Saulce. — Une surface de 100 hectares a été arrachée à la Durance par MM. Fiard (1826) et Aubert, ingénieurs (1),
Laragne, Vitrolles. — Des digues protègent une partie des territoires de ces deux communes.
Peyruis. — Un épi très important et quatre digues perpendiculaires en T ont permis de convertir. 180 hectares de graviers en terres fertiles presque toutes complantées en vignes.
Manosque. — La construction du pont de Manosque a permis de réduire considérablement la largeur du lit de la Durance, qui, néanmoins, est toujours des plus considérables. Le syndicat, formé le 20 juin 1854, puis reconstitué le 7 janvier 1861 et ensuite le 5 décembre de la même année, n'existe plus et les quatre digues construites dans
(1) Pour plus de détail, voir Histoire deç Hautes-Alpes, par Ladoucette,
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les territoires de Manosque et de Voix ne protègent que très imparfaitement les terres voisines.
Corbières. — La belle plaine de Corbières faisait autrefois partie du lit de la Durance. C'est M. de VilleneuveFlayosc, ingénieur, qui a repoussé les eaux de la rivière au moyen de légères digues, faites avec des pieux et des fascines.
Beaumont. — Quatre digues, ayant coûté environ .300,000 francs, ont permis de conquérir 588 hectares de terres. Le syndicat de cette commune possède un budget de 5,000 francs.
Mirabeau. — Quelques digues, notamment celle de Saint-Blaise, protègent, en amont du pont, 94 hectares ; on pourra en conquérir encore 106 ; total, 200 hectares. Budget du syndicat : 2,100 francs.
Pertuis. — Le syndicat de cette ville possède un budget de 88,700 francs et neuf digues, qui sont celles du Grand Fort, de la Loubière (digue longitudinale de 565 mètres), de l'Ebrette, de la Gorrèze, du Mulet, de Saint-Roch, de Farigoulier, du Pont suspendu, de l'Èze et de Réparade. Elles défendent, contre les dévastations de la Durance, une surface de 1,870 hectares, dont la sécurité, d'après l'ingénieur Hardy, est à peu près complète. La longueur de rive est de 10,570 mètres.
Villelaure. — Cinq digues, celle de Versailles notamment, protègent 941 hectares. Le budget du syndicat est de 23,000 francs.
Cadenet. — La surface conquise sur les isoles et les graviers est de 1,280 hectares. Le syndicat, dont le budget s'élève à 65,000 francs, possède les deux importantes digues de Grand-Camp et de Craponne.
Puyvert. — Le syndicat de cette commune possède plusieurs digues et une levée insubmersible qui protègent une surface de 266 hectares. Budget annuel : 42,000 francs.
Lauris. — Les travaux de défense exécutés sur les bords de la Durance se (composent de plusieurs digues très
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anciennes et très importantes et, en outre, de trois digues perpendiculaires, celles des Vachons, des Agranas et du Gros-Éperon. Budget : 3.600 francs. Surface protégée : 410 hectares.
Puget. — Le syndicat du Puget, dont le budget est de 7,000 francs, a fait construire quatre digues, notamment celles de la Baronne et du Village, qui embrassent une surface de 183 hectares.
Mérindol. — Au moyen de six digues, celles des Fabres, des Alpines, du Gros-Caillou, de Ripert, de Marin et de Saint-Marcellin, 550 hectares de terres ont" été mis à l'abri des inondations. Budget : 3,200 francs.
Cheval-Blanc. — Cette commune ne possède que quelques digues peu importantes. Sur ce point, cependant, le lit de la rivière atteint 1,170 mètres. Budget du syndicat: 3,800 francs.
Cavaillon. — Les grands travaux d'endiguement exécutés à Cavaillon ont permis de faire restituer à la Durance les beaux jardins qu'elle avait autrefois engloutis, surtout en 1440.
Caumont. — De Caumont à la prise du canal de l'Hôpital, les Chartreux de Bonpas ont élevé, de 1712 à 1715, avec d'énormes blocs de pierre, une immense digue longitudinale, large au sommet de 4 mètres, qui a toujours résisté à la violence du courant.
Avignon. — Le syndicat d'Avignon, qui se subdivise en quatre sections, veille à la conservation de 3,572 hectares. Le vaste territoire d'Avignon, autrefois bas et marécageux, s'est exhaussé peu à peu; il est aujourd'hui bien cultivé et bien défendu par de nombreuses digues longitudinales. La surface protégée de l'île de la Courtine est d'environ 200 hectares.
RIVE GAUCHE.
Les Mées, — La plaine, du côté sud, n'est pas suffisam-
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ment protégée par la longue chaussée qui conduit au pont, et l'important hameau de Dabisse est sérieusement menacé par les eaux de la Durance.
Aucune digue, sauf la chaussée qui conduit au pont, ne protège le riche territoire d'Oraison.
Rousset. — On a donné ce nom à un château près duquel aboutit la chaussée de gauche, sur laquelle passe la route du pont de Manosque. Là aussi, on a conquis sur le lit de la Durance une grande surface.
Saint-Paul. — Le syndicat de Saint-Paul a fait con struire quelques digues sur la Durance; son budget est de 6,000 francs.
Jouques. — L'importante digue du Logis-d'Ane est située dans le territoire de Jouques.
Peyrolles. — Une surface de 700 hectares a été conquise sur le lit de la Durance au moyen de nombreuses digues perpendiculaires, dont quatre datent du siècle dernier. Il y a également une digue longitudinale en gravier, avec enrochements. Toutes ont été réparées en 1820. .Le budget du syndicat s'élève à 13,000 francs.
Meyrargues. — L'importante chaussée du pont du chemin de fer et la digue du Grand-Vallat ont permis d'étendre considérablement la plaine vers Pertuis.
Le Puy-Sainte-Réparade et Saint-Estève-Janson. — En 1825, près de, ces deux villages, le lit de la Durance était immense. Depuis, on a repoussé le courant au moyen de quatre longues digues perpendiculaires, celles des Bergers, du Moulin, de Lagarde et des Limites, qui embrasr sent une surface de 994 hectares ; le colmatage s'y opère rapidement. Budget annuel du syndicat : 10,000 francs.
La Roque-d'Antheron. — Les nombreuses digues que le syndicat de cette commune a fait construire protègent une surface de 967 hectares, ainsi que la prise d'eau du canal de Graponne. La route du pont de Cadenet passe sur une de ces digues ou chaussées. Budget annuel : 10,000 francs.
Çharleval. — La. surface défendue contre les déborde-
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ments de là Durance est de 460 hectares. Le syndicat possède un budget de 5,000 francs.
Mallemort. — L'importante digue longitudinale de Malespine, qui mesure 1,325 mètres, celle dite de Mallemort et plusieurs autres de construction plus récente embrassent une surface d'environ 1,842 hectares. La prise d'eau dn canal des Alpines est située dans le territoire de cette commune. Le syndicat dispose d'un budget de 10,000 francs.
Sénas. — Cette commune possède plusieurs digues ; celle de Castèllamarre, longue de 330 mètres, est là plus ancienne. Budget : 5,250 francs.
Orgon. — Les perrés de la Safranière, de Roubaud, de Port-Vieux et de Bazarde, construits avant 1789, et l'épi de Bonfillons constituent les principales défenses du territoire contre la Durance. Le budget du syndicat d'Orgon est de 8,000 francs.
Saint-Andiol, Cabanes, Noves, — Il n'existe, pour ces trois communes, qu'une seule association syndicale, dont le budget s'élève à 6,300 francs. L'ancienne digue longitudinale du pont de Bonpas a un développement de 700 mètres; celle de Peyrevert, dans le territoire de Novès, mesuré 380 mètres de longueur.
Châteaurenard. — La grande et riche plaine dé Châteaurenard est protégée, sur une étendue de 2,107 hectares, par quelques digues perpendiculaires et par deux digues longitudinales très anciennes, celles de Châteaurenard et de Barban, qui ont un développement considérable. Budget : 8,000 francs.
Rognonas. — 786 hectares de terres très fertiles ont été conquis sur lé lit de la Durance. Le syndicat dispose d'un budget de 5,000 francs» Les travaux de défense se composent de plusieurs digues perpendiculaires et de quatre perrés; ces derniers mesurent 3,100 mètres de longueur.
Barbentàne. — Le syndicat de cette commune veille à la conservation de 1,100 hectares dé terres, avec un budget
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annuel de 10,000 francs. La digue la plus importante est celle de Bassâchon, qui mesure 800 mètres de longueur.
Les résultats obtenus par l'exécution de tous ces travaux sont des plus considérables, et cependant la rude tâche imposée aux populations riveraines de la Durance est loin d'être achevée, car, au-dessous du confluent de la Bléone, la surface à conquérir sur le lit de la rivière, dont la largeur varie entre 800 et 1,400 mètres, près de la Brillanne, de Manosque, de Beaumont, de Peyrolles, de la Roque-d'Antheron, du Cheval-Blanc, de Cabanes, etc., n'est pas inférieure à 8,000 ou même à 10,000 hectares.
À différentes dates, des tentatives ont été faites pour organiser une compagnie qui aurait fait endiguer la Durance dans toute la partie inférieure de son cours; elle aurait reçu, en échange, tous les terrains conquis sur la rivière. M. Plagniol évaluait la dépense à 35 millions de francs, et M. Auriol, à 22,466,000 francs. La première de ces évaluations est certainement plus exacte que la seconde ; d'ailleurs, il ne faut pas oublier que, pour l'exécution des travaux de cette nature, les dépenses imprévues atteignent toujours un chiffré très élevé, Ajoutons que ce projet présentait de sérieuses difficultés tant au point de vue de son exécution qu'au point de vue financier. Ce sont probablement dès digues longitudinales que l'on se proposait de construire; mais on faisait observer que presque tous les affluents de la Durance ont leur origine Vers les plus hauts sommets des Alpes et que, possédant une pente rapide, tous entraînent des masses considérables dé graviers qui, peu à peu, exhaussent considérablement le lit de la rivière. L'Ubaye se trouve dans ces conditions ; son niveau, à Barcelonnette, est supérieur à celui des terres voisines et même à beaucoup dé maisons de la ville. Aujourd'hui, ce projet paraît abandonné. Là plu-
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part des ingénieurs et le conseil général des Bouchesdu-Rhône lui-même préfèrent les digues perpendiculaires en T ; elles conviennent mieux au caractère torrentueux de la Durance.
Presque tous les fleuves et beaucoup de rivières possèdent, il est vrai, des digues longitudinales, mais ignoret-on que la Durance, pendant les grandes crues, roule jusqu'à cent fois le volume d'eau de l'étiage et que la pente de notre rivière provençale est quatre, cinq et même huit fois plus considérable que celle de nos principaux cours d'eau ?
Mieux vaut donc poursuivre l'oeuvre entreprise dans les conditions qu'elle s'exécute depuis de longues années, au moyen de digues perpendiculaires à éperon, c'est-à-dire en forme de T, espacées de 800 à 1,000 mètres et placées visà-vis ; elles possèdent sur les autres de nombreux avantages, notamment ceux de favoriser le colmatage, d'offrir une issue aux graviers et de forcer les eaux, resserrées dans des limites convenables, à se creuser un lit suffisamment profond.
Les nombreuses îles disséminées au milieu du lit de la Durance, dans toute la partie inférieure de son cours, sont un sérieux obstacle à l'établissement des digues et ne permettent pas, sur bien des points, de donner au courant une direction rectiligne.
En 1847, M. de Villeneuve-Flayosc, ingénieur, faisait le calcul suivant: « La Durance, dit-il, peut être endiguée depuis l'embouchure de la Bléone, un peu au-dessus des Mées, jusqu'au Rhône ; c'est une longueur de 150,000 mètres environ. Les terrains à conquérir présentent en moyenne, sur cette longueur, une largeur de 600 mètres au moins de chaque côté ; c'est donc une surface de 18,000 hectares (1).
(1) Mémoire sur l'endiguement de la Durance, par M. de Villeneuve-Flayosc, ingénieur, année 1847, p. 10.
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L'évaluation de M. de Villeneuve paraît être assez exacte; on peut, cependant, la considérer comme étant au-dessous de la vérité ; nous porterons donc cette surface à 20,000 hectares. Constatons que, depuis un demi-siècle, le lit de la Durance, au-dessous de Sisteron, a été considérablement resserré au moyen des seize ponts et des nombreuses digues qu'on y a construits. Actuellement, la surface définitivement conquise et colmatée peut être fixée à 7,000 hectares environ, et celle qui est simplement protégée à 6,000 hectares; restent 7,000 hectares qui ne sont pas encore à l'abri des inondations de la rivière. Hâtons-nous d'ajouter que toutes ces évaluations peuvent être contestées et ne reposent que sur des probabilités, car le lit de la Durance est si vaste et surtout si irrégulier qu'il est presque impossible d'en fixer l'étendue.
Le prix d'un hectare de terre sur les bords de la Durance varie entre 4,000 et 6,000 francs dans les départements de Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, où existent de nombreux canaux d'arrosage ; il est moins élevé dans les départements des Hautes et des Basses-Alpes. D'après ces indications, les terres conquises sur le lit de la Durance depuis cinquante ans, soit 7,000 hectares, au prix moyen de 4,000 francs l'hectare, ont donc une valeur de 28 millions de francs, somme probablement supérieure à celle dépensée par l'État, par les syndicats et par les populations riveraines.
Ponts sur la Durance.
Après avoir construit, de 1176 à 1188, le pont d'Avignon sur le Rhône, qui se composait de dix-huit arches et mesurait mille trois cent quarante pas, soit environ 900 mètres, les Frères Pontifes sollicitèrent et obtinrent du pape Clément III, en 1189, l'autorisation d'établir
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également un pont sur la Durance près de leur monastère de Bonpas. Dix années plus tard, ce pont était achevé et livré à la circulation. C'était le seul qui existât sur la Durance au-dessous de Sisteron. Raymond, comte de Toulouse, l'occupait militairement, en 1242, pour empêcher son rival, le comte de Provence, de pénétrer dans ses États. Les auteurs les plus autorisés pensent qu'il fut détruit par une crue de la rivière, vers l'année 1272.
D'après les observations faites en 1618, époque où on voyait encore les débris de quelques piles, le pont en maçonnerie de Bonpas se composait de douze à treize arcades et mesurait environ 224 mètres de longueur. Du côté nord, il s'appuyait sur un banc de rochers, tandis que, du côté sud, une chaussée le mettait en communication avec la terre de Provence. Le seul défaut de cette construction était peut-être de ne pas avoir une longueur suffisante pour l'écoulement des eaux pendant les grandes crues. La suppression de l'Ordre des Frères Pontifes et les fléaux qui désolèrent la Provence pendant plusieurs siècles ne permirent pas de rétablir le pont de Bonpas.
On traversait la Durance sur des bacs établis généralement à proximité des villes et villages riverains; mais les communications étaient fréquemment interrompues, tantôt par suite des crues de la rivière, qui bouleversaient les travaux d'installation et déplaçaient le courant principal, tantôt par l'abaissement trop considérable des eaux et leur trop grande division, tantôt encore par les graviers et par la glace. Et d'ailleurs, si le passage des piétons en temps ordinaire ne présentait pas de trop grandes difficultés, il n'en était pas de même des moutons, des bêtes de somme et autres animaux, qui, par leur résistance, protestaient toujours contre ce procédé, contre ce mode de locomotion. Quant aux charrettes et aux voitures, il fallait nécessairement les décharger avant de les placer sur la barque; cette opération devait être longue et pénible.
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En 1706, un assesseur d'Aix, M- Saurin, parlant de la nécessité de construire un pont sur la Durance, s'exprimait en ces termes : " Les défrichements qu'on a faits depuis quelque temps font grossir si fort, en temps de pluie, les torrents et les rivières, qu'on attend souvent huit et même quinze jours sans pouvoir les passer. »
Les Etats de Provence eurent souvent à délibérer sur cette importante question, mais les membres qui composaient cette assemblée étaient divisés sur l'emplacement à choisir, Quatre projets indiquant quatre points différents, Mirabeau, Janson, Bonpas et Noves, avaient été successif vement présentés. Le prix de construction du pont en bois à établir à Mirabeau avait été fixé à 94,000 livres, d'après un devis de l'année. 1626, dressé par ordre des Etats de Provence, qui déjà avaient émis un avis favorable en 1611, Sa longueur devait être d'environ 160 mètres.. Ce projet était surtout soutenu par les députés: des vigueries de Forcalquier et de Sisteron.
Les habitants, et les consuls d'Apt faisaient d'activés démarches pour faire construire ce pont près de Çadenet, où M se serait appuyé d'un côté sur les rochers de Janson, Le plan et le devis dressés à cet effet indiquaient un pont en maçonnerie, ayant cinq. arches et une longueur totale de 200 mètres. Il eût été construit à sec et n'aurait coûté que 560,000 livres, y compris une grande chaussée longue de 1,000 mètres, destinée à détourner les eaux pendant l'exécur tion des travaux. Après avoir examiné ce projet, Vauban, le célèbre ingénieur, répondit, le 16 mai 1701, qu'il reconnaissait l'utilité d'établir un pont sur la Durante,, mais que « les cartes étaient trop brouillées (1) » pour donner suite immédiatement à une pareille entreprise.
L'emplacement de Bonpas comptait de nombreux partisans., parce que plusieurs routes importantes, notamment
(1) Archives des Bouches-du-Bhône, série C, liasse 502
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celle de Lyon à Marseille, passaient sur ce point peu éloigné d'ailleurs d'Avignon, de Cavaillon, de l'Isle, de Caumont, de Cabanes, etc. Le pont projeté de Bonpas devait se composer de quinze arches et avoir 466 mètres de longueur. La dépense avait été fixée par les ingénieurs à environ 1,724,982 livres.
Le projet tendant à établir près de Noves le pont de la Durance fut rejeté par les Etats de Provence, en 1625 et en 1626, parce qu'il présentait de grandes difficultés d'exécution et qu'il devait être d'un prix très élevé. Il fallait, en effet, creuser dans un banc de rochers une grande tranchée destinée à recevoir un pont de 212 mètres de longueur et à livrer passage aux eaux que l'on aurait détournées au moyen de quatre grandes digues ayant 8,000 mètres de développement. Le prix de ces travaux avait été fixé à 5,149,536 livres.
M. Bouchet, inspecteur général des ponts et chaussées, qui vivait vers le milieu du siècle dernier, usa de sa grande influence pour faire adopter le projet de Noves, qui fut vivement combattu par le marquis de Seytres, seigneur de Caumont et de Cabanes, partisan de l'emplacement de Bonpas. Il n'était plus question alors de construire le pont à Janson et encore moins à Mirabeau, parce que le gouvernement y était opposé. Pour hâter la solution de cette importante question, M. Henri de Matheron, consul d'Aix et procureur du pays, fut chargé de faire un rapport et d'indiquer l'emplacement le plus convenable, après avoir soigneusement visité les lieux et recueilli les informations nécessaires. M. de Matheron se prononça en faveur de Bonpas ; son rapport porte la date du 3 décembre 1770 (1).
(1) Toutes les indications relatives aux ponts projetés de la Durance aux XVIIe et XVIIIe siècles ont été empruntées aux nombreux documents appartenant aux archives dos Bouches-du-Rhône, série C, 502. M. le marquis de Seytres a publié sur cette question plusieurs mémoires ; le plus important porte a date du 10 décembre 1769.
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Cependant ce pont, ce fameux pont, pour lequel tant de plans et de devis furent dressés et qui pendant si longtemps fit l'objet des délibérations des Etats de Provence, n'était pas encore exécuté en 1789, quand éclata la Révolution. Tous ces délais, toutes ces temporisations, en présence d'un besoin urgent, prouvent évidemment que l'exécution des travaux de cette nature présentait alors de grandes difficultés. Il appartenait aux gouvernements du XIXe siècle, puissamment secondés par l'industrie et poussés par le courant de la civilisation, de résoudre cette question économique à la grande satisfaction des populations provençales, en faisant construire au-dessous de Sisteron, de 1800 à 1898, seize ponts différents, là où pendant cinq siècles on n'avait pas réussi à en édifier un seul.
Le pont de Bonpas, en mélèze des Alpes, fut enfin construit, de 1807 à 1812, par le sieur Saurin, mécanicien à Aix ; il mesurait 546 mètres de longueur.
En 1825, il n'y avait encore que des bacs à traille : 1° à Volonne ; 2° à Chàteau-Arnoux ; 3° à Peyruis ; 4° à Lurs ; 5° à la Brillanne ; 6° à Manosque ; 7° à Saint-Paul ; 8° à Mirabeau ; 9° à Pertuis ; 10° à Cadenet ; 11° à Mallemort ; 12° à Orgon ; 13° à Cavaillon, et 14° à Barbentane.
A la même date, Sisteron possédait un ancien pont en maçonnerie construit en 1365. En amont de cette ville, on traversait la Durance soit sur des bacs, soit sur des ponts. Ces derniers, au nombre de cinq, étaient situés à SaintClément, à Saint-André, à Saint-Privas, à la Clapière et à Savines ; dans cette région, le lit de la rivière est assez étroit et l'exécution de ces ponts ne présentait pas les mêmes difficultés que dans la Basse-Provence.
Beaucoup de ponts suspendus de la Durance datent du règne de Louis Philippe Ier si fécond en travaux de vicinalité. Ceux de la compagnie du chemin de fer P.-L.-M. sont généralement en maçonnerie, avec tablier métallique. La solidité et la bonne exécution des ponts modernes sont dues surtout à l'emploi de la chaux hydraulique, connue
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seulement depuis soixante- dix ans, et d'un appareil qui, pour la construction des piles, permet aux ouvriers de travailler dans l'eau en refoulant celle-ci aux moyen d'une pompe à air. Les ponts de la Durance sont actuellement au nombre de trente-deux,, savoir :
l° PONT D'ASFELD.
Près de la ville de Briançon, les eaux de la Durance ont creusé leur lit dans un rocher calcaire et formé une coupure qui atteint déjà 56 mètres de profondeur. C'est audessus de ce précipice que M. Asfeld, ingénieur, fit construire, en 1730, un pont en maçonnerie de 40 mètres d'ouverture auquel on a donné son nom,
2° PONT DE VILLAR-SAINT-PANCRACE,
Ce pont, destiné à la ligne du chemin de fer de Gap à Briançon, longue de 83 kilomètres, est formé d'un tablier métallique reposant sur des culées de 6 mètres de hauteur, distantes de 30 mètres. Le village de Viïlar-Saint-Pancrace est à environ 3 kilomètres de Briançon, sur la rive gauche de la Durance.
3° PONT ROUX.
Le service des ponts et chaussées a fait construire ce pont en 1827, sur la route nationale, dans la commune de Saint-Martin-de-Queyrières, Il est en maçonnerie et ne possède qu'une seule arche.
4° PONT DE L'ARGENTIËRE.
A environ 2 kilomètres au-dessous de l'Argentière, le chemin de fer traverse la Durance sur un pont formé d'un tablier métallique long de 40 mètres, qui repose' sur deux piliers ou culées de 4 mètres de hauteur. II a été construit en 1883 et 1884.
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5° PONT DE MONT-DAUPHIN.
Le chemin de fer de Gap à Briançon franchit la Durance près de Mont-Dàuphih, à l'embouchure du Gùil, et quitte la rive droite de là rivière, pour suivre ensuite la rive gauche jusqu'à l'Argentière. Le pont construit à cet effet, en 1883, est à tablier métallique et mesure 40 mètres de longueur sur 3 mètres de hauteur. Il ne possède pas de pile.
6° PONT DE SAINT-CLÉMENT.
Les piles, au nombre de trois, sont en marbre rouge de Mont-Dauphin, et son tablier en mélèze des Alpes. Sa construction à exigé une dépense de 45,000 francs. Il est situé près de Mont-Dauphin, sur la route nationale qui passe par le Mont Genèvre. L'ancien pont de Saint-Clément, celui qui existait déjà en 1644, fut emporté pendant la crue du 15 septembre 1733.
7° PONT NEUF D'EMBRUN.
Ce pont a été construit récemment au nord-est de la ville, pour faciliter l'exploitation des propriétés rurales qui, protégées par des digues, s'étendent sur la rive gauche de la: Durance. Il est situé à 800 mètres d'altitude.
8° PONT DE LA CLAPIÉRÉ.
La construction du pont de la Clapière, situé à l'ouest d'Embrun, non loin de cette ville, a exigé une dépense de 109,000 francs. Le tablier, en mélèze des Alpes, repose sur des piles et sur des culées en marbre rouge. Un pont plus ancien, également situé à la Glapière,. fut détruit par la Grue du 15 septembre 1733.
9° PONT DE SAVINES.
Ce pont fut construit en 1834, sur le modèle de ceux de
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Saint-Clément et de la Clapière, qui possèdent des piles et des culées en marbre rouge, avec tablier en mélèze. La crue de 1845 ayant renversé une des piles, l'administration des ponts et chaussées fit construire une passerelle à l'américaine, qui exigea une dépense de 17,000 francs.
Différents documents font mention d'un ancien pont qui fut détruit par la crue du 15 septembre 1733.
10° PONT DE ROUSSET.
Aux termes de l'adjudication du 11 mars 1830, approuvée le 14 janvier 1831, le sieur Dedier fit établir un pont en charpente sur la Durance au hameau de Rousset, commune de Lespinassè (Hautes-Alpes), à la condition de percevoir un droit de péage pendant quatre-vingt-dixneuf ans.
Le pont en bois de Rousset résista à la crue du 2 novembre 1843 ; néanmoins il a été remplacé par un pont suspendu, conformément à l'ordonnance du 15 octobre 1861, qui a rapporté celle de 1831. Le concessionnaire à obtenu une indemnité de 22,000 francs.
Un projet de réfection du 10 juin 1896 comprend le remplacement du pont actuel, qui est en mauvais état, par un autre pont suspendu en fer et acier, avec haubans derigidité. Dépense prévue : 51,000 francs.
11° PONT DE REMOLLON.
De tous les ponts suspendus qui existent sur la Durance, celui de Remollon, situé entre ce village et celui de Rochebrune, est le plus ancien. Le projet dressé en 1826 fut rendu exécutoire par l'ordonnance du 6 décembre 1827; deux années après, il était achevé et livré à la circulation. Détruit en partie par la crue de l'année 1843, il n'a pu être reconstruit qu'en 1847 et 1848, à l'aide d'une subvention que les concessionnaires reçurent du gouvernement.
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12° PONT DE VENTEROL OU DE L'ARCHIDIACRE
La loi qui en a autorisé l'exécution et fixé à 10,000 francs le chiffre de la subvention porte la date du 11 août 1859. Il est situé au nord-est de Venterol, dans la direction de Valserres, et fut concédé pour une durée de quatre-vingttreize ans, à dater de 1860, à MM. Martel Louis-François, Pascal Joseph et Michel Baptiste, tous propriétaires, les deux premiers à Venterol et le troisième à Piégut.
Le pont suspendu de Venterol ne possède qu'une seule travée de 54 mètres d'ouverture ; ses câbles en fil de fer sont en bon état, mais insuffisamment protégés dans les puits d'amarre que les eaux envahissent quelquefois.
La commune de Venterol a racheté le péage de ce pont le 4 mars 1880, après avoir vainement demandé que l'indemnité due aux concessionnaires fût payée par le département. Le poids des chargements a été limité à 2,000 kilogrammes.
13° PONT DE TALLARD.
Le 20 janvier 1858, le gouvernement accorda l'autorisation nécessaire pour la construction d'un pont en bois sur la Durance, non loin de Tallard, à l'endroit où, dans la commune de Lettret, larivière, resserrée entre deux rochers, change de direction. L'adjudicataire reçut une subvention de 12,000 francs. Ce pont fut détruit par une crue de la Durance; il a été remplacé par un pont suspendu de 92m,50 d'ouverture, construit, en 1888, par MM. Simonet, Boeuf et Pacaud. Les fers ont été fournis par MM. Vit et Roudet, de Chambéry.
Ce pont, qui a résisté à la crue de 1886, est en bon état.
14° PONT DE CLARET ET MONÊTIER.
La route nationale de Sisteron à Gap suit la rive droite de la Durance, en passant par Ventavon et le Monêtier-
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Allemont; mais ces deux villages n'avaient jadis que des communications difficiles et irrégulières avec celui de Claret, situé sur la rive opposée de la rivière. C'est pour obvier à ce grave inconvénient que l'administration des ponts et chaussées a fait construire, de 1885 à 1888, par M. Simonet, entrepreneur, un pont à deux piles d'environ 94 mètres de longueur. Le tablier se compose de poutres en fer et de briques. On a dépensé pour cette construction la somme d'environ 160,000 francs, sur laquelle la commune de Claret a payé 12,000 francs et celle du Monêtier 10,000 francs.
15° PONT DE FOMBETON OU DE VALERNES.
Le petit pont suspendu de Fombeton est situé un peu en amont de l'embouchure de la Sasse, dans la commune de Valernes et sur le chemin de grande communication n° 4, de Gâp à Vinon. La loi qui en a autorisé l'exécution porte la date du 17 juin 1844. Il a été concédé pour une durée de soixante ans, à partir de 1846, à MM. Boniface de Fombeton, Bouland et James, qui ont reçu à cet effet une subvention de 35,000 francs, dont 25,000 francs de l'État et 10,000 francs de M. de Fombeton, suivant engagement pris par ce dernier, à la date du 20 décembre 1842. Il ne possède qu'une seule travée de 70m,75 et a été racheté par le département, le 18 décembre 1872.
Le péage pour une personne n'était que de cinq centimes (0 fr. 05), tout comme à Venterol, à Remollon et à Rousset. Le poids des chargements a été limité, en 1887, à 2,000 kilogrammes par essieu, bien que les différentes parties de ce pont soient en assez bon état de conservation.
16° PONT DE LA BAUME A SISTERON.
La ville de Sisteron possédait jadis l'un des plus anciens ponts que l'on ait construits sur la Durance, puisqu'il datait, d'après M. Laplane, de l'année 1365, époque où vivait la
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reine Jeanne. Il fut réparé en 1501 ; cette date avait été gravée sur une des pierres du parapet, Tout comme la plupart des ponts romains, il était très étroit et très élevé dans son milieu, ce qui offrait un double inconvénient pour la circulation des voitures, des charrettes et même des piétons. La reconstruction de ce pont, jugée depuis longtemps nécessaire, eut lieu en 1882; une somme de 56,000 francs fut, dans ce but, mise à la disposition du service des ponts et chaussées. Les travaux étaient en voie d'exécution quand survint la crue aussi mémorable que désastreuse du 13 novembre 1882. Les eaux montant rapidement, la voûte fut terminée à la hâte, et bientôt après le courant impétueux atteignait la charpente et la dispersait au loin.
Le pont de Sisteron est situé entre la ville et l'important faubourg de la Baume, au-dessus d'une coupure étroite et profonde que les eaux ont pratiquée à travers la montagne; il est en maçonnerie et a une seule arche. Ses dimensions sont les suivantes : ouverture, 28 mètres ; flèche, 14 mètres ; épaisseur des culées, 5m,30 ; largeur du pont entre les deux clefs, 6 mètres; longueur des trottoirs, 40 mètres ; largeur, 0m,70 ; épaisseur de la voûte à la clef, lm,30 ; hauteur de la voûte au-dessus des eaux ordinaires, 17m,60. Les rochers sur lesquels s'appuie le pont en assurent la solidité.
A l'étiage, les eaux sont à une altitude de 454m,60, soit à 123 mètres au-dessous de la terrasse de la citadelle, à la base de la tour de l'horloge; leur vitesse sur ce point est des plus considérables.
Le 8 novembre 1886, les eaux indiquaient, à l'échelle du pont de Sisteron, 6m,75 au-dessus de l'étiage.
17° PONT DE VOLONNE.
Il est situé sur le chemin de grande communication n° 17 et ne possède qu'une seule travée de 99m,50 de longueur
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sur 3m,90 de largeur; la loi qui en a autorisé la construction porte la date du 26 février 1845. Le concessionnaire, M. Escarguel, a reçu, pour la construction de ce pont, une subvention de 73,000 francs, dont 35,000 francs donnés par l'Etat, 8,000 francs par le département et 30,000 francs par la commune de Volonne. Le péage a cessé d'être perçu depuis l'année 1857, le rachat en ayant été opéré par le département. Ce pont est en assez bon état d'entretien; toutefois les galeries qui contiennent les câbles et les amarres ne sont pas complètement étanches.
Le poids maximum des chargements a été limité à 2,000 kilogrammes par essieu.
18° PONT DE TRÉBASTE OU DE CHATEAU-ARNOUX.
Le pont suspendu de Trébaste fut construit aux frais de l'État, de 1835 à 1837, par MM. Victor et François Lieutaud frères, entrepreneurs, qui rectifièrent également la route nationale n° 85, de Lyon à Nice, conformément à l'ordonnance du 3 décembre 1834, modifiant celle du 16 décembre 1811 (la route passait primitivement par Volonne). La première porte : « Qu'au-dessous de Sisteron la route royale n° 85, de Lyon à Antibes, sera dirigée sur la rive droite de la Durance, par Peypin et Château-Arnoux, pour traverser la Durance sur le pont établi devant cette dernière localité et reprendre la direction actuelle par Malijai. »
Le passage de ce pont a toujours été gratuit. Son unique travée mesure 118 mètres de longueur et 4m,50 de largeur, dont 2m,70 pour la chaussée. Les culées, formant deux élégants portiques, mesurent chacune 10 mètres, ce qui porte à 138 mètres la longueur totale du pont. Le tablier est très élevé au-dessus des eaux.
Bien qu'il soit de dimensions modestes, ce pont est néanmoins un des plus élégants que l'on ait construits sur la Durance ; c'est aussi l'un des plus solides, puisque,
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depuis son établissement, il a constamment résisté aux crues de la Durance, sans en excepter celle de 1843.
Les poutrelles du tablier étant un peu faibles, la limite dé poids des chargements a été fixée, en 1887, à 2,000 kilogrammes.
On a dû modifier en 1898 le système d'amarrage qui offrait quelques dangers.
19° PONT DE SAINT-AUBAN.
Le pont de Saint-Auban est exclusivement destiné au passage du chemin de fer de Saint-Auban à Digne et à Saint-André, que l'on doit relier plus tard avec celui de Nice, se dirigeant vers le Nord. Commencé en 1872, il ne put être achevé qu'en 1875, par suite des difficultés que rencontrèrent les ingénieurs dans l'établissement des deux piles, qui atteignent une profondeur considérable. Il se compose de trois arches ou travées, dont deux de 49m,50 et une, celle du milieu, de 60 mètres. Sa longueur totale est de 190 mètres. Le tablier est supporté par des poutres en fer composées d'un certain nombre de pièces réunies à pied d'oeuvre. Un parapet très élevé, formé par des bandes de tôle, règne sur toute la longueur du pont.
20° PONT DES MÉES.
La loi qui a autorisé la construction d'un pont suspendu sur la Durance, au lieu des Mées, porte la date du 25 février 1838. Les adjudicataires de ce travail furent MM. Miriol André et Bouvard Claude, ingénieurs civils à Lyon, à qui on accorda une subvention de 60,000 francs et un droit de péage pendant soixante-cinq ans, à dater du 15 mai 1838. Ce pont était achevé depuis quelques années lorsque survint la crue du 2 novembre 1843, qui le détruisit à peu près complètement ; il ne put être reconstruit que longtemps : après, de 1854 à 1856, par les ingénieurs de l'État. Depuis cette époque, le passage a toujours été gratuit. Le pont des Mées mesure 165m,40 de longueur sur
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5m,40 de largeur et possède au milieu une pile formant portique. Du côté des culées, les câbles s'appuient sur des piliers peu gracieux en forme de pyramides quadrangulaires.
En 1880 et 1881, on a changé les câbles et peint les tiges de suspension. Il a été restauré de nouveau en 1896 ; on a modifié le système d'amarrage et remplacé le tablier en charpente par un tablier métallique, avec garde-corps rigide, La limite de poids a été fixée, en 1887, à 2,000 kilogrammes par essieu.
21° PONT D'ORAISON.
Le pont d'Oraison a été exécuté par MM. Drogeat et Ferreboeuf, de 1885 à 1887. Il se compose de sept arches en pierres de taille de Ruoms-Vallon (Ardèche), ayant 35 mètres d'ouverture. Les piles, protégées par les énormes caissons en tôle ayant servi à leur construction, mesurent 5 mètres de largeur et de 9 à 11 mètres de profondeur ; elles reposent sur un banc de rocher dans lequel elles ont été solidement encastrées. Sa longueur totale est d'environ 285 mètres, y compris les culées, et sa largeur de 6 mètres entre parapets. Les deux chaussées qui le relient au rivage ont chacune environ 250 mètres ; elles aboutissent, l'une au village de la Brillanne et l'autre un peu au nord d'Oraison. Cette importante et utile construction, qui met en communication directe Oraison et Forcalquier, a coûté environ 1,500,000 francs. La ville de Forcalquier a fourni une subvention de 24,000 francs.
Les piles et les arches étaient à peine achevées, lorsque survint la crue du 26 octobre 1886.. Une passerelle fut emportée, et six hommes se trouvèrent en détresse pendant trente heures sur une des piles. On ne les sauva qu'au prix des plus grands efforts.
Parmi les ponts construits sur la Durance, celui d'Oraison est incontestablement l'un des plus solides et des plus remarquables.
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22° BONT DE MANOSQUE,
MM. Seguin frères obtinrent la concession, avec péage pendant soixante cinq ans, d'un pont suspendu sur la Durance, non loin de Manosque, sur la route nationale n° 207, d'Avignon à Nice. La loi qui en autorisa l'exécution porte la date du 22 janvier 1839. Les travaux étaient déjà très avancés quand survint la terrible crue du 2 novembre 1843 ; les eaux, entraînant les débris du pont des Mées, renversèrent les piles, détruisirent les chaussées et dispersèrent les charpentes ; cinq hommes y trouvèrent la mort. Ce pont ne put être achevé qu'en 1846 par les premiers concessionnaires. Il possède deux piles peu élevées audessus des eaux et mesure 200m,50 de longueur. Le tablier a une largeur de 5 mètres, dont 4m,40 pour la voie charretière. Les câbles reposaient primitivement sur des blocs de fonte mobiles.
Le pont de Manosque a été racheté par l'État, conformément au décret du 16 septembre 1881; on a cessé de percevoir les droits de péage depuis le 1er janvier 1882.
Cet ouvrage, ne possédant pas toute la solidité voulue, a été restauré, en 1890 et 1891, par M. Arnaudin, entrepreneur, qui a reçu à cet effet la somme de 151,000 francs.
On a:
1° Remplacé les pièces de fonte oscillantes, qui soutenaient les câbles, par des piliers en pierres de taille ;
2° Ajouté quatre câbles obliques à chaque tête ;
3° Reconstruit le, tablier avec des poutrelles, armées très rigides ;
4° Etabli un garde-corps métallique (1).
En 1895 et 1896, on a exécuté des travaux d'enrochement
(1) Presque toutes ces indications ont été empruntées aux rapports de M. Dyrion, ingénieur en chef des ponts et chaussées et agent voyer en chef du département des Basses-Alpes. Années 1891, 1892 et 1893,
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autour des piles et des culées. Les deux chaussées qui relient le pont à la terre ferme ont une longueur considérable.
Les péages de ce pont avaient été établis de la manière suivante:
Une personne à pied » 10
Un cheval ou mulet avec son cavalier » 25
Un cheval ou mulet chargé » 12 1/2
— — non chargé » 10
Un âne ou une ânesse chargé » 10
— — non chargé » 07 1/2
Par cheval, mulet, boeuf, vache ou âne,
employé au labour ou allant au pâturage » 05
Par veau ou porc " 07 1/2
Par mouton, brebis, bouc, chèvre, cochon de lait, etc " 07 1/2
Les conducteurs de chevaux, mulets, ânes, boeufs, paieront » 07 1/2
Une voiture suspendue à deux roues, attelée d'un cheval ou mulet, conducteur compris 1 »
Une voiture suspendue à deux roues et un collier 1 45
Une voiture suspendue à deux roues et deux colliers... 1 75
Une charrette chargée à un collier, avec conducteur » 65
Une charrette chargée à deux colliers, avec conducteur 1 "
Une charrette chargée à trois colliers, avec conducteur 1 32 1/2
Une charrette vide à un collier, avec conducteur (1) » 40
(1) Voir Bulletin des lois, année 1839.
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23° PONT DE MIRABEAU.
Suivant procès-verbal d'adjudication du 14 décembre 1830, le sieur Jean-François-Théophile Sauze s'engagea à construire un pont suspendu sur la Durance, à Mirabeau, moyennant la concession d'un droit de péage pendant trente-quatre ans dix mois. Cette adjudication fut approuvée par décret du 20 mars 1831. Le pont de Mirabeau, situé sur la route nationale n° 96, fut, comme ceux des Mées et de Manosque, emporté par la crue de 1843. La pile du milieu, profonde de 7 mètres, résista longtemps à la violence du courant, mais finit par être, renversée; sa chute entraîna la destruction du pont.
Le sieur Jean-François-Théophile Sauze, ayant renoncé à ses droits, une nouvelle adjudication eut lieu le 20 octobre 1845, sous la présidence de M- le préfet de Vaucluse, qui reconnut le sieur Louis-Vincent Chaffard comme concessionnaire du pont, pour une durée de dix-neuf ans.
Le pont de Mirabeau est long de 150 mètres et large de 5m,50. Ses deux culées, en forme de portiques avec colonnes, sont assez élégantes et reposent sur le rocher ; mais, par suite de la suppression de la pile du milieu, on a dû élever les câbles et construire sur ces culées des piliers en maçonnerie.
Depuis 1866, le pont est devenu la propriété de l'État, qui dépense annuellement pour son entretien la somme de 6,600 francs, dont 3,300 francs pour grosses réparations, 1,500 francs pour fournitures diverses et 1,800 francs pour le. traitement d'un garde surveillant. En 1876 et 1877, on a changé les amarres de la rive gauche, qui étaient en mauvais état; toutefois la circulation n'a pas été interrompue pendant cette opération, qui a exigé une dépense de 15,000 francs.
24° PONT DE MEYRARGUES.
Le pont en maçonnerie et en fer de Meyrargues, qui
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appartient à la compagnie P.-L.-M., a été construit, de 1867 à 1869, pour le chemin de fer des Alpes. Il mesure 280 mètres de longueur et possède quatre piles formant cinq arches de 48m,60 d'ouverture. On a employé dans cette construction des arcs surbaissés en fonte de fer.
Le tablier est peu élevé au-dessus des eaux ; mais les piles, construites au moyen de grands caissons de tôle, sont bien protégées et atteignent une profondeur considérable.
25° PONT DE PERTUIS.
Le pont suspendu de Pertuis sur la Durance fut concédé, le 14 septembre 1833, pour une durée de quarante-huit ans à dater du 28 octobre 1835, à MM. Jules Seguin et Cie. Son unique pile, construite en pierres de taille, est large, très élevée, et forme un magnifique portique. Il est situé à une altitude de 186 mètres, sur la route départementale n° 12, et mesure 200 mètres de longueur.
Pendant la nuit du 1er au 2 novembre 1843, la culée de. droite s'affaissa, le tablier fut enlevé en partie et un fort courant s'établit de chaque côté du pont, à travers les chaussées. Postérieurement, pendant les crues de 1882 et 1886, ces mêmes chaussées furent encore coupées, ce qui prouve que le pont de Pertuis, avec ses 200 mètres, n'a pas une longueur suffisante pour l'écoulement des eaux.
Le péage du pont de Pertuis a cessé d'être perçu depuis le 28 octobre 1883. Le département de Vaucluse pourvoit à son entretien.
26° PONT DE CADENET.
La loi qui autorisa la construction d'un pont suspendu sur la Durance, près de Cadenet, non loin du quartier de Saint-Christophe, où on a établi plus tard un bassin d'épuration pour les eaux du canal de Marseille, porte la date du 6 juin 1836. M. Boulan, le concessionnaire, obtint
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une subvention assez importante et un droit de péage; pendant quarante-neuf ans. Le pont de Cadenet mesure 232 mètres et possède deux piles ; les câbles s'appuient sur des piliers carrés en maçonnerie assez élevés.
Les ingénieurs du département de Vaucluse constatèrent, en 1882, que cette construction nécessitait des réparations urgentes et considérables; mais le concessionnaire, représenté par M. Eugène Arnaud père, mis en demeure de les exécuter, préféra abandonner le pont gratuitement et à forfait au département de Vaucluse, attendu que la concession expirait en 1885. Le péage de ce pont a été officiellement supprimé vers la fin de l'année 1883.
27° PONT DE MALLEMORT.
La construction du pont suspendu de Mallemort, sur la route départementale n° 19, a exigé trois années de travaux, de 1844 à 1847. L'ordonnance relative à cette entreprise porte la date du 10 mai 1842, et l'adjudication celle du 5 octobre 1843. Il mesure 300 mètres de longueur et 6m,20 de largeur. Ses deux piles et ses deux culées sont surmontées de piliers carrés sur lesquels reposent les câbles. La durée de la concession fut fixée à cinquante ans, et le chiffre de la subvention à 170,000 francs, dont 80,000 francs fournis par l'État, 30,000 francs par chacun des départements limitrophes, 20.000 francs par la commune de Mallemort et 10,000 francs par celle de Mérindol.
Dans la nuit du 20 octobre 1872, pendant un orage, les eaux renversèrent la pile de gauche. Le concessionnaire, M. François Maùrel, ingénieur civil à Toulouse, n'ayant pu la faire reconstruire, fut dépossédé de ses droits par l'État. Les deux départements de Vaucluse et des Bouchesdu-Rhône prirent alors possession du pont et firent établir provisoirement une barque pour traverser la Durance; mais ce n'est que huit ans après, le 27 mai 1880, que les
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travaux de réparations, évalués à 153,000 francs, furent adjugés à M. Paul Avon, pour la somme de 132,520 francs. Cette dépense, déduction faite d'une subvention accordée par l'État, a été mise à la charge des deux départements dans la proportion de 60 0/o pour celui des Bouches-duRhône et de 40 0/n pour celui de Vaucluse. Le 2 septembre 1883, le pont de Mallemort était de nouveau livré à la circulation, avec suppression du droit de péage. Il fut convenu qu'il serait entretenu par le département de Vaucluse, qui recevrait de celui des Bouches-du-Rhône une somme annuelle de 5,000 francs, représentant à peu près la moitié de la dépense.
Pendant la crue du 11 novembre 1886, la pile de droite, celle du côté de Mérindol, qui n'avait été que légèrement restaurée, fut à son tour fortement ébranlée et lézardée, si bien que, le 17 décembre 1886, l'administration préfectorale traita avec M. Arnaudin, entrepreneur, pour le démontage, à forfait, au prix de 16,000 francs, des deux travées de droite. A la date du 22 mars 1887, les ingénieurs présentèrent un projet de restauration du pont fixant la dépense à environ 185,000 francs. Les travaux n'ont pu être terminés qu'en octobre 1892.
28° PONT D'ORGON.
C'est en 1868 que fut achevé le pont d'Orgon, pour le chemin de fer de Miramas à Cavaillon. Il mesure 380 mètres de longueur et possède quatre piles, formant cinq travées de 70 mètres d'ouverture : sa direction n'est pas exactement perpendiculaire à l'axe du courant. Le tablier est supporté par des poutres en fer et possède un parapet ou gardecorps très élevé, exactement semblable à celui de SaintAuban, qui appartient également à la compagnie ParisLyon-Méditerranée.
29° PONT DE CAVAILLON.
Le décret autorisant la construction d'un pont suspendu
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avec péage sur la Durance, près de Cavaillon, porte la date du 28 juillet 1834 ; il fut concédé, tout comme celui de Manosque, à MM. Seguin frères, pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans, jusqu'en 1936. Ce pont mesure 300 mètres de longueur sur 7 mètres de largeur. Les piles au nombre de trois sont placées à une distance de 80 mètres et ne possèdent qu'une faible hauteur au-dessus des eaux. Les culées dans lesquelles sont établis les puits d'amarre n'offrent rien de remarquable dans leur construction ; elles mesurent dix mètres de longueur.
Le pont de Cavaillon résista à la crue de 1843, mais ses. deux chaussées furent emportées. Vers 1850, un ouragan renversa le tablier ; en le rétablissant, on remplaça les blocs de fonte oscillants, qui soutenaient les câbles, par des colonnes fixes. Plus tard, pendant la crue de 11 novembre 1886, il reçut dans toutes ses parties de graves avaries qui nécessitèrent une réfection complète et une dépense de 200,000 francs.
A la suite de longues négociations, le pont de Cavaillon. fut racheté, en 1893, aux concessionnaires, moyennant la, somme de 500,000 francs payée, savoir : 150,000 francs, par la ville de Cavaillon; 155,882 francs, par l'État; 97,059francs, par le département de Vaucluse, et autant par celui des Bouches-du-Rhône.
En 1894, il n'existait plus de pont à péage sur la Durance ; celui de Cavaillon a été le dernier racheté. Le nombre de charrettes, de voitures et de piétons qui passent sur ce pont est si considérable qu'on se propose d'en construire un second à environ 800 mètres plus haut.
30° PONT DE BONPAS.
Les religieux de l'ordre des Chartreux, appelés aussi Frères Pontifes, construisirent, au XIe siècle, un pont en maçonnerie sur la Durance, non loin de leur monastère de Bonpas. Parmi les historiens, les uns pensent que ce pont
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fut détruit par une crue de la rivière vers l'année 1272; les autres croient que Raymond de Toulouse le mit hors de service, en 1242, pour empêcher les troupes de son rival, le comte de Provence, de pénétrer dans ses États. Barjavel indique, pour la destruction de ce pont, une date plus récente, celle de 1536, qui se rapporte à l'invasion de la Provence par Charles-Quint; cependant une charte de l'année 1326 fait mention d'un bac établi à Bonpas.
Un pont en mélèze des Alpes sur chevalets fut construit à Bonpas, où passe la route nationale n° 7, d'Avignon à Marseille, par le sieur Saurin, mécanicien à Aix, de 1807 à 1812. Il se composait de quarante-sept travées et mesurait 516 mètres de longueur. Quatre charpentiers, payés par le département de Vaucluse, étaient spécialament chargés de son entretien.
La crue du 2 novembre 1843 causa de graves dégâts au pont de Bonpas et l'ébranla dans toutes ses parties ; on constata, par exemple, que la dix-septième arche s'était affaissée d'environ 0m,30 Une autre crue non moins terrible, celle du 11 novembre 1886, lui enleva neuf travées, mesurant ensemble 121 mètres de longueur. Le trafic sur ce pont est si considérable qu'il fallut les remplacer par une passerelle provisoire, en attendant la construction d'un pont suspendu à trois piles, très élégant et très solide, d'une longueur totale de 520 mètres et d'une largeur de 6m,10, dont 4m,60 pour la voie charretière et 0m,75 pour chacun de trottoirs.
Les piles, d'une profondeur d'environ 10 mètres audessous du lit de la rivière, reposent sur pilotis.
Ce pont, construit aux frais de l'État, a été soumis, le 23 mars 1894, aux épreuves réglementaires, avec deux chariots pesant ensemble 22,000 kilogrammes ; toutes les parties ont parfaitement résisté à ce poids énorme.
La durée du pont en bois de Bonpas a été de soixante quatorze ans.
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31° PONT DE ROGNONAS.
MM. Mignot frères et Cie s'engagèrent, suivant convention du 16 mars 1830, approuvée par décret du 9 juin de la même année, à construire un pont suspendu sur la Durance, au mas des Georgets, près de Rognonas, moyennant la concession d'un péage pendant quatre-vingt-dixneuf ans. Ce traité resta inexécuté et fut rapporté le 22 mars 1831.
Une seconde adjudication eut lieu le 7 juin 1832; elle donna lieu à une nouvelle concession consentie par M. le préfet de Vaucluse, pour une durée de quarante-neuf ans six mois, en faveur des sieurs Malboz et Terme ; elle fut approuvée le 25 décembre 1832.
Le pont construit par les concessionnaires, de 1833 à 1835, sur la route départementale n° 15, d'Arles à Avignon,. fut le premier emporté par la crue du 2 novembre 1843, mais on le rétablit peu de temps après dans son état primitif. Il possède trois piles et mesure 410 mètres de longueur.
Les démarches faites en vue d'obtenir le rachat du pont de Rognonas n'ayant pas abouti, les conseils généraux de Vaucluse et des Bouches-du-Rhône ont dû attendre le terme de la concession, soit le 11 décembre 1884, pour prendre possession de ce pont. Depuis cette époque, le passage a toujours été gratuit.
Le péage avait été fixé ainsi qu'il suit :
Une personne à pied » 05
Cheval ou mulet et son cavalier » 15
Cheval, mulet, boeuf, vache, âne employés au
labour » 03
Mouton, brebis, chèvre, bouc, cochon de lait... " 03
Voiture suspendue à deux roues, à un cheval.. » 80
Voiture suspendue à quatre roues, à un cheval. 1 10
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Voiture suspendue à quatre roues, à deux
chevaux........ .... ......................... 1 60
Charrette chargée à un cheval ou mulet » 60
Charrette chargée à deux chevaux ou mulets (1) » 85
32° PONT DE BARBENTANE
La compagnie P.-L.-M. fit construire le pont de Barbentane sur la ligne d'Avignon à Marseille, de 1846 à 1848. Il est en maçonnerie et mesure 535 mètres de longueur. Les piles, au nombre de vingt, ont une épaisseur de 5m,25 et forment, avec les deux culées, vingt-une travées ée 20 mètres d'ouverture. On a établi, en outre, dans les culées, deux arches de 5 mètres de largeur pour le servies des piétons. Le pont de Barbentane, peu éloigné de celui de Rognonas et du confluent de la Durance avec le Rhône, est à une altitude de 20 mètres.
Les ponts construits sur la Durance depuis 1830, sauf quelques-uns du Briançonnais, sont actuellement (1899) au nombre de trente-deux, y compris celui de Sisteron, dont on a modifié les dimensions, et celui de Bonpas, que l'on a remplacé par un pont suspendu. Sur ces ponts devenus indispensables au commerce et aux populations riveraines, passent plusieurs lignes de chemin de fer et de nombreuses routes nationales et départementales.
(I) Pour les péages, voir le Bulletin des lois, aux dates indiquées. Les tarifs des ponts à péage étaient toujours en raison inverse du trafic et de la durée de la concession. Ainsi, ceux du pont de Manosque, dont le trafic est assez faible, étaient plus élevés que ceux de Pertuis.
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Une loi du 30 juillet 1880 porte en substance :
« Il ne sera plus, à l'avenir, construit de ponts à péage sur les routes nationales et départementales.
« Les ponts à péage, sur les routes nationales, seront rachetés dans un délai de huit ans à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi. »
Les péages, toujours très onéreux, que les passants acquittaient autrefois, ont été successivement supprimés, moyennant des indemnités payées aux concessionnaires des ponts. Maintenant, le passage est entièrement libre sur tous les ponts de la Durance, et les bacs, devenus inutiles, ont été presque partout abandonnés.
A tous ces avantages que possèdent les ponts, se joint celui de concourir très efficacement à l'endiguement de la Durance, car les culées, toujours solidement établies comme les piles, résistent beaucoup mieux que les digues à la violence du courant et facilitent, avec les chaussées qui y aboutissent, la transformation des isoles et des graviers en terres fertiles.
L. PELLOUX. (A suivre.)
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Lou Jubilè de Teihoun
Erou, d'aquèu tems, segoundari à Varansoro. Un matin d'abriéu, que lou céu èro ben clar et l'er ben dous, me proumenavou sus les ièro dôu Pourtau-Valet en amirènt lou campestre m'ounte tout greiavo, e les amendiè clafi de flour. Es que, sabès, n'i a quauques un d'amendiè sus les piano de Varansoro, e quouro an toutes eibandi, acô duro aparaqui uno quingenado, que se pouô ren veire de pus béu. Au mitan dei samena que verdejoun de tout caire à perto de visto, dirias de neblo roso e blanquinelo que floutejoun sus uno mar.
Escoutavou peréu canta les carandro, piéuta les cardarino e richiéuneja les quinsoun; escoutavou lou vounvoun des abeiho, lou frufru dei langoustou, dei grihè, de milo pichouno bestiolo, escounduo dins l'erbo nouvelo. Tout èro plen de vido reneissento e dei brut de la vido. La terro, alor, es coumo uno belo e gaiardo meina que vent de ben durmi, e se ravehio en sourisènt e 'n jargouniènt dins son brès.
Amiravou, escoutavou, pantaiavou, quouro lou pietoun, que d'asard passavo sus lou camin, me crido e me dis qu'a 'n papiè par iéu. Éro uno letro que me mandavo un brave curât qu'aviè 'sta moun coulègo ou semenàri, lou curât de Teihoun, un vilagi pardu apareilà dins les couolo, en frountiero des Aup-Maritimo e dôu Var.
Me dihiè 'quéu bouon counfraire, que m'esperavo autant léu que me série poussible, par prêcha lou jubilé à ses
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Le Jubilé de Teillon
J'étais, alors, vicaire à Valensole. Un matin d'avril, — le ciel était bien clair et l'air bien doux, — je me promenais sur les aires du Portail-Valette, en admirant la campagne où tous les germes levaient, et les amandiers couverts de fleurs. Ah! c'est qu'il y a quelques amandiers, savez-vous, sur les plaines de Valensole, et, lorsqu'ils sont tous pleinement épanouis, c'est bien, pendant une quinzaine de jours, ce qu'on peut voir de plus beau. Parmi les cultures qui verdoient de tous côtés à perte de vue, on dirait des nuées blanches et roses qui flottent sur une mer.
J'écoutais aussi chanter les alouettes, piéuta les chardonnerets, richiéuneja les pinsons ; j'écoutais le vounvoun des abeilles, le frufru des sauterelles, des grillons, de mille petites bestioles cachées dans l'herbe nouvelle. Tout était plein de vie renaissante et des bruits de la vie. La terre, alors, est comme un bel enfant plein de santé qui vient de bien dormir et s'éveille en souriant et en gazouillant dans son berceau.
J'admirais, j'écoutais, je rêvais, lorsque le facteur, qui, par hasard, passait sur le chemin, m'appelle et me dit qu'il a quelque chose pour moi. C'était une lettre que m'envoyait un brave curé, mon ancien camarade de séminaire, le curé de Teillon, un village perdu là-bas, dans les montagnes, sur les frontières des Alpes-Maritimes et du Var.
Il me disait, ce bon confrère, qu'il m'attendait au plus tôt, pour prêcher le jubilé à ses paroissiens. (Cette année-là,
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paroussian. (Aquel an, li aviè lou jubilé.) Agué pas besoun de m'escrioure dous cop; li respounderou que sariéu ben urous de l'ana veire e de passa quàuquei jour ame eu E puei, m'agradavo tant ben d'ana fa couneissenço am' aquéu païs de Teihoun, m'ounte les orne, à ço que m'èrou leissa dire, an quasiment toutes uno cano de aut, e m'ounte, dins les auberjo, l'oustesso, par faire la meleto, bâte les uou dins soun fouidiéu, avans de lei viouja dins la sartan.
Adounc, dins les proumié jour de mai, parterou par Teihoun.
E marché pas trop màu, nouoste jubilé.
Ei verai que lou sarmoun que faguerou en arribènt siègué ni mai ni mens qu'espetaclous. Espanté taromen lei gens que l'en deman n'en manqué pas un au prechi. Avien pa nca souna lou darriè, que la gleiho èro boula de mounde, pleno coum' un uou. Veici, à pau près, coumo me li prenguerou en engranènt :
" Saurrès, mes Fraire, que si m'atrobou au mitan de vautre, en aquestou moument, es qu'ai fa, d'à ped, de longueis estirado, qu'ai passa l'aigo en batéu, que me siéu fa carreja par lou camin de ferre, que m'an tirassa dins de marridei vaturo en douriho, ounte me siéu bouonomen tout espeça, es qu'ai travessa, escambarlia sus un muou, de véritable désert. Aceta d'ana en baloun, ai fa tout ço qu'uno gent pouo faire par avança camin. »
S'eimaginavoun, les Teiouhnen, quesenoun toumbavou, de la luno, — d'abord qu'èrou pas vengu en baloun, — veniéu, au mens, dôu mitan de l'Africo ou dôu found de la Chino, e qu'èrou par orto despuei siei mes.
Anessias pas vous figura, par acô, que me trufavou d'eles e que li cantavou de messonjo. Dieu m'en préserve ! Èro ben verai qu'èrou vengu, d'à ped, de Varansoro ei ribo de Durenço ; e tant li a 'no troto, boutas ! Èro ben verai qu'aviéu passa Durenço sus uno barco, — lou pouont d'Auresoun èro pa 'nca fa. — Èro ben verai qu'èrou vengu en camin de ferre de la Briano à Digno, que de
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il y avait le jubilé.) Il n'eut pas besoin de m'écrire deux fois. Je lui répondis que je serais tout heureux d'aller le voir et de passer quelques jours avec lui. Et puis j'étais content d'aller faire connaissance avec ce pays de Teillon,. où, d'après ce que l'on m'avait dit, les hommes, ont presque tous une toise de haut et où, dans les auberges, l'hôtesse, pour faire l'omelette, bat les oeufs dans son tablier avant de les vider dans la poêle.
Donc, les premiers jours de mai, je partis pour Teillon.
Et il ne marcha pas trop mal, notre jubilé
Il est vrai que le sermon que je fis, en arrivant ne fut ni plus ni moins qu'admirable. Il étonna si fort les gens, que, lé lendemain, il n'en manqua pas un à l'instruction. On n'avait pas encore sonné le dernier que l'église était comble, pleine comme un oenf. Voici, à peu près, comment je m'y pris en commençant :
« Vous saurez, mes Frères, que, si je: me trouve au milieu de vous autres, en ce moment, c'est que j'ai fait, à pied, de longues marches, que j'ai franchi l'eau en bateau, que je me suis fait charrier par le chemin de fer, qu'on m'a. traîné dans de mauvaises voitures désemparées d'où je suis sorti tout brisé, que j'ai traversé, monté sur un mulet, de véritables déserts, A moins d'aller en ballon, j'ai employé tous les moyens de locomotion possibles. »
Mes auditeurs s'imaginaient que, si je ne tombais pas de la lune, — puisque je n'étais pas venu en ballon, — je venais, au moins, du centre de l'Afrique ou du fond de la Chine, et que j'étais en route depuis six mois.
N'allez pas, cependant, vous figurer que je me moquais d'eux et que je leur disais des mensonges. Dieu m'en préserve! C'était bien vrai que j'étais venu, à pied, de Valensole aux bords de la Durance ; et il y a une trotte, je vous assure ! C'était bien vrai que j'avais traversé la Durance sur une barque,. — le pont d'Oraison n'existait pas encore. — C'était bien vrai que j'étais venu en chemin de
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Digno à Castelano m'avien esquicha dins uno machine.., que voui dirai ? un ôubragi tout deimasouà, tout escleini, que li plôuviè dedins coumo defouoro, — e raiavo coumo de couordo ! — De Castelano à Teihoun, te li a un pendourias de valounado, d'armas, de cassio, d'escourancho, de lavino sourèbre que voui douno les ancouors. E pàure ! que camin ! Voui n'en dieu pas mai : tout béu just un pichot draioun, e drech coumo la man ! Es à n'aquelo mountado escalabrouo qu'aviéu escamba lou muou.
Au vias : aviéu ren di que noun sieguesse l'escreto verita. Aviéu proun arrenja uno brigueto les càuso, en racountént moun viàgi, mai acô fahiè tort en degun. Lou fet es que les paroussian de moun ami fagueroun ben tout coumo se déu. E qu'èro countent aquéu sant ome de curât! Un sero, surtout, qu'avian fa 'na longo jouncho par counfessa les ome : « Que cop de capeiroun ! me digue 'n intrant à clastro. E, sabes, dins lou mouroun, li aviè un famous pei ! Ai-ti pas vis aquéu gusas de Jan de l'Ouire que t'anavo trouba? Lou Jan de l'Outre, aquéu cepoun de café, un ibrougnasso coumo ni a gaire, beléu coumo ni a gis soui la capo dôu souréu. Quand un ase vouô pas béure, à la fouont : « Metè-li lou capeu dôu
" Jan de l'Quire, cridoun lei gent, e veirés qu'aura léu
" set, » T'assegurou d'uno que si aquéu se counvartis, acô sara 'n miracle, e dei gros. Dimars de matin, sincô t'en vas, faras ben de parti à la primo àubo, que les Teihounen t'espeiarien tout viéu, par ague de tei relicle... »
E ben ! ou creires ou noun : tant que duré lou jubilé, lou Jan de l'Ouire siègué brave coumo un sôu. Degun l'entende brama, e sa fremo nimai, degun l'entende ploura.
Lou dimenche qu'èro la fenissien, vengue à la proumiero messo; vengue à la grand'messo, vengue à vespro, sens' intra 'n luec autre qu'à la gleiho.
Aprei vespro, par se racampa à l'oustàu, s'esquihé
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fer de la Brillanne à Digne ; que, de Digne à Castellane, on m'avait pressé dans une machine..., que vous dirai-je? un je ne sais quoi de disjoint, de fracassé, où il pleuvait dedans autant que dehors, — et il pleuvait comme des cordes. — De Castellane à Teillon, il y a toute une région de vallons, d'éboulis, de landes stériles, tristes à vous serrer le coeur. Et, pauvres ! quel chemin ! Je n'en dis pas davantage : tout juste un petit sentier, et droit comme la main ! C'était à cette montée abrupte que j'avais enfourché le mulet.
Vous le voyez : je n'avais rien dit qui ne fût la pure vérité. J'avais bien arrangé un peu les choses, en racontant mon voyage, mais cela ne faisait du mal à personne. Toujours est-il que les paroissiens de mon ami firent bien tout comme il fallait. Et qu'il était content, ce saint homme de curé ! Un soir, surtout, que nous avions passé longtemps à confesser les hommes : « Quel coup de filet ! me dit-il en entrant au presbytère. Et, sais-tu, dans le tas, il y a un fameux poisson! N'ai-je pas vu ce garnement de Jean de l'Outre qui allait te trouver ? Le Jean de l'Outre, ce pilier de cabaret, un ivrogne comme il n'y en a guère, peut-être, comme il n'y en a pas sous le soleil. Quand un âne ne veut pas boire, à la fontaine : « Mettez-lui le chapeau de Jean » de l'Outre, crient les gens, et vous verrez qu'il aura vite » soif. » Je puis bien te dire que si celui-là se convertit, ce sera un miracle, et des grands. Mardi matin, lorsque tu t'en iras, tu feras bien de partir à la pointe du jour, car les Teillonniens t'écorcheraient tout vif pour avoir de tes reliques... »
Et bien ! vous le croirez ou non : tant que dura le jubilé Jean de l'Outre fut sage comme un sou. Personne ne l'entendit crier, et personne, non plus, n'entendit pleurer sa femme.
Le dimanche, jour de la clôture, il vint à la première messe, il vint à la grand'messe, il vint à vêpres, sans entrer autre part qu'à l'église.
Après vêpres, pour se rendre à sa maison, il se glissa
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d'escoundoun long des carriero m'ounte, li aviè lou mens de mounde, e quand, d'asar, ausiè, de luen, lou brut dei veire e lou chamatan de quàuque café,, sarravo lei dent, sarravo les pungs,..., e filavo d'un autre caire, rede coumo un pau-ferre. Aviè déjà fa mai de cent pas fouoro lou vilàgi, quouro s'arresto soude, clino- en pàu la testo, se grato lou frouont en sourisènt e dis : « Es egàu, Jan de l'Ouire, as fa l'ome, encuei!. As proun gagna... de béure un cop! E s'entourno, par se paga 'n Picon. Mai siegué resounable, beguê pas, mai que ço que fau e se retiré de bouono ouro, e lou curat de Teihoun a vougu m'afourti que, despuei lou jubilé, Jan. de l'Ouire s'èro plus empega,
A. RICHAUD.
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en cachette le long des murs où il y avait le moins de monde, et quand, par hasard, il entendait, de loin, le bruit des verres et le vacarme d'un café, il serrait les dents,. il serrait les poings..., et il filait d'un autre côté, roide comme une barre de fer. Il avait déjà fait plus de cent pas hors du village, lorsqu'il s'arrête soudain, il penche un peu la tête, se gratte le front en souriant et dit : « C'est égal, Jean de l'Outre, tu as été un homme, aujourd'hui!... Tu as bien gagné.... de boire un coup !» Et il retourna sur ses pas pour s'offrir un Picon. Il fut raisonnable cependant ; il ne but pas plus qu'il ne convient et il rentra de bonne heure chez lui; et le curé de Teillon m'a affirmé que, depuis le jubilé, Jean de l'Outre ne s'est plus enivré.
A. RICHAUD.
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LE BRIGANDAGE
dans les Basses-Alpes
ORIGINE, CAUSES, DÉVELOPPEMENT DU BRIGANDAGE (Suite et fin)
III.
Mais la source qui fournit le plus fort contingent au brigandage fut incontestablement la réquisition; de là, l'explication de ce fait que beaucoup de brigands de pro fession sont de tout jeunes hommes.
« Pour exploiter l'Europe, dit Taine, il faut au Directoire » plus de cent mille vies françaises par an ! Dans les hôpi» taux, les soldats périssent faute d'aliments et de remèdes... » Pour faire rejoindre les réquisitionnaires, on leur donne » la chasse, on les amène au dépôt les mains liées. S'ils se » dérobent, on place à demeure des garnisaires chez leurs » parents. Si le réquisitionnaire s'est réfugié à l'étranger, " il est inscrit d'office sur la liste des émigrés et, en cas " de retour, fusillé dans les vingt-quatre heures; en atten» dant, ses biens sont séquestrés, ainsi que ceux de ses » père, mère, ascendants. »
La loi du 24 brumaire an VI punit d'une amende de 300 francs à 3,000 francs et à un an ou deux ans de prison tout habitant convaincu d'avoir recelé sciemment un réquisitionnaire, d'avoir favorisé son évasion, de l'avoir soustrait aux poursuites des lois.
Le Directoire fait un pressant appel au zèle des fonctionnaires ; il ordonne l'affichage des proclamations, leur publication à son de trompe, etc. ; puis, finalement : « Considérant que l'exécution des lois relatives aux réqui-
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» sitionnaires est presque partout entravée ou éludée par " l'insouciance ou la faiblesse des autorités auxquelles » elle a été confiée, par l'espèce de conflit qui existe entre
» les commissaires du gouvernement et la gendarmerie, par » l'extension arbitraire et dangereuse qui a été donnée » aux exceptions adoptées en faveur de l'agriculture et » des arts ; considérant qu'un grand nombre d'officiers de
» santé, sur les certificats desquels les congés de réforme
» étaient délivrés, se sont montrés indignes de la confiance » qui leur était accordée par leur complaisance et leur
» vénalité—, confie directement et exclusivement à la » gendarmerie l'exécution des lois concernant les déserteurs et les réquisitionnaires. » De plus, injonction est faite à toutes les autorités civiles et militaires, sous les peines portées par la loi, de dénoncer, poursuivre, faire punir tous porteurs de faux congés, fauteurs de désertion et officiers de santé prévaricateurs. (Art. IX.)
De son côté, l'administration départementale met en mouvement les brigades de gendarmerie, qui devront se porter successivement dans tous les cantons, et met en réquisition les troupes de ligne de Digne, de Manosque, etc., pour rechercher les réquisitionnaires, de concert avec la gendarmerie, reconnue insuffisante (1). Que va faire le réquisitionnaire récalcitrant ? Ira-t il à l'armée ? Il lui semble que, là, une mort certaine l'attend. Ils sont, hélas ! si nombreux, ceux de sa connaissance qui sont partis et ne sont plus revenus ! En tout cas, les souffrances, les privations de tout genre ne sauraient lui manquer ; les rares camarades qui reviennent lui en font le récit sous les couleurs les plus sombres; non, il n'ira pas à l'armée.
Restera-t-il chez lui? Le gendarme est là qui va le saisir.
(1) Archives départementales. Arrêtés du 24 et 28 frimaire an VII.
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Ira-t-il se cacher dans quelque ferme isolée, en qualité de domestique ?
La loi, qu'il a lue, affichée aux portes de la maison commune, dit bien que celui qui aura reçu chez lui un réquisitionnaire fugitif ne sera pas admis à proposer comme excuse valable que ledit réquisitionnaire était entré chez lui en qualité de serviteur à gages, à moins qu'il ne l'ait présenté préalablement à l'administration municipale et qu'il se soit assuré qu'il n'est pas dans. le cas de la désertion (1). On ne le recevrait pas sans le présenter à la municipalité; il ne saurait être présenté sans être pris; il n'ira pas à la ferme.
Que fera t-il donc ? Il essaye tour à tour de tous les moyens qu'une imagination hantée par la peur et le désir de se dérober à la loi peuvent lui suggérer. De là, les troubles qui se manifestent partout.
Ici, des rassemblements de conscrits résistent à main armée aux autorités chargées de les lever, insultent la commission, menacent le président, lui criant : Tu es un j... f... (2)! Ailleurs, les bandes font la chasse aux gendarmes, s'embusquent sur les chemins et leur enlèvent de vive force les réquisitionnaires (3). En d'autres pays, la résistance prend un caractère moins bruyant, mais plus irréductible, l'inertie. « Mieux vaut mourir ici qu'ailleurs », disent-ils, comme les réquisitionnaires récalcitrants de Belgique, et ils refusent de marcher. En un mot, chacun met en oeuvre les moyens que ses ressources, ses relations, les circonstances lui permettent d'utiliser pour se soustraire à l'épouvante de cette terrible loi. On en vit en diverses communes se condamner à une réclusion volontaire en
(1) Loi du 24 brumaire an VII, art. v.
(2) Ceci se passa en plusieurs communes, notamment à Entrevennes.
(3) Comme à Voix, le 2me jour complémentaire de l'an VI, et à Saint-Vincent de Seyne, en vendémiaire an VII, etc., etc.
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des cachettes très incommodes, durant de longs mois, et n'en sortir que quelques heures chaque nuit; d'autres, obtenir, à prix, d'argent, que les agents des communes commissent des faux sur les registres de l'état civil. « — Les fonctionnaires de Châteauneuf-Miravail, les » Omergues, Curel, dit le commissaire Guieu, vendent » leur prévarication aux lâches qui la sollicitent pour » rester honteusement dans leurs foyers (1). » L'agent de Saint-Vincent faisait de même, falsifiant, antidatant ou postdatant certains actes, faisant des ratures, des surcharges sur les registres, pour faciliter aux réquisitionnaires les moyens d'éluder la loi.
Il y en avait, enfin, qui cherchaient un échappatoire dans des mariages absolument invraisemblables. Sans aller aussi loin que le dit Taine, à savoir que dans certains pays, grâce à une série de faux, une même femme se trouva mariée simultanément à dix ou douze conscrits (2), certaines communes de nos Basses-Alpes allèrent assez loin dans l'exploitation de ce truc, car non seulement on y pratiqua le mariage disproportionné, mais on y exploita le mariage faux. Allibert, de Vallavoire, âgé de 18 ans, épouse la femme Bruneti, âgée de 80 ans ; Marc Arnaud, à 20 ans, épouse une femme de 50 ans ; Dominique Giraut, de Saint-Vincent, épouse, à 25 ans, Suzanne Plaindoux, qui compte bien soixante printemps. Quand on né trouve pas qui épouser, on fait inscrire quand même l'acte de mariage sur les registres sous un nom de femme supposé; mais, parfois, la forfaiture est si mal combinée que le registre spécial des conscrits indique comme non mariés ceux auxquels l'état civil donne une épouse, et vice versa, et cela le même jour et la même année (3).
(1) Archives départementales, série t, f° 518 et passim.
(2) Taine, .624.
(3) Archives départementales, loc. cit.
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Mais le coin des Alpes où l'on recula, pour ainsi dire, lès limites de la forfaiture, où on la poussa à un degré inconnu jusque là, fut le canton de Méolans. Il s'y était établi un véritable atelier de faux mariages ; on y accourait en foule des cantons et même des départements voisins, pour obtenir à prix d'argent ces précieuses exemptions de service. On en fabriqua jusqu'à trente-six dans un seul jour. En l'an IV, il ne s'était fait que six mariages dans tout le canton et les registres en contenaient bel et bien quarante-deux. Naturellement, les agents municipaux se faisaient payer leur complaisance à beaux deniers comptant, et, pour augmenter le bénéfice, ils disaient aux jeunes gens qui les marchandaient « que » la somme principale était destinée à des fonctionnaires » d'un ordre supérieur (1) ».
Évidemment, tous le réquisitionnaires ne pouvaient récourir à ces moyens, soit par défaut de ressources, soit par défaut dé complaisance de la part d'agents honnêtes et intègres, qui ne voulaient pas prévariquer, et, par misère, par désespoir, fuyaient le pays, se livraient au libertinage, à l'oisiveté et, de là, glissaient aisément dans le brigandage.
On voudra bien ne pas trouver mauvais que nous placions ici, à titre de preuve, l'historique de la vocation d'un brigand, racontée par lui-même. Ce récit authentique confirmera ce que nous avons dit dans le présent paragraphe et nous fera faire connaissance avec un des plus
(1) Archives départementales, série L, f° 518. — Voir les arrêtés du 12 fructidor an VII et du 13 frimaire an VIII, relatifs aux falsifications commises sur les registres de l'état civil par les officiers publics. — Le rapprochement des tableaux de mariage avec les registres de l'état civil, dans les communes de Méolans, Revel, le Lauzet, pendant l'an IV, ne contribue pas peu à la manifestation de la vérité.
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fameux brigands de la région, dont les révélations, du reste, contribuèrent beaucoup à l'extinction du brigandage dans les Basses-Alpes et dans le Var, ainsi que nous aurons occasion de le dire plus loin.
Pierre Pons, dit Turriès, sommé par le juge d'instruction de Draguignan de déclarer quand, pourquoi et comment il s'était enrôlé dans les bandes, lui fit le récit suivant :
« Il n'y a pas encore tout à fait trois ans que je fus appelé par la conscription. Jusque là, je m'étais toujours conduit en homme d'honneur et de probité. J'étais même presque entièrement décidé à me rendre à l'armée, quoique je n'eusse point de goût pour le service militaire, lorsque, malheureusement, plusieurs jeunes gens de la commune de Pourrières, mes compatriotes, étant déjà fugitifs et plongés dans le crime, vinrent me dégoûter du service de la République et me solliciter de me joindre à eux. Je ne les écoutai pas d'abord; mais ensuite, venant à la recharge, ils ne m'abandonnèrent plus jusqu'à ce qu'ils m'eussent entraîné avec eux.
» A cette époque, je restai avec eux environ quinze jours dans les bois. Je ne crois pas que, pendant cette quinzaine, ils eussent commis quelque crime. Ce qu'il y a de certain, c'est que je n'en ai pas commis moi-même, ni ne leur en ai vu commettre à eux-mêmes. Ensuite, honteux de moimême et regrettant d'avoir pris ce parti, je les abandonnai et me retirai des bois.
» Je vois le maire de Pourrières ; il m'exhorte à prendre mon ordre de route. Je vins même en cette ville de Draguignan pour cela. Je reçois mon ordre de route et je l'entreprends de suite pour me rendre au camp de réserve, à Dijon.
» Je passe malheureusement à Pourrières, et, à mesure que, pour faire mes adieux à mon père, je vais passer à ma maison située au hameau des Hermentaires, distant d'un quart d'heure du village, j'y rencontre les fuyards, parmi lesquels les deux frères Roche, qui sont les auteurs de mes
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malheurs et qui étaient, pour ainsi dire, acharnés à ma perte. Malgré leurs vives instances et leurs pressantes sollicitations, j'eus encore le courage de résister. Ils eurent beau me tenir les discours les plus séduisants, me montrer beaucoup d'argent, une quantité considérable d'écus, me promettre que j'en aurais autant qu'eux, qu'ils partageraient avec moi, je ne les écoute pas et je reprends ma route pour l'armée.
» En effet, je me rends à Aix. Mais jugez de la fatalité de mon sort ! Il faut que les frères Roche me suivent
encore, et je les rencontre à, Aix Ils se mettent à mes
trousses et ne m'abandonnent plus jusqu'à ce qu'ils aient achevé de me gagner et de me décider à déserter. « Nous » allons t'attendre, me disent-ils, au ci-devant château de " Saint-Marc des Plaines », où j'eus le malheur de me rendre.
» — Quel est le premier crime qu'ils vous engagèrent à commettre avec eux ?
» — Trois ou quatre jours après que je fus réuni à eux, nous allâmes arrêter sur le grand chemin, au logis d'Anne,
terroir de Jouques, au nombre de dix-huit Nous
arrêtâmes d'abord plusieurs voyageurs et puis la diligence d'Aix à Digne; nous enlevâmes, ce jour-là, beaucoup d'argent et beaucoup d'effets (1).
» — Quel est l'autre crime ?
» — Trois jours après, nous vînmes au Saint-Pilon, entre Saint-Maximin et Pourcieux, arrêter le courrier de la malle et le courrier d'Espagne ; nous étions peut-être au-delà de vingt-cinq Après les deux précédentes
(1) La diligence qui allait d'Aix à Digne ayant été souvent arrêtée, on la remplaçait parfois par une simple charrette, sur laquelle on déployait une tente, afin de tromper les sentinelles et, par ce stratagème, éviter d'être volé.
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expéditions, nous allâmes aux communes de Brunet et de Majastres (Basses-Alpes), etc., etc. (1). »
L'interrogatoire de François Ripert, de Pourcieux, nous fournit une autre preuve de la répulsion des réquisitionnaires pour l'armée. Parlant de Louis .Brémond, autre brigand, il dit au juge d'instruction :
« ... Pendant que nous étions à prendre le frais sous les peupliers, Mouttet, Brémond et moi, Brémond nous dit : « — Est-ce que vous ne savez pas? Nous sommes ici » trois réquisitionnaires. On parle encore de nous faire » marcher par force. Qu'en pensez-vous? Que voulez-vous » faire? Quant à moi, je ne marcherai pas. Je préfère » m'enrôler dans les bandes de brigands.
« — Qu'est-ce que tu dis-là ? lui répondis-je moi-même, » tu n'y penses pas et tu n'en feras rien ! Il faut avoir » des sentiments, et ce parti te mènerait à ta perdition; et » quand même tu ne voudrais pas le faire pour toi, 'tu ne » dois pas déshonorer ta famille et la désoler »
» Alors, il me répondit :
a — J'aime mieux mourir ici, le ventre plein de » poulets, qu'à l'armée, le ventre plein de pain de » munition. »
» Et il tint parole (2). »
IV.
« Quitte ta pioche, prends le fusil. Tu te massacres
» pour ne gagner que trente sous ! Viens avec nous, tu
(1 ) Extrait de la Copie de la procédure instruite contre les prévenus de brigandage. (Ire partie, t. I, fos 102 et suiv.)
(2) Copie de la procédure instruite contre les prévenus de brigandage. (Ire partie, t. I, f° 393.) — Ce cynique, en argot de la bande, s'appelait « la Bédoque »,
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» auras beaucoup d'argent, tu feras bonne chère et tu » auras du beau temps (1). »
C'est en ces termes qu'un des plus fameux bandits s'adressait à un honnête travailleur, pour l'embaucher dans le brigandage. N'est-ce pas que ce mot dit tout et qu'il ouvre, aux regards de l'homme auquel pèse le joug du devoir, une enivrante perspective? Avoir de l'or, satisfaire ses appétits, ne rien faire ; l'or, le plaisir, la paresse, voilà certes de puissants facteurs, qui, de tout temps, ont créé et, aujourd'hui encore, créent les bandits. Il est certain, en effet, que le libertinage, l'amour effréné de l'or, la perspective d'une vie oisive, agrémentée de scènes de débauche, exercèrent un puissant prestige sur ces imaginations de vingt ans. La souffrance et la mort d'un côté ! Le plaisir et la liberté des vastes horizons, de l'autre ! Comment hésiter, quand une barrière faible comme l'était chez nous le sentiment du patriotisme vous retient seule?... Il n'y a qu'à suivre dans la carrière du crime ces jeunes hommes de dix-huit à vingt cinq ans, aux passions neuves et vives, tous ardents au plaisir ; il n'y a qu'à voir avec quelle brutalité ils se ruent à la débauche, au crime, fiers de jouir, plus fiers d'échapper à la mort qui les guette sans cesse, pour être convaincu que plus d'un roula dans l'abîme, fasciné par la perspective de la jouissance, de l'orgie. Voyez que de viols, que d'outrages commis avec toute la férocité d'un homme qui ne sait plus maîtriser ses passions ! Insensibles aux supplications, aux larmes, durs comme des rocs en face des scènes les plus attendrissantes, c'est avec le poignard à la main qu'ils courent au plaisir. « Ou mon plaisir, ou la mort ! » voilà leur devise.
Voyez quelle soif de l'or, de cet or pour lequel il expose
(1) Copie de la procédure instruite contre les prévenus de brigandage. (Ire partie, t. III, f° 191.)
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mille fois sa vie, de cet or avec lequel il peut se livrer à sa passion favorite !
« Allons chez le B...., nous en apportons une panai » d'écus ! » .
Voyez ce Pierre Roux, dit lou Piétoux (par antiphrase,. sans doute), joueur effréné de vendôme. Il regorge d'or et d'argent, car il vient de voler le trésor public dans le bois de Cadarache, ce qui ne l'a pas empêché d'assassiner un misérable mendiant sur la route, pour lui ravir les quelques liards qu'il a recueillis pendant le jour. Il est là, assis devant la table de jeu; quand il perd, on le voit tirer insouciamment de sa-poche ses mains remplies d'écus et de louis d'or mêlés, et dire à son partenaire, avec la désinvolture d'un habitué de tapis vert : « Que l'argent te » fagué pas poou ! L'i a din lou bouos de Negrèou un
» orfèvro que me n'en fabrico Aï lou mouole deis
» escus, n'en faou tan que vouorél... »
V.
Les complices. On peut affirmer que le brigandage n'aurait pas si longtemps ni si cruellement exercé ses ravages dans la partie méridionale de nos Basses-Alpes, si les hommes qui s'y sont livrés à ce genre de crimes n'avaient pas trouvé des complices parmi les habitants des campagnes et surtout parmi ceux qui, à raison de leur situation de fortune, paraissaient être à l'abri de la corruption et, par là même, étaient exempts de tout soupçon.
L'expérience a prouvé, en effet, que les hommes de cette espèce furent excessivement dangereux, précisément parce qu'ils n'inspiraient aucune méfiance. Ils paraissaient tranquilles dans leur habitation; ils avaient l'air de se livrer exclusivement au soin de leurs affaires, à leurs travaux agricoles, alors que, la nuit venue, les bandits se
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donnaient rendez-vous chez eux pour y former, tout à l'aise, leurs projets, combiner les moyens d'exécution et désigner leurs victimes. Et voyez jusqu'à quel point ils poussaient la scélératesse! Quelquefois, ils prenaient le soin de se plaindre les premiers de ces visites, afin d'écarter les soupçons du public. On en vit même qui se prêtèrent à l'ignoble comédie d'attaques simulées, d'accord avec les brigands, qui, faisant irruption chez eux, feignaient de les piller, les menaçaient de les torturer, de leur ôter la vie, afin de les autoriser à se plaindre et d'éloigner d'eux toute idée de complicité. Au contraire, les personnes qui avaient été véritablement victimes du brigandage ne portaient aucune plainte, désavouaient les outrages reçus et n'avaient pas même le courage de déposer la vérité devant la justice, lorsqu'elles étaient appelées en témoignage, dans la crainte de s'exposer à la vengeance des brigands et de leurs complices (1).
Sans doute, les dispositions les plus rigoureuses furent prises, soit contre les complices, soit contre les localités dans lesquelles les brigands étaient reçus.
Le général Ferino, écrivant au préfet en date du 9 messidor an VIII, lui disait :
« Je sais que Noyers a reçu dix brigands; que ces » scélérats sont protégés par la masse des habitants dans » presque toutes les communes. Avertissez-les que je » marche avec du canon et que je ferai mettre le feu » dans tous les lieux où les assassins auront été reçus » sans résistance. »
D'autre part, dans sa lettre d'amnistie, il déclare que toute commune, tout village, hameau, où les brigands
(1).« Le peuple est tellement effrayé qu'on ne porte pas même plainte; » chacun craint, chacun tremble, personne n'ose parler. » — C'est la réflexion qui s'étale dans chaque rapport des maires des localités infestées aux commisaires du Gouvernement établis près le tribunal spécial.
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auront été reçus sans résistance de la part des habitants, sera frappé de la loi du 10 vendémiaire an IV, et le jugement, rendu de suite, sera exécuté militairement.
« ... Je veux le retour de la paix dans les Basses-Alpes » et l'anéantissement du brigandage, dit le général Pelle» tier, commandant le département ; si je ne puis atteindre » les brigands, je frapperai leurs complices. »
Mais toutes ces mesures n'entravaient guère la complicité, provenant, chez les uns, de la peur, chez les autres, de l'appât d'un gain sordide, chez d'autres, enfin, il ne faut pas craindre de l'avouer, du désir de faire exécuter par le poignard habile du bandit une vengeance qu'ils n'étaient pas en mesure d'exercer directement eux-mêmes.
Et, disons-le en finissant, les difficultés qu'éprouva le Gouvernement, pour extirper entièrement le brigandage, vinrent en grande partie de ce que des complices, se disant honnêtes gens, favorisaient les bandes de scélérats, soit en leur donnant sciemment' refuge dans leur maison, soit en leur fournissant des vivres, soit en recelant les objets volés, soit en les servant de tous leurs moyens et de toutes sortes de .manières. Ils comptaient d'autant plus sur l'impunité qu'ils se regardaient au-dessus même du soupçon ; ils parvenaient ainsi à neutraliser les grandes mesures que le Gouvernement prenait pour la destruction du brigandage.
J.-M. MAUREL.
— 450 — DOCUMENTS HAUTS-PROVENÇAUX
Lettres médites de l'ÀMI DES HOMMES et du Bailli de Mirabeau
(1765-1767) (Suite)
Le Bailli au Marquis.
Toulon, le 7 février 1767.
... J'ai devancé mon voyage de deux mois; car j'étois résolu à revenir au printemps, sentant que tu désirois mon retour ; et ne me regardant que comme un morceau de la famille, il m'a toujours paru juste de suivre les idées du chef.
Me voici. Il me semble tout simple d'aller prendre les eaux, au mois de may, à Digne, comme aussi d'aller passer quelque temps à Mirabeau...
Au surplus, je suis ici à tes ordres. Si tu juges que je fis mieux d'aller à Paris tout de suite et d'aller ensuite aux eaux de Bourbonne, ou autres, marques le moi. Mon mal est une fracture, mais qui n'est plus rien. Le pire est que la jambe s'étant pourrie sur une planche, pendant le repos qu'on me fit garder de 46 jours, on a été obligé de l'ouvrir depuis le talon jusqu'au milieu du gras de la jambe, tout du long du tendon d'Achile, ce qui l'a rendue très foible et a engourdi le coup de pied et l'articulation du genouil, et a raccourci le tendon d'Achille. Toutes les membranes sont venues à suppuration. Voilà mon mal ; tu peux consulter quelque habile médecin des eaux, sur l'espèce et le lieu de celles que je dois prendre.
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Quant à ce qui est affaire, tu sçais mieux que moi s'il faut que j'aille à Paris ou non, à présent ou cet été, après avoir pris les eaux; si je dois résider à Paris auprès de toi, ou si tu me juges plus utile en Provence pour tes affaires...
Toulon, le 13 février 1767.
... Je n'ai jamais évité les corvées, à plus forte raison quand elles peuvent être utiles ou agréables aux gens que j'aime. Ainsi, si tu me juges utile ou qu'il te soit agréable que j'aille t'aider à passer le triste état de notre mère, mande le moi, et je dérangerai mon projet des eaux de Digne, qui me rétiendra jusqu'à la fin de juin... Il sera bon qu'après les eaux, je fasse un tour sur la commanderie. Marque moi ton avis à ce sujet, et en tout dirige ma marche. Adieu, cher frère, mille respects à ma mère, si elle est en état de se souvenir de moi.
Le Marquis au Bailli.
Paris, le 16 février 1767.
... Je n'y mets point d'enfance, mais je ne puis m'empêcher de me trouver tout enrichi de ton arrivée...
Pour les blessures, ce sont les eaux du midi... A Aix, je te conseillerais peu de séjour, n'étoit que Castellane la Rancune (1), depuis longtemps arrêté et inquiété par un mal à la jambe opiniâtre, s'y étant baigné aux Eaux Chaudes, par pure propreté, et ayant fait couler le robinet sur l'endroit, s'est trouvé guéri au bout de quelques bains.
: (1) Ce sobriquet semble s'appliquer à Joseph-Jean-Baptiste de Castellane, marquis d'Esparron, maréchal do camp en 1748, plus tard gouverneur des lies de Lérins. (V. la lettre du 17 mars 1767.) La branche à laquelle il appartenait .s'était séparée de celle do Noranto dans la première moitié du XVe siècle. La parenté était donc fort éloignée entre La Rancune et le Bien Disant.
452 —
II m'est avis que cela ne coûteroit rien à essayer. La médecine réelle n'a nulle foi aux eaux, mais seulement au régime, à l'exercice, au changement d'air et à l'incurie qui en sont les accompagnements. Mais les faits valent mieux, et ce que j'ai entendu raconter à ma mère des eaux de Digne est bien de fait...
Paris, le 23 février 1767.
Je t'ai promis, cher frère, de te récrire peu après ma précédente, pour te dire le résultat de l'opinion des médecins sur l'espèce des eaux...
... Il est de fait 1° que le moins que l'on peut laisser vieillir tout calus, engorgement, dessèchement, etc., c'est le mieux. 2° Les eaux salutaires pour les blessures, fractures, etc., sont toutes au midi, et, comme la 1re saison est au mois de may, je me sçais bon gré de ne t'avoir pas laissé venir ici pour six semaines. 3° On ne connait maintenant que Barèges ; mais la nature ne change pas comme les vogues, et nous ne devons pas oublier que notre père, apporté chez lui sur un brancard, commença par Digne, dont il se trouva très bien, et nous aussi (1). Il n'y a pas un an encore que notre pauvre mère me contait y avoir vu des miracles, et tu sçais qu'elle ne mentoit pas. Je m'en tiens donc à Digne, et te prie d'y aller, après t'avoir seulement averti que celui des L*** que tu ne connois guères, à sçavoir le cadet, vaut infiniment moins que celui que tu connais : l'aîné n'est qu'un sot, et le cadet est un mauvais sujet. Je les connois l'un et l'autre pour avoir eu affaire à eux, et l'aîné est un bon diable...
Le Bailli au Marquis.
Toulon, le 26 février 1767. ... Je suis bien aise que tu ayes pensé comme moi qu'il
(1) Ce « nous aussi » est une allusion plaisante au mariage qui suivit la cure de Col d'Argent, et d'où naquirent les deux frères, en 1715 et 1717.
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ne falloit rejoindre Paris qu'après les eaux. Tu es à portée de consulter lesquelles me sont les plus propres. Tout le monde me dit ici que ce sont celles de Digne...
A l'égard d'Aix, hélas ! depuis notre pauvre abbé et le bonhomme Graissel (1), que diable y ferois-je ?
Le Marquis au Bailli.
Paris, le 28 février 1767.
... Tu ne nous es pas nécessaire pour soutenir l'état de notre digne et pauvre mère. Bien loin de là... Si tu arrivois et m'en croyois, tu ne la verrais pas, de crainte de quelque révolution qui troublerait sa santé et nous donnerait de la peine, car elle parle souvent de sa folie (2)...
Je te remercie d'avoir cédé à mes instances ou désir : pour ton retour. Je ne m'en repens pas, car je t'aime mieux
(1) Le « pauvre abbé » me paraît être Jacques-Boniface de Castellane, chanoine de Saint-Sauveur d'Aix, oncle maternel du Bailli. Quant au bonhomme
Craissel, ou mieux Croisse), il était le dernier descendant do Gabriel et Pierre Creissel, trésoriers généraux des Etats de Provence par bail de 1690.
(2) Françoise de Castellane, qui avait été, jusqu'à 82 ans, une femme de tête et de rare piété, devint folle dans la dernière période de sa vie. « Elle vomissait des paroles qui auraient révolté les oreilles d'un grenadier... Un valet de 70 ans, seul, pouvait en venir à bout, parce qu'elle en était devenue amoureuse. » Telle est au moins l'assertion, quelque peu suspecte d'exagération, du baron de Gleichen, dans ses Souvenirs (publiés en 1868). Ce qu'il y a de sûr c'est que la piété filiale du Marquis fut comme exacerbée par ce malheur C'est « le seul événement de ma vie, a-t-il écrit, qui ait pensé me faire pécher contre mon culte absolu de résignation à la Providence. » Sa mère morte, il regarda comme un devoir d'écrire l'Eloge historique de Françoise de Castellane, marquise de Mirabeau, opuscule qui fut imprimé, mais dont les bibliophiles n'ont pu retrouver un seul exemplaire. Le culte de la mémoire maternelle
lui inspira indulgence et bonté pour le vieux Saint-Pierre, ce valet de chambre dont parle Gleichen, ivrogne fieffé, paraît-il, mais dont le dévouement avait ado uci les souffrances de la pauvre insensée.— V. Loménie, lot. cit., 1,117-124.
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grand-prieur dépromenant que grand-maître boiteux (1), et les eaux t'étoient nécessaires. Or, puisque tu me donnes la boussole de ton libre arbitre, je te dirai mon plan à ton sujet, seulement pour te donner à penser et à repenser : à Mirabeau, où je t'ai donné de la besogne, aux eaux de Digne, puis à ton aise avec Fabregat (2) à ta commanderie... Au zèle pour nous et à la bonté de coeur que je connois au marquis du Saillant (3), il y a apparence qu'il t'ira joindre là pour t'accompagner aux eaux de Barèges; car il sollicite ici toujours mes entours, pour avoir permission de me suivre à toutes celles qu'on me recommande, et il sçait qne je vis beaucoup plus en toi qu'en moi. Revenir par chez lui est la route d'ici...
Le Bailli au Marquis.
Toulon, le 8 mars 1767.
... Je compte, le 15, être à Mirabeau..., attendre mon départ pour Barèges ; car, par malheur, c'est à Barèges
(1) Le vieil Emmanuel Pinto, né en 1681 et élu grand-maître en 1741, touchait à sa 86e année. L'Ordre se préoccupait do sa succession prochaine, et, parmi les noms mis en avant, celui du Commandeur de Sainte-Eulalie était des premiers. Ses services étaient éclatants, soit comme homme de guerre, soit comme gouverneur de la Guadeloupe.
(2) M. de Fabregat, de Béziers, était le procureur fondé du Bailli, pour la gestion de Sainte-Eulalie.
(3) Dans les lamentables querelles qui divisaient la maison de Mirabeau contre elle-même, le marquis du Saillant, tout en recueillant chez lui Mme de Vassan, grand'mère maternelle de sa femme, avait chaudement épousé la cause du marquis de Mirabeau. L'animosité de Mme du Saillant contre sa mère était telle qu'à la mort du tribun elle l'aurait empêchée de recevoir le dernier soupir do son fils, la laissant se morfondre, six heures durant, dans la cour de la maison où il agonisait. Telle est au moins l'assertion de Mme de Mirabeau. Quoi qu'il en puisse être, le bailli avait une prédilection particulière pour sa nièce du Saillant.
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que le médecin Durand, médecin de la marine (1) ici, et qui connoît mon tempérament, m'a ordonné d'aller. J'attends aussi la consultation à cet égard du docteur Pomme (2), qui est actuellement la fleur des pois, et je voudrois que tu me marques à cet égard l'avis du docteur Gatti (3) et autres, qui ont tort s'ils n'ont pas foi aux eaux ; car c'est le meilleur des remèdes connus et dont les effets, après ceux du mercure, sont les plus palpables, et peut-être même avant... Je vois d'ici qu'il faudra aller à Barèges. Cela m'ennuie à l'avance, parce que cela me renvoyé aux calendes grecques pour aller te joindre.
Le Marquis au Bailli.
Paris, le 17 mars 1767. ... Moins de confiance aux médecins... Quand Deidier (4) et
. (1) Médecin major du port. « On vantait fort ses profondes connaissances médicales et son désintéressement. Il fut mis à la retraite dans un âge très avancé, vers 1764. » — Docteur G. Lambert, Histoire de Toulon.
(2) Pierre Pomme, né à Arles en 1735, se fit grand renom à Paris, où il fut médecin consultant du roi et membre de l'Académie des Sciences. Il s'occupa spécialement des maladies nerveuses, qu'il attribuait à un racornissement des nerfs et qu'il traitait par l'eau de veau ou de poulet et les bains tièdes. Cette spécialité, on le voit, n'avait qu'un rapport très indirect avec le cas du bailli. Pomme revint, sur. ses vieux jours, dans sa ville natale, où il publia, en 1803, ses dernières études sur la névropathie, et mourut en 1812.
(3) Angelo Gatti, médecin toscan, d'abord professeur à Pise, vint, en 1761, à Paris, où il fut le premier vulgarisateur de l'inoculation.
(4) « Je ne connais de médecin du nom de Deidier ou Deydier, que celui qui fut délégué à la peste de Marseille, en 1720, par Chirac, médecin du Régent. Il s'y rendit de Montpellier, en compagnie de Chicoyneau, chancelier de la Faculté, gendre de Chirac, et du docteur Verny, très en vogue dans cette ville. Je crois que Deidier était professeur. Il resta près d'un an à Marseille et collabora avec Verny à l'ouvrage publié sous le nom de Chicoyneau : Observations et Réflexions touchant la nature, les événements et le traitement de la peste de Marseille. » (Lettre du docteur F. Chavernac.)
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Lieutaud (1) (encore vivant et persistant), Quesnay (2), qui m'a tant répété à l'oreille : «... Une médecine tous les cinquante ans suffit » ; quand ces hommes, dis-je, et la bêtise ou forfanterie et friponnerie visible des autres ne m'auraient pas désabusé de leur art, il me suffit d'être tendrement
(1) Joseph Lieutaud, né à Aix en 1703, neveu du botaniste Garidel, fut appelé à remplacer son oncle à l'Université d'Aix, en 1737, comme professeur d'anatomie, physiologie et botanique. Les Essais anatomiqucs, qu'il publia en 1742, commencèrent sa réputation. Sept ans plus tard, il écrivit une réfutation du Traité de la structure du coeur, de Sénac, et eut le bon goût d'en communiquer le manuscrit à cet illustre adversaire. Celui-ci, soit par reconnaissance, soit pour ménager un critique qu'il redoutait, fit nommer Lieutaud médecin de l'infirmerie royale de Versailles. Dès 1752, le docteur aixois entrait à l'Académie des Sciences. Trois ans plus tard, il devenait médecin des enfants de France, les trois futurs rois. Enfin, en 1770, il remplaçait Sénac comme premier médecin de Louis XV. Louis XVI le garda au même titre. Il mourut président de la Société royale de médecine, en 1780. La franchise, et le scepticisme médical de Lieutaud, affirmés par le marquis, le sont plus encore par les dernières paroles qu'il adressa aux confrères qui lui proposaient, à son lit de mort, leur secours et leurs drogues : « Laissez-moi, leur dit-il, je mourrai bien sans tout cela. » Les remèdes, affirmait-il, nuisent s'ils ne guérissent, et ils guérissent rarement. Sans renier son art, il pensait qu'il n'y a point de remède contre l'imtempérance et qu'une vie longue et saine s'obtient, non par des pilules, mais par une conduite réglée. — V. Le botaniste Garidel et son neveu Lieutaud, par le docteur Félix Chavernac, Marseille, 1877.
(2) François Quesnay, né en 1694, à Mérey (Ile de France), fut d'abord chirurgien de province et se fit une telle réputation qu'il devint, en 1737, secrétaire perpétuel do l'Académie de Chirurgie. Docteur en médecine en 1744, il ne tarda pas à être nommé premier médecin ordinaire du roi. Mais c'est surtout comme économiste qu'il a laissé un nom. Ses travaux dans l'Encyclopédie, dans les Ephémérides du citoyen et ailleurs, l'ont fait regarder comme le créateur des théories économiques modernes. C'est lui qui formula le premier, en faveur des classes productrices, le principe de la suppression des douanes intérieures et de la libre circulation, principe que Turgot devait bientôt appliquer et qui, de nos jours, étendu aux produits étrangers, est devenu si néfaste pour la production nationale. Il mourut à Versailles, en 1774.
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aimé de Gatti, à qui j'ai vu, avec rien et du fer, qui est son grand remède, faire des cures incroyables, pour être bien assuré sur cela... Cet homme, qui a pour cet art une sagacité qui l'eût fait déifier du temps de la Grèce, m'a tant dit et répété que la médecine n'étoit que l'art d'administrer les poisons dans les cas, si rares, où le mal est pis encore, qu'il n'est point de fièvre maligne à laquelle il faille autre chose que de l'eau et de la propreté..., que tout ce qui a apparence de foi à la médecine me fait trembler.
Par exemple, Tronchin (1) et Pomme feront ici du bien à la médecine, parce qu'ils prennent le contre-pied du passé; mais ce ne sont pas d'habiles médecins. Nous n'avons que Cénac (2), qui est un fripon, et Lieutaud, honnête homme, mais moins d'esprit, de sagacité et homme de cabinet. Je ne connois pas Durand, qui t'a détourné de Digne. Moi, je ne sçais que l'exemple de mon père, ce que m'en a conté manière. La vogue change, mais la nature ne change pas. D'ailleurs, ce plan te donnoit du temps et du repos. Au reste, sur ce, je m'en rapporte; mais je te supplie d'essaier ces bains chauds d'Aix, et de faire couler la source sur ta jambe. Castellane-Esperron, blessé d'une atteinte de
(1) Théodore Tronchin, suisse d'origine champenoise, né en 1709, à Genève, étudia à Leyde et exerça successivement à Amsterdam, où il fut inspecteur du Collège des médecins, à Genève et à Paris. Premier médecin du duc d'Orléans, en 1766, il fut le plus renommé des inoculateurs et mourut à Paris, en 1781.
(2) Jean-Baptiste Sénac, né près de Lombez, en 1693, d'abord protestant, puis jésuite, et finalement médecin, justifia, en apparence au moins, par ces avatars successifs, la sévère appréciation du marquis. Après avoir suivi le maréchal de Saxe dans ses campagnes, il se fixa à Versailles, fut, en 1752, premier médecin de Louis XV et devint successivement conseiller d'état, surintendant des eaux minérales du royaume et membre do l'Académie de Médecine. Il mourut à Paris, en 1770. C'est de lui que naquit Sénac de Meillan (1736-1803), intendant de Provence en 1773-1774, dont le nom est doublement conservé à Marseille par la rue Sénac et par les ailées de Meillan.
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pied de cheval, qui avoit offensé le périoste, guérissoit et ne guérissoit pas. Dès qu'il marchoit, sa jambe enfloit, et la cicatrice s'entouroit de petits boutons. Il prit des bains par propreté, et fut tout surpris de marcher sans inconvénient. Essaie-le, je t'en prie. En ces sortes de choses, la complication ne fait pas de mal...
Le Bailli au Marquis.
Mirabeau, le 21 mars 1767.
Je ne te peindrai pas ma sorte de serrement de coeur, en pénétrant dans l'ancienne habitation de nos pères, de laquelle l'air serein me réjouit tout...
Parbleu, nous nous sommes exactement rencontrés dans le projet de mon itinéraire, et je comptois faire la route que tu me marques, excepté Barèges, que je sauterois à pieds joints, si par hasard Digne me suffisoit, chose que j'espère.
... Me voilà en France plus encore parce que j'ai cru t'y être utile et agréable, que par raport à ma santé, qui se serait remise à Malte tout doucement, quant à la jambe, ou qui auroit essayé les eaux de Naples ou d'Ischia, qui sont encore bien plus efficaces que celles-ci...
Mirabeau, le 26 mars 1767.
Je ne réponds rien du tout à ce que tu me dis des terres et bastides. La raison est que je n'ai pu ni ne pourroi rien voir de tout cela, que les eaux ne m'aient rendu la faculté de marcher, et n'aient consolidé cette chienne de cicatrice, qui de tems en tems s'excorie un peu...
Mirabeau, le 3 avril 1767.
... Par raport à ma confiance aux médecins, ... je n'ai dit ni parlé à aucun d'eux que pour deviner si les eaux de
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Digne, Barèges, Balaruc ou Gréoux (1), qui deviennent célèbres, étoient plus propres les unes que les autres à mon fait, et Gatty sera étonné de sçavoir le peu de remèdes que j'ai fait pendant deux ans que j'ai été malade. Je sais aussi bien qu'un autre que les médecins savent tout, excepté l'art de guérir, et que des remèdes sont des maladies.
Je pense comme toi sur les docteurs médecins que tu me nommes, et je n'ai nulle foi à ces habiletés surnaturelles. Durand m'a prêché Barèges, sans me détourner de Digne, où lui-même m'envoya autrefois..: J'aurois voulu-, si j'avois pu, n'aller qu'une fois aux eaux, et c'est dans cette idée qu'il appuyoit sur Barèges.
Aix, le 1er de may 1767.
... Le lendemain des fêtes, je vins ici, où je prends les eaux en douche, et non par la bouche. Jusqu'à présent, qui est le huitième bain, je ne puis ni m'en louer ni m'en plaindre. Tournatori (2), le médecin, m'a dit que cela va
(1) Bien que connues dès l'époque romaine, — témoin la célèbre inscription Nymphis Griselicis, découverte par Peiresc, — les eaux de Gréoulx ne reprirent crédit que grâce à l'abbé Jean-Baptiste Gravier, de Riez, qui les acquit en 1752 et publia, l'année d'après, le Traité sur les eaux minérales de Gréoulx en Provence, par le docteur Esparron. Il eut pour héritier, en 1781, son neveu Antoine Gravier, père du docteur Gravier, pair de France, qui, de nos jours, accrut encore le relief de l'établissement thermal créé par son grand-oncle.
(2) Pierre-Claude-Jean Tournatoris, né à Aix, en 1730, reçu docteur en médecine à Montpellier, eu 1753, écrivit, jeune encore, un traité d'ostéologie, qui demeura, par malheur, manuscrit, malgré les larges encouragements des États de Provence. En 1770, il fut chargé de suppléer, à l'Université d'Aix, dans la chaire d'anatomie, le professeur Lieutaud, qui avait été appelé à Versailles. Il exerça cette suppléance sans rétribution, jusqu'à la mort de Lieutaud, c'est-à-dire pendant dix ans. Devenu titulaire, en vertu d'un brevet do survivance de 1776, il poursuivit son enseignement jusqu'à l'époque de la Révolution. Il émigra alors en Italie et dut, pour vivre, se faire charlatan. Il
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bien. Il me paraît sage, et n'ordonne aucun remède, chose que j'aime beaucoup. Il me semble que ma jambe se délie. Sçavoir si c'est le tems, la saison, l'exercice, ou si c'est les eaux, c'est ce que je ne puis pénétrer. Je compte aller à Digne à la fin du mois, et me doucher là plus fortement qu'ici, où les eaux sont foibles et fort mêlées.
Mirabeau, le 5 may 1767.
Je suis de retour ici, depuis hier, cher frère, après avoir pris les eaux d'Aix pendant neuvaine. Il m'a semblé qu'elles m'avoient fait quelque bien ; mais, comme je ne les ai cessées que depuis trois jours, je ne sçais encore si elles m'auront réussi. Bien est-il qu'elles commencèrent par me faire reparaître beaucoup de boutons, qui suintaient une petite humeur, mais qui se dessèchent à présent d'eux-mêmes. Comme la saison est d'une froideur horrible, que nous faisons du feu avec grand plaisir, qu'il tomba de la neige il y a quinze jours, c'est-à-dire le jour de Pâques, les eaux ne seront bonnes à Digne que plus tard qu'à l'ordinaire, ce qui me retarde. Dieu est sur tout.
Mirabeau, le 19 may 1767.
... Je compte partir dans peu pour les eaux de Digne; le froid, qui a duré jusqu'à présent, en a retardé la saison.
(A suivre.)
habitait Livourne en 1794. On perd sa trace à partir de cette date, et l'on ignore le lieu et l'année de sa mort. Il laissait un cabinet d'ostéologie, dont les débris ont été recueillis à l'hôpital d'Aix, et des manuscrits, que possède actuellement M. le docteur F. Chavernac, son biographe. — V. le Docteur Tournatoris sa vie et ses manuscrits, par le docteur Félix Chavernac (Marseille, 1871). — Ce travail contient des détails biographiques pleins d'intérêt, notamment sur le zèle et le dévouement que Tournatoris déploya à Forcalquier, durant l'épidémie de suette de 1772, et qui déterminèrent les Etats de Provence à demander pour lui, inutilement du reste, le cordon de Saint-Michel.