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Titre : A travers l'Algérie (province de Constantine et Kabylie) / par A. Prignet,...

Auteur : Prignet, A.. Auteur du texte

Éditeur : (Paris)

Date d'édition : 1914

Sujet : Algérie (1830-1962)

Sujet : France -- Colonies -- Afrique

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb341359890

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 2 vol. (191 p.) : ill., carte ; in-8

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Description : Collection : Bibliothèque des écoles et des familles

Description : Collection : Bibliothèque des écoles et des familles

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k56755242

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LK8-2271

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 21/07/2009

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in:s ùcouîs irr ui-s /•.t.H//././;S

A. PRiCiNBT

A Travers l'Algérie

(Province de Constaiitine et Kabyfie)

PARIS

LIBRAIRIE HAÇHKTTK F.T Cic

7<), B0tL£V4R!) S*l\r-<i!ilMtiN, -.) »



A|*TRAVERS L'ALGERIE


BIBLIOTHÈQUE DES ECOLES ET DES FAMILLES

yUATlilEME SÉRIE, FORMAT IN'-8° - r

Chaque volume ; ITOCM, l fr. 10; cartonnage fort, genre maroquin, (plats liorés, tranches jaspées, 1 (t. 35; earloiinajro fort, genre warotjd'ii, plats dorés, traïu-hes dunjos, | IV, 70.

Agon do la Contrle (Mme il'} : L'honneur de'Richard,

—■ Le vainqueur de Gérald.

Alber-Grave : Us petits secrets amusant?,

Annenskaïa î tes amis de collège,

Bailly {A il g.) : La troupe sans rivale.

Bçrtlri : A lionne école.

Bouvet ; i'ieur captive.

Cim (Albert) : Contes el souvenirs de mon pays.

— Mes vacances, v

Clément (F.) : Les grands musiciens.

Cummins (Miss) : L'allumeur de rêver.

hères.

. Diguet (Charles) : .Vos amis les bêles.

Du Boscq de Beaumont (G.) : Une fille

de France, la Tunisie.

- Ôuvrago récompense par tlnsitiut.

— L'Étendard vert,

Ficy (P.) : L'ambition d'Arnaud. Figuier (L.) : Seines el tableaux de la

nature. ' Gauthier-Villars (Henri) : Le petit roi

de la foret. Girardin (J.) : lionnes bêles el bonnes.

gens.

— Petits contes alsaciens,

— Les gens de bonne volonté.

— La nièce du capitaine.

Gorsse (II. tic) : il. Toto, premier policier de France. Guy (X.) : Contes héroïques.

— Azala'is,

Heywood : Les chercheurs de trésor. Houdetot (Mme de) : Lit el chardon,

Ouvri'^ii ci.uri.uim; |.nr rVnilémle frïuiçjiUc.

Çce'ur brisé.

Jeanroy (li. A.) : Le marraine de Câline.

Kergomard (Mme) : Heureuse rencontre.

KrougloH : Les petits'soldats russes.

La Fontaine : Chou- de fables.

Laurent (F.) : Le chasseur de loutres.

Lehugeur : Histoire de l'armée fraritaise. '

Manuel (C.) : Un Voyage de vacances.

Maryllia ; Les vacances d'un petit naturaliste,

Mayne-Held (Le capitaine) : Les naufragés de la Calypso.

Melandrl : La petite cigale.

Peltier : Contes du temps présent.

Poiré : Six semaines de vacances.

Prignet : A travers l'Algérie.

Sévignè (Mme de) '. Choix de lettres,

Souvigny (J.) : L'avenir de Suzetle.

— Sauvée!

Strauss (Mme P.) : Au pays basque. Theurlet (A.) : Les enchantements de

la forêt. Tissandier : Causeries d'un savant. Vèze (J. de) : La fille du braconnier.

167113. — Coulum'mers. Imp. PAUL BHODARD. — 3-U.


miujornuQUE ims "ÉÇOLRS' irr uns 'FAMILLES

A Ï1AVERS L'ALGÉRIE

f<$ (PKOVf$GË I)K CONSTANTINK HT KABYUK)

l'AK

A. PRIGNET

Professeur m lycée Je Constaniioc.

OUVKAGI: rr.f.usTrtÉ in: a ORXXVUES

PARIS LIBit AI IIIE HACHETTE ET C/

79, BOl'LEVARD SAIXT-GERMA1S, ~{i

1914


Tva» droit* de traJailuiû, de rt'l'ftHJuttiuA tt d adaptation ti'wn^ pour tuus fa)*-


■TJttëFACK

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I~7\s écrivant ce modeste ouvrage, je, n'ai eu d'autre but. J que de faite connaître, el aimer l'Algérie

Celte belle colonie est trop souvent ignorée eu France; tous ses habitants eux-mêmes jieuvent-ils se vanter d'en savoir la géographie, l'histoire, l'organisation administrative? ont-ils tous pénétré chez les Indigènes, au milieu desquels ils vivent, pour étudier leur caractère et leurs moeurs?

J'ai passé plusieurs années dans la province de Constantine; j'y ai beaucoup voyagé, un peu observé ; c'est le 'résumé de. mes excursions, le résultat de mes observations <jue j'ai consignés dans ce volume.

J'ai mis en action un petit Parisien voyageant avec son oncle, parce que je m'adresse surtout aux enfants des Ecoles, ceux de France et d'Algérie.

Je serai satisfait si j'ai réussi à intéresser mes jeunes lecteurs en les amusant, et à leur communiquer un peu de mon admiration pour la belle France d'Afrique.

A. IV

' Juillet 1913.



A TRAVERS L'ALGERIE

CIIAPITHi; I

iiv0\ . !■;■■■ ;

KX ROUTE POUR L'AI.OtiRIKL'apprenti

L'AI.OtiRIKL'apprenti Lemaire. — Son inclination pour l'Algérie. — Le départ pour Marseille. — La distance do ce port aux prîncipauv ports algériens, — La vitesse des paquebots. — La traversée. -7 Les renseignements du capitaine sur les côtes algérienites. — L'arrîvêrt à Philippeville. ' "■■:-<-

GEORGES Lemaire venait d'avoir quatorze ans; il terminait sa première année d'apprentissage au magasin de denrées coloniales de son oncle. Celui-ci, pour le récompenser dé son travail et l'initier au métier, résolut, à son prochain voyage d'affaires, de remmener en Algérie et lui fit part de son dessein.- Grande fut la joie du jeune garçon à l'idée de ce premier voyage. Georges Lemaire n'avait jamais quille Paris, où son père, honnête ouvrier chargé de famille, habitaitdepuis longtemps; il n'avait jamais entrevu la possibilité d'en partir, car, après avoir réussi ail certificat d'études, il était entré en apprentissage chez un frère de sa mère, M. Bernard. Cet oncle était veuf et sans enfant; il s'intéressait à Georges et lui réservait «»' succession, pour peu qu'il s'en montrât digne. Georges avait pris son métier à coeur : il travaillait sans relâche au magasin, animé du désir de plaire à ses parents, de gagner la confiance de son


8 A TRAVERS I/ALGKIUK.

oncle et de satisfaire une clientèle, qui pouvait devenir la sienne.

Par sa conduite, le jeune apprenti méritait donc la récompense promise. H était d'autant plus heureux que l'Algérie avait toujours exercé sur lui une sorte d'attraction. Dès l'école, il s'était pris d'intérêt pour celle jolie colonie, celle « Nouvelle France », une fois cl demie plus étendue que l'ancienne. Les leçons de ses maîtres et ses lectures personnelles la lui avaient fait aimer avant de la connaître. 11 se rappelait èlro resté en contemplation, a la gare du P.-L.-M., devant l'image d'un paysage algérien : celui des gorges d'El-Ivanlara. Le pittoresque .'du paysage l'avait moins impressionné peut-élre que l'air noble et fier d'un Arabe, drapé dans un magnifique burnous rouge brodé d'or, qui caracolait au premier plan sur un cheval superbe et fouqueux. 11 avait aussi entendu vanter les douceurs de la vie du bled 1 par son frère atné, qui venait d'accomplir son service Militaire dans la province de Constantine, celle qu'il visiterait en compagnie de son oncle. Un jour, il avait assisté à une discussion entre son frère, qui connaissait l'Algérie pour y avoir vécu, et un do ses camarades, qui en parlait par ouï-dire. Ce dernier prétendait le pays malsain et peu sûr. L'ancien soldat avait bien ri, surtout lorsque le camarade avait déclaré qu'il ne voudrait jatnajs aller là-bas, sans se munir d'une forte provision de quinine cl sans s'armer de pied en cap. Georges prendrait moins de précautions, se fiant en cela à l'expérience do son frère!

A partir du moment où M. Bernard lui eut communiqué son projet, l'enfant occupa ses loisirs à consulter des cartes el des guides- Le 25 septembre, l'oncle et le neveu quittèrent Paris. Georges, qui se séparait pour la première fois de ses parents, éprouva une certaine tristesse. Elle fut vile atténuée par la joie qu'il ressentait à accompagner son oncle en Algérie. Les quiirzo heures de chemin de fer entre Paris et Marseille lui semblèrent courtes : il s'endormit à la tombée do la

I. « Bled > signifie cri arabe : terre, pays, champs.... La vie du bled, c'est la \ie en pleins champs, en pleine campagne algérienne.


KN ROUTE TOUR L'ALGÉRIE. 9

nuit, et ne :<i réveilla que pour descendre du train, le lendemain au k* cr du jour.

Nos voyageurs, ayanl projeté de s'embarquer a midi pour PliijippeyUle, avaient juste le temps de s'occuper du transport de leurs bagages de la garé au .bateau, et de les faire enregistrer, après avoir pris leurs » passages » aux guichets de la Compagnie Générale Transatlantique. Il leur fallait

aussi déjeuner avant le départ du paquebot : « Car, avait dit M, Bernard à son neveu, se bien garnir l'estomac est le plus sûr moyen ne ne pas avoir le mal de mer; c'est celui que j'emploie et il me réussit toujours! » Georges ne songeait guère à déjeuner; il aurait voulu déjà se trouver.sur cette":Ville'd'Alger qu'il avait vue amarrée au quai de la Juliette et sur laquelle, d'après les informations d'un matelot du bord, il resterait une trentaine d'heures avant d'allcindre Philippevillé,

« Mon oncle, interrogea tout à coup le jeune garçon, le port de Philippevillé est-il donc plus éloigné de Marseille que celui d'Alger? — Pourquoi cela?

Le grand port de Marscil le.


10 A TRAVERS. L'ALGERIE.'.■■;.

— Parce que j'ai lu sur une affiche, dans lesbureaux de la Compagnie Générale Tisnsatlanliquc, que la durée de la traversée pour Alger était de vingt heures.

-~ Non», mon enfant, la distance est à peu près la môme de

Marseille à Alger que Se Marseille à Philippevillé; seulementi

seulementi la première ligne, le trafic est plus intense : les

paquebots vont plus vite, sont plus confortables et plus

' nombreux. .""'■

— Quelle est la distance de Marseille à PJiilippeyitlç?

— 800 kilçmètres. '; /;':''::,'-._;.--v.V,':'..['yï .; yj'yf: r- . -;;' 1 -—Alors, dit Georges, après 'avoirtracé quelques chiffres

sur un morceau de pàpicr, notre paqUebol doit fi 1er de il à 15 noeuds à l'heure.

— Tu l'as deviné 1 Cette vitesse est, comme tu vois, déjà considérable; mais elle l'est deux fois moins que celle de l'express qui nous a fait parcourir eh quinze heures lès 862 kilomètres du trajet Paris-Marseille.»

Le repasdes deux voyageurs firii, ils se rendirent à bord de là Ville d'Alger. Georges assista à la manoeuvre du départ; malheureusement la (passe était à;peine franchie, que le paquebot roula et tangua. Le petit Parisien dut descendre dans la cabine qu'il partageait avec son buclc et un autre passager cl s'allonger sur la couchéllè. Le remède indiqué par M, Bernard, et qui consistait à se bien garnir l'estomac, n'était pas salutaire; en tout cas, mieux valait s'étendre qltç rester debout : c'était un moyen d'atténuer lé malaise, dont Georges profita jusqu'au lendemain S'èrs midi. La mer s'élant calmée alors, le jeune garçon fit plus ample connaissance avec son compagnon de cabine. Celui-ci, professeur du collège de Bône, venait de passer ses vacances en France et regagnait son poste pour la rentrée des classes. Georges lui proposa de mouler sur le pont pour respirer lé grand air; la fatigue Tcmpôchà d'âccepler celte proposition, Le jeûnégarçon y alla seul et retrouva son oncle, qui supportait vailtamincnl la traversée. ^ _

Tous deux se promenaient de long en large, lorsque le capitaine vint « faire un tour » parmi les passagers. Ce capitaine, un vieux loup de mer à l'aspect bon enfant, adressait la parole aux uns et aux autres. Pour fendre courage à


EN ROUTE POUR L'ALGÉRIE. Il

ceux qui l'avaient perdu,-il signalait les côtes à l'horizon. Elles devinrent de plus en plus perceptibles : on les devinait rocheuses.

« Capitaine, demanda Georges, quels sont donc ces deux caps qui se dessinent à l'est el à l'ouest ?

— Ce sont, mon petit ami, le cap de Fer et le cap Bougarôun, qui forment les Jeux extrémités de la baie de Philippevi!io.

— Cette baie semble s'ouvrir largement sur la mer, mais pénétrer très peu à l'intérieur, remarqua le jeune Parisien.

— Il est encore heureux, dit lo capitaine, que les 1200 kilomètres de côtes presque reclilignes du littoral algérien soient éçhancrés de quelques baies comme celle-ci, par exemple les baies d'Orah, d'Alger, de Bougie et de Bône. Mais," dans ces baies mêmes, les vents du nord et du nord-ouest poussent la houle et fatiguent les navires; c'est pourquoi la plupart des ports y ont été creusés à l'ouest. Deux ou trois havres seule.mciit

seule.mciit assez bien défendus par des caps contre ces vents redoutables, entre autres celui dé Bougie.

— Dans ces conditions, fit M» Bernard, on a dû exécuter de grands travaux pour corriger l'oeuvre de la nature.

— Je vous crois, monsieur : la France a dépensé déjà plus de 150 millions pour'éclairer de phares et de feux ce rivage défavorable, pour y créer des ports et les proléger par des jetées. Malgré cela, la côte reste mauvaise; elle est parsemée d'écucils invisibles, débris de la falaise anciennement déchiquetée par les flots. La mer n'est pas toujours bleue cl souriante dans ces parages; les violentes tempêtes, dont la Méditerranée a le renom, s'y font parfois sentir.... »

A ce moment, un phare jetait ses premières lueurs, cl l'on apercevait distinctement '~s maisons de Philippevillé assises sur lé penchant d'un coteau. « Vite à mon poste et bonsoir! » cria le capitaine, qui reprit la direction de son navire.

Peu après, M. Bernard et son neveu descendirent à leur cabine pour boucler leurs valises. Le professeur no cachait pas sa joie à l'idée de mettre pied à lerre, car il avait été malade depuis le départ de Marseille. Comme les deux Parisiens lui avaient rendu de petits services au cours de la


12

A TRAVERS L'ALGÉRIE.

traversée et qu'ils no connaissaient pas Philippevillé, il leur indiqua l'hôtel..oit il ttcsceiidaîl lui-même et s'offrit à les guider dans la ville. Celle proposition fut acceptée avec joie. Les trois voyageurs montèrent ensemble sur le pont pour assister à rentrée dans le port. Vers six heures et demie, la manoeuvré ''d'atterrissage s'accomplissait, el bientôt les passagers touchaient le sol algérien.


CIÏANTHE 11

PHILIPPE VIL LE

Les citiles sous-marins, — Les trois eonçs naturelles d'Algérie,. — La beauté du ciel. -—La. visite de Pliilippcville. — L'histoire de cette localité, — Le petit port de Slora. — La pOclie. —. Les conserves de sardines.

—- Le corail./

Dfes que les bagages furent débarqués, le professeur se chargea de l'accomplissement rapide des formalités de douane cl fit. Iranspoiicr à l'hôtel les bagages des deux Parisiens eu même temps que les siens. Puis il coii'duisît M. Bernard et son neveu à la Poste, pour leur permettre de rassurer télégraphiquement leur famille sur la bonne issue de la traversée. Georges apprit, non saus'élonnemenl, la facilité et la rapidité avec lesquelles on pouvait communiquer avec la France et l'Europe (cl vice versa), giâce aux ^ept câbles i sous-marins des MatiûnS d'Alger, d'Oran et de B6..C.

Au sortir de la poste, tous Trois se rendirent à l'hôtel. Après avoir procédé aux soins de propreté si nécessaires à la suite d'un voyage, ils s'installèrent pour dîner sur une ter: rassc dominant la mer. La douceur de la température à celte époque dé l'aimée, oit le froid commence à se faire sentir en France, incita nos amis à parler, durant leur repas, du climat algérien.

« De môme, dit le professeur, qu'on rencontre eti Algérie trois zones naturelles bien 'distinctes. : le Tell, les Hauts-


iï A TRAVERS L'ALGERIE.

Plateaux et le Sahara, déterminées par les deux grands bourrelets montagneux du système de l'Atlas, de même ou trouve trois climats différents. Celui du littoral est tempéré, peu variable, mais humide. Celui des Hauts-Plateaux est rigoureux en hiver: les chaleurs y sont fortes en été, mais moins humides, partant plus supportables, que dans le Tell. Parfois souffle, venant du sud, le fameux sirocco. Il obscurcit le soleil par une poussière fine et brûlante, qui pénètre: dans,-, les yeux, le nez, la bouche, les oreilles, et répand dans l'air une sécheresse extrême. Quant au climat saharien, il ménage en plein hiver des '• températures estivales, et son soleil implacable détruit eu été toute végétation.

— Il ne doit pas pleuvoir souvent en Algérie? demanda Georges, après que le professeur eut parlé.

— Pas souvent dans la saison sèche et' chaude, dojuin à octobre, répondit celui-ci ; assez fréquemment dans la saison pluvieuse, d'octobre à mai. Par malheur, ces pluies désirées et bienfaisantes ne durent pas longtemps : après les averses ou les ondées, le ciel se met à Sourire pour de longs jours et la terre se revêt de verdure ou de fleurs... »

Le professeur, M. Bernard et Georges, ayant .terminé- leur repas, S'accoudèrent à la balustrade de la terrasse, pour jouir du spectacle d'une belle nuit au bord de là mer* Jamais la lune n'avait semblé si claire au jeune apprenti; jamais il n'avait vu scintiller avec un tel éclat un si grand nombre d'étoiles. Il communiqua ses impressions à son oncle cl au professeur. Celui-ci lui promit, au cours de son voyage, une série d'enchantements :

« Vous verrez, lui dit-il, un ciel dont la beauté attire et relient, et des paysages dignes de la Grèce cl de l'Orient! Vous admirerez quelquefois le lever et souvent le coucher du soleil. A ce moment, les collines et les montagnes prennent mille teintes délicates : bleues, violettes, mauves, orangées ou pourpres. Vous serez frappé par la transparence do l'air, par les horizons sans limites.

— Que je suis content, mon oncle! interrompit Georges enthousiasmé. Je ne sais comment vous exprimer ma reconnaissance pour m'avoir emmené avec vous dans un si joli pays!


Vue générale de Philippcvillc.


16 A TRAVERSL'ALGERIlv

— Continue, inon olifant, à faire plaisir à les parents el à moi-môme; travaille dans l'a venir comme par le passé : ce sera pour toi la façon la meilleure et la plus profitable de prouver que lu n'es ni un mauvais' fils, ni un ingrat! »

Quelques minutes plus lard, les Trois amis regagnaient leur chambre respective, après avoir convenu do profiler dé la matinée du lendemain pour (visiter la ville.

Soué la direction du prùfesseur, cette visite se fit eh peu de temps. Au Mtlsée; M, Bernard et son hévch admirèrent de beaux vestiges de l'époque- romaine. A celte époque l'èmpîàcteinenl de; la ville; actuelle était occupé par là florissante cite de linêicada^ Georges apprit, en rocçufréhçe, que (les Romains s'étaient installés daùs(l(Afriquè du Nord èty avaient fondé quàiûjiô de; villes, dont lés ruines attestent encore là prospérité; qu'ils y avaient éréé de belles fermes pour tirer parti d'un sbf riche, à l'occasion pourvoyeur de Borne, etaccomplides travaux remarquables pour amener leîiu aux endroits où elle élâit nécessaire. ( \

Quand l'ârméé française occupa ce point, Rùsjcada n'offrait qu'un amas de pierres recouvertes plusieurs ^ çoiiches tlô îèrrc.Les indigènes: y pôssédaiéht une tfeîuainfe de mauvais Refuges, délit ils furent expropriés de leur plein":. gré,; (pour une centaine, de francs. La ville(, commencée en 1838* rappelle par la date de sa fondation là conquête de l'Algérie, et;par son nom le souvenir du rot En moins de trots ans, elle prît une extension/considérable : plus dé 100 inâisohs y furent bâties. Il est juste de dire, pour expliquer cette étonnante prospérité du début, que le bois Ct l'eau s'y trouvent eh abondàhéc, que la terre végétale y est profonde et favorable à toutes les ' cpltùfes, que Philip.peville enfin est le débouché naturel de la (région cbnslàntinôiseV Elle compte aujourd'hui 20ifJK)Ohabilants.

Eh revenant du Musée/ le professeur cntrâina lès deux Parisiens dans là direction de Stora, un petit port iadmîrablemchi situé au fond de la baie de Philippevillé. (

« C'est là, dit-il chemin faisaut, que se trouvé là plage où, chaquo été, affluent lés baigneurs de là Province. Actuellement nous n'y rençohtréfôhs guère que des pêcheurs; la plupart Italiens ou Maltais. *


PHILIPPEVILLE. 17

— Quels poissons trouvc-t-on le long de ces côtes? interrogea Georges, toujours curieux.

— Une grande variété, répondit le professeur : le merlan, le rouget, le mulot, le loup, la dorade, la murène, la sole, la sardine, l'anchois, le thon, le.maquereau, la bonite; sans compter les crustacés : crevettes, homards, langoustes. ... Mais voyez donc ces pêcheurs qui raccommodent leur

filet sur la plage », fit subitement remarquer le professeur à ses deux auditeurs.

En effet,' Un groupe d'hommes travaillait à réparer des engins.

« Ce filet est immense! s'écria Georges en approchant.

— N'est-ce pas? dit celui-ci qui avait l'air d'en être le propriétaire : c'est un filet à sardines et à anchois de 800 mètres de long, sur une quarantaine de large.

— A.quoi servent les plombs placés sur les côtés?

A le tendre verticalement dans l'eau.

— Et ces morceaux de liège?

>—A le soutenir à sa partie supérieure.

— Vous allez donc pêcher ces jours-ci?

— Non, jeune homme, car les sardines et les anchois

CI. Xcurâcïït,

Philippevillé. — Place de la Marine.


18 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

n'apparaissent sur nos côles qu'au mois de mars, se dirigeant de l'ouest à l'est.

— Comment procédez-vous pour les prendre?

— C'est tout simple : de nuit, nous plaçons lés filets; leurs mailles Sont assez étroites pour empêcher le passage du poisson. Celui-ct se prend par la tète, il « se maille », comme on dit en terme de métier.

— El que fait-on du poisson pris?

— On le met en conserve. Pour conserver sardines et anchois, on leur coupe la tôle, on enlève les entrailles et on lave soigneusement le reste. On les dispose par couches dans des barils; on répand du sel entre les couches, et oh répète celte opération plusieurs fois avant la vente. Quand on expédie les sardines au loin, on les enferme dans des bottes hermétiquement closes. -

— Je nie rappelle, monsieur, dît Georges, avoir mangé des sardines de Philippevillé.

— Je n'en suis.pas étonné, intervint le professeur, car Philippevillé et Slbra sont les ports'algériens qui livrent chaque année le plus grand nombre de kilogrammes dfe'saf-' diiies et d'anchois. » ,

Georges remercia le pêcheur do ses explications. Sur le chemin du retour, il se souvint avoir vu à sa mère un bracelet de corail, .que son frère avait rapporté d'Algérie. 11 s'informa de l'endroit oh se faisait la pêche de cet animal, car le corail, tout comme l'éponge, est un animal fixé sur les fonds rocheux des mers. C'est son squelette, variant du rose pâle au rouge cerise, qu'on utilise pour la parure. Les bijoux en corail peuvent atteindre une'grande valeur. Le kilogramme se vend communément 200 francs, cl pour certaine variété de choix il vaut jusqu'à 3000 francs. Le professeur renseigna Georges sur la pêche du corail, assez peu importante le long du littoral algérien. Elle se pratique surtout dans le petit port de La Cailer à l'est de Bône, soit au scaphandre, soit à la croix de Saint-André, engin spécial, formé, comme son nom l'indique, par deux barres de bois. Des paquets de filets à grandes mailles y sont suspendus; ils s'entortillent autour des rameaux de corail, les cassent elles retiennent dans leurs filamcnls,d'où les pêcheurs les rclircnl.


CHAPITRE III

DE PHILIPPEVlt.LE A BOXE

La zone du Tell. — Les oueds algériens. — Les lacs artificiels. — La richesse du Tell. — Les primeurs. — Le vignoble. — Les voies de communication eu Algérie. — Leur importance et leur rôle.

L'APUKS-MIDI de ce même jour, les trois amis parlaient en chemin de fera destination de Bône, où M. Bernard était appelé par son commerce*. Le voyage fut rempli d'intérêt pour Georges. 11 traversa, du nord au sud d'abord, do l'ouest à l'est ensuite, la >one accidentée du Tell. Celle zoiic s'étend, de la frontière du Maroc à celle de la Tunisie, entré la Méditerranée et la chaîne longitudinale de l'Atlas Tellieri; sa profondeur varie de 70 à 110 kilomètres. Elle est constituée par un ensemble de massifs montagneux, étages de la mer ù l'Atlas, et séparés les uns des autres par des vallées que sillonnent de courtes rivières, des oueds, comme On dit dans le pays. Ceux-ci, eh hiver, roulent d'énormes masses liquides et en été n'ont plus qu'un mince filet d'eau. Ce régime irrégulicr explique qu'aucun d'eux ne soit navigable et qu'ils ne puissent rendre de services pour l'irrigation des terres.

Le volume d'eau qu'ils fournissent est insuffisant pour cela; aussi a-l-on cherché à retenir les eaux de pluie au moment où elles tombent en excès, afin de les utiliser à l'époque où elles font défaut. Dans les montagnes, ou


20 A TRAVERS L'ALGÉRIE. ,

retrouve les restes d'innombrables petits barrages construits par les Romains pour arrêter les eaux de ruissellement, permettre leur infiltration et alimenter les sources, tout en favorisant .la végétation. Dans les vallées, ils établissaient des barrages-réservoirs qui emmagasinaient de grandes quantités liquides. Les colons, qui se sont installés en Algérie à la suir- de la conquête française, ont procédé de la môme façon pour atténuer la sécheresse du sol. De son côté le gouvernement a fait creuser des lacs artificiels qui approvisionnent en eau les régions dépourvues.

La voie ferrée, au dépari de Philippevillé, rcmonle sur une certaine dislance la vallée de l'oued Sâf-Saf, dont le jeune Parisien put admirer la variété et la richesse : à droite et. à gauche de l'oued s'étendent des jardins maraîchers et des champs de céréales; les coteaux sont plantés de vignobles et d'arbres fruitiers; les hauteurs recouvertes d'oliviers et de chônes-lièg'es. L'apparence coquette des nombreux villages, la,fréquence des domaines étendus sont un autre signe caraçtérisliquc do la richesse qui règne dans la région.

Ses habitants ont compris tout le parti à tirer du climat de la colonie pour la production hâtive des fruits et des légumes. Ils se livrent à la culture des primeurs, qu'ils exportent en grande quantité, notamment les mandarines, les oranges, les citrons, les raisins, les pèlils pois cl les artichauts. Beaucoup d'entre eux ont planté des vignes, qui ont été éprouvées vers 1885 par le phylloxéra. A l'apparition du fléau, on a essayé de l'enrayer en brûlant, de suite les vignobles atteints. Ce fut peine inutile! Dès lors, les viticulteurs ont pris le parti d'arracher les anciennes vignes et de greffer les plants français sur des plants américains, réfraclaircs au phylloxéra. Le vignoble de la région philippevilloisc donne des vins bien constituée, d'un rouge vif, qui ne manquent pas d'une certaine délicatesse; leur bouquet se rapproche de celui du bordeaux, el des négociants peu consciencieux n'hésitent pas à le livrer comme tel!

Nos voyageurs avaient quitté Philippevillé depuis une heure, lorsqu'ils durent, à une petite station, changer dé train. Le train qu'ils laissaient gagnait Conslanlitic, celui


DE PHILIPPBVILLE A RONE.

2.1

qu'ils allaient prendre les conduirait directement à Bône.

« H me semble, dit M. Bernard, après s'être installé dans un compartiment, quc.ee Wagon est moins confortable que celui où nous étions tout à l'heure.

— Bien d'étonnant à cela, dit le professeur, car nous sommes sur une ligne à voie étroite, exploitée par une compagnie privée. Une telle compagnie ne peut disposer d'aulahfde

d'aulahfde que, par exemple, la compagnie du P.-L.-M. à qui appartient la ligne dé Philippevillé à Constanline.

— Tiens, le P.-L.-M,'s'est établi en Algérie? lit Georges eu regardant le professeur comme pour l'interroger.

— Certainement, répondit celui-ci, cette compagnie est, avec l'État-Algérien, la plus importante'du pays : elle exploite entre autres la ligne d'Alger à Oran.

— Et celle d'Alger à Conslantino, sans doute? remarqua M. Bernard.

— Non! celle-ci appartient à t'fitaUAtgéricn.

— Les deux principales lignes étant la propriété des deux principales compagnies, je comprends, dit le négociant, que les compagnies secondaires, dont le trafic est moins considérable, disposeut d'un matériel moins perfectionné.

Le Tell.


22 A TRAVERS L'ALGERIE.

~ Elles devraient quand même faire mieux, déclara le professeur en souriant, car les actionnaires ne sont pas à plaindre.

— Sont-elles nombreuses, ces compagnies particulières? demanda Georges.

— Tout au plus une demi-douzaine, qui exploitent surtout des lignes de pénétration. L'important réseau des voies ferrées algériennes comprend deux sortes de ligues : une longue ligne parallèle à la côte, qui fait communiquer les capitales : Oran, Alger, Constautinc, Tunis; et des lignes perpendiculaires à la côle, qui mettent les ports du littoral en relation avec l'intérieur du pays. Je vous citerai, parmi ces dernières, celles d'Orah à Colomb Béchar et de Constantinc à Biskra, qui rejoignent la mer au Sahara.

— Et le fameux Transsaharien, dont on parlé toujours et qu'on n'exécute jamais? interrogea M. Bernard.

—: Il est certain que l'idée de relier l'Algérie avec le Sénégal et le Soudan est excellente, car clic pourrait attirer vers lios ports le commerce de ces pays. Malheureusement, elle est difficile à réaliser. Le colonel Flatlers, qui avait été chargé d'étudier léTracé de la ligué en 1881, fut massacré dans le Sahara par les Touareg'?. Si, depuis, ces tribus sont revenues à de meilleurs sentiments, i 1 n'en est pas moins vrai que la dureté du climat, la rareté de l'eau, constituent des obstacles sérieux à la construction d'une voie ferrée de 3000 kilomètres. Et en admettant que le Transsaliarieii dût se faire : d'où partira-t-il? De la province d'Orah? De celle dé Conslantine?... Oit aboutira-t-il? A Tombouctou? Au lac Tchad?... *Ce sont des questions sur lesquelles les ingénieurs ne parviennent pas eux-mêmes à tomber d'accord. »

Tout en conversant, on avait traversé quelques stations, et, si ce n'est à Jcmmàpes, le centre le plus important enlré Philippevillé et Bône, des indigènes seuls étaient montés ou descendus. Georges en fit l'observation. Ce lui fut l'occasion d'apprendre que les Arabes recherchaient avec empressement nos moyens de locomotion : nos bateaux à vapeur le long des côtes, nos diligcncos,sur les routes, el, par-dessus tout, nos chemins de fer, où ils s'entassent avec volupté. Bien de plus singulier que le contraste entre les


DE PIIILIPPEVILLK A BONE.. 23

indigènes isolés que l'on rencontre gravement assis sur leur mulet et les indigènes pendus comme des grappes au sommet des diligences, ou passant leurs lèles encapuchonnées par les fenêtres des wagons. Ceux-ci n'ont plus la passivité de ceux-là. A les voir causer avec animation, promener de toits côtés leurs regards ardents, il semble qu'ils soient des êtres différents îles premiers. La vitesse les grise. Le voyage terminé, ils reprendront leur indolence naturelle.

Le plaisir éprouvé par les indigènes à l'utilisation de nos moyens de locomotion est, entre eux et nous, un point dé contact doiit nous devons nous réjouir. En ce sens, les chemins de fer ont aidé au développement de la civilisation; ils ont aussi aidé à celui de la colonisation. Dans les régions riches traversées par les voies fejrées, à proximité de celles-ci, les Colons ont d'abord établi leurs fermes. Autour de ces premières formes se sont formés des villages, aujourd'hui florissants.

Avant les chemins dç fer, el en même temps qu'eux, les roules, elles aussi, ont contribue el contribuent au progrès de la civilisation et de la colonisation. En 1830, il n'y avait eh Algérie qUc des pistes de troupeaux et des sentiers de caravanes. Dès les premiers temps de l'occupation, l'oeuvre principale de l'armée fut de .construire des roules. Cette oeuvre a été continuée. L'Algérie possède actuellement de nombreuses routes nationales, départementales bu communales. Les touristes s'accordent à les reconnaître admirablement entretenues, au grand honneur du corps des Ponts, et Chaussées. Le réseau routier s'étend de jour en jour, sans que l'intensité de la circulation diminue. A l'heure présente, lès moindres localités sont reliées entre elles, non seulement par des chemins, mais encore par des lignes télégraphiques et téléphohiques, permettant les communications rapides.


CHAPITRE IV

BOXE

Là (lèvre paludéenne. — Moyens de la combattre. — Le port de Bonc. — La viHe et la région avoisinaule. — L'ancienne cité d'ilippone.

A Bône, M. Bernard et Georges étaient descendus dans un vdès meilleurs hôtels de la ville que leur avait indiqué le professeur : « Venez donc dîner avec nous », avait dit M. Bernard à celuUci ; mais l'universitaire fatigué avait décliné l'invitation; et, sur les instances du négociant, avait promis que « ce serait pour une autre fois», M. Bernard et son neveu mouraient de faim : ils n'avaient rien pris depuis le départ de Philippevillé; aussi firent-ils honneur à. l'excellent repas qui leur fut servi. Après quoi, ils montèrent se coucher../' (..(.(-'( -,'.'..(.-: . -..-/■-

En entrant dans leUr chambré; Georges fulsurpris de voir les Hts entourés d'un rideau de gaze très claire,

« Qu'est ceci? demanda-t-il à l'indigène porteur des' bagages, qui. les avait précédés et 'avait , allumé'/'leur, bougie. ^V((';"; L,-.. ; .':':.,-.(-,'-'v-(:-(

— Ounë mousquitairé, moussié..^ ^

•—Comment? un mousquetaire! et Tl( neput s'empêcher ■ de rire. \:'(("-:r( '■■".'' '-(((i-(,'(';'(;-('('... ■;■ ■■''■'.■■ "■.':-'-'.'■

-—Il a voulu dire une moustiquaire, expliqua M. Bernard, qui partageait la gatlé de son heveù.,M Cette après-midi, en


BONE. 25

chemin «le fer, notre ami m'a appris que la ville de Bône était à proximité de l'embouchure do l'oued Soybouse, qui charrie beaucoup d'alluvions. Ces matériaux forment insensiblement un terrain marécageux et malsain, où abondent tes moustiques. En oulre, il y a aux environs de la ville un grand lac marécageux, le lac Fetzara. Les cousins ne doivent pas y: manquer non. plus, car, lu le sais, la larve do ces insectes est aquatique, et on les rencontre principalement au voisinage des eaux stagnantes. En piquant l'homme, ils peuvent lui communiquer la fièvre paludéenne, Comme ils piquent surtout la nuit; le meilleur moyen de s'en préserver serait dé coucher dans une chambre tenue close, ce qui n'est pas facile à trouver dans un hôtel. Pour obvier à celle difficulté, on a imaginé les moustiquaires. Elles nous dispensent, afin d'éviter les piqûres, de nous frotter à la graisse les parties nues du corps, à la manière des Lapoiis.

—- N'y a-t-il pas un moyen pratique, mon oncle, de débar-> rasser une région de ces maudits insectes?

— Peut-être! Je nié souviens, dans un dc mes précédents voyages en Algérie, avoir couché chez un colon, qui avait imaginé de verser du pétille à là surface des eaux stagnantes du voisinage, où lesmoustiques avaient déposé leurs oeufs. Les larves, en venant respirer, mouraient empoisonnées par |o pétrole, Tii comprends toi-même que ce procédé, pratique sur de petites étendues, devient difficile à employer quand il s'agit de vastes marécages.

— Comment lutter alors contre la fièvre?

— Parla quinine, prise en cachets dans les petits accès, en injection dans les crises plus fortes. C'est un médecin militaire de l'hôpital de Bône, Maillot, qui eut le premier l'idée, en 1833, d'employer la quinine contre la fièvre. Ce remède fut comme une révélation, car la mortalité était, à ce moment-là, effrayante. Depuis, cela a bien changé, non seulement parce qu'on connaît la quinine, mais encore parce qu'on a.fait de nombreux travaux d'assainissement. Dans celle région, d'après ce que me disait tantôt notre ami le professeur, on assainit graduellement la plaine alluviale par le jardinage et le drainage; quant au lac Fetzara, on s'occupe depuis quelque temps à le dessécher. D'ailleurs,


20 A TRAVERS L'ALOÊRIE.

mon Georges, lu verras, en parcourant la province do Conslantitie, que chaque ville, chaque village, chaque groupe isolé de maisons possède son massif d'arbres et d'arbustes, qui éloigné d'eus les miasmes de la fièvre. L'essence la plus répandue est l'eucalyptus; elle offre. le grand avantage de croître dans Ions les lorrains, même les plus secs. »

A la suite do celle conversation le jeune garçon, fatigué, n'avait pas tardé à s'endormir. 11 tenait à se lever do bonne heure le lendemain pour écrire une longue lettre à ses parenls. Ce fut en effet dans le bureau dc-1'hôtel que M. Bernard vint prendre Georges. Il voulait l'emmener chez un négociant avec qui il était en affaires cl chez un ingénieur, qu'il avait connu à Paris, et qui lui proposait des placements dans les mines. En sortant de l'hôtel. l'oncle et le neveu se trouvèrent sur un large boulevard planté d'arbres et bordé de superbes maisons à plusieurs élages. « Celle ville est moderne et coquetle », constata Georges, qui promenait à droite et à gauche des regards curieux.

Le boulevard qu'ils suivaient les conduisit au port, le plus important de la province dc Conshinline cl le troisième de l'Algérie (après Alger cl Oran).

Le négociant habitait près du port, mais l'ingénieur demeurait dans un faubourg de la ville. Après avoir réglé ses affaires avec le premier, M. Bernard se lit conduire chez le second eh voilure. Ce fut une occasion aux deux Parisiens dc faire le tour de Bône. Ils passôrentau pied de la Kasbah, ancienne citalelle arabe située sur une hauteur à l'ouest dc la ville, et traversèrent des jardins superbes où sont cultivées les primeurs. M. Bernard et Georges furent si charmés dc celte promenade, qu'ils laissèrent percer leur enthousiasme en présence dc l'ingénieur, lorsqu'ils furent arrivés chez lui.

« Bône est une ville importante de 40 000 habitants, une bien jolie ville, une des"plus jolies înêmc de l'Algétiej leur dit celui-ci. Les Arabes l'appelaient autrefois Bled el Huneb, - la ville des jujubiers, parce que ces arbrissaux, remplacés maintenant par d'autres, entouraient les murailles d'une zone de verdure, Il n'est pas rare aujourd'hui dc désigner Bône et la région avoisinante sous le nom de « Jardin de l'Algérie »,


Bône. — Vue sériéralc.


28

A TRAVERS L'ALGÉRIE.

qui suffit seul a en dépeindre le charmevl la beauté. Au reste, si cela peut vous être agré dde, je vous accompagnerai sur le cotea» d'Ilipoone. De là vous aurez sur la ville, sur la mer et sur la campagne une vue"magnifique,

~- Nous acceptons de grand coeur», répondit M. Bernard.

Comme sou ami lui proposait de faire cette excursion

en auto, Georges fut chargé par son oncle dc congédier la voilure stationnant devant la porlc.

Une demi-heure plus lard, le négociant et son neveu sor"aichl du bureau de l'ingénieur. Tous trois montèrent dans une superbe 12 chevaux, qui les emmena dans la direction d'Hippone.

- « lîippone, leur dit l'ingénieur eii chemin, est l'ancienne cité romaine qui a'donné son nom à Bône. Elle s'élevait à 2 kilomètres de la ville actuelle sur celle colline que vous voyez en face. Tenez,, nous traversons justement un pont qui repose sur des fondations antiques, el il y a encore sur les pentes du coteau quelques ruines dc ce qui fut la « Glisia

La Seybouse fi llïppônç e( Saint-Àugùitin.^

-i{.y,"'Z,«y;


'"' ' BOXE.' .. ' ;'."_. 20

Itoumi »r l'église des Romains. C'est à cause des alla vions do la rivière Soybouso, dont vous apercevez l'embouchure sur voire gauche, que la cité ancienne a dû êlre déplacée et construite à l'endroit actuel. » Faisant signe au chauffeur d'arrêter, l'ingénieur continua î « Admirez le tableau que vous ayez sous les yeux!.,. » El les deux Parisiens contemplèrent à leurs pieds le magnifique spectacle do la plaine verdoyante, dos rivières sinueuses qui la parcourent, bordées d'arbres et de jardins, de la mer bleue dominée par le côno puissant du Djebel 1 Kdoùgh. Ali mamelon d'Ilippone, ils visitèrent la somptueuse basilique édifiée par le cardinal Lavigerie, Celle visite (terminée, l'auto les ramena chez l'ingénieur, qui les retint à déjeuner.

I'.-. Djebel signifie montagne


•CHAPITRE'-V.

LA STATION ESTIVALE DE BlJftEAUD

Promenade impréiuc à lluge.iud. — L'n mencilleux panorama. — Un sanatorium algérien. — Un cadeau intéressant pour Georges. — L'histoire du maréchal Kugeaud.

LA veille de son départ de Bône, M. Bernard invita à sa table le professeur et l'ingénieur. 11 avait commandé pour la circonstance de soigner le menu. Y figuraient, entre autres, les fameuses crevettes dc Bône (dix fois grosses comme celles do la Manche ou de l'Atlantique) et certain vin capiteux des coteaux de Philippevillé, le « Beni-Mclek », « ressemblant à s'y méprendre au bordeaux », avait déclaré l'hôtelier.

Le repas obtint le plus grand succès. L'ingénieur, ayant affirmé qu'une après-midi si bien commencée devait se terminer de même, offrit aux convives dc les conduire en automobile à Bugeaud. Bugeatul est une station estivale située au sommet du mont Edough, à 14 kilomètres à l'ouest dc Bône. Comme bien l'on pense, nos amis souscrivirent de grand coeur à celle excellente proposition. Vingt minutes plus lard, l'auto gravissait à toule allure la côte conduisant au joli village. A mesure que les touristes montaient, le spectacle devenait grandiose : à un tournant du chemin, la ville apparaissait avec son port rempli de navires; un peu


LA STATION ESTIVALE DU BUGEAUD.

31

plus haut, ils distinguaient les falaises échancréos, contre lesquelles déferlait la mor en écumanl; à un autre délour, c'était la plaine à perle de vue, parsemée do villages. Des roules blanches et droites comme des i la traversaient et disparaissaient dans des touffes d'eucalyptus,

Au sommet de la côte, Bugeaud! A l'exemple de beaucoup do Bônois et d'Algériens, l'ingénieur y avait loué. une villa

pour la bonne "saison et sa famille y passait agréablement l'été. Lui-même s'y rendait deux fois par semaine, pour restaurer ses forces diminuées par l'air amollissant de la plaine. A vrai dire, M. Bernard, qui avait beaucoup voyagé en France et à l'étranger, fut surpris dé trouver en Algérie un site aussi agréable."

«Vous ayez là, dit-il aux deux Bônois, un admirable sanatorium en pleine forêt; Si ce n'étaient les chênes-lièges qui dominent, on se croirait en France, au milieu de(ces bois de Châtaigniers, de noyers, dé noisetiers. A l'avantage de la verdure, il faut ajouter celui de la mer que j'aperçois dans le lointain : les bois, la mer, un climat d'une salubrité exceptionnelle';'' Voilà' les éléments d'une station estivale de premier '.ordre;/':,'.'/'/- ; (■■'/'.-..

CI, .\cui;tchL

Ilu^cuûd,>- Avenue Bel-Air.


32 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

— Il est simplement regrettable, répondit à cela l'ingénieur, que le village de Bugeaud n'ait pas encore pris une plus grande extension, mais on n'a jamais fait sur sa situation avantageuse la réclame qu'elle mérite. »

A peine avait-il achevé ces paroles que l'auto stoppait devant une gentiile petite villa, où l'ingénieur introduisit ses inyllés. ■'■•

Dans la soirée, il les ramena à Bône, que les deux Parisiens devaient quitter lé lendemain. Le professeur ne voulut pas laisser parlir son jétino ami Georges, sans lui remettre un souvenir. Il lui dbhua,Un livre intitulé : La Conquête de l'Algérie (Biographies d IJonvnes célèbres); Georges, curieux, le feuilleta de suite. En haut d'une page, Un 'nom attira son regard r celui de•BUgéaud, tant de fois répété ce jôur-là. 11 lut l'article suivant consacré au Maréchal.

^ LE MABÉtlIIAL BUGEAUD ,

, « Bugeaud, petit-fils d'un forgeron, naquit à Limoges le 15 septembre 1781. A vingt ans, il entra dans les grenadiers à pied de la garde impériale. Il fut blessé eu Pologne en 1806 et fit comme chef dé bataillon là guerre d'Espagne. Au cours de cette guerre, il se distingua en mettant/'eii déroule, avec

^uno pbiguéa d'hommes, toultm régiment anglais. Cet acte

:■".•':de bravoure lui valut les galons de ficutehaiit-cblonçl. Au retour de l'île d'Elbe, Napoléon le nomma colonel et l'éuyoya avec ce grade à l'armée des Alpes,' Enjuin 1815, Bugeaud J trouva moyen, avec 1700 hommes et 10 chevaux, de culbuter une division autrichienne de plus de 6 000 hommes, soutenue :

( par^SÔO chevaux et (0 pièces deçaiiph.I^enhémi abandoniia / le°icrra|n en laissant fo^ / « Après s'être essayé sans suçcès(à lapolitiquependantles (premiér-es janhees.de la Restauration; Bugeaud pai^t en

'(--• Afrique eh ; 1836, il ravitaillé Tlbm^èlV; assiégée ^ài^ A td-el-, Kàder et inflige'à celui-ci une défait Sikka (affluenV do là" T^ plus lard, bnriovémbre, noire prestige étaiL

; noire éch^d profiter," et Bugeaud, iie recevant de France que des inslrùc-


LA STATION ESTIVALE DE RUGEAUD33

RUGEAUD33

lions vagues, pensa qu'il était préférable dc faire à l'émir des propositions de paix que do s'exposer à un nouvel échec, Ces propositions' aboutirent au traité de la Tafna, qui abandonnait à Abd-él-Kader, sans même lui demander un tribut en échangé, presque toule l'Algérie Occidentale. L'émir, plus

puissant -que jamais, augmenla ses forées. Quand il se trouva suffisamment prêl, il nous déclara la guerre (octobre 1839). Il prétextait que la France, en s'empaianl dii défilé des Portes de fer à la suite de la prise de Coustai)- line, trahissait lés promesses faites au traité de la Tafna. Le général Valéc, commandant en chef, n'était pas l'homme qu'il fallait pour mener une opération

opération contre Abd-el-hader; avec lui, les choses risquaient de traîner en longueur : il fut relové de ses fotictions.ct remplacé par Bugeaud comme gouverneur général. /« Celui-ci, homme àç.ti? et brave, soigneux du soldat, populaire. dans la -troupe, où on l'appelait le « Père Bugeaud », était un ancien de l'armée d'Espagne. Il y avait entre l'Espagne et le pays de l'Atlas une certaine ressemblance physique. La campagne deflruçn'//as, qui avait réussi làbàs pour lés Espagnols, devait réussir ici pour nous. Bugeaud avait J'expériehce de celte guerre. Il eut aussi l'habileté de meltre àprofitdes maximes puisées dans l'histoire romaine. Il se fixa, comme règle de conquête et de colonisation, celle

A TRAVERS L'ALttRIE. / , 3

Le maréchal Bugeaud.


H A TRAVERS L'ALGÉRIE.

qui avait stibien servi aux Romains : « Par Tépéo et la charrue ». Sitôt une contrée soumise, il y ordoimoit l'établissement de maisons, de rouUv, de puits, et Ta faisait cultiver, Pour donner plus de souplesse à l'armée africaine, il rendit moins lourd l'uniforme des soldais; il les débarrassa de 1 * plupart de |eurs bagages, que des mulets'.transporteront.'Pour augmenter là confiance des troupiers, il les munit d'un meilleur fusil. Enfin, dans la lutte contre les Indigènes, il habitua les Français à agir comme eux : à procéder par surprise, à pratiquer les razzias (destruction des récolles et tics troupeaux). La guerre devint de part et . d'aulro cruello.

« En 1811, Bugeaud ouvrit vigoureusement la campagne. II se porla sur tous les établissements fortifiés d'Abd-elKader (Mascara, Tlemccn. etc.) et les enleva. Ce succès lui permit d'adresser au roi Louis-Philippe un rapport ainsi conçu : '.'- Abd-el-Kader a perdu les cinq sixièmes dc ses « États, ses forls, son armée permanente cl son preslige ».

« La campagne de 1813 fut vivement menée. La prise de la Smala l de l'émir par le jeune duc d'Aumale, fils dc LouisPhilippe, en fut l'événement le plus saillant. Celle action d'éclat cul un retentissement énorme, et Bugeaud reçut le tîlre de Maréchal.

*. Abd-el-Kader, réfugié au Maroc, intrigua contre nous auprès du Sultan. 11 en obtint une grande armée qui envahit l'Oranie. Bugeaud le battit complètement sur les bords de l'Isly. Il avait formé en « tête dc porc » les 8000.Français placés sous ses ordres. En dépit des charges de la cavalerie, ce triangle vivant s'enfonça comme un coin dans la masse indigène el mil en déroule 50000 Marocains. Ce haut fait valut au Maréchal le titre dc « duc d'Isly ».

« Deux ans plus tard, il organisa des colonnes pour poursuivre l'éniir qui, grâce au concours dc tribus rebelles, tenait toujours contre nous. En 1817, Bugeaud donna sa démission de gouverneur général do l'Algérie, et fut remplacé par le duc d'Aumale, qui reçut la soumission d"Abd-el-Kader.

« Pendant la période du gouvernement de Bugeaud, la

I. Réunion des tentes d'un chef puissant, sa capitale mobile.


LA STATION ESTIVALE DE BUGEAUD. 3!>

colonisation fil de grands progrès. Les anciennes villes, transformées, so peuplèrent d'Européens el prospérèrent rapidement (Alger, 23 000 habitants en 1830, ~- 10 000 en 1818; — Oran, 3 000 habitants en 1830, —25 000 en 1818). Des villes nouvelles furent fondées : Mustapha, Orléansville, Sidi-BelAbbès, Dos ports furent établis et des phares construits pour en signaler rentrée.' Les roules devinrent de plus en plus nombreuses; le,s viHages so constituèrent; ou procéda à l'assainissement .'dos" endroits marécageux, Aussi, en 1818, comp.lait-bn déjà en Algérie plus de 100000 habitants d'ori^ ginc européenne, dont la moitié Français. Le pays fut divisé pour l'Administration en trois sortes de territoires ; civil, militaire et indigène, ces doux derniers aux mains de l'autoniéi militaire, qui y exerçait un puuvoirabsolu. Elle y laissait difficilement pénétrer les colons européens. Ceux-ci s'en plaignirent; Bugeaud présenta à la Chambre un projet de colonisation, dans lequel il demandait l'installation comme colons de soldats eu activité. Ce projet fut repoussé ; Bugeaud démissionna.

« Le 10 juin 1819, le choléra emportait rapidement celui que les balles ennemies avaient lant dc fois épargné. Bugeaud fut inhumé avec pompe dans les caveaux des Invalides. Quelques années plus lard, on lui élevait une statue en bronze sur la place d'Isly, à Alger. »


CHAPITRE VI

IIAMMAM-MESK0UT1NE -GUELMA

La fertile vallée de la Seybouse, — La culture dû tabac'— Le curiemt phénomène naturel d'Ilammam-Mcskoutine. — Le marché do Guelma, t— Les Arabes. — Leur type. — Leur coiffure et leurs vêtements. — Leur caractère et leurs occupations. — Les bêles dii pays"(chevaux, Anes, mulets, boeufs, moutons, chèvres, porcs). — La ville de Guelma. ,

Il T BRR.VAnn aurait pu séjourner plus loiigteiiips à Bône, JAA • L'ingénieur ne lui avait donné rendez-vous à Tébessa, où ils devaient visiter ensemble des gisements de phosphate en exploitation, que deux jours plus tard. Mais, désireux de ne pas vivre oisif dans une ville qui dès lors lui était connue, le négociant préféra emmener son neveu eu excursion à Ilammam-MeskoUline et à Guelma. Pour permellre à Georges dé mieux fixer ses souvenirs, son oncle lui avait acheté à Bône Un appareil photographique. Lé jeune garçon Je portait fièrement eh bandoulière et il avait hâte dc :i'étrenher, (..■; :■-, ,/./■..-. -:'-;V((.'.;•-.;'■-.. .:.,-(;('"-: ■ ./,/-;.;:

Les deux Parisiens partirent dès l'aube le lendemain de leur promenade à Bugeand. Jusqu'à Hariimam-Meskbutine, ils suivirent en chemin de fer la fertile vallée de la Seybouse, aux villages cachés dans verdure. Dans celte vallée et dans la zone du littoral comprise entre Bôiie/et La CaHe s'est; concentrée la culture du tabac de la Province. Bône possède quelques manufacturés; car, contrairement à ce qui


HAMMAM-MESKOUTINE. — GUELMA. 37

se passe en Franco, la culture, la manufacture et la vente du labac sont libres en Algérie.

Quelques minutes après avoir franchi Guelma, la ville la plus importante de la vallée de la Seybouse, ou ils devaient revenir quatre heures plus tard, MM. Bernard et Georges parvinrent à la petite station û'Ifammam-Meskouttne (les bains maudits).

« Je ne t'ai pas amené ici, dit le négociant à son neveu en

descendant du train, pour le faire prendre dcs.bains d'eau thermale, et je n'y suis pas venu moi-même pour soigner mes rhumatismes. J'ai voulu te montrer cl voir celte fameuse cascade pétrifiée dont Yllluslraliôn a rçprodiiil dernièrement la gravure. ,'-'• .;(,://; :.,;,,,

—-Elle me fournira une belle occasion de prendre ma première photographie », dit Georges, qui avait son idée fixe. Bientôt nos deux amis se trouvèrent en présence de la cascade pétrifiée. 'Haute d'une dizaine de mètres, cette masse calcaire aux incrustations multicolores, rouges; violettes, bleues, grisés, laisse échapper du sommet de son escarpementcoiivexc des sourcesabondantes. Leurdébitestd'enyiron

lfammain-Meskoûiine. — Cascade pétrifiée.


38 A TRAVERS L ALGERIE. _ ,

1650 litres à la seconde, plus que n'en verse aucune fontaine thermale en France; leur température est exceptionnelle-.- ment élevée, puisqu'elle atteint 90 à 93 degrés centigrades : « Dés vapeurs que balance le Vent s'échappent des sources," cachant el révélant tour ù tour le paysage environnant, les oliviers de la vallée, les pentes herbeuses;des coteaux et le profil ondulcux des crêtes,... En arrière dc la calar Vactc, sur le plateau, se dressent des cônes grisâtres qui, selon la légende, sont les personnages d'une noce changés soudainement en pierres; des broussailles, des saillies, dés buttes figurent des bonnets, des Voilés, des draperies cl permettent, sans trop d'imagination, do reconnaître uhe procès- , sibn nuptiale de géants. Ces obélisques naturels témoignent d'un amoindrissement d'activité dans le jaillissement des sources : à l'époque Où ils se formèrent, lés eaux^ plus ahon* dantes, avaient une plus grande force ascensionnelle et pouvaient monter à 8 mètres au-dessus dc leur niveau actuell, » Une circonstance fortu'tlc permit à nos deux Parisiens d'employer agréablement leur temps à Guèlina, où ils étaient venus déjeuner en 'quittant tlammam-Mcskoutinè. C'était jour dé marché; ils pouvaient approcher les indigènes et assister à quelques-unes de leurs transactions. Le marché, bu souk, est un des éléments essentiels dé la vie sociale chez les Arabes. Non seulement ils y font „tous leurs achats et leurs échanges, mais encore ils s'y renseignent sur les événements, du jour, dans le pays et audehoi-s. Bien des oisifs s'y donnent rendez-vous, et c'est là le plus souvent.qu'éclatent ces violentes héfra (rixes), dans lesquelles les indigènes se portent des coups mortels avec leurs debbous (casse-tôle) ou leurs malraques (bâtons). Une véritable clameur s'élève du lieu où le marché se tient. Les indigènes s'y pressent en si grand nombre, qu'on s'y fraye avec peine un chemin entre les produits de leurs chuiips, de leur basse-cour et de leur êlable. Pour la première fois, M. Bernard et son neveu voyaient tant d'Arabes réunis. Ils furent frappés des nombreux traits dc ressemblance qu'il y avait entré eux. C'étaient de grands gaillards maigres, à la peah blanche basanée, dont la tête

I. K. Reclus.


Au mareuè.


40 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

ovate était coiffée d'une chéchia (calôtle rouge dans le genre dc celle des zouaves) enveloppée d'un turban (pièce de toile blanche qui entoure plusieurs fois la loto en forme de bonnet). Ils avaient comme vêlements un largo pantalon en coton ou en lin {sarrouel), serré au-dessous du genou» cl dans lequel ils semblaient fort à l'aise. Une sorte de blouse blatichc de mémo étofl'e, qu'ils appellent gandoura, couvrait leur corps. Par-dessus la gandoura, ils portaient un grand manteau fort pratique, orné d'un capuchon, le fameux burnous en laine, qui. mauvais conducteur dc la chaleur, les abrite aussi bien l'hiver que l'été. Leurs pieds étaient chaussés dc babouches. Ces gens-là étaient des Arabes proprement dits, descendants des anciens conquérants de l'Afrique. D'un caractère insouciant et indolent, ils vivent soit dans les villes et les campagnes du Tell, y travaillant comme hommes de peine, manoeuvres el ouvriers agricoles, soit sur les Hauts-Plateaux et dans l'Extrème-Sud, où ils mènent l'existence des nomades,

L'examen des gens terminé, les deux Parisiens passèrent à celui des bétes. Les premières qu'ils aperçurent furent les fameux chevaux du pays ou chevaux barbes. Ce soht de petits animaux très nerveux, aux formes élégantes. Ils servent à la fois de bêtes do selle, de trait léger, de bât, et unissent, dans ces diverses affectations, des qualités dc force, de vigueur et de rusticité à une sobriété à toute épreuve. En passant à côté de ces jolis petits coursiers, Georges songea aux lectures qu'il avait faites sur l'affection que l'Arabe porle à son cheval. Pour l'indigène, cet animal a été placé par Rlahomet ,au second rang de la création j'aussi le considèrc-fciUcommc un compagnon, un serviteur, un commensal. En retour, l'attachement du noble quadrupède est au moins égala celui de son maître, et lorsque celui-ci le moule, ranimai frémit de joie et hennit dc plaisir.

Après les chevaux, M. Bernard et Georges virent les petits ânes du pays, résistants, sobres et patients, dont les indigènes se servent comme bêtes de transport. Leur endurance à la faim, à la soifelà la faligtte en fait des animaux très précieux. Ils mériteraient d'être d'autant mieux traités qu'ils sont plus sensibles aux bons soins. Malheureusement, on les


BAMMAM-MESKOUTtNE. —GUELMA. H

accable parfois de fardeaux trop lourds qui les blessent, el, lorsqu'ils avancent avec difficulté, on les exeile à coups de bâton. Spectacle cruel qu'il ne faut pas hésiter à signaler aux agents de l'aulorilél Ceux-ci, eu vertu dc la loi Grammbut, dresseront contravention aux brutes qui maltraitent les bêles.

Un moment plus tard, les deux Parisiens s'arrêtaient devant des mulets. Ces animaux sont rares en France; on ne les rencontre guère qu'en Poitou. Un colon expliquait ï son fils que le mulet est l'intermédiaire cuire le cheval el 1 âne. « Il tient de.celui-ci, disait-il, par les oreilles, la sobriété et la sûreté du pied, et de celui-là parla tailleella force. Même, il supporte mieux la fatigue que le cheval et a sur lui le grand avantage d'être d'un entretien plus facile. » Et il ajouta: «Les services que le mulet rend à nos montagnards sont inappréciables, et, en culture, on tend dc plus en plus à l'employer à la place du cheval. C'est la vraie bêle du pays. »

Plus loin se trouvaient des petits boeufs, dits « boeufs de Guelma », animaux rapides et très résistants, qui diffèrent des gros boeufs à la démarche lente de la province d'Oran, connus sous le nom de « boeufs marocains ».

Il y avait aussi une quantité dé moulons. Georges apprit que ces animaux, âgés do dix-huit mois à deux ans, étaient achetés à cette époqUe de l'année par des colons. Ceux-ci les engraissent pendant l'hiver et le printemps dans les pâturages du Sud. Ils les font revenir au mois de mai, après la tonte, dans la région du Tell, el en vendent une grande partie pour l'exportation'eh France. Indépendamment de l'exportation, la consommation locale du moulon est considérable. C'est presque 'exclusivement de la chair de cet animal et do celle de la chèvre que se'nourrit l'Indigène.

On compte une grande quantité de chèvres en Algérie; cet animal est facile à élever; il se contente, connue nourriture, de broussailles formées de lenlUques et d'oliviers sauvages; il fournit en revanche de deux à trois litres de lait par jour. Au pâturage, la chèvre demande une grande curvcillaiiee; elle peut causer des dégàls aux cultures, surtout à la vigne et aux pelils arbres, dont elle mange les jeunes pousses. *


42 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

Quant aux porcs, nos voyageurs n'en virent aucun.sur lé marché. C'est iin animal plutôt rare eh Algérie, parce que la religion musulmane en inlërdil la consommation. Les Eurô-r pêens seuls en pratiquent l'élevage.

En sortant du marché, M. Bernard et Georges visitèrent la petite ville de Guelnïà (7 000 hab.). Elle est bâtie sur une des éollinesde la rive droite de là Seybouse eteachêe à ceux .qui rapprochent par une ceinture de murailles et des massifs de verdure. .Ils la trouveront propre et bien construite; mais leur 'attention fut surtout fixèo par l'admirable théâtre romain. Ce théâtre est parfaitement conservé. Chaque année, de grands artistes(parisiens viennent y donner des représentations classiques. Vers cinq heures, nos" touristes se rendirent à la.gare; ils devaient y prendre le train à destination de Sbùk-Ahras. ,


CHAPITRE Vil

DE GUELMA A SOUK-AtIRAS, DE SOUK-AIIRAS

À TÈBESSA

Le développement d'une ville bien située, — Lés forêts dc chênes-lièges. — L'exploitation du liège. —, Le tan. — Les applications du lièg'é dans l'industrie, — Un article de journal paru à poini. — Le discours d'un ami des arbres.— L'utilité des forêts.

DR Guelma à Souk-Aliras, les (leux Parisiens eurent la chance de voyager avec un habitant do celle dernière ville. Il leur apprit que Souk-Ahras, dont la population atteint aujourd'hui près de 8000 Ames, était, il y a une cinquantaine d'années, un simple poste -militaire. Le voisinage do là frontière tunisienne donnait à ce poste de l'importance stratégique; la construction des routes et t'ouverliire de la voie ferrée le transformèrent rapidement en une ville. Sbitk-Ahras. devenue l'étape principale de l'inlérieur entre les deiix ports de Bône et de Tunis, à pris une extension d'année en année gra.hdissanlo : les terrains d'alentour ont été mis en culture; les croupes des collines, naguère recouvertes de broussailles, ont été labourées et plantées dc vignes; les Européens sont accourus, attirés par la salubrité du climat, l'abondance des eaux, ta variété et l'excellence des denrées agricoles.

& C'est surtout sa situation privilégiée qui a fait la richesse de voire ville, dit Georges en s'adressant à son rompaguon de voyage.


44 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

— Sa situation et le voisinage des grandes forets de chêneliège, qui comptent parmi les plus belles de l'Algérie, répondit celui-ci.

— Des chênes-lièges, reprit le jeune Parisien, mais j'en ai déjà vu à Bugeaud!

— Exact, mon ami! et vous pourriez en voir sur toute la zone du littoral, entre Dellys dans le département d'Alger et Bizcrle en Tunisie.... Ils abondent dans le Tell, parce que l'eau y tombe en quantité suffisante'pour les alimenter. Sur plus de trois millions d'hectares de forêts d'essences diverses qui se trouvent en Algérie, les deux tiers sont situés près de la mer.

— Comment se fait l'exploitation du liège? interrogea le jeune apprenti.

'-— En été, des hommes montent sur des échelles et pratiquent dans l'écorce des chênes-lièges des entailles en forme d'anneaux; d'autres fendent l'écorce do haut cii bas et la détachent : celte opération se nomme le « démasclage ».

— Mais l'écorce doit mettre plusieurs années à repousser?

— Oui ! Il faut attendre, pour une récolle nouvelle, qu'elle ait atteint une épaisseur de. 20 millimètres environ, et cela dure de sept à huit ans. Quand l'arbre est trop vieux pour produire encore du liège, on utilise la partie intérieure de son écorce ; on la fait sécher, on la réduit en poudre ou « tau » et on s'en sert pour le tannage des peaux.

— Est-ce qu'il y a sur place des industries tirant parti du liège? demanda M. Bernard.

— Presque pas, monsieur; le liège est expédié, par Bône, en France et dans toute l'Europe. Il sert à la fabrication des bouchons, des semelles, des poignées de .bicyclette, des casques même... (En prononçant ces derniers mots le voyageur se découvrit el montra à ses compagnons l'intérieur en liège de son casque colonial.)

— A celle des encriers aussi, monsieur, continua Georges t j'ai vu sur la table de l'hôtel où nous étions descendus ù Bône un encrier en liège.

— Et à d'autres encore! Le liège trouve journellement de nouvelles applications dans l'industrie. Celle substance possède des propriétés avantageuses, que rehausse encercla


DE GUELMA A SOUK-AHRAS. .-45

modicité de son prix. Elle est imperméable à l'eau et à la chaleur; réduite en poudre, elle assure la conservation des fruits, elle entre dans la composition du linoléum ; mêlée au plâtre, elle sert à la fabrication de briques légères, très appréciées dans le bâtiment. » •

La nuit était tombée avant l'arrivée du train'dans la région de Souk-Ahras, Ce fut une circonstance malheureuse pour nos voyageurs j ils ne purent admirer la hardiesse du tracé de la ligne dc chemin de fer et la beauté du pays qu'elle Traverse. Ils se rendirent compte, à un ccrlain moment, qu'ils gravissaient au milieu des roches cl des bois, et par une longue série de cour» ;s, une montagne escarpée. Leur compagnon de voyage la situa au nord de Souk-Ah.is, et la lotir indiqua comme la ligne de partage des eaux entre la Seybouse, la rivière de Guelma et dc Bône, et la Medjcrda, la grande rivière de Tunisie. Ils franchirent celle montagne sous un tunnel. Au bas du versant sud se trouvait Souk-Ahras. Ils y passèrent la nuit.

Le lendemain à la première heure, le train emportait M»- Bernard et son neveu dans la direction do Tébessa. On avait dit aux deux voyageurs que le trajet entre Souk-Ahras et Tébessa était long et monotone, aussi avaient-ils acheté à la gare de Souk-Ahras tous les journaux qu'ils avaient pu trouver. Us avaient commencé à lire, pour tuer le temps.

«Tiens, mon oncle, dit tout à coup Georges, voilà un article qui vient fort à propos à la .'suite de noire conversation d'hier.

■—Quelle conversation?

— Celle que nous avons eue avec ce monsieur, au sujel des forêts.

-Eh bien?

— Ehbien, il s'est fondé à Souk-Ahras une société scolaire des « Amis de l'Arbre ». Elle a pour but d'aider l'Etal dans son oeuvre d'augmentation des régions boisées et dc restauration des régions déboisées. A In séance d'ouvérTure, un ancien conservateur des forêts a prononcé un discours inlé* ressaut. Je vous le lirai, si vous voulez.

— Voyons, mon enfant. » "l Georges commença :


46 ; A TRAVERS L'ALGÉRIE. /

« Mes amis (l'orateur s'adresse aux écoliers), vous n'avez « pas votilii faire moins.quc vos petits camarades d'Alger, « de Conslanlihé, dc Bôno et d'autres(villes : vous avez fondé « comme eux une société des « Amis de rAvbrc » ; je vous en

-..«. félicite et vous eh remercie. (

« Aulrcfois, il y avait, sur notre soi algérien, plus de forêts « que maintenant; le domaine forestier a diminué par suite « de circonstances diverses. Les Indigèiies,; refoulés en

-H maints endroits de la plaine, ont dû se réfugier dans lés

:«.. bois. Us les ont défrichés pour y planter des céréales ou y « paîlro leurs troupeaux. Les chèvres, qui dévorent lès jeùttçs « pousses, ont commis d'importants dégâts. L'Administration « fut même bligée d'interdire aux Indigènes d'habiter dans « les forêts. Quëlquos:Uiis d'entre eux, obéissant à des ti motifs que je no veux pas apprécier, ont allumé parfois des « incendies dévastateurs; le sirocco, de son côté, en a pro« voqué de terribles. Lès éléments sont aveugles; mais la « forêt a droit à plus d'égards de là part des hommes. .-,« Sans parler des produits qu'elle fournit (bois, charbon, «( poutres, planches, lièges, tan), elle assainit les pays insa« lubrès par l'oxygène que rejettent les feuilles des arbres, « sbus l'action des rayons du soleil. Elle provoque les «pluies en attirant le brouillard. Elle régularise le débit « des sources, e'h. factlitahl l'infiltration de l'eau ; parie « feuillage qui la retient, par les feuilles mortes quiTcm« pêcheur do ruisseler. Lés racines de ses arbres fixent la « terre végétale au sol et s'opposent à ce que les pluies « d'orage l'emportent. La forêt protège l'homme, ses habi« talions et ses cultures contre la violence des vents. Elle « est enfin l'ornement de la "nature et la demeure des petits « oiseaux qui nous charment par leur r'amagé et rendent « (ant de services aux agriculteurs.

« Ces raisons suffisent; mes chers enfants, à vous faire t< comprendre la nécessité que nous avons : 1° de conserver « 16s forêts existantes; 2" d'en créer do nouvelles ou

;« de récréer celles qui sont disparues. Lu conservation des « forêlsineombe à 1 administration. Quant au rcboîscmchl, « l'Algérie y contribue en versant chaquo année une certaine « sommé, à laquelle s'ajoutent les dons dos sociétés parti-


DE GUELMA A SOUK-AHRAS. 47

« culiéres. Vous y contribuerez vous-mêmes, mes chers « enfants, el si tous les petits écoliers de la colonie donnaient, « à votre exemple, un sou par mois, et plantaient Un arbre « par an, l'utile cause du reboisement triompherait vite « dans ce pays! »

« Ce discours est parfait; approuva M, Bernard, cl la cause défendue des plus nobles. Il y a longtemps que l'on mène campagne en France dans le même bul, et je ne suis pas dc ceux qui trouvent exagéré l'article du Code Pénal punissant de six jours à six mois de prison quiconque mutile, coupe ou écorec un arbre, do manière à le faire périr! »

Sur celte excellente parole, le négociant so replongea dans la lecture de son journal.


CHAPITRE VIII

TEBESSA

Les ruines de Tébessa. — La monnaie algérienne. — L'exploitation des phosphates. — Leur composition. — Leur utilité. — Une visité u l'adminislraleur de Tébessa. — Le Territoire civil. — La commune de plein exercice, — La commune mixte. •-'. L'administrateur et la commission municipale. — Les fonctions et les droits de l'administrateur. — Ses collaborateurs et ses sous-ordres. — Les adjoints indigènes. — Les impôts

' arabes.

Nous sommes venus à Tébessa, Georges, dit M. Bernard en arrivant au terme du voyage, pourvoir les gisements de phosphates exploités par une société, dans laquelle je dois prendre des actions. Comme notre ami l'ingénieur, mon conseiller en cette affaire, ne nous rejoindra que cette après-midi, nous avons le temps de visiterla ville. A consulter mon « Guide », celte cité comptait 10 000 habitants à l'époque romaine. Il lie lui en reslc guère que HOOÔ aujourd'hui. Oh peut y admirer les ruines dc remparts flanqués de tours, un bel arc dc triomphe à quatre faces, dont lu prendras la photographie, un aqueduc, des nécropoles, et surtout tihc grande basilique, qui coûta à Rome plus de 15 millions de notre argent. Tiens, voilà un détail curieux, dit M. Bernard en s'arrêlattt cl regardant do près le livre qu'il lisait.

— Qu'est-ce donc? demanda Georges, qui se haussa sur la pointe des pieds et jeta les yeux sur le « Guide ».


TEBESSA.

49

— En 1842, quand nos soldais entrèrent ù Tébessa, les habitants de celle" ville se servaient de pièces à l'effigie d'empereurs romains, morts ih "/quinze cents ans.

— Curieux, en effet! approû fi<i" es, cl il continua: Puisque vous parlez de pièces,^...«n oncle, il m'a semblé, depuis que nous sommes en Algérie, n'avoir pas vu d'or en circulation. Me suis-je trompé ou est-ce exact?

— C'est exact, Georges : on voit peu d'or en Algérie. Les

louis y sont, pour ainsi dire, remplacés par les billets de vingt francs do la Banque d'Algérie. Celle-ci joue dans la colonio le môme rôle que la Banque de France dans la métropole.

'.—- Pourquoi la monuaic d'or est-elle ainsi proscrite, mon oncle?

— Il parait que les pièces de vingt francs, dont on se servait au début pour les échanges, étaient percées par les bijoutiers Indigènes ou leurs compères, moyeu pratique do se procurer l'or à bon comple. Au bout d'un certain temps, les pièces finissaient par ne plus avoir la valeur qu'elles accusaient, et même par ne plus avoir aucune valeur. »

Selon le programme tracé, les voyageurs visitèrent les

A iiuvr.fis i,'At,ciLim:, t

Temple dit dé Minerve.


SO > A TRAVERS L'ALGÉRIE.

ruines romaines de Tébessa, puis se rendirent à l'hôtel pour y déjeuner. A peine avaient-ils fini que l'ingénieur se présenta à eux et Jés emmena ans lieux d'exploitation. Toute une population ouvrière de terrassiers, mineurs, mécani-. ciens, travaillait à extraire le phosphate de chaux, soit à ciel ouvert, soit par galeries.

« Vous voyez ici des mines d'une richesse inépuisable, dit l'ingénieur-.à ses deux amis. Elles contribuent eu grande parla l'alimentation en phosphate, hou seulemcntdc l'Algérie, mais encore dc.rEuropc. »

Georges ne pouvait en croire ni ses yeux, ht ses oreilles. Sans réfléchir davantage, il conseillait à son oncle de placer dé l'argent dans une exploitation qui réussissait si bien. M. Bernard, se contentant de sourire des conseils de son neveu, donna un.autre tour à la conversation : ; « Saîs-tU au moins ce qu'est le phosphate de chaux et à. quoi il sert? » lui dehiànda-t-iL

Georges ramassa un morceau de pierre blanche et le montra à son oncle, en disant :

; «Voilà du phosphate de chaux, mon oncle; j'en ai vu. à l'école et je m'en souviens-encore. Comme son nom l'indique, celte pierre est composée de phosphore et de chaux; elle provient en général des débris d'ossements do grands poissons, sauriens ou oiseaux, qui ont vécu à dos époques lointaines. On l'emploie comme engrais en agriculture pour donner de la vigueur aux céréales. Le phosphate joue le môme rôle que Iç noir animal, produit par la calcinalion des os.

• — Très bien, 1res bien! approuva l'ingénieur, ci il remit au jeune apprenti des dents de saurien et des os dc poissons, trouvés justement dans les couches phosphatées. Les dernières paroles de Georges, dit-il, montrent l'intérêt qu'il y a pour l'agriculture algérienne à exploiter ces gisements. Ils assureront aux terres le maximum do rendement et permettront dc les fortifier dc nouveau après l'épuisement consécutif à plusieurs récoltes. »

La visite des gisements de phosphate et des exploitations dura jusqu'à la nuit, Lorsque l'ingénieur, M. Bernard cl Georges revinrent à Tébessa, le négociant était convaincu


TEUESSA.

51

qu'il ferait un bon placement, s'il prenait des actions dans la société indiquée par son ami.

En arrivant sur la place de la petite ville, l'ingénieur proposa aux deux Parisiens de raccompagner au bordj (maison fortifiée) de là commune mixte, car il avait quelques mots à dire à l'Administrateur. Ils acceptèrent.... Voilà pourquoi, dix minutes plus tard, ces messieurs devisaient dans le

bureau do l'Administrateur. Au début de l'enlrelteii, l'uniforme de celui-ci intimida Georges; peu à peu, le jeune garçon s'enhardit : désireux de s'instruire, il lui demanda des explications sur la « Commune Mixte ». Il apprit ainsi la division en deux territoires de chacun des trois départements algériens : le Territoire civil (zone du Tell el partie 'des HautsPlateaux), le Territoire militaire (partie des Hauts-Plateaux et Sahara). .

« Ne nous occupons, si vous le voulez bien, lui dit l'administrateur, que du Territoire civil. Il y a dans ce territoire deux sortes de ebmmunos : les communes de plein exercice et les communes mixtes.... Les premières sont celles où domine la population européenne; elles sont administrées

Arc dc triomphe a quntre faces, élevé sous le règne de Caracalta.'


52 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

par un maire assisté d'un ou de plusieurs adjoints, el par le conseil municipal, tout comme en France. Dans ce conseil municipal, l'élément indigène est représenté par quelques conseillers municipaux indigènes, choisis par les notables musulmans. Un àdjoiul spécial indigène est chargé, dans les communes do plein exercice, de tenir les registres de l'état civil musulman, et dc faire respecter l'ordre public par ses coreligionnaires, Quand, sur un territoire, l'élément européen est de beaucoup inférieur à l'élément indigène, ce territoire devient une commune mixte. A la tête de la Commune mixte so trouve un Administrateur, fonctionnaire du Gouvcrncirtent assisté d'une Commission municipale. Celle-ci est cornposée de membres français, élus par les Français de la commune, et des cheicks (adjoints indigènes), au burnous rougo, des différents douars (villages). L'Administrateur est président de la Commission municipale; il exerce les fonctions de maire, d'officier de l'étal civil, d'officier de police judiciaire dans sa commune. Il a le droit de punir directement d'une flrnendo de 1 franc à 15 francs et d'un emprisonnement de un jour à cinq jours les infractions commises au Code de l'Indigénat: par exemple les propos tenus en public cbntro la France, le désordre sûr les marchés, etc. Il est encore le Chef dii goùm, ensemble(des combattants à cheval de la Commune mixte. / ,

L'Administrateur dépend du sous-préfet. II a comme collaborateurs directs deux ou trois administrateurs adjoints ; il dispose en outre do tout un personnel de bureau : secrétaires, commis, khodjas (commis indigènes), chaouçhs (garçons de bureau indigènes), et d'un certain nombre de deïras (cavaliers), au burnous bleu, qui assurent l'exécution des ordres, . ■t-'/vv/; ("'"/(::: ■'.;■((-'/'.':/-''('/;. v"'-v//-' y .-(Les adjoints indigènes sont, eux aussi, assistés dans lès villages d'un conseilde notables,,-- nommés pour trois ans par le préfet, Ce conseil o\i Djenïaq à pour but de maintcnirTa sécurité, d'assurer là régularité des déclarations do l'étal civil et le rccouvreméht(dés impots. / v .(

Georges, ayant demandé h ce 'moment si les Arabes payaient les' mêmes impôts que les Européens, apprit qu'ils étaient restés* soumis au vieux svstôme consacré par la-


TEBESSA,

53

tradition et |o Coran, Ils payent ï'achoiir pour les récoltes, h zekfial pour les bestiaux, la lezmq pour les palmiers. Cet impôt indigène rend en moyenne 6 francs par tête; mais, comme les Indigènes versent aussi.leur part dans lesimpôls européens, le montant de leur contribution s'élève à environ 15 francs. Celle redevance est très inférieure à celle des Européens d'Algérie, dont l'imposition moyenne est de

75 francs par télé '. Il est juste de remarquer d'ailleurs que les Indigènes sont plus pauvres que les Européens.

« Vous voyez, mon jeune ami, dit l'Administrateur pour conclure, que nous avons beaucoup à faire. Notre tâche esl d'aulant plus difficile que noire attention doit porter sur une quantité d'objets différents.

— J'admets, monsieur, répliqua Georges, qu'il vous faille montrer, dans l'exercice dc vos fonctions, de l'intelligence, de l'activité et de l'énergie. C'est en quoi votre situation me semble préférable à tant d'autres, et je vous avoue, pour ma pari, que je voudrais être Administrateur! » Celte déclaration inopinée amusa beaucoup l'auditoire.

I. Kn France, ehà/rûe contribuable paie en moyenne 130 francs.

PpèV de Tébessa. ^ Exploitation de la Compaguie française /-//■des phosphates à Aïn-Kissa. '


!il A TRAVERS L'ALGÉRIE.

Avant de prendre congé do l'Administrateur. M. Bernard s'informa auprès de lui do la région de. l'Aurôs. On lui en avait vanté le pittoresque et le charme cl il avait l'intention de gagner Riskra en la traversant. L'administrateur lui en fit un grand éloge, l'encouragea dans sou intention et lui donna tous les renseignements utiles.


CHAPITRE IX

DE TÉBESSA A AIN-BEIDA; D'AIX-BEIDA A KHENCHELA

Itinéraire de Tébessa à Biskra. — Voyage en diligence. — La faune algérienne (animaux sauvages, gibier, l'aulrucfic, la cigogne). — Le relai de la Mcskiana. — L'orage entre la Méskiana et Aïn-Beïda. — Les bassins fermés des Hauts-Plateaux (cholts, sbakhs). — Khenchela, '

POUR aller d'ici à Biskra, avail dit l'Administrateur de Tébessa à M. Bernard, en lui indiquant son itinéraire sur la carte, il vous faudra gagner Aïn-Beïda par diligence;' vous voyagerez eu chemin de fer d'Aïn-Beïda à Khenchela, et, de cette dernière localité, vous prendrez de nouveau la diligence jusqu'à Timgad. »

Comme le négociant avait manifesté le désir de visiter les ruines romaines de celte ville, réputées les plus belles de l'Algérie, l'Administrateur avait ajouté ; « Timgad est une seconde Pompéi., Vous pourrez la (voir en détail, parce que le Conservateur des Ruines est un Administrateur eh retraite dé mes (amis, près de qui je vous remettrai un mot d'introduction.»/ -/-

M. Bernard s'était confondu en remerciements, el l'aimable fonctionnaire avait continué :

« Dé Timgad, vous téléphonerez à Lambèse, siège de la


50 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

Commune Mixte de l'Aurès, pour demander à mon collègue de là-bas tous les renseignements utiles à votre excursion sur son territoire, qu'il se fera tin plaisir de vous faciliter. »

Le programme fut exécuté on lotis points comme l'avait tracé le complaisant administrateur de Tébessa. Georges et son oncle connurent les inconvénients d'un voyage eu diligence, mode de locomotion tombé à.peu près en désuétude en France. Pour avoir de Tair, ils préférèrent grimper à,l'impériale, au-dessus du siège du cocher et on avant des marchandises, que rester dans l'un des compartiments peints en jaune du bas, où s'entassèrent un grand nombre d'indigènes. La lourde voilure, attelée de six forts chevaux, quitta Tébessa à Ja pointe du jour. Elle s'engagea clans le long défilé d'une montagne, dont Georges demanda le nom à un Arabe, son voisin, qu'il avait entendu parler français avec le cocher. Cet indigène fut pour les deux Parisiens un compagnon dc voyage agréable : il leur donna, tout le long du chemin, une foule dc détails curieux. Ils apprirent par lui que le défilé traversé se trouvait dans le Djebel Halloufa ou « Mont de la laie », femelle du sanglier; que ces animaux sauvages étaient nombreux en- Afrique, ainsi que les hyènes et les chacals; que, dc temps en temps, ou signalait dans les forêts du littoral la présence des panthères, traquées et tuées bien vile; que ccrUiincs montagnes servaient de refuge aux boeufs sauvages cl aux mouflons; qu'on rencontrait dans le Sud des quantités de gazelles; mais que parlout les lions avaient disparu,

« Quanl aux oiseaux de proie, répondit l'indigène à une question de Georges, les plus répandus dans le pays sont l'aigle et le vautour. »

L'oncle Bernard, qui chassait à ses heures, s'informa du gibier, et l'on causa de lièvres, de lapins, de perdrix; de pigeons,-de tourterelles, d'ortolans, d'alouettes, dc cailles, de grives, d'élourneaux, de vanneaux, de bécassines el de bécasses, comme si l'on se fût trouvéjen France : à tel point que Georges demanda s'il n'y avait pas d'espèce particulière au pays. M. Bernardse souvint avoir entendu parler de la. grèbe, un oiseau plongeur, que l'on rencontre principa-


DE TÉBESSA A AIN-REIDA. r.7

- lemenl au lac Fetzara, et dont lo duvet blanc ou gris esl assez recherché à cause de sa finesse; du flamant, haut sur paltes, long do cou, au plumage blanc nuancé de rose, dont la chair est exquise.

Le duvet de la grèbe, le plumage du flamant firent songer Georges à l'autruche.

« Est-ce que l'autruche n'est pas un oiseau du pays? demanda-t-il à son oncle.

— Elle le fui, répondit celui-ci. Dans mon enfance, un officier des premières expéditions racontait à mon père qu'il avait vu des troupeaux d'aulruchos sauvages sur les HaùlsPlatcaux. Depuis, on les a presque toutes tuées. On a bien essayé dc maintenir la race par la domestication, comme on a fait avec l'autruche du Cap; mais l'autruche d'Algérie, plus précieuse que celle du Cap par la beauté des plumes, est aussi plus.revôche; on la nourrit moins facilement et elle dépérit vite dans les basses-cours.

"— C'est dommage, constata Georges, car j'ai vu dans les devantures des grandes modistes parisiennes quel prix fabuleux atteignaient lès magnifiques plumes larges et flexibles des ailés et de la queue de l'autruche, et l'élevage de cet biseau constituerait une source inappréciable de revenus pour notre belle colonie. »

Peu après, un nid de cigognes perché à la cime d'un arbro incita nos voyageurs à s'entretenir do cet oiseau vénéré, Inéssagcrd.upriutenjps. L'Arabe raconta aUx deux Parisiens la légende musulmane relative à la création de la cigogne. Autrefois Un lhaleb (lettré) se perdit dans le désert ; comme il 'manquait d'eau, à l'heure de la prière, pour procéder àù.v ablutions d'usage, il enfreignit les prescriptions du Prophète et se servit dé lait. Pour la punition de son péché, il fut transformé en cigogne. '

Taudis que l'on devisait dc la sorte à l'impériale de là . diligence, celle-ci atteignit le relai de la Meskiana, un centre agricole important, à mi-chemin entre Tébessa et Aïn-Beïda. M. Bernard et Georges profilèrent de l'arrêt nécessaire au changement des chevaux pour descendre de leur perchoir et se « dégourdir les jambes ». Us ne devaient pas tarder à les avoir de nouveau engourdies, car, entre la Meskiana el Ain-


5 S

A TRAVERS L'ALGÉRIE,

Beïda. (la source blanche), ils:furent surpris par un violent orage. La pluie les transperça do part en part, si bien qu'ils parvinrent, grelottants, a celle dernière localité. Une bonne nuit suffit a.les remettre.

Le lendemain, ils -empruntaient la ligne d'Aïu-Beïda à Khenchela; qui longe les plus considérables des étangs salés dé la région comprise cuire Sétif et Aïn-Beïda. La zone des Ilauts-Pialcaux se divise ainsi en nombreux bassins fermés,

où viennent parfois se perdre des rivières intérieures. Suivant leur importance, ces bassins prennent des noms différents : on les appelle cholls, quand la dépression est assez vaste el daga ou sbakh, quand elle est moins étendue. La formation de ces masses liquides s'explique de- la façon suivante ; les Hauts-Plateaux, étant isolés de la Méditerranée 'par la chaîne de l'Atlas Tcllien, les eaux qui proviennent du Nord et du Sud se rassemblent aux endroits les plus bas dans des cuvettes naturelles. Celles-ci sont remplies en hiver et à peu près vides en été; à cette époque, l'eau s'évapore sous l'action de la chaleur et laisse le sol couvert de cristaux salins. De» particuliers les exploitent, après avoir loué les lacs à l'Administration des Domaines. M. Bernard et Georges arrivèrent dans l'après-midi

Le chott Melgliir;


DE TÉBESSA A AIN-BEIDA. -;,flO'

à Khenchela, ville importante par sV situation stratégique à l'extrémité de l'Aurès et à la tèle de plusieurs - vallées, et par sa prospérité économique due à l'excellence dés terres et à la proxiniité des forêts et des gisements miniers, .

Do Khenchela, la diligence amena les deux Parisiens à

Timgad.


CHAPITRE X

TIMGAD

L'histoire de l'Aigénc jusqu'à la conquête romaine. —La conquête romaine. — Agrandissement et création de la ville, — La fondation de Thamugadi. — Sa situation. — Son histoire. — Ses rues. — Ses monutneiits, — Le musée. ' / '

LE Conservateur du Musée* de Timgad, eu même temps directeur des fouilles, accueillit fort aimablement les deux voyageurs recommandés par son ami, l'Administrateur de Tébessa. Il téléphona à l'Administrateur de l'Aurès, en résidence à Lambèsc, d'envoyer pour le lendemain un guide, çhirgé de diriger l'excursion des Parisiens et de leur procurer les mulets nécessaires. Il lui demanda en outre tous les renseignements utiles et les communiqua à M. Bernard et à son neveu". Après quoi, il leur offrit de leur faire visiter lui-même les ruines.

En se rendant de son Ibgis à l'ancienne Thamugadi, le Conservateur retraça aux deux visiteurs l'histoire de l'Algérie jusqu'à la conquête romaine :

« Avant la conquête romaine, leur dit-il, les pays du Maghreb " (Maroc, Algérie, Tunisie) étaient occupés par des populations indigènes connues sous le nom général de Berbères, ou, pour distinguer ceux dc l'Ësl de ceux de'.

t. D'un mol aiabr, qui signifie couchant.


(/\^e(g^é(<ïtfe de Tiirigadr priseiiulmut du ^opitolei


02 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

l'Ouest, sous le nom de Numides elde Maures, On a d'eux des armes primitives, semblables à celles qu'on a recueillies dans les dolmens et les tumulus'de la Gaule, quelques inscriptions, des gravures rudimenlaires, des tombeaux atteignant parfois des dimensions gigantesques : tel le fameux Madracen, que l'on aperçoit de la ligne de Conslantine à Biskra, près d'Ain Yagotit. C'est Un énorme édifice circulaire de 00 mètres de diamètre, qui servit de sépulture à quelque dynastie numide, et dont le dôme à gradins était' supporté par 00 colonnes magnifiques,

« A ce fonds africain sont venus s'ajouler des éléments étrangers. Tout d'abord, les Phéniciens! Partis d'Asie Mineure sur leurs petits bateaux, ils apportaient au Moghreb des bijoux, des étoffes teintes en pourpre, des objets variés, qu'ils échangeaient contre les productions du pays. Peu à peti, ils fondèrent des compl/virs el bâtirent dés villes. Le souvenir de leur occupation nous a été laissé par des ex-voto cl des lombes. Dans celles-ci; on a retronvé des lampes, des poteries, des vases à boire, déposés par les parents auprès des défunts, pour leur permettre de continuer dans la mort leur existence terrestre. La plus célèbre des colonies phéniciennes fut Carthage; elle colonisa la Tunisie actuelle et étendit sa domination sur toutes les côtes du Moghreb et de l'Espagne, sur la Sardaigue çt les Baléares, Les Carthaginois étaient marchands, non soldats. Us eutrclenaieht, pour se défehdre, une armée composée de mercenaires: aussi furent-ils. incapables de résister longtemps aux Romains, lorsque ceux-ci, qu'ils gênaient dans leur extension, entrèrent en guerre avec eux, Sans doute, le Carthaginois Anmbal faillit s'emparer de Rome; mais un général romain, Scipipn dit l'Africain, reporta la guerre en Afrique et le vainquit, Plus tard; un. autre général romain prit Cartilage et la brûla (146i avant :Ï..-C.) A partir de ce mbmeut,(Rbmé s'ejigagea daiis l'Afrique du Nord et lui : imposa son influence. Là Tunisie était soumise audébut de père chrétienne ; les déparleinérils de Cbiistàhliné {Numiàie)gi ceux d'Alger et d'Oràu (Màufeïaïue) le furent pendant lés trois premiers siècles. Il y af non loin d'ici, à Lambôsc; les restes d'un(camp'romain très bien conservé. L'on peut y.voir encore \o> prselorium où


TIMGAD. 63

palais du général, et l'on y retrouve, inscrite sur la pierre,' l'histoire de ht légion qui l'occupa. Ce camp, situé à proximité des populations belliqueuses de l'Aurès, avait une importance militaire do premier ordre. Il pouvait détacher des soldats de tous côtés, car de Lambèse parlaient quatre grandes voies : sur Constantiue, sur Sélif, sur Tébessa et sur Biskra.

« Grâce à la protection des années, l'Algérie connut une prospérité à laquelle elle n'avait pas encore atteint. Ou vil grandir, ou naître môme, des villes, dont les ruines font rélonnement des visiteurs. A côté du camp dc Lambèse, patexemple, des marchands, des artisans, des mercanlis, dirailon aujourd'hui en Algérie, s'étaient installés à la suite dé l'armée. Les baraques du début firent peu à peu place à des maisons, et le quartier des boutiques se changea en une ville, reliée au camp par une large et belle voie agrémentée de monuments, dont un cirque pouvant contenir 10000 personnes.... Vous avez vu Tébessa, continua le Conservateur. Eh bien" Tébessa était déjà un grand centre avant l'arrivée des Romains; mais cette arrivée augmenta encore son importance, comme le témoignent le joli temple de Minerve et le. bel arc de triomphe de Caracalla;

« fhamugadi, dans laquelle nous entrons, dit le Conservateur au moment où les deux Parisiens foulaient du pied les premières ruines, fut, au contraire, une ville fondée de toutes pièces, au premier siècle de l'ère chrétienne, par . l'empereur romain Trajàh. Fièrement campée au pied dc la chaîne de l'Aurès, que vous apercevez en face, bâtie dans une large plaine bien arrosée, à proximité d'une source l'alimentant en eau potable au moyen de conduites parfaitement conservées, elle connut jusqu'au iv° siècle une ère de prospérité et de paix. r

; — Ne( vécut-elle pas plus longtemps? interrogea Georges que tous ces renseignements intéressaient au possible.

H- Si, mon petit ami, répondit le Conservateur; mais à

partir de cette époque tics guerre religieuses ravagèrent le

pays, qui fut ensuite dévasté par les Vandales, Ces barbares,

d'origine germanique, avaient quitté l'Espagne pour envahir

l'Afrique du Nord, où ils commirent de violentes atrocités.


(U

A TRAVERS L'ALGÉRIE.

— C'esl donc pour cela que leur nom est rcslé synonyme de destructeur? remarqua Georges,

—- Pour cela même!... Les Vandales dominèrent le pays pendanl un siècle environ et en furent chassés par les Byzantins, car, entre temps. Byzance (aujourd'hui Constant!noplo)

avait succédé à Rome comme Capitale do l'empire romain. Il y a, à un demi-kilomètre au sud de Timgad, une forteresse byzantine, '-qui rappelle la domination des Byzantins, et, à proximité de presque toutes les anciennes villes romaines, on retrouve .''un (fort byzantin, bâti d'aile leurs "avec des pierres provenant de ruines romaines.

a Le plan général de Timgad est très simple; il est conçu sur deux grandes voies perpendiculaires so coupant en

croix: une voie longitudinale, le.cardo decumanus, et une voie transversale, le decumanus maximus. Voyez sur les dalles dc la rue où nous sommes les sillons laissés par les roues des chars, qui l'ont mainte et mainte foi parcourue. Regardez, entre ces deux dalles qui joignent mal, l'égout destiné à' conduire hors des murs les eaux salés dc la ville. Remarquez, à droite et à gauche, les colonnes supportant les arcades, au fond desquelles se trouvaient les bouliqy;"-. .. » Successivement les visiteurs admirèrent : les temples éleyés aux divinités nationales, et parmi eux le Capilole,

Timgad. — Arc de Trajan.


TIMGAD.

05

consacré à Jupiter, qui so révèle encore par ses colonnes aux proportions gigantesques; les marchés, dont le principal situé à l'intérieur de la ville, sur la droite du cardo decumanus, constitue un gracieux monument renfermant de nombreuses boutiques aux tables de grès en guise de comptoirs; la bibliothèque, ■ Institution municipale érigée, dit une inscription, grâce à la libéralité d'un riche citoyen; le

théâtre aux gradinscirculaires s'élageant en amphithéâtre, où A 000 spectateurs pouvaient .Venir écouter les chefs-d'oeuvre delaîittératurô;;iés /Af/mès^lieuxd'hygiène, do conversation et de sport; aux( salles nombreuses, compliquées ^ leur destination; les maisons particulières enfin, conservées eh grand iibmbVè,rèprodiiisànt toujours la classique maison de la Métropole,

« Rome implantait sa civilisation dans les provinces lointaines en apportant son architeelure, sa langue, ses coutumes, son culte et ses lois; aussi les monuments dc Thamugadi sonl-ils du plus pur stylo romain : témoin surtout le fameux .rire de Trajan, dédié au fondateur de la ville, qui dressé; bien conservée, sa majestueuse silhouette

: ''.'■' . ■-,-'•/.- -" -"'" - ■ - 1 . ■

A TRAVERS LALOBRIE. ■'. .

Grande voie du' Cardo Mi\imus-Xord,:


60 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

à l'extrémité de la voie transversale. Ajouré de trois arcades, décoré de colonnes saillantes, surmonté de niches pour des statues.;, de marbre, orné de frontons décoratifs, l'arc triompha! servait dé porté, mais disait très haut lajgloire de Rome el là grandeur dcTempcreur. ( (« AT imgad, comme dans les autres villes, romaines, c'est le forum et ses dépendances'qui donnent le mieux l'oçèa-r/ sibja dé se représenter la vie dé* l'époque. Leforum(place publique) était non sçulèinent léçènti'é delà vie municipale, mais» (celui. ;dé( là; vie, coinmérbialb etde la Vie bisivie. On y retrouve, délimitant la place, les ruines (éloquentes de làtribune aux harangués, du haut deiaguêllosë; faisaient les communications diverses, oraisons funèbres et discours ; ,^oUtïqù^''t";cëlIeâ;"d.ç.'ta~6'aiti7/^Ué.ç(p//ët sôrtç'çte pdlâis cbnsu-.- lairei bourse et ; tribunal (do commerce, où se pressaient marchands; et plaideurs, L'imaginatibn complète lé for Uni ! redressant (lés matériaux■ épïâ|rsi"clie; Volitôurè' iîc''-ia'((tîur/éi--; siège du Sèiial, d'uiié prison, d'un fompie» d'une école, dé salles dé réuhtbns. Ellef enfernié(daiis une enceinte àe poi1tïqués/servant de refuge él de promehoîr auxcitoyens; elle ; l'ûniè de sla fohlé àffoUêô bu prbmçiiéUsc cblbnriadesî

assiégeant les iibutiqtijer^ptt

nient; "échangeant les hÔuVeiles(du jbiiriou tuant; lé tçhïps etijéux(variés, donllcilaîlàgc porté éneoiré les dessins. »/ C'est sous le ciiaime dé tout ce qu'ils venaient do voir que M, Berliard cl Georges, guidés parlé Conservateur, entrèrent au Musée. De précieuses reliques y sont conservées : statues, stèles, chapiteaux, corniches, vases, sarcophages, inscriptions, et surtout mosaïques, (qui parleur finesse suscitent l'admiration.. ^ (■


CHAPITRE XI

DE TIMGAD A MÉDINA

Le guide Belaïd. — Les llerbères-Cliâouïas. — L'équipement des mulets. — Le douar. — La tente. — La via errante de certains indigènes. — La charrue arabe. — Une plaisanterie du guide, r— La légende des Sept formants.-//;; '/(".'('

A ( la pointe du jour ëuivant, le déïra mis à la disposition xA- désdéux PârisiehS par rAdininislraleur de l'Aurès les attendait devant/là porte dé l'hôtel avec(trois mulets; luimême déVjait guider l'excursion à cheval. Ce deira répondait au hbm deBélaïd. Sur le -. marchéde Ouclhia, nous avons fait cohhaissatlcé avec les Arabes, descendants des anciens conquérants de l'Afrique du Nord ; avec Belaïd et ses compatriotes de PÀurés, nous apprenons à connaître les Chaouïas, fils des Berbôfes, les premiers habitants cta ce pays (comme les Kâbylèâ et les Mozâbiles, dont nbtis parlerons plus loin, et les touaregs du Sahara).

Les Chàbuïâs ont en général le type suivant : cheveux noirs et yeux gris ou bruiis; peau très blanche, quoique brûlée (par le soleil, qui forme contraste avec celle des Arabes; Us différent de ceux-ci, non seulement par l'aspect, mais par les nioeurs et té langage. Pat* contré, leur apparence présenté <fè singuliers rapports avec celle des" Irlandais et des Ecossais. Us sont grands, maigres, vigoureux, et stipportentsans gètip les rigueurs excessives des saisons dans


68 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

leur pays accidenté, où, sur un parcours de quelques kilomètres, on passe des altitudes les plus élevées de l'Algérie., au niveau saharien. Les femmes sont jolies; elles sortent ta figure non voilée, au ' cû.rftrai.re de l'habitude en pays musulman. ■",■'"■;,,,

Pour eh revenir à Belaïd, disons de suite que c'était un guide. précieux ; il connaissait parfaitement la régipn à parcourir et parlait l'arabe; cl le français. Le dcïra aida d'abord M. Bernard et son/neveu à monter sur les bêles. Chacune d'elles avait le dos couvert d'une selle indigène ou berda, sorte de paillasson .retenu par une cordé enserrant le venlro de l'animal. Par-dessus ce; beklu était placé un. tèllls, double sac en laine dortt la partie antérieure, réservée à l'puvértUro, était ramenée un(peu sur elle-même, jouant ainsile rôle d'étriers; On introduisit dans le tellis deux lits de camp, des boites de conservés, du pain et dé la boisson, Car on trouve difficilement à se ravitailler dans ces contrées un peu sauvages de l'Aurès, où n'habitent que de rares Européens. Sur le troisième mulet, on chargea les Valises. Lé deïrà, ayant grimpé sur son joli petit cheval,s'installa cbhforlablé.ihéntdans sa seilc arabe, au dossier et à l'a|'çon surélevés, s'enveloppa dans son ; burnous blcit et donna le signal dudépari, ; ; : ;:/(--'.'("'--:

PeuJant la" première heupe, les.touristes traversèrent une plaine et passèrent, signalés à l'allchtion dés indigènes par les hurlements des chiens kabylésru côté d'an dpuàr de 15 à 20 lentes. M, Bernard et Georges regardèrent ce campement avec curiosité. Le jeune Parisien déclara que ces tentes primitives, formées dé (trois pieux drossés, sur lesquels repose une toile en poils de chameau retenue tV terre par des piquets, constituaient un ensemble pittoresque.

« Si tu veux entrer dans la guitoan. dit à ce moment Belaïd, tu Icpeux'. ( y -

— La guitoun?

— Oui lia tente, si lu aimeé mieux.

^- Allons-y », s'écrièrent énsembïcToncle et lo neveu, en

I. La plupart dès indigènes no savent parler qu'en tutnynht et lie comprennent que si on les lutoie.. .,,/;■


Cl.JVeurdciiu

Un campement de nomades.


70 A TRAVERS L ALGERIE.

sautaht de inuIeL Belaïd les avait (déjàdevancés cl chassait à coups de pierres un kelb (c'est ainsi qii'il -nommait le chien), qui accourait menaçant à la rencontre des voy ngeurs ; en même temps il criait d'attacher ou dc retenir les autres chiens du douar, qui auraient pu se précipiter sur eux.

La lente dans laquelle le deïra conduisit les deux Parisiens abritait une famille de huit personnes. A l'entrée, un jeune indigène couvert dc haillons allumait du feu, bien nécessaire ce malin-là. Des trous dans la toile, que l'on soupçonnai! légère, indiquaient davantage combien lu vie devait être pénible pour tout le monde dans un endroit si restreint, exposé à la pluie, nu vent, aux intempéries. A l'intérieur, le négociant el son neveu virent entassés pôle-môle les plats de bois, où l'on pétrit le couscous (mets national se composant de grains roulés do semoule mélangée avec dc la farine), le crible où on le passej les vases percés où on le fait cuire, des gamelles en alfa tressé, .un harnachement dc chevul, plusieurs tcllis dc mulets:-à terre, un vieux' tapir sur lequel reposaient trois jeunes enfants, à côté dc deux chèvres. M. Bernard cl Georges éprouvèrent à ce spectacle "nouveau et curieux un sentiment de pitié; aussi le négociant remit-il à l'indigène, qui paraissait le chef de (a Icnlc, de la 'menue monnaie destinée, dans son esprit, & procurer un peu de joie aux, malheureux- petits enfants couchés sûr le lapis. . ' -

Oticlc, neveu ul guide remontèrent ensuite à mulet. Us continuèrent leur chemin, en causant.de ce qu'ils venaient dc voir.

H Comment se fait-il, Belaïd, interrogea M. Bernard, (nie ces indigènes ne se construisent pas do maisons? Ils y seraient mieux que dans leurs tentes.

— C'est vrai, monsieur, répondit le deïra, mais ils n'habitent pas toujours le môme endroit. Tu les vois ici, parce qu'ils vont utiliser les pluies d'automne pour labourer quelque terrain et ensemencer; puis ils partiront pour ne revenir qu'à la moissbh.-

— Et que font-ils entre temps?

— Us gagnent le Sud, où ils mènent paître leurs troupeaux et d'où ils reviennent avec des dattes, qu'ils aîmctil beau-


DE TIMGAD A MEDINA.

71;

coup. Tiens, dit Belaïd en désignant un Chaouïa derrière un mulet, en Voilà', un qui ne perd pas une minute : il profile des pluies des derniers jours pour labourer, son champ. ; —Mais je n'aperçois pas de charrue, fil Georges. ; —- C'est qu'il se sert d'une charrue indigène et que lu n'en as jamais vu, monsieur.(Approche-loi el regarde. »

Georges auirail bien voulu s'appibolier,;màis son mulet,

rétif; hé semblait (pas! disposé à quitter la piste; il fallut l'intervention de Belaïd pour forcer l'animal à so diriger du côté du laboureur. M. Bernard suivit son ncv.c.u, et le deïra reprit là tête île la colonne. Quand ils furent arrivés près de l'indigène;, un Jellçih (cultivateur), les deux Parisiens examinèrent curiéuséihenl son instrument de travail. Sa charrue so çbmpôsait de deux pièces de bois reliées entre elles : l'une boudée, terminée d'un pôié par un manche, de l'autre pat 1' un socs,.l'autre droite, servant de linioii pour t'aUelage. L'indigène, ayant poursuivi sa tâche uivmomenl interrompue, M. Bernard fit observer ù son neveu qu'une telle charrue

>Unë chàirùc indigène,


72 ■''.: ( A TRAVERS L'ALGÉRIE.

grallail seulement la "surface du sol et ne pouvait produire que de médiocres labours.

« Elle a du moins l'avantage d'être légère, observa le jeune garçon, en voyant avec tj,ielle facilité le fellah, arrivé au bout du sillon, soulevait sa charrue.

— C'est juste, monsieur, dit Belaïd quiéprouvait souvent lé besoin de parler et quelquefois celui de faire rire, mais c'est tant mieux si la charrue est légère;

-—Pourquoi cela? . '•,-.

— Parce que les indigènes, quand ils n'ont pas d'animaux a atteler, dit-il en son français particulier, Us attellent leurs femmes! »;./";■,;-,(;-("■'.', ■;('-'••/'/ -■„'.../;...,

Et, sans so douter qu'il venait d'éçorchcr bien fort la langue française;et de manquer de respect à la grammaire, le deïra éclala de rire à ce bon mot.

Après avoir traversé les gorges de Foum Ksautina 1, dont les hauteurs sont couvertes de plusieurs milliers de tombeaux mégalithiques, nos Voyageurs s'arrêtèrent pour déjeuner au village de Foum-el-Toub, bâti on terrasse sûr la paroi abrupte d'un ravin. Un peu ayant d'y arriver, Belaïd leur av,aît signalé uùo grotte, dite dés « Sept Dormants >>, dont il leur avait raconté la légende. Autrefois sept jeunes gens, suivis (d'un chien, venant de l'Occident, s'étaient'/mis en roulé pour aller eti Orient faire le pjèlerinagç dé là Mecque. Arrivés a la grotte de Foum-cl-toiib, ils y entrèrent pour se reposer; ils s'endormirent d'un sommeil si profond qu'ils ne sont pas encore réveillés. Depuis, la grotte s'est réformée; mais si les jeunes gens dorment, le chien ne dort pas : il veille sur eux, et quand les indigènesséjournent trop longtemps devant la caverne, ils l'entendent aboyer.

Le déjeuner fut suivi d'une courte sieste et d'une visite rapide au village. Après quoi, tes cavaliers ènfonrchèrenl do nouveau leurs montures et parvinrent véi\* la fin del*a prèsmidi à Médina, point terminus de la première étape.

I. Ainsi nommées parce que ce délllé étroit rappelle celui dé Conslanline. ,■'.-•: ■ .'."■:'"'■■-'[■■ -.


CtlAPITRK XII

MÉDINA - LE CHÉL1A

La superstition des indigènes. *—.Ses conséquences. — Le Cltelin, point culminant .do l'Algérie. '*~ L'ascension du Clielia. — L'utilisation des

/ divers tttiiros.;— Les cèdres. —Lour>dépéKssement, — Leur utilité. — Vue magnifique dû. sommet du Cliélia.

LA coursé à mulet avait non seulementfatigué M.Bernard et dçprgcs.inaislps avait ehebrémis en appétit; aussi appréçièrcnUils à sa juste valeur Pexcéïleht dîner préparé par la femme d'un gàrdefprestîér, chez qui ils étaient desçelidUs à Kïèdina. Après le rçpàS; plusieurs colons de i'endfoit;(lc seul du massif bh l'on trouve une agglomération eurbpéehhO;VÎiireht causer avec, les. deux Parisiens; pour * eux; lé passage d'étrangers dans le village est toujours une grande distraction.

La plupart habjtaieht 1-Aurès depuis plusieurs années; ils fournirent au négociant et à son heVéu des indications intéressantes sur les Indigènes on général et les Aurassiens cti particulier. (Ilsleur apprirent la crainte professée par les Indigènes pour les djinns, pu dêmoits; ils se préservent des mauvais génies cii portant au cou et (Vh attachant au cou de leurs animaux préférés des amulettes '-'contenant des versnls du Coran, leur livre saiht. Bien plus, lés Chabuïas h'Iiésitcnl pas n réduirç çcàs amulettesen cendres pour les avaler ou lés foire ayaler à leurs botes, et éîbigner d'eux les djinns malveillants. // '■


74 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

Us sont aussi très superslicieux : les tremblements dc terre les effraient el ils redoutent beaucoup les éclipses dc soleil el de lune, dont ils ignorent les causes. L'un des colons ayant demandé à Belaïd comment, à son avis, se produisaient les tremblements de terre, le deïra exprima l'opinion commune en son pays et raconta que la terre reposait sur la corne d'un grand taureau; que, par suite de fatigue, cet animal la lançait de temps en temps d'une corne à l'autre, d'où les secousses!

La superstition se rapportant aux phénomènes naturels n'est pas la seule; les actes les plus innocents do la vie courante peuvent prendre pour les Aurassiens une fâcheuse imporlauco. Ils prétendent, par exemple, que siffler par oubli porte malheur; aussi ne sifflent-ils jamais! Qu'une bougie lié doil être éteinte qu'avec les doigts; qu'il faut éviter au Moghreb (coucher du Soleil) do fouler du crottin, nourriture des Djinns. ^ -

Les Indigènes craignent les calamités si, le matin, ils voient sur leur route un seul corbeau, ou s'ils rencontrent un animal blanc; ou s'ils aperçoivent un lièvre qui s'enfuit; où s'ils remarquent un chat se passant la patte sur le museau (dans ce cas le félin prie el demande la mort dc son matlrc). Us n'aiment pas entendrc,.un crapaud invoquer la Divinité en répétant La Allah, ila Allah. Us tremblent au cri nocturne de la chouette et à son apparition sur leur demeure ou dans le Voisinage; ils appréhendent de la rencontrer au petit jour. Ils évitent enfin de tuer l'hirondelle, la bergeronnette et la cigogne.

Leur superstition porte même sur les personnes : grand est l'ennui des Aurassiens, si lé premier individu qu'ils croisent le malin a mauvaise réputation et surtout s'il leur adresse la parole; ou encore si leurs yeux s'arrêtent sur un mutilé où un borgne.

En ce qui concerne les morts, ils redoutent de graves événements, quand ils ne peuvent leur baisser les paupières; quand, le lcndemaih d'un enterrement, ils voienl des traces de pas sur la terre non encore lassée dc la tombe; quand, après l'inhumation, ils n'ont pas retourné le fer do la pioche ayant servi à creuser la fosse.


/Forêt tfeicèdrcs do ChéliaJ


70 A TRAVERS.L'ALGERIE. '

Grâce à ces détails donnés par les colons et aux commentaires qui suivirent, la veillée so prolongea assez tard. Avant d'aller- se mettre aii lit, M. Bernard,'que ses affaires n'appelaient pas à.Biskra avant la seconde quinzaine du mois d'octobre, avail accepté la proposition faite par le garde, son hôte, dc remmener le lendemain au sommet du massif du Chéfia. ■.■[.';■■';':

« C'est un détour imprévu, dit le négociant à son neveu, mais il ne .manquera pas de charme et il nous permettra de raconter que nous avons atteint le point culminant de -"l'Algérie, -■(-(;>-■-(,. ': :; ;_.;■? ;:'.;■■ ( // ;. : (./-'

-— Quelle est lahauteur de cçUc montagne? » demanda ' Georges."; " '- ■■V,.-. " /"- .

Son oncle, se sou venant du nombre indiqué par le forestier, luirépondit; (.,-'-.(, -

« 2325 mètres. »

Les deux Parisiens n'eurent pas à regretter leur promenade; elle s'accomplit plus facilement qu'ils nel'auraient cru. Des' chemins muletiers assez commodes permettent d'atteindre en trois heures le sommet dtiChélia, aux pentes plantées de forêts. Le long de la route, lés excursionnistes Virent fabriquer du charbon.; Belaïd fit remarquer que; pour se çhautVer, les Ihdigèhés employaient peu lé charbon dé bois, qu'ils préféraient recourir au bois lui-mômc, trouvé à profusion dans les forêts — bu encore* à là boiise dp vache, ttjoutû*t-il en riant !.';., U parait qu'en effet un 'grand nombre de moiikèfes " (femmes indigènes) pauvres utilisent Celte matière, pour entretenir leur feu,

Plus haut, des bûcherons abattaient des pins d'Alcp, des-; Unes h devenir des poteaux télégraphiques, et dos chênes dans* lesquels devaient être débitées des traversée pour Voies ferrées. Sur les erôles(puissantes du Cliélîà, à travers les escarpements farouches des ravins et dans leurs lits profonds, nos touristes rencontrèrent devieux cèdres. Ces arbres sont récoiinaissables au large parasol qui, chez éux>remplacé;, peu à peu l'élégante pyramide (des "années de jeunesse. Comine lès deux Parisiens s'extasiaient devaht leurs dimensions respectables : ''.'('/"-( / (('/-'"

« Vous voyez ici de petits arbres, leur dit le garilo forestier,


MEDINA — LE ÇHELIA. 77

mais il y a des cèdres véritablement imposants, qui atteignent 10 mètres de circonférence et 60 mètres de hauteur. J'ai admiré dans la forêt de cèdres de Téniet-elllaad (département d'Alger), la plus célèbre de l'Algérie, bù je suis resté garde pendant longtemps, un arbre surnommé le « Sultan » de 3 m'. 10 de diamètre, et un autre, « la Sullauc », de 2 m. 80 de diamètre.

— Il est certain que ceux-ci paraîtraient petits à côté dc ceux-là, approuva M. Bernard.

. — Voyez en outre, continua le forestier, comme la forêt esl dévastée. Beaucoup de Cèdres sont morts à la suite de mutilations causées par les Indigènes, qui enlèvent l'écorce pour recueillir la, résilie j d'autres ont dépéri après plusieurs années successives de sécheresse; mais la plupart de ces arbres centenaires doivent leur destruction à la larve d'un insecte, qui se développe entre le bois et Pécorec ; ils demeurent sur place, tels des squelettes, causant une impression à la fois grandiose eltriste.

— Ne les exploite-l-on pas comme les autres arbres de la forêt? questionna Georges. (

— Mais si, jeune homme, car le bois dé cèdre, susceptible d'un très beau poli, se vend cher le mètre cube cl est très apprécié ch menuiserie, en ébénisterie, en marqueterie. »

Dé "la crête supérieure du Chélia, les excursionnistes jbûireht d'un coup d'oeil iiiatteiidtt : ils virent au Nord la surface immense des Hauts-Plateaux et de leurs cholts, entre Batiia et Aïn-Beïda ; tandis qu'au Sud, par-dessus les alignements grisâtres des montagnes inférieures, ils apercevaient une ligné bleue, droite, immense : la mer du Sahara! Us ne se reposèrent que quelques instants, en admirant ce spectacle, car M. Bernard et son neveu avaient l'inlenlion de gagner Jm'sle soir môme; ils devaient pour cela redescendre de suite, afin de se mettre en roule pour la nouvelle étape aussitôt le déjeuner.


CHAPITRE XIII

DE MÈRINA A ARRIS;

; Les deux grandes vallées do l'Aurès, -r Lé mois in u suintant,— Le ihédeçiii

dè.'^lpn.isuii6a.'^-Scé(fonclipii«..--^.^èà'.à4viërsa.>r^s indigènes et leurs

procédés médicaux, —• finergiques mesures ù.preiidre. <—• Ltt yaççipôtipU"

contre la llèviù typhoïde, -r L'hôpital d'Arris. —L'inllnnérte hïdigêhe.

-,(,. — Les richeVjardihV environnant les viilageiautâssienl,—'■ i/nrbre du ,

;■:. pays. — L'abricotier;. '-"'■('■' (;:V'/:'/ '-'"// .■•;::'/:'4;.';(/::';-:';/:'::;./;--.''-':';;"''V'"-;^

çbmniuhc rtiixtp dé l'Aurès psi.sUlbhriêe dé)dciix, oueds prihcipdiix ^t'oùe^ niioniàgnes-ét lc;fo ^iffétents

Villages bii. deêhrqs, ; Eii qùRtàiit, Médlîia, un quMts ne : l'aiiraiènt désiré, car ils. avaient été rétéhus par ; leur ïiôtc» les deux Parisiens, guidés par Belaïd; s'enfoncèrent dansijâ Vallée dpl'pupd Àblod. lié deyaiéht lasilivlré jusqu'à; Arris, et (le làrejpindrpi'ptiéd Abdi, dont le cours les amôneràil à Méhàa, la capitale de l'Aurès. ■/,,/-'■(

La nuit, qui IbhibP vité/én Algérie, où il n'ya pas^dp crépuscule, siirprit la caravane à quelques kilomètres d'Arris, Une belle huit magnifiquement éclairée par lapfoinblhnè et bientôt par hue multitude d'étoiles; Aypc du ciel èbnfttellé; M. Bernard et (Georges s'entréUni-ent des astres et PU particulier dp làvlûi.fëV.':"I^( jbuiïë/^lf^ii:a|S|>rit "qù^èjii«ê''j|6juittit. tin ^ grand rôle dans la .via des indigènes,; la période viiigU neuf jours et demi ip^iliu est (néPossairo jibUr;fàii'pib tour do la terre constituant le mois musulman, ; (


Les gorges de l'oned/Abiod.


.80 . A TRAVERS L'ALGÉRIE.

Nos touristes, parvenus assez tard à Arris, prirent leur repas dans une chambre aliénante à l'appartement du médecin de Colonisation de la commune mixte de l'Aurès. Celui-ci vint saluer les deux Parisiens cL, au cours de la conversation, leur donna quantité de renseignements utiles sur le rôle des médecins de colonisation, attachés à chaque commune mixte : « Les fonctions du toubib (c'est ainsi que les indigènes nomment le docteur), leur dit-il en substance, sont aussi nombreuses que délicates. Nous devons non seulement fournir aux indigènes miséreux consultations, soins el médicaments gratuits, mais il nous faut encore parcourir les .villages, enrayer les épidémies, surveiller l'infirmerie ou, comme ici. l'hôpital' insjallé au lieu de notre résidence. J'ajoute que ces soins de notre profession ne s'accomplissent, pas toujours sans difficulté, car nous avons de redoutables adversaires en la personne des commères, des rebouleurs, des thalebs (lettrés), des marabouts (prêtres), uniquement consultés jadis. Us usaient de receltes parfois inoffensiycs, comme celle consistant à tracer des versets du Coran sur les parties malades ou sur des plantes que devait ensuite manger le patient; et parfois nuisibles, lorsqu'ils crevaient, au lieu dc les guérir, les yeux de leurs infortunés clients, ou . lorsqu'ils envenimaient des plaies en les pansanl avec des onguents à base dangereuse ou malpropre, la bouse dc chameau, par exemple. Le- diagnostic d'une maladie les embarrassait-il : vile ils avaient recours à un moyen aussi naïf que pratique. Ils prenaient leur chapelet et donnaient à chacun des grains le nom d'une lettre; ils reprenaient alors les grains l'un après l'autre et, s'arrêlanl à un certain moment, ils cherchaient, dans un livre appelé kalamoussa, lu page correspondante à la lettre indiquée par le grain de chapelet louché eti dernier lieu el y trouvaient le nom de la maladie et le moyen dc la guérir, »

M. Bernard el Georges riaient de bon coeur en entendant racohicr ces pratiques primitives : "

« Il a quelquefois fallu prendre d'énergiques mesures, continua le docleuiy-pour obliger les indigènes à échapper à la maladie. Il y a peu de temps encore, si un cas do variole se présentait dans une famille, on s'empressait d'ouvrir les


DEMEDINA A ARRIS;

81

boulons du malade pour y prendre du pus. qu'on inoculait, au coulcau, aux membres de la famille; de la sorle un village élail vile conlr.miné. Malgré les ravages faits par celte terrible épidémie, les indigènes auraient continué à se livrer à la variolisalion,si une loi. à l'exécution dc laquelle

on est obligé de veiller avec soiii, ne leur avait imposé la vaccination cl la revaccinalion. »

A ce mot de vaccination, M. Bernard se permit de demander au docteur quelques renseignements sur le fameux vaccin contre la lièvre typhoïde, dont on avait beaucoup parlé ces temps derniers.

« C'est, en elVel, une remarquable découverleque celle-là, répondit le médecin, et je n hésiterais pas eh temps d'épidémie à m'e faire vacciner d'abord el à vacciner ensuite mes malades, car les résultats obtenus ont élé merveilleux.

— Celle maladie est-elle fréquente chez les indigènes? interrogea Georges.

La végétation dans les gorges de l'oued Abiod.

.A'. .ïhAVÉ'ti.S t. AUSttltÊ,.


82 ; "/ ( AVÏRAVERS L'ALGÉRIE; ^ (

r—,Assez, mon jeune ahii, car le microbe delà fièvre typhoïde Vit surtout dans l'éàu, et les indigènes l'absorbent généralement Sans prendre la .précaution de la purifier en la. faisant bouillir.

-r Avèz-yous beaucoup do malades en ce moment, Docteur? demanda à son lotir l'oncle Bernard." — Notre hôpital, qui compte une soixantaine de lits, est loin d'être'plein; inais, bon àii mal an, je soigne à l'hôpital d'Ams 50b(à 600 indigènes. » >'■ - (v -.'■■'., .//.-.

.-("•Le négociant reprit>"f(- ':' : ■'...

« La construction/û'un pareil éiablissemcnl pn pays si éloigné n'a pasdu être une pelile affaire? ( ; /(

■ ■—- Non certes, ce futfuiie oeuvre gigantesque, parce que les routes n'existaient pas et que Ions les transports, mémo celui des pierres, furent effectués û dos de '.mulots'. En revanche celte piuvre profila beaucoup à la causp française; car Plie attira peu à peu à lions ces montagnards si*rustres, qui Viennent aujourd'hui en grand nombre faire panser leurs blessures et soigner; leurs maux d'yeux. Du reste, l'admihistràÛpiia.si bien compris;l'importance des ètabUssciuenls de cette nature qu'elle a créé, daiïs toutes les'Çbnnhùnés mixtes, dos infirmeries spéciales. Lé médecin de colonisation, assisté d'auxiliaires médicaux et d'infirmiers iiidigèiiesV y donne gratuitement ses soins aux malades qui y sont

admis. » ': ;('■;■•;'■'/'-(■<. '■■■■:''-■■...;-,'-.-/':---' .('-(;-■"(:" ' - ■/(":

Nos Parisiens ne purent/s'cmpèchpr( de conclure que la France, cti procédant ainsi, agissait à la fois au mieux do ses intérêts et au (mieux des intérêts'; des indigènes, ses protégés et désormais ses enfants.

Avaht de partir le lendemain matin, ils visitèrent l'hôpital dirigé par les Pères Blancs, la partie supérieure du ravin, au bord.duquel est piltôrcsqUeiiient bâli ,1e Village, et le. village lui-môme. Ils pàrcpûrurent quelques-uns des nombreux jardins que l'on trouve autour d'Arris, comme autour de tous lés Villages de l'Aurès, et que dés murs eh pierres sèches séparent les uns des autres. Les indigènes çtlltivcnt datis ces jardins les légumes les plus divers : mélohs; courges, cbncbmbrcs, poivrons, fèves, pois, oignons, tomates, pommée de lcrrct etc., ainsi que le maïs. Les


DE MEDINA A ARRIS.

83

Ghaptiïas; plantent et entretiennent aussi dé hombrcux( 'arbres(': pommiers, poiriers, pêchers, noyers, qui deviennent gigantesques jamandieisj grenadiers, vigne, etc. Mais celui dont ils retirent le plusgrand profit est certainementf abricotier; dont ils font sécher les fruits pour les vendre sur les marchésd'alentour. ; .


CHAPITRE XIV

DE AUIUS A MtiNAA

Les gorges de f'ghàhiminp..— La capitale de l'Aurès. ^- Une Içllre de Georges à ses parents. (-/ Les mcfcurs des Chùôuïas. ^-' Les; indusVries locale*. .'"';;■' :-,:.-:- '■■-./-/ v-v" /"■/v:/ (-' '■>■'■'■> ,-.-■/:'/-". ■ /.-;,/-

1301m aller d'Arris à Mcnaa, nos voyageurs passèrent dans - dc curieux villages : EI-Hamra, Taghif, célèbre par ses mines de mercure, Nonadcr, Chir; mais le temps leur manqua pour faire un crochet vers le sud, jusqu'à Tighauimine. Us auraient vu là des gorges longues de 3 kilomètres, que certains géographes n'ont pas hésité à déclarer les plus% belles de l'Algérie. Lorsque, le 7 juin 1850, l'armée française, commandée par le général dc Saint-Arnaud, arriva devant ces gorges, les chefs el les soldats furent enthousiasmes; ils espéraient franchir les premiers ce défilé d'apparence inaccessible. Quelle ne fui pas leur stupéfaction, en parvenant à la sortie des gorges, de lire une inscription qui leur appril le passage des lègiohs romaines, 1650 ans avant celui des troupes françaises! Depuis quelques années une roule carrossable a été construite, à la grande surprise des Chaouïas, qui considéraient ce travail comme gigantesque. Cette roule est pour eux très utile : ils peuvent désormais opérer leurs transactions par l'ouest el par l'est de la vallée dc l'oued Abiod.


DE ARRIS A MENAA. . 8B.

A Menaa, la capitale dc l'Aurès, Georges songea qu'il n'avait pas écrit à ses parents depuis plusieurs jours, et que son père et sa mère seraient heureux de recevoir sur son voyage une relation plus circonstanciée que celle qu'il leur adressait régulièrement sur caries postales. Il écrivit donc la lettre suivante':

/ (Vt< Bien, chers pàrénls;," ■.-"/(/"

// «Amsiquéje vous l'avais: annoncé sur ma dernière carte, nous parcourons à miilèt la région pittoresque el encore peu (connue jdp TAùrèS.Jç/suis émerveillé, de tout cp que je vpis; mais la (manière clé vivre des habitants du pays, ou Çhapuïas; m'intéresse particulièrement. V'

« lueurs;villages, tantôt placés Sur une petite hauteur au bordd'ùh ouèd, tantôt; attachés aux flancs escarpés d'un rocher,Tantôt perchée sûr ùh mamelon solitaire,affectentla forme conique, Usse. composent dé maisons .construites, soit en piérrpssèchesi reliées entre elles par du mortier de boue, soit eh-lôUb,;sprtb.de briques d'tirgile sèchées pu soleil. Les mutéén sont solidifiés au moyen dp branchés d'arbres, qui

' y spht' intercalées par bouches horizontales, distantes les unes(dès autres; d'un(mètre au plus. Lapartie supérieure est

^nivelée, de façon:à foriiler une (terrasse, sur laquelle les

( ihd%ëjifes dëpbsèht; lès (produits agricoles recueillis avant leur complète maturité. Lés maisons s'appuient les unes aux autrèsén; s'ochclonhant jusqu'à une sorte dé forteresse, qu'elles énfourchtetque l'on nomme j;«e/aa. Cette construction jouésùrlbut le rôle dé magasin communal." Quand les ChabùïaS qujlteut, nprôs lès labours, leurs villages pour "mener" paître leurs troupeaux yors le sud, ils laissent leurs provisions dahàlaguelaa, sous là surveillance de gardiens pu/iqssè,f; qui les Icui'rémeUrpnt à Tour retour, au moment "de la mblssbh.

:( « A l'intérieur; l'hàbïtatibn présenté un arrangement des plus primitifsïoii y trouve généraleilieht une Sorte d'cslràdc peu élevée séïvant de Ht, ébuvertedé lapis cl de peaux, un métier à tisser, un moulin a bras, un foyer marqué par trois où/quatre pierres taillées, de Ja vaisselle de lerre et


86 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

d'immenses coffres à blé, ayant la forme d'une amphore. Les animaux domestiques ont parfois une écurie spéciale et parfois ils sbnt relégués dans un coin de la chambre commune. La plupart des maisons, ont en outre une sorte dc divan élevé ou banc dc pierre, sur lequel des nattes sont étendues.- . - _

« C'est sur des nattes et des lapis que nous avons dîné ce soir chez le cheick deMenaa, notre hôte. Pour nous honorer, il nous présentait lui-môme les plats. Le menu se composait d'une soupe très pimentée, pu cherba, d'un poulet rôti, d'oeufs durs el de mouton au couscous. Le couscous, vous en avez déjà goûté, car mon" grand frère eh avait rapporté à son retour d'Algérie; mais celui du cheick était arrosé do marga (sauce piquante), el nous l'avons mangé à la modo du pays avec, pour tout couvert, des cuillers en bois que nous plongions à tour de rôle dans l'unique plat. En guise de pain, on avait'mis sur la table une galette sans sel appelée kesra, cl comme boisson nous avions dc l'eau à volonté. A la fin du repas on nous servit des noix avec du miel cl du café (ou kaoua) aromatisé à l'eau de rose. Lé guide "qui nous accompagne nous a expliqué que si nous avions été des personnages de -marque au lieu de simples touristes, le cheick no\is aurait donné une diffa, ou grand repas d'hospitalité, dans lequel on nous aurait présenté un méchoui, c'est- 5 à-dire un moulon entier rôti à la broche. Si je n'ai pas eu l'occasion d'apprécier le méchoui qui, parait-il, est excellent, j'ai du moins eu celle de me régaler dc miel, un miel succulent préparé par les Chaouïas eux-mêmes, devenus apiculteurs. La flore de leurs montagnes est 1res belle et très variée, el les piaules mellifôres abondent. Autour dc leurs villages, les terres dc culture sont excessivement riches et d'un rendement rémunérateur, leurs jardins regorgent de légumes el dc fruits : les produits do la terre constituent d'ailleurs la base de leurs échanges. Pour ces échanges, ils so servent d'une balance rudimentuirc formée d'un bâton aux extrémités duquel sont attachées trois cordés en alfa, supportant deux paniers également en alfa.

« Les industries locales sont très curieuses, eitlrc autres celles du lissage, de la bijouterie, do la poterie el de la


Un village <le l'Aurès.

Cl: A.Ilougault.


88 A TRAVERS L ALGERIE.

minoterie : les femmes lissent des burnous, des gandouras, des lellis et des tapis; les hommes fabriquent en alfa des chaussures, des cordes, des nattes, des plats, des paniers. On trouve dans presque tous les \illagcs des,-bijoutiers adroits qui, par la refonte dc vieux bijoux, se procurent des anneaux de pied, des bracelets, des bagues, des parures en argent, où'ils incrustenl du corail; la femme de l'Aurès est très avide dc ces ornements. C'est à elle qu'incombe la fabrication de la poterie domestique." La Cemme esl assise sur lo sol, ayant près d'elle dc l'càu et de la terre glaise. Elle mouille et pétrit cette terre avec la paume et l'extrémité ' de la main, puis la dépose dans un vase brisé. Avec son pouce elle fait un creux au centre du bloc ainsi formé, et elle pétrit l'intérieur pour ramener à la forme voulue. Lo pot sèche pendant deux jours cl il est cuit dans un four très simple, élevé à proximité dc la maison. Quoique la plupart des Aurassiens possèdent des moulins à bras pour broyer les grains nécessaires à leur consommation, les indigènes ont parfois utilisé les cours d'eau pour installer des moulins primitifs, si primitifs même, qu'en travaillant dc jour cl do nuit ils arrivent difficilement à transformer^ hectolitres dc gràiiis en farine.

« Pour compléter tous ces renseignements, j'ai pris avec l'appareil photographique qiic m'a acheté mon oncle Un grand nombre de clichés que je me propose dc développer eh arrivant à Biskra el dont je vous enverrai des épreuves', si j'ai le temps d'en tirer. En tout cas, elles seront pour moi un souvenir précieux du voyage que je suis en train de faire, grâce à la générosité dc mon oncle. Je lui en suis chaque jour plus reconnaissant el je m'efforcerai plus que jamais dc lui être utile el agréable.

« Je vous assure, bien chers parents, do mes sentiments affectueux, cl je vous embrasse, ainsi que toute la famille.

« GfOHlïKS. u


■CHAPITRE XV

EL KANTARA

Un accident. — Belaïd tombe de cheval. — Un remède bizarre. — Conseils dc prudence donnes à Belaïd. — La gorge d'Kl Kanlara. — Le récit du guide indigène. — La séparation de deux régions bien distinctes. — L'apparition do l'oasis. — A traverita Palmeraie.

LA dernière partie dc l'excursion dans l'Aurès fut marquée par un accident qui aurait pu avoir des conséquences fâcheuses. Nos voyageurs, en quittant Mcnaa de bon matin, s'étaient dirigés sur Maafa, une halte dc la ligne Constanline-Biskra, située à 5 heures dc mulet de la Capitale dc l'Aurès. Us devaient y prendre le train pour El Kanlara, la station voisine, où M. Bernard avait résolu dc se reposer un jour avant de gagner Biskra. Eu arrivant à proximité de Maafa, Belaïd, qui montait un cheval fougueux, voulut montrer à quelques indigènes qu'il aperçut ses brillantes qualités de cavalier. Après avoir fait caracoler sa bêle, il la lança au triple galop dans la direction dc ceux qu'il désirait étonner. Le cheval lit-il .un faux pas, ou bula-til contre une pierre, toujours est-il qu'à un moment donné il s'abattit sur les paltes dc devant, tandis que Belaïd passait par-dessus lVncolufe et roulait t\ quelques mèlres plus loin. M. Bernard el Georges s'empressèrent nu secours du malheureux cavalier. Ils le rcle\èrehl difficilement, car il était tout endolori. Quand il voulut marcher, il ressentit, en posant le


90 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

pied à lerre, une douleur telle qu'il poussa un cri ; alors M. Bernard demanda à deux indigènes, auteurs involontaires de-la chute, dc transporter Belaïd jusqu'à la gare. Celle opération s'accomplit assez délicatement. Lorsque le deïra fut étendu sur un banc, le négociant lui fit enlever la botte cl la chaussette et lui examina la jambe, qu'il trouva enflée. L'un des indigènes ayant marmotté quelques mots à Belaïd, celui-ci demanda aux deux Parisiens de vouloir bien appliquer sur l'enflure de la pâte de dalles pilées. « Jamais je ne le ferai celle application irritante et malpropre », s'exclama M. Bernard. Le négociant envoya chercher de l'eau et recouvrit la partie malade de compresses" d'eau.froide, qui calmèrent la douleur du patient. Puis l'oncle el le neveu se concertèrent el le négociant décida de payer deux indigènes pour accompagner par le prochain train Belaïd jusqu'à Balna.

« Là, dit-il au deïra, tu verras un médecin, car les os sont peut être débotlês.

— Oui, monsieur, consentit le deïra; je connais un toubib qui me soignera très bien.

. — Un Français au moins?

— Non, pas un fourni lt un indigène.

— Attention! Belaïd; lu vas sans doute le faire traiter patun reboutcur, qui risque dc l'estropier au lieu de te guérir. J'ai connu un campagnard qui s'était cassé un os en tombant d'un grenier; il a préféré, pour celle fracture, l'intervention d'un reboutcur A celle d'un chirurgien où d'un médecin, et il a boité toute sa vie.

— C'est que je ne veux pas boiter, moi, prolesta le cavalier.

— Dans ce cas, vois un docteur », et, comme pour l'encourager à suivre son conseil, M. Bernard lui remit discrètement un généreux pourboire, louljen lui exprimant sa gratitude dc les avoir guidés, lui et son neveu, dans le beau pays dc l'Aurès. Belaïd se confondit en remerciements, demanda l'adresse du négociant, lui promit sa visite s'il

1. Hoûmi, e'osl-a.dite, pour les indigènes, chrétien;el, parextensioiij Français,- ,:■- "("../;//■'


EL KÀNTARA.

91

allait~k Paris; bref, les deux Parisiens pouvaient croire son mal très atténué, quand ils le quittèrent, une demi-heure plus tard, pour monter dans le train d'El Karitara.

En arrivant à El Kanlara, ils se firent d'abord servir un excellent déjeuner à l'unique hôtel de l'endroit; puis M. Bernard et Georges, précédés d'un guide, se dirigèrent du côté.de la palmeraie. La purclé du ciel cl l'éclat du soleil

devaient rendre plus inoubliable encore le spectacle qui allait s'offrir à /leurs yeux. EiV effet, ils suivaient (depuis qùptqtiètèhjpl là rputp sitiiêé entre là ligiie du chemin de for(pl Tpu^l

faille (défilé (jfiiéries indigènes dénbttihipht,: l<oùrti-ès-$ûhaii(i (bbùcïm dtr Sal^

mètiÇs àii pliisf s'btiyfë entre; deux; murailles de roches (dcldp ïiiôtr^s hanïï; i^éé Uoitidijis l'avaïëiil nPmtnéé î défilés dû^/(Talbh d^forênie »? parce qu'on prétendait que l'pUVçrthiep^pvéhàit d'uti coup dé làloil dottiie par ce héip^ dahsTcs'bibfes roeaillcuxi Une 1 voie romaine Iraversait la

• Les' g6rgc|a4ptiva;nlara.l;'


92 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

gorge cl, à sa pallie la plus resserrée, passait de la rive droite à la ri\e gauche de l'oued, sur un beau pont de pierre, de là le nom d'£7 Kanlara (le pont) donné par les Arabes au défilé el à l'oasis.

Nos Parisiens contemplaient étonnés cl ravis celle gorge pittoresque, quand lo guide leur rappela sa présence parles paroles suivantes. Il semblait les connaître par coeur et il les récita à la façon d'une leçon.

« Celle muraille que, vous voyez, messieurs, sépare deux régions bicn'distinctês : d'un côté, celle des Hauts-Plateaux, que nous allons quitter, avec leur climat relativement froid cilcurs cultures européennes; de l'autre, celle du Sahara, où nous allons entrer, avec sa chaleur, ses oasis, ses palmiers.... Écoulez maintenant ce que M. Elisée Reclus dit en parlant des gorges d'El Kanlara : « De fous les si les s d'Algérie,^ « nul n'est plus fameux ; là csl le contraste le plus net entre « le plateau rocheux cl l'oasis; l'Orient se montre soudain « par une porte d'Or. C'est une croyance établie chez les « Arabes,- et en partie justifiée par les faits, que les rochers « d'El Kanlara arrêtent à leur sommet tous les nuages du ». Tell; la pluie vient y mourir. D'un côté csl la région do « l'hiver, do l'autre celle de l'été ; en haut est le Tell, en bas « le Sahara; sur un versant lu montagne csl noire et couleur « de pluie, sur l'autre rose cl couleur de beau temps. »

M. Berhard et son noveu n'avaient pu s'empècher dc rire, en écoulant le jeune indigène débiter sans sourciller des paroles, donl il ne comprenait peut-être pas le sens. Georges allait lui demander malicieusement qui était ce M. Elisée Reclus dont il leur avait parlé, lorsqu'il laissa échapper un cri d'admiration. A la sortie du défilé, il venait d'apercevoir brusquement un site merveilleux. Une belle oasis dc 90000 palmiers s'étalait devant lui, superbement éclairée;" les maisons des indigènes, enfouies dans les feuillages verts, avaient pris sous les rayons du solciliine couleur dorée du meilleur effet. Le jeune garçon lit une photographie de ce paysage unique cl des gorges qu'il laissait derrière lui. Puis le guide conduisit les Parisiens à l'intérieur de la palnïeiaie. Elle est îiriguée par les eaux de l'oUed El Kanlara el renferme plusieurs sillages. Pour mieux fixer dans £on esprit


CU Xeuntcin.

• EIjKaaatara; ^ Les gorges et POued;


94

A TRAVERS L'ALGERIE

les étapes de celte promenade curieuse, Georges prit-quelques vues destinées à la lui rappeler. Le soir même, à table (I hôte, où de nombreux touristes s'étaient assis, il ne fut 'question que d'El Kanlara, de ses gorges, de sa palmeraie. Ce passage inattendu d'une ^lisou à l'autre, l'élrangeté du lieu, la nouveauté des perspectives cl celle subite apparition île l'Orient pur la porte d'Or d'Kl Kanlara devaient laisser à tous ces visiteurs, comme au grand peintre Fromentin lui-même, un souvenir éternel, qui tient du merveilleux.


CHAPITRE XVI

BISKRA'

L'entrée du'désert,— l.iskiM, jolie résidence hivernale. —• L'oasis du vii-nx Biskra. — La culture du palmier. -- l/ulilisalîo!! entière de cet arbre.: — Une pointe au Sahara. — Le Sahara tel que l'on se le représente. - - Le Sahara tel qu'il e.-l, — Le climat .extrême du désert. — Le passage d'une caravane de nomades.

Si, en apparence, le Sahara commence à l'oasis d'El Kanlara, géographiquement parlant, ce n'est pas encore de là que l'on peut contempler l'immense horizon du désert; il faut dépasser lé vaste et fertile bassin d'El Oulaya, qui a porté jadis plus de 100 fermes romaines, sa montagne de. sel (immense amas de sel éruplif de plus de 000 mètres de haut), et gravir uii seuil, le col de Sfa. (Dé ce sommet, on voit s'éleudro au Sud la mer des sables, tachetée des archipels d'oasis. La plus rapprochée de ces oasis est Biskra, où M, Bernard et son neveu arrivèrent à la mi-octobre.'Biskra,- communément appelée la Reine des Zibans, produisit dès l'abord la meilleure impression sur les deux Parisiens, qui avaient perdu depuis plusieurs jours le contact du' monde civilisé. Us admirèrent les rues larges et les hôtels somptueux "de la riante petite ville, parcoururent pleins d'entrain les squares à la végétation luxuriante etaux essences variées que sillonnent de nombreuses seguias (ruisseaux), traversées de rustiques ponceaux. ils s'arrêtèrent devant la statue imposante du -grand pionnier de la civilisation, du grand bien-


:.U' A TRAVERS l/ALGERlE.

faitour de l'humanité, du grand cardinal français .que" fui' Lavîgeric; ils visiteront enfin lo magnifique jardin Landau.,-, la merveille de Biskra, dont aucun mot ne saurait exprimer la pittoresque beauté. Us apprécièrent aussi la douceur du climat à celte époque avancée de l'année, et, ayant pesé toutes considérations, tirèrent celle conclusion logique cim' Biskra était une résidence d'hiver très agréable.

Le lendemain, M. Bernard employa toute sa matinée chez un négociant qui lui livrait les dattes en gros. Celui-ci proposa aux deux Parisiens de les guider dans le vieux Biskra el dans la Palmeraie, l'après-midi de ce même jour. La visite à l'oasis, qui ne compte pas moins de 180000 palmiers, fut des plus intéressantes. Georges apprit là-façon de cultiver le palmier-dattier, l'arbre par excellence du climat saharien dans tes régions irrigables. Ce palmier, à tige très élevée, se reproduit par bouture, on détachant un des rejetons, qui croissent au pied du tronc, et en le plantant..'Autour de,' cette pousse otia soin de former une sorte de bassin, pour recevoir l'eau des rares pluies qui tombent dans ces contrées et'conserver-plus longtemps.les eaux de l'irrigation, car, suivant le dicton populaire : le. palmier, pour prospérer, doit avoir « les pieds dans l'eau et la tête dans le feu ». Le feu, le soleil du Sahara fournit sans compter! Trois ans après sa plantation, le palmier femelle, lo seul producteur, commence à donnerdes fruits ou dattes. Elles sont disposées en grappes volumineuses, nommées régimes,.'qu'on récolte ordinaire-.' ..- nient en automne et au commencement dp l'hiver.

Tout est utilisé dans le palmier ; le bois, qui sert pour la

'charpente et la menuiserie; les branchés flexibles bu palmes:

les indigènes en font une palissade surélevant les murs de

terré battue, qui entourent leurs propriétés dans les oasis;

les jeunes feuilles, qu'ils emploient à des travauxdc vannerie

(fabrication de corbeilles, de couvercles de.plats, do cha- ,

peaux) ; là sève elle-même, qui constitue pour eux une boisson

fort appréciée, le vin de palme ou lagmi.

" Si Ton ajoute qu'à l'ombre et à '.'abri des palmiers croissent

souvent, comme à Biskra, des oliviers; des figuiers et autres

arbres fruitiers, protégeant eux-mêmes des céréales et des

légumes; si Ton pense que les dalles constituent là basé."de"


RISKRA. 07

la nourriture des uoma>les, et les noyaux concassés de ces fruits, la base de l'alimentation de leurs chameaux, l'on comprendra l'importance du palmier-dattier, qui l'ail la richesse du désert.

M. Bernard, qui s'était attardé dans l'excursion imprévue à travers l'Aurès, avait renoncé ù son projet primitif de se rendre à Touggourt, mais il n'avait pas abandonné l'idée de. pousser une pointe dans le Sahara, Aussi ce fut de'grand coeurqu'il participa, le lendemain de la visite à la Palmeraie, ù une promenade en automobile dans le désert, organisée parles touristes de l'hôtel où il était descendu'. Celle excursion lui fournil l'occasion de modifier les idées qu'il s'élail faites jusqu'ici sur le Sahara el que Georges, ayant profité d'un enseignement moderne, n'avait déjà plus. Pour le négociant, le Sahara était une vaste plaine .sablonneuse, sans autre végétation que celle de rares palmiers abritant dc rares masures; pour Georges, Sahara présentait des plateaux rocailleux aussi bien que des plaines de sable, des ravins à pic et des dunes aussi bien que des cuvettes remplies de cristaux salins. Georges savait que, loin de manquer dc végétation, le Sahara était couvert d'une multitude de plantes, à la vérité rabougries elsoufficteuses, dont la principale était le drinn. On lui avait appris que le sol du désert n'était pas par lui-même infertile cl que si on lui donnait d'une façon permanente l'eau qui lui fait défaut, il se parait rapidement d'une belle végétation : une oasis était créée! C'est ainsi que les Français avaient réussi et réussissaient encore, à l'aide de puits artésiens, à rendre productives des régions considérées comme inculles jusqu'à leur venue.

Vers dix heures du matin, îa chaleur devint telle que M. Bernard regretta de u'avoii t as pris comme ses compagnons d'excursion un chapeau de paille. 11 craignit, en plein mois d'octobre, d'altraper une insolation : queùl-ce été en juillet, quand le thermomètre marque 10'el 15" à l'ombre! Il exprima ses craintes à son neveu, qui lui conseilla de se couvrir la nuque avec son mouchoir.

« Cependant nous avions presque froid en partant ce matin, dit 51. Bernard s'ex^cu.laritf^\

A TRAVERS L'ALCÈMC. / ^- />. \, T


.98. A TRAVERS L'ALGÉRIE.

— On voit bien que vous ne connaissez pas encore le. climat de ce pays, remarqua un grand diable d'étranger, qui y passait l'hiver depuis plusieurs années : les nuits sont très froides et les journées très chaudes; il importe, h cause de cela, do prendre beaucoupde précautions.

— C'est égal, continua le négociant qui avait son idée, je ne voudrais pas habiter Biskra en plein été.

--- Et tes Biskri sont dc volro avis, monsieur : Européens et Indigènes fuient cette contrée vers la fin de juin cl n'y reviennent qu'au commencement d'octobre. Tenez, voilà justement une caravane de nomades qui a pusse l'été sur les Hauls-PIuteàux et qui va s'établir de nouveau dans le Sud pour l'hiver. »

En effet, une caravane interminable se trouvait sur la piste qui conduisait vers le Sud. « Des cavaliers ouvraient la marche, le fusil en bandoulière. Derrière eux trottinait toute une séquelle de femmes el d'enfants, des bambins complètement nus, dont la peau huileuse avait des reflets dc métal, où tranchaient les grains blonds d'un collier d'ambre'et le petit carré crasseux d'une amulette,-'des pauvresses en haillons, le dos plié sous une espèce de besace grouillante qui contenait leur progéniture! Des chiens slouguis, aux poils jaunes et hérissés comme des paquets de dards, aboyaient sans cesse contre les mulets et les petits ânes qui portaient les bagages, les provisions, le bois pour les feux de ronde, les pieux pour les campements. Puis les cols dc chameaux se balançaient par-dessus les échines des ordinaires bêles dc somme; et, à chaque mouvement qu'ils faisaient, les pompons de laine orangée et verte, qui pendaient de chaque côté de leurs mufles, s'agitaient en bouquets de couleurs éclatantes. Alanguics par le tangage continuel de la course, des femmes voilées se penchaient, d'un air dolent, entre les rideaux rouges el les franges des bassoùrs (sorte de palanquin placé surlc dos des chameaux).

« Les cols des chameaux s'enchevêtraient les uns dans les autres, tellement ils étaient serrés. Parfois ils s'immobilisaient, toute la voie étant obstruée. Us repartaient du même pas cadencé, et il en arrivait toujours sans discontinuer. Après les chameaux, ce furent des troupeaux de moulons, où


Dans le Sahara, passage d'une caravane.


100

A TRAVERS L'ALGERIE,

émergeaient quelques vaches maigres, flanquées de leurs veaux ; bêles de boucherie qu'on abat el qu'on mange chemin faisant! Puis encore des chameaux, des femmes, des enfants à pied, des mulets, des Anes elles éternels'chiens jaunes, la queiie basse et la langue pendante. Dominant la foule houleuse, les loiles rouges des bassours, qui oscillaient au rythme de la marche, se. déroulaient majestueusement comme les étendards d'une armée '. » Et, tandis que la caravane défilait, Georges prenait de ce spectacle nouveau quelques vues des plus curieuses....

I. Louis Bertrand : Le Jardin Je h mort, Ollendorf, (Mil.


CHAPITRE XVII

PROMENADES AUTOUR DE RISKRA'."—. SIDI-OKRA'

Les grand s chefs indigènes. — L'administration du Territoire militaire. — L'admirable tâche de.-ofltciers des « bureaux arabes'.. '— l'ne fantasia.

— La promenade â ' SMi-Okba, — Le village. *-. L'histoire du eonqu-êrant. -- La Mosquée. — Le tombeau. — Le retour à Iliskr.i, — La pluie.

— L'oued infranchissable. — Le noyé. — L'aspect changeant d'un même oued, en quelques heures. — Précautions â prendre.

LE soir même de celle promenade au désert, le négociant biskri, à qui M, Bernard avait passé des ordres importants, offrait à dîner aux deux Parisiens dans le meilleur hôtel de la ville. A une table voisine de la leur, des officiers traitaient un Arabe superbe, un chef à n'en pas douter, car son burnous rouge était chamarré de décorations nombreuses et variées et il portait au cou la cravate de commandeur de la Légioh.d'Honneur. Le négociant biskri, ayant désigné sous le nom de Bach-Agha l'Arabe en question, Georges s'informa de ce qu'était uii Bach-Agha.

« Un « Bach-Agha », expliqua le marchand de dattes, est un 1res puissant chef indigène. Sa grande autorité s'étend, sur Une foule de tribus; il a sous ses ordres des a'gtiqs, des ■caïds et des cheicks. Celui que les officiers du <; Bureau Arabe » reçoivent ce soir est-un auxiliaire dévoué de la France. ' .

— Au fait, demanda M. Bernard, <)ue sont exactement ces Bureaux Arabes, dont j'ai si souvent entendu parler?


102 A TRAVERS L'ALGÉRIE,

--Vous allez saisir do suile leurbrgaiiisatjon cl leur fonctionnement,L'Algérie comprend deux sortes de territoires ; le Territoire civil (Tell et Hauts-Plateaux) admînislré, comme vous le savez, par les préfets, sous-préfols et administra-- leurs; el le Territoire militaire (Sahara), où des soldais exercent lés. attributions dévolues en territoire civil aux fonctionnaires susnommés Les uns et les autres dépendent du gouvernement général, cl les bureaux arabes .constituent, à vrai dire, le Service des Affaires indigènes. Si, à la tôle do leurs goumters, ou cavaliers des tribus, les : officiers dés Affaires Indigènes sont envoyés à l'extrême pointe de nos expéditions d'Afrique, où ils reçoivent les premiers coups dc feu; si on leur assigne la garde des positions difficiles, il n'en est pas moins Vrai qu'ils doivent joindre à leurs qualités de guerriers un réel talent d'administrateurs, et c'est sous ce dernier aspect que leur oeuvre est surtout féconde. Us veillent non seulement à la répression des délits, au maintien de l'ordre et au recouvrement des .impôts dans le cercle dont ils dépendent, mais ils s'efforcent; avec le concours des caïds locaux, de'civiliser-lès régions sur lesquelles s'étend leur autorité. En maint endroit, les officiers des Affaires Indigènes ont repris j'oeUvre romaine, relevé les barrages, retenu la terre végétale que l'eau lait glisser des montagnes, foré des puils, établi des citernes', régularisé des oueds, planté des arbres. Peu à peu, la vie est réapparuo d'où elle était partie, le nomade- étonné s'est arrêté et fixé; il est devenu agriculteur. Résùllal :. la paix règne; la razzia est moins fréquente! En d'autres endroits, les officiers ont créé des routés, construit des écoles, des hôpitaux-, apprenant ainsi aux -indigènes à -apprécier la science et la bonté françaises..:

— Belle oeuvré, en effet! » approuva M. Bernard, tandis que Georges regardait avec une complaisante curiosité les dévoués serviteurs de la France, dont lé négociant biskri venait de faire uii si bel éloge!

Celui-ci reprit quelques instants plus lard eii s'adrcssaul à ses convives : : - ' ■• "

n Voyez ce vieux monsieur décoré assis près du BachAgha : c'est un ancien général devenu'■ "Sénateur, à qui le


BISKRA.

SlDI-Oh'RA,

103

grand chef indigène offrira demain le spectacle d'une fantasia. ■-: -

— Ali diable! c'est que demain j'avais Tirilcnlion de partir,.., commença M. Bernard.

— Partir! mais vous n'y pensez pas, monsieur : il vous faut absolument assistera celle exhibition unique; d'ailleurs,

vous né sauriez quitter Biskra sans avoir visité Sidi-Okba, la capitale religieuse des Zibans. »

... -M,"Bernard se laissa vite gagner aux excellentes raisons qu'on lui fit valoir, et décida dp rester deux jours de plus. Georges fut heureux dc cette détermination, qui lui permettait de voir une ville indigène si célèbre et le si curieux spectacle d'une fantasia.

: Le lendemain, aussitôt le déjeuner, le négociant biskri vint chercher les deux Parisiens à leur hôtel, pour les conduire à l'hippodrome, où devait avoir lieu la fête indigène. * Tous trois étaient, installés depuis peu dans les tribunes lorsque, à un signal donné. 500 cavaliers rangés eu ligne, ù 800 mètres de là, s'élancèrent à fond de train, comme s'ils eussent-;voulu- prendre les tribunes d'assaut. Les chevaux bondissaient, les burnous volaient, les hommes disparaisLe

disparaisLe de Sidi-Okba.


104 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

saient dans un tourbillon de poussière; les fusils,-successivement déchargés, étaient-lancés en l'air et prestement rattrapés; les speetaleurs, éleelrisés par celle image de la guerre, poussaient des cris d'encouragement et battaicnl des mains. Celte charge d'ensemble terminée, vint le tour des courses où, à ith train d'enfer, les cavaliers se poursuivent et s'entre-croisciil, les jambes droites sur les étricrs, les brides abandonnées, faisant, partir leur fusil, le brandissant, le lançant en l'air, pour lo recevoir plus loin avec une adresse incomparable.

Et quand se termina' ce spectacle extraordinaire, un autre attira les regards de nos deux Parisiens émerveillés : celui de l'escadrille aérienne delà station d'aviation de Biskra, dont les monoplans elles biplans évoluaient gracieusement dans les airs, aux yeux des Indigènes intéressés el ébahis!

Le jour suivant, de bonne heure, la voilure du négociant biskri attendait M. Bernard et Georges à la porte de leur hôtel» Dés que ceux-ci furent prêts, ils prirent place à côté de lpur nouvel ami, qui devait leur servir de guide dans l'excursion à Sidi-Okba. A la sortie de la ville, le véhicule traversa le lit de l'oued Biskra et s'engagea spr la piste conduisant à la cité religieuse. La monotonie du chemin en pays plat et désolé lie fut interrompue que par la rencontre de quelques chameaux et par la poursuite de quelques gamins.. Ceux-ci couraient après la voilure pendant des centiities de mètres et ne s'en 'allaient-contents que si on leur jetait le soldi (sou) qu'ils réclamaient.

Les maisons en pisé de Sidi-Okba avec leurs petites ouvertures et leur terrasse, les rues élroiles, tortueuses cl sales ; tout cela devait rappeler à nos touristes ce qu'ils avaient vu jusqu'ici dans d'aulres villages indigènes. Mais ils furent frappés, en parcourant celui-ià, par le nombre de. mendiants, d'infirmes, et principalement d'aveugles, qu'ils rencontrèrent. En effet, Sidi-Okba est un centre religieux de la plus haute importance, où se donne rendez-vous cette triste population de déshérités du sort, qui y "vît d'aumônes. Le village lire son nom du fameux conquérant, fondateur de Kairouan, qui, vers la fin du vu" siècle, après là mort dé -Mahomet,' vola dé victoire en victoire jusqu'aux rivages de l'Atlantique,


BISKRA,

.SIDI-OKBA.

105

Là, il poussa son cheval à la mer, prenant le ciel à témoin que la terre manquait à ses exploits. De retour vers l'Est, grisé un peu par ses succès, il ne conserva près de lui qiic ;j00 cavaliers. Il fut assailli par une foule-considérable'de Berbères, qui le mirent à mort, non loin delà mosquée où il repose, aujourd'hui. Celle mosquée de Sidi-Okba est le- plus ancien monument de Tlslanisnio en Algérie; elle est

entourée d'un portique' et sa terrasse est soutenue par vingt-six colonnes, dontles chapiteaux, diversement sculptés, sont ornés de peinturés. Sidi-Okba repose dans une koubba (mausolée en forme de dôme), ainsi que l'indique une inscription, la plus ancienne de l'Algérie, lisible sur l'un des piliers supportant cette coupole.

Là visite terminée, nos voyageurs se rendirent chez le cheick de l'endroit. Il leur accorda une large hospitalité, comme il arrive généralement sous un toit, arabe.'Puis ils remontèrent en voiture, désireux de regagner Biskra au plus lot, car do gros nuages noirs obscurcissaient l'horizon. „ « Les pluies dans ce pays sont rares, mais souvent dangereuses, raconta le négociant biskri à M.. Bernard et à son 'neveu", tandis que les premières gouttes tombaient. Je ne

.Mosquée de Sidi-Okba.


tO« A TRAVERS L'ALGERIE.

serais pas étonné que nous ayons, au retour, de la difficulté à franchir l'oued, que nous avons traversé à sec il y a

-quelques heures, ».

Sa prédiction, dc laquelle les Parisiens avaient ri. se réalisa malheureusement. La pluie était tombée avec une telle abondance que l'oued roulait des eaux boueuses et rapides,

'lorsquela voilure se disposa à y pénétrer. Le négociant, par mesure, de prudence, donna ordre à son cocher de s'abslenir. Il eut raison; la force du courant était à ce moment si considérable que chevaux, voiture et promeneurs eussent été entraînés, à la façon d'un indigène téméraire, qui voulut traverser l'oued, malgré les avertissements de ceux qui so trouvaient sur ses rives. Il eut d'abord de l'eau jusqu'aux genoux, puis jusqu'à.la ceinture; parvenu au milieu de la rivière, le courant le renversa et l'emporta, sans qu'on pût répondre à ses appels de secours. Le malheureux luttait en vain, son corps était roulé par les flots; à bout de force, il dut se laisser submerger. Lorsque l'on réussit, un quart d'heure plus tard, à saisir cet imprudent, il avait perdu connaissance, et il fut impossible de le rappeler à la vie.

La pluie cessa enfin, l'oued dégrossit peu à peu, mais la journée était avancée, quand, avec d'infinies précautions, nos voyageurs franchirent la rivière.

« C'est égal, disait M. Bernard à son ami sur l'autre rive, je n'aurais jamais cru qu'en plusieurs heures d'intervalle, un même oued pût présenter deux aspects si différents!

— Vous n'auriez pas cru non plus qu'il était possible de se noyer dans l'oued Biskra; vous êtes, détrompé, et vous le serez bien davantage eu apprenant (pie, chaque année, ces crues subites font-leurs victimes parmi les Indigènes et même parmi les Européens inexpérimentés.

— J'avoue que je serais entré facilement dans l'eau qui me paraissait basse, en dépit du courant contre lequel j'aurais cru pouvoir lutter.

— El vous auriez fait comme deux missionnaires qui ont pensé comme vouê^ il y a trois oit quatre ans : vous y seriez rcslé! »

Deux heures plus tard, nos trois amis oubliaient dans un sommeil réparateur les émotions dc celle journée marquante.


CHAPITRE XVIII

DE BISKRA A CONSTANTIN!-:

Le départ de Biskra. — Le chameau, animal du déserf. — Les diverses espèces de chameaux. — Leur utilité. — llatna. — Les Hauts-Plateaux. — L'alfa. — Son emploi. — L'arrivée à Consiantine.

CE n'est pas sans mélancolie que Georges quitta la jolie pelRe ville de Biskra, où il avait éprouvé des sensations si diverses; mais il était obligé de suivre son oncle, qui devait so rendre à Bougie, via Consiantine. Le jeune garçon, à la portière du wagon qui remmenait vers le Nord, neNpouvait s'arracher à la contemplation do co pays charmant et il se promettait d'y revenir plus tard.

A El Kanlara, il aperçut. le long delà route, une caravane; elle. lui rappela celle des jours précédents, au Sahara. La vue des chameaux lui suggéra des observations, dont i} fit part à son r.nclc :

« Cet animal est bien celui qui convient au désert, mon oncle. Voyez ses pieds : ils sont garnis d'une sorte dc large semelle, qui l'empêche de s'enfoncer dans le sable; sa bosse est une boule de graisse, une réserve sur laquelle il vit, lorsqu'il est obligé de jeûner en traversant les étendues arides. Grâce à son estomac, qui emmagasine do l'eau dans ses nombreux replis, il est capable de résister à la soif pendant une dizaine de jours, quitte au bout de la course à absorber six ou sept seaux d'eau.


10$ A TRAVERS L'ALGERIE.

— Tu pourrais ajouter, continua M. Bernard, que cet animal est aussi remarquable par son endurance que par sa sobriété : j'ai ouï dire qu'un chameau adulte faisait de douze à quinze lieues sans s'arrêter, avec une charge dé plus de trois cents kilos. »

Au point de vue scientifique, en donnant le nom Jo chameau à l'animal qu'ils avaient rencontré dans le déèèrt et qu'ils apercevaient Sur la route d'El.Kanlara, nos deux Parisiens se trompaient :1c nom de chameau convient surtout à l'espèce asiatique portant deux bosses; or, l'espèce nord-africaine n'en porte qu'une, cl l'on doit appeler dromadaires les animaux de celte espèce. H y a deux types de dromadaires : l'un, d'aspect massif, susceptible dp recevoir des fardeaux, le djetnel des Arabes; -l'autre, plus élancé, à la tète moins forte et plus expressive, animal de selle, le méhari. Celui-ci né marche qu'au trot allongé; il peut maintenir cette allure pendant douze heures, parcourant ainsi une distance de 150 à 180 kilomètres. Grâce à sa vitesse, devenue légendaire, on l'a surnommé le « vaisseau -.du désert»;

Outre les services connus que le dromadaire rend comme bêle de transport où de selle, il en rend d'autres plus ignorés et non moins appréciables pour les indigènes iilleur fournit un lait rafraîchissant durant sa vie. cl après sa mort une viande aussi saine cl presque aussi bonne que celle.du boeuf, dont elle diffère surtout par un petit goût musqué. Son poil fin et moelleux sert à la confection des burnous, des hateks (couvertures) et môme des tentes.

En quittant El Kanlara,'nos voyageurs aperçurent dans le lointain, à droite, les montagnes de l'Aurès;'-elles leur remémorèrent leur intéressante excursion. La petite station de Maafa leur fit penser au deïra Belaïd; ils regrettèrent de. ne pas lui avoir adressé une carte de Biskra pour lui annoncer leur passage a Batna. 'L'amusant cavalier, à peu près rétabli dp sa chute, n'eût pas manqué alors de venir saluer le généreux négociant cl son neveu; C'est à peine si le train s'arrôta une dizaine de minutes dans celte petile sous-préfecture do 6000 habitants. Elle est enlouréo de murs à meurtrières et : -commande à la fois rentrée do .l'Aurès'cl collé de la vallée


DE BISKRA A CONSTANTINE, 109

conduisant à Biskra etau désert. Située à plus de 1000 mètres d'altitude, Bailla connaît eii hiver les températures au-dessous dé 0, et en èlé le thermomètre marque souvent 10" à l'ombre;' Tel eslie climat.extrême des Ilauls-Plateaitx, la région que nos voyageurs allaient traverser jusqu'à Consiantine.

La planté caractéristique des llauts-PIaleanx est l'alfa, comme le diss et le drinii sont lés plantes'.caractéristiques dti Tell cl du Sahara. Bien qite particulièrement nombreux dans les Hauts-Plateaux Orahais, les peuplements d'alfa se rencontrent aussi dans la (province de.. .Consiantine : dans la région ouest el sud de Sétîf et sur les èontreforls inférieurs de l'Aurès (environs de Batna). De là, ils se continuent par Tébessa jusqu'en Tunisie. L'alfa se présente sous l'aspect de touffes de feuilles, plates ait début, s'enrbulanl sous l'influence dc la sécheresse, par leurs bords, de manière à prendre la forme d'un cylindre. C'est à ce moment seulement qu'il convient de les recoller. Détachées'd'un coup sec, elles sont réunies en petites bottes appelées nianoques.; séchées,- puis remises à nouveau en bottes pi .s volumineuses.

On utilise l'alfa : 1° à l'étal naturel, ou simplement blauchi ou teint, pourla confection des nattes, desconfuns(paniers), des balais, des chaussures, etc. ; 2° après rouissage et peignage, pour la fabrication des' cordes, des tapis, des rideaux, etc.; 3" après dissociation des fibres parles produits chimiques, pour la fabrication du papier.

A quelques stations de .Batna', près d'Aïn-Yagoul, les deux Parisiens, se souvenant des instructions du conservateur du musée dé Timgad, cherchèrent et aperçurent à plusieurs kilomètres de distance le fameux monument du* Madracen, dont là description lés avait si fort intéressés. Ils entrèrent alors dans une région couverte de lacs salés, analogues à ceux qu'ils avaient vus sur le trajet d'Aïu-Beïda à Khenchela. A El Gucrrah, où la ligne de Biskra s'embranche sur celle d'Alger à Consiantine, nos voyageurs durent changer dé train. Une heure 'plus.tard,' eu plein après-midi, ils atteignaient Cbnstantine.


CHAPITRE XIX

L'ARRIVÉE A CONSTANTINE

C!rla. — Sa situation. — Une rencontre imprévue, — Le pont d'I.CI Kanlara. — Le Rhumel. — Le pont suspend» de SidiMcld. — Les cascades. — Le rocher du Sac,. — Un boulevard'aérien. — Coup d'o>il d'ensemble sur la ville. — L'importance de Consiantine. — Le pont dc Sidi-Hachod. La visite aust Gorges. — La roule de laCorniche.

ÛVR n'a-l-bn pas écrit sur cette ville, Cirta, la forteressede . Rbme? Au ivc siècle, l'empereur Constantin lui donna son nom; les Arabes devaient lé lui maintenir. Bàlié en forme de trapèze sur une table de rochers doucement inclinée, dont la partie septentrionale s'élève à 610 mètres dc hauteur, tandis que la pointe méridionale esta..lit) mètres plus bas, Consiantine, suivant ie langage expressif dès Indigènes, ressemble à un biirnpUs déployé; la Casbah (citadelle) en est le capuchon. Deux des quatre faces du trapèze (faces Sud-Est cl Nord-Esl) sont coupées .en falaise àu-dcssùs du Rhumel; là face du Nord-ÔUest est également à pic; seule , la face du Sud-Ouest esl rattachée au territoire qui l'environne par un isthme étroit. C'est sur ce gigantesque piédestal, qui mesuip dans là plus grande diagonale un kilomètre et dàiis la moindre Ï00 mètrêS.quc Consianlihe est perchée, telle un nid d'aigle! "

M. Bernard et son neveu n'eurent pas le temps d'admirer dé la gare le curieux spectacle que leur offrait la ville arabe s'étendant sous leurs yeux; la voiture do l'hôtel les monta


Cl. XeurdeiiiVue

XeurdeiiiVue de Constanlinc.


It2 A TRAVERS L'ALGERIE.

immédialemenl en ville, C'est à peine s'ils entrevirent;.en le franchissant sur un pont, le ravin, profond parfois de %)i) mètres, que découpe le-Rhumel dans les blocs de rochers. A l'hôtel, une de ces surprisés assez fréquentes en voyage les attendait : ht première personne qu'ils-rencontrèrent fut un Parisien de leur quartier, commis voyageur de profession, qui s'offrit à ies promener daiis Conslanline : '« Un brin de toilette, et nous sommes à vous », répondit M. Bernard, heureux de la rencontre. Quelques minutes plus tard, les trois Parisiens se relrouvaiont dans là rue et déambulaient joyeux dans, la direction du faubourg d'El Kaiitara, sous la conduite du commis voyageur.

«Je veux, leur dit-il, vous montrer les ponls^— les Conslatitînois eu sont à juste tiIre très fiers — et vous donner un coup d'oeil d'ensemble sur la ville. Lie plus ancien des ponts est celui d'El Kanlara; vous êles passés dessus en venant de la gare. H a élé construit en 1805 Sur l'emplacement d'un pont'romain, dont on voit encore les ruines. Nous y sommes », fit-il en désignant une porte des anciens remparts. Derrière elle, le pont commençait. C'est une hardie construction en fonte; l'arcade principale, de 58 mètres de portée, est jetée à plus de 100 mètres au-dessus du torrent, c Voyez à droite ce gouffre béant, du fond duquel montelé murmuré des eaux », indiqua le commis Voyageur à ses amis. Us se penchèrent frissonnants et ne purent relenir.ee cri d'admiration : Que c'esl beau! Après qu'il leur eut laissé le loisir de contempler cet impressionnant spectacle naturel, le guidé improvisé les attira vers l'autre parapet; il leur fit constater la d isparilibn du Rhumel sous une Voûte de rochers, recouverte de verdure; 300 mètres plus loin, le torrent réapparaissait et Continuait jusque dans la plaine, entre les -hauts rochers à pic

De ce côlé se trouve la pointe nord de la ville. C'esl l'endroit où, en 1012, la falaise de la rivé gauche a été réunie aux âpres escarpements do ïa rive droite (pointe du SidîMcid) par un pont suspendu à 178 mètres au-dessus du gouffre. Cette oeuvre audacieuse excita l'admiration- de M. Bernard el de son neveu, comme elle excite celle de tous les touristes; ils demandèrent à leur ami de leur faire fran-


-L'ARRIVÉE A CONSTANTIN!-:. 113

chir ce pont; Abandonnant la première idée qu'il avait eue de traverser le pont d'El Kanlara, celui-ci les conduisit au pont do Sidi-Mcid, De là, les promeneurs dominèrent les imposantes cascades formées par les eaux du Rhumel qui chutent..dans la vallée; ils virent la plaine verdoyante parseniée do moulins et de maisonnettes el rayée dc routes blanches aux brusques lacets. Le commis voyageur leur montra du doigt le fameux « , ..cher du. Sac"'»; dc son soinmel le bey faisait précipiter, cousus dans un sac, les épouses ou les esclaves dont il voulait se débarrasser. Très pu courant des projets conslantinois, le voyageur indiqua à ses amis l'emplacement du futur boulevard qui, suspendu en partie dahs le vide, contournera bientôt la ville.

En quittant le pont, il les entraîna, par une forêt de pins superbes, vers les .escarpements ombragés du plateau du Mansourah. De ce plateau leur vue embrassa Consiantine. A leurs pieds s'étendail le faubourg d'il Hanta ra, qui s'est nouvellement développé aux alentours de la gare; plus loin, de l'autre .côtédu ravin, la ville arabe, dont les maisons blanches surplombent le gouffre et vont s'élageant jusque dans là ville française, où elles se perdent. Dominant le tout : la Kasbalil... Vers l'Ouest, les quartiers modernes du Cbudiat, de Saint-Jean, de Bellevuc (habitations à bon marché), qui communiquent dp plain-pied avec le coeur de la ville;

« Je ne soupçonnais pas que Constanline eût une pareille importance, déclara M. Bernard à ce spectacle.

— Grâce à sa situation inlerniédiairc entre les HautsPlàteaux cl lo Tell, Consiantine est un centre agricole et commercial do premier ordre, dit lo commis voyageur. Cette Ville est en pleine prospérité; elle compte 60000 habitants el vient au troisième rang des villes d'Algérie (après Alger et Oran) pour ..l'importance de la population. Begardcz à l'exmité de la ville arabe : vous apercevez un grand pont, le pont de Sidi-Rached, construit à la pointe du rocher de Ce nom; ce pont (à coûté à la colonie deux millions. Eh bien! croyez-Voiis que si, ht'nécessité no s'en était pas fait sentir, on eût consenti volontiers à une dépensa aussi considérable? Le Commerce s'est tplleinetit développé dans celle région

^ TR^VEHS l.'Al.OKBll., - S


114 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

que le pont d'El Kantarà et la rue Nationale, les seules voies , de communication entre la ville el la gare, étaient .encombrés;, par les voilures elles chargements de toutes sortes; une seconde voie de communication entre ces deux points devenait absolument nécessaire. Elle a été ouverte àla circulation en 1911,après l'achèvement dupont de Sidi-Racîied.»

Ce politique les trois amis empruntèrent pour rentrer èh ville, est, dans son genre, une oeuvre -non moins hardie et plus remarquable peut-être que pont suspendu de;Sùli^ Mctd. C'est un viaduc eh maçonnerie dp 12 mètres delajgc et de 117 mètres delong; il comprend 27 arches, dont une dé 30 mètres et une de 70 métrés. ' ( (( >

«J'avais bien remarqué stlr Y Illustration la ..photographie.,"' de ce viaduc, dit Georges en arrivant au bout, maisje ne me l'étais pas figuré de proportions aussi respectables! »

Le Voyage en chemin dc for et fo promenade pu Mansourah : avaient TatiguéToncle et le neveu: Us se mirent au lit, ce soir-là, dès qu'ils curent dîné. Le réveil devait sonner assez tôt pour eux lé lendemain,.car, SUiv le conseil delëuràniî, ils avaient résolu de visiter les gorges dûRIiumet ; <r Ayant: de s'engager dans l'étrbite gorgé qui a dpnhé sa force; mili-/ tàircà la « citéaéricnhe », le Rliumelou « Rivière des sables» s'est uni au Bou, Merzoiig ou ; (< Rivière qui féconde »; Le passage est soudain de la vallée lumineuse àla noire allée de rochers. Le torrent, brusquement rétréci, passe sous l'arcade du « Pont du Diable », a proximité dé la pointe dé; Sidi-Bachcd, et s'enfuit dans la gorge: sinueuse 1, » Ce fût par là que nos visiteurs pénétrèrent, dans le ravin,/Ils suivirent le « Chemin des Touristes » tracé au pied des parois abruptes, qui abritent dans leurs ànfractuosiïès dés milliers de corbeaux et dé pigeons; ils longèrent lo lit'du fleuve, où grondenl des eaux jaunâtres emportées par un Courant rapide. Parfois ces eauX réssautaient, écuniantés, de pierre en pierre, et reprenaient ensuite leur cours torrentueux. Us passèrent à proximité d'un établissement de bains, d'un Hammam, dont les indigènes apprécient beaucoup lés sources chaudes: lis virent les vestiges de l'ancien pont

I. Elisée Reclus.


Les gorges du Hhuriiel.

'et. /.tt'y.


110

A TRAVERS L'ALGÉRIE.

romain, qui subsista jusqu'en 1803, et fut remplacé parle pont d'El Kaiitara. Au-dessous de ce pont se trouve une ' voûte naturelle très élevée ; le Rhumel l'utilise; comme lui nos touristes s'engagèrent dans ce tunnel. Après cette 'voûte,- une seconde.... Enfin, iine arcade isolée, ogive d'une étonuantp régularité de formé, que Georges photographia. Ausortir del'arcade; '.la déchirure dusol offre son caractère

lé plus grandiose; lés ihuraillbs, diversement colorées et çà et là surplombantes, sp dressent à 200 mètres de hauteur, portant dés constructions au sommet Le torrent sb divise en plusieurs bras entré les pierres,; el,àrriVé a Tissùc de celtp noire allée de roches, plonge dans la vallée inférieure par les cascades dont nous avons déjà parlé. . '

Nos promeneurs remontèrent de la'gorgé à Cet endroit; parles escaliers du Chemin des Touristes, ils gagnèrent la route dc la Corniche. Cptlerqùle est audacieuscmônt située au bprd du ravin, que parfois elle domine, ou difficilement .'établie dans les rochers, qu'elle traverse par des tunnels. Lès rochers fournissent aux cntrc'prcneurs d'excellents

Cohstâniine. "--T Là roulé de là Corniche,


I. ARRIVEE A CONSTANTIN!:.

117

matériâux dccoh.slriicU.6ii. On fait sauter les blocs au moyen de poudre. Celle cireoiislance indisposa M. Bernard et Georges. Fatigués et mis.eh appétit par leur promenade, ils .-avaient hûlc'dc rentrera l'hôtel ; pendant plusieurs minutes, qui leur parurent bien longues, on les obligea à attendre l'explosion do « mines », avant de les laisser continuer leur chemin.


CHAPITRE XX

CONSTANTINE. - UN PEU D'HISTOIRE

Lamoriciêrn et la prise de Consiantine. — Un musée en plein air, — L'Hôtel de Ville: ses marbres et ses tableaux.

IA forte position de Consiantine en fait une citadelle, dont À les conquérants se sont disputé la possession au cours des siècles. Par deux fois, les ""Français l'assiégèrent, en 1836 et en 1837. La première expédition, entreprise au commencement de l'hiver avec des forces insuffisantes, se termina par une retraite désastreuse; la seconde, par un assaut triomphal, Georges trouva le récit délaillé de cet assaut dans le livre que lui avait donné le professeur du collège de Bône. H lut l'article consacré au général Lamoricière, qui a sa statue sur l'une des places de Consiantine.

LAMORIClivRK

« De taille moyenne, plutôt pelil, large d'épaules et même un peu trapu, le visage coupé par d'épaisses moustaches noires et éclairé par des yeux charmants, à la fois profonds et pétillants d'esprit, le Breton Lamoricièrc donnait, au premier conlacl, le sentiment de sa supériorité.

« Sorli de l'Ecole Polytechnique dans les premiers


UN PEU D'HISTOIRE.

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numéros, il avait assisté à la prise d'Alger comme lieutenant du génie; il était entré aussitôt dans l'infanterie et avait organisé le corps des zouaves. Celui-ci, créé en 1830 parle général. Ctauzcl, se composa au début d'indigènes mercenaires de la tribu des Zouaotta (Kabylie), encadrés dans des troupes françaises. C'est cil qualité de lieutcnaul-coloncl de zouaves que Lamoricièrc participa, en 1837, à la seconde

expédition contre Consiantine. Le général de Damrénibnt la commandait; àlui revenait l'honneur de venger l'échec de l'année précédente.

« L'armée française, fortcd'environlOOÛO hommes, arriva le.G octobre sur le plateau du Mansourah. De là, elle regarda avec étonnemenl la pittoresque cité de Consiantine, accrochée à son rocher comme un nid d'aigle cl entourée dé son profond ravin aux parois gigantesques. Dé nombreux drapeaux turcs,

tout rouges, flottaient sur ville. Pendant que la reconnaissance de la place so poursuivait méthodiquement, l'ennemi nous accueillait par des cris féroces et un feu bien nourri. On ne pouvait s'emparer dc Consiantine que par un point : le mamelon du Coudiat Aty (situé à l'opposé du plateau du Mansourah). Une partie des troupes allèrent y camper le jour môme; mais une tempête affreuse empocha, quarante-huit heures durant, d'y établir des canons.

« Le 8 octobre une sortie des assiégés fut énergiquemeul repousséc. La nuit du 8. nu 0 fut épouvantable : une pluie ballante tomba sans discontinuer, un froid de loup engourdit les troupes. Sans abri, sans feu, sans autre hburrilure que du biscuit dur comme la pierre, iios soldats tombaient

Le général Lamoricière.


130 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

malades et encombraichl les ambulances; quelques hommesmôme mouraient aux faisceaux, Pour ne pas s'endormir dans la boue où ils pataugaient à mî-jambe, les uns se

fabriquaient des litières avec des tas de cailloux, lés

autres se faufilaient dans les cimetières et se blolliSsaicnlsous les voûtes des tombeaux.

«Là nuit du 9 au 10 fut consacrée au transport surle Coudiat Aty dp l'artillerie do siège restée au plateau du Mansourah.

« Le 10, les assiégés effectuèrent une nouvelle sortie, repoussée en peu d'instants. (;

« Lé 11, là batterie dé brèche ouvrit son feu à 330 mètres dc la place contre le mur d'enceinte et les deux portes murées donnant sur le CoUdiài; le feu continua toute la nuit, puis la batterie fui armée à 120 mètres du rempart" (

« Le 12, le général Daniréinonl se rend à la tranchée pour examiner les travaux. A peine cpmmencé-t-ilà( regarder avec la lunette qu'un (boulet, parti de la placé, l'atteint: au-dessous du coeUr cl sort par le dos. Illombc mbrl sur placé « frappé comme TureHne, à l'aube "d'un,. triomphé ? »; Le général Pérégaux, 'sou chef d'èlàt-maj or, se pénche sur lui pour le secourir; il reçoit une balle qui lûi/laboùrp les (fosses nasales el la gorge,lui faisant une blessure hideuse; dont il mourut huit jours après. ■((;■:"'-('/(( ;

« Le général Valéc, doyen des généraux assistant au siège, prend alors lo commandement à la place de Damrémont, mort au champ d'honneur. Pendant la journée du 12,-du malin au soir, lé rempart est battu par l'artillerie; à la tombée de la nuit, la brèche est faite. L'assaut est annoncé pour le lendemain. Trois colonnes y prendront part : la preniière, commandée par Lamoricière, comprendra les zouayes; tes deux autres, respectivement Commandées par lés colonels Combes et Corbin, se composeront' surtout d'infanterie métropolitaine.

« Le 13- octobre, à trois heures et demie du matin, la première colonne d'assaul est à Son poste. Avant de placer

I. Une pyramide cominémorative à t\à élevée à l'endroit où Damrèmont.- ful frappé mortellement.


UN PEU D'HISTOIRE.

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entre ses mains le sort dc l'armée et l'honneur du drapeau, le général Valéc a appelé le lieutenant-colonel Lamoricière et lui a dit :

» — Si la moitié de vos hommes lombenlsur la brèche, «les autres tiendront-ils?

- « — J'en réponds, riposte Lamoricière. A dix heures, nous « serons maîtres de la ville ou nous serons mbrls. La retraite

« est impossible, la première colonne d'assaut, du moins, «n'y sera pas. »

« Peïi avant que le signal de l'assaut soit donné, el tandis que les assiégeants tirent leurs derniers boulets, le capitaine Le Flo, un .'«' pays » de Lamoricière, qui faisait également partie de la première colonne, dit à son colonel :

« Ça Va rudement chauffer, sais-tu; et c'est bien de voir «ainsi la petite Bretagne au premier rang. — Ma foi, répond « Lahioricièrc, si l'on m'assurait que dans un quart d'heure « j'auiais" la lôte cassée, et qu'il fût encore possible de « s'abstenir honorablement, je dirais: Va pour la tôle «cassée, et j'irais tout dc même! »

(La pjiseâc/^ de Versailles.


I?2 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

« Vers sopl heures et demie le général Valéc donne l'ordre- d'attaquer; Lamoricière s'élance nu pas do:course, entraînant ses hommes par son exemple. Sous les yeux de l'armée entière, ces braves s'engagent dans le chaos do débris et do ruines formé par les décombres, abattent le drapeau turc et arborent à sa place le drapeau tricolore; puis ils s'engouffrent derrière |ps remparts. .Immédiatement, do tous côtés, de chaque fenêtre dés taudis arabes, les fusils partent; nos soldais, s'égarant dans les rues, les impasses et lesculs-dc-sac, sont tués sans arrêt etsanspilié. Un fourneau de mine éclate sous les pieds dc Lamoricière et le lance en l'air: il retombe vivant, mais brûlé, et est enseveli sous une maison écroulée.

« Tout à coup, le cri « A la baïonnette! » retentit. C'est le colonel Combes qui accourt avec la deuxième colonne d'assaul; il reçoit quelques instants plus tard deux balles en pleine poitrine! De toutes parts, les combattants indigènes s'enfuient vers la casbah; un certain nombre essayent de se laisser dévaler en grappes" dans le ravin ouvert à leurs pieds, mais les cordes se brisent el les cadavres s'entassent à la base du rocher en pyramides sanglantes; les plus raisonnables envoient un émissaire annonçant leur capitulation. Consiantine nous appartient!

«. Cependant Lamoricière, brûlé el blessé, était arraché aux décombres fumants; sa belle conduite lui valut le grade de colonel. Dans la suite, d'autres actions d'éclat le firent nommer général. Mais ce n'est pas sous cet aspect qu'il est reslé populaire. On ne se représente pas Lamoriciôrc autrement vêtu que d'une tunique sans insignes de grade, le corps entouré d'une large ceinture rouge, la tête coiffée . d'une chéchia (ce qui lui avait fait donner par les Arabes le surnom de Bon Chéchia; ils l'appelaient aussi Bou Arraoua, «l'homme au-bàton », parce qu'il'ne sortait jamais sans sa canne). »

Quand Georges termina sa lecture, M. Bernard finissait sa correspondance, à laquelle il s'était mis après le déjeuner. L'oncle et le neveu se rendirent à la Poste el de là dans les deux squares voisins. Le premier les frappa par la grande


UN PEU D'HISTOIRE, l?3

variété de sa végétation el ses allées ombragées. Au milieu d'un massif de fleurs ils virent la statue du général Valéc, qui prit Consiantine. Le second square, celui do la République, en dépit de son nom, est plutôt un mitsée en plein air sur une promenade plantée d'arbres qu'un jardin public. Ils y remarquèrent une riche collection archéologique formée de statues romaines; do bustes, d'amphores, de pierres tombales, etc., recueillis à Constanline et dans les environs. Ayant aperçu devant eux un grand monument qui dominait la falaise nord-ouest, les deux Parisiens se dirigèrent dé ce côté. Us entrèrent à l'hôtel de ville, où ils s'extasièrent devant la beauté el la diversité des marbres des colonnes et des escaliers. Us s'informèrent du lieu de leur origine : on leur apprjt qu'ils provenaient des carrières d'Aïn-Smara, un village voisin de Constanline. On leur dit aussi que les marbres étaient communs dans la province. Les gisements les plus célèbres sont ceux dc Fiifila, près .do Philippevillé; leurs couches, très épaisses, s'étendent sur une grande superficie. Après avoir visité la grande salle des fêtes, décorée par les tableaux des meilleurs peintres de l'Algérie, M. Bernard et Georges quittèrent le superbe hôtel de ville pour se rendre dans les quartiers arabes.


CUA1MTHB XX t

PROMENÀDHS^A TRAVERS- CONSTÀNTINE

Le mélange ; des races, — Les Européens. — Les Indigènes,. -- Un iraitd'union entré les! Indigènes : rislninisme. ^-MBhomel, — Le Coran et ses préceptes. ^L'Algérie sous les dominations araùe et tùrque,>- La visite de la Grande Mosquée.''— Les ministres du culle musulman, — Les confréries religieuses.

EN traversant la place de la Brèche, ainsi nommée parce qu'elle marque l'endroit où les carions français percèrent les remparts de la ville lors du siège île 1837, les deux Parisiens s'entendirent rappeler derrière eux; Ayant tourné la tête, ils aperçurent à terrasse d'un café leur ami, le commis voyageur. Il les invita > à s'asseoir près 'de lui. s--...'-.;;,;/-■'■ /.■"■';-';-■ ■•;'■-;■.

De cette terrasse, ils purênÇ joïiir à leur aisé du spectacle curieux qu'offre la place de la Brèche, le rond-point constantinois. C'est là que défilent incessamment tous les genres de véhicules, deTàritiquë diligence"à l'automobile derhier/ modèle, et que'se jenc6i>irenV

plus'diversesparl'qngiriè^ la[! reli^ioni le;jan^|^ et lès; moeurs^ Sur unie population d^6^ compte à peu prè^ adulant â'Eùrè

,, ï. Sur,une'^

700 000 Européens et 4M0b0p-iridigènes,(^

nombreux que <*ux-là). Dans là province dé Constantine; Vîyçnfà:peu près

2 millipris d'indigènes} c'est la pluspeupléç'.des'trôis.:;;:;-/:'■■■'■• :;:<^';v--r.''.^_


'-PROMENADES A TRAVERS CpxNSTANTlNK. 125

Parmi les Européens dominent les Français, en majeure partie Méridionaux ou Corses; mais on y trouve, comme dans toute la province, des Italiens, des Maltais et quelques Espagnols,

. Lès Indigènes appartiennent à deux racos bien distinctes : la race berbère, la race arabe. Les Berbères, nous l'avons déjà dit en parlant des Chaouïas de TAurès, sont les descendants des premiers habitants du pays, dont ils ont conservé la langue. Les plus connus d'entre eux, les Kabyles, ne diffèrent guère comme type des Européens du Midi; souvent même, ils s'affublent de nos vieux vêtements et ils se contentent de porter la chéchia, sans le turban. Les Kabyles sont travailleurs et Apres au gain, Bien que sédentaires (ils sont généralement agriculteurs), ils n'hésitent pas, pour gagner leur vie, à quitter les montagnes de leur pays et à se .mettre au service des colpns et des viticulteurs. Bon nombre d'entre eux viennent dans les villes, où ils excrecul les métiers les plus divers. Il faut les voir, avec leur boîte à cirer sur le dos, accourir nombreux au-devantde vous, en criant ; ,

<( Ciri, Mossié! »

« La crème jaune, patron? »

« Comjne la glace, j'ti jure. >>

Ou, le couffjn à la main,-se précipiter à la rencontre des jiîénàgèrés qui vont au marché ;

«3'îi porte, Madame? » , « J'ti fais les commissions !»

Et quand ils discutent entre eux : que de crisl que dé gCStesl v:" ■' -.'_.;.-'

; Quéïqùes-uns sont colporteurs et parcourent les diverses régions do l'Àlgéri&èt de la Tunisie; ils franchissent même jai hier pour alleryëiidre en France et en Europe ; les produits de leur iiidusirie : armes, bijoux, lapis. : ■ Les Mozabiteè sont d'autres Berbères de la région du Mzab, au Sudi. dés Provinces* d'Alger et de Constantine. Dé -'.- même que les Kabyles, - ils sont travailleurs et âpres au îgàin; dé mônïe qu'eux, ilà quittent sotivent leur pays et; vieifncntis^iiistaller dans le Tçïl et sur les Hauts-Plateaux, ; en; tjuajitô d'épiciers* de bottç|içrs, de marchands


m A TRAVERS L'ALGÉRIE.

légumes, oie. Conimc ils sont intelligents(presque tous savent lire et écrire, et parlent, cri plus du dialecte berbère, l'arabe"et le français), ils ramassent vite un petit pécule avec lequel ils retournent au Mzab. Y corn pris les Çhàoift'as de l'Aurès cl les Touaregs du Sahara, les Berbères sont en Algérie >'i millions, Ils sont plus nombreux que les Arabes, descendants des anciens co.njuéranls de l'Afrique, dont nous avons fail le portrait à notre première rencontre avec eux, au marché de Giiclma, Les Arabes citadins portent plus particulièrement le nom de Maures.

Le trait d'union enlre tous ces indigènes est l'Islamisme, la religion musulmane, fondée par Mahomet. Mohammed, comme ils disent, Ce Mohammed naquit à la Mecque, en 5"! après J.-C. Orphelin de bonne heure, il fut élevé par son -grand-père et par un oncle. Ceux-ci,voulurent faire do lui un marchand et remmenèrent dans plusieurs voyages,, au cours desquels il s"intruisil. A l'âge de vingt-cinq ans, il se maria avec une riche veuve appelée Kadiiija. Tout en continuant à exercer sa profession, il se livra avec ardeur à des méditations religieuses et finit par se poser publiquement en prophète, à la Mecque, sa ville natale, 11 no recueillit que des railleries, et même des mauvais traitements, et fut banni pendant trois ans par ses concitoyens. En 022, il fut obligé de s'enfuir à Médinc, où la religion qu'il professait avait recruté beaucoup d'adeptes. Cette fuite est connue sous le nom d'/Mj/re; c'est de la même a,onée que date l'ère musulmane. Plus tard, le Prophète obtint de revenir en pèlerinage à la Mecque. Il mourut à Médinc en 032, la dixième année de l'hégire.

La doctrine de Mohammed est renfermée dans le Coran. Le Coran n'est pas sculementun livre religieux, comme on serait tenté de le croire; le mot « Coran » signifie au sens propre « lecture », et par extension « lecture par excellence », ainsi que dans le même sens nous appelons Bible (livre) l'Ancien Testament. Beaucoup de musulmans croient que le Coran, tiré du Grand livre des décrets divins, est^ tombé du ciel feuille par feuille, verset par verset; ou du moins que ces feuilles et ces vcrscls ont été apportés à Mohammed par l'ange Gabriel, envoyé d'Allah. Le Coran


; Conil^ntïne, |^; Rue* Na),iôliâîe ;êl |à"Grande/ Mo§q.uééï

*"Çf;-;£?çyv


tas A TRAVERS L'ALGÉRIE.

est simplement l'oeuvre judicieuse et pratique de Mohammed. A côté de prescription* religieuses comme celle de la prière, qui doit être dite cinq fois par jour, du jeûne du Jiamadan ', du pèlerinage à la Mecque, le Prophète a mis des prescriptions hygiéniques, comme celle des ablutions ou la défense de manger de la viande de porc et d'absorber des boissons alcooliques, dont il avait reconnu les pernicieux effets sous le climat chaud de l'Afrique. Lo Coran contient encore d'excellents préceptes moraux sur la pratique des vertus. Il est enfin le Code civil, criminel, politique et militaire des musulmans, dont il guide les actes. Ce livre est l'objet des hommages de tous les fidèles de l'Islam; on l'enseigne dans les écoles; c'est sur lui que se prêtent les serments solennels. Les musulmans se font un devoir d'en apprendre par coeur et d'en réciter souvent les versets (on en compte plus de 1300), quelquefois sans les comprendre. La, formule : « Li Allah, alla Allah, Mohammed Rassoul Allah » (Dieu esl .Dieu, et Mahomet esl son prophète), que le muezzin chante du haut de la mosquée à Iheure de la prière, constitue lo dogme de la religion islamique. Tous ses adeptes, sont des fatalistes convaincus et irréductibles; ils se figurent que leur destinôc,est marquée à l'avance et traduisent celto opinion par le fameux Mekloub (C'est écrit), qu'ils répètent dans les grandes circonstances'do-la vie, heureuses ou malheureuses.

Après la mort de Mohammed, le fanatisme des Arabes les poussa à conquérir le monde :~plusieurs do leurs bandes envahirent l'Afrique du Nord (vu' siècle). Le pays, malgré la résistance des Berbères, ne larda pas à devenir musulman. Bientôt les Arabes et les Berbères s'emparèrent de l'Espagne» et pénétrèrent mônfe jusqu'en Gaule, où Charles Mattel les arrêta à Poitiers (732). Au xc siècle, l'accord des Arabes el t}es Berbères fut définitivement brisé; ces derniers créèrent en Afrique un grand nombre de petites royautés indépendantes. Leur domination se trouva brusquement interrompue

»

I. Neuvième mois de l'année lunaire, pondaiil^loquel les musulmans ne dohent ni manger, ni boire, ni fumer, dii'lever au coucher du soleil. Le jeûne» du Ramadan est surtout difficile à obserter lorsqu'il tombe à l'époque brûlante de l'été,


-■Cl, Xt'urtfçirï,

Gonstontino* —-■ .Intérieur de îa Grande Jtf osçuéo.


130 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

au siècle suivant par une nouvelle invasion d'Arabes, féroces, pillards, qui détruisirent tout sur leur passage, A partir de ce moment, l'Algérie fut livrée à l'anarchie. La férule des Turcs, sous laquelle elle tomba au xvic siècle, lui devînt à ce point funeste, qu'elle était complètement ruinée, lorsque la France en commença la conquête, en 1830,

Celle digression sur lés races indigènes et sur la religion musulmane nous a fait un peu oublier M. Bernard, Georges et leur ami, lo voyageur. Tous trois n'avaient pas lardé à quitter lo café, où nous les ayons vus assis il y a quelques instants. Tandis que le voyageur vaquait à ses occupations, le négociant et son neveu, accompagnés d'un guide indigène, commençaient leur excursion à la ville arabe par la visite dé la Grande Mosquée. Comme toutes les mosquées,, celle-ci possède des coupoles et une tour élevée, appelée minaret, du haut de laquelle le muezzin invite les fidèles à là prière. Après avoir, franchi une avant-cour où se trouvait une fontaine pour les ablutions, nos Parisiens durent, avant de pénétrer dans le temple, chausser des sandales par-dëssus leurs bottines, pour ne pas profaner lo lieu saint (les Indigènes quittent leurs babouches). A l'intérieur,-'ils remarquèrent quelques arabesques et des préceptes du Coran, inhabilemont tracés sur les murs; des lanternes aux verres multicolores pendaient, accrochées au plafond; le sol était couvert de riches lapis, sur lesquels des musulmans, agenouillés, priaient, le regard dirigé vers une sorte de niche, qui intriguait beaucoup Georges. Le jeune garçon - interrogea lo guide cl en obtint la réponse suivante : « Cette niche, ou mihràb, commune à toutes les mosquées, indique la direction de la Mecque, et c'est la place qu'occupe rimait ou le marabout, pendant les exercices religieux;

— ÂVez-vous; com'»e"nous un jour spécial pour. la'célébra-. Mon de vosoffiecs? interrogea Mi Bernard. '-/■.••'.'-'.- -^'f'

--Oui, monsieur, le vendredi! Ce jour-hYTinian monte, sur l'estrade que vous voyez à droite du mihrab (il lui désignait une chaise" magnifique en bois sculpté, le minbar) et il adresse la parole atis fi Jèles.»» r , - ^ „ ;

; À la sortie de la mosquée, Georges voulut avoir des explications sur les mots d'iinan cl do marabout que lé guide


PROMENADES A TRAVERS CONSTANTINE. 131

avait employés devant lui. Il comprenait bien qu'il s'agissait là do prôlres, mais il désirait connaître la différence qu'il y avait entre eux. L'indigène ne sut pas l'établir. Si quelqu'un au courant des questions religieuses do l'Algérie se fut trouvé là, il aurait expliqué que le inuphti (sorte d'évêque) et Yinian (sorte do curé) étaient désignés'et payés par le gouvernement français, tandis que lo marabout est une manière de prêtre indépendant, descendant en.'.général d'anciennes familles, dont la généalogie remonte très loin dans le passé, Le marabout vil de redevances ou d'aumônes que lui apportent régulièrement les fidèles et réside toujours à côté de lieux sacrés qui attirent les pèlerins. On leur eût dit encore que beaucoup d'indigènes étaient affiliés à des confréries, en qualité de khouuns, et se réunissaient dans dos locaux spéciaux appelés zaouïas, ou ils faisaient leurs prières et se livraient à dos pratiques mystiques.


CHAPITRE X\II

CONSTANTIN^. - MOEURS ET COUTUMES

Les fêtes religieuses indigènes. — Les félrs familiales. — La naissance. "— Le mariage. — La .Médersa. — L'enseignement des indigènes, —

Kcoles publiques. -^ Écoles privées. —. Un enterrement arabe. — Hor-,

ribles pratiques dis TremHeurs et des Atssaouas.

I^N quittant la Grande Mosquée, lo guide annonça à J M. Bernard et à Georges qu'il les eonduisaità la Médersa, ou École d'enseignement supérieur indigène. Comme il était assez naturel à la sortie d'un temple, les deux Parisiens parlèrent, chemin faisant, de religionct s'informèrent auprès do leur cicérone des fêtes célébrées par les Musulmans. Ils apprirent ainsi qu'il existait pour eux deux catégories de fêtes : les fêtes religieuses et les fêtes familiales, >

Parmi les fêtes religieuses, il leur cita ; 1° celle d'Achoura (jour de l'an). Ce jour-là, Jcs lois sacrées recommandent aux riches de donner aux pauvres, une aumône, connue sous le nom de Zekkal, proportionnée à leur fortune ; 2° la fête d'Aïdel-Kébir"(grande fête), dite aussi d'Aïd tiba (fêle du sacrifice), Elle est célébrée en souvenir dé Sidi-Braliiin-El-Khalil (Abraham), que les ; Arabes considèrent' comme lé père de leur race. Pour obéir aux ordres du Seigneur, Abraham se disposait à lui offrir en sacrifice son fils chéri Isaac. Dieu, satisfait de l'épreuve, substitua un bélier à Isaaç, au moment où Abraham donnaitlo coup de couUauroorteL.À l'occasion


MOEURS ET COUTUMES, 133

do celle fêle,- qui dure trois jours, les Musulmans récitent des prières dans les Mosquées et immolent un, doux cl jusqu'iV trois moutons, suivant leur fortune; dans certaines régions mémo, ils tuent des boeufs et des chameaux, Ceux qui sont à la Mecque ce jour-là égorgent les bêles au sommet du mont Arrafalo, sur lequel, d'après eux, se serait arrêtée l'arche de Noé à la suite du déluge universel'.' ; 3> la fête d'RlMoiiloiidc; el|e commémore la naissance du prophète Sidi Mohammed, Pendant les sept jours do sa durée, le liavait est suspendu et remplacé par des prières dans les mosquées et les zaouïas; 1* la fête d'Aïd-et-Sghir (petite fête) ou d'Aïd' el-Faller (fête de la fin du jeu ne), Elle est célébrée dans les mosquées, à la fin du Ramadan, par les Musulmans qui ont observé ce long jeûne etqui peuvent dès lors manger à leur guise, Aussi ferment-ils boutique trois jours do suite; ils les emploient à se promener en famille et à faire visite aux parents et aux amis. Dans les villages et les douars, les Arabes, en signe dé joie, sortent en voilure bu de préférence à cheval et tirent dès coups de fusil.

Parmi les fêles familiales, le guide mentionna d'abord celle qui a lieu à la naissance d'un enfant-Elle consiste en concerts et en repas offerts à l'entourage tt aux intimes. Les instruments de ces musiciens d'occasion sont en général pou Variés; ce sont des tournas, sortes de hautbois percés de sept

; trous, sur lesquels ils jouent de courtes mélodies indéfiniment répétées ; des dèrboitkas (tainbou rs) et des tabbals (grosses caisses), qui servent plus à: faire du bruit qu'à rythmer celte musique bizarre. Dans certaines régions, la naissance d'un garçon est annoncée par des coups de feu et parles yoi(,you (cris) des femmes; lo père égorge un mouton ou une chèvre et le couscous est prodigué. Souvent, il cherche à sp procurer dufoie de chacal, le broie, et, après l'avoir niélangè avec du beurre, H en introduit un peu entre

- les lèvres du" nouveaû-né. C'est que le chacal incarne aux yeux des'iridigciiès^ finesse et d'habileté, qui

mènent au but sans encombre, en même temps que l'intelligence 6t lq spuplosse, qui surmontent les obstacles.

. L Pour les chrétiens .. l'arche de S'oe s'est arrêtée sur le mont Ararat en

Arménie.';V.?--;Vi-."^"'-■:-^-'v ■-.' ''■''.-''-.-'■v '■■:■'' ;"-..'.;...■•■- *"■■■■'.'':■■'-■


131 A TRAVERS L'ALOÉRIE.

Le guido parla ensuite de la cérémonio du mariage. L'acte est dressé dans la mosquée en présence de la famille et des amis. Trois jours après, à la tombée do la nuit, on envoie à la maison de Ja jeune fille une sorte de palanquin; elle- y montes avec une do ses compagnes, Lo palanquin, chargé sur une mule et escorté de porte-falots, est conduit chez le futur époux. Le père en fait descendre sa fille cl l'installe, recouverte d'un voile, dans une chambre où des parents l'ont déjà précédée. Entre temps, le mari traite ses camarades dans une pièce voisine; à la suite de ço repas il rejoint colle qui dès lors est sa femme.... Dans les villages cl les douars, Ja cérémonie du mariage s'acconipaghe de chants, de coups de fusil et de fantasias.

Le guide expliqua enfin que la saison du printemps était célébrée par une fête dite Rabia, A l'occasion do cette fête, les familles se réunissent pour excursionner à la campagne .'pi.'y prendre leurs repas. Tout en donnant ces explications il introduisit M. Bernard et Georges dans un bel édifice d'architecture mauresque.'Nos Parisiens admirèrent Jés hautes coupoles, les légères çolonnellcs, les murs faïences el le sol garni de mosaïques. Édifice moderne (achevé en 1909) construit dans un style ancien 'parfaitement adapté au pays; la Médersa offre aux étudiants qui la fréquentent le confort des grandes écoles les plus récentes et les mieux aménagées. H existe trois établissements de çè genre eri Algérie : à Alger, à Tlemcen, à Çonstantine. La durée normale des études est de quatre ans. Au bout de ce temps les étudiantsi obtiennent ûrj. diplôme, s'ils ont passé avec succès % examens d,e sortie, Ce diplôme est exigé pour exercer les fonctions d'aoun (huissier dans hi justice musulmàne)^de/ierja(> (lecteur du Coran dans les mosquées), de ïhaleb (instituteur, lettré):; à'oukil (défenseur dévarit leC triI)unàl djii càdi) t ' kodjà (secrétaire do î'administratjpnji d'atfe/ (greffier (cotthiiSsMrè-priscur)^A: '5 ; ; '"^;/>;;.: V* ^"-y :ii:-,'''■■:: ^:<;-

Lc Médersa d'Alger délivre même, après deux àtincë_s complémentaires, un^dipiômp; supérieur nécessaire pour devenir'fcac/râtfc/(suppléant^

çàdi (l'homme le plus important do lai jûstic^musiUmsine, à là fois juge et notaire dans çéHaines contrées, notaire seule.


Une fête arabe.


13ô ; A TRAVERS L'ALGÉRIE.

ment dans d'autres), mitpliti (ministre du culte d'un rang supérieur), moiiderre's (professeur dans les mosquées), professeur dans lews Médcrsas.

Le Gouvernement, rempli.de sollicitude pour les Indigènes et qui a créé pour eux dans les principaux villages des infirmeries spéciales, où ils reçoivent des soins gratuits, â aussi organisé un corps spécial d' « auxiliaires médicaux indigènes », l|s sont placés sous les ordres des médecins français et destinés à les aider dans l'accomplissement de leur lâche. Les éludes des auxiliaires médicaux durent deux ans : un an à la Faculté de Médecine d'Aigèr pour la théorie, un an dans une infirmerie pour la pratique. Il va sans dire que la plupart de ces étudiants indigènes d'enseignement supérieur sont des boursiers de l'Etat français.

Les jeunes gens qui, sans vouloir devenir fonctionnaires, dési renl augmenter les connaissances acquises dans les écoles élémentaires peuvent recevoir une sorte d'enseignement secondaire dans les mosquées des principales villesd'Algérie.

Quant à l'enseignement élémentaire. <l est donné dans des écoles spéciales aux indigènes par des matlrcs français et des auxiliaires indigènes (moniteurs ou adjoints). C'est un enseignement pratique; une grande place y est réservée a l'agriculture et au travail manuel.

A côté des écoles publiques, il existe des écoles privées de deux catégories î les écoles coraniques, les zaouïas. L'école coranique de. la ville ou du village est installée dans une chambre à tout faire, en général mal aérée et recevant la lumière par une étroite ouverture. Souvent trente ou quarante élèves s'y entassent pêle-mêle, sous la direction d'un seul maître, à l'instruction rudimeniaire. 11 les lient de huit à dix heures par jour. Les enfants commencent â fréquenter l'école coranique vers l'âge do cinq ou six ans, ils y restent jusqu'à ce qu'ils sachent tout le Coran ou la plus grande partie par coeur, ce qui demande sept ou huit ans d'étude. Le lhaleb (instituteur) est payé pardes dons en nature, yuand l'enfant sait une partie du livre sacré, lo père, si pauvre soit' il, lui donne quelques pièces de monnaie; quand il le sait en entier, îe père offre un grand festin nu thatcb et à tous les amis do la famille.


MOEURS ET COUTUMES. 137

Au-dessus des écoles coraniques se placent les zaoïiïas. Ce sont des sortes do monastères élevés sur le tombeau des marabouts et qu'cnlreiienncut les dons des fidèles. L'enseignement y est surtout religieux; mais dans les zaouias, comme dans les écoles coraniques, on apprend par coeur : on développe la mémoire, non l'intelligence et le raisonnement.

Si beaucoup d'Indigènes tiennent à ce que leurs garçons aillent à. l'école,'il en est peu qui y envoient leurs filles ï aussi renseignement indigène féminin n'cst-il pas très développé. Cet enseignement est surtout pratique : oh habitue les petites filles aux travaux do raigiulectdU ménage; quelques écoles ont dos ateliers annexes : à Conslahline, par exemple, où l'on apprend aux élèves la broderie, la préparation et la teinture de la laine, le tissage et la fabrication des tapis.

Lorsque M. Bernard et Georges quittèrent la médersa, leur attention fut attirée par tin groupe d'indigènes qut montaient la rue en chantant à pleins poumons.

« Qu'est cela? demandèrent-ils en même temps au guide. — Un enterrement, messieurs.

— Mais où est le défunt? insista M, Bernard,

;.'.c— Eh avant do cette foule^ porté par ses amis, sur une sorte de civière. » •

Et, leur faisant presser le pas, il les amena à hauteur du cortège.- - '.

« Le mort est un homnic, leur dit-il.

— A quoi le vois-tu? questionna Georges intrigué.

—- Au drap vert orné d'inscriptions posé à môïno'.isûr lo cadavre. -

— Et si c'était Une femme?

— Le drap serait jaune et maintenu au-dessus du corps par des arceaux en bois.

— Mais que chantent donc tous ces indigènes? interrogea à son tour le négociant, un peu abasourdi par ces cris répétés.

— Des versets du Coran. Ils chanteront comme cela jusqu'au cimetière. ~

■'■ -;EUà? :■ ■'■■'■■■■"■':'..' ■■' "■.

— Là, une tombe a été creusée, Dans celle tombe descendront deux ainis du défunt, ils le mettront en pluec, entre de grosses pierres formant banquettes, t'our enfermer le corps,


138 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

ils poseront sur ces pierres verticales des pierres horizontales et combleront le t.rou avec de la terre. »

Suffisamment renseignés, nos Parisiens ralentirent l'allure. Arrivés devant l'hôtel, ils rendirent au guide sa liberté jusqu'au lendemain, car ils devaient retrouver leur ami le voyageur cl passer la soirée avec lui.

« J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer, leur dit celuici en les apercevant : un do mes clients haut placé s'est offert à nous introduire ce soir chez les Aïssaouas', j'ai accepté sa proposition avec empressement.

— Les Aïssaouas? répéta Georges en quête d'explications.

— Oui! Une do ces sectes pour lesquelles les;gens civilisés ne peuvent avoir que du mépris, à cause de leurs pratiques désastreuses. J'ai assisté la semaine dernière, par exemple, aux exhibitions des Trembleurs'. c'est une confrérie composée, comme son nom l'indique, d'individus qui tremblent. Spectacle pénible! Ces malheureux, sous l'influencé de chants religieux, de danses éperdues et de mouvements répétés, sont pris tout à coup d'un tremblement nerveux qui dure plusieurs minutes et les épuise au point qu'ils tombent anéantis.

— Les Aïssaouas seraient-ils un groupement analogue?

— Oui, mon jeune ami, et l'un des plus anciens, puisqu'il date du xvr siècle. » •

Après le dîner les trois Parisiens se rendirent à la zaouïa des Aïssaouas. Us y furent introduits par le personnage dont avait parlé le commis voyageur. Ils y virent de pauvres insensés, gesticulant aux sons d'une musique bizarre et do chanlsétranges, en présence du mokaddem (chef de la zaouïa) cl d'autres dignitaires. Lorsque les Aïssaouas furent bien excités", quelques-uns se détachèrent de l'ensemble et se plantèrentdc longues aiguilles à travers les joues et les bras, sans effusion de sang ou simplement apparence do douleur. De plus fanatiques s'enfoncèrent à coups de maillet un poinçon dans le flanc ou se frappèrent le ventre avec un subie; d'autres, fous.furieux, léchèrent une pelle' rougie au feu ou avalèrent des clous mêlés à des morceaux de verre brisé. ~"

Nos amis ne purent soutenir longtemps cet. écoeurant, spectablc. Ayant laissé quelque argent pour ces malheureux,


MOEURS ET COUTUMES. 139

ils sortirent de la zaouïa dégoûtés. Ils déclarèrent ne pas comprendre pourquoi le gouvernement français tolérait que des gens se fissen l souffrir de la sorte. -

« Vdùs en parlez à votre aise,-messieurs, leur dit celui qui les avait accompagnés : on ne saurait heurter dé front les préjugés de ces fanatiques. Si nous cherchions à entraver leurs crUêlJes coutumes, ils croiraicutquc nous voulons les ehîpècl^r;d"è gagner le paradis et n'hôsilcruient pas à se révolter contre nous. »


ClIAPITItE XXII!

CONSTANTLVE. - VIE COMMKUCIALE INDIGÈNE

La ville arabe. — Une maison mauresque. — Les lahneUrs. — Les cnrdorthiers. —.Les forgerons. — Les bouchers.'— Les marchands de légumes. — Le café maure. — Le palais du Ûey. — La Cathédrale, ancienne Mosquée.' '-■' ' .; '..; ■-,..-

LK lendemain, M. Bernard et Georges continuèrent, sous la direction du guide de la veille, leur visite aux quar-, tiers indigènes. Bien de plus curieux que do parcourir le dédale des pittoresques ruelles arabes en escaliers, qui semblent dégringoler vers le Rhuniel. Chaque pas ménage une surprise dans ceô venelles tortueuses, où tes maisons en encorbellement, tantôt se rapprochent jusqu'à intercepter le ciel au-dessus des tètes, tantôt s'écartent pour laisser tomber à plein sur te sol mal pavé la clarté blanche d*uiio lumière aveuglante.

.Voici que, par une porto basse en bois sculpté s'ouvrant sUr un vestibule entoura de banquettes en forme de niches, le négociant el son neveu, précédés de leur guide, pénètrent dans Une maison mauresque. Autour d'une cour intérieure, où régnent un silence mystérieux et une fraîcheursouterraine, une colonnade do marbre soutient des ogives mauresques, ornées de faïences colorées. A ehacundes deux étages se trouvent des galeries; le long de celles-ci les visiteurs aperçoivent les petites porics fermées et les étroites fenêtres gril-


VIE COMMERCIALE INDIGENE.

14.1

Ingées des appartements. C'est là que vivent en recluses les femmes arabes. Leurs sorties sont rares : de temps en temps elles se rendent au cimetière ou au bain maure, bain de vapeur qui se prend dans des établissements spéciaux. Elles

ont dehors le visage toujours voilé.

Les jolies maisonsn'abondentpas à Constantiue; les humbles demeures en torchis, traversé du troncs do cèdre, s'y rencontrent plus fréquentes. Dans les murs de ces maisons mal alignées, s'ouvrent, tout.au long de la rue, des ateliers ou des boutiques, au côté desquels pendent les guerbas (outres a eau en peau de chèvre non épiléc). Chaque profession a sa rue particulière.

La spécialité de la ville est la tannerie; il est facile de s'en rendre compte en voyant

les innombrables cuves à tan installées le. long du ravin. Les procédés employés par les Indigènes.pour rendre les peaux résistantes •■! inaltérables sont rudimenlaires, longs et coûteux. Ils trempent d'abord dans l'eau, pour les ramollir, les peaux qu'ils utilisent (celles de chèvres et de moutons surtout), puis ils les soumettent à l'action-de la chaux dans de grandes jarres, pendant un mois environ. Celle

Intérieur mauresque.


142 ; A TRAVERS L'ALGERIE.

opération (pctànage) facilite la séparation des poils (épilagc), qui se fait à l'aide d'un outil tranchant à deux poignées (plane). Ensuite, les Indigènes lavent les peaux dans l'eau salée et les placent dans des cuves avec do l'eau cl du tan. Le tanin du tan, dissous dans l'eau, pénètre les peaux et les transforme eh cuir. Le tannage dure, de six mois à deux ans.

Le cuir ainsi obtenu est presque uniquement einployé à la fabrication des chaussures indigènes. Les cordonniers sont légion à Conslantine. La plupart habitent Je niéme quartier; ils travaillent accroupis, au nombre de cinq ou six, dans dos échoppés, où ils auraient de là difficulté à se tenir debout él où deux ouvriers européens se trouveraient serrés; L'industrie des selliers, qui fut très florissante, tend h disparaître, car les chefs arabes, désormais pacifique!*, n'ont phts besoin, pour ineher leurs cavaliers au combat, de riches harnaehenicnts brodés d'or, '

Les murs noircis et le bruit des marteaux signalèrent de loin aux ddnx Parisiens le quartier des forgerons, fabricants d'é tri ers, d'éperons et de socs de charrue. Ils jellèrejit un coup d'téil à chacune do leurs boutiques avant de ju^nélrer doits la ruo des bouchers, qui vient après. . Les boucliers ont tendu leur "rue do, toiles poUr protéger la viande contré le soleil; mais, en dépit de toutes leurs précautions, ils ne peuvent empêcher Une odeur fade de se dégager do leurs baraques malpropres et les niouehes de bourdonner nombreuses autour des lambeaux saignants,

A proximité, de la rue des bouchers, celle clés marchands de légumes ; beaucoup d'entre eux sont enfouis dans do véritables niches tajllécs à droite et à gauche des murs, qui soutiennent/lit voûte sur laquelle s'appuie le premier étage de certaines habitations. Les marchandises étalées débordent dans rélroitesscdu passage, où bêles et gens' sVhcombrcitf, ' dans un tumulte dé heurts, d'appels, de cris, de rires, d'imprécations i oisifs impassibles, Mauresques apeurées, Kabyles fléchissant sous le poids d'une outre trop pleine; ânes et mulots portant, au bât des paniers do viclunillo ou chargés de matériaux, qui ineiutctut d'éborgner les passants./-

La longue promenade à travers les ruelles arabes mal


. ti.^\cuhfiin:

Con-lJiUîne.— Quartier arabe, eufc maure.


I4i A TRAVERS L'ALGERIE,

pavées et très encombrées avait fatigué M. Bernard. 11 exprima à son neveu et au guide je désir dé s'asseoir durant quelques instants, Celui-ci proposa au négociant un banc dans un café maure; RI. Bernard accepta volontiers son offre. A ce mot de café, Georges s'était représenté un grand établissement avec des tables de marbre, des banquettes rembourrées, des chaises, des glaces, des consônimalions Variées et de nombreux consommateurs; aussi fut-il un peu surpris en entrant dans un étroit réduit de quelques mètres carrés, où il aperçut simplement des nattes à 'lorry,'- un mauvais banc le long d'un mur, cl, dans un coin, un fourneau sur lequel chauffait le sempiternel « Kàoua 1 », l'unique boisson des cafés maures, Tandis que son oncle s'assoyait sur le banc en question et commandait trois lasses de kàoua, Georges examinait les consommateurs. Ils étaient bien.là unodouzairie d'indigènes, dans lespositions les plus bizarres i l'un ramassé sur liù-mème, le menton sur les genoux, l'autre assis en tailleur; celui-ci étendu do tout son long, celui-là couché sur ledos, tète en bas, jambes en l'air. Deux faisaient une partie de dames, trois autres une partie de dominos, et le reste formait autour d'eux la galerie des spectateurs. Aucun mouvement dahs cette sàîle, à part les gestes des joueurs; dclemps en temps quelques paroles, prononcées d'uno voix monotone, rompaient le silence bientôt rétabU, Nulle part ou ne peut mieux apprécier que dans les cafés maures l'indolence naturelle à l'Arabe, qui contraste singulièrement avec notre besoin d'activité l

Après avoir dégusté leur kàoua, qu'ils trouvèrent, ma foi, fort bon, les doux Parisiens cl leur guide reprirent leur promenade, Ils s'en allèrenl visiter lo somptueux palais du boy Ahmed, occupé actuellement par le général 'commandant la Division. D'extérieur peu imposant, il présente intérieurement de jolies galeries avec de riches colonnades; les faïences et tes marbres qui ohl servi à sa décoration viennent d'Italie; l'on voit sur les murs des fresques naïves peintes, paraît-il, par un cordonnier européen amené en esclavage,

l, Lo kaoua est une infusion de café [iilé ttnng de l'eau bouillante et

que l'on sert sans fillrer. : .,■■.'■■


VIE COMMERCIALE INiMGÈNE. 145

qui espérait ainsi recouvrer sa liberté. Les galeries enclavent une série de jardins coquets où domine l'oranger; ils ombragent des fontaines en marbre, où les femmes du boy pçcnaicnl leur bain 1. .

Celle oeuvre d'architecture arabe date du commencement du xix° siècle; elle est de cent ans plus jeune que la mosquée voisine, transformée depuis l'occupalion en cathédrale. La cathédrale est un assez beau spécimen de l'arcluleclure arabe; des colonnes en granit la divisent en trois travées; les parois sont inscrustées d'arabesques, finement découpées et fouillées; le nimbar musulman, transformé en chaire chrétienne, est un précieux travail de marqueterie. Mais cet édifice a subi lo sort de toutes les mosquées algériennes converties en églises : il a été agrandi, et il forme désormais un monument hybride, qui a perdu un peu de son cachet primitif.

C'est par la visite de la cathédrale que.M. Bernard cl Georges terminèrent leur promenade ce matin-là ; ils avaient vu dès lors tout ce qu'il y avait d'intéressant a Constautine. Us en seraient partis le soir même en chemin de fer pour Sêtif, si, à leur rentrée à l'hôtel, le voyageur ne leur avait signalé le moyen de les y faire aller en auto, après le déjeuner. Georges fut ravi en entendant son oncle adhérera une proposition, qui allait lui permettre de voir du « pays nouveau ».

I, Ln polygamie exisle encore chez les indigènes; mais elle tend de plus en plus ù disparaître.

A TRAVtRS t.»n.tiui:.

10


CllAPtTllK XXIV

DE CONSTANT!NE A CHATK'AUDLlN

tin voyage en nùto. — Les village*'alsaciens d'Algérie. — Dénomination des centréscréés. — La fondation .d'un village. — Les concessions. — Los,ventés•'do terrains, — Lés difficultés vaincues par les premiers. colons. — L'héroïsme du colon t'îrette. . :

LE commis voyageur devait so rendre à Séfif, mais il était obligé de voir quelques clients .dans dos villages oii la ligne de chemin do fer ne passait pas. Peu soucieux dose servir do la diligence, il songea à louer une auto. Il trouva l'occasion d'une voilure qui rentrait à Sétif, après avoir amené des touristes à Conslan.tine; il offrit a M. Bernard d'en profiler avec lui.

Voilà pourquoi, des le début d'une après-midi ensoleillée de la fin d'octobre, une automobile emportait à toute allure nos trois amis sur la route qui longe la haUle vallée du tlhumel. Ils traversèrent successivement plusieurs centres de colonisation européenne ; Aïn-Smàra, Oticd Athménia, Châteaudun. Dans ce dernier centre le commis voyageur s'arrêta une demi-heure.

«Châteaudun. dit Georges à son oncle,... mais c'est le nom d'une sous-préfeeiuro d'tèurc-el-Loir.

— Tu as raison, répondit M. Bernard ' ce village a probablement été créé, à la suite de la guerre de 1H70, par tes Alsaciens-Lorrains expatriés. On l'aura appelé Châteaudun


DE CONSTANTINE A CHATEAUDUN. 14V

en souvenir du siège héroïque soutenu parcelle ville contre les Prussiens. Nombreux ont été en Algérie les villages fondés dans les mêmes conditions; les noms do Strasbourg, Gravelotte, Belfort, portés par certains d'entre eux, indiquent suffisamment leur origine.

— J'ai remarqué, continua Georges, que les villages algériens ont reçu les noms les plus divers : noms de batailles de la Révolution, du premier cl du second Kmpire; noms de grands hommes : soldais, marins, explorateurs, poètes, écrivains, orateurs, savants, musiciens, peintres.

— Et hommes politiques, acheva M. Bernard, car l'un des derniers centres créés a été appelé llerteaux, du nom de ce ministre qui fut tué, en 1911, par l'hélice d'un aéroplane.

— Hst-cc que l'on fonde encore des villages aujourd'hui, mon oncle'?

— Naturellement, mon ami! Il ne se passe pas d'année sans que le Gouvernement général en crée plusieurs. H'les relie par des roules aux villages voisins, il y amène l'eau utile aux besoins des habitants et a l'irrigation, il y construit les bâtiments publics nécessaires (école, lavoir, abreuvoir, fontaines, etc.) et y assure les services médicaux et administratifs. Chaque centre est divisé eu concessions variant de 10 hectares à 80 hectares. On les donne gratuitement a des citoyens français, chefs do famille, connaissant l'agriculture et disposant de ressources suffisantes pour mettre en valeur la concession (oOOO francs au moins). De petits lots industriels (d'environ 2 hectares) sont réservés dans les villages créés pour les artisans indispensables : boulangers, forgerons, etc. Hnfin il existe, en dehors des villages, des concessions dites « de ferme ». Leur superficie ne doit pas dépasser 200 hectares, et elles sont accordées, sous certaines conditions, à des individus disposant d'un capital do ISO francs par hectare.

— Supposez, mon oncle, que j'aie de l'argent devant moi et que je no sois pas dans les conditions requises pour obtenir une concession, no m'est-it pas possible d'acheter du terrain?

— Mais si, enfant. Chaque année l'Htat vend, par là voie de l'adjudication publique et sur des mises à prix relative-


148 A TRAVERS L'ALGERIE.

mont peu élevées, des terres d'origine domaniale; il accorde pour le payement do grandes facilités et fait nlôme la remise du dernier huitième aux concessionnaires méritants qui lo demandent. D'ailleurs, celui qui possède dos capitaux a toujours la ressource d'acheter leurs terrains à des indigènes propriétaires.»

Une fois là terre acquise, il faut en tirer parti. Si tes conditions de là colonisation sont maintenant favorables, qui dira les luttes et les misères dos colons de la première heure, qui racontera leur existence laborieuse et tourmentée 1 Ils devaient tantôt quitter la charruo pour le fusil, tantôt lutter contre la lièvre; sans savoir si la richesse ou simplement.- l'aisance compenserait leurs continuels efforts.Quelques-uns furent héroïques. Témoin ce Pirellc qui, le 9 décembre 1839, se défendit seul contre un millier d'Arabes venus pour attaquer le camp de l'Arba, occupé par .300 hommes.

« Pirclte était à une ferme voisine avec deux camarades; tous trois montèrent sur la terrasse et purenl juger de l'imminence et de la grandeur du danger qui allait les menacer à leur tour. Deux des colons, estimant que la résistance était impossible vu leur petit nombre, sortirent de la ferme et purent gagner le camp à là faveur d'accidents do terrain. Pirctlc resta seul ; il barricada les portes, monta des pierres sur la terrasse et près de la petite porletrès basse de cette terrasse plaça une hache d'abordage bien aiguisée. Celle arme, cinq fusils, 278 cartouches, un peu de poudre cl cinq ou six litres do balles coUpées eh quatre, composaient tout son arsenal.

« Pirclte met un bonnet, une casquette ou un chapeau près do chaque fenêtre. L'ennemi envahit l'orangerie. Des coups de feu annoncent l'attaque. Les Arabes s'élancent vers la porte principale. Pirclte, qui la sait très solide, les laisse s'y tasser, Les S fusils.sont près de lui; au moment favorable, il les décharge à dix pas sur ta masse qui cherche à enfoncer la porte. Les assaillants, épouvantés de ces décharges successives et meurtrières, se reliront à dislance, puis ils reviennent chercher leurs morts. Pirclte les laisse faire et recharge ses fusils.

*< Malgré la faim, la soif et la fatigue, Pirellc continue ce


DE CONSTANTINE A CHATEAUDUN. 149

combat inégal, lorsqu'il s'aperçoit que l'attaque se ralentit. C'est que l'ennemi a enfin découvert le côté faible de la place et le moyen d'en profiter; Il perce un mur qu'on ne pouvait voir d'aucuno des fenêtres de l'habitation. Pirello entend les coups; il peut compter chaque pierre qu'on arrache. Puis il n'entend plus rien. C'est que le trou est achevé. Lès Arabes vont s'y engager. Il court à ce nouveau et terrible danger. 11 s'élance dans l'étroit et sombre corridor qui conduità cette ouverture. Un ennemi y est déjà engagé, Pirette le lire à bout portant et le lue raide. Ses camarades l'arrachent du trou cl vont l'enterrer. L'horrible blessure de cet homme les effraie, et ils ne rentrent plus dans le trou.

« La nuit arrive. Pirellc n'a plus d'espoir, car il a lire 2GG coups de fusil, et il ne lui reste presque plus de munitions. L'ennemi a ses feux de bivouac près de la ferme. Heureusement, la nuit est obscure et Pirclte, qui connaît le terrain, se propose de profiter d'un épais fourré de ronces et do cactus pour quitter la ferme sans être aperçu. A neuf heures» d« soir, il descend do la terrasse par une corde, tenant un fusil à la main. Il rampe dans le fourré, passe sans ôlre vu à côté d'une sentinelle arabe, dont la crosse retentit sur une pierre. Une demi-heure de celte marche péniblel'amène près du camp de l'Arba. Il cric pour que les sentinelles françaises no tirent pas sur lui. Il est accueilli avec enthousiasme par ses anciens camarades '. »

I. Procès-verbal dressé par les oflleiers du camp de l'Arba,


CHAPITRE XXV

DE CHATEAUDUN A SETIF

La • Iieauee africaine •, -*- Saint-Arnaud. — Les docks. — La* prospérité d'un village agricole. — La culture des céréales sur les llauls-Plateaux constantinois. — Blé dur, — Illô tendre, — Préparation du sol. — Semence, — Uécolte. — L'avoine, — L'élevage du mouton. — Les modes d'exploitation des terres.

ITlXTitE Châteaudun et Sétif, l'auto stoppa dans l'impor-1 tante localité de Saint-Arnaud, pour permettre au voyageur de visiter sa clientèle.

e. Vous no sauriez croire combien j'ai gagné d'argent dans celte petite ville, dit-il à ses deux amis avant d'y arriver, La région do Saint-Arnaud, comme celle de Sétif, comprend des terres à céréales très fertiles. Certains agronomes désignent celte contrée des Hauts-Plateaux sous le nom de Deauce africaine. De nombreux colons s'y sont, enrichis, et à tous mes passages dans ce centre je reçois des ordres importants..., Mais vous ne resterez pas celte fois à m'attendre dans l'auto comme à Châteaudun. J'aurai pour plusieurs heures de travail, aussi je vous présenterai à/un aiuLqui vous distraira pendant mon absiepee, »

L'ami du voyageur était directeur de la succursale d'un grand établissement financier. Après avoir promené M. Bernard et Gedî%es dans les rues de Saint-Àrnaudj il les emmena visiter les docks construits par sa banque pour la


DE CHATEAUDUN A SÉTli'. f51

conservation des céréales après les récoltes. Ils virent un vaste bâtiment, divisé en un grand nombre de silos en ciment armé, d'une contenance do 1 000 mètres cubes chacun, La plupart do ces silos étaient remplis do grains de. la dernière récollo. Les colons, moyennant une redevance, les y avaient déposés en attendant les offres des acquéreurs. Trois vastes entrepôts comme celui-ci no suffisent pas à abriter, en bonne année, les récoltes de la campagne avoisinant Saint-Arnaud, et la petite ville abonde en magasins supplémentaires, toujours pleins quand la moisson a été excellente.

A voir ces docks et ces magasins, l'on comprend la prospérité dans laquelle se trouve ce centre. Né il y a une cinquantaine d'années, il compte plus do 3000 habitants. Les terres de seconde catégorie qui se payaient, en 1895, de G0 à 150 francs l'hectare valent aujourd'hui de 500 à 000 francs, et celles do première catégorie, estimées alors à 250 ou 300 francs, ne se vendraient pas moins de 1200 francs.

Les céréales cultivées dans la région de Saint-Arnaud, •Sétif, Bordj bou Arréridj, et dans tous les Hauts-Plateaux conslantinois, sont surtout les blés et J'orge. Les blés se distinguent, d'après leurs grains, en blés tendres et en blés durs. Les premiers ont des grains blancs cl opaques; les Européens seuls se livrent à leur culture. Les grains des seconds sont durs à casser — d'où leur nom, — et presque transparents; leurs épis possèdent toujours des barbes. Les blés durs, cultivés par les Européens et les Indigènes, sont bien acclimatés sur les Hauts-Plateaux et dans les plaines du Tell. Mieux que les blés tendres, ils résistent à la verse (tiges couchées sur lo sol), à la rouille (petit champignon parasite), à l'cchaudage (arrêt dans le développement du grain à cause de brouillards suivis de grandes chaleurs), aux attaques des oiseaux et des fourmis.

Pour obtenir de bous rendements dans ..la culture des céréales, il faut s'attacher à la préparation du sol. Cette préparation est nécessaire en Algérie, où les pluies tombent rarentent. Dans la région des Hauts-Plateaux, moins favorisée à cet égard-que colle.'du"-Tell, on ne cultive tes céréales qu'une fois tous les deux ans. Mais au lieu d'abandonner la terre, à l'exemple des Indigènes, pendant l'année de non-


152 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

production, les Européens lui donnent des labours préparatoires. Le premier labour a lieu en décembre : il facilite l'infiltration des eaux et leur conservation dans le sol. Un second labour enfouît au printemps les herbes qui ont poussé sur lo labour d'hiver. Un troisième labour achève en été de -disposerla terre à.être ensemencée.

Les semences, choisies avec soin, sont sulfatées, puis semées à la volée ou au semoir. La germination s'accomplit vile. La végétation des céréales, commencée en automne, se poursuit en hiver, aidée, par la douceur do la température. En avril ou mai apparaissent les fleurs; la maturité se fait en juin, époque do la moisson. Pour battre leurs récoltes, les Indigènes se servent des pieds de leurs animaux; ils étendent sur une aire les gerbes déliées, font passer dessus leurs mulets et lo piétinement sépare le grain de son enveloppe et do la paille. Les Européens, dans le môme but, emploient les machines à battre.

A coté des deux cultures principales du blé et de l'orge, il y a lieu do citer celle do l'avoine, importée par les colons. Les indigènes ne l'entreprennent pas volontiers : ils accusent l'avoine d'échauffer les animaux; ils se livrent de préférence à la culture du be'chena (sorgho).

Les Hauts-Plateaux constanliuois sont, au point de vue agricole, les plus riches de l'Algérie. Au rapport dys terres s'ajoute celui do réieyago des moutons : les sept dixièmes du troupeau algérien vivant dans la province de Constantinc. Ces pays de production moutonnière intense spïil des pays " de production do laine. Une partie de là laine entre sur place dans la confection des matelas, ou, après teinture ep rouge, bleu, jaune, sert aux femmos indigènes pour Ja fabrication des ehéchjas, tapis, couvertures, burnous, etc. Le reste est expédié sur les marchés de la Métropole et notamment à Roubaix et à Tourcoing. On l'y transforme en draps, tricots, châles, tapis, riiolletons, peluches, tissus d'ameublement, velours, etc., après, lui avoir fait subir de nombreuses préparations (dessuintage, lavage, séchage, càrdageV peignage, filage, él enfin tissage).

La nuit était tombée lorsque le commis voyageur vint retrouver M. Bernard cl Georges dans Je bureau dé son ami.


DE CHATEAUDUN A SETIF. 153

Celui-ci expliquait aux deux Parisiens les modes d'exploitation dos terres en usage dans la colonie. Ils se résument à trois : t° rexploilation directe par le propriétaire. Elle est là plus logique et la meilleure, si le propriétaire possède les aptitudes requises pour une direction effective ou s'il dispose d'un régisseur ou d'un agent habile et consciencieux ; 2> le fermage, le mode généralement usité. Il consiste à louer la terre à un cultivateur pour un certain nombre d'années : 3, 6, 9, Le fermier paie lo loyer d'avance par an ou par semestre; 3* lo métayage, c'est-à-dire le partage des produits par moitié entre le propriétaire et le cultivateur. Le propriétaire fournil te cheptel et fait toutes les avances d'exploilation; au moment de la récolte il relire d'abord ses avances, puis h. moitié du bénéfice net. Au lieu d'employer des métayers français, certains cotons se servent de métayers -indigènes ou khamniés; dans les mômes conditions d'association, les khammés no reçoivent au partage que les deux cinquièmes de la récolle.

Quand le banquier eut fini de parler, le commis voyageur pressa ses deux amis vers l'auto. Uuc demi-heure plus lard tous trois étaient rendus à Sétif.


CHAPITRE XXVI

SÉTIF

La mauvaise année. — La sécheresse.— Les sauterelles. — Moyens de les combattre, — Les ennemis du cultivateur algérien, — La 'situation, do Sétif. — L'histoire do celte ville.,— Son importance comme marché n céréales et à bestiaux. — La description «le Sélif. — La région de Bordj-Ijou-.Vrréridj.

UNE grande partie de la soirée, le commis voyageur fut d'une humeur désagréable : il avait eu beau s'attarder à Saint-Arnaud, il en était parti sans avoir pris d'ordres importants.

■ ■« C'est que l'année a été bien mauvaise, exp}iqua-t-il à M. Bernard. La récolle, en dépit de quelques gelées, s'était annoncée magnifique jusqu'au printemps; mais la pluie, afait défaut et les céréales ont peu produit. La plupart des petits colons, qui comptaient pour vivre sur Ja vente de leurs blés, se voient dans l'obligation d'èntàmer leurs économies, parfois môme d'emprunter de l'argent, en tout cais de réduire leurs dépenses ;... et lo commerce eu souffre.

--Il est certain, observa M, Bernard, que/Je manque d'paù au printemps doit aypir pour ce pays de fâcheuses 'conséquences.:;.//.;;./-' v'''-/"'': v'/;■;'/::;/;- '//.^.":;-;";,. -:

/ -- J'ai appris a ce sujet; dil le voyageur, et cela intéressera notre jeune ami Georges, que les indigènes redoutent beaucoup là sécheresse, avant-côûreur de la misère et do la


SETIF.

155

famine. Les plus aisés d'entre eux organisent des zerdu (repas public offert aux pauvres) sur les tombeaux des marabouts vénérés, pour que ceux-ci intercèdent auprès d'Allah, afin qu'il fasse pleuvoir. Il paraît que, dans le mémo but, les indigènes d'un village voisin de Saint-Arnaud plongent

danslelavoirpublic un idiot, dont l'état est à leurs yeux une étape qui mène à la sainteté.... »

Georges avoua en riant qu'il n'aurait jamais eu l'idéo, pour obtenir de la pluie, de recourir à un tel moyen. L'efficacité lui en semblait très douteuse,

« Il y a cinq ans, reprit le voyageur, un de mes prédécesseurs eut dans cette région un môcompteencore plus grand que le mien, à la suite d'une invasion de sauterelles

sauterelles pour parler plus exactement, de criquets voyageurs.

— J'ai lu, dit Georges, que ces insectes causaient en Algérie des ravages épouvantables.

— Épouvantables en effet!... Les sauterelles, venant du sud, où les nomades les considèrent comme un mets do choix, font irruption en masses innombrables sur la campagne algérienne. Elles sont si serrées qu'elles présentent l'aspect do nuages et qu'elles inlerèeptent la lumièt ■) du soleil. Pour les effrayer et les empêcher de s'abattre sur leurs champs, les indigènes poussent des cris formidables et frappent à coups

Destruction des sauterelles.


150 A TRAVERS L'ALGERIE.

redoublés sur des casseroles et des marmites. Peine inutile!,.. Le bruit produit par les ailes des redoutables voyageuses, et qui ressemble au crépitement d'une fusillade, annonce que les sauterelles se rapprochent du sol; bientôt le nuage vivant éclate do toutes parts : elles tombciilcomme une pluie d'orage, pendant des heures entières; elles dénudent les champs, dévorent les feuilles des arbres, anéaiw lissent toute végétation,

— N'y a-Uil aucun moyen pour prévenir ou combattre ce terrible fléau? demauda Georges.

— Croyez que l'on fait tout ce que l'on peut dans ce but. S'il est impossible de remédier complètement au mal, l'on cherche à en atténuer les conséquences. Pour arrêter les criquets, l'on place verticalement sur le sol do longues bandes do toile ou de feuille de zinc, qui forment obstacle. Dans l'impossibilité do continuer leur marche en avant, les insectes suivent ces bandos et tombent dans des trous spécialement creusés, On les y détruit par le poison ou le feu. Pour sauvegarder là végétation, il importe en outre d'éviter l'éclosion de nouveaux criquets; aussi a-t-on soin do relever avec exactitude les points où les sauterelles ont atterri et de détruire par des labours les oeufs pondus en terre en les brûlant ou en les laissant se dessécher au soleil, '

-—Heureusement, remarqua M. Bernard, que les invasions de sauterelles ne sont pas trop fréquentes et que les bonnes années font oublier au colon ses misères.

— Sont-elles jamais sûres dans ce pays? dit le voyageur devenu subitement songeur. La gelée en hiver, lo manque d'eau au printenips, le sirocco et la grôle en été constituent de perpétuelles menaces pour les cultures; et, si ce n'est contre la grôle par les sociétés d'assurance, le colon n'a aucun moyen de remédier à ces coups du sort!

— Vous nie semble? ce soir mélancolique,mon cher, fit M, Bernard en riant. Vous 'étiez tellement habitué à tirer de gros bénéfices à", vos/ passagesdans.ces régions que vous ne savez pas vous résoudre à gagner un peu moins.... « Elle négociant continua à plaisanter son ami le voyageur, qui retrouva bientôt sa belle gatté. / /

La visite de Sétif employa la matinée du lendcriiain. Sétif


SÉTIF.

157

est située à 1 100 mètres, sur les llauls-PIaleaiix; elle, occupe l'emplacement'de l'ancienne Sjtifis, Celle-ci, par sou importance et sa position centrale, devint une des cités les plus considérables de l'Afrique, La ville périclita au moyen âge, niais la campago environnante conserva sa vieille réputation do fertilité. La domination funeste des Turcs porta un coup à l'agriculture.dans celte région, cependant Sétif resta un

lieu de marché périodique très suivi. Bâtie sur la route d'Alger à Conslantino, au milieu de riches terres occupées par des tribus laborieuses cl pacifiques, celle ville devait appeler ratlentiou dos Français devenus maîtres de'Cous-- lantino. Ils y établirent d'abord un poste militaire (18371817). Autour de ce posle s'installa toute une population civile, et un centre fut créé en 1817. Il se développa rapidement; il compte aujourd'hui20000 habitants; il ne cessera de prospérer, parce que Sétif est Un des marchés à céréales et à bestiaux les plus rénommés en Algérie.

Sétif comprend deux parties distinctes : la ville et le quartier militaire. Un mur d'enceinte les entoure; celui do la Ville est peroé de quatre portes : les portes d'Alger, de Biskrà, de Constantiue et de BoUgie, La ville déborde au

Sétif. — La rue Sillaigue.

CI. Xeurdefo.


IBS A TRAVERS L'ALGÉRIE.

delà des remparts eu faubourgs neufs et coquets qui s'agrandissent sans cesse. Tous les mardis, près do la porte. d'Alger, so lient l'important marché de Sétif; il est fréquenté par 12000 Indigènes, surtout aux mois d'août, do septembre et d'octobre,

M. Bernard et Georges parcoururent les rues larges et droites, parfois bordées de beaux arbres, do la petite, souspréfeelure. A l'heure du déjeuner ils retrouvèrent leur ami, le voyageur, et lui annoncèrent leur intention do gagner Bougie en automobile, ainsi qu'on le leur avait conseillé,

« Bonne- idée, dit celui-ci, Il ajouta : Heureux mortels qui parcourerez une région magnifique, pendant que je resterai ici à visiter ma clientèle.

— Vous en avez pour plusieurs jours? demanda Georges,

— Pour cinq ou six.

— Et eu quittant Sétif?

— En parlant d'ici, je me dirigerai sur Alger par étapes, Je marrètrai d'abord à Bordj-bou-Arréridj. C'est un centre agricole, dans lo genre de Saint-Arnaud. Il est situé à l'extrémité orientale de la Milidja, la plaine la plus riche de l'Algérie..,. »

El le voyageur expliqua la valeur stratégique capitale de cette ville avant la pacification générale do l'Algérie. Bordj commandait le défilé des « Portes de fer », qui fait communiquer les Hauts-Plateaux avec lo littoral par la voie de l'oued Sàhel, la rivière de Bougie, La possession de ce défilé assurait la domination sur tous les territoires au sud de là Grande Kabylio; aussi les châteaux forts de la contrée étaient-ils jalousement gardés par les tribus. A l'arrivée des Français, toutes reconnaissaient la souveraineté d'une puissante famille, qui prélevait sur elles 700000 francs d'impôts chaque année. Son chef, pour conserversa situation avantageuse, s'empressa de se soumettre à notre domination; il devint notre khalifâ (lieutenant). En 1871, un an après que Bordj-bou-Arréridj eut été érigée en commune de plein exercice, les privilèges du khalifa furent menacés. Il donna le signal de la révolte ,'èltç'mil à feu et à sangle centre nouvellement créé. Beconstruile après l'insurrection, BordJTbouArréridj est aujourd'hui une ville prospère de 3 000 habitants.


CUA1UTKK XXVII

DE SÉTIF A BOUGIE

Les minoteries. — Les gorges de Kerrata. — Les mines, — La richesse du sous-sol algérien et en particulier du sous-sol constanlinois. — Les opérations minières. — Les mains-d'oeuvre indigène et européenne, — L'arrêt au cap Aokas. — Le golfe de Bougie.

EN quittant Sétif pour se rendre en auto à Bougie, M, Bernard et Georges laissèrent les immenses étendues des Ilauts-Plalcaux, riches en céréales, et abordèrent les montagnes abruptes de Kabylie, couvertes de figuiers el d'oliviers. Ils passèrent devant plusieurs moulins, véritables usines pourvues des instruments les plus perfectionnés cl dont les produits valent ceux des meilleures minoteries do France; ils traversèrent quelques villages entourés de vergers et de cultures, et arrivèrent à Kerrata. M. Bernard y descendit; il fil visite à un fournisseur de câpres et lui passa une commande pour la récolte de l'été suivant.

Au'Sortir du village, nos voyageurs entrèrent dans la fameuse gorge de Kerrata. C'est une coupure entre deux montagnes, élevées de l G00 à 1800 mètres, presque toujours à pic, quelquefois surplombant le ravin. La roule, sUr un parcours de 40 kilomètres, est tantôt creusée sur la paroi verticale du rocher, tantôt portée sur des arceaux. Au fond de l'abîme, que tour à tour elle côtoie où dominé, un torrent


ICO A TRAVERS L ALGÉRIE,

roule eu mugissant de chutes eu chutes, On no .saurait rien voir do si sublime et «le si terrible! Los proportions majestueuses et imposantes, l'aspect cahotique et sauvage do cette gorgo ont si fortement frappé rimag.%ation des Indigènes, qu'ils la désignent sous le nom de Chabel-el~ Akhra, Bavin do la fin du monde. Tout le long du défilé, coupé à mi-chemin par un pont hardi, dont les dimensions respectables semblent minuscules' dans ce décor grandiose, les deux Parisiens aperçurent des troupes de singes escaladant les montagnes et des bandes d'aiglos et do vautours en survolant les cimes.

La gorge du Chabet-el-Akhra franchie, Georges appela l'attention de son oncle surdos cavernes ouvertes dans le liane d'une montagne, à droite de la route.

« A n'en pas douter, dit lo négociant, ce sont des galeries de mines. On doit en extraire de l'hématite (minerai de fer), de. la calaminé et de la blende (minerai do zinc), ou encore/; de la galène (minerai de plomb). Le petit chemin de fer que nous apercevons sûr la rive opposée de l'oued permet sans doute de conduire ce minerai jusqu'à la mer, éloignée de quelque vingt kilomètres. »

M,-.-Bernard avait deviné juste ; l'on exploitait à cet endroit un des nombreux gisements de la région.; Le département de Constaulinc est de beaucoup le plus imiportaut des trois pour la production minière. Comme mines de fer H possède, près de Bône, celle d'Aïn-Mokra; elle renferme le minerai lo plus riche en fer du monde (60 à 70 kg. dé métal pur sur 100 kg. de minerai); par malheur, les gisements paraissent épuisés. Dans la môme région, la mine ; de Marouania! Aux environs de Bougie l'on exploite deux gisements constitués par des amas d'hématite : à Timczrit cl aux Bcni:Felkaï, Mais, de loùs 1er- gisements ; Jès plus importants/sont ceux de YOuënzà et de Iiou-Kadra "(sûrla frontière tunisienne). Leur tonnage dépassé millions dd tonnes ; leur mise en valeur^ imminente/, permettra d'exporter/ chaque année 2 millions de tonnés de minerai. / / '///; /

Le sol du déparlement dé Constanline n'est passculement riche en fer; i} renfermé aussi du zine et du plomb (mines de Bou-ThalebprèsdeSétif;dubjebel-Felteh,à2o kilomètres


■''Gorges du Çhabël-el-Afeïirà,

A TRAVERS LAtGËHlE.'-

11


162 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

de Constanline; d'Aïn-Arko, près de Guelma), ainsi que du enivre, exploité à Aïn-Barbar, aux environs do Bône.

Lo manque do combustibles est cause que l'on ne salirait traiter sur place les minerais arrachés au sol. Les terrains pétrolifôres né manquent pas en Algérie, mais on n'y a jamais trouvé de houille. Les minerais sont donc livrés à l'exportation.- ^ '. '.

Les opérations minières ont pris dans la colonie, et eii particulier dans la province de Constàntino, une importance considérable, Dès le début, il y eut un engouement extraordinaire pour les mines.' beaucoup de petits capitaux furent engloutis dans des recherches ou des travaux sans résultat. Aujourd'hui, les conditions sont plus favorables : (es explorations se font plus sérieuses, à cause des exemples d'autrefois, et les exploitations plus faciles, par suite du développement des routes, du réseau ferré et do l'aménagement des .'ports, ■'/•/ . :.'/'■ ■ .,'. / 7/ ;.-; '..-.

L'essor minier a' singulièrement aidé au progrès de la colonisation : il a déterminé la création de centres et dé villages, et la réalisation dé'travaux considérables, En outre, il a assuré l'aisance à un. grand nombre d'ouvriers, européens et indigènes. Dix ."mille mineurs sont employés aux différents travaux. La direction technique des exploitations appartient à des ingénieurs français. Les chefs inineurs, tes géomèlres sont des Français. A défaut de nos compatriotes, on est obligé de recourir aux Italiens pour les attires travaux nécessitant des connaissances techniques : recherches, abalago du minorai, etc. Les indigènes fournissent une main-d'oeuvre abondante el à bon marché pour les gros travaux de toute nature. Au besoin, ils louent leurs hôtes de somme pour les transports à la voie ferrée ou à la roule carrossable la plus proche.

Pour en revenir à nos voyageurs, ceux-ci longèrent quelque temps la petite ligne de chemin de fer. dont M, Bernard avait signalé la présence à son neveu. A Souk-cl-Tennine, tandis qu'ils continuaient sur Bougie, la ligne bifurqua dans la direction de Djidjelli. Dès lors, l'auto côtoya la mer, calme et superbe. Elle traversa une foret d'oliviers, aux arbres gigantesques,.cl, sur un signe de M. Bernard au


DE SETIE A BOUGIE, 163

chauffeur, s'arrêta sur la jolie routo en corniche qui contourne le rocher abrupt du Cap Aokas. Ce rocher domine les flots de 80 mètres, M.. Bernard et Georges descendirent do voiture pour admirer do ce point le panorama spletidide de Bougie et de tout lo golfe. Ce golfe, sur le bord duquel Bougie s'élève en amphithéâtre, offre l'aspect d'un vaste lac entouré de rideaux de montagnes aux profils capricieux.

Après en avoir contemplé durant quelques instants le panorama, nos doux Parisiens repartirent. Us traversèrent successivement, sur des ponts métalliques, plusieurs oueds, le long desquels sont construites do jolies maisonnettes entourées de verdure. Plus loin, ils entrèrent dans la région vilicole; ils y admirèrent d'élégants châteaux, qui en accusent la richesse. Enfin, ayant franchi l'oued Souniniam, ils parvinrent â Bougie, quand fa nuit commençait à tomber.


GIÎÀPITU12 XXVill

BOUGIE

L'histoire de ltougio. •— L'importance côlninerci.ile et religieuse, do celle cité « travers ks «gc*. — La visite do là villu et du poil. —Chez lin coluhiissioiuinire. — Lès ligues elle %uler.' *- Les curoulji>s ci le caroubier. — Los oranges, - Les manda ri tics. — Les citrons. ■—■ L'olivier et les olives. — Lu fnliricalion de l'huile. - -

LA ville de Bougie, aujourd'hui çôué-préfecturo du dé^pârtemenl do Coiislanliue et ccntt'e du pays kabyle, joua de lotit temps un rôle côinmercial considérable, Dès la plus liàûtc/antiqûilè, les Carthaginbisy avaient établi Un comptoir; À là chute de Cârlhdge, ce comptoir toiitbà ehllc les mains des humains, qui lui substituèrent une ville. Elle fut le port où les peuples riverains de là Méditerranée vinrent,échanger leurs marchandises contre les produits du pays.

À là suite, dé la domination romaine. Bougie connut tour à tour celle des Vandales, dés Grées, des Arabes, Les Arabes eu firent un contre religieux important. On y comptait uue population de ibùOOP Anics; 8000 maisons, do nombreux collègescl op mosquées s'étageâionl sUr losflàhcs du Gôu* raya. Ces .constructions étaient parsemées dans des fouillis dé verdure, des bouquets d'oliviers, d'orangers» de citronniers, de gréiiadiers, et là ville formait Un ensemble agréable à l'oeil. De tous points l'on venait eii pèlerinage à Bougie, que Ton surnomma la Mekka Sghirà (Petite Mecque).


Cl, àcurdcin.

Bougie. -— Vue prise du Port.


ICC A TRAVERS L'ALGÉRIE.

Sa qualité de centre religieux n'empêcha pas Bougie de rester un centre commercial de premier ordre. Elle expédiait aux ports méditerranéens d'Europe les céréales, l'huile, les figues, les caroubes, les laines, les cuirs, le miel et la cire fondue en « bougies ». Mais les relations avec les Européens n'excluaient pas la piraterie. C'est ce qui décida le roi d'Espagne, Ferdinand le Catholique, à s'emparer do la ville, au commencement du xviE siècle. Un peu plus lard, Charles Quinl la fortifia. Au milieu du xvie sjècle, elle tomba sous la dominatiot- des Turcs. Elle fut dès lors le théâtre de luttes incessantes entre eux et les naturels du pays, luttes qui durèrent jusqu'à la conquête française.

Malgré son état permanent de guerre, Bougie, sous la domination turque, demeura une ville commerçante et surtout une ville sainte. De ses nombreux collèges cl mosquées sortirent des quantités de savants et do marabouts, qui su répandirent en tous lieux pour porter la parole du Prophète et propager les arts et les sciences. 9!) marabouts ont leur sépulture à Bougie, la petite Mecque; il ne lui a manqué, pour être la véritable Mecque, que In centième sépulture, celle du prophète Mohammed. Aussi, chaque année, à la fin du llhamadnn (Carême), des milliers d'Indigènes sedonnenlils rendez-vous pour la prière publique au pied du DjebelKhalifa, où sont enterrés ces marabouls vénérés.

La ville tomba aux mains des Français le 20septembre 1833 ; mais la Kabylic ne fut pacifiée et livrée à la colonisation qu'après la formidable insurrection de 1871, Le gouvernement à compris le parti à tirer de la nombreuse population kabyle, laborieuse et intelligente; il a créé, dès le débul de la pacification, de magnifiques villages, qui font aujourd'hui l'admiration des étrangers.

Aux ruines des monuments de Bougie, M. Bernard cl Georges so rendirent compte, le lendemain do leur arrivée, des dominations successives sous lesquelles ht petite ville (elle a 10000 habitants) avait vécu. Ils visitèrent son port, dont l'importance grandit chaque jour et qui sert de débouché naturel aux produits de la Petite Kabylic par la vallée de l'oued Sahel (ou Soummam).

Puis le négociant entraîna son neveu chez un commission-


Vt., A'euraeiii.

La prière de Uhamadjin.


108 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

nalrc qui rapprovisionnait en olives, figues, oranges, maudarines cl citrons. Ils le trouvèrent occupé à faire trier et ranger dans de^> caisses, ou mettre dans des couffins, des figues sèches prêtes à être expédiées.

« lia! ha! dit M. Bernard, après l'avoir salué, je vois que l'on no chôme pas chez vous.

— J'ai eu effet beaucoup de commandes en co moment.

— Une preuve de plus que la ligue blanche de Bougie jouit d'une excellente réputation chez lès Européens.

— Vous pourriez «jouter : cl chez les Indigènes, monsieur, continua le commissionnaire. Les Arabes sont très friands de figues, et ils mangent ce fruit aussi bien frais que sec.

— Comment arrive-i-on. monsieur, demanda Georges, à avoir des figues aussi sèches que celles que vous expédiez aujourd'hui?

— On lés laisse bien mûrir jusqu'au mois de juillet et août, et on lie les cueille pas avant qu'elles aient commencé à se rider et à se dessécher sur l'arbre. A ce moment, on les récolle cl on les expose au soleil jusqu'à dessiccation complète, en ayant soin de les rentrer et de les recouvrir lu nuit, Dès septembre, elles son'l livrables à la consommation.

— Le figuier cxigc-l-il un entretien spécial? s'informa M. Bernard.

-— Pas précisément; c'est un arbre qui se multiplie par boutures; il pousso, connue dû chiendent, sans aucun soin; toutes les expositions, tous les terrains, même les plus arides, lui conviennent; il résiste également bien au. froid cl à la sécheresse.,..

— Je comprends, dans ees conditions, que les indigènes s'adonnei\l,à cette culture.

•— En Kobyiie, ils la font consciencieusement ; ils labourent leurs Vergers do figuiers; ceux qui n'ont pas do buiitfs piochent le pied des arbres. Les figuiers existent partout dans ce pays. C'est près d'eux que l'indigène aime à placer son gourbi 1, car leurs branches détendent en voûtes verdoyantes, leurs feuilles larges et résistantes forment un ombrage épais, comparable à celui du noyer, ;>

1. Mniï-on indii.rù.iie.


ROUGIE. 169

Le commissionnaire, ayant proposé à M. Bernard et à son neveu de leur faire visiter ses magasins, nos deux voyageurs virent pour la première fois des caroubes. Ce sont de longs fruits aplatis, renfermant plusieurs graines au milieu d'une pulpo abondante et sucrée, régal de certains indigènes. Ces caroubes allaient partir en Angleterre; elles y sont utilisées pour la confection de galettes destinées à l'engraissement du bétail.

«, Voilà un commerce d'un bon rapport, expliqua le commissionnaire aux deux Parisiens. Je ne puism'empêcherde regretter pour les Français et les Algériens qu'ils n'aient pas encore apprécié la valeur nutritive des caroubes pour l'alimentation des animaux, et que les Anglais profilent à peu près seuls d'un produit que la colonie et la Métropole utiliseraient facilement, si elles lo voulaient. »

Lo commissionnaire aurait pu ajouter que le caroubier, outre qu'il était un arbre agréable par la beauté de son port cl l'épaisseur do son feuillage, fournissait un bois très apprécié en menuiserie, et que la caroube, comme la figue, était susceptible de produire, â la distillation, de l'alcool.

Une sallo était préparée pour recevoir les oranges, les mandarines cl les citrons, dont on allait bientôt faire la récolte.

« L'arrondissement de Bougit- cob ^le de superbes orangeries, dit l'hôte aux visiteurs,. Les oranges les plus renommées sont celles des Babors, ces montagnes que vous avez traversées en venant de Sétif, et celles de Toudja, à 2» kilomètres d'ici.

— D'qù prenez-vous les oranges que vous m'expédiez? s'informa M. Bernard.

— De ces deux endroits, monsieur, et de l'oued Agrioun, où les oranges sont sanguines, et très appréciées de vos clients, m'uvez-Yous dit.

— En effet! mais elles ne lo sont ni plus ni moins que vos mandarines cl vos citrons, eux aussi excellents! »

Sur cette parole flatteuse, le négociant suivit le commissionnaire dans le local des pressoirs à olives. Là, il fallut donner à Georges un ta? d'expllcationsi lui dire que l'olivier était Ja plante indigène par excellence dans l'Afrique 'du.


ÎTÔ/ A TRAVERS L'ALGERIE. - -

Nord; qU'il croissait spontanément partout; grâce aux semis naturels faits par les oiseaux, mais que les colons sérieux constituaient des olivettes par greffage ou en plantant do jeunes arbres obtenus par semis, boutures ou éclats; qu'il était indispensable do labourer les terres, de les fumer cl au besoin de les irriguer, enfin détailler les oliviers.

« 11 y a. comme vous le savez, deux sortes d'olives, dit le commissionnaire : les olives vertes de conserve, que l'on cueille fin septembre et en octobre; les olives pour l'huile, que l'on récolte lo plus souvent au moment où elles sont mûres el noires et prêtes â se détacher de l'arbre, en décembre et en janvier.

-- Vous m'avez bien envoyé l'an dernier des olives noires en bottes, remarqua M,,Bernard.

— C'est exact! Les olives noires en conserve sont une spécialité, dont l'exportation devient considérable. •

— Comment fabriquez-vous l'huile? demundu Georges ù son lotir.

— Une fois les olives gaulées oii cueillies, on les broie sous les moules que voici (el il montrait les moulins), La pâle formée de la chair, du noyau et de l'amande écrasés est enfermée, après quelques heures de. repos, dans des sacs en alfa, qu'on place les uns sur les autres. A travers ces sacs passe d'abord une huile dite huile vierge. Une légère pression fournit l'huile surfine, ci utic seconde, plus forle, l'huile fine. Ces huiles sont comestibles. Pour extraire l'huile restante, on arrose la pâte d'eau bouillante el on la soumet à un dernier pressage. On oblielil l'huile lampante employée parfois dans l'alimentation, lorsque la fabrication en a été soignée, mais généralement réservée aux usages industriels. Le résidu contenu dans les sues en nlfn constitue les tourteaux, dont on peut extraire encore de l'huile pour le graissage des machines ou la fabrication du savon, en les traitant par le sulfure de carbone; Ou les utilise aussi comme engrais ou pour l'alimentation du bétail. »

A ce moment, M. Bernard ayanl regardé sa montre fui tout surpris de voir qu'il était l'heure de déjeuner. Les deux Parisiens quittèrent le commissionnaire, lui donnant rendezvous à l'hôtel après le repas,


GIIAP1THH XXIX

L E S E N V1I10NS D E II 0 U GIE; - t) E ROUGI E

A DJIb/lELLl -;/'''M

Une jolies promenade, — Lèciip Cnrbori. — En hulol»us. — Lit inagtiiltttuo roulu de njîdjclli;'■—.- Ziainttet lus grotte* de Minïsouriti. — La liuîe de /l'jùn, -— Les granits dd Cayàllo,".— Djidjeili ! son histoire, son aspect,, sou port, sft prusptïritiV — Les tremblementsde terre.

LK négociant voulait traiter rapidement'les allaites pour lesquelles il e'tail venu à Bougie; â trois heures de l'aprèsmidi il avait tout terminé avec le Commissionnaire. Celui-ci mit sa yoituriî à la disposition îles deux Parisiens, s'cxcusatit de ne poùvoirleâ aècompagiier. H était rctetuiehez lui par les expéditions courantes. • « Où nous conseillez-vous d'aller? lut dit M. Bernard;

-t-* Au cap Carbon, la promenade traditionnelle des environs de Bougie, ■ / .'■',->—/ Celle que nous avons faite ensemble à mon dernier Voyage?/.:'-'

;/—- Celle-là même..,, Mais, j'y pense, vous ne m'avez jamais conté vos impressions sur l'excursion en Kabylic,-.que vous avez entreprise en quittant Bougie, il y a deux ans.

^Spîcndidcl mon cher, merveilleux!

— J'espère que vous y conduirez votre neveu celle.fois-ci.

^- j'ai, eh effet, l'intention dé gagner fizt-Ouzou eh voilure et d'y prendre le train pour Alger; mais je voudrais, avant


172 A TRAVERS LALGÉRIE.

de revoir la Grande Kabylic, achever de connaître la Petite, et me rendre au moins jusqu'à Djidjelli.

— Bien de plus simple! lïn ce moment, il y a chaque.jour un service d'autobus entre les deux villes; vous pouvez partir lo malin là-bas cl eu revenir le soir.

— Dans ces conditions, tout est pour le mieux! Nous irons demain à Djidjelli el quitterons Bougie après-demain. »

A ces mots, nos deux Parisiens prirent congé du commissionnaire. Ils s'installèrent dans sa voiture et se rendirent au cap Carbon, à une lieue, de la ville. Chemin faisant, ils virent entre deux promontoires la vallée des Singes, ravin où ces quadrumanes abondent, cl les Aigundes, séjour enchanteur où les Bougiolcs se baignenl en été. Après avoir traversé un tunnel taillé dans le roc, ils montèrent une côte abrupte creusée dans la pierre, à pic, à 210 mètres au-dessus des flots, el, parvinrent au cap Carbon. Un phare de premier, ordre, à feu louruunt. destiné à signaler aux navigateurs le port de Bougie, se dresse sur le promontoire. Du Grand Phare, ils contemplèrent la côte jusqu'à Port-Gueydon, à l'ouest, et, à l'esl, jusqu'à Djidjelli, à l'autre extrémité du golfe de Bougie.

Le'lendemain, â la pointe du jour, M. Bernard el Georges s'assirent, eu hièmc temps qu'une bande de touristes, dans l'autobus qui fait le trajet entre Bougie et Djidjelli. De Bougie ù Soukel-Tennine, le lourd véhicule emprunta la route par laquelle les deux Parisiens étaient arrivés Pavanlvcille. A partir de ce village, et presque durant loul son parcours, la route de Djidjelli suit d'un côté la mer aux tlols changeants et de l'autre courl au pied des montagnes couvertes du forêts. Kilo longe les baies, coupe les promontoires, traverse les rochers sous des tunnels, surplombe les vagUes, qui tantôt viennent mourir sur des plages sablonneuses, tantôt viennent déferler au bas de falaises abruptes. Georges, avec son enthousiasme ordinaire, affirma qu'il n'avait jamais rien vu d'aussi beau; les autres touristes n'étaient pas loin de partager son avis, puisqu'ils déclarèrent que ce spectacle était unique en son genre.

A peu près à mi-chemin, au oOc kilomètre de Bougie, les voyageurs passèrent à Ziumu. un village de pécheurs eldc


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lu A TRAVERS L'ALGÉRIE. ? ///

baigneurs, bâti sur un promontoire peu élevé, en face d'un îlot rocheux. A une lieue plus loin, l'auto" stoppa pour leur permettre de visiter les grottes merveilleuses do Maàsouria, découvertes, par hasard, en 1901, grâce à l'explosion d'une mine. Une petite porte dans la paroi d'un rocher y donne accès; les touriste? descendirent les marches d'un escalier qui les amena dans les grottes, éblouissantes dé blancheur ■à.,la lumière des lampes. Do gigantesques stalactites,/de colossales stalagmites, apparaissaient comme dès colonnes d'albâtre» au milieu"tlo scutptures qu'on aurait juré fouillées par la main de quelque génie. Lo guide ayant allumé du magnésium, lés absides cristallines de cetemplesouterrain prirent l'éclat de l'argent. Celle vue arracha à toutes les personnes des exclamations admiratrices, Après la première salle, une seconde; à|U;ès la seconde une troisiène,-toutes plus belles les unes que les autres et présentant toutes des aspects différents. Nos visiteurs regardaient sans se lasser.... Il faillit cependant remonter eu auto..i; Le lourd véhicule continua sa roule, passant près de la baie deTazû. Elle offre un sitemerveilleux limité par des pics élevés formant les Gorges du mémo nom, sur lesquelles les Voyageurs jolèrenl dé la voiture ùti coup d'cell rapide cl intéressé. Ils virent la pointe de Càvallo cl aperçurent les célèbres carrières do granit, dont résplàitation fait vivre les habitants dit village récemment créé à cet endroit. De Çavallo à Djidjelli, la route traverse d'abord des"forêts de chènes-iiège, puis une.forêt dopins maritimes, et eiifinuiife plaine limitée par de grands platanes : ceux-là mômes qui ombt'agcni les rues de la ville de Djidjelli ÇÏ 000 habitants), une des plus belles dit littoral algérien.

/ Comme Ilougie, elle jouit un rôle commercial important. aU cours des siècles. A l'cxeinplede Charles Quint* LoUis XIV y envoya des soldats chargés do combattre les pirates; le débarquement réussit, mais les Turcs les chassèrent de Djidjelli au bout do quelques mois, Kri i'8&2, nos troupes occupèrent celle ville» qu'un tremblement do terre détruisit: en 1.S50. C'est seulement en 1871 que les Kabyles, refoulés par l'administration, qui séquestra leurs biens tut profil de; la eolonisalioii, cédèrent la place à nos compatriotes. Ils y


' DE R0UG1E A DJIDJELLL 17!>

bâtirent une élégante cité, aux rues droites, larges et bordées d'arbres superbes; ils y construisirent do riantes petites maisons, au milieu dojardinsémaillésde fleurs et de bosquets touffus. L'Ktat lui-môme dota Djidjelli d'un port spleudide, bien protégé, permettant les services réguliers de vapeurs côtiers et au besoin celui des grands paquebots. Grâce à ce port, grâce à' la création de nouveaux centres à proximité de la ville et au percement de nouvelles roules, • Djidjelli est appelée à un développement rapide,'-'d'autant'< plus que la région avoisinante possède une très grande étendue do forêts de chônes^liège, de fertiles vallées encore incultes et des richesses minières inexplorées ou inexploitées. La caravane, ayant parcouru la ville en tous sens cl visité le port, se retrouva complète à l'hôtel pour le déjeuner. A table, la conversation roula sur l'excursion du matin, sur lu ville de Djidjelli et, eh fin île compte, sur les tremblements de terre,!quuitd quelqu'un eut rappelé le terrible événement de 1850, destructeur de l'ancienne cité. « Les tremblements de terre sont assez fréquents dans ce pays, remarqua un des convives. A la fin du xviit 6 siècle, Orau fut détruite par des secousses sismiques; au commencement du xix,:, ce fut Blida; au milieu du tnème siècle, Djidjelli!...

;/.-—, VA au commencement du '.'.xx' siècle, ça faillit être Cohslanline, acheva un voisin en riant, el il ajouta : J'y

/étais! / "'■ ,;: :/-; '•/■' --'-".

—-Vraiment, monsieur! s'exclama Georges. Dans ce cas, racontez-nous vos 'impressions,

— Ce ne fut pas drôle, comme vous pouvez le croire, Dans la huit du t Uu B août 1007, vers deux heures du mutin, un terrible grondement souterrain se fil entendre, suivi d'une violente secousse d'une dizaine de secondes. Ces dix secondes me parurent un siècle! Je pensai d'abord que des malfaiteurs frappaient à ma porte, mais je me rendis vite compte de oc que.c'était. Croyant ma dernière heure arrivée, je revis en un instant toiltc mon existence, cependant que le plâtras me tombait du plafond surla ligure.

— Kl alors? dit Georges, suspendu aux lèvres du conteur.

— Alors, je me levai, je ni'lutbillai en hâte et je sortis. Tout Couslanline était dehors/Les langues allaient bon


170 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

train; les prédictions les plus sinistres parcouraient les groupes di gens à demi velus cl apeurés, qui-croyaient à la disparition imminente de l'antique rocher. La nuit passa, agrémentée d'une vingtaine do petites secousses; la journée suivante passa, sans que les petites secousses cessassent, et cela dura pendant un mois. Un beau jour, la terre ne trembla plus; depuis lors, on a enregistré très peu do mouvements oscillatoires.

— Comme dégâts? questionna Georges de nouveau.

— Bien ou à peu près : quelques cheminées à terre, des plafonds tombés, des murs fendus, mais pas d'accident de personne.

— Heureusement! dit le jeune garçon, qui respira comme si on lui avait enlevé un poids do dessus la poitrine.

— Ne vous frappez pas, mon ami, fil un des convives, qui n'avait pas perdu un mot du récit précédent. Les tremblemonts de terre ne sont pas rares en Algérie, c'est vrai ; mais le plus souvent ils sont bénins. Les journaux signalent fréquemment des secousses cl, Dieu merci, rarement des sinistres. »

La lin du repas coupa court à de nouvelles explicalions; l'on passa, au moment du café, à des sujets moins périlleux^ et plus gais. Vers deux heures, les touristes reprirent leur place, dans l'autobus qui, trois heures plus lard, les ramenait h Bougie par le même chemin.


/ CIIAP1TUK XXX

LA GRANDE KÀBVLIE

;■;."-.//'-;-//,"'>.'/> ■:■■ 1 ;.//'-/■''■- /.. ..:"/; ..'

: // DE BOUGIE A AZÀZGA

Les plus belles forets de l'Algérie. — Los villages kabyles. — Leur empli-'

çenieut. 1 — Leur distribution en khnronbas. -- La Pjemaa. ■-- Ses pou"Voirs,

pou"Voirs, Lit mosquée.— Les habitations (extérieur', intérieur).— Larace

''.: kabyle. ~ Ses qualités. -- L'achat des femmes. — Kennmjuable esprit

1 dé solidarité et d'assistance mutuelle. — Un 'moyen pratique de continu;/.nteallon'.'.-4

continu;/.nteallon'.'.-4 d'assimilation <ÎQ la rnee kabyle. ~- TUl-Oùég/u.

/ IVri-Nalion»!.'" La création dis ce poste.>r- Sa situation reinaujtiable,

,^ L'industrie, kabyle. >—■■ La bijouterie, l'armurene, .l'ùbêntstcrié, la

/'■'"srittrler.i^./la/"^!^!^, là.l&ptsis'o'rio.'/^'L'i.iidùsIric'ftûiimatc.

T)Ahi'is ; de; Bougie le jour suivant à six heures du mâtin, L / JL Boritàhl et Georges arrivèrent au /bout'd'une heure à laslàtiou d'12t-i\seur. Là, ils quittèrent le train pour monter dans la voiture qui devait les mener à Aztuga, l'étape entre Bougie et Tiïti*t)ûstou/La toute qu'ils suivirent traverse de magnifiques forôls aux arbres centenaires, réputées ajuste litre comme les plus belles de l'Algérie.- Kilo laisse à droite et à gaitçho de pittofésques villages kabyles. Ceux-ci sont bâtis sur le flanc des montagnes, à des hauteurs suffisantes pouivéviter l'atteinte dos lièvres assez fréquentes dans lés vallées,ou au sdniniei de pilons presque inaccessibles, si le caractère do ceus qui les ont construits était belliqueux. Autour de ces villages ou déchras, on distingue ordinaire*

..V.TiiAVkiis i,'Atijf:we. " ". •.: ; 13 ■-.-.-.,


178 . A TRAVERS L'ALGERIE.

ment une enceinte extérieure de fortificafions. Elle se compose d'ouvrages en las do pierres ou de plantations épaisses de cactus, dont les feuilles servent à la fois de. rempart el de nourriture d'été pour le bétail. Les villages sont des amas do masures pressées les unes contre les autres ; cependant on reconnaît une certaine méthode dans la distribution des quartiers. Tous les habitants appartenant au mémo groupa familial constituent une Uharouba el habitent dans le voisi' nage les uns des autres; les ruelles des diverses kharoubas convergent vers une place commune qui esl la djemaa. Sur celle place, un caroubier au feuillage épais ou quelque olivier séculaire, parfois môme un hangar, servira d'abri aux Kabyles, lorsqu'ils se rassembleront pour se communiquer les nouvelles du jour et tenir leur consejl, connu aussi sous le nom de djemaa. Tout individu mâle de lu tribu, ayant atteint l'âge où il peut observer dans sa rigueur lo jeûne du llhamadan et qui esl reconnu propriétaire d'un fusil, a le droit d'àssîslèr aux réunions de la djemaa.

La djemaa exerce les pouvoirs administratif et judiciaire; ce dernier suivant un code kabyle {kanowi), dont lo texte écrit n'existe pas, mais que tous les indigènes connaissent dans ses dispositions particulières. Le pouvoir exécutif appartient à un représentant élu ou amin, révocable au gré de ses concitoyens, quand il ne remplit pas sa charge à leur satisfaction.

Sur la place publique du village kabyle se trouve généralement la 'mosquée. C'est un bâtiment très simple, oh se fient le marabout lo plus vénéré du village cl dont les murs abri- ' lent un certain nombre de petites niches. Dans ces niches les iîdèles entretiennent des lampes funéraires en l'honneur des mânes de leurs ancêtres. Hommes et femmes viennent à la mosquée pour faire leurs dévotions el consulter lo marabout, dont les oracles sont payés de cadeaux rémunérateurs.

«< Les maisons du village sont construites eu briques ou en ioub et recouvertes de tuiles fabriquées sur place. L'intérieur est divisé en plusieurs chambres séparées par des murs n'atteignant pas plus d'un mètre de hauteur el permettant aux individus cl aux animaux, qui logent sous le même toit, de


LA GRANDE KABVLIE.

179

profiler la nuit de la chaleur commune. Des banquettes adossées au mur servent de couchettes. Parfois l'habitation est formée de deux corps do bâtiments, dont l'un est réservé aux femmes et sert aussi de cuisine: mais elle n'a jamais qu'une seule porte communiquant avec l'extérieur et point de fenêtres, excepté do petites ouvertures dans les murs, pouvant

servir de meurtrières au besoin ci soigneusement entourées de peinture bleuo, dans les maisons bien ténues. Pas de meubles, excepté le sondouk, qui est le bahut par excellence, où l'on garde les vêlements de gala, les ormes, les bijouxet autres objets précieux de la famille. Le sondouk est fait de bois de thuya, de cèdre ou de noyer ; la richesse de son or.m> mcntalion varie suivant la situation de sôh prôprièlàire. Oit couche et l'on mange sur des nattesétenducs sur le sol. Do grandes jarres atteignant deux mètres de hauteur, consiruilesavcc une pâlo séchêe composée d'argile et dé boUëe dé vache, ornent les coins de la salle et contiennent les provisions de blé, d'orge ou do ligues, dont le Kàbylé fait le fond de sa nourriture; l'huile est conservée dans des pèàÙK

Village kàbyiè.


180 . A TRAVERS L'ALGERIE.

bouc et le miel dans des jarres en terre grossièrement façonnées '. »

M. Bernard cl Georges nvaicntdéjà eu l'occasion à Constantinc et dans d'autres endroits de faire connaissance avec les Kabyles. Ceux-là, pour des raisons particulières, avaient dû s'expatrier afin de gagner leur vie; mais la plupart d'entre eux sont sédentaires, agriculteurs ou jardiniers. Ils aiment la terre avec passion el la travaillent sans relâche; ils sont patients, sobres, d'une économie, confinant à l'avarice, si l'on en juge, par le nombre d'indigènes que l'on rencontre nu* pieds, les vêtements en haillons, la chéchia crasseuse et décolorée. La plupart des enfauls se promènent la tête découverte. Georges en fil la remarque à son oncle cl lui demanda pourquoi chacun d'eux avait au sommet de sa tôle rasée une petite touffe de longs cheveux. M. Bernard,expliqua à son neveu que tout bon musulman possédait une telle mèche; c'est par clic que le Prophète, au jour de la mort, doit saisir ses lidèles pour les élever au royaume des bienheureux.

La famille kabyle repose encore sur l'achat de l'épouse. La femme est un objet de luxe, que le mari achète à ses parents à des conditions débattues sur sos talents particuliers cl sa beauté. Une femme ordinaire vaut 200 francs el quelquefois moins, tandis qu'une autre plus belle et ayant plus d'aptitude a la cuisine, uit lissage ou à lu poterie peut atteindre le prix de 2000 francs. En toul cas, la femme kabyle n'est pas chez elle réduite à la servitude et à l'isolement comme la femme arabe.

Dans la fumillc, dans le village et même dans la tribu règne un esprit rèiùârqùablc de solidarité et d'assislâncë mutuelle, Sans perdre de sa dignité, le pajàvrè rèçoil de la commune la ration do vivres qui lui est nécessaire. Celui qui veut élever une construction a droit à l'assistance du village entier; les travaux des chànips : labours, moissons, fenaison, cueillette des ligués et des/ olivios, se font par Un échange/ de concours; une eorvée générale assuré même la culture des terres de quiconque ne peut plus travailler. Les ouvriers des .différentes, corporations; mctienl en commun le produit

L tîttt. Vcrdicr, là KabyUe,


; / / LA GRANDE KABYLIE, v 181

de leurs gains, cl la r/putition des bénéfices a Mou très loyalement. Dès muletiers, qui rencontrent sur la route Un voyageur, donl lé mulêl s'est abattu ou ne peut plus marcher, se partagent là charge cl remettent en lieu sûr le fardeau qui

" leur a été confié. On voit mieux : le Kabyle vis-à-vis de l'étranger daîis le malheur se conduit en ami ; il va au-devant dé lui dans les journées d'orage où. de neigé, l'abrite, le

/réchauffe et lui donne de la nourriture. -, .

Comment pouvait-il savoir sa présence dans les parages de son village'? dehiandera-t-on. Parce que l'arrivée d'un étranger dans une tribu esl toujours signalée de loin par les uidifrènés; ils se crient la nouvelle de proche en proche, de sommet eh sommet. D'ailleurs, tout Kabyle qui voyage dévient messager dés événements ; il interroge et renseigne à la fois les individus qu'il rencontre eu chemin, et de cette autre faëoii les événements sont rapportés jusqu'aux confins du tcrrilûire. Bavurd et raisonneur, ii aime à rire, à chanter, à s'amuser; B,diffère en ..Cela de l'Arabe, qui, dans ses occupations et môme dans ses plaisirs, associe la dignité à la gravité, Il est aussi moins routinier que l'Arabe et paraît comprendre mieux que lui les bienfaits de la civilisation, il

/envoie/^

:yerhenmht en;a/til créé/dans tous les centres importants.

• Là, les jeunes Kabyles apprennent à parler et à écrire notre langue; on IAS initie aux travaux manuels et on leur enseigne l'art de cultiver la lerre avec nos procédés, nos instruments, plus perfectionnés que les leurs. C'est par de tels moyens que, la Franco s'est attaché les Kabyles, qui sont devenus pour nous de précieux auxiliaires.

''.:-. i" ' :/ "' .. .'/ '/. '"Il '.

D'AZAZGA A TIZI-OUZOU ET A PORT-NÀîlONAL

Les 40 kilomètres qui séparent Àzazga, où nos voyageurs passèrent là imit, do Tizi-Ouzou, point terminus de leur excursion, furent parcourus eu quatre heures par la voilure. Après avoir rapidement visité cette petite sons-


182 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

préfecture de 1800' habitants, chef-lieu administratif do la Grande Kabylic, M. Bernard entraîna son neveu, toujours en voilure, jusqu'à Fort-National, à sept lieues de là. A mi-chemin de Forl-National, la roule qu'ils suivaient commença à monter jusqu'à celte ville, s'élevnnt, en lacets, de 120 mètres à 930 mètres. Au bout de la côte/ el après avoir traversé quelques villages kabyles, les voyageurs parvinrent à leur but;

Lorsque, eu 1857, les tribus habitant celte contrée so furent soulevées à la voix d'une prophétésse, Lalla-Fathma, le. maréchal Uandon, gouverneur général, résolut de mettre le Sceau à la conquête de l'Algérie par la soumission des Kabyles du Djurdjurn, la grande chaîne aux cimes élevées qui borne la Grande Kabylic au sud. Il cerna ce massif, entra au coeur même du pays, écrasa l'une après l'antre les tribus révoltées, et, au milieu des montagnes, sur un plateau qui domino des centaines de villages, il bâtit à 950 mètres d'altitude une citadelle : le Fott-Napoléon, aujourd'hui Fort-National.

M. Bernard ci Georges trouvèrent la situation do ce centre, particulièrement remarquable; de chaque côté un panorama différent se déroulait à leurs yeux. Au nord, leur vue s'éleli- " dit sur une vallée, sur des montagnes aux flancs boisés, sur une multitude de dédiras. A l'ouest, ils devinèrent, au fond d'un ravin, le'cpurs. d'un oued; au delà, s'élevaient des montagnes, encore des montagnes, cl, aux limites de l'horizon, les monts de Blida cl de Médéa; dans la même direction, lo fort et le bourg do Tizi-Ouzou, qu'ils auraient pu croire à leurs pieds. Le temps étant très clair, ils entrevirent la Méditerranée par doux êchancrures, nu voisinage de l'embouchure de Tisser, l'oued le plus important de la Kabylie. A l'est, d'autres, montagnes couvertes de forêts, d'autres dédiras à peine perceptiblesI Vers le sud, ils admirèrent surtout la gigantesque muraille du Djurdjura, aux altitudes s'étagcanl entre 1900 cl 2300 mètres, cl dont l'aspect varie à l'ouest, au centre el à l'est. Plus près d'eux se développaient les contreforts du massif, profondément entaillés par les ravins; des villages nombreux so pressaient sur les crêtes, comme, autant de forteresses inaccessibles. Chaque tribu,


LA GRANDE KABYL1E. 183

cantonnée sur son contrefort, semblait un pays indépendant} séparé des tribus voisines par de profondes gorges. Pour se rendre d'une tribu à l'autre, il faut suivre des sentiers qui paraissent impraticables à première vue, descendre dans les fossés formés par les ravins cl les remonter presque à pic. Ici, la population est très dense et égale à celle des pays les plus peuplés de l'Europe; les habitants so livrent volontiers à l'industrie.

. r Une des principales industries est celle des bijoux kabyles. La faculté que les femmes possèdent de sortir sans le voile explique sou importance. Beaucoup détiennent chez elles de grands coffrets d'ornements riches et variés, des boîtes ren- : fermant des diadèmes, des broches, des pcndanls d'oreille, des bracelets, des anneaux de jambe, donl elles so parent aux jours de fête. Une tribu des environs de Fort-Nationàl fournit des orfèvres nomades; ils vont do village en village fabriquer les bijoux sur commande. Leur matériel est dés plus simples; tous leurs outils tiennent dans un sac en peau de bouc. Arrivés au village où ils veulent travailler, ils déballent leur sac, qui devient soufflet. L'enclume est fichée dans le sol, le creuset posé à terre. Bientôt le métal entre en fusiohot subit sous le marteau des transformations artistiques.

Les Kabyles adorent le corail: ils le façonnent à l'aide d'une lime fixée dans un mancho de bois et le polissent aveu une pierre dure. Us lui donnent la forme de clous ronds ou de poires, l'enchâssent dans le bijou, par une sertissure solide, el, pour assurer son adhérence, versent de la ciro d'abeille dans la concavité, Depuis plusieurs années, lccclluloïdo tehd à remplacer le corail, car il coûte moins cher el le travail eh esl plus facile.

Tous les bijoux sont en argent, les Kabyles n'ayant jamais utilisé l'or. Pour remplacer les lingots qui leur manquent, ils se servent du métal des pièces de monnaie el de la grenaille vierge achetée à Alger. Ils martèlent le métal ou l'étircnt-en fil; à l'aide de ces fils, ils tracent les dessins sur une plaquçd'argent mince; ils soudent les dessins à la plaque, et, comme ils ornent d'émail tous leurs bijoux, ils introduisent; dans les cloisons ainsi formées des émaux en poudre de cou-,


184 ;/'/'-///-'/^

leur blotiè, verte oU jaune et/les fondent au chalumeau.

L'industrie -dés armes, autrcipis florissante, se réduit, aujourd'hui à là fabrication 5 de coUtcâùx ou de sabres pout/ l'exportation. Ce§ couteaux Sont en fer forgé avec incrustations de cuivre où d'argent; le manche cslen cuivre repolisse ou en bois sculpté] Quelques tribus possèdent des ébénistes : outre les iiiàhchçs de côuleàùxi ils font des chevalets poitcCoran, des tablettes, des .crosses d'armés, des fourreaux do ' sabre; mais c'est là une industrie réduite! ■'-''.

Il n'en est pas damômède la,spàrterie, l'occupation iniiée chez le*s/Kabyles. Elleleur procuré des ressources, grâce à/; l'utilisalion des couffins pour rexportation des figues et des nattes pour l'ameublement des maisons indigènes.

Deux aUtres industries s'exercent en Kabylic sur une moins'"; grande échelle i celle des poteries et celle dela tapisserie, ta première atteignit au moyen âge un certain dévcloppemciit; la poterio^de luxe kabyle fut alors exportée en quantité cdh-; sidérablc dans lès nations riveraines dé la Méditerranée./ Les nombreuses luttes" qu'eurent à soutenir lés Kabyles furent la, cause de la déeatlcncc presque absolue dé celle industrie. ; Les femmes seules; s'en occupent aujourd'hui; Elles cassent ■ l'argile';.'ntttur!fitio,;';.ià; nièlai%çiii. à//Jc$. .dèjbiiHs ; broyés dé vieux ciment,la mouillent et là façonnent avec le ^ seul secours de la main ; elles eh polissent la surface avec une raclette cii bois et lin galet plat. La pièce séchèc est reçoitVerte d'une pâté argileuse pcU épaisse, ordinairement colorée - a\'ec des ocrés. Lorsque cette pàlë est sechb à son tour, les femmes procèdent à la décoration. Celle-ci est simple : traits géométriques, lignés brisées; points iioirs, jaunes, rouges, verts (oxydes mîhèràux; délaya dans l'eau et appliqués uvee un pinceau en poils tic saitgltor). Après exposition au soleil, les poteries sont cuites ; oh entasse les pièces, en plaçant les plus grosses par-dessous, et l'on recouvre le tout de branchages; auxquels on met le feu. Lo feu dure Une heure et demie; quand les cendres sont refroidies, oii retire les pièces. Celles qui Sont desliiiéeè à lu vente sont eouvcrlesd'ùU vernis obtenu par le frottement sur leur surface encore chaudo d'un triorceaU de résine. Los autres, les poteries ménagères, sôhl livrées sahs^ucùneprépâraltojvsur les marchés voisins^


LA GRANDE IlABYLlE. • 185

■-.: Quant à la tapisserie, c'est une industrie moins développée chozies Kabyles que chez les Arabes. Cependant; certaines tribus du Djùrdjura fabriquent do superbes couvertures ou tcniUres en laines lissées.

.-'-Lo décor est rudimentaire et purement géométrique chez lés Kabyles, qui n'emploient qUe les couleurs simples. Les laines sont teintes aux douleurs végétales extraites do plantes originaires du pays même où elles sont employées. Les tapis indigènes s'achètent au kilogramme, le prix variant de A à 30 francs suivant la finesse du travail.

« Disons, en terminant ce chapitre, qu'en dehors de la grande industrie de quelques douars, chaque famille kabyle possède de véritables artisans chargés de fabriquer pour ses membres lès objets de première nécessité. Les femmes lissenlTes bUrhoUs, les ha'icks, et les habayaà (chemises de laine). Elles confectionnent les jarres et les cruches en terre cuite. Les hommes travaillent les peaux qui servent à faire les chaussures et les selles des mulets bu des ânes; ils font aussi la Vannerie nécessaire au transport de leurs produits et taillent dans le frêne ou l'olivier les plats énormes, que les femmes emploient pour faire le couscous, et les cuillers qui servent à le manger. D'autres font dès cordes cii poils de chèvre, en dîss ou eh alfa, dés chapeaux do paille et des couffins. Lés ouvriers en bois font aussi des sabots, des plats, des plaqués do liège pour couvrir les maisons. Oit'trouve/ èhèbrë dioz eux des vanneurs, dés teinturiers, des tuiliers; ilés potiers et îles cordonniers. U n'est pas jusqu'à la fausse hionuaiequi no devienne jmc industrie assez répandue dans lo ■■pays. Chaque village pourrait se suffire à lui-même avec ses industries parlieulièreSî et cette eonstalalion de la diversité des talents de là population kabyle justifie pleinement les clforls qui sont actuellement.entrepris pour en perpétuer l'originalité dans les ateliers d'art subventionnés par lo Gouvernement général1.» .

I. Verdicr, Lakabylh:


ciiMiM XxXï

ALOEït

La plaine de la Milidja. — Alger ville moderne. — Ses monuments. — La Kasba. — Lo faubourg do Muslaptm. — Le Gouvernement général. .— L'organisation administrative, de l'Algérie. —Une promenade nu jardin, d'essai. — Le port. — Le commerce de l'Algérie. — Lu traversée du retour. — Les résolution» de Georges. — L'avenir de l'Algérie.

Poun aller de Tizi-Ouzo\: à Alger, nos voyageurs traversèrent la plaine fertile de la Milidja. Cette plaine, autrefois marécageuse et malsaine, aujourd'hui asséchée et assainie, est l'une des plus riches du pays. Sa remarquable fertilité lui permet des cultures variées et rémunératrices ; vigne, céréales, tabac, pommes do terre, primeurs, fleurs à essences odorantes. Les orangers et les mandariniers qui entourent la coquette ville de Blida (18O0O habitants) ont une réputation bien établie en France el en Europe.'Lo voisinage d'Alger assure aux produits do la Milidja un débouché naturel pour la consommation cl l'exportation.

Alger, la capitale de la colonie, est une grande ville de IGO 000 âmes. Eu la parcourant avec son oncle,'Georges fut frappé de son aspect moderne. De magnifiques maisons y dressent leurs cinq étages, en bordure do larges rues à arcades ou de longs boulevards plantés de palmiers. Dans la masse mouvante des promeneurs el des gens «flairés, le costume banal imposé par la mode l'emporte sur les accou-


ALGER. 187

tremcfits bizarres des indigènes. Los tramways électriques, . les automobiles luxueuses 1, les véhicules nombreux cl variés y circulent, comme dans les importantes cités d'Europe.

« On ne se croirait pas en Algérie, mon oncle, dit Georges, exprimant sa première impression.

— Attends un peu, enfant : tu ne saurais le promener , longtemps dans celto belle ville sans rencontrer un monument de style mauresque, qui te rappellera ta présence en pays arabe. La plupart des monuments d'Alger'sont antérieurs à la conquête; d'autres, l'Hôtel des Postes, par exemple, ont été construits depuis, à In façon orientale. »

Georges eut l'occasion de les voir tous; il visita les principales mosquées el admira de jolies maisons mauresques disséminées dans la ville moderne (archevêché, palais d'hiver, bibliothèque, elc,).

Par une rue en escalier, son oncle le conduisit au quartier de la Kasba, curieux vestige de la vieille Alger. Le jeune garçon y aperçut le Palais où le dernier dey donna à notre - consul le coup d'éventail historique.

M. Bernard lui fit traverser en tramway le faubourg do Mustapha, aux villas enfouies dans la verdure. C'est lo lieu de prédilection des étrangers qui hivcrnenl sous le doux climat d'Alger. Le gouverneur lui-même y possède une seconde résidence, un palais d'été de construction récente, quoique d'architecture locale. Georges déclara naïvement à son oncle que le gouverneur était un homme heureux de disposer de deux palais.

« Le Président de la Bêpubliquc loge bien à l'Iilysêo en hiver, et à Bambouillct en été, remarqua M. Bernard,

— Cela est vrai, dit Georges, mais le Président de la Bêpublii|ue représente la France aux yeux du monde.

— Et le Gouverneur général, mon Georges, la représente aux yeux dos Indigènes. Pour frapper ces grauds enfants, il faut qu'il réside dans de somptueux palais, qu'il leur apparaisse entouré d'officiers brillants, de fonctionnaires chamarrés ; en un mot, qu'il ait du prestige!

— Situation très honorifique, mon oncle!

— Honorifique, certes! mais difficile, le Gouverneur général a la" haute direction do tous les services : politique,


188 A TRAVERS L'ALGÉRIE.

administratif, financier, économique, sans compter le plus difficile et le plus important, '•elui des affaires indigènes. -— H no peut suffi/ «-vl *> :t, e telle besogne?

— Nalurellcinc t: 11.9. eor,-.ie principal collaborateur le secrétaire général du Gy.ivvr-icmcnt, et trois assemblées l'assistent : le Conseil Je. ivernement, les Délégations financières, le Conseil supérieur.

— Comment sont composées ces assemblées et quel est leur rôle?

— J'y arrive, Georges! Le conseil de gouvernement est composé : 1° des chefs des grands services administratifs, tels que : inspecteur général des travaux publics, procureur général, recteur, etc.; 2" des conseillers-rapporteurs. Il donne son avis sur toutes les affaires générales intéressant la colonie : création de villages, de voies ferrées, modifications à apporter dans l'administration des indigènes, etc. Les délégations financières comprennent des membres choisis par trois catégories d'électeurs : les colons, les noncolons, les notables indigènes.

— Ceux-là s'occupclil des finances de la colonie, interrompit Georges.

— Tu l'as deviné! Ils discutent lo budget et étudient les questions économiques.

Hcslc lo Conseil supérieur, mon oncle.

— Le Conseil supérieur, qui se compose de hauts fonctionnaires membres do droit,'des délégués des Conseils généraux et des Délégations financières, de membres désignés par lé Gouverneur et de nolablçs indigènes, a pour principale fonction de voler le budget établi par le Gouverneur et les Délégations financières.

— La France n'u-l-elle donc rien à voir dans ce budget?

— Pardon! le Budget de l'Algérie ne devient obligatoire qu'après l'approbation du Parlement. »

Georges remercia son oncle des explications qu'il lui avait données, grâce auxquelles il n'ignorait plus comment était administrée l'Algérie.

Une promenade qui devait laisser au jeune garçon un souvenir impérissable fut celle du Jardin d'Essai. Il y vit des plantes inconnues : des ytteas gigantesques, des arbres à


jUlï.JfetntMin.;

/ Vue générale/ d'Alger/


s. 100 /. . . A TRAVERS L'ALGÉRIE., „

caoutchouc, des arbres.à suff, des arbres à savon, il s'arrêta' devant 1' « arbre du voyageur », qui donne un fruit crémeux et renferme dans ses bractées un petit réservoir d'eau; devant la « chorisia », dont le tronc raide et conique se hérisse do pointe* comme le collier d'un dogue. Il par-' courut les magnifiques allées de platanes, de ficus, de bambous, de palmiers, étonné cl ravi de se trouver au milieu de .celte végétation luxuriante.

Le jour du départ, au matin, le négociant emmena sou neveu sur les quais. Le long do ceux-ci s'ouvrent do vastes magasins voûtés, reliés par des rampes pour la circulation des voitures. L'étage le plus élevé supporte une terrasse, bordée d'un côté par .de hauts immeubles modernes, de l'autre par une balustrade oh viennent s'accouder, Taco à la - mer, les curieux et les oisifs. Au bout des quais, les deux promeneurs parvinrent à 1' « Amirauté », l'ancienne résidence des amiraux turcs. Ils avancèrent sur la jetéo qui, parlant de ce point, découpe les Ilots, el embrassèrent d'un coup d'oeil le poit, le plus important do la colonie.

« Ce port s'agrandit toujours, constata M. Bernard. Il est vrai que le commerce de rAlgériccst en progression continuelle depuis la conquête. Il était d'une dizaine do millions à ce moment-là, il dépasse aujourd'hui un milliard.

— Beau résultat, approuva Georges, et il ajouta : il s'agit bien entendu de l'importation et de l'exportation?

— Bien entendul Et'comme celle-ci a dépassé celle-là, l'Algérie peut dès lors se suffire à elle-même.

,—- C'est sans doute avec la Franco que l'Algérie fait la majeure partie de ses transactions? interrogea de nouveau le jeune garçon.

— Les 80 p. 100 du commerce de la colonie se font avec la mère patrie, mou cher Georges, et c'est le juste prix des elt'orls réalisés pour assurer la prospérité de ce pays.

— Prospérité incontestable» mon oaclel Elle saule aux yeux du voyageur, el jo serai bien aisé de proclamer en France mon admiration pour l'Algérie. »

. Celle admiration était réelle. 0;uànd le paquebot emmena vers la France M, Bernard, et.Georges, colur-ci resta sur le pont à contempler la terre africaine, jusqu'à ce qu'elle eût


ALGER. 191

complètement disparu. Alors il s'assit sur un « gibraltar », et, les yeux à demi clos, se remémora les différentes péripéties do ses excursions dans la province de Constantine et la Grande Kabylic. Sa rêverie dura jusqu'à la nuit. Le lendemain, à.son réveil, il entendit parler do la Fiance par ses compagnons de cabine. Il songea à ses parents, à ses frères et soeurs, qu'il avait négligés durant ce mois. 11 se fil un plaisir de les retrouver j" il se les représenta, l'interrogeant sur son voyage. Il sourit à la joie qu'il éprouverait de leur raconter ses impressions. Une idée lui traversa l'esprit : de communiquer, par une causerie accompagnée de projections lumineuses, son admiration pour l'Algérie à ses camalades du cours d'adultes. Beaucoup d'entre eux connaissaient à peiîie noire belle colonie ou la connaissaient mal. 11 tacherait de leur en expliquer la géographie, l'administration, la richesse. Il leur montrerait les indigènes, les initierait à leur vie et à leurs coutumes. Il insisterait particulièrement sur l'oeuvre grandiose de la France, qui a « créé » l'Algérie....

'Aujourd'hui, l'enfant est digne do sa mère. L'Algérie travaille sans souci des calomniateurs; elle prospère à leur confusion. Par la conquête morale des indigènes, elle assure le triomphe de la civilisation. La race que les Français y ont 'importée, a acquis en Algérie des qualités de hardiesse et d'initiative. Elle est destinée à trouver sa place dans le monde, où elle contribuera à la grandeur do la France.


m\ilE DES MATIEHES

Chapitres. - .-'.. l'âgé*.''

I. r- En route pour l'Algérie . V . . . ... ..,.,. -..' , .7

H. — l'hilippeville. . , . .", .... ......... ... 13

-III. -Η De Philippcvill! h Bine. ... . ... ." , . ; . . ..'. 10 ,

IV. — Bôno V., .-:•'.' .'■'.'.'■'.-: -.- .'.-■• '.■■'. -..■-. '../.'.- ,''.. /.--.:-/2t/,

V.-—La station estivale de Bugeaud. . . : , . V. . . ■. . . 30

VI.— Ilainranm Meslioutine. Guelmo. ,....,.. , . . .36

VIL — De Guelma à Souk-Àhras. De Souk-Aiiras à Tebessa. ; . 43 VIII. -Tebessa. ....... . ....... ... . .... 48

IX. — De Tébessa b, Aïn-Beïdai d'Aïn-Beïda a Khcnchela ... . , 53

/'■ X*. — Timgad. ,\:i. V..-.'/' .'-./,' .',LV//.-/.'..''.'./.. :.MJ XL —. De Timgad â Médina . . . . , . . • . • - ..... . 07

XII.■— Médihà.LcChélia: . ■-.-.> -.•/;• . . '.-./ . . > .^ . 1 , . ^73/ XIII. —^ De Médina t Arris. ..... . . . . ..... ', . • / /<s

. ; / XIV. -i-Do Arris à Ménaa . . . . .... ... . .'..; .■* . ■'. .-83

■';.\-.' XV.'^//ElKaiHara/..".:/..,■-'. .-Vv .'.,<•,' .'■■■'. . ■',...-.' i ,,•,'■:$$.

::/'''xv'L—-Biskra/.-...^ •'•'■•:! • •:.•/ • ■'•-.■ '• .•■•'••■• •;-;----ô5

XV1L — Promenades autour de Biskra. Sidi-Okba. ... .... . . ,101

XVIII: -- DeBisIfràVCônstautïne.;^;. . . / v . ."v'..'.-. .'■'..■/,: 107 XÎXi —'.L'arrivée'à. Co'nslantiné ..... .... ... V. ...110

;XX.'/^ Un peu d'histoire v.\ ,-•'.',..... . . . .'• ._.-....-./V . ljS

//XXL.--; Promenades à travers Constantlne . . . .. '. -vv -./.,/..'. I?4/-

XXll.-^* Moeurs »?l coutumes. . /. . , . '.'-. . ..... . .*/. . *-l32

XXHL— Vie commerciale indigène ^i '•.-.; '.':. . ; ;.. . . . '■•■'. .140

/ XXÏV. -4- De" bonstânliné â Châteaudun '..'.''. - , . . .:. ';"' .".',. 140 .-VXXV./ De Chétéaûdu/n à Seiif, ; .,. ../... .,/■.,../:'.-., 150;

■/ x/xvi:---^sètîf///////,.!.,/ ;;/Vv.-.'. v'. -.-,■■.-/.■.■/;./-;//''..//i3f

•';-''-Xx'VHv'4"-'he Sait à Bougie';/./.; .:;,/-".',.-/.' v'^/. .:.//::/.';/Ï59; XXVjIL —.Bougie.; ./V": :./// Y.''//;./ ..:. v.-//.//. ;.-'..'.:, ij64 ,•. XXiX.:/rT Lw.çnvirons/de Bpvèlç-.P^ Bougie â Djidjelli. ./;.,/.,. ./;iîl'■ -'/'-; XXX^/YLa Grande Katylie. ,// ... / :.:'; /':Y; v>Y Y

:'.-'■ / ■■-" Y/Y Y X'%t Bougie à Azàïga::.//...■. . ; > -v:-. ;./.''.,-/.;/■.î7Ji S;";./;; ;- ./■;.;':/..;.;/2./p*Aiaïçà/./;à-'n.«-ti'g'zp«

■r::.'xxxi;;/-' Alger//-,/;' .■-'.;//.;-/:-.//./'..-'. /Yy:;.Y./.;./YYY/i'Sf/

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