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Titre : Dans le "Sud Oranais" : souvenirs d'un médecin militaire / par le Dr A. Casset,...

Auteur : Casset, A (Dr). Auteur du texte

Éditeur : bureaux du "Réveil médical" (Paris)

Date d'édition : 1913

Sujet : Algérie (1830-1962)

Sujet : France -- Colonies -- Afrique

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34135942b

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 1 vol. (239 p.) : portr. ; in-8

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Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5675430f

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LK8-2225

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 21/07/2009

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/ ;. $0uV&nlps d'un Médecin Milllalpe

^ "Arieioit, Médecln-Mojor (Algérie)

flédacûùr-Chef du Journal'" I.E Hi'iViMi, MÉDICAL " À/miatttràitur itt ta " Belgique Prèyoy«nte ",' BrutlUts

S'ADRESSER:

PARIS, 30, faubourg Montmartre, Bureaux du " Réveil Médical" et çhe{ (oas les Libraires AféJicaux



DANS LÉ

( Tous droite résenès.)


A mon /ils, André CASSET, Lieutenant <te viseriv au 10* chasseurs à pied, Ingénieur civil {Ucole des Avis et Métiers de Chatons).

« Je te dédis ce livre : à ton àsje, j'étais (moi, médecin), dans les sables du Su.i-Oranais ; tu es toi, ingénieur), dans les steppes de.VAsie-MineûVi'. mais tous .deux, pavant de notre personne, nous allons de l'avant, pour le Progrès... pour la France !

LKA.C.

IkietC'lIlV'LA^SKT


p>nE^.AOis

L'ami CASSKT aurait dû enfiler sa redingote et mettre la plus immatriculée de ses paires de fjants pour aller demander à un académicien de la rue Bonaparte ou de la coupole du Pont des Arts de vous présenter ses «Souvenirs», cher lecteur, Mais réflexion faite, craignant d'abuser des instants si précieux de nos grands Cétacés de la littérature médicale, il vous les offre luimême, — pas d'intermédiaires, relations directes entre l'auteur et le consommateur !

Ces récits sont absolument authentiques, tout à fait vécus, (trop même pcut-èlte !). Le mouvementé des épisodes alterne parfois avec des aperçus sérieux et profonds, chapitres non plus amusants mais instructifs, qui montrent que l'auteur savait voir et juger;—que tout en gardant son indépendance propre et professionnelle, ila su se plier à l'ambiance indigène pour bien comprendre, bien décrire l'existence simplifiée de ces régions.

Vin un style très varié, tantôt lamilier et gai dans les anecdotes, tantôt sévère et élevé dans les réflexions, le t)r Casset raconte franchement une partie de sa propre existence, de la nôtre à tous, médecins militaires, dans ce milieu empoignant et inoubliable du « Sud-Oranais » où je fus son compagnon d'armes.

Dr SPITK,

Mcdtcin-majer de r* i!. en «traite.



Dans le "SUD ORANAIS "

I

Mon Départ

Mais oui, chers amis, j'ai passé quelques années de ma belle jeunesse de médecin militaire dans ces contrées brûlantes du ''Sud Oranàis : en fait de récit pourtant, n'attendez de moi rien de sérieux (je ne îe suis pas !) et n'allez pas croire surtout que je vais vous raser avec l'Algérie, Non, vous n'avez rien à craindre, je ne me rase pas moi même ; cela grève même assez mon pauvre budget, de 10 fr. tous les trois mois: c'est dur, allez, par ces temps de purée nationale se répercutant sur le portemonnaie de chaque idiot de contribuable. Mais laissons là ces mélancoliques réflexions budgétaires, pour sauter en selle SMT mon sujet, « currente eeiiamo » !

Si j'allais en Algérie, c'était avec une joie très mitigée : un avancement — mérité naturellement, mais pourtant bien désagréable — me faisant changer de grade, je fus obligé de quitter le corps des sapeurs-pompiers de la ville de Paris où je coulais les jours les plus heureux du monde (et les nuits aussi) pour me rendre au fin fond du Sud Oranais, à Gêryrille. Horreur 1 après avoir acheté la carte d'etat-major, j'avais constaté que c'était à 140 ou 160 kilomètres de toute espèce de station, et qu'il n'y avait pas d'omnibus de famille pour s'y rendre î « Saie patelin », pensai-je.

Je n'éprouvais nullement le besoin d'aller prendre l'air aux colonies, mais l'aide-major propose et le médecin-inspecteur dispose ! En vain, je voulus risquer auprès de ce dernier quelques timides tentatives, ce gros


S t. MON DÉPART

légume me répondit sans détour ; « Non, mais : lu par« les! toi seul de ta promotion n'est pas passé par les « Algéries et tu viens de faire 3 ans de Paris? Eh bien « mon colon !... tu peux taire ta cantine. »

Aussi, après des adieux déchirants à mon petit hôtel de h rue Sévigné attenant à la caserne, après avoir embrassé le nez de ma jument, celui de mon chat et quelques autres encore dont la fréquentation habituelle m'était bien douce, je m'enfilai à la gare du P.-L.-M. dans le rapide (7 h. 1/2 du soir) pour descendre le lendemain vers les ip'.h. à la gare Saint-Charles de Marseille : voyage classique, somnolent, avec le traditionnel café au lait en gare d'Avignon.

I. — Marseille.

Marseille I une ville très vivante, avec des las de bancs sur les allées et cours de Meillhvi, Delzunee, Saint-Louis, Prado, etc., dont la pierre est polie par le nombre infini de postérieurs qui s'y succèdent jour et nuit pour s'y asseoir. C'est incroyable la quantité de, gens qui ne iichent rien dans cette ville-là !

La réputation de Marseille date des hommes de l'antiquité: 1 Ce mouvement perpétuel, intense, prodigieux, autrement récréatif que celui des grands boulevards parisiens ; celle procession laïque et cosmopolite où défilent toutes les races humaines, où les types les plus curieux vêtus (où dévêtus) suivant les lois d'une esthétique bizarre se donnent en spectacle aux badauds et à la foule élégante assise à la terrasse des cafés ; ces légions d'exotiques qui vont et viennent dans le fracas assourdissant des véhicules et des cris : Chinois, Japonais, Annamites, Turcs, Arabes, Arméniens, Somalis et autres mal peignés, sans oublier les longues caravanes d'Allemands et d'Anglais ; et là-bas, tout au fond, cette forêt de mâts, preuve évidente que la Catmebière va jusqu'au bout du monde.

«t Tout — et jusqu'à cette liberté d'allures, ennemie de la contrainte et de la gêne, qui abolit les rangs, les distances et les classes, — contribue à faire de Marseille


I : î. MON t)Kl»ARt y

une ville accueillante, agréable ci gaie, digne de fixer l'attention de l'étranger. C'est la porte de l'Orient, une jolie F<>rte. nW foi, où l'art et la nature ont collaboré pour l'édification d'un chef-d'oeuvre. Quelque chose lut fait défaut pourtant et l'empêche de prétendre à la souveraineté suprême. Ce n'est pas le savon, par exemple, puisqu'elle en fournît au monde entier : C'est peut-être la manière de s'en servir; Cette reine manque de tenue. Trop souvent elle couvre ses épaules du manteau de Don César de lîazan et sa chemise, couleur Isabelle, n'est pas toujours blanchie à Londres. Ses vrais amis déplorent cette négîigencç, lis courbent le front sous les jugements sévères et les plaisanteries cinglantes que leur décoche l'étranger. Ceci est le défaut de ta cuirasse, ô Marseille ! Hntends-iu les ricanements de tes voisines, les villes coquettes, pimpantes, élégantes ? les rires moqueurs de Paris, de Lyoni de Nancy, de Bordeaux, de Nice ? (Rodolphe). : ;

J'avais tout un jour à y séjourner avant le départ de mon paquebot <H ja descendais sans enthousiasme la Cannebière (dont la réputation est encore plus surfaite que celle de notre Vénéré-Doyen), déambulant de la Place à l'intendance pour les petites formalités militaires, quand Un vigoureux : « Tiens, ce vieil ami t » me fit lever la tête et reconnaître un camarade de promotion, qui en revenait, lui, d'Algérie, lé veinard 1 Cet abordage instantané se continua au café, puis au restaurant, puis au beuglant, puis..,, mais je m'arrête, il y a peut-être des fonctionnaires qui me lisent : depuis les fameuses agapéo du D* Bidon à Ne vers\, on ne veut plus entendre pai 1er de nocturnes équipées.

D'abord, je n'étais pasgii ; pourtant l'éloquence communicative de mon collègue finit par me dégeler : « Tu sais, vieux frère, jouis de ton reste ce soir, car « là-bas tu pourras; entretenir l'huile de la lampe des * Vestales, mais pas les Vestales elles-mêmes. ;. berni« que ! — c'est incroyable ce que les femmes ont la « peau blanche à Marseille; depuis deux ans que je :-« n'en voisque des noires. — Mais tuyaute-moi donc

■-'•'' ' l


1Û I. MON DÉPART

« sur Paris, toi qui en viens, est-ce que... etc. » Et il ajoutait goguenard : « Ça a dû t'éreintèr ton service aux «Pompiers; trois ans de Paris, plains-toi î mais tu vas «avoir le temps de te refaire 1 » — Blagueur, va I comme si j'avais eu besoin d'une si lointaine mise au vert !

Je ne vous dirai ■ <en du Pharo, de M-J5. de la Garde, du Prado, Longe fià'mps, du Vieux-Port ou du Château dlj. Marseille est une ville qui se respire et qui ne se décrit pas : et, à ce moment-là, je la respirais joliment mal, malgré son originalité grouillante et débordante, que savourait si bien mon camarade rentrant, dont l'oeil s'allumait au passage des « Nervi » et des jolies « cagoles », amoureusement suspendues à leur bras.

II. — Ma Traversée.

Je m'embarquai en le quittant, avec une pointe de mélancolie : « voi qui enlrate, lasciale ogni speran^a » pensai-je en pénétrant dans ma cabine ! La Méditerranée me paraissait bigrement large, et il soufflait uri petit vent sec, bagasse, qui ne me disait rien de bon !

Peuh ! aller en Algérie pour 6 mois eût été un vrai régal pour moi ; bien portant, vigoureux et d'humeur voyageuse, j'avais déjà mené en pays étrangers (Londres, Anvers, Francfort, Turin, Barcelone, etc.) une existence assez mouvementée en escapades de 2 à 3 mois, et ce changement de figures et de climat eût fait mon bonheur. Mais quatre ans en perspective à moisir dans une infime garnison où l'élément masculin prédominait par trop, ce n'était pas si tentant I « Hélas, soupirai-je, « si j'attrape quelque chose, Ce ne sera jamais que le « spleen », songeante la raretédu sexe auquel je devais (et je donnais) tant dé moi-même 1

Le médecin de bord m'avait flairé tout de suite et la connaissance avec mon aimable confrère maritime fut vite faite. Tel le Df Balard d'Herlinville, il avait « tangué » sous toutes les latitudes et "* bourlingué » au compte de toutes les C'0*; aussi possédait-il la plus éclectique de toutes les philosophics, Devinant mon 3|>îa-


; t. MON DÉPÀftt 11

tissèmem interne, il me remontait le moral : « Vous « n'avez jamais quitte Paris, mille dioux, mais vous « vous y ferez tout de même là-bas, allez J moi qui vous * parle, au début ça m'embêtait ferme de lâcher la *t plancher des vaches,,, maïs j'en retrouvais d'autres à « irtés arrivées ! Ne vous inquiétez pas, la mer sera o mauvaise, je vous tiendrai compagnie. »

La mer fut détestable : ma cornue stomacale et mes it mètres d'intestin ert virent de cruelles l J'aurais juré avoir pris un ipéca continu. Alïalé, mou comme une lavette, je né percevais même plus les paroles encourageantes du confrère qui en était vite arrivé à me tutoyer pour me montrer plus de sympathie s j'étais si déprimé que cela me parut tout naturel et que, pourun peu, sentant que j'étais flambé, j'aUfai; fait mon testament en sa faveur: « C'est pas permis de souffrir comme cela, « glapîssais-je ; j'aimerais mieux mourir d'un seul coup « que de crever ainsi en détail. ■.— Bast, bast, encore te une heure ou deux, répondait-il, et t'auras lé coeur « marin ! — Le coeur peut-être, mais les boyaux Ja« mais ! c Ce que je regrettais mon petit boudoir de la rue dé Sévigné, avec l'en-càs préparé pour deux au retour du théâtre, le thé tout prêt, la couverture faite et défaite, etc... Ah oui, jamais plus je ne reverrais cela ; que je m'en tire,seulement et combien après je serais sérieux l

Pourtant, au bout de 8 à■ to heures qui me parurent six semaines, j'eus quelque répit. Je me rattachais peu à peu à l'existence i un léger désir de tboulotter quelque chose » surgit en moi, et mon vieil ami d'un jour m'apporta ce qu'il y avait de meilleur â }a table dés premières, avec une bouteille d'excellent porto que le commissaire réservait pour l'étàt-major et lui-même.

Je me refaisaïsà vued'oeil et quand le paquebot arriva a Carthâgènê pour la relâche, hum ! je descendis à terre très volontiers, piloté par mon sauveur qui, obéissant aux « psitt* psitt' » prometteurs de petits Espagnols à demi-nus, m'entraînait de leur côté t Ces cicérones spéciaux nous firent faire un petit totir de ville basse


12 ■ l. MON DEPAtVT

pour reprendre contact avec la terre et l'humanité. * Faut jamais rater une occasion de s\. .instruire, » me disait mon philosophe ami, devant mon peu d'empressement. Je m'instruisis et quand je regagnais le bord, j'étais tout à fait gaillard, ayant constaté que dans mon mécanisme intérieur aucun ressort n'avait été avarié par. cette lamentable traversée I

De Carthâgènê à Oran, l'on fit sa petite partie : je gagnai 23 fr. 60 à la manille parlée au commissaire et à l'ami D..., c'est vous dire que j'étais redevenu en possession de tous mes moyens : « Mais il nous dévalise ce sacré « terrien », s'exclamait mon sauveur l Bast, bien mal acquis né profite jamais, nous mangeâmes « la grenouille » à Oran, avec des ibidem ; ce fut même ma première occupation sérieuse sur la terre ?M\câine. Brave conf 1ère de bord, on se quitta en sappelant c vieux frère, for evcr », et l'on ne se revit jamais.

III. — Oran.

Je ne puis pourtant pas passer par Oran sans vous en dire quelques mots, ne fût-ce que pour ne pis être taxé de voyager comme un colis postal 1 — C'est la seconde ville de toute l'Algérie avec près de IOD.OOO habitants dont les 2/3 Juifs ou Espagnols. Elle est blottie entre la mer et de hautes montagnes qui l'encerclent et sur les plateaux desquels elle déborde par ses faubourgs; au sommet de l'une d'elles, (le Mourd/ad/o b8o m. d'attitude) l'ancien fott espagnol de Santa-Cru^ dominé toute la rade, avec un peu plus bas, une vieille chapelle isolée faisant ressortir l'aridité de ce versant rude et abrupt, Les assises du contre-fort montagneux plongent en pentes tellement riides et hachées dans les flots, que la route d'Oran à Mers-el-ICcb'ir (grande rade voisine à 7 kilomètres) traversé en tunnel, au fort delà Moune, ne pouvant passer entre les rocs à pic qui forment éboulis, et la mer qui vient se briser à leurs pieds.

La ville comprend plusieurs quartiers distincts : d'abord la Marine avec son port agrandi» ses vieille et


t. MON DÉPART 13

nouvelle jetées, ses docks, magasins, entrepôts, ateliers, etc. Petit, assez mal protégé, le port ne répond plus au commerce croissant de la ville, mais tel quel, c'est encore l'un des meilleurs de l'Algérie, assez dépourvue sous ce rapport. Devant la Marine s'entassent les maisons du vieil Oran arabe et espagnol, entre la Kasba et le CkàieaU'Neuf, comprenant tous les monuments ou constructions d'utilité publique : hôpital, préfecture, mairie, division, cathédrale, St-Louis, Grande Mosquée, etc.

Rien de style dans tout cela, sauf la mosquée du Pacha fort belle, et sinon la plus grande, du moins ta plus riche d'Algérie : .clic possède des biens inaliénables (habous) composant sa dotation, qui date de 1796.

Tout ce quartier est sillonné de rues tortueuses et grimpantes, parcourues par des voitures à deux chevaux toujours au galop; quelques beaux hôtels dans le bas. Un boulevard superbe, aménagé sur le lit de l'oued Rchiii dont la source alimente les fontaines d'Oran, conduit de la place Kléber à celle des Quinconces : c'est le boulevard Malakoff, promenade des plus fréquentées. A l'ouest, une autre promenade, celle de Létang longe le ravin à!At'n-Rouina transformé en superbes jardins qui séparent la vieille ville, de Kergucntua.

Kerguentua continue Oran à l'est, avec ses rues plus droites, se prolongeant sur Gambelta, dans la longue boucle que forme le chemin de fer pour descendre de la gare du village nègre à celle de la Marine ; c'est là que se trouve la caserne de cavalerie et le parc à fourrages.

Le Village nègre est au sud de Kergucntua, très bien percé avec des rues à angles droits ; il avoisinc la gare. Sa physionomie est tout à fait particulière, comparée surtout au quartier juif qui se trouve un peu plus loin. Les faubourgs .'St- Antoine, St'Michel, Gambetta, continuent la ville d'Oran qui s'accroît constamment, sur les routes de Tlemcen, Mascara et Arew. Dins les environs immédiats, se trouvent, les villages ô.'ackmult Mers-el> Kebir, Misserghuin, etc.


14 ;:;-.y-;;;.:-y^ 1,; MON DÊPAlVf

Je ne vous parlerai pas de la topographie et de l'historique d'Oran : le dictionnaire BouiUet (édition 1905) vous dira cela joliment mieux que mol ;

« Oran .'Ville tiiùèe par 3à"i4' lat. N. et 2°è8' long. 0. « à 424 kil. d'Alger au fond d'une baie entré les Caps « Falcon et Ferrât. Fondée par les Maures chassés « d'Espagne en 903, elle fut prise eh 1505 par lés Espagnols, « en 1708 par le bey bon Chetav'em... Nous l'occupâmes « en 1831 (4 janvier). »

Je glisse aussi aujourd'hui sur les considérations historiques épatantes dont je pourrais assaisonner mon récit, car depuis là fondation de Carthage par les Phéniciens, le soi de l'Algérie à clé violé à tour d'invasions par une quantité de personnagesconséquents! Vous lés connaissez tous : l'histoire scandaleuse d'£>ie*ë qui lâcha cette pauvre reine Didùtt, après avoir usé et abusé de son., .hospitalité ; cet in fortuné Jugurtha qui montait si bien à chevâi avec ses Numides, et qui succomba sous Meiellus ; le musulman Sidi Okba ben-Nafé qui à la fin du VIIe siècle n'avait pas son pareil pour couper des têtes; le maréchal Bugeàud à la casquette légendaire ; et toute la série de gouverneurs militaires et civils (?) qui se sont succédé depuis. Quoi qu'il en soit, Phéniciens, Numides, Romains, Maures, Espagnols, Arabes, Turcs, Français s'y installèrent tour à tour avant mon humble personnalité î

Oran a une toute autre physionomie qu'Alger. Alger, c'est la ville des touristes, du cosmopolitisme, c'est la cité gaie avec les rues grouillantes de Bab-el-Oued et fiab-A$0um ; avec son quai rectiligoC sur arcades, dominant la rade ensoleillée; avec ses maisons et ses terrasses étagées jusqu'au sommet de la Kasbà qui les domine; avec ses places superbes de là République, du Gouvernement', avec son jardin d'essai et ses faubourgs animés.

Tout au contraire, Oran est d'aspect morose, sous ses hautes montagnes dénudées et calcinées qui paraissent vouloir la rejeter dans les flots. Cette ville produit à l'arrivée Une impression de tristesse et d'aridité, provoquée par ses profils abrupts, hautains, dominateurs qu'on aperçoit de si loin en mer,


f. MON DÉPART ;.■>■;; ••■•!{}:

IV, *-. Distances inter- sahariennes} trafic, avenir.

Alger et Oran sont en rivalité pour le point de départ de la pénétration dans le Sud : Oràn, pour rejoindre Tombôuctou par le Touat, le Tidikelt, etc., chapelets d'oasis comprenant 200.000 habitants et plus d'un million de palmiers, à mi-route entre la Méditerranée et le Niger \ Alger pour rejoindre le lac 7V/Mrfp3rTimassanlnë, l'Air, (Agadès). Voîci d'ailleurs le tableau des distancés approximatives :

Paris à Marseille'ts 803 kil. Marseille a Oràn = 1061 kil. ; à Alger — 722 kil.

Oraii à t Perrégaux,..■;'-.. = 75 k. Saïdn ..........= 200k.

Fiquig.......... = fôO k.

ïgli........,....- 900k.

In-Salah. .,.....= 1300 k.

7'omfomcfOK.... = 2S0O k.

■'Alger à ; Çonslantine.,.., = 300 k.; ■iiiskra.;,,....,. =='■.' 450 k.

OuargUi..:...,, = ?50 k. Timassanine .... — t100 k.

Jndciû.......... = 2000 k.

vlffa^.......,.= 2800 k.

7,ac Tchad...... = ISOOk.

Entre Tomboitclou cl le lac Tchad = 2000 k. environ, formant la basé sud d'un triangle'dont Alger-Oran est la pointe nord émousséc.

Depuis longtemps, « subfudiee lis est ». Les explorateurs en robe de chambre, (comme les pommes de teriv) qui n'ont jamais quitté la rue Royale ont une opinion arrêtée, bien entendu : pour moi la mienne est beaucoup plus flottante. Pourtant, pour vous montrer que tout comme tin'autre, je puis parler «deomnirescibili et.., quibusdain atits» surtout» je m'attarderai sur quelques considérations d'avenir entre Alger et Oràn ; cela ne fera d'ailleurs de mal à personne, et si vous n'épousez pas mort opinion, vous êtes tout à fait libre de convoler autre part.'';-':.:';,

Alger a pour lui d'être le siège du gouvernement, la ville administrative, là ville en vue : sa banlieue est très fertile maïs après t. plus rien, Alger produit peu et consomme beaucoup, tel est eu résumé sa situation économique et commerciale. Il n'en, va pas de même pour


16 [.MON DÉPART

Oràn. Placée au bord d'un H intèrland vaste et fertile, débouché maritîmedes plaines de Tlemçem, (la reine du Maghreh, du couchant), de Sidibel-Kbbès, Reli(a>te, Perfêffaux, St-Denis-du-Sig, Mascara, etc., cette ville peut drainer toutes les productions subenvîronnantes à de larges distances, pour un trafic international bien plus considérable qu'Alger. Et notez que cet avis est partagé par des gens qui compétents plus que moi» MM, Yves Guedon, O. Reclus et bien d'autres.

La colonisation agricole est d'une intensité bien plus considérable dans la province d'Oran que dans les autres ; elle croîtra facilement encore avec des barrages établissant Une meilleure répartition des caiix d'irrigation, abondantesencertains endroits, maisintermittentcsôu inutilisées.

Port d'OranV il reçoit et exporte des quantités de produits : vintcêrc!alc$, peaux, laine., minerais, moutons, etc. C'est d'Oran que part Yalfa qui va en Angleterre se transformer en papier : des cargaisons de primeurs et ilà fruits (oranges, figues, dattes, citrons, légumes printàniers, etc.) prennent aussi la même destination; Les paquebots de nombreuses lignes anglaises, allemandes, espagnoles visitent Oran et laissent Alger de côté, avec son importance commerciale, sa puissance exportative bien moindres.

Plus les votes ferrées de pénétration augmenteront dans le Sud, plus l'avenir commercial appartiendra à Oran à qui l'on, peut dire' de ses raîlways comme de la croix céleste de l'empereur Constantin : « llor. SIGNO VINCÊSJ ». Le malheur, c'est que tout se transit, se fait entièrement par des bateaux étrangers : ainsi sur loo.ooo tonnes d'alfa par exemple, So.ooo vont en Angleterre et to.ooo en Espagne sur des voiliers ou steamers de ces nationalités : si, par clause expresse le transît AlgérieErance n'était pas réservé exclusivement aux paquebots français, à Marseille même le pavillon anglais ou italien primerait le nôtre ! Triste conséquence de la cherté du fret, des lourdes redevances, des tracasseries administratives et.., des grèves subites et interrompues. Lé commerce international, avant tout, veut l'exactitude et la .sécurité.': ■; - -


/ t. MON DÉPART .'..;';'. 17

Mais laissons là ces vastes réflexions, « quoi capita^ tôt sensûs Ir> Pour l'instant je ne m'occupais guère de tout cela : J'étais trop absorbé à la ville haute, où mon ami le médecin de bord nous avait présenté dans une pension de... famille, tenue par les deux soeurs (ou soidisant telles)quî nousreçurcnt à bras ouverts : elles nous donnèrent l'hospitalité dans les grandes largeurs, avec le café et la mandoline. H paraît que c'est l'usage à Oran, comme a Carthâgènê, et que les réceptions intimes du monde (du demi-monde tout au moins) comprennent une excellente tasse de moka avec, (et pendant la.., dégustation), des airs presque variés grattés sur la guitare, « incltidcd » dans le prix global.

La population est très variée à Oran, quoique chaque racé y conserve à peu près sa caractéristique. On y voit quantité d'Espagnoles, agréables sonoritas embellissant la ville : des grouillements de Juifs, peuplant exclusivement certains quartiers faciles à reconnaître, on les sent ; des Arabes graves et droits allant et venant silencieusement; des Nègres qui dans la ville haute, détiennent sans conteste le record du tintamarre. Comme Français, quelques commerçants, et surtout toute la lyre administrative civile et militaire qui, là comme partout, s'épanouit tvec une abondance incroyable.

Sur le port,""à l'arrivée des paquebots, portefaix nègres, arabes, espagnols, juifs entremetteurs, se démènent, avec des cris assourdissants. Ils se précipitent à dix pour votre parapluie ou votre sac à main : leur mise, réduite à un vague pantalon et une gandoura (chemise) d'aspect douteux n'inspire guère la confiance ; pourtant ce sont en général, d'assez honnêtes gaillards dontil faut savoir cependant se débarrasser à coups de coude ou de matraque, s'ils vous serrent de trop près.


Je vous entends dire : « Mais va-t-il y arriver dans son « Sud-Oranais ?» Patience, je ne suis pas si pressé que cela, hélas î et j'y arriverai bien assez tôt 1 J'aurais bien volontiers flâné quelques jours à Oran, mais il me fallut de suite, après m'être fait rc-estampiller à la Place et à l'intendance, monter à Kcrgentuact prendre mon train l

Mon voyage fut tout à fait banal : un train qui roule en s'essouflant, Un aide-major ayant négligé de se couchef depuis plusieurs jours et possesseur d'un fort mal à la tète ou plutôt aux cheveux, vous avez tous passés par là 1 je brûlai les stations de Valtny, St-Barbe-du-Trélal, rOugat, St-benis du-SigssL\\$ même ouvrir un oeil. A Perrégaux, je me réveille à demi pour quitter la grande ligne du Tell (Alger-Oran) et prendre le Franco-Algérien (Arzevv à Igli) qui, plus lent encore, faisait du 90, pas à l'heure, à la journée seulement ! Les stations défilent : Fergoug^&Guelna, 'tldnijfia't Ti(i (d'où part l'embranchement de Mascara), Froka, Taria, Franchèlti,Na(ereg ; ces petits centres (?) absolument dénués d'intérêt, (et même d'habitation, car souvent on ne voit que la gare en fait de bâtiments) échelonnent successivement le parcours, et nous arrivons enfin à ^ài'rfarâprès-midi.

Saîda est urte ville en grande partie militaire, sans caractère spécial : elle servait à mon époque de point de concentration pour rapprovîsionncment des postes du Sud. Je m'y sentais assez dépaysé ; aussi après m'être


II. EN ROUTE POUR GÉRYVÎLLB 19

fait viser et réviser une fois de plus à l'Intendance et àla Place, je m'en fus me coucher.

«La nuit porté conseil » dit le proverbe : en tout cas, elle retape joliment bien les pauvres diables comme moi, qui, transportés; dans une agitation continuelle dé Paris à Marseille, à Carthâgènê, à Oran sans s'être pour ainsi dire» couchés, ont passé successivement du malaise nepfunien •— maritbnis purgatio^— à la bombe terrestre — ligtlèà bucca I — Aussi, le lendemain, frais, dispos, le corps et l'esprit dessalés par des ablutions complètes et vraiment indiquées, je revins à la Place prendre mes instructions de départ.

Mon poste (Gêri/ville) était ravitaillé toutes les semaines par un courrier qui partait de Kralfaïlak, faisant les 160 kil, de distance au pas, en 4 où 5 jours ; or ledit courrier étant parti la veille, il me fallait attendre six jours à Saîda. La guigne, quoi ! qui commençait déjà. « Pourtant, me dit le commandant, demain matin un «goumier quitte le Krêider avec quelques chameaux : « oh pourrait vous faire donner un cheval, mais la « première étape est dure (80 kil.) et vous êtes novice ?» Novice, moi ? mon orgueil équestre se cabra, j'acceptais de suite, d'autant plus que je passais pour excellent cavalier en France et que 6 jours à Saîda nie souriaient faiblement : le jour même je reprenais le raihvay pour le Kreider, et, de là m'enfoncer définitivement dans le

Sud. v-::::':"?'

A la sortie de Sàïda, le train doit monter de jSo mètres à i.ooo pour'"atteindre" les Hauts-Plateaux, soit à5o mètres à gravir sur une longueur de 11 kil. environ. Les lacets qu'il est obligé de faire en s'élèvànt peu à peu dans le flanc de la montagne verdoyante et boisée vous font jouir d'un coup dVvil splendide. Il semble aller et revenir sur ses pas, mais il monte toujours : la vue s'ouvre alternativement sur la montagne à pente raide d'un côté ; de l'autre sur la plaine verdoyante, jusqu'à ce que, grondeuse et haletante, la locomotive s'arrête enfin au sommet, C'est alors l'horizon que rien nelimite plus à l'infini : on est à Atri-et-lLidjar , détruit en 1881 par Bou-Amema, centre où se manipule l'alfa provenant


50 11, EN ROUTE POUR GÊRYVUXE

des Hauts-Plateaux. Un instant de repos et nous repartons dans le désert, à travers une mer de sable et d'alfa.

II. — 'Kveider' V

■; Dé 3o en 3o kilomètres, dans le bled immense et inculte, les stations se succèdent, sortes de petits fortins isolés, perdus dans l'alfa de cette solitude plate et inhabitée. Nous passons successivement Tafâi-oua(i t5q m.) point culminant de la voie ferrée ; kralfallah, avec ses entrepôts d'alfa et ses magasins servant de tète de ligue pour Géryvillc ; El Beidha ; Mod{bati, d'où urt embranchement se dirige sur Marhoum, à 32 kil. centre de production de l'alfa ; Tm-Brahim, : El-Madàni. Enfin, une montagne légère se profile sur l'horizon, avec, à ses pieds, un énorme miroitement qui se perd au loin : c'est le Kreider, au bord du Çhpu-el-Chcrgui, (988 ni. d'altitude).

On appel : «cfiotls» de vastes cuvettes sans profondeur où l'eau riche en sels de magnésie s'étalait autrefois, niais qui, desséchées aujourd'hui, ne présentent plus qu'une surface de matière saline blanche, brillante, donnant lieu au phénomène si connu et si décevant du mirage.

Si les précédentes stations sont fictives, ne se composant guère que du fortin habituel, le Kreider marque mieux, avec sa haute tour pour la télégraphie optique de Géryville, ses tentes, ses maisons basses en bois ou en pisé, ses bâtiments militaires, 11 y a une assez forte garnison (légion, bataillon d'Afrique). Une source abondante sourd d'un second monticule alimentant une apparence de jardins et de maigres plantations. L'arrivée d'un voyageur est chose rare : tous les officiers étaient à la garé pour nous serrer la main, à moi qui descendait à la station età un capitaine de tirailleurs se rendant plus loin, à Mechcrîà.

Au preiiiier abord, on croît voir dans te Kreider un centre réel : mais si l'on examine mieux, on s'aperçoit que tout y est artificiel, importé et sans bases durables:, c'est une station absolument fictive. Si dans d'autres


.H. KN ROUTE POUR GÉRYVU.LK 2t

endroits la colonisation peut -s'implanter et prospérer, au Kreider, c'est et ce sera toujours impossible, car il n'yaniiots, ni pierre m terre, ni eau presque, ces quatre éléments indispensables d'une installation sérieuse. Tout, absolument tout doit y être amené, soit pour la nourriture, soit pour le logement.

Que ce poste soit abandonné, rapidement les sables et l'alfa reprendront possession des quelques hectares que le travail intensif, continu, de la garnison leur a arrachés. Le Kreider est un des endroits les plus arides que nous occupions : à pertede vue, le chott brillant est nu, l'alfa jusqu'au dj. Maha^er fermant l'horizon au nord, et à la protubérance de VAntar qui surplombe Mecheria au sud.

En dehors de la garnison, peu d'habitants : quelquesuns de ces commerçants israélites qui se rencontrent partout et quelques Mzabites. La population du Kreider tendrait plutôt à décroître au fur et à mesure de la pénétration dans le sud, qui diminue l'importance militaire de ce poste : c'est une des garnisons les moins recherchées. Après le Kreider, la ligne ferrée continue sur Figuig pir Bou-Guêtoub, Reçaïna, Bir-Senia, el Biod, Krebatfa, etc., mais ce ne fut que l'année suivante que j'eus à faire celte seconde partie du trajet à mon retour de Géryvilte.

Quoi qu'il en soit du pays, je fus très bien reçu par les camarades. Un excellent dîner me réconforta : le Commandant me prodigua les bons soins, les conseils, et je passai la nuit dans une « fourniture réglementaire ». A3 heures du matin le sokrar (conducteur de chameaux) me réveillait respectueusement pour enfourcher le cheval de goumier qui m'attendait à la porte. Peu difficile sûr la monture et le harnachement j'avais refusé la selle anglaise que le Commandant m'avait offerte et je m'installai sans méfiance dans la selle arabe à panneaux et à dossier. Hélas, je ne fus pas long à regretter mon imprudence à ce sujet.


22 H. EM ROUTE POUR GÉRYVILLÊ

III. — Ma première étapo

Du Kreider à Gêryville, j'avais environ 120 kilomètres à faire en deux étapes, l'une de 80 à go pour atteindre Kreneg-el-Atfr l'autre de 3o pour arriver ensuite à destination.

Entre le Kreider et Krencg-èl-A{ir une plaine nue, déserte, où pas un monticule ne distrait là vue que coupé seule la chaîné montagneuse dominant ce dernier caravansérail. On l'aperçoit dès le départ, malgré la distance, tant l'air est pur et transparent. Ces montagnes à plus de 100 kilomètres, vous les croiriez tout au plus à 10 ou 12 ; l'on marche, sans jamais les voir se rapprocher.

Lé convoi se composait de 6 chameaux chargés, deux sokrars à pied (conducteurs) et deux goumiers à cheval, ces derniers seuls ayant un fusil :en tout quatorze, dont 9 bêtes, 4 indigènes et moi. Tout ce monde-là (bêtes et gens) allant d'un pas élastique, toujours égal, sans un mot, sans un geste : à peine de temps en temps un des indigènes faisait entendre une mélopée basse, traînante, aussi monotone que le silence.

Quant à moi, absorbé au début dans des pensées qui n'étaient pas couleur de rose, je songeais à ce que je quittais, pour aller où ? dans l'inconnu, Vivre d'une existence que je supposais vide, primitive, sans mouvement. Au bout de quelque trente kilomètres de cette allure passive et trop régulière, je fus distrait malgré moi, par une sensation désagréable ; c'était le bois de ma selle arabe qui n'avait pas le moelleux du rond-dccuird'un chef de bureau au Ministère de l'Intérieur. Bien des fois pourtant, en France, j'avais fait 40 et 5o kilomètres d'une traite sans la moindre fatigue, mais en selle anglaise et allures variées ; c'est pour cela que j'avais accepté gaillardement 80, me croyant à la hauteur, Ce fut alors que je regrettais amèrement la mienne, de selle, restée dans mes bagages à Saîda : si au moins j'avais accepté celle de cet excellent Commandant I II me l'avait bien dit que là selle arabe était très désagréable pour les derrières n'ayant pas encore épousé ses con-


». EN ROUTE POUR OÊRYVU.Lri 23

tours ; et dire que j'avais encore plus de 5o kilomètres à détailler avant la nuit sans compter ceux du lendemain 1 Triste perspective, car je savais par expérience que « ça » ne pouvait qu'empirer; mais il me fallait faire contre fortune bon cceur, et me tenir proprement devant ces sacrés indigènes qui s'en moquaient, eux, de l'allure au pas en selle arabe I

Et nous marchions toujours,., quelques perdrix se levaient, de temps en temps ; un des goumiers m'offrit son fusil, je le refusai n'ayant pas le cceur à la bagatelle et peu désireux de montrer ma maladresse si je les avais ratées. Alors lui et son collègue (l) en abattirent 8 à lo et ne tirèrent plus. Vers les 11 heures ce fut la halte ï ils firent rôtir les bêtes au bout de leurs longs couteaux, sur des monceaux d'alfa brûlé et me les offrirent toutes. J'en choisis deux que je dépeçai mangeai avec une croûte de pain et une bouteille de café qu'un lieutenant du Kreider avait fourrée dans ma sacoche. Heureuse inspiration, car l'eau contenue dans les outres en peau de chèvre des sokrars était horrible à boire ; j'y renonçai après une seule gorgée. Ce fut mon premier repas au désert, et, ma foi, j'en fis plus tard de moins confortables encore 1

En France, on ne se figure pas un repas sans les hors-d'eeuvre, les viandes, les légumes, entremets, quel* ques desserts (fromages, pâtisseries et fruits). Quel sybaritisme l Je dus bien des fois me contenter du gibier tué et rôti, voire même de quelques dattes sableuses avec de la pâte de farine d'orge cuite au soleil, le tout arrosé par quelques gorgées d'eau chaude et puante, bues à l'inévitable peau de bouc. Si Lucullus ou Brillât-Savarin eussent fait fonctions d'aide-major au Sud-Oranais, ils auraient dû faire comme les camarades, car, par Allah, ce piètre repas valait encore mieux que rien du tout. Et quand maintenant, je suis comme tout le monde obligé de dîner chez Brebant ou de souper chez Maxim, je m'accable de reproches s « Sale bourgeois, va, qu'as«tu « fait de ta sobriété de jadis et.,, de chameau I »

La caravane marchait toujours à travers l'alfa, sans


Sji II, E>* ROUTE POUR GÊRYVIU.E " ,

même suivre une piste ; dans ces réglons les routes n'existent pas et l'on se dirige sur un point de repère à l'horizon. De place en place, des traces de campement, des squelettes de chameaux nettoyés par le chacal et blanchis par le soleil, vous indiquent que l'on est dans la bonne voie,

Versles4 heures,on vit enfin tes montagnes se rap^ proçher un peu, Je me croyais déjà arrivé ; majs l'un des goumiers, qui m'avait pris en affection et qui de, temps en temps essayait de converser avec moi, avec ses quatre hïots de sabir, parvint à me faire comprendre '■r- en me montrant sur ma montre et en m'indiquant que le soleil : « macache, il. n'y en aurait plus, » —*. que l'on n'arriverait que dans 3 heures environ, Noire déveine ; l'état de ma région. ..culottiêre qui s'aggravait de plus en plus I

Ce fut à ce moment-là que nous eûmes uneémotion. A des las de kilomètres au loin, apparurent deux points noirs qui, tout en restant parrallèles à nous, grossissaient de plus en plus. Ce n'était donc pas des rochers, deux animaux sans doute, et de forte taille t Lions, girafes, il n'y en avait plus : ils étaient en vue depuis plus d'une heure quand nous pûmes reconnaître deux chevaux ou mulets ; puis quand ce fût plus près encore, deUx mulets définitivement, qui finirent par nous rejoindre, sans cependant approcher trop près, et qui naviguèrent de conserve avec nous : c'étaient deux bêtes du train, perdues depuis plusieurs jours. Elles semblaient heureuses de retrouver quelques congénères^ chameaux ou chevaux, dans ces solitudes.

Enfin, vers les sept heures, nous arrivions au bordj de Kreneg-el-AXir, en vue déjà depuis deux heures et qu'on semblait devoir atteindre à chaque instant. Ouf I mon supplice était terminé, il était temps i Le tissu de' ma région périnéalé avait contracté de fâcheuses adhérences avec celui de ma culotté et je sentais le besoin de mettre dans du suif -— si ce n'est dans du coton — cette partie proéminente de ma personnalité. J'étais dans le marasme : « Bon Dieu, me dtsais-je, quel pays, quelle


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I' II, KN ROUTE POUR qÊRYVlÙR 25

I « étape! Eh bien, mon colon, si tu en as souvent de

I « pareilles à savourer, ça promet l Une existence aussi

« tachetée d'émotions et d'écorchures au vif, abrégera « forcément le fil de tes jours l »

Le bordj était tenu par une vieille algérienne de 5o ans, échouée là, on ne sait d'où, et que rien n'étonnait plus. Après avoir fait parquer bêtes et Arabes dans la cour intérieure et sous le hangar, elle me prépara à dîner et m'installa une paillasse à côté de la sienne, : „ danssaproprechambre.«Honni soitqui malypénse; »

j'étais vannéâ fond, les reins moulus, la face,,, dorsale dans un pitoyable état, et ce fut non pas mon hôtesse, mais Morphée que j'invoquai en.tombant comme une masse, tout habillé, sur mon plumard en alfa.

Ma brave femme le lendemain matin me réveilla de ses propres (?) mains av ••; une tasse de café abondante et je remontai en selle sans enthousiasme, mais consolé d'avance de n'avoir plus que 3o kilomètres pour atteindre Géryville : ce petit supplément ne pouvait qu'aggraver les plaies de ma,., figure, mais je savais que ces bles" sures-là, plus que celles d'amour-propre, cicatrisent très

rapidement. Des derrières plus autorisés que le mien ont eu bien souvent à subir les mêmes dégradations cutanées et morales l

La route était moins nue s des coupures de montagnes

avec des rochers de pierres pailletées, sorte de marbre

spécial ; des cols resserrés dans lesquels passait le lit de

l'Oued nous servant presque constamment de route, des

détours brusques avec de la végétation entrevue de place

en place : tout cela remonta mon courage, je voulus

faire (et je fis) bonne contenance en selle jusqu'au bout.

Mon entrée à Géryiille fut un triomphe ; oh I pas

pour moi personnellement, mais pour les deux mulets

que je ramenais et qui, en quittant Kreneg-el-Azir, nous

avaient, tout en restant en liberté, suivis avec beaucoup

s de docilité. Successivement le Commandant d'armes,

î , Ylntehdant, le Bureau arabe, le Génie vinrent leur

*; passer la main sur le ventre en disant de moi : Ce sacré

".. tôupibe, il débute par une « razzia 1 »

Ici, j'ouvre une parenthèse (vous la fermerez si vous


26 H. EN ROUTE POUR GÉRVVII.I.E

craignez les courants d'air) pour vous dire une bonne fois la signification des rares termes arabes que je serai forcé d'employer.

Toubibe : médecin. Moukère ; femme. Kramês : serviteur, CoWjchef. Cadi : juge, Djebel : montagne, Douro : pièco do 5 fr.

lias : source origine. Oued : rivière. Blma ; eau. Kahotm : café, CeuscQiiss : orge cuite, Dliïa ; repas officiel. Sohrar ; chamelier.

Avec cela un bon cheval entre les jambes, un guideinterprète et pas mal de douros dans la ceinture, vous pourrez passer partout.

IV. — Ma première négresse

Mon collègue, prévenu par un infirmier qui s'était précipité dans l'hôpital en hurlant : « Il arrive, il arrive 1 » accourut à son tour au triple galop pour me recevoir avec un enthousiasme louchant ; d'autant plus que, ne m'attendant que par le prochain convoi, ma rapide arrivée lui permettait de gagner 8 jours et de filer daredare (à toute vapeur l)sur Je Tell.

Les premières et confraternelles effusions passées, nous déjeunons ensemble. Puis, l'après-midi, Mme fait visiter l'installation, tout en me donnant les indications locales, hygiéniques, culinaires, nosocomiales, car c'était un homme d'ordre, Quand tout fut terminé pour le service, je le voyais encore un peu soucieux : enfin il toussa légèrement et me dit : « Voulez-vous me reprendre mes « poules ? Oh 1 pas cher. — Mais parfaitement, le prix « que vous voudrez. — Et ma chèvre ? Elle a du lait, — « La chèvre aussi, cela m'est égal. — C'est que, ajouta« t-il après un léger silence embarrassé, j'ai aussi une « petite négresse à vous recéder, la prenez-vous avec le « tout, pour 200 francs?» Et devant mon air ahuri de le voir propriétaire de tant de bêtes disparates, il meconfia que l'an dernier il l'avait achetée à son prédécesseur pour une somme de 220 francs; que, allant en France, il n'en avait plus besoin; que, d'ailleurs, elle était très docile et


11. '.W EN ROUTE POUR GÊRYVIU.B 27

très bien dressée au service 'T intérieur — d'un célU Ntaire ; bien plus apte que l'ordonnai a mx menus soins t

J'étais esbrpuflël pourtant, peu ferré sur ce genre de transaction, je me fis vite ta reflexion que puisque mon prédécesseur s'était organisé ainsi, je n'avais aucun motif d'y rien changer. Aussi, après une légère hésita; tion, je lui répondis : « Marchons pour la négresse, « mais.,, elle n'a pas de lait ? Peut-on la voir?—Certai« nem nt t ». Et l'on se rendit de suite au gourbi affecté à son usage spécial. Mon confrère B... lui fit eh arabe quelques leconimandations qu'elle parut accepter passivement ; il lui dit aussi sans doute que, sans passer de sous-seing enregistré, elle devenait ma propriété, car elle vint aussitôt baiser le bord de mon doîman en guise d'investiture, et je devins sur l'heure l'heureux propriétaire des pou les, de la bique et de la négresse, pour la somme ronde de 200 francs, soit quarante douros : ce fut ma première transaction commerciale, Je n'y perdis rien, puisque l'année suivante, je repassai le tout à mon successeur pouf 190 francs : non pas que la négresse (Kaïrhd) fut dépréciée de valeur, au contraire ; mais j'avais mangé 4 à 5 poules et ma bique, pour des raisons aussi naturelles que momentanées, n'avait plus de lait à cette époque : en" affaires, il faut être loyal et précis ; « business (s business, » comme dit John Bull, citoyen de là libre Angleterre! ;

Mon prédécesseur, àbmme sérieux, m'avait laissé toutes indications de service et autres bien classées :.'-■"

I» Malades. 8; dt/ssenlerie, l'avoir k l'oeil.

'-v:À> Q; carotier, ..•■',:' - ;.;:;' ^..r'"''-'

10 i'en cicatrisation, depuis huit jours, etc, 2° personnel, Sergent N.i,i ; très dévoué, ;';'.' /?.'.'. ; ' flegmard.

B...( ombrageux, mais exact. ;3* Maison. Jardin; heures d'irrigation de 5 àG.

La bique ; pas trop donner cle pain, elle .-^; y--':'''--'--;-' ' engraisserait, -"■'.■"A';.'M •'.■■■.■"-


Si* . It. EN ROUtlM'OUR GÉRYVU.t.K

Kaïrtid', pas laisser traîner de sucre (elle chiperait tout), et la battre'quand ça lui arrive; d'aulant plus que sans, sucre elle ne pourra se faire, de café, 4» Eté..«ta....

Je rends un hommage public et rétrospectif à sa juste appréciation des choses, des gens et des bêtes, Toutes ses annotations, surtout celles concernant la chèvre et h'aïrhâ étaient d'une scrupuleuse exactitude, A propos de cette dernière, je suis sûr que votre imagination va vous emporter sur les ailes du suppositoire à des idées : dont rougirait l'illustre sénateur Bérenger, N'allez pas trop loin : si vous voyez malheureusement en France des célibataires, oublieux des saintes lois de la morale, mettre leur cubiculum en communauté avec une ancille, dans le Sud-Oranais, le Maître le garde pour lui :^;il et sait conserver les distances. Ma négrichonne couchait à terre, sur deux peaux de mouton au pied de mon lit : un coup de pied l'appelait dedans, à mon service, quand j'en avais besoin, pour une tasse de café —• ou toute autre besogne ; un autre la renvoyait, la chose faite, à ses peaux de mouton.

Ces procédés dont on ne peut nier la moralité en les comparant aux nôtres, (puisqu'ils substituent l'intermittence hygiénique à la coupable continuité promis^ cuitaire), ne vous paraîtront sans doute pas empruntés à l'époque de la régence : mais ils ont cours — dans la Régence — et dans l'Algérie ; ils font partie des us et des coutumes locaux.

La nourriture et l'entretien de ma noire servante étaient des plus modestes, et dussé-je baisser tout près du 0* au thermomètre de votre estime, je vous avouerai qu'elle me coûtait moins cher qu'une danseuse du Châtelet. Environ 10 à a kilos de dattes à o'fr. 25, avec un demi-sac d'orge à 4 fr. pour le couscous et la galette, constituaient chaque mois la base de son alimentation : quelques fruits ou légumes du jardjn, un peu de café quand j'étais satisfait d'elle. Pour vêtement un foulard, une pièce d'étoffe ou une vieille paire de rideaux, et


}l. EN ROUTE POUR GÉRYVILI.B $9

c'était tout. En somme tout cela revenait à peine à 6 ou ou 8 fr. par mois; c'était être servi à bon compte. Sa besogne était facile d'ailleurs, car je prenais mes repas au cercle : le nettoyage, lavage, un peu de couture, te café, le lit, enfin le service personnel du célibataire. Pareil esclavage était bien léger, aussi la seule crainte était que je lui rendisse la liberté en la f...lanquant à la porte : elle eût été alors comme un pauvre chien sa:»s maître et sans lieu, battue ou embrassée de tous, mais nourrie de personne.

Mon successeur (je l'appris plus tard), K recéda à son tour à un officier du bureau arabe : mais j'ignore ce que devînt ensuite cette petite boule noire qui savait si bien me préparer du kahouà fumant, guettant d'un ceil attendri le fond de la cafetière ; qui excellait à l'heure de la sieste à m'éventer doucement jusqu'à ce que, endormi moi-même, elle pût siester pour son propre compte ; qui, tout en sucrant ma tasse faisait si prestement disparaître un autre morceau de sucre dans les plis de s'a; gandoura (chemise) ou sous son pied nu. Les bons esclaves — ou les bons serviteurs, si vous voulez — sont si rares! et depuis j'en ai tant vu de plus rosses encore que ma petite Kaïrha ; « sic transeunt ancilfa mundi ! »


m

L'Existence dans un poste du Sud

I. — Gèryville et environs

Pendant mon séjour d'un an dans ce poste montagneux situé à i,3oo mètres d'altitude, dont le climat rappelait presque celui de la France, je me mis au courant des moeurs et usages du pays partageant équitablement mon temps entre mes malades, la sieste traditionnelle et des excursions à cheval dans les environs :

ARassoul; (40 kil. au sud), où mourut le grand Sidi Cheikh, marabout vénéré des Oulad-SidhCfieikft dont le vaste territoire s'étend dans tout le Sud-Oranais au-dessous du massif des ksours, deGéryvilleà Moghrar. Rassoul tire son nom d'une magnésite (pierre à savon) utilisée par les Arabes : bâti sur un éperon avec à ses pieds son oued et ses jardins, ce ksour est assez pittoresque,

Brezina: (encore près de 40 kil. plus au sud), est une petite oasis de 10.000 palmiers environ, juste à la limite extrême des dernières croupes montagneuses et à l'entrée du désert; il n'y a guère qu'une cinquantaine de masures formant le kour. En face Brezina, l'horizon est illimité. On atteint ce point par une route fort accidentée, le défilé des Dalles (Kreneg-et-Temeur) pavé de larges pierres, puis le Krénêg-cl-Arouia, coupure dans desrochersà pic surplombant d'une hauteur de 5o mètres, qui sert de passage à l'Oued-Seggeur et de route quand il esta sec; on rappelle à juste titre la « porte du désert ».

Stitten : (20 kil. à l'est), petit ksour contenant une centaine ce gourbis. On voit à quelque distance le mo-


lit. L'EXISTENCE DANS UN POSTE Ï>U SUR 31

nument élevé à la colonne Leprêtre, derrière le DjebelKsel (2.008 m. d'altitude) que l'on traverse p^r un col à pic et heurté.

Les Àrba : (Foukanidn haut, Tahtanidu bas) à 80 kil. au sud-ouest, sont de pauvres agglomérations de gourbis et de maigres palmiers, qu'on aperçoit de 10 kil. en avant. Des Arba, la piste continue sur les deux Chellala (Gueblia du sudi et Dahrania du nord) ; puis sur Asla, jolie petite oasis de 400 habitants; puis sur Tyoutet Aïn-Sefra. Au sud des Arba se trouve à 25 kil., la Kouba d'El-Abiod-Sidi-Chejkh, qui renfermait les ossements du fameux marabout que |c général Négrier fit transporter à Géryville pendant l'insurrection. Au sud des Chellala (à 20 kil,) est l'oasis de Bou-Semroun.

El Magrun : (40 kil. à l'ouest), où l'on voit de l'alfa superbe en terrain presque plat. C'est la route directe de Géryville ?ur Mecheria.

Dans toute cette région montagneuscet heurtée qui s'étend entre Géryville et Figuig, les ksours sont pauvres : les oasis resserrées sont peu fertiles, avec leurs palmiers rares, faiblement productifs et dont les dattes mûrissent mal. Les habitants sont en général dans une purée telle qu'on pourrait retourner tous les capuchons de burnous, (leur bas de laine!) sans en faire tomber un seul douro.

«h vivent chichement de leurs maigres jardins, de la fabrication des étoffes de laine, des troupeaux à eux appartenant. A peine, pour la mauvaise saison, ont-ils quelques provisions de dattes, pêches et figues desséchées en réserve, avec quelques jarres ou sacs de peaux de chèvre pour leur orge. Cela leur suffit, car ils partagent avec leurs chameaux « l'endurance et ta sobriété », ces deux grandes qualités—morales! —quinous manquent parfois à nous autres civilisés.

Si l'on veut faire son Mé <vne parmi ces populations à existence simplifiée, quelques boîtes d'allumettes, quelques poignées de café ou de sucre vous feront passer pour un nabab l

Géryville est sur un petit plateau entouré de montagnes (djebel Behiodh, dj.Ksel (2.008"' ait.), dj, Rega, (1872™), dj. Meckter) et forme une sorte de noeud d'où


82 |l(. l/EXlSTENCB DAt> S UN POSTE DU SUD

diverses routes partent â travers les cols dans les différentes directions dont je viens de parler. Vu son altitude, c'est un des postes les plus sains du Sud'Orânais ! l'été évidemment y est dur, puisque le thermomètre atteint 400 à 440 à l'ombre, sans que parfois pendant toute sa durée il tombe une seule goutte de pluie ; mais l'hiver est plus rude que dans les postes de ta plaine et vous refait la santé. Nombre d'essences forestières françaises prospèrent à Géryville (peupliers, saules, trembles, etc.) qui ne se rencontrent plus dans les oasis à palmiers.

Ce poste se compose d'un rectangle fortifié(la redoute) comprenant les magasins, la place, l'hôpital ; d'un village arabe et européen à gauche, coupé de rues à angles droits, qui comprend la poste, le bureau arabe, le génie, les commerçants, une beUe maison de commandement bâtie par Si-Hamza, agha des Ouled-SidiCheiks, des agglomérations bâties ou des tentes pour la garnison, Devant la redoute et la séparant des jardins situés en face et un peu plus bas, une belle place où aboutissent les roules diverses, limitée par un petit lac bien ombragé sous les saules et dont l'eau ne tarit jamais,

Les environs de Géryville, montagneux et en partie boisés, renferment beaucoup de gibier; la chasse est une distraction très appréciée des officiers qui vont souvent dans ce but à d'assez grandes distances, 40 et 5o kilomètres. On se rend à Géryville de la station de Kralfallah, (tête de ligne pour les convois), par les caravansérails d'El May ; Sfisiffa, (plusieurs sources avec des tamaris superbes) ; El Kadrah (halte avec des roseaux) ; ben Haitab (avec son puits à treuil d'une profondeur sérieuse) ; Kreneg-el-Aiir (gorge des romarins), sur la rive de l'Oued-el-Abiod que l'on suit jusqu'à Géryville auquel on accède enfin par unegorge sinueuse et resserrée de 3 kilomètres de longueur.


III.; L'EXISTENCE DANS UN rOSTE DU SUD 33

■■II. <— Train-train habituel

Après mes malades le matin et ma sieste l'après-midi, quand je n'excursionnais pas, je tuais le temps le soir, (en attendant qu'il me rendit la pareille) en d'interminables roobs de whist avec les « grosses légumes » de la garnison,

Comme partout, les caractères étaient variés. On sympathisait avec les uns : l'Intendant, charmant garçon, scrviable, intelligent, et, ce qui ne gâte rien, fort bien élevé; un des Commandants, vieux célibataire endurci, tanné au physique comme au moral, ayant pour principe d'être toujours en excellents termes avec lestoubibes auxquels il avait eu maintes fois affaire dans des occasions délicates de sa vie privée ; l'Adjoint du Génie, toujours prêt à vous être agréable en améliorant les conditions matérielles de l'habitat. On antipathait avec d'autres : un Chef de bureau arabe, jeune état-majoriste qui se sentait d'essence supérieure à ses collègues de grade ; un Lieutenant de spahis, vieux grognard, très méritant en temps de guerre certes, mais employant les loisirs de la paix armée à vous raser ferme.

Pour moi, j'avais mes heures : bon camarade dans la vie courante et tout disposé à rendre les petits services que comportait ma situation, mais assez pointilleux sur mes droits et prérogatives professionnels, ou vis-à-vis de ceux qui la faisaient « à la pose ». C'est ainsi qu'un jour, un brillant lieutenant de cavalerie auquel j'avais dû, bien malgré moi, refuser quelque faveur impossible, m'ajant répliqué d'un air pincé : « Oh, docteur, vous « êtes à cheval sur le règlement ; c'est votre monture à vous l », je résolus dé lui donner une légère leçon pratique.

Quelques jours après, je lui propose un petit tour à cheval ; il accepte allègrement, pensant m'écraser de sa supériorité, Je.l'emmenai sournoisement à 46 kilomètres du camp, m'arrangeant pour ne pouvoir revenir que vers les 10 heures du soir. Lui n'avait rien pris au départ ; mais moi, je m'étais lesté d'un bon petit goûter avec, en plus pour la route, Un bidon de café en poche


H nu L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD

que je dégustai (seul, bien entendu) en cours de marche; pour mou cheval, quelques poignées d'orge. Comme le disait mon vieil ami Caracopoutos, Grec d'origine, en faisant sauter dextrement la coupe à l'écarté : « Quand « on veut gagner au jeu, il faut mettre les itouts dans « sa manche! »

Au début, tout alla bien. Mon partenaire équestre, Voyant la supériorité incontestable de sa monture( ne doutant pas de la sienne propre sur moi-même, pensait ne faire de nous qu'une bouchée 1 il souriait discrètement quand jéle priais de modérer l'allure ou que je descendais de selle aux endroits difficiles « pour reposer « ma bête et moi », disais-je. Lui et la sienne n'en avaient pas besoin 1

Pourtant, au bout de trois heures de marche, il commença à être un peu inquiet. Nous allions toujours, m&{ monture et moi, à même allure invariable ; quoique inférieur en finesse et en fonds, mon cheval bien en formel:' soigneusement entraîné, regagnait et au delà son infériorité apparente par sa résistaacc, A ce propos, per-: mettez-moi dcm'asscoir quelques instants dans le fauteuil de Sa réflexion, pour livrer à la vôtre ta remarquesuivantéî l'outil ne fait pas l'ouvrier, c'est l'ouvrier qui fait Coutil quand il le connaît et sait en tirer le meilleur parti possible. Avec Un cheval médiocre, mais bien entraîné, vous ferez plus de chemin souvent qu'avec un pur sahg; avec un outil même ordinaire, mais en bon; état et dont vous connaîtrez à fond le maniement, vous pourrez obtenir plus qu'un autre. C'est là le secret du succès, comme le disait le fameux Félix, — Félix qui potuit rerum çogtwcere causas.

Deux heures plus tard, mon brillant camarade, à jeun depuis tt heures du matin, assoiffé et sentant son cheval fatigué, montrait des signés évidents de lassitude. A moitié fourbu déjà, il enviait mon endurance, ma belle humeur, qu'il ne s'expliquait pas. Moi dispos, bien érï selle, j'allais toujours régulier d'allure et de train, ménageant bien ma bête. Sa détresse ne fit plus qu'augmenter.

Que le retour "'lui- sembla dur et interminabîel Dépouillant tout orgueil, il ne cessait dç peindre eh se


III,' INEXISTENCE DANS*UN POSTE DU SUD 33

traînant péniblement. A peine au camp, il but avidementet tomba comme une masse sur sa paillasse, n'ayant même pas la force de se déshabiller. Depuis, il ne me parla plus jamais de cheval, vexé qu'un médecin militaire l'eût roulé si aisément, lui, qui se posait pour la belle cuisse en selle. En vain lui dévoilant mes précautions prémonitoires, je lui offris une revanche loyale, avec deux chevaux d'escadron pris au hasard ; il ne voulut plus rien entendre.

Il faut savoir être rosse parfois; c'est d'ailleurs si facile et si naturel pour les natures bien douces, comme la mienne. J'ai toujours eu un assez sale caractère et un vieux fonds d'indépendance... ; je les ai encore. Ce sont là petits enfantillages; mais, dans le sud Oranais, il fallait bien s'occuper à quelque chose entre ses repas.

La vie intellectuelle dans ces petits trous sableux n'est pas bien intense, Un membre de l'Académie de médecine n'attraperait pas d'encéphalite. Le matin, je me levais à sept ou huit heures, plutôt huit; après mes ablutions, une bonne tasse de café avec du lait — de ma propre bique, servi par ma propre (?) négresse — que j'enfilais à petits coups, en la savourant, jointe une copieuse rôtie de ce bon pain rassis de l'administration. Puis, passant mon sarreau, j'allais à ma visite, annoncée par le coup de cloche, Escorté de l'infirmier-major, de l'ihfirmier-pharmacien, etc., je pénétrais avec dignité dans les salles où chacun était à son poste. Dix ou vingt éctopés d'ordinaire, peu sérieusement en général, sauf les dysentériques et les typhiquesqui, hélas ! me filaient parfois dans les mains avec une rapidité désolante. Quelques incidents plus tragiques parfois : un tirailleur ayantreçud'un congénère un coup de couteau en pleine poitrine ;un Français atteint du spleen et se tirant Une balle dans là tête ; des indigènes avariés, nous arrivant dans un état épouvantable, les os du nez rongés, la face horresçente, suite d'accidents tertiaires d'une ampleur... ceux-là, c'était du nanan. On les guérissait par « miracle» avec l'aide de saint Mercure et de saint Gibert (inventeur du sirop ci-dénommé), et ils allaient répandre


M III. L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD

au loin, dans le clan des femmes arabes surtout, le renom de la science prodigieuse du « toubibe ». Qu'eut-ce été si j'avais connu le 606 !

Àh l mes enfants que la célébrité est chose facile à conquérir : « fama volât ». Cela ne m'étonne pas qu'un tas d'imbéciles comme vous et moi arrivent à être admirés, pavoises, ou statufiés plus tard par d'autres imbéciles plus ineptes encore. Les hommes ne sont que de vulgaires petits morceaux de savon, et pas de Marseille encore : la seule différence entre eux, c'est que les uns savent admirablement se faire mousser eux-mêmes, les autres, non ! Au fond, tous ces morceaux de savon-là sont pareils et ne valent pas cher. Mais excusez cette échappée oléagineuse et philosophique à propos d'une diathèse qui, dans le cours dé ma carrière médicale, m'a toujours inspiré la plus vive sympathie.

Oh, syphilitiques, vieux frères t Le règlement barbare des hôpitaux militaires vous refusait le vin, les suppléments, les desserts, la bonne limonade citrique même : mais moi je vous gavais de tout cela (avec des bons de tabac en plus), lui donnant, au règlement, de magistrales entorses à coups de prescriptions portées sur d'autres malades. Vous mettre à la diète, allons donc t Si cette affection spéciale coupe quelque chose, ce n'est certes pas l'appétit.

Il faut l'avouer, ma foi : la syphilis fleurit ferme chez les disciples de Mahomet et dans tout le Sud-Oranais. Vient-elle de la Palestine? Peut-être, car ; «la crainte de « la ...variole est le commencement de la sagesse », disait à ses douze fils, (Ecriture Sainte, verset 22), le patriarche Jacob, désireux qu'un frein salutaire retînt le leur sur le bord des autels dangereux pour leculte. Mais les 12 garçons n'écoutent jamais, voilà le chiendent ! On a dit aussi qUe ce'..fut.Mlle Abigaïl qui roséola le roi David, lequel infecta à son tour la petite Belhsabée ? J'ai lu aussi que les eczémas chroniques que Job grattait sur son fumier avec des tessons de bouteilles de Vichy," étaient de véritables plaques muqueuses ; mais peut-être


ut. L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD :<7

né sont-ce là que racontars desconcierges de l'époque. —» En tout cas, ta syphilis m'amène naturellement a vous parler de la vaccination.

III. Vaccination

La vaccination est, dans le métier militaire, un service de fondation : c'est incroyable le nombre de coups de lancette qu'un médecin est appelé à donner dans sa vie, à d'Jnoflensifs troupiers, qui ne lui ont jamais rien fait.

Le processus ne varie guère ; on amène les hommes, ils s'alignent et découvrent tous un seul bras (ou les deux) selon l'humeur mono ou bibrachio-vaccinatrice de l'aide-major scarificateur. , Quand tout est prêt, un coup de clairon et le médecin, sérieux comme la mule du pape, s'avance en piquant * un à un tous les bras tendus : l'infirmier-major, derrière lui, chargeant la lancette à chaque coup, Puis, quand on juge le vaccin suffisamment sec, un second coup de clairon sur l'air connu : « Rabats ta chemise, ma femme « ça y.est ! » et la petite cérémonie est terminée.

Quant à dire que les vaccins prennent, il faut avouer que la chose arrive bien rarement. Mais comme l'aidemajor serait enlevé s'il marquait t-insuccès » sur touts la ligne, il est de tradition de. porter aux colonnes de « douteux » et « succès » quelques chiffres discrets. A la division, le service médical, sur ces données de toute sincérité, bâtit ses statistiques, et l'on va même jusqu'à accorder aux médecins qui ont appuyé effrontément sur la colonne « succès >, une médaille ou une mention quelconque. Allez donc croire aux chiffres : une paperasse (fausse encore)de plus, et c'est tout.

IV. — Paperasses

Les paperasses, puisque ce mot me vient à la plumé, tiennent dans la vie de médecin-chef d'un petit trou d'hôpital, une place immense. Songez donc 1 que les malades guérissent ou non, cela n'a pas d'importance, il y a des colonnes pour les injerire, Mais qu'un rapport,


33 '.'Ut.'L'EXISTENCE.DANS' UN POSTE DU SUD

une situation, une signature n'arrive pas au jour dit, quel cataclysme I

Et si, dans les totaux de colonnes que, bien entendu, vous signez de confiance sans jamais les lire, il s'est glissé un 3 pour un 5, quel tapage t L'Intendance sourit de dédain en retournant la pièce au service central de Santé qui l'avait transmise (sans la vérifier non plus), et qui rugit de fureur en vous la renvoyant à rectification, à vous qui véritablement vous en souciez si peu I

Tout cela va, vient, par le fameux canal hiérarchique, un canal à urêthrile chronique qui, entre parenthèses, aurait un rude besoin d'être dragué, car les paperasses n'y font pas du 90 à l'heure, ni même à la semaine I

Soignez vos « situations », 6 confrères, si vous voulez que la vôtre s'améliore, et moulez-moi vos chiffres pour avoir de bonnes notes et la fameuse mention t « médecin d'avenir! » Si, en outre, vous vous donnez la peine de vous documenter sur les marottes thérapeutiques ou scientifiques de vos grand-chefs ; que vous tapiez en plein dans leur sens; oh, alors, estimé de l'Intendance, du Commandant, de la Santé, vous passerez au choix raide comme une balle. Mais si comme moi, vous faites la bêtise de vous occuper uniquement de vos malades, et de les guérir contre les usages ou règlements, vous êtes cuit, sous lé soleil torriJe du Sud'Oranais tout comme sous celui, moins ardent, de la Métropole 1

Les grands Maîtres aiment parfois à être admirés ou rebutés ; cela les flatte de voir leurs subordonnés trembler quand ils froncent le sourcil — nutu tremefecit olympium t «— Malheureusement pour moi, les mouvements réflexes de leurs arcades sourcilières me laissaient froid, et j'en ne faisais ordinairement qu'à ma guise,

h me remémore avolrencouru les R 1res » de ces trois puissances (Intendance, Commandement* Santé) pour le fait suivant entré autres t dans un hôpi -.* quelconque, très secondaire, quelques infirmiers étant u.. ses malades précisément au moment d'une petite ép.' tiie de.,, mettons variole, pour faire plaisir au sénateur Bérenger,


m.-L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD 39

le médecin-chef demanda des infirmiers supplémentaires qui lui furent fournis par les corps de troupe. Mais à la Santé, l'on se dit : «Tiens, ce méchant hôpital augmente « d'importance, car il a un chiffre plus fort de malades « et d'infirmiers : il faut généraliser la mesure I » Et tous les commandants d'armes furent invités à fournir aux médecins-chefs, des infirmiers auxiliaire?, et tous les rnédecins-chefsà en demander t Pas mal de confrères, par routine, obéissent à la circulaire: pour moi, qui justement à cette époqué-là, possédais déjà plui d'infirmiers que de malades, je m'abstiens. Oh I mes amis :

■ 1° Lettre du Commandant d'armes i « Comment, on vous ollrc des hommes et vous n'en voulez pas ? »

S4 Lettre du Directeur de Santé : « Monsieur et clierconfrère : vous ne comprenez pas, je le regrette, qu'en prenant des infirmiers de plus vous augmentez l'importance de voire service...»

3° Lettre de l'Intendanee : « ttclour des crédits alloués pour augmentation non effectuée de iXTcclif des infirmiers... »

J'eus beau"me débattre, dire qu'ayant déjà plus d'infirmiers que de malades, en demander serait onéreux et sans utilité.,. < Vous diminuez votre hôpital par cet aveu, « me répondit, furieux, le Grand-Chef: si tous en fai« saient autant, que deviendrait l'importance de mon « service général ?» Je fus noté comme un imbécile et un original (sic I) : voyez où conduisent le bon sens ou l'économie. Ne pratiquez jamais ces sottes vertus en administration I

V. — Vie matérielle

La vie matérielle était peu fatiguante : < otium cum < dignitate, on né fichait rien avec dignité »,

Après le bon petit déjeuner de 10 à H h,, une sieste solide, à volonté, facilitait les fonctions digestives : puis une flânerie ou promenade avant le dîner, Le soir, quelques tours de whist, quelques parties d'écarté, piquet, bêsigue, dominos ou jacquet, selon le goût dé chacun. Parfois, de plantureuses dérogations t une excursion à


•U) m. L'EXISTENCE DANS UN POSTE, DU SUD

cheval, une partie dé chasse ou une petite bordée hygiénique avant d'aller se coucher. Telle était la trame peu compliquée, mais substantielle, de l'existence.

Chaque officier jouissait .dans l'oasis d'une case avec un jardin attenant, irrigué à heure et jour fixés sur la prise d'eau commune qui débouchait d'un petit lac au bas de la place d'armes et à l'entrée des jardins. Le mien, à mon arrivée, contenait surtout des farineux et légumes secs, mon prédécesseur étant relâché —de tempérament s'entend, pas de moeurs ! — J'y fis, moi, prédominer la carotte et l'oignon, ces énormes oignons doux d'Espagne. J'avais en outre six amandiers superbes, gros comme le corps, quelques figuiers et pêchers dans les coins.

Parfois dans la monotonie de ces jours uniformes et ensoleillée, je songeais aux Grands Boulevards, aux sorties d'atelier « de la Couture ou de la Nouveauté », mais à quoi bon ? Il me fallait m'harmemiser à mon existence présente, en tirer toutes tes jouissances et le bien-être possible, aimer les dattes et les négresses, puisque je n'avais que des dattes et des négresses à consommer. C'était le plus sage : mais en été surtout c'était le plus dur >— naturellement I Trois mois sans une goutte de pluie ; un soleil implacable ; 42° à l'ombre ; le sirocco de temps en temps. Ou : *?. irais donné je ne sais quoi pour être balancé sur 1-. •/*>£ ic ; pour traverser la Seine en nageant à brasses ÏMics «t Jouces ; ou, mollement allongé sur le dos, faite U ktuue, le regard perdu dans lé ciel bleu : j'adore ce mode de stagnation aquatique, si favorable aux rêveries, sur le flot qui clapote et qui berce. Me jeter à l'eau rafraîchissante dans 3 à 4 mètres seulement de profondeur et les rives estompées dâtts lé lointain.,. J'en avals le spleen pendant les lourdes journées torrideS de juillet-août, en contemplant d'un mélancolique regard mon inutile caleçon de bain,

« L'on né sait apprécier un bien que lorsqu'on l'a perdu»: comme je sentais la vérité de ce vieil adage dont parle toujours te mari qui vient de perdre sa femme ou la femme qui vient d'enterrer son conjoint ; elle le harcelait toute la journée de son vivant, le voilà mort t « Oh ! le cher homme, Il avait « toutos les qUali-


lit. L'EXISTENCE DANS UN POSTE bu SUD -il

tés ! » C'est ainsi dans la vie. L'existence comporte de bons moments et de fichus quarts d'heure ; j'avais eu, eh garnisqnant à Paris, d'heureux instants; il me fallait •avaler —sans torborygmes — les quarts d'heure d'exil lointains et de solitude : j'en prenais facilement mon

parti," 'i ;■'.■';.,- ..':;;; ■:;.:":.;,.

Vit <— Souvénirâ dé France } ma mère.

Pourtant, il faut l'ayouer, sur un seul point, j'étais attristé : je pensais à ma mère; lajssêè en France dans un état de santé assez précaire. Deux années entières sans embrasser ses chers cheveux grisonnants, cela me paraissait long. Je lui envoyais bien de grandes lettres chaque semaine • non pour la rassurer sur mon sort —V (elle était accoutumée à niés Vagabondages inlernaiiônaux d'où je revenais régulièrement 2 ou 3 fois par an la voir quelques jours), mais surtout pour qu'elle me tînt bien au courant des petits incidents de son existence et de sa santé,

Dans la vie d'un homme,bien des femmes de toutes nuances et de toutes couleurs passent ; elles ne laissent le plus souvent que des traces légères s'estompant peu à peu dans lé pénombre du lointain : une seule y marque un sillon qui né s'effacera jamais, — que les années en s'accumulant creuseront encore plus, c'est ; « sa inèrel » En vain l'on se marie, on a des enfants ; la feminé» les rillettes ne font jamais oublier : « sa 'mère 1 »

Plus tard, pour le fils déjà mûr et devenu père de famille lui-même, quand l'heure de l'éternelle séparation sonnera, en voyant retomber la lourde pierre qui scellera à jamais ta tombe dé celle qui lui donna te jour ; ^dé celle qui depuis sa naissance fut toujours à ses cô'.és ; — qui dans son amour inlassabte et sans bornés a guidé ses prem îers pas d'enfant,^ pardon n ê se s inca rtades d'adolescent, soutenu ses défaillances d'hmme ; — te fils se sentira un vide irrémédiable, infini. Il lui semblera que sa mère qui meurt, c'est quelque chose qui se brise en lui ; une partie de lui-même, la meilleure, qui s'anêantif et disparaît ; * sa mère ! »,,,.,...,7,,.,,,

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42 i m. L'EXISTENCE DANS UN POSTE bu suD

■ Bien des années ont pesé sur ma tête depuis que j'ai perdu la mienne : mes enfants ont grandi, mes cheveux à leur tour ont grisonné... ma mère est toujours là, sur mes lèvres, dans mon cccur, et c'est toujours elle que j'invoque en mes moments de détresse, d'angoisse ou dé danger,, ...,,..,...,......,.,,.,...,...,..

J'écrivais donc régulièrement à la mienne, quelles que fussent mes occupations ou mes plaisirs de l'heure présente ; et, pourvu qu'à mon retour en France, je puisse la revoir souriante, heureuse, m'ouvrir tout grands ses deux bras, peu m'importait le reste et les événemenis, Quand la sonnerie classique pour l'arrivée du courrier dans te SudOranais, sur l'air de : ■ la Casquette au Père Bugeaud, *■ retentissait, je bondissais à la poste, pêle-mêle avec les vaguemestres et les hommes, pour avoir une seconde plus tôt sa lettre tant désirée! On se sentait tous égaux, chefs et soldats, devant les nouvelles de France; — c'était la vraie fraternité, le vrai socialisme vécu, celui delà vie commune et celui du coeur !

Vit. - Menu d'hôpital

A part quelques petits tiraillements inévitables entre chefs de service qui vivent dans le même cercle avec des attributions et des droits se côtoyant, tout allait a peu près bien. Dans ce bled lointain de Géryville, lesGrandsChefs venaient rarement : pis de chemin de fer ; 160 kilomètres en carriole de courrier ou à cheval ne les tentaient pas ; aussi chacun pouvait-il en prendre à son aise dans son propre service, sans avoir à redouter un à-coup quelconque désagréable.

C'esi ainsi que moi, contrairement aux lois sacrosaintes du règlement qui fixe le menu alimentaire en vigueur à Dunkerque comme à Marseilte et Géryville, je faisais figurer les perdrix sur la carte des malades au lieu du poulet traditionnel : elles coûtaient o fr, to l'une tandis que les poulets maigres et rares valaient jusqu'à I irane pièce, C'était donc totit à fait rationnel, mais


fil. L'EXISTENCE DANS UN fOSTE DU SUD k'i

absolument antiréglementaire comme me lé faisait observer le comptable désolé 1 — Je remplaçais également, dans ta mesure du possible, le lait concentré par du lait de chèvre ou de brebis ; le règlement n'avait prévu que leliait de vache, ei dans ces régions-là il n'y en a pas une seule.

Bon règlement 1 Une de ses prescriptions entre autres, que je n'ai jamais comprise, c'est pourquoi l'usage des cornichons est interdit aux soldats et officiers alors que ce condiment est autorisé pour les officiers supérieurs?

Les dattes, les amandes fraîches, ksjigites, la pêches, tout cela entrait à l'hôpital librement ou à peu près pour les convalescents t à quoi bon des sévérités mesquines pour dé pauvres soldats Si loin de leur pays, de leur famille? Quanta mes soldats indigènes, pourquoi changerleur.* habitudes? Il n'y avait que dans les cas spéciaux ou givivés que je formulais une interdiction absolue de s'écarter du régime prescrit, défense basée non sur le règlement, dont je me souciais assez peu, mais sur l'intérêt même du malade qui me préoccupait infiniment plus. J'étais d'autant mieux obéi que ces interdictions étaient rares et nettement formulées.

Je détournais aussi les bons de tabac restants, de leur destination normale (le retour au magasin), en faveur des convalescents travaillant à l'embellissement de l'hôpital. Le règlement interdit formellement de faire « travailler les malades » : c'est excellent en théorie, j'en conviens. Mais, en pratique, les convalescents qui savaient faire quelque chose ne demandaient pas mieux que de s'employer pour un bon de tabac, un supplément de vin, de lait ou toute autre douceur ; parfois, pour des timbres-poste, que je leur donnais (jamais de l'argent par exemple] pour .écrire aux leurs, à l'étranger. Evidemment, ce petit travail salutaire et qu'ils faisaient à leur guise valait mieux que l'inactivité absolue d'un repos exagéré. Mais allez donc faire comprendre cela à '.-'.Bureaucrate et Cic: j'aurais demandé la permission d'agir ainsi qu'on me l'eût forcément refusée ; donc, le


%k ni. L'EXISTENCR nANs UN POSTE bu sub

plus simple était de m'en passer. Comme j'étais en excellents termes avec le Génie et l'Intendance, nous nous prêtions mutuellement nos ouvriers, qui, presque tous, étaient de |a Légion étrangère,

VIH.~ Quelques mal&dés

En général, les o/ioes des maladies étaient peu imporlàrites, ta mertué monnaie des pays chauds : fièvres, anémiés, toenias (mediocaneltata surtout), et tout se passait pas trop mal, Je ne m'appesantirai pas ici sur le détail et la thérapeutique, m'en tenant aux incidents de .l'existence et laissant de côté tes théories scientifiques qui hé sont pas de mon fait. Une simple remarque seulement, c'est que ce sont précisément les savants qui n'ont jamais mis le pîed en Algérie qui en font lé plus : de leur fauteuil de la rué des Saints-Pères, dont ils n'ont pas bougé, ils vous tranchent tontes les questions médicales avec une désinvolture et une autorite charmantes, mais dangereuses t

Ils jonglent avec les moustiques, tutoient anophèles ou culex, tapent sur le ventre du glossina palpatis ou du stegonia fasciata, en leur disant : « C'est toi, vieux « frère, qui nous instille ta fièvre jaune ou la quarte? »; comme l'animalcule ne répond jamais à J'Acàdêmicn» son silence fait aveu et le fait est acquis! Mais laissons tous ces sêrôtapeurs de côté.

J'eus naturellement quelques cas graves ou ennuyeux ; celui-ci, entre autres, qui tourna à mon entière confusion.:.^, ;77.;:':'7/

L'bdyssêe d'un crâne.".— Un nègre queiçonoue s'était plaint dé violentes douleurs de tète : rien d'étônnant, il avait eu le crâne fracturé et ressoudé seul, à la suite d'un vigoureux coup dé matraque, naturelle-; ment, Le cas était obscur, avec des symptômes contradictoires ; aussi toute la faculté locale, les $ médecins (et même te vétérinaire), nous en délibérâmes longuement, Mes deux confrères étaient contré l'intervention : le vétérinaire et moi pour; mais comme la situation du


111. L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUO 45

malade s'aggravait, je trépanai et j'eus d'abord raison, puisque je donnai issue à quelques cuillerées de pus! La cicatrisation se fit à merveille, malgré quelques symptômes non expliqués, dont je ne pus me rendre compte ; mon nègre guérit et quitta l'hôpital. C'était peu de temps avant l'un de mes retours enFrance.

Ayant eu, pendant que j'y séjournais, occasion d'écrire à mou collègue non-înterventionniste de l'hôpital, je lui demandai, bien entendu, des nouvelles de mon opéré. Savez-vous ce qu'il me répondit ?

« Mon cher. — Je l'envoie (colis postal do 10 k.) le crâne << do ton client dont je viens défaire, l'autopsie lu semaine « dernière. ttemarque bien qu'il ne peut y avoir substi>»' lution avec ton coup do trépan cicatrice. Tu l'es occupé u du 'sommet, mais il y avait à la base une fracture et un «abcès superbe, ce qui explique les symptômes bizarres « que nous ne comprenions pas. Mieux vaut tard que « jamais, mais efface lo nom d'Abdallah de la liste de les « opérations sensationnelles.

« J'ai rempli l'intérieur'de ton crâne et les coins avec « uu régime de ces excellentes dalles de Mzab que tu « aimes tant, sole goinfre î Dis voir que je no suis pas uu « frère... »

Et j'avais déballé naïvement lettre et colis en famille l Non, je n'étais pas lier : achever son malade passe encore, mais s'en voir expédier les fragments à 3.ooo kilomètres, c'était dur t Hâtons-nous d'ajouter, pour effacer la détestable impression que vous auriez de moi. quelques succès.

a) Un indigène arabe ayant eu les pieds gelés sur les hauteurs neigeuses de Géryville (dj. Ksel) en hiver, vint à l'hôpital î amputation d'un pied au-dessus des malléoles, de l'autre à l'articulation métatarsienne de façon à lui laisser le calcanéum utilisable*. L'une des plaies guérit par ttc intention en quelques jours,.'l'autre eu deux mois et mon opéré ne fut pas trop « invalidé ». Par exemple sa jambe de bois mit (re/oci7<ts administrations l) quatte mois pour venir d'Oran.

b) J'ai aussi, dans l'encéphale, souvenir d'une fenime arabe paturiente exsangue, presque EU ris soufile


46 III. L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD

et déjà froide. Mon intervention rapide et appropriée la sauva d'une mort planant déjà sur son front» j'étais resté 5 heures à ses côtés, mais à mon départ la vie renaissait en elle.

e) Un autre jour, un tirailleur nie fut amené le corps traversé d'une batte : l'estomac doublement perforé laissait échapper les aliments entraînés jusqu'à l'orifice de sortie jusqu'à la colonne vertébrale. Le pauvre diable était perdu et se tordait en d'atroces souffrances que je n'hésitai pas à calmer avec la morphine à doses massives. Il mourut le lendemain : j'ai encore le plomb qui l'a tué dans un des tiroirs de mon bureau.

d) A une autre occasion, je n'eus même pas à intervenir : c'était dans un duel au sabre entre deux brigadiers. Au signal, ils se précipitèrent l'un sur l'autre avec tant de haine et de furie que le premier eut le cceur traversé et mourut sur lecoup. Quautau second, là lame adverse, lancée de toute force, avait heureusement dévié sur une côte, sans quoi lui aussi était transpercé de part en part. Ce fut la durée d'un éclair, le premier cavalier déjà mort, le second le soutenant encore debout sursoit sabre enfoncé de la demi-longueur dans le corps, jusqu'à ce que tous deux s'écroulassent ensemble, et le mort et lé vivant évanoui. Ces anecdotes sont plutôt d'un genre triste, mais que voulez-vous I c'est forcé puisque ce sont surtout dans les cas graves où nous avons à intervenir et à lutter.

Un dysentérique. .— Il me souvient aussi d'un pauvre artilleur atteint de dysenterie incoercible et qui mourut lentement (goutte à goutte pour ainsi dire), en quelques semaines. C'était encore à Géryville où la température estivale dépasse parfois 400 et 42° le jour pour redescendre la nuit, vers les 3 heures du matin, k ou io° seulement, soit "un écart de plus de So 13. Les hommes accablés par la chaleur "du jour &e couchaient hors des tentes, sous ta brise du soir, presque nus malgré mes recommandations, pour passer ainsi toute h nuit. Fut-ce cause occasionnelle de ce ca& particulier. '


Ut. L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD 47

Je le soignai de mon mieux, luttant contre la terminaison fatale, m'acharnant à le sauver. Il était natif d'un département Voisin du mien ; voyant que, là visite générale terminée et mes infirmiers partis, je revenais causer auprès de lui, il m'avait confié peu à peu son existence dé pauvre diable : resté seul de quatre enfants, son père et sa mère déjà âgés, petits euhivateurs gênés attendant son retour pour les aider à vivre et prendre « lé bien », Précisément il allait leur écrire quand ilétait tombé malade, et gardait la lettre inachevée pour leur dire comment cela tournerait. Le regard anxieui, il m'interrogeait tous les jours ; je lui fis envoyer sa lettré avec la mention : Malade gravement^ niais «< espoir », pour préparer au pays la nouvelle fatale que je prévoyais, car son pauvre corps diaphane s'amincissait tous les jours et l'atimcntation devenait dé plus en plus difficile.

Quand il se sentit près de ta fin, il pleura, et, en demandant mille pardons, me pria humblement, quand j'irais en France plus tard, de faire remettre aux vieux parents ses derniers souvenirs (quelques lettres, photographies, son porte-monnaie.V.). Emu moi-même, je lut promis davantage encore et, penchant mes lèvres sur sort pauvre front d'un blanc dé cire, je lui dis ; « Oui « mon enfant, si tu ne guéris pas, j'irai moi-même ; et je « leur porterai ce dernier baiser dé ta part I » La figure du malade s'illumina en me serrant faiblement la main entre les deux siennes ; puis, quelques minutes après, il expirait en murmurant tout bas : « Maman...màman...» le premier mot dé l'enfant qui s'éveilleet qui parle, mais aussi le dernier mot de l'homme qui râle ètqui meurt... 'Je revois encore en moi la tombedecettè pauvre" victime où je fis placer une dalle ainsi gravée ♦

7 J. LkitôUX

artilleur-- frâltçàU ...

'■':" M$, ;..

avec la croix emblème de U mort et de h foi religieuse i Non que je sois « clérical », niais j'ai lé respect absolu de


48 m, L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD

toutes les croyances et mieux vaut s'endormir dans l'éternel repos, la douce espérance aux yeux, que le rictus du damné sur la face t « Mors, ultima ratio » ; triste fin!

Que je maudissais, devant ce dénouement fatal, et ma pauvre science vaine et les vaines considérations économiques envoyant ce pauvre petit soldat de France finir misérablement ainsi, loin de son clocher, dévoré par le climat.

Pour qui, pour quoi ce sacrifice ? « Ce sont ces morts »< obscures, disent les rhéteurs officiels, qui font la « France belle et forte. » Oui ce serait vrai, si ceux qui la dirigent voulaient les utiliier pour la gtoire et la grandeur de ia patrie ; mais, hélas 1 ce sont trop souvent sacrifices perdus. Là mort de ceux-là qui dorment sous lès jungles de Madagascar ou dans les rizières du Tonkin a fait couler bien des larmes et câUsê bien des désespoirs : elle n'a guère servi qu a caser quelques administrateurs ignares ou quelques bureaucrates- encombrants de plus (parasités supplémentaires et nocibles), pans servir la patrie. Je serais colonial, oui, mais sous la formule : « La colonie pour te colon — homo virilis et « audàx, — et non pour le fonctionnaire — servus sub « corona venditus ! »

Plus tard, nous dit-on ; mais « plus tard » ne vient jamais avec cet intensif fonctionnarisme qui lue partout noire colonisation. Nous l'attendons depuis Louis XIV ce « plus tard ! » Montcalm a fait le Canada ','Ûuphixet Lally-Tollendal ont conquis les I ndes ; Courbet a lutté au Totîkîn.. .et c'est l'Anglais qui commande à Québec, qui règne à Calcutta ; c'est le Japonais qui prendra TIndo-Chine. Comme le disait en «002 M. Bonvallol dans Une conférence sensationnelle i

« Je ne voudrais pas voiib laisser pat-lit' salis avoir attire votre attention sur; les problèmes que les français ont à résoudre le plus râpidrmenl. EOUS peine de déchéance : '■'-- Notre dette s'éltve n 3> milliards. Le déficit à ptevoir est pour celte année de 8i> millions.

— Le gaspillage continue, li cf.1 inutile, je pense, do


III. L'EXtSTBNCË DANS UN POSTE DU SUD 49

vous citer des exemples. Nos fonctionnaires coulent 800 millions, et leur nombre augmente tous |es jouis.

— Nos colonies n'ont pas d'armée coloniale, sont mal gouvernées et ne sont pas en état de défense.

Nous sommes perdus tte réputation dans le moïide entier. Nous discutons pour savoir s'il faut casser l'oêuf par le petit bout ou par le gros bpul, etc.

— Je vous le répète, j'ai.comparé;noire peuple à beaucoup d'autres peuples, notre pays à beaucoup d'auliés pays, et, vous pouvez m'en croire, nous avons do quoi faire tin bon civet comme ils n'en mangeraient ni en Allemagne, iii cft Angleterre, mais il faut quo vous preniez la peine de vous baisser pour-ramassèt' Vos richesses, il faut que vous comptiez sur cous-mêmes, tien que sur vous-mêmes, pour faire noire Franc* 'meilleure, moins corvéable, plusénergique, plus unie.»

Celui qui parlé ainsi n'est pas un de ces bureaucrates émaclés, attendant à fin mensuelle les quatre sous de leur Administration; — un de tes « fidèles serviteurs » dont les services relèvent de là domesticité officielle, et non de l'utilité efficace ; v- dont les blessures sont des hémorroïdes ; -— dont les risques se bornent aux indigestions des repas officiels ; 7- dont le champ clos est : té jour, un bureau bien capitonné, avec fauteuil et calorifère dans le dos; le soir, le home confortable ou.7, l'asphalte parsemé d'hirondelles de trottoir.

Non, celui qui tient ce langage, ce n'est pas Un fonctionnaire, Un valet de sérail ; c'est — utt homme — un fils de la vieittcGàulé dont les « services » ouvrent de vastes territoires à notre forcé et à notre volonté (si nous en avions 1) ; dont tés blessures proviennent des dents des fauves ou des coups dé feu de la brousse; dont les risqués sont la faini, la fièvre, la mort violente bravée tous les fours ; — dont le cttàrrip c/os, c'est l'immensité des espaces inconnus — et perfides 1

Moi ausvi, à ces moments-là, j'étais un révolté t

Révolté contre l'inutilité de cette mort qui me faisait comprendre les Vûulet, les Chanoine, tes Marchand, tes hommes comme Boniatlot ceux-là. de là broustê et de l'action, acceptant de.côUrber ta tête et de se faire tuer


50 M. L'EXISTENCE DANS UN POSTE pu SUD

pour la gloire nationale, pour la France, — rnais la redressant pour refuser, écoeurés, d'obéir aux fantoches mesquins de la Rue Royale osant parler en son nom pour annihiler leurs efforts et en stériliser les résultats.

Qu'on n'aille pas m'accuser d'indiscipline : d'inférieur à supérieur, il faut une obéissance passive et absolue! « Un ordrene se discute pas, ils'exécute.» Mais aussi il fautque celui-là qui commande en soitdigne : s'il est publiquement taré par son inçapacitê ou le mépris général qu'il inspire, l'obéissance réglementaire vis-à-vis de lut" devient un avilissement insupportable aux subordonnes d'honneur. Et quand on voit dés buveurs de bocks, des rastâs à tout faire, devenus ministres oU chefs de service, désorganiser en gâchant tout autour d'eus, on comprend que ceux qui savent et réfléchissent, généraux, amiraux, commandants, refusent l'obéissance ou tic l'accordent qu'à contre-cceur à d'aussi tristes sires !

Révolté aussi contre la mort elle-même, dont la puissance écrasait ma faible science ! Le médecin de racé qui à,dans lui, l'âme de sa profession, s'actionne dans cette lutte continuelle contre l'entité morbide. H veut sauver son malade, il s'y donne tout entier et lorsque, vaincu, il sent l'inanité de ses efforts contre la nature implacable, le mouvement de ragé et d'orgueil qui le fait maudire « en haut » est bien excusable l

Pour mon pauvre malade, j'avais adouci ses derniers moments, il était mort en sentant mon affectueuse sympathie rayonner sur lui et les siens. J'écrivis moi-même à ses vieux parents dont la douleur fut immense, et plus tard, à mon rétour en France, je leur; fis remettre les derniers souvenirs dé leur « petit », en ajoutant dans son porte-monnaie 5o francs, « fruit de ses travaux au * corps », disais-'je, Pris dans l'engrenage dé nies proprés àlfairesidé mes plaisirs, je négligeai d'y aller ; j'eus tort.

; je confesse, car à là charité ^«nw/i-e bien faible, que je faisais; j'aurais dû ajouter la charité morale, plus haute, et réfriplir ma promesse entière. J'eus des remords, un honnête homme devant toujours (quelles'que soient

. les çircbn&tàncc-s) faire honneur à sa propre parole : je


ni. L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD 51

n'avais pas rempli mon devoir, tout mon devoir, je le reconnais bien franchement.

Uft typhique. — J'ai souvenance aussi, à Aîn-Sefra, d'un vigoureux gaillard que, malgré ma lutte de tous les instants contre les symptômes morbides successifs, la typhoïde m'enleva. Il était de la classe et devait rentrer en France dans quelques mois ! et voilà qu'au retour d'une petite colonne de rien, du côté dé Founassa, Djenien-hQu-Rezg, il tombe à l'hôpital. Dans ceitecourte expédition, 4 à 5 malades seulement, lui seul mourut.

Je m'étais aussi passionné pour l'en tirer : entre nies visité et contre-visite, je le voyais trois à quatre fois dans le jour et même dans là nuit, me relevant à a heures du matin pour aller constater son état. Un infirmier le veillait nuit et jour; rien n'y fit. Lui aussi était un paysan dé France, heureux du prochain retour pour reprendre la charrue paternelle et retrouver u promise.

Pauvres morts obscurs, Vous êtes légion : d'autres tombent en pleine lumière, dans le bruit, la gloire* succès; vous autres, à l'hôpital, vous disparaissez dans l'obscurité, la souffrance et Ja solitude. Quand je voyais ces décès inutiles se succéder, il me semblait que c'était moi lé coupable, que je faillissais à mon rôle si noble et si beau ; « faire rééuler la mort 1. » Ils né le savaient pas, eux, ces pauvres diables ; mais je le gavais, moi, qu'ils allaient bêtement périr sous lainocuité meurtrière d'un été torride, dans ce coin désert perdu dans l'immensité, là où les maintenait''.' une raison stratégique, fausse bu vraie en principe, je ne sais, mais à coup sûr funeste en". ces résultats Immédiats,

Mais à quoi bon s'indigner ? En France même, ne yoyons-hôus pas certains casernements (Limoges, Brest, Rouen, etc.) tuer régulièrement tous les ans 8 à 10 hommes dé fièvre typhoïde sans que l'on se décidé à les démolir et à tes reconstruire sururt autre emplacement ? Et cela duré depuis des années ; pour chaque inspection, mêmes rapports concluant à leur novidté. Mais y changer quelque chose? cela coûterait trop cher à. l'ad-


52 Ht. L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD

ministration, lui donnerait trop de tracas : les soldats continuent (et continueront) à y mourir depuis des lustres, par douzaines tous les ans, pendant qu'au Ministère la haute direction discute en commissions et sous-commissions sur la hauteur de la bande dû képi, sur les boutons de guêtre ou tout autre infime détail d'habillement où d'exercice. L'argent pourtant qui sauverait ainsi des centaines d'existences militaires par an serait plus utilement employé par le ministre de la Guerre, que celui qui solde tes inaugurations de petites Villes pu les vins d'honneur organisés partout sous sa présidence. Mais ne nous laissons pas glisser sur la pente politique ; soyons et restons médecin (ce qui est encore le plus beau rôle), en demandant quand même et toujours pour nos hommes, non des améliorations tapageuses et politiques, mais U caserne sainéi les soins assurés, l'hygiène simple et rationnelle, :

^.",'V'.:-;>':'7.';^^Rôp:ar!tïti<>n du service

Comme service dans la province d'Oran du moins, les médecins ne sont pas trop malheureux ; leur répartition est-faite de façon êgalitaire et de manière à compenser les mauvais postes par les bons pour faire une balance équitable. (Dauber sur ses supérieurs, c'est absolument naturel ; mais parMs avouons qu'ils font ce qu'ils peuvent et qu'ilè ont bien du mal à contenter toiùt le monde.

On fait, en général, un andeSud-Orànaîs^er^wV/e, Mecheria, Alti-Sefrà, Ben:Ounif, Béçhar) ; deux ans de postes intermédiaires (Làlh'MdHhia^Tlemcén, Sidi-bel'A bbès, Sa Ma, Tiaret, etc.) ; un sri au bord de la mer (Oran, ffcinqurs, Mostdganein, Arçem, çtc,).

Comme agréments d'existence, H est évident que les ports de mer ou les postés dû Tell sont infiniment supérieurs et toujours très recherchés, Ceux du Sud n'ont qu'un seul avantage ; laisser en gênerai plus de liberté dans le service ou lès allures, Malgré leur/monotonie, leur manqué; de bièn-êué, quelques médecins,


ÏU. L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD 53

assez rares il est vrai, les préfèrent pour ce motif : ce sont les indépendants et lesdurs-à-cuirede laprofession. Quelques décavés aussi s'y font envoyer pour s'y refaire, te vie étant à meilleur compte et les occasions de dépense très raréfiées.

« Mais, allez-vous me dire, si ces régions-là sont si « pauvres, si dénuées de ressources qu'il faille les ravi« tailler à grands frais par des convois venus du Tell, « pourquoi diable les occupe-t-on ? »Cela, par exemple, c'est un peu compliqué : cependant sans trop me lancer dans l'océan des considérations stratégiques où mon incompétence me ferait faire naufrage, je puis vous confier que l'occupation du Sud-Oratiais garantit le Tell contre les incursions des nomades pillards : il est de toute nécessité de s'y installer fortement si l'on veut relier Tombouçtou à Oran. Cette « reliure » est-elle avantageuse ? C'est là une autre question qui me fait songer à donner quelques indications générales sur la topographie du pays. Cela vous rasera quelque peu, sans doute, mais ma conscience exploratrice en sera tranquillisée et vous aurez moins chaud à le lire, mon topo, que moi j'ai eu à le parcourir.

Pourtant, auparavant, quelques mots sur la Légion étrangère, cohone vaillante qui, vu son effectif, nous fournissait le plus fort çonting-mt de malades.

X. — Légion étrangère

C'est un corps que je ne puis décemment qualifier * d'élite », au point de vue du recrutement surtout, car l'on y trouve de tous les âges, de toutes nationalités et de toutes les catégories sociales. Point de pièces d'identité pour s'y engager, chacun donne un nom, celui qu'il veuf et qui, avec son matricule, constituera son étatcivil pour l'armée. Ils choississent eh général un nom répandu dans leur pays d'origine ; Muiler, Hermann foisonnent parmi les Suisses et les Allemands. A Tiaret, j'eus comme infirmiers : un capitaine de dragons anglais qui, s'étant altercationné avec son colonel, avait levé la


oi III. L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU $W

main d'abord sur lui, et le pied ensuite sur un steamer en partance ; puis un clown américain qui avait eu le couteau facile vis-à-vis d' « un de ses camarades », disaitil, ou sur la grande route : enfin un confrère belge obligé de quiuer précipitamment ta bonne ville de Namur où il exerçait, parce que des indiscrets, se mêlant de médecine illégale, avaient remarqué que dans sa clientèle les femmes accouchaient souvent à 4 et 5 mois., des enfantillages, quoi S

Comme ordonnances, je m'enorgueillis successivement d'un excellent peintre polonais et d'un architecte allemand. Que diable avaient-ils bien pu faire pour abandonner ces professions dites libérales ? Je ne sus jamais. Il n'était pas toujours facile de démêler l'origine de ces recrues et le motif de leur incorporation « en leur àme caché » î II fallait une occasion, un motif sérieux pour obtenir leurs confidences ou leur confiance. Ainsi tin légionnaire, un jour, gravement malade à l'hôpital, demanda à me parler particulièrement : Mme remit une lettré et une liasse de billets de banque allemands (8.000 marks, soit la valeur de 10.000 francs environ) mé priant, en cas de décès, de poster la lettre. « Et l'argent ? lui dis-je. — L'argent,M. le Major, si « vous voulez bien indiquer à ta même personne, votre « adresse et l'époque, de votre retour en France, on « viendra le chercher, » Il guérit ; lorsque je lui rendis sa lettre et son dépôt, il me dit en termes embarrassés : « Je sens que je dois vous dire tout, mais j'aime mieux « pss, si vous me le permettez. » Je regardai droit dans ses yeux, obscurcis par quelques larmes de reconnaissance à ta fois et de honte secrète peut-être, et je lui répondis : « Oui gardez votre secret, mais soyez mainte« nantun homme, dr\ honnête homme t — Oh! merci, me « dit-il, je n'oublierai jamais ! » La veille du jour où je quittai mon posté, il vint encore me donner ses remerciements, et le matin même de mon départ, au moment où, entouré des amis me souhaitant bon voyage, je sautais en selle, il était encore là, à l'écart du groupe, pensif et sombre. Mon dernier signe de tête fut un geste d'encouragement pour ce pauvre dévoyé, épave humaine


JIL L'EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD 53

battue paries, à-coups de la vie comme iinnavire par les flots en furie, si parya litet çomponere tnagnis !

je fus amené aussi à faire la connaissance d'un médecin suisse, à propos d'un kyste qu'il avait au poignet, juste au-dessus de la radiale Î cette petite opération parut l'effrayerbéaucoupet il ne s'ysoumit qu'avec répugnance; elle eut d'ailleurs un plein succès,

Comme je lui faisais part, après sa guérison, de mon étonnement à le voir résister à cette intervention si simple et si indiquée, ilm'avoua sa frayeur à cause de la radiale sous-jacente ; puis, peu à peu, me raconta que, médecin lui-même, s'il né s'effrayait pas d'une opération pour le client, il la redoutait pour son propre épldermé. Je le pris alors comme infirmieretlui procuraibienentendutouteslesdouceurs ducs à un confrère tombé dans une.'. mélasse aussi intense. En résumé, ce sont les Allemands et les Suisses qui dominent ; puis les polonais^ les Italiens, Espagnols, quelques Russes, Bulgmes, fort peu d'Anglais. '

Au fond, tous ces lascars-là ne sont pas faciles! brider; ce sont des gaillards dont beaucoup ont eu maille à partir dans leur pays avec leurs concitoyens pu sont en état de délicatesse avec leur justice locale. La violence est dans leur tempérament ; ils n'ont plus rien à craindre ni à perdre : pourtant avec delà poigne et de l'équité surtout — sévère mais juste— leurs officiers en viennent .facilement à boui. Ce sont les unités qu'il faut pour aller de l'avant, pour un coup de chien, une marche forcée, un combat dur : ils feront tout, même et surtout l'impossible, dans là main d'un chef qu'ilssentent décidé à ne pas tes lâcher d'une semelle dansia fatigue ou le danger, mais aussi à leur faire sauter la cervelle au moindre geste de recul ou d'indiscipline. C'est à juste titre que IssViUebQis-Mareuit, les flore///, ont proclamé la bravoure de leurs hommes, héros se faisant tuer sous ''.l'anpnymàtv''. 7'77

Quelques officiers étrangers font partie des cadres à titré spécial : je me rappelle un lieutenant suédois, mince, flègmàtiqUe et blond, faisait baisser devant lui les plus fortes têtes, tant la décision et la force Voulue se lisait


56 IIL L EXISTENCE DANS UN POSTE DU SUD

dans ses yeux bleus : il parlait quatre à cinq langues et çorinaissaità fond chacun de ses hommes.

il faut se garder de confondre la Légion étrangère avec te Bataillon d'Afrique (Biribi, discipline), où l'on verse te ramassis des condamnés de droit commun et l'écume des souteneurs de grandes villes. Il y a entre les deux recrutements, l'un volontaire, l'autre forcé, la différence '■qui séparé le crime passionnel (net et rachetable), du vice bas (continu et irrémédiable celui-là i) Le légionnaire a pu accidentellement commettre un vol, verser le sang ; mais rompant avec le fait criminel, il entre sans regar* der en arrière dans cette nouvelle existence qu'il a choisie lui-même ; il se crée une nouvelle personnalité dé devoir, parfois d'héroïsme, qui lui fait racheter le passé ; le disciplinaire, lui, subit son présent, gardant en luimême, avec la saveur malsaine du passé fongueux, son Ame gangrenée prête encore à toutes les traîtrises et les ignominies futures.

Je parle ; « en général» bien entendu ; car, à côté des légionnaires qui acceptent franchement leur situation actuelle disant, résignés, des années qui s'écoulent : « vulnerant omnés... », il en est quelques-uns qui ne peuvent s'y résoùdreet désertent ; alors ; vultimanecat », la dernière année les tue, ceux-là, cafta désertion comporte un aléa terrible. Aussi exige-t-elle une âme fortement trempée, une résolution suprême, ce qui explique pourquoi elle est bien plus fréquente dan?! la Légion que dans là Dhcipline.

:.:■-■ XI,;-.' tes Déserteurs

Naturellement avec de pareils effectifs, les désertions se présentent quelquefois, mais assezrarement, vu l'impossibilité presque absolue de tes mener à bien. Un où;

plusieurs hommes quittent la garnison avec armes el bagages ; mais où iront-ils, dé quoi vivront-ils dans le désert? A :■'moins qu'un douar quelconque ne les recueille, pour lesrendre à: l'autorité française, ils sont condamnés à mourir de soif ou de faim, leurs munitions épuisées, 9 fois sur ici, car iVest peu facile dé vivre seuls


lit. L EXISTENCE DANS UN I'OSTB DU-SUD 57

ou d'atteindre un point quelconque où ils puissent être en sécurité. Si par hasard, ils parviennent à la frontière marocaine, les tribus pillardes ne les épargnent pas. On cite pourtant quelques exemples, (mais combien rares !) de légionnaires déserteurs épargnés par les tribus et devenus musulmans. Revenir à leur point de départ leur est presque toujours impossible, car ce chemin qu'ils ont fait, solides et entraînés pour s'en éloigner, il faudrait le refaire en sens inverse, exténués et sans vivres. C'est donc pour eux, presque toujours, la mort sans phrase.

Généralement ils s'échappent du camp par petits groupes de 2 à 5 hommes ; quoique marchant jour et nuit, pouréviterlcs poursuites immédiates, ilss'éloignent à peine de i5o à 200 kilomètres. On a lancé à leurs trousses quelques spahis ou goumiers avec ordre de les ramener « morts ou vifs ». C'est toujours « morts » que les goumiers les ramènent : en effet, la prime qu'ils touchent étant la même, ils trouvent infiniment plus simple et plus rapide de tuer l'homme et de rapporter sa tête seulement, pièce suffisante pour Je constat du succès de leur expédition, Des prisonniers blessés, récalcitrants 'ou épuisés, à ramener pendant des centaines de kilomètres les retarderaient singulièrement ; avec les têtes qu'ils rapportent dans leurs musettes, ils sont de retour en 24 heures.

Au premier abord, ce'procédé[paraît un peu brutal : mais en y réfléchissant, il a son bon côté. Sans lui ce seraient des coups de tète de 25 à 3o cerveaux brûlés s'enfuyant par bandes entières, organisées, pouvant créer des complications sérieuses ou destinées à périr misérablement de besoin dans;le désert. Les 2 ou 3 têtes fraîchement fauchées des camarades les font réfléchir et lès sauvent d'eux-mêmes. Déjà quand ils ont vu partir en chasse les cavaliers nerveux et bronzés, penchés sur ta piste, un petit frisson leur a passé sous t'épiderme : en les voyant revenir quelques jours après, la musette sanglante et gonflée, pour se rendre directement au bureau arabe, ilsôntdevinélaterminaison habituelledel'épisode.

Les goumiers mettent d'ailleurs au minimum leurs

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5S ni. L'EXISTENCE DANS UN TOSTE DU SUD

propres risques à courir : quand ils ont retrouvé la petite bande de déserteurs, ils ne cherchent pas à s'en emparer de vive force en s'exposant aux coups de feu, Ils la suivent à distance, hors vue presque : ils la guettent, attendant avec patience que la fatigue, la faim, la soif ou l'épuisement des munitions la leur livre. Oh l alors tout est est réglé en un instant : ils fondent dessus, le" drame s'accomplit presque sans bruit et le sable altéré a bu le sang vermeil sans que le silence lourd et brûlant du désert en soit troublé. Les corps restent là; pp'fois ils sont enfouis à ta hâte et à peine : aussi la nuit suivante, attirés par la bonne aubaine, chacals et hyènes accourent. Quand ils s'éloignent, repus, à la pointe du jour, lesoleil se lève sur des ossements nettoyés qu'il blanchira pendant des siècles.

Un jour, pendant une chasse, à ta suite d'une gazelle blessée, les ayant entraînés au diable, quelques officiers trouvèrent deux squelettes à peu prèsçomplets,(maissans les crânes) sur un petit plateau rocheux, dans une ravine écartée de toute piste : quelquesboutons de cuivregisaient dans les environs. Le bureau arabe interrogé s'enquit auprès des indigènes et aux archives : c'étaient deux légionnaires allemands, évadés il y avait 10 ans, cernés et tués dans cet endroit sauvage. Les carnassiers, en traînant leurs ossements à l'entrée de leurs tanières, sur la roche, leur avaient évité l'ensablement. Quand on retrouve les squelettes avec la tête, l'épisode a été pis encore, car les malheureux sont morts de faim, entourés sahs doute de fauves attendant à peine leur dernier soupir pour se ruer à la curée. Comme le pavé de la grande ville, le sable du désert a ses sombres drames aussi.

La crapaudine et le"*//•, ces punitions africaines en usage pour les indisciplinés des bataillons d'Afrique, paraissent doucesen comparaison, Dans les campements du sud, la prison manque : on la leur remplace par des trous profonds de 4 à 5 mètres, en tronc de cône ou entonnoir renversé, (c'est-à-dire à orifice très étroit au ras du sol avec au fond une circonférence plus grande,) dans lesquels on les descend ; d'où le nom de silo.; Au


III. I. EXISTENCE DANS UN l'ÔSTK DU SL'.D 69

préalable on leur a ligotté les membres d'une façon spéciale permettant la stagnation assise à la façon des grenouilles ou crapauds, d'où le nom classique de crapaudine.

J'oubliais de vous dire pour nos déserteurs que les paperasses ne perdent jamais leurs droits. Pour la régularité des écritures, au retour des goumiers avec leurs funèbres trophées, j'étais appelé à constater le décès sur le vu des tête*. Dans ces conditions-là pas à craindre d'erreur de diagnostic, ou de mort apparenté ! Cette petite formalité s'effectuait devant les camarades des défunts requis en témoignage d'identité, puis on passait radiation des contrôles, et chacun reprenait son petit service habituel.

Hélas, dans ce genre de vie et dans ces pays, il iie faut pas avoir le coeur trop sensible ou le souvenir trop vivace. On se serre entre soi, ceux qui vivent; mais on oublie vite celui qui meurt: ce n'est pas par indifférence, mais par nécessité, 11 le faut, car songer à ceux qui sont tombés, au passé, serait de l'énergie perdue pour le présent, et l'on a pas trop de toutes ses forces, de toute sa vitalité, pour la lutte continuelle contre les aléas, la fatigue, le climat. Un camarade qui disparaît, c'est un feuillet dé moins dans l'agenda collectif de ceux qui restent ensemble et qui continuent. «Hodiè tibi, cràs mihi, » voilà ce que se dit en se penchant sur l'ami qui tombe pour ne plus se relever, celui qui, pionnier inconscient souvent, doit, lui, continuera lutter et à marcher. On ne s'arrête pas auprès des cadavres, on les dépasse! — Mais je deviens lugubre : 'secouons ces lourdes souvenances pour vous causer un peu de la configuration générale de la contrée.


ÏV

Configuration générale du pays

.—»■•»——

l,a province d'Oran, et même toute l'Algérie, peuvent se diviser en quatre régions ou tranches épaisses bien nettes, se suceedant ainsi du Nord au Sud, puis après, le Sahara :

Tomlouclou et le Niger.— Lac Tchad.

La superficie du Sahara qui s'étend de Figuig à Tombouctou, est infiniment supérieure à elle seule aux autres tranches réunies.

■- -\L Le Tell' "-

D'une largeur variable entre la mer et les premières assises de l'Atlas, le Tell comprend une série de plaines


IV. CONFIGURATION CliSÉUAlB DU PAYS 6t

Irrigables et fertiles, au long de la voie ferrée d'Oran à Alger, où se succèdent les centres daSte-Barbe-du-Tre' lat, St'Denis-du-St'g, Perrtgaux, niillil, Reliiane, lnkerman,d\i côté d'Alger ; du côté du Maroc : Sidh bel-Albès, Lamor.icière, Tlemcen, Lalla-Maghnia.

VA Tell (tunisien et algérien) était jadis le « grenier » des Romains, il a bien perdu de son ancienne renommée, mais sa fertilité est toujours la même et les progrès réalisés depuis plusieurs années pour la culture delà vigne, des oliviers, des céréales, des primeurs sont considérables, surtout dans l'Ilintcrland d'Oran.

Bien irrigué, le Tell peut donner en certains endroits deux et trois récoltes de suite. Tout y vient en abondance, cultures du midi de la France et cultures propres à l'Algérie ; la production est bien au-dessus des besoins locaux et fournit une exportation importante en France et surtout en Allemagne et en Angleterre, par des paquebots de ces nationalités, malheureusement pour notre amour-propre et nos intérêts commerciaux.

II, Le i*r massif : de l'Atlas

Le massif de l'Atlas, dans }a province d'Oran, s'étend du Nord-Est au Sud-Ouest, de l'Ouarsenis(i .n35 m.)aux monts de Tlemcen. Comme villes, on y trouve les centres assez importants de Sebdou (960m.), Daya (1.275 m.) en pleine forêt ; Safda (890 ni.), Frendah (i.iSo m.), entouré des pins d'Alep : Mascara (58o m.), Tiaret (t.îoo m)., à la limite des hauts plateaux ; les sommets varient de i.5oo à 2,006 mètres.

Ces régions, éminemment salubres, se rapprochent beaucoup du climat de France, en raison de leur altitude. Le point culminant de ce côté est l'Ouarsenis (près de 2.000 m.), nommé par les Arabes « l'oeil du monde», et dont les contreforts s'étendent de tous les côtés, envoyant leurs eaux dans la vallée du Cheliff. Le versant nord monte en pente raide jusqu'à i,5oo à 2,000 mètres (et même 2,3oo pour le dj. Chelia, dans l'Aurès) ; ses eaux vont à la mer. Le versant sud, en pente douce, constitue les Hauts Plateaux : ses eaux se perdent dans


62 IV, CONFIGURATION OÊSÊRALK DU f'AYS

les chotts, aujourd'hui desséchés, qui furent autrefois des lacs intérieurs.

C'est au Maroc que se trouvent les plus hauts sommets de l'Atlas : 4,000 à 4.500 près de Tachditt et de la Kasba Guendafi,

Beaucoup de pentes sont boisées ou susceptibles d'une exploitation raisonnéc et de bon rapport. On y rencontre aussi des assises de grès, marbres et calcaires : la chaux le plâtre sont d'excellente qualité, il y a de l'argile pour les tuiles, les briques. Comme minerais, on y trouve le fer, le cuivre, le plomb, etc. Nous en parlerons plus loin.

III, Les Hauts-Plateaux

Les Hauts-Plateaux viennent ensuite, séparant ce premier massif montagneux de celui des oasis. C'est la région des chotts Et-Chergui, Et-Gharbi, El Tigri, perdus dans de vastes espaces dont la largeur entre les massifs varie de 160 à 3oo kilom,, et où l'on ne rencontre guère, en fait de végétation que l'alfa. 11 s'y trouve cependant des plantes aromatiques dont les troupeaux sont friands et chaque tribu a son territoire de parcours pour le pâturage.

Dans la région du Chott el-Chergui (t5o kil. de long i5 à 20 kil. de large) les gazelles sont assez abondantes.

Pas de villes, dans ces espaces plats et d'apparence inhabitées (de façon tout au moins sédentaire) ; quelques postes seulement, le Kreider, Mechéria, nous reliant au Sud, car cette large bande inculte ne serait pas un obstacle pour les nomades pillards si nous les laissions occuper en maîtres toute la chaîne de montagnes qui la limité air Sud,

Cette région, étant donnée sa pauvreté végétative est surtout un territoire de parcours, mais trop rarement et sur les limites, se rencontrent parfois dans les points arrosés, de petites prairies vertes et fraîches relativement, avec d'innombrables asphodèles fleurissant sur leurs tiges hautes, des tamaris vigoureux, des jujubiers sauvages, buissons touffus dont les flocons blanc* et légers paraissent de loin d'énormes amas capricieux de plumes


IV. .CONFIGURATION CLNÈIIAMÎ DU PAYS 63

de cygne- Mais c'est, il faut le dire, la poétique exception,

L'aUiiude des l lauts-Plateaux est presque uniforme entre 800 et t.ooo métrés ; les "eaux se perdent dans te sable ou dans les chotts dont le sol est imprégné de matière saline magnésitcusc depuis des centaines de siècles peut-être.

IV, Lé 3« massif : dés Ksours

2e massif, des Ksours ou oasis forme 'une ligne continue, épaisse, du pj-Àmour (i.937 mètres) près Laghouat, au Djebel-Mai^ (t.g5o mètres) au-dessus de Figuig, s'étendatu .obliquement, du Nord-Fst au SudOuest, parallèlement : au t" massif, en passant par Laghouat, Ajlou, Géryville, les Arba, Chellala, Asla, Aîn-Sefra, Foumssa, et enfin Figuig. Il sépare les hauts plateaux (ou région des chotts) du Sahara ou plaine de Rainada, désert pierreux qui le commence. Son orographie est simple, c'est te seuil du désert, s'étertdant de Figuig à Tombouctou et au lac Tchad.

Les Ksours (villages fortifiés) inoccupés par nous seraient pour les pillards du Sahara de vrais repaires, d'où comme jadis ils pourraient sciancer à travers les hauts plateaux pour faire sur les. centres productifs de l'Atlas et du Tell des razzias imprévues. Aussi les postes Sud de '-'■Géryville, Aflou, Àtn-Séfra> avaient-ils été créés pour garantir les cultures-Nord de Tiareti Frendah, Saîda. Leur importance aujourd'hui est bien amoindrie depuis que nous avons occupé, bien plus au Sud, le Touat et le Tidikelt (Timmimoun, InSalahj, reliés avec le Soudan et le Congo français,

AU demeurant, toute cette région est sauvage, peu fertile : ses oasis sont maigres et espacés, mais il faut -s'en accomoder pour y subsister, puisque la tendance actuelle est dé s'enfoncer (à tort ou à raison je n'en sais trop rien) dans te Sud pour rallier définitivement Tombouctou. La voie ferrée après avoir contourné Figuig, se continue sur Bechar, Igli, puis à travers le Touat, le Tidikelt, atteindra probablementdansun avenir prochain


61 -IV. CONFIGURATION GÉNÉRALE DU PAYS

Taoudéni, Araouan, Tombouctou et le Niger ; un total à partir d'Oran de 2.C00 kilomètres environ, le triple de Paris à Marseille. C'est ce qui explique l'importance, comme point d'appui, de ces pays dont les oasis avec leur nombre de dattiers peu considérable et à maturité difficile, trop élevés d'altitude, sont bien loin de valoir les oasis tunisiennes du Belad-cl-Djcrid, telles que Tozeur et Nef la, qui comptent de Soo.coo à400,000 palmiers à fruits exquis.

Au point de vue de la salubrité, ces postes, si l'on observe la vraie hygiène du pays, nesont pas dangereux. Evidemment, on risque l'insolation, les fièvres intermittentes, la fièvre typhoïde, etc., etc., mais guère plus qu'autre part, si l'on ne s'y expose pas imprudemment, A Aïn-Sefra, le baromètre"atteint, à l'ombre. 44° ; mais pendant la saison d'été, rien n'empêche d'évacuer en presque totalité la redoute pour aller sur les hauteurs voisines; à l'Aissa, par exemple, j'ai passé un été très supportable, avec 3o à 32° seulement dans un air sec et salutaire. Presque tous les postes, sauf pourtant le Kreider, ont des montagnes à proximité.

Kntre Aïn-Sefra et Figuig. les sommets atteignent :

lljebel-Aissa,............. 2.2f>6 mètres

Meekoui'.........;. ^.OCt

— Mil'................ 2.10U '—'.-'

— M;i.,.;,........... 'Î.'ÏQQ

'■'■"'■— Iteni-Smir......... 2.000 '.—

— Mnîz,,,...,....;.. I .ICO -

Au pied des contreforts qui terminent les hauts plateaux, la dépression est profonde ; l'attitude s'abaisse brusquement et tombe à quelques centaines de mitres au seuil du Sahara : 780 mètres au-dessous de brezina ; 709 au-dessous de Moghar. Puis plus au Sud, FA-Gotéah 11a plus que 3<jï ; Igli, même chiffre à peu près.

la chaîne des Ksours ot habitée par des Arabes sédentaires ; leurs «wsis servent de lieux":d'échange, de tdsêrvcs, aux nomades venant du Sud pour s'y ravitailler. Le trafic est cependant assez re.itrcint.ci n'a rien à voir avec celui des grandes caravanes annuelles' suivant


tV. CONFIGURATION GÉNÉRALE DU PAYS 65

des lignes déterminées. Toute cette contrée est sous l'influence religieuse et morale des Outed-Sidi-Cheich, la plus puissante tribu du Sud-Oranais.

V. LeSahara

Après les derniers contreforts des Ksours commence le vrai Sahara ; de Figuig, El Goléah, Ouargla, dans le Nord,—à Tombouctou, le lac Tchad danileSud; Sahara non pas désert et inhabité comme on se lé figurait autrefois, mais coupé déplace en place par des oasis, lieux de séjour et de ravitaillement pour les caravanes ou les Touaregs, nomades qui le traversent dans tous les sens. Le point le plus bas est en Tunisie, au chott de Mclrir, à 25 mètres environ au-dessous du niveau de ta Méditcrrannée. C'est là que le commandant Roudaire voulait faire une merintéricure en le faisant communiquer avec les flots qui l'eussent rempli. Le pourtour, quoique imprégné de matières salines, fut peut-être devenu cultivable.

Les tribus du Sahara apportent des dattes, des peaux, des laines qu'eltes échangent à l'entrée du Tell contre des grains, ou moyen de caravanes annuelles qui le parcourent à certaines époques de l'année. On y rencontré encore l'autruche et quelques grands fauves, mais fort loin des Suds Oranais et Algérien.

Les pluies sont très rares et ont lieu en hiver, Dans certains endroits ('lougourt, Ouargla), il se passe des années sans qu'il tombe une goutte d'eau.

Le parcours habituel des caravanes est du Sud tut Nord i de 'Ainier à Agadès, Rhii, Gadamès, Tripoli ,* de l'Ouest à l'Est i d'In-Salah à Timassanine, Ghadames, Tripoli. Autrefois d'In-Salah,elles bifurquaient, d'une part &tirfaguigelFet ; d'autre part sur El-Golêah, lougourt, Alger ; mais la suppression de l'esclavage en Algérie à changé leur parcours et ruiné res voies antiques du commercé trânsaharieh aU profit de Ghadamès où, polir le retour, tes caravanes se chargent de marchandises anglaises et italiennes. Comme quoi le progrès (?) ne va jamais sans quelques petits inconvénients.


60 IV. CONFIGURATION GÉNÉRALE DU PAYS

Le Simoun ou le Sirocco (vents brûlants et sableux du Sud, tempêtes de sablé) souillé parfois avec un© vio'cnce extrême, forniant co»ure les arêtes rocheuses inébranlables, des niasses de millions de mètres cubes dé sable, qui mettent les;caravanes en danger s'il les surprend trop loin des points d'eau ou s'it a comblé ces derniers. Dans ce cas. la devise de la ville/ de Paris, «fluctuât nec niergitur» ne peut s'appliqueraux pauvres caravanes qui disparaissent, elles, dans cette mer de sable, plus dangereuse et plus terrible parfois dans ses houles quel'Océan ; le sable,—- arc perehnius] — toujours là, mobile, brûlant et muet ! 7

Veau dans le Sahara manque absolument à la surface dû sol, et cela sur des millions de kilomètres carrés ; mais la nappe souterraine est en générale peu profonde et peut jaillir d'elle-même dans lcscndroits trop déclives, Les eaux su t vent au ssî souterrai hemert t des val lées, tel ï'Oiccd-Rftir desséché, mais dans te lit duquel on a pu creuser nombre de puits artésiens qui ont sauvé les oasis anciennes d'une ruine imminente et ont permis d'en créer de nouvelles.

La 'température subit des oscillations considérables depuis oou 4- le matin, jusqtrà 4- 5o° à l'ombre à midi dans certains'points i Tûugourt, Biskrd, etc. Cet écart est dû à riiUensitê dû rayonnenietU nocturne produit parla clarté des nuits. * : :;:

; Avenir du Sahara

Le .Sahara en somme, avec ses points de repère, ses oasis espacées, ses pisiesqui le croisent en toussehs parcourues par les indigènes, les caravanes, les Touaregs, n'est donc pas la solitude infertile et infranehissâbte que l'on se figure d'ordinaire, d'après lé mutisme des ouvrages de géographie ou des rares monographies sUr le sujet. A-t-il ttnc valeur exploitable r" M. Paul Léro^-Baulku et d'autres explorateurs autorisés l'affirment. Si les eaux de piuie et les eaux superficielles' font très souvent défaut, tes eaux souterraines sont en gênerai assez abondantes f darts nombre d'endroits et de puits, elles .affleurent prèsque le sol ou sont à peiné àquelqucs mètres dé profondeur,


IV. CONFIGURATION GÉNÉRALE DU PAYS G7

Ces puits bien protégés, creusés sur le parcoursde certains oueds souterrains et dans les grandes vallées dé pente naturelle pour l'écoulement des eaux permettraient très Certainement l'augmentation des oasis existantes et la création de nouvelles. Ce travail a déjà été fait sur lé parcours souterrain dé i'Oued-lihir, entre Tongourt et Biskrà(prôvince déConstantîne), en donnant d'excellents et durables résultats: il réussirait en maints endroits du -Sahara..''/.-"'--;.'',:''./'/' 7De

7De espaces (VÀir, laTàgama, le Damèrga, le Mouydir) peuvent même se prêter à l'agriculture, et. sans espérer les récoltes de la Beatiee, produire 'suffisamment pour nourrir leur population. Parmi les végétaux, on y rencontre maintes essences d'arbres ou arbustes : gommiers, élhels, jujubiers, danias, teboracqï, etc7Ces contrées cultivables ou forestières, bien aménagées, rendraient apte à la circulation et au peuplement cette énorme superficie du Sahara, dix fois grande comme la France entière ci dont oh peut dire dès maintenant avec la connaissance même superficielle que nous ci» avons : "* elle est inutilisée, mais pas inutilisable,; »

je pourrais aussi parler du soùs-solquî* parfois, contribitc si rapidement dans des pays neufs ou d'aspect désolé à utth'errimmigrâtîrin, Sans compter sur les mines d'or du Ktotidyle ou du Transvaal, il suffit que l'on y rencontre des nitratest des minerais divers, galène", blende ou autres : on sait déjà que le cuivre abonde entre l'Aïr et Zitider, recherché et travaillé par tes indigènes de ces régions. Les « arpents de nefgo » que plaisantait Voltaire sont devenus le Canada ; les « arpents de subie-» du Sahara peuvent tout aussi bien prospérer et devenir la France africaine.

Conclusion ',* au lieu d'aller porter notre travail et nos capitaux en indo-Chine, où très probablement nous scinons, nous Français, pour qtlc d'autres peuples récoltent, il serait peut-être préférable dé hou s occuper du Sahara', ce vaste espace qui relie notre Afrique du Kord K Saint. Louis, TotnbouctoUi Zindefet le la'c.'Tt:had,it qui viabilise enfin de l',l tgh-t'edans le Kord, au Sénégal ci au Soudan dans le Sud, ne ferait qu'un bloc, pour


(38 IV. CONFIGURATION GÉNÉRALE DU PAYS

employer le terme cher aux parlementaires ; mais un bloc essentiellement français et homogène pour notre langue, notre influence, nos intérêts commerciaux dans cette Afrique destinée peut-être à remplacer la vieille Europe dans l'axe- de la mondialitê. Pour réaliser ce desideratum, il faudrait un (ou deux) railway transsaharien d'abord j puis, peu à peu des routes se tracent, des canaux se creusent, des villages se groupent, des villes naissent.

L'Afrique, c'est l'Europe de demain : une Europe nouvelle, transplantée, acclimatée, rajeunie, recommençant son histoire et sa vie.

Ht notre vieille Furope, que deviendra-t-elle ? Arrivée au pinacle d'une civilisation extrême, elle subira l'impla cable loi des décadences irrésistibles et fatales t et cette formidable évolution coïncidera sans doute avec te refroidissement de nos douces régions, à jamais veuves des beaux soleils d'autan.

ftailivay Transsaharien

D'Oran, le chemin de fer se poursuit sur près d'un millier de kilomètres par Perregaux. Safda, EigUig, Igli, etc., à travers l'Atlas, les Hauts-Plateaux, la chaîné des Ksouts et le Nord du Sahara (Totiât et Tidikelt). Au Sud du Sahara, de Tombouctou comme point de départ sur le Niger, nous occupons, en remontant, le poste d'Araouan (à 35o kilomètres) et l'on étudie celui de Taoudeni (400 kilomètres encore plus au Nord) grand centre de salines alimentant tout lé Soudan, soit 760 kilomètres de voie ferrée nécessitée là. Il ne restera donc plus que la traversée entre les deux tronçons, du Tidikelt à Taoudênl, 800 kilomètres environ, faciles à établir dans cette contrée absolument plate, et qui serait d'un prix de revient vraiment bas, étant donné qu'il n'y a pas la moindre dépense d'achat de terrain (!) tii d'oeuvres d'art sur tout lé parcours. M. BeaulieU l'estime à peine à So.ooo francs du kilométré, représentant 40 millions pour compléter ce raitvvay d'Oran à Tombouctou, qui mettrait les tropiques à 0 jours de Paris, 6 jours et demi de Londres et


ÏV.' CONFIGURATION GÉNÉRALE DU PAYS C9

Bruxelles, et dont la longueur totale serait d'environ a,6oo à 2.800 kilomètres,

Un second transsaharien pourrait même être construit plus tard, desservant une coulée différente. Knlre Alger et Oran (Nord) l'écartement est plus de 400 kilomètres ,' au Sud, entre Tombouctou et Agadès (sur la route de Zinder et du lac Tchad), il est d'environ i.5oo. Une deuxième voie pourrait, partant d'Alger, desservir Ouargla, Timassanine, Tadent, Agadès (dansTAïr), se prolongeant sur Zinder et le lac Tchad, d'un parcours de 2.800 kilomètres jusqu'à Agadès et de 4.C00 jusqu'au Tchad. Notre Congo serait ainsi relié directement à Alger (au grand profit de cette ville, et au détriment de Ghadamès et Tripoli, route ordinaire du transit par caravanes), comme l'indique le schéma ci-dessous :

Ces distances sont approximatives ; vous pensez bien qu'à do ou ioo kilomètres près, cela a peu d'importance en ces pays-là et sur des distances pareilles. L'établissement de la voie ferrée fixera les chiffres exacts. Mais l'ennemi, c'est la dune mouvante dont les déplacements successifs peuvent ensabler la voie ferrée, c'est l'immen»


70 IV. CONFIGURATION GÉNÉRAI.!! DU PAYS

se désert dont la sauvage solitude et la morne tristesse troublent les cervelles les plus solides, les décisions lès plus vaillantes.

Ueprendre le travail de Brémoniier sur les rives dé Guyenne, fixer la dune mobile par des plantations sylvestres, ainsi que nous l'avons déjà pratiqué dans le Gotirara au milieu de la riante oasis des Ouled-Rached, faire naître la palmeraie, la végétation et ta vie par des moyens artificiels.

Nous signalerons, pour notre humble part, une plante qui joue un rôle important dans transformation méthodique des affreuses solitudes d'Australie. C'est le « Saitbush », buisson mousseux qui pousse sur les sols les plus arides où tout autre plante périrait. Il est ainsi constitué que ses racines, qui atteignent, parfois, une longueur de deux mètres, percent le sol à la recherche de l'humidité qu'on rencontre à quelque profondeur dans les déserts tes plus brûlés, De plus, il est comestible, et sert à l'alimentation du bétail. Par le multiple enchevêtrement, les ramifications compliquées de ses racines, il serait un précieux fixateur du sol ; il immobiliserait la dune qui se couvrirait peu à peu d'herbes sauvages, et n'offrirait plus d'obstacles à l'établissement de la voie ferrée.

Selon M. Vernier, l'Afrique est destinée à un développement très rapide, Dans cinquante ans, ce continent sera traversé du nord au sud par deux grandes lignes ferrées, et par cinq lignes, allant de l'est a l'ouest, La première, celte du Caire au cap de Bonne Espérance, est en voie de construction. L'autre partira probablement d'Alger, traversera le Sahara jusqu'à Tombouctou où elle bifurquera en deux directions, l'une vers Dakar, l'autre vers Widah.

Les lignes transversales seront i

Wallfish-Bay à Delayou-Bay ;

2° l.obido à embouchure Zambèze {

3° Nord du Congo à Zanzibar ;

4° Calubar à tac Zehadeper KartoUm ;

5° Du Maroc à Alexandrie.

CapeloMi aura une population d'un million de blancs


IV. CONFIGURATION OÊNÊRAI.K ht! l'AYS "t

et d'un dcmi-inillion de nègres. Alger, Oran, Tunis, Kimberlcy, Johannesbourg, Kartum deviendront d'importantes cites capables de rivaliser avec tes grands centres commerciaux; et'industriels de l'Europe et de l'Amérique. De nouvelles grandes villes surgiront sur les bords du lac Tanganika et du lac Albert. Alexandrie et le Caire auront à elles deux la population de NewYork. Les cataractes du Zambèze, du Nil et des autres grands fleuves africains, seront utilisées pour la production de l'énergie électrique qui sera adoptée pour l'éclairage des villes voisines et pour la traction par voie 'ferrée.7

Le prix de revient de la tonne dé marchandises pourrait ître abaisré à 0,01 1/20110,02, soit 5o francs environ pour tout le parcours, d'Oran à Tombouctou. Lé trafic serait assuré dès l'origine, du Nord au Sud * par lesucre, le pétrole, te sel, les consem>s,\csobjets manufacturés / du Sud au Nord par kspeau.r, laines, cohns, minerais, ivoire, etc., que transportent actuellement les caravanes, du Soudan ait Maroc.et en ■Ttipolitainc surtout. De plus, te peuplement stable de la région 'amènetnît forcément productions et débouchés nouveaux,

La Ruist'c a bien fait le transsibérien,' 800 kilomètres ojuvre oitiiemeiu plus longue, plus difficile et plus coûteuse i YAvgleterrc relie le Cap. à Alexandrie-par untracé quatre fois plus long et plus diû*icultucux(9.3oo kilomètres). La France sera-t-elle donc toujours la dernière dans les grandes conceptions générales et utilitaires de l'avenir ?

llétas t chez nous/les Gouvernants vivent au jour'le jour ! dans notre administration ignare et routinière on écrit beaucoup, mais l'on agit fort peu. Les rapports nuageux, mensongers, remplacent les hautes conceptions ou les éludes pratiques, et tout s'anéantit en tin de compte dans la fosse commune des cartons-verts. Citerai-je le projet de mer intérieure'du'Commandant Roudaire qui, s'il n'eût peut-être pas donné tout ce qu'il promettait, était ctrsomme peu coûteux et sans grands risques i" Et dans le Sud-Oranaîs, puisqu'il fallait arriver à occuper la région de Figuig, pourquoi ne l'avoir pas


72 IV. CONFIGURATION GÉNÉRALE DU PAYS

fait depuis 20 ans en prenant Figuig même, alors que cela n'eût créé aucune complication diplomatique, tandis qu'en 1901, on a dû se contenter détourner pour la voie ferrée et qu'en 1905 il y a eu des difficultés à cause du Maroc, de ses frontières, de la pénétration pacifique, etc. Mais nous autres, pauvres explorateurs ou coloniaux, nous ne sommes bons qu'à cuire sous le soleil où à fébriciter dans les marigots, tandis que ces messieurs de la rue Royale, (les vrais savants, eux,) décident et tranchent au sujet de pays dont ils connaissent à peine le nom : aussi je rentre" dans mes humbles valves, comme un citoyen de Marenncs ou d'Arcachon, en songeant au : « Ne sutor, ultra crepidant » qu'ils m'appliqueraient en leur inconsciente et routinière sérénité.


".■".■ V ■;;.;/ Quelques postes divers

Nous allons tes passer rapidement en revue, du Nord au Sud, à partir du Kreider, dont nous avons déjà parlé, jusqu'à in-Salah, en suivant la voie ferrée de pénétration saharienne : du Kreider à Mccheria, les simples petites stations de Rezafna, fîir-Sinia, Kl Biohd, Khibbaça, puis Mecherîa,

I. Meehoria

A l'époque de ma résidence dans le Sud-Oranais, le chemin de fer s'arrêtait à Mecheria, poste militaire situé au pied del'Antaretcrêé facticcmcnt, comme le Kreider, sur Un sol où il n'y a ni pierre, ni eau presque, ni terre. ni bols. Pourtant, le Dj. Antar, énorme protubérance montagneuse isolé, de 1.720 mètres d'altitude, se voyant à i5o kilomètres à la ronde, a eu autrefois des forêts '. mais il ne présente plus guère aujourd'hui qu'une réserve considérable d'arbres morts, qui depuis la création dit poste entretient la garnison de combustible. Tous les {ours, les mulets vont en corvée le chercher dans la montagne.

Mëaiéria a des casernes, un hôpital, quelques maisons de juifs ci d'Espagnols et, comble du routinisme administratif, une gendarmerie (I) et une école (!). La gendarmerie abrite 4 gendarmes, perdus au milieu d'une garnison de Soo hommes ; quant à l'école, e\.st le fief d'un seul instituteur qui vraiment a du loisir, tur il n'avait de mon temps que 3 ou 4 petits Arabes. L'effectif des enfants français était de 2 garçons, l'un de 18 mois,


/ïi ; / V. QUELQUES POSTÉS DIVERS

l'autre de mois, se souciant plus du lait maternel que du lait... académique t et du biberon quéde l'ABC.

Mecheria est loin d'être tin séjour enchanteur, et rien n'y rappelle paradis terrestre. Adam n'y trouverait pas la moindre pomme pour séduire une Eve quelconque brillant par l'absence. Comme le Kreider, c'est une garnison où l'on se dessèche en rôtissant cri plein soleil, car il n'y a ni oasis, ni palmiers. : 7

Dit Kreider h Mecheria, l'on: compte IÛO kilomètres environ, et de itechma à ÀInSefra 120 kilomètres. Cette dernière distancé, avant l'établissement dé la Voie ferrée, se couvrait à cheval en deux ou trois étapes (Naanïà, Mekatis, au pied du dj. Aïssft).Naaina veut dire pays des autruches, mais depuis longtemps il n'existé plus dans la région un seul de ces précieux volatiles Î la chasse les a repoussés bien plus au Sud. Aujourd'hui on se rend à Aïn-Sefra par les stations de Toiufsa^Et Harchala, Nâàma, Soùtgai Mekatis, qui ne comprennent guère que le fortin habituel, sans la moindre habitation adjacente. A Mekatis seulement pourraient se grouper quelques gourbis, à cause de l'eau et dé la proximité de la montagne. Le railway suit le flanc de l'Aïssa, qu'il contourne à son extrémité sud, pour atteindre Aïn-Sefra.

- ;77/^//;7:'i7'.' 'lt.:Aïtt^Séfra'.'"'/'':';?,.';,';'''7'-//'./7:.

Aïn-Sefra (la source jautie) forme lenoeud dé jonction de routes (ou pistes divergeant i sur Figuig par Sfissija et Ich, Fotinassa à l'Ouest 7 sur Mecheria au Nord ; sur VÂïssa,7yûut<iïAsta, k%Moghràr à l'Est et au Sud. C'était autrefois notre tête de postes dans lé Sud | Bcn-Ounii d'abord, près Figuig, l'a remplacé ; puis successivement^ Bechar, igli, In-Saîah, plus au Sud encore,' '/7 . .-■ "7'";,-"■■';

A'in-Scfra est une oasis assez pauvre,; où tes palmiers clairsemés donnent des dattes de qualité inférieure et mûrissant mal à cause de l'attitude (t.oSo m.) et.clé la parcimonie des irrigations. Les jardins, menacés constamment par l'envahissement dès durtes de sable, hautes tooà iSo mètres, sont petits et peu fertiles t ils s'é*


V. QUELQUES POSTES DIVERS 75

tendent sur le flanc du ksour arabe. A quelque distance se trouve la redoute, enceinte continue de formé rectangulaire contenant des casernements, l'hôpital, les magasins, écuries, etc. En face de la redoute, mais séparé d'elle par le lit de l'Oued-Aïssa presque toujours à sec ou à peu près, le village s'aligne avec ses rues à angles droits, ses arbres maigres, ses maisons basses que domine la gare. Le tout forme ainsi trois groupes bien distincts : ksour arabe et jardins, redoute, village.

À une distance très rapprochée, le Dj. Mekter ferme l'horizon avec son épais massif montagneux dont le sommet atteint 2.061 mètres et derrière lequel se trouvent les; Môghrars, à 2.5 kilomètres à peine en ligne droite, mais à plus de cinquante kilomètres par les cols de Founassa au Sud-Ouest ou de Hadjadj au Nord-Est qui lé contournent.

La population, comme partout, comprend des Arabes, des Juifs et quelques rares Européens. Les Arabes sont dans leur village spécial, leur ksour, attenant à leurs jardins. Les Juifs et autres commerçants indigènes, espagnols, français, résident près de la gare dans le village aux maisons basses, isolées, séparées par des rues plus ou moins propres, mais toujoursrectilignes. Quand le soleil en enfile une, on y cuit, et l'on comprend vite combien, les ksotiriens sont mieux avec leurs gourbis acco.és, leurs terrasses, leurs arcades, leurs passages couverts et tortueux qui gardent la fraîcheur et les garantit des morsures cuisantes d'un soleil de feu surchauffant les sables. Mais jamais un agent-voyer de ta métropole n'admettra qu'on dessine des rues tortueuses, et les hygiénistes delà capitale veulent les maisons séparées pour avoir plus d'air... dans le désert I

Aïn-Selra est un poste bien plus agréable que Mecheria à cau^e dé l'oasis et des environs j mais, avant d'en parler, obéissons à notre humeur descriptive en vous conduisant d'abord à /'stft&i, sanatorium idéal comme salubrité, dans le dj. Aïssa.


70 V/QUELQUES POSTÉS DIVERS

III. L'Aïssa, (4 mois nature)

Le djebel Aïssa, massif montagneux allongé, dont te point culminant est à la cote 2.256 mètres, est dans certaines parties boisé et exubérant de végétation : il possède des sources d'une pureté absolue. Aussi, le commandement à-t-ii, avec raison, fait choix d'uli charmant plateau à l'altitude de i .809 mètres environ pour y établir le campement d'été d'une partie de la garnison d'AïnSeirà (distant dé ce point de 33 kilomètres) et y installer

Un sanatorium.- :/'"

En quittant Aïn-Sefra par la route de Tyout, on bilurque sur la gauche au bout de 3 kilomètres à peine et l'on suit le flanc de la montagne. A 19 kilomètres se trouveTancîenne oasis de Tilouta (aujourd'hui presque abandonnée) sur une petite hauteur, ses quelques rares palmiers se profilent au loin sur l'horizon : il n'y a pas de culture. Encore un dizaine de kilomètres, un Oued à sèc à traverser, une petite ondulation à franchir et l'on arriveài'entréedesgorgesd'Aïssa(f.ioomêtresd'altiuide).

Oh s'y engage, au milieu d'un éboulis de rochers, d'une flore Intense, côtoyant pendant deux kilomètres environ un torre <t raviné, aux coudes brusques, à pic, parfois d'une profondeur inquiétante. Çà et là, dés dé-, chiiures dans ta montagne, avec des lits dé torrents secondaires rejoignant le torrent trLcipal ! on les traverse ou on tes contourne et l'on monte toujours.

Au bas, c'étaient des oliviers et dei palmiers i puis à mesure que l'ascension se poursuit iU se raréfient, disparaissent, faisant place aux thuyas, térêbinS, chênes, qui forment une deuxième Sotte, à t.8oo mètres $ c'est au niveau dé celle-ci quétait installé note campement. Plus..liaùï,/ces essem.es disparaissent et sont remplacées pardcssapi>iS^quélquès Uns énormes et paraissant ddter dé l'uégire de Mahomet) qui couvrent ks sommets les plus élevés du massif, formant une troisième sèôtte sylvestre bien tranchée sur les autres par sa sombré verdure. ...-.■"-/...-,.

Dans les petites vallées haïssent les sources, c'est au printemps une végétation folle $ des graminées


V. QUELQUES POSTES DIVERS 7/7?,

atteignant la hauteur d'un cavalier eh selle, des lianes vigoureuses, un envahissement d'intense verdure. Au milieu de ces rochers abrupts, de cette nature vierge et luxuriante on se sentait envahi par une force, un bienêtre spécial. Dé tous côtés s'échappaient sous vos pas des vols de chasseurs d'Afrique, ces oiseaux aux viVes couleurs rappelant Ceux des tropiques ; de geais, de tourte'reltes et de pcrdflx : parfois, à la pointe d'une paroi rocheuse surplombante, un chacal vous regardait; ou bien à travers les arbres d'une pente qui dévalait, on voyait fuir sans hâte un mouflon solita'rc où une famille de quelques gazelles un peu craintives, mais; curieuses de l'homme, cet animal inconnu qui venait s'abreuver à leurs sources, envahir leurs pentes, leurs pâturages, et qu'elles n'avaient pas appris encore à redouter.

Le soir, quand le piaillement: continu dés oiseaux s'était tu, c'étaient lés chacals partant t n campagne avec leurs glapissements spéciaux et prolongés i c'était parfois la h? eue plus silencieuse, qu'ils semblaient attirer. Qùârid elle arrive, alors les chacals se taisent, lui abandonnent leur curée et s'éloignent à quelques pas seule* ment, sachant bien qu'elle ne pourra pas les att indre s ils reviennent lorsque, repue, elle se retire lentement. L'hyène, une bête qui marque bien mal dans le monde des animaux, puante, disgracieuse et mat bâtie, n'a pas d'odorat, dit-on t elle se dirige là où elle entend les chacals se repaître bruyamment et se disputer sur leur proie, gibier pris ou animal domestique mort et aban.''.donné.'"'/;'

aban.''.donné.'"'/;' '■■'''"-:/

A ce propos, je dois faire une confession macabre : dans un gourbi me servant d'amphithéâtre et qui n'avait pour toute ouverture qu'une porte solide et bien fermée, mes infirmiers avaient déposé un cadavre un soir. La nuit, nous entendîmes un sabbat Infernal t pensant qUe c'étaient le* chacals qui exagéraient seulement un peu leur tintamarre habituel, on ne se dérangea pas.Mais le niatin quelle fut notre surprise en constatant que si fa porté était toujours intacte, la toiture eri branchage avait, elle, un trou assea considérable fait par ime hyène qui


T8 V- QUELQUES POSTES DIVERS

nous avait dévoré un bon quart de notre pauvre mort : je lé fis vivement enterrer sans'-'commentaires." Mais au défunt suivant, non content d'avoir réparé et consolidé la toiture, je fis garder le corps par un infirmier armé, couché en contre-haut du gourbi mortuaire. Les décès étaient fort rares, il n'y en eut que deux dans là saison sur un effectif de 5oo à 600 hommes valides et une succession de 80 malades environ.

Notre campement sanitaire, installé auprès d'une source abondante et très pure, se composait dé baraques en torchis recouvertes de branchages," les portes et fenêtres n'étaient que des ouvertures toujours béantes et ouvertes à l'air libre nuit et jour. Quand il pleuvait on Couchait avec des couvertures, ou l'on se réfugiait dans le fond j c'était désagréable, mais il pleuvait bien rarement dans la saison d'été, Aussi, l'on 'n'évacuait en ■■ général que vers la mi-septembre, époque des orages et des grandes averses. Oh I alors, il n'y faisait plus bon ; tontes les cataractes du ciel s'ouvraient, les coups de tonnerres n'arrêtaient pas, l'eau se précipitait partout* et quelques semaines après, les premières neiges couronnaient tous les sommets tandis que, contraste saisissant, au pied de ces mêmes montagnes, il faisait encore un soleil d'été avec 25° au thermomètre.

Ce sanatorium, malgré sa rudimentaire installation dans cô coin de verdure si salubre, a sauvé bien des existences. Je nie souviens qu'une compagnie d'artillerie restée eh juillet à Aïn-Sefra était décimée parla fièvre typhoïde t to à 12 décès en quelques jours sur 60 hommes. Je pris sur moi de faire envoyer d'urgence tous les valides où à peu près àl'Aïssa : un seul déjà trop atteint au départ y mourut ; tous les autres furent sauvés.

Les fiévreux qui m'arrivaient d'Aïn-Sefra (900 mètres) au sanatorium (t.800 mètres) n'avaient plus besoin do quinine t ils guérissaient tout seuls avec dés promenades Sous les thuyas, les têrébiiis et les sapins.

Dans cette nature agreste et vivifiante, mon existence


V. QUELQUES POSTES DIVERS 79

était bien simplifiée. Le convoi (25 à 3o chameaux) amenait une à deux fois la semaine du vin aigri, dont je n'usais ni pour moi ni pour mes malades, et du pain de munition plus ou moins frais j en sus, du saindoux, du riz, du sucre et du café. Oh attrapait (au piège surtout, pour ne pas effaroucher perdrix ou tourterelles par des coups de feu) plus de gibier qu'on n'en pouvait --. manger; Parfois on tuait une gazelle ou un mouflon ; voilà pour la viande. Quant aux fruits, les Arabes dé Tyout nous apportaient pèches, figues et pastèques à foison, L'éau pure et fraîche de ta source complétait notre frugale alimentation.

Instruit par l'expérience sur l'utilité des poules et des chèvres, j'avais emmené avec moi nia basse-epur et ma bique qui me fournissaient quelques oeufs, un peu dé Jait: le comble du sybàritisme en cette; région, car mpi seul possédait de pareilles richesses î Vous pensez bien que la nourriture n'était pas chère ; en un mois je dépensai, je crois, 6 francs. Le Sud-Orànàls ! quelle belle occasion pour nous autres de faire desécohomîess mais le nialheUr, c'est que d'ordinaire elles fondent joliment vîtô sous le soleil du Tell, moins ardent cependant 1 Je n4insisté pas sur lés menues dépenses, impossible de dilapider même o fr. 5o dans les environs t ni bureau dé tabac, ni timbres-postes, ni cantines, ni cafés* ni... rien, hors les arbres et les bêtes sauvages autour dé nous. '/

Mes occupations étaient aussi peu compliquées que ma nourriture, Je Voyais mes malades à mon petitlever (comme Louis XIV)I puis je donnais edmpo aux demtvalides pour aller dans tes pentes tendre leurs pièges, ramasser lés branches mortes de thuya ou de térébin pour ta cuisine, apporter de l'eau, s'occuper en tut mot de leur bien-être collectif : chacun choisissait sa besogne selon sa convenance. Comme il n'y avait pas le moindre bistro à 3o kilomètres aux environs, j'étais sans crainte au sujet de la bombé! ils revenaient toujours à l'heure du fricot, donnant à mon ordonnance la plus belle pièce. Quant à celui-ci, son service était réduit à sa plus simple expression s pas dé lit à faire, pas dé vaisselle,


80 V. QUELQUES POSTES DIVERS

pas de commissions, ni de courses 1 Sa. principale distraction était de ramasser des crottes sèches de gazelle (qUisentent leVmisc à s'y méprendre) pour les envoyer à sa payse, ou d'arroser "les haricots pour tâcher de les récolter avant le départ. 7

Malades et infirmiers vaguaient toute la journée dans les pentes et ta forêt, en pantalon de treillis et'eh bras de chemise, sans se soucier des heures réglementaires (excepté de celle, de la soupe i), .«testant, chassant ou fourrageant à volonté. 7

'■■'' Celte liberté, délicieusement goûtée par tous, n'entravait en rien la discipline, et je n'avais jamais la moindre punition à infliger pour négligence dans les rares ordres donnés.

'•■ Je n'eus, pour ainsi dire, qu'une seule fois à-interve 1' nir. A teur arrivée au sanatorium, les quelques malades "(ayaht des papiers ou de l'argent nié les remettaient d'ordinaire. Les occasions de dépense étant nulles, ils laissaient leur tnàgôt intact jusqu'à leur sortie, date à laquelle je le leur rendais, Or, à une certaine période, je remarquai que 6 à 8 me demandaient, et assez fréquemment, de petites fommes : que pouvaient-iU en faire ? Je découvris vite té pot aux roses : ils jouaient et se faisaient dévaliser par un légionnaire allemand, nouveau venu. Je fis venir celui-ci à la porte de mon gourbi, sous lé térébin qui me servait de chêne de saint Louis pour rendre là justice : « Vous êtes un grec, mon ami... <«7— PardotV, monsieur le major, Badois,,. --> De « naissance, possible, mais dé profession vous êtes grec ' « et vous dégraisser vos camarades en faisant sauter la « coupe. C'est un petit jeu que vous allez cesser, ou je «' vous Isole (euphémisme médical 1) "et je vous renvoie « au corps aussitôt guérison 1 »

Celte seconde menace était sérieuse pour lui, car j'avais l'habitude dé garder mes malades 8 à 10 jours de plus en villégiature, puisque cela était salutaire et qu'ils ne coulaient rien au gouvernement. Mon grec — d'Allemagne '•— nie fit la promesse de ne plus Jouer, et, pour l'aider à la tenir plus facilement, {e fouillai salis façon


V. QUELQUES POSTES DIVERS Si

dans ses poches, d'où je tirai trois jeux de certes que je mis de suite en morceaux. Tout rentra dans l'ordre,

Une autre fois, à Aïn-Sefra, j'eus aussi à sévir, mois à

mon corps défendant et pour une faute où la nature et

la discipline ne s'accordaient pas. Un sous-officier

appelle dans les salles un infirmier pressé: «De la

« tisane, je n'en ai plus, de la tisane! — Tiens, en

- « voilà, » fut la réponse accompagnée d'un bruit sonore

'* que l'infirmier avait., .claironné en levant la jambe et

>-,,. sixns s'arrêter, car il n'avait pas remarque que c'était un

gradé qui l'interpellait. Plainte fort légitime de ce sous-;

ofiieier, dont le comptable, au rapport, me rendit

: compte : « Je lui ai flanqué 4 jours à B..., mais c'est

« le libellé qui m'embarrasse. Je ne puis pas meure le

/ « mot.' réponse insolente, puisque c'est un bruit ; je ne

«< puis pas mettre le mot cru du bruit ; comment.

• ; « arranger cela r/>> Enfin, je parvins à réd'ger ainsi :

« Pour avoir, >ân«. prendre gàrdéqu'il s'adressait à un -';>,« supérieur, modulé, sous forme de réponse, un bruit ■ _ « inconvenant. » J'écartais ainsi la préméditation de ;: manquement à la discipline pour lui éviter que ses 4 ; , jours ne fussent portés à8 à la brigade et i5 à la division, ..**. selon l'nabitude, tâchant d'adoucir ainsi, son cas, plus; _*, ridicule que gravé,

A la fin, cependant, il y eut"un cheveu : tes rentrants à Aïu-Sefra avaient fait un tel éloge de leur « saison v> en montagne que l'autorité eut vent de ma façon particulière de gouverner mon sanatorium ; malgré mes guê'isons rapides, l absence presque complète de décès, .'•,' les épargnes réalisées en médicaments (je n'en donnais y-pas),'en nourriture (on ne mangeait que du gibier), je fus fort mal noté. J'eus AUSM la déveine de voir arriver un jour le commandant d'armes; qui visita mon installation et qui, en constatant l'abt-encc prerque totale de malades et* infirmiers, fut estomaqué : 5 malades seulement étaient là sur 28 à la situation, et encore deux d'entre eux étaient occupés à polir au verte la peaU d'un superbe chat sauvée tue quelque temps avant et qu'on


S2 V. QUELQUES POSTES DIVERS

avait naturalisé ; les trois autres épluchaient dés tourterelles pour le dîner et moi-même, patriarcalement assis sous le térébin ombrageant mon gourbi, j'étais très attentif à mélanger du pain trempé et de l'orge pilé pour mes poulets. J'avoue que. vraiment, pareil tableau ne dénotait pas un hôpital sérieux ; aussi, son rapport fut-il écrasant pour moi, pauvre toubibe que l'or lit les grandeurs ne gênaient aux entournures : « Attri et dignitatis sacra famés l »

Bast l je ne lui en eus pas de rancune, j'avais le sentiment d'être dans le juste ; d'ailleurs, le pauvre homme étant déjà «'mur» à cette époque, il doit être plus que « blet » aujourd'hui. La gaieté, la bonne mine, la reconnaissance de mes malades, qui se remettaient tous vite et bien, m étaient choses infiniment plus précieuses que l'opinion de ce brave Ramoltot. Et puis* il y a trois de mes organes que j'ai toujours écoutés sur l'heure : ma conscience, mon estomac et... Ayez des guérisons épatantes, laites donc des économies au gouvernement, Voilà la récompense.

Tout l'été fut splendide ; mais, vers la mi-septembre, les choses se gâtèrent tout à fait pour nous. Aux giboulées isolées de fin d'août, après lesquelles on se secouait cinq minutes pour se sécher, avaient succédé des orages continus : les cataractes du ciel défonçaient nos toitures et dévalaient en torrents de tous côtés, démolissant murs, jardins, sentiers. Les coups de tohnerre se répercutaient, amplifiés entre Ces flancs de montagnes, ces gorges, où ils se transformaient en un duel gigantesque d'artillerie. La situation n'était plus tenable et je dus fixer le jour d'évacuation. On reempaqueta ses quelques bardes, paillasses, couvertures, coffrés, matériel ; on mit le tout sur le dos des mulets et chameaux, mes poules dans une vieille boîte à biscuits, nia chèvre à pied avec le convoi, et en route pour la descente, le retour à AïnSefra, où le thermomètre marquait encore 25° et 3o°, tandis que nous avions presque froid là-haut avec nos !2°à i5*.

Ce ne fut pas sans un certain regret que je quittai ce plateau ombré et sauvage où, pendant quatre mois,


V. QUELQUES POSTES DIVERS 83

j'avais mené une vie biblique aussi calme, aussi « nature». Voilà vingt ans de cela presque: j'ai sous les yeux les croquis, notes, topos, qu'en mes heures de solitude je crayonnais sous le dôme des arbres énormes, et je revois avec une douce mélancolie celte période de ma... chaste existence.

IV. Quelques vipères

Un peu d'ombre cependant à ce tableau de l'âge pastoral : on n'avait à craindre aucun fauve, bien entendu, à peine la hyène. Mais il y avait quelques vipères (ellefda) sous la feuillée, qui, heureusement, n'occasionnèrent aucun accident : des incidents seulement. Un soir, après dîner, je causais avec quelqu'un, assis tous deux sur un bloc de pierre formant banc devant mon gourbi, et sur lequel avait été placée une couverture pliée. On nous appelle quelques instants : en revenant nous asseoir, j'aperçois une petite masse grisâtre sur la couverte.

Je me baisse en avançant la main ; horreur 1 c'est une vipère bien roulée sur elle-même et endormie dans la place chaude que nous venions dequitter. Inutile d'ajouter que je sautai sur un tisonnier et un bâton ; quêta maintenant à peu près immobilisée sous l'un, je la tapai vigoureusement de l'autre, jusqu'à ce que la mort s'ensuive. L'horrible bête 1 de la grosseur du poignet environ, elle n'avait plus qu'un seul crochet à venin (le gauche), d'Une longueur exacte de o.o»8, l'autre ayant sans dotite été brisé sur les os de quelque victime antérieure. C'est égal, je l'échappai bette, car une seconde de plus je m'asseyais dessus et elle enfonçait son dernier crochet en plein dans mon.,. amour-propre t

Une autre fois, un lieutenant de tirailleurs prend sa chéchia pour se coitîer. Il la trouve très lourde et va pour en retirer le contenu avec sa main, quand une vipère en sort brusquement, tombe à terré et s'esquive avec prestesse sous î'ceil ébahi de l'officier ! Un de ses collègues, quelques jours après, passa par une de ces angoisses qu'on n'oublie pas. Il avait enfilé une de ses


fti V. QUELQUES POSTES DIVERS

boues, et naturellement chaussait l'autre, quand en arrivant presque au bout du pied il *ent une résistance molle qui remue ! Bon Dieu 1 Est-ce une vipère encore ? La sueur ruisselle instantanément sur son iront, il n'ose ni enfoncer, ni retirer son pie J : enfin, deux hommes immobilisant solidement le coude-pied, il retire sa jambe d'un seul coup. On penche la boue, on la secoue, guettant, la matraque en l'air, la sortie de la hideuse tète vipérine... c'est un pauvre petit rat qui s'en échappe assommé en un clin d'ceil ; mais quelle émotion 1

Ces vipères ( vipère-ihinutu) sont quatre ou cinq fois plus fortes que celles de Frarfce, leur grosseur dépasse parfois celle du poignet et la longueur de celles que je vis était respectivement de o,65 et o.CS. Outre celte que j'assommai, les hommes en tuèrent deux autres, dont l'une aussi n'avait plus qu'un crochet, Mais' c'était encore un de trop pour le malheureux qui aurait été piqué, car leur mo^ure eu toujours grave, parfois moi telle.

La vipère-ceraste (cornue) est plus petite (o,5o environ), un peu moins dangereuse ! mais que ce toit la vipère-minute (vipera bra>hyura, de Cuvier) OU la écrite, cWt toujours très désagréable pour l'intéressé.

Il y aussi autour de nous que'ques couleuvres, bien inoftensives et très reconnai>sables à leur gracilité, à leur longueur, Una d'elles, qui dépassait à vue d'ceil » m. 20, habitait 1'ania.s dé pierre servant de soubassement à mon gourbi. Je la voyais sortir au soleil quand nies poules étaient loin, et régagner vivement les Interstices si l'une d'elles accourait, la plume hérissée î car ces gallinacés se précipitent sur les serpents dé petite taillé, vipères ou couleuvre?, ranscraindre les représailles. Ma piuvre couleuvre dut être leur viClime, car, vers te milieu de mon séjour, je ne ta revis plus.

V. Autour à*Aïn-Sefra

a) Sfissifa(t.252m, ait.) et Ich sont à l'ouest d'AtnSefra, a 46 et 65 kilomètres environ. Ce sont des bordjs


V. QUELQUES POSTES DIVEltS 85

peu importants, pauvres ; le second est en territoire marocain ou sur la limite, on n'en sait trop rien, il y a une assez belle Kouba consacrée à Sidi Abdallah, D'Ich la piste suit sur Figuig. SfUsifa n'a pas de palmiers et compte à peine un millier d'habitants dans s5o gourbis.

b) Fouhassa est au sud-ouest: c'est Un col resserré, à la cote de t.t33 mètres, entre les deux crêtes culminantes du dj.' Mektei- (2.109 ni.) et du dj. Àlezi (a.i5o m.). D'Aïrt-St-fra pour se rendre à Figuig, la route est plus courte par Founassa que par Hadjadj et Moghrar | mais elle est plus ardue } aussi c'est la seconde que le railway a choisi. Les nomades passent, eux, par ich ou Fou-

Fou-

c) Tyout, à i5 kilomètres à l'est d'Aïn-Sefra (t.Ooo habitants ci 6.000 palmier-), est un charmant petit coin qil donne une véritable révélation de ce qu'est une oasis indigène inviolée, avec son k-ôur, ses cultures, sa population. Un oued abondant prend nuance au pied d'une bande de rochers, laissant iourdte une eau limpide. Deux barrages la retiennent pour I emmagasiner et ladistiibuer ensuite dans les nombreux jardins et palmeraies où elle amène la fraîcheur et U fécondité. La végétation est puissante, variée: amandiers, abricotiers, pêcheVs, figuiers, vigne-» gîgjittesq'ies grimpant jusqu'aux sommai des arbres, palmiers oeuvrant de leur ombrage les champs d'orge, Icgumes et fruits c 1 abnn Jance.

Une bainèrc de rocher* de gès rouge où l'on peut lire encote d'antiques iu>ctiption> qui attestent la vieillc>se de l'oasis (et l'occupation, romaine, naturellement) lui sert de limbe en tète. A t'nuêHcir, ses jardins sontdi.'.vUé* en parcelles bien inhalées, devant l'amàs dé goutbisqui forment K k our, et qu'une seule tue, surplombée par tes terrasse-., i-averse de part ci» part. On y accède par une poite de style mauresque que h gravure a reproduite miinies fois Le marabout est en dehors du k our, surle côté du second btrrage.

Les poules d'eau pullulent d.ins les roseaux de l'oued à sa sortie de l'oasis, et juifs les gazelles venaient s'y désaltérer. Dans tes réservoirs dés barrages, il y a aussi beaucoup dé poissons qui frétillent tout à leur aise, les


SO V. QUELQUES POSTES DIVERS

indigènes n'en mangeant pas; ils n'ont pas tort, je crois, car je soupçonne ce poisson d'eau chaude et stagnante de favoriser la fièvre intermittente.

Aucun Européen ne réside à Tyout ; il n'y a pas dé poste militaire, l'oasis est entièrement arabe. Malgré qu'elle soit bien pauvre, bien mesquine, elle est si franchement reposante et gracieuse qu'on se là rappelle toujours avec joie. On y accède maintenant en voiture et en chemin de fer ; c'est pluscommode mais moins pittoresque. L'altitude est de i.o55 mètres.

d) Asla, à 40 kil. nord-est de Tyout, est une gentille oasis de 400 habitants et t.200 palmiers à dattes peu savoureuses, coiffant un monticule rocheux. Un clair ruisseau la traverse avec les gourbis des habitants des deux Côtés : les bords sont plantés de palmiers, figuiers et grenadiers. La longueur de ce petit éden n'atteint guère que 1 kilomètre sur 3oo mètres de largeur tout au plus. D'Asla, la piste rejoint Géryville à l'est par les Chellalas ttksArbas.

VI. Moghrar à Figuig

a) Moghrâr. Les deux Moghrar, à quelques kilomètres l'un de l'autre {M'Foukani,celui du haut ; M-Tathani celui du bas, plus important), sont à 5o ou 60 kilomètres d'Aïn-Sefra, et comprenant environ : l'un 6.000, l'autre So.ooo palmiers avec plus de t.5oo indigènes, C'est l'oasis la plus forte de la région, et son importance ne peut que s'accroître avec le chemin de fer qui," venant. d'Aïn-Sefra, passe au-dessus de Tyout (dont la gare est à 4 kilomètres du ksour) pour suivre le défilé déTeniet-elHadjadj et la tive de l'Oued Namous jusqu'à MoghrarTahiani (8ïô m. d'attitude). Il s'infléchit ensuite au sud-ouest sur Djenien-ben-ftezg, Duveyrier^ Ben-Ounif,

Cette oas|s fut la résidence et le centre des opérations de IhU'Amana pendant l'insurrection de t88i, On y voyait encore, il y a quelques années, ses palmiers: rasés et sort gourbi détruit, Il y a toujours eu depuis cette époque un poste français composé de spahis : on y trouve maintenant une gare assez importante et divers fonc-


V. QUELQUES POSTES DIVERS $1

tionnaires. L'oued Namous, formé par la réunion de l'oued Sefra et de l'oued Tyout, passe au pied de Moghrar-Tahiani se dirigeant droit au sud. Tous les ksours de celte région sont sous l'influence morale des Ouled-Sidi-Çheikh, qui y déposent leurs cfl.ets.de prix, leurs grains, leurs provisions.

b) Djenien-bou-Rezg (898 m. d'altitude) est au sudouest de Moghrar, au pied du dj. Mezi, entre cette montagne et une chaîne de monticules moins élevés à quelques kilomètres au sud.

Ksour trè< pauvre, gare fortifiée.

c) Duveyrier vient ensuite : poste essentiellement militaire et dont le nom détonne un peu entré les désignations indigènes do ses deux voisins : « Duveyrier, t grand homme de guerre et petit village de rien, » pense-t-ôn en soi.

De Duveyrier, la voie ferrée suit la vallée sud-ouest sur Figuig, mais en dérivant au-dessous pour atteindre Ben-Ouni)'à 8 kilomètres de la grande oasis dont nous parlerons dans un chapitre spécial, un peu plus loin.

d) Ben-Ounif, à 620 kilomètres environ d'Oran par la voie ferrée, n'existait pas pour ainsi dire en 1902 et n'était qu'une palmeraie insignifiante. L'année suivante une ville entière avait surgi dans le sable, grâce aux nomades attirés par noire présence, aux commerçants amenés par les travaux et l'occupation française, à [installation d'une forte garnison avec redoute, ambulance, magasins, services complets.

Ben-Ounif est le point d'échange avec l'oastsde Figuig.

Tous ces petits centres sont en général disséminés dans des gorges de montagnes ou des cirques plus arrosés et mieux exposés que les pentes environnantes t its offrent peu d'importance et nourrissent à peine leurs habitants. Pourtant quelques-uns paraissent susceptibles d'une extension que l'apathie de 1 indigène ne leur donnera jamais. Dans t'Aïssa, il y a de superbes parties boisées, des calcaires, de l'eau, choses si précieuses dans ces régions déshéritées : tout cela n'est actuellement ni exploité, ni même possédé presque. Espérons que le


;'&$.' / V, QUELQUES POSTES DIVERS.

raitway, qui passe au pied en s'enfuyant dans le Sud, donnera quelques facilités de transport et d'exploitation. Tout cet énorme massif montagneux, dont tes points culminants sont : le dj.Aïssa (2.256 m,), lédj. Meckeur (2.0G1 m,), le dj, Mezi (2,13o m,), a du bois, de la pierre, peut-être des minerais j it peut, jusqu'à un certain point, être mis en valeur. L'occupation militaire, discutée par-; ' foisy/aurâit ainsi un argument de plus en sa; faveur et, utilisée davantage, serait moins onéreuse aux finances publiques delà métropole, dont le marasme est légendaire,

Vït.7Piguig à in-Salah

De Beh-Ôunif (sud de Figuig) le chemin de fer continue aU Sud-Ouest sur :

; » Beft-Zirëg» point sans grand importance 5 puis ËlMevra; puis': -':/:-.:/',"'/-.;..-7

i) Bêchai* (735 kil. d'Oran), agglomération de quelques ksours et marabouts : OuàkJa, Tayda, Zakkoi ; à Béchar, la voie ferrée est à égale distance des deux vallées de ..l'o. Guir et de l'o. Zousfrana : elle cesse alors de s'infléchir sur lé Sud-Ouest, pour se diriger franchement sur leur jonction, au sud, à Igli. La première expédition de Figuig à Igli avait suivi la vallée de l'o. îîousfraha en occupant successivement Djenan-eU pàrr, llaçhel-Moungar, Taghit['.,' pour le tracé du chemin de fer, on a préféré passer plus à l'Ouest, entre les deux grandes coûtées des oûed Guir et Zousfrarta,/

c) Igli (800 kil, environ d'Oran) est un peu au-dessous de leur jonction. L'altitude est de 450 mêfres.tgli estie point le plus important de la région après .Figuig.'' A 1C0 kil. au Sud-Ouest se trouve l'oasis de Tabttbàla, exploré par le commandant Deffôrges en 1892. Au Sud-Est, les oasis du GOurara.(C/ta>oai«, ïiwittiH/mu»), qui produisent des dattes excellentes ; puis le ToUat (Agihàr, Tamentiti Taàurit t)"■";.' puis le Tidikelt un peu à YEsi(Ahàb'iu\tn*Saiah)> Dans toutes ces régions, nous avons des postes fixes ou mobiles./ 7

d) In-âalah, occupé le 29 décembre 1900 par la mission Flamand, est un chapelet d'oasis (en lôiiguèUr.


. "' V. QUELQUES POSTES DIVERS 8t)

environ -200 kilomètres carrés, comprenant près de 7 millions de palmiers et 200.000 habitants.

Situé à peu près à égale distance, 1.400 kil. de la Méditerranée et de Tombouctou, ce centre est très important pour les caravanes et pour les Touaregs qui viennent s'y ravitailler t c'est on partie ce qui explique pourquoi il y a infiniment trop de palmiers par rapport au nombre de Ksouricns.

bln-Salah (ou de TaoUrirt plutôt), postes extrêmes au Sud de l'Algérie, à Taoudeni, premier poste du Soudan Nord de Tombouctou, la distance est d'environ 75o kil. seulement. On peut donc dire qu'entre Oran et Tombouctou (2.700 kilom.) tes communications sont presque assurées. Mais délaissons un peu l'aridité de la nomenclature géographique pour revenir à Figuig.

VIII.— Oasis de Figuig

Situation. — Figuig, l'oasis encore impénétrable à mon époque, est au Sud-Ouest d'Aïn-Sefra : on y accédait par la piste de S/issifâ et Ich oit par le col de Founassa et Djenien-bou-Re^g, en suivant l'o. Dcrmel; ■aujourd'hui, on y va par le railway, qui vous descend à la station de BeiuOtinif, à 8 kilomètres au plus.

Dans ces régions-tà, ta frontière est assez indéterminée : nous ne savions guère si tch, Djenieti-bou-Rezg étaient en territoire marocain ou français, chose de peu d'importance en somme, et Figuig, h mystérieuse, restait en dehors des deux autorités. Ce ne fut que plus tard, lors des événements de 1902, qu'on y pénétra officiellement et que l'on s'aperçut combien îa réputation de cet agglomérat d'oasis distinctes et se touchant était surfaite, avec ses 20.000 habitants à peine et ses 25.000 palmiers. Les dattes ne sont pas d'excellente qualité, mais leur production est considérable avec l'excellent système d'irrigation (foogtiara) des oasis et là quantité d'eau disponible (source du Zedderi&'in Tir$et, el Itammàn) provenant de nappes artésiennes chaudes . à 25* et 3o° de température. La latitude est de 32°io, l'allitude de à5o mètres.

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90 ;■"''■ '■.-. V, QUELQUHS POSTES DIVERS

Figuig occupa une plaine accidentée, verdoyante et fertile, allongée entre dçs montagnes qui l'encerclent de tous côtés et dont l'altitude varie entre 1.000 et 1.200 mètres ; entre elles de nombreux cols laissent un accès facile. Les deux principaux au Sud sont ceux de la Juive et surtout de Zenaga par où passe la route dé Bou-Ounjf 4 Figuig,

L'oash- de Figuig se compose en réalité déseptà huit groupes ou oasis principales : El Maïs-Foukani(haut), El Wàïi-Tahiani (bas),EllLvnman-Foukatii, El Hamman-Tahlani, El Oudaghir, El Abid, Zenaga, bien arrosées. C'est par le col de Zenaga qu'on y accède do Ben-Ounif. L'oued Zousfrana, qui continue dans le Sud sur Igli, prend naissance dans le massif montagneux dc/l'EsL/Le chemin de fer qui arrive aussi du Nord-Est passe à Beni-Ounif, au Sud du coi de la Zenaga. ■ ■

Dans la région sud de Figuig, il n'y a, au bord de l'o. Zousfrana, qui court parallèlement au dj. Bechar, sur une longueur de 3oo à 400 kil.,que quelques palmeraies insignifiantes, ou de rares points d'eau, jusqu'à Igli, centre jadis de caravanes importantes. Les nombreux oueds qui descendent du Bechar dans l'o. Zousfrana son; tous aussi desséchés que le sein tari de notre Faculté de Médecine, ce qui n'est pas peu dire.

Produits, Moeurs, Coutumes. — Les moeurs diffèrent quelque peu de celles des oasis sises dans le territoire français ; les femmes se teignent avec du safran, sur le nez seulement/mais ne se fardent pas comme les femmes arabes des nomades ; elles ne se tatouent pas non plus comme ces dernières et n'emploient que la henné et non le hemmaïr. Leurs bijoux sont, comme dans tout, le Sud-Oranais, en argent, et les anneaux des pieds (bracelets) pèsent parfois de 3oo à 700 grammes.— Les réjouissances, danses, repas, sont à peu près les mêmes. Pour les décès, au lieu de visiter la tombe 7 jours de suite, on ne la visite que de vendredi en vendredi : le tombeau comprend soit la simple pierre orientée au soleil levant, soit l'enceinte de pierres brutes


V. QUELQUES POSTES DIVERS. . Ut .'

ou maçonnées à trusteur d'homme, soit enfin, pour les grands saints, la Koubba, petit, mausolée à coupole.

Ce qu'on 'trouvé de moutons dans ces régions-là, c'est incroyable. Moutons et chameaux se promènent par milliers ; par corme,.ni.vaches ou boeufs,.'ni cochons. On ne peut pas avoir tout à la fois. En fait de volatiles, quelques poules, et pas fameuses, forment la richesse gallinacécnne du pays. Les fruits, céréales, sont ceux de tout leSud-Oranais,

Comme industrie, on fabrique des plateaux de cuivre, des couvertures et tissus de laine, des peaux travaillées, quelque orfèvrerie (bijoux variés, pendeloques, bracelets de poignet ci de cheville). Beaucoup de femmes portent des bracelets de /cheville, à fermeture incomplète et rapprochée seulement : inutile de dire que toutes vont pieds nus ou chaussées.de babouches seulement. Les bas sont absolument inconnus des élégantes locales. Pour rendre hommage à la vérité — in oculo veritas —> je dirai que leurs extrémités sont si propres et si belles, n'ayant jamais été déformées par une chaussure quelconque/que c'est un vrai plaisir que de se mettre « à leurs pieds ! » Jamais d'ceil-de-perdrix, cors, ongles . incarnés, varices, genoux cagneux, petites tares ou vicissitudes morbides affligeant si souvent les jambes de nos compatriotes.

Les attaches sont en général robustes, parfois assez fines, les articulations bien serrées. Je vous donne là bien des détails parce que j'ai toujours gardé une excellente impression (médicale s'entend) de ces jambes fermes et saines, ayant grandi à l'abri de l'escarpin et des culottes de la civilisation.

D'ailleurs, pour bien montrer ma pudique impartialité, je vous dirai que, chez les femmes arabes de cette région, le reste est inférieur au point de'vue plastique. L'abdomen, d'une maigreur de criquet chez les impubères, s'alourdit chez les adultes par la graisse ou la puerpéralité. en devenant affaisse ou volumineux. Après les couches, il reste sans soins; aucune ceinture (pas même de chasteté) ne le comprime la plupart du-temps. Quant aux seins, ils sont plus souvent piriformes que


\)i V.'QUELQUES POSTES'DlVEItS '.

globulaires ; s'ils- ne laissent rien à désirer au point de vue laciifère, en fait d'ornementation ils sont plutôt du genre,., pendentif!

'/'■'Un bon exercice des femmes arabes qui leur forme les membres inférieurs, c'est le. lavage du linge. En France, nos laveuses opèrent avec le battoir à tour do bras ; là-bas, les femmes placent leur linge sur une pierre plate à fleur d'eau et debout, dansent dessus, en chantant et en le tripotant des heures entières avec leurs pieds, Parfois, elles le battent aussi, mais toujours debout, avec des arêtes de feuilles de palmiers ayant 0,90 de longueur et faisant spatule convexe au plus gros bout.

Comme quoi, chez ces dames stid-c. ■ rv'ses, la jambe est une chose utile toujours (agréable pin.ois). J'ajouterai que les laveuses arabes 'n'ont pas leur langue dans leur poche et que, tout comme leurs congénères françaises, elles claquent du bec avec une intensité telle qu'on les entend toujours avant de les voir. Au fond, leur procédé n'est pas plus mauvais qu'un autre : tout le.mondé.ne peut pas se faire blanchir à Londres, et, d^iis le" Midi, on presse bien là vendange de cette façonlà pour écraser le raisin.

Ces moeurs changeront sans doute avec la pénétration du transsaharien ■:' le train marche... les Figuiennes marcheront aussi, probablement.

J'ajouterai que le coi set est absolument inconnu : encore un meuble dont les voyages font reconnaître l'inutilité. Unegandoura(chemise fenduedes deux côtés). voilà toute la"toilette' d'intérieur des femmes ; pour sortir au dehors, on ajoute un voile enveloppant entièrement la personne avec une toute petite fente ménagée devant l'a-il. 11 n'y a que des chevelures d'ébéne dans ia région : dans les premiers temps, on a la.nostalgie, de la blonde, voire même dorée. « Je ne peux'pas sentir la rousse. » me disait en France un ami, p'otygamisté enragé; là-bas il l'eût adoré, car on dédaigne toujours les trésors que l'on a sous la main pour envier ceux qui mirent au lointain,


V. QUELQUES POSTESDIVEUS 03

Avenir. ~ L'oasis de Figuig peut-il être mis en valeur et sa production décuplée? C'est probable, si le débit des sources ou leur distribution est améliorable, si le reboisage est facile, si des minerais ou gisements existent dans les montagnes environnantes. Ce serait à désirer, car au-delà de Figuig, pendant des centaines de kilomètres, il n'y a plus rien pu presque, que des cailloux ou du sable séparant de maigres palmeraies espacées jusqu'à l'oasis d'igli. D'Igli, les caravanes autrefois amenaient à Figuig, et de là dans le Maroc, les produits et les esclaves du Soudan. Les esclaves! encore un petit commerce qui s'en va et qui périclite de plus'en plus. Ces caravanes comprenaient parfois un millier et plus de chameaux, et des centaines d'indigènes, conducteurs de bêtes ou défenseurs contre les Touaregs du désert qui guettaient leurs, passages.

A mesure que le'ruban du railway s'allonge, des centres se formeront entre Figuig et Igli, mais seront-ils suffisants pour vivre de leur propre vie et exporter? Voilà la question ; l'importance de Figuig dans l'avenir grandira forcément, car c'est pour le moment le seul point entre In-Salah et Saîda qui puisse constituer un centre naturel et solide de production et de transaction commerciale.

Je m'étends un peu trop sur ces régions peut-être : niais c'est la marotte de tous les voyageurs qui aiment à ressasser des monceaux de détails sur les lieux jadis parcourus. C'est un fossé où tous les narrateurs viennent faire ta culbute ; nous faisons comme les autres, avant de revenir aux anecdotes.

IX. — Ahmed ben Moussa et ma bride

Pendant mon séjour à Aïn-Sefra, je fis nombre d'excursions dans les environs. A l'oasis de Tyout, certain jour qu'invité par le caïd Ahmed ben Moussa, je savourais chez lui le lait aigri, le kouscouss de l'hospitalité arabe, les gâteaux de miel et les galettes d'orge cuites au soleil, mon ordonnance avait attaché nos deux chevaux


91 V. QUELQUES' POSTES DIVERS

pour se livrer, avec le bournous d'un indigène en guise de filet, aux douceurs d'une pêche destinée à mon repas du soir. Quand il eut terminé cette nutritive et intéressante opération, il revint à ses chevaux : plus de bride au sien! Pendant son absence, un nomade l'avait volée, et si le cheval restait aux côtés de son congénère, c'était par pure courtoisie, car rien ne lui eut été plus facile que de lui fausser compagnie. L'ordonnance le reprit vivement et s'empressa de le réattacher avec «me corde quelconque, peu soucieux, si te cheval s'était échappe, d'avoir à faire, pour Je retour et à pied, 16 kilomètres dans le sable ! Puis il vint m'en rendre compte : c'était très grave pour lui, perte et dilapidation d'effets militaires!

Mon hôte, attentif, se fit bien expliquer le cas, puis il lui dit doucement : « Combien ta bride r — 3 francs. — « Les voilà et je vais te faire prêter une autre bridequ'on « reprendra chez ton maître îctoubibe(rnoi 1) demain. » Etonné, je voulais refuser, mais il y tint et j'eus plus tard l'explication. Il avait recherché le voleur, auquel naturellement il fit administrer d'abord une bastonnade solide; puis il le condamna ensuite à deux moutons d'amende, un pour son débours de 3 francs, un pour les frais de sa propre justice.

Au fond, cet indigène avait raison, et quand je songe à notre justice aveuglé, boiteuse, cul-de-jatte même, avec ses longueurs, ses retors, je suis pour l'autocratisme. Un bureau arabe aurait traîné cette aflaîre-là deux mois avec rapport au chef d'escadron, rapport au commandant d'armes, enquête, estimation, feuille de décompte, versement à l'intendance, etc., sans compter les 4 jours de clou traditionnels au volé !

Le cadi, lui, avait réglé la chose en une mimUc avec justesse et équité, contentant tout le monde : -wioi, qui n'avais pas eu d'ennuis, mon ordonnance qui avait racheté tout simplement au maître sellier une autre bride ; et même le voleur qui s'estima sans doute heureux avec une amende de deux moutons/tandis qu'il aurait pu être condamne à quatre. J'ajouterai, pour être véridique, que,


V./QUELQUES POSTES DIVERS 93

se voyant pincé, il avait restitué de suite .la bride àù caïd! Décidément, la justice à coups de matraquca du bon et vaut parfois mieux que celle à coups de papier timbré.; :7''

A propos de cet Arabe marquant, je lui avais pourtant, quelques jours auparavant, joué un bien vilain tour— moral -— si ces deux qualificatifs peuvent s'atteler ensemble. J'entretenais avec lut d'excellentes relations : chaque fois qu'il venait à la redoute, j'avais sa visite et nous prenions le café. Or, un jour, il arrive, comme je me mettais à table, devant une fricassée de poulet épatante : je l'invité, il refuse net; sur nion insistaace, il finit par m'en donner la raison ; « Tu l'as ; «fait cuire à la graisse, ton poulet, je ne puis pas en « manger, ma religion me le défend : ah si c'était au « beurre... — Mais c'est au beurre, m'exclamai-je sans « hésiter. —Tu me le jures? y- Par Allah, je le jure, « — Bien alors, j'accepte, » Et nous fîmes ensemble un excellent peth déjeuner. ;

Aussitôt son départ, j'interpellai le cuisinier : « Fameux ton poulet, mais à quoi était-il '?,'— Au saindoux. — Le saindoux de l'administration ? — Mais oui, monsieur le major ! » Mon brave Ahmed ben Moussa était damne — de par ma faute— et s'il n'a pu 'entrer dans le paradis de Mahomet, il doit bien m'en vouloir (à cause des tiouiis, sans douté !). Mais aussi, le laisser partir à jeun devant un aussi bon déjeuner, c'était impossible ; graisse ou beurre, cela m'était bien égal à moi. Partout, ô mes frères, il n'y a que la foi qui sauve : ayez la foi, la foi dans la vertu des dames,la science des grands maîtres, le dévouement des amis, l'équité des chefs, la propreté du cuisinier,., toujours la foi, c'est la grâce que je vous souhaite. ■.■7.7;-'"

Cet Arabe fut l'un de ceux avec lesquels j'eus les plus agréables relations ; nous menions réciproquement en pratique le fameux proverbe: « Les petits cadeaux entretiennent l'amitié. » Venait-il à Aïn-Sefra ? Dans un coin de son burnous, il y avait quelques dattes excellentes pour moi; son serviteur m'apportait du miel, des teufs frais, etc. Moi, de mon côté, je ne le laissais jamais


06 ,V. QUELQUES POSTES DIVERS

partir, ou je n'allais jamais le voir sans du café, du sucre ou quelques bagatelles européen nés. images, bibelots, allumettes, etc., pour lui et ses femmes.

A ce propos, sachez que dans le désert le cadeau le plus appréciéd'un Arabe nomade, c'est une boite d'allumettes, de même pour une femme, c'est un petit miroir de poche. Que de fois ai-je échangé des allumettes,' une simple boîte, contre des perdrix, étant en excursion ou en colonne. Pour les miroirs, il faut savoir les donner et jamais à la femme mais à son maître. J'en donnai ainsi 4 ou 5 à Ahmed ben Moussa, et il apprécia fort bien ces légers cadeaux en les répartissant entre ses deux épouses et ses filles. Le maître seul peut faire quelque présent chez lui : donner directement aux femmes auraient été contraire aux moeurs et à la morale. C'est là un infime détail, mais qui montre cependant que, pour vivre en bonne intelligence dans un pays, il faut se donner la peine d'en étudier les usages : on y vit certes sans cela, mais à litre d'étranger, sans rien voir, rien sentir, rien connaître.

Celte éducation morale est facile : si l'Arabe est concentré, en revanche il est très confiant quand il sent que vous voulez connaître loyalement la vérité et le fond des choses, non pour les plaisanter, mais pour vous y conformer. Il supporte le Français vivant brutalement à part, à ses côtés ; mais il estime et il s'attache à celui qui cherche à le comprendre, à le ménager, montrant vis-àvis de lui une bienveillance et un savoir-vivre qu'il apprécie fort bien. Aussi j'avoue d'avance que mon jugement sur les Arabes pourr. être entaché d'un peu de partialité, mes rapports avec les indigènes ayant presque toujours été fort courtois. J'ai bien eu quelques désagréments, mais cela me donnait de l'expérience. «Rien de «. tel qu'un coup de botte au derrière pour faire entrer « quelque chose dans la tête, » me disait mon grandpère en m'appliquant— au lieu d'élection — sa théorie " laïque et obligatoire; et il avait raison ! "'


.V.'QUELQUES POSTES DIVERS ' 7 0*

X. — La Soif et l'Oued Namous

Il me fut donné, dans une autre occasion, de constater que j'étais plus bête que mon cheval. J'allais d'Aïn-Se/ra aux Moghrars en suivant le lit des O, Sefra et O.Tyout, dont la réunion forme YOued Namous (l'Oued aux Moustiques), absolument à sec en été, mais parfois terrible en automne à la saison des pluies. Ces oueds sont alors instantanément chances en torrents impétueux, routant des fragments de rochers, arrachant les arbres et boulant dans leurs Ilots ccumeux l'imprudent qui s'y risquerait; n'y eût-il de Peau que jusqu'aux genoux, la violence du courant le renverserait en le jetant sur les rochers où il serait fracassé. C'est ainsi'que.périt-un" de nos malheureux confrères à Géryville, renverse et broyé sur les roches par un.torrent d'à peine"o!nûo Je hauteur d'eau seulement.

Lorsque, en cours d'étape, un orage imprévu gonfle un oued, on ne le traverse jamais : on s'arrête au bord ; quelques heures d'ordinaire suffisent pour écouler toute l'eau, et il n'y a plus de danger. L'O. Namous est un bel échantillon de ce genre de torrent: de Moghrar, où il a par endroits plus de 200 mètres de largeur, il descend droit dans le Sud, se perdre dans la vaste plaine caillouteuse de THammada.

L'étape d'Aïn-Sefra à Moghrar est de 5o à 54 kilomètres, il n'y avait pas à cette époque le railway.et je devais faire l'aller et le retour dans la inéme journée. A l'aller, tout alla fort bien : je ne m'arrêtai pour ainsi dire pas au défilé de Tente t cl Iladjadj, malgré l'ombrage et l'eau susurrante d'un ruisseau côtoyant et coupant la piste. Mais au retour, il n'en fut pas de même. La journée était torride : après mon déjeuner et quelques heures de repos, je quittais Mogh'ar vers les quatre heures et j'atteignais le défilé à 6 heures mais avec une de ces soifs... ; l'eau courait toujours, engageante, fraîche : mon cheval la ..renifla mais n'en voulut'pas. boire.; il devait pourtant être a,usM-altéré que moi. Mort spahi, lui/n'en prît qu'uiKî'qu'Uêirxforgées pour se rincer la

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08 V, 'QUELQUES POSTES''DIVERS-/.. ;-'•''

bouche, car il la savait magnésienne, Pour moi, malgré son avis, je n'y pus résister, je bus goulûment : hélas ! une heure après, mi soif était décuplée; j'avais la gorge en feu et des dissentiments intestinaux très intempestifs en selle, quand on a fait depuis le matin 80 kilomètres, et qu'il vous en reste 20 ou Boà'détàllle'ri

Pour comble de déveine* nous suivions le lit même dé l'Oued envahi à cette hèurc-là par des milliers de moustiques pénétrant partout ; dans le nez, (e gosier, les veux. Jamais je n'ai autant peiné que dans mes derniers kilomètres arrachés dans les affres de la soif^ des douloureuses réclamations intestinales et de la cuisson des moustiques. O Anatole Blanchard ! Joseph Javeran ! vous qui croisâtes à l'Académie le fer contre ces terribles anopières, que n'étiez-vous la pour opposer à leur voracité une peau plus autorisée que la mienne ? S'ils ne me flanquèrent ni la tierce ni la quarte, ils augmentèrent singulièrement une pépie qui me faisait chavirer en selle.

Jour de Dieu ! j'aurais don né les quatre galons de mon médecin-major de première, pour une carafe frappée ou un simple bock. J'arrivai enfin à Aïn-Sefradansun état... Je savais ce que c'était que la soif, Pourtant j'avais fait bonne contenance : quand ce rossard de spahi dur et bronzé me vit descendre de selle, jetais impassible : j'avais « sauvé la face ». Inutile de dire qu'aussitôt dans mon logement, je me jetais sur l'eau, dans l'eau, me déshabillant à la volée'pour nie rouler sur lé tapis inondé, le sol transformé en marécage à force de seaux d'eau que mon ordonnance jetait sur mon torse nu. J'avais aussi, à petites lampées fréquentes, mais en me retenant de toutes mes forces, vidé un alcarazas entier.

Dans le Sud, l'alcarazas très poreux est te seul récipient pouvant rafraîchir la boisson. Quand il manque, on le remplace (à peu près) par une bouteille Habillée de laine que l'on mouille : puis, au moyen d'une ficelle attachée au goulot, on 1* suspend dans le vide, en haut d'une fenêtre ouverte et on la balance au soleil une demi-heure pOUr activer Tévaporaiiôn. On peut ainsi obtenir un abaissement appréciable de quelques degrés. :


V. QUELQUES. POSTES DIVERS 09

L'eau .'Ceux qui ont traversé ou frôle seulement le désert, seuls, peuvent savoir combien ce liquide est précieux. De l'eau, de l'eau quand le soleil implacable brûle palmiers et récoltes; de l'eau, de l'eau quand, pour l'explorateur, la gorge est en ; feu, que les tempes bourdonnent, que la respiration sifllc haletante et oppressée ! Que ne boirait-on pas ? On comprend alors les désirs les plus répugnants et l'on se précipiterait sur l'urine, le sang, n'importe quoi, pourvu que l'on boive., on tuerait pour boire 1

Devant la soif, hommes et bêtes sont égaux, car c'est pitié de les voir souffrir aussi, Quand j'entends parler de la soif des honneurs, vrai, ce qu'on les donnerait tous pour un demi-titre d'eau propre (ou sale même), quand on a le gosier brûlant et sec sous les morsures du soleil torride, du sable pénétrant et des moustiques insatiables.

Les nomades en caravane, dans les cas désespérés, quand le siroco a brûlé tout, tari ou comblé le; ^uits d'eau, les outres même, exécutent alors un chameau, qui constitue ainsi, on peut le dire réellement, une poire pour la soif. Après sa chair sanglante et son sang dont ils s'abreuvent, ils utilisent encore, pour se rafraîchir, l'eau que ce ruminant plein de prévoyance a toujours dans l'un quelconque de ses quatre estomacs, panse, bonnet, feuillet on caillette, je ne sais plus lequel ! Ce détail vous semblera répugnant, à vous clients assidus des terrasses des grands cafés du boulevard ; mais que voulez-vous, il est absolument exact ; boire du sang, de l'eau digérée, « dura lex, sed lex * parfois dans ces régions ou la Pilsen manque et où le sherry gobler, le coktail, sont totalement inconnus.

Les chevaux supportent assez mal aussi la soif, pourtant ces braves bêtes sont d'une endurance... quoique parfois, eux aussi cèdent à leurs passions. Cela ne va pas sans quelques inconvénients, témoin la ridicule histoire qui m'arriva sans que j'y fusse pour rien.


100 V. QUELQUES POSTES DIVERS

XL — Un cheval trop ardent

Je garnisonnais alors en plein Sud-Oranais. Nous n'avions jamais rien à faire ; aussi il-nous arrivait souvent d'aller en chevauchée à 40 ou Go kilomètres pour déjeuner simplement avec un collègue. Or un jour que l'un de mes voisins m'avait royalement traité avec du homard à l'américaine (en conserve naturellement), je résolus de l'épater complètement en répondant à son crustaçé. par du poisson frais,''en plein désert où l'on n'en avait jamais vu la queue d'un seul, croyait-il. Justement je savais qu'il s'en trouvait dans l'oued d'une petite oasis voisine (1? kilomètres) où tanches et barbillons pullulaient.en paix, les Arabes ne mangeant jamais de cesCyprim'dés : dans une de nies précédentes excursions, suivie d'un bain, j'avais vérifié ce détail. C'est pourquoi, auv premières lueurs du jour où j'attendais mon convive, j'expédiai à Tyout mon ordonnance, sur nia propre jument, pendant que, de mon coté, sur un autre solipède, j'allais au-devant de l'ami attendu.

Vers les 10 heures, mon ordonnance revenait : son poisson était tout à fait frais, mais lui l'était beaucoup moins. Il paraissait en proie à une émotion assez forte que je mis sur le compte dé sa fatigue ou de son empressement à remplir sa mission culinaire et sacrée ; je ne le questionnai pas, n'y attachant aucune importance. Le repas fut brillant et réussi — moins toutefois que celui, légendaire, offert par le Dr Bidon aux fonctionnaires huppés "de Nevers. — Mon confrère emporta les arêtes dans un vieux journal réactionnaire pour bien faire constater dans son propre bled la présence de barbillons frais en plein Sahara! Je ne pensais plus du tout à cet incident lorsque, quelques mois plus tard, je fis peu à peu une constatation épouvantable.

Ma jument, la monture d'un médecin, officier de tout repos et de toute sécurité, une bête dont j'aurais garanti la moralité comme la mienne propre, était dans une situation qui lui eût valu jes félicitations de M. Piot. — Je fus ahuri : d'où pouvait bien lui venir cet excédent de... vitalité r1 Pas un.étalon dans toute la garnison


V. QUELQUES'POSTES'DIVERS iOl

d'une part, d'autre part elle..n'avait; pu-fauter'hors l'enceinte — pour le devenir — puisque moi seul la montais; à peine l'ordonnance quelquefois; et j étais sûr de moi ! Je cherchais, je cherchais, examinant toutes les suppositions, retournant l'ordonnance fort ennuyé aussi de la chose ; une lois qlie je le pressais davantage, il me fit enfin l'aveu suivant :

Le fameux jour des poissons, en revenant de Tyout à vive allure pourtant, il avait entendu derrière lui un galop effréné qui le rattrapait peu à peu : c'était lin cheval entier que son cavalier (un Arabe ayant cassé sa mauvaise bride) ne pouvait plus maîtriser, malgré ses appels et ses gestes désespérés. Cet étalon en feu, sentant devant lui les ellluves de ma bête, gagnait* gagnait dessus et finit par arriver sur elle eh lui souillant aux teins et de ses sabots en Pair effleurant le dos de mon ordonnance, Le pauvre diable, réellement en danger sous cette furia génésique, s'était laissé glisser à terre : pendant ce court instant, l'étalon, maître de la situation, .en.avait abusé... salement !

Inutile de dire que l'Arabe reçut une maîtresse-volée avant de repartir avec son cheval redevenu docile, mais le mal'était fait, le déshonneur entré (incognito) dans l'escadron !

Sur ma recommandation, mon ordonnance ne souffla mot de cet incident regrettable : il supporta stoïquement toutes les plaisanteries —plutôt salées — de ses camarades: .«'Eh dis donc, étrille-la doucement ta mou.kère... « pour le petit. — -Vas-tu seulement le reconnaître... « l'enfant ? » Ils ne s'en privèrent pas, quand la situation fut évidente.

Le capitaine commandant hurla de tous ses poumons après tout le monde : médecin, ordonnances, gardes d'écurie, vétérinaire : c'est ce dernier surtout qui n'en revenait pas. 11 passait ses après-midi sous le ventre de tous les poulets d'Inde du quartier, grognant à part lut : « Pour sûr, il va un/de ces gaillards-là qui aura été mal.. .diminué. » Quoi qu'il en soit, la cavalerie française s'augmentait quelques semaines plus tard d'une unité dont on ne savait que faire, le cas n'étant pas prévu


101 V. QUELQUES POSTES DIVERS

par les règlements ! L'enfant — du miracle —' fut choyé de tout l'escadron, on relevait au sucre et au pain : il entrait partout, dans les baraques, sous les tentes. Quand, sur l'ordre du capitaine-commandant qui attendait l'inspection générale, il fallut s'en débarrasser au profit d'un goumier arabe, ce fut dans tout l'escadron des regrets unanimes.

Comme quoi, la gourmandise d'un aide-major d'un côté; de l'autre une ficelle servant de bride qui casse, peuvent par leur connexion amener des complications formidables pour la discipline et la moralité dans la cavalerie légère. Les montagnes ne se rencontrent pas : mais une jument d'escadron et un cheval de goumier, il ne faut jurer de rien.

XII. — Tiavet, Aflou, Ammi-Mousja

Je séjournai aussi à l'est de la province d'Oran, à Tiaret, poussant des pointes au Nord et au Sud, à Ammi-Moussa, à ÀJlou et même Laghouat (province d'Alger).

Tiaret est une petite ville de 4.000 habitants environ, située à la jonction des djebel Seffalou, dj. Gue^zoul et autres croupes montagneuses, à une altitude de 1.0SS m. Son climat rappelle, un peu exagéré, celui du midi de la France. La redoute, sur un haut mamelon isolé, comprend les casernes, hôpital et maisons d'Européens. Au pied, le village mixte et, sur un petit coteau avec sa Kouba, à un kilomètre environ, le village arabe : tel est le dispositif ordinaire des petites villes de l'Oranais. Au Nord, Tiaret n'est accessible que par un seul col, celui de Cuertoufa : au Sud, une plaine mi-cultivée le sépare des massifs de la montagne carrée et du dj. Nador dans le lointain. La voie ferrée y accède par l'Ouest (ruines de Tagdemt) ; au Sud-Ouest, la Mina forme une cascade superbe de 44 mètres de hauteur, dont une légère partie est employée comme forcé motrice par un moulin. Cette région abrupte, sauvage, boisée, est superbe et susceptible, comme bien d'autres endroits d'Algérie, d'une


V. QUELQUES POSTÉS: DIVERS -i UKf

mise en-valeur" plus intensive à cause de son eau, son bois etia pierre qui s'y trouve eu abondance.

De Tiaret partent d'es routés ou pistes dans toutes ies directions (Reli^ane,- Ammi-Mouisa, Tenicl-el Ilaad, Freniah, AJlou).: Population : indigènes et Juifs, fort peu d'Européens. La yille date du temps des Romains, qui occupèrent ce point ; le marché arabe qui se tient hojVde l'enceinte est assez fréquenté, car le..territoire'" en'.i■onnant est fertile et bien cultivé en général. La vigne surtout est superbe. A i kil, de Tiaret, à côté'du village nègre, on voit le marabout de Sidi Kralcd, sur un monticule : des -'-Européens, s'y sont installes aussi pour la culture.

Près de Tiaret, se trouve à 3 kil. le village de Guerloufa, au flanc d'une montagne abrupte presque, renommée pour un excellent vin qui rappelle le meilleur Pommard. La Sinala indigène (des spahis) est aussi à quelques kilomètres, ainsi que la Jumenterié.

Aflou se trouve dans le massif montagneuxde Ksours, séparé de; Tiaret par toute l'épaisseur des I lauts-Plateaux, i6oà iSokil, environ. C'est un petit poste entouré de montagnes et rappelant Tiaret pour le climat. Une piste va de Laghouat à AJlou par Tadjanont, suivant en partie l'o Mzi. On compte de nombreux marabouts dans tes en virons d'Atli

Ammi-Moussa, au Nord de Tiaret, est dans une région fertile : son altitude n'est que dé i3i mètres. Les cultures sont très rémunératrices';: il y a un marché arabe tous les jeudis. L'o, Rïou, qui la traverse, vientdu versant nord, des montagnes de Tiaret, pour se jeter sous Inkermaii dans îéCheliif. par un étroit ravin entre le Griga (524 m. altitude) et le Karcuba (G90 mètres).

Les Corn -^s. —- L'existence n'est pas désagréable à Tiaret: c'esi «ne vraie petite ville ayant même des courses annuelles et un grand prix tout comme à Longchamp I Je le courus une fois, mais je n'arrivai que médiocre second. Il est vrai quece fut à l'i.mproviste : deux officiers engagés dans la course n'ayant pu tenir, on voulut les remplacer au pied levé par l'interprète et moi I l'interprète pesait 10 kilos dé plus, ce qui me donnait


lOt 7 V. QUELQUES POSTES DIVEÏlS

des chances, mais il montait un superbe étalon de caïd 'qu'il connaissait, 7 ce qui me refroidissait beaucoup. Dé plus/la course ne comportant qu'un seul tour, m'enlevait l'avantage de mon poidslégersurunsècond «round» dépiste.-, ////"y .7."';'.'■'"'■ y777'. -v:-,/.-'.7

J'allais refuser le match, quand un Arabe nvahiena une fort jolie bête, moins forte cependant que celle de l'interprète, mais si souple que je me laissai tenter. Ce fut bien de ma faute si je n'arrivai que second, car au lieu de lui rendre absolument la main, je la montai à la française, genou serré et mors soutenu, emporté dans lé tourbillon /vertigineux de son galop d'enfer. A sa légère inpriorité physique, j'ajoutai aihsi le désavantage d'une monte qu'elle ne Connaissait pas. Je fus tout à fait vexé de m'a maladresse, car les parieurs nombreux qui avaient escompté ma victoire allongèrent leur né?.;, et leurs .'douros. .'■'//; ■'

Une alerte. — Ce fut à Tiaret aussi que m'arriva la petite mésaventure suivante qui démontre combien, quand on connaît imparfaitement- les habitudes et le

...langage des gens, il est difficile de s'entendre. ; La contre-visite terminée, j'allai un soir, avec mort excellent ami, le potard de i'hôpital, me promener au col de Guertoufa ; à peine sorti/dcla ville, un infirmier, courut après lui pour je ne sais quelle potion ; il fit machine en arrière et je continuai seul ma promenade,

Assis sur un quartier de roc, je suivis des yeux pendant quelque temps les volules rapides d'un aigle en quêté d'un dîner moins assuré que le mien, sans doute ; puis, absorbé.dans mes pensées, je laissai, rêveur, le crépuscule venir, quant tout à coup un indigène surgit à quelques pas; la matraque en croix derrière la tête : il s'inclina

: respectueusement et m'adressa des paroles dont je ne compris pas un' traître mot. Cette apparition m'ayaiit fait revenir à la réalité, je me levai pour regagner Tiaret et inon dîner. ::' 7.'.7.7"77.'7.77

L'Arabe, qui s'était accroupi à 10 mètres de moi, se leva aussitôt et m'emboîta le pas ; je m'arrêtai, il s'arrêta, je repartis, 'd repartit. Un peu intrigué, je cherchai à te


V. QUELQUES POSTES DIVERS 105

questionner, impossible d'en rien tirer que des gestes toujours respectueux de dénégation quand je voulais le renvoyer dans l'autre direction, et les mots de « cornas mandant ; macachc parti ; toubibe ».

Ne comprenant pas du tout cette insistance et dans -l'impossibilité d'éelaircir un malentendu que je ne soupçonnais pas, je marchais en me tenant sur mes gardes. La route était assez étroite, entre une paroi abrupte parsemée de roches surplombantes et d'excavations d'un côté; de l'autre un précipice de 200 mètres et plus. C'était ce détail topographique surtout qui m'inquiétait; je me souciais assez peu de mon indigène seul, malgré son couteau et sa matraque, car je le tenais à l'oeil, tout prêt à lui décocher, s'il levait sur moi l'un ou l'autre, le classique coup de pied bas, qui vous brise net lé péroné ; mais j'étais moins rassuré en'songeant que,derrière ces amoncellements rocheux des coreligionnaires malintentionnés pouvaient surgir. Naturellement je n'avais aucune arme sur moi, pas même un cure-dents !

Lés deux cents mètres du col sont cependant franchis sans encombre, et nous arrivons en plaine. Je me retournais déjà d'un air gogueftard vers mon suiveur, tout à fait rassuré puisque j'étais à présent hors d'atteinte' d'une attaque traîtresse, quand je le vis s'arrêter et me parler avec affabilité, puis s'en retourner vers le col l Pourquoi diable reprenait-il, de lui-même, cette direction qu'il avait énergiquement refusée de suivre -.' avant ?

j'en eus l'explication le lendemain. Cet Arabe, qui marquait si mal, était un brave goumier que le commandant d'armes avait désigné depuis deux jours pour accompagner les Européens traversant le col le Soir. 11 y avait eu un assassinat lavant-veille, et j'ignorais totalement ce détail.

Chez les indigènes ou les sauvages, il ne faut pas s'attarder aux mièvreries de la civilisation. S'ils vous attaquent, la question se résout pour vous dans ces deux mots tuer ou êire tué, La première solution est évidemment préférable, ne fut-ce que pour éviter la seconde,

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l.Ofi .' V. QUELQUES POSTES DIVERS

Mettre hors de combat ou épargner les blessés, cela n'a pas de sens pour eux qui attachant peu d'importance à la vie et qui ne comprendraient certes pas qu'on blesse quelqu'un pour le soigner après : ils achèvent, c'est plus catégorique.

C est ce qui vous explique que, sans avoir une de ces frousses qui marquent dans la culotte d'un honnêtehomme, j'éprouvais cependant une légère inquiétude. Je savais par expérience combien un coup de surin est vivement donné (et reçu) ; et je ne tenais pas à me faire ajouter une entaille, fraîche, — à celles, cicatrisées, que je possédais déjà.

Avec ces gaillards-là, il faut toujours avoir l'oeil rivé sur leur main droite : ils sont redoutables parfois, non par leur force musculaire, que nous égalons facilement (surtout ceux d'entre nous possédant la gymnastique ou la boxe), mais par la rapidité d'attaque avec laquelle ils vous tombent dessus, dédaigneux des palabres préliminaires de héros de Y Iliade.

Ce fut ainsi qu'un soir, à Oran, dans une discussion (qui n'avait rien de politique) avec un Espagnol, cet hidalgo se jeta sur moi en me renversant net sous le choc : je n'eus que le temps d'emprisonner son poignet droit que je tins en supination. Sous ma torsion progressive et continue, il fut obligé de virer, me laissant me relever en force. De ma main libre, sans le lâcher, j'explorai à mon aise sa ceinture et sa poche où quelque îiavaja. aiguë pouvait se cacher : rien I Alors, rassuré, je le lâchai, plus honteux de ma propre chute que coléreux de son assaut, en l'assommant à demi seulement.

J'avais déjà eu, quelques années auparavant, le bras gauche traversé d'ut) coup de couteau, dans des circonstances analogues et nocturnes : 'au'yi. tout homme qui lient à l'intégrité de son derme, quelle que soit sa supériorité musculaire, doit toujours surveiller un adversaire même débile, pour éviter d'enenisser subito un coup de pied bas, un coup de tête ou de genou, une prise de cheville-arrière, etc., coups interdits dans la lutte courtoise, mais qu'il faut connaître quand même.

Hélas t Mars et Vénus se donnent trop souvent la


V. QUELQUES POSTES DIVERS 10Ï

main pour nous zébrer l'épidémie : l'un des deux pourtant suffirait à la besogne !

Dans la vie, il est utile d'avoir bon pied, bon oeil, le poignet robuste et de l'e>tomac, La force physique, nos intellectuels la dédaignent volontiers ; mais, ventre de biche (ou plutôt de gazelle), c'est le courage, c'est la santé, la gaieté : et, quand la force physique vous lâche plus tard, le courage moral et la gaieté restent enecrét N'en déplaise à mes vieux camarades devenus académiciens et chauves, quand le poil vieillit, si les idées restent jeunes, la vie est encore belle !

XIII. — Une colonne qui perd ses malades

Tantôt en sous-ordre, tantôt chef de service dans les petits trous qui m'étaient désignés, j'eus naturellement quelques incidents médico-militaro-administratifs : des uns, je me tirai assez bien ; des autres, j'y laissai quelques plumes. C'est incroyable comme la vérité change de face quand elle a passé par toute la canalisation hiérarchique : les faits les plus sinples, partis d'en bas, arrivent en haut absolument grossis, déviés ou dénaturés.

La plus grosse bêtise qui peut s'appuyer sur un article de règlement n'a rien à craindre, mais la plus utile initiative qui en frôle un, est vertement saboulce. C'est également incroyable comme toutes les autorités qui se côtoient: Santé, Intendance, Génie, Troupes, Place, entrent en conflit les unes avec les autres pour les plus minces bagatelles qui ne valent pas la peine de fouetter un nègre. Vous plantez un clou dans un mur de casernement, sans autorisation ? le Génie fait une enquête et accuse de-dégradation de bâtiments militaires. Deux spahis en bordée attrapent une petite uréthrite de famille? vite la Place nous fait examiner tous les... zèbres de l'escadron et les rares urnes — électorales de la localité. Je donne des perdrix excellentes ne coûtant presque rien à mes malades, au lieu de poulets ctiques et hors de prix ? rapport à VIntendance, sur le luxe de la nourritures Il faut des règlements, c'est évident, mais il en faudrait


10S 7-.YV QUELQUES POSTES DIVERS

tout de-même moins ; que leur élasticité fût plus grande, et varie un peu de Dunkerque à Marseille Ct Figuig, régions différant totalement sous tous les points de vue. Une innovation qui faillit me coûter cher en est un bel 'exemple : / 7.';'''7:-;'-V:.''

J'étais alors à Tiaret,'et j'avais à accompagner "une" colonne jusqu'à Aflon (180 kil.), en passant par dj. Nador, Ousseb1- aux cinq sources, Moudjehaf aux 40 puits dont 38 de taris ou comblés, Itaciane et Dib. Celte corvée né m'incombait pas en principe : mais des deux aides-majors, l'un, fatigué et dé retour à peine de tournée, avait réellement besoin de repos ; quant à l'autre, possesseur dune énorme/orchité acquise dans les prix doux probablement, et passée à l'état chronique, il l'exhibait à chaque réquisition de service pénible. Il eh avait joué et il en jouait encore de toutes les façons de son testicule, l'animal.

En le voyant sortir péniblement de sa culotte son.v. oeuf d'autruche, les chefs de service effrayés lui disaient invariablement: « Rentrcz-moiça et allez vous coucher I» Mais peu importé, quelques cents kilomètres de plus ou de moins ne me tourmentaient guère.

La première étape, de Tiaret à la montagne carrée, au dj. Nador, tut tellement rude pour les hommes (à peiné en route) et j'eus tellement d eclopés, que je craignis d'avoir des complications. 7

Aussi, j'en conférai avec le capitaine-commandant ; noua étions très bien ensemble, il me laissa carte blanche et nous décidâmes que la colonne, au lieu de partir /tous le> matins à 4 heures pour arriver à l'étape vers ti reures, en pleine chedeur, partirait à minuit, de façon àarner vers les 7 ou 8 heures, avant le coup de plomb du soleil.

Les hommes furent enchantés, tout alla bien, le nombre des éçlopés diminua sensiblement. Encouragé par le succès, j'allai plus loin : nos éctopês, traînant la patte derrière nous, nous forçaient à les attendre et s'éneryaient de leur retard même s j'eus..l'idée, (que je èrôyaisgéniale, hélasl) de les faire partira 10 heures


";." '-' 7 V.'QUELQUES POSTES DIVERS 109

du soir avec le guide, de façon que, se sentant de l'avance et g'oricux de la garder, ils pussent marcher plus allègrement: nous tes rattrapions à mi ou deux tiers étape et, bien entraînes, ils arrivaient avec nous. Je me gaudissais de mon petit système qui fonctionnait à merveille depuis quatre jours, quand, à 'la dernière étape, la moitié, les deux tiers du chemin se passent sans soir nos éclopés, même à des tas de.kilomètres à l'horizon : pourtant on avait vu des tiaecs de leur passage jusqu'à un oued un peu humide à 12pu i5 kil. de.Tarrivéc Les lascars s'étaient-ils donc emballes, et, par un coup dé collier vainqueur, avaient-ils atteint l'étape avant nous ? C'était la seule supposition à faire ;■ nous allions les trouver'bien installés eh fou'rrcgeUrs au débarqué.

1 Iélas, à. Aiîou, les camarades de la garnison n'avaient rien vu : mes 8 à 10 tîrc-lcs-pàtlés s'étaient évanouis dans le désert ! Pas moyen de les chercher avant le soir : qu'allaient-ils devenir sans vivres, sans abri? S'ils se fussent perdus par derrière, rien à craindre, c'était réglementaire ; mais par devant, grands dieux ! Le capitaine ec moi nous n'en menions pas large ; la chaleur tombe-e. on envoya des goumiers en éventail dans la » direction d'arrivée à 20 kilomètres à la ronde : ils revinrent tous, dans la nuit, n'ayant rien vu que quelques douais espacés, endormis et dont ils interrogèrent quelques indigènes sans succès.

C'était de plus en plus raide : on aurait dû au moins retrouver leurs traces ou leurs cadavres 1 Malgré la chaleur commençante, j'allais monter achevai moi-même avec un des Arabes les plus sûrs quand nos gaillards s'amènent tous au grand complet et en parfaite santé : épatement, effusions, puis ertguculadc, salle de police, tout cela se succéda en un clin d'ail: Que leur était-il donc arrivé ?

Quelque chose de bien simple avec ces carofticrs-là : sachant que c'était la dernière étape et se sentant pas mal d'avance, ils avaient cédé à. l'offre insidieuse du guide qui possédait des connaissances dans un douar voisin : ces sales bêtes, au Heu de continuer sur Aflou, avaient remonté l'oued où nous avions perdu leurs


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traces, pensant ne faire qu'un petit- crochet au douar. Mais le douar s'était éloigné un peu plus loin, ils voulurent)'passer quand même, puisqu'ils étaient en route, et n'y arrivèrent qu'à l'heure même où ils auraient dû être à Aflou avec nous. Impossible d'en revenir le jour mèmeàcause de la chaleur et bivouaquage forcé au douar où on les gorgea de tait, de kouscouss, etc. Toute la soirée, ils nocèrent avec les indigènes qui les avaient reçus si bien, puis, à l'heure traditionnelle, repartirent, comme ils en avaient l'habitude, sur Aflou.

En somme, aucun manquant et pas un éclopê sérieux : tout cela se réduisait à une petite bombe avec une étipe en plus, mais quel potin à li place 1 Le goumier-guide écopa dans les hauts prix avec une copieuse amende, et mes huit saltimbanques débutèrent par 8 x 8 = 64 jours de clou à eux tous. Quant aucapitaine, chef decolonne, je lé couvris de ma responsabilité médicale. Nous n'attrapâmes d'arrêt ni l'un ni l'autre, parce que mon médecin-chef, étant mal avec le commandant d'armes, m'approuva carrément, pas fâché d'un conflit d'interprétation. Sans cela, 4 jours d'arrêt, portés à S à la division, eussent été la juste récompensé de mou initiative et de ses résultats, excellents en somme, malgré l'imprévu final.

XIV. — Tiraillements de services

A une autre occasion, je fus moins heureux et le commandant d'armes me fit octroyer la forte dose ! Dans tous ces postes du Sud, le commandant d'armes est une personnalité très importante : si c'est un mauvais coucheur, tout est empoisonné. Aux embêtements réglemîntaires de la métropole, il ajoute tes embêtements coloniaux : on n'en < fiche pas unedatte » de plus, mais tout le monde est grincheux, malcontent. Quand, au contraire, ce potentat est un bon diable et un brave homme, oh t alors, les règlements? on s'asseoit « dessus » tous en rond; la chasse et la sieste avant toutl Ou est heureUx, content ; on organise des parties pour tuer le lemps le plusgaiement possible. J'avais malheureusement


V. QUELQUES ".POSTES DIVERS HL

affaire à urt spécimen du genre rosse, voulant imposer à tous son autoritarisme mesquin et tracassicr : tous les chefs de service l'avaient daiis le nez !

Fossoyeurs et Congé. — Pour ma part, voici ce qu'il advint/Quand un décesse produisait dans la garnison, mon Commandant d armes avait pris l'habitude de commander directement, sans même m'en prévenir, quatre de mes infirmiers pour creuser la fosse et porter le corps. Ne courant pas après les conflits, je le laissais continuer cet u?3ge abusif, lorsque un jour j'eus besoin pour l'hôpital d'un ouvrier d'art : mon camarade du génie me te prête très volontiers et je. le"mets à l'ouvrage.

Lé Commandant d'armes le voit, s'informe, éclate, puis il lui fait au galop réintégrer son corps, faisant savjirau Chef du Génie « qu'il ne devait pas envoyer « d ouvrier sans son ordre à lui ».

I-'urieux de ce mauvais tour, je ne ratai pas au décès suivant de refuser mes quatre fossoyeurs : c'était de bonne guerre.

L'aflaire et» esta là ; je n'y songeais plus, quand il me prit la fantaisie d'aller, sans avertir le commandant, à une assez grande distancé (Brezina, 80 kil.) et d'y coucher. Je n'avais pas de malades sérieux, l'aide-major du bureau arabe était là, prévenu pour la visite du lendemain matin, donc rien à craindre. Cela m'était déjï arrivé, d'ailleurs, sans que personne ne s'en offusquât. Mais ce vieux sournois de commandant m'avait \ l'oeil.

Darc, dare, il rédigé son rapport au général: « Le « médecin-chef lâchant son hôpital [vide l) pour toute , « une nuit, sans prévenir personne (lui!)', quel scandale « et quel danger pour toute la garnison. » J'eus la douce satisfaction de me voir allonger i5 jours d'arrêts de rigueur. Vous pensez si je fus furieux et à juste titre contre mon vieux troubadour à 4 galons, et si j'attendis avec impatience l'occasion de lui rendre la pareille ; elle ne tarda pas et je lui fis bonne mesure, un peu trop même !

Tous les deux ans, il allait en congé de deux mois en


112 V. QUELQUES POSTKS DIVERS

France; mais, pour jouir de la solde entière, il lui fallait un certificat médical constatant une'vague anémie qui rétablissait dans la situation de congé de convalescence, avec solde.

Cela ne souffrait aucune difficulté, le règlement étant respecté, tout le monde acceptait Cela les yeux fermés, tantôt l'un, tantôt l'autre des officiers du Sud bénéficiant de cette faveur ; mon brave Commandant d'armes ne prévoyait donc nulle anicroche.

C'étaitàfin juillet qu'il avait projeté son départ. Quinze jours avant, il me fait do'ic demander son certificat. Tout d'abord,je lui réponds avec une excessive subordination de forme, que je me ferais un vrai plaUir de le lui établ'f, mais qu'il me fallait, au moins pour le principe, l'examiner;que j'étais à ses ordres, etc. Tout en me trouvant plus rigoriste que mon prédécesseur, il ne s'en émeut pas beaucoup, voyant mon bon vouloir, et s'y prête d'assez bonne grâce. C'était là que je l'attendais : ayant religieusement percuté et ausculté son anatomie, j'étais tout à fait autorisé à conclure à une excellente santé. C'est ce que je fis; après avoir eu soin de laisser traîner mon rapport quelques jours dans mes bureaux, je l'expédiai directement à la brigade \cn le prévenant), pour soi-disant gagner du temps.

Le commandant, ne sachant pas du tout que je concluais à sa parfaite santé, attendait bien tranquillement sa pièce; quelle ne fut pas sa stupeur quand, au lieu de cela, il reçut une lettre de la hrigadequi croyait à une erreur : « Vous demandez un congé de convalescence et « vous nous faites adresser un rapport de bonne sinté? « C'est idiot, voulez-vous un congé ordinaire 1 »

Ce pauvre commandant se précipite chez moi : * Im« possible de faire autrement, ma conscience... « Brouardel 1) ; je ne puis me déjuger brusquement... « dans un mois, possible..7 demandez un congé ordi* naire à mi-solde ou une contre-visite à Saîda. » L'argent de sa solde mi-perdu d'une part, le temps qui pressait de l'autre, it ne savait que résoudre Enfin, il se décida à la contré-visite. Mais le médecin de SafJa, qui avait eu vent de l'affaire, né voulut pas se compromettre


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.en" déclarant l'anémie (quand 15 jours plus tôt j'avais déclaré la parfaite santé), *ans en référer d'abord au médecin-directeur d'Oran, qui dut en parler au général de division. Enquêtes, correspondances, retour des pièces, tout cela prit six semaines !

Quand enfin mon Pamoltinot pu partir en convalescence après avoir été êchaudé par le général pour tout ce bruit fait autour d'une convalescence de Javeur qui aurait dû rester dans l'ombre, nous étions au 18 septembre et les vacances de ses enfants finissaient à la fin du mois ! C'était dur et j'eus du remords à cause des petits ; mais aussi, que diable! Je ne pouvais rester sa^s prendre ma revanche de mes t5 jours de chambrée ; on est rosse ou on ne l'est pas, et, chose plus sérieuse, il était bon de montrer qu'il faut, parfois, compter avec te médecin, ne pas trop le traiter en quantité négligeable. Mes amis de l'Intendance et du Génie, qu'il avait vexés à maintes reprises et auxquels il confiait ses doiésnces lamentables, s'en tenaient les côtes, vengés par la même occasion des tracasseries de ce despote au petit pied.

XV. — Quinze jours dans mes bottes

Une petite excursion de Tiaret à Ajîou, que je poussai jusqu'à Laghouat, duraune quinzaine, La nourriture était peu compliquée. Du pain emporté, du café, des conserves ; deux ou trois foisdes Arabes vinrent à l'étape offrir des moutons qu'on leur achetait 5 fr. l'un, ou des perdrix, 2 sous pièce. Ces jours-là on doublait la corvée de bois en ramassant des monceaux d'alfa, de fiente de chameau desséchée si l'alfa manquait, pour cuire le rôti et faire bombance.

Quant au couchage, il était tout à fait simplifié l quelques tentes seulement pour les sybarites, mais presque tout le monde couchait à l'air libre. Je choisissais ma place : si c'était sur du sable, j'égalisais avec le pied en formant Une vague cuvette centrale pour que le sol s'adaptât à mon coccyx ; puis, la tète sur la couverture ou sur ma selle, je m'allongeais, après avoir desserré d'un crai mon ceinturon t c'était là toute ma toilette de


lit V. QUELQUES POSTES DIVERS

nuit. Sur le terrain dur, j'enlevais les plus grosses pierres et je nie préparais une couche moelleuse (!) avec de l'alfa arraché dans le voisinage.

Au réveil, les soins de toilette étaient tout aussi rudimentaires : chacun resserrait sa sous-ventrière, s'étirait et s'ébrouait. S'il y avait de l'eau, un brin de nettoyage ; s'il n'y en avait pas, on remettait ses ablutions au lendemain. Les nuits étaient en général excellentes, sauf un petit frisson vers 3 heures du matin, au mînirtum thermal dû à l'écart considérable de température diurne et nocturne, écart allant parfois à 35°.

On ne se déchaussait même pas : sage précaution qui évitait l'invasion dans les jambes des araignées, scorpions, orvets et autres sales bêtes grouillant parfois dans les touffes d'alfa et les sables surchauffés. Aussi, quand, de retour à Tiaret, je fus acculé à la nécessité de sortir enfin de mes bottes que je n'avais pas quitté depuis quinze jours, j'eus un momentd'appréhension. Qu'étaient devenus mes pieds depuis si longtemps ? Allai's-je les retrouver souples et frais comme l'oeil ? — Frais, je n'y comptais pas : d'autant plus que je ne me rappelais plus si, au départ, j'avais mis des chaussettes... nationales ou russes. Excusez ce détail, mais dans le désert cet objet a si peu d'importance ! Assis sur le bord de ma couchette, mon tire-bottes à la main, je regardais le bout de mes tiges en hésitant : il me semblait que c'était mon propre tégument que j'allais dépouiller.

Je me hâte d'ajouter que mes extrémités étaient eh parfait état, sans le moindre gonflement ou écorchurc, et que j'avais encore au moins une chaussette et quart. Une bonne friction savonneuse, un shampoing métûtarsieh à la brosse dure et je mè sentis pousser des ailes.

Comme l'on s'habitue vite au luxe : le retour dans mon lit, dans mes pantoufles, après quinze jours d'existence à demi-sauvage, ne me causèrent, sUr le moment, aucun bien-être. Cela me paraissait presque du sybaritisme et de l'indécence de se déshabiller, mais j'avoue pourtant qu'une fois réinstallé dans le plumard de la civilisation, j'y trouvai quelque agrément,


V. QUELQUES POSTES DIVERS 115

Inutile d'ajouter que je profitai de mon retour pour changer de chemise — pendant que j'étais en train ; — c'était au surplus mon seul linge, n'usant jamais de caleçons, flanelles ou tout autre accessoire complicaiif. «Non, mais dire qu'il y a des gens qui changent de « faux col Une fois ou deux par semaine, me disaîs-je, « c'est incroyable I »"■''

XVI* — L'Ascite d'un Chef de grande tente

Avec les indigènes, nos rapports sont d'ordinaire très cordiaux et même sympathiques. L'indigène sent qu'il n'aura jamais rien à redouter du « toubibé »; que lui seul parmi les «c roumis » le guérira s'il est malade; qu'il ne sera jamais avec lui grossier ou autoritaire, comme parfois quelques officiers infatués de leur personne. Aussi, les Arabes riches ou ayant situation eh vue confient volontiers à nos soins, eux-mêmes, leurs femmes ou leurs enfants : je dois ajouter que, pour le paiement des honoraires, ils lont les choses très largement, se rendant compte du service rendu, et de façon telle qu'on est parfois obligé de refuser une rémunération trop forte : ce désagrément n'est pas à redouter en France, où les Artaxercès se font plutôt rares dans nos clientèles civiles!

Comme anecdote dans ce genre, je puis citer un chef de tribu, dont le douar était à i5 ou 20 kilomètres du col dé Guertoufa, dans les montagnes des Ouled ben Guedior, près Tiaret. 11 avait entendu parler du * toubibe de l'hôpital » et m'envoya un jour deux serviteurs avec un interprète. Celui-ci me remit devant eux un billet de 100 francs, en me priant d'aller voir le caïd le jour ou le lendemain 1 il me donna quelques détails complémentaires. Les deux Arabes, dont l'un tenait en main pour moi une superbe jument comme je n'ai jamais eu, depuis, l'occasion d'en voir en Algérie, avaient ordre d'attendre avec leurs bêtes mon bon plaisir. Un peu intrigué d'une part, pas fâche de l'autre de monter cette belle cavale à l'oeil de feu et aux formes d'une finesse incomparable, je partis le soir même.


11G \\ QUELQUES POSTES DIVERS

Quels chemins, bon.Dieu! Jamais, depuis la création du globe par le Père Eternel, il n'était venu à personne l'idée de passer par de tels éboulis de rochers. Il fallait escalader des rocs ou sauter des crevasses à chaque instant. Un des Arabes devant moi, me servait de guide ; tantôt son cheval bondissait par-dessUs un obstacle pu se laissait glisser assis sur son derrière, les pieds de devant bien arc-boutés et raidis, ceux de derrière repliés sous lui, dans des pentes où je n'eusse jamais osé me risquer. Et, sous moi, la jument du caïd faisait de même avec une précision, une.légèreté de reins et une sûreté de sabots dont j'étais émerveillé. Tout cil marchant, je ne pus m'empêcher d'en faire l'éloge au guide, qui me dit : « Oh ! le maître y tient ; il « faut que ce soit pour toi, car jamais aucun serviteur « ne la monte ; lui seul, quand il était fort..., » et l'oeil de ce serviteur, enorgueilli au début par l'éloge du cheval du maître, se voilait de tristesse à la pensée de sa maladie.

A mon arrivée, 2 ou 3 Arabes se précipitèrent à ma monture, l'un au mors, l'autre à l'étrier; mais bien inutilement, car, d'un bond, je suis à terre, la bride au bras, montrant que moi aussi j'étais un cavalier agile et entraîné, pas trop indigné de la monture royale qu'on m'avait envoyée.

Le fils du malade était là, au-devant de moi : il baisa silencieusement le bord de mon dolman et me fit signe de le suivre vers une tente spacieuse fort belle. Dans un angle, sur un amas de riches coussins, de tapis épais, le malade était couché et me salua. Un serviteur parlant un peu le français nous avait suivis ; je savais, d'ailleurs, suffisamment d'arabe « ad usum médicale» pour interroger le patient et fixer un diagnostic bien facile : ascite énorme nécessitant une ponction, immédiate pour ainsi dire, car il y avait bien de S à to litres de liquide apparent, Je fis comprendre de quoi il s'agissait. Lé caïd me dit : « Cela prolongera-t-il ma vie î* — « Oui. —. De combien r — Un ou deux mois au moins « et peut être bien plus. » Devant l'attitude résignée et noble de ce moribond, j'avais compris qu'il était bien


V. QUELQUES POSTES DIVERS 117

inutile de me livrer à des explications entortillées pour donner des espérances illusoires. « Méuiè (bien), dit le chef, en levant sa main droite, le regard au ciel, « fais « ce que tu dois, mon cheval retournera te chercher « demain. »

Vraiment, ces fatalistes de l'Orient ont, leurs grands chefs du moins, de la race et de l'allure — qui manque singulièrement parfois aux nôtres. J'étais jeune, vigoureux, instruit; ch bien, cet indigène si grand et si simple sur son lit de douleur; ce chef mourant autour duquel se pressaient en silence ses serviteurs attentifs et dévoués":— cela se voyait dans leurs regards — m'impressionnait profondément. Combien ma force physique et intellectuelle était peu de chose devant ce rayonnement d'une àmc sioïque, ayant la foi et la résignation.

Je fis l'opération le lendemain ; le malade soulagé semblait revenir à la vie ; mais au bout de 3 semaines une seconde ponction fut nécessaire, puis t5 jours après une troisième, et il mourut.

Chaque fois, les serviteurs vinrent me chercher, attristés, sachant que je ne pouvais que prolonger leur maître. La dernière fois que je L. ..», "comme j'examinais le travail très fin du plateau sur lequel on nous servait le traditionnel café : « Je té le ferai porter «demain », me dit-il. Je voulus refuser : « Non, « insista-t-il de la main, tu le garderas en souvenir dé « moi, je t'en prie, cela me fais plaisir. »

Je l'ai encore, et quand chez moi, à mon tour, je prends le café en famille sur ce plateau, j'ai la vision de la triste et noble figure de celui qui me le donna ; je revois cette partie de mon existence dans le désert, la solitude et l'espace, j'ai dispersé à tous les vents bien des souvenirs rapportes de pays étrangers ou étranges, mais celui-là, je le garde précieusement, c'est un merceau de mon passé... ...t.......................


VI Troupeaux et Commerce

Pendant que je parte du cheval arabe, avant de passer aux troupeaux proprement dits, moutons et chameaux, j'ajouterai quelques détails de moeurs sur cet animal : « La plus noble conquête de l'homme? » je n'en sais rien, mais à coup sûr plus utile pour ceux qui aimertt à déambuler au loin, en ménageant leurs jambes, dans les régions où le raihvay n'existe pas encore.

I. — Cheval arabe

Pour l'Arabe, Je cheval est un ami qui fait partie de la famille. Son importance a diminué, il est vrai, depuis que nous occupons l'Algérie, mais autrefois le cheval était tout, et les animaux de race pure (ou croisés barbe, syrien) étaient nombreux, soignés et recherchés.

Du temps d'AbJ-el-Kader, à l'époque des fantasias, des rencontres, des razzias, le cheval faisait partie intégrante de l'Arabe, il le complétait. Le chef monté sur un cheval plus rapide que l'adversaire était maître de son attaque, de sa retraite. Poursuivait-il un ennemi? sa bêté excellente le mettait bientôt à sa merci ; était-il lui-même poursuivi ? c'était encore elle dont ie jarret inlassable et rapide l'emportait hors d'atteinte. Que d'Arabes ont dû leur victoire ou leur salut aiix qualités de leurs montures 1 Aussi, choyé dans le douar, nourri de la main du maître et toujours sous ses yeux, le cheval de race était bien plus qu'un animal domestique, c'était la forcé et là sécurité du Chef,


VI TROUPEAUX ET COMMERCE 1^

On voit bien moins aujourd'hui de ces chevaux superbes et fins ; les aghas ou Arabes riches qui possèdent quelques beaux spécimens les gardent jalousement.

L'Arabe, quel qu'il soit, caïd ou simple goumier, aime son cheval; il lui parle, le caresse, le comprend, ne le maltraite jamais et obtient de lui quatre fois plus que ne pourrait le faire un Européen, Son cheval est son compagnon, couchant à ses côtés, mangeant dans sa main, buvant avec lut» supportant avec lui mêmes fatigues (et mêmes dangers jadis). Voyez au repos ce goumier et son cheval ; l'homme, dépenaillé, sordide, l'oeil morne, est couché à terré immobile ; à quelques pas de lui, sa bête, maigre, mal présentée, la tête basse, ja bride à terre, paraît exténuée, sans valeur, Mais que l'indigène monte en selle, prêt au départ : son oeil A lui s'allume, if se rédressé ; et son cheval, les naseaux palpitants, l'encolure en l'air, les reins courbés, est prêt à bondir. L'homme et l'animal sont transfigurés « en «action»!

Avoir entré les jambes une bête sûre et fine qui devine votre moindre geste, comprend la plus petite pression, c'est un rêve que seuls les cavaliers aimant leur monture et vivant avec elle peuvent comprendre et réaliser. Monter à cheval convenablement n'est qu'un acte physique, mécanique presque, à ta portée de tout le monde : mais s'entendre avec sa bête de façon à obtenir d'elle, à demi-mot pour ainsi dire, sans dépense de force inutile, le maximum de compréhension et d'effort, voilà ce qui fait le vrai cavalier. Que de fois ai»" je vu d'excellents sportmén se tenir fort bien en sellé mais éreintèr leur monture par des à-coups, des contradictions, dés allures intempestives ou ma} réglées :71*/ obtenaient cinquante à soixante kilomètres, tandis que l'Arabe le plus pouilleux sur sa maigre haridelle en obtiendra le double sans fatigue. Mais lui Comprend sa bête, est compris d'elle, ils ne font qu'un poUr ainsi dire.

L'Arabe ne trotte jamais : son allure ordinaire est un pas allongé ou un galop spécial auquel on s'habitue fort bien. Sa m°hture a d'ailleurs les reins plus courts et les foulées moins développées que nos chevaux français.


130 VI. TROlPiUUX Rt COMMERCE

On peut tout obtenir d'un cheval dont on est sûr et que l'on a « adapté » à soi-même. Je me rappelle qu'un jour» étant aide-major au* sapeurs-pompiers de Paris, j'eus, pour atteindre un centre d'incendie, à traverser une foule de badauds de 40 à 5o mètres d'épaisseur, Le poitrail de mon cheval, poussé régulièrement et docilement dans cette marée humaine, en vint à bout sans peine, sans risques, car j'étais sûr que ma bête ne se laisserait aller à aucune frayeur, aucune ruade, occupée simplement d'obéir à ma volonté, j'allais presque dire ù mon désir.

Dans une autre occasion, quelques années après la Commune, je passais en petite tenue et à cheval au faubourg Saint-Antoine, quand un ouvrier m'insulte du trottoir : « En voilà encore un de ces sales Versail« leux...,descends donc, fainéant! » Je ne descendis pas, mais sûr de ma bête, je la fais appuyer en un clin d'oeil sur le trottoir aux côtés de mon homme que j'empoigne solidement par le collet, puis je rends la main, avec un peu d'épçron, pour quelques foulées au trot, emportant à bout de bras mon adversaire tout blême : « Eh bien, dis-je à mon drôle^ sans le quitter « en*core, veux-tu un temps de galop pour l'apprendre « la politesse? » Je le lâchai, tellement pâle et tremblant, qu'il s'affaissa sur la chaussée !

Avec un cheval qui n'eût pas « fait partie de motmême » je n'aurais pu me permettre ce coup d'audace sans risquer un accident trop grave.

J'eus bien, je l'avoue, quelques avanies, mats elles provenaient surtout de mon fait. En France, ma jumenti bondissant un jour par-dessus le parapet de l'écluse en construction à Sùresnes, me jeta dans la Seine ; c'était sans doute un coup d'éperon hors côté, une inattention à regarder pointer se's oreilles. Nous regagnâmes la berge à là nage, chacun de notre côté. Ahurie, ma bête me laissa réintégrer vivement la selle sans discussion, pour regagner au triple fealop le mont Valérien et changer de linge, moi du moins 1

Je reçus, une autre fois, un coup de sabot 5 mais


VI. TROUPEAUX ET COMMERCE 131

j'avais approché de mon cheval sans lut parler d'avance. Il parut, d'ailleurs, regretter infiniment ce mauvais mouvement, car, en prenant le sucre ou le pain que j'apportais, son ceil amical me disait : « Mais c'était « donc toi ? Que je regrette 1 ».Comme quoi le tout, cheval et cavalier, c'est de bien s'entendre pour faire bon ménage.

En Algérie, c'est une chose importante que d'être bon cavalier, habile et d'endurance : les Arabes vous ont alors tout de suite en considération. Je me rappelle les avanies d'un pauvre collègue qui pesait 200 livres, frais, rose, gras et dodu à l'avenant. Ce pauvre ami ! 10 kilomètres à faire, la vue seule d'un cheval arabe sellé à son intention, lui donnait la courante; Aussi les indigènes l'appelaient « troubide-moukère, médecin-femme. ». C'est aussi qu'il avait les... joues d'un tendre; un jour qu'il me les montrait chastement en me priant de vérifier les dégâts et de le vasilincr (à l'opoponax), je me mis à l'oeuvre avec courage. Mais au bout d'une demiheure de travail et d'une livre de marchandise usée : « Non. non, mon vieux, h * dis-je, il y en a trop, je te «ferai le reste demain ! »

Le cheval, en Algérie, est naturellement la monture

ordinaire; pourtant il y a le mulet, sur lequel on peut

aller à deux, en cacolct. C'est une monture bien lente,

fatiguant plus que le cheval et d'une monotonie écra"

écra" ■

' On ne va guère à chameau, sauf les femmes pour être transportées. Celte monture ne se généralise que plus au Sud encore, là où le cheval ne peut plus exister et est remplacé par le méhari. Le chameau vous secoue épouvantablement ; il faut être sanglé ferme, du bas ventre aux aisselles, pour ne pas avoir tous ses organes intérieurs décrochés. De plus, pas de régularité dans les réactions comme sur le cheval ; on est soulevé en tous sens et en tournoyant légèrement. Au résumé c'est un moyen de locomotion peu agréable ; par exemple pour la vitesse c'est incroyable. Un méhari bien monté, avec son; trot allongé et ses embardées formidables, dépasse


liîi VI. TROUPEAUX ET COMMERCE

enunclin-d'ceil un cheval mêmeaugalop. H peut fournir 100 à lao kilomètres dans sa journée, sans s'arrêter presque, sans boire, et recommencer le lendemain 1

Entre le méhari haut, fin, allongé, et le chameau ordinaire de bât, il y a autant de différence qu'entre le cheval 4e course et le robuste timonier pour la vitesse.

II, Troupeaux do moutons et chameaux

Les troupeaux forment la richesse des tribus, des douars et des Arabes de marque ; certains d'entre eux possèdent jusqu'à 20.000 ou 40.000 moutons et plusieurs milliers de chameaux. Or. 40,000 moutons, à 5 francs l'un font 820.000 francs, et 2.000 chameaux à 3oo francs font 600.000 francs, sommes qui constituent là-bas une richesse de nabab. Certains chefs possèdent davantage.

Ces troupeaux, disséminés par groupes de 1.006 à 5.000 têtes pour les moutons et de 5oo à j.000 pour les chameaux, paissent dans les plaines immenses du Sud, se transportant, selon les saisons et la végétation, d'un point à un autre. Us sont d'ailleurs très peu exigeants sur le chapitre de la nourriture et la boisson.

Il n'est pas rare de les rencontrer en longues files, formant ainsi un effectif auprès duquel nos troupeaux de France ne sont que dès escouades; les petits agneaux naissent dans la plaine et suivent la mère. Les petits chameaux, à peine au monde, gambadent autour de là leur, avec leur bosse encore molle penchant de côté, ce qui leur donne Un air ridicule de caricature des adultes. Tout cela va, vient, se mêle et se retrouve toujours. Quelques kramès (serviteurs à pied ou à cheval) suffisent pour la conduite et la garde de ces énormes troupeaux, qui, autrefois, étaient l'objectif de radias, devenues de plus en plus rares de nos jours. Pourtant, ces légers incidents se reproduisent encore de temps en temps à l'extrême Sud, mais en petit : ils affectent plutôt les allures du vol par surprise que du vol à main armée,

Chaque tribu a son territoire de parcours : quand un troupeau emprunte té parcours d'une autre tribu, il lui paie, en bétail, une redevance à l'amiable.


VI. TRQL'l'KAl'X ET COMMERCE 1W

III. Caravanes

On eppelle ainsi des troupes de chameaux adultes, chargés, transportant des marchandises d'un point à un autre; en général du centre saharien ou soudanais à la périphérie maritime et inversement Un exemple le fera comprendre de suite: une caravane de chameaux se rendant de Kano (Afrique centrale) à Tripoli, comprenait 1.220 chameaurchargés chacun de 200 kilos ainsi composés :

1.000 charges de peaux et cuirs du Soudan. 200 — de plumes d'autruche. 20 — d'ivoire,

et en plus, sur porteurs, de la poudre d'or provenant des nègres du Soudan. Ces charges produisirent à Tripoli :

Les peaux et cuirs,,,..,...,.,.,. 900.000 ftv Les plumes d'autruche....,,,.., COO.00O

L'ivoire,...,..,.,...,.,,,,....,.. 50.000 —

La poudre d'or.................. CO.000—

soit 1.610.000 francs, d'où à défalquer 164.700 francs pour frais de transport (soit environ 6a5 francs par tonne), plus les pertes.

Le voyage dura onze mois, dont trois mois d'arrêt à 7Ander (latitude du lac Tchad), un mois à A xr (Agadès), un mois à Ghal (extrême sud de la Tripolitaine). Pendant certaines parties du parcours, le convoi dût être escorté, pour éviter les Touaregs pillards. Le nombre des guides, conducteurs, nègres, fusils, était de ?oo personnes environ à cheval ou à pied.

Dans l'hiver 1905-1906, quatre caravanes ont visité les oasis du Gourara et du Touat. Deux ont été formées par le cercle de Géryville, une par l'annexe d'Aïn-Sefra, une par le cercle de Mécheria. Le mouvement s'est effectué des premiers jours de décembre 1905 aux derniers jours dé janvier 1906.

La plus importrnte de ces caravanes a été celle de Mécheria, qui comprenait 568 hommes, io5 femmes, 5i enfantsj 25 chevaux et 3.099 chameaux; Elle empor-


1H VJ. TROUPEAUX KT COMMERCE

tait des moutons, du blé, de l'orge, des fèves, de l'huile, de la graisse, des toisons de laine, des pois chiches, du poivre, de la viande sèçhée^ des bougies, du savon, du sucre, du thé, du café, du fromage. Elle est revenue avec un chargement de dattes ; le bénéfice réalisé, déduction faite des pertes et de la nourriture des animaux, s'est élevé à 190.165 francs, soit 61 fr. par chameau.

Bien entendu, sur un effectif de chameaux aussi considérable, quelques-uns succombent : on répartit la charge sur les autres. D'autres, parfois, mettent bas ; on les soulage autant que possible et les nouveau-nés suivent gaillardement, pêle-mêle avec les mamans-chamelles, dans la colonne qui s'allonge sur 4 à 5 kilomètres de longueur et 800 à 1.2000 mètres de front, pour que les bêies puissent brouter tout en marchant. Le scir, la caravane s'arrête, les chameaux s'agenouillent et on les décharge jusqu'au lendemain malin où l'on procède au rechargement pour le départ.

Dés moutons, des chèvrest des chiens accompagnent les grosses caravanes dont le départ se fait pompeusement et à époques fixes, organisées longtemps à l'avance, Elles emmènent aussi parfois quelques négrillons ou nêgrillones pour être négociées dans la Tripolitaineoù les enfants se vendent bien plus facilement que les adultes qui n'y ont plus grande valeur depuis quelques années.

IV. Commerce

Depuis l'occupation de l'Algérie et surtout la suppression Jes esclaves nègres, le commerce du Sahara a bien déchu de son importance ; le « bois d'ébène » est supprimé et l'ivoire se fait rare! Autrefois les caravanes suivaient les grandes lignes : Ouest-Maroc à Est Tripoli etSUdrlac Tchad (Zinder, Tombouctou, Adrar), à NordAlger, avec des points dé croisements dans le Tidikelt, à Timàssanine. Aujourd'hui toutes les caravanes du Sud vont directement à Tripoli ; quelques-unes, seulement, rares, se dirigent sur le Touât ou au Maroc, mais en se tenant d'habitude en dehors de nos pos'tes du Sud,


VI. TROUPEAUX ET COMMERCE 12.1

Ces caravanesi apportaient à Alger, âTunis, les ivoires, . cuirs et peaux du Soudan, les plumes d'autruche, huile de palme, caoutchouc, gommes, arachides de la Guinée, ivoire du bassin de la rive gauche du. Niger, poudre d'or, étoffes, orfèvrerie indigène cl •'claves. La suppression de la traite des nègres sur mer leur avait donné une intensité considérable à l'époque de notre conquête algérienne, mais nous n'avons guère su en profiter. Comme toujours, avec des considérations humanitaires superbes en théorie, mais piteuses en pratique, nous avons tué la poule aux oeufs d'or et fait que l'Algérie au lieu de rapporter des sommes folles à la métropole, lui en a coûté et lui en coûte d'énormes chaque année. Toutes ces denrées (énoncées plus haut) qui venaient par Alger et que nous pouvions revendre à Marseille, à Paris, viennent maintenant par Londres qui nous les fournit.

Quand je lis dans les rapports des gouverneurs que, grâce à eux, la prospérité dé l'Algérie est épatante, mes boutons de bretelles en sautent tout seuls. Pas n'est besoin d'être grand clerc pour savoir que du temps des Romains, l'Algérie était leur grenier d'abondance ; que plus tardv les deys d'Alger s'enrichissaient du trafic des caravanes. Aujourd'hui abondance et caravanes ont disparu, et c'est la métropole qui paie grassement les deys actuels (gouverneurs 1) d'Algérie. Les beaux discours ne remplacent pas les belles marchandises. La richesse fondamentale du continent noir, c'est moins 'l'ivoire, (richesse passagère) et limitée par la disparition de l'éléphant, ou l'or, (richesse rare), que les productions végétales du sol, richesse permanente, indestructible, perfectible par ta culture et que l'industrie peut indéfinitivement multiplier. Telles sont les nombreuses plantes à latex coagulable, qui donnent le caoutchouc ; VeLvis où palmier à huile, qui fournit la matière première des savons de Marseille ; la gomme copal; le coton, dont la culture, développée dans les colonies françaises, serait une sauvegarde pour notre industrie textile nationale; le caféier ; le cacaoiér', l'arbre à gutta, dont l'importation en Afrique n'a point encore été tentée, que je


136 VI, TROUPEAUX ET COMMERCE

sache, mais qui présente un intérêt considérable en présence du développement croissant de l'industrie électrique ; les plantes médicamenteuses, etc.

Mais ne nous égarons pas dans les hautes sphères du trafic antique ou international (il y aurait trop à dire), et n'oublions pas —- je parle pour moi W-.quc la modestie sied a l'ignorance. Pourtant, pendant que je suis en train de vous entonner mes impressions, un mot sur le commerce des moutons d'Algérie qui m'amènera à vous dire une chose renversante ; c'est que les routes sont nuisibles dans les hauts plateaux et les agents-voyers encore plus ! ..-— Prenez vite le fil de mon raisonnement et ne le lâchez pas : s'il y a des routes, on exige naturellement que les.'rnilliers' de moutons qui viennent (ou plutôt qui venaient) des hauts plateaux, pâturages immenses, au littoral pour 1exportation, les suivent. Alôrsj ne pouvant manger ni à droite, ni à gauche, ils subissent une mortalité, déchet considérable augmentant énormément le prix moyen de revient. Autrefois, quand il n'y avait pas de route, ils suivaient des directions de parcours, passant là où J'herbe était la meilleure et payant une légère redevance aux tribus qu'ils traversaient, mais sans perdre dç bêtes presque. L'ancien système qui amenait 85o moutons gras sur i.ooo à la côte était donc meilleur que les routes qui n'en amènent que 600 en"-mauvais état : en voulant perfectionner et faire des routes pour eux on est arrryè, à ce résultât magnifique qu'un mouton d'Algérie revient à la Villette plus cher qu'un mouton de l'Ukraine, d'où baisse dé l'exportation algérienne au profit de l'étranger; Voilà où aboutit notre excellente administration refusant toujours de parti-pris Lopin ion des gens pratiques, du mé!ieri pour suivre l'avis de ses rorids-de-cuirs hiérarchiques. Que d'exemples on pourrait donner dans ce sens, montrant combien certains règlements bu habitudes de la métropole, adaptés de force aux colonies, ont abouti à des reculs (au lieu de progrès), tout en coûtant fort cher d'application;

Mais revenons -V mes malades que cette longue


VI. TROUPEAUX ET COMMERCE 127

échappée sur les caravanes et le commerce m'a fait abandonner. J'ai raconté l'ascite de mon caïd : j'eus à intervenir auprès des indigènes dans bien d'autres cas naturellement : fractures, accouchements, blessures diverses, diathè>es (syphilitique surtout). Cela donnait lieu à des incidents tantôt sérieux, tantôt grotesques.

Ainsi, un jour, un conseiller municipal arabe m'inviteà diner, je ne savais pas du tout pour quel motif. Je ne l'appris qu'au dessert, intrigué d'avoir vu pendant toutle repas sesdeux femmes —il n'enavait que deux — me couvrir les mains de baisers et de regards éperdus de reconnaissance. C'était pour fêter la guérison d'une des facultés les plus précieuses du maître, condamnée depuis longtemps (pour cause d'avaries) au repos absolu. Ces dames avaient tenu à servir à table le toubibc guérisseur, en guise de gratitude pour une restauration si utile et si agréable. Mon hôte, avec un petit air à la fois modeste et vainqueur, savourait avec volupté ce retour ad usum normale,

y. La négresse du Cadi

Une autre fois, j'avais été appelé par un grand personnage, le cadi (juge de paix) auprès d'un de ses enfants dont l'avant-bras était cassé. La mère, sa femme préférée, ayant demandé le « toubibe» français, il avait cédé. Cas très simple, fracture de l'humérus, appareil silicate et guérison complète en un mois. Cet arabe s'était peu à peu familiarisé avec moi et nous causions comme une paire d'amis à chaque visite, en buvant à petites gorgées le délicieux café servi par l'une ou l'autre de ses femme-. Un jour, ce fût par une superbe négresse que je n'avais pis encore vu. Je lui en fis mon compliment : s Oui, répondit-il c'est ma 4e femme : elle « te plaît ? je a l'enverrai ce soir ». Connaissant imparfaitement la langue arabe, je crus avoir mal compris, ou qu'il s'était mal expliqué, et je me retirai sans plus y songer.

Quel fut mon étonnèméht en rentrant du cercle à 10 heures du soir, de voir, devant ma porte, accroupie


1ÇS VI.'...TROUPEAUX ET■ COMMERCE '

sur mon paillasson d'alfa, cette jeune négresse accompagnée d'une horrible mégère. Je voulus les renvoyer, impossible : la vieille dans son jargon avec... gestes, me fit comprendre que ce serait insulter le cadi, et qu'elle même recevrait une de ces tripotées qui zèbrent le dos d'une femme ! Bref, elle poussa la jeune dans mon atrium et se recoucha au travers de la porte,

Qu'est-ce que vous auriez fait, vous ?.-..-. Moi aussi ; et, tout en ne comprenant pas très bien l'incident, ma foi, advienne que pourra, j'acceptai la situation, pas fâché du tout de voir si cette belle négresse faisait le... café aussi bien chez moi que chez son maître. J'tn fus enchanté, et j'oserais dire qu'elle aussi fut enthousiasmée de la réserve — c'est bien le mot 1 — dont (ou plutôt que) j'usai à son égard.

La vieille était restée toute la nuit s.tr le paillasson ; mais le comble, c'est que lorsque mon ordonnance s'amena Je matin pour me réveiller, elle l'en.., leva en arabe de si rauque façon qu'il dut s'enfuir devant ses vieux crocs menaçants, absolument ahuri et ne sachant si elle voulait le mordre ou l'embrasser, éventualités également redoutables ! Jetais trop occupé pour intervenir 1

Vers les 7 heures, je lui restituai sa petite pensionnaire couleur de suie, qui me quitta avec un bon regard humide — et un gros soupir — elle ne savait que le nègre, mais elle appréciait joliment le,.. Français !

J'eus l'expHcalion, comme toujours, après coup. Ce bon cadi n'avaitdroit, d'après le Coran qu'à trois femmes arabes de suite. Pour pouvoir en épouser encore une autre, il lui fallait intercaler une négresse constituant un n° 4, honoraire (car il ne s'en servait presque pas, les Arabes méprisant la race nègre,) mais qui lui permettait d'épouser ûh n° 5, la préférée, la mère de l'enfant soigné. C'est un peu compliqué cela, mais dame vous savez, toutes les religions ont des arcanes.

En allant chez mon cadi, après la visite d'hôpital, j'étais légèrement inquiet. Comment ça allait-il se passer? Ça se passa très bien ; il sourit de suite en me voyant : « Es-tu content d'Aîcha ? — Mais oui, beau-


'VI, TROUPEAUX KT COMMBRCIi 129

«coup. ■— Je sais : si tu la veux encore, fais-moi le « dire, jeté l'enverrai. » Vous voudriez bien savoir si je ja « revoulus? » Curieux, je ne vous dirai rien. Sachez seulement que je tins très haut sinon le drapeau médical français du moins la hampe. Et puis il faut être modeste, comme le carabinier italien à confesse : « Alors « vous avez péché cette nuit, mio figlio, lui disait le « padre. — Oui, mon père, — Combien de fois ? .— « Oh 1 s'çcria le vertueux cavalier indigné, je ne suis « pas ici pour me vanter 1 »

Je sus d'aillet t .reconnaître le procédé délicat du cadi, en lui faisant cadeau d'un réveil-matin à'4 25, qu'il avait admiré chez moi, et qui marchait admirablement — tout aussi bien que sa négresse. Quand « moutchachous et moukèrcs— enfants, femmes » étaient sages, papa cadi leur faisait marcher la sonnerie, au remontage . de laquelle lui seul était initié. ;.

La vieille sorcière, elle, eut comme jeton de présence

son douro (5 fr.) qui la fit se répandre en bénédictions

. à mon égard : la jeune eut,. .mais cela ne vous regarde

pas, sachez seulement qu'en ceite affaire tout le monde

fut satisfait,

Vous allez sans doute vous porter en souteneur — de la morale — et m'agonir de vitupérations? Bast 1 la morale change joliment selon la latitude et la couleur de la peau ; et puis, je voudrais vous y voir, disciples de < Bérenger ! A ma place, vous ne vous se'nez peut-être pas fendu du réveil (le réveil-matin, pas le Réveil médical), ni des « ter quaterque repetita placent ». Cela vous offusquera sans doute aussi que ce soit la vieille qui ait touché la forte somme (comme le'Dr Doyen J) tandis que c'était la jeune qui... « faisait mon café? » Rien de plus naturel aux pays primitifs : les jeunes touchent en nature, les vieilles en espèces dans les transactions commerciales et je'vous assure que toutes ces mégères édentées aimeraient encore joliment mieux travailler sjans honoraires que d'être honorées sans travail : mais vous me faites raconter dés choses.....

Et dire qu'en France, quand on laisse tomber son oeil sur l'amie d'un ami, cet animal-là, s'il s'en aperçoit


130 VI. TROUPEAUX Et COMMERCE

le ramasse avec arrogance en vous disant ! << Espèce de ço.„léoptère, ne louche donc pas sous les clôtures de ma propriété. » Il se fâche tout jaune ; « Muçh ado about nothingl» En 'voilà des idées d'une étroïtesse... et ça se dit socialiste, ces acçapareurs-là I Je vous raconterais bien encore une autre histoire pour vous prouver combien ma conduite fut correcte et conforme aux Usages locaux, mais elle est un peu raide. Je vous sais si délicats, si chastes d'oreilles, que,,, en tous cas, je vais; mettre de la tarlatane aseptisée autour de mon récit, sans exagérer toutefois, car une narration trop épuréç (4df usum delphitif) ça né serait plus des mémoires» J'en supprime déjà pas mal, allez, je vous jure ; s'il fallait tout dire, une roséole rétrospective marbrerait à 20 ans de distancé, mon front plus éprouvé : que virginal I

Si, dans le récit qui suit, les situations roht risquées, excuséz-le à cause des réflexions fortes qu'il comporte. A ceux qui ne voudraient n'y voir que hr côté niatérialiste, je dis d'avance : « Non lege àmicùs, qûoeso. »

yti — Les oiflq Moûkères

Cette fois-ci, ce ne fut pas de négresses, mais de fémjnes arabes dont il s'agit, Je déambulais de Kràl~ fallah à GéryvUle, je ne sais plus pourquoi (en passant par El May, SJisïffà et IÇreneg-ël-A^ir),monté sur un excellent petit cheval àrâbé dont les fines jambes nie faisaient pareoùrif en 2 pu 3 étapes ces j80 kiîomêtres, Un seul sphahi m'accompagnait^ comme gg^ chemins n'existent pas dans ces et indigèries se dirigent d'un pas sûr, mçniè quand le siroco a effacé jusqu'à là tracé de Cla piste. Oh, ce sicOrp l Quand| il souffle brûlant du Sud; soulevant dés tourbillons de sable fin et pénétrant dont neïy né peut nous garantir, qui traversent lés étoffes les plus serrées, quelle misère : l'on en mèrie pas large. ;;

Que vous dire dé la monotonie de retape ? Tous ceux qui ont parcouru lé ^ Siïd-Ôràfîàis » là connaissent ;


VI. TROUPEAUX ET COMMERCE Mi

du sable et de l'alfa pendant des kilomètres et des kilomètres ; un silence à peine troublé par un gibier qui filç ; un horizon où rien ne se profile à perte de vue que la crête montagneuse à des centaines de kilomètres. Le soleil ardait, aveuglant, sur nos ciboulots et nous marchions sans un mot, sans un geste, la pensée vide, le corps rythmé à l'allure de nos bêtes, pensifs et auto■■ mates,-; ■; ■ -':;:-";'

Nous avions dépassé Foum^el-Maï, et une ou deux heures de repos auraient été les bienvenues, quand mon spahi, apercevant quelque chose d'imprécis sûr la gauche, me fit obliquer avec ce mot : « Elma — de l'eau ! » En effet, après 20 minutes de marche dans cette direction, le terrain s'abaissait ; nous étions dans un creux rempli de roseaux élevés et frais qu'on n'eut pas soupçonné à 200 mètres 1

On desserre les chevaux, je m'installe et j'allais, sur le dos, me livrer à un brin de sieste réconfortante, quand mon guide, assis presque au bord de la crête et qui semblait surveiller l'horizon, s'agita singulièrement : « Quoi donc, lui criai-je? — Moûkères, des femmes! > je regarde, je vois au diable 4 à 5 petits points noirs qui semblaient se rapprocher. Nous attendons immobiles : peu à peu l'on distingue lé costume, la démarche. Venant du côté opposé au nôtre, elles n'avaient pu apercevoir nos traces; elles arrivaient confiante?, en riant et en s'interpellant, remplir leurs peaux de bouc. La corvée d'eau, quoi I faite par quatre jouvencelles sous |a conduite d'une vieille, comme toujours, Quand elles nous aperçurent subitement, à deux pas, quatre jolis cris instantanés d'effroi, accompagnés d'Un affreux gloUssemént : — le gloussement, c'était |a vieille l

Par St, Priapé, je restais digne et raide ~ raide surtout s mais lé spahi d'un signe éloquent arrêta leur fuite qui : se dessillait déjà, eh me criant : « Einçhi-va ! » D'une main il mç désignait les cinq moukèrès, tandis que de l'autre, :if retenait les chevaux effrayés. Je compris et je bondis sur la plus proche en la renversant... Satisfait mais hon repu, j'appelle d'un geste (non bis in


132 VI; TROUPEAUX ET COMMERCE ;

idem'i puisque j'avais le choix) une seconde fort jolie,

qui vient, demi-craintive avec ses doux yeux de gazelle

numides et interrogateurs; se courber sous mon soufflé

..''brûlant,.:;:,.-:;"',. .". ,"...'.' ;. •.'..'.; ;-";:/•> \>Y/ .,'';:.;.,.':■_,..;.:

Quelle sauvage et bestiale étreinte ! Pendant quelques secondes ce fût eri moi le vertige absolu du mâle, d'une intensité telle qu'il me sembla que ma vie toute entière me quittait violemment en un jet suprême de volupté dans cette chair aspirante. Tel Un fauve affamé, la griffe largement posée sur sa proie pantelante, je ne me connaissais plus : on m'aurait tué sans mc faire lâcher prise, En vain, je voyais les veines du cou de nion spahi se gonfler, j'entendais ses dents grincer, je devinais ses doigts enfiévrés tourmentant le manche de son coutelas, je ne bougeais pas.., Peut-être, en un clin d'ceîl, un drame, que les psychologues eussent vraiment cherché à comprendre allait-il jaillir entre moi et cet Arabe, affolé, lui aussi, de folie géhésique inassouvie, rugissant, ramassé sur ses jambes cotiime un tigre pour bondir sur sa part dé femelles, en lâchant les chevaux, — quand, r revenant à moij je fis signé à mes victimes d'aller lé trouver. Dès qu'elles furent à sa portée, il abattît l'une d'elles à ses pieds, sans lâcher l'autre» et cuique

StiaSIi ,-'.■;,'"..:.',;: y . ,'.-...■"»-'■'*.-.'.*-.";.'i':-;.:'.',, .1 -: ■',

Les philosophes rassis, les cartons-verts neutralisés avec leurs muscles grêles, leur scrotum à la peau flasque, peuvent maîtriser leur sens, eux s ils clameront contre ma volonté d'homme intelligent sombrant sous la bes* "tialitêd'un fût intensif, tant pis l Ils lie peuvent Sentir : ces acres effluves d'une virilité îrrùcrïlc 4ûi briserait tout, devant laquelle il n'y a plus ni obstacle (physique ':■'. ou moral) ni lois, ni barrières, ni dangers. Quel abîmé ■ entré ces bureaucrates éteilits qui retirent leur mouillette épuisée du coquetier conjugal par crainte de fécôn* dation, en se contentant d'une jouissance incomplète» réfrénée, -^ et ce fîls du désert aux lèvres retroussées» à l'oeil sanglant, étalon puissant) indomptable et indompté? La faim, la èôif, la solitude, la continence vous font


v Vf. TROUPEAUX BT COMMERCE 133

vite oublier les vingt Siècles de civilisation accumulées dans les Veines. Sous un souffle de femelle, l'homme civilisé, le contemporain de Descartes qui pense, de Carpéaux, qui sculpte, de Berlioz qui compose, s*efface... et c'est descendant des ancêtres velus et couverts des peaux saignantes de l'âge de pierre qui reparait 1 Comme mon spahi, moi aussi je fus urie brute, dans lé sens ignoble — et superbe — du mot; mais des brutes comme nous, il en faut pour foncer de l'avant, pour préparer l'avenir en tuant ou en se f?:sânt tuer ï; « Le « sàrtg d'abord, le travail après fécondent le sol. » E!t que m'importe la neige qui commence â poudrer ma chevelure?... J'ai vibré, j'ai vécu en cette étreinte du mâle broyant la chair femelle dans un spasme de volupté '"féroce et folle.!;',:';. ;'."■.:>■•'.. ^'v-;' -;:--w':':

Que vous dirai-jè? Une 3* môukèrè m'apitoya aussi : «numéro deùs impare gattdet » ; quand au n° 4, elle était vraiment trop délabrée, j'en abandonnai l'usufruit. 0 Mahomet l du haut du paradis où tort turban hous contemplé, tu dus être content de .cet ardent toubibe fourni, fils de roumi 1 Maïs, faut-il l'avouer, mon Arabe

'fit mieux encore, car sur les quatre autels il fit quatre prières, et s'il respecta celui de la vieille ce fût par pur hasard. « Va; viclis I », elle seule échappa aux derniers outrages, ainsi nommée sans doute parce qu'ils sont toujours suivis de plusieurs autres j car tes victimes en général, loin de se plaindre, préfèrent la récidive à

"répression.'..;;...

Et toi, Ô Diane 1 toi qui surprise au bain par Actêon changea ce pauvre jeune homniê en cerf, plutôt que de lui laisser toucher seuténlént au dividende de ton capital intact, à déesse immaculée, voile ta chaste poire ;

Jornicaré huinanum est, — Et vous Ménard, et vous Bérahger,pàrdonnéz-moL.. « Lugetècwes ».

Repu, soulagé, vibrant encore d'une délicieuse lassi* tudé, j'allais avant de remonter en sellé, prendre mon porie-monnaic -^ il faut toujours récompenser la vertu -^ pouf indemniser, par quelques doufôs, chacune dé


134 VI. TROUPEAUX ET COMMERCÉ

ces jeunes bonnes volontés, quand le spahi intervint respectueusement (la discipline avait repris ses droits), poUr saisir mûn côffre-fort portatif, Il en extirpa un doUro seulement (5 fr.) qu'il donna À la vieille en lui causant avec volubilité : je sus plus tard qu'il s'assurait de son silence, car pour celui des jeunes il en était certain ! Très pratiqué ce gaillafd-lâ : une fois de plus je me félicitai d'accepter, sans même lés comprendre, les usages locaux.

Je vous entends hurler d'ici ! « Sale polygame, ce < n'était pas un seul petit cochon mais une portée toute ,.«' entière qui sommeillait en ton cceuf...» Que voulez* Vous 1 Une fois par hasard, on peut-être « Eptcuride grege porcum I » Je n'affecterai pas d'hypocrites regrets, non 1 Les mémoires sont des confessions, toute existence comporte des bonnes et des mauvaises actions : pour la mienne la somme des premières remporté, je pense { car si j'ai personnellement et darts ma vie privée, cédé à mes passion^ je n'ai jamais dans ma vie publique ou professionnelle transigé avec mes devoirs, Dieu /'merci 1;.:;.'''' :■-; :/ :;■.:;■. Vv>'

; Je repassai aumême endroit un an plus .tard i eh revoyant cette place exacte toujours immuable sôus le ciel toujours torfide, je devins soueieuxj et, pour fn'arracher à l'ardente souvenance, j'enfonçai d'instinct l'éperon au ventre de mou cheval qui partit au galop. Les rayons solaires ardaient* mes sens aussi, mais où sont-elles lés gracieuses aimées ?

Comme moi, le temps les a touché de ses morsures, mes douces gazelles aux grands yeux noirs, à la nuque dorée sous le soleil du désert ; niais comme moi» je suis sûr, elles ont gardé le souvenir de l'ineffable et brûlante empreinte. Leur terrible secret, inconnu au Maître qui possède leur chair, mourra dans leur coeur. Mais là-bas, bien loin, sous la tenté, Une douce.enfant aux yeux bleus, ou un jeune homme au teint clair à-t-ll grandi, vivant souvenir dé l'Iïpmme du Nord passé dans un fèves auquel, silencieuse et ridée, la mère sourit avec mélancolie ?... je ne le saurai pasl L'amour, là folie, là jeunesse, j'ai semé tout cela à pleine volée aux quatre


V^^ 135

coins du globe, quels germes;ont levé ? Cruelle énigme, pages de nia yie que je ne relirai jamais plus, . s ;.

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..; Nous terminâmes l'étape sans autres incidents, un peu mollement il est vrai, ;«' càpul thortuum* eût dit Ci* eéron. Mais je m'aperçois que je vous ouvre les fenêtres dé mon existence privée toutes grandes ; revenons aux choses sérieuses, et laissez-moi remonter à pic là pente de votre estime par quelques aperçus bien sentis sur lès minéraux, animaux et végétaux du pays.


Minéraux, Flore, Faune

:';.'.;-',\ ■ I, Minéraux'. ;.'.

Les minéraux, je vous l'avoue, ne m'intéressaient pas énormément : mais tout de même, pour éviter l'accusation de ne pas avoir seulement regardé sur quel sol je posais le pied, je vous en toucherai Un petit mot,

1° Sable, inutile d'en parler longuement, il y en a ,\r-ut. des espaces infinis, des milliers de kilomètres, Pi" que l'or et l'argent, ij .formédés mines inépuisables; Il se présehte, en général, sous l'aspect d'une pulvêrencé extrême, d'une sécheresse absolue, soulevé par le moindre vent.

2» Pierres et Marbrés. L'Algérie est en général assez riche de ce côté, A Hiltppevitie existent les carrières de Filfila d'où l'on éxtràitdu marbre Wtt«c(arialogueaU carrare), des marbres veinés-bleUs et veinés-noir ; on peut citer aussi lés cartikcsdè l'Oued-el'Asseh près Bône,du Fort-Genois, duMont-Çhenona, etc. La pierre à bâtir se trouve presque partout, autour des villes, et là chaux est en général excellente. Dans la province d'Orân, spé* ciaîement, riôusàvons l'onyx translucide à'Ain-Tekbâlek 5 les marbres vert* dti Cap'Palcon ; les serpentines de VOued-Mador ; tés marbrés du dj\Orous i la pierre* pailletée tendre de Kreneg-et-Azir, et nombre de gisements inexploités datts les montagnes des K'sours.

Dlvata. L'argile est commun. Il y a quelques ardoisières à Mers*el*Rebir> La pierre" HtôgraphtqUe se trouve à El-kànlra (Constantiriev Le granit sur le littoral, kColkt Bônet etc. A citer aussi le soufre d'iV-


Vit. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE 137

Keiriia ; les lignites d'Hadjar-Iioum (Oran) -, le gypse à VOued-Djema^ à h.Ta/nà. Le salpêtre, le pétrole, la terre àporcelaineexistentsurquelquespoints.

4° Métaux. Le Jet- se trouve dans les hématites rouges ou brunes, les oxydes, les carbonates naturels;

Le manganèse accompagne le fer ;

Lccwfwé, dans les pyrites plombifères ou argenti': fères ;

Le plomb, dans les galeries ;

L'antimoine, dans des oxydes et sulfures.$

Le mercure (cinabre) ;

Le {inc, dans les calamines et blendes;'.'..'

La nickel, cobalt, arsenic se rencontrent aussi, mais toujours associés à d'autres métaux.

Les phosphates sont l'objet d'une exploitation con* sidérable : les plus riches sont ceux de Tebessa, exportés par le port de Bône ; ceux de la région de Sétif (Rhiras surtout).

L'Algérie entière comprend plus d'.* 200 gîtes métallifères constatés dont plus de cinquante concédés ou exploités. Les plus connus dans la province d'Oran sont ceux de Beni'Saf et Camerata qui exportent en Amérique surtout.

Ajoutons que lés assises montagneuses des Ksours ont été peu prospectés et qu'on y trouvera sans doute des filons productifs.

5° Sources minérales. L'Algérie abonde en hammam ou sources thermales et minérales (sulfureuses, salines, ferrugineuses). Les plus connus sont :

Province d'Alger i tiammam^R'irâ, déjà florissante sous les Romains; //. Melouan.

Province d'Oran : llâmmam-bou-ilad/ar, salines sulfureuses ; bains c'e ta Heine, près Mers-et-Kebir ; Source d'Arcole, gazeuse simple ; //. bèn Jfitriefîa, alcalines, à 65\ connues des Romains.

Province de Constantine : ttammâm-Steskoultn, //,* el-Bjbatt, IL boU-Seltam, tt-Sahâlhi, etc.

Ajoutons une cinquantaine de salines naturelles ou gîtes de sel gemme : dans ta province d'Oran, la saline <tÂr{ew ; la Grande Sebkhrâ (22.000 hectares), les


138 VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

chottsel Chergui (plus de 200 mille hectares I) Voir pour études complètes, les notices de M. Ville, du Df Bertherand, dé MM, Pouyanneet Tissot, ctquelques autres monographies ad hoc, dont la compétence dépassé la mienne de plusieurs hectomètres I

II. Flore

Malgré mon ignorance crasse et mon incompétence à moi, devant l'autorité d'auteurs documentés, de botahlciens ayant humé la matière, je me sens moralement obligé d'effleurer quelque peu la Flore et la Faune locale. ■.''■_' .

Je vous parlerai successivement des plantes sauvages, des plantes textiles et indùstrieiles, des céréaîest dès légumes, des arbres à fruits et des essences /ore&tièreè ; mais ne vous effarouchez pas, nous allons en passer la revue au tripe galop.

A. Plantes sauvages : L'alfa d'abord ; il y en a partout ou presque, et quand l'alfa ne vient pas, rien ne vient ; c'est alors le sable nu, les hâmadas pierreuses, ou le chott desséché. L'alfa entre Aùi-el-lladjarttekreider txMarhoum couvre des espaces immenses qu'on peut appeler une mer d'alfa. Cette plante utilisée pour la sparterie, la papeterie, pousse là où rien autre ne pourrait végéter, en touffes semi-circulaires un peu espacées les unes des autres, de sorte qu'en somme, il y a autant de terrain nu que de terrain recouvert par le végétal. Aussi quand la grande compagnie d'alfa eut pris connaissement de 3oo.ooo hectares à elle concédés au sud de Saïda, demahda-t-elle que sa concession fût doublée pour combler les vides. Bel exemple d'incapacité de ceux qui, ayant eu à étudier et conclure l'affaire, n'avaient probablement jamais vu une touffe d'alfa. La marche, dans ces touffes que l'on est obligé à chaque instant de cohtournef, est très désagréable.

Pour faire la récolte, les ouvriers (des espagnols ou des indigènes) tirent les tiges par petites poignées, les af- : rachent ainsi d'un cylindre qui part du collet de la rà-


VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE ; 130

cine, et la plante repousse. Par tout autre procédé (fauchage, arrachage), elle serait perdue. L'alfa récolté, entassé, pressé, cerclé, est dirigé de Marhoum sur Aïnel-Adjar, puis à la côte, où des bateaux anglais, le transportent à Liverpool pour la fabrication du papier. Il n'en vient presque pas en France, les frais de transit étant plus élevés par rapport à la valeur de la marchandise d'Oran à Marseille que d'Oran à Liverpool.

En dehors de l'alfa, peu de plantes ou graminées sauvages utilisables i (bromes, fetuques, dis (des Arabes), palmier-nain (chamacrops humilis, Linné).

■Ltlb/m, ou du moins une variété locale approchante, pousse âUssi assez couramment sur les Hauts-Plateaux, et les troupeaux en sont très friands,

B. Plantes textiles et industrielles. A signaler, mais venant surtout dans le Tell, le tabac, le coton (déjà cultivé sous ta domination turque), le ckanvre, le lin, \& ramée, le palmier-nain, le henné (lavosonia iner mis de Linné), carthame (safran bâtard), sumac, atoès, figuier de Barbarie, càcahuetté (arachide), etc. Dans lé Sud Oranais, c'est l'alfa qui prédomine de beaucoup.

Parmi tes plantes ou arbustes cultivés pour la parfumerie, la localité de Cheragu produit les essences i cédrat, citron, néroli, jasmin, verveine, tubéreuse, menthe poivrée, rose et surtout je géranium-rosa, son succédané, d'un prix de revient bien moindre. — Les plantes aromatiques sauvages sont, le thym, lavande, Absinthe, myrte, romarin, fenouil, sauge, marjotaineH menthe parliot, etc.

0. Céréales. Les principales sont : le été rf«r-dans le Tell, si apprécié pour la fabrication des pâtes dîtes d'Italie ; l'orge et le mats dans le Sud. On cultive l'orge sous les palmiers, dans les oasis et dans tous les recoins propices. Sa culture est asse2 simple : un petit âne tire un soc de charrue dont le manche est tenu par une femme ou un kramès (serviteur) et dont la pointe égra* tigne te sol j si l'attelage rencontre un roc, une touffe de palmier-nain ou tout autre obstacle, il te contourne


.-.'110 VU. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

tranquillement sans jamais s'y attaquer. Sur ce labour (ou grattage) primitif, on sème l'orge à la main et la récolte se fait quelques mois après. Parfois même on fait deux récoltes de suite, Quelle aubaine si en France notre agriculture pouvait en faire autant? Mais j'oublie qu'elle manque dé bras...

L'Arabe du Ksour (ou te semi-nomade) ne sème guère que ce qu'il pense devoir être suffisant poug,lui ou ta tribu : c'est dans le Tell ou dans les exploitations autour des villes que l'on cultive l'orge en grand, de façon à le répartir sur, les points où il peut y avoir disette, et à faire l'exportation,

L'avoine^ le seigle ne viennent pas ou viennent mal, sauf dans des localités fort restreintes,'''

Le millet (bechena) est cultivé avec succès.

D. Légumes. Les plus usuels sont les navets, choux, salades, patates, carottes, gros oignons sucrés (d'Espagne), piments, pastèques, etc. Ils sont en général de toute grosseur et de toute beauté.

Dans le Tell, tous les légumes de France réussissent à merveille et leurs primeurs viennent, dès le mois de décembre, Inonder les marchés de Paris. Une quantité énorme part aussi d'Oran pour Hambourg^ à destination de 1 Allemagne. Dans certaines terres irrigables, on peut faire jusqu'à trois récoltes de pommes de terre par an.

Ë. Arbres à fruits. Comme arbres à fruits, il y a quatre espèces principales t l'olivier, le pêcher, le figuier, le dattier : nous dirions presque cinq en y comprenant la vigne. On y rencontre aussi l'abricotier^ le bananier, le grenadier d'une importance moindre; l'oranger et le citronièr na réussissent guère sous le climat trop chaud ou trop sec du Sud Oranais et sont plutôt spéciaux au Tell (Blidah, Mitidja, etc.).

Olivier, L'olivier se rencontré à l'état sauvage ou greffé t dans le second cas, ses fruits sont plus volumineux et plus en chair,

La culture en est des plus simples, elle comporte t un


Vit. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE 141

ou deux labours, par an, et une abondante fumure.

Tous les 4 ou .6 ans, au plus, l'olivier a besoin d'un étàgage complet pouf en assurer le bon état. Les olives ne viennent que sur les rameaux d'un an, partant la récolte ne peut-être que bi-annuellc.

C'est plutôt Un arbre du Tell, mais il pousse aussi dans le Sud Oranais. L'olivier greffé et cultivé est d'ordinaire assez petit : mais le sauvage atteint des dimen* sions énormes et il n'est pas rare d'en rencontrer ayant parfois de 6 à 10 mètres de circonférence. Il y a plusieurs variétés.

Les fruits servent à la fabrication de t'huile (à Tlemcén), ou sont absorbés par l'exportation. La récolte se fait de décembre à mars.

2° Pécher. Le pêcher, famille de rosacées, est une des richesses de l'oasis : il vient non pas en une tige unique formant arbuste, comme en France, mais en un épanouissement de 6 à 8 fortes liges sortant de terre, comme le figuier, et formant de superbes buissons. La récolte est toujours abondante et ne manque pour ainsi dire jamais. Sa valeur marchande n'existe pas, car tout est consommé sur place : quand il yen a trop pour la saison, on fait dessécher l'excédent. Pour un sou ou deux nous en achetions tout cç que pouvaient contenir nos deux mains ou chéchia d'un homme.

3e Figuier. Le figuier (famille de Urticêes) est encore plus précieux que le pêcher, car ses fruits se conservent mieux, desséchés, pour constituer tes provisions d'hiver, Oh I les figues fraîches, quel excellent légume et dont on peut manger à satiété sans avoir rien à craindre. Dans les jardins des oasis, les Arabes pour un sou, donnaient aux hommes la permisson d'en absorber à volonté pendant une heure t Dieu sait ce qu'ils en engloutissaient 1 Fleurs et fruits se succèdent pendant toute là saison chaude sur, les figuiers qui, comme les pêchers, poussent librement en buissons,

Le figuier dit de Barbarie est un énorme cactus à fruits gris épineux assez fades.

'4* Dattier, J'arrive au palmier-dattier (pfui'nix dadr/* lifera, Linné), le roi des oasis, sans lequel l'immensité


W2 VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

du Sahara serait inhabitable et inhabitée; car c'est sous, l'ombre du palmier que^ poussent pêchers, jujubiers, oliviers, figuiers (ordinaire et de Barbarie), légumes, céréales — l'orge surtout qui, avec la datte, forme la base de la nourriture dans ces régions. Tout te monde connaît cet arbre élancé, par les spécimens abâtardis des Jardins des plantes et des serres. Mais là-bas, dans tes oasis, c'est un énorme bouquet de 8 à to mètres d'envergure, s'épanouissant au sommet d'une tige superbe et droite de 15 à 20 mètres, et plus, de hauteur.

« La tête dans le feu et tes pieds dans l'eau », dit te proverbe arabe, bien vrai par ce roi des arbres dont lés fruits exigent, pour arriver à parfaite maturité, plusieurs mois d'une chaleur variant de 400 à 5o° à l'ombre (soit 55* à 75° au soleil) ; le palmier n'est pourtant pas trop sensible au froid, il peut supporter Un abaissement passager de i6 à 40 au-dessous de o° et résiste aux gelées blanches, courtes ou légères. Par exemple, il lui faut une irrigation abondante (de 5 mètres cubes d'eau chaque fois), renouvelée tous les cinq à six jours, soit au total cent mètres cubes au moins pendant l'été pour qu'il donne le maximum de production.

Le palmier est un monocotylédone dioïque, c'est-à-dire mâle ou femelle sur sujets distincts. On ne plante dans tes oasis qu'un petit nombre d'arbres mâles, indispensables pour la fécondation des dattiers-femelles, et plus élevés que ces derniers. Pour éviter d'avoir trop de mâles, (ce qui serait inutile,) les Arabes ne sèment pas les noyaux qui germeraient fort bien, mais dont le sexe resterait ignoré pendant quelques années : ils détachent, des arbres femelles, des rejetons qu'ils plantent et qui produisent au bout de 5 à 6 ans. A la saison de la florai* son des palmiers-mâles, pour aider au vent et à ta na* turc ta division du pollen, les indigènes grimpent sur" les arbres, détachent les grappes efflorescentes et vont en secouer ia poussière polléniquc et fécondante dans tés spathes et sur les régimes desdatticrs*femellés, assurant ainsi la fructification. Mais la botanique vous expliquera cela mieux que moi,


VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE 143

En tous cas, les dattiers-femelles sont joliment plus intéressants que leurs congénères mâles, car ils produisent une dizaine de régimes, chacun portant S à lO kilos de dattes, ce qui fait un total moyen de 7a kilos environ par tête, soit, à raison de cent palmiers par hectare, 7.200 kilos de dattes. La récolte d'un arbre vaut de 6 à 10 fr. sur place et le double dans le Tell. Deux mesures de dattes équivalent à une- de blé dans l'oasis, et deux mesures de blé équivalent à une de dattes dans te Tell. L'hectare du Tell produit 600 kilos de blé, l'hectare de l'oasis, 7.200 kilos de dattes, soit t.t fois plus (soit 1.800 fr. environ, soit 900 fr. de bénéfice net). Inutile de dire que, même aux confins du désert, le fisc, le hideux fisc sévît sur ces pauvres dattiers, frappant chaque pied de o.25 à 0.40 d'impôts, selon les oasis, même les pieds mâles qui, eux pourtant, né produisent rien I

La maturité a généralement lieu fin octobre, variant un peu selon l'exposition des osasis et leur température moyenne. Il y a au moins 5o à 60 variétés de palmiers (dont j'ignore la nomenclature, vous pensez bien); les dattes les plus estimées sont celles à petit noyau fin, bien translucides et fondantes. Le M^ab, le sud de la Tunisie (Nefta, To{èur) en fournissent d'exquises, infiniment supérieures aux nôtres du Sud-Oranais ; la datte deBiskra s'exporte beaucoup en France et en Angleterre.

Les indigènes consomment aussi des dattes sèches, devenues fort dures, qu'ils conservent pour l'hiver. Ces dattes sont cueillies à.demi-mùres et peu savoureuses.

Dans le palmier', cet arbre providentiel, tout est utilise. Quand il est vieux et prêt à être sacrifié, on en extrait la sève(le vin dé palmier); le tronc, débité, sert à faire des charpentes, des boisages, des caniveaux ; malheureusement c'est un bois poreux, qui pourrit vite. Lés nervures des feuilles font des clôtures, des bâtons : les palmes elles-mêmes, des nattes, des coussins. 11 n'est pas jusqu'aux noyaux qui, ramollis et concassés, sont em* ployês. pour la nourriture des chameaux ou des chevaux.

Citons pouf mémoire le palmier-nain (chamoerops


lit VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

humilis, Linné), l'effroi des défricheurs, le chiendent de l'Algérie, d'une ténacité végétative regrettable pour le cultivateur : en voilà un qui vient sans culture I On l'utilise pourtant pour faire du crin végétal, Les principales oasis algériennes sont :

Figuig (p. d'Oran) avec.............. 120.000 palmiers

Lagliouat (p. d'Alger) avec........... 120.000 —

fiiskra (p. Constant me) avec... *..*,.. 150.000 — Ouargla (p. d'Alger) avec............. édù.tXO/ ..— ,Uù^(k(tQtiial^)ay6c..■.....iyi,,..^î'>.■ 300.000 —

Tougourt (p. Constûntino).avcc....... 400.000 —

Tozeur(Tunisie) avec....,.....,.,.,.. 400.000 —

Les dattes de Tozeur et de Nefta sont les plus savoureuses de toutes et jouissent d'une réputation justement méritée : celles de Biskra sont excellentes aussi, ce sont elles qui alimentent Paris. Je flâne peut-être un peu trop sous les dattiers, mais j'ai pour cet excellent fruit, la reconnaissance la plus solide de toutes, celle de l'estomac : pour un kilo de dattes du Mzab, je vendrais mon droit d'aînesse et mon majorât — si j'en avais un 1

La datte est pectorale, légèrement constipante au début quand on n'en a pas acquis l'accoutumance et renferme une quantité considérable de sucre. Oh l'emploie pour la droguerie, surtout en Espagne qui consomme beaucoup d'une Variété spéciale de ce fruit, A Tozeur, ta variété de datte la plus estimée est le « deglat », fruit d'une sorte de palmier généralement tortueux et vilain d'aspect, tandis qu'un autre palmier superbe, celui-là, « phtimi », produit une datte très inférieure, dite la datte à chameaux. Les dattiers, comme tes femmes ne doivent pas être jugés avant — sur l'apparence; mais après <-> sur la récolte I

4° Vigne."— La vigne pousse avec une vigueur in* connue en France et donne annuellement des jets de 6 à 10 mètres de longueur! si on la laisse faire, elle grimpe jusqu'au sommet des plus hauts "arbres. Les grappes énormes, à gros grains durs et serrés, atteignent parfois un poids de 2 à 4 kilos. Dans le Tell, on fait du vin et


Vit. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE 145

cette production prend même un excellent essor.' dans le Sud oranais, où la vigne est plus rare, on consomme le raisin tel quel.

Là vigne s'accomode d'altitudes variées, de sols différents, plaines ou montagnes ; elle est peu exigeante pour l'eau, pour les soins et devient une véritable richesse pour tes endroits où l'on peut l'acclimater, chose en général facile.

5° Arbres à fruits diverses, — Je rangerai sous cette dénomination, la bananier, l'amandier, la grenadier, l'abricotier, la figuier de Barbarie (arbuste plutôt), qui sont utilisés, mais non indispensables. On peut aussi mentionner Valpès, arbuste superbe avec ses fleurs sur Une tige formant candélabre ; te jujubier, Varbrusiér, etc.

A citef aussi quelques arbres, mais non cultivés en . forêts, tels que tentisques, caroubiers, sumac, poivrier, etc., à classer plutôt sous la rubrique d'arbres résineux, tinctoriaux ou d'agrément.

F. Forêts. — Les forêts constituent une source de richesse pour certaines régions de l'Algérie : c'est la province de Constantinc la mieux favorisée, son boisement à elle seule égalant la totalité des deux autres provinces Alger et Oran. La surface totatc boisée est de plus de 2 millions d'hectares.

Les forêts sont d'une importance indéniable sur le régime des eaux qu'un déboisement trop complet appauvrit s les oueds alors deviennent de plus en plus secs pendant là saison d'été et déplus en plustorrentieux pendant celte des orages. C'est là sans doute la cause des ravages exercés en 1004 par l'Oued-Sefra. Depuis plus dé trente ans, garnison d'Aïn-Sefra prend sur les flancs du dj. Mekleur, sans compter, le bois nécessaire à sa consommation t peu à peu, cette montagne se dénude et peu à peu le régime des eaux change; tes pentes boisées n'existent plus pour retenir, régulariser l'écoulement des pluies violentes des saisons d'automne et de printemps. Il y a là une indication sérieuse, très importante, car la fertilité de la plaine dépend beau-


146 VU. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

coup de l'eau que lui envole la montagne? boisée, c'est en sources et infiltrations lentes qu'elle arrive : fécon» dite ; ~~ déboisée, c'est de façon torrentielle et inutilisée, d'où sécheresse et aridité.

Les essences les plus communes sont ; les chênes (verts, lièges, zeens) les pins d'Alep) cèdres, thuyas, le rebiris, olivier sauvage, eucalyptus, etc. Dans quelques régions à altitude élevée (Géryville, i.3oo m. ; TAïssa, i,8oo m.) les arbresde France, peupliers, saules, ormes, frênes, platanes, viennent superbes.

La chêne-liège est l'objet d'une exportation considérable représentant une valeur de 6 à S millions. Le chêne-{een est utilisé pour la marine, la tonnellerie, les traverses de railway. Les thuyas, oliviers, citronniers, sont employés pour l'ameublement, L'Eucalyptus (de Tasmanie) qui prend chaque jour une importance plus grande, et qui fournit rapidement un bois presque aussi dur que le chêne, donne d'excellents poteaux télégraphques, des traverses, des pieux à pilotis, etc., lecharronage, î'ébénisterie, l'utilisent aussi, Ses feuilles ont été employées comme fébrifuge : son écorce donne du tannin,

Les incendies dévorent parfois de vastes espaces boisés : mais cet accident devient heureusement de plus en plus rare.

III. Faune

Nous la classerons au petit bonheur en animaux <famestiques, animaux de chasse, animaux nuisibles, Buffon et Cuvier me prendront évidemment pour un crétin, mais cela n'a pas d'importance : la poule, l'àné et le chien vivent bien ensemble dans la basse-cour, ce serait de la cruauté que de les séparer sous le fallacieux prétexte que celui-ci aboie et que cette autre caquette, pu que l'un à 2 pattes et l'autre quatre t

A. Animaux domestiques : comprenant le cheval, l'âne, le boeuf (Rabylie), te chameau, tes moutons, chèvres, poules, chiens.


VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE 147

/° Cheval. Nous en avons souvent parlé : le chevaî arabe est d'une endurance et d'une utilité appréciée de tous: il n'y a pas de chevaux de trait, sauf dans lès villes du Tell. Dans le Sud, tous les chevaux sont de selle ; nous avons consacré au cheval arabe un chapitre toutspéciat.

a9 Âne. Modeste mais bien utile compagnon, il laboure, conduit les légumes au marché, porte les corvées de bois, d'eaux, de matériaux, etc., L'Arabe si doux en général pour son cheval, frappe son bourricot sans pitié; cette coutume provient dit-on, de ce qu'il se figure que cet animal est habité par l'âme des juifs morts, d'où l'abondance sur son dos des coups de matraque du maître.

Il n'y a pas, en Algérie, plusieurs variétés : tous les bourricots sont à peu près pareils de taille, de robe et de qualité.

3" Chameau (djemel). Le cheval et l'âne ne peuvent vivre bien avant dans le sud 5 te chameau reste seul alors pour assurer les transports, les échanges et les besoins de la vie sociale. Il y a plusieurs races de chameaux qui peuvent se résumer en deux : le chameau-porteur (ddjemel) celui des caravanes, massif, trapu, pouvant porter couramment des charges de 200 à 3oo kilos ; et le chameau-coureur (ou méhari), monture des guerriers, des Touaregs, plus haut, plus fin, plus léger et plus vite ;... ses pieds sont étroits, ses jambes sèches, ses jarrets musclés. Sa bosse est aussi plus petite, fondue dans le dos; sa poitrine vaste, son ventre moins proéminent le fait

-distinguer de suite. Pour lé monter on s'asseoit sur la selle [rahla), espèce d'assiette creuse munie d'un dossier

' etd'un ponceau, avec les pieds croisés sur l'encolure. Un anneau rivé dans la narine droite du méhari sert à le conduire, une petite tringle de fer à bout recourbé le corrigé quand H le faut.

La tr* espèce est de beaucoup la plus commune, c'est presque là seule que l'on rencontre, les méhara, à la latitude où nous étions étaient assez rares et possédés par


148 VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

les Arabes privilégiés; ils sont infiniment plus chers aussi, leur prix variant de 1.000 à i.5oo francs tandis qu'un chameau ordinaire coûte 200 à 400 francs. Inutile de vous dire comment le chameau se charge ; sa toqua* cité bruyante pendant cette opération ; ses longues étapes dans le Sahara désert et brûlant qui, sans lui, serait infranchissable ; sa résistance inouïe à la fatigue et à la chaleur 5 et enfin sa sobriété. Pauvre animal 1 et dire que dans la métropole on applique son nom comme injure à des personnes qui évidemment n'ont aucune de ses qualités : la douceur et la sobriété surtout t

On dit que le chameau est un animal qui boit rarement et ne mange jamais : c'est à peu près exact. Il peut rester 8 à 10 jours sans boire, mais alors la quantité de liqUidequ'il absorbe est prodigieuse, plus de 3p à 40 litres; une partie est utilisée de suite, l'autre reste en réserve dans une poche spéciale, Quant à sa nourriture, le chameau broute l'alfa tout en marchant quand il est en caravane : s'il est au repos, il se nourrit lui-même avec les quelques herbes environnantes. Dans ce cas-là, son alU mentation ne coûte absolument rien à son maître : pourtout il n'en va pas toujours ainsi. Quand le pays est absolument sableux ou pierreux plusieurs jours de suite, il faut bien lui donner quelques noyaux de dattes concassés, un peu d'herbe sèche, un peu d'orge, surtout s'il est soumis à la marche et à la fatigue, r '

Le chameau ordinaire peut faire des étapes successives dé 3o à 40 kilomètres par jour avec sa charge, ne mangeant qUe l'alfa qu'il cueille sur son chemin, tout en marchant ; le Méhari avec son cavalier sur le dos, atteint 100i et même 120 kilomètres par jour, Sa vitesse est considérable et au trot ses énormes foulées d'Une envergure' exagérée, ont bientôt fait de dépasser un cheval même au 'galop,.' ■"',-

Le mâle s'appelle beir, la femelle naga ; la gestation est d'un an, ne comportant qu'un seul petit, qui, dès sa naissance, court comme père et mère, On ne charge le chameau que de 4 ans jusqu'à 25 ans au plus : à cet âge on l'engraisse et oh le mange. - L& chameau sert de base à nombre de transactions,


VU. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE HlJ

aussi les Arabes qui sont à la hauteur de nos maquignons ne se gênent pas poup « rajeunir » les vieux ruminants en leur tondant les poils autour du museau d'ayant et.,, d'arrière. Les muqueuses conservent là une teinte rosée et juvénile qui trompe l'acheteur sur l'âge de l'animal.

4° Moulons, Chèvres, Les Chèvres sont relativement peu nombreuses et utilisées surtout pour leur peau ; mais les moutons sont légion et il n'est pas rare d'en rencontrer dans le sud des troupeaux de plusieurs milliers de têtes, La richesse d'un Arabe eu d'une tribu se suppute par le nombre de ses moutons et de ses chameaux. Tout le monde connut le mouton d'Algérie, je glisse sur sa toison.

5° Poules. Les poules sont assez rares, maigres, pondant peu et toujours prêtes à couver, Leurs oeufs sont pourtant une ressource préciçuse pour nous autres Français, mais à laquelle les Arabes n'attachent pas une grande valeur.

Parmi les animaux domestiques à nous qui manquent chez eux, il faut citer le lapin qu'ils ne savent pas élever ni faire produire, quoique son congénère le lièvre parcourant la plaine, paraisse susceptible au bout de plusieurs générations d'être domestiqué l

Un autre animal bien utile aussi par la variété infinie des combinaisons culinaires auxquelles il se prête, fait à peu près défaut ; c'est l'ami de Saint-Antoine, le cochon dont il existe à peine quelques rares spécimens maigres et filandreux. Leur religion interdit sa chair aux Arabes et aux Israélites: ils n'y perdent tien car dans 1. Sud, elle est généralement très mauvaise. Les vaches, ôoeufs sont aussi pour ainsi dire inconnus dans l'Oranais,

6 Chiens, Le chien ne se mâhge pas, (fort rarement du moins) ; cependant sa place est toute indiquée dans les animaux domestiques. Comme pour les chameaux, il y a deux races bien tranchées : le sloitgi ou lévrier, race aristocratique, élancée, haute sur pattes et pouvant


150 . VIL MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

forcer lagazelle elle-même à la course ; le chien de douar féroce prolétaire hirsute et poilu, aboyant à pleine gueule à l'Européen, et avec lequel il ne fait pas bon de voisiner, —• Quand on approche d'un douar tous les chiens se précipitent, et les gamins survenant ont parfois bien de la peine a vous dégager d'eux, à coups de pierres et de bâtons.

Les slouguis du Sahara sont superbes, car les OuledSidi-Cheicfc, les Arba, les Harar, sélectionnent soigneusement leur race. Ceux du Tell sont loin d'avoir la même finesse et la même endurance.

Le chat,ce type de la volupté, de l'indépendance n'est pas « cultivé » dans le Sud-Oranais. On rencontre pourtant quelques spécimens à l'état sauvage dans les forêts et à une assez forte altitude.

?. Animaux de chasse, r- La catégorie des animaux de chasse comprend comme plume : les perdrix, cailles, tourterelles, geais, chasseurs a! Afrique outardes, autruches, aigles, Jaucons ; on y trouve aussi nombre de petits oiseaux de France et parfois la grive, le vanneau, la bécasse, la grèbe, surtout dans le Tell.

Pour le poil on peut s'offrir le chacal, le renard, là hyène,qua l'on détruit ; te lièvre, la gabelle, le mouflon : que l'on mange. La panthère est presque disparue, et le lion tout-à-fait,

i9 Les perdrix : nombreuses dans le Sud, elles se raréfient naturellement dans un pourtour de l'o.à. \i kilomètres des postes, mais l'on n'a qu'à monter à cheval et à se transporter au delà de cette distance dans certains creux spéciaux ou endroits qu'elles affectionnent : j'en ai YU tuerJusqu'à 40* et 5o en quelques heures par un seul tireur, En général, sauf les. toutes jeunes, elles ne sont pas si bonnes que celles de France. Nous les tuons à coups de fusils, mais on; peut aussi les prendre au piège quand elles foisonnent et que, cantonné dans un site, on ne veut pas les effrayer : l'on en prend moins, mais beaucoup plus longtemps. Les indigènes et tes simples soldats qui ne peuvent pas chasser au fusil em-


VII, MINÉRAUX, FLÔRErFAUNË 15t

ploient plusieurs procédés ; le plus simple est une large pierre plate en équilibre instable sur des petites baguettes agencées en trébuchet ; le volatile touchant l'une d'elles, tout s'écroule et la bête estétouflée! On n'a plus qu'à ta ramasser, le soir, à moins toutefois qu'un chat sauvage ou un"'.'chacal ne se soit chargé de la besogne, ce qui arrive parfois,

•■;. 2' L'Outarde est une fort belle pièce, de la grosseur d'une oie : elle est très chassée et tend aussi à raréfier, sans disparaître cependant comme l'autruche que l'on rencontre plus guère qu'à des centaines de kilomètres plus au Sud, Cet échassier, né malin, nous donne parfois bien du mat. On le chasse à cheval d'ordinaire : quand il nous voit s'approcher presque à portée, il s'envole lourdement et va se poser bien en vue à quelques huit cent mètres plus loin, On le suit naturellement, et il recommence indéfiniment là même manoeuvre, faisant faire au chasseur dés dizaines de kilomètres sans lui permettre de tirer une seule fois.— Hypnotisé par ce lourd gibier que l'on croit tenir à chaque instant, on néglige lièvres ou perdrix, le soir arrive et l'on rentre éreinté, sans plume ou poil dans le filet.

3» Lièvre. La chasse à courre au -lièvre- est en honneur : c'est plutôt Un exercice violent qu'une chasse utile, car la bête forcée ne vaut plus absolument rien. On y procède à cheval, avec des slougis : quand un lièvre se lève, ori prend châsse et derrière lui s'élancent au triplé galop, lesslougis et les cavaliers, sautant rochers et ravins lesutis derrière les autres* Au bout d'un kilomètre pu "i, le lièvre (surtout si ça monte un peu), est forcé; le chien, gueule ouverte, arrive dessus ; et le çàyàljer à son tour tombe sur le chien à coup de bâton pour; lui faire jâchèr prisé et l'empèchef de dévorer sa proie, Eh effet, lès slougis ne rapportent pas, ils mangent leur gibier : si le cavalier mal monté arrive un peu trop tard, il trouvé son collaborateur couché bien tranquillement auprès de quelques os qui représentent ce que fût le lièvre t Quàndoh est plusieurs chasseurs, et plusieurs


15-î VIL MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

chiens, ces chasses sont vraiment désopilantes parfois, avec leurs culbutes comiques et leurs imprévus divers.

4" Gabelle (r'e^ale), La chasse à la gazelle est assez difficile en montagne s là, te cheval n'est utilisé que pour Vous amener à pied d'ceuvre, c'est-à-dire au bas du massif où l'on veut chasser. Les gazelles, ces jolies bêtes aux yeux si doux, à la démarche si légères, sont méfiantes : il faut d'abord prendre }e vent et les enserrer ; cela oblige à des détours et à des ascensions considérables. Parfois, quand on y arrive, elles ont disparues ; il faut les répéter de nouveau pour recommencer la même manoeuvre. Cette chasse exige au moral beaucoup de persévérance et au physique d'excellents mollets.

En plaine, là gazelle, en général un peu moins trapue et plus élancée, se chasse à cheval plus facilement. D'ordinaire la bête n'est pas isolée ; elles marchent par petites troupes de 4 à 10 ensemble, quelquefois plus, Il faut se diviser en deux groupes de chasseurs, l'un en vue les poussant le mieux possible dans une direction déterminée, l'autre dissimulé, contre le vent, les attendant pour les fusiller au passage. Elles pullulaient autrefois dans toutes les plaines aux pieds dj-Aissa, djMeçkeûr, dj-Mezi, etc., mais elles sont devenues plus rares,; .' ...-.'•

Les indigènes les chassent encore autrement. Dès qu'une troupe assez forte de gazelles est signalée, ils la repèrent et tous les cavaliers de la tribu avec leurs invités l'enserrent dans un cercle éloigné dont elles forment le centre et qui se rétrécit peu à peu, à mesure qu'ils approchent. Les gazelles effarées, voyant des ennemis tout autour, hésitent, se dispersent sans ordre, et bondissent au premier coup de fèu dans n'importe qu'elle direction où se trouvent toujours des chasseurs prêts à tirer, qui les accuëjllént sous un feu nourri, On poursuit à la course lés blessées qui faiblissent et généralement six à huit bêtes restent sur le sable, Ce genre de châsse est très apprécié, fort agréable et nécessite parfois une nuit - et une journée en selle avec un nombre respectable de kilomètres à parcourir, Moi qui pourtant ne fus jamais


Vil. MINÉRAUX, FLORE, FAl-'NE 153

qu'un disciple bien tiède de Saint-Hubert, j'adorais ces chasses violentes, trop rarement pratiquées, hélas.

5° Mouflon, La mouflon lui, dont les formes et la taille tiennent à la fois du veau et de la gazelle, ne quitte guère les endroits rocailleux et boisés : il est tout pareil à celui de Corse et aussi difficile à approcher. J'assistai un jour à l'agonie d'une de ces pauvres bêtes qui ne fut pas tuée, mais se tua elle-même.

Un mouflon qui se suicide, Dans une petite excursion de montagne, nous étions arrivés sur une pointe de rocher surplombant la vallée et nous jouissions de là d'un superbe coup d'oeil, quand nous aperçûmes en contre-bas un autre rocher à pic sur le vide et qui semblait inaccessible. Cela n'eut pas attiré autrement notre attention, si l'un de nous n'y eût signalé la tête elles cornes énormes d'un mouflon.

Le tirer à cette distance était impossible, aussi nous voilà tous en marche pour l'approcher. Avec le moins de bruit possible, en nous repérant à chaque détour, nous arrivions au niveau du roc : d'en haut il paraissait inabordable, mais une langue étroite de terre et d'êboulisy pouvaient conduire. On s'y engage silencieusement en ligne, tournant les roches pêle-mètées dans ce chaos et nous espaçant juste de façon à barrer la routé.

Nous avancions toujours, ayant perdu la bête de vue, quand un de nous la réaperçoit et nous fait signe de nous serrer, prêts à tirer,

La pauvre bête aussi, les narines frémissantes, nous avait éventée : elle se montra tout-à-coup toute entière, prête à bondir par la bande étroite qui lui servait de chemin, mais nous voyant en travers elle volta d'un seul coup et s'élança follement dans le vide, sans qu'on eût pu seulement la mettre en joue,

Nous nous précipitons au bord du ravin : elle gisait à 20 mètres plus bas, les jambes brisées : un coup de fusil l'acheva. Mais ce n'était pas tout, il fallait aller la chercher.

La descente était impossible de face, et très difficile


154 'Vit. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

de côté {de plus comment remonter une pareille pente (si on trouvait à la descendre déjà) avec un aussi lourd fardeau ? C'est alors qu'intervint un ustensile que tout excursionniste en route.au désert ou en montagne, doit avoir : la fameuse corde à fourrage dont l'un de nous était muni. Ce fut moi qui descendis avec la corde, chose assez aisée : mais quand il s'agit d'attacher et remonter la bête, ce fut impossible, vu son poids,

Pour alléger, je dus me résoudre, au milieu des plaisanteries faciles de mes compagnons, à faire l'autopsie et à dépecer sur place, J'enlevai tous les déchets, je séparai la tête, coupait le tronc morceau par morceau ; nous mîmes deux heures à remonter notre gibier sur le rocher, mes compagnons tirant d'en haut, moi dirigeant d'en bas. Mieux valait encore mutiler notre mouflon que de l'abandonner.

Quand nous arrivâmes au camp, par exemple, quel tableau l Le sang, la sueur, la poussière dégoûtaient de partout sur nos vêtements souillés : M, Lépine nous eût arrêté d'emblée en nous prenant pour d'ignobles assassins; et si les savants bactêriologues de l'Institut Pasteur avaient eu à analyser notre linge, c'était l'échàfaud!

Pour comble de malheur, notre victime était un vieux màlard, disciple de M. Piot, qui avait dû travailler ferme et depuis longtemps à la repopulation, car il résista terriblement sous nos molaires.

Ce qu'il avait de mieux dans la figure, c'était ses cornes, énormes et striées : je me les adjugeai comme honoraires de mon intervention chirurgicale, et,., je les porteencore!

Il n'y a pas que dans l'existence des pendus où là corde joue un rôle important : dans les ascensions montagne, la vie de toute la grappe humaine tient à la solidité d'un brin de filin : dans les tempêtes, nombre de marins ont dû la vie à un bout d'amarre—bien lancé. Dans le fait divers suivant, combien te moindre " bout de corde eut été le bienvenu :,'.."■

«. Un affreux accident s'est produit au cours d'une par» lie de chasse, aox environs d'Arzew. Un adjudant do


VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE 155

tirailleurs, en garnison dans cette ville, était parti dès to malin pour tirer le lièvre et la perdrix, accompagné do son ordonnance, un tirailleur indigène, lorsque, vers dix heures, arrivé près d'un barrage, l'adjudant tua une poule d'eau qui tomba dans im réservoir. Xc voulant pas laisser perdre la pièce de gibier, l'ordonnance n'hésita pas à entrer dans l'eau, dont la hauteur était seulement d'un mètre. Mais à peine lo inallicureux avait-il fait quelques pas qu'il so senlit enfoncer dans la va^o formant lo fond. H fil alors do violents efforts pour se dégager, mais ses mouvements n'aboulissaient qu'à activer l'enlisement. Terrifié, l'indigène appeta au secours l'adjudant qui accourut et déroula sa ceinture qu'il lui jela, elle était trop courte et pas la moindre ficelle pour eu augmenter* la longueur. L'enlisement se fit peu à peu sous Tes yeux du sous-oflîcicr au désespoir.

Moralité : Ne voyagez jamais sans corde, ni couteau ; cela peut vous être plus utile qu'un guide Joanne ou Boedeker, dans les pays primitifs surtout. Une bride, une sangle cassent, vous y remédiez sur place. Je me souviens d'une application de corde plus gaie, c'était au camp d'Avord. Devant, d'après le règlement, assister à toutes les baignades avec capitaine de service, je'm'y' ennuyais ferme après quelques brasses ou plongeons pour mon propre compte. Or, un jour il nous vint à l'idée, pour nous distraire, d'apprendre à nager, bon gré mal gré, à tous les hommes. On usait d'un procédé tort simple. L'un des moniteurs montrait les mouvements à chacun en particulier, puis le poussait à l'eau, dans 2 mètres environ. Généralement un moniteur était obligé de s'y jeter quelques secondes après pour repêcher le client : cela n'allait pas sans boire quelques coups Poui obvier à cette regrettable complication, j'attachai une cordeàutour des reins du sauveteur, qui, plongeant sur son élève, le rattrapait de suite, tandis que son collègue reste au bord, l'autre bout de la corde en main remontait vivement le paquet de deux hommes. C'était fait en un clin d'çeii, les néophytes prirent confiance et notre petite combinaison d'enseignement nautique réussit à merveille!

0° Le Chacal et le Renard servent aussi de motifs à


150 Vît. MINÉRAUX- FIORE, FAUNE

chasser.on les tire pour leurs fourrures, de qualité pourtant fort médtocrv. Les chacals sont très faciles à àppro; cher mais ils ne valent guère te coup de fusil. Je m'en procurais, pour avoir les peaux intactes d'une autre manière, par empoisonnement : seulement pour les attraper, il fallait soigneusement arranger l'amorce, car ces ànïmaux-là quoique peu sauvages, sont tout de même assez méfiants, Je préparais de petits morceaux de foie ouverts et un peu évidés, dans lesquels je faisais verser o.to de poudre de strychine ;; je les refermais en ayant soin que mes mains ne touchent pas au poison, car si le morceau de foie çuf été seulement effleuré à Textes rieur, ils l'eussent laissé, Puis, pour plus de précaution je faisais tenir par un infirmier, aux mains absolument nettes un petit morceau de boyau dans lequel j'insinuai te foie. De cette façon, la strychine ne 1 tissait nulle ;■; trace àj'exférieur. ; ''.V'v"'

Nous déposions ces appâts le soir devant tes bancs de ; rochers, lés fissures, leur servant de tanhièfc (car ces Messieurs vivent en famille) et le lendemain matin on avait le doux contentement d'en relever î pu 4 avec l'appât encore dans le gosier. Mais c'était fini, inutile de remettre des amorces au même endroit, Les survivants commentaient sans doute entre eux : ces décès suspecis et ne voulaient plus rien savoir, il fallait aller dans une autre direction pour' faire de nouvelles victimes.

Le chacal n'est pas en sommé un animal bien malfaisant ? évidemn«ent il détruit beaucoup de petit gibier, mais il y en a tant, et puis il faut bien qu'il vive i Comme taille, il est entre le chien et te renard : sp'hs pelage se rapproche toutà fait de celui du renard, Jamais il n'attaque t'hpifrme et sans ses hoùhouteménts oU aboiements nocturnes qui n'arrêtent pas, oh supporterait très bien son voisinage. Il est fréquent d'en rencontrer eh plein jour, se chauffant le long des routés au çoleit, mais c'est le soif surtout qu'ils pullulent. ;

V a-t-il quelque part Une charogne quelconque, un animaL mort bu abattu, les voilà qui arrivent de tous côtés par bandes de 4i 10, 5o même et plus faisant le plus infernal des tapages. Du cadavre d'un chameau


VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE 157

intact te soir, il ne reste le lendemain matin que les os absolument nettoyés qui, lorsque le soleil aura passé dessus seront déjà blanchis. Ce sont des fossoyeurs habiles et consciencieux.

7. Divers. L'Autruche, (naâma) très abondante autrefois dans la région des chotts et dans celle qui s'étend entre Mécheria et le dj-Aissa, appelée : « Naâma » du nom arabe de ces oiseaux, a disparu presque totalement. L'on n'en tire plus dans les cercles militaires du SudOranais et je n'en ai vu qu'une seule, apportée au bureau arabe de Geryville et tuée à 80 kilomètres au Sud. Sa dépouille fut acheté 20 fr. par un juif, elle valait bien 20 fois plus car les plumes en étaient superbes.

Les Lions, Panthères sont passés à l'état de légende, et seuls les très vieux Arabes en ont entendu parler, Tartan'n ne ferait plus ses frais.

Les Singos (pithèques), autrefois si fréquents (gorges de laChiffa) sont devenus très rares. Il est vrai que les déprédations énormes qu'ils commettaient dans les cultures ont attiré, à juste titre, sur leur occiput, la vindicte des colons,

On peut mentionner encore qutlques autres animaux sauvages ou de chasse le Porc-ëpic : la Mangouste, le Furet, te Gerboise, là Tortue, te Lézard des palmiers, etc, Mais je ne veux pas vous faire un cours d'histoire naturelle dépassant la portée de mes humbles connaissances,

Où classer |a Cigogne! Elle revient niter chaque année au même endroit, respectée de tout le monde. A Tiaret, de temps immémorial il y a 2 nids ; l'un sur un des bâtiments de la caserne, l'autre sur le toit d'une maison de la place du marché où chaque année les cigognes reviennent faire la ponte et élever les petits.". ''

Les corbeaux pulullent, d'une grosseur énorme et d'un noir luisant remarquable. On ne leur dit rien ; de concert avec les chacals, ils assurent le service de là voirie publique en faisant disparaître les détritus et les cadavres d'animaux, beaucoup mieux que le ferait un


158 Vil. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

fonctionnaire ad hoc, cela sans émargerait budget national ! ni prétendre à de ruineuses retraites 1

Je n'ose parler de Poissons d'eau douce à propos du Sud-Oranais où la « gent silencieuse » est presque à l'état de légende ; pourtant il y a quelques anguilles et barbeaux dans les rares oueds qui ne tarissent jamais.

Les Poissons de mer sont les mêmes que ceux de la côte française : Saint-Pierre, Loup, Payot, Rouget, Mulet, Thon, Alose, Dorade, Sole, Bonite, Mulèneax surtout la Sardine. La Langouste et les Crevettes abondent aussi dans certains fonds.

Entre la Calle et Bône on pêche le corail.

0, -"Animaux nuisibles. — Ces espèces en sont assez rares. Pour les grands fauves, il y a longtemps comme nous l'avons dit, que le Lion al la Panthère sont complètement disparus ; quelques hyènes se rencontrent encore, rares peu redoutables. Le Chacal, lé Renard ne s'attaquent jamais à l'homme et sont plutôt animaux de chasse. Parmi les rongeurs, on peut citer la Gerboise (mus sarilta) qui pullule en certaines régions : parmi les reptiles, la Vipère (céraste et minute), le Lézard des palmiers, le Crapaud qui atteint parfois d'énormes dimensions, la Scorpion, la Larente (gecko), l'inoffensive couleuvre.

IV. Une forte Couleuvre

Ace propos, j'eus un jour à en tuer une de im72 de longueur et de la grosseur du poignet. Ce fut un rude combat; je ne sais lequel de la couleuvre oU de moi avait le plus peur de l'autre, car avant de voir son cadavre à mes pieds, j'ignorais si j'avais affaire à une énorme vipère ou à une simple couleuvre. Sa taille démesurée m'Enquêtait et ses mouvements désordonnés, ses ondulations rapides ne me permettaient pas de fixer mes doutes sur ce point très important de sa nationalité venimeuse,

Mais comme je tenais absolument à sa peau* tandis que celte pauvre bête ne se souciait sans doute nulle-


VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE 159

ment de la mienne, j'insistai dans mon attaque, attentif d'une part à la couper d'un amas de rochers où était certainement son foyer familial, d'autre part à me mettre à l'abri ces lancers rapides quand elle se retournait sur moi après un coup de la légère badine qui constituait ma seule armé l J'avais retiré mon dolmari pouf rrj'en faire un bouclier.

Après bien des efforts et des coups nuis, je parvins à la frapper plusieurs fois à la tête, puis à l'étourdir convplètement, Elle était alors à ma merci : tirant mon surin de campagne devenu utilisable, je lut coupai, pour plus de sûreté, tout le dessous du cou, de crainte d'un réveil imprévu, et j'emportai mon lourd trophée : Ce que j'en fis ? J'adressai cet ophidien naturalisé en France, à ma fiancée, qui le prit sans doute pour l'Hydre de Lerne et qui reçut ma couleuvre, non pas comme un emblème de l'avenir, mais comme un témoignage de mes sentiments ardents à son égard ! — « Oui, ma chère, dit-elle à sa « meilleure amie et confidente, voilà ce qu'il a tué pour « moi 1 »

V, Un renard récalcitrant

Avec ces sacrés animaux-là, il faut toujours se méfier : ils ont la vie d'un dur t Je me rappelle à ce propos un renard qui nous donna à un ami et à moi, bien du fil à retordre I ; Au commencement d'une petite chasse à la pàpà contre les perdrix, nous en rencontrons un : nous avions deux sSougis qui s'allongent et lé forcent en quelques centaines de mètres. Us l'attaquent, l'éreintent et nous l'achevons à coups de bâtons, te laissant mort:' sur une pierre plate bien en vue pour le reprendre au retour, Notre spahi nous engage pourtant à lui lier les pattes pour qu'il lie s'échappe pas : cette précaution nous paraît superflue et nous fait rire, devant l'évidence dé la mort ; nous partons.

Àuretour, plus de renard ! où diable avait-il pu passer? pas un être vivant (bêtes ou gens), dans cette solitude absolue, pas d'aigle dans les environs. Le spahis n'hésite pas lui et prétend que notre renard s'est sauvé tout seul :


160 VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

aidé des chiens, il retrouve la piste de place en place et, à 2.560 mètres de là, dans un petit terrier^ à demi-énfpui, nous retrouvons notre macchàbé rêcaîcitraut qui se dissimulait du mieux possible.

Furieux de son obstination, on le retire et oh te retuë une seconde fois : puis en le jette sur le dos d'un des cheyatix. L'afabetoujours méfiantlui attacheles pattes: ce coup-ci, nôiis te laissons faire et bien noUs en prit* car à une petite halte, notre cadavre de renard jeté à terre» soulève la tête et cherche encore à s'échapper, H fallut lui trancher là gorge, carotide incluse, pour être certain qu'il n'en reviendrait plus.

Ce fut une petite leçon et je compiis une fois de plus que lorsque l'on a affaire à uni indigène sûr, le mieux c'est toujours de t'écoUtef pour toute ta vie matérielle, tout au moins. Il n'est pas inutile non plus de connaître lésdessoUs delà vie morale, si l'on veut ne pass'exposer ou exposer tes autres à dé tèrfibles mécomptes comme nous le démontrera le récit suivant t

VI. point vue aràbô et Jugô do paix

J'étais alors à Tiaret, où je partageais mon temps entre mes quelques malades, des chevauchées dans les envlfpns sur ces excellents petits chevaux arabes, et le soif d'interminables parties d'échecs contre le juge de paix. —* D'une divergertee complète d'opinions avec cet honorable représentant judiciaire,'nous n'étions d'accord que l'échiquier dans ta main. Dans nos longues discussions sur les moeurs» l'administfiition, les choses d'ordre général, j'étais pour l'esprit et ta simplification, tandis que lui ne connaissait que la lettre des règlements. •—'' Une autre petite cause d'antagonisme existait aussi entre nous : je pouvais -momentanément, être mis à sa disposition par le Commandant d'Arniés, pour n'importe quel constat judiclaife.lt me le faisait sentir et eh effet, l'occasion s'étàht présentée, i 1 s'empressa de me requé* rir. Voici dans quelles conditions t

Un ârabê de douar, avait dans une causerie àhîméè avec l'une de ses femmes employé un peu 'lourdement


VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE 161

son matraque dpnt les caresses avaient laissé quelques tracés. La femme rie s'était pas plaint le moins du monde, mais le juge ayant eu vent de l'affaire (car elle n'avait pu apporter ses légumes au marché), poursuivit ■d'office.' ''.;- ^';...:•',;''-..-^'';■'-:;'^;.'■;;:'',.::;'

Cet incident en France aurait peut-être eu quelque importance, mais chez tes Arabes, il était insignifiant ; le niari étant te maître absolu, comme chez tous les peuples primitifs, et disposant de ses femmes comme de tout ce qui se trouvait SPUS sa tente.

Tout frais émoulu des soubassements de l'Ecole de Droit, rhoh jeune et zélé Justîtilen, jugea « à ta française », sans se soucier des usages des indigènes. ■— En vain j'eus beau lui dire : « Les coups sont visibles « pour tout te monde, il y a eu des témoins, je ne puis * les passer sous silence tout-à-fait ; niais ils n'auront « aucune conséquence, là femme sera sur pied dans < 8 jours, rendezùrt lion-lieu. Si Vous condamnez, cela: « fera mauvais effet dans les douars et petit nous faire « des complications.»

Sans rien vouloir entendre, il condamna l'Arabe â la prison: ta peine exécutée, celui-ci fie dit rien; mais quitta avec son douar les environs de Tiarèt et s'enfuît de 66 à 8o kit, dans te sud, <— j'avais oublié l'incident de ce pauvre diable quand Un matin je reçus l'ordre désagréable d'aller à '66.'.kit, pouf vérifier te décès d'une femme arabe survenu dans des circonstances douteuses,

A mon arrivée, je me trouvai en face de restes informes et desséchés : mon rapport naturellement conclu à* néant». Voici ce qui s'était passé t

L'Arabe, profondément humilié par l'ingérence de ta justice française dans l'exercice de ses droits immémoriaux de mari, s'était simplement vengé. D'accord avec tout le dollar, Il avait tué sa femme, cause indirecte de tout cela, et te càdi, taçitemeht complice, s'était arrangé pour prévenir trop tard au bureau arabe.

Quelques autres exemples d'interventions à contre* sens : en igôi, M,-Chaulemps, fils de l'ancien ministre, (lit tué par un nègre pour un jugement contraire aux us dupâys. .'".;.;.::':":■-.;'." '■<■}■


16$ VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

Le chef dû Baol et ses parents, ayant conclu te marché dont les captives étaient le paiement fut mandés chez l'administrateur deTliîes et mis en jugement. Le chef fut condamné à 100 fi*, d'amende et ses parents à la prison. Surexcités pat* celte punition, les condamnés sortirent du prétoire, menant grand tapage. C'est alors que l'administrateur voulut mettre le holà. Il fut reçu a coups do réyolver.

Débordé de toutes parts par les noirs, l'administrateur cria : « Aux armes I » Au bruit, Mi Cliautemps sortit de son bureau pour désarmer le chef du Daol et sa bande de nègres. C'est alors qu'un chef des rebelles le frappa de deux coups de poignard en plein coeur. M. Chautemps mortellement atteint tomba foudroyé. »

Moralité ; Dans te premier cas, l'intervention maladroite du juge avait eu pour résultat la mort d'une malheureuse qui ne demandait nullement à se mettre sous ta protection (>) de nos.lois : c'est ce que je dis fort nettement à mon magistrat cassant et nocibte. Dans te second cas, ce fut le jugé lui-même qui fut victime de soti intransigeance. Par contre, un autre incident judiciaire que j'hésite à confier à votre chaste conduit auditif, se termina beaucoup plus gaiement. .

VII, Le lait de l'àlmèe

C'était par une torride journée de juin, un soleil à faire cuire des oeufs à la coque ou éclore des poussins sous le crâne dénudé d'un académicien. A quelques kit. d'Afn*Sefra un indigène avait planté son couteau jusqu'à la garde dans le dos d'un sien cousin t il l'avait surpris, avec une de ses femmes, dans une situation dont l'horizontalité ne laissait place à aucun doute sur son déshonneur conjugal, bans ces occasions-là, les Arabes n'y vont pâsde main-morte et ne ratent jamais leur homme.

Ledit cousin étant mort sur te coup — c'est bien te mot propre <— l'incident eût été sans grande conséquence si te colon dont le mort était débiteur n'eut pas réclamé. Aussi, à son corps défendant, le caïd quoique sachant que le silence est d'or, dût se résigner à prévenir le bureau arabe,— qui le savait déjà.


VII. MINÉRAUX» FLORE, FAUNE 163

Le chef de bureau nous dépêcha, l'interprète et moi, et nous partîmes d'assez méchante humeur, avec une chaleur qui nous faisait volatiscr les paroles dans la gorge. Nous ne reprîmes quelque allure que le soir, â mi-chemin, en apercevant le caïd qui, désireux de se concilier les bonnes grâces des « experts » était venu au-dèvaht de nous avec des provisions de bouche : cela nous adoucit quelque peu à son égard, surtout en constatant à notre arrivée au douar qu'une difTa fort convenable nous attendait. On parut presque content de nous voir, jusqu'aux sacrés chiens arabes, qui, stylés sans doute à coups de matraque he nous aboyèrent pas trop aux jambes.

Après avoir bu et mangé à satiété, nos dispositions pour notre hôte deviennent meilleures, surtout quand, le dîner achevé, ils nous eut fait passer une excellente soirée avec quelques dames-artistes, du Djebel Armorou des Ouled-Naït qui fournissent tes coryphées pour la danse du ventre (et celles des douros en général). — Poussant l'hospitalité jusqu'au delà de ses limites extrêmes, le bon caïd qui voyait nos prunelles s'allumer, fit tout bas à l'interprète une offre... que je devinai au sourire radieux de mon compagnon se pourléchant les lèvres. —• L'heure étant avancée, nous nous retirâmes sous la même tente ou deux servantes attentives nous attendaient pour.., retaper tes tapis nous servant de couche. L'interprète prit la plus belle et laissa l'autre à ma disposition : que vous dirai-Jo ; les choses suivirent leur cour naturel ; mais ce qui le fût moins, naturel, ce fut la suite.

Quand le * petit porc » qui s'était vite réveillé dans nos coeurs d'interprète et de médecin fut apaisé à satiété» nous causâmes. « Cré nom, me dit mon compagnon, « ce que j'ai soit t leurs sauces épicées et la salade au «piment surtout, m'ont mis tout le corps en feu. Je « suis calmé — à mUhauteur t — mats ta gorge, oh la * là 1 Ivt vous, toubibé r -* Oh moi» répondis-je tout « va bien, calme plat partout 1 -* Comment avec ce «s supplément d'exercice, vous n'aveà pas soif'? Sacré « veinard t » Et il goignlttout te teste de la.nuît» atten*


F-_ièV ;'.v:--'V-;-; -:-Viii \MiNànA^Xt^.^t0iiBy.'»Â'tiNB ;-, i .>';■"'■ :.■•'.;,.''' ■■

dant té point du jour pour'se; précipiter vers te puits où il but comme un,., chameau, c'est bien le cas dédire.

Avant noire départ, je pris quelques vagues informations en jetant Un coup d'oeil au restant de la carcasse du défunt {je le trouvais nêz eh terre avec le couteau toujours planté dans je dos comme dans une miche de; pain ; il m'était donc impossible d'insînUer dans mon rapport qu'il était hiort d'appendicite, Mais j'y glissai les Circonstances lés plus délicates : « Flagrant délit, avait dans «c cette mort instantanée une expression de « volupté., i'exàmen approfondi des organes du sens —>

* moral — démontrait que té Paradis de Mahomet s'é»

* tait ouvert pouf lui juste avant l'instant fatal... etc.> Ménard Seul pourrait raconter chastement tous ces détails. Je rassurai ce bon caïd, en lui promettant d'adoucir les âhgles de mon rapport.

Nous partîmes, salutàto hospitc, et tout en galopant, l'esprit ehcôfe êi sa soif inextinguible de la nuit : « Comment diable n'aviez-vous pas soif, toubîbe ?» me dit l'interprète. Je lui donnai enfin l'explication de mon endurance : « C'est bien simple, accapareur, cette k nuit vous aviez pris là plus belle} moi j'avais ta plus... « opulente dont tes seins gonflés d'un lait qui n'avait « fteii à voir avec te laboratoire municipal.., — Ah t je « comprends, c'est égal, vous aUriea dû n'en « sécher» qu'un et me prêter l'autre. *-*-■* L'autre Y mon pauvre « ami, mais son mbutchachoti l'avait déjà voracé avant « mot, *~ Oh t te sale gossé 1 >.

Que voulez-vous 1 Dans ces pays-tà, à la guerre comme à la guéte, il faut savoir vivre sur « Fhabttantel » Ne me faites pasune morale, non hic est tocus ]..*-■ qui ne m'aurait pas désaltéré. Bien des boissons dans le cours de mon existence m'ont arrosé ta datte i la piUèn en Allemagne, lastoiti à Londres,; le faro eh Belgique, le chianti en Italie, Vâlicanlé en Espagne, mais jamais aussi agréablement que cette fois-là l Quand je resonge à cet incident niédico*têgàl, j'en ai encore le « laft à la bouché » î Depuis; je fus au régime lacté mais... pas de ta même façon.

Wantre» je m'aperçois que je vous raconte toujours


VII. MINÉRAUX, FLORE» FAUNE 165

des histoires personnelles et qUe je m'écarte des graves aperçus hygiéno-civilisalifs I Vous parler de médecine? j'étais si loin de notre vénérable Faculté et les congestions cérébrales sont tellement à craindre dans ce satané Sud t D'observations scientifiques ? À Paris on en fa* brique d'excellentes et très-vraisemblables. Puis le thermomètre marquait pendant quatre mois à l'ombre, de 40 à 45° ; je transpirai rien qu'à le regarder monter : c'est pourquoi dussè-jé baisser à 40 au-déSsoUs de 0 dans yotre estime, je m'en tierts aux petites anecdotes, insignifiantes par 'elles-mêmes *' mais dont l'ensemble tous permet de juger les choses, les gens et les conditions de leur existence.

Si quelques-unes furent agréables, d'autres faillirent totirner.au tragique. Je vous al déjà dit combien le cheval arabe était supérieur par son intelligence et son flair à son cavalier, surtout si celui-ci est français : j'en eus encore une preuve éclatante un autre jour.

VIIL te saut de l*oued-Teindâ

K'ous avions été faire des niàhceuvfes de Tiaret à Âmi'MousSà avec retour par el-Àlef, Mendteï La Ra* houià, câravan-sérail à côté duquel se trouve lé petit monument élevé à ses défenseurs lors de t'attaque du â5 mai 1864, par Sl-Lazereg,;

Âmmi-Moussa est un joli centre, fertile, bien cultivé, mais au moment de notre passage il était dévasté par des milliers dérats envahissant les terres où nous bivouaquions. L'tnstitut'Pastcur qui à si bien travaillé te lapin d'Australie et le fat des Charentes peut y envoyer une équipe de docteurs-ratiers Î il y en à encore.

À là kahoùia, notre avant-dernièrè étape* te temps était superbe, les malades rares j Un autre médecin accompagnant aussi là colonne, j'obtins du commandant la permission de pousser te soir même jusqu'à Tiaret (?6 kiî.) à condition dé revenir te lendemain rejoindre colonne à sa dernière étape, tl me proposa même un guidé : mais comme la route existait réellement» que je la connaissais fort bien, je ne voulus prendre que mon


106 VII. MINÉRAUX, FLORE, t'A UNE*

ordonnance ; nous partîmes vers les 8 heures du soir, tout allait fort bien t le ciel était sans lune, mais nos chevaux rafraîchis et repus galopaient vaillamment dans la fraîcheur nocturne. J'étais en premier quand avec une brusquerie qui faillît me désarçonner, lé mien se rejette en arrière : je saute à terre pour voir ce qui l'avait effrayé : cadavre, bête sauvage, éboulement? C'était pis encore : le pont qui franchissait l'OuedTemda sur les bords duquel nous étions arrivés n'existait plus : là pile d'appui seule haute dé 3 mètres qui terminait le talus, restait, et c'était à quelques centimètres du vide que mon bravé coursier s'était arrêté net, assez à temps pour m'êviter un saut dans l'espace, et peut-être dans l'éternité. Sur te moment je lui avais enfoncé l'éperon ; brave bête, étais-je assez canaille I Aussi, je lui prodiguai les baisers sur les naseaux et des « coco chéri » ert descendant dans le lit de l'Oued pour le traverser à pied puisqu'il n'y avait plus de pont, Mort ordonnancé, derrière moi heureusement, n'eût qu'un brusque arrêt. Kt dire que sur les 126 kit. de Relizane à Tiaret, il n'y avait qu'un seul pont, celui-là.

Là moralité, c'est que mon chevet était moins bête que moi, et que j'aurais dû prendre un goumier.

Je fis aussi une autre fois, une chute dans un ravin de 200 mètres de profondeur en pente abrupte mats j'eus la veine d'être accroché au passage vers les 2$ mètres de descente par un jeune sapin qui me cala fort à propos. J'avais été de Tiaret, admirer les ruines de Tagdem et ta chute de ta Mina (44 mètres de hauteur) utilisée en partie pour un moulin, La mienne, de chute, faillit dépasser ce record et sans aucune utilité. Mon cheval n'eût rien du tout heureusement, ni moi non plus i mais je le mis au pas, tant que j'eus à côtoyer ce précipice.

IX, SaUleréllêË

Un autre incident, simplement désagréable, fut la rencontre d'un banc de sauterelles ; vous avez tous entendu parler de ces orthoptères dévastateurs ; il ne me fût donné qu'une seule fois de tes voir en action.


Vit. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE 1G7

, C'était pendant l'une des éfapes de Tiaret â Alfou vers Mpudejhaf en accpmpagrtant Une colonne. Dans la plaine absolument nue, voilà qu'on aperçut au loin Une sorte dé nuage presque à ras-sot venant à notre rencontre. Les vieux légionnaires ne s'y trpmpirent pas, c'étaient les sauterelles, d'abord isolées, puis s'épâïssissantavec un bruissement de tous lés diables, sur une bande dont la largeur se perdait à l'horizon } teUr épaisseur devant nous atteignait sur le sol plusieurs Centaines de mètres, et en hauteur elles s'élevaient jusqu'à 6 m, 80 en masses compactes, s'éclaircissant audessus de t mètre,

Les hommes marchaient avec difliculté dans ce fouillis d'insectes s'étevant à mi-cuisse, Nos chevaux, au capitaine et à moi, lé fendait avec facilité en ayant presque jusqu'au poitrail et en écrasant des centaines à chaque ■.■foulée./;-;

Nous n'ayioiis pas grand souci de ce passage d'autant plus que, nous croisant, l'épaisseur des sauterelles Serait vite traversée et que ces maudites bêtes n'auraient pas à nbus embêter si longtemps que si nous avion s marché dans te mênie sens, Mais ce qUt nous chiffonnait c'étaient les puits à Moudjehai dont nous étions encore à io oU kilomètres : si ces damnés insectes les avait combîésî nous allions ètfe frais 1 Pas une goutte d'eau et l'étape à doubler. Le tout était de savoir si no* éctopés : partis une heure avant nous étaient arrivés aux puits avant tes sauterelles et avaient eu l'espritde tes boucher,

Devançant la colonne, je filai au galop et je disparus à l'horizon, Une heure après j'étais de retour annonçant la bonne nouvelle. Sauvés, ô mon Dieu I deux ou trois puits étaient indemnes ; nos hommes aidés de quelques arabes arrivés là dès le matin, tes ayant bim garantis. C'est qu'en Algérie, quand on arrive à l'étape et qu'il h'y à pas d'eau ni pour tes bêtes ni pour les gens, il ne faut pas s'attarder à agonir de sottises la Providence Î cela ne servira absolument à rien, Le mieux c'est de repartir du pied gauche et d'ajouter aux a56u 3okil6metrès déjà faits une somme égale de kilomètres vous amenant à l'étape suivante } alors bêtes, gens botven$


108 VII. MINÉRAUX, FLORE, FAUNE

et peuvent se reposer. S'arrêter haletant pour passer la nuit près d'un puits tari ne pourrait qu'augmenter là soif, et diminuer les forces qu'il faudra toujours pour atteindre l'étape suivante : mieux vaut donc une halte très courte et repartir de suite.

X, Ces Dames

Vous voyez combien l'existence d'un médecin militaire dans le Sud-Oranàis peut s'assombrir ou s'agrémenter d'incidents variés. Au total, il n'y apas trop à se plaindre : la solde est suffisante i'autant plus qu'il s'y ajoute des suppléments variables selon les localités ; rapports judiciaires, services indigènes, quelques visites ou opérations payées, salubrité des dames du corps,... de ballet — cet émonctoire indispensable à toutes lés garnisons et qu'on ne saurait surveiller de trop près. Ce chapitre est délicat et ses Jonctions spéciales donnent lieu souvent à des scènes fort originales.

Sûr le fauteuil présidentiel, — se succèdent au petit bonheur : mauresques au pur profil, juives bouffies et grasses, arabes à ta couleur brique bien cuite, espagnoles maigres et brunes, négresses luisantes et musclées, sans compter lasmêthses dé nuance ou provenance Variées, il y en a de toutes les couleurs et pour tous tes goûts { mais c'est la femme arabe du Djebel-Amof qui domine : cette réunion montagnuese sise en province d'Alger, ayant ta spécialité d'exportation pour cette marchandise.» alimentaire. Là, te droit de jambage du mbyen-àge subsisté encore et ces dames se prêtent de fort bonne grâce au petit examen hebdomadaire, Au dehors elles n'écarteraient pas le voile qui tes dérobe aux regards des hommes pour un royaume, fût-ce celui de Jacques ier empereur du Sahara ; mais dans leurs phalanstères, au diable tous les voiles. La gandoura, sorte de chemisa légère fendue sur les deux flancs leur suffit amplement : ce soupçon de vêtement se composé de deux pièces rectangulaires de mousseline, l'une par devant l'autre par derrière, attachés sur tés épaules mats baillant à volonté de chaque côté. Parfois une ceinture les fixe à


Vil, MINÉRAUX, FLORE, ÏAUNE lè§

la taille. Ajoutez à cela une paire de babouches où danse un pied nu dont la cheville est agrémentée d'un ou plusieurs bracelets d'argent, et voilà leur garde-robe au ■complet,; ''■;.- " '•>.'..

On peut se rendre compte de leur anatomîe en toute facilité, nulle tromperie à craindre sur la quantité ou qUalitêdè l'étalage à l'extérieur l'intérieur, par exem pie, c'est une autre histoire, et l'intervention médicale est souvent indispensable, car, mieux que les génisses de l'Académie de Médecine, elles serviraient dé portevaccih-spéclal — avec "garantie d'inoculation presque à toutcoûpl

Mais pas de mauvais coups dé langue dans la réputation dé ces dames, avec lesquelles j'eus, médicalement parlant, toujours de fort agréables rapports et qui trouvèrent en moi un tôubibe apportant une raideur mitigée pour le*: décisions hygiéniques que j'avais à leur appliquer, Dans ces délicates fonctions, il faut être une barre de fer dans un étui de velours, mais l'étui fait parfois pliéf là barré.., je m'arrête, vous me feriez encore raconter de ces croustillantes histoires que la douane interdit sagement à l'entrée en France. LesGrecs disaient : gftoU seau ton, que les Latins ont traduit par : Noscete ipsum,aa qui veut dire noce toi-même (sans faire nocer les autres). Jésus-Christ avait déjà dît : Sine le par vu ta a (pirgines) vèhirë ad 'thé; Avec ces deux préceptes, vous pouvez marcher sans mes conseils,

Comme je vous l'ai dit, te recrutement de toutes ces aimées joignant l'utile dulci se fait dans le dj. Amor et chez les Oulad-Natls, qui fournissent toutes les coryphées de là danse du ventre, programme obligé dés nebiia (fêtes locales). Elles répondent aux noms euphémiques de A fcfot, Kâira, Fatma, Yamina, Zohra, Bedra, D/'ohâ, Zind, Meryem, lidouria, etc., variété infiniment plus complexe que tes noms masculins de Aàmect, Aiohàinmedt Àbdathahs Kaddour, Moussa, Ytusefi Leur ornementation et leur coiffure sont classiques, avec leurs étoffes brillantes, l'échafaudage de leur édifice capillaire (en cheveux et en laine) surchargé de sequtns ou pièces d'or françaises parfois, formant chfc*


1Î0 Vit. MINÉRAUX* FLORE, FAUNE

pelets. Elle peuvent dire comme le philosophe Bias, ou les étalons de haras, « mecum omnià porto ', » car toute leur fortune est sur elles. Le nombre des pièces de leur colliers témoigné de l'intensité et du nombre de leurs adorateurs,

Que deviennent-elles plus tard en vieillissant, flétries dès l'âge de 20 à i5 ans? Les unes retournent dans leurs montagnes ou disparaissent dans les grandes villes, d'autres se marient comme leurs congénères en France, « habent sua fata feminoétil;>;

XI, La liberté d'existenoe

Je vous ai parlé de nos avantages pécuniaires assez rondelets surtout si l'on pense qu'à moins de sacrifier au bac. Il n'y a pas moyens de dépenser sa solde ; à quoi grand Dieul de l'amour rare et quasi gratuit ; pas de bocks, de théâtres, de bombés bu de parties fines, c'est l'idéal presque, de l'anachorétisme t 11 est vrai que, lorsqu'on revient en France, oh ébrèche ses réserves à Orâh pour les achever à Marseille ; le reste (s'il en existe encore?) fonda Parts, et l'on peut, en changeant lé dernier des billets de banque accumulé par le séjour ôrahais, s*écrièf avec mélancolie : Sic irànsëunlgtàriààùndi t '.; Et ta liberté, ce & bien supfémè?; » Nulle part le médecin n'est plus favorisé que dans le Sud-Oranats.

On a bien à redouter de temps en temps quelque inspection *. inopinée » de Grand-Chef, Mais cette éventualité est rare, vu la distancé et te manque de communications, De plus, l'on a toujours Vent, 15 jours d'avance, de la visite * inopinée », et chacun à le temps de s'y préparer tout à loisir, Le génie fait retaper lés pistes ou fotites ; on restaure tes baraquements * tés chefs de service opèrent te grand branle-bas de propreté { le bureau arabe otg&nhè fantasias et diffas ; quand l'Inspecteur arrive, enthousiasmé générai, réception Soignée. Il trouve tout dans l'ordre le plus parfait ; bien nourri, bien glorifié; il croit de bonne volonté que cette apparence superbe est la réalité de tous les jours. Là-dessus rapport excellent, notes mirobolant», Naturellement II


VII. MINÉRAUX, FLOHÈ, FAUNE 171

a à peine tourné les talons que chacun revient à ses petites habitudes : le génie fait la sieste, les chefs de service vont à la chasse, le Bureau arabe s'occupe des aimées, On remise tous les règlements et circulaires pour y substituer un tas d'occupations absolument étrangères à Part militaire ou au service de campagne. Ce sont les chasseurs surtout qui sont au septième ciel, j'entends non les corps ainsi dénommés, mais les officiers aimant ta chasse. Oh ceux-là, quand ils ne sont pas embêtés par un commandant d'armes du genre rosse, ils passent agréablement l'existence entre la sieste et le coup de fusil ; ma foi, quoi qu'en puisse dire les rigoristes du métier, il n'y a pas de mal, au contraire. Entraînés constamment par des chevauchées dans toutes tés directions, plaines ou montagnes, aguerris par les fatigues, acquérant l'accoutumance à la chaleur, à l'existence dans te désert, ils se maintiennent robustes, entraînés à tout, ce qui est l'idéal du soldat prêt à entrer en campagne. Au moral, leur contact avec ta nature, avec tes indigènes, leur fait acquérir des connaissances locales précieuses en temps de : guerre ; châsse, cette distraction fortifiante, est une pépinière d'officiers robustes, acclimatés et débrouillards.

C'est au contact de la rature que se refait la force physique, fénergie morale } le vieux proverbe, d'Antée retrouvant ses forces en touchant la terre, sera une allégorie toujours vraie.

Vivre libre et respirer l'immensité i aller maître de sot dans la nature qu'il faut asservir et soumettre à ses besoins vitaux} —fouler te sol vierge sous son pied, avec l'infini du ciel sur là tête j '*— dompter dans sa marche, là brousse ou te marécage, ta montagne abrupte ou la plaine insondable* — vaincre ta distance, les intempéries et tés bêtes *. —» conquérir l'eau qui sourde, le gibier qui s'enfuit j — devoir sa vie à soi-même, rien qu à soi-même, à son courage seul, à son endurance... quelle existence vivifiante et inoubliable 1 Quand oh l'a pratiqué quelques mois, le retour à là civilisation vous paraît étouffant avec son cycle étriqué et ses besoins artificiels»


I7è Vit. MlkKftAtix, IrLOftEi *ÀUÎ*K

Au début, les premières fois que seul ou avec un guide inconnu on voit la huit descendre brusquement sur soimême et sur ce désert muet sans limites, le coeur se serre i on se sérït îrtfiroé devant la; natûfe; grandiose, redoutable * on a peur pf«qué de sOnisblenierit phy: siqtié|t moral ç cpmniè uti eh font appelant si mère; on se surprend â soùpïféfvâprés tés autres, leé civilisés;- mais au bout de quelques jours cette impression change; on sfjnt qu'on peut dominer Cette fbM écrasant^ solitude dans 1 espace ; on comprend la grande voix du désert ; l'on subit une sorte d'ivresse spéciale s'infiltrent dâlis la chair et te cerveau, ÎYrtssé qu'on ne petit plus oublier iàffiaiSi

J'ai voyagé bien des fois depuis en pays civilisés m tfofd, au Sudlj'ai parcouru la brumeuse Àhglêtétïè et là Hollande sévère, les montagnes neigeuses de laiStiitsèt les plaines brûlées au pied des sierras de VËspaghéi Vftûtlé)^a,VÀlletààgrié sombre, J'ai côtoyé et fési senti bien des impressions, mais rien de pareil à cette étreinte en moi de l'infini sitehciéuJt du i Sahara j'errais; atonie Imperceptible dans là bfulanïéêt vidé immensitél :..:-..


^..-.f--_.\-r :p-;j-" I_;".--;;_L: ;

Organisation arabe

I, "Tribu f dôttàr, faniUl*

Vous dtrai-je quelques mots de l'organisation des tri* bus, dé là famille arabe ? Je ne puis guère le faire que "à grosso modo *, vous parler qtié dé Ce que l'on voit.

Comme partout, l'unité est la famille ; plusieurs familles de même souche ou réunies forment un douàr, soui l'autorité à'ùn chet; (ihëthk% Plusieurs douars réunis forment une fraction de tribu (ferka), sous l'âU* tôrlté cYûncàïd. A eôti du caïd, se trouve le cadi et tes orfou/*, autorités judiciaires analogues à nos juges de pàixV*-- Ces fractions (férkàj réunies forment ta trlbtï, sotis l'autorité d'Utt àgïiki ou èâch^àgâ, possédant tin territoire plus ou moins considérable ; cela correspond àsséibién à nos maires, soUs-prélèts et préfets, àyèc di* vision en communes, cantons et départements : d'autant plus que les grandes questions d'intérêt général sont agitées dans laiDjeinâii sortes de conseils municipaux composés des notables indigènes. A côté de l'organisalion vitale (politique pour ainsi dire) se trouve l'organisation religieuse bnipf^

ordres et sectesdivers t tout cela se trouvé décrit et classé dans dés monographies spéciales : aussi nous en tiendrons-nous à ta pratique courante, à ta Vie du douar,

>Suf toute l'étendue dé territoire de là tribu, tés douars vont et viennent, ^installant à un endroit, à un autre, selon les nécessités du pâturage et les saisons s ils se déplacent avec parfois des troupeaux innombrable*


174 VIII. ORGANISATION ARABE

(chameaux et moutons) qui constituent la richesse coin? mune. On eh rencontre dés bandes dé plusieurs milliers de têtes, sous là conduite de plusieurs serviteurs.

Dans te douar, ce village ambulant, il y a autant de tentes que de familles séparées. On pourrait presque te comparer aux roulottes entassées des saltimbanques allant deçi; delà dans les fêtes foraines.

Je ne sais comment sont nommés le caïd (maire) et le cadi (juge de paix), ces deux autorités distinctes et fondamentales de t'orgahisation arabe ; il est à supposer pourtant que la centralisation de la métropole ne va pas jusqu'à les nommer par décret du Ministère de l'intérieur ou dés Colonies l Le Caïd (pouvoir, exécutif) et le Cadi (pouvoir judiciaire) ne sont embêtés par personne. La justice simplifiée comprend surtout l'amende ou là bastonnade «t.; elle est sans appel, du moins loin des centrés français : par ma foi, to it cela fonctionne aussi bien et même mieux que chez nous, avec plus de célérité à coup sûr, car l'arabe condamné verse illico ses moutons d'amendé eu reçoit ses dix coup* de matraqùè sans exploit d'huissier ni ministère d'avoué 1

La famille comprend tout ce qui est sous chaque tente;du' chef de famille, maître incontesté de ses feuVmes, ses enfants et ses esclaves, s'il en; possède, —- Il doit nourrir tout ce monde-là, mais il âledroitabsolu sur eux, travail et correction 5 ajoutons que s'il en use, il n'en abuse pas d'ordinaire, son propre Intérêt étant de pas détériorer ce qui est à lui, Uni Arabe aisé a toujours plusieurs femmes ; il en prend autant qu'il veut, pourvu qu'il puisse les nourrir.

Les femmes d'ailleurs travaillent et font tous tes ouvrages d'intérieur} l'une prenant soin de la mâfmaUlë, toujours nombreuse naturellement { l'autre labourant, avec l'âne ou le cheval, lé coin de terre où l'on hièttrâ de l'orge {celle-ci s'occupant de l'eau, du café, du couscous, etc. t celle-là spécialisée dans telle autre besogne ! c'est te système dé la division du travail appliqué par le Chef de famille qui, lui, né fait rien que de fumer ou chasser. Si jamais là ligue du féminisme étend ses ràV


; • Vlin OnfeÀNISAtlÔN ARABE " 175

mtfications sur lé Tafilei où le Gourrara, elle aura fort ^"fklwst'^V--^:.;^: "," .;,;;o

En Fràfice, mon Dieu, c'est bien à peu près la même chose au fond ; si l'on n'a en titre qu'une seule femme (ou une seule maîtresse), Yon ne rate jamais l'occasion dé tut adjoindre une ou plusieurs collaboratrices quand l'occasion se pirésëhtè, ïmàis discrètement, Car si l'intéressée légitime lé payait grand Dieu, quel potin 1 eh avant là scène d'attaque de rtcrf où le vitriol vengeur. Lés: femmes arabes, çlleé, n'occasionnent jamais de ces sales histoires : elles vivent toutes ensemble dans le plus parlait aÇcord, apparent dU moins, àceéfd que la matraqué du Maître entretiendrait s'il était nécessaire. Tous tes enfants poussent eh Commun sbus la tente, et il y à eh: général dan s chacune de quoi contenter tes Piôts et soùs*Piots de ta ligué dé repopulation française,

Lés Arabes ont; à un haut degré, lé sentiment de la maternité et de là paternité, s'il est écrit chez nous que * tout arbre qui tte produit pas dé fruits doit être coupé et jeté àù feù », chez eu*» ne pas se màtiéf, ne pas procréer et même, étant mariés, n'avoir pas d'enfants, est regardé céfhmë Uhé Kôhté» une malédiction. C'est ce qui expliqué l'âccralssëmént notable dé là population .-indigène.'' -^.:':::-^'--'--:-.:::r'':;fSi,

-^.:':::-^'--'--:-.:::r'':;fSi, l'union; des enfants ne naissent pas, lé mari est appelé * tinàek » et là femme « tinàchà *, termes méprisàhts qù'ôtt îéu> jeltèrà à là face à là moindre occasion. C'est pour cela que; dans là loi coranique, il est permis de prendre jusqu'à quatre femmes i la direction matérielle du ménagé est laissée à la plus ancienne. Lefnàft doit: pbtifvoir aux besoins de ses épouses, qui, chacune, ont leurs appartements particuliers. Il fié doit fâlrede préférence pouf aucune. QUàrid il à fait l'achat d'un objet quelconque, il doit le répéter autant dé fois qu'il àd'épouses. Lés enfantssont considérés comme frères et ïééûrs dé tnènié ïèrtg, et, si ùhé femme est inféconde, éltè s'occupe 'tout maternellement desénfàhts dés autres épousés. Lé;mâH doit à toutes ses femmes là

mèrM protection et là/ttictnë.tt âffecttoh.On rèùlèmèht CM établi sâni qu'il puisse ^oralement être violé, Dais


176 '', VIII. ORÔANISATION ARABE '-*'"

le cas où l'une des épouses s'en plaindrait, elle pourrait réclamer le divorce, Un notable indigène, auquel nous faisions remarquer combien cette polygamie nous semblait immorale, nous répondit : « Nous, Arabes, « reconnaissons avoir quatre épousés, tandis que vbUs, «s Européens, n'en avouez qu'une et en cachez trois, •*.

L'Afabé pur, notamment dans le Sud, a généralement conservé les habitudes nomades et vit soùS la large tenté aux bandes noires et grises tissée de laine de poil de chèvre où de chameau ; éomme meubles, quelques grands sacs en étoffe ou tressés dediss ou d'alfa — contenant l'orge, le blé ou' les dattes ; des pèaUx de boUcs 6U des coffrés bariolés où sont serrés les bijoux ou objetsprécieux * des ustensiles primitifs de cuisine ! te grand plat de bols (guèssaa), sériant à préparer te mets national, te couscous, composé de grains dé semoule, de farine, d'orge, de blé ou de sorgho, àggtomérès et cuits à la vapeur dans un côrtë en alfa ou en diss : lé keskès ; une marmite dé terre ; dans lés tentes, un ou plusieurs ..' tapis servant de lit $ chez les pauvres, dès nattes.,, et • c'est tout! ■'. ■-'■; ;■''■'

II. '— Dîner arabe

Le mari a presque toujours une préférée ; celle-là, naturellement, a le minimum de besogne et le maximum . dècàfesscs. "'..

Je dînais un jour près de Tiaret chez un arabe riche et influent : une table basse, une seule pile de coussins; c'était peur moi, car, chez eux, l'amphytrion né s'asseoit à table que si son invité l'y autorise et lé lui demande formellement. Je priai donc mon hôte de s'installer en face de moi. Nout commençâmes te repas. Les femmes ne mangent qu'après le Maître et jamais à sa table : puis |es enfant!!, puis les serviteurs, puis les chieni, Vous voyez que lorsque dans une diffa (repas dé cérémonie). on sert un mouton tout entier, il n'en resté plus guère, quand toute là hiérarchie â piqué dessus.

Donc je mangeai avec mon hôte tune de ses femmes sans voiles, nous servait, Elle était superbe de formes.


; VHIrbkOA><iSATtO}< ARABE 177

quoiqu'un peu âgée (a6 ans environ), c'était elle la favori te éproùvéé, attentive au môindfé signe du Maître, ; essuyant ses doigts, lui versant l'eau, le café, apportant sàpipe,étc.

Lés deux autres femmes, dont l'une avait à peine 14 ans et qu'il avait épousée (achetée plutôt) ie mois précédent; se tenaient accroupies danS iin coin avec leurs enfants, âttàhtet venant sans bfÙiteomme de petits àni* màùx: sauvages^ tout èrt regardant avec curiosité lé fourni» ami du Maître.

; Lé menu était lé même que dans tous les grands repas oUdifTas.

Mouton rôti ; nicchoui.

CoùScpusi (énorme;.

PitoèritS. '■■':■■

GâtêàU de fariné d'ofgé et de miel. V

battes, cotifiitifeset fruits.

Cela hé ressemblé guère aux menus sardanapalesques de nos M Ministres en tournées inaùgurâtivès », mais on y fait tout de même honneur et brèche, quand on à â5îh>, là dent longùéét l'estomac solide,

Pendant que je ïsuis sur lé repas dé «< cérémonie », je ferai part à nos petits maîtres dés grands restaurants du boulevard des Italiens d'ûhecoutume en grand honneur à Chellala, ïé&.'ÀrMM Tyout $ il est d'excellent ton de roter à la fin du repas avec une fréquence et ùhé énergie qUî sont partout très appréciées de celui qui vous inVite, câf ; cette manifestation stomacale lût indique que vous êtes bien repu, et que *<*ous en àveépris jusqu'à la g.,i ardè. Il sourit et est enchanté : si vous l'invitez, il né manquera pas non plus à cette petite formalité. C'est d'ailleurs le signal du café,

N'allez pas croire que je blague (je suis du Nord) en vous Montant un des pâqUébots sur lesquels naviguait mon àml bâtard d'Herlinvillé I Non, je vous raconte tout bêtérneht ce que j'ai vu. un dé mes amis, lieutenant debUrëau arabe, était devenu supérieurement habite dâhs gèhré dé SpôrLu rotatif y au méss, t)ùéhd là pitàttcé était nïâigré Surtout» il rotait à faire trembler tes vitres.a té rôt IrôftiqUè l


i78 Vlit. ORGANISATION ARABE

Ce sont là de petits détails qu'il est bon de connaître, car il ne nous viendrait jamais à l'esprit qu'une série de rots bien accentués est le « nec plus ultra » de la politesse arabe. Par profession, lé médecin doit observer et s'assimiler vite : je m'y mis donc Sans hésitation, et j'arrivai à roter de façon très suffisante, ce qui, d'ailleurs, n'est pas bien difficile. — Mais où en étais-je ? oh oui, je parlais de la famille arabe, femmes, enfants, serviteurs ou petits parents formant la suite du maître, passons maintenant à la propriété.

III, La Propriété

La propriété est un peu individuelle, mais surtout collective, comme dans tout.es les organisations agraires ou primitives. Ce Système à l'avantage d'assurer la vie de chacun à part et celle du douar et delà tribu dans son ensemble. Les familles (ou tentes), tout en ayant aussi leurs « propres », forment un aggtômat possédant des territoires indivis de pâturages pour le bétail.

Cette famille sociale n'a jamais été dépassée dans les conceptions des civilisés, qui, au contraire, ont presque partout supprimé la 'propriété colleçlivé au profit des propriétés individuelles parfois exagérées t De plus, au point de"Vue de la conquête et de l'administration, il était infiniment préférable d'avoir devant soi te caïd et le douar (collectivité responsable et ne pouvant se dérober) au lieu des individus qui peuvent disparaître. Le recouvrement des taxes, la transmission des ordres, les services publics sont assurés plus facilement avec la responsabilité collective, qui, en outre, a l'avantage de laisser les gens plus libres de s'arranger entré eux \ d'où administration plus libérale, moins tracassière et moins onéreuse.

Quand donc en France comprértdrohs*hous que la centralisation est ruineuse et inféconde quand on ta

fausse à l'excès \ plus tes rouages sont compliqués» plus a machine consommé de combustible en produisant Moins de force motrice, c'est-à-dire beaucoup d'impôts pour un rendement utile amoindri/


Vïtl. ORGANISATION ARABE 179

■" -.;^" /i' ' /Iv*;i^*JBsd|ÀV«.fir'è;.; '"'>."-:

Dans quelques coins extrêmes, il y a encore des esclaves» et, çèïilulést bizarre; volontaires, cet\aor offrirait là liberté qu'ils; n'en voudraient pais. Ces esclaves sont des nègres dû Soudan éh générai; sbit achetés aux carayàhés qui vont en f ripblitàiné, soit échappés de^^èfneVcaràVànes et réfugiés; au sud des possessions françaises.dans le Gourara ou le Touàt. Dans ce dernier cas, ils; sont répf|s7et gardés par lesi Arabes : leur figure est d'ordinaire zébrée au feu de trois bandes longitudi - 'haies su files, joués. 'C: ■'-:.■

Mon opinion Va voUs renverser : ttupete génies ; tenez-vousbîëti iJê serais presque partisan de tesctapage. Ceux qui, isur leurs fauteuils bien rembourrés, parlent dé là liberté et dé la fraternité n*oht jamais VU l'éSctàVâgé et les; ésclàVës, dans lé sud algérien.]*~ Làbas, il n'y a ni salariés, ni domestiques : le chef de tente (où dédouar) n'aécèpte et hé connaît que ceux qui lui appartiennent. Un malheureux nègre, évadé du Soudan» repoussé partout» que deviéhdfâit*it s'il né trouvait un tnattré qui veuille bien l'accepter» te nourrir ? Mais on lui rendrait sa liberté; (ju'il né saurait qu'en faire et ne comprendrait pas 1 Et puis son esclavage n'est pas bien 1 dur "i faî fe les q uél^uéS buvràgâs, garder te bètai l j e n tre nous» Yéscfalvê Hoir du chef arabe travaillé joliment moins et à bien plus de libefté que l'ouvrier d'usiné, cet esclave Mànè qui voté, mais c|ui tous téi jours, écrasé par un rude labêùf» doit tourner sans répit sa meule journalière. Elle est belle la liberté, la fraternité de l'ouvrier à l'attaché sbùs les nécessités dé l'industrie ; dèvbrâfitc î

Là Véritéyc^ést qUé lé nègre est infiniment plus libre et hUeUs; traité, àveé 4b» titré d'esclave, que nos domestiques; nos où Vriers : dès jiomméà tibfèi cependant i Comme lé dit Ch\ Rivière (Pfâhcè coloniale tgoî), :.*, lés hoirs sont des esclaves, mais beaucoup d*ôUvfîÊfs * dé hbi fabriqués Voudraient avoir téùf situation. W KtlftM'n Prahëé, «È l'étl^uëttè », on hé Volt qÀiècêîâ,


ISO VMI. ORGANISATION ARABE ;/'

Et ma négresseà moi que j'éUs pendant plus d'un an» voyons, était-elle bien malheureuse (?). Qu'aùràit-elté fait, là pauvre petite bbule-dé-suiè, sans Un gîte, un àsijè, Unie hburrlture assurée, avec pas béàùcôùpde travail? Mais c'est qu'elle hé voulait pas énénténure parler dé l|bérté: et qu'elle étaiy enéhantée de: trouver» au; départ de chicUn dé rtbùs, un àcqùêféUr clans celui qui succédait. Ëtpuli; si l'pn va encore plus ail fond| déschoses, qu'est-ce que l'esclaVé? Un être que Vous achetez; d'Un coup et qui VOUs doit son travail pouf plusieurs années, en je gardant ou en lé revendant. Qu'est-ce que c'est qu'Un ouvrier ou un don\èstlqùé? Un être que Vous lOUez û« mois et qui vous doit sort travail à Vous où à tout autre patron. La seule différence c'est que l'esclave se paie en une fois, une forte somme ) le domestiqué par petites mensualités. Le domestique est libre?... libre; de quoi e de mourir de faim s'il rtë trouvé pas: à se placer;

Àchaqùé pays ses nipeUrs, ses habitudesi : des *.dômestiqUes > sont impossibles chez tes arabes dû Sud bù il n'y a ni Salaires, rti ouvrages ! lès « esclaves » y Ont infiniment moins de besogne que nos ouvriers. En tout cas, ceux qui, étant en territoire français, savent qu'ils • sont légalement libres ne quittent pas lé moins du monde le Maître qui leS^a achetés et qui les nourrit, et en dehors duquel ils ne trouveraient ni travail, nt abri, ni fariné d'orge nulle part, Comme o,uoi, avant dé se former une opinion absolue et théorique en là matière, il est bon de voir Comment les choses vont, çômrhèht elles sont nécessaires dans la pratique,

N'allêi pas pourtant me prendre pour un partisan dé la traite des noirs; non, mais je croîs que la traite des blancs,.—• et des blanches ■—est encore plus irêelïè peutêtre, sous l'étiquette de liberté et d'égalité qui masquent tant dé honteuses et continuelles exploitations humaines. Dans le pays où le numéraire et le travail sont inconnus» l'esclavage me parait plus sût que là domesticité qU| né peut, exister dans les mêmes conditions qu'en-pays, civilisé.-"." '. ■ .

Puisque nous en sommes sur ce sujet, disons que l'esclavage existe toujours aux bords de nos possessions


VlIlV ORGANISATION ARABE 181

au Maroc et à Figuig qui s'approvisionne par le Tafilet. Les plus recherchés sont les jeunes sujets (négrillons ou négresses) ; les négrillons valent en moyenne aujourd'hui 3oo fr., et les négresses, plus recherchées, 400 fr. à 5oo fr. C'est bien plus cher que de mon temps, mais .que voulez-vous là vie augmenté partout. On n'achète que fort peu les adultes, de valeur moindre et dont on ne sait que foire.

A propos de négresses, nous pouvons nous permettre une petite échappée médico-utérine. On sait que négresse et blanc reproduisent assé2 rarement ensemble ; l'accouplement dé hègfe avec blanche paraît un peu plus productif. Les produits sont en général eux-mêmes d'une fécondité restreinte (mulâtres, quarterons, etc.). Le public se figuré eh général que les petits nègres en venant au monde sont aussi noirs que le c.ollier du diable 1 Pas du tout ; ils sont tout au plus café au lait, tes clair même y et, au contraire des poireaux qui blanchissent en Vieillissant, eux; ils noircissent au bout de quelques semaines. V

La première fois que j'aidai à l'entrée dans te monde d'un négrillon récalcitrant, en constatant sa couleur douteuse, je crus que lé papa nègre, déshonoré tout cbrtimë ùh sithplé blanc, avait eU pour collaborateur quelque troupier de là garnison. Pas du tout ; mon petit client, trois mots après, était noir comme père et mère. Aussi là vertu dé la négresse, ne la soupçonnez jamais, comme nous le dit Vitor-Hugo : ' Ôh I N'insultez Jamais quand une femme accouché Et ne recherchez pas quel baiser sur sa bouche Kn fécondant sôh sein eipu confectionner Lé poupon qu'au gfahd jour il vous fout amener

Les négresses accpùcnént presque toujours seules et tb~b;iijj.:(â'.à\i pf. DéUk fois séuutrtènt j'eus à interve* ni'f j hèrnôfrhâgié pouf un cas; pour l'autre, une simple version dâhs lé Vase •-* étrusque -- de ma cliente, rériilt le hégrichôn éli place. /

Quand j'étais à Aïn-Sefra, un adulte nègre, venu du


182 VllI. ORGANISATION ARABE

Soudan (car il était marqué sur les joues dés trois raies habituelles), me Vendait souvent des légumes à l'hôpital : je lui demandai à qui il était,; s'il était encore esclave. Happartenait à Un arabe auquel il s'était vendu lui-même, et, tout en sachant qu'il aurait pu être absolument libre, U se gardait bien de le quitter : hors de chez lui où aurait-il eu l'orge et lés dattes de sa hoÙN rituré ? Son travail était d'ailleurs facile : faire pousser quelques légumes et venir les vendre au compté du maître. Il supportait fort allègrement pareil esclavage et n'aurait certes pas été un chaud partisan du socialisme qui dbhnécomme principal droit la confraternité factice, l'égalité impossible et la liberté de éfever de travail, de misère ou de faim. Mais ne mettons pas un doigt, ne fut-ce qu'un doigt de pied, dans le bourbier sociâlo-pôlitiqùè. V

La liberté, pour tes intéressés eUx-mêmes, n'a donc pas là même importance que pour nous, car leur mentalité est totalement différente j la vie même n'a pas non plus la même valeur chez les populations primitives, les Asiatiques, tes peuplades d'Afrique, qui ne comprennent pas la préciosité que nous attachons à l'existence : cela est si Vrai qu'au Japon vous voyez tes gens se tuer euxmêmes pour un point d'amour-propre spécial à leurs idées mofàlés ; Usjàkifs indiens, sous couleur de pratiques religieuses, se torturent ou suppriment leur propre existence.

Le nègre est d'une extrême mobilité de Sensation et d'impression i les sentiments lés plus vifs (amour, haine) ne persistent pas chez lui. Le passé hé compte plus, il l'oublie dé suite j l'aVenir, il ne le comprend pas, tout entier àù présent dahs lequel il Vit.

L'exemple suivant lé montre bien i ?

•• Un patron de vapeur français, arrêté dans un village u où l'on engraissait des prisonniers nègres pour les « manger, reconnaît parmi eux un de ses anciens porteurs « et lui offre de l'enlever, c'est-à-dirô dé lui SùûVèr lo lit. u Le nègre reruse i bleu nourri et bien traité par le « présent en vue du prochain sacrifiée, il ne se souciait « millémêht du lendemain I »


VIII. ORGANISATION ARABE 188

Autre anecdote authentique rappelée par le capitaine Duperthuis ;

« Près du tac Tchad, dans une poursuite de nègres par une de nos colonnes, ceux-ci forcèrent leurs femmes a obandonner tous les enfants pour fuir plus vite, mais en cohservahl leurs chaudrons. En effet, tes enfants, pour eux, cela n'avait pas grande importance, il y en a toujours, mais les chaudrons, commet;! les remplacer? »

Citons encore le cas d'un autre officier obligé d'assommer un homme et de menacer de son revolver tes autres tirailleurs indigènes se précipitant, après une marche brûlante, sur la flaque d'eau d'un infect marigot. Sans sa décision et la certitude d'être tués net s'ils ne reculaient pas, les piemiers indigènes se furent gavés d'eau immonde en exçîs,les derniers mourant de soif.

Et les dêseiteurs du Sud-Oranais dont nous avons parlé? Si tes goumiers, au lieu de rapporter les têtes coupées, les ramenaient vivants (et avec dés égards I) combien plus fréquentes seraient les désertions qui, outre le danger moral de l'exemple, aboutissent fatalement à la mort naturelle des évadés dans le désert I Là erteore le trop de respect de l'existence d'autrul serait un noh*séns.

La vie est un capital dont là valeur est variable selon les circonstances, et qu'il faut savoir parfois gâcher à propos pour le ménager, quand l'existence sacrifiée dé quelques-uns sauve celle de beaucoup d'autres. Je hé suis nullement un « buveur de sang » : ce sont les idées simplistes ou coutumes pratiques ce ces gens-là que je relate tbUt simplement.

NoUs pouvons lé regretter, mais nous sommes forcés d'admettre qu'ils ont, de la Valeur vitale, une Conception bien différente de la nôtre : aussi, quand nous sommes en contact avec eux,'devons-nous tenir compte (jusquà un certain point) de leur opinion et ne pas attribuer à leur existence une importance qu'ils n'admettent pas eux-mêmes, et qui pourrait, dans certains cas, leur paraître Une faiblesse, une Impuissance, et constituer un danger pour nous-mêmes, comme maints exemples le démontrent.


184 VIII» ORGANISATION ARABE

Les explorateurs, qui, dans l'intérieur de l'Afrique centrale, ont non seulement vu, mais compris les nègres, sont unanimes à dire que leur mentalité est totalement différente de la nôtre. Comme le dit le D' Ad. Cureau, ils ne sentent ni ne pensent comme nous. — Un phénomène observé par cet auteur, c'est la singulière égalité de concept entre eux tous; il n'y a chez eux ni génies, ni idiots, et la cote intellectuelle n'existe pas pour ainsi dire, confondue dans la collectivité des aptitudes et des pensées identiques chez tous.

Dans ces matières d'esclavage et de vie humaine, il faut écouter, non la théorie des mots ronflants, mais la conséquence pratique des faits. Pas de sentimentalisme quand la bienveillance sera interprétée comme faiblesse par tes Indigènes. De la. justice et la main ferme vaut mieux. Comme le disait le marchef Koulour'lis (descendant de mauresque et de turc) : « Si l'Arabe meurt de « faim, il ne songe qu'à manger; —• s'il a mangé, il « songe à prendre femme; — s'il a femme, il songe à la « poudre et le fusil ; — s'il a le fusil, il songe à le faire « parler : dardons-le donc toujours dans la première « situation 1 > Ce fils des anciens conquérants s'y connaissait : c'est la solution plus sure pour l'indigène et pour nous.

Mais voilà, la oiviltsation I On en revient joliment aussi de ce grand mot-là quand on a vécu au désert. Qu'apporte-t-êlle aux noirs? Des appétits et des vices nouveaux, des conceptions incomplètes ou fictives qui le conduisent à la misère physiologique, à l'extinction des peuplades, comme tes tribus indiennes en Amérique ou tes naturels des lies océaniennes. Voilà des gens simples, libres, passifs', nous les envahissons, l'alcool d'une main, nos produits industriels imposés del'autfe, Si au moins, en leur prenant leur pays, on leur laissait leur Intellcctuatité propre et leurs moeurs, qui, ma fol, ne sont pas plus mauvais que les nôtres I

On m'objectera les sacrifices humains, l'esclavage l Mais, chez nous, comptez donc les milliers de vies fauchées par l'alcoolisme, la phtisie bureaucratique ou usinière ; pesez donc le * duro carcere * de U lutte pour


;.■;'-. Vit!. ORGANISATION AHAHE 1&>

la vie, étreignant le commerçant, le travailleur ; ne sont ce pas là des sacrifices humains et de l'esclavage sous une autre forme (la forme chronique, plus terrible peutêtre ?) Cela vous indigne de voir par hasard Un nègre avoir la tête tranchée d'un seul coup ; mais, et les dix blancs qui ineurent d'épuisement pulmonaire dans les grands magasins, les écoles ou les bureaux de poste i •— Vous bondissez de voir l'esclavage appartenir à un maître, qui o, fois sur dix n'est guère exigeant ; mais, et ces milliers dé vos concitoyens qui sont à tel ou tel patron, obligé, pour vivre lui-même, de les faire produire sans merci.?

Cela ne se ressemble-t-il pas beaucoup dans le fond, et le travail forcé de production intensive dit civilisé, ne fait-il pas autant et plus de- victimes que le « sacrifice «t.humain et l'esclavage » ?

La civilisation, avec ses grands mots de progrès, d'humanité au fond ce n'est trop souvent que le vol d'un pays et la contamination de ses habitants. Volons-les, pourrissons-les, mais ayons au moins le courage du mot, de l'action. J'aJmelsque dans ces grandes luttes terrestres et globales, les primitifs moins fortement armés doivent disparaître devant les civilisés mieux organisés, ■-'plus forts collc:tivement : mais ce que j'admets moins c'est l'hypocrisie sous laquelle se dissimule ces « con* « quêtes coloniales ». Anglais, Américains, Français, il nous faUt le Trahswat, le Far-West ou le Sahara, soit t prenons les terres, décimons les habitants; mais ne nous posons pas en bienfaiteurs de pauvres diables auxquels nous venons inoculer nos vices, nos diathôses' et dont la race périra fatalement sous la nôtre.

Aussi, quand je lis ces tissus de platitude ou de mensonges qu'on appelle des « rapports officiels » vrai, le dégoût me monte aux dents, car ceux-là dont la race disparait sous nous, ont isolément.chacun plus de dignité, d'héroïsme, que leurs tortionnaires administratifs ou militaires. Abd*el-Kaikt\ ttou ÂMâmâ, Si Ham\â, ont été des héros sans être des civilises ; je les admire et je les plains. Les internationalistes trouveront peut-être que je raisonné comme un becauville — à voie étroite $


ISlï VIII. ORGANISATION ARABE

qu'ils m'excusent, je suis sans doute un * primitif » pour eux, Car j'ai là faiblesse d'aimer mon pays, la vieille masure où je suis né, l'humble Cimetière où les miens dorment dans l'éternel repos..,, Mais parions de choses plus gaies, les mariages.

V. Rfariagès

Le mariage est une stmp' transaction entre le père de la future et le jeune hcmn désirant l'acquérir ; de plus comme le numéraire man ;, - chez les Arabes, cette transaction se fait c.v nature ci; if échange ; le père donne sa fille con'.re un certain ikibrc de moutons ou de chameaux: c'est simple comme tout, et voici corn* ment les choses se passent :

Un arabe « cossu » ou ayant simplement * les moyens» désiré-t-il une femme?

Usé renseigne sur tes familles qui possèdent des jeunesfillés,surcesdernièrcselles-mêmes,car il ne lés voit jamais avant ; selon ce qu'il apprend il fait Cou fait faire) des ofîres au père : * Tu as une fille ? ■— Ôt<<, très jolie * et sachant bien tisser. — Combien en vcnx«tu ? *— « aodouros, 40 moutons et 2 chameaux. — fîar Allah, « j'en aurais trois à ce prix-là I Je t'offre 20 moutons et « 1 chameau I. » ; Après de nombreux pourparfcfs on tombé d'accord à to douros, 20 moutons, et un chameau (soit 35P francs environ).

En Asie, c'est presque identique (dans l'AnnanV le fiancé paiesa future femme quelques dizaines de dollars (de 5o à 5co francs), Une coutume, se rapprochant dé cette des Juifs qui exposent a la fenére du logement té lendemain matin ta chemise sanglante de la néo-mariée, est là suivante : là belle-mèré (cette espèce-là, sévit hélas, sous toutes les latitudes) passe té soir à sa bru un pantalon (fendu probablement) d'une immaculée blancheur ; sa bru doit le lui rendre te lendemain dans un état démontrant le déchirement de ses. *,, illusions I Si elle le redonne blanc et tel quel, oh alors le bcàU-père convaincu d'avoir vendu au gendre une « occasion » pour du * neuf », est tenu de lui restituer le double du


Vit!. ORGANISATION ARABE 18?

prix reçu la veille pour la livraison de sa fille qu'il reprend.

Dans le Sud Oranaîs, le prix de la fiancée varie entre 4 et 10 chameaux, et too à 200 moutons, selon la caste des intéressés. Dans l'Ouganda une épouse coûte quatre taureaux: c'est, du moins, ce qu'il faut compter pour avoir quelque chose de bien. Le cas du voyageur lord Hahtayad qui, pouf deux souliers, en acquit une « fort propre y (dont il ne se servit pas, d'ailleurs), doit être considéré comme tout à fait exceptionnel, et l'heureux bénéficiaire de celte occasion rare put dire, ce jour-là, qu'il « avait pied à sa chaussure ».

Une femme cafré, selon le rang social de sa famille, « vaut de deux à dix vaches ». Pour n'avoir pas voulu payer le prix convenu, un explorateur belge, aussi avantagé que son souverain sous le rapport pileux, fut con* grùment mangé par les sauvages. Sans doute, il figura, sur le menu de ce « repas de corps », sous la rubrique : « liarbu, satice aux Cafres. «

Chez les Mhhmis, il y a des articles à la portée de toutes les boUrseS ; car, dit un auteur délicieusement amphibologique, « on peut avoir parfois une femme « pour un cochon ».

Même mode chez les primitifs du Nord. Un papa Sàmoyède ne livre son enfant chérie que contre de bons rennes sonnants, mais points trébuchants. (Remarquez le rôle important joué par les bêtes à cornes dans le règlement de toutes ces affaires matrimoniales 1)

D'autres étalons monétaires s'emploient ailleurs. Au Nouveau-Mexique, cet étalon est le cheval; à Timortant, pays élcphontaisis/e, c'est tes défenses de pachydermes. En Tartarie, le gendre remet au beau-père du beurre.

Notons enfin qu'une épouse coûte, chez les sauvages de Ytlngiir'odeux peaux de daim ; et dire qu'en nos pays perfectionnés, tes pères de famille sacrifient jusqu'à leur dernière pièce de cent sous — ultima tkuna .•— pour payer des maris à leurs filles.

En tous cas, pour tes Arabes, te prix payé dûment


ISS Mil. OIUIASISATION AHAIiH

devant 4 témoins ou le cadi,''tç fiancé fait tin simulacre d'enlèvement de sa future femme et cette cérémonie est l'occasion de rejouissances publiques ; promenades à dos de chameotl, en palanquins [kr>udih), fantasias, danses au son de la. deibouk>i (tambourin) et de la gaitah (flûte à 7 trous); repas pantagruéliques. Pendant ce dernier les nouveaux époux se retirent et quelques instants après (on nc-s'iimuic pas aux bagatelles de la porte dans ce pays là) ils reviennent, le mari brandissant devant tous u*i linge sanglant, preuve de la virginité conquise à sa femme. Si cette preuve manque (pour cas de force majeure !}, oh alors, lès choses se gâtent : rupture du marché, bataille entre la famille de la femme (peu soucieuse de rendre les chameaux) et tes amis du mari qui veulenfles reprendre, etc. Chez nous, on met plus de discrétion et quand je me suis trouvé dans des cas pareils je n'ai jamais mis le linge à la fenêtre

D'ailleurs c'est partout'ta-"même chose ; —\ Indien donne une sérénade auprès de là hutte (tepee), de celle qu'il convoite ; -^ Y Esquimau poursuit et capture fictivement sa. lianece ;— le Permn la promenade sur un beau cheval, avec des flambeaux, tambours, feux d'artifices ; ^- -LAbyssien, lui l'emporte sur son dos à son domicile; dans les i les'de Ih i ii'ey, le .fiancé marche pieds nus sur le dos des hommes de là tribu de sa femme, qui, elle, en fait autant sur le dos des amis de la tribu de son mari ; — dans les Indes le prêtre hindou lie les petits doigts des jeunes époux avec un fil de soie, symbole d'une union plus.. .plantureuse. " En'génén.t, tes peuples non civilisés considèrent leurs rejetons femelles comme une source de revenus ; il les soignent en conséquence : les jeunes filles immobilisées comme des poulardes du Mans, sont gavées avec des boulettes dans lesquelles entrent des farines de légumineuses, du millet et divers aromates. La même méthode sert à la préparation des Ouled-Nails destinés aux amouis vénales en Algérie,

Après deux ou trois moisde ce traitement appliqué et surveilléavec une sollicitude toute commerciale, les sujets


VIII. OWiANISATtON AIUBB 1$0

sont devenus méconnaissables et en bonne forme pour le sacrifice,,, et la vente.

L'âge des épousées varie de u à i5.ans, car les filles sont nubiles de fort bonne heure : ajoutons qu'à 25 ans elles sont déjà fiétries et ne changent plus guère. Le mari doit garder et nourrir sa femme, mais il la fait travailler à sa guise. Il ne peut la rendre à son père (et récupérer tout ou partie des chameaux oit des moutons verses) que dans certains cas dont te détail serait trop tongànarrcr. :;-■

Au résumé, le mari achète carrément sabu ses femmes Cl en paye la Valeur en tètes de bétiil. En France c'est le contraire, puisque le mari loinde donner de 'l'argent pour acquérir sa femme, ne la prend qiiasiaisonn^e d'un certain nombre de billets de banque qu'elle apporte en dot dans sa corbeille : appas pécuniaires ajoutés à ceux dé son corsage et, malheureusement, beaucoup plus appréciés d'ordinaire par le futur. ;

Lequel vaut mieux de la sauvagerie de l'Arabe achetant sa fiancée ou de la civilisation du Français se faisant acheter par la sienne ? Cela à l'air d'être lotit le contraire ces deux conceptions-là, et c est peut-être au fond la même chose. Mais ne régardons pas trop les marécages cardiaques de nos contemporains ! Celui qui ferait Une bonne affaire, serait de se marier en France avec quelques Centaines de mille de dot — (palpant pour prendre femme) et de revendre la susdite à Figuïg — palpant encore pour s'en débarrasser. Il pourrait même englober sa belle-mère comme appoint dars l'opération/ La voilà la conception générale du négoce rémunérateur, raison sociale tout indiquée :

« Alphonse Lemartou and C°, itlimiled capital, éx« portation t » Mais redevenons tristes pour le chapitre suivant.

; VI. Lés Morfs

Les morts donnent Jieu à des cérémonies spéciales, selon qu'il s'agit de femme ou d'homme, d'un serviteur ou d'un Arabe de haut ram*. Les cérémonies funèbres


190 VIII, ORGANISATION ARABE

sont accompagnées de hurlements spéciaux et ont lieu selon les rites invariables. — Les cimetières arabes sont tous exposés au soleil levant (généralement sur un coteau) et montrent une série de pierres plates tombales fichées en terre d'un bout, et émergeant à o m". Gode hauteur environ ; elles sont à la tête du corps. Souvent un turban gravé sur la pierre ou un verset du Coran indique.la tombe d'un homme; parfois la pierre est creusée d'une petite excavation qu'on remplit d'eau pour les oiseaux boire, touchante allégorie.-En général, toutes ces tombes sont à peu près identiques, donnant une impression vivacc de l'absolue égalité devant la mort. Quand un Arabe est malade, il est veillé par toutes ses femmes. Le Marabout vient tous les jours le recommander à Dieu. Le malade -n'est soigné qu'avec de l'eau.

Enfin, voilà le malheureux Arabe qui esta l'agonie et meurt.

Alors, toutes ses femmes et celles des voisins s'égratignent la figure et se frappent la poitrine en disant eiv langue arabe : «Toi si joli, si bon, pourquoi es-tu « mort ? » Elles se mettent toutes en sang et ne s'arrêtent pas de faire la ronde, de s cgfatigner et de se frapper, pendant tout le temps que le corps reste auprès d'elles, c'est-à-dire une demi-journée.

Pour aller l'enterrer, des Arabes le mettent sur une planche à quatre poignées et le couvrent d'une toile. En arrivant à la fosse, ils le. "descendent de dessus cette planche, l'inhument sans cercueil et te couvrent de terre.

Il y a d'autres Arabes qui portent de quoi faire la Iclc, c'est-à-dire des cous;ous, des figues sèches, des raisins secs, etc. Ils mettent tous ces aliments sur la tombe et mangent tant qu'ils peuvent. Ils laissent néanmoins un peu de nourriture pour le mort (qui doit avoir faim), pensent-ils.

La cérémonie étant finie, ils s'en retournent en chantant. Ils font ainsi supposer qu'ds sont contents du malheur qui vient de les frappei ;'.en effet, ils considèrent la mort comme une récompense d'Allah pour le défunt,


VIII. ORGANISATION ARABE 101

En dehors des cimetières, les tombeaux se composent selon les morts, d'un amas de pierres sur lequel chaque nomade ajoute la sienne, ou d'une enceinte eh pierres sèches à une hauteur d'homme, ou d'une kouba (mausolée) blanchie à la chaux avec coupole, élevée sur une émineneç. Ces koubas sont des^sortes de tànctUaires ou l'on vient de fort loin se sanctifier sur le tombeau des saints à qui elles sont élevées. Le culte des morts existe partout, chez les civilises el chez les primitifs ; c'est une chose sacrée que l'étranger doit respecter et qu'il ne faut jamais tourner eii dérision. Ce serait soulever des haines et créer dès complications bien inutiles ; on a bien assez d'autres occasions, malheureusement de froisser, sans le vouloir, les moeurs ou les croyances des indigènes.

--À; VIL Religion

Sur ce chapitre, je suis bien peu documenté. Dans les villes, le muezzin, da haut de sa mosquée, appelle les arabes à la prière, niais dans le Sud-Oranais, il n'y a ni mosquées, ni muezzin», quelques marabouts seulement. Je sais qu'il faut pour pénétrer dans lés mosquées, laisser ses babouches (ou ses godillots) à la porte, qn les femmes n'y sont jamais admises.

Je sais aussi que l'arabe fervent se prosterne à terre, touchant du front ou des lèvres, à certaines heures, au lever et au coucher du soleil par exemple ; qu'il doit pratiquer des ablutions réitérées.

Ils se soumettent à la pratique du jeûne (le ramadan) pendant une certaine période de temps. Mais après, quels gueuletons! ils se rattrapent joliment bien, ; L'usage de la viande de porc et des graissés leur est interdit : c'est là une excellente précaution je ne dis pas religieuse, mais à coup sût hygiénique, car cette viande est détestable dans les pays chauds, et très souvent trichinée. ; '.i'','..".'-

Les sectes religieuses avec leurs affiliés (Khuan) sont très nombreuses en Algérie ; cau\ d'AbJ-elKadei-slDjilani, de Moutat-Taîeb, de Sidi-Mohammed-ben-


192 VIII- ORGANISATION AIUBK

Aissa, iaSidi-Ahmed'Tedjani, des Senoiisi, des Derkaoua. etc. Je glisse sur leurs rites, statuts, cérémonies, cela vous ennuierait ferme et moi aussi; vénérons les marabouts, mais n'insistons pas à leur sujet et passons a l'historique de ces'régions,

VIII. Historique

Depuis la fondation de Cannage par les Phéniciens vers 880 (ante J.-Chr.) le nord de l'Afrique (Algérie, Tunisie, Maroc) a été habité par divers races ou peuples qui s'y sont succédé en se mé-angea.nt plus ou moins, De la h. 21"))- à 14'J (a. J.-Ch.j ' Carthage lutta contre Rome jusqu'à sa destruction ; quand elle eut éc déiinitivement vaincue, ses dépouilles passèrent aux main; des Romains d'une part, cl des rois de Mauritanie et Numidie d'autre part. Ceux-ci, plus tard, virent leurs royaumes absorbes par l'empire romain, 'malgré les fameuses guerres de JugurtJu contre Veteflus et Marins,

Vers la fin du l\'e siècle, apparaissent les Vandales dont l'empire fut détruit au Vie siècle '(an 58 jV par /iélisaire..,

Dans la a 1' moitié du Vil-siècle la domination musulmane se montre avec -Sidi ' Okba-ben-Nafé; elle dure jusqu'au XVe siècle. A cette époque, Ferdinand-le-Ca-' tholique, chasse d'Espagne les Maures dont Alger relevait, et ce sont les -Turcs u<? Constanlinople qui deviennent les maîtres. — Sous leur domination, Alger reste pendant plusieurs siècles un joli repaire de pirates, contre lequel lutta Çhatles-Onint, (qui.ne put occuper qu'Oran). puis la France et l'Angleterre .au XVt 1' siècle. L'amiral anglais DUke bombarda Tunis, le duc de Beaufort Alger, sans grands'résultats ; Napoléon itr, eut aussi maille à pr.rlir avec le dey d'Alger. ;

Mais l'empire Turc déclinant, 1A puissance d'Alger diminuait ; au lieu des Hottes de Barberousse menaçant Venise, cette capitale ne mettait plus en ligné que des corsaires isoles. Toutes les nations chrétiennes étaient lasses de ses'r.ctcs continus de piraterie pendant les XV|I> ei XVIIIe siècle. Enfin au XIXe (en 18» une in-


VIII. ortGANISATION ABAMÎ 193

suite du Dey, frappant au visage notre ambassadeur d'un coup d'éventail, amena l'expédition du génér.i! de Bo'trmoiit et la prise d'Alger. Pour les détails et l'occupation totale par des bonds successifs, voir les nombreux livres historiques.

Au résumé, sur ce sol antique se sont succédé : Phéniciens, Homains, Vandales. Maures, 7 «rcs, plus ou moins mélanges à la population arborigène (Arabes, Kabyles. Berbères), sans compter les intrusions des Nègres, Juijs, Espagnols, Italiens, Mallais et Français. Toutes ces races-là se sont en général juxtaposées sans se confondre, saul les Turcs et les Mauresques dont les fils, devenus les Ixourlour'lis tinrent longtemps le pays sous un joug de fer.

Un petit fait indique d'ailleurs leurs prérogatives. Quand un'Koulour'lis était condamné Via" peine de mort, il était étranglé, tandis que les Maures étaient rf?- vapilés, et les Juifs pendus. — Ma foi, c'était à peu près comme chez nous au temps où dame Justice avait un glaive bu une hache pour les gentilshommes et une simple corde pour tes manants. On a son petit orgueil que diable, et tel qui accepterait volontiers d'être fusillé, aurait la colique devant la potence,

Occupation Française et Administration. — Sur ce chapitre là, il y en aurait trop ou trop peu à dire. Notre occupation, limitée d'abord à Alger, s'est étendue peu à peu sur tout le littoral, sur le Tell, sur les régions montagneuses de t'Aillas ; puis à travers les Hauts-Plateaux nous avons gagné le second massif et les oasis. Actuellement nous sommes en vue de nous relier avec Tombouctou au Sud-Ouest et le lac Tchad au Sud-Est : la tache d'huile tout simplement !

Aux gouverneurs militaires ont succédé les gouverneurs civils, changés fréquemment, et trop souvent s'occupant plus des questions politiques que des questions vitales de leur gouvernement.

En Algérie, comme dans toutes nos colonies, les administrateurs sont plus nombreux q te les administrés cl cVst le terrain béni des fonctionnaires : les appointe-


194 VJIt. ORGANISATION ARABE

ments sont gras et ta besogne est maigre t Tous les services sont analogues à ceux delà métropole, sauf quelques exceptions : la division par exemple en territoires civils et militaires ; les communes qui sont ou mixtes ou de plein exercice, etc.

Les fonctionnaires indigènes paralléliser t à côté des nôtres : ils sortes des universités spéciales (Medersas) d'Alger^ Tlemcen, Constantine qui fournissent les administrations religieuses sociales ou judiciaires propres aux Arabes Mais si nous causions un peu médecine générale et hygiène, cela serait moins filandreux peut-être t

IX. Pathologie générale et Hygiène

Les Arabes n'ont pas, à proprement parler, de pathologie spéciale : il sont soumis simplement aux maladies ordinaires inhérentes aux conditions d'existence ou de climat ou ils évoluent. Citons brièvement.

L'opthalmie, suffisamment expliquée par la réverbération des sables et leur extrême pulvérence qui les fait pénétrer partout sous l'influence du vent. ■

La fièvre intermittente dans tes oasis où l'eau stagne, où elle est un peu corrompue : on a beaucoup exagéré son importance.

La fièvre typhoïde, plus dangereuse et sévissant surtout sur tes Européens.

Le fameux clou de Biskra, presque légendaire.

Tout cela n'est pas bien grave, sauf la fièvre typhoïde et encore bien souvent son apparition est due à nos propres fautes hygiéniques. Voici ce que dit le Dr A. Treille, sénateur de Constantine, à propos des campements :

« Quand je dis que l'Algérie est lyphogène, c'est essen« tiellement par Us habitations ou les campements, par les « çolteclivités et leurs déchets, que la maladie s'y déve« loppe Le climat et le sol ne sont que desélémculs 1res « favorables à la culture de l'affection.

« Pendant l'expédition de 1871, tant que nous 'marchions,'. « pas de maladies. Dès que nous nous arrêtions, l'infcco tion lyphoïdique nous envahissait.


VIII. ORGANISATION ARABE 195

« La colonne Galilïet, qui est allée à El-Ootèa en 1873, « marchant sans cesse, ne campant pas pour ainsi dire, « n'a pas eu de malades.

< Ko campement, voilà l'ennemi, le grand danger pour o les troupes, aux pays chauds, plus quo partout ailleurs.

Le Dr A. Treille a mille fois raison : les colonnes ne devraient jamaiscamper plusieurs jours de suite au même endroit. On peut dire que si l'Algérie n'a pas une pathologie spéciale, elle a tout au moins une Hygiène propre qu'il faut connaître et observer.

Les lois de l'hygiène ne sont pas immuables ; elles varient partout selon chaque pays, et les savants de cabinet qui veulent imposer leurs théories en les généralisant nous exposent à de lourdes fautes.

L'Hygiène, dans le sens le plus pratique du mot c'est l'ensemble des lois à observer povr notre nourriture, notre habillement, notre habitation etc. Ces lois ne peuvent évidemment pas être les mêmes dans un climat brûlant ou un climat froid, dans une contrée humide ou une contrée sèche, dans les bas fonds de la plaine ou les altitudes de montagne.

L'Arabe, peut-il se nourrir et se vêtir comme le Lapon ? L'un doit lutter contre l'invasion de la chaleur extérieure, l'autre, contre la déperdition de la sienne propre : leur appliquer à tous deux même hygiène serait une monstruosité, et c'est précisément contre la tendance à l'unification hygiénique que nous voudrions réagir.

En hygiène, la science est souvent inutile, et la routine (disons-le franchement) lui est de beaucoup préférable ; ce n'est pas dans les livres que le colon prudent apprendra l'hygiène, mais dans son entourage, en se conformant aux usages, aux moeurs, aux habitudes du pays, Ces usages sont en général le fruit d'une longue expérience, ils ont la sanction d'une pratique de plusieurs siècles.

Celui qui veut s*a:climater sans danger et sans inconvénient doit, en arrivant, faire table rase, des idées préconçues et des théories de savants en robe de chambre. Moins il saura de l'hygiène fausse et préven


l$fi VIII. ORGANISATION ARABK

tivc de la Métropole, mieux il s'assimilera l'hygiène véritable du pays et des indigènes.

Prenons l'Algérie : chacun des usages, chacune des coutumes de ce pays à sa raison d'être que ceux qui s'y astreignent instinctivement sont pour la plupart incapables d'expliquer. Allez-donc demander à l'arabe pourquoi il s'habille de telle sorte, pourquoi il se nourrit de telle façon : il ne le sait, pas. Mais ce que la tradition lui a démontrée, à lui et à sa descendance, c'est qu'en s'écartantdes habitudes invétérées, cela va mat. Routine si l'on veut, mais routine utilitaire qui met en garde contre tes importations mauvaises et les changements théoriques irréfléchis,

I-a pathologie de l'Algérie est présentée, aux néophites coloniaux, terrifiante : « Evite; la fièvre, tepatus« disme, te ténia, l insolation, la typhoïde et la dyssen« terie -, prenez ceci, ne preneç pas cela ! » chacun à son système et sa théorie— infaillible naturellement. Eh bien ! la vérité pure, c'est que tous ces savants d'Académie n'y entendent rien ; que l'Algérie n'est pas plus insalubre que la Métropole pour qui sait s'y adapter ; et qu'il n'y a qu'à observer l'indigène pour s'assimiler peu à peu son genre de vie sous tous les rapports et dans la mesure du possible, pour s'acclimater tranquillement. Là seulement sera l'hygiène vraie et naturelle ; vivre < commp f habitant, et «. avec lui • pour ainsi dire, voilà la véritable prophyllaxie qui vous préservera dé It sombre nomenclature morbide dont on rend l'Algérie responsable.

Que le Fonctionnaire, qui ne fait que passer comme in météore dans une résidence quelconque le prenne de haut avec la < routine locale », cela a peu d'importance pour lui et les siens ; mais il n'en Ara plus de même du Colon destiné à faire souche, à s'implanter non-seulement pour lui-même, mais aussi peur la descendance qui le continuera : les fautes sont plus graves, et nous ne saurions mieux insister sur les conséquences qui peuvent en découler qu'en rappelant l'exode des Alsaciens en Algérie après 1870.■ Ils y conservèrent les


VIII. OlttiANigATION MSAIIK tllr

'moeurs'et l'hygiène de leur pays natal ; ce fut une erreur chèrement payée, car, combien rjres sont aujourd'hui-les descendances de ces familles si prolifiques pourtant dans leur pays d'origine ï

Ce sont là conseils bien peu savants, bien terre-à-terre mais pourtant d'une importance considérable, car en colonisation comme en beaucoup d'autres choses. l'Expérience doit passer avant la science qui n'en devrait être que le corollaire.


IX Nationalités

Comme nous l'avons dit, bien des nationalités différentes se sont succédé ou mélangé sur le sol algérien. Sans entrer dans des détails ethnographiques eonsîdérablïs, nous pouvons cependant dire quelques mots des principaux types : YArabe,\a Nègre, le Juif, l'Espagnol le Français.

I. Arabes

La population arborigène proprement dite comprend les Berbères, les Kabyles, les Maures, las Arabes (nomades ou sédentaires) des tribus. Nous parlerons ici de cesderniers,

La population arabe a naturellement ses qualités et ses défauts; il y a une grande distinction à faire entre l'arabe de la caste élevée et celui de rang inférieur.

L'Arabe de la première catégorie est en général d'une fréquentation sûre, loyale, ayant au plus haut point le sentiment de sa dignité personnelle. Taciturne, sérieux, il réfléchit lentement, se décide et tient sa parole. Comme ombre à ce tableau, il est très autoritaire, tranchant, emporté. L'Arabe de cette classe n'est jamais un sédentaire, il est de ceUx que l'on appelle : « Arabes de gran« des tentes » parce que, malgré leurs richesses considérables souvent, ils ne se fixent pas dans les centres, et persistent à habiter sous la tente, se transportant de ci, de là dans la plaine immense, selon les besoins de leurs troupeaux et de leurs douars.

Leur persistance à conserver ce genre de vie se comprend bien. Quand on a vécu dans ces solitudes intimes,


IX. NATIONATITÉS 190

ces espaces sans limites, on éprouve une sorte d'état d'àme particulier» la pénétration du désert, qui vous envahit; et l'on sent pourquoi les nomades tiennent tant à leur vie vagabonde entre le ciel toujours bleu, le sable immuablement jaune, allant à leur gré, au loin, pendant des centaines de kilomètres où dunes et cailloux se succèdentdes jours entiers,entrecoupés parfois par l'éblouissante végétation de l'oasis.

La tente d'un grand chef est d'ailleurs fort luxueuxe dans sa simplicité. Elle est à peine plus élevée que celles qui l'entourent ; mais si vous pénétrez à l'intérieur, dès que vos yeux se seront faits à la demi obscurité du soleil tamisé par te tissu, vous apercevez des djerbis, coffres richement ciselés ; des platea'ix superbes, des armes, des harnachements (jadis surtout) d'une richesse inouïe; des coussins tissés or et soie ; des broderies, des étoffes précieuses, des tapis d'une épaisseur moelleuse.

C'est parmi les Arabes de grande tente et tes nomades que se recrutent les spahis.

Dans >. asse classe (Ksouriens, Kramès, Sockrars, Goumier»j,on rencontre en général une paresse innée, mais pas trop de méchanceté. L'Arabe est et reste fataliste en tout, à quelque classe qu'il appartienne, Il ne comprend pas, il n'admet pas le travail ; il n'en saisit pas les avantages ou la nécessité. Sobre, sans besoins, sans ambition, l'« aitri sacra James » ne le fera jamais bouger. Pourvu qu'il puisse arriver à posséder une tente, un cheval, deux ou trois femmes et un fusil, il ne désire rien au delà et ne s'intéresse ni au temps, ni aux événements.

C'est parmi les Arabes de condition moyenne ou inférieure que se recrutent les tirailleurs', la différence entre tirailleurs et spahis est considérable et montre bien la diversité de leurs origines. Le spahi, calme, grave silencieux, a le souci de sa tenue ; il reste attaché à ses coutumes et à sa religion, ne buvant jamais de vin ni de liqueurs, observant le ramadan (jeune). Tout en étant incorporé et cavalier français, il reste propriétaire de son cheval. Le tirailleur lui, se plie facilement à nos moeurs, il s'assimile très volontiers, à nos vices surtout. L'absinthç


*,*0d IX. NATIONALITÉS

ne lui fait pas peur et il ripaille gaiement à l'occasion. Je n'ai jamais vu un spahi ivre ; il m'est arrivé bien des fois de voir, des tirailleurs dans un état d'ébriété telle, que Mahomet leur eût sûrement fermé les portes de son p.tradis en leur crient avec mépris : « Para, Kelb, béni Ketbl — Va-t'en, chien, fils de chien !»

L'Arabe des villes diffère un peu du Nomade et du Rscurien ; il prend assez facilement une partie de notre civilisation, tout en restant attaché à ses croyances et à ses moeurs; Dans les grands centres (Alger, Oran. Tunis, etc.), il fréquente ses mosquées,ses quartiers particuliers magasins, cafés, bains.

Bains Maures : ils sont ouverts aux Européens, triais ceux-ci ne les fréquentent guère, malgré leur confort bien compris. Ces établissements balnéaires ont au grand complet étuves (hamman), bains, douches, massage (rude par le Kh'iass), doux parles Moutcho) ; repos, consommations, etc.

Voici la série des opérations : vous entrez dans unesalle blanche bordée de portiques avec autour une large banquette et des coussins sur lesquels reposent les clients. Lé baigneur (metalem) vous dévêtit, puis vous passe un pagne et des sandales en bois atant de vous insérer dans l'étuvc, grande pièce rectangulaire pleine de vapeur d'eau. - '

Oppression d'abord, puis sudation abondante. Alors un masseur vigoureux (Kh'iàss) vous empoigne, vous pétrit, vous désarticule avec conviction : il vous laveeiisuite, vous savonne, vous relave.

En quittant ses mains, vous tombez anéanti sur votre matelas où l'on vous surcharge de couvertures, tandis qu'un jeune garçonnet vous masse partout, doucement et longuement, jusqu'à ce que effet et sommeil s'ensuive. Au bout d'une heure, réveil : plus de fatigue I Souple et dispos, vous avalez une tasse de Kàhoua brûlant et vous quittez l'établissement léger et rajeuni. Ne pas en abuser par exemple.

Le massage doux, est délicieux : il est fait par des jeunes et graciles éphèbes de l'un ou l'autre sexe, selon


; IX. NATIONALITÉS 201

le désir de l'intéressé, désireux de la réaction... suprême et vivifiante 1 Mais glissons sur le chapitré de ces dociles impubères, un procureur quelconque de la République pourrait me lire, et malgré la prescription acquise, ma conscience est quelque peu trouL-ie ; C'est égal, sans avoir le diplôme de l'Ecole de Massage, ils savent si bien satisfaire et retenir la clientèle, que j'en soupire encore, après mes petits bains maures d'Oran.

Nohtade et Ksburién; -— Le Nomade est VArabe *>aJrt«y,,parcoufaht constamment les pâturages de la plàinê : te Ksourien es\ l'Arabe cultivateur, adonné à ses légumes et à ses palmiers dans les oasis. La dîrîêféncé des; moeurs, coutumes, idées, allures, entre eux est considérable. Le premier est toujours en route, exposé au* intempéries saisonnières, vivant au hasard, chassant et montant à cheval : pour lui; la vie c'est le troupeau qui se déplace, cheval qui l'emporte, le fusil qui té nbuffît et le protège. Le Ksourien, lui, est sédentaire, terré dans sort gourbi avec sa nourriture régulièrement assurée par là culture, sa vie plus douce, plus pacifique : ce qui l'occupe, c'est la quantité des dattes et la réserve de l'orge,- ..;';;;

Tribu?,>— Les principales tribus de la province d'Oran sont : dans le Tell,les Fiiia, XasHachëm, lés BeniAmeiir, lasDjafrâ ; dans le Sud, lès ffaràK,iêsHamaïan, les Dj A ihour, et surtout les Outed-Sidi-Cheik, qui Ont dans leur influence tout le Sud-Orânais. Le nombre des individus formant une tribu est très variable, il peut aller de 1000 à 46.000 âmes : leurs richesses aussi subissent de grandes fluctuations, ainsi que leur importance politique ou religieuse.

Je nédirai rien des ïouareg8 (Targui, Arabes du Sud), ces coureufs dé déserts qui passent brusquement sur leurs nléharis rapides, le front caché sous un voile (nïcab) labouche et le nez sous un autre (lithain), ne laissant entrevoir que leurs yeux ardents et durs. Ils sillonnent le Sahara du Maroc à Ghadamès, de Tombotictou au lac Tchad, Cesont sans douté d'ancien Ber-


202 ;"'V,."'i^i '■ 1X* NATIONALITÉS -'

bères refoulés par les envahisseurs successifs du Nordr Lt'irs principales tribus sont les Aoulémidiens, Tengueàerift, Tadde'mekcts,Ifoggsirs, Àd{ers, AirsiToutes vives surtout de rapines et d'exactions sur les caravanes qui ne peuvent guère se fier à eux : « La parole d'un « Touareg est comme l'eau qui tombe dans le sable, on « ne la retrouve jamais !»

Il, Nègres

Les nègres tendent à disparaître depuis j'abolîtion de l'esclavage S ils proviennent ért général du Soudan, de Bornbu, dé TomboUctou et de la rëgioiide Zinderétdu lac Tchad. Les hommes sont manoeuvres^ portefaix, terrassiers, les négresses ser vantes, masseuses ou filles pu-

pu- "'.'";

Dans nombre de centres, lés nègres se réunissent; en un quartier spécial de ta ville où, grâce à leur promiscuité, ils fepopuleht avec une rapidité que M. Pidt envierait. Là reproduction du blanc avec négresse est assez rare, quoique lèsrelàttbns intërsexuellessoieiit fréquentes : question sans doute de nbn-aflinité physiologique ; celle du fiègrc avec blanche réussit mieux.; Quoi qu'il en soit, lès nègres sont d'un naturel exubérant et détiennent sans contesté te monopole[dû tapage dans toutes fêtes ou réjouissances musulmanes, Leur intellectualité, sauf dé rares exceptions, est toujours médiocre ; ils restent en somme des grands; enfants : Comme eux; ils ont brie tendance marquée à la pàfessc, à t'insouciancë, à la Vie végétative dont j'ai déjà parlé à propos de l'esclavage. Sans les acetiser d'être foncièrement méchants, fourbes ou féroces (car chez eux ces défauts sont absolument irraisonnés), il faut avouer qu'ils ont besoin, pour être maintenu, dans la rion-huisançe seulement^ d'une poigne de fer sur eux.- Inutile de chercher à tes prendre par le raisonnement ou le sentiment; à part de rares exceptions (et seulement encore après un contact prolongé avec les blancs) ou pour des motifs spéciaux, ils obéissent toujours à leur première impulsion de crainte, de férocité, dé dissimulation, etc. Les humanitaires qui nous fa*


IX, NATIONALITÉS 203

content que le nègre est notre égal — * c'est un homme « comme nous > —- n'en ont jamais fréquenté Métal' nature !

En 1898, la Neue Deutsche Rundschau, importante revue allemande, interviewa une trentaine d'explorateurs et administrateurs coloniaux ayant vécu dans le centre africain, sur le régime à appliquer aux noirs : cinq seulement furent d'avis de les traiter égalitaircment, les autres furent plutôt féroces :

0 11 ne faut pas perdre de vue, écrivait le fameux major « Wissmann, que la bonté, la volonté et la patience la « plus persévérante, la prudence poussée à l'extrême pat* « les colonisateurs, se heurtent sans cesse, en s'èpuisant, K à la mauvaise foi ou à -l'obstination des sauvages. »

Du major Auguste Boshardt, appartenant à l'armée active du Congo :

« Le nègre est une bêle de proie sanguinaire et féroce, « qui ne peut être matée que par te fouet du dompteur-. « On à eu tort d'abolir l'esclavage. L'affranchissement a « eu lieu trop tôt et inutilement, v

D'un savant, Gustave Frilsch : « U était réservé à Slan« ley d'ouvrir l'ère des marches sanglantes à travers « l'Afrique. I.cs résultats obtenus imposent silence à la « critique. *.'-■''.'.'.'...-

De Kart Pelers, l'émule de Stanley dans l'expédition à la recherche d'iîmin-Pacha : «.'■ Lorsqu'il s'agit dé court quête, il faut nécessairement viser à la victoire et cellev ci ne s'obtient qu'en inspirant la terreur*. »

"D'un haut fonctionnaire, Frit' Langhed : « Le châtiment « corporel est un meilleur enseignement pour le nègre « que l'appel fait aux sentiments d'honneur. H faut une « action plus tangible que la prison pour le corriger. »

Du commandant Morgan; « Ou ne fait l'éducation du « nègre, qu'avec le temps cl tes coups. Pour lui, toute « douceur est faiblesse. Il a besoin de la sclilagne... »

« Lo hoir est un élrc inférieur, chez lequel le sens de « la morale semble à jamais éteint, dit un explorateur « eudurcî. S'il n'était que fripon, menteur et paresseux, u ta vie serait encore possible à ses côtés, mais il est <* atteint d'une tare indélébile. 11 y a, en lui, un iustinct


304 fX^ NATlONÀLlTÉsl

« dé bestialité qu'aucune' civilisation lie peut adoucir. (iMallicin' à t homme qui laisse, à certains jours, passera « côté de lui sa femme ou Fa lille : aucun supplice ne « peut arrêter sa brutalité animale. Il sait qu'il sera « cruellement châtié, mais l'instinct l'emporte .. El puis, «H ignore tout des règles qui guident les autres races; » même quand il est intelligent et travailleur, il ne peut « comprendre la loi delà propriété ou celle de l'épargne. « U est réfraclaire à tout sentiment d'art et de beauté. « Vous pouvez prendre la race toute entière depuis son « origine, vous n'y trouverez pps, sur des milliards d'in« dividus, un seul être qui, au cours de quarante siècles, « ait été un savant, un poêle ou un peintre d'un peu de « talent... M

Les explorateurs Belges sont du même avis : quand aux Anglais ils sont plus radicaux encore et massacrent en grand : ça leur réussit très bien d'ailleurs, il faut le reconnaître, puisque leurs colonies, sous le rapport de l'ordre et la prospérité sont.infiniment supérieures aux nôtres. Après tout, les colonisateurs sont peut-être dans le vrai. Se basant sur l'éternelle rosserie humaine, qu'il s'agisse de blancs ou de noirs, ils ont depuis longtemps mis en pratique l'axiome : « Poigneç manant, il vous « oindra >. Le symbolique rameau d'olivier ne ferait aucun effet sur le nègre, tandis qu'il sait tout de suite ce qu'un sabre veut dire.

Ces constatations sont regrettables, mais logiques. En thèse général, « on ne raisonne pas avec le noir, on « le courbe ou on la supprime » si non gare à soimême]

Les âmes sensibles vont,me traiter d'afïfeiix négrier ;.- mais puisque, pour les nègres, se tuer et se manger entre eux n'a pas d'importance, pouvons-nous crier à l'inhumanité quand pour supprimer leur propre férocité et ses hécatombes sanglants, le blanc'se susbtitue avec ses quelques coups de bâton ou de revolver isolés?Mais* l'explorateur traitant avec ses porteurs nègres ou son. escorte indigène comme avec des voîturicrs français, serait volé et assassiné à sa deuxième étape, si ceux-ci ne sentaient pas la force cl le fusil sur leur tête. Malgré


IX. NATIONALITÉS 205

toute l'humanité possible, il faut avoir la main lourde, corriger ou tuer parfois, hélas, sans hésiter, si l'on veut ne pas être occis soi-même. le parle surtout pour les explorateurs, car pour les fonctionnaires blancs, dans des régions déjà occupées, leur autorité peut être un: peu moins rude et, leurs procédés moins sommaires, sans toutefois jamais montrer de mollesse.

Ona fait des tas d'histoires à la métropole \,\ .»' quelques incidents de portage ou de perceptions d'impôts dans le Congo, parce que l'administrateur ayant confisqué les femmes d'un, village qui ne payait pas, une demi-douzaine étaient mortes ou tombées malades. Pourtant c'est l'usage courant cela : st on ne tes forçait pas par ce moyen héroïque, pas un village nègre ne paierait la dîme de caoutchouc ou de bois précieux, ou de poudré d'or, ou d'huilé d'arrachide.qui lui est imposé. Alors si nous ne faisons pas rentrer le caoutchouc, qU'allons-nous faire dans le pays ? Les administrer simplement Mis n'y tiennent guère, et M. Caillaux luimême aurait bien de la peine à faire rentrer les contributions par la force seule du raisonnement I

Comme les Targui, les Marocains, les Nègres sont traîtres et maraudeurs et tes ménager conduirait aux pires désastres : de rtioir. temps (et c'était le bon 1) on avait là main ferme. Quand une colonne avait à châtier des tribus pillardes, on brûlait les gourbis, on rasait tes palmiers (général Négrier à l'insurrection Bou-Afnama), on infligeait une copieuse amende où il n'y avait pas que de l'orge, des moutons, des chameaux ;... quelques jolies moûkères en plus qu'on razziait pour les besoins des chefs ou des hommes, et allez donc, ça chassait le spleen.

Mais les bons principes s'en vont : aujourd'hui, aux Beni-Shassen ayant traversé ta frontière entre Oudja et Lalla-Mafnhia pdur mettre le feu à nos fermes, on achète des moutons, des poules, dé l'orgeI... quand il gérait si rationnel de les leur prendre tout simplement. ;

A propos de ces Marocains, bien des gens, en France


206 IX. NATIONALITÉS

montrent une vague inclination à sympathiser avec les patriotes marotui-îs. Il faudrait voirt S'il n'y avait pour justifier nos actions au Maroc que certains intérêts commerciaux, des convoitises, des appétits, des désirs de conquête, j'accorde que tout bon J'rançaîs sentimental aurait bien le droit d'aimer les « braves gens » du Mafoc et d'attacher quelque valeur aux sàumaires balivernes que débitent des voyageurs en chambre. .Mais ce sont de drôles de types que ces « braves gens-là », et l'hospitalité qu'ils offrent aux Européens égarés parmi eux n'est>elle pas parfois d'une fougue bien excessive ? Témoin le récit authentique suivant :

« U y a un certain temps, une famille européenne fixée « dans l'une des localités de la côte du Maroc lit bâtir « hors les murs une villa, car cite avait celte famille le « dessein d'y vivtc tant qus dureraient les plus àcca« Mantes chaleurs ; et ainsi fit-elle dès l'avril. Mais, par « une nuit d'été, ô horrible nuit, une tribu qui cherchait « aventure et que le désir de goûter la fraîcheur do .la « mer en ces lieux attirait, une tribu pénêlra subitement « dans la maison cl s'y installa, car elle avait résolu du « se divertir. Alors, devant les hommes blancs, attachés tt à des poteaux, et obligés de regarder ces scènes, les «femmes et lés jeunes filles reçurent de nombreuses « preuves d'un amour qu'elles n'avaient point recherché ; «< puis, Comme il faut varier* les plaisirs, ce fui le tour « des hommes, que les Marocains traitèrent — à simpli« cité des êtres de la nature (!) — avec une camaraderie « un peu trop indiscrète. Mais il faut bien passer son « temps ! Et quand la tribu eut quitté le bord de f Océan, « quand les hôtes sinistres s'en furent retournés vers « l'intérieur* des terres, telle une bande de gorilles lubiï« ques courant à la forêt natale, il ne restait plus dans lu « villa que des créatures Tollés de terreur, suffoquées de « honte, accablées par le pouls d'une irréparable « infamie. »

Et en loo*;, à Casablanca, que 60 Français débarqués en hâte ne pouvaient occuper et défendre partout ?

« Messieurs les Marocains forcèrent une par Uuc lés « maisons qui n'étaient point directement et spécialement ■"« protégées par notre feu, pendant qu'une partie des ca-


IX. NATIONALITÉS 2Ô7

« valiers, changés en déménageurs emportaient avec « beaucoup d'ordre et de méthode tout te mobilier» tous -«tes ustensiles, tous les moindres objets que renfer« ruaient ces .demeures, les autres se saisissaient des « femmes et des jeunes filles ; ils les examinaient avec << grand soin, dévêtues, choisissant tout d'abord tes ptus « belles, et je crois que je n'exagère point en disant « qu'environ deux cent cinquante vierges Israélites furent « aussitôt emmenées : les unes pour êlre vendues comme « esclaves et rechtses dans les harems des riches set« gnçiirs, les autres pour servir* immédiatement de com« pagnes aux chefs des mchallas. Les créatures féminines « qui n'avaient point eu le bonheur d'être ainsi distinguées « et mises en réserves étaient, sans autre forme de procès, « culbutées et violées ; des maris ficelés, attachés à des « portes, étaient contraints d'assister aux attentats inter« minables et multiples que subissaient leur femme : »

Citons encore l'aventure d'une goélette espagnole, précipitée il y a quelques années par la tempête sur la côte Marocaine, voici ce qu'il advint de l'équipage.

« Capturés par une tribu Marocaine, ils furent ligottés, « et subsêquemment sevrés de trop près par toutes sortes « do grands gaillards velus cl sales, Le vieux capitaine et « le subrécargue aux cheveux gris subirent eux aussi tout « comme s'ils eussent été de simples mousses, des alten« tais dont lo récit glaça d'effroi, par la suite, bien des « personnes qui, palpitantes, angoissées, éprouvèrent « dans tout leur corps un véritable effet de constrictron. « Les marins espagnols furent remis en liberté moyeh« nant une rançon ; plusieurs moururent à la suite des t< souffrances qu'ils avaient endurées ; tes survivants, « scrutant leur passé, ne purent jamais regarder derrière « eux sans frémir. »

A Ben-Hattab (Sud-Oranais) pareille mésaventure arriva à un de mes amis, intendant militaire qui eut à subir les derniers outrages après avoir eu les bras liés et lés genoux ficelés aux épaules, réduit ainsi à une masse inerte et passive sots le choc trop actif d'amoureux et successifs tortionnaires. En vain je cherchai à le consoler de ce désagréable incident, lui disant que ça pouvait arriver à tout te monde : si ses écorchures physiques


208 IX. NATIONALITÉS

avaient rapidement cicatrisé, sa blessure morale rte se fermait pas. Chaque fois qu'il allait à ta selle, il gémissait sur son deshonneur. Il se croyait indigne du mariage; pourtant... avec une veuve ?

Et nous serions sentimentaux pour de pareils sauvages Marocains ou Nègres? Laissons Cela à ceux qui font de la politique coloniale dans les garnis ministériels ou devant lé zinc des mastfoquets.

Quelques nègres mi-civilisés, sont susceptibles d'edu* cation, de dévouement, d'activité même ; mais ce sont de rares exceptions n'infirmant ers rien la règle commune du nègre primitif qui est in intellectuel, sournois, féroce et dangereux, quand la crainte ni le domine pas

III. Israélites

La population juive forme une fraction très importante et surtout prépondérante dans l'ensemble Algérien. Malgré mon indulgence naturelle et mon habitude d'envisager choses et gens par le bon côté, je suis forcé d'avouer qu'en Algérie, les Juifs jouissent d'une mauvaise réputation. En arrivant dans TOranais, je n'avais absolument aucune prévention contre eux, n'en ayant jamais vu ni fréq rente ; aussi je fus d'abord étonné d'entendre tout le monde en parler avec haine ou mépris. Moi-même au bout de quelques mois, je me ralliai sans m'en apèfçévoir et insensiblement à l'opinion générale de tous les Français indépendants, qui voient, qui compfennent combien la marche ascensionnelle des Juifs en Algérie, est dangereuse pour notre nationalisme propre : (Meyniê, de Dieu, Drumont, de Wolskt).

Le Juif est actif, tenace, persévérant ; s'insinue partout, accapare tout, achète et vend tout; c'est l'intermédiaire obligé dans toutes les transactions entre Arabes et Européens ne parL-ini pas ta même langue, n'ayant pas les mêmes usages com'merciaux ; intermédiaire, malheureusement qui ronge jusqu'à l'os les uns ai les autres. Il sait toutes les langues, l'Arabe, là Français, l'Espagnol (dans la province d'Oran), YRalien


rIX. NATIONALITÉS '200

(dans la Tunisie) : il va partout, connaît les marchandises, les gens, he recule devant aucune démarche, difficile ou humiliante peu importe, servant de trart-d'union forcé entre tous les mondes et pour toutes |cs affaires : c'est là une raison d'être très sérieuse et fort utile, ^ Mais à côté de ces qualités, le Juif Algérien à d'exécrables défauts : son avidité incroyable, sa lâcheté, sa saleté, son absence complète de sens moral surloutsont révoltants et ne justifient que trop hélas, l'ostracisme où il est tenu dans l'estime publique. Je ne parle bien entendu que de l'israétite de classe moyenne et basse classe ; il subira tout, insultes, rebuffades, coups de bâton, s'il sait pouvoir en tirer quelque argent. Pour lui, la fidélité à sa parole, la bonne foi dans les transactions, la dignité morale, n'existent pas quand il s'agit de chrétiens ou d'arabes : il a une mentalité spéciale dont je puis donner quelques exemples personnels.

A Tiaret, Un Juif faisait mes encaissements chez ses congénères, chez les Espagnols, chez les Arabes en situation de payer : détail qu'il était à même d'apprécier mieux que moi. D'abord il nia que les intéressés eussent payé ; puis, vérification faite, il prétendît avoir été volé en m'apportant l'argent 'il s'agissait de 350 à 400 francs); une autre fois un client Espagnol, à son dire l'avait bien payé, mais battu; ce qui méritait pour lui une grosse compensation, et maintes autres histoires analogues qui firent qu'au bout de quelque temps j'en fus dégoûté, et préférai perdre mes honoraires que les recouvrer par un aussi triste personnage ; sans compter qUe sous mon couvert il pressurait sans doute indistinctement pauvres et riches.

Un autre Israélite, fournisseur de viande et conserves dans une colonne en marche, servit des produits tellement horribles, qu'il y eut presque des c«s d'intoxication. L'officier indigné lui administra devant tous les hommes Une maîtresse volée. Le juif « s'excusa » humblement : au lieu de le chasser dans le désert, on se laissa apitoyer et on lé conservaavec la colonne. Mais de retour à Tiaret, non Seulement il se fit payer ses denrées inommables, mais il voulut faire un procès pour coups


2LÔ IX. NATIONALITÉS

et blessures â l'officier, cherchant à raccbler deux témoins dans les légionnaires ; aucun ne voulut consentir à ce rôle: il fit pourtant tant dé lamentations qu'écoeuré le Commandant d'Armes lui fit remettre une petite somme. Ses conserves pourries et ses coups de bâton payés en sus, c'est tout ce qu'il voulait.

Pour teurs moeUrs, je suis obligé de convenir qu'ils laissent parfois à désirer, Un Sémite riche, conseiller municipal du pays, envoyait sa femme pour tes communications avec ses collègues Européens; elle rapportait à la caisse conjugale quelques douros (5 fr.) à h suite de ces petites excursions. Mais ayant été pour son propre plaisir chez des officiers (sans rapporter de douros), son mari se jugea volé : (1 lui administra une raclée telle, que j'eus à intervenir. Après sa guérison, le mari me d|t tranquillement : « Ma femme, ira te payer!» Elle vint chez moi, mais sans douros et s'en retourna... de même, après avoir fait honneur à ta parole maritale ; nous fûmes contents tous les trois.

Dans une autre occasion analogue, par exemple, j'eus les..,, pieds (?) nickelés. Il s'agissait d'une jeune fille de 12 ans, parfaitement nubile, que j'avais guérie. Ses parents, riches pourtant, au reçu de ma note, me l'envoyèrent. Etonné de la voir arriver pour me solder, sans numéraire, (étais-je naïf l) je ta fis causer et je compris qu'avec l'autorisation paternelle, à l'instar de Bias de Brienne qui portait toute sa fortune sur lui, elle avait elle aussi, son paiement en elle 1

Tout de même, c'était plutôt raide : aussi presque indigné, je fis répondre au père que je n'entrais pas dans sa petite combinaison. Ce n'est pas que je sois par trop puriste, non ; il m'est arrivé bien des fois, (tout comme à vous aussi n'est-ce pas) de palper nos honoraires de la main à la main dans des circonstances discrètes et choisies. Mais pas avec ta carte forcée pour ainsi dire : un cynisme, aussi peu déguisé m'écoeura et j'exigeai le paiement féroce — en argent — d'une créance que j'eus sans doute laissé dormir comme bien d'autres I Et que d'anecdotes semblables.


IX. NATIONALITÉS 211

Pourtant l'Israélite devrait nous avoir de la reconnaissance, car avant notre conquête en Algérie combien son sort était misérable î II était considéré comme si peu de chose, que l'Arabe qui le tuait n'avait à payer qu'une légère amende, et qu'il pouvait entrer chez lui impunément pour User de sa femme et de Ses filles : (voir G. Meynié i88j, page 23). Dans son «Algérie et Tunisie», p. LXXXVIt, Piessê nous dit :

« Le Juif, sous lé rapport du caractère était fourbe,

"i. avide; il joignait la bassesse de l'esclavage aux vices

« les plus dépravés, il était sans reconnaissance, sans

« sentiments généreux ; Hélait et il est encore fanatique.. »

Si nous te considérons à un point de vue plus élevé, au point de vue social, le sémite devient nocible. Partout où il entré en concurrence avec le Français ou l'Espagnol, il l'écrase fatalemen*. au bout de quelque temps, et toujours par les mêmes procédés infaillibles. A Tiaret, une bouchère, (veuve française), vivait honnêtéri ent de son commerce, son mari mort. Un Juif s'installe en face, baisse les prix ; c'était chose facile pour lui, car tandis que la bouchère achetait et payait loyalement les moutons des Arabes, le juif, lui les achetait bien, mais ne les payait que le plus rarement possible, profitant de l'ignorance de la. loi de ces pauvres indigènes ou lés rebutant par ses réductions et ses atermoiements. I-a française fut vite ruinée ; te Youdi releva alors ses prix pour repasser sa boucherie à un corréligipnnaire.

Rien d'étonnant à ce qu'avec de pareils moyens, le Juif soit devenu si puissant dans la province d'Otan ; il a ruiné l'Arabe insouciant en lui prêtant à Une usure telle qu'en peu de temps, terres et moutons passaient légalement dans ses mains : il à ruiné le colon, en lui offrant, bien humble, de petites avances que celui-ci acceptait sans méfiance. Le Juif conciliant les renouvelait jusqu'au moment où se sentant le maître de la situation, il se démasquait arrogant et casseur, acculant le colon surpris et désarmé ou à la vente à son profit à lui, ou à de nouvelles conditions telles que désormais il


2fô *, l.\, NATIONALITÉS

était condamné à travailler exclusivement pour son féroce prêteur. Il a ruiné le commerçant,an se substituant partout à lui, grâce, il faut le reconnaître à Son adaptation commerciale, mais^aussi grâce à sa fourberie, son manque de préjugés, et les 4 à 5 faillites préparatoires qui lui servent de marche-pied pour réussir.

L'Européen paie parce qu'il doit *. le Juif ne paie que lorsqu'il ne peut pas éviter le paiement' ; cette courte phfâse montre biért sa conception morale toute différente. Ajoutons que le Juif envahit aussi les bureaux, tes services publics, les municipalités, ta préfecture même, patient, attentif s'insinùânt peu à peu, jusqu'à ce qu'il puisse être le maître; Dans le bas fonctionnarisme surtout, il faut compter i avec |uL Interprètes, chaôuchs juifs, falsifient trop souvent la justice, se faisant payer pour tous et par toup

La race juive est donc en jfoie d'arriver en Algérie à la domination, sinon'.officiel)?/du moins réelle; ta population arabe est en décroissance ; la population française émigré fort peu, c'est le'Sémite qui tient de plus en plus entre les mains tous les rouages administratifs, toutes les fortuites, toutes les situations : c'est pour assurer surtout son négoce et sa sécurité que la métfôpole paie les lourdes charges d'administration, d'occupation militaire ; c'est pour lui que ces pauvres petits soldats français vont mourir de typhoïde ou de dysenterie dans l'extrême Sud-Oranais ouMarqcain;

Si nous quittions l'Algérie «4 heures, les Arabes qui ont polir les Israélites une haine 'intense auraient vite fait de les assassiner tous. Et pourtant ils pullulent : on les rencontre partout dans les villes, les oasis, le désert même: en avant de nos postes les plus avancés il y a toujours quelques spécimens de cette race, vendant le pétrole et l'absinthe, ces deux produits d'ayant-garde de la civilisation dans l'Afrique, y

Ne croyez pas qu'en ce tableau, je sois de parti pris ou que j'exagère : G, Meynié, \Vohki,de flfe-ont traité la question à fond et bien mieux que je ne puis le faire. U'exprime simplement les idées de tous ceux qui ont


IX. NATIONALITÉS*" 213

côtoyé te Juif Orànaîs, révoltant par sa fourberie et son manque absolu de sens moral, dangereux par raccapârenient lent, continu;danslequel il englobe à son profit tous tes ressorts administratifs, toutes les richesses du pays; Je souhaite vivement que sa mentalité s'améliore à mésUfeque son rôle et son influence deviennent prépondérants, mais actuellement à propos de l'Algérie, on pebt dire que « si le chameau en est là bosse, le Juif en « est ta plaie! »

:'-'■'-.} »V* Espagnols

Dans l'Ouest de l'Algérie, l'Espagnol représente la maîn-d'oeuyré; dans toutes les entreprises bu tous les travaux où celle des Arabes et des Marocains ne suffit pas. C'est l'Espagnol qui récolte l'alfa ; — qui fait prospérer (comme ouvrier ou petit chef d'entreprise) les cultures; — qui remplit tous les métiers secondaires touchant au commercé et à l'agriculture.

L'Espagnol est dur à la fatigue, assez probe dans ses conventions ; niais il est fier, sombre, renfermé et quelque peu vindicatif. Il ne s'assimile nulleménf aux milieux qui l'entourent ; il reste Espagnol dans son : 'allure, dans ses moeUfs, Aussi sobre que l'Arabe, il se nourrit de fort peu (quelques oignons crus, et ta galette d'orge lui suffisent) ; il ne boit que rarement. L'ouvrier français qui vient en concurrence avec lui est donc dans d'assez mauvaises conditions, avec ses dépenses Vitrés; plus; considérables, sort adaptation locale plus difficile. L'Espagnol pourtant malgré ses qualités solides né s'enrichit pas en Algérie : dans la classe ouvrière, il est joueur ; dans la classe plus élevée, apathique et peu âpre avi gain. ; ;'"';;i,\,■ ::

""': y. f'rônçaia ■

Parlons maintenant quelque peu des Français dans la province d'Oran et dans 1 Algérie en général. Comme Un humoriste bien connu, je pourrais - presque dire : « Mon Dieu, « c'esj bien simple, il n'y en a pas..* ou si;


iU '"."IX. NATIONALITÉS

peu! » Les statistiques officielles nous disent bien.: « Te|le ville, « 10.000 habitants, dont 6.000 français. » Mais ces français sont pour les 9/10 des Israélites naturalisés parle fameux décret Crémieux qui a tant éloigné de nous les Arabes disposés à accepter la domination française, (mais non la juive)* et qui a livré l'Algérie à ces néo-citoyens, en leur donnant les droits, mais non l'âme et les devoirs des Français. La vrai t statistique d'une ville de 10.000 habitants est :

Indigènes,,,,,,.,., 4,000

JUlI.St 11 > • f • * » • * t • * • *l*vUU

Espagnols et divers 1.C00 Français.,,,,,. >,.'; 400

c'est-à-dire un vingtième, et encore ce chiffre de français est peut-être trop fort. A Tiaret, ville de 2,5oo habitants il y avait à peine 6 à 8 familles bien françaises, comptant au plus 40 têtes. V

La population française d'Algérie comprend presque exclusivement l'administration et l'armée ; hors de là, nos nationaux sont bien rares. Quelques-uns, dans le gfand négoce, résistent à force de travail et de capitaux aux Israélites, en s'adonnant à {a 'grande culture. La vie leur est malheureusement rendue fort difficile par les bandes des fonctionnaires de tous calibres, qui là, comme dans toutes nos colonies, semblent avoir pour unique occupation de tracasser le; cojon et d'entraver sesefforts.

A-t-il besoin d'une route qu'il offre de faire à ses frais dans ses immenses domaines ? Les ponts* et chaussées enquêtent et refusent. Fait-il venir des ouvriers marocains, du matériel? la douane et l'enregistrement Je traînent de formalités en frais supplémentaires de toutes sortes. Veut-il exporter; ? Analyses, déclarations avec temps perdu et démarches le guettent. Las règlements les plus ineptes, les plus méticuleux de la métropole lui spnt appliqués avec àm plificaiioiv sans souci des circonstances, de l'espace et du milieu. Si depuis des an nées et dès années que nous occupons l'Algérie, le grenier (f abondance des Romains aulrefoiSi sa prospé-


IX. NATIONALITÉS 215

rite est toujours stationnaire, malgré les sommes énormes qu'elle nous à coûté, c'est à cause» de l'Administration et des fonctionnaires annihilent systématiquement par la force- routinière de leurs rouage?, toutes les initiatives, tous les travaux, tous les résultats. C'est triste, mais n'hésitons pas à le dire : l'Algérie à l'Angleterre aurait te quintupte de population et un trafic dix fois supérieur; restée la proie de l'Administration française, elle nous coûte des milliards et demeure languissante. Pourtant la vigne, les céréales, lé bétail y viennent à foison 1 Un dernier détail ; la tonne de marchandises d'Alger à Marseille coûte plus cher de frais divers, de transport, que d'Alger à Londres. Et si le transit d'Algérie en France n'était pas réservé par décret aux Compagnies françaises, ce serait les bateaux italiens ou anglais qui, dans nos propres ports, feraient tous les transports 1 0 sancta Administratio l

Mais je m'éloigne des « Européens, » pour taper sur cette vieille pieuvre du fonctionnarisme interne et étouffant, qui ruine toutes nos colonies. Comme ledit Raoul Bergof : -

« Le bilan de nos possessions d'Kxlr^me-Orient, se H' solde par un continuel déficit : Voyons ce qb'exporto la « métropole : des fonctionnaires avec do l'or et de l'ar« gent monnayé. Qu'en a-t-elie retiré. P'avoir o«tw| le > commerce aux Anglais, Allemands, Américains. — Quel u avenir y a-t-cllc? Celui de lutter contre la Chine ruineuse « et misérable... Pour l'appuyer* et le défendre qu'avons« nous?Rien !

Et, comme Elisée Reclus, sa conclusion est « Lâchons « l'Asie et prenons l'Afrique ! » ou mais, si on pouvait la débarasser de toute la séquelle des fonctionnaires; car sans cela le vieil adage bureaucratique tuera toutes les initiatives : « Le colon est gênant pour «; te fonctionnaire, il n'en faut que le moins possible ! ».' Touchante conception de ]a colonisation etqui malheureusement représente exactement l'opinion mentale des enipjoyés du gouvernement.

Mais je* *e livre à des considératîor.s trop éthérées, Cela va nous faire transpirer tous les deux vous et moi,


216 IX; NATIONALITÉS.

-vous surtout peut-être j Pour que la population vraiment • française augmente, po_ur que l'immigration nationale se dirige sûr l'Algérie,' il y faudrait moins de tracasseries;, onéreuses, plus de liberté vivifiante ; sans cela elle sera toujours un poids mort pour la métropole qu'elle appau*; vrit au lieu l'enrichir. ,

Un autre point de vue intéressant pour l'ayenir d'une* colonie, c'est la natalité, Eh bien il faut avouer que la.' nôtre y est des plus faibles ; tandis que les petits Espa-; gnols, Juifs, Arabes grouillent en tas dans tous les fondouks, tes petits Français sont joliment rares et souvent, mal venus. Les statistiques officielles nous racontent un tas de balivernes à ce sujet, n'en croyez pas un mot,: La statistique officielle étant par excellence l'art « d'ac-î « commoder les restes et de maquiller les chiffres 1 » La vérité pure, c'est que tout comme en France, on nefabrique pas assez d'enfants : on émousse le javelot, qui alors, comme dit Virgile : Tellum inbelie sine iclit, frappe mais n'entre pas!

Terminons par un brin de statistique, s. g. d. g. naturellement : population globale, 5 millions d'habi* tants dont :

Arabes......,.........,,,,.. 4.000.000

J U1IS M**l|MIHMM(*tMMU fcUUtUUU

Espagnols................... îfjo.ooo v

Italiens ...,...,„...,,.,..,. 100.000

Divers (Maltais)...,, 100.000

Français.,,...,.., .....400,000

Notre colonisation propre, par l'accroissement relatif du nombre de Français rapporté aux autres éléments . fait peu dé progrés. A ce propos, allons-y de quelques grands principes généraux de colonisation.

VI. Principes généraux de colonisation

Celui qiii, dans son pays natal, borné par l'horizon qu'il a sous les yeux, n'éprouve ni le désir, ni le besoin de « voir au-delà », sera toujours en état d'infériorité physiologique et morale devant celui qui, allant plus avant vers.le lointain et l'inconnu, se rendra par,cela


IX, NATIONALITÉS Hlï

même plus apte à apprendre, à juger, à comparer, à utiliser.

Aussi, notre sympathie entière, notre aide modeste est acquise d'avance à toute oeuvre tendant û apprendre aux jeunes générations que si, dans la région qui les a vus naître, l'horizon est trop restreint, trop étroit, d'autres régions existent où leurs qualités pourront se développer plus à l'aise, où ta vie pourra être plus large, plus facile et plus saine,

A chacun de nous donc, la tâche agréable et utile de parler des pays qu'il a vus, qu'il a étudiés ; des contrées bi> il a eu, plaisirs ou fatigues,succès ou revers; ce n'est pas du fond d'un luxueux bureau que l'on a jamais quitté, assis sur un fauteuil où la fumée d'un havane aide à ta digestion du déjeuner, que l'on peut parler en connaissance de causé de ta soif et de la faim, de la chaleur torride ou du froid glacial,. Pour entendre la grande voijt du silence, pur comprendre combien, perdu dans l'immensité, l'homme est petit, il faut avoir, soit dans les sablés brûlants du désert, soit dans les neiges infinies des steppes, accumulé tes kilomètres s'allongeant sans relâche avec le campement nocturne sous le ciel étoile.

Les Sédentaires, si savants qu'ils puissent être, ne peuvent; remplacer, je ne dirai pas las Explorateurs (terme noble ne s'appliquant qu'à ceux qui pendant dé longs mois comme M. Bonvalot, ont pâti et découvert) mais les Voyageurs ordinaires qui ont essayé simplement de voir et de comprendre les régions où ils séjournaient. Bien des opinions absolument contradictoires ont étéémises sur l'Algérie, et cela à tous les points déyuè ; financier, économique, productif o\xethnologique. Chacun jugeait, chose assez naturelle d'ailleurs, selon sa situation sociale ou les conditions de son séjour ; aussi je mè cbntehtefâi de dire que c'est un pays qu'il iaut avoir parcouru en tous sens, sans idées préconçues, Voyant: « bien », ce qui est bon; « mal », ce qui est mauvais, pour se faire une opinion approchant de la vérité.

L'Algérie n'est pas, comme on se figure trop gêné-


S18 IX. NATIONALITÉS

rajemcnt, un pays identique sous tputes ses parties-', c'est une succession de pays divers, de régions changeantes par le climat, les habitudes, les productions, les moeurs, En France même,où la centralisation W inféconde quand elle est exagérée — nous pousse de plus en plus vers ' l'uniformité,-les provinces se distinguent les unes dés autres : les Bretons et tes landes delà Bretagne diffèrent essentiellement des Bourguignons aidas coteaux de la Bourgogne, La Lillois, froid et flegmatique ne peut se comparer au Marseillais expansif et bouillant. En Algérie, ces différences sont encore infiniment plus marquées. Lé Tell fertil et productif est tout l'opposé du Sahara sableux et brûlé. Les populations qui s'y coudoient, sont aussi bien» différentes : à l'ouest, c'est le Maure et f Espagnol ; à l'est, lé Kabyle et YItalien ; dans le Sud-Oranais et Ja région des Ksours, l'Arabe sédentaire se différencie du nomade; l'un immobilisé dans l'oasis où it cultive son orge et ses palmiers, mène une vie paisible et paresseuse ; ses moeurs sont plus tranquilles, mais sa constitution est souvent débilitée par l'ophtalmie, les fièvres intermittentes et le mal spécial que Mi Brieux combat au ThéâtreAntoine avec infiniment plus de succès que la Grande Commission extra-parlementaire contre la,,, rougeole. L'Arabe de là montagne et du désert, errant avec ses troupeaux, exposé aux aléas du soleil ardent et de la soif qui dévore, est plus robuste et d'une mentalité tout autre.

Ce sont toutes ces nuances qu'il faut voir et interpréter si l'on veut se garder d'une opinion trop tranchée sur l'Algérie dans son ensemble ; et c'est pour ne pas avoir observé cette réserve que vous voyez tel auteur s'écrier: « C'est un Paradis! » tandis que tel autre, avec non moins de conviction, là proclame une terre infertile ou Un gouffre financier.

Là vérité est entre ces deux extrêmes : Certains points de l'Algérie, étant à tput jamais stériles, tandis que d'autres sont doués d'une fécondité paraissant intarissable. Il est tout natutel que celui qui a séjourné dans i une portion de ce pays ait son opinion et l'exprime,


IX. NATIONALITÉS *?IU

mais il doit se garder de l'appliquer à l'Algérie toute entière.

Gomme le montrent ces courtes observations sur l'Algérie, un auteur sincère, responsable de l'opinion qu'il suggère à ses lecteurs, doit exposer les choses comme elles sont et bien se garder, en matière coloniale de trop généraliser.

En tous cas, dans nos colonies conçues pour des administrateurs à caser, et non pour des colons, les colons manquent. Si cependant ceux-ci se présentaient en quantité pour l'immigration, il faudrait tenir compte de certaines conditions nécessaires à la réussite.

VII. Conditions requises pour coloniser

is Conditions pécuniaires et sanitaires, — Nous ne comprenons guère l'émigration au dehors que pour les gens sans ressourcés : c'est là Un point de vue absolument faux : pour émigrer et coloniser, il faut un capital si léger qu'il soit. H ne suffit pas de s'amener à DlmDefsà ou à Figuig et de se dire « je suis colon ». Colon, pour q'ipi faire? Où sont vos terres, vos demeures, votre matériel, vos ressources ; existe-il des descendants de l'immigration alsacienne de 1871-1872, pas seulement 4 0/0, On partait, en ioo3, d'envoyer dés familles entières dé pêcheurs bretons en Tunisie, sous prétexte que la pêche était la même et fort rémunératrice ; mais et les hommes ? U est douteux qu'ils puissent s'acclimater sans un déchet considérable, Les habitants Marseille se feront au climat algérien bien plus facilement que ceux de Dunkerque, c'est naturel : si vous êtes du Nord choisissez au moins tes régions montagneuses et non la basse plaine ou l'oasis. Il faut rechercher autant que possible l'analogue du climat natal ; être de bonne santé, sans aucune tare physiologique. La

;"sobriété., est;ç.ussi une vertu indispensable, en quelque endroit que l'on se fixe,

, & Se documenter près des çohniatîx. — La première pensée dé toute personne désireuse d'étudier la colonisation, soit pour son instruction pure, soit pour


2SÔ IX. NATIONALITÉS

une utilisation ultérieure, c'est de se renseigner aux publications, bureaux, offices spéciaux, pour se faire rapidement une idée personnelle sur le sujet,

Deux modes d'information tout à fait distincts s'oflrent au néophyte ; la documentation ojficielle et théorique, ou la documentation vécue et pratique. C'est à la première, le plus souvent, qu'on a recours en s'a* dressant à l'Administration, aphorisme vague qui comprend tout et ne précise rien.

Si l'on va au fond des choses, on voit pourtant que î'Administration.est bien mal orientée pour connaître et ensjigner la vérité, car ses vues d'ensemble, basées qu'elles sont sur de faux-jours particuliers, sont d'ordinaire erronées. Elle estsouvçnt ignorante ou trompée : ignorante, parce qu'elle n'est que le reflet plus pu moins compétent de certains milieux spéciaux (fonctionnaires en général) qui lui fournissent ses documents ; trompée parce que ces milieux spéciaux,Voyant tout à leur angle personnel, imposent les règles, statistiques, intérêts, desiderata qui leur sont particuliers, comme étant d'ordre général.

L'Administration fait concorder les chiffres, rapproche les rcnseighements disparates, se souciant plus de l'apparence que de la réalité même : eh réunissant et consolidant en un assemblage mal-joint des documents disparates et souvent erronés, tout au moins dans leur interprétation générale, elle fait Un bloc factice, composé surtout de théories, d'erreurs et de déductions vicieuses.

Le seul rêve de l'Administration, c'est ta tranquijité : elle écarte d'instinct tout ce qui peut la troubler, et, pour elle, le « pas d'histoires » des bureaucrates de la Métropole se transforme en « pas ds colons» pour que la colonie soit plus calme et plus tranquille. Que peuvent bien faire au fonctionnaire qui touché ses appointements dans un doux farniente tés mouvements, échangés, productions, d'un pays où /il- rie fait que passer, sinon lui donnef de ta besogne ou du souci supplémentaire l II y a"là Un vice primordial de notre Administration Coloniale,


;:3; ix.VNÀTtONALiTés-i:v'i;'-' ::;":;:;'i.-, 831

Nous irons plus loin : le renseignement administratif est parfois pour le néophyte colonial non pas une aide, mais un danger, S'il s'y fiait trop il pourrait lui en cuire plus tard ; car ce n'est pas dans cet amas de paperasseries inutiles et fausses, condensées par des gens qui n'ont jamais vu que la moleskine de leur bureau au ministère qu'il pourra trouver le vrai, l'utile. H se fera un e idée théorique à laquelle il cherchera plu tarda rapporter tout ce qu'il pourra entendre, lire et voir. Sans s'en rendre compte, H interprétera tout dans un seul sens, celui qu'il a choisi au début, éliminant ou négligeant tout ce qui serait contraire à l'opinion préconçue, ' ■;. "--;',-.,.'

Si Ton examine combien est fragile la base sur laquelle sera ainsi appuyé leur jugement, on ne peut que répéter aux néophytes un axiome bien connu ; « Avant de se faire une opinion quelconque, consulter « lés colo« niaux », qui sont, eux, non des littérateurs ou des bureaucrates, mais des gens ayant pratiqué la vie coloniale, pouvant donner des indications vécues, des cbnstils pratiques, fruit de leur séjour sur les lieux mêmes, et de l'expérience par eux acquise.

Cette opinion est celle de tous les explorateurs, de tous les gens ayant travaillé, étudié ou vécu aux colonies : c'est celle de MM. lionvalot, Treille, al tant d'autres, Nous hé sommes certes pas les ennemis de l'Administration, mais nous la voudrions moins fermée, moins routinière, moins figée dans son Optimisme factice. '■ ,;v ;.;.'.

Il faut surtout, si l'on a eh vue Une spécialisation quelconque, s'enquérir auprès de ceux qui ont pratiqué sur place dans la partie : un colon se destinant à l'agriculture peut-il se faire documenter par un ancien officier, ou un .commerçant futur par un fonctionnaire ? EviV démmênt non, Et malheureusement ce sont ces derniers qui prédominent dans nos colonies : Trop de foncliontlàirçset pas (issét de colons, voilà ce qui se dit (et avec justice) par ceux qui s'intéressent à l'essor colonial.


:*2*J; ■"'"' ;.;i;;;'.-":"-:'';.lX:.. NATtoNALITâS

;:r?JII^.'l«es^'fen»jn'es'i;..'

Après ces réflexions un peu touffues sur les hommes et ta colonisation, vous allez nie dire ;'.;«" Et les femmes f, * vous n'en parle? pas ? Que feisiez-ypus donc entré « vos repas f\-~ La sieste parbleu \,*~.- La sieste, précisé« rnçnt ; allez-y de vos sagàces appréciations, » Je veux; bien, mais en tremblant ; car c'est un Sujet, la femme, sur lequel il ne faut pas., s'étendre trop longtemps ; comme répétait sans cesse un de mesamis, mécanicien au P. L. M. «Glisse?, ma bfeUe, n'appu^zpasT»

Lés femmes Juives sont d'ordinaire mafluès, grasses, Urt peu terreuses dé teint ? il y en a pourtant de fort/ belles, mais on ne voit pas ct;ez elle en général, J'psiêplogie superbe, la taillé élancée, vigoufeUsc et ajtière da la fenlm^ Arabe ; ni les musclés hoirs et puissants de la Négresse aux reins larges ; ; ni la maigreur robuste dé Y&spagnole fléxîblç.: Malheureusement ta poitrine de cette defhière est parfois d'une indigence à mettre à l'Ai P. et l'une; d'elHs qui nie ypyaiit un jour faire |a rnbue devant sa maigre exhib|ùon,niè dit mécontente : «Ça t'étphtje ? --^ ph, pas assez » lui rêpohdis-je ironique, en arrondissant tes deux mains L; ;

Mais je plus bèaji spécimen de là femme eh Algérie, c'est taJMaûres^uej, crojsemeht d'arabe et de juive d'or* dûiaire ; L'Européen les préféré éri général et en garde; toujours; plus ;tard un; excellent souvenir■ :' Temporà ô* Moresque f Jt y eh a; qui sont de véritables statues pouf la pureté ;dei formes/ et la beauté des lignes; Les Màu-? fésques rie; se rencontrent guère que dans le Tell ^ màj• heureusement ! -—: à"Alger et surtout à; Tléfncen entre la riie pàh-el-djiàd et te Méchbùà^ minant 1^ qiuàftiefqu'elles-habitêhtv ; / VJe né parlé pas des Européennes, vous JeS connaissez;; tmhde mojt Jà pensée^ dé dénigrer lèsfléchies du NTôr<4 (Xrii^aises, àlt^ sous-pnibilicale va pàs^

femmes du Nord et des civilisées : Tandis que la femme elii Sud, là démié-sauvàgédu désèft^ ïjiiçl jfumet âçre et puissant j Mon bpiniprt est d'ailleurs toute natiïfelie j


Iîî« NATIONALITE* ^îîà

ne préfère-t-on pas en général lé lièvre au lapin, le gibier à la volaille à cause de leur montant t

D'aucuns disent : « Une femme est toujours une « fémnié », quelle hérésie ! Chaque femme, comme un violon dé prix, a sa « vibration particulière » ; les unes d'une sonorité rapide, fiche et exacte, tes autres lentes, paresseuses ou saccadées au doigté. Et dans la prise (le Coup d'arçhét), quelles différences aussi : telle difficulté doit;être emportée d'assauf, teilé autre forcée en un spasme progressif : ce consehtement-ci doit être utilisé brusquement, celui-là savouré pas à pas. Mais je ne veux pas vous fsire un cours de pornographie coloniale à l'instar de l'Institut d'Auteuil t Revenons à notre gra* deux sujet.

Comme caractère, jl y a aussi dans ces races variées, des différences : ta Juive asi apathique et somnolente ; la îarnuaâ Arabesilencieuse et profonde ; la Négresse bruyante et paresseuse ; l'Espagnole travailleuse et endurante. A propos des femnies (et des femmes arabes surtout} permettez-moi une petite saillie toute psychologique î J'entends d'ici tes coloniaux en théorie s'écrier : « Lf femme - arabe est l'esclave de l'homme, écrasée, «battue ; c'est dégoûtant, etc. » D'abord la femme arabe né peut eh aucun point se comparer aux nôtres ; elle n'a ni les mêmes besoins, ni ta même mentalité : les nôtres travaillent avec nous, ont la même éducation, les mêmes idées, La femme arabe, elle, n'est toute sa vie qu'un enfant (adulte il est vrai), mais puéril et ignorant ; cercle de ses conceptions est fort restreint, elle est àbspluniéhi i ncapable d'autre; chose que battre son linge, fabriquer son' kouscousse; et soigner les enfants. Que ppùfràit*e.He. faire au dehors ? U n'y a ni écoleni ateliers; pour elle.yÀui fond, son sort est encore plus doux que celui d'Une infinité d'ouvrières de nos villes, et son existence pilis 'gaie malgré, ta domination absolue de l'hbmifie dont elle ne se p|aint pas du tout : ce sont les théoriciens de la métropole qui là pUignentj sans la Connaître lé fndmdrèhiént bien entendu I Non vrai, j'ai ■ yU bien desménagés,.; mais ina fb|, lès ménagés arabes ;


Mi IX. NATIONALITÉS

né vont pas plus mal que les nôtres ; donc il n'y a pas lieu, sous prétexté de civilisation, à venir les tourmèn-. ter pu les corrompre; : * Sol fuçet omnibus » ; leur pp* lygam ie légalç, reçoit nue vaut bien la nôtre coupable et dissimulée, Elle existe depuis longtemps et existera toujours je pensée /

Muni l j'irais même plus loin si vous ne m'arrêtez pas : dans les pays on les lehimés sont éti excédent notable; l'Angleterre par exemple, qui sait si la pblygà^: mie serait pas un bien, acceptée avec enthousiasmé paf toute l'armée des spihsiers (vieilles filles) encore pius heureuses d'avoir un tiers bu un demi-mari quç pas'dû toutY L- 3 nature parle que diable : mais n'insistons pas,- tés relations entre Edouard Vît (du pays de Galles} et M* Kallièrés (du Loupillon) étant excellentes, il serait indélicat de na part, de plaisanter ta nation.., amicl

En tout cas, la femme arabe est bien peu de chose pour son possesseur (père ou mari), Jeune, elle n'a de valeur que par sa beauté; vieille, par son travail : c'est ou une bêtç de plaisir ou une bête de somme. Si elle meurt, te mari ne la regrette pas, mais considère seulement qu'il a perdu une partie de son bien. Dans cet ordre d'idée, il faut ranger ta soi-disant jalousie de l'Arabe qui fait qu'il tue impitoyablement le ravisseur de ses femmes, L'arabe n'est pas le moins du monde jaloux ; mais la femme étant pour lui une propriété dont il veut avoir l'usage absolu, il se considère comme volé et diminué si un autre en a la jouissance. Sa férocité est encore accrue par cette donnée qu'un, cheval ou un mouton volés restent inconscients, tandis que la femme est consciente, consentante ou heureuse parfois de sa violation passagère. C'est pour cela que s'il tue le ravisseur, le mari n'estropie ni ne tue jamais la femme ; ce serait perdre la valeur qu'elle lut a coûté, aussi se cor.- tente-t-il de la rosser copieusement sans toutefois la détériorer,

L'Arabe obéit donc non pas au sentiment de la jalousie, mais à celui de la propriété ; les * tout-à-fait pri-


■ ■:" -/-': K. NATIONALITÉS ' i i;, i 2?5

rnkifs » du centré afficaln n'ont même pas ce dernier sentiment, Dans toute la région équatoriale, le nègre est plutôt flatté si un blanc, cet être supérieur pour lui, désire ses femsîes ; il lès lui enverra très volontiers et celles-ci, loin de résister, s'offriront de bonne grâce. Cai les honore **» et ça nous soulage,,, |e côeùf.car te poids d'une virginité niéfropolitaine datant de plusieurs lunes est un pesant fardeau -^ quand on en a pas l'habitude î Ce protocole équatbrial, '«. mbdus rècipiandi » donne donc satisfaction à tout le mondé: Les négresses sont passives d'ordinaire, sauf à l'époque mépstru'ijte : leurs règles son t en très petite quantité, mais en général très odoriférantes, se rapprochant, sous ce rapport de certaines femelles d'animaux. Leur froideur" est dû aussi à l'égoi'ime masculin dédaignant dé pfbvOquèf les vibrations de ce marbre noir « Ego Félix, et c'est assez » se disent également te mari nègre ou l'explorateur blanc I D'ailleurs; dans l'Indp-Chinè Ta Congaïi ou au Japon là Afpwi»j#sbnt également considérées comme de jpetits anima utiles, mais sans Importance :oii les acheté, on s'en sert et on les quitté sans plus de formalités.

Mais voyons la femme arabe et pénétrons dans son intérieur. Après avoir franchi vtrie porté surbaissée s'ouvraht sur Un court boyau, oh se trouvé dans une petite cour carrée, limitée sur ses quatre faces par des bâtisses basses servant dé logement aux personnes et ; 'd'abri abx bestiaux; /-H. / Dans l'une d'éll#, éclairée d'un dèrni-jouf par l'ouvëfturéde là balé d'entrée, deux femmes arabes sont accrpupiçs : l'une devant un; métier sur lequel elle t fabrique uni biirnous bu "une de ces couvertures aux brillantes Couleurs heurtées. Ses laines et ustensiles sont à terre i^la^ dansun désordre apparent,

niais elle pique avec rapidité et; sûreté selon ta nuance ; dont elle a bespinT L/autré,;agéhbu«ttée devant un énorme hibftiéraébbisj y pile du café en s'accompagrtaht d'une hlèlopée,bizarre et; monotone, pendant qu'à ses pieds; se roulent deux pu trois marmots dont l'uri braillé à pleine g;., osier; en m'àpcrcevant. Une


226 IX. NATIONALITÉS

odeur spéciale d'huile rance et de sudation corporelle y règne constamment, la pièce n'ayant pas d'autre ouverture que rentrée, Dans deux des angles des amas de nattés servant de lit, dans les autres et aux niUrs, divers ustensiles de ménage ou de cuisine, parmi lesquels un coffret grossies fermé à clef par le Mattre du lieu : quelques poules maigres et une bique efflanquée avec son chevreau veulent entrer, on les chasse dans là cour, : En face de cette pièce, de l'autre côté un autre réduitoù sont quelques moutons ; dans un coin un escalier primitif de boue séchée et de morceaux de palmiers, conduisant sur la terrasse (toiture plate de l'habitation, du gourbi).

C'est dans cet espace exigu que tout grouille, bêtes et gens, les'volailles caquetent, les enfant piaulent, les femmes bavardent en travaillant ; cris et rires s'entremêlent en l'absence du Maître qui reviendra bientôt jeier un coup d'oeil sur le travail .fait.au métier, sur les bestiaux soignés, sur la çujsine eh préparation, silencieux et grave devant ses femmes qui modèrent alors leurs bruyants ébats.

Tel est un intérieur arabe ordinaire, celui du Ksourien possédant son jardin, son gourbi et quelque bétail : bien des ménages d'ouvriers ont moins d'aisance, de repos et de gaieté. Mais laissons ces dames à leurs occupations variées, la femme arabe son tissage, la Juive à sa paresse, lz mauresque à ses atours, la négresse à ses, fardeaux, et revenons pour terminer sur le mot, sur là chose qui résume toute l'Algérie dans ses desiderata, ses besoins et son avenir : YEau !


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L'eau et les Oueds

L'eau t 11 faut vraimentavoir été dans laSud-Oranais

. pour apprécier l'importance énorme de ce liquide,

De l'eau ? mais c'est la fertilité, la récolte, la vie ! Pas

d'eau ? c'est l'envahissement par le sable, la solitude, la

mort.

« L'eau emmagasinée à l'époque où elle est en « excès pour pouvoir être utilisée à celle où elle « est en défaut », voilà la condition vitale de la culture en Algérie. Les barrages qui arrêtent entre deux collines des masses d'eau pour les répartir ensuite peu à peu et pendant tes longs mois de l'été, c'est la fertilité assurée pour les régions qu'ils commandent. Tels sont ; celui des cheurfas au-dessus de Sl-Denis-iu-Sig, avec 478 mètres de longueur sur 40 m. de hauteur et 3p, m, d'épaisseur à la basé ; celui de YOued-Fergoug, audessus des plaines de Reli^ane et plusieurs autres. Ces barrages crèvent parfois, mais c'est l'exception; on les reconstruit plus solides encore et il serait à désirer qu'ils se multiplient.

Dans d'autres endroits, il y a assez d'eau, mais elle est d'accès difficile ou inutilisable sur place : il faut alors la conduire (et avec le minimum de déperdition) là où elle peut être utilisée : questions complexes, tenant à la fois de l'hydrographe, de l'ingénieur et du cultivateur.


228 Xi L'EAU ET LES OUEDS*...'.',.'

I, Les Oueds

Quand vous voyez une carte d'Algérie, avec ses quantités dé lignes bleues sinueuses représentant les rivièrest vous vous dites, comme l'illustre Maréchal devant la mer : « Que d'eau, que d'eau !> Détrompezrvous : cela coule à l'automne pendant la saison des orages et des pluies; trop même, quand on n'en a pas besoin. En été, plus une goutté; si vous comptez sUr les oUéds pour vous désaltérer en route, vous n'avalerez pas de microbes I -

En été, l'oued est un lit de rivière absolument sec, parsemé de rochers, de sable, de lauriers-roses. En hiver, c'est un torrent intermittent et irrésistible. Vient-il un orage? Làoù vous n'aviez plus*une goutte d'eau depuis des mois, Il y en a de 3 à 4 mètres de hauteur, se ruant avec une vitesse et une force enrayante s lé lendemain, ou même quelques heures après, plus une goutte et l'oued rede\icnt à sec jusqu'au prochain orage.

Cela vousexplique en partie pourquoi il n'y a pas de pont (ou si peu 1) Ils seraient trop coûteux, serviraient trop rarement et risqueraient de trop fréquentes démolitions.

On s'en passé très bien d'ailleurs : l'Oued est-il à sec ? Vous descendez dans son lit d'uh côté pour remonter de l'autre. Coule-t-ila pleins bords? vous vous asseyez sur là rive en attendant qu'il n'y ait plus d'eaU (ce qui a lieu généralement au bout de quelques heures), puis vous passez. Comme on voit c'est peu compliqué et Ce désagrément est en sommé assez rafe, car on reste souvent dès trimestres entiers sans pluies,

Parfois, dans les cas pressés et quand l'Oued n'est pas trop large, vous pouvez employer le procédé suivant dont nous nous sommes servis à Aïn-Sefra. Onatten* dait lé spahis-courrief pour 5 heures, quand tout-à-coup un orage subi . avec pluie torrentielle, iransforme l'Oued presque à sec ,qu| sépare la redouté du village, en un torrent infranchissable. Une pierre déroulant une ficelle fut lancée sur l'autre riye et à son extrémité suivit


N. L'EAU ET LES OUEDS / 239

une corde à fourrage doublée qu'on amarra ïolidétiient des deUx côtés. Un moniteur de gymnastique solide gaillard mais un peu trop lourd, se déshabilla pouf traverser à la force du poignet |e bas du corps entraîné par le courant. Pour plus dé sécurité et pour rassurer te Commandant qui, absolument ignorant de là gymnastique, ne savait si l'entreprise était praticable ou non^ j'avais noeud-cdulânté autour dl corps de l'homme une autre cordé dont je tenais ferme l'extrémité en amont : si le câblé rompait ou si l'homme eût lâché, j'avais ainsi la faculté dé l'empêcher d'aller, emporté par lé courant se fracasser sur des roches à (leur d'eau ; et j'ét ris sûr de lé fepècher au bord, avec quelques atouts peut-être, mais sahs trop de danger.

Heureuse précaution, car vers le milieu du courant, tes cordes à fourrages pêterent d'un commun accord et mon gaillard, tenu en lait se au bout de ma fourragère tendue, s'échoua sur le bord en décrivant un rapide arc de cercle : il n'avait qu'un atout à la fesse gauche. Cet accident avait refroidi le Commandant : aussi pour éviter qu'il interdit de rééditer la manoeuvre, je m'offris à passer moi-même, lui montrant combien c'était d'un bon exemple ; presque aussi vigoureux sous Un poids moindre, j'étais sûr de réussir. On réinstalla le va et vient, et tandis que mon êctoppê changeant de rôle avec moi, me tenait nceud-coulanté d'amont, je traversai assez 'facilement rapportant le sac du courrier fixé derrière sur mon cou. On s'amusa beaucoup de cet incident, les distractions Sont strares. *

Ce jour-là ce fût une plaisanterie i mais en octobre 1904, le même Oued à là suite d'un orage épouvantable et subit, dévala avec une intensité telle, que son premier flot emporta d'un seul coup la moitié du village : uhê trentaine d'habitants (dont;plusieurs".Européens) furent noyés 011 broyés instantanément, Un pont (le seul I) qui se trouvait dans le voisinage fut également enlevé. L'O-Sefra et l'O-Tyoùt sont les origines de l'Oued Na*

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Les Géographes vous enseignent eh France que lès sources « coulent en des ruisseaux dont ta réuttien


- 230 X. L'EAU ET LES OUEDS. '/,".'

« formé des fleuves qui vont se jeter dans la nier. » Dans le Sud-Oranais ce n'est plus cela du tout. Les sources coulent en ruisseaux assez rarement, quelques kilomètres tout au plus ; né forment jamais de fleuves ; et. ne vont pas du tout à la mer. Oh réunirait ensemble tous les débits des Oùéds du Sud-Oranais au mois d'août v qu'il n'y aurait pas 0,20 à l'étiage du pont des ToUrnelles 1 Aussi en méditant sur les énormes lignés bleues indiquant sur la carte les Oueds i 0 Zottsfrana, 0 Nam6us,0 Ghuir, etc., ne songez pas à y aller en canot automobile ou même à y pêcher à la ligne. Ces Oueds, au" noms retentissants sont des lits sableux (de parfois 100 à 5oo mètres de largeur) mais sans la moindre trace de liquide en dehors de la saison^es pluies ou des orages. IJ& masse énorme d'eau qu'ils charient alors, né va ja-"/ mais bien loin et se perd dans tes sables surchauffés depuis longtemps.

Dans te Tell, la Tafna, (bassin de Tlemcen),YHabn (bassin dé Perrégaux, Mascara) font bien mine d'ècoulef leurs eaux à la mer : l'IIabra n'y va même qu'avec répugnance pour ainsi dire, en s'attardant dans tes vastes marécages de la Macta ou pullulaient autrefois les poules d'eaux. ■"''■

Il y a aussi le Cheliff surtout, le grand fleuve algérien qui mérite une mention spéciale.

MChetiff

Le Cheliff, dont te bassin est énorme (4 millions d'hectares 1) possède un parcours de 65o kilomètres : il est donc plus long que la Seine qui n'ert a que 63o du mont Tassetot à ta pointe de la Hè\é, Tout OuèdOra* nais qui se respecte, dans les Hauts-Plateaux, est bu par les sables, âvons-noUs dit, et ne connaît la mer. que de réputation: seul le Chetiff, par esprit de contradiction sans doute, se permet la fantaisie d'envoyer ses eaux (et Dieu sait par quels méandres et interruptions 1) au littoral.

Il prend naissance au-delà des Hauts-Plateaux, dans


X. L'EAU ET LUS OUEDS 231

îè second massif des Ksours.au pied du Djebel Amor près de LaghOuat, avec l'Oued Mzi.

Il reçoit les eaux d'AfloU par l'O. Mekla, des HautsPlateaux, par l'Oued ben Hadja, qui forment l'O Touil, le Sud de Tiaretlui envoie les siennes p&r l'O Sousselem, l'O. Zerga ; puis décrivant un énorme demi-cercle dans les gorgés du i" massif de l'Atlas, (par Boghar et Miliana)la Cheliffqui avait coulé du Sud aU Nord puis de l'Ouest à l'Est, coulé dé l'Est à l'Ouest pour se jeter dans la Méditerranée près de Mostaganem, après avoir reçu toutes les eaux venant du Nord de l'Atlas par iine multitude d'oueds dont les principaux sont la Mina (vers Tiaret) l'O. liiou (Ami-MoUssa).

La Mina est utilisée près de Tiaret par des moulins : elle présente à cet endroit (Moulin Ecoffiê) une chute de 44 mètres de hauteur, susceptible de fournir une énorme force motrice et dont un mince filet seul est utilisé. Plus bas des barrages retiennent l'eau pour les irrigations de la plaine de Retizane. La Mina coule en grande partie dans des gorges boisées superbes.

Pour donner une idée du régime torrentiel des eaux en Algérie, disons que le débit du Cheliff, son plus grand fleuve, varie de 3 à lioo mètres cubes par seconde, avec un régime moyen dé to presque toute l'année, et en temps ordinaire. C'est l'O. OMÀSSW (branche de Tiaret) qui fournît le plus; quoique plus courte et desservant une surface moindre, son débit est plus constant et plus fourni que celui de li branche d'Aflou.

Avec tous ces oueds, presque toujours à sec (sauf le Cheliflj, la navigation intérieure de l'Algérie est un mythe, il n'y en à pas : en fait de bateau, l'on n'y voit guère que ceux que vous monte l'Administration;

Inutile d'ajouter que la natation est un exercice absolument inconnu des Arabes du Sud-Oranais. À Tyoul, or) je prenais parfois des bains dans une cuvette naturelle de rochers dé 8 à. to. mètres de largeur avec 2 mètres de profondeur, les indigènes se demandaient comment je pouvais rester sur l'eau et m'y diriger. Si en sortant du bain, pour faire la réaction, vous risquez


232 - X. L'EAU Et LES OUEDS

un saut périlleux de pied ferme en arriéré, ou si Vous marchez quelques dizaines de mètres sur les mains, je vous prédis, comme à moi, un succès complet qui établira solidement à la ronde votre réputation de * Toubib« e|-Kîbir, Grand Médecin I»

A quoi lient la renommée 1 Et dire qu'aujourd'hui je ne marche plus— ni sur les mains, ni autrement — hélas t Je ne suis pas même un « vieux marcheur », mais j'ai connu le succès, < sufficit I > Lé canotage, ce sport si cultivé aux avirons d'Asmères, est naturellement tout-à-fort inconnu dés Arabes.

On ne saurait se figurer, malgré sol, combien quand on parcourt un pays en détail, le régime de ses eaux vous laisse d'impression. Je revois toujours, d'une part, les embouchures grandioses et tes cours majestueux de la -Seine, la Tamise, l'Escaut, te Min, sillonnées de puissants steamers aux formes énormes, où le mouvement et la vie coulent avec les flots ; d'autre part, ces Oueds petits ou grands, sableux, parsemés de rochers polis ou d'ilôts de laurier-rose, arides, morts et solitaires,.-'.

III. *- Retour en France s la Patrie

Mais ce contrasté même me fait songer à mon retour en là mèré-patrié ;caf vous le pensez bien, chefs amis, d'autres destins allaient m'être Imposés ou choisis par moi, et ces quelques années de Sud*Oranàls n'étaient qu'une embardée de mon existence.

Au bout de quatre ans, mon temps de service réglementaire terminé, je revins en France. A mon tour, je revis Marseille m'extasiant sur la quantité de femmes blanches qu'on y rencontrait : je fis viser et réviser la traditionnelle feuille de routé à l'Intendance, & la Place. Enfin, j'étais dans te rapide ! il mé ramenait à Paris, près de ma vieille mère, assez bien portante malgré son Âgé et qui me tendait ses deux bras à mon arrivée en gare du P L, M, Le délicieux moment I Dans son baiser si désiré, dans son bon sourire sous ses cheveux


X. L EAU ET LES OUEDS 233

argentés, je redevins son « petit garçon » et j'oubliai en une seconde les années de fatigue et d'éloignement. La maman 1 si parfois quelque dépression morale nous étreint à qui songe-t-on tout d'abord ? à sa mère, à sa; patrie : Ah I ce sont là deux sentiments vivaces qui s'affinent en grandissant avec la solitude, la distance, dans le coeUr de tous les explorateurs et les hommes d'action. Ce qui les soutient dans la fatigue, l'isolement, lesdahgers,c est qu'ils entendent tout bas en eux-mêmes, le murmure lointain de la voix maternelle, le bruissement léger des plis du drapeau. Le chauvinisme a du bon : il soutient, il console, il jette en avant, sans hésitation comme sans regret I La Patrie 1 voici ce que j'en écrivais, bien plus tard, au fils d'un de mes vieux amis ■ d'Alsace-Lorraine :

Tu nous demandes, à ton porc et à moi, ce que c'est qUe la Patrie ? les sophîsmcs décevante et dangereux des ItervéUlés, l'aurarçnt-ils ébranlé 1 Laisse-là ces prêdicants d'un ûllrurtismc démoralisateur, pour relire tes sévères enseignements de l'Histoire ; licoulc les vivantes leçons du passé, la parole ardente de les Maîtres ; regarde les exemples dans ta famille. La'Patrie uo se définit pas, elle se sent : nous l'avons dans notre cctTcaii, dans nos veines, dans noire coeur I

• Tu es né ett terre lorraine et c'est sur tes bords de la Sàar que tous tes ancêtres dorment leur éternel sommeil : pour que tu restes Français, Ion p6ro a dû s'expatrier, renoncer à sa vieille maison où la mère est morle, où toi et tes frères avez vu le jour... et tu demandes ce que c'est quêta Patrie?

Ce qu'est la Patrie 1 lloralitis Codes sut* le pont du Tibre. La Tour d'Auvergne cerné dans la nuit, ne te demandaient pas ; et, pour le cilér, hélas; un exemple douloureux niais plus proche, regarde ces soldats allemands de 1870, tombés niorls ett terre française sous leur sombre casque à pointe ha ré; de la devise : « Mil Ooll fur Kohig und Vaierland » — avec pieu pour le Hoi cl la Patrie j'(»iof à mol, la terrc-dit-Père). Ils ne demandaient pas ce qu'était la Patrie, ces ennemis qui oat arrosé de leur sang les germes de leur Germante grandissante : « Ihutschland itbei' ailes — l'Allemagne par de-.* us tons!» Ilcuréusetneut point n'est besoin d'aller de i lutte côté


234 X. L'EAU ET LES ÛUKDS

du Hliin pour* trouver mille traits d'héroïsnies dont notre histoire fourmille, mémo dans nos jours do défaite et do recul, depuis les compagnons Aa-Vercingélorlx, les preux de Charfemagne, les chevaliers des Croisades, les grognards du lv Empire, jusqu'aux héros de lieictiscfiopen i nos combattants de 1870 furent moins heureux, mais lout aussi héroïques, car c'est pour* K ta Franco par dessus « tous «'qu'ils mouraient. -

A Strasboiu*g,devanl lo lourd et sombre drapeau flottant sur la coin mandature, j'étais un jour avec mon lits do 19 ans : « Papa m'a-t-H dil, ptrisso ma génération rc« mettre, là-haut celui do la France... que ta mienne a été •t impuissanlc n y maintenir, » pensais-jo triste et silencieux. — Kl tous deux, nous nous sommes découverts d'instinct, non pas devant cet étendard : allemand' qui nous écrasait, mais devant celui que notre patriotisme.- y voyait, moi vieux et las, dans le passé ; lui jeune et fort, dans l'avenir,......................................

La Patrie ï enfant i c'est le clocher de Ion village ; c'est le cimetière où sont couchés tes « anciens »! c'est l'atro familial près duquel .sont nés les « neUts « ; c'est tous ceux qui, à tes côtés, ont toujours parlé, agi, pensé, vécu dans la commune histoire.

La Patrie! mais lu en os deux, loi I La grande : la Franco d'abord,-'la « France par dessus tout » ; purs, la petite Mon hameau de la Saat\qui coulait autrefois en terre française dans celte Lorraine qui saigne encore, qui attend toujours, la'Patrie i vis toujours pour* elle, mon enfant,... et meurs s'il le faut ! Si ton vieux père en mourait après, lui, dé douleur... ce serait le regard fier et le front haut, sous cette dernière pensée : « c'est pour ' là Patrie, c'est pour la France l.n ■

Mais revenons à moi-même : Ah l qu'il est doux pour le voyageui lointain de retrouver la maison familiale, (tes frères, les soeurs, les vieux parents,) surtout quand pendant l'absence, l'aile de la mort ne t'a pas effleurée t Ce n'était pas tout-à-faît mon cas, hèlàs, Car une tombe s'était creusée, Celle de ma soeur, pendant mort séjour en Oranie, et mon premier soin, aussitôt au «pays » Fut d'aller lui porter une couronne et mes derniers adieux. G est la vie, cela : joies ou douleurs, vigueur où défaillance se succèdent dans la trame de notre existence,


x. L'EAU ET LES OUEDS 235

Ici, chers confrères, j'arrête le flot de mes souvenirs : '.*;: sat pratâ biberunt I- » je vous ai suffisamment versé d'Algérie dans l'encéphale.

Dpnc, après quatre ans de séjour assez mouvementé dans notre terre africaine, je revins en France où je pris • femme (une blanche cette fois I) Que voulez-vous, il y a des instants dans la vie où l'on éprouve le besoin de se marier... je suis devenu, (tout comme vous ou mon concierge), bon époux, bon père et le reste. A mesure que les galons s'êtageaient sur ma manche, le ramolissement montait à mon ètiage cérébral : peu à peu, le vigoureux aide-major du Sud-Oranais tournait au gros ramollot de Médecin-major touchant à sa retraite, n'ayant plus qu'une seule ambition : « l'avoir grosse * et la grignotter longtemps 1 »

Je ne suis pas fâché d'y avoir séjourné, dans le Sahara ; mais je suis encore plus content d'en être revenu rapportant du pays, sinon les moeurs (qui m'auraient en France causé bien des désagréments), du moins de précieux souvenirs intellectuels et nombre d'objets indigènes que je distribuai un peu partout : plateaux, tapis, plumes d'autruches, couvertures, djibiras, cuirs, broderies, soies, etc. J'ai rapporté aussi plusieurs peaux (chacal, renard, loutre) bien avariées aujourd'hui ; et la plus précieuse de toutes, ta mienne... qui lie l'est point 1

Mes petits fécits auraient eu peut-être besoin parfois d'être expurgés — purgés tout au moihs — mais que voulez-vous 1 Us ne vous seraient pas offerts avec autant de franchise et de bon coeur : mes camarades (aujourd'hui académiciens et chauves) ne m'en voudront pas de ce que chez moi, si le poil a vieilli, la plume est restée jeune !

J'eus aussi quelques autres aventures en dilTérents pays : peut-être vous les raconterais-je si je ne craignais de vous raser. Le souvenir, c'est tout ce que nous pouvons faire, nous autres vieilles badernes quand l'âge à glacé nos... facultés et que la mise en action (cil brlterie 1) nous est interdit. Oh l jeunes confrères, n'écoutez jamais la voix de la sagesse : plongez*vous — jusqu'au


236 x. L'EAU ET LES OUEDS

nombril — dans les aventures, .les histoires, les sales ; coups même ; soyez jeunes, débordants pour que plus tard voUs puissiez revoir vos belles années 1 — Se rappeler, c'est revivre une seconde fois. Oh l mes a5 ans, ma jeunesse et ma force, evohé î '

Je suis un homme mûr aujourd'hui, blet même : demain je serais un vieillard ; bastl mon torse se redresse, mon sang bouillonne encofe au souvenir des chevauchées de jadis. . •< Mais me direz-vous, sur dix, « il y en a cinq, qui disparaissent en route t » C'est vrai, mais ceux qui restent en valent vingt pour la décision, l'énergie : dans les moments difficiles, ils sont là pour se ruer sur l'obstacle et frayer la voie. S'ils tombent î» d'autres les remplacent i — Humble médecin militaire dans cet ensemble de forces vives conquérant le Sahara, j'ai fait ma tâche... d'autres sont venus avant, viendront après, sous ce soleil brûlant et immuable, qui, grâceà nous tous, se lèvera toujours sur le drapeau delà France s'enfooçâixiY'dcrplus en plus dans le Sud, cil faisant joyeuSen^enVcla'qu^au vent du Sahara, ses plis aux trois couleurs. ^\

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FIN


TABLES DES MATIERES' ;\

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' ■ ■ \ - ■. ■ -" :■. ?»&u/

t\Mdn Dépari \ ff;h:^-/

l, Marseille,.. 8

U. Ma Traversée................................ 10

, lit. Oran....,..,,.........,...., 12

" IV, Distances tnter-sahariennes ; trafic, avenir,... 15

3a En route pour Géryvllle 18

ï% otifod 11 « 11 » » 11, » i • 11 » i * « 11111 * » * » M i * * * > * t i » i lo

il. Le Kreidcr,................... .............. 20

III. Ma première étape.............;............. 22

IV, Ma première nègressse.>,,,.................. 26

3* L'existence dans un posle du Sud 30

t. Gérgville cl environs..........,.............. 30

IL Train-train habituel..... 33

Ut. Varcïnalîon..,..,.;.,,..;...;.*,..;..;.....,, 37

IV. Pnporosses................................... 37

V. Vie niatôiielle................................ 39

VI* Souvenirs de Franco ; ma mère ..,..,.. 41

VIL Menu d'hôpital. ........ .................... 42

Vllt. Quelques malades...........,,...., 44

IX. Hèparlilioti du Kcnice....................... 52

X. Légion étrangère,,.......................... 53

XL Lès Déserteurs.,............................. 50

4° Configuration générale du pays W

' 1» l-*0 ICllu t M Mit il. t i « DI mit Un t dit ktlt li I | UU

II. Le 1» Massif de l'Allas.... ..,, , 61

Ht, Les llnuts-Plalefuix...............t.......... 62

IV. Le 2* Massif : des Ksours..,.,,,............. 63

\, i.e Sahara.,,»,«,,,,»»•,,»,,,«..,,..,,,»,,,,,» c.>


TABLE DES MATIÈRES 238

:.. Pages

5° Quelques postes divers 73

i, Mécheria ................... ................. 73

IL Aïn-Sefra,,..;.,............,................ 74

lit, L'Aïssa (4 mois nature),...................... 76

IV. Quelques vipères.....,..,..,.. $3

V. Autour d'Àïn-Sefra.....,..................... 84

VI. Moghrar à Figuig... 86

\II. Figuig h In-Salait,,..,... 68

VIII. Oasis de Figuig.............................. 89

IX. Âhmed-beh-Moussa et ma bride ............. 93

X. La soif et l'Oued Numous... 97

XL Un cheval trop ardent .* 100

XII. Tiaret, Aflou, Ammt-Moussa...... 102

XIII. Une colonne qui péril ses maiàdes........... 107

XIX. Tiraillements do services...............,....; ltO

XV. Quinze jours dans mas boites.,............... 113

XVI. L'ascito d'un chef de grande tente;.........;. 115

é* Troupeaux et Commerce 118

1, Cheval or-abc...............................,, 118

. U. Troupeaux de hioutoiis et chameaux......i... 122

III. Caravanes...,.............,.,...;.;.,........ 123

IV, Commercé 124

V, l.a iicgresso du Cadi...,,.,,..;..,,......,.,. 127

VI. Les cituf moûkères..,.....,.., ;.,.,,.........- 135

;\i -M* '"

.-.■'■ 7* Minéraux, Flore, Faune US

1, Minéraux....................,,,...,........., 136

IL Flore,.... ..;......; 138

III, Faune................ ...,...,,...,......,., 146

IV, Une forte couleuvre.', ï......i;....,...,,..... 158

V,; lh\ fciiàrd récateitraut....................... 159

VI. l'oint de vue arabe et juge dô paix.,.,,.,,... ÎCO

Vil. Le tari do ratmèc.. .,»;»,.*...........;.....,, 162

■VIII i Le saut do l'OUcd Teinila..................... 165

IX. Sauterelles...,....;..;...,...,....,.,..;... . 166

XL \À libellé trcxibtencc»...*o..M..*»i**o»*i. I/O


239 TABLE DES MATIÈRES

8° Organisation arabe (grosso modo) 173

I. Tribu, douai*, famille..;.............. ....... 173

H. Dîner arabe.....,'...'.,...;,,..,.....;... 176

III, La propriété; 178

IV. L'esclavage .................................. 179

V. Mariages...,...,..,.,.,...,...,,,....,,...... 186

VI. Les morts........ 189

.'Vît. McHgioii............. i.. ;. 191

VIII. Historique 192

IX. Pathologie générale et hygiène.............. . 194

9" Nationalités 198

L Arabes.............;......... 198

II. Nègres. 202

III. Israélites 208

IV, Espagnols.....,., .,,,,.. ...,..,,. 213

V. Français....,.,,,. ,,,'.. 213

VI. Principes généraux de colonisation,....,-...... 216

VIL Conditions requises pour coloniser.... 2t9

VIII."Les femmes.,.»..;.,...,..................... 222

10" L'Eau et les Oueds 227

t. Les Oueds.................................... 228

II. i.e Clieliff i.,,,............. 230

III, Itetoiiv en France : la.IfyirfêLV.Ty............ 232

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